Autres discours officiels

[QBRSS19700521]
[CAUSERIE PRONONCEE PAR MONSIEUR ROBERT BOURASSA
CONGRES DES CAISSES POPULAIRES HOTEL REINE ELIZABETH, MONTREAL Le jeudi, 21 mai 1970]

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,

Je me félicite du fait qu’à l’occasion de mon premier engagement public à titre de Premier Ministre, je puisse m’ adresser à un groupe aussi représentatif de la société québecoise.

Je veux voir là, un indice de la collaboration qui doit exister au Québec, entre le Gouvernement et le Mouvement des Caisses populaires, deux des plus importants facteurs d’évolution économique et sociale de notre communauté.
J’ai eu l’occasion de prendre connaissance d’un certain nombre de vos travaux et de me familiariser avec les objectifs de votre Congrès qui se termine. Vous avez voulu, au cours de ce Congrès, examiner les défis que pose notre société dite de techno-structure. Cette société promet à l’ homme un développement fantastique dans tous les domaines. Ce développement provoqué par les nouvelles découvertes de la technologie nous forcera
a relever des défis que nous avons peu connus jusqu’à présent.

Des congrès comme le vôtre ouvrent des horizons très vastes et vous permettront sans doute de vous situer d’ une façon adéquate, comme instrument essentiel de développement économique et social au cours de la décennie 1970.
C’est à cause de préoccupations semblables aux vôtres que nous voulons durant les prochaines années, mettre un accent tout particulier sur le développement économique du Québec. Non pas que nous considérions que l’homme Québécois puisse trouver toutes ses satisfactions dans le seul développement économique de son milieu ; mais nous croyons fermement que seul un développement économique adéquat, qui procure le nombre d’emplois et les revenus nécessaires aux citoyens du Québec, peut garantir le soutien de nos aspirations sociales, culturelles et politiques.
Une société qui se respecte ne peut tolérer qu’un aussi grand nombre d’individus vivent en marge de l’évolution économique, sociale et même culturelle de leur milieu, parce qu’ils ne contribuent pas d’une façon active par leur travail, à l’évolution de ce milieu. Nous croyons que le chômage, par delà ce manque de revenus qu’il entraîne, contribue également à déshumaniser un certain nombre d’individus et à priver notre société d’un apport fructueux de talents et de ressources.

Il ne s’agit donc pas seulement de créer des emplois pour le bénéfice économique qui peut en résulter; il nous faut également faire en sorte qu’un plus grand nombre d’individus s’associent d’une façon active au développement de la société et participent aussi comme citoyens à part entière au progrès de la collectivité. Voilà, à notre avis, une préoccupation majeure.

Dans la réalisation d’ un Québec économiquement plus dynamique, nous avons besoin de l’apport de tous les groupes et de toutes les institutions. Il en est une en particulier qui s’est développée d’ une façon vertigineuse et qui a su canaliser les énergies et les épargnes du tiers de la population totale. Cette institution c’est la vôtre.
Vous êtes actuellement un exemple frappant de la réussite collective du milieu canadien-français qui démontre à la face du monde que lorsque nous voulons coopérer, nous pouvons édifier les instruments de notre développement économique et social.

Bien sûr, les Caisses populaires ne possèdent pas à elles seules, la totalité des épargnes au Québec. Cependant, on peut dire qu’à l’heure actuelle près du tiers des épargnes des Québécois se trouve entre vos mains, soit directement dans les caisses populaires, ou dans les autres institutions du mouvement coopératif.
Il ne peut y avoir de développement économique au Québec sans faire appel à la participation des Caisses populaires.
Votre Président rappelait, dans son message d’ouverture, que les Caisses populaires, par leurs placements, avaient grandement aidé au développement des Commissions scolaires, des municipalités, de l’Hydro-Québec et du Gouvernement québécois lui-même. Les Caisses populaires ont vraiment aidé financièrement les Commissions scolaires, par l’importance des achats d’obligations qu’elles ont faites dans ce domaine. Votre Président soulignait avec raison qu’il s’agissait là d’ un apport essentiel au développement de l’ éducation qui, comme vous le savez, constitue toujours une priorité pour le Québec.

Mais il nous faut maintenant envisager d’autres priorités qui sont celles du développement économique. En effet, ces investissements considérables que nous avons fait dans le domaine de l’éducation doivent trouver leur prolongement dans une économie plus dynamique, afin de fournir à nos jeunes tout autant qu’à l’ensemble des travailleurs québecois des emplois en nombre et en qualité suffisante.

C’est pourquoi, pour rencontrer ces nouvelles exigences, le Gouvernement du Québec doit compter sur la participation de toutes les institutions qui canalisent l’épargne, afin que cette épargne soit davantage axée sur la réalisation de nos nouveaux objectifs économiques.

Nous sommes déterminés à obtenir la collaboration de tous ceux qui peuvent investir dans le développement économique du Québec.

Il est heureux, comme je le disais tantôt, que mon premier contact officiel dans ce domaine se fasse auprès de vous, Messieurs les Administrateurs des Caisses populaires. S’il est des gens dont les objectifs sont près de nos préoccupations et qui comprennent l’importance du développement économique et du progrès social, c’est bien vous Messieurs, puisque ce sont là les objectifs mêmes de votre mouvement.

Vous êtes les premiers depuis mon élection comme Premier Ministre du Québec, à qui je demande officiellement de collaborer à a réalisation des objectifs économiques du Québec.

Si je m’adresse à vous, c’est que je sais que je ne serai pas déçu. Comme vous le dites vous-mêmes, il est temps que votre mouvement participe directement à l’ essor économique du Québec.

La loi actuelle qui vous régit vous permet déjà jusqu’à un certain point de jouer un rôle important sur le plan économique… Vous ne demandez pas mieux que de voir s’accroître votre participation à la vie économique de la collectivité.

Aussi, je suis particulièrement heureux de vous annoncer ce midi que dès la session de juin prochain, les amendements nécessaires à votre loi seront apportés, principalement en ce qui concerne les pouvoirs de placements de capitaux par vos caisses et vos fédérations.

Si le gouvernement québecois, avec votre collaboration, a décidé de considérer les amendements dont je viens de parler comme prioritaires, c’est qu’ il a voulu souligner l’ importance qu’ il attache à la contribution de votre mouvement dans le développement économique et industriel du Québec.

Ceci ne veut pas dire que les Caisses populaires ne devront pas continuer d’assumer leurs responsabilités sociales et éducationnelles auprès de leurs membres, non plus que leur rôle dans le domaine de la consommation et de l’habitation.

Comme le soulignait d’ailleurs M. Girardin, votre mouvement a joué un rôle capital dans ces domaines et il est essentiel au bon équilibre économique et social du Québec que vous puissiez continuer à le jouer.
Je suis, quant à moi, convaincu que même en affectant une partie plus importante de votre portefeuille à des objectifs de développement économique et industriel, vous pourrez tout de même continuer à vous décharger de vos responsabilités sociales et éducationnelles.

D’ailleurs, votre contribution au domaine proprement économique ne sera pas une activité entièrement nouvelle pour vous puisque nous connaissons tous la collaboration étroite que vous avez apportée à une société comme la Société générale de financement; cette collaboration pourra peut-être s’accentuer durant les prochaines années s’il arrivait que la capitalisation même de la société était augmentée.

Collectivement, tous nos efforts doivent tendre vers l’édification d’une société plus équilibrée, d’une société qui doit faire face aux défis du changement et qui doit procurer à tous les citoyens du Québec le maximum de sécurité et de prospérité, non pas simplement en visant la richesse et l’abondance pour elles-mêmes mais bien plutôt en cherchant à créer, ici au Québec, des conditions économiques et sociales qui puissent permettre aux individus-comme à la collectivité de se développer et de s’épanouir.

C’ est là, vous le savez, l’objectif que nous nous sommes fixé; cet objectif est largement
appuyé par la population québecoise. Je viens, au nom du Gouvernement québécois, demander la collaboration de votre mouvement et je sais d’avance que cette collaboration nous est assurée, comme elle l’a été dans le passé.

[QBRSS19700605]

[DECLARATION DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE
ET MINISTRE DES FINANCES DU QUEBEC CONFERENCE DES MINISTRES DES FINANCES
Winnipeg, 5-6 juin 1970]

La présente Conférence des ministres des Finances me donne l’occasion d’exposer le point de vue du nouveau gouvernement du Québec sur le fédéralisme économique, ou, si l’on veut, sur l’ensemble des relations économiques et fiscales que doivent entretenir entre eux tous les gouvernements qui forment la fédération canadienne.
En effet, notre ordre du jour porte à la fois sur la situation économique présente et sur les politiques anti-inflationnistes qu’elle rend nécessaires; sur la coordination budgétaire et le contrôle de la croissance des coûts; sur la péréquation et, par conséquent, sur l’ensemble des mesures susceptibles de redistribuer la richesse entre les provinces; enfin, sur la structure fiscale, donc sur l’ensemble des moyens mis à la disposition des gouvernements pour se procurer les ressources dont ils ont besoin pour s’acquitter de leurs responsabilités constitutionnelles.

Je désire donc préciser la position du Québec sur chacun de ces sujets fondamentaux. Auparavant, je me permettrai de dire quelques mots sur les principes qui guideront notre action dans ce domaine.
Le fédéralisme économique

Tout au long de notre histoire, les relations fiscales et économiques entre le gouvernement fédéral et les provinces ont été au coeur même de notre fédéralisme et ont constitué l’un des principaux instruments de son évolution. A chaque fois que ces relations ont été tendues, notre fédéralisme se portait mal et, à l’inverse, à chaque fois que le climat de ces relations s’est amélioré, le sentiment de solidarité canadienne s’est approfondi. Il est donc de la plus grande importance de voir à ce que ces relations, qui sont à l’heure actuelle à un tournant décisif, prennent rapidement la voie de l’harmonie et de la concertation.

Ayant eu l’avantage, si on peut dire, de suivre les événements de l’extérieur, j’ai été frappé de voir à quel point, malgré la bonne foi et les efforts considérables faits de part et d’autre et souvent conjointement, le climat des relations fiscales et économiques entre les deux ordres de gouvernement s’est détérioré au cours des dernières années. C’est ainsi que les présents arrangements fiscaux, qui sont de beaucoup préférables aux anciens, sont cependant nés dans une atmosphère de mécontentement de la part des provinces. Puis ce fut l’expérience malheureuse de l’assurance-maladie, qui, en soi, est une excellente mesure, mais dont la mise en oeuvre a provoqué des tensions fédérales-provinciales. Ce fut aussi le dernier exercice du Comité du régime fiscal qui a permis aux deux ordres de gouvernement de mieux connaître leur situation budgétaire respective, sans conduire au réaménagement fiscal désiré. Ce fut également l’étude de la réforme fiscale souhaitée de tous, mais qui ne semble pas, du moins pour le moment, favoriser une plus grande harmonie entre les gouvernements. Ce fut enfin un certain nombre de gestes, comme l’abandon de certains programmes conjoints et le plafonnement de certains autres, gestes qui peuvent avoir leurs raisons, mais qui n’en contribuent pas moins à une détérioration des bonnes relations entre les. gouvernements.

Ce climat doit changer rapidement et nos relations doivent devenir plus harmonieuses. La population du Québec à mon invitation, a manifesté clairement sa confiance envers un tel changement positif; elle croit que la chose est possible et elle s’attend à ce qu’elle s’accomplisse rapidement. Aussi, j’ai bien l’intention de faire tout en mon pouvoir pour collaborer à la création de ce que j’ai appelé ce « nouveau fédéralisme économique ». et pour en hâter l’avènement. Les propositions qui suivent sont avancées dans cet esprit.

Vous me permettrez enfin de préciser, étant donné l’accent que j’ai mis à parler de l’importance de renouveler les relations fiscales et économiques, qu’une telle prise de position n’entraîne en rien la mise au rancart des discussions constitutionnelles. La réforme constitutionnelle reste, à cause de son caractère fondamental, un moyen important d’assurer l’avenir de notre pays; on doit donc la rechercher avec grande diligence. J’aurai d’ailleurs l’occasion, en septembre prochain, de préciser notre position à cet égard. Mais j’oserais dire que l’amélioration des relations fiscales et économiques entre les gouvernements est, en quelque sorte, un prérequis à la réforme constitutionnelle, puisque ce n’est que de cette façon qu’on pourra créer le climat de détente et de
compréhension qui, seul, peut permettre des discussions fructueuses sur les structures constitutionnelles de l’avenir. C’est pourquoi il est si important de mettre tout en oeuvre pour réaliser cette amélioration dans les plus brefs délais.

La réforme fiscale économique

Le premier sujet inscrit à notre ordre du jour porte sur le projet fédéral de réforme fiscale. En raison de mes activités professionnelles antérieures, ce sujet m’intéresse personnellement au plus haut point. Mais c’est à titre de Premier ministre et de ministre des Finances du Québec qu’il me tient encore plus à coeur, et ce en raison de ses implications économiques et sociales.

Tout au cours de ma carrière politique, et plus spécialement durant la dernière campagne électorale, j’ai mis l’accent sur le développement économique. La relance de l’économie québécoise est une priorité fondamentale du gouvernement actuel. Et on comprendra facilement pourquoi.

A l’heure actuelle, le taux de chômage au Québec s’établit aux environs de 8.5% de la main-d’oeuvre; au-delà de 40% des chômeurs au Canada sont concentrés au Québec. Mais ce n’est pas tout: par rapport à l’ensemble du Canada, notre taux comparatif d’investissement s’établit présentement autour de 20%. Or, le Québec comprend 28.5% de toute la population du pays. Qu’il me soit permis de souligner qu’antérieurement à 1966, les investissements privés et publics s’établissaient aux environs de 25% de l’ensemble des investissements du Canada. La situation s’est donc détériorée considérablement depuis lors. Cela est d’autant plus sérieux si l’on songe que les investissements sont à la fois à la base du progrès économique et un indice de la confiance que les investisseurs placent dans un pays ou dans une province.

C’est donc dans cette optique du développement économique que le Québec entend surtout aborder question de la réforme fiscale. Cela ne veut pas dire qu’il faut mettre en veilleuse l’objectif de la répartition équitable du fardeau fiscal. Bien au contraire, le Québec est pleinement d’accord avec l’objectif d’équité fiscale contenu dans le Livre blanc. Mais cet objectif ne sera pleinement atteint que si l’essor économique est assuré.

Le paragraphe 1.10 des propositions de réforme fiscale stipule que « le second objectif principal de la réforme est de veiller à ce que le régime fiscal n’entrave pas gravement le développement économique et la productivité ». Que le Livre blanc place l’objectif économique au second plan, passe encore; la question est discutable. Mais se contenter « de ne pas entraver gravement le développement économique » est inadmissible et témoigne d’une attitude beaucoup trop négative. Une réforme fiscale non seulement ne doit pas entraver le développement économique, mais elle doit même le promouvoir dans la mesure du possible.

Le ministre fédéral des Finances peut cependant se rassurer: il n’aura pas à ajouter les présents commentaires à la longue liste des mémoires qui condamnent le projet de réforme fiscale. Car, dans son ensemble, son projet de réforme poursuit des objectifs auxquels souscrit le gouvernement du Québec, même s’il faut déplorer le peu de cas que ses auteurs font de la croissance économique. Les présentes remarques ne doivent donc pas être interprétées comme une critique globale du projet fédéral, mais comme un ensemble de suggestions destinées à le rendre plus facile d’application et plus favorable à la croissance économique.

Sur plusieurs points, le Livre blanc semble peut-être un peu trop idéaliste; il ne tient pas suffisamment compte des réalités économiques. C’est pourquoi le Québec se permet de proposer, en particulier au sujet de l’intégration et des gains de capital, un régime qui atteindrait sensiblement l’objectif visé sans pour autant susciter, dans la population, les mêmes inquiétudes. D’ailleurs, le Livre blanc lui-même n’est-il pas qu’un document de travail? Je voudrais qu’il en fut ainsi de nos commentaires. Ils sont faits en toute franchise et simplicité, dans l’espoir d’apporter quelque lumière à la discussion en cours.

Nos commentaires sont de deux ordres. Nous aborderons en premier lieu la question des modifications à la structure fiscale elle-même pour, ensuite, présenter les recommandations du Québec quant à la répartition des recettes supplémentaires pouvant découler de l’application du Livre blanc.

LES MODIFICATIONS A LA STRUCTURE FISCALE

Le Livre blanc contient beaucoup trop de propositions pour qu’il soit possible d’offrir dès maintenant des commentaires détaillés sur chacune d’entre elles. D’ailleurs, ainsi que je viens de le mentionner, il en existe un bon nombre sur lesquelles le Québec est d’accord. Je me contenterai donc de commenter les propositions les plus importantes, surtout celles qui sont susceptibles d’influer sur le développement économique et au sujet desquelles nous formulons des recommandations précises.

Les petites entreprises

L’une des propositions qui risquent d’avoir des effets économiques néfastes est celle qui suggère l’abolition du taux préférentiel de l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Les effets de cette mesure seraient d’autant plus sérieux au Québec, que nous comptons un grand nombre de petites entreprises à caractère familial dans presque tous les domaines de l’activité industrielle et commerciale.

L’une des raisons qui poussent les auteurs du Livre blanc à préconiser un taux uniforme de l’impôt sur les bénéfices de sociétés, est le désir d’intégrer l’impôt sur les sociétés à l’impôt sur le revenu des particuliers. En d’autres termes, il doit n’y avoir qu’un l’impôt sur les sociétés pour que puisse se réaliser le mode d’intégration que propose le Livre blanc.

La Commission Carter, qui préconisait un mode d’intégration analogue, avait vu ce problème et, pour le résoudre, avait suggéré la déduction d’un amortissement accéléré des actifs des petites entreprises. Le Québec comprend mal pourquoi le Livre blanc laisse complètement tomber cette proposition de la Commission Carter sans y substituer
quelque chose d’autre.

On pourrait, bien entendu, conserver le taux double si l’on adoptait, ainsi que le Québec le suggère plus loin, un mode différent d’intégration de l’impôt des sociétés à l’impôt sur le revenu des particuliers.

L’imposition des gains de capital

Pour des raisons qui tiennent à l’équité générale du régime fiscal, le Québec est favorable, en principe, à une taxation des plus-values. Ce changement doit cependant s’accomplir sans nuire à la croissance économique. Il se peut en effet que, dans certains secteurs, il soit opportun d’échelonner l’application de cette nouvelle taxe sur un certain nombre d’années. Le Québec, à cet égard, voudra se réserver la possibilité d’étudier chaque secteur à son mérite.

D’autre part, le Québec ne peut souscrire au principe de l’évaluation, aux cinq ans, des gains concernant les actions de compagnies ouvertes. En somme, le Livre blanc propose de lever un impôt sur des gains qui ne sont pas encore réalisés. En théorie, il serait peut-être souhaitable de pouvoir taxer la plus-value non réalisée de certains actifs. Mais du point de vue pratique, cela semble presque impossible. C’est pourquoi les pays où l’on impose les gains de capital ne taxent ceux-ci qu’au moment de la vente des biens en question. C’est, par exemple, le cas aux Etats-Unis. Imposer un gain non acquis est un principe fiscal dont on connaît mal toutes les répercussions.

La réévaluation périodique des actions de compagnies ouvertes risque de faire un tort considérable à plusieurs entreprises, en particulier à celles qui ont un nombre limité d’actionnaires. Ceux-ci devront liquider une partie de leurs avoirs en vue d’acquitter, à tous les cinq ans, l’impôt sur la plus-value de leurs actions. Dans bien des cas, la vente massive d’actions ne pourra que provoquer un affaissement des cours. Les actionnaires majoritaires de telles compagnie risquent fort de se trouver dans une situation peu enviable. Si la cote de leurs actions monte, ils devront en vendre une partie afin d’acquitter l’impôt; ce qui aura un effet dépressif sur le marché. La perspective d’être forcés de vendre une bonne partie de leurs actions à l’approche ou à la suite de leur évaluation aux cinq ans incitera, nous le craignons fort, plusieurs actionnaires importants de compagnies ouvertes à vendre purement et simplement leur entreprise, souvent à des intérêts étrangers; résultat que ne désire certainement pas le gouvernement fédéral.

Chose tout aussi nocive, l’imposition de la plus value des actions de compagnies encouragera les petites entreprises à demeurer compagnies fermées et pour éviter que leurs actionnaires aient à subir l’évaluation aux cinq ans. Pourtant, nos entreprises – elles sont nombreuses au Québec – auraient grand intérêt à dépasser le stade de l’entreprise familiale pour devenir des sociétés à caractère national et même international. Ce n’est que récemment que certaines d’entre elles ont pris cette orientation souhaitable. Plusieurs de leurs dirigeants m’ont confié que leur entreprise ne serait jamais devenue publique si le régime proposé avait été en vigueur.

Le Québec est donc favorable à l’imposition des gains de capital lors de leur réalisation et lorsqu’un individu quitte définitivement le pays. Mais il ne peut accepter la présomption de gains aux cinq ans. Toutefois, en vue d’éviter que des familles n’ajournent indéfiniment le paiement de l’impôt sur les gains de capital à la suite de transmissions successives, il serait disposé à appliquer le principe de la présomption de gains au décès du contribuable lorsqu’il laisse ses biens à d’autres que son conjoint. Afin d’atténuer l’impact de deux impôts simultanés, il faudrait, bien sûr, prévoir certains ajustements à l’impôt successoral. Cette présomption de réalisation au décès devrait s’appliquer à tous les actifs, et non seulement aux actions de compagnies ouvertes.

L’intégration

Intimement lié au problème de l’imposition des gains de capital, est celui de l’intégration et son corollaire, la distinction entre compagnies fermées et compagnies ouvertes.

Il est vrai que cette nouvelle façon d’intégrer l’impôt sur les bénéfices des sociétés à l’impôt sur le revenu des particuliers semble, à première vue, assez attrayante. On la retrouve d’ailleurs, sous une forme quelque peu différente dans le rapport Carter. Malheureusement, sa mise en application susciterait, dans la pratique, une foule de difficultés d’ordre administratif et économique.

La structure des entreprises n’est pas aussi simple que le laissent entendre les exemples contenus dans le Livre blanc. Plusieurs entreprises se possèdent les unes les autres, et il n’est pas toujours facile de retracer le profit de l’une jusqu’au particulier qui est actionnaire de l’autre. Les difficultés inhérentes au système d’intégration nous semblent donc quasi insurmontables, surtout en régime fédéral. Elles se compliquent davantage lorsqu’il y a juxtaposition de plusieurs entreprises ayant des ramifications internationales. Les nombreux mémoires qui ont été soumis à la Commission parlementaire et au Comité sénatorial témoignent de ces difficultés dans le détail.

L’intégration présente des difficultés encore plus sérieuses, celles-là d’ordre économique, du fait qu’elle est limitée à l’impôt effectivement payé par la compagnie qui le verse. Cela veut dire que l’actionnaire d’une compagnie dont le revenu pour fins d’impôts est inférieur à celui qui est indiqué aux états financiers, bénéficiera d’une intégration partielle seulement. Cette intégration partielle sera très fréquente dans la pratique. En effet, plusieurs compagnies réclament, pour fins fiscales, un amortissement supérieur à celui qui est indiqué aux livres. D’autres bénéficient d’incitations fiscales de nature différente, par exemple, pour fins de recherches ou de lutte à la pollution. L’effet de ces incitations se trouvera donc annulé en bonne partie du fait que l’intégration proposée est limitée au montant d’impôt effectivement payé par la compagnie. En d’autres mots, l’actionnaire d’une compagnie qui profite d’incitations fiscales, grâce à l’amortissement ou autrement, se trouvera placé dans une situation défavorable par rapport à celui qui est actionnaire d’une compagnie qui ne reçoit pas de telles incitations. Cela va directement à l’encontre d’une saine politique de développement économique.

Aux problèmes soulevés par l’intégration s’ajoutent ceux qui découlent de la distinction que le Livre blanc fait entre ce qu’il appelle les compagnies ouvertes et les compagnies fermées. Toute distinction de cette nature est nécessairement arbitraire; elle entraîne des différences de traitement injustifiées et des complications inutiles.
Cela va justement à l’encontre de l’objectif que ses auteurs se sont fixés de traiter de la même façon les contribuables qui se trouvent dans des situations identiques.

Face à toutes ses difficultés, le Québec se permet de proposer, pour fins de discussion et d’analyse, un autre régime d’intégration et d’imposition des gains de capital qui, tout en étant beaucoup plus simple, atteindrait quand même l’objectif recherché d’équité et de neutralité fiscale. En outre, comme il se rapprocherait davantage du régime actuel, il aurait de bien meilleures chances d’être compris et accepté. Il va de soi qu’il ne s’agit, à ce stade-ci, que de simples suggestions qui pourront être modifiées à la lumière de nos discussions. Nos suggestions peuvent se résumer aux points suivants:

Tous les gains de capital – et non seulement ceux qui proviennent d’actions de compagnies ouvertes – seraient inclus à 50% seulement dans le revenu des particuliers et des entreprises.

Il n’y aurait donc pas nécessité de distinguer à cet égard entre compagnie ouverte et compagnie fermée.
Les gains de capital ne seraient imposés que lors de la disposition d’un actif ou lorsqu’un individu quitte définitivement le pays ou décède en laissant ses biens à d’autres que son conjoint. Dans ce dernier cas, il y aurait modification des droits successoraux dans des limites à être déterminées. Les exemptions que le Livre blanc prévoit pour la résidence d’un individu et pour les autres biens destinés à son agrément pourraient subsister. D’autre part, une formule spéciale d’étalement pourrait s’appliquer à un propriétaire d’entreprise qui vend ses actifs à des intérêts canadiens.

Le mode actuel d’intégration au moyen d’un crédit pour dividendes, lequel est fonction du dividende lui-même et non de l’impôt acquitté par la compagnie, serait maintenu. Comme présentement, les dividendes payés entre compagnies ne seraient pas taxés. Toutefois, le crédit serait majoré à 25% au lieu des 20% actuels. On pourrait également étudier la possibilité que le crédit puisse, dans certains cas, entraîner un remboursement d’impôt.

Avec ce mode d’intégration fondé sur le dividende et non sur l’impôt acquitté par la compagnie, il ne serait pas nécessaire de recourir à un taux unique d’imposition pour les compagnies. On pourrait donc, si on le désire,conserver le principe du double taux. Dans ce cas, celui-ci pourrait être de 25% sur les premiers $25,000 de revenu imposable et de 50% sur ce qui dépasse ce niveau. Le taux préférentiel de 25% serait ainsi égal au taux du crédit pour dividendes. On pourrait également étudier la possibilité de taux différents pour les profits destinés à être réinvestis.

Ce régime modifié atteindrait,croyons-nous, l’objectif de neutralité que recherche le Livre blanc. On aura remarqué qu’à partir d’un revenu imposable de $25,000, le taux d’impôt est de 50% aussi bien pour l’individu que pour la compagnie. C’est donc dire qu’à compter de ce niveau de revenu, il n’y aurait aucun avantage fiscal pour une entreprise à se constituer en compagnie plutôt que d’être exploitée comme une entreprise à propriétaire unique. Si son revenu est inférieur à $25,000, il pourrait y avoir avantage fiscal pour une forme d’entreprise ou pour une autre, mais cet avantage serait très mince.

Le tableau I montre l’effet de l’intégration selon la proposition du Livre blanc (cas d’une compagnie ouverte) et selon celle du Québec. On remarquera que pour un taux marginal d’impôt de 50% ($25,000. de revenus imposables et plus), l’effet est exactement le même. A des taux inférieurs à 50%, le régime suggéré serait quelque peu moins avantageux pour l’actionnaire que celui du Livre blanc, mais plus avantageux pour la compagnie.

L’un des arguments principaux que les auteurs du Livre blanc invoquent en faveur de l’intégration fondée sur l’impôt payé par la compagnie plutôt que sur le dividende reçu par l’actionnaire, est que l’actionnaire se trouverait dans une situation à peu près semblable, qu’il reçoive un dividende ou qu’il réalise un gain de capital. Le tableau 2 démontre que le régime suggéré atteindrait un degré plus élevé de neutralité que le régime proposé par le Livre blanc (cas d’une compagnie ouverte).

En somme, le régime suggéré atteindrait sensiblement le même degré d’équité et de neutralité fiscales, tout en étant beaucoup plus simple et plus facile d’application. De ce fait, il aurait, croyons-nous, de meilleures chances d’être compris et accepté de la population canadienne. Nous croyons donc qu’il devrait être étudié comme une alternative valable aux propositions fédérales.

L’entrée en vigueur du nouveau régime

Nous comprenons fort bien que la mise en vigueur du nouveau régime d’imposition des gains de capital devra commencer à une date appelée « jour de l’évaluation ». Le contribuable devra alors procéder à l’évaluation de ses biens à leur juste valeur marchande. Une exception vient d’être faite à cette règle en permettant l’évaluation des obliga tions à leur prix coûtant si celui-ci devait être supérieur à leur valeur marchande. Nous nous demandons si un certain allègement ne pourrait pas s’appliquer aux actions dans l’hypothèse que le jour d’évaluation surviendrait dans un marché à la baisse comme ce fut le cas récemment.

Le Livre blanc propose que les bénéfices accumulés des sociétés puissent être distribués ultérieurement, moyennant le paiement d’un impôt forfaitaire de 15%. Cela est une excellente façon de régler un problème qui, depuis plusieurs années, complique l’administration des impôts. Toutefois, tout en manifestant son accord sur le principe de la taxe spéciale de 15% qui frapperait les bénéfices non répartis des compagnies avant la mise en vigueur du nouveau régime, le Québec veut insister sur la nécessité pour le gouvernement fédéral de partager les recettes de cette taxe avec les provinces de façon à ne pas priver celles-ci de revenus auxquels elles auraient eu droit autrement lors du paiement de dividendes.

Les industries extractives

Nul sujet n’a semblé susciter plus de controverse et d’inquiétude que celui des modifications proposées pour l’imposition des, sociétés minières, en particulier l’élimination de l’exemption triennale dans le cas des nouvelles mines et les modifications profondes apportées au régime de l’épuisement lié aux bénéfices. Nous avons même reçu de nombreux mémoires à ce sujet. Plusieurs projets d’expansion, impliquant au total des
centaines de millions de dollars, sont retardés ou risquent, nous dit-on, de ne jamais
se matérialiser à cause des implications de la réforme fiscale.

Il est bien difficile d’évaluer jusqu’à quel point sont fondées les craintes que les entreprises minières entretiennent à l’endroit du Livre blanc. Chose certaine, leur fardeau fiscal serait accru par la mise en application de la réforme. Des projets jouissant d’une certaine rentabilité selon le regime actuel d’imposition deviendraient moins concurrentiels par rapport à des investissements de même nature dans d’autres pays. Ils pourraient, alors être retardés ou toit simplement mis de côté. Le Québec n’a pas le moyen de perdre ainsi des investissements prometteurs. La relance de l’économie, ainsi que je l’ai signalé au début de ces remarques, est un objectif tout à fait fondamental et prioritaire.

Mais cela ne signifie nullement que nous sommes opposés à toute réforme dans ce domaine. Le remplacement de l’exemption triennale par l’amortissement plus rapide des dépenses d’exploration et de mise en valeur nous semble acceptable.

De même, nous ne nous opposons pas, en principe, à ce que l’on rattache les déductions d’épuisement aux sommes consacrées à l’exploration et à la mise en valeur.

Mais nous croyons que la définition de ces dépenses devrait être élargie pour inclure non seulement les frais d’exploration et de développement de nouvelles mines, mais également celles qui sont faites en vue de prolonger la vie utile des mines existantes. Du point de vue économique, le prolongement d’une mine existante est souvent plus rentable que la découverte de nouveaux gisements; cela, non seulement pour l’entreprise elle-même, mais surtout pour l’Etat qui doit mettre sur pied l’infrastructure nécessaire au développement d’un nouveau territoire.
Pour les fins de « gagner » l’épuisement, il y aurait avantage, croyons-nous, à ajouter aux dépenses d’exploration et de mise en valeur, le capital nécessaire à la transformation du minerai et même le capital social – routes, ponts, etc ourni par l’entreprise minière. Autrement, les provinces devront, seules, fournir ce capital. Et elles retirent moins que le gouvernement fédéral de l’imposition des industries qui exploitent leurs richesses naturelles.
L’industrie pétrolière et certains secteurs de l’industrie minière doivent constamment dépenser de fortes sommes pour l’exploration. Dans ce cas, la formule proposée pour gagner l’allocation d’épuisement peut paraître justifiée. Elle serait sûrement d’autant plus acceptable si on y faisait les modifications que nous proposons pour en élargir la base. Cependant, il demeure que certains secteurs de l’industrie minière qui sont ceux qui peut-être profiteraient en apparence le. plus de la nouvelle base que nous proposons, demeureraient encore fortement affectés par l’ensemble du changement. Il s’agit de secteurs comme le minerai de fer ou la potasse. Dans ces cas, l’exploitation implique de fortes sommes pour établir que la ressource est disponible pour de nombreuses années, ce qui permet d’avoir des contrats de vente à long terme. On peut ensuite construire tout l’équipement complexe qui est requis. En tenant compte de notre proposition, ces industries obtiendraient dans les premières années une situation pas tellement différente de celle qui existe en vertu de la législation actuelle. Cependant, pendant les 20 ou 25 dernières années de leurs contrats à long terme, elles n’auraient ni nouvel investissement à faire sur place, ni exploration pour trouver de nouveaux gîtes, sauf pour des montants limités de sorte, elles ne retireraient vraiment pas un avantage moyen suffisant pour leur permettre de développer de nouveaux projets au Canada, alors que la fiscalité est beaucoup moins forte dans d’autres pays, y compris les Etats
vue de nous assurer la flexibilité nécessaire et d’éviter que le développement des ressources minières dans certains secteurs ne soit complètement arrêté, il faudrait prévoir qu’une allocation d’épuisement non gagnée puisse être ajoutée, sans doute pas au niveau de 33 1/3% actuel, mais peut-être de l’ordre de 15 à 20% dans certains secteurs miniers.

On pourrait ainsi solutionner certains cas concrets qui peuvent se présenter et surtout ne pas décourager le développement.

A l’heure actuelle, les droits miniers payés aux provinces sont déduits du revenu des entreprises minières aux fins de calculer le revenu sujet à l’impôt. Mais dans la pratique, cette déduction ne s’effectue qu’en partie en raison de stipulations trop restrictives de la loi fédérale de l’impôt sur le revenu. On devrait sans tarder régler ce problème.

Il y aurait lieu, en même temps, d’étudier la possibilité de déduire l’impôt minier provincial directement de l’impôt plutôt que du revenu. C’est ainsi que l’on procède dans le cas de l’impôt sur les opérations forestières. Cela éviterait de faire payer aux entreprises des niveaux trop élevés d’impôt.

Cela m’amène à formuler de nouveau une proposition maintes fois exprimée par le gouvernement du Québec à l’effet de remettre aux provinces tout le champ de l’imposition des richesses naturelles. Les provinces pourraient alors déterminer la forme que prendra le revenu fiscal de ces entreprises: redevances, droits ou impôts.

En effet, la gestion des richesses naturelles impose aux gouvernements provinciaux des dépenses pour la mise en valeur et l’exploitation de leurs ressources. Or le partage de l’impôt sur les bénéfices des sociétés qui exploitent les richesses naturelles ne tient pas toujours compte de ces responsabilités propres aux administrations provinciales. C’est le cas lorsque le gouvernement fédéral traite indifféremment toutes les sociétés et ne consent aux gouvernements provinciaux que 25% de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (10% des bénéfices imposables), que celles-ci exploitent ou non des richesses naturelles.

Les exemptions

Le régime d’exemptions du Québec comporte de multiples éléments. A l’instar du régime fédéral, il comprend des abattements à la base de $1000 pour les célibataires et de $2000 pour les personnes mariées. De plus, les deux régimes permettent des déductions semblables pour les dons de charité, les contributions à des caisses de retraite, les frais médicaux, les cotisations syndicales et professionnelles, etc…

L’originalité du régime québécois tient à deux éléments principaux qui tendent à diminuer le fardeau fiscal des personnes à faible revenu:

– d’une part, il y a exemption complète pour les célibataires dont le revenu est inférieur à $2 000 et pour les contribuables mariés dont le revenu n’excède pas $4 000;

– d’autre part, nous avons remplacé les déductions de $300 par enfant à charge de moins de 16 ans par un régime spécial d’allocations familiales.

Les propositions du Livre blanc qui consistent à élever les abattements à la base à $1 400 et à $2 800 respectivement, tout en augmentant les taux d’impôt, permettent d’alléger le fardeau fiscal des contribuables à faible revenu, principe qui est accueilli favorablement par le Québec. Nous nous demandons, toutefois, s’il n’aurait pas été préférable de remplacer ces abattements de base par des crédits d’impôt ainsi que l’avaient recommandé les commissions Carter et Bélanger. Un tel régime pourrait s’intégrer plus facilement à la politique sociale du gouvernement fédéral et des provinces.

Avant d’accepter les propositions fédérales en ce qui concerne les exemptions de base, nous croyons qu’il est nécessaire de procéder à un examen complet du régime des exemptions et des allocations sociales, à tout le moins des allocations familiales. En effet, la politique des exemptions peut difficilement se dissocier de la politique. sociale et nous croyons qu’elle devrait faire l’objet d’une analyse dans ce contexte. Aussi, nous proposons de mettre sur pied un groupe de travail qui étudiera d’urgence cette question et qui fera rapport à la fin de l’été. Nous espérons ainsi être en mesure de faire part de ros points de vue à ce sujet d’ici quelques mois.
A l’heure actuelle, le gouvernement fédéral garde la totalité de l’impôt levé sur les citoyens canadiens, qui résident temporairement hors du pays, tels que les ambassadeurs, les délégués commerciaux, les membres des forces armées et les professeurs. Nous ne voyons pas pourquoi les provinces ne recevraient pas leur part du produit de ces recettes fiscales. Il y aurait facilement moyen, croyons-nous, d’établir les modalités de ce partage. Le lieu de résidence avant le départ pourrait, par exemple, être le critère de répartition
utilisé.

B- LE PARTAGE FISCAL

En raison de sa nature même, le Livre blanc ne porte pas sur la répartition de l’assiette fiscale entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces. Ce sujet relève du Comité du régime fiscal et de la Conférence des premiers ministres. Toutefois, dans les faits, le Livre blanc effectue une redistribution en faveur du gouvernement fédéral. Or, selon le Québec, toute modification du partage fiscal doit être conçue en fonction de deux impératifs majeurs:

– en premier lieu, il faut que chaque niveau de gouvernement ait accès à des revenus suffisants pour défrayer le coût des programmes relevant de sa juridiction. A cet égard, les travaux récents du Comité du régime fiscal démontrent clairement que le coût des programmes d’éducation, de santé, de bien-être et de développement urbain relevant de la juridiction provinciale croissent et continueront à croître à un taux beaucoup plus rapide que les programmes de dépenses relevant de la juridiction fédérale;

– en second lieu, il importe de ne pas accroître indûment le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises sans quoi la position concurrentielle du Canada pourrait en souffrir. Or, l’accessibilité de tous les gouvernements à tous les champs de taxation – principe que le Québec endosse d’emblée – perd toute sa signification si, comme ce serait le cas à la suite de la réforme, le fardeau fiscal atteignait un point de saturation, surtout si les provinces veulent respecter le plafond de 50% qui est fixé pour les taux maximaux.

Dans cette perspective, nous comprenons mal pourquoi le taux de partage passe de 28% à 22%. Il est vrai que le taux de 22% s’applique non plus uniquement à l’impôt de base, mais à l’impôt de base majoré, l’impôt de sécurité, de progrès social. Il n’en reste pas moins vrai, toutefois, que pendant la première année de la mise en vigueur du nouveau régime, les provinces retireraient $20.4 millions de plus, alors que le gouvernement fédéral serait plus riche de $139.6 millions comme suit:

Le Livre blanc prévoit que les recettes fiscales seront plus élevées de $630 millions après cinq ans. L’ontario estime que ce montant sera de $1 300. On ignore malheureusement quelle en serait la part des provinces. Le Livre blanc ne l’indique pas. Tout laisse croire, cependant, que la part des provinces diminuera en raison du fait qu’une bonne partie de l’accroissement des recettes fiscales proviendra de l’abandon du taux préférentiel de l’impôt sur les bénéfices des compagnies.

Le Québec se permet donc de suggérer que l’on porte de 22% à 28% la part provinciale du nouvel impôt sur le revenu des particuliers. On pourra peut-être objecter que le Livre blanc laisse entendre que la part provinciale serait déjà fixée à 28%. Mais n’oublions pas que le 28% dont il est question au Livre blanc se réfère à l’impôt fédéral uniquement, alors que celui dont nous parlons porterait, comme à l’heure actuelle, sur l’ensemble de l’impôt fédéral et de l’impôt provincial.

Pour ce qui est de la disparition du système d’abattement et de son remplacement par une échelle de taux diminués, le Québec croit que si ce régime est adopté il devrait également s’appliquer aux points d’impôts dont bénéficie le Québec à l’égard du programme des allocations aux jeunes et de son retrait de certains programmes à frais partagés.
Sans pouvoir mesurer, faute de données suffisantes, l’ampleur exacte des modifications que nous proposons, nous sommes portés à penser que le rendement fiscal du régime que nous proposons serait quelque peu moindre que celui qui est prévu dans le. Livre blanc. Cependant, le régime que nous proposons favorise davantage la croissance économique. En conséquence, une augmentation moindre du fardeau fiscal pourrait fort bien procurer des recettes fiscales équivalentes.

III – Les fluctuations économiques et la situation financière des provinces

Je parlerai un peu plus loin des instruments que nous avons développés au Canada au cours des dernières années pour redistribuer la richesse d’une province à l’autre. Je voudrais pour le moment m’attarder aux moyens qui sont nécessaires pour égaliser entre les provinces le fardeau de la politique conjoncturelle et pour adapter la politique économique aux conditions variables des différentes régions.

En effet, si des mécanismes de redistribution et de développement économique existent, il n’en reste pas moins et l’expérience récente est là pour le démontrer — que les gouvernements des provinces sont assez mal équipés pour se défendre contre les effets budgétaires négatifs de certaines politiques économiques générales. Ainsi la lutte actuelle contre un problème réel — l’inflation – a entraîné chez nous, où ce problème est moins intense que dans d’autres régions du pays, des effets auxquels il faut remédier d’une façon ou d’une autre. De plus, la présence d’un chômage accru provoque, pour le gouvernement du Québec, un manque à gagner et des déboursés d’assistance sociale dont il doit supporter lui-même une grande partie du fardeau.

Les programmes de développement régional peuvent, dans une certaine mesure, contribuer à réduire le chômage. Mais, conçus pour s’attaquer à des problèmes de structure, leurs résultats ne se font pas sentir à brève échéance, d’autant plus qu’ils entraînent des coûts que le Québec doit assumer. Il serait donc erroné de penser qu’il suffit tout simplement d’augmenter les sommes consacrées aux programmes de développement régional pour voir le chômage se résorber d’autant. De toute façon il est bien évident que ces programmes n’accroissent pas les revenus gouvernementaux courants et que, de la sorte, ils ne permettent pas aux provinces, en période conjoncturelle difficile, de disposer de revenus supplémentaires.

Car c’est bien là le problème. Même si, à l’heure actuelle, la péréquation garantit une certaine stabilité des revenus provinciaux, elle n’a rien d’une véritable compensation conjoncturelle; ce n’.est d’ailleurs pas son rôle. Il est également difficile, pour ne pas dire impossible, d’adapter les politiques fiscales aux situations régionales diverses qu’on peut retrouver dans un pays comme le Canada. Les politiques fiscales, comme les politiques monétaires, sont des instruments de portée actuellement trop globales pour que l’on puisse en percevoir facilement d’avance les effets positifs ou négatifs, sur telle ou telle province. Ce qui manque présentement au pays, c’est donc un mécanisme grâce auquel les gouvernements des provinces pourraient toucher une compensation financière qui leur permettrait de corriger l’impact régional d’une situation conjoncturelle défavorable ou de politiques fédérales aggravant le taux de chômage sur leur territoire.

En somme, il faut compléter la péréquation qui est un mécanisme de redistribution, par une caisse d’aide conjoncturelle qui, elle, jouerait un rôle de compensation à court terme. De cette façon, on ajouterait un instrument de plus à ceux qui contribuent déjà à la lutte contre les inégalités régionales.

Caisse d’aide conjoncturelle

Le Québec propose donc la création d’une caisse d’aide conjoncturelle. Nous avons pensé à un projet dont je voudrais vous donner ici les grandes lignes.

La caisse serait alimentée à même certains impôts fédéraux, de préférence ceux dont le rendement croît en période de prospérité, comme par exemple l’impôt sur le revenu des sociétés. On pourrait ainsi concevoir un fonds d’aide conjoncturelle auquel on verserait annuellement un point d’impôt fédéral sur le revenu des sociétés. Un tel fonds demeurerait relativement stable en période de conjoncture favorable (c’est-à-dire lorsque les provinces auraient moins besoin d’y faire appel) et pourrait décroître sans danger en période de conjoncture défavorable.
Cette caisse pourrait faire à la fois des versements inconditionnels et des prêts à taux d’intérêt réduit. Ces prêts seraient faits à court terme, cinq ans par exemple, ce qui permettrait à la caisse de toujours conserver une certaine liquidité. Elle serait également conçue de façon à ce que la proportion relative des versements inconditionnels par rapport aux prêts permette le maintien de cette liquidité.

Il ne serait pas nécessaire que l’actif d’une telle caisse augmente indéfiniment; on pourrait prévoir un plafond mobile pour tenir compte de la croissance de l’économie. Par exemple ce maximum pourrait équivaloir a 5 points d’impôt fédéral sur le revenu des sociétés; si la caisse avait existé en 1970, cela aurait équivalu à environ $330 millions. Bien sûr, un tel maximum ne serait pas atteint dès la première année, car cela risquerait de perturber trop brusquement le budget fédéral. Il serait cependant souhaitable que, pour établir la caisse, le gouvernement fédéral contribue, des la première année, une somme substantielle, une centaine de millions de dollars ou 2 points d’impôt sur le revenu des sociétés par exemple.

Déboursés de la caisse

La caisse d’aide conjoncturelle ferait à la fois des versements inconditionnels et des prêts à taux d’intérêt préférentiels. Ces versements et ces prêts pourraient être consentis par exemple aux provinces dont le taux de chômage dépasserait de façon significative un certain niveau de sous-emploi. Plus le niveau de chômage dans une province donnée serait supérieur à ce seuil, plus l’aide que celle-ci aurait droit de recevoir de la caisse serait considérable. En outre, la proportion entre les versements et les prêts varierait selon l’importance du chômage. Ainsi, si une province avait un taux de chômage de 5%, elle aurait relativement moins de versements et plus de prêts que lorsque son taux serait de 8%. Il pourrait même se présenter des cas où il n’y aurait que des prêts ou que des versements inconditionnels.

Dans notre proposition, l’utilisation plus ou moins intensive de la caisse serait fonction du sous-emploi. On peut certes imaginer d’autres critères, mais les stades meilleurs Pour certaines précises, mais insurmontable, et l’analyse des statistiques du chômage nous ont paru être un

Voilà, très succinctement décrits, le principe et les modes de financement et de fonctionnement de la caisse d’aide conjoncturelle à laquelle nous avons pensé. Evidemment, ce projet n’a pas, à nos yeux, de caractère définitif. En effet ainsi que nous avons pu nous en rendre compte en le préparant cette caisse peut être conçue, constituée et administrée de plusieurs façons. C’est pourquoi il m’apparaît essentiel que nous demandions au Comité permanent sur les questions économiques et fiscales de nous préparer pour notre prochaine rencontre un rapport sur l’ensemble de la question. Il serait souhaitable en effet que la caisse puisse commencer à fonctionner au cours du présent exercice financier.

IV – La Coordination fiscale et économique

Depuis la création du Comité du régime fiscal en 1965, un certain progrès a été accompli dans le sens d’une meilleure coordination des politiques fiscales et budgétaires des deux ordres de gouvernement. C’est ainsi que des projections quinquennales de dépenses et de revenus ont été préparées pour la période 1967-1972. Plus récemment, ces projections ont été remises à jour pour les années 1969/70, 1970/71 et 1971/72. I1 n’y a aucun doute que ces travaux ont contribué à une meilleure compréhension de la situation budgétaire respective de chaque gouvernement. A leur dernière réunion, nos fonctionnaires ont examiné une proposition fédérale visant,d’une part, à poursuivre la préparation de projections budgétaires pour l’année en cours et l’année prochaine et, d’autre part, à préparer le terrain pour une extension éventuelle de ces projections aux dépenses et revenus extra-budgétaires, tout en accordant une importance accrue â l’aspect régional de ces projections.

Le Québec désire d’abord accorder son appui à la poursuite de tels travaux. Nous sommes tout à fait disposés à collaborer pleinement à la préparation de nouvelles estimations des recettes et des dépenses générales nettes pour 1970/71 et 1971/72, comme l’a suggéré le gouvernement fédéral; nous croyons même que, comme ce fut le cas l’an dernier, ces projections devraient porter sur une période de trois ans, donc également l’année 1972/73. Pour ce qui est d’étendre ces projections à l’ensemble des opérations gouvernementales et à leur dimension régionale, nous sommes prêts à participer à tous les travaux préparatoires qui pourraient être requis.

Toutefois, il me semble que nous devrions accepter d’aller plus loin. Dans un document publié en annexe à son dernier budget, le gouvernement de l’Ontario a mis en évidence la faiblesse actuelle des mécanismes de coordination intergouvernementale dans l’ensemble du domaine économique. Je crois qu’il s’agit là d’une carence très sérieuse qu’il est impérieux de corriger aussi rapidement que possible. Il n’est pas suffisant, en cette matière, d’apporter quelques améliorations à nos procédures et statistiques: il faut, en plus, repenser l’ensemble de nos méthodes de façon à ce qu’elles répondent vraiment à l’ensemble de nos besoins.

Il y a plus d’un an maintenant que l’Institut des relations intergouvernementales de l’Université Queen’s a remis son rapport sur les moyens de structurer les échanges entre les gouvernements en matière fiscale et économique. Malheureusement, ce rapport n’a jamais été étudié collectivement par ceux à qui il était destiné. Je comprends que des questions plus immédiates comme celles de la réforme fiscale et de la lutte à l’inflation ont pu accaparer l’attention de tous et chacun; il ne faut pas perdre de vue cependant que l’absence même de mécanismes satisfaisants de coordination intergouvernementale rend encore plus difficile la solution de ces problèmes. On parle depuis assez longtemps du besoin de consultation intergouvernementale; il est temps de passer à l’action.
Je propose donc que le Comité permanent des fonctionnaires sur les questions économiques et fiscales fasse, lors de ses prochaines réunions, une revue des nombreux textes qui ont été publiés sur ce sujet et qu’il nous propose, dès que faire se pourra, une approche globale â ce problème de fond.

D’autre part, j’ai souvent parlé de la nécessité de consultations intergouvernementales au sujet de la politique tarifaire et commerciale ainsi que de la politique énergétique. Je prends donc pour acquis qu’on trouvera le moyen d’améliorer ce qui se fait déjà et d’élaborer les nouveaux mécanismes qui sont requis pour que les gouvernements provinciaux concernés puissent participer activement et d’une manière efficace aux décisions qui sont prises dans ce domaine.

V – La péréquation

Suivant notre ordre du jour, nous ne devons discuter aujourd’hui que des aspects techniques de la formule actuelle de péréquation. En effet, la mise en oeuvre de cette formule a soulevé certains problèmes de définitions et de calcul qu’il serait bon de faire analyser en détail par nos experts. Le Québec est donc tout à fait favorable à une telle étude et, au fait, il a déjà désigné ses représentants auprès du sous-comité technique qui en est chargé.
Toutefois, le problème de la péréquation et celui plus général de la redistribution de la richesse est l’une des raisons même de notre fédération, et je m’en voudrais de laisser passer l’occasion sans préciser nos positions à cet égard. D’ailleurs les arrangements fiscaux actuels viendront à échéance d’ici moins de deux ans et il est nécessaire de prévoir suffisamment à l’avance les améliorations qu’on devra y apporter.

La redistribution

Les gouvernements ont accepté, depuis plusieurs années, le principe de la redistribution des richesses, comme le démontre l’existence des impôts progressifs et des prestations sociales de toutes sortes. Si, cependant, le principe de la redistribution entre les individus est reconnu et accepté, celui de la redistribution entre les provinces est arrivé beaucoup plus tard. En fait, ce n’est qu’en 1957 que le gouvernement fédéral offrit la péréquation de façon non conditionnelle et explicite. Depuis ce temps, nous avons assisté et participé à une amélioration graduelle des mesures destinées à redistribuer la richesse entre. les différentes régions du pays.
Ainsi, la péréquation qui, au début, découlait de la location au gouvernement fédéral de certains impôts provinciaux est devenue inconditionnelle. Alors qu’elle n’englobait que quelques sources de revenus, elle repose aujourd’hui sur l’ensemble des recettes fiscales provinciales regroupées en seize sources. Alors qu’elle était l’unique programme explicite de redistribution, elle est maintenant complétée par des programmes de développement régional. Mais est-ce bien suffisant?

Selon nous, la redistribution a pour objet de permettre aux citoyens de chaque province de bénéficier de services publics comparables, sans pour autant avoir à supporter un fardeau fiscal disproportionné. En d’autres termes, la qualité et la quantité des services publics offerts dans une province ne devraient pas dépendre uniquement des revenus générés par la seule économie de cette province. Bien au contraire, chaque province devrait bénéficier de la croissance économique générale. Dans cette perspective, la croissance économique du pays doit être au service de toutes les provinces. C’est là une des façons de comprendre l’expression « fédéralisme rentable » que j’ai souvent utilisée.

Autrement, les citoyens d’une province qui auraient à supporter un fardeau d’imposition supplémentaire pour se doter de services comparables à ceux qui sont accessibles aux citoyens des autres provinces auraient droit de se sentir frustrés. Une identification commune ne serait pas possible dans de telles circonstances.

La formule de péréquation

Il est évident que la formule actuelle de péréquation est meilleure que toutes les formules antérieures; il n’en découle pas cependant qu’elle soit parfaite. Au contraire, elle peut et doit être améliorée.

On sait, par exemple, que plusieurs provinces ont déjà suggéré que la formule de péréquation tienne compte non seulement des revenus provinciaux, mais également des revenus des administrations locales. Une telle suggestion nous paraît valable. En effet, la répartition des tâches entre le gouvernement des provinces et les administrations locales varie d’une province à l’autre; on ne voit donc pas très bien pourquoi les citoyens d’une ou de l’autre province auraient droit à certains services provinciaux minima, sans qu’il n’en soit de même pour les services municipaux et scolaires. Il importerait, selon nous, de réexaminer en ce sens la formule actuelle de péréquation.
D’autres améliorations sont possibles. Par exemple, on pourrait tenir compte de l’effort fiscal fait par chacune des provinces et ajuster les paiements de péréquation en conséquence. De cette façon, une province profiterait d’autant plus de la péréquation qu’elle exigerait plus d’effort fiscal de ses propres contribuables. On pourrait
également raffiner la formule en y incluant les emprunts, de façon à ce que la totalité des ressources gouvernementales soient prises en considération.

Les autres dépenses fédérales

Enfin, je voudrais dire un mot d’un autre aspect de la redistribution qui reste encore largement inconnu: celui de l’effet redistributif entre les régions de l’ensemble des dépenses et des revenus du gouvernement fédéral.
Traditionnellement, on a eu tendance à envisager la redistribution des richesses entre les provinces comme étant liée directement aux versements de péréquation. On cite parfois les millions de dollars que le Québec et certaines autres provinces reçoivent sous cette rubrique pour démontrer la valeur de notre régime fédéraliste. Mais ce n’est qu’un aspect de la question; il faudrait tenir compte également des effets régionaux des autres dépenses fédérales.
Il y a quelques années, le Conseil Economique du Canada s’est penché sur cette question. Il avait alors estimé pour chaque région les dépenses fédérales consacrées au développement, y compris les versements de péréquation. Le Québec, pour sa part, n’en recevait que 22.3% et se situait au septième rang.

Nous avons également analysé dans le détail l’impact régional de l’ensemble des activités budgétaires et extrabudgétaires du gouvernement fédéral au Québec. Nos études démontrent que l’effet de redistribution est en grande partie annulé lorsque l’on tient compte, comme il se doit, non seulement des versements de péréquation, mais de toutes les autres dépenses fédérales.

Si nos études sont exactes, nous devons conclure qu’il nous faut absolument compléter notre analyse de la péréquation par une étude régionale des dépenses et revenus du gouvernement fédéral. Autrement on risque d’enlever d’une main ce qu’on voudrait donner de l’autre.

Le travail à faire

La notion de redistribution, qui se veut simple au premier abord, devient beaucoup plus complexe lorsqu’on l’analyse à la lumière de tous les programmes. Il y aurait donc lieu de demander à notre Comité permanent de s’attaquer à l’ensemble de ces questions afin de nous faire un premier rapport d’ici la fin de l’année.

CONCLUSION

Malgré le fait que notre gouvernement ne soit entré en fonction que depuis à peine un mois, nous avons cru qu’il nous fallait faire une contribution positive au progrès des discussions en cours sur les principaux aspects du fédéralisme économique. On pourra voir dans cet effort la preuve de la grande importance que nous attachons à une solution heureuse et rapide des problèmes fondamentaux auxquels nous avons à faire face à cet égard.
Nous avons voulu être aussi concrets et aussi précis que possible dans nos suggestions. C’est ainsi qu’en ce qui concerne la réforme fiscale, nous avons mis de l’avant une solution de rechange aux propositions fédérales,qui est à la fois plus simple d’administration et plus favorable à la croissance économique. Nous avons également proposé une caisse d’aide conjoncturelle qui serait un nouvel instrument essentiel pour une politique économique vraiment adaptée au régime fédéral. Enfin nous avons insisté sur la nécessité d’améliorer les mécanismes actuels de coordination et de redistribution. Nous croyons, en effet, que la meilleure façon de faire avancer les choses, c’est précisément de proposer à l’attention de tous les gouvernements et de la population des solutions concrètes et réalistes à nos problèmes communs.

[QBRSS19700608]

[DECLARATION DE M. ROBERT DOURASSA, PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, A L’OCCASION DE LA SIGNATURE DE L’ENTENTE SUR LE PARC DE FORILLON]
.
Ce nouvel équipement touristique, qui s’ajoute aux nombreux attraits de cette région, nous permet d’espérer que des milliers de nouveaux visiteurs se rendront bientôt en Gaspésie.
Bien sûr, il faudra nous assurer que ces milliers de touristes pourront se rendre au nouveau parc national dans les meilleures conditions possibles. Car le succès du nouveau parc dépendra en grande partie de la qualité des routes qui y conduiront.

D’ici quelque temps, le gouvernement du Québec devra entreprendre la renégociation de l’entente fédéraie-provinciale portant sur le développement du Bas-du fleuve et de la Gaspésie. Les travaux préparatoires â cette renégociation nous permettent déjà de dégager les principales corrections à »apporter au programme présentement en oeuvre afin de le ‘rendre plus conforme aux besoins de la population de cette région et aux exigences du développement. A ce titre, l’expérience des dernières années ainsi que les consultations qui se sont poursuivies tant à l’intérieur du gouvernement qu’auprès des
corps intermédiaires intéressés.
Un certain nombre de priorités ont pu ainsi être précisées. La plus immédiate, la plus urgente peut-être, touche le domaine de la voirie, et plus particulièrement la route de ceinture de la Gaspésie. Les citoyens de cette région et ceux qui la visitant savent, par expérience, que la section de la route qui traverse les comtés de Matane, Matapédia, Bonaventure et Gaspé-sud laisse fortement à désirer et qu’il faut la refaire. Dans son état actuel, cette section de la route ne permet pas autant qu’elle le devrait de mettre en valeur les richesses touristiques de la région. Elle présente aussi des dangers certains sur le plan de la sécurité routière. Quelque chose doit donc être fait dans le plus court délai possible.
Comme il nous paraît donc évident que cette question entrera nécessairement dans le cadre plus large de la renégociation de l’entente et qu’il n’y a dans notre esprit aucun doute sur l’urgence d’une solution prioritaire de ce problème, nous proposerons donc aux autorités fédérales concernées d’ouvrir immédiatement des discussions à ce sujet. Nous croyons que ces démarches peuvent avoir lieu dèsmaintenant, sans attendre la renégociation globale.
« L’entente à laquelle nous visons en ce’ qui a trait
à la route de ceinture de la Gaspésie s’intégrera ainsi au plan de développement général qui sera arrêté et négocié ultérieurement. En outre, elle comporterait pour la région, et pour le Québec en général, des avantages similaires à ceux dont les Maritimes bénéficient déjà à la suite d’arrangements avec le gouvernement fédéral. »

[QBRSS19700629]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTREDEVANT LES CHEFS D’ENTREPRISES
Le lundi 29 juin 1970]
Messieurs,
Je vous remercie d’avoir accepté mon invitation.
L’objet de cette réunion est d’amorcer le processus par lequel le français deviendra partout au Québec la langue de travail.
Notre gouvernement est décidé à prendre toutes les mesures. nécessaires à la poursuite de cet objectif majeur de sa politique.
L’histoire, la tradition, la géographie ont voulu que le Québec soit majoritairement de langue française. C’est une réalité que tous les Québécois doivent assumer, qu’ils fassent ou non partie de la majorité linguistique. Est-il nécessaire de rappeler que ce pays auquel nous appartenons n’a de raison d’être et de sens qu’avec la présence d’un Québec. prioritairement français.
D’aucuns, parmi nos compatriotes, ont choisi la voie de la rupture pour atteindre cet objectif. Nous croyons, quant à nous, que le régime fédéral est le mieux approprié pour favoriser le plein épanouissement des spécificités culturelles et linguistiques des communautés qu’il associe. Sous réserve, bien sûr, que la division des pouvoirs et
des compétences assure à chaque membre de la fédération la possibilité d’épanouir au mieux les traits originaux de sa personnalité.
L’un de ces traits originaux, le plus essentiel et le plus important, est la langue parlée par la majorité des citoyens québécois. C’est dans sa propre langue, je le répète, que le Canadien français aspire à contribuer à la croissance du Québec et du Canada.
La vérité force à dire que cette aspiration légitime a été souvent niée dans les faits, beaucoup plus par la pression naturelle d’un environnement anglophone que par une conspiration de ceux qui détiennent la puissance économique et financière.
Nous avons pris pour acquis jusqu’ici que la seule maîtrise de la langue anglaise ouvrait la voie du succès et de la réussite, reléguant ainsi la langue française au rang d’une langue seconde, simple véhicule de culture ou de folklore.
Ce temps est fini: s’il est vrai. qu’une langue n’a de raison de vivre que par son utilité, s’il est vrai que la langue que nous parlons marque le caractère particulier de notre fédération, s’il est vrai que le français porte au même titre que l’anglais, non seulement des valeurs d’enrichissement culturel mais aussi des réalités du monde technologique, il est alors impératif que nous mobilisions nos efforts afin d’assurer partout son rayonnement et sa promotion.
Je vous presse d’agir avec le plus de rapidité possible car la situation est urgente. Il nous faut donner la preuve, au cours des prochaines années, que le Québécois francophone est capable, sans briser les liens qui l’unissent au Canada, de travailler, de vivre et de réussir
dans sa propre langue…
Si nous devions faillir à cette tâche primordiale, lourdes seraient les conséquences sur notre avenir.
J’aime mieux croire que nos efforts conjugués, ceux du gouvernement et ceux du secteur privé porteront fruits à brève échéance. Faire du français la langue de travail au Québec ne me semble pas un pari démesuré pour une société qui a déjà donné tant de témoignages de sa facilité d’adaptation au changement et de la qualité de ses ressources humaines.
L’équipe gouvernementale que j’ai la responsabilité de diriger proposera au cours des prochaines semaines et des prochains mois, une série d’initiatives dont l’application ne pourra avoir que des effets bénéfiques sur la vitalité du français au Québec.
Je suis certain que ces initiatives qu’évoqueront tout à l’heure le ministre des Affaires culturelles et le ministre d’Etat à l’Industrie et au Commerce seront bien accueillies par les cadres et dirigeants d’entreprises.
Je vous remercie à l’avance de votre collaboration. Cette collaboration, elle est essentielle. Sans elle, il serait illusoire d’entreprendre les étapes qui font l’objet de la présente réunion.

Aussi, je suis confiant que, sans porter atteinte à aucun des droits fondamentaux de tous nos concitoyens, nous réussirons faire du français la lanque de travail au Québec.

[QBRSS19700903]

[N’OTES POUR UNE ALLOCUTION ASSOCIATION INTERNATIONALE DES UNIVERSITES
Mot de bienvenue du Premier ministre, M. Robert Bourassa]

Mesdames, Messieurs,
Des représentants du gouvernement du Québec vous ont déjà dit l’importance que nous attachions à votre assemblée. Je voudrais ajouter à leurs commentaires en vous souhaitant à mon tour un excellent séjour au Québec, la marque du respect que nous portons à la valeur humaine et intellectuelle que vous représentez.
L’Université dans le monde est non seulement l’un des mécanismes les plus irremplaçables, de transmission de la connaissance, mais encore, comme l’ont souligné des orateurs cette semaine, un facteur de changement, d’évolution et de révolution dans la société. En ce sens, les gouvernements ne peuvent que s’incliner devant sa force de pression morale, quand ils ne s’en inquiètent pas comme c’est le cas dans plusieurs pays du monde.
Si les problèmes crystallisés autour de l’Université sont souvent de même nature dans le monde, comme vos travaux semblent le prouver, il faut dire qu’ils se sont posés avec moins d’acuité au Québec que dans certains autres pays.
Le phénomène de la contestation déja analysé et sur-analysé correspond sans doute à la dégradation globale des relations sociales entre la jeunesse et ses aînés. Aussi, sa violence est-elle proportionnée à la force des dynamismes inexprimés et refoulés par une jeunesse peut-être trop rigidement encadrée au cours des siècles précédents.

Souvent, c’est la société entière qui tend à éclater. Souvent aussi, c’est
à l’université que cet éclatement est déclenché. Peut-être par représentation, l’Université a-t-elle servi de bouc émissaire à l’insatisfaction de la jeunesse face au monde qu’on lui a préparé.
Par ailleurs, l’Université a peut-être eu le tort dans une certaine mesure d’oublier que l’humanité, même dotée d’une intelligence ou d’une âme, est avant tout matérielle, palpable et vivante.
Ces hypothèses, vous les avez sans doute posées et évaluées avant moi. Comme il vous a peut-être été donné, déjà, d’entrevoir certaines solutions aux dilemnes des universités épinglées entre la tradition et le changement.
Devant certains facteurs tels l’accélération de la croissance démographique du monde, l’avènement d’une nouvelle civilisation caractérisée par des loisirs plus nombreux et variés, le rôle de l’université, sommet de l’édifice éducatif se trouve remis en question. II est important que vous ayez fait de l’année-clé 1970 l’époque d’une remise en question qui tôt ou tard vous aurait été imposée par l’évolution. Vous devancez les événements. Nous souhaitons que votre réflexion, soit fructueuse. Elle est cruciale, dans la mesure ou elle est ouverte, neuve, dégagée de contingences matérielles sans toutefois s’évanouir dans l’abstraction.
A titre de Premier ministre de cette province, je crois pouvoir dire que la population du Québec est satisfaite de la qualité et du dynamisme de ses institutions universitaires. Je sais qu’elles sont neuves, les plus anciennes remontent à 100 ans, appelées à naître et renaître au fil des générations et des bouleversements sociaux, pourtant leur qualité intrinsèque en fait des institutions de haut-savoir comparables à la grande partie des institutions de même type disséminées à travers le globe.
Je souhaite tout naturellement que vos conclusions à cet effet rejoignent les miennes.
Je souhaite également que l’année qui vient soit pour vous aussi sereine que possible. Si tel était le cas, il ne faudrait pas y voir une intégration de la jeunesse à des systèmes qu’elle refuse en partie, mais le signe qu’une partie de l’humanité s ‘est remise au travail en communion avec la seconde. Je crois que votre assemblée est de ces gestes qui peuvent favoriser un retour, à la coexistence pacifique des générations, en attendant que ce retour à la fraternité puisse s’étendre a l’échelle des relations internationales.

[QBRSS19700914]

[GOUVERNEMENT DU QUEBEC DECLARATION DE M. ROBERT BOURASSA
Premier ministre et ministre des Finances
Conférence constitutionnelle
Ottawa, 14 et 15 septembre 1970]

C’est la première fois depuis son élection que le nouveau gouvernement du Québec aborde la question constitutionnelle au cours d’une rencontre fédérale-provinciale.
Même si la présente rencontre est, en fait, une session de travail sur des questions bien précises, il nous a semblé opportun, dans ce document, d’indiquer l’attitude qu’entend adopter notre gouvernement quant à la révision constitutionnelle.
Les discussions touchant cette révision constitutionnelle durent depuis près de trois ans. Depuis la conférence sur « la Confédération de demain », tenue à Toronto en novembre 1967, et la Première conférence constitutionnelle de février 1968, les réunions et les comités se sont multipliés. A ce jour, un travail considérable a été accompli, mais si l’on mesure l’ampleur de la tâche à compléter, il faut bien constater que les résultats concrets restent encore assez modestes.
Les questions relatives aux langues officielles ont fait l’objet d’une attention particulière. Un nouvel examen a été entrepris de l’ensemble des relations fiscales et économiques entre les deux ordres de gouvernement; on peut en espérer l’émergence d’un nouveau fédéralisme économique, mieux adapté aux réalités de l’époque actuelle et plus propice à favoriser une juste répartition des richesses entre les membres de la fédération.

A Winnipeg, en juin dernier, lors de la conférence des ministres des Finances, j’ai soutenu que l’amélioration des rapports fiscaux et économique entre les gouvernements était un prérequis à la réforme constitutionnelle puisqu’elle nous permettrait de créer le climat de détente et de compréhension indispensable au succès de nos délibérations sur les structures constitutionnelles.
L’amélioration des mécanismes actuels de coordination économique et de redistribution de la richesse fait partie intégrante du processus de la réforme constitutionnelle. En créant des instruments efficaces de lutte contre les inégalités régionales, nous donnerons un sens positif au fédéralisme. Il en est de même pour les moyens qui nous permettent d’influencer la conjoncture économique. De là, la volonté de notre gouvernement d’attacher une grande importance à l’instauration immédiate d’un véritable fédéralisme économique; ainsi nous avons, entre autres suggestions, mis de l’avant l’idée d’une caisse d’aide conjoncturelle qui viendrait compléter l’action des mécanismes actuels de coordination économique et de régionalisation des politiques fiscales fédérales.
J’insiste sur l’importance que nous attachons à l’amélioration des mécanismes actuels, surtout dans le domaine économique et fiscal. Toutefois, une telle amélioration
resterait insuffisante si elle ne débouchait sur une réforme en profondeur de nos structures constitutionnelles elles-mêmes.

La révision constitutionnelle nous force à découvrir et à inventer des mécanismes nouveaux, capables de satisfaire à la double exigence de notre régime fédéral:
le respect des deux communautés de bases et l’équilibre des pouvoirs face aux grandes tâches de l’avenir.

La personnalité québécoise

Nous voulons un fédéralisme qui vivifie, qui décentralise, qui fait confiance aux gouvernements qu’il réunit. Nous croyons qu’entre les vérités simplificatrices de la sécession et l’abandon pur et simple de nos responsabilités à un autre gouvernement, la formule fédérative est la meilleure. Pour autant, bien sûr, que seront scrupuleusement respectés les traits particuliers de notre culture et les aspirations de la communauté québécoise. Cela exige donc un fédéralisme flexible. Un fédéralisme qui exprimera notre liberté authentique de Québécois dans des structures de participation dynamique aux grands projets de l’ensemble canadien. Cette option, nous la jugeons préférable aux servitudes que pourrait entraîner une souveraineté politique coupée des réalités de notre époque.
Notre choix est fait. Mais il nous force en même temps à faire la preuve qu’il est le plus apte à assurer les meilleures conditions de vie des citoyens que nous avons l’honneur de servir. Conditions de vie non seulement économiques, mais également sociales et culturelles.
J’ai confiance que le nouveau fédéralisme qui naîtra de nos discussions favorisera l’épanouissement de nos libertés tant individuelles que collectives. Liberté d’association, de participation, de délégation volontaire de pouvoirs, oui, mais aussi liberté de retrait, de non engagement, lorsque nous jugerons que telle ou telle compétence peut être mieux exercée, avec plus d’efficacité et de cohérence, par l’un ou l’autre secteur de gouvernement.
Si l’on veut absolument qualifier l’attitude que notre gouvernement adoptera tant et aussi longtemps que le mandat lui sera confié de gérer les affaires québécoises, je dirai qu’elle sera faite de sobriété, de fermeté et d’absence de préjugés. Nous ne voulons pas nous emprisonner dans des slogans ou des formules-miracles dont les raccourcis parfois séduisants faussent la juste appréciation des situations concrètes.
Notre seul guide sera l’intérêt le plus élevé des citoyens qui attendent de nous autre chose que des palabres sans fin et des études interminables. Dans la perspective du maintien et du développement de notre identité, dès lors que l’examen serein d’un problème précis révélera que les citoyens seront mieux servis par tel ou tel ordre de gouvernement, là sera notre position, une position que nous défendrons sans électoralisme et sans calcul.
Je mesure d’ici tous les efforts de réévaluation que nous devrons engager au cours des mois à venir. Car il est manifeste que les structures actuelles de la fédération canadienne sont mal adaptées à nos besoins. Il nous faudra donc mobiliser nos énergies en
un temps record et déboucher rapidement sur des solutions concrètes. La chance nous est encore donnée de modifier certains aspects particulièrement désuets et inopérants du présent modèle de fédéralisme. Mais nos concitoyens québécois ne tolèreront plus longtemps ni l’excessive lenteur du processus de révision de la constitution, ni la confusion chronique qui en découle.
Notre gouvernement s’attachera moins à la valeur symbolique des mots qu’à la substance des problèmes et à leur définition rationnelle. Nous ne réclamerons pas des pouvoirs additionnels pour le simple plaisir de gagner une bataille et d’arracher une concession au gouvernement central, car ce serait là verser dans un infantilisme politique peu compatible avec les intérêts dont nous avons le mandat d’assurer la protection.
Cependant, nous attendons de nos interlocuteurs assez de maturité politique pour comprendre l’enjeu du pari fédéral que nous avons proposé à nos concitoyens au scrutin du 29 avril. Un pari dont l’un des éléments est la nécessité de faire participer le gouvernement du Québec au processus des décisions du gouvernement central qui ont une influence significative sur le développement économique, social et culturel du Québec.
C’est dans cette optique générale que le présent gouvernement du Québec aborde les travaux de la révision constitutionnelle. A une souveraineté illusoire il propose plutôt une pleine liberté de manoeuvre dans des structures fédérales respectueuses du caractère distinct de la société québécoise, de sa spécificité culturelle certes, mais aussi de ses besoins aigus de rattrapage dans le domaine économique.

Le nouveau contrat fédéral devra donc obligatoirement satisfaire à ces exigences pressantes. C’est la meilleure façon, au reste, d’atteindre l’un des objectifs fondamentaux du Canada de demain: la préservation et le développement du caractère biculturel de la fédération canadienne.
Lorsqu’on parle de biculturalisme, force est de constater que sans le Québec il n’y aurait pas de fait français au Canada. C’est en effet au Québec que cette réalité prend sa source. Par conséquent, si l’on veut conserver au Canada son caractère biculturel, il faut s’assurer que le Québec soit en mesure de garantir au fait français les conditions de son développement. Il y réussira par une utilisation maximale des pouvoirs qu’il possède déjà et aussi par l’exercice de certaines compétences qui ajouteront à l’efficacité et au rayonnement de sa personnalité linguistique et culturelle.
Cela dit, il est incontestable que les Québécois, unanimement, veulent organiser leur participation à la vie sociale et à l’amélioration de leur milieu dans le cadre d’institutions conçues et animées par eux. Les Québécois tiennent à la possibilité de s’exprimer collectivement dans des structures publiques, donc par un gouvernement dont ils ont la pleine maîtrise; ils n’accepteront jamais d’y renoncer.
La politique constitutionnelle de notre gouvernement aura donc comme prémisse le besoin et le désir qu’ont les Québécois, d’une part, de diriger, à l’échelle du Québec,
un gouvernement qui leur soit propre et qui leur permette de développer leur personnalité culturelle et, d’autre part, de participer, à l’échelle du Canada, à une fédération biculturelle prospère, capable de gouverner ses propres affaires et d’assurer à ses citoyens et à ses régions un minimum d’égalité, tout en contribuant au progrès de la communauté internationale.
Des attitudes fondamentales orienteront les Québécois de demain, comme elles ont déjà commencé à influencer ceux d’aujourd’hui. Ils tiendront à s’assurer une plus grande participation aux décisions susceptibles de les toucher. Ils se préoccuperont aussi, beaucoup plus que dans le passé, de la qualité de leur milieu et de la vie sociale. Enfin, ils attacheront une importance de plus en plus grande à tout ce qui touche l’égalité des
citoyens et des régions du pays. C’est,à mon avis, dans la mesure où la formule fédérative canadienne leur permettront d’apporter des réponses aux questions de la participation, de la qualité de la vie et de l’égalité, que les Québécois pourront, tout en affirmant leur identité propre, contribuer à la vie et à la croissance du pays tout entier.
Or la réalisation de chacun de ces objectifs, que tous sans doute sont prêts à accepter sans conteste, aura des répercussions profondes sur le cadre constitutionnel et sur la répartition des responsabilités entre les deux ordres de gouvernement. Je me contenterai ici d’en esquisser les grandes lignes.
La politique économique
Dans le domaine économique, l’action que doit mener le gouvernement central, souvent de nature très technique et s’exerçant parfois dans des circonstances où, les décisions doivent être prises rapidement, a des incidences spécifiques qui peuvent être fort diverses sur la structure économique d’une partie du pays.
On doit souligner ici l’influence directe que peuvent avoir certaines décisions de politique monétaire, de politique fiscale ou de politique commerciale, y compris tarifaire, sur l’activité économique de nos régions. L’intérêt de l’ensemble fédéral exige que nous recherchions sans délai des mécanismes souples de participation à l’élaboration des politiques dans ces domaines. Déjà, les renseignements et l’information sont plus facilement disponibles qu’ils ne le furent. Mais il faut bien comprendre que nous devrons, pour notre part, poursuivre un effort de recherche et d’analyse afin de disposer de dossiers solides. Il ne faudrait pas y voir une tentative de freiner les prises de décision. Au contraire, ce n’est que lorsque nous connaîtrons clairement les aspects de la réalité économique qui influent profondément sur notre développement, même s’il s’agit de domaines qui ne sont pas de notre compétence administrative, que nous seront en mesure de répondre à une consultation valable.
On ne devra pas d’étonner si nous insistons de plus en plus, à partir de faits précis et de propositions concrètes, sur une meilleure coordination des décisions fédérales. On évitera ainsi les discussions stériles et les inutiles suspicions, une fois les politiques proclamées.
La politique sociale
Les aspects qualitatifs du milieu physique et de la vie sociale influenceront eux aussi la répartition des tâches entre les gouvernements. Comment devrons-nous définir leur action dans la planification des ressources humaines, la solution des problèmes urbains ou les politiques de loisirs de manière à ce que les provinces jouent dans ces domaines le rôle prépondérant qui est le leur? Cela est d’autant plus impératif pour le Québec où le milieu social reflète une dimension culturelle qui constitue le trait distinctif fondamental de notre fédération.
L’évolution du milieu québécois dépendra dans une très large mesure de la politique sociale que nous mettrons en oeuvre. Celle-ci, on le sait, est nécessairement composée d’une variété de mesures toutes interreliées et destinées à devenir de plus en plus complexes, qu’il s’agisse des programmes de maintien du revenu, des services sociaux, de la formation et du placement de la main-d’oeuvre, des services de santé, y compris l’assurance-maladie, de la jeunesse et de l’habitation. Cette interrelation évidente n’est actuellement pas respectée; deux secteurs de gouvernement oeuvrent dans ces champs de juridiction et rien ne garantit, malgré bien des efforts de coordination, que l’action de l’un ne viendra pas nuire à celle de l’autre.
Qu’il nous suffise à titre d’exemple de parler plus spécifiquement des services de santé et des services sociaux ainsi que de la sécurité du revenu.
Nul n’oserait nier que les politiques en matière de service de santé et de services sociaux sont de la compétence première des provinces. Pourtant, dans la réalité, le gouvernement fédéral n’a cessé, par le biais de programmes financiers rigides, de fixer des priorités et de déterminer des ressources. Qu’il s’agisse de mécanismes de financement aussi contraignants que celui des subventions conditionnelles (assurance-hospitalisation, assurance-maladie, régime canadien d’assistance publique) ou plus souples, telle la constitution de caisses d’aide (caisse d’aide à la santé, caisse de projets pilote), ils n’en présentent pas moins les mêmes inconvénients fondamentaux.
Quant à la sécurité du revenu, nous estimons essentiel que les provinces aient une prépondérance dans la formulation des programmes si on veut qu’ils soient cohérents et qu’ils tiennent compte de la politique de main-d’oeuvre et des particularités régionales de l’économie. En effet, une politique de sécurité du revenu ne saurait être formulée en dehors des objectifs des services sociaux et des services de main-d’oeuvre.
Si nous réclamons la responsabilité prioritaire du Québec dans la conception des politiques en matière de santé, de services sociaux, de sécurité du revenu et de main-d’oeuvre, nous reconnaissons toutefois le rôle essentiel du gouvernement fédéral en vue d’assurer un niveau de vie acceptable à tous les canadiens.
C’est pourquoi, dans le domaine de la sécurité du revenu, nous serions disposés à étudier une formule selon laquelle la participation financière du gouvernement du Canada serait déterminée pour chaque province à partir d’indicateurs sociaux réflétant adéquatement les inégalités régionales. Une telle participation pourrait, par exemple, prendre la forme de versements supplémentaires à la péréquation et de prestations versées en vertu des programmes dont le gouvernement du Canada conserverait l’administration. D’autres formules de participation financière fédérale peuvent également être examinées. Il s’agit, en somme, de s’assurer que, pour ces questions, toutes les avenues possibles sont explorées.
L’administration des programmes de sécurité du revenu est trop liée à l’empirisme pour qu’à notre avis, elle serve à fixer la compétence d’un niveau de gouvernement dans un champ d’activité ou dans l’autre. Cette administration pourrait être confiée au gouvernement fédéral ou à des gouvernements provinciaux, selon que le type de programmes défini par chacune des provinces se prête mieux à une administration centralisée, ou qu’au contraire il exige une gestion décentralisée, ou encore qu’il diffère trop dans ses objectifs et ses modalités de ceux mis en place dans les autres provinces. L’important dans le cas des programmes administrés par le gouvernement fédéral, c’est qu’ils le soient dans le cadre de la politique de sécurité du revenu établi par les provinces et qu’un lien satisfaisant soit assuré avec les services.
Nous croyons que la révision de la constitution canadienne devrait permettre d’aborder avec une approche entièrement nouvelle le domaine des politiques sociales. Tout comme l’ampleur et l’origine des inégalités sociales diffèrent, la stratégie de lutte contre ces inégalités doit pouvoir varier d’une province à l’autre. De ces objectifs et de cette stratégie découleront les priorités, le contenu et les modalités les plus appropriées des programmes.
L’égalité
La juste répartition de la richesse collective entre les citoyens et les régions du Canada a toujours été un des objectifs implicites de notre fédération. Il faut constater cependant que cet objectif est loin d’avoir été atteint. On peut même dire qu’en 1867, il existait une plus grande égalité économique entre les quatre provinces fondatrices que ce n’est le cas à l’heure actuelle. Il est donc nécessaire de donner un coup de barre décisif de façon à mieux équilibrer la croissance économique du pays. Cela suppose que la recherche de l’égalité, ou si l’on préfère la réduction des inégalités, sera un des objectifs clairement mentionnés dans la nouvelle constitution canadienne et que les pouvoirs seront répartis entre les gouvernements de telle sorte que cet objectif devienne réalité.
La vie culturelle
Je pense également à certains secteurs importants de notre vie nationale ou il faudra définir les modalités d’une participation étroite entre le gouvernement central et les membres de la fédération. Ce sont ceux des communications, de l’immigration et des relations avec l’étranger.
Le Québec veut s’associer à l’élaboration des politiques étatiques dans ces domaines parce qu’elles touchent directement la vie et l’avenir de sa société.

En matière de médias de communications, satellites, télévision, radio, que ce soit par ondes hertziennes ou par filicommunications, il serait contraire à la logique que notre gouvernement restât étranger à l’activité de ces puissants moyens d’information, d’éducation et de formation populaires. Aussi sommes-nous disposés à envisager toute formule de participation effective à l’élaboration et à la définition des politiques gouvernementales de communications.
Cela est commandé non seulement par nos besoins culturels spécifiques mais par la nature même du fédéralisme dont la fonction première est de privilégier les traits dominants des communautés qu’il associe. A cet égard, nous croyons être en mesure d’apporter une contribution de première valeur. Du simple fait que notre niveau de gouvernement est par la force des choses l’interprète le plus proche de la réalité socioculturelle des Québécois.
Pour ce qui touche à l’immigration le gouvernement fédéral aurait avantage à s’assurer la participation des membres de la fédération, mieux placés pour connaître leurs besoins de main-d’oeuvre et le type d’immigrants qu’ils souhaitent accueillir. Le Québec aura des propositions concrêtes à cet égard.
Nul doute aussi que les Québécois voudront, entre autres objectifs, maintenir une ouverture au monde et bénéficier des avantages du rapprochement entre les peuples. Dans plusieurs cas, la contribution canadienne porte sur des matières où les membres de notre fédération, à cause de leurs pouvoirs constitutionnels actuels ou futurs, sont ou seront seuls à posséder l’expertise et les moyens techniques. C’est pourquoi il nous faudra mettre au point les mécanismes d’action qui feront de la contribution canadienne et québécoise au développement international le résultat d’efforts communs entre nos gouvernements.
Le nouveau gouvernement du Québec croit qu’il convient de donner son avis sur les progrès de la révision constitutionnelle entreprise depuis près de trois ans.

Les représentants québécois auprès du Comité permanent des fonctionnaires sur la constitution ont, il a plus de deux ans, déposé un document de travail qui
a, par la suite, été rendu public et qui a servi de cadre général de référence à la position du Québec en matière constitutionnelle. Même si ce document de travail n’a jamais été conçu comme devant représenter la position officielle du Québec, il a acquis une certaine notoriété et il est nécessaire de préciser l’attitude du nouveau gouvernement québécois à son endroit.
Quelques remarques s’imposent sur certains aspects particuliers de ce document de travail. Dans les premières parties du document, on retrouve des propositions portant sur la monarchie, le parlementarisme, le nom officiel de la fédération, l’existence de deux nations et le droit à l’autodétermination qui ont fait couler beaucoup d’encre et soulever beaucoup de controverses. Le gouvernement actuel du Québec désire que chacune de ces propositions soit étudiée sérieusement par tous ses partenaires, mais il tient à souligner qu’il n’est pas intéressé à susciter des querelles de mots ou de symboles. Ce qui l’intéresse, c’est la substance de la constitution et la possibilité d’aboutir à une meilleure répartition des pouvoirs et des ressources. Nous souhaitons, bien sûr, que sur ces
différents sujets, il se développe au Canada un consensus qui rejoigne celui qui prévaut au Québec; ce serait là un progrès notable dans la voie d’une nouvelle définition de l’identité canadienne. Mais nous ne croyons pas que ce soit là un prérequis à l’étude en profondeur de l’ensemble de la constitution; nous pourrons d’ailleurs y revenir lorsque la discussion sur les points essentiels sera plus avancée.
Quant à la répartition des pouvoirs qui est suggérée dans le document de travail, il faut d’abord dire que bien que largement élaborée, elle reste incomplète; on n’y traite pas, par exemple, de sujets importants comme le droit pénal, l’assurance-chômage, les pêcheries et le commerce interprovincial.
attention insuffisante
Je voudrais maintenant indiquer la position de notre gouvernement sur les discussions qui ont déjà eu lieu au niveau des Premiers ministres ou des comités ministériels. Ce faisant, je ne veux ni critiquer ni prendre à mon compte l’argumentation de nos prédécesseurs: je désire tout simplement faire le point sur quelques-uns des sujets touchés au cours des conférences et réunions antérieures.
Le pouvoir de déenser
Les propositions fédérales sur le pouvoir de dépenser ont été étudiées à la séance de travail de juin 1969 et à la troisième Conférence constitutionnelle. Ces propositions visent, d’abord, à assujettir au consentement préalable d’un certain nombre de provinces le pouvoir fédéral de verser des subventions conditionnelles. Le Québec continue à croire que, idéalement, ce pouvoir fédéral de dépenser dans des matières relevant de la compétence exclusive des provinces devrait tout simplement ne pas exister et que le gouvernement fédéral ferait mieux d’y renoncer tout bonnement. Toutefois, le Québec serait prêt à accepter les propositions fédérales, sous réserve que la formule de compensation des provinces non-participantes soit améliorée de telle sorte qu’elles ne soient vraiment pas affectées par l’exercice de leur droit constitutionnel de s’abstenir.

Le pouvoir de taxer

Le principe de l’accessibilité des deux ordres de gouvernement à tous les champs d’imposition nous paraît clairement accepté. Il s’agit la d’un progrès important par rapport à la situation actuelle. Certaines exceptions, telles que les droits de douanes, réservés au Parlement fédéral et l’impôt foncier, réservé aux provinces, nous paraissent également acquises à juste titre. D’une façon générale, on peut dire que le seul point important de discussion à cet égard concerne les droits successoraux: alors que le Québec a plaidé l’impossibilité pratique d’une loi fédérale sur les droits successoraux qui respecte à la fois
les institutions du droit civil et celles du common law, le gouvernement fédéral a soutenu que la chose était techniquement possible. Le Québec serait prêt à reviser sa position à cet égard si, d’ici la fin des discussions constitutionnelles, le gouvernement fédéral réussissait à modifier sa loi actuelle sur les droits successoraux, la rendant conforme à l’esprit de notre droit civil.
Il ne faut pas oublier cependant qu’il reste à transcrire les principes dans la réalité. La question de la taxation. devient vite très technique, avec son langage propre, souvent rébarbatif. Les principes constitutionnels ne régleront pas toute la question. L’accès à plusieurs sources de revenus ne réglera pas ipso facto l’ensemble du problème fiscal. En effet, les décisions fiscales ont des incidences sur le développement économique. Il ne suffit pas de pouvoir taxer, si les circonstances économiques du moment font qu’il est désirable de ne pas le faire. L’accès à tous les champs de taxation ne règle pas l’épineux problème de la place relative de chacun des ordres de gouvernement dans l’assiette totale. Car nous ne pourrons arriver à un équilibre viable que si, dans le cadre du principe général, nous pouvons assurer la flexibilité nécessaire pour que chaque ordre de gouvernement trouve, dans l’exercice de ses pouvoirs fiscaux, les recettes qu’il lui faut, et ce sans perturber la croissance globale et l’équilibre sectoriel de l’économie.
Les inégalités régionales
Personne ne doute de l’urgence de la lutte contre les inégalités régionales; c’est là un des buts du fédéralisme auquel j’ai fait allusion dans ce qui précède.
En ce qui concerne ce sujet, le travail de révision constitutionnelle semble passablement avancé. Nous sommes d’accord avec les tendances qui ont commencé à se dégager. Il est évident, comme je le mentionnais précédemment, qu’une mention spéciale de cette question devrait apparaître dans le texte même de la constitution du pays. Il reste à savoir si une telle mention devrait faire partie du préambule de la constitution, ou former un article distinct. Comme des travaux sont en cours sur cette question au niveau des fonctionnaires, nous pourrons y revenir ultérieurement.
La sécurité du revenu et l’es services sociaux
Lors de la troisième Conférence constitutionnelle, il fut question de la politique sociale ou, plus précisément, de la sécurité du revenu et des services sociaux. C’était la première discussion publique d’un sujet complexe où l’on savait d’avance que les positions
de départ seraient fort divergentes. Il n’est donc pas surprenant qu’on n’ait pas pu s’entendre sur tous les aspects de cette question. Pour sa part, notre gouvernement ne voit pas présentement de raison sérieuse de modifier la position prise jusqu’à maintenant par le Québec. Nous entendons d’ailleurs donner suite à la résolution de la dernière Conférence constitutionnelle voulant que les ministres chargés des questions de main-d’oeuvre se rencontrent pour examiner en profondeur la répartition des tâches dans ce domaine.
Comme je le disais dans une autre partie de ce mémoire, la politique sociale est pour nous un sujet capital, auquel nous accordons une priorité.
Les langues officielles
Le nouveau gouvernement du Québec a eu l’occasion de faire connaître sa position à l’égard des aspects non constitutionnels de cette question lors de la réunion du Comité ministériel sur les langues officielles qui a eu lieu en mai dernier. Je me contenterai donc ici de rappeler que notre gouvernement attache une importance majeure
à l’utilisation du français comme langue de travail au Québec, à son usage officiel dans les organismes publics fédéraux et à son utilisation comme langue d’instruction pour les minorités françaises des autres provinces.

Les droits fondamentaux

Le gouvernement actuel du Québec est favorable à l’adoption d’une charte constitutionnelle des droits de l’homme liant, à la fois, le gouvernement fédéral et les provinces. Dans notre esprit, une telle charte n’empêcherait pas l’adoption de chartes complémentaires au niveau fédéral ou provincial, surtout dans les matières comme les droits égalitaires ou économiques où une action administrative est souvent nécessaire. Tel qu’il a été convenu, l’adoption d’une telle charte ne devrait pas modifier la répartition des compétences constitutionnelles entre les gouvernements.

Le système judiciaire

Au comité ministériel sur le système judiciaire, le Québec a proposé que le tribunal de dernière instance soit constitué de manière à donner toutes les garanties d’un arbitre impartial entre les gouvernements, que la juridiction de dernière instance en matière provinciale puisse demeurer au niveau des cours provinciales et que les juges de ces cours soient nommés par les provinces. Notre gouvernement croit que ces propositions devraient continuer à faire l’objet de discussions en vue de leur inclusion éventuelle dans le texte de la nouvelle constitution en même temps qu’il veut réaffirmer l’importance qu’il attache à la création d’un tribunal de dernière instance en matière constitutionnelle. Bien que l’on ait souligné la difficulté pratique de déterminer ce qui constitue une matière constitutionnelle, le Québec croit qu’un tel tribunal est un instrument essentiel au maintien du nouvel équilibre constitutionnel.

La discussion constitutionnelle doit se poursuivre avec célérité. Elle doit surtout aboutir rapidement. Nous devons rechercher un cadre constitutionnel mieux adapté à la solution de nos problèmes actuels et plus conforme à nos aspirations individuelles et collectives. Afin d’y arriver, il nous faudra entrer dans une phase de discussions intensives d’ofl se dégageront le consensus et les solutions. Je suis donc très heureux que la présente session de travail aborde, pour la première fois, deux nouveaux sujets de grande importance: la gestion du milieu et les institutions financières.
Pour ce qui est du travail à venir, je voudrais faire trois suggestions.
1) D’abord, je pense qu’il faut poursuivre à fond les discussions relatives à la répartition des pouvoirs, questions qui est en fait fondamentale. Sous ce rapport, il conviendrait que l’on porte une attention particulière aux implications découlant du respect nécessaire de la personnalité québécoise et des exigences de la participation, de la création d’un milieu social qui soit conforme à nos aspirations et de la lutte contre l’inégalité, sujets que j’ai traités dans la seconde partie de ce mémoire.
2) Dans le cadre des discussions relatives à un nouveau partage des compétences législatives, je suggère aussi que nous examinions très sérieusement la possibilité d’inclure dans la constitution revisée une clause permettant la délégation de pouvoirs législatifs entre les deux ordres de gouvernement. La délégation de pouvoirs législatifs présente plusieurs avantages. Elle introduit un élément de flexibilité dans une distribution des pouvoirs souvent trop rigides. Elle permet de corriger toute interprétation judiciaire qui ne respecte pas l’esprit de la constitution. Elle rend possible l’élaboration de programmes sur une base régionale. De plus, la délégation de pouvoirs est conforme à la souplesse du fédéralisme puisqu’elle établit divers degrés de centralisation ou de décentralisation dans les relations du gouvernement central avec les membres de la fédération. Cette disposition existe d’ailleurs dans d’autres constitutions fédérales.
3) Enfin, il me semble qu’il importerait de donner une attention plus grande à la question des relations intergouvernementales. Il s’agit là d’une question urgente, surtout dans le domaine fiscal et économique. J’ai déjà suggéré, à Winnipeg, qu’instruction soit donnée au Comité permanent des fonctionnaires sur les questions économiques et fiscales d’analyser les mécanismes actuels de collaboration intergouvernementale à la lumière des études déjà faites sur le sujet. Cette suggestion a rencontré l’assentiment de la plupart des délégations. Il serait donc facile, là encore, d’accélérer les discussions.

Le nouveau gouvernement du Québec entend apporter une contribution dynamique à la révision constitutionnelle, et ce dans le respect de ses compétences constitutionnelles actuelles et dans sa volonté de participation aux politiques de l’ensemble canadien. Du coup, il fournira le double apport d’un enrichissement de la personnalité québécoise dont il veut être le reflet fidèle, et de l’efficacité de ses initiatives sur le plan canadien.
Notre gouvernement voit enfin dans la révision constitutionnelle une occasion unique, et compte tenu des circonstances qui prévalent au Québec peut-être l’ultime, de bâtir un pays à la dimension des aspirations des Canadiens.
Un pays où citoyens et gouvernements s’associeront loyalement et sans réserve dans la poursuite des objectifs que je me suis permis de définir à grands traits dans le présent document et qui me paraissent conformes aux intérêts les plus élevés du Québec et du Canada.

[QBRSS19700926]

[Dîner de clôture du Congrès annuel
Association des Hebdos du Canada Trois-Rivières, le 26 septembre 1970]

Depuis que j’ai l’honneur et la responsabilité d’assumer la fonction de Premier ministre du Québec, c’est la première fois aujourd’hui que j’ai l’occasion de m’adresser officiellement à un groupe de journalistes. Je suis particulièrement heureux que ce soit devant des journalistes de la presse hebdomadaire.
Votre association, fondée à Trois-Rivières en 1932, en est maintenant à son 38e congrès. Vos membres répartis dans cinq provinces du Canada témoignent incontestablement de votre vitalité et de votre dynamisme. Votre succès tient avant tout à votre profonde identification aux besoins et aux aspirations du milieu dans lequel vous oeuvrez. Plusieurs d’entre vous, en plus d’exercer une importante fonction d’information sur
le plan local et régional, assumez des responsabilités publiques et sociales de premier plan , soit au niveau des conseils de villes, des commissions scolaires ou des clubs sociaux.
A la fondation de votre association, un de vos rédacteurs d’alors écrivait que la vocation des hebdos n’était pas seulement d’enregistrer les courants d’opinion, mais aussi et surtout d’éclairer cette opinion publique, de l’orienter vers la justice sociale et l’intérêt public. Vous devez donc vous préoccuper sans cesse de maintenir une haute qualité de journalisme au sein de votre association. Il n’y a pas de place chez vous pour la médiocrité et pour une presse qui n’aurait d’autre raison d’être que l’exploitation des préjugés ou des passions populaires..
Votre champ d’action est restreint; il est régional et souvent simplement local. Mais les questions que vous traitez touchent très directement vos concitoyens; ce sont les problèmes qu’ils vivent quotidiennement: problèmes municipaux, scolaires, paroissiaux, problèmes de loisirs, d’éducation, de développement économique régional… Vous ne négligez pas pour cela les grandes questions de la collectivité québécoise; au contraire, vous réussissez à en parler avec beaucoup de discernement et de nuance, et je tiens à vous en féliciter.
L’évolution des techniques modernes de communication pose à notre société un défi considérable; elle nous amène à repenser presque entièrement notre organisation sociale et politique. Pour que le citoyen puisse porter un jugement solide sur les hommes et les événements, il doit désormais disposer d’une quantité importante d’information. La complexité de la vie moderne ne lui laisse guère de choix: à des problèmes complexes il ne peut y avoir de solutions simples et encore moins simplistes.
Nous sommes tous directement concernés par le problème de l’information. Le gouvernement du Québec pour un a vu ces dernières années à améliorer ses techniques traditionnelles d’information afin d’assurer une communication plus directe entre l’Etat et les citoyens tout en respectant les règles de l’objectivité et les exigences de l’efficacité. Bien sûr, dès lors que le gouvernement entre dans le domaine de l’information, il doit faire preuve de prudence et le public doit se montrer extrêmement vigilant. Mais, l’information gouvernementale a un rôle très important à jouer dans notre démocracie moderne.
Le gouvernement, par le truchement de l’O.I.P.Q. ne s’est intéressé que récemment à l’information régionale et locale; en 1969, l’O.I.P.Q. a mis sur pied un ‘service de l’information régionale dont la production est spécialement destinée aux hebdos; antérieurement les communiqués étaient préparés seulement en fonction des exigences de la presse quotidienne. Ils avaient un caractère général et s’adressaient à l’ensemble de la population du Québec.
On ignorait ainsi la personalité et l’importance de la presse régionale. En vue de corriger cette lacune, le service de l’information régionale s’est vu confier la responsabilité de préparer des communiqués d’intérêt régional afin de mettre en lumière les services rendus à la population des régions par les ministères et les organismes du gouvernement. Communiqués, échos, photos avec légendes, préparés chaque semaine, sont envoyés maintenant à quelque 180 hebdos régionaux disséminés à travers l’ensemble du territoire du Québec. Ces hebdos totalisent un tirage excédant 1500000 exemplaires, circulant d’une façon quasi permanente dans toutes les familles du Québec.
Dès les premiers mois de l’existence de ce service régional, des améliorations ont été apportées relativement à la périodicité des envois postaux, à la livraison et à la rédaction des communiqués, à leur répartition géographique ainsi qu’aux services de photographie. Des agents du service d’information régionale de l’O.I.P.Q. vont quotidiennement dans
les différents ministères pour se livrer à la prospection de nouvelles d’intérêt régional ou local. Ils travaillent ainsi en étroite collaboration avec les autorités ministérielles.
Pour l’année 1969-70, plus de 4000 communiqués et échos, plus de 400 photos et une cinquantaine d’imprimés ont été acheminés vers vos salles de rédaction. Et, même s’il reste encore beaucoup à accomplir dans ce domaine afin d’améliorer nos services, les témoignages recueillis montrent que la documentation reçue est l’objet d’un accueil favorable. La fréquence de la reproduction des textes et des photos en est une preuve tangible.
Le gouvernement, ses ministères, fonctionnaires et employés doivent savoir quels sont les besoins, les opinions et les désirs de la population pour pouvoir améliorer les services offerts. Aussi, l’O.I.P.Q. prépare-t-il à toutes les semaines une revue des hebdos qui donne à tous les intéressés une image de la pensée éditoriale ou de l’opinion de la presse régionale québécoise. Cette revue des hebdos destinée à ceux-là qui ont la responsabilité de l’administration gouvernementale reproduit intégralement les éditoriaux les plus significatifs. De cette façon, les préoccupations des localités et des régions sont davantage présentes au sein de l’administration gouvernementale.
Je sais bien que les services du gouvernement à la presse régionale demeurent encore imparfaits; vous avez au cours de ce congrès examiné l’ensemble de la question. Soyez assurés que dans l’élaboration des politiques futures d’information du gouvernement, il sera tenu compte du fruit de vos travaux.
Sans doute, les hommes politiques se sont-ils toujours montrés très empressés, du moins verbalement, à accueillir favorablement les suggestions qui leur sont faites par divers groupes sociaux et culturels. Hélas, trop souvent, et vous le savez par expérience, les gestes concrets et pratiques tardent à venir. Mais, le temps est probablement venu où nous devons passer des paroles aux actes.

Ainsi, par exemple, on a attiré mon attention récemment sur une résolution adoptée à maintes reprises par votre congrès. Cette résolution concernait l’article 443 de la loi électorale relatif à la publication d’explications et de renseignements utiles aux électeurs durant une période électorale. Je ne sais si vous avez adopté à nouveau cette résolution cette année. Il arrive que la Commission parlementaire de l’Assemblée Nationale est à examiner notre loi électorale afin d’en corriger les imperfections et de compléter ainsi le travail accompli en 1963 et 1964. Nous avons eu une réunion préliminaire cette semaine et la commission entreprendra définitivement ses travaux le 14 octobre prochain. Je puis donner l’assurance, ce midi, qu’au cours des travaux de cette commission, nous
nous ferons un devoir d’entendre les dirigeants de votre association afin d’examiner la
possibilité d’amender notre loi électorale en vue de permettre au président général des Elections de recourir à tous les hebdos dont il aura besoin en période électorale. Ceci, je le sais, serait de nature à aider considérablement plusieurs hebdos de votre association.
Au moment où la dimension régionale des problèmes politiques, économiques et sociaux prend une ampleur de plus en plus grande, il m’apparaît extrêmement important d’avoir une presse régionale dynamique et vivante. L’un des soucis majeurs des gouvernements modernes est de parvenir à assurer à toutes les régiona du territoire un développement harmonieux; l’idée de la décentralisation des décisions de l’Etat est non seulement liée à celle de l’efficacité des politiques gouvernementales, mais également au besoin de participation des populations. Pour que cette participation soit effective, il faut qu’un travail d’animation soit entrepris. C’est donc dire que la presse régionale et locale a un rôle de premier plan à accomplir en vue de faire ce travail d’animation auprès de la population en même temps qu’afin de porter à l’attention du gouvernement les besoins et les aspirations véritables des régions du Québec.
Après 38 ans de travail inlassable au niveau régional, voilà que s’ouvrent pour la presse régionale des perspectives d’avenir extrêmement intéressantes.. C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient de relever ce nouveau défi que le monde moderne vous pose.

QBRSS19701002]

[CAUSERIE DE M. ROBERT BOURASSA Premier ministre du Québec
CONGRES DE L’UNION DES MUNICIPALITES
Hôtel Reine Elizabeth Vendredi, le 2 octobre 1970 ]

Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir, à l’occasion du Congrès annuel de l’Union des municipalités. Malgré que je n’aie pu suivre de très près les délibérations de votre Congrès – à cause des événements que vous connaissez sans doute – je suis sûr qu’une fois de plus, vous avez fait un travail sérieux et constructif.
L’évolution rapide de la société moderne exige une constante adaptation des hommes et des institutions aux conditions nouvelles. Le monde municipal ne fait pas exception; il doit inventer sans cesse des formules nouvelles afin d’améliorer la qualité de notre vie communautaire.
J’ai tout de même eu l’occasion, en préparant ces quelques notes, de revoir rapidement certains de vos travaux ou mémoires des dernières années; la simple énumération des sujets que vous avez examinés démontre que votre première préoccupation est cette recherche constante des solutions aux vrais problèmes municipaux: la fiscalité municipale
et les relations. provinciales-municipales, les problèmes d’urbanisme et d’aménagement du territoire, la question de la pollution du milieu, les nouvelles structures municipales des communautés urbaines et régionales, voilà quatre grands domaines que vous avez étudiés, quatre domaines qui, sans l’ombre d’un doute, constituent les pivots de la réforme municipale des. prochaines années. Et à ces travaux s’ajoute cette réflexion de l’Union des municipalités sur le rôle des municipalités dans le développement économique du Québec. Votre Comité d’action économique a organisé à cet égard, un colloque extrêmement intéressant, colloque dont le thème cadre bien avec, la priorité que le gouvernement du Québec s’est lui-même donnée, savoir: la relance de l’économie du Québec.
Mon collègue, le ministre d.es Affaires municipales – que vous connaissez particulièrement bien à l’Union des municipalités – vous a fait part des projets que le
gouvernement entend réaliser dans le domaine municipal. M. Tessier vous a dit que le gouvernement présenterait à l’Assemblée nationale un certain nombre de projets de
lois dont les plus importants ont trait à l’évaluation municipale, à la planification et à l’urbanisme, aux élections municipales et aux communautés urbaines et régionales. Je crois sincèrement que ces lois que nous adopterons bientôt marqueront un tournant important dans la vie municipale du Québec.
Le gouvernement veut que cette réforme municipale se fasse avec la participation de tous les intéressés et, au premier chef, avec celle des municipalités du Québec. Notre action- s’orientera dans le sens d’une modernisation de nos structures de gestion municipale et d’une amélioration de la fiscalité municipale. Nous accorderons en outre aux problèmes de la rénovation urbaine et de la pollution du milieu le caractère prioritaire que ces questions doivent avoir aujourd’hui.
Sur cette dernière question, le gouvernement, bien conscient de ses responsabilités, a vu à confier le problème de la qualité de l’environnement à un ministre d’État, le docteur Goldbloom. Ce dernier a comme mandat précis, d’une part de dresser un inventaire de tout ce dont dispose le gouvernement pour combattre la pollution; d’autre part, le ministre d’État doit élaborer une politique québécoise cohérente et efficace dans ce domaine.
Comme vous le savez, la Commission d étude des problèmes juridiques de l’eau a déjà fait un travail considérable; d’autres services gouvernementaux exécutent chaque jour des travaux et des études qui concernent la protection du milieu naturel du Québec. Il s’agit donc avant tout d’inventorier ce qui se fait présentement pour ensuite décider d’une action vigoureuse, cohérente et efficace. Ces travaux du ministre d’État nous amèneront probablement a adopter pour le Québec une politique de la qualité de l’environnement qui, sans doute, rejoindra à plusieurs égards les recommandations que vous avez formulées vous-mëmes en septembre 1969, lors de la présentation de votre mémoire sur l’aménagement des eaux au Québec.
Les programmes de rénovation urbaine que nous avons amorcés au Québec ces dernières années doivent être insérés dans un plan général d’aménagement et d’urbanisme. Le ministre Tessier vous la signalé, le gouvernement adoptera très bientôt une loi-cadre de la planification et de l’urbanisme, inspirée des recommandations de la Commission LaHaye. Je veux simplement ajouter que le gouvernement entend consacré un effort spécial à solutionner nos graves problèmes dans le domaine particulier de l’habitation.
La Société d’habitation du Québec continuera d’assumer à cet égard la responsabilité de la préparation et de la mise en œuvre des programmes de rénovation et d’habitation
en s’intéressant très activement à la localisation de ces programmes, à leur conception, à leur planification et à leur exécution.
La Société centrale d’hypothèques et de logement apporte, vous le savez, à la Société d’habitation une collaboration essentielle autant par sa contribution financière que par la détermination -des critères d’éligibilité à un prêt et ce, dans le sens de l’entente fédérale-provinciale intervenue à cet effet, en 1967. Cette entente, je le signale, constitue pour nous dans un domaine particulier – celui de l’aménagement urbain une illustration de la souplesse et de la flexibilité du fédéralisme qui permet aux citoyens québécois de profiter des avantages de notre appartenance à la fédération canadienne.
Au plan dé la réforme des structures municipales, le ministre des Affaires municipales vous a annoncé la loi-cadre sur les communautés urbaines et régionales. Je souligne simplement le rôle important qui sera dévolu à ces communautés sur le plan de l’aménagement et du développement social, économique et culturel du
milieu qu’elles auront à gérer. Et dans la détermination des pouvoirs précis et des
ressources fiscales que nous confierons à ces nouveaux organismes, le gouvernement retient comme critère principal, celui de l’efficacité des services qu’on veut rendre aux citoyens québécois.
Le progrès de toute société moderne exige de tous les niveaux de gouvernements des investissements considérables. Pour financer ces investissements, les pouvoirs publics font appel dans une très large mesure à la contribution des citoyens, et à un point tel qu’avec raison, on estime que le niveau de taxation a atteint sous plus d’un aspect un maximum.
Le citoyen qui, d’une façon ou de l’autre, est appelé à faire les frais de ces investissements publics est en droit de s’attendre à ce que les argents qu’il paie, soient utilisés de la façon la plus rationnelle possible; on doit éviter le gaspillage et les duplications inutiles. Voilà pourquoi il importe tellement que nous réussissions à instaurer au plus tôt une véritable responsabilité financière des pouvoirs publics et quand je dis responsabilité financière, je pense a cette nécessité qu’il y a de donner aux autorités à qui on confie des pouvoirs précis, les argents nécessaires qu’il leur faut pour assumer leurs responsabilités.
Vous le savez, les problèmes que rencontre notre fédéralisme canadien sont largement causés par les distorsions qui existent entre les ressources financières des provinces et leurs responsabilités sur les plans économique, social et culturel. Nous réclamons depuis longtemps un nouveau partage fiscal qui soit mieux adapté aux besoins croissants des provinces.
Même si la nature des relations qui existent entre les provinces et l’autorité fédérale est différente de celle qui existe entre une municipalité et une province, il reste que nous devons viser dans le domaine. des relations provinciales-municipales à un meilleur équilibre de la fiscalité municipale.

Afin de répondre à ce besoin que nous ressentons tous de coordonner davantage nos actions respectives, de les adapter aux conditions nouvelles, le gouvernement du Québec se propose d’inviter les municipalités québécoises à une conférence provincialemunicipale de deux jours, à Québec, le printemps prochain. Une conférence semblable
a déjà été convoquée à Toronto par le Premier ministre Robarts, en 1970, et avec énormément de succès: près de 400 représentants municipaux, des députés, des ministres et des spécialistes des questions municipales ont examiné ensemble les problèmes du monde municipal.
Le but que poursuit le gouvernement du Québec en prenant cette initiative est de favoriser le développement des relations entre les municipalités québécoises et le gouvernement provincial. Nous voulons en arriver à assurer aux municipalités une plus grande participation dans l’élaboration des politiques qui les concernent. En facilitant ainsi une plus grande solidarité et une collaboration plus suivie entre nos deux niveaux de gouvernement, nous avons la conviction que nous parviendrons à accroître la productivité et l’efficacité de nos décisions.
Je veux, ce soir, vous faire part du désir du gouvernement de discuter avec vous à cette conférence des sujets suivants: les structures et pouvoirs des municipalités et des communautés urbaines et régionales, la coordination de l’action des divers ministères et des municipalités au niveau des régions et enfin l’évaluation des problèmes financiers des municipalités afin d’amorcer véritablement la réforme de la fiscalité municipale.
Pourquoi les structures et les pouvoirs des municipalités et des communautés urbaines et régionales? Poser la question, c’est y répondre. Les changements de nos systèmes sociaux et économiques se font à un rythme beaucoup trop lent, et cette lenteur
est trop souvent conditionnée par la rigidité et l’inadaptation de nos présentes structures municipales. Nous devons donc moderniser nos institutions municipales.
Les différents ministères gouvernementaux prennent, chacun dans leur domaine, des décisions capitales pour l’avenir des différentes régions du Québec. Trop souvent, ces décisions gouvernementales sont arrêtées sans qu’il existe une véritable coordination avec les décisions que vous prenez vous-mêmes sur le plan local et régional. Il importe donc, étant donné les responsabilités que vous assumez et celles qui vous seront bientôt confiées, que nous planifiions davantage nos politiques respectives.
Enfin, nous avons pensé, et là-dessus je suis sûr d’obtenir votre entier appui, que la réforme de la fiscalité municipale devait être l’oeuvre commune du gouvernement et des municipalités et ce, afin que nous puissions situer les problèmes financiers des municipalités dans le cadre général des conditions économiques du Québec et surtout dans celui des priorités que nous devons établir aux niveaux provincial, régional et local.
Je pense qu’avec ces trois problèmes majeurs des relations provinciales-municipales, nous pourrons avoir une conférence qui s’avérera extrêmement profitable pour vous comme pour nous, mais surtout pour l’ensemble des citoyens que nous sommes appelés à servir. De toute façon, je soumets ces questions à votre considération et si vous estimez que d’autres sujets devraient être discutés a cette conférence, croyez que nous serons heureux de nous rendre à votre demande. Alors, je compte vous revoir à Québec le printemps prochain.

[QBRSS19701011]
[ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA (radiodiffusion et télédiffusion) sur toutes -les stations de radio et de TV le dimanche
11 octobre, soit le lendemain de l’enlèvement
de M. Pierre Laporte 1970]

Mes chers concitoyens, j’ai décidé de m’adresser à vous ce soir en face d’une situation dont la gravité nous fait traverser à tous des heures dramatiques. Le Québec doit faire face à l’action d’un petit groupe dont le recours à des moyens d’une nature exceptionnelle et sans précédent en notre province menace la stabilité de nos institutions politiques. Ce qu’il y a à la fois de foncièrement injuste et d’extrêmement dangereux, c’est que nous vivons dans un endroit où la liberté d’expression et d’action est l’une des plus grandes de tous les pays du monde. Même les partis qui mettent en cause le régime politique lui-même ont toutes les libertés de s’exprimer. D’ailleurs, cette liberté d’expression, on n’a pas manqué de l’utiliser ces dernières années en semant systématiquement la haine et le mensonge.
Le gouvernement ne peut, ne doit et ne restera pas passif lorsque le bien-être de l’individu est menacé jusque dans ses racines. Je suis trop fier d’être Québécois pour ne pas vous dire toute ma résolution et celle du gouvernement que je dirige pour surmonter cette crise très grave. Dans ce travail pour sauvegarder les valeurs fondamentales de notre civilisation, je suis convaincu d’avoir l’appui de tous les représentants élus du peuple.
Je demande à toute la population de faire preuve dans ces circonstances difficiles de calme et de confiance. En effet, la valeur de notre peuple, son exceptionnel esprit de travail, son respect d’autrui et son sens de la liberté ne sont-ils pas les meilleurs gages de la victoire de la justice et de la paix. Cette situation de fond qui, en fin de compte, doit nous rassurer, ne doit pas nous faire oublier, toutefois, les problèmes extrêmement pressants et qui ont pour enjeu la vie de deux personnes, soit d’un homme politique typiquement québécois et combien dévoué au progrès de sa communauté et d’un distingué diplomate étranger aux tensions qu’affronte notre société. A cet égard, le Front de libération du Québec a fait parvenir un communiqué exigeant l’acceptation intégrale et. totale de leurs sept demandes. Par ailleurs, le ministre du Travail m’a fait parvenir une lettre où il traite de deux questions, soit les fouilles policières et la libération des prisonniers politiques.

Nous tenons tous, est-il besoin de le dire, à la vie de M. Laporte de même qu’à celle de M. Cross. Le sort, dans un rare exemple de sa cruauté, a voulu que ce soit sur eux que repose le maintien de l’ordre public, mais c’est parce que nous tenons véritablement à la vie de M. Laporte et de M. Cross que nous voulons, avant de discuter l’application des demandes qui sont faites, établir des mécanismes qui garantiraient, si l’on veut prendre l’exemple dont parle M. Pierre Laporte, que la libération des prisonniers politiques ait comme résultat certain la vie sauve aux deux otages. Il y a là un préalable que le simple bon sens nous force à demander et c’est à ce titre que nous demandons aux ravisseurs d’entrer en communication avec nous. Comment, en effet, accéder aux demandes sans avoir la conviction que la contrepartie sera réalisée? Le gouvernement. du Québec croit qu’il serait irresponsable vis-à-vis et de l’Etat et de MM. Laporte et Cross s’il ne demandait pas cette précaution.
Nous voulons sauver la vie de MM. Laporte et Cross et c’est parce que nous le voulons de toutes nos forces que nous posons ce geste.
Mes chers concitoyens, un grand homme d’Etata déjà dit; Gouverner, c’est choisir. Nous avons choisi, nous, la justice individuelle et collective. Quant à moi, je me battrai pour cette justice jusqu’à la limite de mes moyens en assumant tous les risques, quels qu’ils soient, et qui sont essentiels à l’avenir de notre peuple.

[QBRSS19710215]

[A LLOCUTION PRONONCEE PAR MONSIEUR ROBERT BOURASSA PREMIER MINISTRE DU QUEBEC LORS DU DINER ANNUEL DU BARREAU DE MONTREAL EN L’HOTEL REINE ELIZABETH,
A MONTREAL LE 15 FEVRIER 1971]

La remise en cause des valeurs traditionnelles de la société québecoise a coïncidé avec une remise en cause universelle, celle-là, des valeurs de la société industrielle moderne.
Cette coïncidence historique fait qu’il est toujours extrêmement difficile de départager dans les manifestations de notre probléme québécois, ce qui ressort de données proprement québécoises de ce qui appartient plutôt à la crise des valeurs qui a gagné l’Occident. Malgré cette difficulté, il nous faut cependant distinguer ces deux dimensions du probléme dès lors que l’on cherche une solution véritable aux conflits qui surgissent dans notre milieu. Autrement, notre tendance naturelle pourrait nous amener à choisir des voies qui, toutes québécoises qu’elles soient, s’avéreront à plus ou moins longue échéance comme étant forcément limitées.
Il nous appartiendra toujours de décider des grandes orientations â, donner à notre société – et nous le ferons sans doute beaucoup en fonction de ce que nous sommes, de ce que nous ressentons et de ce que nous voulons – il faudra en même temps nous soucier d’évaluer ces choix dans la perspective plus large de notre appartenance à la communauté des nations industrialisées.
A cet égard, il est révélateur de souligner que la contestation de la société québécoise par la jeunesse n’est pas restreinte aux seules valeurs québécoises, elle rejoint l’ensemble des valeurs propres à la société industrielle.
Le Québec est demeuré pendant longtemps une société monolithique s’inspirant largement des valeurs d’une société préindustrielle. Nous avons d’ailleurs continué, même en milieu urbain, d’avoir des attitudes traditionnelles; notre manque de contrôle et de participation réelle dans la vie économique et financière de la ville explique en grande partie cette permanence de notre attachement en milieu urbain à ces valeurs traditionnelles de la société québécoise.
Mais peu à peu, presque à notre insu, le milieu urbain nous a marqués, il a atteint nos familles, notre travail, nos loisirs. Si bien que vint un moment olu il nous a fallu nous rendre à l’évidence; nous ne pouvions continuer à demeurer ainsi des étrangers dans la cité.
La réforme de nos institutions politiques, économiques et sociales apparut alors comme étant absolument essentielle. Et, en réformant ainsi en profondeur nos institutions, le problème des valeurs sur lesquelles la société d’hier avait été bâtie s’est trouvé posé dans toute son acuité.

L’aggravation du conflit des générations et la lutte pour le pouvoir entre les élites traditionnelles et les nouvelles élites sanctionnèrent le nouveau pluralisme de la société québécoise.
La réconciliation des opinions et des intérêts n’est jamais chose aisée. C’est pourtant là l’essentiel de la responsabilité du pouvoir politique.
S’il n’existe pas de réponse proprement québécoise au défi du changement scientifique et technologique, cette réponse doit toutefois être conforme aux exigences spécifiques de notre société.
Et parmi ces exigences, l’avenir culturel des Québecois, le progrès économique, la justice sociale figurent au premier plan. Comment la société québécoise peut-elle assumer pleinement ce changement, si elle ne réussit pas à répondre à l’inquiétude légitime de ses citoyens face à l’avenir du français au Canada et au Québec. La baisse de la natalité, la question de l’intégration des immigrants, la situation du français à l’école et au travail, l’impact considérable des moyens modernes de communications sont autant d’éléments de cette inquiétude culturelle des Québécois.
Ces questions sont extrêmement complexes, et elles le sont d’autant plus que la réalité québécoise impose certaines données dont il nous faut tenir compte: la présence d’une importante minorité anglophone au Québec même, la situation minoritaire du français au Canada et en Amérique, les réalités industrielles, commerciales et financières…
Comment la société québécoise peut-elle encore faire face au changement, si la structure de son économie n’est pas considérablement renforcée, la gravité exceptionnelle du chômage – le chômage des jeunes surtout – le sous-développement des régions, la faiblesse du secteur manufacturier, voilà autant de problèmes qui commandent une action efficace. L’Etat doit jouer un rôle de premier plan dans le développement économique du Québec. Les outils dont il dispose sont nombreux et variés. Le gouvernement du Québec est bien conscient de sa responsabilité – le chef du gouvernement y consacre d’ailleurs une partie très importante de son temps.
Nous cherchons à réaliser une meilleure intégration des décisions économiques des différents organismes para-publics en vue de dégager un style d’action qui favorise la croissance. Nous orientons l’utilisation de notre budget de $4 milliards dans une
perspective de développement et non seulement de contrôle.
Nous voyons à nous assurer que les politiques économiqueset fiscales du gouvernement fédéral épousent davantage les besoins de croissance économique du Québec. Les milliards dépensés par le gouvernement fédéral au Québec doivent être coordonnés vers cet objectif.
Les conditions générales des marchés financiers s’améliorant, on peut s’attendre à ce qu’une reprise s’amorce, et d’autant plus facilement que le gouvernement fédéral vient d’orienter sa politique fiscale sur des objectifs de croissance.
Par contre, tout ne peut venir du seul secteur public; le secteur privé a aussi une large responsabilité dans le développement économique de la collectivité.
La science et la technique modifient chaque jour davantage les rapports sociaux entre les individus et. les groupes. Un grand nombre de gens sont condamnés à vivre en marge de la société et à faire ainsi les frais du changement. Seule une véritable politique sociale intégrée et soucieuse de la dimension humaine des problèmes actuels peut fournir au citoyen les moyens de participer vraiment à la vie et au progrès de la collectivité.
Certes, une telle politique sociale est coûteuse et complexe, elle est cependant essentielle au maintien d’un juste équilibre social.
Si le gouvernement du Québec accorde à la question sociale une attention particulière, c’est que nos efforts passés dans ce domaine n’ont pas été aussi efficaces que nous l’aurions souhaité, même si les dépenses furent énormes; la persistence dans notre milieu du phénomène de la pauvreté souligne la nécessité d’opérer une réforme en profondeur de notre politique sociale. Nous devons réaliser une meilleure intégration de tous les éléments de cette politique, nous devons l’axer davantage sur les besoins réels du citoyen, ceux de la sécurité du revenu, des services sociaux et de santé, de la formation professionnelle, de l’habitation et des loisirs. En somme, la lutte à la pauvreté doit être menée de façon plus efficace.
La société québécoise a été particulièrement vulnérable à l’accélération subite du changement. D’importantes et souvent douloureuses prises de conscience n’ont pu être évitées. Le domaine de l’administration de la justice n’y a pas échappé. Le problème de la liberté et de la sécurité des biens et des personnes est sans doute le plus important auquel une société a à faire face. C’est au pouvoir politique qu’il appartient de déterminer dans les lois les voies et moyens par lesquels cette liberté et cette sécurité seront assurées à tous les citoyens. C’est à lui aussi qu’il appartient de fournir une organisation judiciaire et policière suffisamment efficace pour protéger cette liberté et cette sécurité.
La responsabilité du pouvoir politique a toutefois ses limites; il est essentiel que le pouvoir judiciaire joue son rôle indépendamment du pouvoir politique.
Le principe de l’indépendance judiciaire constitue l’un des plus précieux héritages de notre civilisation. Il ne devrait pas être nécessaire de réaffirmer l’attachement indéfectible du gouvernement québecois à ce principe.
Récemment, certains ont émis des inquiétudes à ce sujet. Je dis simplement mais fermement que ces inquiétudes ne sont pas fondées. Les tribunaux sont là pour appliquer la loi; ils doivent pouvoir le faire en toute liberté, justice et équité et libres de toute ingérence, d’où qu’elle vienne. Le maintien de la confiance de la population dans ses tribunaux en dépend, et nous n’avons pas l’intention de faire le jeu de ceux-là qui auraient tout intérêt à ce que cette confiance diminue. Ce serait de la part de l’Etat tomber dans un piège excessivement dangereux pour l’avenir de la justice, de la liberté et de la démocratie.
Si pour répondre à la plus grave crise de l’histoire du Québec, nous avons décidé de prendre des mesures exceptionnelles, ces mesures demeurent exceptionnelles, rigoureusement limitées aux besoins de la sécurité publique; ces mesures étaient nécessaires pour la liberté des citoyens et la sécurité de l’Etat.
Les procès qui font suite à ces événements continueront de se dérouler dans la légalité et dans l’ordre.
Quant aux décisions politiques prises par les gouvernements, c’est à la population qu’il appartient de les apprécier.
L’appréciation du caractère exceptionnel de ces pouvoirs précis doit être faite en fonction de la gravité de ces événements et aussi des pouvoirs similaires qui existent dans les autres pays du monde libre. Par contre, quant à la preuve présentée au cours d’un procès, c’est aux tribunaux – et aux tribunaux seulement – qu’il appartient d’en disposer…
Quant à la nécessité d’une réforme de l’administration de la justice, nous en sommes depuis longtemps convaincus. Le rapport de la Commission Prévost, ce ne sont pas les événements récents qui l’ont commandé. Ce n’est pas non plus ces événements qui nous imposeront le rythme de la mise en oeuvre de ses réformes.
Le gouvernement prendra ses responsabilités en ce qui concerne la réforme de l’administration de la justice; nous devrons trouver le moyen de corriger certains abus, comme celui de cette légendaire et inadmissible lenteur de notre administration judiciaire. Cette réforme nécessaire de la justice au Québec, elle se fera cependant avec toute la diligence, le sérieux et le jugement que ces questions exigent.
Sans doute qu’une corporation professionnelle comme la vôtre – si directement impliquée dans les problèmes de justice sera appelée à participer à cette réforme. Comme d’autres corporations professionnelles ont dû le faire dans d’autres domaines, vous ne devriez pas hésiter à remettre en cause certaines de vos attitudes traditionnelles.
Je sais déjà que les citoyens du Québec peuvent compter sur vous.
Prendre la mesure véritable de ce que fut pour le Québec le changement des dix dernières années, c’est pour beaucoup évoquer le passage d’un ordre ancien à quelque chose d’encore confus, qui porte en lui presqu’autant d’inquiétudes que d’espoirs.
Nous voulions un Québec moderne et industrialisé; nous avons consacré à cela des énergies et des ressources considérables. Et au moment même où nous pouvions espérer atteindre cet objectif, voilà que les sociétés qui nous servaient de modèles se sont mises
à remettre en cause les valeurs sur lesquelles elles étaient fondées et auxquelles nous aspirions.
Sans même que nous ayons eu le choix de participer à cette nouvelle remise en cause, nous sentons bien que nous en sommes, nous aussi.
Que nous le voulions ou non, l’avenir du Québec et du Canada se jouera désormais dans cette nouvelle perspective. Nous devons nous en convaincre, et dès maintenant agir en conséquence.

[QBRSS19710324]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE AU DINER EN L’HONNEUR DU CORPS CONSULAI RE ET DE L’ORGANISATION DE L’AVIATION CIVILE INTERNATIONALE DANS LES
SALONS DE L’ASSEMBLEE NATIONALE A QUEBEC, LE 24 MARS 1971]

Monsieur le doyen du corps consulaire a Montréal, monsieur le chef de l’opposition, monsieur le doyen du corps consulaire à Québec, monsieur le président de l’Organisation de l’aviation civile internationale, messieurs les ministres, mesdames, mesdemoiselles, messieurs,
Le gouvernement du Québec est très heureux d’accueillir ce soir les membres du corps consulaire et les représentants de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Vous représentez chacun des pays ou des institutions avec lesquels le Québec se félicite d’entretenir des liens étroits dans les domaines de sa compétence. Les rapports entre les gouvernements, les Etats et les grands organismes ne valent souvent que ce que valent les hommes qui les entretiennent. A ce titre, nous nous honorons au Québec de compter sur
l’exceptionnelle qualité de ceux-là qui sont chargés de représenter auprès de nous les désirs ou les volontés de leurs gouvernements respectifs.
Votre tâche n’est pas toujours facile, je m’en rends bien compte. II vous faut vous débrouiller et retrouver votre chemin dans les arcanes d’un régime fédéral d’un type aussi particulier que le nôtre, respecter les niveaux de juridiction entre nos divers ordres de gouvernements, en somme saisir toutes les subtilités et les nuances d’un pays où la complexité de la formule fédérale exige souvent un effort d’intelligence et d’interprétation.
Pour être confrontés quotidiennement avec ce genre de problèmes, nous mesurons l’importance de vos tâches et de vos fonctions. Aussi sommes-nous reconnaissants de la collaboration que vous apportez au rayonnement de la personnalité collective du Québec. Un rayonnement qui dure, s’inscrit et se prolonge par la force même des choses. Ce n ‘est un secret pour personne que l’actuel gouvernement du Québec est résolument attaché à la formule fédérale et à son identification à l’ensemble
canadien. Mais il est non moins résolu à assurer le plein développement de la personnalité québécoise, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières. Et cela, dans tous les domaines ou il est appelé à exercer son activité: l’économique, le social, le technique, le culturel, le politique, rien ne doit rester étranger au peuple québécois et à sa volonté de participer aux grands échanges qui désormais tonifient les rapports entre les collectivités.
Cette exigence des temps modernes, nous sommes déterminés à la satisfaire par delà les nombreuses et nouvelles difficultés du gouvernement des hommes et de l’administration des choses. Vous êtes ici, au Québec, à la fois les témoins d’une expérience unique dans l’histoire du monde et les associés d’une grande oeuvre de construction. La construction d’une société qui n’a peut-être pas encore parfait toutes ses structures et ses institutions mais dont le cheminement progressif autorise les plus grands espoirs.
Certes, nos problèmes sont aigus, mais ils ne sont pas insurmontables. Nous avons su faire face par le passé à des situations absolument nouvelles. Nous avons agi et nous continuerons d’agir. Sur tous les plans de notre activité coutumière, il y a infiniment plus de motifs d’espérer que de craindre, plus de raisons d’entreprendre que d’abandonner.
Je vous remercie à l’avance de tout ce que vous ferez pour accélérer l’élan québécois en vous faisant les descripteurs fidèles de nos actions et de nos situations, en faisant état auprès de vos gouvernements des immenses possibilités et des inépuisables ressources dont nous disposons, comme de la qualité et du savoir-faire de nos concitoyens.
En agissant de la sorte, vous servirez non seulement les plus hauts intérêts des Etats ou des groupes dont vous êtes les mandataires mais aussi la volonté de progrès du peuple québécois.
Je vous serais reconnaissant de transmettre à vos gouvernements les voeux les plus chaleureux du gouvernement et des citoyens du Québec.

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[DISCOURS PRONONCE PAR M. ROBERT BOURASSA AU DINERBENEFICE DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC TENU A L’HOTEL REINE ELIZABETH DE MONTREAL LE 26 MARS 1971.]

Madame la Présidente,
Mes chers colllgues ministres et députés, Mes chers amis.
Evidemment, la raison du retard, c’est incontestablement le succès sans précédent de ce dîner-bénéfice avec un nombre sans précédent d’invités et de supporteurs du Parti Libéral. Voilà la preuve éclatante de l’unité et de la force du Parti, ce dîner-bénéfice que nous avons ce soir.
Cette rencontre, évidemment, est due à un travail considérable de plusieurs mois. Je voudrais le signaler ici. Je sais ce que ça représente. Je sais ce que ça représentait lorsque nous étions dans l’Opposition, alors que nous avions des arguments peut-être un peu moins convaincants pour attirer autant de monde. Je voudrais ce soir rendre témoignage aux principaux responsables, nommément Jean Morrissette et à, son équipe qui ont travaillé de façon considérable pour réussir cette rencontre. J’ai eu l’occasion tout à l’heure de me promener dans d’autres salles, que ce soit à la mezzanine ou au premier étage, et de rencontrer tous ceux qui n’ont pas pu être ici dans cette salle. J’aurais aimé rester, davantage, serrer la main de tous ces militants qui sont venus de toutes les régions du Québec. Est-ce qu’on peut trouver un gage plus certain de l’unité et de la force
du Parti Libéral quand on voit des centaines et des milliers de militants faire plusieurs centaines de milles, que ce soit de la Côte-Nord, du Lac-Saint-Jean, de l’Abitibi, des Cantons de l’Est, de la Mauricie, de la Gaspésie, de la région de Québec. Toutes les régions sont ici représentées ce soir à ce dîner-bénéfice. C’est extrêmement encourageant pour le Chef du Parti de voir autant de monde venu de toutes les régions. Je voudrais pouvoir serrer la main de tous et de chacun pour les remercier bien chaleureusement de l’effort qu’ils font pour venir manifester leur appui au Chef du Parti.
Mesdames, messieurs, mes chers amis, comment ne pas être fier d’être le Chef du Parti Libéral quand on voit une telle manifestation de solidarité et d’unité dans le Parti. C’est ça, le Parti Libéral. C’est un exemple pour tous les partis du Québec et du Canada.
[I want to thank very warmly our English-speaking friends. I know that they contribute to this tremendous success. And it is with such a spirit that we could builiand that we will keep a strong and united party.]

Mes chers amis, j’ai choisi ce soir de vous parler de quelques problèmes d’actualité. J’ai eu l’occasion, il y a quelques semaines, dans le discours inaugural, de donner les grandes orientations du Parti Libéral et du gouvernement que je dirige pour la prochaine année. Si nous voulons parler de sujets d’actualité, nous allons évidemment parler du budget présenté hier. Un budget sans taxes, le deuxième budget sans taxes du gouvernement. Un budget présenté par le ministre des Finances et député de Jean Talon, Raymond Garneau, un autre jeune qui sait compter dans l’équipe du Parti Libéral. Deux ans en ligne que nous avons un budget sans taxes. Ce n’est pas arrivé souvent, même avec nous autres quand on était au pouvoir. Souvenez-vous! Souvenez -vous du gouvernement de l’Union Nationale: Lorsqu’ils ont pris le pouvoir en 1966, c’est à coups de $100 et de $150 millions d’augmentation d’impôts qu’ils y sont allés sur les contribuables québécois.
Mes chers amis, on vous avait promis une administration efficace. On vous avait promis une administration qui réduirait les dépenses inutiles. On vous avait promis que les impôts étaient à leur maximum, qu’on ne pouvait pas taxer davantage les Québécois dans le contexte eu nous vivons. On a livré la marchandise depuis que nous sommes au pouvoir! Nous constatons que la situation n’était pourtant pas facile! Elle n’était pas facile, dans le contexte où nous avons pris le pouvoir, avec les dépenses de toutes sortes qui avaient été annoncées par l’ancien gouvernement et qui n’avaient pas été prévues dans le budget. On pourrait en donner un très grand nombre d’exemples. Nous avons quand même réussi pour l’année 1970-71 à diminuer le déficit de $231 millions à $195 millions. Avec une situation difficile! J’entendais les commentaires des chefs syndicaux, les commentaires de patrons. C’est la première fois, ou l’une des premières fois, que les patrons et les chefs syndicaux sont d’accord en disant que c’est un beau budget qu’on a présenté hier. Ça, c’est un signe de la valeur du budget. Non seulement on a réduit les dépenses inutiles, mais on a financé toute une série de promesses qui avaient été faites dans l’état de panique de l’ancien gouvernement, quand il sentait le pouvoir lui glisser sous les pieds. Ils avaient fait toutes sortes de promesses qu’il a fallu honorer. Nous avons payé $7.5 millions à la Communauté urbaine de Montréal, $11 millions pour Terre des Hommes. Nous avons accru les subventions pour les loisirs. Nous avons payé les arrérages de dettes pour plusieurs hôpitaux pour $32 millions. Nous avons augmenté de $40 millions les prestations faites en vertu de la loi de l’aide sociale. Nous avons amorcé un programme de $100 millions pour les immobilisations. Nous pourrions énumérer tout ce qui a été fait. Tout cela, nous l’avons fait sans augmenter les impôts et en recourant pour cette année auprès des marchés financiers ordinaires pour à peu près la même somme d’emprunts que l’année dernière. En 1971-72, nous voulons poursuivre les mêmes buts, l’assainissement des dépenses, moins de dépenses inutiles, le rattrapage de dépenses qui ont été faites ou de dettes qui sont dues. On prévoit, par exemple, $50 millions pour les commissions scolaires en plus de toutes les subventions d’équilibre budgétaires qui sont normales. On va allouer $50 millions de plus pour payer les anciennes dettes. C’est ça, l’assainissement des finances publiques!
L’autre objectif de ce budget est la relance économique: 60% d’augmentation pour le ministère de l’Industrie et du Commerce, 30% d’augmentation pour les immobilisations. Tout cela, sans aggraver le fardeau fiscal des contribuables.
Mes chers amis, nous allons poursuivre, quelles que soient les critiques, ces objectifs..
Nous avons entendu, hier, quelques critiques des partis d’opposition. Ce n’est pas mon intention de m’attarder longtemps sur ces critiques. Vous avez le critique financier du Crédit Social qui a vu des taxes là où il n’y en avait pas. On a essayé de lui expliquer, il
n’a rien compris. Mes chers amis, nous avons décidé, c’est vrai, de taxer les CEGEP et les universités, mais c’est une chose dont j’avais parlé à de nombreuses reprises durant la campagne électorale. Ca ne veut pas dire des taxes additionnelles pour les contribuables! Ca veut dire qu’on peut aller chercher de l’argent auprès du gouvernement fédéral sans même lui demander la permission. C’est ça le fédéralisme pour nous. Ils n’ont rien compris le Crédit Social! Ils voyaient une taxe là-dedans, sans se rendre compte que c’était aller chercher de l’argent du gouvernement fédéral sans augmenter les impôts.
Quant à la critique du Parti Québécois, comment la prendre au sérieux. On se souvient de leur promesse de réduire les impôts de $1 milliard. C’est ce qu’ils avaient promis durant la campagne électorale dans des programmes et dans des journaux distribués en couleur dans toute la province par eux autres qui sont supposés être tellement pauvres! En couleur. $1 milliard de réductions de taxes qu’ils ont promis: l’abolition de la taxe de vente sur les objets nécessaires, l’abolition de l’impôt foncier scolaire. Qu’ils prennent leurs crayons et calculent pour voir ce que ça veut dire. C’est la promesse la plus irresponsable jamais faite par un parti démocratique dans aucune province!
Mes chers amis, quand on regarde le programme du Parti Québécois, on voit jusqu’à quel point il y a de la démagogie indécente qui discrédite ce parti pour longtemps. C’est eux qui disent qu’ils vont amener un nouvel esprit dans la vie politique, qu’ils vont essayer de renouveler la vie politique. Ils utilisent des vieux trucs que même Duplessis, Taschereau et Gouin n’auraient pas osé utiliser: réduire les taxes de $1 milliard! La meilleure façon de démasquer le Parti Québécois est de lire attentivement leur programme. Si nous lisons leur programme, nous voyons ce qu’ils promettaient. Ils veulent donner des leçons aux autres partis sur la participation des militants. Qu’est-ce qui est arrivé au dernier congrès? Le témoignage le plus éloquent qu’on pouvait voir du manque de respect de la discussion démocratique, quelle était l’attitude des leaders? Il y en a un qui dit: « Je démissionne si vous nommez l’espion; » Il y en a un autre qui dit: « Je démissionne si vous votez telle résolution. » C’est ça, la participation démocratique des militants’. C’est ça, la liberté de discussion! Un chantage des leaders sur plusieurs points. Nous n’avons pas besoin de recourir à de tels moyens, nous, lorsque nous avons nos congrès, lorsque nous discutons entre militants. Les chefs et les dirigeants ne sont pas obligés de menacer de démissionner pour faire adopter ou refuser des résolutions. Nous avons une véritable liberté de discussion et qui se poursuivra parce que c’est ça qui fait la force du Parti Libéral.
Vous savez que notre priorité est, demeure, et restera la lutte au sous-emploi. Le budget est le premier moyen au service du gouvernement du Québec. Il y a aussi d’autres moyens d’action. Aujourd’hui, nous avons rendu publics à Québec de nouveaux outils que nous voulons mettre à la disposition du gouvernement du Québec pour relancer l’économie, à savoir la Société de développement industriel. Egalement, une loi pour modifier et accroître les avantages fiscaux. Ces lois remplacent celles qui venaient à échéance à la fin du mois. Nous avons là des moyens plus flexibles et qui vont éviter du gaspillage de fonds publics. Des moyens qui, il est vrai, donnent de la discrétion au ministre responsable. Mais c’est en toute sécurité que les Québécois peuvent faire confiance au ministre de l’Industrie et du Commerce Gérard-D. Lévesque. C’est en toute sécurité qu’ils peuvent avoir confiance en sa compétence, en son esprit de travail et en son expérience.
Mes chers amis, avec cette flexibilité et cette sélectivité, nous pourrons accroître davantage les moyens d’action du gouvernement. Nous voulons essayer d’utiliser au maximum ce que nous avons, remplacer par exemple des subventions par des prêts, des prêts qui pourront être donnés dans certains cas aux régions qui en ont le plus besoin. Des prêts qui pourront n’être pas remboursables s’il y avait des objectifs qui étaient réalisés. Si l’objectif d’efficacité ou de création de nouveaux emplois était réalisé, il serait possible en vertu de cette loi de rembourser seulement une partie des prêts. Ce sont des innovations pour le Québec qui vont permettre pour le contribuable d’être assuré qu’avec les fonds qu’il donne et qu’il doit faire au gouvernement du Québec, on les utilise au maximum, alors que depuis trois ans on donnait toutes sortes d’avantages fiscaux même à ceux qui avaient décidé d’investir et qui réduisaient pour autant les possibilités pour le gouvernement du Québec d’agir pour la relance économique. Ça, c’est un moyen. Le budget que nous avons présenté, la Société de développement industriel, les incitations fiscales, il y a aussi les investissements étrangers. On connaît les efforts considérables que j’ai faits, que le gouvernement a faits pour stimuler les investissements étrangers. Mais au moins on peut dire que ces efforts-là, qu’ils soient pour les investissements étrangers ou locaux ont porté fruit. L’importance de ce succès, on n’a qu’à le constater en mesurant ce qui existait auparavant. On a quand même réussi à débloquer des invstissements de plusieurs centaines de millions: Québec Cartier, $300 millions; Iron Ore, $200 millions; Noranda Mines, $125 millions; Falconbridge, $60 millions, etc. Et ce n’est pas fini.
Qu’est-ce qui se faisait avant? L’Union Nationale, en tout propos et en toute occasion, invoquait l’investissement de Golden Eagle. Golden Eagle par-ci, Golden Eagle par-là! Tant mieux! Mais c’était 300 nouveaux emplois, alors que les investissements que nous avons réussi à annoncer, à débloquer depuis quelques mois signifient plusieurs milliers de nouveaux emplois.
On essaie d’atténuer les avantages de ces investissements. On critique le voyage que j’ai fait à New York. Je suis allé à New York. J’y étais allé au mois d’octobre. Et j’y retournerai. Et je retournerai ailleurs s’il le faut à moins qu’on me prouve qu’il y a d’autres choix pour les Québécois de faire face au chômage. Quelles sont les alternatives? J’aime encore mieux, mes chers amis, que les talents québécois développent le Québec avec l’aide de l’étranger que, faute de débouchés chez eux, les talents québécois s’expatrient pour développer les pays étrangers. C’est ça le choix auquel nous avons à faire face.
Le gouvernement du Québec a choisi de concentrer ses énergies sur la réduction du sous-emploi. Cette priorité, qui n’est pas la plus facile, comporte peut-être certains risques. Mais elle est vitale au bien-être des Québécois. Elle sera maintenue coûte que coûte quelles que soient les critiques. Ce sera au peuple du Québec de juger en temps et lieux si nous avons eu tort ou raison. Mais j’ai déjà l’impression que les Québécois renverront dos à dos tous ceux qui ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre qu’un peuple économiquement faible peut toujours avoir un passé, mais qu’il n’aura jamais d’avenir.
Mes chers amis, si nous considérons les alternatives et les autres choix qui nous sont offerts, où trouver l’argent qui ne viendrait pas sous forme d’investissements étrangers? Est-ce que les Québécois sont prêts à accepter un plus grand nombre de chômeurs? Est-ce qu’ils sont prêts à accepter les hausses de taxes? Est-ce qu’ils sont prêts à accepter le départ de nos talents pour l’étranger? Nous ne voulons pas dire que nous acceptons inconditionnellement tous ces investissements! Mais leur besoin est évident. Je suis convaincu que la population du Québec est derrière moi lorsque je fais tous ces efforts pour attirer ces investissements. Est-ce que la population de la Côte-Nord est contre l’investissement de Québec Cartier ou Iron Ore? Est-ce que la population de la Mauricie est contre l’investissement de Falconbridge? Est-ce que la population des Cantons de l’Est est contre l’investissement d’I.B.M.? Est-ce que la population de la Gaspésie est contre l’investissement de Noranda Mines? Non, mes chers amis: Nous avons dans cet objectif l’appui de la population du Québec.
Le choix est clair: ou nous acceptons de perdre l’une des principales richesses que nous avons et qui est cette jeunesse que nous avons formée à coups de sacrifices financiers considérables, que nous la perdions pour nos concurrents, ou bien nous essayons de convaincre, comme j’essaie de le faire, les investisseurs étrangers de venir au Québec.
Si nous examinons d’autres leviers de pouvoirs de l’économie, il y a l’action du gouvernement fédéral. Il y a deux attitudes possibles pour le gouvernement du Québec: on peut se croiser les bras comme certains gouvernements faisaient dans le passé et jouer les Ponce Pilate, dire: « Le chômage, c’est la faute du fédéral: » C’est vrai que le gouvernement fédéral a une responsabilité importante dans les politiques économiques. Mais, nous n’avons pas choisi, nous, cet alibi, ou cette excuse ou cette explication; nous n’avons pas choisi de jouer à Ponce Pilate. Nous avons choisi d’essayer d’influencer la politique fédérale dans le sens des priorités et des besoins du Québec. Nous avons adopté cette attitude positive, qui a donné des résultats.
Nous avons fait modifier la politique minière du gouvernement fédéral. Nous avons obtenu des concessions fiscales à Winnipeg qui nous ont permis de ne pas hausser les impôts. Nous avons obtenu une partie de ce que nous demandions avec la caisse d’aide
conjoncturelle, en présentant tous les arguments pour cette caisse, et favoriser la croissance économique dans les régions où il y a le plus de chômage. Nous avons obtenu, dans les ententes spéciales, des sommes substantielles pour le Québec. On annonçait hier, justement, que pour la région de Québec, Trois-Rivières, Sept-Iles et
Montréal, il y avait une augmentation de 50%, de $65 millions à $100
millions d’investissements du gouvernement fédéral pour ces régions. Ça, ce sont des résultats concrets. Dans les 21, 000 nouveaux emplois qui auront été créés par le ministère de M. Jean Marchand, 9, 500 au Québec. Et je pense qu’il est normal de rendre hommage à Jean Marchand, ministre de l’Expansion économique régionale. Voilà un ministre du. Québec qui nous aide à Ottawa.
[We want to go ahead. We criticize the White Paper. We are against the integration of Personal Income Tax and Corporation Income Tax because we believe that this is the worst time for Canada, with the lowest rate of inflation, and one of the highest rate of unemployment, to have these recommendations applied in the present context. And we are convinced that the Federal Government will take . into consideration what is proposed by the Quebec Government and by other governments in Canada in order to change its view about the White Paper and to take into account that at the present time we have to encourage investment substantially.]

Ces discussions avec le Gouvernement fédéral se font et doivent se faire dans le respect des juridictions. Nous sommes conscients des nécessités de ce respect fondamental de nos juridictions. Nous sommes également persuadés, convaincus, qu’il faut un nouveau partage des pouvoirs. Nous l’avons exprimé à deux reprises à la conférence du mois de septembre et à la dernière conférence. Nous nous rendrons dans quelques semaines à Victoria à une prochaine conférence constitutionnelle en faisant une distinction bien nette entre le fédéralisme rentable et le centralisme même s’il était rentable. Autant nous sommes prêts à travailler et à faire en sorte que le fédéralisme soit rentable pour le Québec, autant nous sommes convaincus que jamais nous ne pourrons accepter le centralisme, même s’il était rentable. C’est ça qui est la position du gouvernement du Québec actuel. Car la rentabilité ne pourrait être qu’apparente. Quand on connaît l’importance, la nécessité de cette décentralisation pour un pays comme le Canada; il y a le facteur culturel qui est propre au Québec; il y a également des facteurs économiques qui invitent et justifient une telle décentralisation pour d’autres régions du Canada.
Mes chers amis, comme vous voyez, l’action du Gouvernement du Québec, comme je l’avais dit lorsque j’ai été élu chef du Parti et chef du gouvernement, est orientée vers une réduction du chômage. Le chômage est encore trop élevé, c’est clair. Il n’y a pas un homme politique, je puis le dire en toute franchise et en toute honnêteté, qui est plus conscient de la nécessité et de l’urgence de combattre le chômage, de le réduire. J’en étais conscient lors de mon élection comme député. Je l’étais comme chef du Parti, comme chef du gouvernement. Et la principale partie de mes énergies est affectée à cette réduction du chômage. 10% est un chiffre élevé. Admettons quand même qu’il y a d’autres régions du Québec ou le chiffre est plus élevé. Mais on avait prédit combien pour cet hiver? Vous souvenez-vous après la crise que nous avons connue en octobre? Certains de nos adversaires politiques prédisaient 15% de chômeurs. Ils en parlaient souvent et en toute occasion: « Il va y avoir 15% de chômeurs: » On aurait dit qu’ils se frottaient les mains en disant qu’il y aurait 15% de chômeurs. Il y en a 10%. Et je pense que l’action du gouvernement du Québec depuis 6 mois a été un élément important pour réduire cette hausse du chômage que connaît l’Amérique du Nord et toutes les régions du Canada. Au moins, notre action aura contribué à le garder dans certaines limites. D’ailleurs, des statistiques qui deviennent publiques ces jours-ci révèlent, par rapport à l’an dernier, une hausse importante de la création de nouveaux emplois.

Mes chers amis, j’aurai l’occasion, en d’autres circonstances, de décrire ce que le gouvernement du Québec a fait dans la politique sociale, dans la politique culturelle, dans la politique de loisirs, dans le secteur de l’éducation. Près d’une centaine de projets de loi depuis les 10 mois que nous sommes au pouvoir ont été soit adoptés, soit déposés pour moderniser l’appareil gouvernemental du Québec. Nous pourrions énumérer également toutes les mesures législatives très nombreuses qui ont été adoptées par ce gouvernement. Qu’on prenne les 10 premiers mois de notre administration et qu’on compare ces 10 premiers mois de notre administration avec n’importe quel gouvernement antérieur. Nous avons fait beaucoup plus que n’importe qui pour la population du Québec. La population du Québec le réalise, et les militants libéraux le comprennent aussi. Je suis prêt à montrer le bilan de ce que nous avons fait et à le comparer avec celui de n’importe quel gouvernement, et pourtant, nous avons obtenu ces réalisations à travers des crises successives dont vous êtes au courant.
La confiance que la population du Québec a mise dans ce Cabinet, le plus jeune de l’histoire du Québec, je crois qu’elle était méritée. Après 10 mois de pouvoir, le Québec peut être convaincu que l’équipe qui le dirige actuellement a une nouvelle assurance et une nouvelle confiance encore plus forte que celle qu’il avait au début, lorsque nous avons pris le pouvoir, parce que nous avons subi le test de l’action. Et je pense que nous avons subi ce test de l’action, dans des circonstances extrêmement difficiles; de plus, nous avons subi ce test de façon positive. Cette action-là nous a renforcés et nous a déterminés plus que jamais à faire face à cette tâche exaltante de bâtir un nouveau Québec. Pour bâtir ce nouveau Québec, il faut l’appui de vous tous, l’appui de tous les libéraux. Ce soir, nous avons une preuve éclatante de ce support, de cet appui, de cette solidarité et de cette force
du gouvernement libéral était de gouverner ensemble. C’est en gouvernant ensemble que nous aurons la condition et la voie de la réussite du Québec. Merci beaucoup!

[QBRSS19710331]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA PREMIER MINISTRE A L’OCCASION DU BANQUET DU 150ême ANNIVERSAIRE DE L’UNIVERSITE McGILL MONTREAL, LE 31 MARS 1971.]

M. le Président,
MM. les Chanceliers, M. le Recteur,
MM. les invités d’honneurs, Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,
Quelques mots seulement pour vous rappeler l’intérêt que mon gouvernement et moi-même portons à l’évolution et au travail constant de votre institution au Québec depuis 150 ans.

Peut-être le généreux donateur qui au début du 19ème siècle favorisa la mise en place de l’Université McGill avait-il eu la prémonition du rôle prestigieux que tiendrait cette institution dans notre vie collective. Néanmoins, il ne pouvait pas en prévoir toute l’ampleur.

En 1971, nul ne songerait à nier la valeur intrinsèque de McGill. C’est l’une des grandes universités canadiennes. Elle continue de dispenser une formation hautement reconnue et résiste admirablement à l’épreuve du temps. Sa solidité, elle la doit à l’effort de ses fondateurs, aussi bien qu’à la vigilance de la communauté anglophone du Québec et du Canada.

Elle la doit aussi à ceux qui avec une rigueur exemplaire administrent aujourd’hui l’institution. Je profite de l’occasion pour leur transmettre toutes mes félicitations et mes remerciements.
Depuis quelques années, l’Université McGill a entrepris de réévaluer, de resituer son
rôle au sein de la collectivité québécoise. Cela est sain.

Cette nécessaire évaluation de la société et de ses besoins est le gage de l’efficacité qui tient à coeur à chacun de vous. Je vous engage donc à la poursuivre.

L’Université McGill est un centre d’excellence reconnu à l’échelle mondiale. Doit-elle demeurer le plus grand centre universitaire anglophone du Canada ? Cette question, vous vous la posez je crois, comme nous.

Je puis y répondre par l’affirmative, mais, bien sûr à certaines conditions. L’Université McGill peut et doit demeurer une institution de première force. Elle doit cependant se plier en toute logique à l’évolution globale de la société québécoise. Longtemps favorisée par un contexte social propice, elle doit aujourd’hui définir ses objectifs en fonction de la situation nouvelle d’un Québec transformé où une majorité francophone, dans le respect des droits fondamentaux, désire occuper l’espace social qui lui revient.

Dans cette optique, nous louons les efforts déjà entrepris par votre université dans l’application de mesures linguistiques permettant l’adaptation de certaines de vos facultés dont celle du droit, celle des arts et sciences, et de bien d’autres, aux conditions linguistiques de la société québécoise.

Bien sûr, en même temps, elle doit tenir compte des possibilités offertes aux Canadiens de langue anglaise par une multitude de centres universitaires nord-américains.

Le gouvernement du Québec est conscient des problèmes de l’Université McGill. Il agira envers ce centre reconnu, envers les hommes qui s’y dévouent d’une façon équitable. Mais cette équité, cette justice, nous devrons toujours l’appliquer à l’ensemble de la population québécoise desservie par des ressources d’enseignement universitaire.

L’Université McGill a 150 ans. Je lui souhaite de nombreux anniversaires encore. Je souhaite que cet anniversaire joyeux soit propice également à une réflexion profonde qui lui permette de poursuivre en toute sérénité la tâche qui lui appartient dans un Québec où la volonté de coexistence pacifique est la caractéristique dominante de deux ethnies principales, dont les rapports doivent être plus que jamais équilibrés.

[QBRSS19710428]

LE QUEBEC ET L’IDENTITE CANADIENNE par MONSIEUR ROBERT BOURASSA Premier ministre du Québec devant les membres de la PRESSE CANADIENNE à l’Hôtel Royal York de Toronto le 28 avril 1971]

C’est à la fois un plaisir et un honneur de prendre la parole devant les membres de la Presse Canadienne. Un plaisir, parce que les centaines de sociétaires qui sont rassemblés ici ce soir sont tous hautement avertis des préoccupations d’un chef de gouvernement dans la mesure où votre fonction consiste justement à faire état quotidiennement de ces préoccupations à la population. Un honneur, parce qu’il est rare de pouvoir s’exprimer devant un auditoire doté d’une influence comme la vôtre.
Je désire tout d’abord rendre hommage au travail effectué depuis de nombreuses années par la Presse Canadienne. Vous avez été un facteur de l’évolution de notre pays, et cela à plusieurs titres.
Sur le plan personnel, c’est grâce à votre coopérative que des millions de Canadiens ont été et sont toujours informés des événements survenus dans leur région par vos reporters, au Canada par vos différents bureaux, et à l’étranger par vos ententes avec d’autres agences, ou par vos propres correspondants, présents dans les grandes villes du monde comme j’ai pu le constater au cours de récentes rencontres à l’étranger.
Sur le plan de la formation professionnelle, la Presse Canadienne a directement contribué à l’entraînement de milliers de communicateurs me semble-t-il, sont à l’origine de votre renommée, soit le respect de la vérité, l’exigence de la recherche, la nécessité de vérifier, la rigueur dans l’exposé des faits et un attachement profond à la liberté d’expression.

J’estime que le rôle joué par les moyens de communications de notre pays est fondamental. Votre rôle est fondamental parce que dans notre monde moderne, l’information est souvent le facteur essentiel à l’équilibre politique et moral de nos sociétés.
Votre simple présence humanise constamment le débat politique. Je crois même qu’elle le modère en exposant ses fragilités et ses limites. Vos commentaires en viennent à constituer une partie importante du dialogue, du processus de rétroaction que tout chef politique alerte se doit d’entretenir avec les citoyens. On a dit que la politique est l’art du possible. Dans une large mesure, ce sont souvent nos journaux, nos stations de radio et nos stations de télévision qui font état de ce que la population désire
et de ce qu’elle ne désire pas, forçant ainsi les hommes politiques à prendre leurs responsabilités et à déterminer la frontière entre le possible et l’impossible. Cela est très sain.
Une presse responsable est l’une des conditions premières du progrès de la liberté au sein, d’une société.
Lorsqu’un article commence par la formule « Selon une dépêche
de la Presse Canadienne… », la réaction du lecteur ou de l’auditeur en
est une de confiance. Or, la confiance est bien, croyez-en un homme politique, l’une des plus hautes valeurs qui soient. Cette réaction, en fait, est un hommage à la qualité et à la précision de votre information, fruit de vos normes rigoureuses.
C’est pourquoi, je suis heureux d’avoir ce soir la possibilité de vous parler d’un sujet qui nous tient tous à coeur, le Québec et le Canada et, en particulier, la place du Québec dans l’ensemble politique canadien. C’est une question qu’il est grand temps d’aborder avec imagination et clarté tant sont présentes chez nous les tensions et les incompréhensions entre les différents groupes et régions de notre pays.
Tentons ensemble de répondre à cette question fondamentale, parce qu’en dépit des erreurs du passé et malgré les défauts de la structure présente, le Canada est notre pays, et il importe d’analyser attentivement les motivations et les désirs des habitants de ses différentes régions.
A ce titre, nous pensons, nous, Québécois, que nous avons quelque chose d’infiniment précieux à offrir à l’ensemble du Canada, quelque chose aussi de fragile, quelque chose d’irremplaçable et quelque chose d’unique.
Ce quelque chose c’est précisément l’existence d’une culture française vivante en Amérique du Nord dont nous, les Québécois, sommes les principaux représentants. Cette culture française ne réfère pas exclusivement à la seule valeur linguistique, elle est aussi une façon d’être, une manière de vivre et de penser qui rejoint l’organisation même du milieu québécois et qui constitue pour le Canada un avantage évident.
C’est le Québec qui au premier chef a la possibilité de mettre en relief et de promouvoir la personnalité française au Canada. La raison en est simple: plus de 80% des francophones du Canada vivent sur le territoire québécois et participent à une même forme d’organisation sociale et politique.
Le Canada anglais cherche de plus en plus à se protéger de l’envahissement américain. Dans cette recherche d’une véritable identité canadienne, le Québec est un allié précieux, un atout exceptionnel et irremplaçable.
Pour être lui-même, le Canada ne peut se passer d’un Québec fort, dynamique et culturellement sûr de lui.
Ce que tous les Canadiens doivent admettre, c’est que tout recul de la culture française au Québec comme dans le pays ne peut être qu’un recul de l’affirmation d’une authentique personnalité canadienne au profit d’une intégration encore plus grande à la culture américaine.
Bâtir le Québec français n’est pas renoncer au Canada. Bien au contraire, nous devons développer la personnalité française du Québec, afin précisément de donner au Canada tout son sens.
C’est maintenant qu’il s’agit de répondre à la question: [« Whatdoes Canada want? »]. Le Canada est-il prêt à reconnaître l’apport unique que lui fournit l’originalité culturelle du Québec? Il faut qu’il le soit, si tant il est vrai que l’identié canadienne repose sur l’existence d’une dualité culturelle vivante et dynamique.
Le Québec entend donc continuer de développer sa personnalité française dans ses institutions publiques, dans l’enseignement, dans le monde du travail. Il croit avoir beaucoup à offrir de cette façon au Canada. Il doit pouvoir compter sur la compréhension du reste du pays. La culture française au Québec et au Canada a sa part de problèmes. Notre taux de natalité n’est plus ce qu’il était même si nous sommes maintenant plus de six millions. Pour des raisons que vous connaissez, l’immigration se dirige plutôt vers l’Ontario et l’Ouest du pays, alors que les immigrants qui viennent au Québec s’intègrent, en trop grand nombre, à la communauté anglophone.
J’ai une responsabilité unique dans la mesure où je suis le chef du seul gouvernement francophone d’Amérique du Nord. Gouverner le Québec, c’est évidemment faire face aux exigences complexes de tous les gouvernements modernes, mais c’est aussi assumer une responsabilité additionnelle à l’égard des quelque six millions de francophones qui vivent parmi deux cents millions d’anglophones sur le continent nord-américain.
Les Québécois ont maintenant choisi de participer pleinement au dynamisme industriel de la société nord-américaine. Tout en partageant les espoirs et les inquiétudes des sociétés modernes, le Québec est en outre placé devant le problème de l’avenir de l’héritage culturel particulier qui est le sien. Ce problème tient pour beaucoup à notre situation de minoritaires au Canada et en Amérique. Il prend cependant une dimension nouvelle en raison du développement exceptionnel des échanges et des communications.
Qu’arrivera-t-il si les tendances démographiques se maintiennent? Qu’arrivera-t-il si notre taux de natalité ne redevient pas plus élevé et plus constant? Qu’arrivera-t-il si l’immigration continue de favoriser l’autre groupe culturel au Québec même et au Canada? Qu’arrivera-t-il si notre jeunesse devait continuer d’aller chercher du travail dans les autres provinces et aux Etats-Unis?
Advenant une telle situation – laquelle je vous le signale est possible si l’on s’en tient aux prévisions des démographes, – il n’est pas impossible que la population du Québec, même en augmentant en chiffres absolus, ne représente plus progressivement que 25% ou 20% de la population du Canada. Il ne s’agit pas d’être pessimistes, non plus qu’il ne s’agit
d’entrevoir l’avenir culturel des francophones en fonction du seul critère mathématique, il s’agit simplement d’exprimer, dans des termes précis, l’inquiétude culturelle qui a gagné ces dernières années la population du Québec et singulièrement la jeunesse québécoise.
Je sais bien qu’en certains milieux des signes d’impatience se manifestent devant l’insistance mise par les Québécois sur leur problème culturel. Ces impatiences ne sont pas justifiées,
.
N’oublions surtout pas que l’avenir de la culture française au Québec, comme au Canada, n’est pas le problème exclusif des Québécois, c’est un problème qui concerne très directement tous les Canadiens dans la mesure où l’identité canadienne repose sur la dualité culturelle.
Si les tendances actuelles se maintiennent, il deviendra de plus en plus difficile aux hommes politiques agissant au niveau du gouvernement central et même au niveau provincial de justifier les politiques du bilinguisme et du biculturalisme. Des députés fédéraux qui ne représenteraient plus que 20% de la population canadienne n’auraient en effet que bien peu d’influence pour faire accepter à leurs confrères et à la population du reste du pays, les politiques nécessaires au progrès d’une authentique personnalité canadienne.
Les pressions et les tensions deviendraient si intenses qu’elles finiraient par enrayer les mécanismes politiques et administratifs du pays, sans parler des conséquences que cela pourrait avoir sur les choix que pourraient alors faire les Québécois. Et s’il arrivait que les Québécois soient ainsi amenés à chercher une solution en dehors de l’ensemble fédéral canadien, on verrait sans aucun doute les autres provinces canadiennes glisser lentement dans le sillage américain, parce qu’alors l’un des facteurs les plus solides de l’épanouissement d’un pays, le facteur culturel, aurait été amputé d’une de ses composantes essentielles, la présence française au Canada.
[« What does Canada want? »] Je sais qu’il ne veut surtout pas
se priver de l’apport inestimable que représente pour lui une culture française dynamique et créatrice. Depuis quelques années, nombre de nos artistes québécois ont connu des succès éclatants dans les autres provinces du pays; les échanges d’étudiants, de techniciens, de travailleurs et de professionnels ont été multipliés entre nos deux communautés culturelles, la presse, la radio et la télévision ont largement contribué à nous faire connaître les uns aux autres, tout cela s’ajoutant aux multiples rapports que nous avons dans les domaines politiques, économiques et sociaux.
Il y a donc lieu de croire que malgré nos difficultés présentes, nous sommes sur la voie d’une plus grande compréhension entre les différents groupes culturels du pays, cimentant ainsi l’unité du Canada et affirmant avec de plus en plus d’autorité une identité canadienne originale et dynamique.
S’il existe une continuité dans la vie politique québécoise, c’est bien celle de la défense et de la promotion de la culture française.
On ne peut être Premier ministre du Québec sans assumer pleinement cette continuité.
Mais pour véritablement servir la cause de la culture française chez nous, il nous est apparu qu’il fallait dépasser le champ proprement culturel pour travailler à créer des conditions économiques et sociales comparables aux autres sociétés industrielles modernes.
Aujourd’hui, une culture ne peut être vivante sans la prospérité et l’équilibre social.
Nous estimons donc essentiel d’accorder au développement économique du Québec la toute première priorité.
La situation particulièrement grave du chômage et l’accroissement exceptionnel de notre main-d’oeuvre – l’arrivée sur le marché du travail de milliers de jeunes diplômés – nous commandent de prendre les mesures nécessaires pour relancer l’économie et accroître l’emploi.
L’augmentation du volume des investissements publics et privés, l’amélioration de l’efficacité administrative de l’Etat, la présentation d’un budget nettement expansionniste, l’adoption de mesures législatives d’aide au développement industriel, ma récente tournée européenne, voilà autant de gestes qui témoignent de notre volonté de parvenir à apporter à nos problèmes économiques des solutions adéquates.
Comment ne pas souligner ici les avantages considérables qui nous sont offerts par le fédéralisme. Je l’ai déjà dit, la raison d’être du fédéralisme est d’assurer une juste répartition de la richesse et de la croissance entre les diverses régions du pays. Le Québec, comme les autres provinces qui ont des difficultés sur le plan du développement économique, doit continuer de trouver dans le fédéralisme un moyen susceptible d’accélérer le redressement de son économie. Cela m’apparaît essentiel à la stabilité et au progrès du Canada. L’équilibre d’une société moderne ne se satisfait pas du seul accroissement de la richesse ou de la prospérité. Tous les citoyens doivent pouvoir bénéficier des progrès réalisés.
Et cela ne se fait pas – comme on l’a longtemps pensé – par l’action d’une quelconque main invisible. L’Etat doit se donner une politique sociale cohérente, complète et efficace s’il veut vraiment corriger les inégalités et les injustices sociales, assurer une sécurité relative du revenu et satisfaire aux besoins vitaux des individus dans les domaines de la santé, des services sociaux, de l’habitation, de l’éducation et des loisirs.
Vous connaissez sans doute l’action particulièrement dynamique que le Québec a menée dans le domaine social depuis quelques années. La création du ministère des Affaires sociales, l’adoption de notre loi d’assurance-maladie et la publication des travaux exceptionnels de la Commission Nepveu-Castonguay soulignent l’intérêt que le Québec porte au progrès social de ses citoyens.
Le développement économique a toutefois ses limites.
Il n’est donc plus possible aujourd’hui de concevoir le progrès d’une société sans reconnaître l’interdépendance du culturel, de l’économique, du social et du politique.
Nos politiques cherchent à traduire cette complémentarité; elles visent à établir dans toute la mesure du possible un équilibre dans le développement de la société québécoise.
Tout ne peut être fait en même temps. Certains secteurs d’accivités doivent être privilégiés – le développement économique en est un, – il demeure la condition essentielle à notre progrès culturel et social.
Nous préférerons toujours nous attacher à la substance des choses plutôt que de nous laisser entraîner à des querelles de mots ou à des guerres de prestige.
Que ce soit au Québec même ou dans nos relations avec l’extérieur, nous entendons maintenir cette attitude, convaincus que nous sommes que c’est de cette façon que nous pourrons conserver la confiance et l’estime de nos concitoyens et de tous ceux avec qui nous avons à dialoguer.
C’est dans cet esprit que nous envisageons le problème de la révision de la Constitution canadienne.
Notre objectif – est-il besoin de le rappeler – est de définir un fédéralisme souple et fonctionnel. En septembre 1970, le Québec a fait connaître les principes qui le guidaient. Nous voulons peut-être que plus que tout autre gouvernement au Canada, que le dossier constitutionnel progresse. Ce n’est pas d’hier – vous le savez – que nous nous intéressons aux problèmes de la Constitution canadienne.
Nous ne pouvons cependant sacrifier à notre désir commun de voir le dossier constitutionnel progresser, l’essentiel des représentations que nous avons formulées jusqu’à maintenant.
Le Québec entend apporter à l’affirmation d’une authentique personnalité canadienne, une contribution originale, et il pourra le faire en autant que la nouvelle constitution du Canada lui permettra – je parle pour le Québec – de participer pleinement à la solution des problèmes de l’ensemble du pays, tout en lui laissant une marge de manoeuvre telle qu’il puisse développer une véritable personnalité québécoise. Un réaménagement des pouvoirs constitutionnels dans des secteurs tels que la culture, le social, les communications, est à cet égard sans doute nécessaire.
Je voudrais en terminant insister sur la nécessité qu’il y a pour tous les Canadiens de voir dans le Québec non pas un problème, mais bien plutôt un élément essentiel à l’affirmation d’une véritable identité canadienne face à l’accroissement de l’influence américaine dans notre pays.
Le Québec voudrait être une partie de la jeunesse du monde; il voudrait que cela puisse profiter à l’ensemble du Canada.

[QBRSS19700429]

[DISCOURS PRONONCE PAR M. ROBERT BOURASSA, LE VENDREDI 30 AVRIL 1971, AU COLISEE DE QUEBEC, A L’OCCASION DU PREMIER ANNIVERSAIRE DE L’ELECTION DU 29 AVRIL 1970.]

Mes chers collègues, ministres et députés, Mes chers militants.
Il y a environ un mois, à un dîner-bénéfice à Montréal, il y avait plusieurs milliers de militants, un record pour les diners-bénéfices du Parti Libéral du Québec. Ce soir, nous avons ici des milliers et des milliers de militants, un autre record pour une assemblée en dehors des campagnes électorales. C’est ça qui indique, mes chers amis, que le Parti Libéral du Québec est le parti le plus uni, le plus vigoureux et le plus confiant de tous les partis politiques du Québec. Vous en avez là des preuves tangibles.
Je voudrais, mes chers amis, remercier tous les organisateurs. On sait ce que ça représente, de travail et de préparation, durant des semaines et durant des mois, pour arriver à un tel succès. Je voudrais remercier les militants venus de toutes les régions du Québec pour assister à cet anniversaire, donnant ainsi un témoignage vibrant de confiance dans la direction du parti, dans le gouvernement, dans le Parti Libéral.

[I would like to thank very warmly all our Englishspeaking friends who are coming from all regions and to support
the Party. We are a united and strong party, and one of the reasons of this strength is that we are a party open to all races, to all groups. We are the only party in Quebec which is opened to all groups. This is a sign of our strength. This is why we won the election last year.]

Oui, il y a un an, un an et un jour, le Parti Libéral remportait l’une des plus grandes victoires de son histoire. On a essayé de diminuer l’impact de cette victoire par toutes sortes de calomnies, de médisances, de mensonges, de ballons, mais on n’a pas réussi à effacer dans l’esprit de la population la confiance qu’elle a dans le gouvernement. On poursuit encore ces calomnies et ces mensonges. Si la population nous a fait confiance, c’est qu’elle a cru, entre autres, en notre détermination, détermination de relancer l’économie. Lorsque nous avons pris le pouvoir, nous avions cette période de chômage aigu, l’un des plus élevé depuis une décade. Il y a eu un véritable virage du côté économique qui s’est exprimé d’abord par une plus grande efficacité administrative. Ce n’est pas facile de s’attaquer à des problèmes comme ceux de l’efficacité administrative. Ce n’est pas également les problèmes qui sont les plus populaires ou qui sont
les plus flamboyants. Mais nous avons attaqué ce problème parce que nous étions convaincus qu’il n’y a pas un gouvernement qui puisse gouverner d’une façon saine et utiliser l’argent des contribuables qui ne réforme pas l’administration. C’est ce que nous avons fait avec la réforme de l’administration financière, avec le regroupement des mi- – nistères, avec la diminution des dépenses inutiles. Ce sont-là des gestes qui ont peut-être moins d’éclat que d’autres, mais, comme je vous le disais, qui sont absolument vitaux et nécessaires si nous voulons faire face à nos objectifs. Ce sont des mesures qui épargnent les délais, qui raccourcissent les délais, qui sauvent less fonds publics. Et nous avons fait tout cela en présentant à la population du Québec deux budgets sans taxes. Ca ne s’est pas fait souvent.
Nous pourrions énoncer, et je le ferai brièvement, tout ce qui s’est fait par exemple dans l’accroissement des investissements publics, dans la représentation auprès des autorités fédérales quant aux besoins du Québec, et ça a donné des résultats avec l’augmentation des sommes disponibles pour les sociétés d’Etat, comme SOQUEM, comme la SGF., comme l’augmentation des investissements de l’Hydro-Québec, comme les lois spéciales qu’on vous a montrées tantôt, comme les bills 20 et 21, comme les investissements étrangers.
On critique les efforts du gouvernement et du Chef du gouvernement pour aller chercher des investissements étrangers. Mais on n’a pas d’alternative. On n’a pas d’autres solutions si nous voulons trouver ici les emplois nécessaires à tous ceux qui arrivent sur le marché du travail. Nous avons, déjà après un an, et dans des circonstances difficiles, commencé à donner et à faire récolter à la population du Québec les fruits de notre travail. Nous allons le poursuivre, ce travail, dans la direction de la relance économique parce que c’est là la véritable solution au problème québécois.
L’action du gouvernement n’est pas limitée au domaine économique. On a un nombre de lois dans le domaine social, dans le domaine municipal, dans le domaine éducatif, culturel, touristique, du travail, de l’agriculture, sans compter les mesures pour que le français devienne la langue de travail avec l’Office de la langue française. Sans compter ce que nous avons fait pour la réforme électorale. Les négociations avec tout le secteur public. Une centaine de lois qui ont été soit adoptées, soit déposées dans cette première année. Un travail considérable, et ceci en dépit de toutes les crises que vous savez, dont l’une a causé la mort d’un éminent parlementaire et ami, Pierre Laporte.
Oui, toutes ces réformes et ces mesures, ces cent lois, c’est un bilan dont on peut être fiers, nous les libéraux, un bilan qui se compare à celui de n’importe. quel gouvernement, un bilan qui doit être pour nous une source de fierté et de confiance dans l’avenir du Québec. Nous avons donné aux relations fédérale-provinciale une nouvelle approche parce que nous croyons dans le système fédéral pour le Québec. Nous y croyons parce que déjà nous avons récolté des avantages sur le plan économique et financier. J’ai dit que nous n’aurions pas de querelles stériles. J’ai dit que nous ne chercherions pas à multiplier les querelles inutiles, ce que souhaitent les ennemis du régime. Ça ne veut pas dire que, quand c’est nécessaire de le faire, nous n’exprimions pas un désaccord avec le gouvernement fédéral. Je l’ai fait hier, alors que j’ai exprimé ma déception sur la mollesse et l’inconséquence du ministre fédéral de la Justice, notamment au F.L.Q. parce que nous pensions, nous, et nous croyons encore que ça doit être illégal le F.L.Q. Est-ce que nous n’avons pas eu, depuis sept ans, suffisamment de faits, de violence, de morts d’hommes, pour protester avec toute la force dont nous sommes capables contre cette organisation et donner aux autorités de la justice les pouvoirs nécessaires pour réprimer cette violence qui a fait tellement de torts aux Québécois .
Nous allons poursuivre nos efforts avec les mesures qui ont été annonçées qui, tout en étant insatisfaisantes pour le Québec, peuvent permettre de remédier, je l’espére, au moins en partie, au tort qui est déjà fait.
[In a federal system, it’s normal that two governments will not agree on all grounds. It is normal in a federal system that, insome cases, there will be disagreements, because otherwise why should we have a federal system if two governments in a federal system
always agree; why shouldn’t we have one government?]
C’est l’essence même du régime fédéral d’avoir parfois des divergences entre les deux niveaux de gouvernement puisque, autrement, s’il y avait accord total et complet sur tous les points, on n’aurait pas besoin de plusieurs gouvernements dans un régime fédéral. Nous avons l’intention de représenter les intérêts du Québec avec fermeté, avec vigueur, mais non pas avec le négativisme des précédents gouvernements.
Je n’ai pas l’intention de parler longtemps de nos adversaires politiques. Pourquoi perdre son temps à parler de l’Union Nationale? Ils sont en plein désarroi, ils sont divisés et subdivisés. Pourquoi parler du Crédit Social qui s’obstine à s’attacher à un traditionnalisme désuet. Pourquoi parler du Parti Québécois dont l’un des
dirigeants disait, il y a quelques semaines, que le dernier congrès avait montré les signes d’épuisement intellectuel du parti. Mes chers amis, vous n’avez qu’à lire les déclarations de messieurs Parizeau, Bourgault pour vous rendre compte de l’état de ce parti. Quant au chef du Parti Québécois, et aux propos fielleux qu’il a tenus encore hier soir à mon endroit, je laisse la population juger le comportement de cet homme. D’ailleurs, les faits sont là. Hier, au Palais Montcalm, on a constaté l’échec lamentable de cette réunion anniversaire du Parti Québécois. Dans une salle, à peine quelques centaines, trois ou quatre cents personnes, ont répondu à l’invitation de leur chef René Lévesque. Eh bien voilà, René Lévesque, la réponse de la population à la calomnie et au dépit que vous avez manifesté depuis l’élection. Quand on voit ce que la violence verbale a fait dans les récents mois, quand on voit ce que la violence verbale fait, et qu’elle a des prolongements dans les actes, il y a une responsabilité pour les chefs de file de mesurer leurs paroles et la portée de leurs paroles.
Mes chers amis, vous avez vu ce soir, dans les premiers comptes rendus, un bilan. Nous avons donné au Québec un nouveau style d’administration. C’est vrai que les questions économiques se prêtent mal aux discours flamboyants. Mais c’est précisément parce que ce style d’hier nous paraissait mal adapté au Québec d’aujourd’hui que nous avons voulu rompre avec ce modèle désuet de relations entre gouvernants et gouvernés. C’est pourquoi nous avons répété souvent, ici et plus récemment en Europe, que sans prospérité, un peuple a peut-être un passé mais pas d’avenir! Qu’adviendrait-il de notre culture, à laquelle je suis attaché au même titre que tous les Québécois, fiers de leur langue, de leur originalité d’être. S’il fallait que des conditions économiques défavorables nous empêchent de participer aux fruits de la prospérité, le Québec est probablement la première société du monde qui n’a pas les moyens d’être pauvre. Nos frontières ouvertes sur le géant américain nous font ressentir immédiatement et brutalement tout écart significatif des niveaux de vie dans la croissance et la prospérité. Ceci a des avantages, mais ça comporte aussi des risques. Le petit nombre que nous sommes ne résistera pas pendant longtemps à l’attrait des hauts niveaux de vie et des emplois bien rémunérés si nous ne réussissons pas collectivement à améliorer de façon sensible la situation économique du Québec. Inutilisés ou sous – employés, les talents québécois, formés avec de grands sacrifices dans nos institutions d’enseignement, se tourneront tôt ou tard vers le Sud eu leur compétence pourra être mise à profit. Voilà donc pourquoi nous poursuivons cette lutte. Voilà donc pourquoi nous accordons tellement d’importance au développement considérable de la Baie James.

On vous a montré tantôt l’essor économique que ceci pouvait comporter pour le Québec. Nous l’avions pressenti cet essor puisque l’un des premiers gestes administratifs qui ont été faits a été la formation d’un comité interministériel. Depuis quelques mois, on a multiplié les rencontres, les négociations, les discussions. Je prenais connaissance à midi d’une lettre datée d’hier et que m’a fait parvenir le Président de l’Hydro-Québec. Dans cette lettre, il est dit: [« L’Hydro-Québec, se basant sur différentes études, recommande au Gouvernement du Québec que lé projet de développement des ressources hydro-électriques de la Baie James soit entrepris sans délai. »] Voilà la recommandation de l’Hydro-Québec. L’Hydro-Québec prend ainsi position sur ce projet de quelque 5 à 6 milliards de dollars et recommande également la formation d’une société ou d’une corporation d’Etat où le gouvernement serait participant, eu l’Hydro-Québec serait également participant et où le public pourrait également participer de telle manière que l’ensemble des Québécois soient en mesure de contribuer à ce tournant et à ce
grand essor économique.
Mes chers amis, tout ce que je puis vous dire, à la suite de cette lettre du Président de l’Hydro-Québec, c’est que le gouvernement est d’accord avec cette recommandation, et je le dis avec confiance, avec fierté comme Québécois. Je n’ai pas à revenir sur les détails qu’on vous a donnés tantôt, montrant que des centaines de millions pourraient être dépensés et vont être dépensés, que ce soit pour des turbines, des alternateurs, des transformateurs, l’appareillage électrique, le ciment, l’acier de charpente. Qu’est-ce que ça veut dire, mes chers amis? Ca veut dire que toutes les régions du Québec vont profiter de cette relance économique, non seulement le Nord et le Nord-Ouest, mais toutes les régions du Québec qui vont pouvoir tirer profit de cet immense développement. Et lorsque nous parlions il y a un an de développement régional, nous avions à l’esprit des projets comme ceux-là, qui ont des retombées économiques dans toute la province. Projet sans précédent dans l’histoire économique du Québec. Un point tournant dans notre histoire. Le développement de la Baie James, c’est la clef du progrès économique du Québec, et parce que c’est la clef du progrès économique du Québec, c’est la clef également du progrès social et de sa stabilité politique. En un mot, c’est la clef de l’avenir du Québec.
J’ai parlé combien de fois du cercle vicieux dans lequel nous étions au Québec. Cercle vicieux sur le plan économique parce qu’avec beaucoup de chômeurs, ça coûte cher d’assistance sociale. Il y a donc moins d’argent dans le budget pour le développement économique.
En conséquence, il y a plus de chômeurs qui coûtent plus cher d’assistance sociale, donc moins d’investissements. C’est ce cercle vicieux là qu’on va être capable de briser avec la Baie James.
C’est également une réponse à l’inquiétude et à l’angoisse de milliers de jeunes. La jeunesse nous a fait confiance.
J’ai répondu en donnant au Québec le plus jeune Cabinet de son histoire. Nous savons bien qu’il y a des milliers de jeunes actuellement qui sont inquiets de leur avenir. Il y a des milliers de jeunes au Québec qui veulent rester et travailler au Québec. Je veux, moi, comme chef du gouvernement québécois, je veux qu’ils restent et qu’ils travaillent au Québec. Ils vont rester, et ils vont travailler, au Québec avec des projets comme la Baie James.
Nous nous rendons bien compte de l’importance de ce projet. Nous nous rendons compte que ce grand projet collectif est peut-être là moins dans les discours et les rêves que dans les efforts concrets visant à libérer le sol québécois de ses inépuisables ressources énergétiques. Lorsqu’on songe au Québec aux immenses richesses de son sol et de son sous-sol, je ne puis envisager l’avenir qu’avec confiance et espoir. Il ne sera pas dit que nous vivrons pauvrement sur une terre aussi riche, en Amérique, chez-nous. Beaucoup reste à entreprendre. . Le développement du potentiel hydro-électrique de
la Baie James, c’est le symbole même d’un Québec au travail, de la volonté de progrès de ses citoyens, de son espoir de sortir d’une situation d’infériorité économique qui freine son élan et entrave sa course. Il faudra, bien sûr, du courage, de la patience et des efforts pour tirer du Québec le maximum de ses ressources et de sa puissance.
Dans cette tâche, le gouvernement a un rôle indispensable et il a l’intention d’assumer dès aujourd’hui toutes ses responsabilités. Mes chers amis, nous avons dit l’an dernier que nous allions gouverner ensemble. Depuis un an, cette solidarité et cette unité dans le Parti Libéral du Québec a été réconfortante et encourageante pour le chef du Parti. Les députés, les ministres, les militants, je veux tous les remercier, le plus sincèrement et le plus chaleureusement possible, de cet appui indéfectible qu’ils m’ont accordé depuis un an.
Je tiens à souligner, alors que nous voyons au Québec et ailleurs des signes de division dans la plupart des partis, je tiens à souligner cette solidarité et cette unité qui nous permettent à nous tous de surmonter ce grand défi québécois. Nous pouvons regarder l’avenir avec confiance et fierté. Tous les groupes du Québec le peuvent
maintenant, après cette expérience d’un an qui a démontré par les faits des résultats concrets. Nous pouvons envisager cet avenir avec confiance et fierté. Plus que jamais l’avenir du Québec est avec le Parti Libéral du Québec!

[QBRSS19710503]

[CONFERENCE PRONONCEE PAR MONSIEUR ROBERT BOURASSA A L’ASSEMBLEE GENERALE ANNUELLE DE LA DIVISION DU QUEBEC DE L’ASSOCIATION DES MANUFACTURIERS CANADIENS
MONTREAL, Le 3 mai 1971]

Votre association célèbre cette année le centenaire de sa fondation. Je viens donc au nom du gouvernement du Québec vous dire tout le plaisir que j’ai à être parmi vous et combien le Québec apprécie la contribution de votre association à ses objectifs de croissance économique.
Le développement économique demeure la grande priorité du gouvernement. Ce n’est sûrement pas la difficulté de la tâche à accomplir qui nous fera reculer. Bien au contraire, les obstacles que nous pouvons rencontrer sur la voie que nous avons choisie augmentent notre détermination, notre volonté de réussir. Nous devons relancer l’économie du Québec, c’est la condition essentielle du progrès social, culturel et politique du Québec.
Votre réunion annuelle me fournit l’occasion de réaffirmer la politique que le gouvernement suit pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés, soit un taux de croissance plus rapide, une régression du chômage, une hausse du niveau de vie, une juste
volonté de réussir.
Ce n’est pas à des hommes d’affaires qu’il faut prouver la nécessité d’une relance économique au Québec. Je citerai seulement quelques chiffres pour en faire voir l’évidence. Les investissements au Québec, entre 1950 et 1965, se sont maintenus à un niveau constant par rapport à l’Ontario et à l’ensemble du pays. Ils ont atteint. leur plus haut point en 1964 avec 75.5 % des investissements ontariens et 25.8 % des investissements canadiens. A partir de 1965, nous assistons à une baisse d’une inquiétante constance: en 1970, les investissements au Québec ne sont plus que 48.3 %t de ceux de l’Ontario et 19.2 %t de ceux du Canada. De 1950 à 1970, le Québec a investi une large part de son capital dans les services, privant ainsi le secteur secondaire de fonds considérables; cela explique que le Québec est la province comptant le plus haut pourcentage de sa main-d’oeuvre active engagée dans le secteur des services.
Le ralentissement de la vie économique a entraîné un freinage correspondant de l’accroissement démographique. Au cours des dernières années le Québec a cessé d’être un pays d’immigration et il est sur le point d’en devenir un d’émigration. La baisse du taux
de natalité, jointe à un mouvement migratoire négatif, nous fait aboutir à une situation qui pourrait devenir sérieuse sur le plan économique si elle n’est pas immédiatement corrigée.
Ce qu’il nous fait faire, c’est de renverser le mouvement: Il faut créer des emplois, résorber le chômage, ouvrir des débouchés à une jeunesse plus instruite et facilement impatiente, accroître la capacité concurrentielle des producteurs québécois.
Les facteurs de relance économique
Le dynamisme de la population.
Commençons, si vous le voulez bien, par revoir quelques-unes des règles du jeu. Nous vivons dans une société où la liberté d’initiative des individus n’est limitée que par les exigences du bien public et l’obligation pour chacun de respecter le droit des autres.
N’importe qui, n’importe quand et presque n’importe où est libre de se livrer à des activités de commerce et d’industrie. Dans une telle société, le rythme des affaires peut être le reflet du dynamisme et de la créativité d’une population. Quelles que soient les incitations financières, fiscales, législatives auxquelles les gouvernements ont recours pour pousser les hommes à être plus entreprenants, si nous manquons d’imagination, de jugement, d’ambition, de goût du risque, c’est peine perdue. Autrefois les pays étaient riches parce qu’ils regorgeaient de richesses naturelles; aujourd’hui, avec la technologie
avancée et les transports et«communications faciles, c’est ce que les hommes ont ou n’ont pas dans le cœur et dans la tête qui fait leur prospérité ou leur misère.
A l’origine de toutes les grandes aventures commerciales, industrielles et financières qui marquent le progrès des deux derniers siècles, vous trouvez toujours un ou quelques hommes qui ont osé et qui, ayant osé, ont persévéré. Qu’ils portent le nom de Henry Ford ou Armand Bombardier, ces hommes exceptionnels ont jalonné de leurs succès le cheminement des sociétés dans lesquelles ils ont déployé leur activité.
Je dis ces choses parce que je voudrais que vous, producteurs de biens matériels, soyez conscients que la relance économique du Québec est impossible sans vous. Vous et tous ceux qui, ayant une idée, auront l’audace de la réaliser. Vous voulez que le Québec accède vraiment au rang d’une société industrielle avancée, vous voulez d’une société québécoise équilibrée, vous avez comme entrepreneurs une responsabilité très grande et personne ne peut pour vous assumer cette responsabilité.
Quand je fais appel aux investisseurs privés pour développer le Québec, je pense évidemment à vos besoins considérables en capitaux, je pense aussi au potentiel d’imagination, de savoir-faire, de dextérité naturelle, d’astuce commerciale et industrielle que tout investisseur apporte avec lui. Ce [« know how »] ne se chiffre pas, il compte en fait beaucoup plus que les millions eux-mêmes.
C’est cela qu’il nous faut comprendre au Québec. Une société québécoise véritablement ouverte sur le monde moderne, ne peut pas se priver des connaissances, des idées et de l’expérience de ceux-là qui ont ici au Québec ou ailleurs dans le monde prouvé hors de tout doute l’efficacité de leur technique et de leur « management ».
Les capitaux
Des capitaux privés, il en faut d’ici et d’ailleurs. Et ces capitaux, risqués dans des conditions définies d’avance, ont droit de recevoir leur récompense ou leur châtiment, c’est-à-dire des profits ou des pertes. Certains poussent des hauts cris quand ils voient que des étrangers investissent chez nous. Leurs commentaires témoignent presque toujours d’une méconnaissance profonde du fonctionnement d’une société industrielle et surtout, ce qui est plus grave, des données de fait de la réalité économique du Québec. Les ressources financières de l’Etat sont limitées; même si notre épargne est importante, nous n’investissons pas suffisamment dans des secteurs productifs.
On peut évidemment choisir d’augmenter le fardeau fiscal, mais alors la question qu’il faut se poser est la suivante. Le pouvons-nous vraiment? On peut opérer une réorientation de nos affectations budgétaires pour accroître le volume de nos investissements publics. N’oublions pas toutefois que cela ne se fait pas facilement – 75 % de notre budget est consacré aux fins d’éducation, d’assistance et de sécurité sociale.
On peut accroître le volume de notre épargne. Le voulons-nous vraiment? Acceptons-nous facilement de couper nos dépenses de consommation pour ensuite investir ces sommes dans l’industrie?

Il nous faut répondre à ces questions. Et même si au niveau de l’Etat nous parvenions à augmenter nos ressources financières, à accroître notre efficacité et notre productivité pour dégager des sommes additionnelles pour la relance économique, même si au niveau individuel, nous décidions d’investir davantage dans l’activité industrielle et commerciale du Québec, nous ne pourrions nous passer des capitaux étrangers pour atteindre d’une façon raisonnable le plein emploi, hausser notre niveau de vie et diminuer l’écart entre les riches et les pauvres.
Et même si nous pouvions nous passer de capitaux étrangers, ce serait une erreur de le faire parce qu’alors nous nous priverions des avantages technologiques et administratifs considérables dont nous bénéficions toujours lorsqu’un industriel étranger choisit de venir chez nous.
Alors à défaut du système idéal qui existe dans les livres mais non dans la vie réelle, nous préférons une politique économique d’ouverture car nous sommes convaincus que l’entreprise industrielle et commerciale demeure l’un des moteurs principaux de l’activité économique.
Le rôle de l’Etat
Semblables en cela à l’ensemble de la population, vous aspirez à la stabilité politique et à la paix sociale. Et en cela, le gouvernement que je dirige entend assumer sa responsabilité. Les moments difficiles que nous avons traversés depuis un an n’ont en rien entamé notre attachement indéfectible aux valeurs démocratiques de notre société. La stabilité politique n’interdit en rien la discussion, voire la contestation. La liberté des hommes est illusoire sans la libre circulation des idées; c’est par la tête que les hommes commencent à être libres. Mais la violence sous toutes ses formes, dans la rue et dans les assemblées, dans les écoles et dans les entreprises, qu’elle soit l’expression d’une idéologie ou l’aboutissement d’un conflit d’intérêts, n’a pas de place dans une société d’hommes civilisés. Nous voulons être accueillants à toutes les expressions d’opinion et nous montrer prêts à examiner les solutions qu’on nous propose, mais il faut qu’on sache également que c’est l’Assemblée nationale qui est souveraine et que c’est le gouvernement qui est investi de l’autorité légitime et qui a à répondre de ses actes devant le peuple.

Le gouvernement doit maintenir l’ordre et tenir en échec les éléments qui s’emploient à le détruire. Mais là ne se limite pas sa responsabilité. Il doit faire davantage; il doit créer une société dans laquelle les citoyens puissent bénéficier de conditions économiques, sociales et culturelles acceptables. La société idéale n’existe pas. Le niveau
guerre, les soins médicaux et hospitaliers sont gratuits, les mesures d’assistance et de sécurité sociales sont de plus en plus nombreuses, l’éducation est accessible à
tous, les vacances et les voyages ne sont plus un privilège de riches, l’automobile est à la portée de toutes les bourses, et malgré cela, nous le savons, nous avons toujours de pressants besoins à satisfaire.
Il y a des tensions dans nos sociétés modernes. Ces tensions, elles existent autant dans les sociétés socialistes que dans les nôtres, avec cette différence soulèvements comme ceux qui se sont produits, en 1956 en Hongrie, en 1968 en Tchécoslovaquie, en 1970 en Pologne.
Au niveau de l’entreprise industrielle, ces tensions, ces insatisfactions des employés
parfois par la grève. En 1970, le secteur privé du Québec a connu peu de conflits majeurs; en fait, la situation du Québec fut l’une des meilleures au pays. Sans avoir atteint à la paix industrielle, objectif impossible à réaliser dans une société de libre concurrence, nous nous acheminons vers un certain équilibre des forces en présence. Au cours des dernières années, certaines lois ont pu bouleverser le climat de nos relations industrielles; à l’expérience, la situation semble cependant devoir se stabiliser. De même, nous avons mis l’accent dans nos législations et nos mesures administratives sur l’éducation, le culturel et le social.
Il nous est toutefois apparu que pour l’efficacité elle-même de toutes ces mesures, il fallait concentrer nos efforts sur le développement économique du Québec, sur une politique plus vigoureuse de production de la richesse dans notre milieu. Nous avons, je pense, au cours des douze derniers mois réalisé un changement majeur dans les priorités gouvernementales. Les besoins des citoyens québécois l’exigeaient, nous avons d’ailleurs été élus pour cela, et c’est ce à quoi nous nous appliquons.
Le plein emploi
Pour ramener le chômage à un niveau acceptable tout en augmentant la productivité, le Québec a besoin d’accroître sensiblement ses investissements publics et privés. Ceux-ci devront atteindre une moyenne annuelle de $5,7 milliards durant la période 1971-76, ce qui représente une hausse considérable sur les $3,3 milliards des cinq dernières années.
Ce qu’il nous faut surtout, c’est une industrie primaire qui mette en valeur les richesses naturelles que nous avons, et surtout une industrie secondaire plus agressive et plus concurrentielle animée de l’ambition de vendre ses produits partout au Canada, en Amérique, dans le monde entier.
En vue de trouver les capitaux dont nous avons besoin et d’inviter les investisseurs à élire domicile au Québec, je suis allé à New-York d’abord, puis j’ai fait la tournée de cinq pays européens durant les dernières semaines. Partout, j’ai tenu le même langage: Québec est une terre d’avenir, venez vous y installer, vous y serez bien accueillis.
Il convenait sans doute de finir cette tournée des capitales en s’adressant à ceux qui sont déjà installés chez nous, qui y ont des usines, des services techniques et commerciaux. Les membres de votre Association connaissent le Québec. Ils savent que le climat économique est sain, notre population aspire à la tranquillité, la main-d’oeuvre est laborieuse et de plus en plus compétente, les jeunes cadres reçoivent une préparation plus poussée, les services de santé, d’éducation, de loisirs se comparent à ce qu’il y a de meilleur »au Canada. Vos membres savent cela et je suis confiant qu’ils sont prêts à collaborer à l’effort que nous faisons pour relancer le Québec sur la voie du progrès.
La hausse de la productivité
La productivité de l’industrie québécoise est inférieure à celle de l’Ontario, à la fois par travailleur et par capital engagé. Ce n’est pas parce les patrons du Québec sont moins progressifs ni que les travailleurs sont moins bons. La raison fondamentale, que l’industrie québécoise se consacre davantage à la production de biens de consommation qu’à celle de biens d’équipement: beaucoup de textile, de confection, de meubles, de chaussure, et moins d’acier, de mécanique, de matériel de transport. Sans nier l’apport irremplaçable de l’industrie légère à l’activité économique de la province, nous désirons favoriser la croissance d’une industrie lourde et techniquement avancée, où l’investissement et la production par homme sont élevés.
Cette orientation nouvelle sur laquelle reposent nos récentes législations d’aide au développement industriel aura pour effet d’élever le niveau de vie des travailleurs, d’accroître les profits et par conséquent l’autofinancement, d’élargir les marchés à la taille du continent. Grâce à cette voie de communication merveilleuse qu’est le Fleuve Saint-Laurent, le Québec est placé à un point stratégique du continent nord-américain; la Voie Maritime lui ouvre tout [l' »interland »], alors que la navigation d’hiver lui donne accès douze mois par année aux sept mers du globe.
Messieurs, voilà quelques-unes des réflexions que je voulais vous livrer au retour des contacts que j’ai eus depuis un mois avec les hommes d’affaires des deux continents. Jetez un coup d’oeil sur la carte de l’Amérique du Nord et vous verrez que les deux rives du Saint-Laurent entre Montréal et Sept-Iles ont une vocation naturelle pour l’industrie lourde: les matières premières peuvent y arriver du monde entier et repartir dans toutes les directions sous forme de produits ouvrés. La vallée du Saint-Laurent est destinée à plus ou moins brève échéance à se transformer en une vallée du Rhin ou un corridor Hokafdo. N’attendons pas que ce soit les Japonais ou les Allemands qui viennent nous révéler l’existence de cette immense richesse. Prenons-en conscience et faisons-le nous-mêmes.

[QBRSS19710528]

[CONFERENCE PROVINCIALE-MUNICIPALE
Palais des Congrès de Québec QUEBEC, 28 mai 1971]

Monsieur le Président,
Chers collègues,
Chers amis,
Cette première Conférence provinciale-municipale aura atteint son but. Dans un esprit de collaboration et de coopération, nous avons pu avoir durant ces deux jours, un dialogue franc et constructif sur l’ensemble des problèmes municipaux. Nous avons pu constater jusqu’à quel point la perception que nous avions de ces problèmes pouvait varier selon que nous les regardions globalement c’est-à-dire à l’échelle de la province, ou localement
c’est-à-dire à l’échelle d’un territoire urbain ou rural nécessairement plus limité.

Les discussions de ces deux journées mémorables ont clairement mis en évidence la nécessité d’adopter des politiques flexibles et souples si nous voulions vraiment trouver des solutions pratiques et efficaces à l’ensemble de nos problèmes municipaux. Ces problèmes, ils varient considérablement en volume comme en importance d’une région à l’autre et, même a l’intérieur d’une même région, ils s’expriment dans des termes différents selon que l’on se trouve en milieu urbain ou rural.
Une véritable politique municipale doit tenir compte de ces dimensions multiples des problèmes municipaux, cela fait partie de la réalité è laquelle nous avons a faire face.
Le gouvernement du Québec a la responsabilité d’assurer le progrès et le développement de l’ensemble du territoire québécois. Sa politique municipale vise à garantir au citoyen québécois, quel que soit le milieu dans lequel il vive, une qualité de services municipaux comparables et uniformes, d’une région à l’autre du Québec. C’est là notre responsabilité et nous entendons l’assumer, non pas dans une conception globalisante et nécessairement théorique et abstraite mais plutôt en faisant en sorte que nos politiques municipales rejoignent le concret des choses, c’est-à-dire qu’elles puissent satisfaire aux exigences du développement de l’ensemble du Québec comme à celles des besoins et des caractéristiques du milieu local ou régional dans lequel un problème municipal se pose.
Cette Conférence provinciale-municipale aura été avantageuse tant pour le gouvernement que pour les municipalités et la population du Québec en général. Elle nous aura permis de nous sensibiliser davantage à l’ampleur de nos problèmes et à la complexité des solutions qu’il nous faut, ensemble, inventer. Je dis ensemble parce que telle est bien l’une des conclusions majeures de cette conférence. Le gouvernement et les municipalités doivent absolument travailler ensemble, coordonner leur action, entretenir des rapports constants et mieux structurés.
Les nombreux mémoires, commentaires et suggestions que vous nous avez transmis permettront au gouvernement de reviser certaines positions et de mieux adapter à la réalité d’aujourd’hui nos politiques et nos structures.
Il nous faut faire face aux conditions nouvelles que le changement nous impose: prévoir ce que demain nous réserve et dès maintenant nous équiper en conséquence.
En acceptant des responsabilités d’administrateurs élus, de représentants du peuple québécois, à quelque niveau que ce soit, nous avons en même temps accepté de le servir au meilleur de notre connaissance et pour le bien servir, il nous faut disposer de moyens nouveaux, d’instruments modernes pour assurer la prospérité économique et le progrès social de toutes les régions et municipalités du Québec.
Depuis deux jours, vous avez discuté de la réforme des structures municipales et du partage des compétences entre l’Etat et les municipalités et vous avez échangé des opinions sur les critères, les principes et l’orientation d’une réforme de la fiscalité municipale. Vous avez démontré votre volonté de vous adapter aux exigences d’une société moderne et vous avez accepté de participer à son évolution et je vous en félicite.
II nous faudra maintenant, ensemble, passer à l’action. Le gouvernement du Québec est prêt a prendre ses responsabilités en adoptant des politiques dynamiques dans tous les secteurs de l’activité économique, sociale et culturelle.
Les municipalités du Québec seront-elles en mesure de nous seconder, de nous appuyer et d’emboîter le pas? J’en ai personnellement la conviction et je n’ai aucun doute que vous saurez assumer, à votre niveau, les lourdes responsabilités qui sont vôtres.
Il m’apparaît essentiel que nous nous donnions de nouveaux mécanismes de consultation afin que ce dialogue que nous avons engagé depuis deux jours, se poursuive et qu’entre deux Conférences provinciales-municipales, l’évolution de nos structures et la coordination de nos politiques puissent continuer de se faire.
La préparation de la présente Conférence provinciale-municipale a permis au gouvernement de se faire une idée plus juste de l’ampleur de ses activités a
caractère municipal et du nombre extraordinaire des programmes, des subventions de des services fournis aux municipalités par les ministères ou organismes gouvernementaux.
Nous nous sommes rendu compte aussi des lacunes et des faiblesses relatives de l’ensemble de ces mesures. Nous avons, nous aussi, à réformer certaines de nos méthodes.
Les recherches et les travaux qu’ont dû effectuer plusieurs comités interministériels nous ont d’autre part démontré la carence grave qui existe actuellement sur le plan de la qualité
des statistiques municipales et des informations générales disponibles.
Les réformes que nous préconisons sont justifiées. Pour mener à bien ces réformes, nous devons posséder des instruments plus précis et des mécanismes plus élaborés de coordination et d’information dans le domaine de la fiscalité et de l’administration municipales.
Par ailleurs, nous sommes aussi obligés de nous assurer que les argents additionnels mis dans l’avenir à la disposition des municipalités du Québec, seront générateurs de progrès économique et social pour l’ensemble du Québec. Toute réforme municipale qui resterait en marge des grandes priorités de la société québécoise risquerait à la longue de desservir les intérêts véritables du Québec.
Voila pourquoi, nous devons modifier en profondeur les systèmes comptables
de nos municipalités et moderniser les procédures et les structures de gestion en vue d’en faire de véritables outils d’analyse et de contrôle adaptés à l’administration municipale moderne. L’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons actuellement de faire une évaluation concrète à la fois de la capacité administrative, de l’effort fiscal et de la contribution économique et sociale de nos municipalités rend encore plus difficile et plus ardue la solution de nos problèmes municipaux.
Le gouvernement s’apprête, dans plusieurs domaines, et parmi les principaux, je mentionnerai plus particulièrement l’évaluation foncière, la planification municipale, l’urbanisme, le développement industriel, la protection du milieu, à accroître considérablement les pouvoirs des municipalités.
Ces modifications du cadre traditionnel d’opération de nos municipalités posent le problème de la réforme des structures et de la fiscalité municipales.
Le ministre des Affaires municipales a eu l’occasion de discuter longuement avec vous de la réforme des structures municipales et d’un nouveau partage des responsabilités provinciales-municipales. A partir du Livre Blanc rendu public récemment sur la réforme des structures municipales, vous avez eu au cours de la journée d’hier des échanges fructueux et constructifs.
Cet après-midi, on vous a remis un document de travail sur le financement municipal. Dans son allocution, le ministre des Finances a insisté sur les trois grands principes qui ont guidé le gouvernement dans l’élaboration de ses propositions de réformes de financement municipal, à savoir: une plus grande égalité de l’effort fiscal d’une municipalité a l’autre, la recherche d’un niveau d’effort fiscal tolérable pour le contribuable et un accroissement des revenus des municipalités de façon à ce qu’elles puissent faire face à leurs obligations.
Le ministre des Finances vous a fait part de certaines modalités de cette réforme; il vous a annoncé, au nom du gouvernement, que l’ensemble des revenus additionnels qui seront accessibles aux municipalités en vertu des propositions soumises constituait sur une base de cinq ans, une somme de près de $300 millions.
Parmi ces modalités, je vous rappelle particulièrement la décision du gouvernement d’opérer graduellement le transfert du champ de l’impôt foncier scolaire vers les municipalités en diminuant le taux normalisé d’impôt foncier scolaire de 0.15c par $100. 00 d’évaluation sur une période de cinq ans.
Par ces nouvelles politiques et par d’autres qui suivront à mesure que nous avancerons dans nos études et nos recherches, nous verrons à faire disparaître ce sentiment de dépendance de la municipalité face à l’Etat. Nous voulons développer, entre nos deux niveaux de gouvernement, une interdépendance et une complémentarité de plus en plus grandes.
Cette interdépendance de la municipalité et de l’Etat est encore plus nécessaire au Québec que partout ailleurs au Canada. Notre situation particulière, par rapport au reste du pays et à l’Amérique du Nord, exige que nous fassions bloc, que nous développions un esprit de collaboration et de solidarité dans tous les domaines et plus particulièrement dans l’exercice de nos responsabilités respectives.
Le gouvernement du Québec vous demande aujourd’hui de devenir de véritables collaborateurs et partenaires dans la réalisation des grands objectifs de la société québécoise.
Les problèmes et les responsabilités tant des municipalités que du gouvernement du Québec croissent à une vitesse vertigineuse. Nous ne pouvons certes pas arrêter le phénomène de l’urbanisation et de l’industrialisation, nous devons cependant apprendre à le maîtriser. Nous devons l’orienter en fonction de nos objectifs et de nos priorités.
Les municipalités, munies d’outils adéquats et de ressources financières suffisantes, pourront collaborer avec nous afin d’assurer le progrès économique, social et culturel du Québec.
Je veux vous assurer ce soir, en vous félicitant de votre participation nombreuse et active à cette première Conférence provinciale-municipale, de mon profond désir de voir ces rencontres se répéter aussi souvent que possible et d’établir, avec les municipalités du Québec, les relations les plus étroites dans tous les secteurs ou notre communauté d’intérêts le justifiera.
Je voudrais en terminant, remercier bien sincèrement tous ceux qui ont fait de cette conférence un succès.
Enfin, je vous demande à tous d’être plus que jamais les artisans d’une nouvelle société que le Québec a commencé à bâtir.

[QBRSS19710603]
[NOTES POUR UNE ALLOCUTION MONSIEUR ROBERT BOURASSA PREMIER MINISTRE DU QUEBEC AU CONSEIL DE PLANIFICATION ET DE DEVELOPPEMENT DU QUEBEC QUEBEC, le 3 juin 1971]

Monsieur le président, Messieurs,
L’objectif prioritaire du gouvernement actuel, je l’ai souligné à maintes reprises, c’est la relance économique.
La situation est telle au Québec qu’il ne suffira pas d’apporter de simples correctifs immédiats à des difficultés perçues comme purement temporaires. Il faudra nous attaquer à la modification des structures mêmes de notre économie et inventer des moyens nouveaux qui auront un impact véritable sur la croissance.
Une telle relance du développement du Québec ne peut être le fait que d’une volonté explicite de tous les centres de décisions qui agissent au Québec, que ces centres soient du secteur public ou du secteur privé.
Le gouvernement pour sa part s’est résolument engagé dans la mobilisation de l’ensemble des ressources dont il dispose à des fins de développement. La Loi de la réforme de l’administration financière, l’institution d’un nouveau Conseil du Trésor, la création d’une Société de développement industriel, la négociation et la mise en oeuvre d’ententes fédérales-provinciales qui ont canalisé vers des programmes conjointement planifiés et sélectionnés des sommes qui dépassent les cent millions de dollars, la mise en oeuvre de grands projets d’investissement industriel dont le démarrage requérait son intervention directe, toutes ces actions posées par le gouvernement du Québec s’inscrivent dans la perspective de la relance économique et de l’adaptation de l’appareil gouvernemental aux exigences de cette priorité.
Nous sommes bien conscients cependant, et je l’ai mentionné à plusieurs reprises, qu’une économie ouverte comme la nôtre sur tout le continent nord-américain et, de ce fait, inévitablement orientée selon les moeurs économiques de l’Amérique, ne saurait être entièrement déterminée par les actions de l’Etat, si importantes que ces actions puissent être. Dans notre contexte, c’est encore et pour longtemps le secteur privé, le milieu lui-même qui canalisent les décisions les plus déterminantes pour le développement.
C’est dans ce cadre général que la création du Conseil de Planification et de Développement du Québec prend toute sa signification. C’est dans cette perspective que nous avons conçu sa composition. C’est dans cette perspective également
que nous concevons son mandat et les modes d’exerercice de ce mandat.

Tel que nous l’avons composé, le Conseil assure une présence structurée et organique de
de la population à la détermination des objectifs et des priorités de développement que le gouvernement du Québec a le devoir d’identifier et de réaliser pour le mieux-être de la collectivité québécoise.
Le type de représentation au Conseil de planification correspond aux grandes dimensions intersectorielles et interrégionales de la planification globale au palier de l’ensemble du Québec.
Le Conseil est la rencontre des grands conseils sectoriels de l’éducation, des universités,
de l’industrie, du travail et de la main-d’oeuvre et des affaires sociales et de la famille, qui eux-mêmes ont déjà leurs propres racines dans les secteurs qui correspondent à leur mandat.
Par ailleurs, la présence du milieu est assurée par une autre forme d’enracinement qui fait appel aux grands organismes qui encadrent le milieu au palier provincial proprement dit: le Conseil du patronat, les centrales syndicales, l’Union catholique des cultivateurs, le Conseil de la coopération, la Fédération des commissions scolaires.
De plus, par la présence des gouvernements municipaux via l`Union des municipalités et les maires de la métropole et de la capitale qui sont, par ailleurs, les présidents des Conseils des Communautés urbaines de Montréal et de Québec, le Conseil participera au même courant de dialogue que nous avons amorcé la semaine dernière à la Conférence provinciale-municipale.
Cette représentation s’accompagne d’une représentation interrégionale grâce à la présence de délégués des Conseils régionaux de développement dont l’assiette territoriale couvre pratiquement toutes les régions du Québec.
Le mandat du Conseil et ses modalités d’exercice
Selon la loi de l’Office dans le cadre de laquelle a été institué le Conseil de la Planification et du Développement du Québec, celui-ci a pour fonction de donner des avis à l’Office, sur toutes questions qu’il lui soumet relativement au développement du Québec et aux plans, programmes et projets de développement économique et social et d’aménagement du territoire élaborés par l’Office.
L’exercice du rôle consultatif du Conseil est ainsi subordonné à une demande préalable d’avis de la part de l’Office. Il y a là une limitation manifeste du rôle qu’un organisme aussi important que le Conseil est appelé à jouer.
Il est essentiel, en effet, que le Conseil ait l’obligation de fournir des avis sur les dossiers provenant de l’organisme chargé de la planification du développement au Québec. Il est également fondamental que le Conseil puisse s’exprimer auprès de l’Office et des ministères responsables sur tous les problèmes de développement économique et d’aménagement du territoire, dont vous jugeriez collectivement opportun, pour l’intérêt de la collectivité québécoise, de vous préoccuper.
Pour ce qui le concerne, l’Office sollicitera en priorité votre avis sur les schémas du développement du Québec, actuellement en voie de préparation. Aujourd’hui même, on vous remettra la première version du schéma de développement économique. Dès votre prochaine séance, au début de juillet, on vous remettra un document où on commencera à définir dans une perspective d’aménagement du territoire, les vocations propres aux diverses régions du Québec et à ses pôles de croissance.
En second lieu, à ce type de questions d’ordre global, on pourra ajouter bon nombre de problèmes urgents qui touchent à la fois des aspects régionaux et des aspects sectoriels du développement:
– Rapport de la Mission de planification du Nord-Ouest québécois;
– Rapport de la Commission de développement de la région de Montréal sur le développement de la sous-région nord de Montréal, en liaison avec l’implantation du nouvel aéroport de Ste-Scholastique;
Les études relatives aux zones spéciales à l’Entente de Coopération: pour le développement de l’Est du Québec, à la Mission de l’Estrie;
Les modalités d’exercice du mandat confié au sous-ministre de l’Industrie et du Commerce de coordonner l’ensemble des investissements industriels au Québec; La politique de sécurité du revenu en voie de négociation entre le provincial et le fédéral.
Dans cette perspective, le Conseil de Planification et de développement du Québec aurait pour mandat effectif de donner des avis à l’Office sur toutes questions que ce dernier lui soumet relativement au développement du Québec et aux plans, programmes et projets de développement économique et social et d’aménagement du territoire élaborés par l’Office;
de canaliser les représentations de ses membres et des organismes socio-économiques que ceux-ci représentent.

Voilà dans quel sens je perçois à la fois votre rôle et la façon dont vous pouvez remplir la mission qui vous est confiée.
Votre groupe rassemble, du point de vue du leadership du milieu, des éléments qu’on ne retrouve dans aucun autre groupe au Québec.
Votre expérience et les responsabilités majeures que vous avez à assumer dans chacune des institutions auxquelles vous appartenez vous ont appris cette forme de réalisme qui permet à un leadership responsable de prendre la mesure exacte des exigences d’une entreprise comme celle à laquelle nous sommes désormais,vous et nous, associés.
Nous nous engageons aujourd’hui dans une sorte de pari sur la possibilité de mobiliser, aux fins d’une planification du développement du Québec, non seulement l’administration gouvernementale mais aussi les énergies du milieu au-delà de la diversité de points de vue souvent contradictoires et d’une égale diversité d’intérêts souvent divergents.
Comme gouvernement démocratiquement responsable des orientations de la collectivité, nous avons, en ce qui nous concerne, à prendre les décisions qui canalisent les actions de l’Etat dans les voies du développement.
Ce que le gouvernement vous demande, c’est d’abord de lui fournir, sur les questions qui vous seront soumises, l’éclairage de vos opinions personnelles, à la lumière de votre expérience et des responsabilités que vous assumez.
C’est ensuite que dans l’élaboration des avis que vous aurez à transmettre, vous gardiez votre enracinement dans les institutions et groupes d’où vous provenez, de telle sorte qu’à travers vos avis nous ayons le sentiment que la collectivité toute entière s’est exprimée.
Dans cette perspective, l’institution d’un organisme comme le Conseil de la Planification et du Développement du Québec constitue une des modalités essentielles du dialogue permanent qui doit être maintenu entre le gouvernement et la collectivité.

[QBRSS19710614]

[Déclaration du Premier ministre du Québec, monsieur Robert Bourassa, lors de l’ouverture le 14 juin 1971 de la Conférence constitutionnelle de Victoria.
Monsieur le Président,]

La revision constitutionnelle a débuté, il y a maintenant trois ans, malgré les travaux considérables auxquels elle a donné lieu, elle n’a pas encore correspondu aux espoirs soulevés.
Les raisons en sont multiples: les unes tiennent à la complexité même de l’opération dans un pays aussi diversifié que le nôtre d’autres peuvent relever autant de la méthode de travail adoptée que de la persistance d’une certaine ambiguïté sur les grands objectifs de la réforme constitutionnelle. Quoi qu’il en soit, nous voici à Victoria où des progrès concrets peuvent être réalisés.
Le Québec a été l’un des initiateurs de la réforme constitutionnelle. Il continue de croire en sa nécessité si l’on veut vraiment que la constitution de notre pays devienne un instrument efficace et moderne au service des Canadiens.
Deux préoccupations fondamentales amènent le Québec à s’intéresser très vivement à la revision constitutionnelle. Premièrement, la responsabilité générale d’assumer le mieux-être de sa population et deuxièmement sa responsabilité particulière entre l’avenir de la culture de l’immense majorité de sa population.
Pour répondre à ces deux préoccupations fondamentales, la réforme constitutionnelle doit absolument rejoindre les questions de substance, c’est-à-dire essentiellement celles qui ont trait à la répartition des pouvoirs législatifs et fiscaux entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
Une mise au point de l’ensemble des dispositions de forme ou de technique constitutionnelle comme la formule d’amendement n’apporterait évidemment pas de solutions satisfaisantes aux problèmes constitutionnels du Canada. Le Québec partage avec les autres provinces du pays le souci d’instaurer au Canada un nouvel ordre constitutionnel qui définisse mieux les responsabilités entre les différents gouvernements.
Nous nous sommes toujours faits les prometteurs du fédéralisme décentralisé, le seul véritablement adapté à la diversité des besoins économiques, sociaux et culturels des Canadiens de toutes les régions du pays. L’immensité de notre territoire, faible densité de notre population, la variété exceptionnelle de nos ressources humaines et physiques, autant de facteurs qui militent en faveur de la décentralisation des pouvoirs et des moyens fiscaux de les assumer.
Dans un régime fédéral comme le nôtre, le degré de décentralisation donne le plus souvent la mesure de la qualité et de l’efficacité de nos politiques. Cette décentralisation ne doit cependant pas se faire au détriment du rôle essentiel du gouvernement fédéral. Le respect de la diversité des besoins des citoyens ne peut compromettre les exigences de l’unité du pays. Le Québec admet cela. Il demande simplement que la nouvelle constitution du Canada reconnaisse clairement aux provinces une liberté d’action plus large et moins conditionnée aux initiatives du gouvernement fédéral.
En termes concrets, cela signifie des ressources financières à la mesure des responsabilités provinciales, une clarification de ces mêmes responsabilités dans des secteurs comme ceux de l’aménagement du territoire, de la gestion du milieu, des pouvoirs additionnels dans des domaines culturel et social. Cela signifie également que nous devrons trouver une solution acceptable à l’exercice par le gouvernement fédéral du pouvoir illimité de dépenses, car ce pouvoir illimité équivaut souvent à une mise en veilleuse de ce qui constitue l’essence du fédéralisme, le partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
En plus de partager les problèmes communs à tout gouvernement moderne, problèmes de croissance économique et de progrès social, le gouvernement du Québec a comme responsabilité additionnelle celle d’assurer la sécurité et l’épanouissement d’une culture différente et largement minoritaire sur le continent nord-américain.
Puisque de toute évidence le Québec est et demeurera le principal foyer d’expression de la culture française au pays, son gouvernement ne peut pas abandonner une telle responsabilité. Dans la mesure où la nouvelle constitution du Canada peut engager
son avenir et de là son identité, le Québec est déterminé à ce qu’il lui soit clairement reconnu le droit et les moyens de traduire dans les faits, la responsabilité qu’il a à l’égard de la culture de l’immense majorité de sa population.
La donnée culturelle ne peut pas se ramener à la seule dimension linguistique, elle rejoint l’ensemble des activités humaines, le travail, le loisir, la famille, les institutions politiques, économiques et sociales.
Aussi dès lors qu’il s’agit dans la définition d’un nouveau fédéralisme canadien d’examiner le partage des responsabilités étatiques, le gouvernement du Québec doit toujours, en plus d’examiner la portée objective de ces questions, évaluer les effets de ce réaménagement sur l’avenir de la culture française au Québec comme au Canada.

D’aucuns voient dans cette préoccupation constante du Québec en matière de réforme constitutionnelle la recherche de quelques privilèges ou la manifestation d’une volonté de se replier sur lui même et de chercher à vivre en marge du pays. Or, il en est rien. Chercher à bâtir un Québec culturellement sûr de lui, ce n’est pas renoncer au Canada. C’est au contraire chercher à enrichir la personnalité culturelle canadienne du dynamisme de la culture française. C’est de cette façon qu’il faut comprendre la démarche du Québec: une volonté d’affirmation d’une culture différente et un désir d’apporter au Canada une contribution absolument essentielle à l’affirmation d’une véritable identité canadienne.
Ainsi donc, le Gouvernement du Québec a-t-il toujours eu en matière de réforme constitutionnelle un double objectif, soit le fédéralisme décentralisé et la promotion de la personnalité distincte du Québec. C’est avec cette même approche que, dans un premier temps, nous avons soulevé en février dernier la question de la politique sociale et plus particulièrement celle de la sécurité du revenu et de la formation professionnelle des travailleurs, la raison la qualité de vie de notre population et à la définition même de la société québécoise.
En proposant d’amender l’article 94A de la constitution, nous cherchons à obtenir pour le Québec comme pour toutes les provinces du pays si elles le désirent, une liberté plus grande de manoeuvre afin de pouvoir orienter nos politiques et planifier nos initiatives sociales en fonction des besoins de notre population et des exigences de notre société.
Nos propositions visent à assurer une répartition des pouvoirs fondée sur la souplesse de l’action dans le respect des situations et des volontés de chacune des provinces. L’accent est mis sur l’instauration de responsabilités concurrentes entre les deux ordres de gouvernements et sur l’obligation de consultation. A cette concurrence générale, nous suggérons toutefois de greffer le principe de la primauté des provinces quant à la conception de la politique de sécurité du revenu.
Nos propositions établissent clairement qu’aucun privilège particulier ne doit être consenti à une une province ou à une autre. Ces propositions respectent enfin les exigences de la compatibilité des programmes d’une province à l’autre tout en ne faisant pas obstacle à ce que le gouvernement fédéral fasse des paiements directs aux individus ou à ce qu’il puisse assumer sa responsabilité en ce qui concerne la distribution de la richesse entre les citoyens des diverses parties du Canada.
Le but visé, et il semble de nouveau nécessaire de le signaler, n’est pas l’érosion du pouvoir fédéral, mais le raffinement de son pouvoir de redistribution en fonction des différentes régions qui composent le Canada.
Le Québec a décidé d’aborder maintenant la question des implications constitutionnelles de la politique sociale parce qu’il estime que la situation présente est à l’origine de l’inefficacité relative sur le plan de la lutte à la pauvreté de l’ensemble des initiatives canadiennes en matière de sécurité du revenu.
Nous souhaitons vivement qu’un accord puisse être obtenu car nous avons besoin de cet accord pour mettre en place une politique intégrée de sécurité du revenu. La seule susceptible de répondre adéquatement aux besoins du citoyen.
Pour ce qui a trait, monsieur le Président, aux paiements de péréquation, question qui a été soulevée tantôt, de nouveau je dois dignaler que, lors que nous examinons les effets de la redistribution entre les différentes provinces, c’est opter pour une vue assez courte que de se limiter seulement aux paiements de péréquation et qu’on doit examiner les avantages qu’une province peut retirer sur le plan de la politique monétaire, de la politique tarifaire et de la politique budgétaire. On doit également noter, et on a oublié de le faire, que certaines provinces reçoivent en proportion du budget considérablement plus que la Province de Québec. Les propos qui ont donc été tenus par le Premier ministre de la Colombie-Britannique m’apparaissent inexacts et injustifiés.
Le Québec s’est préparé très sérieusement pour cette conférence de Victoria. Il a examiné avec attention toutes les implications des questions qu’il avait retenues lors de la conférence de février.
C’est donc dans un esprit positif et constructif, avec détermination et réalisme, que nous entendons représenter à cette conférence les intérêts des Québécois.
J’ajoute simplement que la population du Québec espère vivement qu’au terme de notre rencontre de Victoria, aucune considération de quelqu’ordre qu’elle soit, ne viendra arrêter la réflexion ni interrompre les efforts que nous avons entrepris depuis trois ans pour donner aux Canadiens une constitution moderne et conforme aux aspirations de notre peuple.
Il de devrait jamais s’agir, dans ce problème complexe de la revision constitutionnelle, de s’attacher à savoir qui gagnera quoi et qui perdra quoi. Il s’agit plutôt de déterminer qui fera quoi, c’est-à-dire quels pouvoirs constitutionnels seront mieux exercés par un gouvernement que par un autre. Et surtout, n’allons pas oublier qu’en pareille matière, le critère décisif doit toujours être celui de l’intérêt des citoyens. Une constitution n’existe pas pour les gouvernements, elle doit être un instrument au service du citoyen.
Le Québec soutient qu’un certain nombre de pouvoirs constitutionnels et nous sommes disposés à en faire la preuve, doivent revenir aux provinces plutôt qu’au gouvernement fédéral. C’est ce que nous entendons continuer de faire valoir.
La population du Québec est tout aussi impatiente que n’importe quelle autre de voir progresser les travaux de revision constitutionnelle. Elle n’entend toutefois pas sacrifier à cette impatience l’essentiel des objectifs poursuivis par la réforme constitutionnelle. Ces objectifs rejoignent les questions de substance, c’est-à-dire la répartition des pouvoirs législatifs et fiscaux.
Nous avons trop foi dans les possibilités immenses du Canada pour renoncer à donner aux Canadiens une constitution véritablement adaptée aux besoins de notre pays.

[QBRSS19710625]

[Allocution du Premier ministre
au déjeuner offert par le Gouvernement du Québec, en l’honneur de Sa Majesté Impériale Farah Pahlavi Shahbanou de l’Iran, le vendredi 25 juin 1971, â 13 h. 00 au Ritz-Cariton, â Montréal.]

Sa Majesté impériale,
Son Excellence Madame Farideh Diba, Leurs Excellences,
Monsieur le Juge en Chef du Québec, Monseigneur l’évêque,
Monsieur le Chef de I’Opposition, Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,
Le gouvernement du Québec est heureux de vous accueillir dans la Métropole du Canada. Dans cette ville qui fut en 1967 le rassemblement des peuples lors de l’Exposition Universelle dont nous garderons longtemps le souvenir. Parce qu’elle fut une sorte d’apothéose dans la vie des nations et mieux encore l’occasion de mille et une fraternités entre des hommes de toutes races, de toutes couleurs, de toutes ethnies.
Un événement non moins important prendra place dans votre pays à l’automne, alors que se dérouleront les festivités du 2,500ième anniversaire de la monarchie
iranienne. Par anticipation, nous nous associons à tous ceux-la qui participeront à ces réjouissances et nous Vous prions de transmettre nos voeux les meilleurs à Sa Majesté Impériale le Shahanshah Arvamehr de l’Iran.
J’ose croire que votre court séjour chez nous vous fera aimer le Québec, son peuple hospitalier, le dynamisme de ses citoyens et la jeunesse de son avenir. Nous essayons de traduire ici, en Amérique, un modèle original de culture et de civilisation qui soit le reflet véritable de ce que nous sommes, c’est-a-dire des francophones, membres de l’ensemble
canadien et intégrés à la vie nord-américaine. Nous sommes cinq millions pour
tenir ce pari et nous réussirons grâce à la qualité de nos ressources humaines et au potentiel de notre jeunesse.
Il nous faut réussir, ne serait-ce que pour apporter notre modeste quote-part à l’universel rendez-vous du donner et du recevoir. Rendez-vous auquel votre pays participe déjà depuis des millénaires et dont la riche histoire se confond avec celle de l’humanité.
En vous accueillant, aujourd’hui, le peuple du Québec salut en votre personne
le peuple iranien et ses dirigeants. II fait des voeux pour qu’en ce lointain pays du
Sud-Ouest asiatique, représenté avec tant de grâce par votre Majesté impériale, continuent de s’épanouir une culture et des traditions qui enrichissent depuis longtemps le patrimoine universel .

[QBRSS19710930]
[« LA COOPERATION ENTRE LA FRANCE ET LE QUEBEC
EST IRREMPLACABLE A PLUS D’UN TITRE » Robert Bourassa – Québec, le 30 septembre 1971]

Monsieur le Ministre, madame Schumann, messieurs les Ministres plénipotentiaires, mes collègues du Conseil des ministres et de l’Assemblée nationale, mesdames, mesdemoiselles, messieurs,

Je suis heureux, monsieur le Ministre, que vous ayez répondu favorablement à l’invitation que je vous faisais en avril dernier, de nous rendre une visite officielle au Québec. N’est-il pas normal, en effet, et vous l’avez fort justement souligné lors de votre passage dans la Capitale fédérale, que nos deux communautés participant d’une même langue, d’une même culture et d’un même humanisme, entretiennent les liens les plus étroits possibles.

J’ai eu l’occasion de dire à Paris que les échanges directs et privilégiés entre la France et le Québec font désormais partie de notre histoire commune et qu’ils s’inscrivent tout naturellement dans une indispensable politique de coopération entre nos deux collectivités. Coopération irremplaçable à plus d’un titre. Le Québec est aux avantpostes de la bataille du français dans le monde. Envahi par la technologie américaine, influencé par les moeurs et le style de vie d’un Etat voisin et puissant, il lui faut en même temps obtenir sa juste part des fruits de la prospérité et garder tous les traits d’une culture à laquelle il ne saurait renoncer, sans renoncer à être lui-même. La France, pour sa part, ne peut se désintéresser du Québec parce qu’elle sait que la lutte qui est livrée ici, c’est beaucoup la sienne, faite au nom de valeurs réciproques et d’un riche héritage légué à l’intelligence de l’homme.

La coopération franco-québécoise est l’expression de cette solidarité d’intérêts et d’espérances. Avec combien de raison, monsieur le Ministre, avez-vous réaffirmé dès votre arrivée sur le continent nord-américain, que nos échanges ne sont dirigés contre quiconque mais que bien au contraire, en servant la France et le Québec ils servent également les meilleurs intérêts des peuples et des Etats auxquels nous sommes liés.

De la même façon, suis-je en parfait accord avec le Chef de l’Etat français, lorsque parlant tout récemment des liens qui unissent le Québec et la France, monsieur Pompidou rappelle que ceux-ci sont trop forts, trop connus, qu’ils correspondent à des réalités et à des sentiments « trop profonds pour qu’ ils puissent être atteints par quoi que ce soit… »

Nous n’alimentons pas de discordes, nous entretenons la vie. Pour ce faire, nous n’avons pas hésité à augmenter les budgets de la coopération franco-québécoise dans des domaines aussi vitaux que la coopération économique et le français, langue du monde du travail. Comme nous n’hésiterons pas à intervenir à d’autres niveaux lorsque de nouveaux programmes paraîtront conformes à nos intérêts respectifs.

En présence du Chef de la diplomatie française, le gouvernement du Québec est heureux de témoigner de sa volonté de rapprochement et de perfectionnement de nos rapports, en vous priant, monsieur le Ministre, de vous faire l’écho de cette volonté auprès du distingué président de la République française, monsieur Pompidou.

Au nom de tous les citoyens québécois, je vous dis, monsieur le Ministre et madame Schumann, de même qu’à ceux qui vous accompagnent, la joie que nous avons à vous recevoir en terre francophone d’Amérique.

[QBRSS19711015]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA, A LA SEANCE DE CLOTURE DE LA 2e CONFERENCE GENERALE DE L’AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE TENUE A QUEBEC LE VENDREDI 15 OCTOBRE 1971]

Monsieur le Président, Messieurs les Délégués, Messieurs,
Je mesure sans peine l’honneur qui m’est accordé aujourd’hui. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement québécois est appelé à porter la parole devant les représentants des nations francophones du monde.

Vous avez répondu aimablement à l’invitation qui vous a été faite de poursuivre et de terminer vos délibérations dans notre Capitale et notre Assemblée nationale. Votre séjour chez nous aura été bref, mais je suis certain qu’il vous aura permis de constater la vitalité d’une langue et d’une culture auxquelles nous sommes profondément attachés depuis des siècles et qui constituent pour la grande majorité des Québécois le trait le plus particulier de leur manière de vivre et d’être.

L’honneur échoit à un premier ministre québécois aux thèmes préférés d’économie et de fiscalité de dire au premier Parlement universel francophone ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Mais il n’y a pas entre économie et culture autant d’antinomie et de contradiction qu’il en paraît de prime abord. En travaillant au développement économique des peuples, des nations ou des Éats, nous nous trouvons à contribuer largement au progrès et à l’affirmation des valeurs culturelles. Le monde actuel est ainsi construit que sans un minimum de prospéitématérielle et de diffusion de ces fruits de l’abondance, c’est la vie même de notre culture qui risque de s’anémier.

Le Québec témoigne de cette complémentarité entre l’économie et la culture. Notre société a atteint depuis une dizaine dannées un niveau de développement qui se situe honorablement dans l’échelle des nations industrialisées. Nous sommes les voisins immédiats des Etats-Unis d’Amérique, ce lieu par excellence de la science et de la technologie modernes. Nous appartenons à un continent largement dominé ar la langue et la culture anglophones. Nous n’en continuons pas moins et cela depuis des siècles à vivre en français et à partager avec vous tous, les valeurs et la culture francophone. Nous assistons même ici au Québec depuis une dizaine d’années à une floraison et à ne expansion extraordinaires de notre culture francophone. Dans le domaine de la littérature, les records d’édition sont battus d’année en année. Plusieurs de nos écrivains et de nos poètes produisent désormais des oeuvres qui accèdent à l’universel, nos chansonniers, nos artistes lyriques, notre théâtre connaissent ici comme à l’étranger des succès remarqués. Il y a dans les Beaux-Arts telle chose que la personnalité québécoise dont les Pelland, les Borduas, les Riopel se sont fait à travers le monde les ambassadeurs distingués.

Ce défi que nous devons chaque jour relever ici, c’est bien celui d’imprimer sur ce continent aux valeurs matériel les si pressantes des valeurs humanistes qui ont toujours été le signe le plus évident de la culture francophone.

Voilà pourquoi j’ai pu dire, lors de la visite officielle du Ministre des Affaires étrangères de France, que le Québec était par sa situation géographique aux avant-postes de la bataille du français dans le monde. Pendant longtemps, le Québec ne pouvait que compter sur lui-même pour défendre et promouvoir les valeurs culturelles dont il est le dépositaire privilégié sur le continent nord-américain. Il n’en est plus ainsi maintenant que l’Agence existe.

Vous comprendrez alors facilement l’exceptionnel intérêt que le Québec a apporté à la constitution et aux travaux de l’Agence. Dans un premier temps, par l’insistance que nous avons mis à être admis au sein de l’Agence en qualité de membre – « gouvernement participant » aux institutions, programmes et activités de votre organisme international. Dans un deuxième temps, par la participation très large des représentants du Québec aux travaux de la Conférence générale et des Commissions.

Le Gouvernement québécois ne ménagera aucun effort pour assurer la mise en oeuvre efficace des programmes et des activités qui ont fait l’objet de vos décisions au cours de
la présente Conférence générale. Comment, en effet, pourrions nous rester étrangers aux manifestations du monde culturel francophone sans renoncer à une importante partie de nous-mêmes? Déjà, nous entretenons avec la France des liens étroits de coopération dans les domaines de l’éducation, la culture, l’économie, la technologie, la recherche scientifique et médicale, les sciences humaines, tous ces secteurs et d’autres encore font l’objet d’échanges constants, lesquels profitent hautement à nos deux communautés. Au moment même où je vous parle, plus de cinq cents professeurs québécois oeuvrent dans vos pays, principalement en Afrique, dans le cadre des programmes de l’Agence canadienne de développement international. En outre, le Québec est heureux d’accueillir chaque année dans ses institutions d’enseignement plusieurs centaines d’étudiants africains, antillais, malgaches, vietnamiens, dont la présence en terre québécoise est en même temps une occasion d’enrichissement humain et le témoin d’une vivante fraternité internationale.

En retour, je suis certain que la richesse de vos cultures nationales contribuera à la formation d’un nouvel homme québécois à la fois plus près de ses sources et disponible à l’universel.

Il y a dans l’idée de francophonie beaucoup plus que de simples échanges dictés par nos besoins et nos intérêts respectifs. En travaillant ensemble à la réalisation de projets collectifs nous retrouverons tous une nouvelle solidarité et peut-être une nouvelle perception de nos propres réalités.

Pour nous, Québécois, cette communauté des peuples francophones que vous avez créée à Niamey en mars 1970, est à coup sûr une occasion unique de mesurer et de confronter nos expériences.

Nous croyons aussi que vous pourrez bénéficier de notre contribution à certains de vos programmes et de vos activités, en télévision éducative, par exemple, en pédagogie du français, en artisanat et tourisme, en formation du personnel de la fonction publique, en matière de cinéma et de culture populaire, les Québécois ont déjà acquis une riche expérience. Par la force des choses, ils doivent effectuer dans ces domaines et ailleurs la synthèse des technologies américaines, des institutions anglo-saxonnes et du milieu francophone.

C’est ce que j’avais à l’esprit lorsque portant la parole pour la première fois en qualité de Chef du gouvernement québécois, dans cette même Assemblée nationale où vous êtes réunis, j’affirmais que le Québec pourrait être une partie de la jeunesse du monde. En ce sens, que nous sommes admirablement bien placés au confluent du présent et de l’avenir pour effectuer le passage entre la tradition et la modernité. Cela, en restant nous-mêmes, en ne sacrifiant rien aux fausses idoles du progrès, tout en accédant aux mieux-être engendrés par le développement des sciences et des techniques.

Le Québec est non seulement une réalité historique mais il est aussi une promesse d’avenir.

Cette foi dans l’avenir de notre société, je tenais à vous la dire et à vous la faire partager de la même façon que je tenais également à vous remercier d’avoir admis le Québec comme membre de votre organisation en qualité de gouvernement participant à ses institutions, ses activités et ses programmes.

Messieurs les Délégués, le Québec se félicite et s’honore de votre présence chez lui et vous assure de son entier concours au rayonnement de notre langue et de notre culture communes.

[QBRSS19711021]

[« LE QUEBEC S’INTERESSE AU PLUS HAUT POINT A L’ACCORD CANA DO-SOVIETIQUE » Robert Bourassa Québec, le 21 octobre 1971 ]
Monsieur le Président du Conseil des ministres de
l’Union des Républiques socialistes soviétiques, Monsieur le Président de la République socialiste soviétique de Géorgie,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs,
La visite officielle du Président du Conseil des ministres de l’U.R.S.S. au Québec constitue un événement historique et exceptionnel pour notre gouvernement et tous les Québécois. Je suis certain, M. le Président du Conseil, de me faire l’interprète de tous les concitoyens pour vous souhaiter une bienvenue chaleureuse dans cette partie de notre pays dont les traits particuliers ont sans doute déjà retenu votre attention.

Je me demande, M. le Président, si ce n’est pas là une voie heureuse qu’ouvrirait la collaboration entre les Etats et les grandes puissances chargés du destin du monde. C’est-à-dire rendre à la fois l’homme plus près de ses sources et plus ouvert au contact des autres.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que le gouvernement du Québec s’est intéressé au plus haut point au projet d’accord canado-soviétique touchant les domaines de l’éducation, de la culture, de même que les secteurs scientifique et technique. Qu’il s’agisse de projets d’échanges universitaires, de nos missions québécoises à caractère commercial et économique ou de notre participation à celles organisées par le gouvernement canadien, d’échanges dans des secteurs aussi variés que ceux des richesses naturelles, de l’extraction du pétrole et des minerais, de la technolotie industrielle, de la recherche scientifique, de la sécurité sociale, de la main-d’oeuvre, partout le Québec sera partie prenante engageant ses ressources humaines et financières.

Ainsi, je suis convaincu que ces efforts de coopération porteront fruits. Il découle nécessairement des ententes entre gouvernements, des échanges et des rapprochements entre les hommes. Ceux-ci sont alors appelés à confronter leurs expériences, à évaluer leurs différences dans le respect mutuel de leur individualité.
C’est là, me paraît-il, une excellente façon de travailler à la paix du monde.
Votre présence ici, M. le Président du Conseil, de même que celle de tous ceux qui vous accompagnent est, dans cette perspective, un témoignage nouveau de fraternité et de solidarité universelles.
Je vous redis tout le plaisir et l’honneur que vous nous avez faits en acceptant l’invitation du gouvernement du Québec.
Mesdames, Messieurs, je propose que nous portions un toast au bonheur et à la prospérité du peuple soviétique.

[QBRSS19711105]
[Québec, le 5 novembre 1971 ]

Monsieur le Président de la République fédérative de Yougoslavie,
socialiste Madame Broz, les Ambassadeurs, Ministres, Consuls,
Messieurs Messieurs Messieurs Mesdames, Messieurs,
Notre Capitale s’est enorgueillie aujourd’hui d’avoir reçu la visite officielle de personnalités aussi distinguées que le Président de la République de Yougoslavie, de madame Broz et de ceux qui les accompagnent. Le gouvernement et le peuple du Québec sont honorés de votre présence.

Vous incarnez, M. le Président, non seulement aux yeux de votre peuple mais également aux yeux de l’opinion publique mondiale des valeurs d’un profond attachement à votre pays, d’une volonté de résistance à toute contrainte extérieure et d’un dévouement inconditionnel aux affaires de votre Etat.. Il n’est que de suivre votre longue et prestigieuse carrière pour mesurer jusqu’à quel point vous avez pu, malgré des difficultés et des dangers sans nombre, orienter le cours de l’Histoire et exercer une influence de premier plan sur les grandes décisions qui conditionnent l’équilibre et la paix mondiales.

Peu d’hommes, en effet, se trouvent placés au carrefour des grands événements du monde. Vous êtes un de ceux-là, acteur et témoin d’époques qui marquèrent et marquent encore la condition humaine de millions d’êtres et le devenir de plusieurs peuples et nations.

Le Québec, Etat membre d’une Fédération, est loin de se désintéresser de l’évolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Préconisant lui-même un type de fédéralisme décentralisé, il étudie avec attention les formules fédératives qui tendent à concilier les aspirations normales des peuples avec les nécessités de centres de décisions fédéraux ou confédéraux. Dans cette perspective, la nouvelle constitution yougoslave pourrait être un modèle riche d’aménagements efficaces et inédits.

Mais au delà de ces considérations constitutionnelles, ce que nous retenons de votre visite officielle au Québec, M. le Président, c’est la place que vous tenez dans l’histoire et les efforts que vous avez déployés sur la scène mondiale pour faire en sorte que les peuples et les Etats de moins grande puissance aient voix au chapitre dans les grandes instances internationales.

J’espère, M. le Président, que ce que vous aurez vu d u Québec et particulièrement de sa Capitale vous aura plu. Le Québec est ce qu’il est, hospitalier, chaleureux, différent des ensembles canadiens et américains par sa langue, sa culture, sa manière de vivre et d’être. De cela, nos concitoyens en tirent une légitime fierté.
En leur nom et au nom du gouvernement du Québec, je vous remercie de votre visite et je propose que nous portions un toast au bonheur et à la prospérité du peuple yougoslave.

[QBRSS19711115]

[DECLARATIONS DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALES
CONFÉRENCE DES PREMIERS MINISTRES Ottawa, 15, 16 et 17 novembre 1971.]

Deux facteurs principaux nous amènent à consacrer la majeure partie de notre réunion aux questions économiques: d’abord, la situation de l’économie canadienne et le problème de l’emploi; et ensuite, la nouvelle politique américaine et ses répercussions possibles sur notre économie.
Le Québec est heureux de participer aux travaux d’une telle conférence. Il y voit l’occasion d’y exposer ses vues et d’engager avec les autres Premiers ministres un dialogue positif et, nous l’espérons, fructueux.
Les échéances que nous rencontrons aujourd’hui dans le domaine de l’emploi sont particulièrement pressantes.
Notre problème actuel pose cependant d’autres questions qui rejoignent le coeur même de notre régime fédéral, c’est-à-dire l’état des relations fiscales et économiques entre le gouvernement fédéral et celui des provinces.
Les gouvernement s provinciaux réclament depuis longtemps en matière économique un fédéralisme qui tienne compte des disparités régionales. Le gouvernement fédéral de son côté fait valoir ses responsabilités générrales à l’échelle du pays et de son désir d’entretenir des liens directs avec l’ensemble des citoyens.
Toutefois, les données actuelles illustrent bien la nécessité d’améliorer la coordination de nos initiatives respectives afin de permettre au fédéralisme canadien d’exercer sa fonction de redistribution de la richesse à l’échelle du pays.
Ou bien nous continuons de maintenir dans nos rapports fiscaux et économiques des attitudes traditionnelles, et nous serons alors immanquablement confrontés avec les mêmes situations, ou bien nous décidons vraiment d’harmoniser nos politiques et alors j’ai la conviction que nous pourrons améliorer d’une façon significative les conditions de l’économie canadienne.
La situation économique
La plupart des indicateurs économiques témoignent d’une reprise soutenue au cours des premiers mois de 1971, tant au Québec qu’au Canada. Le taux de croissance de la production, de la demande, de l’épargne et de l’emploi évolue à un rythme plus élevé que pour les mois correspondant de l’an dernier. Au Québec, la création d’emplois pour les neuf premiers mois est de quatre fois supérieure à ce qu’elle était pour la même période l’année précédente. La position relative du Québec au Canada dans le domaine du chômage s’est d’ailleurs améliorée.
Et pourtant, dans l’ensemble du pays le chômage demeure élevé.
C’est à l’analyse économique de cette situation que nous consacrerons nos présents travaux. Non pas que nous ignorons la portée considérable du chômage – celui des jeunes en particulier – sur le climat social et la stabilité politique du pays, mais plus simplement notre problème est avant tout de nature économique et c’est a ce niveau qu’il doit d’a
bord trouver sa solution.

Le budget québécois et les mesures de redressement fédérales
La croissance relative de la production, de la demande, de l’épargne et de l’emploi nous permet d’espérer que le taux de chômage au Québec, au cours des prochains mois, ne sera pas aussi élevé que certains le pensent, en autant, bien sûr, que la nouvelle politique économique des Etats-Unis ne vienne pas trop bousculer les données de notre problème.
Deux raisons principales nous autorisent à le croire: le caractère nettement expansionniste du dernier budget québécois et les récentes mesures de redressement du gouvernement fédéral.
Le programme de dépenses 1971-72 du Québec
La préparation de notre programme de dépenses pour 71-72 a été conçue en fonction d’un double objectif:
assurer une participation active des dépenses de l’Etat à la reprise de l’activité économique par l’accroissement des dépenses d’immobilisations, et
limiter le plus possible le taux de croissance des dépenses courantes, sauf pour les programmes ayant une incidence plus immédiate sur le soutien de l’activité économique.
C’est donc dire que dès la préparation de son programme de dépenses pour l’année 71-72, le gouvernement du Québec se préoccupait de combattre le chômage et d’activer le rythme de la création d’emplois. Ainsi, le budget des immobilisations connaissait une hausse très importante de 34.6% au crédit brut.
Dans l’administration de ces dépenses publiques, nous avons vu à ce que la majeure partie d’entre elles s’effectuent au cours des mois d’hiver de façon à maximiser leur impact sur le niveau de l’emploi durant cette période critique.
Mesures annoncées par le gouvernement fédéral
Les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement fédéral, le 14 octobre dernier, viennent donc appuyer notre dernière politique budgétaire nettement expansionniste.
Le ministre des Finances a fait connaître notre réaction à cette initiative fédérale. Je ne crois pas avoir besoin d’y revenir en détail.
Les programmes de subventions aux municipalités et aux groupes communautaires, l’accélération de prêts par la Société centrale d’hypothèque et de logement, les dépenses que le gouvernement fédéral va consacrer à des travaux d’entretien et d’amélioration de ses équipements, le programme de prêts aux provinces ainsi que les allégements fiscaux consentis aux particuliers et aux corporations, sont évidemment toutes des mesures susceptibles de favoriser l’emploi au cours de l’hiver prochain.
Nous aurions cependant souhaité que l’annonce en soit faite plus tôt de façon à permettre l’élaboration de programmes davantage axés sur la création d’emplois. De même une plus grande sélectivité et souplesse auraient permis de mieux rejoindre les conditions et caractéristiques des économies régionales.
Coordination des politiques
Le Canada fait face à un taux de chômage élevé. Les gouvernement s tentent actuellement de conjuguer leurs efforts pour corriger cette situation.
Dans notre système les politiques gouvernement ales ont une portée nécessairement limitée. Les entreprises, les syndicats et les autres agents de la vie économique doivent aussi prendre leurs responsabilités en emboitant le pas dans la poursuite d’objectifs de croissance. L’attitude des gouvernement s n’en demeure pas moins déterminante en raison des effets d’entraînements de leurs politiques sur l’ensemble de l’activité économique.
La question qui doit surtout nous préoccuper est celle de la qualité et l’efficacité de l’ensemble des instruments dont nous disposons pour assurer une croissance soutenue.
L’analyse des performances récentes de l’économie canadienne nous fait vite découvrir la carence des mécanismes traditionnels de coordination.

L’insuffisance du rythme de création d’emplois et la persistance des déséquilibres régionaux en témoignent. Le thème d’une meilleure coordination entre les politiques économiques fédérales et provinciales n’est pas nouveau. La situation est cependant telle qu’il nous faut maintenant passer de la parole aux actes.
La présente conférence est d’ailleurs une première réponse à cet impératif.
Dans un système fédéral, la répartition des responsabilités entre les différents paliers de gouvernement s a donné naissance à différentes formules de consultation et de coordination. Aussi, il n’y a à peu près pas de secteurs d’activités ministérielles qui ne trouvent annuellement ses rencontres. Leurs effets positifs nous sont connus.
Cependant, la succession de ces réunions de consultation et de coordination de politiques sectorielles. Pour valable qu’elle soit, ne nous permet pas d’avoir une vue d’ensemble de nos rapports économiques, sociaux ou culturels. C’est un premier point.
Au surplus, c’est peut-être du côté des questions économiques et fiscales que nos probèmes sont les plus sérieux.
Une conjoncture particulièrement difficile nous amène à nous réunir aujourd’hui pour situer un problème précis – celui du chômage – dans une perspective plus large. Nous cherchons à savoir comment cette situation a pu se développer, quels moyens aurions-nous pu prendre pour l’empêcher, que faut-il faire pour la corriger et la prévenir dans l’avenir.
Cette démarche débouche nécessairement sur l’examen de l’ensemble de nos relations économiques et fiscales.
Faudra-t-il encore, une fois cette crise passée, que nous attendions la prochaine pour opérer dans nos attitudes respectives les changements qui s’imposent.
Sûrement pas.
Nous devons enfin nous rendre compte que dans un régime fédéral, il doit exister entre le gouvernement fédéral et les gouvernement s provinciaux d’autres types de rapports que des rapports de force. Nous devons négocier certaines questions, c’est évident. Et dans des négociations, la stratégie a sa place. Ce serait cependant une grave erreur que de s’en tenir toujours et sur toutes les questions à ce type de rapports.
Dans les questions économiques et fiscales, surtout, le fédéralisme doit pouvoir déboucher sur l’information réciproque, la confiance, une véritable concertation des efforts et des initiatives.
A la lumière de l’expérience de cette conférence, donnons-nous l’instrument de cette concertation afin de réaliser cette nécessaire coordination de nos politiques économiques et fiscales.
Une conférence économique annuelle des Premiers ministres pourrait être le lieu de ce nouveau type de rapports que je voudrais voir naître entre nous. Cette conférence serait l’instrument privilégié de la coordination et de la planification de nos politiques économiques.
Une telle conférence institutionnalisée et se réunissant sur une base annuelle à période fixe nous permettrait d’échanger des informations, d’analyser à court ou à moyen terme des problèmes particuliers, de discuter de nos objectifs communs. Cette conférence pourrait aussi être l’occasion pour les provinces de prendre connaissance des principes et de certaines modalités de la politique extérieure, commerciale ou monétaire du pays. On sait – et c’est de plus en plus vrai – que ces questions extrêmement importantes comportent des conséquences considérables sur le développement et la croissance économique des diverses régions du pays. Les provinces ne peuvent pas prendre de décisions éclairées dans leur domaine de compétence si elles n’ont pas une juste connaissance des limites et de la portée de ces politiques fédérales. Nous aurions sûrement avantage à en discuter ensemble.
En somme, cette conférence économique annuelle des Premiers ministres nous éviterait d’abord les consultations après coup que nous connaissons trop souvent, elle assurerait surtout sur une base permanente et non pas simplement à l’occasion de situations particulières, une participation authentique de nos gouvernement s respectifs dans la réalisation de nos objectifs de croissance.
Mesures américaines
Les différentes mesures prises par le gouvernement américain, le 15 août dernier, ont entraîné un climat d’incertitude dans la plupart des pays industrialisés. Cette incertitude, nous la ressentons au Canada en raison de l’importance de nos relations économiques avec nos voisins du Sud.
Si l’ensemble des mesures américaines ont simplement pour effet de mener à une réévaluation des monnaies mondiales et d’assurer une reprise de l’activité économique américaine, elles pourraient avoir dans l’ensemble des effets avantageux pour l’économie canadienne. Cependant, si elles devaient se prolonger indûment ou prendre une allure trop protectionniste, alors le Canada pourrait être amené à opérer une révision de ses relations économiques et commerciales avec les Etats-Unis.
Le gouvernement canadien doit maintenir son attitude calme et réaliste.
Et d’autant plus que de toute façon les liens entre l’économie canadienne et américaine sont et demeureront sans doute extrêmement étroits. Déjà, dans divers milieux, on reconnaît de plus en plus les efforts faits par le Canada, et ce avant même l’annonce des mesures américaines, pour réévaluer sa monnaie et ajuster sa politique commerciale.
Force nous est de reconnaître cependant que les mesures annoncées trouvent leur justification dans la perspective du redressement de l’économie américaine. Advenant qu’elles réussissent à stimuler la demande interne, freiner l’inflation et rétablir l’équilibre de la balance américaine des paiements, le Canada aura bénéficié de l’opération à plusieurs égards.
Pour l’instant, toutefois, notre problème est évidemment de prévoir et de pallier les inconvénients de la nouvelle politique américaine sur l’économie canadienne et québécoise.
Le projet DISC
Le projet de loi connu sous le nom de DISC [(Domestic International Sales Corporation)] nous inquiète particulièrement. On sait que cette législation – non encore votée – permettrait aux compagnies américaines de constituer aux Etats-Unis des compagnies spécifiquement orientées vers l’exportation et bénéficiant d’exemptions de taxes sur les profits. L’adoption d’une telle législation risque de peser lourdement sur le développement de l’économie canadienne. Pour mettre en valeur les ressources de notre pays, nous avons besoin de l’apport financier et technique que peut nous fournir les inventissements américains.
A court terme, le projet DISC peut avoir pour effet de retarder plusieurs projets d’investissements de firmes américaines au Canada et au Ouébec; ces firmes reporteront leurs décisions jusqu’à ce que le Congrès se prononce sur le projet. Et dans l’éventualité de son adoption, ces firmes pourraient préférer transférer leurs projets d’investissements aux Etats-Unis.
A long terme, il est aisé de comprendre qu’une telle législation augmenterait la capacité concurrencielle des entreprises américaines; elle rendrait plus difficiles les ventes canadiennes dans les pays tiers où les firmes canadiennes et américaines se font concurrence. De plus, les exportations américaines coûteraient moins cher au Canada et feraient une forte concurrence à notre production domestique.
On voit facilement que ce projet DISC exige que le gouvernement canadien se montre extrêmement vigilant et poursuive l’examen des conséquences qu’il pourrait avoir sur notre économie, et particulièrement sur notre pressant besoin de capitaux étrangers.
Nous aimerions être informés davantage des travaux en cours sur cette question.
Mesures américaines de redressement
Parmi les mesures de redressement annoncées par le Président Nixon, certaines doivent retenir particulièrement notre attention.
La surtaxe de 10 % sur les investissements industriels durant un an, la rétroactivité au premier janvier 1971 des exemptions fiscales prévues en 1972 et la suppression de la taxe d’accise de 7 % sur les automobiles ne devraient pas trop nous inquiéter puisqu’au total la stimulation de la demande intérieure américaine ne peut que comporter des effets d’entraînements positifs sur notre économie.
De même, les mesures visant à freiner l’inflation aux Etats-Unis peuvent être finalement avantageuses pour nous puisqu’il semble qu’une partie de notre propre inflation est importée des Etats-Unis en raison du haut degré d’interdépendance de nos économies.
Enfin, si les mesures visant à rétablir l’équilibre de la balance des paiements américaine avaient finalement pour effet de mener à une réévaluation des monnaies fortes, nous pourrions en bénéficier sur le plan du commerce international, à la condition toutefois que nous réussissions à mieux maîtriser l’accroissement de la productivité des prix et des salaires.
Les points que le gouvernement canadien doit surtout surveiller sont évidemment celui de l’évolution du marché monétaire international du dollar canadien et celui de la surtaxe de 10 % (peut-être 15%) sur les importations qui n’entrent pas en franchise.
Ce dernier point a d’ailleurs fait l’objet d’une décision précise du gouvernement canadien – le programme sélectif d’assistance déjà annoncé. Reste à savoir maintenant quand cette fameuse surtaxe sera enfin levée. Cette question est particulièrement sérieuse pour le Québec puisqu’une partie très importante de notre production est exportée vers les Etats-Unis et que plus de 40 % de ces exportations sont touchées par la surtaxe, et ce dans des secteurs aussi importants que ceux du cuivre, de l’aluminium, du matériel de transport et de télécommunication, de produits métalliques et de machinerie.
Ce qui complique évidemment, la tâche du gouvernement canadien, c’est qu’une semblable situation surgisse au moment même où nous connaissons un taux de chômage élevé.
Et cela nous ramène à tout mettre en œuvre pour traverser cette conjoncture difficile.

LA STABILISATION ECONOMIQUE REGIONALE
Les instruments de stabilisation économique utilisés traditionnellement par le gouvernement fédéral, du fait qu’ils sont globaux, ont souvent contribué à aggraver la situation économique déjà peu reluisante de certaines régions économiques. Cela s’est produit, notamment; lors de la lutte à l’inflation poursuivie par le gouvernement fédéral à partir de l’automne 1968 jusqu’au début de 1970. Ces expériences nous apparaissent mettre en lumière la nécessité d’avoir des politiques de stabilisation économique régionale beaucoup mieux articulées.
Il y a, bien sûr, les efforts du ministère de l’Expansion économique régionale qui visent à compenser les effets négatifs de certaines politiques globales par des primes à l’investissement et des travaux d’infrastructure. Il faut se rendre compte, cependant, que ces activités sont insuffisantes pour contrebalancer les effets d’une politique monétaire restrictive. Au surplus, les délais inhérents aux travaux d’infrastructure sont tels que leurs effets se font sentir avec beaucoup de retard: il faut négocier les ententes, faire voter le budget en chambre, mettre au point les plans et devis, avant de faire
démarrer les travaux. Ces derniers sont ensuite souvent ralentis ou interrompus par des contrôles et des tracasseries administratives beaucoup trop complexes. Il faudrait donc tenter de simplifier ce mécanisme, en décentralisant l’administration des programmes découlant des orientations générales convenues dans le cadre des ententes.
Mais l’action de ce ministère ne devrait pas être considérée comme un substitut mais un complément aux autres instruments de stabilisation économique régionale. C’est ainsi que, par son budget de dépenses, le gouvernement fédéral a forcément une action régionale qui pourrait être plus appropriée aux tendances économiques des diverses régions. L’on dispose actuellement que de trop peu d’informations sur l’impact régional des dépenses fédérales. J’ai déjà demandé que des informations à ce sujet soient préparées et mises à la disposition des provinces. Je crois qu’il serait important que le gouvernement fédéral nous fasse connaître les résultats des travaux poursuivis jusqu’à maintenant.
D’autre instruments économiques fédéraux devraient aussi être utilisés avec un plus grand souci de régionalisation et de sélectivité: l’on pourrait utiliser des crédits fiscaux sur une base sélective, par exemple; certains suggèrent même que des organismes fédéraux, comme la Société centrale d’hypothèques et de logement ou la Banque d’Expansion industrielle, pourraient accentuer leur action dans les régions qui ont été plus particulièrement touchées par des mesures restrictives globales. Sans doute, s’agit-il là d’hypothèses de travail qui devraient être explorées plus à fonds par le comité permanent sur les questions économiques et fiscales.
Mais il y a un autre instrument de stabilisation économique proposé par le Québec qui devrait, à mon avis, faire l’objet d’une attention immédiate de la part des Premiers ministres: il s’agit d’une véritable caisse d’aide conjoncturelle.
L’on reconnaît qu’une détérioration de la conjoncture dans une région économique donnée a deux effets négatifs principaux pour les gouvernements.
En premier lieu, ces gouvernement s doivent faire face à une augmentation moins rapide de leurs revenus et à une hausse automatique de certaines dépenses de soutien du revenu. En second lieu, il en résulte une compression de la marge de manoeuvre déjà mince des provinces alors que ces dernières devraient accentuer leurs dépenses d’investissements publics. C’est sur ces deux éléments que se fondait le projet de caisse d’aide conjoncturelle présenté par le Québec. Le gouvernement fédéral a, par ailleurs, reconnu le fondement de ce projet en instituant depuis deux ans un programme spécial de prêts aux provinces.
Tout en reconnaissant l’intérêt de ce programme de prêts, il faut souligner, cependant, certains problèmes majeurs qu’il suscite. D’abord, il a été annoncé beaucoup trop tard aussi bien cette année que l’an dernier, de sorte que l’on n’obtient pas tous les effets anticonjoncturels recherchés pendant la période d’hiver. Les projets d’investissements comportent, par leur nature même, des délais tels que malgré l’a diligence dont on fait preuve, il est difficile de faire démarrer les projets qui auront un effet significatif au moment opportun. Bien plus, le désir d’obtenir les effets recherchés pendant l’hiver force les provinces à mettre en oeuvre des projets moins prioritaires, ce qui n’est guère conciliable avec la poursuite d’un objectif d’allocation optimale des fonds publics.
D’autre part, nous constatons que l’attribution des prêts est conditionnée à des formalités administratives qu’une formule de prêts ne justifie certes pas.
Enfin, ce programme fédéral ne répond pas à l’un des objectifs du projet d’aide conjoncturelle soumis par le Québec: rien n’est prévu pour compenser la hausse du déficit qu’entraîne une conjoncture économique défavorable.
Par conséquent, j’insiste fortement pour que le programme annoncé cette année, soit transformé dans l’avenir en fonction des éléments suivants: les sommes engagées annuellement dans la caisse devraient être discutées à l’occasion de la conférence économique annuelle des Premiers ministres, dont j’ai suggéré la création; le programme comporterait une partie de prêts et une partie de subventions selon des modalités à définir; les sommes seraient affectées à des projets jugés prioritaires par les provinces ;
en contrepartie, ces dernières s’assureraient que les sommes ainsi transférées jouent vraiment un rôle anticonjoncturel des critères convenus à cette fin.
LE RENOUVELLEMENT DES ACCORDS FISCAUX
La péréquation

Depuis 1957, le gouvernement fédéral a admis la nécessité d’instaurer un processus de redistribution des revenus à l’échelle des provinces canadiennes. C’est en effet le propre du fédéralisme d’assurer que la croissance économique du pays fasse sentir ses effets dans chaque province. La formule de péréquation constitue l’un de ces mécanismes de redistribution de la richesse nationale, richesse d’ailleurs engendrée par l’ensemble du pays. Elle permet, à chaque province, de fournir à ses citoyens un niveau de service qui soit sensiblement comparable à celui des citoyens des autres provinces sans leur faire supporter un fardeau fiscal trop lourd.
Je voudrais qu’il soit compris clairement, cependant, que la formule de péréquation n’est pas utilisée pour permettre à certaines provinces de réduire le fardeau fiscal de leurs contribuables. D’ailleurs, les études sur l’effort fiscal ont démontré que dans l’ensemble, les provinces qui bénéficiaient le plus de la péréquation s’imposaient un effort fiscal beaucoup plus lourd que celles qui ne recevaient peu ou pas de péréquation.
Lors des dernières réunions des Premiers ministres et des ministres des Finances, le Québec a clairement indiqué son désir de réévaluer la formule de péréquation dans l’optique de la redistribution. En effet, depuis la mise en vigueur de l’actuelle formule, les champs d’opération des provinces se sont agrandis de façon très rapide sous la pression des besoins de leurs citoyens. A cet accroissement des activités et des déboursés des provinces, n’a pas correspondu toutefois une redistribution équivalente des richesses et c’est pourquoi nous sommes convaincus qu’il faut aborder la question de la péréquation dans un contexte plus global.
J’ai déjà suggéré certaines avenues qui ont été explorées dans le cadre de comités techniques.
D’ailleurs, le sous-comité sur la péréquation nous a soumis un certain nombre de recommandations. Il s’agit en général de modifications à la mécanique même
de la formule; reclassification des revenus, redéfinition de certaines bases, calendrier différent de paiements. Nous sommes généralement d’accord avec ces modifications. Je crois cependant qu’il ne suffit pas d’améliorer les aspects techniques mais qu’il faut élargir la liste des revenus sujets à la péréquation, de façon à tenir compte de l’ensemble des ressources des provinces.
C’est ainsi que j’avais suggéré de tenir compte, dans la formule de péréquation, du recours aux emprunts par les provinces. Je crois, en effet, que les emprunts constituent une source alternative de financement pour les provinces et ce n’est qu’en considérant toutes les sources possibles de financement que l’on pourrait avoir une juste idée de la répartition à effectuer. Mais certains problèmes ont été soulevés et il faudra rechercher les solutions par des études supplémentaires.
J’avais également suggéré que la formule de péréquation soit modifiée pour tenir compte des revenus des municipalités et des commissions scolaires. Il faudra, semble-t-il, poursuivre les études pour faire face aux difficultés soulevées par l’intégration de l’impôt foncier des municipalités: il y aurait des difficultés tenant, en particulier, à l’inégalité des besoins dans le domaine des services municipaux. Mais il n’en va pas de même pour les revenus de l’impôt foncier scolaire.
D’une part, le service d’enseignement est déjà normalisé à travers le Canada; d’ailleurs, le partage par le gouvernement fédéral du financement de l’enseiqnement post-secondaire confirme la standardisation de ce service. Au surplus, la péréquation de cette source de revenus serait une mesure d’équité puisque les provinces participent dans des proportions plus ou moins fortes au financement des commissions scolaires. Or, lorsqu’elles financent la très grande partie de ces dépenses à même les revenus généraux, certaines provinces élargissent déjà la formule de péréquation. Il ne serait que juste que l’ensemble de ces revenus soit traité de la même façon par toutes les provinces.
L’on sait, par ailleurs, que l’absence de normes d’évaluation ne constitue pas un obstacle technique insurmontable puisqu’il est maintenant reconnu qu’en l’absence de telles normes, l’on pourrait recourir à la base du revenu total, utilisée déjà pour certaines sources de revenu, et qui constitue une bonne approximation de la capacité de payer des contribuables.
Le retrait des programmes à frais partagés d’assurance-hospitalisation et d’assurance-maladie.
Lors de la conférence fédérale-provinciale de juillet 1960, le gouvernement du Québec avait demandé pour la première fois officiellement, que le gouvernement fédéral mette fin au régime des programmes conjoints en contrepartie d’un élargissement des champs d’imposition sur le revenu. La demande de retrait fut réitérée lors de la conférence fédérale-provinciale de novembre 1963. Peu de temps après, le gouvernement fédéral proposait de confier aux provinces qui le désireraient la responsabilité de certains programmes à frais partagés de nature continue, en contrepartie d’une compensation comprenant trois éléments: des points d’impôts, la péréquation afférente et un paiement financier en espèces, si nécessaire.
Le Québec accepta la proposition et suggéra que la formule d’option s’applique à tous les programmes de nature continue et qu’il y ait une période de transition de deux ans avant qu’il y ait un arrangement définitif. Cette formule d’option entra en vigueur au début de 1965. La période de transition, qui devait durer cinq ans, se poursuit depuis sans qu’on en soit venu à un accord sur les modalités de retrait définitif.
Pourtant, en octobre 1969, le gouvernement du Québec soumettait au gouvernement fédéral une proposition pour un arrangement définitif sur le retrait de certains programmes conjoints. Le gouvernement fédéral, pour sa part, proposait la prolongation des arrangements provisoires pour une période de deux ans alléguant la négociation constitutionnelle, la réforme fiscale et l’étude sur l’évolution des coûts des programmes conjoints.
A la veille de l’échéance d’avril 1972, je tiens à souligner que le gouvernement du Québec veut mettre fin aux arrangements provisoires concernant les programmes d’assurance-hospitalisation et d’assurance-santé pour les remplacer par une formule de retrait définitif. Cette formule doit toutefois répondre à deux conditions préalables: elle doit donner lieu à des paiements inconditionnels; c’est donc dire qu’il ne doit plus y avoir de contrôles administratifs; les provinces se prévalant de cette for mule doivent avoir une assurance que l’évolution respective des coûts et de la compensation fédérale n’auront pas pour effet d’accroître la part des fonds publics des provinces dans ces programmes au bénéfice des budgets fédéraux.
Je crois que l’on pourrait répondre parfaitement à ces conditions en accordant aux provinces un abattement de points d’impôt sur le revenu suffisant pour couvrir les coûts réels des programmes. Ce mode de compensation fiscale est inconditionnel et augmente annuellement à un rythme suffisant pour compenser la hausse des coûts.
Mais le gouvernement fédéral semble préférer une autre formule. Lors de la réunion des ministres de la Santé, en décembre 1970, le gouvernement fédéral a proposé de remplacer sa contribution actuelle au financement des programmes d’assurance-hospitalisation et d’assurance-maladie par une nouvelle formule. Selon cette dernière, les versements du gouvernement fédéral seraient fondés sur les coûts réels de 1970/71 augmentés en fonction de la hausse moyenne sur cinq ans du produit national brut per capita. De plus, le gouvernement fédéral propose d’établir un fonds de $640 millions ou de $30 par habitant pour permettre de réorganiser le système de distribution de soins et d’accroître l’efficacité du système.
Je crois que cette formule est intéressante dans la mesure où elle donne lieu à des paiements inconditionnels. Elle répond ainsi à la première condition formulée par le Québec. Il faudra s’assurer, toutefois, que par le biais de ce fonds dit « de priorités », l’on développe une nouvelle forme de programmes conjoints.
Pour répondre à la seconde condition, je crois que la proposition fédérale devrait contenir deux amendements déjà formulés par le ministre des Finances du Québec lors de la conférence des ministres des Finances les 1 et 2 novembre. Ces modifications visent à changer l’année de base (1972/73 au lieu de 1970/71) et à introduire un seuil ou un
taux minimal d’augmentation. Sans ces changements l’on risque de voir les provinces assumer une part de plus en plus grande du coût des programmes de santé, au bénéfice du gouvernement fédéral.
Programme d’aide à l’enseignement post-secondaire.
En novembre, le gouvernement fédéral proposait la prolongation pour deux ans des accords actuels devant normalement expirer en mars 1972, à condition que soient négociées des bornes supérieures quant aux taux d’accroissement des coûts et à
condition que ces bornes tiennent compte de facteurs spécifiques à chaque province.
En février 1970, le secrétaire d’Etat déposait deux propositions pour la détermination de taux maxima d’augmentation. L’insatisfaction des provinces fut unanime et se manifesta lors de la réunion des ministres de l’Education. Plusieurs ministres, dont celui du Québec, ont notamment fait valoir que l’ancienne formule favorisait les provinces riches et que la nouvelle ne corrigeait pas cette anomalie.
L’on se rappellera que l’aide apportée aux provinces au titre de l’enseignement post-secondaire a toujours été considérée comme une forme de transfert financier et non comme application d’un simple programme conjoint. Or, par suite des contraintes financières, certaines provinces ont commencé plus tôt que d’autres à contrôler et à normaliser les coûts de l’éducation. De ce fait, l’on risque, en appliquant la proposition fédérale actuelle, de pénaliser ces provinces qui ont des coûts inférieurs à la moyenne nationale, compte tenu de leur clientèle scolaire.
Je voudrais, par conséquent, que l’on comprenne que, si les présents accords fiscaux comportent des programmes qui, comme la péréquation, visent à aider les provinces plus pauvres, ils comportent également d’autres proqrammes ouverts, comme l’enseignement post-secondaire, qui ont joué nettement à l’avantage des provinces plus riches. C’est notamment en vue de corriger ces anomalies que le gouvernement du Québec propose l’élargissement de la formule de péréquation.
LA LEGISLATION FISCALE
Les vues du Québec sur le projet fédéral de législation fiscale sont maintenant bien connues. En effet, elles ont été exposées par mon collègue, monsieur Raymond Garneau, ministre des Finances, lors des conférences fédérales-provinciales tenues à Ottawa les 12 et 13 juillet ainsi que les ler et 2 novembre 1971. En outre, j’ai moi-même fait des commentaires à la réponse que le Premier ministre adressait à monsieur W.A.C. Sennett, à la suite de la conférence des Premiers ministres provinciaux, tenue à Victoria en août dernier.
Le Québec désire donc ne revenir que sur quelques-unes des questions qui ont déjà fait l’objet de discussions, D’ailleurs, plusieurs points soulevés au cours des récentes conférences ont déjà été solutionnés. C’est ainsi, par exemple, que la garantie des recettes fiscales a été portée de 3 ans à 5 ans et que le gouvernement fédéral a consenti a faire partager les provinces dans le produit de l’impôt spécial de 15% sur les bénéfices non répartis des entreprises. De même, l’on est en voie de trouver un mode équitable d’imposition des coopératives et des caisses populaires à la suite des amendements qui viennent d’être proposés par monsieur Benson et de son acceptation d’étudier de nouveau la question avec les représentants des provinces.
Ces progrès ne doivent toutefois pas nous faire perdre de vue qu’il reste encore un certain nombre de problèmes à solutionner. Voici les principaux.
La part des provinces
Lors de la dernière conférence fédérale-provinciale des ministres des Finances, le gouvernement fédéral a accepté de majorer de 0.5 % la part provinciale de l’impôt sur le revenu des particuliers pour la porter de 30 % à 30.5 % de l’impôt fédéral. C’est certainement là la reconnaissance des craintes maintes fois exprimées par les provinces à l’effet qu’il n’y avait pas équivalence entre les recettes de 30 % du nouvel impôt fédéral et celles de 28 % de l’impôt de base actuel. Il s’agit là, bien sûr, d’un pas dans la bonne direction.
Mais nous croyons que la majoration de 0.5 % demeure insuffisante. Elle ne tient pas compte des pertes de recettes fiscales que devront nécessairement subir les provinces à la suite de la réduction qu’elles devront faire de leur impôt successoral. En d’autres termes, l’imposition des gains de capital au moment du décès d’un contribuable amènera les provinces à réduire leur impôt successoral sensiblement, peut-être même à l’abandonner. Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que les provinces partagent avec le gouvernement fédéral l’impôt successoral dans une proportion de 75 %, tandis qu’elles auront à peine 25 % (40 % pour le Québec) des recettes provenant de l’imposition des gains de capital. En conséquence, le gouvernement fédéral devrait tenir compte de ce nouvel élément dans la détermination de la part des provinces de l’impôt sur le revenu des particuliers. C’est une question de simple équité.
Lors de la conférence des premier et 2 novembre derniers, le ministre fédéral des Finances a semblé dire qu’il ne fallait pas faire de lien entre l’imposition des gains de capital au moment du décès et la réduction éventuelle de l’impôt successoral. Pourtant, c’est justement l’impact de ces deux taxes imposées simultanément qui l’ont amené à supprimer l’impôt fédéral sur les successions. Voici d’ailleurs ce qu’il disait dans son exposé budgétaire du 18 juin 1971.
Le Livre blanc proposait que les actions des sociétés publiques soient réévaluées tous les cinq ans. Cette proposition n’a pas été retenue. Le gouvernement a préféré adopter la recommandation du comité de la Chambre, de plusieurs provinces et de bon nombre de contribuables, proposant l’imposition des gains accumulés à la mort d’un contribuable. Le comité de la Chambre avait aussi recommandé, dans le cas où cette mesure serait adoptée, une réduction sensible des droits successoraux afin que les successions ne se voient pas imputer en même temps deux impôts aussi substantiels. En étudiant la question, le gouvernement a tenu compte du fait qu’il ne touche que 25 % des recettes de l’impôt sur les successions. Nous avons jugé que toute réduction devrait être suffisante pour compenser la nouvelle taxe sur les gains en capital.
En conséquence, le gouvernement a décidé de supprimer, à compter du ler janvier 1972, tous les impôts fédéraux sur les successions et les donations.
La compensation pour le retrait de certains programmes à frais partagés. Lors de la dernière conférence des ministres des Finances, monsieur Benson a promis d’étudier de nouveau la question de la compensation pour le retrait par le Québec de certains programmes à frais partagés. Le Québec se réjouit de cette initiative parce qu’il croit que la compensation, selon le nouveau régime d’imposition, devrait être de 24 % et non de 22 % comme il avait été proposé antérieurement.
Le Québec attache une importance capitale à cette question parce qu’il veut continuer de percevoir ses propres impôts plutôt que de recevoir des compensations financières. Accepter une majoration de la compensation financière en retour d’une réduction de la compensation fiscale constituerait un pas en arrière qu’il ne peut accepter.
L’imposition des entreprises minières
Le Québec porte une attention particulière à son développement minier et il a, l’an dernier, participé activement à l’élaboration du nouveau régime fiscal auquel les entreprises minières sont dorénavant soumises. Il existe encore quelques points qui nous causent beaucoup de soucis. Nous demandons d’abord que les dépenses en capital pour la construction de chemins de fer servant en majeure partie au transport du minerai soient admises dans le calcul de l’amortissement accéléré. Cela est particulièrement important pour le Québec, étant donné les sommes considérables que certaines de nos entreprises minières doivent affecter à la construction de chemins de fer pour l’acheminement du minerai des installations minières au port d’embarquement.
En outre, nous formulons de nouveau notre demande pour que les dépenses d’infrastructure soient incluses dans le calcul de l’épuisement gagné. En d’autres termes, les biens mentionnés au paragraphe 4 concernant l’amortissement accéléré, en y ajoutant la construction des chemins de fer, devraient être ajoutés au paragraphe (b) qui traite de l’épuisement gagné.
De même, nous ne comprenons pas pourquoi on veut exclure de l’épuisement gagné, les dépenses d’exploration et de mise en valeur effectuées après le début de la mise en exploitation d’une mine (par. a iii du même projet de rêglement).. Dans certains cas, celui des mines à ciel ouvert en particulier, il est possible d’effectuer le gros des dépenses d’exploration et de mise en valeur avant le début de l’exploitation prorement dite. Mais, dans la majorité des cas, ces travaux d’exploration et de mise en valeur doivent s’effectuer durant toute la vie de l’exploitation de la mine. Le refus de telles dépenses dans le calcul de l’épuisement gagné nous paraît injuste et risque de compromettre grandement le prolongement de la vie des mines existantes.
Il est vrai que l’épuisement automatique de 33 1/3 % continuera de s’appliquer jusqu’à la fin de 1976 et que le projet de règlement du 6 juillet dernier pourra être changé d’ici là. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que l’épuisement commence à se gagner à compter du 7 novembre 1969. Toute restriction injustifiée de même que tout retard à apporter les correctifs qui s’imposent risquent de provoquer des conséquences néfastes sur notre développement minier.
L’imposition des transactions internationales
Dans un désir bien légitime d’éliminer certaines échappatoires fiscales, la réforme propose un ensemble de mesures très complexes qui, malheureusement, risquent de frapper des transactions tout à fait normales. Le Québec est très inquiet de l’effet nocif que pourront avoir ces mesures, en particulier les articles 91 à 95, sur le développement de bon nombre de compagnies canadiennes à caractère multinational; nous en avons plusieurs au Québec.
De même, le Québec s’inquiète des dispositions qui veulent que les dividences de compagnies étrangères affiliées soient imposables si le pays où elles sont situées n’a pas signé de convention fiscale avec le Canada. Or, plusieurs de nos entreprises multinationales possèdent des filiales dans des pays avec lesquels le Canada ne signera probablement jamais de convention fiscale. Dans les cas où il s’agit de transactions commerciales de bonne foi, l’exemption devrait être consentie.
Il faut bien convenir que toute cette question des aspects internationaux de la fiscalité est
fort complexe. C’est pourquoi elle devrait faire l’objet d’une étude conjointe du gouvernement fédéral et des provinces. Il ne faudrait pas risquer de nuire au développement de nos grandes entreprises à caractère multinational au moment oQ elles sont en proie à de grandes difficultés sur les marchés internationaux.
Le ministre fédéral des Finances s’est dit disposé à discuter de nouveau de ce problème, une fois que le projet de loi sur la réforme fiscale aura été adopté puisque les normes concernant le revenu de filiales étrangères n’entreront en vigueur qu’à compter du premier janvier 1973 et que celles qui portent sur les dividendes ne compteront qu’à partir de 1976. Pourquoi alors adopter hâtivement une législation si on a la certitude de devoir l’amender sitôt après? Ne vaudrait-il pas mieux repenser toute cette partie de l’imposition du revenu international?
La date de la mise en vigueur du nouveau régime
Tous se rendent bien compte que le nouveau régime fiscal est extrêmement complexe. Même les experts en fiscalité commencent à peine à en saisir tout le sens. De même, plusieurs amendements ont dû être apportés récemment au texte original et nul doute
que d’autres devront suivre. Enfin, plusieurs règlements portant sur tel ou tel article de loi n’ont pas encore été édictés ou ne sont qu’à l’état de projets. Bref, de nombreuses améliorations doivent être faites au projet de loi sur la réforme fiscale pour qu’il soit considéré comme acceptable.
Au Québec, ces difficultés sont multipliées du fait qu’il nous faut intégrer le projet de loi sur la réforme fiscale à nos lois qui sont d’inspiration souvent fort différente. Déjà, plusieurs équipes travaillent à l’élaboration des nouveaux textes de loi que le Québec devra adopter. Malgré toute la bonne volonté déployée, je doute fort que le Québec soit en mesure d’harmoniser ses lois fiscales pour que sa nouvelle législation puisse entrer en vigueur le premier janvier 1972. En outre, notre ministère du Revenu doit mettre en place les rouages administratifs nécessaires à l’implantation de nouvelles mesures aussi complexes que l’imposition des gains de capital.
Face à toutes ces difficultés, le Québec renouvelle sa demande pour que l’on retarde d’un an la mise en vigueur du nouveau régime fiscal. Je comprends qu’il tarde au ministre des Finances de voir appliquer la nouvelle loi fiscale, lui qui a consacré tant d’énergies à son élaboration. Mais, il faut bien se rendre à l’évidence qu’il sera difficile pour le gouvernement fédéral, et presque impossible pour celui du Québec, de faire débuter la réforme fiscale au premier janvier 1972.
Notre demande de reporter le début de la réforme fiscale au premier janvier 1973 ne veut aucunement dire que le gouvernement fédéral ou que celui du Québec doivent cesser leurs efforts pour faire adopter le nouveau projet de loi dans un délai raisonnable. Bien au contraire. Ce délai additionnel permettrait aux différents gouvernement s impliqués de présenter une meilleure législation et leur donnerait le temps nécessaire pour l’expliquer davantage à la population.
Enfin, la remise d’un an de la réforme fiscale serait loin d’être une catastrophe dans les temps difficiles que nous traversons, surtout à la suite des mesures protectionnistes prises par les Etats-Unis en août dernier. Elle permettrait d’envisager nos problèmes économiques d’une façon plus sereine. En d’autres termes, les Canadiens devront consacrer toutes leurs énergies à s’adapter aux récentes mesures prises par les Etats-Unis. Ils ne sauraient se plaindre de ne pas avoir en même temps à s’habituer à un contexte fiscal totalement nouveau.
Le ministre des Finances a indiqué l’autre jour que cette remise d’un an de la réforme fiscale ferait perdre à bon nombre de contribuables les avantages que leurs procureraient certains aspects de la réforme, l’accroissement des exemptions personnelles par exemple. Il est vrai que la réforme fiscale constitue un tout et qu’il ne serait pas réaliste de mettre en vigueur que les parties favorables au contribuable. Toutefois, le Québec ne voit pas pourquoi certains adoucissements en faveur des contribuables à faibles revenus ne pourraient pas être apportés même avec le régime fiscal actuel.
LES CONSULTATIONS TRIPARTITES
Par suite de la création, au sein du gouvernement fédéral, d’un département d’Etat aux Affaires urbaines, certains ont suggéré de mettre au point un mécanisme de consultation tripartite entre le gouvernement fédéral d’une part et les gouvernement s provinciaux et les corporations municipales d’autre part en vue de favoriser la concertation des activités de puissance publique en milieu urbain.
Cette proposition a le mérite de mettre en lumière le fait que l’envergure des problèmes suscités par la croissance accélérée des villes dépasse souvent le cadre territorial traditionnel des municipalités. Elle soulève cependant des difficultés évidentes de droit constitutionnel.
En effet la fonction dévolue au gouvernement fédéral par l’effet du mécanisme proposé, bien que purement consultative, le conduit nécessairement à intervenir dans l’ordre des rapports entre les corporations municipales et les gouvernement s provinciaux dont elles relèvent. Est-il besoin de rappeler à cet égard, que le paragraphe 8 de l’article 92 de la loi constitutionnelle de 1867 attribue expressément aux parlements provinciaux une compétence exclusive en ce qui concerne les institutions municipales? Cette difficulté nous interdit donc, dans l’état actuel du droit, de considérer cette proposition.
D’ailleurs la presque totalité des matières afférentes aux problèmes urbains se situent dans l’aire de compétence exclusive des provinces. Qu’il s’agisse d’habitation, de loisirs, d’équipement de services publics locaux, d’urbanisme ou d’aménagement du territoire, c’est à nous qu’incombe la responsabilité constitutionnelle d’intervenir. Le rôle du gouvernement fédéral dans ce domaine doit être limité à des activités de financement. Il nous appartient dès lors d’assurer la coordination nécessaire de l’activité des organismes publics ayant une juridiction sur le territoire. Cette fonction de coordination nous apparaît d’une grande importance. C’est pourquoi, au Québec, nous avons d’ailleurs décidé de l’institutionnaliser en créant, en mai 1971, un organisme permanent de liaison entre le gouvernement et les institutions municipales: la Conférence provinciale-municipale.
D’autre part la création du département d’Etat aux Affaires urbaines favorisera certainement une concertation d’activités de financement actuellement éparses au sein de l’administration fédérale. Cela peut contribuer à rationaliser la redistribution des fonds disponibles au palier fédéral de façon à tenir compte de la diversité des besoins des provinces en matière d’aménagement urbain. Mais pour assurer cette rationalisation il est nécessaire de donner aux relations fédérales-provinciales qu’elle implique un certain caractère de permanence.
La Conférence que les ministres des Affaires municipales ont pris l’habitude de tenir annuellement constitue déjà, à cet égard, un bon point de départ. Il suffirait maintenant d’en définir formellement la périodicité, de lui associer, sur les questions de son ressort, le ministre fédéral responsable et de la doter d’un secrétariat permanent analogue à celui du Conseil des ministres de 1’Education du Canada. Cette conférence pourrait ainsi devenir le cadre permanent de la consultation fédérale-provinciale sur le financement du développement urbain. Nous aurions alors mis au point l’instrument le plus précieux que nous puissions nous donner en vue de l’indispensable concertation de l’effort financier que requiert la solution des problèmes générés par le milieu urbain.

[QBRSS19711119]
[ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA, Chef du Parti Libéral
du Québec, à la séance de clôture du 16e congres du Parti tenu au Château Frontenac, à Québec, les 19, 20 et 21 novembre 1971.]

Madame la Présidente, Mes chers collègues,

Je voudrais remercier très chaleureusement le président du caucus, M. Louis-Philippe Lacroix, qui avec la verve qu’on lui connaît a su exprimer des paroles extrêmement chaleureuses à mon endroit.

Nous avons eu un congrès, comme il vous l’a dit luimême, qui se trouve, je crois, lorsqu’on examine les quelques centaines de résolutions qui ont été discutées, qui ont été adoptées dans plusieurs cas, et qui certainement, comme je l’ai dit vendredi, pourront influencer la législation du gouvernement puisque c’est une tradition dans notre Parti – et c’est véritablement la preuve de son caractère démocratique, de son sérieux et de sa vitalité – c’est une tradition dans notre Parti que les résolutions votées influencent l’action du Gouvernement. Nous avons eu en fin de semaine le véritable reflet de la société québécoise, oû des représentants de toutes les régions, de toutes les classes, de tous les groupes culturels ont pu discuter et dialoguer entre eux et arriver, dans ces discussions toujours ouvertes, positives et parfois un peu vives – c’est normal dans l’état de la société actuelle puisque nous la représentons – ont contribué avec solidarité par leur participation à faire avancer la société québécoise.

Je veux féliciter très chaleureusement les dirigeants du Parti, les responsables du Congrès – on sait ce que cela représente en matière d’organisation – tous ceux qui sont venus ici, qui ont participé, tous ceux qui par leur présence et leur verve et leurs paroles et leur contribution ont démontré jusqu’à quel point notre Parti est uni et fort et vigoureux.

Je voudrais également signaler, comme l’a fait M. Louis-Philippe Lacroix tantôt, la participation des jeunes. On me donnait quelques informations tantôt selon lesquelles quelque sept cents jeunes ont participé au Congrès. Il a raison: jamais autant de jeunes n’ont participe à un congres du Parti libéral.
Lorsque nous avons pris le pouvoir il y a quelque cinq cents jours, il y avait plusieurs problèmes majeurs qui se trouvaient devant le gouvernement, et c’est sans répit, comme il l’a signalé, que nous avons oeuvré. Il y avait la question de la construction, la question de l’assurance-santé, la situation financière et le chômage.

L’assurance-santé? On sait ce qui est arrivé dans d’autres provinces, dans d’autres pays, jusqu’à quel point cela a été une situation difficile. Nous l’avons réglée, et je pense que l’ensemble de la population québécoise, y compris les médecins, se sont déclarés satisfaits des propositions que nous avons faites. Et nous l’avons réglée à $15 millions de moins que le chef de l’aile centriste du Parti québécois – parce qu’il y a plusieurs partis dans ce parti-là.- le Dr. Camille Laurin voulait qu’on donne aux médecins. Imaginez, eux qui se disent proches des travailleurs ! Ceux qui sont ici et qui représentent les comtés des travailleurs où il y a des députés péquistes doivent savoir, eux et les travailleurs de ces comtés-là, que le Parti québécois voulait qu’on donne $15 millions de plus à des gens qui se sont déclarés satisfaits avec ce que nous avons donné.
C’est une preuve de plus que c’est le Parti libéral qui sait le mieux gouverner dans les périodes de crise et les périodes de difficultés. L’assurance-santé, c’est une chose dont on parlait depuis des générations, et c’est nous qui l’avons appliquée! Parce que ce qui est difficile, ce n’est pas de présenter un projet de loi, ce n’est même pas de le voter, mais c’est de l’appliquer à la satisfaction de la population.
La situation financière, on sait comme c’est fondamental pour tout gouvernement et particulièrement pour le mien. On sait que sans des finances saines toute action du gouvernement peut être paralysée. On ne fait pas des manchettes avec une administration financière saine. On ne fait pas des manchettes quand on réduit, comme on l’a fait nous autres Libéraux depuis que nous sommes au pouvoir, les taux de croissance dans le cas de l’administration des hôpitaux oft cela a été réduit en deux ans de 18% à 10%.

Même chose dans le domaine de l’éducation. Le rattrapage dans le domaine des dettes scolaires, dans le domaine des dettes des hôpitaux aux banques, tout cela a été fait – ce rattrapage des dettes, cette mise à jour de la situation financière des hôpitaux et des commissions scolaires – parce que c’est fondamental dans une société bien administrée et bien organisée, et bien orientée.
Cela ne fait pas les manchettes, mais le 30 avril, quand vous faites votre rapport d’impôt, c’est commode de ne pas avoir à payer plus de taxes parce qu’on a une administration qui est efficace.

On l’a fait, ça, nous les Libéraux!
On a également donné aux municipalités au cours des cinq prochaines années à la suite de la Conférence provinciale-municipale organisée par le ministre des Affaires municipales. On s’est engagé, encore là sans augmenter les impôts, à donner $300 millions aux municipalités pour alléger leur fardeau pendant les cinq prochaines années. Ça, c’est un autre résultat concret.
On a même une meilleure administration fiscale. Des chiffres m’ont été fournis qui révélaient qu’on va avoir $40 millions de plus en revenus fiscaux parce qu’on a réussi à mettre un terme à l’évasion fiscale. Je suis convaincu que vous êtes tous d’accord avec cela: il n’y en a pas un qui a essayé de jouer l’impôt, ici dans cette salle. On est d’accord avec la lutte du gouvernement pour nous permettre de réduire l’évasion fiscale et de balancer notre budget.

Il y a la question économique, la question du chômage. Vous me permettrez, étant donné que c’est la priorité du gouvernement, que c’est le problème numéro 1 au Québec actuellement, que j’en parle quelque peu.

Cette situation financière, dans le cadre global, nous a permis de poser des gestes pour relancer l’économie. Nous avons parlé de 100,000 emplois lorsque nous avons été élus. C’était un engagement que nous avons pris, un engagement à faire tout notre possible.
Qu’est-ce que nous avons fait depuis un an, puisque
nous parlions de 1971? Nous avons adopté des lois créant, par exemple, la Société de développement industriel. Nous avons augmenté le capital de SOQUEM, de REXFOR, de SIDBEC parce que nous ne sommes pas contre le rôle de l’Etat dans la relance de l’économie. C’est normal que l’Etat québécois puisse assurer une présence plus grande lorsqu’il peut le faire, par des dirigeants québécois ou par l’Etat lu imême, dans les secteurs-clés de l’économie. Nous avons également encouragé les investissements privés. Je sais qu’il y a eu des discussions sur les subventions qui étaient données à l’industrie, qui dans un cas comportaient un investissement d’un demi-milliard sur la Côte-nord.
Nous avons dit que nous préférerions, si nous pouvions le faire, et cela a été discuté abondamment au cours des ateliers, ne pas avoir recours aux capitaux étrangers, ne pas avoir recours à des mesures pour les inciter si nous pouvions nous-mêmes trouver les fonds ici.

Mais personne encore, mes chers amis – c’est une chose qu’on critique partout, au sujet de laquelle on pose des questions – mais personne encore n’est arrivé avec une alternative concrète. Ici je m’adresse en particulier aux jeunes, aux étudiants qui doivent répondre à toutes ces questions dans les CEGEP et les universités, à ceux qui vous demandent pourquoi le gouvernement donne tant. Demandez donc à ceux qui vous posent ces questions, peut-être de bonne foi, s’ils ont une autre alternative, s’ils ont une autre solution concrète pour que ces investissements puissent être remplacés de façon que soient créés ces milliers et ces milliers de nouveaux emplois qui vont vous servir à la sortie des CEGEP et des universités. C’est là qu’est le problème. Si on n’a pas d’alternative, si le choix est entre se priver d’un développement dans plusieurs régions du Québec, ou recevoir ces investissements et leur donner des incitations, je suis convaincu que la population du Québec dans son ensemble est d’accord avec le gouvernement pour adopter cette attitude.
Vous avez vu, mes chers amis, tout le travail du ministère de l’Industrie et du Commerce, travail considérable par le ministre lui-même, M. Gérard D. Lévesque, qui se trouve en même temps Leader parlementaire, qui a à faire face à l’adoption de tous les projets de lois. Je ne sais pas si vous l’avez vu au cours du congrès. Malheureusement, il a eu un petit accident: il se promène avec deux béquilles et un pied dans le plâtre. Quand je l’ai vu comme cela pour la première fois, j’ai dit: « Ca y est! Il est passé dans l’Unité Québec! »

Son travail est ingrat parce que la marge de manoeuvre du gouvernement du Québec dans l’ensemble de l’économie est quand même relativement étroite puisqu’il a à tenir compte de la conjoncture nord-américaine.
Il y a également la contribution de tous les autres secteurs comme le tourisme. Est-ce que Mme Kirkland-Casgrain ne vient pas d’obtenir le congrès mondial le plus important
tourisme; pour l’été de 1974, cent pays sont se réunir à Montréal. C’est à se demander s’ils ne sont pas d’accord pour qu’on gagne les prochaines élections.
Nous pourrions énumérer longtemps toutes les mesures, toutes les dépenses et les investissements qui vont être faits en Gaspésie: $411 millions! Ils vont permettre à une région qui a des problèmes de croissance économique de pouvoir avoir un niveau, je l’espère, comparable aux autres. Ce sont des mesures concrètes, réelles.
Les voyages que nous avons faits? J’ai visité quelques villes en Europe. Qu’est-ce que cela a donné comme résultats? Je peux vous en dire quelques mots. Dans les pires moments de la crise monétaire, le Québec a été l’un des seuls qui a pu emprunter, par exemple en Allemagne, quelques jours après les décisions américaines du mois d’août, $35 millions, qui a pu également emprunter sur le marché de New York. Est-ce que ce n’est pas là la preuve du crédit du gouvernement actuel, alors que plusieurs autres pays ne pouvaient pas emprunter ou avaient des difficultés considérables? On nous a fait confiance, même dans ces moments.
Prenons le cas des investissements. lors de mon voyage en France. On sait ce que cela donnait avec les gens de l’Union Nationale lorsqu’ils allaient en France. Avec quoi revenaient-ils? Des menus de l’Elysée, quelques bouteilles de vin et deux boîtes de cigares. Nous, nous sommes revenus avec des investissements qui eux, par exemple, vont créer des milliers d’emplois dans le secteur maritime, ou vont permettre la mise à jour de SOMA, qui avait des problèmes économiques considérables, ou un investissement de la Compagnie Générale Electrique. Trois secteurs, trois investissements concrets.
Tous les budgets que nous avons adoptés sont des budgets expansionnistes, comme dans le cas des ponts, des routes et des édifices.
Sur le plan régional, nous avons essayé en collaboration avec le Fédéral d’utiliser les sommes qui sont disponibles pour que toutes les régions puissent en profiter. Il y a quelques régions qui ont connu jusqu’à maintenant moins de développement que d’autres régions, mais nous essayons avec le budget d’arriver à proposer des travaux de voirie qui puissent pour un certain temps alléger le problème du chômage.
C’est la même chose avec les mesures d’assistance à l’industrie des pâtes et papiers, qui ont également le même objectif.
On dit: « Quelle est la politique économique du gouvernement? » La politique économique du gouvernement est simple: nous voulons consolider et renforcer la structure industrielle du Québec, aider les entreprises les plus productives, augmenter le produit national brut dans ces secteurs-là où l’on obtient le plus de résultats. Cela c’est à moyen terme.

Nous prenons des mesures pour moderniser ces secteurs. Nous faisons des propositions au gouvernement fédéral dans le secteur tarifaire, encore pour consolider ces secteurs. Nous avons également un problème à court terme de chômage immédiat. Nous devons d’une part tenir compte de la structure industrielle du Québec, mais d’autre part nous devons également tenir compte du problème à court terme. C’est pourquoi nous prenons toutes les mesures possibles avec tous les moyens que nous possédons pour créer le maximum d’emplois et empêcher que cette période difficile que nous traversons – et qui devrait certainement prendre fin d’ici quelques mois ou d’ici l’été prochain – se trouve à infliger trop de problèmes aux régions qui ont un taux de chômage déjà élevé.

A court terme donc, c’est une politique essentielle pour le gouvernement de multiplier ses efforts pour créer des emplois. Si nous regardons les chiffres maintenant, si nous regardons la performance de 1971, il y a à date 54,000 nouveaux emplois additionnels nets, la meilleure année depuis cinq ans,et à travers combien de difficultés: la réévaluation, la question des mesures annoncées par M. Nixon, les événements politiques que nous avons connus. Combien de mesures et combien de gestes nous ont compliqué la tâche, et malgré cela, mes chers amis, nous avons réussi à offrir une performance qui est la meilleure depuis cinq ans avec des problèmes autrement plus difficiles. Trois mille nouveaux emplois en 1968, douze mille en 1970, et nous nous orientons vers 50 ou 55,000 pour 1971. Ca c’est un résultat concret qui met en relief et qui donne la preuve de tous les efforts que nous avons faits ensemble, au gouvernement et dans la députation, ainsi que dans le Parti pour arriver à créer ces emplois.

C’est clair que ce problème est vraiment le nôtre.
C’est celui du Canada par rapport à tous les pays de l’Ouest. Nous avons un taux de croissance de la main-d’oeuvre exceptionnellement élevé. En effet, pendant la même période, si nous avons créé 54,000 nouveaux emplois, il est venu un peu plus de monde sur le marché du travail, indépendamment de ceux qui ont perdu leur emploi. C’est ça qui force le gouvernement à multiplier les efforts dans ce secteur.
Si. nous examinons d’autres secteurs comme le secteur social, combien de réformes – et vous les connaissez, je n’insisterai pas là-dessus – ont été apportées par le ministère et par le ministre et par le gouvernement. Assistance-médicaments, réforme des structures, nous pourrons résumer tout cela tantôt en quelques mots.
Dans le domaine de la pollution, [it is a great sector, it is-a great issue. We are the first government who decided totake action to fight pollution. Previously no action was seriously taken but now we have a department with Dr. Victor Goldbloom who is travelling over all the province and working very hard to fight pollution.

(applaudissements)

He just told me a few days ago that he succeeded to convince Noranda Mines to spend an additional investment of $10 million in Gaspé in order to fight pollution. We will present a law in a few days, at the end of the month, to merge all the services of the Government concerned with pollution in order to have a much more efficient organization to achieve that-goal. Of course we have a lot of problems but we cannot avoid fighting pollution because this is becoming more and more an issue in our present society.]
Dans le même secteur de la protection des citoyens, mes chers amis, ou des consommateurs, il y a toute la question de l’assurance-automobile. Nous avons déjà posé des gestes pour essayer de réduire la croissance des coûts dans ce secteur – le ministère et le ministre des Institutions financières en particulier – nous avons l’intention, à travers les différents départements, à travers l’action que nous pouvons avoir sur les routes, à travers l’action que nous pouvons avoir par le Code de la route, nous avons l’intention de prendre d’autres mesures et si cela ne s’avère pas suffisant pour contrôler les coûts à un rythme raisonnable, le gouvernement assumera certainement ses responsabilités puisque l’assurance-automobile est devenu un service général à la population, le gouvernement n’a pas le droit, comme dans les autres secteurs, de rester inactif lorsqu’il y a des abus qui se présentent.

Dans le domaine de la protection du citoyen, nous pouvons également parler de plusieurs lois dans le secteur de la justice, de l’assistance judiciaire, l’indemnisation des victimes du crime, l’accessibilité pour les petites causes. Ce sont toutes des lois et des décisions qui ont été prises par le ministère, le gouvernement et le ministre de la Justice afin de corriger les inégalités et les problèmes qui existaient.

Il y a également tout l’aspect culturel. L’Office de la Langue française a vu ses pouvoirs et ses moyens financiers accrus. La politique du livre: cela fait sept ans ou huit ans qu’on parlait d’apporter des changements à la politique du livre, depuis le Rapport Bouchard. C’est le gouvernement, et le Dr François Cloutier en particulier, qui a posé les gestes pour appliquer une véritable politique du livre à l’avantage des Québécois. Ce sont des choses qui ne sont pas tellement connues, mais qui sont quand même des progrès dans des secteurs-clés de notre société.

Il y a eu toute l’action de l’Agence de Coopération culturelle, l’intégration des immigrants. C’est vrai que le Bill 63 a été adopté. Il a été adopté dans un contexte particulier, dans un contexte qui évolue. Si, évidemment, les éléments de la situation changeaient, là encore le gouvernement ne pourra pas se défiler devant ses responsabilités. Là encore le gouvernement devra considérer quels gestes il devra poser pour assurer la sécurité culturelle des Québécois. C’est Keith Spicer lui-même qui disait il y a quelques jours que c’est le gouvernement du Québec, comme seul gouvernement francophone qui doit voir ou qui a la résponsatilité d’assurer, le progrès et l’épanouissement des francophones en Amérique du Nord. C’est notre responsabilité bien particulière, et il faut en tenir compte.

Il y a eu le bill 64 qui est un premier pas en avant et qui tient compte du contexte. C’est clair que nous ne pouvons pas proposer un ensemble de mesures qui sont irréalistes; il faut quand même tenir compte que nous sommes en Amériquedu Nord et que la langue commerciale est principaiement l’anglais .
D’autres secteurs, mes chers amis, sont particuliérement l’agrirulture où l’on vient de donner $5 millions à certains producteurs pour alléger leur fardeau. Il y a toutes les mesures annoncées par le ministre de l’Agriculture.
Il y a le secteur des loisirs et des sports. C’est un secteur qui devient lui aussi de plus en plus important. On a posé des gestes. On va en poser d’autres plus importants encore dans les jours et dans les mois qui viennent. On a augmenté les pouvoirs du Haut-Commissariat, ses moyens financiers et son personnel. On va déposer un projet de loi dans quelques jours pour que le Haut-Commissariat ait une véritable structure et qu’il puisse faire une action coordonnée.
Bref, que signifie tout cela? Cela signifie que nous avons adopté près de deux cents lois, la grande majorité d’intérêt public, un peu plus de cinq cents jours de pouvoir.

En quelques mots, qu’est-ce qu’a fait le gouvernement durant ces dix-huit mois? Cela n’a peut-être pas paru autant que cela aurait pu si nous n’avions pas eu tous ces événements qui ont eu tendance à atténuer l’impact de notre action.

Résumons notre action: le gouvernement a réglé le problème de la construction, l’assurance-santé, l’assistance-médicaments, l’assistance judiciaire, la réorganisation des hôpitaux, le regroupement des commissions scolaires, la réduction de la hausse des coûts, une meilleure administration fiscale, des lois économiques, le développement de l’Office de la Langue française, un budget expansionniste avec des dépenses de voirie accrues, pas de hausse de taxes, la reéforme des transports et des communications, la loi de l’administration financière, le nouveau règlement de l’aide sociale, la mise à jour du financement des commissions scolaires, $300 millions aux municipalités, $430 millions pour le prolongement du Métro ont été débloqués, la réforme électorale, la protection des consommateurs, la lute à la pollution, la modernisation de l’agriculture, combien d’autres choses, et finalement la création de la Société de Développement de la Baie James qui permettra aux Québécois de contrôler une de leurs principales richesses naturelles.

C’est cela, mes amis, qui est de l’action, et cela va continuer comme ça tant que la population nous soutiendra et nous accordera sa confiance.

Vous avez là très sommairement un bilan de notre action dans ces quelque cinq cents jours de pouvoir et qui révèle par lui-même tout ce qui a été fait. L’action de mon gouvernement, comme l’a signalé M. Lacroix dans sa conclusion, c’est également de faire fonctionner le régime fédéral.

La politique du gouvernement est claire là-dessus. Nous considérons que le fédéralisme sous différents rapports ou dans différents secteurs doit avoir une approche flexible. Dans le domaine économique, nous considérons que le fédéralisme doit viser à réduire les disparités régionales. Même le Premier ministre de la Colombie-Britannique, M. W. Bennett, est d’accord avec moi là-dessus. Comment voulez-vous que dans un régime fédéral dont c’est la raison d’être redistributif, on ne soit pas d’accord pour réduire ces disparités? Je l’ai exprimé clairement à la dernière conférence fédérale-provinciale. Dans le secteur économique, nous sommes l’une des cinq régions du Canada et nous voulons profiter, comme toutes les régions, du fédéralisme. Si notre niveau de vie est inférieur à d’autres, il est normal que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour corriger cette situation. Cela a été fait dans une certaine mesure, notamment par l’action de deux ministres québécois, MM. Marchand et Pépin. Dans le domaine social, nous voulons un fédéralisme décentralisé.
[It is obvious for us that when we have two governments dealing in social security, it is obvious and normal that we should have decentralization. We agree – and.we told that to the Federal government – we agree to respect national standards, but we want also – because we are also paying and giving a lot of money to Quebecers in the field of social security – the possibility to coordinate our own action with what is distributed by the federal government. What we propose in the field of family allowances is exactly a typical example of a good working federal system where the federal government could have national norms, which are respected, and where provincial governments could adapt the amounts given by the federal government in line with’the priorities of the regions.]

Dans le domaine culturel, c’est clair que nous avons des caractéristiques particulières. Le Premier ministre du Canada lui-même le constatait à l’ouverture de la conférence de l’Agence de Coopération culturelle et technique en disant que le Québec avait un rôle particulier à jouer. Quant à moi, je suis confiant, pour plusieurs raisons, dans l’avenir du fédéralisme.

Dans une société comme la nôtre, alors que nous avons une liberté d’expression sans pareille, nous devons penser qu’il y a des pays démocratiques depuis des siècles où des gestes, qui sont posés ici impunément, seraient pénalisés de la façon la plus sévère. Dans une société comme la nôtre, avec l’une des plus grandes libertés d’expression, la violence est un acte contre la liberté. C’est une insulte à l’intelligence, c’est un mépris de la dignité humaine. Nous n’avons certainement pas l’intention de voir compromettre les immenses espoirs légitimes que nous pouvons avoir avec nos richesses naturelles et économiques, avec nos ressources humaines qui dans quelques années vont pouvoir donner leur pleine mesure. Nous n’avons certainement pas l’intention de voir compromettre ce défi qui est le nôtre, de bâtir une société originale dans le contexte nord-américain, par quelques centaines d’individus qui n’hésitent sur aucun moyen. Qu’ils se le tiennent pour dit. Le gouvernement est vigilant et, si nécessaire, va redoubler de vigilance, et prendre tous les moyens pour protéger la société et assurer la liberté dans la pleine sécurité de tous les citoyens.

La véritable démocratie, celle que nous connaissons, n’accepte pas que quelques individus puissent mettre en péril ou puissent entraver l’action de la presque totalité de la population. Nous n’étions pas habitués à ce genre de violence. On sait que c’est un phénomène relativement nouveau dans toutes les sociétés, y compris dans la nôtre. On peut l’expliquer de différentes façons. La possibilité qu’avaient les générations précédentes, àcause d’événements historiques tels que les guerres mondiales, de devoir faire face à la violence n’existant plus, la violence individuelle a tendance en certains cas à remplacer la violence collective. C’est donc un phénomène nouveau. Il est vrai que les gouvernements, où qu’ils se trouvent, ont pu être pris par surprise, par la multiplication de ces actes de violence qui existent dans toutes les grandes cités du monde. Le gouvernement ne peut pas se permettre cependant de rester passif ou de ne pas rechercher des solutions.

Nous avons discuté avec le gouvernement fédéral et nous lui avons proposé que les discussions se poursuivent. J’espère qu’elles aboutiront à des résultats. Nous avons en effet proposé au gouvernement fédéral que des léglislations plus flexibles soient adoptées pour tenir compte de ces circonstances et pour faire en sorte que la population soit protégée.

Mes chers amis, le congrès que nous avons tenu est un encouragement pour tous, pour le chef du Parti comme pour tous les militants. Ce congrès-là met en relief d’une façon spectaculaire que le Parti libéral est le seul parti qui soit présent dans toutes les régions, le seul parti qui est présent dans toutes les classes de la société, le seul parti qui est présent dans tous les groupes culturels. C’est pourquoi nous pouvons prétendre également être le seul parti à pouvoir légitimement gouverner parce que nous sommes le seul parti qui reflète la société québécoise dans ses plus grandes aspirations et que nous allons les réaliser si nous continuons de bâtir ensemble comme nous l’avons fait au cours de la fin de semaine.

[QBRSS19720206]

[INAUGURATION DE LA
SEMAINE NATIONALE DE L’ELECTR I C ITE DU 6 A U 12 FEV R I ER 1972
PAR MONSIEUR ROBERT BOURASSA
PREMIER MINISTRE DE LA PROVINCE DE QUEBEC]

Mesdames et Messieurs,
L’année 1971 aura marqué une époque dans l’histoire de l’électricité, au Québec. Le 14 juillet dernier, en effet, fut votée la Loi instituant la Société de développement de la Baie James.
L’énergie tirée des rivières de la Baie James permettra à l’Hydro-Québec de faire face à la demande prévue pour 1982. Au Québec, comme on le sait, les besoins en électricité doublent tous les huit ou dix ans. Par ailleurs, le chiffre d’affaires de l’industrie électrique, qui comprend la vente des appareils et les services d’installations, a été de près de 600 millions de dollars en 1971, donnant ainsi du travail a quelque 60,000 personnes à plein temps sans compter les milliers d’emplois indirects dans des industries connexes.

C’est donc dire que l’apport de l’industrie électrique à l’économie du Québec est considérable. L’Hydro-Québec, les fabricants de matériel électrique et les installateurs contribuent largement à la hausse de notre niveau de vie.
La semaine nationale de l’électricité a lieu, cette année, du 6 au 12 février. Le thème choisi en est un plein d’optimisme: « Partout l’avenir est électrique ». II ne fait pas de doute que cette forme d’énergie est indispensable au progrès d’une société.
Mesdames et Messieurs, je suis heureux et fier de déclarer officiellement ouverte la Semaine nationale de l’électricité.

[QBRSS19720416]
[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA, AU DINERBENEFICE DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC TENU A MONTREAL EN L’HOTEL REINEELIZABETH LE 16 AVRIL 1972.]

Madame la Présidente,
Mes chers Collègues,
Mes chers Amis, militants et militantes,
Je veux remercier très sincèrement en premier lieu Jean Morissette et tous ses collaborateurs pour le succès extraordinaire de cette soirée. Même si ce n’est pas le premier dîner-bénéfice auquel ils travaillent, on sait combien cela représente de semaines et de mois de travail de leur part pour faire le succès que nous avons ce soir, et qui,en fait, est le plus grand dîner-bénéfice, le dîner-bénéfice le plus populaire que n’importe quel parti politique a tenu dans le passé.
Je voudrais remercier tous ceux qui viennent de loin. Durant une heure ou une heure et demie tantôt j’ai essayé de visiter toutes les salles, il y en avait partout, jusque sur la Place Ville-Marie de l’autre côté, pour essayer de serrer la main de tous ces militants et de toutes ces militantes qui se sont déplacés pour venir manifester leur appui par leur présence au Parti libéral du Québec.

[I would like to express all my gratitude to all those who organized this tremendous meeting. I know how much work it involves for all those who are connected with that and of course on behalf of the Party I want to express to them all my thanks.]

Mes chers amis, il est normal qu’après deux ans nous fassions un bilan, puisqu’il y a environ deux ans nous prenions le pouvoir par une majorité sans précédent. Il ne s’agit pas ce soir d’énumérer les centaines de lois, de décisions administratives ou d’ententes qui ont été faites depuis deux ans. J’aurai l’occasion les 29 et 30 avril de vous en faire part à l’occasion d’émissions télévisées. Nous avons été élus avec un mandat clair et précis – les deux tiers des députés – pour un programme de gestion moderne basé sur le programme du Parti libéral. On peut dire après deux ans qu’une très large partie de ce programme a été réalisée. Gouverner au Québec durant les années 1970 suppose certains principes. Il ne s’agit pas de gouverner en vase clos, et je ne crois pas que l’on puisse accuser le gouvernement actuel de gouverner en vase clos alors que nous multiplions dans toute la province les rencontres et les discussions avec tous les groupes sociaux qui forment la population. Il ne s’agit pas non plus d’abandonner à d’autres la responsabilité de gouverner. Nous sommes le gouvernement et nous gouvernons – et ce sont nos décisions qui vont prévaloir.
Les gouvernements dans notre société moderne sont appelés par la force des choses à mener de front deux types d’action bien distincts. Premièrement, ils doivent être capables de fixer à la collectivité des objectifs précis et cohérents dans les domaines économique, social et culturel. Leur première préoccupation doit être la réalisation de ces objectifs. Par ailleurs, tout en s’attaquant avec détermination à mettre en oeuvre ces politiques, nos gouvernements doivent aussi faire face à des événements exceptionnels qui marquent maintenant l’évolution de nos sociétés développées.

Le progrès de la technologie moderne, le rythme effréné des changements sociaux et économiques, la complexité toujours grandissante des problèmes, les difficultés considérables d’adaptation au changement pour les individus et les groupes, voilà autant de réalités qui favorisent le développement de situations conflictuelles qui prennent souvent la dimension de crises plus ou moins aigues.
Le Québec, comme n’importe quelle société moderne, connaît ce genre de situation de façon particulière, ne serait-ce qu’en raison des problèmes linguistiques et constitutionnels qui lui sont propres. Nous y faisons face avec calme et fermeté, avec le souci constant de protéger et de servir l’intérêt public et de faire justice aux uns et aux autres, en évitant de tomber dans le piège des dénonciations fracassantes et des épreuves de force stériles. Dès lors qu’il s’est agit de situations d’urgence, notre action a été réfléchie, immédiate et conséquente.

Qu’on se souvienne par exemple du cas de l’industrie de la construction qui était menacée par un conflit de travail. Une loi spéciale a été immédiatement adoptée pour ordonner la reprise des travaux à des conditions provisoires déterminées jusqu’à ce que l’on puisse apporter une solution permanente au conflit. Encore il y a quelques jours, nous apportions le bill 15, également pour régler un problème très urgent et très algue, avec des sanctions. jusqu’à $ 50,00 par jour pour les syndicats qui ne respectaient pas la loi.

L’entrée en vigueur de l’assurance-maladie était compromise, vous vous en souvenez, par l’action d’un groupe de médecins. Trois lois, et en pleine crise d’octobre, furent immédiatement adoptées afin de garantir la mise en vigueur de cette Importante réforme sociale.

Souvenez-vous de l’attitude que nous avons prise dans des circonstances on ne peut plus difficiles au cours des événements de la crise d’octobre afin de protéger les grandes valeurs de notre société démocratique.

Si nous examinons d’autres événements de nature moins politique, nous voyons l’attitude du gouvernement également déterminante et décisive, dans le cas de la tragédie de Saint-Jean-Vianney où une action immédiate aa été prise sous forme de crédits disponibles et d’équipes spéciales.

C’est la même chose dans le domaine économique, dans le domaine agricole. Combien de fois nous avons agi d’une façon extrêmement rapide et efficace pour faire face à des problèmes particuliers! Bref, gouverner c’est savoir écouter mais c’est aussi décider,et nous l’avons fait.

Parallèlement à ces actions particulières et devant des problèmes de nature urgente, nous avons accompli toute une série de réformes majeures dans les secteurs sociaux, économiques, culturels, éducatif$; des dizaines de réformes majeures ont été faites dans ces secteurs pour faire avancer la société québécoise. Mais l’intensité de l’action politique est telle ces années-ci au Québec que des lois qui, il y a dix ans, par exemple, après seize ans d’immobilisme duplessiste, pouvaient paraître comme des réformes exceptionnelles, des réformes d’envergure, aujourd’hui, à cause de cette intensité, à cause de cette multiplication d’actions et de réformes du gouvernement, passent à peu près inaperçues. On pourrait donner comme exemples la loi de l’aide juridique, la loi de la santé mentale, la réforme forestière, voilà trois réformes fondamentales et majeures.

Cependant, évidemment, dans tout ce que nous traversons, dans toutes les réformes que nous avons faites, dans tous ces événements et ces situations difficiles que nous traversons, il y a un impact bien moins considérable qu’ils auraient eu dans des temps plus tranquilles.

Il est normal, puisque j’aurai l’occasion de parler du bilan au cours des prochaines semaines avec beaucoup plus de détails, de parler de quelques problèmes d’actualité. Evidemment, il me vient à l’esprit le premier et le plus important actuellement, soit incontestablement la négociation que nous avons présentement dans le cas de la fonction publique.

Les négociations reprennent demain à Québec. Il importe donc de parler de cette question en tenant compte de ce fait. J’ai exprimé avant-hier à la télévision le point de vue du gouvernement. J’ai fait le point vis à vis la population du Québec. Nous avons mentionné certains faits et certains principes, notamment le respect de la loi.

J’ai dit et je répète qu’il n’est pas question avec mon gouvernement de négocier le respect de la loi. C’est pour nous un principe fondamental. Je trouve extrêmement curieux, par exemple, que des chefs syndicaux disent qu’ils ne veulent pas demander le respect des injonctions, le respect de la loi. J’espère qu’ils se rendent compte de la lourde responsabilité qu’ils ont vis-à-vis tous ces syndiqués qui sont poursuivis pour outrage au tribunal et qui comperaîtront en cour demain à Québec ou à Montréal. Eux qui leur demandent de ne pas respecter les injonctions, ils doivent assumer cette responsabilité. Parce que c’est évident qu’un gouvernement responsable ne peut pas négocier le respect de la loi. Nous l’avons dit. Les poursuites que nous avons prises – non pas par caprice et non pas inutilement nous les avons prises dans le cas des hôpitaux alors qu’il y avait des personnes complètement innocentes, complètement étrangères au conflit, qui se trouvaient plus ou moins les otages de cette situation. Le devoir du gouvernement était de prendre les moyens juridiques pour protéger la santé publique.

Nous les avons pris. Nous irons jusqu’au bout.

Qu’on n’invoque pas le fait que, parce qu’on fait appel de ces injonctions, elles cessent d’être exécutoires. Il est évident pour tout le monde que du moment que nous avons pris ces injonctions, elles sont exécutoires jusqu’à la décision finale. Et ce n’est pas parce qu’on loge un appel à la Cour Suprême qu’elles cessent d’être exécutoires. C’est un alibi, une excuse qui ne peut pas être admise de la part des chefs syndicaux. C’est être très mal informé de la réalité et très mal informer la population et les syndiqués que d’agir ainsi.

Il est évident qu’après cette grève il faudra réexaminer toute cette question, notamment dans le cas des hôpitaux. Cette loi a été adoptée il y a huit ans. Nous avons eu quelques expériences et il faudra lorsque cette grève sera terminée, que ce soit par un règlement négocié – ce que nous souhaitons – ou que ce soit autrement si cela devient nécessaire, il faudra réexaminer toutes ces questions à la lumière de l’expérience que nous aurons vécue.
En attendant je veux remercier très sincèrement tous ceux qui actuellement, notamment dans le cas des hôpitaux et des autres secteurs, les bénévoles, les étudiants qui sont devenus disponibles pour faciliter la tâche de tous ceux qui ont à faire face à une situation nouvelle et extrêmenient difficile.

Nous pouvons parler peut-être quelques instants d’une demande ou de la demande principale des syndicats dans ce problème: la question des $ 100 par semaine. Les parties sur cette question se sont rapprochées. Nous avons fait d’une part de nouvelles propositions et nous discutons de cette question avec les syndicats. Mais je pense que comme gouvernement nous devons tenir compte de plusieurs facteurs. Le gouvernement doit tenir compte notamment, puisqu’il est le représentant de toute la population, de la situation qui existe dans le secteur privé. Nous voyons d’après les derniers chiffres et j’en dirai un mot tantôt – nous voyons qu’il y a un déblocage dans le domaine économique au Québec à la suite de toutes les mesures que nous avons prises, avec les investissements qui sont plus élevés qu’ailleurs du point de vue du taux de croissance, avec le chômage qui baisse ici et qui augmente ailleurs. C’est donc important que le gouvernement tienne compte de l’ensemble de la situation.

Le gouvernement, également dans cette question du $ 100 par semaine, non seulement doit tenir compte du secteur privé, mais doit examiner les conséquences sur l’application de la politique salariale dans son ensemble.
Quel effet aura le poids d’une telle décision sur l’ensemble des taux de croissance de la politique salariale?
Le gouvernement, troisièmement, doit également tenir compte de ses autres politiques, notamment sa politique vis-à-vis les allocations familiales qui visent à aider davantage les familles défavorisées et les familles nombreuses. C’est là un moyen de corriger certains problèmes fiscaux, avec des allocations plus généreuses pour les familles nombreuses et défavorisées. Il doit également tenir compte que la très grande majorité – d’après des statistiques qui n’ont pas été démenties – la très grande majorité de ceux qui ne gagnent pas $ 100 actuellement ne sont pas des soutiens de familles.

Par ailleur, il doit tenir compte du financement. Comment payer ces montants? C’est toujours facile de dire: »Taxez les plus fortunés ».
Mais on sait qu’actuellement le Québec vis-à-vis certains niveaux de salaires est sensiblement plus taxé que d’autres provinces ou que certains de ses concurrents. C’est à cause d’une surtaxe de 6 % établie il y a plusieurs années par le gouvernement de l’Union Nationale. Les taxes ici à certains niveaux de salaires sont substantiellement plus élevées. Dans une économie ouverte, il est donc normal que le gouvernement tienne compte de cette situation. Il faut tenir compte également du fardeau fiscal, parce que si nous répondons aux demandes des syndicats, il nous faut savoir où trouver les fonds. Et comme je l’ai dit, soit diminuer les dépenses que nous considérons comme essentielles,ou encore hausser les impôts de l’ensemble des travailleurs. Alors, c’est à la lumière de tous ces facteurs que le gouvernement doit prendre sa décision; même s’il a révélé à date qu’il était prêt à poser des gestes, il doit prendre ses décisions en tenant compte de l’ensemble des contribuables québécois.
Depuis deux ans nous avons multiplié les législations pour les milieux défavorisés. Que ce soit l’assurance-maladie, l’assistance-médicaments, l’aide juridique que nous avons annoncée il y a quelques semaines par la voix du ministre de la Justice. Vous vous souvenez par exemple dans le cas de l’assurance-maladie, combien de salariés moyens, combien de petits salariés subitement avaient des comptes de médecins ou d’hôpitaux de plusieurs milliers de dollars à payer. Je m’en souviens fort bien quand j’avais l’occasion comme député de rencontrer – plus souvent naturellement que je ne peux le faire aujourd’hui comme Premier ministre— les électeurs de mon comté de Mercier. Cela m’avait sensibilisé à l’importance de l’assurance-maladie. Eh bien cela c’est fini, avec la législation que nous avons adoptée. C’est réglé maintenant. On en parlait depuis des générations et des années et c’est le Parti Libéral qui a amélioré le sort de tous ces défavorisés. On doit en tenir compte.
Si nous examinons l’ensemble de la situation budgétaire – dans 48 heures vous aurez le discours du budget. C’est évidemment un sujet d’actualité et vous savez comme moi que c’est une tradition de respecter ce secret. Il n’est pas question pour moi ce soir de dévoiler les mesures fiscales qui vont être connues à ce moment-là. Mais ce que je puis dire par exemple, c’est que nous avons mis de l’ordre dans les finances au Québec. Nous avons mis de l’ordre en réduisant le taux de croissance d’une façon très substantielle, de 16% à 8%. Nous avons payé des vieilles dettes de vieux gouvernements. Je pourrais vous donner des chiffres. Par exemple, nous avons accentué les opérations de rattrapage dans trois domaines; au ministère de la Voirie nous avons autorisé $ 17 millions de plus qu’au début de l’année pour le paiement des expropriations. Au ministère de l’Education, nous avons en fin d’exercice ajouté par mandat spécial $ 25 millions à la somme déjà prévue de $ 50 millions pour le rattrapage des subventions aux commissions scolaires. Au ministère des Affaires sociales nous avons affecté $ 22 millions au paiement des sommes dues aux hôpitaux pour les années antérieures. Toutes ces opérations de rattrapage représentent pour l’année courante une somme de $ 114 millions.

Si nous ajoutons à cet effort une somme de $ 15 millions affectée à des opérations identiques en 1970-71 au ministère des Affaires sociales et de $ 25 millions au ministère de la Voirie, il en résulte qu’au cours des deux dernières années financières, cet effort portant principalement sur l’assainissement des finances publiques s’est établi à $ 154 millions.
$ 154 millions de vieilles dettes qu’on a payées pour mettre de l’ordre dans nos finances. Ça c’est de l’action. Et les premiers bénéficiaires, mes chers amis, de tout cela, c’est l’ensemble des contribuables québécois. Il était normal que nous agissions ainsi car le fardeau fiscal des Québécois actuellement est l’un des plus élevés.

La mise en ordre de nos finances est un sujet qui me tenait particulièrement à coeur. Vous savez qu’avant de me lancer en politique active j’avais passé plusieurs années dans le domaine des finances publiques et je considère qu’il est fondamental, si un gouvernement veut appliquer des politiques d’une façon progressive; si un gouvernement veut être autonome vis-à-vis des puissances ou des autres niveaux de gouvernements quels qu’ils soient, cela lui prend des finances saines à la base, et c’est cela qu’on a fait au Québec.
Le gouvernement et le ministre des Finances et tous nos collaborateurs ont fait tout cela. C’est peut-être un objectif qui n’a pas d’éclat, qui ne fait pas de grosses manchettes, mais c’est un objectif qu’il était essentiel de réaliser si nous voulons, nous les Québécois, avoir la fierté minimum pour réaliser nos aspirations.

[I can give another example of this situation. You remember many years ago, eight years or ten years ago, there were big differentials between the Quebec bonds and Ontario bonds, or bonds of other provinces. All reasons were given to justify these differentials. It is not existing any more.* The differential now between Québec bonds and’ Ontario bonds is the lowest since many,many years. Again, this is concrete action and again this shows the great confidence of the business community. towards our government.]

Autre problème d’actualité, mes chers amis, les relations avec le gouvernement fédéral. Dans très peu de temps une entente sera finalisée en ce qui a trait aux allocations familiales. Je comprends que c’est un secteur défini de l’ensemble de la politique sociale, mais on ne peut pas sous-estimer l’importance de ce déblocage. D’abord, il permet au gouvernement du Québec, il permet au ministère des Affaires sociales et à son ministre M. Castonguay; le plus illustre de nos actuaires québécois, d’appliquer une politique particulièrement favorable aux plus défavorisés. Quand on voit le Parti Québécois affirmer qu’il va faire une lutte à finir contre notre entente sur les allocations familiales, eh bien le Parti Québécois devra aller s’expliquer avec les assistés sociaux, avec les défavorisés, avec les familles nombreuses, notamment dans les comtés de l’est de Montréal. Il ira s’expliquer sur son attitude contre le système des allocations familiales qui a précisément pour but d’aider toutes ces gens.
Nous ne pouvons pas admettre qu’un parti responsable soit contre une entente qui n’est peut-être pas parfaite, mais qui quand même fait progresser considérablement la situation dans un secteur-clé. C’est là une nouvelle approche, comme l’a dit le ministre des Affaires sociales, vis-à-vis le fédéralisme il y a un partage dans l’administration; la conception est québécoise et évidemment le financement provient des impôts levés par le gouvernement fédéral. Ce qui est important, c’est que nous les Québécois, le gouvernement du Québec, soient en mesure de distribuer ces sommes selon les priorités québécoises. Il y avait là pour nous un test entre le fédéralisme et le centralisme. Est-ce qu’il nous serait possible de distribuer ces sommes selon nos besoins, selon nos particularités. Or, l’entente conclue nous donne précisément cette primauté législative.

Qu’on regarde quand même, si on veut considérer l’affaire dans son ensemble, ce que le Québec a obtenu. D’abord le gouvernement fédéral a décidé de renoncer à son propre Livre blanc. Deuxièmement,le gouvernement fédéral a décidé d’ajouter à la suggestion de certaines provinces, et particulièrement du Québec, $ 150 millions à son plan d’allocations familiales. Il aurait pu ajouter cela à d’autres secteurs, développement régional, autres ministères. Il a décidé d’ajouter cette somme de $ 150 millions aux allocations familiales, permettant ainsi l’application du plan québécois. Troisièmement, le gouvernement fédéral a accepté la demande du Québec en ce qui a trait à la primauté législative.

Alors, je pense qu’il est difficile de nier qu’il y a là un gain important pour le Québec. C’est vrai que nous respectons des normes minimales. Nous sommes dans un régime fédéral; mais les normes minimales qui nous sont demandées sont moins exigeantes que ce que nous étions prêts à accepter, selon ce que le ministre des Affaires sociales avait lui-même demandé. Or, tout cela a été obtenu sans querelles stériles, avec une calme et tenace détermination, en étant convaincu de la valeur du dossier. Le dossier était tel qu’en
régime fédéral nous ne pouvions pas ne pas obtenir ce que nous avions demandé, et nous l’avons obtenu. C’est évident que tout n’est pas réglé dans les questions fédérales-provinciales. Il y a toute cette question du pouvoir de dépenser, il y a ces zones grises qui sont inévitables dans toute constitution. Tant que le pouvoir de dépenser n’est pas mieux défini, il est évident qu’il reste possible au gouvernement fédéral d’empiéter dans certains cas sur les juridictions provinciales. Nous avons l’intention de poursuivre très fermement la correction de la situation que nous connaissons actuellement.

Mais, on doit quand même admettre que le fédéralisme n’est pas pour autant paralysé. Il n’est pas dans mon intention de vous énumérer tout ce que nous avons obtenu depuis deux ans. On peut se contenter des trois ou quatre dernières semaines..
On a obtenu $ 40 millions de plus dans l’entente Canada-Québec pour les régions de Québec, Sept-Iles et la Mauricie. On a obtenu $ 80 millions en ce qui a trait à la Société d’Habitation. On a obtenu $ 100 millions sous la forme d’investissements immobiliers au Québec pour les édifices fédéraux. Quarante, quatre-vingts, cent, c’est quand même des chiffres qui parlent par eux-mêmes et qui s’ajoutent à tout ce qui a été obtenu depuis deux ans.

J’entendais il y a quelques semaines M. François-Albert Angers qui disait : [« C’est effrayant comme le fédéral donne de l’argent au Québec. Les gens ne voudront plus se séparer, ils donnent trop d’argent. »] Si on n’en avait pas eu assez, il se serait plaint encore. Il y a de ces éternels mécontents qu’il n’y a pas moyen de satisfaire.

Mes chers amis, ce $ 100 millions d’investissements pour les édifices fédéraux contribuent à ces investissements d’un milliard dans le centre-ville de Montréal. Il s’accompagne également d’un décollage dans les investisssrents privés. On sait qu’un document préparé par Statistiques Canada et la direction économique du ministère de 1′ Industrie et du Commerde démontre que de toutes les régions du pays, c’est au Québec que les dépenses d’immobilisations créatrices d’emplois augmenteront le plus en 1972.

Ces dépenses devraient progresser de 5 % dans la région des Prairies, de 4% en Ontario et de 2% dans les provinces atlantiques, et regresser de 2 % en Colombie-britannique alors que ces dépenses d’immobilisations augmenteront en 1972 au Québec de 12%. Alors, nous voyons que pour la première fois depuis plusieurs années le Québec remonte véritablement la côte en ce qui a trait aux investissements privés. Cela, je pense qu’on peut le dire.

Quant au chômage, selon les dernières statistiques, c’est seulement au Québec qu’il a baissé. Il a augmenté dans les quatre autres régions. On voit que tant pour les investissements privés que pour la situation du chômage – il était de 10.1% au 15 mars 1971, il est maintenant de 9.3% – c’est là le fruit d’une action coordonnée, de ces dizaines d’actions concrètes, de tous ces projets de lois, de toutes ces représentations qui ont été faites au gouvernement fédéral, de toutes ces représentations auprès du capital privé. Vous vous souvenez qu’il y a deux ans on disait: « Il va y avoir 15% de chômeurs au Québec au cours de l’hiver. » On n’a jamais dépassé 10% et cela malgré des circonstances très difficiles.

Si on prend par exemple le domaine de la construction, on voit une croissance des investissements dans la construction qui a connu un bond de 16.5%, surtout grace aux investissements publics. Le gouvernement du Québec a dépensé lui-même pour ses immobilisations propres une somme nette de $ 370 millions, comparée à $ 279 millions pour l’année précédente, soit une augmentation de 33%. Alors c’est là un exemple des gestes que le gouvernement du Québec a posés pour faire face à son problème numéro 1, avoir une économie saine et prospère, et pour cela nous avons besoin de tous, nous avons besoin du secteur privé, de sa confiance dans l’avenir du Québec. Nous avons évidemment besoin de l’action du gouvernement. Nous avons également besoin d’une attitude responsable des syndicats de manière à ce que l’économie du Québec nous permette de donner des salaires décents à l’ensemble des contribuables. Autrement, nous sommes invariablement forcés de rester dans un cercle vicieux.

J’espère que les dirigeants syndicaux se rendent compte, même si parfois ils disent qu’ils veulent casser le régime, que s’ils veulent servir la cause de leurs syndiqués, que s’ils veulent augmenter le niveau de vie de leurs syndiqués, c’est en agissant de façon responsable et non pas en demandant aux syndiqués de ne pas respecter la loi.

Les syndiqués du Québec, les syndiqués des secteurs public et parapublic doivent prendre conscience de l’enjeu actuel. C’est clair que nous avons actuellement une grève générale que nous n’avons jamais connue non seulement au Québec, mais au Canada. C’est clair que des événements comme ceux-là ne peuvent pas faciliter la tâche des gouvernants qui veulent susciter plus d’investissements. C’est clair que s’il se produit des événements plus graves – disons qu’à date la situation est sous contrôle et le gouvernement y a vu par tous les moyens nécessaires en posant des gestes d’une façon mesurée mais réelle, correspondant à la situation – que c’est l’ensemble des Québécois, y compris les syndiqués, qui vont y perdre. On commence depuis deux ans, après la crise d’octobre, qui a eu les retombées que vous savez sur la situation économique, on commence à sentir les effets et à remonter la côte en raison de tout ce que nous avons fait.

J’espère vivement, pas en mon nom personnel, pas au nom du gouvernement, pas au nom du parti, mais au nom de tous les Québécois, qu’il n’y en a pas parmi les chefs syndicaux qui veulent la politique du pire, qui veulent nous conduire au bord de l’anarchie pour empêcher le progrès et le Québec de progresser. Ce que je puis vous dire, c’est que comme chef du gouvernement du Québec à cette époque critique, importante et cruciale pour notre avenir, je ne permettrai à personne d’être au-dessus de la loi au Québec. Je ne permettrai à personne de compromettre l’avenir économique du Québec.

Le gouvernement que vous avez choisi, ce gouvernement d’une nouvelle génération, a sans répit depuis deux ans fait tout ce qu’il pouvait pour satisfaire les aspirations des Québécois. Nous n’avons pas le droit de laisser saboter ce travail, de laisser se créer un climat d’incertitude qui forcément, dans une économie ouverte comme la nôtre, alors que nous sommes sujets à la concurrence des provinces voisines, alors que ceux qui investissent ont en Amérique du Nord un choix extrêmement varié, nous n’avons pas le droit, en ne respectant pas ce que nous avons à faire, en ne posant pas les gestes requis, de laisser se détériorer, un climat qui risque de nuire à tous les Québécois et d’abord et avant tout aux syndiqués.

C’est également dans cet effort de relance économique, dans cet effort pour donner au Québec un véritable progrès économique que nous avons annoncé il y a un an le projet de la Baie James. Comme on en a parlé depuis ce temps! Des travaux importants ont été faits, ont déjà été commencés, et d’autres suivront. Si nous examinons ce qui est arrivé depuis un an, les faits qui ont été rendus publics, il est évident, et ça deviendra de plus en plus clair avec les réunions de la commission parlementaire qui doivent se tenir dans les premiers jours de mai, il est évident que la décision qui a été prise était la seule que les Québécois pouvaient prendre.

Il y a évidemment ce débat sur l’énergie nucléaire. On dit que le Québec ne fait pas comme les autres; le Québec ne se lance pas dans l’énergie nucléaire comme les autres régions de l’Amérique du Nord. Mais on devrait savoir que si les autres régions de l’Amérique du Nord vont vers l’énergie nucléaire, c’est qu’elles n’ont pas comme le Québec – qui est le seul à en avoir – les ressources hydrauliques que nous possédons. Je pourrais vous donner toute une série de cas.

Je vais résumer pour ne pas être trop fastidieux sur les problèmes des centrales nucléaires aux Etats-Unis. Le gouvernement américain retient présentement les permis d’opération de neuf centrales nucléaires prêtes à démarrer. La Compagnie Consolidated Edison de New York estime à $ 1 million par jour sa perte d’argent due à l’inactivité de sa centrale nucléaire. La compagnie Illinois Power a le même problème, et est forcée de vendre ses biens. Même chose pour la centrale Calvert Cliffs au Maryland. Il y a la Commonwealth Edison de Chicago qui devait ouvrir deux centrales nucléaires au début de 1972: elle déclare que sa situation est désespérée. Même chose pour la Consumers Power Company du Michigan qui avait dépensé $ 27 millions et ignore encore quand elle pourra commencer à produire de l’électricité. Au Canada c’est le problème de l’eau lourde. Vous avez le cas de plusieurs centrales nucléaires qui, ne peuvent pas fonctionner, dont probablement une au Québec à cause de la pénurie d’eau lourde.

D’ailleurs, plus les centrales nucléaires se multiplieront dans le monde, plus les combustibles et autres éléments nécessaires à leur fonctionnement deviendront rares et plus leur coût s’élèvera.

Les Américains eux-mêmes sont forcés de rechercher des solutions aux problèmes qui accompagnent la production d’énergie nucléaire. Nous, nous n’avons pas à faire face à ces problèmes parce que nous avons des ressources hydrauliques. Je ne dis pas que nous devons nous exclure complètement des centrales nucléaires. Nous avons déjà une centrale à Gentilly. S’il faut l’agrandir, nous sommes prêts à considérer des propositions légitimes et valables, et avantageuses pour le Québec. . Mais de là à nous limiter complètement à l’énergie nucléaire, de là à refuser les richesses que nous sommes à peu, près les seuls à avoir et qui nous donnent tellement de pouvoirs de négociations avec nos concurrents…!

Nous venons de conclure une entente avec l’Ontario pour la vente d’électricité- on sait que l’Ontario a certains problèmes avec ses centrales nucléaires – avec un profit substantiel pour l’Hydro-Québec, et par delà pour les Québécois.

J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises – et j’aurai l’occasion de le faire de nouveau – d’énoncer tous les avantages que cela peut comporter. D’abord pour faire face à nos propres besoins: Il y a un déficit prévu pour 1984 selon le président de l’Hydro-Québec, M. Giroux, de 17 millions de kilowatt-heures. Il faudra quand même y faire face à ce déficit-là. A part ça, il y a des avantages que nous pouvons avoir par des ventes que nous faisons, ou encore, si les problèmes des centrales nucléaires continuent de se multiplier corme ils se multiplient actuellement aux Etats-Unis, pensez-vous que cela ne sera pas un avantage pour le Québec d’avoir de l’énergie propre, pour attirer de nouvelles industries; pensez-vous qu’il ne sera pas avantageux pour le Québec dans les négociations et les représentations que nous pouvons faire, selon nos conditions et en respectant les priorités québécoises, pour obtenir de nouvelles industries; pensez-vous qu’il ne sera pas avantageux de dire Ici vous n’aurez pas les problèmes que vous avez aux Etats-Unis avec les centrales nucléaires?

Et c’est cela que le Parti Québécois, plus ou moins parce qu’on ne sait jamais sur quelle politique il se branche dans cette question, et c’est à cela qu’il s’oppose? Il paraît du moins être sur la clôture je vais vous parler de son manifeste tantôt. On va rigoler un petit peu.
Pensez-vous qu’un gouvernement québécois responsable, qui veut favoriser à même nos propres richesses les Québécois, peut renoncer au développement de la Baie James, quand vous avez les financiers internationaux les plus prestigieux, les plus influents dans le monde, qui se déplacent et viennent à Québec accompagnés de tous leurs conseillers, quand vous avez M. David Rockefeller qui est venu il y a quelques semaines et qui a dit publiquement lui-même, non seulement que les gens avaient repris confiance depuis l’élection du gouvernement que je dirige, mais qu’il était prêt à considérer toute offre de financement pour le projet de la Baie James. Quand vous avez des financiers de cette envergure qui s’intéressent d’une façon aussi concrète, aussi réelle et aussi assidue au Québec, vous vous dites qu’il y a là un atout pour le Québec. Si on est véritablement Québécois, on doit l’exploiter cet atout à l’avantage de tous les Québécois.

Devant une action caractérisée par un dynamisme aussi constant, qui s’exprime par toutes ces lois que nous aurons l’occasion de discuter ensemble, que fait l’Opposition? Il est normal que l’on dise quelques mots sur l’Opposition.

Vous avez le Crédit social. Deux ou trois partis, on ne sait pas! Mais, je n’ai pas l’intention de vous en parler longtemps. Ils nous ont fait rigoler tout le mois de mars avec leurs incidents tragicomiques. C’est assez!

Vous avez l’U,Q,. Qu’est-ce qu’ils font? Des ventes et des purges. On ne sait pas: il est trop tôt pour savoir ce qui va arriver, on sera mieux fixé dans six mois. On peut quand même constater un fait, c’est qu’il y a un mois il y avait un dîner-bénéfice de l’U.Q. Ils étaient six cents, nous autres, nous sommes 6,000 ce soir.

Quant au Parti Québécois, on peut dire quelques mots, non pas parce qu’il est menaçant, parce qu’il devient évident que la grande majorité des Québécois est opposée à une séparation du Québec, mais ils écrivent! Ils ont publié leur manifeste. Cela fait plusieurs mois que l’on attendait leur manifeste. On voyait partout qu’il y avait des discussions – parce que,vous savez, 4ans le Parti Québécois, vous avez les petits bourgeois, les intellectuels de salon, vous avez les socialistes, les purs et les purs. Alors, il faut que toutes ces gens-là s’entendent entre eux. Alors ils nous ont donné un manifeste, une espèce de bouillabaisse que le chef du parti n’a pas voulu critiquer lui-même. Il a dit : [« Ce n’est pas du capitalisme, ce n’est pas du libéralisme, ce n’est pas du socialisme. »] Il a fallu que le lendemain un journaliste du Devoir, M. Michel Roy, dise: [« C’est de la social-démocratie. »] Alors le surlendemain, il dit: [« Ahl je l’ai. C’est ça. Il l’a,lui. C’est de la social-démocratie! »]

Comment voulez-vous que ces gens-là puissent être pris au sérieux? On aura l’occasion de discuter de ce manifeste, mais on peut dire que c’est le document le plus irréaliste qui ait jamais été présenté par un parti politique. C’est encore pire que leur programme de 1970, où ils promettaient de réduire les taxes de $ 1 milliard. Ils ne disaient pas comment, mais ils disaient; [« Nous autres, si on prend le pouvoir, on va réduire les taxes de $ 1 milliard. »]

Ils parlent par exemple de la Caisse de Dépôt pour régler tous nos problèmes. Caisse de Dépôt par-ci, caisse de Dépôt par-là. Cela a l’air qu’elle va tout acheter ce qui est achetable dans le domaine financier et des assurances. Ils oublient délibérément ou non, qu’en 1990 la Caisse de Dépôt va avoir des actifs considérablement moindres qu’ actuellement, parce qu’en ce moment, à cause de sa création récente il y a sept ans, ses actifs sont considérables, mais que l’ampleur des prestations va être beaucoup plus grande au cours des prochaines années. Alors, que va faire la Caisse de Dépôt? Il ne faut pas oublier qu’elle est le fruit de l’épargne obligatoire des Québécois. Ça ne peut pas servir à investir dans les sociétés où il y a du risque, parce qu’elle est destinée tout de même à fournir des pensions aux Québécois. On ne donne pas d’explication là-dessus.

La S.G.F. Savez-vous quelle est leur solution aux problèmes de la S.G.F.? C’est clair que la S.G.F, a des difficultés actuellement. Savez vous quelle est la solution proposée par le manifeste du Parti Québécois? Une autre S.G.F; ils l’appellent la S.R.I.: la Société de réorganisation industrielle. C’est la solution qu’ils apportent à la S.G.F.

Et finalement, il y a la monnaie. Là, la solution au problème monétaire, vous le savez, ils en parlent très peu dans leur manifeste. Ils ont dit: [« On va faire un colloque. »] Alors ils ont fait un colloque sur la monnaie. Ils parlent d’union douanière, d’union tarifaire, d’union monétaire. Bientôt ils vont parler probablement d’union canadienne. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne s’entendent pas sur la monnaie, loin de là! C’est un problème que j’avais examiné il y a cinq ans, vous vous en souvenez, alors que M. René Lévesque était encore dans le Parti libéral. Nous avions discuté de différentes alternatives, nous avions discuté de cette question de la monnaie. J’avais soulevé au mois de septembre 1967 toute une série de questions sur ce qui, arriverait à une monnaie québécoise dans une union monétaire. C’est une question tout de même fondamentale, la monnaie, puisque c’est la traduction de l’état de l’économie d’un pays. On sait quelles répercussions politiques et sociales cela peut avoir.
Alors qu’est-ce qu’ils ont fait depuis cinq ans? Cinq ans qu’ils nous disent qu’ils vont apporter des solutions à ce problème fondamental. Tant qu’il ne sera pas réglé, il est absolument irresponsable pour des chefs politiques qui ont à coeurr l’avenir des Québécois de proposer le séparation et l’indépendance du Québec. ils n’ont pas le droit, alors qu’il est tellement fondamental d’avoir cette situation économique saine, qui risque autrement de nous conduire à une saignée de notre meilleure richesse ou de nos capitaux. Ils n’ont pas le droit, comme ils le font actuellement, s’ils se disent responsables, de déclarer qu’ils peuvent faire l’indépendance en arrivant avec les parcelles de réponse qu’ils ont sur la situation monétaire. Certains disent qu’ils sont pour l’union monétaire. Ils ne disent pas comment cela s’appliquera. Ils ne répondent pas au problème, par exemple, qu’une union monétaire suppose de protéger la stabilité de la monnaie et que protéger la stabilité de la monnaie suppose que parfois il faille hausser les taxes. Qui va hausser les taxes si le Québec est indépendant? Les fonctionnaires de l’Union, ou le reste du Canada, ou le Québec?

C’est un fait que si nous avions l’union monétaire, il se pourrait qu’il y ait à hausser les taxes pour arrêter l’inflation. Ils ne répondent pas à cela. Alors, là, ils disent quand on leur pose des objections sur l’union monétaire: [« On va avoir une monnaie québécoise.] Quand on soulève des objections considérables sur la monnaie québécoise, notamment en ce qui concerne la balance des paiements, les risques de la confiance, alors ils disent; [« C’est vrai qu’il y a des problèmes avec la monnaie québécoise.’ On aura une union monétaire. »] C’est une espèce de cercle vicieux. Quand ils sont très mal pris, ils parlent de l’union monétaire temporaire. C’est encore pire .

Imaginez! C’est un domaine qui est peut-être un peu technique, mais c’est quand même celui qui va au coeur du problème économique et social québécois. Imaginez que nous les Québécois nous ayons une union monétaire temporaire. Cela veut dire quoi, cela? Cela veut dire que le taux du change peut varier. Cela veut dire que des spéculateurs peuvent se faire des profits considérables en échangeant leur monnaie. On a vu ce qui est arrivé dans le cas de certaines dévaluations qui avaient été prévues d’avance. Des fortunes ont été faites par des spéculateurs. Union monétaire temporaire, union monétaire, monnaie québécoise, tant que ces problèmes-là ne seront pas présentés avec plus de sérieux par le Parti Québécois, il est impossible pour n’importe quel Québécois responsable de prendre ce parti au sérieux. J’attendais avec une certaine curiosité leur manifeste. Cela fait quand même cinq ans que j’avais parlé de cette question, comme député de Mercier et comme critique financier du Parti libéral. Et après cinq ans, aucune espèce de réponse sérieuse n’a été apportée à ce problème fondamental.

Mes chers amis, ce que l’on peut dire en examinant les différentes alternatives, en voyant le Crédit social, 1’U.Q., en voyant les divisions du Parti Québécois, divisions qui se présentent à tous moments, divisions sur le Bill 28 – vous vous en souvenez – divisions sur la politique linguistique, divisions sur la politique salariale, divisions quant à l’attitude vis-à-vis les syndicats. Chaque fois qu’un problème sérieux se pose, le parti est divisé. M. Lévesque a dit au cours de la semaine que le Parti Québécois traverse une crise de conscience vis-à-vis la négociation avec la fonction publique.
Cela ne serait pas plutôt une poussée d’opportunisme? Cela ne serait pas plutôt le fait que le Parti Québécois se rend compte que l’immense majorité de la population est derrière le gouvernement du Québec dans cette négociation publique? que l’immense majorité de la population du Québec nous fait confiance quand on veut répartir d’une façon équitable le fardeau fiscal.

Par ailleurs, comme il veut faire des clin-d’oeil en même temps aux centrales syndicales et avoir la population de son côté, ils disent: [« On traverse une crise de conscience. »] Ils sont dans l’Opposition et ne sont même pas capables de prendre leurs responsabilités. Quelle sorte de gouvernement feraient-ils à la tête d’un Québec indépendant? Chaque fois que se présente un problème sérieux, Ils sont divisés.

Quand on voit cela, on comprend que des personnalités, même des personnalités foncièrement nationalistes, comme le Père Richard Arès, homme serein et lucide, même des gens comme lui refusent de joindre un tel mouvement favorisant la séparation du Québec, comme on l’a constaté dans son dernier écrit; c’est là qu’on voit que ceux qui réfléchissent fondamentalement à la situation, avec un peu de recul, sans être sous le feu de l’actualité, prennent des décisions ou des attitudes, à tout le moins, qui sont conformes aux intérêts des Québécois.

Incontestablement le Parti libéral reste le meilleur choix des Québécois, non seulement parce que nous sommes le seul parti présent dans toutes les régions du Québec, présent dans tous les groupes culturels, présent dans toutes les générations, mais parce que le Parti libéral a démontré qu’il a fait avancer la société québécoise dans des circonstances difficiles à pas de géant dans plusieurs secteurs. Cela, le gouvernement d’une nouvelle génération l’a fait avec sa façon à lui, notre façon, c’est-à-dire avec une froide et inébranlable détermination de poursuivre ses objectifs.En considérant la scène politique non pas comme une scène théâtrale – comme cela arrivait souvent chez les politiciens d’autres générations – mais comme un lieu où des hommes raisonnables et déterminés doivent travailler ensemble.

Quant à moi, je ne peux que remercier mes collègues du cabinet et du caucus, mon parti, les militants et les militantes, de l’exceptionnelle fidélité dont ils ont fait preuve depuis deux ans avec tous les obstacles que nous avons eus à surmonter. Avec un parti uni et fort comme le nôtre, les obstacles que les ennemis du régime ou de la démocratie ou de la justice, les obstacles qu’ils veulent placer sur notre route n’arriveront jamais à nous faire dévier de ce que nous considérons comme les intérêts supérieurs de l’Etat. Le progrès et la justice au Québec sont nos seuls guides,et tous ensemble,conme nous l’avons fait jusqu’à présent, nous devons travailler à les améliorer.

Je crois que vous pouvez être fiers de votre travail et encore une fois, merci à tous.

[QBRSS19720504]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE M. ROBERT BOURASSA AU DINER OFFERT PAR LE GOUVERNEMENT DU QUEBEC EN L’HONNEUR DU GOUVERNEUR ET D’UN GROUPE DE PARLEMENTAIRES DE L’ETAT DU MAINE Québec, le 4 mai 1972]

Monsieur le Gouverneur, Messieurs les parlementaires, Mesdames et messieurs,
Je suis heureux, monsieur le Gouverneur, que,vous ayez répondu favorablement à l’invitation que je vous faisais en mars dernier de venir, accompagné de parlementaires et de hauts fonctionnaires de votre Etat, nous rendre une visite officielle à Québec. Le gouvernement et le peuple du Québec sont honorés de votre présence.
[This first official meeting between our two governments seals a long friendship which has flourished the length of our common border. It is my hope, Sir, that
at the close of these two days of talks which you and your associates will have with us, close collaboration will have been established between us.]

Le Québec que vous visitez aujourd’hui est bien intégré au continent nord-américain dont il partage la vie, l’économie et certaines valeurs culturelles.
Il y manifeste cependant une profonde originalité. Le Québec a un destin et des
responsabilités propres. L’histoire a voulu qu’il soit le seul Etat à majorité francophone et le principal foyer de vie et de diffusion de la culture française au Canada et en
Amérique. L’homme québécois participe donc à la fois aux valeurs culturelles américaines, canadiennes et françaises.
C’est dans la mesure ou il parviendra à concilier ces traits fondamentaux de sa personnalité et a développer son originalité qu’il pourra apporter sa contribution au
progrès de la civilisation moderne.

Il n’est que normal que le Québec d’aujourd’hui déploie d’importantes énergies à s’ouvrir au monde. Il y va de son épanouissement. Le gouvernement du Québec a progressivement constitué avec divers Etats un réseau de liens privilégiés
dans les sphères de sa compétence et selon ses besoins particuliers d’ordre économique, social et culturel. La coopération internationale est à notre avis un instrument indispensable de rapprochement et d’enrichissement des peuples et le complément nécessaire de nos priorités internes.
Nos premiers échanges intervinrent bien sûr avec la France, pays de nos origines, avec lequel la très grande majorité de notre population partage une culture, des valeurs et une manière d’être et de vivre. Avec la France, mais aussi avec la GrandeBretagne, l’Italie, l’Allemagne, l’Afrique francophone et bien entendu les Etats-Unis.
Notre délégation générale de New York et nos cinq bureaux de Boston, Chicago, Dallas, Los Angeles et Lafayette travaillent quotidiennement aux intérêts communs de nos deux territoires. Leur mandat est prioritairement économique. Leur vocation est cependant polyvalente. Ils sont autant d’instruments au service de tous les Québécois, de tous les ministères du gouvernement et des populations au milieu desquels ils oeuvrent.
Vous comprendrez, monsieur le Gouverneur, que le Québec, foyer de la culture française d’Amérique, a des raisons particulières de vouloir un rapprochement avec les Etats de Louisiane et de NouvelleAngleterre qui ont la responsabilité du destin de collectivités francophones importantes.
Les réalisations, depuis sa création en septembre 1969, de la Commission conjointe de coopération Québec-Louisiane dans les domaines de l’éducation, de la culture et de recherche pétrolière, nous permettent de mesurer la valeur des objectifs poursuivis et des mécanismes utilisés. Elles nous incitent à poursuivre l’expérience avec nos voisins de la Nouvelle-Angleterre.
Le Commonwealth du Massachusetts a récemment décidé d’entreprendre un programme d’échanges avec le Québec. La Commission conjointe de coopération Québec-Massachusetts a tenu sa première réunion il y a quinze jours.
[On behalf of the people of Quebec, allow me to express to you, Sir, and to the eminent members of your delegation our pride i n receiving you today.]

J’ose croire que cette première rencontre n’est que le premier jalon d’une longue amitié et d’une fructueuse collaboration.

[QBRSS19720517]

[ LE MOUVEMENT D’OUVERTURE DU QUEBEC SUR LE MONDE S’AMPLIFIE D’ANNEE EN ANNEE Robert Bourassa Québec, le 17 mai 1972 ]
MM. les doyens du Corps consulaire, M. le représentant du président du
Conseil de l’Organisation de l’Aviation civile internationale, MM. les ministres, Mesdames, Messieurs,

C’est devenu une coutume fort agréable pour le Chef du gouvernement du Québec de recevoir tous les ans les membres du Corps consulaire et les représentants d’organisations internationales qui oeuvrent en territoire québécois. Vous représentez des pays et des institutions avec lesquels le Québec se réjouit d’entretenir des liens étroits et des rapports amicaux.
La plupart d’entre vous savent que le mouvement d’ouverture du Québec sur le monde s’amplifie d’année en année au rythme du progrès et du développement de notre société. Il est irréversible parce qu’intimement lié au dynamisme de nos forces vives et à l’éveil de tous nos milieux aux réalités internationales. Dans les domaines sociaux, industriels, économiques, universitaires, gouvernementaux, partout l’on sent le besoin de mesurer nos expériences avec celles d’autres pays ou d’autres types de sociétés qui, comme nous, sont à la recherche de nouveaux équilibres, de nouvelles voies propres à assurer la paix sociale et le bon fonctionnement des pouvoirs publics.

Il n’est pas un peuple au monde, pas une société, pas une nation, pas un groupe ethnique qui ne recherche aujourd’hui les fondements d’un consensus social basé sur l’ordonnance harmonieuse des rapports entre le citoyen, les groupes et l’Etat. Le Québec n’échappe pas à cette mise à jour, à cette sorte de réévaluation des fondements de son équilibre intérieur et des institutions propres à assurer la justice individuelle et collective.

Cette recherche, comme celles d’ailleurs qui sont en cours dans vos propres pays, est certes parfois difficile mais je suis certain qu’elle aboutira à une meilleure définition de son contrat social et pourtant, à une plus grande mesure de justice et de prospérité pour l’ensemble de ses citoyens. Justice et prospérité qui sont indissociables chez nous de notre façon d’être, différente de l’ensemble canadien et du grand tout américain. Ce Québec, vous le connaissez bien puisque vous y travaillez et vivez. En même temps qu’il ouvre ses portes au monde extérieur il affirme sa personnalité et les nombreux particularismes qui lui confèrent au Canada et en Amérique un statut politique et social qui distingue nettement ses formes d’appartenance aux ensembles auxquels il est lié d’une façon ou d’une autre. En d’autres mots, le Québec ne peut se concevoir qu’avec tous les pouvoirs propres à assurer sa sécurité culturelle et l’épanouissement de son identité.

Cet objectif, le gouvernement que j’ai la responsabilité de diriger le poursuivra sans relâche et sans détour.
Mesdames, Messieurs, à vous tous et à vous toutes qui êtes chez nous les témoins ou les acteurs de notre renaissance, je vous redis tout l’honneur que vous faites au Chef du gouvernement et aux citoyens du Québec en acceptant notre invitation, et je vous prie de transmettre aux autorités respectives des Etats dont vous êtes les mandataires le salut et l’amitié du peuple québécois.

[QBRSS19720605]

[NOTES POUR L’ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA, LORS DE L’ INAUGURATION DE L’ACIERIE DE SIDBEC-DOSCO A CONTRECOEUR LE 5 JUIN 1972.]

Mesdames, Messieurs,
Toute ouverture d’usine est un pas en avant sur la route du progrès économique et social.
L’inauguration à laquelle nous sommes conviés aujourd’hui a une résonnance particulière. Cette usine dotée, comme l’a fait remarquer M. Jean-Paul Gignac, des aménagements les plus modernes au monde, est l’un des maillons essentiels d’une sidérurgie intégrée. Cette voie avait été ouverte en 1964 par le gouvernement de M. Jean Lesage et par la Législature du Québec, lorsqu’ils décidèrent de créer SIDBEC et de lui confier la mission d’établir au Québec une sidérurgie intégrée.

Cette inauguration est le constat d’accomplissement de ce mandat, le constat de réussite de ce qui n’était alors qu’un projet ambitieux et lointain.

Or, avec cette aciérie, et avec l’usine de réduction qui sera en marche à la fin de l’année, le projet devient maintenant réalité.

Le Québec a désormais une sidérurgie intégrée, qui couvre l’ensemble du processus de la fabrication de l’acier. C’est une pierre de plus à l’édifice de notre prospérité. C’est surtout un pilier fondamental de l’économie québécoise qui vient d’être mis en place.

Il faut se rendre compte de ce que représentent ces mots sidérurgie intégrée; une sidérurgie intégrée, ce n’est pas. seulement une réussite technique, c’est également, pour la collectivité qui l’a créée, un atout économique de première importance, dont les retombées sont multiples.
D’abord, par l’importance des investissements que cela a entraînés par le passé, et que cela suppose pour l’avenir.
On sait qu’un programme d’investissements de $ 125 millions a été approuvé en 1970 par le Conseil d’administration de la société, avec l’approbation du gouvernement. Sur cette somme, l’usine de Contrecoeur compte pour $ 35 millions. Il est intéressant de noter qu’environ 80% des équipements de cette aciérie ont été achetés au Québec.

Par ailleurs, une sidérurgie intégrée est un stimulant industriel de premier ordre pour les industries manufacturières.

Je n’ai pas besoin de vous rappeler les applications multiples et sans cesse renouvelées, l’omniprésence de l’acier dans notre civilisation moderne. L’aciérie de Contrecoeur, et l’usine de réduction, nous donnent la maîtrise de la production des matériaux de base indispensables à une foule d’industries secondaires.

Enfin, le parachèvement d’une sidérurgie intégrée au Québec aura des répercussions importantes. Elle facilitera la fabrication au Québec d’une multitude de produits finis. Elle favorisera la création de nouvelles industries et de nouvelles usines de transformation. Elle entraînera le développement de celles qui existent, et l’extension de leur gamme de fabrication.

C’est là un apport considérable à l’économie québécoise qui connaît encore un certain déséquilibre entre le secteur des services et le secteur secondaire encore insuffisamment développé. Nous n’avons pas assez d’industries manufacturières, et surtout d’industries manufacturières de pointe, c’est-à-dire de celles qui produisent des biens en demande constante. Un pas important vient d’être franchi pour combler ce retard.

L’ensemble sidérurgique SIDBEC-DOSCO est donc l’un des éléments indispensables à une économie industrielle saine. Il est un gage de sécurité pour nos approvisionnements de base dans un secteur vital, un instrument de contrôle du prix et de la qualité d’un produit indispensable, l’acier. SIDBEC-COSCO nous rend plus largement maîtres de notre destin industriel.

Les retombées seront également substantielles en ce qui concerne l’emploi. On sait que 700 emplois nouveaux ont déjà été créés depuis que SIDBEC a acheté la société DOSCO en décembre 1968. Signalons d’autre part que les répercussions dans les secteurs manufacturiers se traduisent indirectement par la création d’autres emplois nouveaux.

Mais il est un aspect sur lequel on doit aussi insister, c’est la qualité des emplois créés, ce qui est au moins aussi important que leur nombre. Pour SIDBEC-DOSCO, il s’agit d’emplois qui exigent une compétence élevée. L’entreprise a entraîné la formation et le perfectionnement d’un personnel de haute qualité, dans tous les domaines, du technicien au gestionnaire, de la base aux dirigeants. Le Québec dispose ainsi maintenant, dans une spécialité nouvelle et d’avenir, d’un personnel hautement qualifié et de classe internationale.

Cet aspect est essentiel. Il importe en effet que nous disposions de cadres compétents et expérimentés dans les secteurs industriels de pointe.

Cette volonté d’être au niveau international n’est pas seulement inscrite dans les équipements modernes de cette aciérie, dans la qualification de son personnel, elle l’est aussi dans les perspectives de vente et d’exportation que SIDBEC-DOSCO s’est assignées.

Certes, le but initial a été et reste de fournir, d’alimenter le marché québécois. Mais déjà plus de 40% du marché de SIDBEC-DOSCO se situe hors du Québec, et principalement en Ontario.
Un objectif important de SIDBEC-DOSCO sera donc non seulement de conserver la place acquise hors du Québec et du Canada, mais encore de la développer.
Cette capacité d’exportation, si importante pour une économie, sera renforcée par la création de cet ensemble sidérurgique intégré et par le développement de notre industrie secondaire.

Je voudrais enfin ajouter que l’ensemble sidérurgique SIDBEC-DOSCO a été obtenu aux meilleures conditions possibles pour le Québec, compte tenu du défi à relever et des investissements considérables que représente normalement la création d’un complexe semblable.
Tout cela a été obtenu en trois ans et demi d’efforts et de travail. C’est un résultat dont nous pouvons être fiers.

Cette réalisation a été rendue possible grâce à une équipe d’hommes compétents et résolus, à la ténacité et à la persévérance desquels il est juste de rendre hommage. Cette réalisation a également vu le jour grâce à l’initiative et à l’appui constant du gouvernement québécois.

Une tradition est maintenant née, celle de la sidérurgie québécoise.

C’est un gage de prospérité et une raison supplémentaire d’avoir confiance en nous et d’avoir confiance en notre avenir. C’est le témoignage de ce que le Québec peut réaliser, de sa maîtrise nouvelle de techniques modernes, et de sa capacité à assumer les plus vastes entreprises.

[QBRSS19720608]
[NOTES POUR UN DISCOURS DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, A L’OCCASION DE L’ASSEMBLEE ANNUELLE DE LA SECTION DES PLACEMENTS DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES D’ASSURANCE-VIE, AU CHATEAU FRONTENAC, A QUEBEC, LE 8 JUIN 1972.]

Le développement économique du Québec constitue la toute première priorité du gouvernement. Des initiatives nombreuses ont été prises au cours des dernières années tant au niveau fédéral qu’au niveau provincial pour donner à notre économie un rythme de croissance compatible avec les besoins de la population.
Les politiques du gouvernement et les efforts soutenus des autres agents de la vie économique nous ont permis de réaliser des progrès marqués.
L’objectif de développement économique d’une société moderne comporte certaines exigences. L’une des plus importantes est celle de l’efficacité administrative et financière de l’Etat. Le gouvernement, vous le savez, a voulu lier très intimement les notions de développement économique et d’efficacité administrative de l’Etat.
L’électorat québécois a endossé d’une façon non équivoque ce programme de gouvernement. M’adressant à des administrateurs avertis, je voudrais souligner les décisions prises par le gouvernement depuis deux ans pour moderniser l’administration publique.
Deux réalisations principales méritent d’être signalées: La nouvelle loi de l’administration financière; l’implantation d’un système de rationalisation des choix budgétaires (PPBS)
LOI DE L’ADMINISTRATION FINANCIERE
La mise en vigueur, le premier avril 1971, d’une nouvelle loi sur l’administration financière redéfinit et situe, les unes par rapport aux autres, les principales structures de la gestion centrale du gouvernement. Je vous en donne une brève description en précisant le rôle exact des quatre principaux agents de la gestion centrale du gouvernement.
Le contrôleur des finances tient la comptabilité du gouvernement, certifie les disponibilités de crédits et vérifie avant paiement la régularité des dépenses.
Le vérificateur général de son côté vérifie après paiement la régularité des dépenses; il indique annuellement si les comptes ont été tenus convenablement. Il peut également apprécier les règles et les procédures suivies dans la cotisation, la perception et la répartition des deniers publics.
Le ministère des Finances, pour sa part, se voit confier les fonctions d’aviseur économique et fiscal du gouvernement et maintient ses fonctions de gestionnaire de la dette et des opérations bancaires.
Quant au Conseil du Trésor, comité du Conseil exécutif composé de cinq ministres et présidé par le ministre des Finances, la loi lui attribue trois grandes responsabilités, soit l’approbation des modes d’organisation et de gestion des effectifs, la supervision de l’élaboration et de l’application de la politique administrative générale suivie dans la fonction publique et finalement, la programmation et la gestion budgétaire centrales.
C’est cette réforme importante au niveau des mécanismes centraux de gestion financière de l’Etat qui a rendu possible l’implantation au sein du gouvernement québécois du système de rationalisation des choix budgétaires.
LE SYSTEMS PPB
L’État, vous vous en rendez compte, prend une place de plus en plus importante dans notre société, offrant sans cesse de nouveaux services dans tous les domaines. Ainsi, les dépenses nettes du Québec qui étaient d’environ $745 millions en 1960-61, se chiffreront à plus de $4.5 milliards en 1972-73. Pourtant, le cadre budgétaire ne s’est presque pas modifié avec les années. On affecte toujours les crédits par nature de dépense ou centre de responsabilité. S’il est important de savoir qui dépense combien, il demeure absolument essentiel de savoir pourquoi telle dépense est faite si l’on veut correctement allouer les disponibilités budgétaires en fonction des objectifs fixés. C’est à cette question que tente de répondre le système de gestion PPB (planification-programmation-budgétisation), système que le Québec met en place, du moins partiellement, à l’occasion de son budget de 1973-74.
Bien que l’ensemble du système québécois de budgétisation par programmes soit semblable à ceux qu’on retrouve dans la plupart des grandes administrations gouvernementales modernes, certaines originalités dans son mode de fonctionnement et dans son mode de contrôle permettent de le distinguer.
En effet, le Conseil du Trésor du Québec a voulu situer l’application de son système central de planification-programmation-budgétisation à un niveau qui permette à la fois une fixation claire des objectifs par le palier politique (du Conseil des ministres et de chaque ministre) et également une meilleure administration des moyens permettant de tendre vers ces objectifs. Ceci aura pour conséquence importante l’examen et le vote par l’Assemblée nationale des programmes actuellement dégagés.
Pratiquement, le système PPB décomposera la production gouvernementale de biens et de services selon trois paliers. Au niveau de la superstructure, on retrouvera les grands objectifs de l’action gouvernementale. C’est à ce niveau que s’établiront les grandes orientations des politiques. Puis, à celui de la structure, on retrouvera le coeur du système, les programmes. Ceux-ci devront permettre la détermination de l’allocation des ressources tout en donnant un cadre fonctionnel aux opérations et activités des ministères. Ces dernières constitueront, d’ailleurs, le troisième et dernier niveau: l’infrastructure.
Ainsi, le système permettra au gouvernement d’élaborer des politiques et de prendre des décisions en connaissant les besoins prioritaires et leurs implications financières, de contrôler l’utilisation des ressources humaines et financières affectées à l’exécution des décisions et de suivre de façon systématique et continue l’impact et la rentabilité des programmes en cours.
Mais un système aussi global, transformant de façon aussi radicale les méthodes budgétaires des divers ministères, ne pouvait s’instaurer d’un seul coup. Aussi, avons-nous préféré procéder par étapes et débuter au niveau des programmes. Ainsi, depuis septembre 1971, les ministères, en collaboration avec le secrétariat du Conseil du Trésor, dégagent leurs programmes en vue du budget de 1973-74.
Il nous sera ainsi possible d’envisager la constitution d’un cycle permanent d’allocation de ressources: les ministères prépareront d’abord un mémoire d’orientation générale portant sur une période de trois ans et qui sera la base d’allocation des ressources par le Conseil des ministres. Puis, ils présenteront une revue de chaque programme sous l’angle des productions envisagées en indiquant les moyens utilisés et les critères d’évaluation choisis. Dans le même temps, les ministères présenteront des mémoires de programme qui s’adresseront à des programmes particuliers pour les revoir entièrement en profondeur de manière à faire des recommandations traduisibles en allocation de ressources.

On prévoit que les ministères constitueront de tels mémoires chaque année, de telle sorte que chaque programme sera éventuellement revu à fond périodiquement. Enfin, le cahier des crédits présentera les estimés détaillés et comptables par programme et permettra d’établir le livre du budget.

Lorsque ces procédures auront permis d’établir le budget par programmes, nous pourrons passer à l’étape suivante qui consiste en l’évaluation. Déjà, en première étape, on aura expérimenté la méthode mémoire de programme telle que je l’ai décrite plus haut. Elle aura permis de remettre en question un certain nombre de programmes existants. Il sera alors temps d’envisager la possibilité de l’évaluation continue au moyen de calculs coûts-bénéfices et de critères de performance et d’impact attachés aux programmes. Ces derniers amèneront alors le gestionnaire à faire sa propre analyse de son programme et ainsi à créer au sein de l’administration les structures d’accueil aux remises en question de son activité courante.
Deux principaux facteurs contribuent au développement de l’assurance-vie au Canada: le niveau de vie élevé que connaît notre pays et le désir des individus de protéger par un placement sûr les fruits d’une vie de travail.

La croissance de l’assurance-vie au Québec est significative et la consultation du rapport sommaire des états annuels déposés par les compagnies d’assurance et les sociétés de secours mutuels incorporées au Québec démontrent que ces compagnies ont, au 31 décembre 1971, un actif total de $624,217,251 contre $558,650,074 au 31 décembre 1970, soit un accroissement de 11.7%.

D’autre part, le montant brut d’assurances en cours qui s’établit à $7,294 millions, révèle une augmentation de 238.1% pour la décennie qui vient de s’écouler.

Je ne veux pas insister plus longtemps sur ces statistiques car vous les connaissez bien, mais je constate le dynamisme de ce secteur économique et la part de plus en plus grande qu’il prend dans la collecte de l’épargne québécoise. Je me plais également à voir dans ces chiffres l’indice d’une santé financière exceptionnelle dont je félicite les compagnies d’assurance-vie. Cependant, je voudrais insister plus largement sur l’aspect placements des compagnies d’assurance-vie, aspect que vous aurez l’occasion d’étudier en détail lors de vos ateliers de demain.

Cet aspect me paraît très important à plusieurs points de vue, d’abord parce qu’il est nécessaire au bon fonctionnement d’un système d’assurance, et ensuite du point de vue du gouvernement à cause de la masse d’épargne dont nos compagnies disposent et qui’est mise au service du développement de la province.

La loi des assurances autorise les compagnies d’assurance à effectuer certains types de placements une fois les exigences légales satisfaites.

Les domaines privilégiés de ce placement des actifs admissibles sont au nombre de quatre: les prêts hypothécaires, les fonds d’État, les actions et obligations de corporations privées et les immeubles. Les obligations et les prêts hypothécaires en 1970 représentent respectivement 39.7% et 41.5% de l’actif des compagnies incorporées au Québec, alors que les actions n’entrent que pour 5.0%.
La répartition de ces placements rencontre en partie les objectifs du gouvernement d’une part en souscrivant aux obligations émises par celui-ci pour financer sa politique économique et sociale, et d’autre part en favorisant la construction domiciliaire et la rénovation urbaine, ce qui rencontre à la fois les objectifs sociaux du gouvernement et les besoins des particuliers.

Sans aucun doute, le commerce du prêt hypothécaire peut encore être développé à l’avenir en relation avec l’accroissement du niveau de vie des Québécois et le désir de l’accession à la propriété.

L’intérêt essentiel du prêt hypothécaire est sa localisation dans la province et ainsi l’utilisation directe de l’épargne des Québécois au service du développement du Québec.

Il en va autrement pour les investissements en actions des corporations privées dont la dispersion est recherchée pour minimiser le risque.

En vertu de la loi actuelle, 25% de l’actif total peut être investi dans des actions qui ont, pendant chacune des cinq années précédant l’acquisition, payé un rendement net d’au moins 4% de leur valeur comptable. Cependant, il faut bien reconnaître que le portefeuille d’actions des compagnies d’assurance-vie demeure très limité.

Les perspectives de reprise de l’investissement manufacturier au Québec en 1972, et par conséquent le besoin de capitaux que cela suppose, devraient trouver un accueil plus favorable auprès des compagnies d’assurance-vie intéressées au développement de leur environnement économique.

Le développement continu de notre économie et le maintien du niveau de vie actuel nécessitent un accroissement notable du capital de risque venant s’investir au Québec et en particulier de capitaux québécois.

Les compagnies d’assurance-vie pourraient peut-être envisager à l’avenir d’accroître leur participation dans ce domaine, dans la mesure où il s’agit d’investissements à long terme non affectés par la hausse des taux d’intérêts comme peuvent l’être les autres placements habituels.
La masse d’épargne québécoise que vous rassemblez, vous impose certaines obligations envers la collectivité. Vous avez su satisfaire efficacement à ces obligations en développant vos placements dans la région où s’exerce principalement votre activité. Le gouvernement est cependant prêt à examiner toute proposition de votre part qui permettrait le développement encore plus étendu de votre contribution à l’essor économique du Québec. Tous nos efforts doivent converger vers cet objectif, la collaboration de tous les agents économiques est nécessaire. Celle des compagnies d’assurance-vie m’apparaît essentielle.

Tel que je le précisais dans mon discours inaugural à l’ouverture de la session, le gouvernement québécois se prépare à opérer une refonte importante de la Loi sur les assurances.

Un comité consultatif sur la question a été mis sur pied au ministère des Institutions financières et présentement un rapport de ce comité fait l’objet d’études au ministère ainsi qu’au Comité de révision du Code civil.

Normalement, le Conseil des ministres devrait être appelé prochainement à considérer un projet de loi sur les assurances qui constituera en fait un véritable code des assurances.

Ce code améliorera les mécanismes administratifs actuels de notre législation en matière d’assurances et il fournira un ensemble cohérent de dispositions sur l’aspect contractuel de l’assurance. Des problèmes particuliers tels que l’extension des pouvoirs de placements des compagnies d’assurance, le transfert des actions à des non-résidents, la mutualisation … feront aussi l’objet de ce prochain code des assurances.

Les travaux de votre congrès, les représentations des compagnies d’assurance et des autres corps intéressés nous permettront d’achever les travaux entrepris afin de doter le Québec d’une législation dynamique en matière d’assurance.

[QBRSS19720616]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA, LORS DE L’ I NAUGURATI ON OFFI CI ELLE DE L’AMENAGEMENT DE CHURCHILL FALLS LE 16 JUIN 1972.]

Nous inaugurons aujourd’hui, avec fierté, le plus grand projet d’aménagement hydro-électrique du monde occidental.

Ce projet est exceptionnel, à plusieurs titres: il représente une réalisation technique d’avant-garde; il est remarquable par le volume des ressources énergétiques mises en oeuvre; il se distingue par une collaboration intense entre les divers paliers de gouvernements et l’entreprise privée.

Ce développement, comme tout projet de cet ordre, a eu des débuts difficiles, mais il illustre la vision remarquable dont étaient doués ses promoteurs initiaux.

Il faut dire que la nature a généreusement fait sa part en fournissant en un site unique des possibilités aussi grandes de production d’énergie hydro-électrique.

Les négociations pour le développement de ces chutes ont débuté en 1953. En 1966, après de longs pourparlers, une lettre d’entente a finalement été signée entre l’Hydro-Québec et la Churchill Falls Development Corporation. Dès 1966, on projetait la fin des travaux pour 1972, et moins de six ans plus tard, le projet est effectivement terminé. Ceci vaut la peine d’être souligné.

Le projet des chutes Churchill, situées à 250 milles au nord-est de Sept-Iles ou à quelque 700 milles de Montréal, consiste en une centrale unique faisant partie du plus grand complexe hydroélectrique au monde.

La puissance finale du projet de 5,225,000 kw sera transportée au Québec au moyen d’un réseau de lignes de transport le plus puissant et à la tension la plus élevée au monde. L’énergie disponible des chutes est estimée à 32 milliards de kilowatt-heures par année.

Détentrice de 34% des actions de Churchill Falls Corporation, l’Hydro-Québec comme principale cliente bénéficiera de l’aménagement des chutes. N’eut été sa participation, l’on peut se demander si ce gigantesque projet eût été réalisé. L’Hydro-Québec utilisera la presque totalité du potentiel hydro-électrique des chutes, et ceci pour une période de soixante-cinq ans.
L’impact d’un projet comme les Chutes Churchill est considérable sur l’économie québécoise. La majeure partie des gros équipements (pylônes, turbines, alternateurs) a été fournie par le Québec, et une partie importante de la main-d’oeuvre spécialisée a été recrutée au Québec.

Cette réussite exceptionnelle de Churchill Falls souligne d’une façon particulière notre capacité d’entreprendre un autre grand projet hydro-électrique, celui de la Baie James.

A tous les bâtisseurs de Churchill Falls, au nom de tous les Québécois, je voudrais témoigner notre admiration à l’égard de cette gigantesque réalisation.

[QBRSS19720818]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA,
A L’OCCASION DE L’OUVERTURE DE L’EXPOSITION NATIONALE D’OTTAWA, AUJOURD’HUI, VENDREDI 18 AOUT 1972.]

L’action du gouvernement québécois
Comme toutes les provinces du pays et en collaborant avec le gouvernement fédéral, le Québec cherche à créer au Canada ces conditions de liberté, d’égalité et de prospérité auxquelles aspire l’ensemble de la population canadienne. L’action du gouvernement québécois, que ce soit sur le plan de ses rapports avec les autres gouvernements ou bien sur celui des affaires proprement québécoises, témoigne de cette volonté de renforcer l’unité de notre pays et de raffermir cette nécessaire et essentielle solidarité canadienne.

Cette action, elle puise sa légitimité dans le mandat clair et non équivoque que le gouvernement tient de l’immense majorité de la population québécoise. Elle rejoint aussi très directement les aspirations des Canadiens de toutes les régions du pays.

C’est dans cette perspective que s’inscrivent les prises de position et les décisions du gouvernement québécois.

[Québec wants to see Canàdian political institutions reshaped for one very simple reason: the wish to give our country a political system adapted to the pressing needs of each region of the country, to the true aspirations of all its people and to the demands of our time.]

[By placing the accent on problems of regional disparity, underemployment and poverty, Québec interprets the feelings of thousands of Canadians who are living in economic and social conditions which are unacceptable in a country such as ours.
By its tenacity and steadfastness in fighting for the functional integration of income security programs, Québec is seeking to increase the effectiveness of those programs which to date have not succeeded in obtaining their objectives.
All these preoccupations are widely shared by the governments of our country and Canadian public opinion.]

Le Québec a aussi ses responsabilités vis-à-vis de ses citoyens. L’action des gouvernements québécois des quelque dix dernières années, démontre notre volonté de faire face avec succès aux exigences de notre temps. Les importantes réformes opérées dans les domaines de l’éducation, de l’économie et des affaires sociales en témoignent et placent même le Québec dans certains secteurs à l’avant-garde.

[Québec, like other provinces, must advance the interests of its citizens at the national level. We certainly do not act in this way with the intention of weakening the unity of Canada, but rather to reinforce this unity.

The most serious threat to Canadian unity remains the inequality which exists between citizens in different parts of the country. This problem of inequality of opportunity among Canadians has an obvious economic dimension. It contains as well social, cultural and even political dimensions. The problem is therefore one of extreme complexity and a valid solution will be found only when all Canadians, and in particular all governments in the country, decide to face the problem with determination and imagination by putting aside all self-seeking and by turning aside, when the need arises, from traditional paths.

In this perspective, a large body of opinion began to take shape in Canada some time ago to reaffirm the idea of a greater decentralization of power in order to increase the efficiency of the policies of the different governments.

It is superfluous to say that Québec is particularly happy about this phenomenon since it has always favored the decentralization of political decision-making centers in the country.

To reasons of a political, geographical and cultural nature which are generally invoked in favor of decentralization, we must now add the need for efficiency in government programs in order to reduce inequality between citizens and to solve such important problems as inflation and unemployment, as well as to ensure a dynamic economic and social development.]

L’expérience canadienne récente porte donc en elle-même certaines évidences qui, tout en maintenant l’importance du rôle du gouvernement fédéral, militent à tout le moins en faveur d’une plus grande participation des gouvernements provinciaux dans la conception comme dans la mise en oeuvre des programmes nationaux. De la même façon, les provinces doivent pouvoir disposer de ressources financières conformes à leurs responsabilités constitutionnelles.
Telle m’apparaît être la conclusion majeure de la dernière conférence des Premiers ministres à Halifax qui, nous le souhaitons tous, trouvera des lendemains dans des réaménagements d’ordre constitutionnel, administratif et financier suivant les ordres de problèmes que nous rencontrons.

CAPITALE NATIONALE
Je ne peux me trouver à Ottawa sans souligner les progrès considérables réalisés ces derniers temps dans l’aménagement de la région de la Capitale Nationale. Je me plais à voir dans ce succès un exemple éloquent de ce que nous pouvons faire dès lors que le gouvernement fédéral et deux gouvernements provinciaux décident de collaborer ensemble.
[As Canadians we must congratulate you for this achievement, and as a Quebecer, permit me to rejoice over the considerable contribution this initiative has made to the economic and social development of Western Québec.]
C’est dans ce même esprit que j’ai accepté l’aimable invitation qu’on m’a faite de venir assister à l’ouverture de l’Exposition nationale d’Ottawa, à laquelle de nombreuses entreprises québécoises participent.
LA PROMOTION CULTURELLE
Tous les Canadiens veulent pour leur pays la prospérité, la sécurité et la justice sociale. Jamais n’avons-nous eu autant de moyens et de ressources pour atteindre ces objectifs. Dans les domaines économique et social, les plus grands espoirs nous sont permis.

[Remarkable progress has been made over the past few years by both the Federal Government and the provinces in linguistic and cultural matters.

This progress is significant, but difficult as well, for the subject is a delicate one and many individuals are concerned since it involves their language and their cultural community. nomic progress if, on the one the freedom of other hand, we permit them to tural Canadian
But whatever our success as regards social and economic,
we shall not have fully assumed our responsibilities hand, we do not assure our two cultural communities action necessary to their development and if, on the do not initiate between them relations which will participate in the affirmation of an authentic culidentity.]

[I feel that the future to which Canadians aspire will only be achieved by the continued united efforts of the different governments and of all those who have the progress and stability of our country at heart.]

En ce qui nous concerne plus directement au Québec, pour les raisons que vous savez, nous entendons assumer pleinement la responsabilité particulière que nous avons en ce qui a trait à la sécurité et à l’épanouissement linguistique et culturel des Québécois francophones, et ce sans nier d’aucune façon les droits reconnus à notre minorité anglophone.

Nous ne pouvons pas cependant nous désintéresser – comme Canadiens – du rayonnement du français au sein du gouvernement fédéral comme dans les autres provinces canadiennes. Nous nous y intéressons, nous voulons y collaborer, nous comprenons les difficultés qui se posent, nous ne pouvons que souhaiter que certaines réticences cèdent le pas aux exigences de justice, de stabilité et d’unité qui demeurent fondamentales pour notre pays.

[Let us not forget that above all the promotion of
the French language and culture in Canada constitutes, and 1 am certain of this, an essential condition for the continuing independence of our country faced with the cultural encroachment of the United States. It is of the utmost importance that all Canadians be fully aware of this.]

[QBRSS19720921]

[NOTES POUR LE DISCOURS DE MONSIEUR ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, AU CONGRES DE L’UNION DES MUNICIPALITES DU QUEBEC, HOTEL REINE ELISABETH, MONTREAL.
« NOUVEL ALLEGEMENT FINANCIER DU GOUVERNEMENT BOURASSA AU BENEFICE DES MUNICIPALITES »
MONTREAL, LE 21 SEPTEMBRE 1972]

Pendant très longtemps, les administrateurs municipaux ont dû consacrer la majeure partie de leur temps et de leurs efforts à la mise sur pied de services essentiels afin d’assurer un minimum de bien-être à leurs concitoyens. Nous devons maintenant réaliser qu’avec l’urbanisation rapide du Québec, la vocation des municipalités et le rôle des conseils municipaux ont considérablement évolué. Vous avez d’ailleurs, choisi d’examiner au cours de ce congrès, les responsabilités, les pouvoirs et l’avenir des gouvernements locaux.

Cette évolution consacre de plus en plus la nécessité pour les administrateurs municipaux de travailler dans des perspectives à plus long terme. Le nombre croissant de services municipaux, l’incidence de plus en plus marquée de ceux-ci sur la vie quotidienne des citoyens et la montée en flèche des dépenses publiques exigent des administrateurs municipaux un sens développé de la gestion moderne et l’inscription des préoccupations municipales dans des perspectives plus larges.

Les dépenses publiques, au niveau municipal, atteignent annuellement $1,000,000,000. sans compter les emprunts à long terme qui se chiffraient, pour les six premiers mois de l’année 1971, à plus de $97,000,000. La nécessité d’une planification des politiques municipales aussi bien que sur l’urgence d’une concertation des dépenses des municipalités et de celles de l’Etat s’impose d’elle-même.

D’autre part, l’interdépendance des actions de l’Etat et de ses municipalités ne cessant de croître, surtout au niveau des agglomérations urbaines, aussi, il faut en arriver à une plus grande cohérence entre les objectifs, les priorités et les politiques de l’Etat et les actions municipales.

Le gouvernement du Québec est bien conscient de les municipalités à la définition et à la mise en oeuvre de ses politiques.

De leur côté, les gouvernements locaux devront se faire les partenaires actifs de l’Etat afin d’assurer la création et le maintien d’un climat et de conditions favorables au développement social, économique et physique du Québec. Elles devront accepter d’oeuvrer de façon plus concrète dans les secteurs de la promotion industrielle et du développement des ressources. Elles seront appelées, aussi, à assumer des responsabilités dans la préservation et la conservation du milieu. Dans ce domaine, comme dans ceux du développement économique et de l’aménagement du territoire, les municipalités sont appelées à s’adapter au phénomène et aux problèmes de l’interdépendance municipale en se dotant de mécanismes adéquats de coordination et de concertation.

En somme, si le gouvernement considère qu’il doit déléguer une partie de ses pouvoirs aux gouvernements locaux, c’est parce qu’il est convaincu qu’il existe sur le plan local des problèmes quotidiens qui doivent être solutionnés par un ordre de gouvernement qui agit au niveau d’un territoire limité et qui est proche des besoins et des préoccupations des citoyens. Ce gouvernement local, d’autre part, tout en représentant bien les intérêts locaux, doit pouvoir planifier ses politiques et ses actions pour les rendre compatibles avec celles de l’Etat.

La réforme des structures et de la fiscalité municipale, amorcée depuis un peu plus d’un an, a précisé ment pour principal objectif la création d’institutions municipales plus fortes et capables à la fois de répondre aux impératifs nouveaux de l’urbanisation et de devenir
des partenaires efficaces dans cette oeuvre d’édification d’une société québécoise toujours plus forte et plus développée.

Vous connaissez l’intérêt que j’ai pour les questions fiscales. Pour moi, des finances saines demeurent la condition essentielle de l’efficacité de toute politique gouvernementale et municipale.

Aussi, dès l’exercice financier 1971-72, nous avons au niveau municipal pris des dispositions afin d’améliorer la situation financière des municipalités québécoises. Des crédits ont été prévus pour permettre aux municipalités d’imposer les CEGEP et les universités. Pour le présent exercice, le Ministre des Finances a énuméré dans le discours du budget, une série de mesures additionnelles afin d’augmenter les ressources financières des municipalités.
Diminution des charges municipales pour les services sociaux et de santé telles l’abolition de la contribution municipale au financement des unités sanitaires.
Soumission des centres hospitaliers et des centres d’accueil tels que définis dans la Loi 65 à l’impôt foncier municipal.
Elargissement des subventions du gouvernement provincial en guise d’impôt foncier sur nos propres édifices.
Réduction de l’impôt foncier scolaire de $0.15 par $100. d’évaluation sur une période de 5 ans afin d’ouvrir davantage ce champ aux municipalités.

Voilà un ensemble de mesures concrètes qui témoignent de la volonté du gouvernement d’apporter aux problèmes financiers des municipalités des solutions, qui bien que partielles, s’avèrent extrêmement intéressantes pour les administrateurs municipaux et aussi pour l’ensemble des contribuables québécois.

Le gouvernement s’est donné comme objectif prioritaire le développement économique et le développement social du Québec. Des initiatives nombreuses ont été prises afin de favoriser ce progrès économique et social auquel aspire la population québécoise.
Sur le plan économique, les perspectives de mi année d’investissements sont des plus encourageantes. Selon une enquête préparée conjointement par Statistiques

Canada et le ministère fédéral de l’Industrie et du Commerce, le Québec connaîtra un taux d’accroissement de ses investissements publics et privés de 10.1% alors que
le taux de l’Ontario et du Canada sera de 4.6% et de 6.4% respectivement. Dans le secteur manufacturier, le taux québécois d’accroissement des immobilisations sera de 23.6%, soit l’un des plus hauts taux depuis 10 ans, alors que pour l’Ontario et le Canada les taux prévus seront de l’ordre de moins 1.0% et de 2.5%.

Sur le plan social, inutile de vous rappeler les nouveaux programmes mis de l’avant et les réformes considérables entreprises afin d’assurer aux Québécois une qualité accrue des services de santé et des services sociaux: l’assurance-maladie, la réorganisation des services, l’aide sociale, l’aide juridique, la protection du consommateur, l’assistance-médicaments, etc.

Nous voulons maintenant pousser plus avant cet accroissement des services sociaux. Et, le domaine. retenu, celui qui nous paraît exiger une attention particulière en raison des besoins pressants de la population, c’est celui du logement, de l’habitation.

Voilà pourquoi, nous sommes à examiner très minutieusement l’ensemble de nos politiques de logement en regard des besoins de notre société et des ressources de tout ordre dont nous disposons pour améliorer la situation du logement au Québec. Une première mesure de nature réglementaire a été celle du dépôt pour étude d’un code du logement. Tous les intéressés pourront présenter devant
la Commission parlementaire leurs observations et leurs recommandations afin de doter le Québec d’un ensemble de règles qui respectent véritablement les droits des locataires et des propriétaires et qui favorisent une amélioration de la qualité des logements au Québec.

Il nous est apparu cependant, que dans cette réévaluation la question des logements à loyer modique revêtait un caractère prioritaire. Et vous savez que dans, ce domaine, les municipalités ont un rôle déterminant à jouer.

Afin précisément d’accélérer la construction de tels logements et d’inciter davantage les municipalités du Québec à développer ce secteur, nous avons décidé de modifier les règlements actuels de la Société d’Habitation du Québec afin d’alléger le fardeau financier des municipalités en ce qui concerne la réalisation de projets d’habitations à loyer modique.

Aussi, le gouvernement vient-il d’accepter de modifier la présente réglementation afin de faire en sorte que la Société d’Habitation du Québec absorbe désormais 40% au lieu de 25% des déficits d’exploitation des logements municipaux réduisant ainsi la part des municipalités à 10%, le fédéral continuant d’absorber 50%. Ces modifications s’appliquent à compter du premier janvier 1973 à tous les projets futurs et à tous les projets actuellement en exploitation ou en cours de réalisation.

Cette nouvelle mesure vise à stimuler la participation des municipalités à la réalisation de logements sociaux.

Nous espérons vivement que cette décision du gouvernement, en plus de rencontrer les besoins pressants des Québécois, permettra d’inscrire le logement public comme
élément important d’une politique anti-conjoncturelle pour l’hiver 1972-73 et favorisera une utilisation maximum des crédits prévus pour le présent exercice.

Cette décision constitue aussi, en raison de la présentation par les municipalités et de l’examen par la Société d’Habitation du Québec de plusieurs projets additionnels de logements au cours des prochains mois, une expérience particulièrement valable en vue de préparer et d’accroître le programme des travaux pour l’exercice 1973-74.
Je suis assuré que tous les administrateurs municipaux seront d’accord avec nous pour apporter aux besoins en logement de la population québécoise toute l’attention que cet important problème requiert dans notre milieu.

Il faut donner un coup du côté de la construction de logements à loyer modique. Le gouvernement entend faire sa part. A vous, administrateurs municipaux, d’apporter votre contribution et de profiter au maximum dans chacune de vos municipalités des nouvelles facilités que j’ai eu le plaisir de vous communiquer ce soir.

[QBRSS19720922]

[NOTES POUR LE DISCOURS DE MONSIEUR ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, AU CONGRES ANNUEL DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUEBEC, CHATEAU FRONTENAC, QUEBEC. L’INTERDEPENDANCE DES POLITIQUES SOCIALE ET ECONOMIQUE
QUEBEC, LE 22 SEPTEMBRE 1972]

Je suis heureux de l’occasion que vous me fournissez de m’adresser à un groupe aussi important d’hommes d’affaires, de commerçants et d’industriels. C’est avec plaisir que j’ai accepté votre invitation presqu’au lendemain des discussions que nous avons eues ensemble à l’occasion de la présentation de votre mémoire annuel au gouvernement. Le thème de votre congrès, « les relations entre le progrès économique et le progrès social », m’apparaît particulièrement bien choisi.

Il exprime les grandes préoccupations de la société québécoise, rencontre les priorités gouvernementales et les besoins de la population. Ce thème me paraît bien choisi aussi, car une réflexion sur les rapports qui existent entre le progrès économique et le progrès social nous amène nécessairement à une meilleure compréhension du rôle d’un Etat moderne et à cette question plus fondamentale du choix d’un type de société qui respecte vraiment les valeurs humanistes de notre civilisation.
Nous croyons toujours – et notre expérience au gouvernement ne fait que renforcer notre conviction – que le véritable pari québécois consiste essentiellement dans
la recherche d’un équilibre dans le développement du Québec. Equilibre qui a comme exigence première le progrès économique et social, cette condition essentielle à l’avenir culturel de notre société.
Complémentarité
Le développement économique et social sont intimement liés. Ayant tous deux pour objet la satisfaction des besoins humains, ils sont nécessairement complémentaires.
Compte tenu des ressources disponibles du milieu et des exigences d’une conjoncture donnée, cette complémentarité n’empêche nullement l’établissement d’un ordre de priorité. Nous l’avons fait, en accordant une attention spéciale aux questions économiques à la création d’emplois – en raison précisément des données du Québec sur le plan de l’accroissement de la main-d’oeuvre et des besoins d’investissements publics et privés.
L’accent a donc été placé sur la croissance et le développement économique pour répondre avec le maximum d’effificacité aux besoins économiques pressants des travailleurs québécois.
Notre action économique s’est exercée, jusqu’à maintenant, dans une conjoncture assez difficile. Problèmes monétaires et commerciaux à l’échelle internationale. Problèmes de reprise économique nord-américaine et canadienne. Inflation. Problèmes sociaux d’un Québec en pleine mouvance.
Cette action économique du gouvernement est soutenue. Elle mobilise à peu près tous les grands secteurs de l’activité gouvernementale vers des objectifs précis.
Premièrement, l’efficacité de l’administration publique par l’assainissement des finances publiques. Cela s’est traduit par la présentation de trois budgets sans hausse de taxes, la réforme de l’ensemble de nos lois fiscales, l’implantation du système des budgets par programme, l’adoption d’une nouvelle loi de l’administration financière et la diversification de nos sources de financement.
Exemple: le Japon.
Deuxièmement, la réorientation très nette de la politique budgétaire de l’Etat en fonction d’objectifs de croissance économique. Exemple: hausse considérable des dépenses d’im
mobilisations.
Troisièmement, une meilleure concertation des initiatives des ministères et organismes gouvernementaux à caractère économique. Ce qui nous a amenés à proposer de nouvelles politiques dans le secteur des ressources et à raffermir l’action des instruments étatiques de promotion économique, tels que l’O.P.D.Q., SOQUEM, SIDBEC, la S.G.F.. Le ministère de l’Industrie et du Commerce de son coté s’est fixé des objectifs précis: les nouveaux investissements dans les secteurs de pointe, et la consolidation des entreprises existantes confrontées à des problèmes de concurrence.
Enfin, la Société de Développement Industriel et la Société de développement de la Baie James ont été créées. L’une pour regrouper et donner un dynamisme nouveau à nos programmes d’aide aux entreprises manufacturières. L’autre pour assurer
un développement équilibré des ressources considérables de la Baie James.
Donc, cette recherche de l’efficacité de l’administration publique, notre politique budgétaire expansionniste, la concertation entre les ministères et organismes gouvernementaux à caractère économique, comme la S.D.I. et la S.D.B.J., autant de facteurs qui favorisent les progrès marqués pour l’économie québécoise.
Sur le plan économique, les perspectives d’investissements sont des plus encourageantes. Selon une enquête préparée conjointement par StatistiquesCanada et le ministère fédéral de l’Industrie et du Commerce, le Québec connaîtra un taux d’accroissement de ses investissements publics et privés de 10.1% alors que le taux de l’Ontario et du Canada sera de 4.6% et de 6.4% respectivement. Dans le secteur manufacturier, le taux québécois d’accroissement des immobilisations sera de 23.6%, soit l’un des plus hauts taux depuis 10 ans, alors que pour l’Ontario et le Canada les taux prévus seront de l’ordre de moins 1.0% et de 2.5%.
Au gouvernement, nous avons de plus en plus la collaboration de l’entreprise privée comme en témoignent les récents investissements annoncés: complexe pétrochimique, Petrofina, etc. C’est une preuve de plus que le climat social du Québec s’est amélioré et que la confiance renaît chez les Québécois comme à l’étranger dans l’avenir
de notre province.
Cela souligne la complémentarité naturelle entre le progrès économique et le progrès social.
En effet, la satisfaction des besoins sociaux des individus, l’instauration d’une justice sociale toujours plus grande permet à la société de trouver un meilleur équilibre interne, d’assainir son climat social et d’accroître chez les citoyens cette confiance dans la capacité de leur société à trouver des solutions pratiques et efficaces à leurs problèmes individuels. Cet équilibre et cette confiance, ce sont précisément les conditions essentielles du dynamisme économique.
De la même façon, toute reprise significative de l’activité économique contribue à accroître l’efficacité des programmes de développement social en permettant une réduction sensible de la demande de biens et de services sociaux, et en favorisant, de ce fait, un accroissement dans la qualité de ces programmes sociaux mis à la disposition de l’ensemble des citoyens. Cette complémentarité du progrès social et du d’une même réalité, celle du développement équilibré d’une société.

Politique sociale
La politique sociale est donc toute orientée vers la satisfaction des besoins des citoyens; elle constitue aussi une politique d’appui et de soutien au développement économique du Québec.
Cette politique sociale a trois grands objectifs:
Adapter l’ensemble des services de santé et progrès économique est donc très étroite. L’un comme l’autre ne sont en fait que les deux dimensions majeures des services sociaux aux besoins réels de la population.
Faciliter l’accès de tous à ces services.
Favoriser une participation des citoyens dans la définition du contenu des politiques sociales.
En poursuivant ces objectifs, l’efficacité de la gestion des programmes sociaux est primordiale. Les coûts de cette politique ne doivent pas absorber inutilement les ressources disponibles. Aussi, cette préoccupation d’efficacité et de rationalité est l’une des grandes lignes de force de la réforme sociale que nous menons au Québec.
Nous avons donc opéré une révision radicale des programmes d’immobilisations, une normalisation des opérations budgétaires du secteur hospitalier, et un resserrement du contrôle des dépenses d’aide sociale.
Des programmes sociaux nouveaux ont pu ainsi être mis en oeuvre sans augmentation d’impôt: l’assurance-maladie, l’aide juridique, la protection des consommateurs, l’application de la Loi d’aide sociale, la hausse des prestations aux veuves, invalides et aux travailleurs, la réorganisation complète des services de santé et des services sociaux, la réforme de notre législation en ce qui concerne le malade mental, l’enfance inadaptée, l’hygiène publique, l’aide aux municipalités dans la construction de logements sociaux, autant de manifestations de la volonté du gouvernement de procurer aux citoyens québécois des services sociaux de qualité.
La politique sociale de l’Etat entraîne évidemment des déboursés. Si nous sommes déterminés à réduire ces dépenses, il faut aussi comprendre qu’elles sont largement incompressibles et que les difficultés d’adaptation des individus impose des responsabilités que les pouvoirs publics se doivent d’assumer.
Remarquons bien que les investissements publics et privés dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services sociaux ont aussi une rentabilité économique certaine. Au sein de vos entreprises, vous connaissez la valeur d’une main-d’oeuvre qualifiée et capable de s’adapter au changement technologique. Vous qui décidez d’investir,
vous êtes d’ailleurs sensibles au facteur humain des projets que vous mettez de l’avant. A l’échelle de la société, vous savez que cette rentabilité des investissements sociaux est évidente.
D’une façon plus directe, la masse monétaire que représentent les dépenses sociales est extrêmement significative sur le plan de la demande de biens et de services et, par là, sur le plan de l’ensemble de la production industrielle et de l’activité commerciale et financière.
Qu’on songe simplement à la valeur économique des régimes publics de retraite. Une institution, comme la Caisse de dépôt et de placement, en favorisant la constitution de ressources financières considérables, ne permet-elle pas une bonne partie de notre développement économique et industriel. Exemple: Place du Centre à Hull, etc.

Loin de ralentir la croissance économique, les programmes sociaux sont au contraire des facteurs importants de développement.

Il arrive cependant, et c’est un point que nous surveillons de très près, que certains programmes puissent avoir des effets négatifs sur le plan économique lorsque leur structure et leur niveau diminuent l’incitation au travail ou la mobilité des travailleurs d’une région à l’autre.

Les efforts soutenus qui sont faits sur le plan des prestations de sécurité du revenu visent à favoriser une plus grande participation des Québécois au marché du travail. Par efficacité, ces programmes doivent respecter certaines conditions:
L’intégration fonctionnelle des programmes fédéraux et provinciaux de sécurité de revenu, dont le plus important est celui des allocations familiales.
L’adoption d’une échelle de prestations suffisamment souple pour favoriser l’incitation au travail, aux bénéficiaires de ces prestations.
L’établissement de mécanismes pratiques de coordination entre la sécurité du revenu et les services de main-d’oeuvre et de formation professionnelle.

Ainsi, et votre congrès constitue un apport important à cette réflexion, l’une des exigences majeures de tout Etat moderne s’exprime dans la recherche d’un équilibre dans le développement de la Société.

Au Québec, cette recherche nous fait reconnaître une primauté au développement économique et social.

L’avenir culturel du Québécois, s’il met en cause les valeurs linguistiques et artistiques de notre communauté, s’il appelle de nouveaux modes d’organisation du fédéralisme canadien, cet avenir culturel sera tout autant façonné par la nature des solutions économiques et sociales que nous apporterons aux problèmes des Québécois.
C’est, en tout cas, dans ces termes que se pose, pour nous, le véritable pari québécois.

[QBRSS19721005]

[ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, AU CONGRES, TENU A QUEBEC LE 7 OCTOBRE 1972, DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES EDUCATEURS DE LANGUE FRANCAISE A L’OCCASION DU 25e ANNIVERSAIRE DE SA FONDATION]

Chers amis,
Comme éducateurs, votre préoccupation première est évidemment les grandes questions d’éducation. Et mon collègue, hier, M. François Cloutier vous a donné les grandes priorités du gouvernement du Québec en matière d’éducation: accroître la qualité de l’éducation par une meilleure formation du personnel engagé dans des activités d’éducation et par une amélioration du contenu des programmes. Egalement, l’ouverture de l’école sur la société en vue d’intégrer des activités scolaires à la vie du milieu et à l’évolution de la société québécoise.

L’éducation est évidemment le facteur déterminant de la politique culturelle d’une société. La politique linguistique, la promotion de la création artistique sont aussi partie de l’expression culturelle de la collectivité. Davantage, nous pouvons dire que la culture rejoint, en fait, l’ensemble de l’organisation politique, économique et sociale d’une collectivité et se manifeste dans la façon d’être, de penser et de vivre des individus. Dès lors que l’on cherche à promouvoir les valeurs culturelles, il faut toujours garder à l’esprit cette donnée fondamentale de la multiplicité des aspects d’une politique culturelle réaliste et équilibrée. Autrement, croyant résoudre le problème par une action strictement sectorielle, le risque serait grand alors de n’avoir que l’apparence d’une politique et de desservir ainsi les objectifs poursuivis. L’avenir de la langue et de la culture françaises au Québec est donc avant tout une question qui doit trouver sa réponse définitive dans le développement intégré de la société québécoise. Sur le strict plan du progrès de la langue française au Québec et au Canada, nous croyons que seule une politique empreinte de tolérance, soucieuse de respecter pleinement les droits des uns et des autres, et conforme aux réalités démographiques et sociologiques du milieu québécois a des chances d’apporter au problème linguistique québécois une solution durable et juste.

Notre responsabilité en cette matiàre nous impose des devoirs de vigilance, de prudence mais aussi de réalisme dont nous ne pouvons pour aucune considération, nous départir. La politique linguistique du Québec doit s’appuyer sur une connaissance approfondie de toutes les dimensions du problème. Des opinions nombreuses et souvent contradictoires ont été avancées sur cette question depuis quelques années. Des travaux de recherches ont été faits, d’autres sont sur le point d’être complétés. Des initiatives, autant au niveau fédéral qu’à celui des provinces du pays ont été prises. Il reste évidemment à évaluer tout cela, à tenir compte du fait qu’au Québec nous sommes deux minorités si l’on veut prendre cette expression: la minorité française par rapport à la majorité anglophone du Canada et de l’Amérique du Nord et la minorité anglophone par rapport à la majorité française au sein même du Québec.

Il y a quand même un élément particulier que je voudrais signaler et attirer votre attention à une autre dimension de cette question linguistique: le développement du français à l’échelle internationale. Il est évident que le fait d’appartenir à l’une des communautés culturelles les plus riches du monde civilisé est un atout certain pour le Québec. C’est l’une des raisons principales d’un avenir prometteur pour le développement de notre langue et pour sa sécurité, autrement, si nous n’avions pas cet atout et cet avantage d’appartenir à la communauté francophone, d’appartenir peut-être à une autre communauté qui n’a pas le rayonnement de la communauté francophone, il est évident que notre isolement serait plus accentué et encore plus fragile.
Le français a peut-être perdu un peu de terrain à l’échelle internationale depuis quelques années, mais il est encore l’une des grandes langues internationales du monde. Pour profiter de cet avantage exceptionnel, il n’y a pas de doute qu’il faut multiplier les échanges avec la communauté francophone, que ceci est absolument essentiel pour notre propre sécurité culturelle. C’est ce que nous avons fait et c’est ce que nous continuons de faire avec la Coopération franco-québécoise qui est un élément essentiel de toute politique linguistique de notre province. J’ai eu l’an dernier, et encore récemment le VicePremier ministre, M. Gérard-D. Levesque, des entretiens avec les autorités publiques françaises, les dirigeants politiques français. Et j’avais eu l’occasion lors de mon voyage en France de discuter de cette question avec les dirigeants politiques, de faire comprendre comment le Québec était naturellement intéressé au sort du français, notamment dans le marché commun, parce que si le français s’épanouit, si le français a un plus grand rayonnement au sein même du marché commun, il est évident que le Québec et le Canada français pourront en profiter. C’est également dans cette perspective que nous avons insisté pour avoir le statut que nous avons actuellement dans l’Agence francophone de coopération culturelle et technique ou nous avons des relations directes avec la communauté francophone à l’intérieur du cadre fédéral, mais il n’y a rien dans ce cadre fédéral qui nous empêche, et nous avons insisté sur ce point, pour avoir ces relations tout à fait directes avec les membres de la communauté francophone, parce que ceci nous apparaît fondamental et nécessaire. A l’échelle canadienne, le ministre de l’Education, M. Cloutier, vous a dit hier que le Gouvernement entendait appuyer tout effort pour les communautés francophones du pays. La question de cette responsabilité du Québec vis -à-vis du monde francophone, on peut certainement constater aujourd’hui que ce sont les questions fondamentales, les questions principales, les questions essentielles qui en sont l’objet. Il y a eu, il y a quelques années, beaucoup de querelles de formes et de procédures mais maintenant nous en sommes à discuter l’essentiel et on peut certainement concevoir avec optimisme l’avenir de ces relations franco-québécoises qui sont tellement fondamentales pour notre sécurité culturelle.
Vos discussions, mes chers amis, dont j’ai eu plusieurs échos, m’ont paru très importantes. C’est pourquoi je me permets d’inviter les membres de votre Conseil d’administration ou des représentants de votre institution à me rencontrer à une date qui conviendrait aux deux parties pour discuter du résultat de votre congrès qui s’annonce extrêmement prometteur. Encore une fois, je veux vous remercier pour votre chaleureuse participation et j’espère que dans quelques minutes, j’aurai l’occasion de discuter individuellement avec vous.

[QBRSS19721117]
[DISCOURS PRONONCE PAR M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE ET CHEF DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC A LA CLOTURE DU l7e CONGRES DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC TENU A L’HOTEL REINE ELIZABETH, A MONTREAL, LES 17, 18 ET 19 NOVEMBRE 1972. (Thème du congrès. LE QUEBEC, C’ EST TON AFFAIRE)]
Mes chers Collègues, Mes chers Amis, [My dear Friends]:
Mes premiers mots évidemment, c’est pour féliciter les militants de leur participation à ce congrès, de la qualité de la participation dans tous les ateliers. Nous avons connu au cours de cette fin de semaine, comme au cours des précédents congrès du Parti Libéral cette liberté d’expression en même temps que cette discipline de discussion qui fait que c’est dans le Parti libéral que nous pouvons discuter des problèmes des plus complexes et des plus importants, mais de façon constructive et positive.
Le travail des ateliers a suscité un immense intérêt et je pense qu’il est normal, au nom du Parti, au nom de mes collègues du gouvernement et du caucus, de vous en témoigner la plus grande gratitude. Le Parti et le gouvernement ne peuvent que profiter de toutes ces discussions et de toutes ces résolutions qui ont eu lieu depuis deux jours. Vous vous souvenez que la dernière fois que je me suis adressé à un groupe de militants libéraux, à cet endroit, c’était le 16 avril dernier, nous avions à faire face à la grève la plus importante de l’histoire du Canada, une grève générale. Je pense que nous avons pu surmonter les obstacles; nous avons pu avec une calme et froide détermination faire respecter les valeurs fondamentales d’une société. Nous avions pour cela l’appui de l’immense majorité de la population. Ce n’était pas toujours facile de prendre les décisions qu’il nous a fallu prendre à ce moment-là . Cependant, je pense que nous n’avions aucun choix si nous voulions qu’au Québec la démocratie soit respectée dans ce qu’elle a de plus important et de plus réel. Il fallait que nous prenions les décisions que nous avons prises.
Je pense que vous étiez d’accord à ce moment-là, même si on pouvait percevoir une certaine inquiétude tout à fait légitime étant. donné les circonstances, sur les décisions du gouvernement pour rétablir un climat social acceptable à tous les Québécois.
Je voudrais remercier le Dr Goldbloom pour sa généreuse et chaleureuse présentation et je profite de l’occasion pour signaler ce qu’a fait le gouvernement dans un secteur qui l’intéresse d’une façon toute particulière, c’est-à-dire la lutte à la pollution. Le gouvernement n’a pas été lent à prendre ses responsabilités en ce qui concerne la lutte à la pollution et à l’environnement humain. En fait, depuis un certain nombre d’années, les ministères de la Santé,. des Richesses et des Affaires municipales, la Régie des Eaux, se sont intéressés à ce problème de la pollution. Certaines normes ont été adoptées. Des initiatives à l’occasion ont été prises. Tout cela cependant, et c’est ce que nous avons réalisé, manquait de coordination et demeurait bien en-deçà de l’action systématique qu’il fallait à tout prix entreprendre pour faire face au grave problème de la pollution sous toutes ses formes et pour répondre aussi aux attentes de plus en plus pressantes de l’opinion publique québécoise et canadienne.
Aussi, quelques mois seulement après notre arrivée au pouvoir nous avons pris une première décision, celle de confier à un ministre, le Dr Goldbloom, la responsabilité spéciale d’examiner l’ensemble du problème au Québec, d’évaluer l’efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics en regard des besoins et de formuler ainsi des recommandations précises au Conseil des ministres.
C’est ainsi que la population québécoise s’est peu à peu sensibilisée à l’importance vitale pour notre société d’entreprendre la lutte à la pollution. Divers groupes et associations ont emboîté le pas, si bien que cette question de la protection de l’environnement est vite devenue, compte tenu de nos besoins, une question prioritaire. Des problèmes particulièrement aigus ont pu ainsi trouver une solution rapide et vous me permettrez de donner quelques exemples comme celui du Lac Bouchette au Saguenay Lac Saint-Jean, à Blanc-Sablon, sur la Côte-Nord. Des programmes nouveaux et particulièrement urgents ont été mis en oeuvre: programmes d’échantillonnage de l’air dans des régions comme Montréal, Joliette, Sorel, Cap-de-la-Madeleine; programmes d’assainissement du fleuve Saint-Laurent, de la rivière Outaouais; programmes de traitement des égouts sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal et dans la banlieue immédiate; programmes de protection contre le bruit pour les travailleurs en usine; programmes de récupération des déchets. Cet ensemble de mesures vise à répondre à un besoin de plus en plus pressant.
[By becoming aware of the importance and scope of the problem involved by the fight for the protection of our environment, it was realized that one thing was getting more and more urgent: the action of the government had to become, by all means and as soon as possible, coherent and systematic if this action was to be really efficient. in other terms, the government must have at its disposal powers and means
in order to define a real protection policy to safeguard our environment. This was our second decision, that is the presentation of a bill to protect the quality of our life.
This new law will cover all the field of the physical environ
ment, that is air, water and soil. It will tackle the problems of the quality of our waters, the disposal of waste and used waters, the improvement of the air, the building and maintenance of healthy housing, and the problem of noise.
Thus, the Québec Government will have at its disposal appropriate means to wage the struggle against pollution. This new legislative instrument will put us in a position where we will be able to make full use of our resources, and of the investments earmarked for the protection and improvement of the quality of our life.]

Au gouvernement du Québec, avec la collaboration du gouvernement fédéral et avec le concours des municipalités, nous avons la conviction de mener avec succès cette lutte à la pollution, contribuant ainsi à protéger l’environnement physique du Québec et aussi la qualité de la vie humaine. Car, c’est bien dans cet esprit que se situe notre action contre la pollution de notre milieu et l’amélioration de la qualité de vie des Québécois.
Vous avez là un exemple, parmi un très grand nombre, des mesures que nous avons prises qui font que l’accent, dans ces grandes sociétés modernes comme la nôtre, doit être mis de plus en plus sur cette qualité de la vie.
Il y a eu des gestes innombrables de la part du gouvernement pour une plus grande justice sociale. Si l’on voulait résumer ou bien trouver les liens conducteurs entre toutes ces lois, entre toutes ces mesures, la cohérence, la logique et la justification de ces mesures du gouvernement dans les secteurs social, économique, municipal, de la justice, et autres, se retrouvent dans la recherche de trois objectifs particuliers: amélioration de la qualité de ces services, comme dans le cas de la loi de la protection d u consommateur. Combien de citoyens du Québec ont été victimes de toutes sortes de formules qui leur étaient proposée. Ils étaient personnellement pénalisés parce qu’il n’y avait pas de législation suffisamment forte pour les protéger. Nous avons donc amélioré ces services par la loi de la protection du consommateur.
Autre objectif, nous avons également étendu l’accessibilité des services sociaux, de façon générale, avec notamment l’assurance-maladie. C’est nous les libéraux qui avons supprimé la barrière de l’argent pour tous les citoyens du Québec afin de pouvoir obtenir des soins.
Une réforme dont nous pouvons être extrêmement fiers puisqu’on en parlait depuis des années et des années. Maintenant, tous les citoyens du Québec, quels que soient leurs moyens financiers, grâce à une mesure que nous avons adoptée en une période difficile, et en surmontant toute une série d’obstacles – on n’a qu’à voir ce qui s’est passé dans d’autres pays où vous avez eu des grèves sauvages qui se sont déroulées lorsque cette assurance a été adoptée – sont enfin protégés.
Nous avons également comme autre objectif cette participation accrue de notre population à la gouverne de la chose publique, comme le bill 65 en est un exemple. Mais, en-dehors de tous ces services et de toutes ces améliorations, tant du point de vue de l’accessibilité que du point de vue de la qualité, la première priorité, comme le signalait tantôt le Dr Goidbloom, est toujours la question économique.
Nous avons fait beaucoup, mais je pense que nous pouvons dire humblement, mais avec réalisme que compte tenu des difficultés que nous avons eues à surmonter depuis deux ans, la performance du gouvernement actuel se compare avantageusement avec n’importe quel gouvernement à l’extérieur du Québec ou à l’intérieur du Québec, dans le passé.
Ce n’est pas facile, vous le savez, il n’y a pas de recette miracle. Nous avons utilisé tous les moyens qui étaient disponibles. Lorsqu’il fallait recourir à l’Etat, nous l’avons fait. Lorsqu’il fallait recourir à des sociétés mixtes, nous l’avons fait. Lorsqu’il fallait recourir au secteur privé, nous l’avons fait. Pour régler les problèmes particuliers, nous avons utilisé toutes les formules.
Cela ne veut pas dire que nous n’avions pas de politiques d’ensemble. Que ce soit dans le domaine de l’agriculture, que ce soit dans le domaine des terres et forêts – on connaît le Livre blanc – ou encore dans le domaine de l’énergie – on a publié il y a quelques jours les grands objectifs de la politique du gouvernement dans ce secteur, nous avons des politiques d’ensemble dans les grands secteurs économiques du Québec. Nous faisons face également, d’une façon concrète aux problèmes particuliers.
Nous avons fait démarrer cet immense projet, cet exceptionnel projet de la Baie James. En fait, mes chers amis, c’est avec la Baie James que le Québec, par sa ténacité, par son travail, malgré son isolement et malgré son climat, est en train de devenir l’une des grandes régions du monde. Avec son peuple déterminé, avec ses ressources abondantes, et avec son fabuleux potentiel énergétique, la Baie James, c’est la nouvelle frontière du Québec moderne; c’est l’objectif dont ont besoin nos jeunes ingénieurs, nos spécialistes, nos techniciens, afin de mettre en pratique cet enseignement nouveau dont les Québécois se sont doté depuis douze ans en s’imposant des sacrifices énormes.
La Baie James c’est à la fois la satisfaction de l’esprit d’aventure qui nous anime tous encore et la consolidation définitive du Québec en tant qu’ incontestable puissance économique. La Baie James, lorsque l’aménagement en sera terminé, sera la plus grande réalisation hydro-électrique du monde puisque la production d’électricité – 14,000 mégawatts – sera deux fois plus importantes que celle des chutes Churchill, la plus grande d’Amérique du Nord, deux fois plus importante que la plus grande centrale de l’Union soviétique, et deux fois plus importante que celle du barrage d’Assouan en Afrique. En fait, la Baie James sera encore plus que la fourniture de quantités colossales d’électricité, ce sera également l’éclosion d’une civilisation nouvelle, purement québécoise, avec la découverte d’une terre nouvelle, des routes à construire, des villes à créer, des ponts à lancer, des mines à creuser, des forêts à exploiter et du pétrole à découvrir, des circuits touristiques à établir.
Dans le monde maintenant, quand on parle du Québec, mes chers amis, on parle de moins en moins des secousses politiques qui ont pu nous secouer. On parle maintenant de cet immense potentiel de nos ressources naturelles qui se trouve à être impliqué dans le développement de la Baie James. Il y a évidemment, je l’ai constaté durant le congrès, un problème d’information. On est peut-être plus informé actuellement à l’extérieur du Québec qu’on ne l’est au sein même du Québec, des avantages considérables du développement de la Baie James. Nous en tenons compte et nous en tiendrons compte dans l’avenir pour que tous les Québécois comprennent pleinement la portée de cette décision majeure.
J’entendais il y a quelques jours le chef du parti séparatiste dire à New York qu’il était pour remettre, qu’il avait l’intention ou qu’il était favorable à la remise de 40% de l’Hydro-Québec au secteur privé. Evidemment, il était à New York, il voulait faire quelques clinsd’oeil au monde capitaliste, mais ce qu’il a oublié, c’est que c’est lui et ses collaborateurs qui, il y a quelques mois à peine, dénigraient le plus le développement de la Baie James. Le Parti Québécois s’est trompé sur la Baie James comme il s’est trompé sur l’Iron Ore, comme il s’est trompé dans son anti-campagne. Se pourrait-il qu’il se trompe pour l’indépendance!
Mes chers amis, quand on a une aussi faible moyenne sur des questions où on possède tellement de données, cela prend quand même une certaine naïveté pour proposer ce qu’il propose aux Québécois.
Il y a un autre chef de parti qui disait dans un journal de ce matin – mais lui il a l’humilité de l’admettre, et on sait que l’humilité est une qualité essentielle aux hommes politiques s’ils ne veulent pas s’exposer à des surprises désagréables… M. Loubier disait ce matin qu’il n’avait peut-être pas d’objections à changer le nom de l’Unité-Québec, à laisser tomber son Unité-Québec et ses deux zéros et à revenir à l’Union Nationale. Mais tout cela, cette force économique du Québec, ce climat social aussi paisible que possible dans des sociétés comme la nôtre, tout cela doit reposer, vous le savez, sur une situation financière saine. Vous me permetrez de vous donner quelques chiffres. Vous savez comme moi que ce n’est pas avec des chiffres sur la dette ou sur le revenu de la province qu’on peut faire des envolées lyriques, mais c’est quand même extrêmement important parce que c’est seulement quand les finances sont acceptables ou sont saines qu’on peut s’attaquer à d’autres problèmes.
On a critiqué, ou certaines personnes critiquent la situation financière actuelle du Québec; on peut répondre faits à l’appui que la dette obligataire directe et indirecte du Québec est l’une des plus basses au Canada. En termes de revenu brut annuel du gouvernement, si lion exprime la dette obligataire en termes d’années de ce revenu, on voit que la dette directe et indirecte au Québec représente 1.31% du revenu brut annuel. Ceci signifie que pour effacer sa dette, le Québec devrait vouer son budget pour une année et quatre mois. En Ontario et en Colombie-britannique, cela représente 1.59% et 1.86% du revenu brut annuel. Mentionnons que le Québec est en-dessous de la moyenne pondérée des autres provinces qui s’établit à 1.62%.

Si lion considère la valeur de la dette obligataire par habitant, on s’aperçoit qu’au terme de l’année dernière, elle est de $ 952. au Québec, donc l’une des plus basses, et non seulement l’une des plus basses au Canada, mais .il y a – une croissance annuelle
qui est beaucoup plus forte dans des provinces comme l’Ontario qu’elle ne se trouve à être au Québec.
Alors, vous avez là des faits bien précis qui se trouvent à confirmer la solidité de notre situation financière. Comme je vous le disais tantôt, si on veut s’attaquer à d’autres problèmes, si on veut apporter des solutions, il nous faut de solides finances. En quelques mots, on peut dire que la liberté d’un peuple, que la liberté d’un gouvernement dépend de sa situation financière. Tout ce que je puis vous dire, c’est que nous actuellement nous avons cette liberté pour réformer la société québécoise. Nous avons cette liberté pour faire avancer la société québécoise.
Il en va de même pour la liberté de nos citoyens. Vous savez tous que c’est lorsqu’un citoyen ne se trouve pas endetté indûment qu’il peut penser à entreprendre de nouvelles choses. Nous avons réussi à établir cette situation financière non seulement en payant des vieilles dettes de l’ancien gouvernement, que ce soit dans le cas des commissions scolaires ou dans le cas des hôpitaux, mais également, en n’augmentant pas les impôts, plus que cela, en les réduisant.
Très brièvement on peut donner cette liste de réductions des impôts que nous avons réalisées. Par exemple la hausse des exemptions pour les célibataires de $ 1,000. à $ 1500 et pour les personnes mariées de $ 2000 à $ 2850, l’élargissement au profit des travailleurs de déductions admissibles pour les frais encourus pour achat d’outils et de vêtements spéciaux, les frais de déménagement, les frais de garde d’enfants pour les mères de familles qui doivent travailler à l’extérieur du foyer, possibilité – troisième baisse – d’étalement du revenu sur un certain nombre d’années en faveur des contribuables dont les revenus varient d’une année à l’autre tels les cultivateurs, les pêcheurs, les artistes et les athlètes; exemption de la taxe de vente de 8% sur la machinerie industrielle afin de contribuer à la relance de l’économie; abolition de la taxe sur le transfert des valeurs mobilières; diminution graduelle de l’impôt successoral; hausse des exemptions annuelles en ce qui a trait à l’impôt sur les dons entre vifs,et ceci sans compter toutes les mesures qui ont été adoptées pour alléger également le fardeau financier des municipalités: diminution de l’impôt foncier scolaire, taxation d’édifices publics par les municipalités de manière à obtenir des subventions additionnelles du gouvernement, subventions destinées à combler le déficit des logements à loyer modique. Alors, voilà des résultats bien précis et bien concrets à l’avantage des contribuables du Québec et à l’avantage des municipalités.
Mais l’assainissement des finances publiques ne se limite pas seulement à ces problèmes fiscaux. Il s’exerce également dans les gros ministères comme l’Education et les Affaires sociales, avec la réduction des coûts dans le cas des hôpitaux, la stabilisation des coûts dans le cas de l’aide sociale. Evidemment nous sommes conscients – vous avez eu un atelier très instructif sur cette question-là – nous sommes conscients que ces coûts-là ont augmenté considérablement depuis dix ans. Mais ce sont des problèmes qui sont quand même difficiles. Nous essayons de les plafonner et le ministre des Affaires sociales, M. Castonguay essaie d’y faire face avec toute sa compétence. Il y a plusieurs personnes qui me disaient; Comment se fait-il que notre ami, M. Castonguay, ne sourit pas plus souvent à la télévision? Mais il a des problèmes, mes chers amis, des problèmes considérables dans le domaine de la stabilisation des politiques sociales et de leur adaptation aux besoins des Québécois. Ces problèmes sont tels qu’il est évidemment difficile de prendre cela à la légère.
Mes chers amis, cette question des finances du Québec nous amène à discuter brièvement d’une autre question qui est extrêmement importante non seulement pour le gouvernement du Québec, mais pour tous les gouvernements du pays actuellement. Cette question d’un nouveau partage fiscal, c’est-à-dire des revenus pour les provinces qui soient adaptés à nos besoins. Si nous voulons poursuivre les objectifs que nous venons d’énumérer, il est absolument important que nous ayons ce nouveau partage fiscal, que nous ayons des ressources fiscales additionnelles. On peut donner plusieurs raisons pour cela.
Il y a les chiffres mêmes d’un comité d’experts et de fonctionnaires du régime fiscal, le Comité du régime fiscal, qui démontrent premièrement que les revenus du gouvernement fédéral s’accroissent plus rapidement que les revenus des gouvernements provinciaux, il y a donc au départ un déséquilibre.
Deuxièmement, non seulement les revenus du fédéral augmentent plus vite que ceux des provinces, mais les responsabilités provinciales augmentent, elles, avec des revenus qui augmentent moins que ceux du fédéral, beaucoup plus rapidement. Le coût des services gouvernementaux au fédéral a augmenté de 68% depuis cinq ans alors que dans le cas des provinces il a augmenté de 98%, soit près de 50% de plus qu’au niveau fédéral, et cela avec des revenus qui augmentent moins rapidement.
Troisièmement,il y a les besoins des municipalités. On a apporté certaines mesures. Il faudra en apporter d’autres, et ceci exige un nouveau partage fiscal.
Quatrièmement, il y a le fardeau fiscal actuel des Québécois. Nous considérons nous qu’il est au maximum. Nous avons essayé et nous continuerons d’essayer de le garder au niveau actuel et si possible de le réduire comme nous l’avons fait à l’occasion du dernier budget. Mais pour cela, il nous faut évidemment négocier avec le gouvernement fédéral. Il nous faut négocier pour obtenir ces sommes qui souvent ne serviront qu’à assumer notre propre contribution à des programmes fédéraux. La situation est telle aujourd’hui que parce qu’il a des ressources financières beaucoup plus importantes que les nôtres, le gouvernement fédéral établit des programmes pour l’ensemble des provinces qui concernent les responsabilités provinciales. Dans le cas de certains de ces programmes, il est difficile pour nous d’y contribuer parce que nous n’avons pas les ressources financières dont dispose le gouvernement fédéral.
J’ai eu une rencontre il y a quelques jours avec le premier ministre de l’Ontario qui a des problèmes identiques. Les fonctionnaires se sont rencontrés jeudi. C’est certainement pour nous actuellement le dossier prioritaire. Même si beaucoup a été fait, le gouvernement doit poursuivre ses efforts pour obtenir ces sommes additionnelles. Il nous faut des moyens financiers supplémentaires pour donner plus d’argent aux loisirs et aux sports, pour donner plus d’argent à l’agriculture, pour assumer nos responsabilités dans le domaine culturel.
Les responsabilités du Québec en matière culturelle, si elles étaient claires il y a quelques mois, elles sont devenues encore plus évidentes après le scrutin du 30 octobre. Dès notre élection, conscients de cette responsabilité que nous avons au Québec en tant que seul gouvernement francophone en Amérique du Nord, nous avons mené une négociation extrêmement serrée avec le gouvernement fédéral. De fait, nous avons obtenu un statut différent à l’Agence de Coopération technique et culturelle de manière à avoir des relations directes avec les pays francophones. C’est l’occasion aujourd’hui de mettre en relief l’importance de cette entente. Quand on connaît notre situation extrêmement minoritaire au sein de l’Amérique du Nord, il est essentiel pour nous d’avoir ces relations qui sont à toute fin pratique irremplaçables. Nous avons l’avantage de faire partie de l’une des communautés les plus riches du monde il n’y a pas besoin de briser nos structures politiques pour arriver à atteindre ces objectifs.
Egalement dans le secteur des communications,qui est très important pour notre avenir culturel, nous avons l’intention de poursuivre nos objectifs. C’est pourquoi le Québec veut jouer un rôle majeur à la conférence interprovinciale des Communications qui s’ouvre demain dans la Vieille Capitale puisqu’il a été convenu à Halifax au mois d’août que la politique de communications des provinces doit être partie intégrante de la planification de leur développement social, économique et culturel. Nous définirons, conjointement avec les autres provinces nos priorités en matière de communications et on connaît les initiatives de la Saskatchewan et de l’Ontario dans ce secteur. Nous ne sommes donc pas les seuls, même si nous, nous avons une responsabilité additionnelle en tant que communauté majoritairement francophone.

Nous étudierons les problèmes que posent aux provinces la règlementation des systèmes téléphoniques, la cablodiffusion, la téléinformatique, la télévision éducative et la coordination des publications gouvernementales. Enfin, nous jetterons les bases de structures et de modes de coopération interprovinciale.
Par ailleurs, on peut constater que déjà dans une première étape Radio-Québec est reçue dans beaucoup de foyers québécois. Enfin, il nous parait normal qu’un certain nombre d’organismes fédéraux dont l’activité comporte une incidence culturelle importante fassent l’objet au cours des prochains mois d’une étude des points de vue administratif et financier, en particulier la Société Radio-Canada, l’Office national du Film, le Conseil des Arts du Canada et le Conseil national de Recherches.
Dans le secteur de la langue du travail qui a été discuté à l’atelier d’hier, le gouvernement, vous le savez, a déjà posé des gestes avec le bill 64, en augmentant le budget de l’Office de la Langue française, dans le domaine de la Coopération franco-québécoise également. Nous avons obtenu dans plusieurs secteurs à plusieurs reprises une collaboration fort intéressante de la part du secteur privé. Il est évident, puisqu’on nous remettre ce rapport dans quelques semaines, qu’avant de poser d’autres gestes, il nous faut attendre les conclusions d’une étude qui a duré plusieurs années.
C’est la même chose dans le domaine de l’Education où des réglements ont été adoptés par le ministère. On sait que ce secteur est intimement relié à celui de la langue de travail. Le parti hier a exprimé son point de vue. On a assité à un débat aussi intéressant que révélateur , il constitue un témoignage éloquent, ce débat d’hier après-midi, du caractère démocratique du parti, de sa vitalité, de son dynamisme, de l’authentique participation de tous les militants, et enfin des possibilités d’action qui existent, qui ont existé et qui continueront d’exister dans le Parti libéral pour les jeunes libéraux.

Ce débat démontre donc le caractère représentatif du Parti libéral du Québec. C’est seulement dans un parti comme le nôtre que les problèmes de la majorité et de la minorité peuvent être discutés ensemble. Nous sommes le seul parti où vous pouvez avoir ce véritable forum de tous les Québécois, de toutes les régions, de tous les ages et de tous les groupes. C’est ça le Parti Libéral du Québec!

[There is no doubt that in our Government our policy will be just and responsible. Justice for the majority. and justice for the minority. There is no question that the present rights could not be respected completely. What we can add to such & stand is that to improve the French presence in Canada, we do not havè to break or to affect the present rights of the minorities in the Province of Québec. Even less do we have to break the country. We can only enhance the Canadian personality by having in the Province of Québec a rich and progressive French culture.]

Comment en effet vouloir briser ce régime fédéral dans lequel nous vivons quand on voit les tendances qui s’expriment dans les autres régions du monde; il y a un mois vous aviez une conférence des chefs de gouvernements du Marché commun; vous avez le président de la République française qui parle d’une union européenne; vous avez le Premier ministre britannique qui parle d’une personalité européenne; vous avez le Premier ministre de la Hollande qui propose qu’il y ait un parlement fédéral au suffrage direct à cause des impératifs économiques qui existent. Union monétaire, tarifaire ou autres; harmonisation des politiques sociales; tout ceci doit aboutir à un parlement fédéral inévitablement.
Pourquoi briserions-nous ce lien fédéral alors que nous avons des impératifs économiques autrement plus contraignants qu’il n’en existe au sein du Marché commun européen. Pourquoi briser ce lien fédéral alors qui il est évident qu’il nous faudrait le recréer dans quelques années?

Mes chers amis, nous pouvons certainement – surtout quand on voit que depuis cinq ans il n’y a aucune espèce d’étude sérieuse ou valable qui a été soumise. aux Québécois pour une indépendance viable – nous pouvons à l’intérieur du Canada, à l’intérieur du régime fédéral, avoir cette autonomie ou cette souveraineté culturelle dans un fédéralisme économique. C’est ça la seule option réaliste du Québec – réaliste en même temps que fascinante – pour les Québécois.

Je vous ai démontré tantôt que tant dans le domaine culturel que dans celui des communications, de la langue de travail ou de l’éducation, que nous avons les moyens d’assurer cette sécurité culturelle pour les Québécois francophones. Il est normal que les Québécois francophones tentent d’assurer leur sécurité culturelle. Si eux ne le font pas, qui va le faire? Mais tout cela peut se faire à l’intérieur du Canada, et en respectant les droits acquis de toutes les minorités.
Mes chers amis, la chance du Québec est de faire partie de l’une des civilisations les plus riches du monde. La chance du Québec c’est de faire partie du continent nord-américain, la puissance économique la plus forte du monde. La chance du Québec c’est d’avoir des ressources naturelles inépuisables alors que dans les régions du monde avec une démocratie en pleine expansion vous avez des richesses naturelles qui s’épuisent. Ici c’est le contraire, nous en avons un très nombre qui sont encore inexploitées. La chance du Québec c’est d’avoir une jeunesse plus formée, plus qualifiée, plus prête que jamais à donner sa pleine mesure. Alors, il faut la saisir,cette chance là, pour bâtir ensemble l’avenir du Québec.
Il nous faut-batir ensemble cet avenir du Québec avec cette calme et froide détermination, quels que soient les obstacles qui sont sur notre route; nous traversons actuellement des années extrêmement cruciales pour nous tous et pour notre pays. Mais c’est avec vous tous, avec la collaboration de tous les Québécois, que nous pourrons donner à ces Québécois un avenir prometteur parce que nous avons en mains tous les atouts.

[QBRSS19730118]

[NOTES POUR L’ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE, M., ROBERT BOURASSA, A L’EMPIRE CLUB DE TORONTO LE 18 JANVIER 1973
LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES
DANS LE CANADA D’AUJOURD’HUI]

Trois raisons m’incitent à vous parler aujourd’hui des relations entre les provinces canadiennes. D’abord il s’agit là d’une question qui nous intéresse au plus haut point, compte tenu de la situation particulière du Québec au sein de la Confédération. Ensuite, il apparaît important de traiter de cette question au moment où le gouvernement fédéral a l’intention, comme en témoigne le discours du Trône lu il y a quelques jours, d’engager avec les Provinces des consultations fédérales-provinciales sur de nombreuses questions, notamment sur celles qui font l’objet d’actions conjointes ou concurrentes des deux ordres de gouvernement. Enfin, il m’a semblé opportun d’aborder ce sujet devant vous parce que nous assistons depuis quelque temps à une véritable renaissance de 1’interprovincialisme au Canada.

Les relations entre les provinces existent depuis 1867. La première conférence intergouvernementale ne fut pas, comme on aurait pu le penser, fédérale-provinciale mais bien interprovinclale. Plusieurs facteurs ont amené les Premiers ministres des provinces à se réunir alors. Le plus important était sans doute celui de la vive opposition des provinces aux tendances centralisatrices du gouvernement fédéral; elles se plaignaient notamment de l’absence de mécanismes adéquats de consultations fédérales-provinciales qui eussent permis aux provinces de discuter avec le Fédéral de questions d’intérêt commun et d’influencer certaines politiques qui les intéressaient.

Les Premiers ministres pies provinces adoptaient une attitude autonomiste et s’opposaient en conséquence à la suprématie qu’exerçait alors le gouvernement fédéral.

La première conférence fédérale-provinciale ne s’est tenue qu’en 1906. Elle fut convoquée par Sir Wilfrid Laurier dans le but de prendre connaissance des recommandations adoptées lors de la deuxième conférence interprovinciale des Premiers ministres en 1902.

D’autres conférences fédérales-provinciales et interprovinciales eurent lieu par la suite. Fait surprenant toutefois, alors que des conférences fédérales-provinciales se sont tenues assez régulièrement, surtout à partir de la fin des années 20, il n’y eut aucune conférence interprovinciale des Premiers ministres entre 1926 et 1960, en dépit du fait que certains ministres provinciaux se rencontraient sur des sujets particuliers.

1960 marqua une nouvelle étape dans les relations intergouvernementales. M. Lesage, Premier ministre du Québec, fit valoir que le fédéralisme, système politique caractérisé par un partage de pouvoirs entre deux ordres de gouvernement, devait reposer à la fois sur des relations fédérales-provinciales et interprovinciales il convoqua donc ses collègues des provinces à une rencontre qui eut lieu à Québec en 1960. Dans le communiqué publié à l’issue de cette conférence, on lit ce qui suit; [« On en est venu à la conclusion qu’il existe un grand nombre de sujets dont l’intérêt est purement provincial ou interprovincial et ne réagit aucunement dans le domaine de l’action et de la collaboration fédérale-provinciale. C’est à cette catégorie de sujets que cette conférence entend se consacrer exclusivement ».]

Les Premiers ministres des provinces ont alors décidé de se rencontrer annuellement. Le début des années 1960 a donc été marqué par la résurgence, par un renouveau de l’interprovincialisme au niveau des Premiers ministres. Toutefois, en dépit du fait que depuis 1960 les Premiers ministres des provinces se réunissent une fois l’an, ce sont les relations fédérales-provinciales qui ont pris la vedette vers la fin des années 1960; en effet, c’est le processus de révision constitutionnelle qui a dominé les relations intergouvernementales pendant cette période.

Depuis quelque temps on assiste cependant à un renouveau de 1’interprovincialisme.
Les Premiers ministres des provinces ont, en 1972, tenu leur réunion annuelle à Halifax. Cette rencontre, une des plus importantes des dernières années, a permis aux Premiers ministres d’échanger des vues sur plusieurs questions d’intérêt commun. En outre, les Premiers ministres ont adopté un certain nombre de résolutions concernant notamment les communications, le financement de l’enseignement post-secondaire, les affaires municipales.

D’autres rencontres ont suivi cette conférence d’Halifax pour étudier des questions comme celles des communications, des finances, de l’éducation et de la santé.

Je signale simplement la réunion des ministres du bien-être social qui eut lieu en novembre dernier à Victoria. Dans le communiqué publié à l’issue de cette rencontre, les ministres présents ont exprimé leur accord sur les objectifs d’une politique générale de sécurité du revenu, particulièrement sur le fait que l’initiative en matière de tels programmes doit relever de la juridiction provinciale, quelles que soient par ailleurs les modalités de financement.
Au cours des derniers mois, les relations entre les provinces, en plus de se multiplier au plan national, se sont également accrues au niveau des régions.

A cet égard, évoquons la création récente du comité des Premiers ministres des provinces des Prairies ainsi que les réunions fréquentes du comité des Premiers ministres des Maritimes. Signalons également les réunions en 1972 du comité conjoint des ressources minérales, dont le but est de développer et de mettre en oeuvre une approche commune au problème des droits miniers sous-marins dans le golfe. Saint-Laurent et au large des côtes de l’Atlantique.

Au niveau régional, les relations entre le Québec et l’Ontario se sont aussi développées.

J’ai rencontré à quelques reprises depuis l’été dernier le Premier ministre de votre province pour discuter de diverses questions, notamment du partage fiscal. M. Davis et moi avons réaffirmé la nécessité d’en arriver à un nouveau partage fiscal qui tiendrait davantage compte des responsabilités et de l’état financier des provinces. En outre, d’autres rencontres ont eu lieu au niveau ministériel.

Les activités découlant de l’entente Québec-Ontario se sont accrues et ont été étendues à divers domaines. Elles témoignent de façon non équivoque à la fois de l’interdépendance qui existe entre nos deux provinces et de la nécessité d’une concertation à deux sur des questions d’intérêt commun.

Personnellement, je pense que si les provinces entretiennent des relations étroites entre elles depuis quelque temps, ce n’est pas seulement en réaction contre les empiètements juridictionnels du gouvernement fédéral, mais surtout parce qu’elles ne sont pas suffisamment consultées par le gouvernement fédéral lorsque ce dernier agit. En parlant plus particulièrement à titre de Premier ministre du Québec, j’ajouterai qu’il est extrêmement important pour l’avenir du fédéralisme dans le milieu québécois que se développe un type de fédéralisme empreint de compréhension et de respect de l’autorité des différents ordres de gouvernement.
Les provinces sont donc ainsi amenées à se concerter entre elles à la fois en réaction contre l’absence ou l’insuffisance de consultations fédérales-provinciales et dans l’espoir que leur propre concertation interprovinciale incitera le gouvernement fédéral à tenir compte davantage de leurs priorités et besoins.

C’est ainsi que les relations interprovinciales débouchent sur les relations fédérales-provinciales.

Comment peut-il en être autrement à une époque où plusieurs actions gouvernementales ont trait à des matière dont il n’est pas question dans la constitution. De même la multiplicité des zones grises rend impérieuse la consultation intergouvernementale.
Par ailleurs, vu l’interdépendance croissante des phénomènes et problèmes de notre époque on doit reconnaître que de plus en plus les actions d’un gouvernement ont de fortes chances d’avoir des retombées sur celles d’un autre.

C’est dans cette perspective que nous avons lu avec intérêt les passages du récent discours du Trône dans lesquels le gouvernement fédéral annonce son intention d’engager prochainement des consultations avec les provinces.
A notre avis, les prochaines rencontres interprovinciales à tous les niveaux devraient être envisagées dans le contexte des rencontres fédérales-provinciales annoncées dans le discours du Trône.
Il semble bien que le gouvernement fédéral actuel soit disposé à s’engager dans une voie où la consultation fédérale-provinciale prendra au cours des prochains mois des dimensions exceptionnelles.
Il y aura d’abord de multiples rencontres impliquant, au palier ministériel, une très grande diversité de secteurs tels l’habitation, le financement de l’enseignement post-secondaire, les communications, la politique financière et économique, la politique industrielle et les programmes de santé et de sécurité du revenu.

L’aspect le plus intéressant est sans doute le fait qu’au terme de ces consultations sectorielles, le Premier ministre du Canada propose qu’ait lieu au printemps une rencontre avec les Premiers ministres des provinces en vue d’harmoniser, dans l’intérêt de tous les Canadiens les objectifs, les orientations politiques et les programmes, particulièrement dans ces domaines qui engagent la responsabilité des deux niveaux de gouvernement.
Tous les Premiers ministres des provinces se réjouiront de la tenue d’une telle conférence. Tout d’abord, en proposant que les Premiers ministres du Canada tentent l’expérience de concilier les objectifs, les orientations politiques et les programmes qui concernent les deux ordres de gouvernement, le gouvernement fédéral reconnatt clairement le principe selon lequel aucun gouvernement dans ce pays ne devrait agir unilatéralement sans se soucier de l’action des autres gouvernements, et ce dans l’intérêt des gouvernements eux-mêmes et surtout dans celui des contribuables.

La prochaine conférence:des Premiers ministres du Canada devrait également englober les principales questions qui préoccupent présentement les onze gouvernements canadiens.
L’aménagement plus articulé et plus cohérent des relations fédérales-provinciales implicitement proposé dans le dernier discours du Trône comporte pour les provinces une exigence de dialogue interprovincial tout aussi impérieuse.
La question qui nous est en somme posée, à nous, les responsables des gouvernements provinciaux, est la suivante: Continuerons-nous, comme nous l’avons fait le plus souvent dans le passé, à nous préparer à la conférence projetée des Premiers ministres du Canada de façon parallèle, si je puis dire, en nous ignorant les uns les autres jusqu’au moment où nous serons appelés à exposer au cours de la conférence même nos vues respectives sur les thèmes qui apparaissent.à.l’ordre du jour?

Continuerons-nous à définir les objectifs, les orientations et les programmes à partir des perceptions régionales que nous pouvons en avoir à l’intérieur des frontières où notre action doit forcément se situer?

Devons-nous continuer à nous contenter d’exprimer à l’intérieur du Canada le point de vue des régions qui le composent ou devons-nous réclamer du gouvernement fédéral qu’il tienne compte de ces régions dans ses propres actions?

Il suffit de poser de telles questions pour prendre conscience qu’une conférence des Premiers ministres comme celle dont le discours du Trône nous propose la tenue nous place devant l’alternative suivante: Ou bien nous continuons d’éviter de faire état entre nous des conflits d’intérêt qui peuvent nous diviser, ce qui aura pour conséquence inéluctable que le gouvernement fédéral se contentera d’arbitrer ces conflits.
Ou bien nous assumons notre responsabilité de membres de la fédération et, de la même façon que le gouvernement fédéral nous propose un dialogue ouvert sur toutes les questions d’intérêt commun pour les deux ordres de gouvernement, nous engageons de notre côté un dialogue comparable entre les gouvernements provinciaux, non seulement sur les questions qui nous rapprochent spontanément mais aussi sur celles qui peuvent nous diviser.

Quant à moi, mon option est claire: je pense que nous devons avoir le courage d’engager sans délai le dialogue interprovincial que présuppose le dialogue fédéral-provincial suggéré par le gouvernement central dans le discours du Trône.

Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont à construire ensemble un pays, le nôtre. Ce pays ne sera pas l’oeuvre d’un gouvernement fédéral omniprésent ou à l’affût de toutes les occasions de se substituer aux gouvernements provinciaux. Il ne sera pas non plus l’oeuvre de gouvernements provinciaux enfermés dans leur régionalismes.

Il sera l’oeuvre de l’action concertée de l’ensemble des gouvernements dans un Canada authentiquement fédéral.

[QBRSS19730124]

[NOTES POUR L’ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE, M. ROBERT
BOURASSA, DEVANT LES MEMBRES DE L’ECONOMIC CLUB DE
NEW YORK, WALDORF-ASTORIA, MERCREDI LE 24 JANVIER 1973
QUEBEC, AUJOURD’HUI ET DEMAIN]

C’est pour moi un grand plaisir de me trouver avec vous ce soir et de pouvoir vous faire part de certaines de mes idées sur le présent et l’avenir du Québec, des projets de mon gouvernement, ainsi que des espoirs et des aspirations du peuple du Québec.

L’année 1972 a été caractérisée par un renouveau dans la confiance à l’égard du Québec et de son avenir. Les travailleurs et les hommes d’affaires, l’ensemble du Canada et les pays étrangers font preuve d’un optimisme nouveau à la suite de l’amélioration de notre climat social, devant la réorganisation de nos finances publiques, du fait, enfin, des initiatives prises par le gouvernement pour assurer un progrès économique rapide.

Le Québec a notamment bénéficié en 1972 du rétablissement économique qui a commencé en Amérique du Nord au cours du dernier trimestre de 1970.

Le produit national brut a enregistré l’augmentation de 9.6%, soit la plus élevée des cinq dernières années. Le taux de croissance réel fut de 5.4%. Le revenu personnel s’est accrû de 9.7%. Les ventes au détail ont augmenté de 11.2% pour les neuf premiers mois de 1972 par rapport à la même période de 1971. Après un accroissement de 11.2% en 1971, les investissements privés et publics ont connu une nouvelle progression, soit 13.9%, en 1972. Enfin, dans le secteur manufacturier, il y a eu une augmentation de 23.6% dans les dépenses d’investissement.

Notre grande priorité de 1973 continue d’être, avant toute autre considération, le développement économique. Nous avons toutes les raisons de considérer l’année 1973 avec optimisme. Le P.N.B. québécois devrait s’accroître de 9% et nous pensons que cette augmentation devrait être accompagnée par une amélioration de l’emploi.

En revanche, nous devons orienter nos efforts de façon à guider cette croissance vers les secteurs dont la technologie est de pointe et vers les types d’industrie qui doivent être renforcés.

Nous devons poursuivre cet objectif à long terme tout en continuant, à brève échéance, à, créer de l’emploi pour notre main-d’oeuvre, dont près de la moitié est âgée de près de 24 ans.

Pour réaliser cet objectif et afin de coordonner les différents rôles des agences gouvernementales qui oeuvrent dans le secteur économique, nous avons créé un comité interministériel des affaires économiques qui est présidé par notre ministre de l’Industrie et du Commerce. Ce comité a pour responsabilité la surveillance directe de nos principaux projets de nature économique. Nous avons également réussi, à mon avis, à améliorer l’activité des organismes publics qui oeuvrent en vue de promouvoir le développement industriel au Québec grâce à la création de la Société de développement industriel qui sera désormais l’instrument principal du gouvernement, afin que soit stimulé l’essor industriel. Cependant, le gouvernement ne peut pas mettre en valeur le Québec à lui tout seul, de même que le gouvernement ne peut avoir à lui tout seul les solutions aux problèmes que pose notre progrès social. Les gouvernements se sont déjà lancés dans plusieurs domaines dont on ne soupçonnait même pas l’ampleur il y a quelques années. La collectivité exige en effet que les autorités deviennent de plus en plus présentes dans certains secteurs bien spécifiques: recherche scientifique, technologie spatiale, contrôle de la pollution, expériences biomédicales et tant d’autres domaines dont l’incidence se fait sentir sur notre existence quotidienne. En même temps, les citoyens s’attendent que leur gouvernement soit de plus en plus actif en ce qui concerne le logement, l’éducation, le bien-être, la santé et le développement industriel.

Les gouvernements exigent de la part de la population une certaine coopération, et souvent de la participation lorsque personnes et organismes sont concernés par ces programmes. De même, le monde des affaires reconnaît qu’il a une responsabilité quant à la solution de ces problèmes. Le fait d’assumer cette responsabilité n’est pas seulement à l’avantage du public en général; cette prise de responsabilité correspond également aux intérêts du monde des affaires. L’Etat ne peut pas tout faire à lui tout seul; c’est pourquoi il est normal qu’il fonctionne avec l’aide et la coopération du secteur privé. En revanche, il appartient à l’Etat d’être un véritable instrument moderne d’administration publique.

Les instances administratives québécoises ont connu une croissance absolument phénoménale au cours de la dernière décennie. Ce fut une période pendant laquelle une certaine hâte et l’urgence caractérisant certaines situations rivalisèrent à l’occasion avec le souci de l’efficacité administrative. Lorsque nous avons pris le pouvoir en 1970, il était grand temps que quelqu’un retrousse ses manches, et modernise rapidement l’administration gouvernementale.
L’administration publique doit donner aux citoyens les meilleurs dividendes possibles de tous les points de vue. C’est pourquoi les paramètres suivants sont à la base de notre action: Tout d’abord, il est essentiel que le fonctionnement de l’administration soit harmonisé et, pour ce faire, il importe que tous les mécanismes en soient parfaitement connus. C’est un fait que vous connaissez certainement que, lorsqu’un fonctionnaire ignore pourquoi il doit exiger qu’une formule soit remplie en deux ou trois exemplaires, ce même fonctionnaire voudra à son tour réclamer quatre ou cinq copies supplémentaires afin d’être sûr de ne pas se tromper. Et c’est ainsi qu’une administration publique s’enraie.

D’autre part, il est nécessaire que moins d’importance soit accordée à la sécurité d’emploi en ce qui concerne les fonctionnaires des niveaux intermédiaires et supérieurs. Cette conception doit être remplacée par une rémunération appropriée qui correspondra à des critères extrêmement rigides de sélection afin que les postes de ces deux niveaux soient remplis par des gens compétents.
Les fonctionnaires doivent acquérir, quel que soit leur niveau, une certaine polyvalence. Les fonctionnaires supérieurs, qu’il s’agisse des directeurs généraux ou des sous-ministres, ne doivent pas faire le même travail pendant de nombreuses années. En fait, il semble plus désirable de leur permettre, dans la mesure où ce sont de véritables administrateurs, d’exercer leur compétence et de relancer leur imagination créatrice en les nommant à des postes différents tous les trois ou cinq ans, par exemple.
Le nouveau système de contrôles établis en fonction d’objectifs définis, que nous avons adoptés, donne également aux ministères et aux agences gouvernementales une plus grande autonomie dans la direction de leurs propres affaires, ceci grâce à des délégations d’autorité en vue de la programmation et de la réalisation de projets dont les budgets ont été approuvés.

Les ministères et les organismes gouvernementaux reçoivent, au moment d’établir leurs systèmes de gestion financière, toute l’autorité nécessaire pour assumer leurs différentes responsabilités. Ce que nous affirmons, c’est que même dans l’administration publique, nous avons la responsabilité de justifier auprès de la population, par son gouvernement, la relation coût/bénéfice existant entre les ressources utilisées et les bénéfices obtenus. C’est cette relation qui, au cours d’une période spécifique, servira de base à nos décisions.

Ceci ne veut pas dire que nous ne ferons pas entrer en ligne de compte les facteurs politiques, culturels et autres impondérables dans notre processus de décision; ceci signifie que l’incidence totale des considérations d’ordre économique sera envisagée au moment de l’élaboration des programmes gouvernementaux.

Pendant que je suis en train d’évoquer les facteurs politiques et culturels dans le cadre de notre administration publique, j’aimerais traiter brièvement de la question du rôle du Québec dans la fédération canadienne.
Comme vous le savez, le gouvernement actuel du Québec s’est prononcé à de nombreuses reprises en faveur du fédéralisme en tant que système de gouvernement pour le Canada. Si nous différons souvent d’opinion avec Ottawa quant à ce qui constitue un partage efficace des pouvoirs, c’est parce qu’une répartition nouvelle des responsabilités et des compétences législatives entre les deux niveaux de gouvernement nous apparaît plus que jamais nécessaire afin d’éviter-le gaspillage de nos efforts.
Nous nous sommes prononcés souvent en faveur du lien fédéral parce que nous estimons que le fédéralisme est le système qui permet le mieux aux Québécois de remplir leur rôle au sein de la communauté-mondiale.
Le Québec, à cause de sa langue et de sa culture, a des priorités qui peuvent être parfois différentes de celles du reste du Canada. Il s’ensuit que la position du Québec au cours des négociations constitutionnelles peut être différente lorsqu’on examine les propositions formulées par les autres provinces canadiennes et par les autorités fédérales. Ceci ne signifie pas que les Québécois désirent s’isoler de leurs concitoyens; cela veut dire plutôt qu’ils veulent renforcer le système fédéral par une réorganisation progressive des institutions politiques. S’il est exact que l’immensité géographique, la diversité culturelle et la proximité d’une très grande puissance politique ont contribué à l’établissement au Canada d’un système fédéral de gouvernement il y a plus de cent ans, le mode d’organisation et le développement de notre pays ont suscité par contre des problèmes au cours des années, problèmes qui ne pouvaient même pas être prévus il y a un siècle. Certains défauts, qui ont fait depuis cette époque leur apparition, doivent être maintenant corrigés.

Le résultat des dernières élections fédérales peut être certainement interprété comme étant un signe du renouveau du régionalisme au Canada. De ce point de vue, la population perçoit le gouvernement central comme étant assez loin des réalités de l’existence quotidienne, occupé qu’il est par les vastes problèmes qui sont les siens sur le plan national et à l’échelle internationale. C’est pourquoi le fédéralisme canadien doit répondre le plus vite possible aux aspirations des Canadiens de toutes les régions du pays.

C’est de cette façon que toutes les régions du Canada trouveront dans le système fédéral une forme de gouvernement qui correspondra à leurs intérêts et à leurs espoirs.
Toutefois, nous ne devons pas seulement considérer le Canada, nous devons également envisager la situation de l’ensemble de la communauté nord-américaine.

Pendant de nombreuses années, et en particulier depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les Canadiens ont fréquemment fait allusion à leurs relations spéciales avec les Etats-Unis. Il est presque certain que les liens étroits qui unissent nos deux pays souverains sont uniques au monde.

Cependant, au cours des dix-huit derniers mois, les relations spéciales entre le Canada et les Etats-Unis semblent en voie de modification. D’une part, les nationalistes canadiens sont préoccupés par la domination économique exercée par les Etats-Unis au Canada. D’autre part, il existe une tendance incontestable vers une expansion rapide, à l’échelle mondiale, des grandes entreprises américaines multinationales.

J’estime que le Marché commun européen peut nous servir de modèle dans la formulation des réponses à ces questions en nous permettant de nous rendre compte que lorsque l’essor n’est pas général, en fait il n’y a pas d’essor véritable.
Le Canada, parce qu’il est un pays d’importance relative en termes de population et de marchés, se doit d’avoir sur le plan international une pensée et des perspectives économiques d’une portée particulièrement vaste.
Pour réaliser ses objectifs économiques, le Québec devra ainsi dépasser ses limites provinciales et envisager dés orientations économiques nouvelles au sein de la communauté nord-américaine.
Je n’ai pas besoin de vous souligner que cette démarche n’a rien d’unique. Je citerai l’un de vos compatriotes, Peter Drucker, qui déclarait: [« Le monde entier n’a maintenant qu’une seule économie, que ce soit dans ses espérances, dans ses réponses et dans son comportement. »]
Le Professeur Drucker souligne également que l’économie globale d’aujourd’hui a été réalisée par le monde des affaires plutôt que par les gouvernements; l’activité économique dépasse les frontières nationales.
Je suis revenu récemment d’une conférence en Grande-Bretagne, conférence au cours de laquelle l’expansion de la Communauté économique européenne et l’incidence sur les.marchés internationaux de la deuxième plus grande puissance économique du monde suscitèrent un intérêt considérable.
Au cours de ces réunions, et lors des rencontres que j’ai eues depuis deux ans, en Belgique, en Allemagne, en France et en Italie, j’ai été à maintes reprises impressionné par les nombreux parallèles et les fortes ressemblances existant entre la Communauté économique européenne et la communauté économique qui fonctionne de fait en Amérique du Nord.
Bien que les souverainetés politiques doivent être maintenues, l’existence d’une communauté économique transnationale qui dépasse les limites nationales et provinciales est néanmoins une réalité dont nous devons tirer parti au maximum.
Si nous examinons l’avenir, le meilleur exemple de ce type de croissance est peut-être le potentiel existant dans le domaine de l’énergie.
Nous envisageons la construction dans un proche avenir d’un port en eau profonde à l’année longue sur le Saint-Laurent. Ces énormes installations portuaires pourraient recevoir des pétroliers de 300,000 tonnes qui amèneraient du pétrole brut des puits du Moyen-Orient ainsi que l’Amérique du Sud. Le pétrole brut serait alors dirigé vers Montréal, vers ce qui est déjà le plus grand ensemble de raffinage de pétrole du Canada, afin d’être transformé à la cadence initiale d’un demi-million de barils par jour. Le produit fini serait ensuite mis à la disposition des consommateurs au Canada et aux EtatsUnis à des coûts fort intéressants.
Il est évident que les milieux d’affaires constituent la force la plus dynamique en cette ère de relations économiques internationales. Aucun gouvernement ne peut par lui-même en faire autant. En revanche, ce que le gouvernement peut faire, c’est d’adopter des politiques qui contribuent à la création d’un climat dans lequel l’activité économique puisse connaître prospérité et croissance.
Nous avons adapté nos efforts en vue du développement économique du Québec à ce que nous percevons comme étant les besoins actuels et futurs de la communauté économique nord-américaine. Nous pouvons utiliser les dépenses publiques comme un levier, en appliquant des politiques qui suscitent des investissements dans les types d’activité économique que nous désirons attirer.
Tout ceci peut être fait sans sacrifier pour cela nos souverainetés respectives. Le monde des affaires est capable de faire preuve de civisme. Nous sommes en mesure de notre côté de l’associer au progrês de notre collectivité.
Vous savez naturellement que le Québec s’est placé à la fine pointe de la technologie et de la mise en valeur des ressources hydroélectriques, c’est pourquoi je n’élaborerai pas sur cet aspect. Ce qui est de nature à vous intéresser davantage sera certainement le fait que le Québec disposera d’une abondance d’énergie électrique à. bas prix au cours de. la prochaine décennie. Nous nous attendons que cet avantage aura un effet considérable sur notre capacité d’attirer l’industrie secondaire. Au moment où nous nous lançons dans la réalisation du projet de la Baie James, qui sera le plus grand complexe hydroélectrique du monde, tout d’abord pour satisfaire les besoins futurs en énergie de l’industrie québécoise, il ne fait pas de doute que cette réalisation colossale aura d’importants effets connexes sur notre économie. La mise en valeur de cette région nous permettra de conserver notre leadership dans l’exploitation de nos ressources, tout en augmentant la capacité de notre activité industrielle.
Il existe également un corollaire à cet essor dans la mesure où il nous permet d’envisager la possibilité d’alimenter les raffineries de pétroles du Québec avec du gaz en provenance de la partie est de l’Arctique canadien.
A l’heure actuelle, des réserves de 15 trillions de pieds cubes ont été trouvés dans la partie la plus septentrionale de notre pays, et il semble probable que nous puissions découvrir des réserves allant jusqu’à 25 trillions de pieds cubes ou plus. Il semble ainsi que la construction d’un gazoduc sera entreprise au cours des trois prochaines années.
Le Québec se trouvera alors dans une position particulièrement avantageuse pour tirer parti de ce projet. En effet, un gazoduc construit le long de la Côte est de la Baie d’Hudson aurait 400 milles de moins qu’un pipeline établi sur la côte ouest; d’autre part, les conditions du sol sont plus favorables au Québec pour l’établissement d’une telle liaison. Enfin, la mise en valeur du projet de la Baie James est également un argument en faveur de cette possibilité.
Le nord du Québec nous offre ainsi l’occasion de procéder aujourd’hui à des réalisations qui tiennent compte de notre avenir.

Si nous envisageons l’avenir, l’un des problèmes les plus importants est certainement la nécessité d’harmoniser et de rendre plus efficace notre système de transports, en particulier dans le domaine de l’aviation où les problèmes ne sont pas tant ceux inhérents à la rapidité de ce mode de transport qu’aux difficultés causées par l’inefficacité, le manque d’installations et la rapidité avec laquelle elles deviennent dépassées.

La construction de l’aéroport Mirabel, à environ 30 milles au nord-ouest de Montréal, est actuellement en bonne voie. Ce nouvel aéroport permettra un trafic considérable, tant pour les passagers que pour les marchandises. Lorsqu’elles seront terminées en 1975, ces énormes installations seront six fois plus grandes que le nouvel aéroport de Dallas-Fort Worth, qui annonce lui-même dans sa publicité qu’il sera aussi grand que l’île de Manhattan. Mirabel sera également un centre international de transport et de réexpédition de marchandises. Il recevra d’une façon efficace les avions les plus gros; il sera équipé du matériel le plus moderne, y compris le transport aérien de containers. Lorsque l’on constate que les marchandises sont de plus en plus expédiées par air, il est normal, de s’attendre que les installations de Mirabel constituent un centre de réexpédition vers le coeur du continent nord-américain.

En même temps, à cause de la nécessité de rendre plus efficaces les transports sur courte distance, nous sommes en train de mettre au point un appareil qui n’aura besoin que d’une piste de 2000 pieds. Ce système doit être bientôt utilisé à titre d’essai entre Montréal et Ottawa.

Une telle activité constitue certainement une garantie quant à la solidité de l’avenir économique du Québec.
Nous n’avons pas oublié cependant nos obligations à l’égard de nos concitoyens en général, et également en ce qui concerne le bien-être des générations à venir.
L’un des problèmes auquel nous allons devoir faire face à long terme en Amérique du Nord porte sur les aspects positifs et négatifs de la croissance.
Certaines études ont été réalisées récemment sur cette question et, bien que je sois prêt à admettre que le Québec est à l’heure actuelle préoccupé davantage par des problèmes plus urgents comme par exemple la création d’emplois et l’obtention d’une croissance économique à court terme, nous serons amenés à envisager dans un proche avenir la formulation d’un rationalisme de la croissance, en particulier en termes d’accroissement de population et d’exploitation de nos ressources.

Il nous faut de toute évidence diriger et guider notre société d’une façon programmée et rationnelle; nous devons nous demander, par exemple, si notre système économique est capable de poursuivre son ascension ininterrompue, laquelle est requise à l’heure actuelle pour satisfaire d’une façon continue tous nos besoins et tous nos objectifs, lesquels se multiplient constamment.

Cependant, s’il est vrai que la croissance et l’abondance de la richesse matérielle ne sont pas nécessairement synonymes d’une parfaite satisfaction humaine ou sociale, nous devons en revanche nous méfier de ceux qui dénigrent la croissance économique en déclarant qu’elle a peu d’importance ou même qu’elle est de nature à causer des préjudices à la condition humaine.

Les pays qui optent pour la stagnation économique – ou qui se trouvent obligés d’accepter un tel état – ne sont certainement pas des régions du monde où l’existence est attirante ou exaltante.

Le débat au sujet de la croissance n’a pas besoin de devenir une diatribe contre la croissance. Il doit plutôt être une exploration des causes et des efforts, une vérification des limites de notre croissance et une étude portant sur la nature des projets de mise en valeur de notre avenir.

Les perspectives que nous entretenons pour cet avenir ne doivent pas nous faire oublier les réalités actuelles quotidiennes. C’est en effet le grand danger que les gouvernements et, en fait, les individus et les entreprises risquent de courir lorsque l’on s’engage dans les aspects les plus abstraits d’une planification à long terme: oublier les problèmes du jour. Il n’est pas possible de réussir celle-ci si l’on oublie ceux-là.
Cependant, il ne faut pas non plus entretenir l’illusion qu’il n’est pas possible d’avoir à la fois une perspective à court terme et une perspective à long terme de nos problèmes. La grande difficulté, et ceci est vrai que la pression vienne des actionnaires ou des électeurs, réside dans la réconciliation des solutions et des objectifs en évaluant le processus au fur et à mesure de son déroulement, tout en gardant un oeil sur l’horizon qui se profile.

En conclusion, vous pouvez constater que le Québec d’aujourd’hui a changé de multiples façons par rapport à la société traditionnelle d’hier. Le Québec est devenu une société pluraliste ouverte aux grands courants des opinions qui remuent notre monde moderne. Notre gouvernement ainsi s’est tourné résolument vers l’avenir.
Nous appartenons en effet aux sociétés privilégiées du globe. Nous sommes situés au coeur de ce qui, techniquement, est le continent le plus avancé, un continent dont le dynamisme est extraordinaire. Nous disposons maintenant d’un très haut niveau de savoir-faire et d’une efficacité technique qui nous permettent de surmonter les défis de l’heure.

Au niveau social, nous participons au développement le plus spectaculaire de notre histoire.
Au niveau de la langue et de la culture, nous sommes au carrefour des grands courants de l’histoire contemporaine. Cette rencontre au Québec de la technique américaine et de la culture française nous donne une occasion que nous n’allons pas manquer, à savoir l’établissement d’une société moderne, originale et dynamique, d’une société qui est prête aujourd’hui pour les défis de demain.

[QBRSS19730207]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE. DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA, A L’OCCASION DU BANQUET EN L’HONNEUR DU 50e ANNIVERSAIRE DE LA COOPERATIVE FEDEREE DE QUEBEC, A L’HOTEL REINE ELIZABETH, A MONTREAL, LE 7 FEVRIER 1973.]

Dans le monde agricole, l’assemblée générale de la Coopérative fédérée de Québec est depuis longtemps un événement important. Cette assemblée revêt un intérêt particulier cette année en raison de son cinquantenaire. Je suis heureux d’avoir l’occasion d’y participer et de témoigner au nom du gouvernement du Québec de la valeur de la contribution de la Coopérative fédérée au développement de l’agriculture et de l’économie québécoise en général.
Vous avez trouvé dans la coopération un moyen efficace de rentabiliser l’exploitation agricole. Vous avez bâti la plus importante entreprise agricole et industrielle du Canada français.
Le bilan du dernier exercice financier démontre le dynamisme de votre fédération. Sur une période de dix ans les chiffres révèlent que votre volume d’affaires a plus que doublé; les excédents d’exploitation ont été multipliés par 17 et l’avoir des sociétaires a augmenté de presque cinq fois. Obtenus grâce à la participation d’un réseau de quelque 200 coopératives affiliées réparties dans toutes les régions du Québec et unissant environ 45,000 sociétaires, ces résultats témoignent de votre vigueur et apportent une nouvelle preuve de la capacité des Québécois de réussir dans le domaine économique.
Essentiellement, les activités de la Fédérée contribuent à réduire, au niveau de la ferme, le coût des instruments par des achats massifs et une distribution moins coûteuse; elles cherchent aussi à améliorer la situation concurrentielle des agriculteurs par la mise sur pied d’usines de transformation modernes et par une mise en marché efficace. C’est donc dire que votre rôle est extrêmement important dans le développement agricole du Québec.
Ce développement s’effectue dans plusieurs secteurs. Animée par le dynamisme des coopérateurs et encouragée par les politiques du gouvernement, l’industrie laitière s’est engagée au cours de la dernière décennie dans un vaste programme de regroupement et de modernisation d’entreprises. C’est ainsi que l’industrie du lait de transformation se trouve maintenant dans une position concurrentielle considérablement renforcée. Des améliorations importantes au niveau primaire ont de plus permis au Québec de devenir le principal bassin laitier du Canada.
Dans le secteur du lait de consommation, la trop faible rentabilité des usines entraînait de sérieuses difficultés et même de nombreuses faillites. Les propriétaires de ces entreprises en sont donc venus à s’interroger sur leur avenir et à chercher les moyens de redresser la situation. Le gouvernement, en favorisant la fusion des usines de pasteurisation, a rendu possibles des projets de regroupement importants.
Jusqu’à maintenant, le plus considérable de ces projets est sans contredit celui qui a donné naissance, sous l’égide de la Coopérative de Granby, à un nouvel ensemble, « QUEBEC-LAIT ». Cet organisme groupe déjà trois entreprises importantes. Son actif total s’élève à $ 13.6 millions.

Le gouvernement du Québec a été heureux de consentir une subvention de $ 1.5 million pour assurer la mise sur pied de cette entreprise nouvelle qui devient la plus importance du genre au Québec.
Cet exemple illustre bien que la coopération agricole et la Coopérative fédérée en particulier ont été et demeurent des instruments extrêmement précieux du progrès économique pour la classe agricole et constituent des éléments indispensables au renouvellement de l’agriculture chez nous.

L’agriculture demeure au Québec la pierre d’assise du développement économique de plusieurs de nos régions. En plus d’être un apport précieux au revenu des Québécois, elle constitue également un élément important de développement équilibré.
En dépit d’une saison de végétation rendue particulièrement difficile par des conditions climatiques défavorables, les agriculteurs du Québec ont réussi à faire de 1972 une bonne année, tant pour l’amélioration de leur propre bien-être que pour la santé de l’économie générale.
En 1972, les revenus nets totaux des agrriculteurs du Québec se sont chiffrés à $ 236 millions, soit une augmentation de $ 11 millions sur le précédent record établi en 1966. Les revenus nets réalisés ont augmenté de 44% par rapport à 1971.. Pour le secteur agricole comme pour l’ensemble de l’économie québécoise, 1972 a été l’année d’une reprise significative. C’est là une preuve de plus que nous avions raison de miser sur la volonté des Québécois de créer dans notre milieu des conditions de prospérité toujours meilleures.

Le secteur agricole doit quand même faire face à des problèmes dans certains domaines. Entre autres: dans celui des relations, en matière d’agriculture, avec les autres parties du Canada. Le gouvernement du Québec évite de chercher inutilement querelle avec le gouvernement fédéral sur des questions secondaires. Il oriente toutes ses énergies vers les questions essentielles au développement économique, social et culturel des Québécois. Cette attitude fondamentale nous incite donc à accorder une attention particulière aux questions du prix des grains et des contingents de lait, car c’est en définitive le développement même de notre agriculture qui est en cause, c’est le bien-être des agriculteurs et de leurs familles qui en dépend.

Sur le plan canadien, dans le domaine agricole certaines situations sont préjudiciables au développement d’une agriculture québécoise dynamique. Si le gouvernement du Québec croit de son devoir de dénoncer ces situations, il croit aussi de sa responsabilité de formuler des propositions réalistes et pratiques qui apporteront les correctifs nécessaires.

Les agriculteurs québécois subissent les conséquences économiques défavorables qu’impose l’attitude injustifiée du gouvernement fédéral en ce qui concerne le prix des grains qu’il faut importer de l’ouest pour l’alimentation du bétail et des volailles. Nous pouvons certainement apporter un premier correctif à cette situation en favorisant au niveau de la ferme une politique d’autoapprovisionnement céréalier; c’est là un premier aspect de la politique du gouvernement du Québec. Malgré cela, le problème n’est pas pour autant solutionné; il ne le sera que lorsque le prix jugé acceptable pour le commerce des grains à l’intérieur des prairies sera le même pour les acheteurs de l’est. Il n’existe aucune théorie économique qui puisse justifier l’écart purement artificiel jusqu’ici imposé à l’industrie animale du Québec.

Après avoir étudié les points de vue récents de la Fédération canadienne de l’agriculture et du Conseil des grains du Canada, la Coopérative fédérée, l’Union des producteurs agricoles et le gouvernement du Québec ont exprimé conjointement des proposi tions réalistes. Sans méconnaître les droits des agriculteurs de l’ouest à un traitement équitable ni le rôle important de la Commission canadienne du blé, nous sommes convenus d’une position commune qui apparaît comme celle de la justice et du respect des intérêts légitimes des agriculteurs de l’est. Récemment, le ministre fédéral de l’Agriculture nous informait que le problème des grains de provende serait bientôt réglé. Nous souhaitons que la solution vienne rapidement et qu’elle soit équitable pour les agriculteurs de l’est.

Nous voulons aussi que la Commission canadienne du lait tienne compte davantage du caractère essentiellement laitier de l’agriculture du Québec. L’importance même de l’industrie laitière chez nous commande tout naturellement de développer ce secteur en augmentant la productivité de nos fermes. Il est donc tout à fait normal que l’on ne puisse accepter les contraintes actuelles que fait peser la Commission canadienne du lait sur le développement de notre industrie laitière, surtout au moment où les besoins nationaux ne sont même pas comblés et qu’en 1972 on a dù importer au Canada 20 millions de livres de beurre. Le Québec est précisément prêt à réduire ces importations.

Voilà pourquoi nous disons que la partie des contingents de mise en marché qui n’est pas utilisée dans l’une ou l’autre des provinces devrait être offerte à la province qui peut produire davantage, donc au Québec. La Commission canadienne du lait devrait autoriser les producteurs du Québec à grossir leurs contingents, d’autant plus que cela pourrait se faire sans risque de surplus. Nous voulons donc voir le Québec contribuer encore davantage au progrès de l’agriculture canadienne.

Une rencontre prochaine aura lieu avec l’Ontario pour discuter ce problème et, nous l’espérons, en venir à une entente satisfaisante.

Le Québec ne peut pas vivre en économie fermée. Il nous faut nécessairement harmoniser à l’échelle canadienne et même à une échelle transnationale nos politiques. C’est là une tâche tout aussi difficile qu’importante. Qu’on songe seulement aux difficultés considérables rencontrées par les pays du Marché commun en ce qui concerne les accords agricoles européens qui viennent tout juste d’entrer en vigueur.

Le Premier ministre du Canada a convoqué une rencontre des Premiers ministres au printemps prochain. Si des progrès significatifs ne sont pas atteints d’ici là sur les questions des grains de provende et de l’industrie laitière, j’ai l’intention de porter ces item à l’agenda de la prochaine conférence des Premiers ministres du pays.

Dans le secteur de la production du poulet, l’entente de décembre 1972 sur la commercialisation des oeufs et la Loi canadienne sur la commercialisation des produits de la ferme nous indiquent la voie à suivre en vue d’en arriver à un partage équitable des marchés au Canada.

Les grandes orientations de notre agriculture exigent l’élaboration d’une politique cohérente de développement intégré agro-alimentaire. Etroitement liée à l’industrie des fournitures et au commerce de l’alimentation, l’agriculture constitue avec eux un ensemble complexe. Les agriculteurs ont à résoudre quotidiennement des problèmes qui témoignent de cette nouvelle dimension de l’économie agricole moderne. Cependant, par le biais de la commercialisation, les liens qui se sont créés entre l’agriculture et les entreprises de transformation et de distribution sont de beaucoup les plus étroits et impliquent plus directement les producteurs.

Une étude de l’OCDE démontre que non seulement les activités qui participent à l’alimentation forment un ensemble diversifié, mais qu’encore ces liaisons d’interdépendance de la production agricole et de la commercialisation ne feront que s’accroître dans l’avenir pour former un secteur agro-alimentaire en évolution constante.

On a pu établir que les changements les plus marquants qui affectent l’agriculture moderne sont provoqués par une évolution de la distribution des produits alimentaires, dont l’aspect le plus important est. l’apparition de grandes unités de transformation et de distribution. Ces entreprises, animées d’une conception moderne à l’égard des goûts du consommateur, cherchent souvent à assurer la régularité de leurs approvisionnements de produits agricoles et’à intensifier leurs moyens de pression sur les agriculteurs pour qu’ils garantissent, en qualité et en volume, les denrées que veut le consommateur.
Il en résulte que l’agriculteur individuel se trouve de plus en plus obligé de réagir en modernisant ses perspectives d’avenir, ses opérations et ses structures, notamment en adaptant ses productions aux besoins de l’économie de l’alimentation. Les gouvernements doivent en conséquence se préoccuper d’apporter à ces problèmes nouveaux des agriculteurs des solutions efficaces et justes.

Pour l’amélioration du revenu des agriculteurs, nous avons donc à assurer le développement d’industries alimentaires dynamiques et compétitives puisque ces industries demeurent le principal débouché pour nos produits agricoles.

Au Québec, on retrouve sensiblement les mêmes phénomènes qu’a observés l’OCDE dans l’ensemble des pays développés. Il y a donc nécessité de prévoir l’élaboration d’un plan intégré de développement agro-alimentaire et le gouvernement du Québec s’intéresse activement à la question.

Ce plan directeur vise d’abord à réaliser une agriculture capable d’assurer aux producteurs un niveau de vie décent. A cette fin, il comprend des mesures de consolidation agricole, une politique de crédits à court, moyen et long terme, un programme intensifié d’amélioration foncière du sol et d’aide à l’industrie animale, des moyens de formation professionnelle et technologique à la disposition des jeunes et des adultes. Ces mesures de base doivent maintenant être complétées par de nouvelles politiques qui garantiront aux industries de transformation des produits à prix compétitifs et assureront aux consommateurs des denrées alimentaires de qualité à des prix raisonnables.

Je tiens à souligner d’une façon particulière l’importance d’une agriculture forte dans la structure économique du Québec. Parmi nos industries primaires, l’agriculture est celle qui, prise séparément, donne le produit brut le plus élevé. Comme génératrice d’emplois, elle est encore supérieure à toutes les autres. Nous devons la développer pour qu’elle puisse participer pleinement à l’expansion et à l’équilibre économiques de la province. C’est dans cette perspective que le gouvernement du Québec veut orienter ses initiatives et, avec la collaboration de tous les agents de la vie économique agricole, assurer la sécurité et le progrès de l’agriculture au Québec.

[QBRSS19730401]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA, AU DINERBENEFICE DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC TENU A MONTREAL EN L’HOTEL REINEELIZABETH LE lerAVRIL 1973.]

II y a évidemment tellement de monde ce soir que même à une heure relativement tardive, vous n’avez pas eu encore le temps de terminer votre repas. Je voudrais cependant en premier lieu exprimer tous mes remerciements à Madame la Présidente pour les mots très chaleureux qu’elle a eus à mon endroit, signaler le travail extraordinaire qu’elle fait et qu’elle continu, de faire pour le Parti libéral, remercier également Jean Morissette qui, une autre fois a réalisé un succès extraordinaire. C’est encore le Parti libéral du Québec qui vient de décrocher le championnat puisque nous avons le plus important dîner-bénéfice jamais tenu par un parti politique au Québec. Je veux remercier également tous les militants venus ici ce soir en très grand nombre de toutes les régions. Comme d’habitude j’ai essayé d’en rencontrer le plus possible au cours de mes visites dans les différentes salles et j’ai vu que partout, des régions les plus éloignées du Québec, on s’était rendu ici ce soir assister à une autre réunion de la grande famille libérale.
[I would like to thank very warmly our friends who are coming from all regions of Québec. They are showing another time their strong support for the Liberal Party.]

C’est un témoignage parmi d’autres de la force du Parti libéral, de la force présente et bien réelle du Parti libéral qui se fait sentir ces semaines-ci jusque dans les rangs de l’Opposition. Le Parti libéral présente à l’opposition une force tellement évidente qu’ils sont forcés de parler de regroupement ou de fusion ou de coalition. Et c’est pas le dernier budget qui peut les encourager davantage. Il fallait les voir jeudi soir dernier lorsque le ministre des Finances lisait le discours du Budget, combien ils étaient décontenancés et déconcertés devant les résultats que nous avions obtenus. Vous me permettrez, mes chers amis, en cette période budgétaire, pour les gouvernements comme pour la population, de mettre en relief certains aspects de notre politique dans ce secteur.
Cela a toujours été pour moi quelque chose de très important que les finances publiques. Dès mon élection j’avais insisté fortement sur la discipline financière nécessaire à tout gouvernement. Vous vous souvenez sans doute des discours que j’avais faits sur les nouvelles formules budgétaires comme le PPBS, la rationalisation des choix budgétaires. Cela pouvait à ce moment-là parattre relativement aride, mais on voit aujourd’hui, alors que nous avons une étape très importante déjà accomplie, alors que nous avons un nouveau système budgétaire actuellement en vigueur au Québec, on voit jusqu’à quel point nous avions eu raison il y a quatre ans d’insister sur cet aspect de nos finances publiques, d’insister sur cet aspect de notre politique quand on voit les résultats concrets que cela donne à tous les Québécois aujourd’hui. Pourquoi cette discipline financière? Tout simplement parce que le degré d’indépendance ou de liberté d’action d’un gouvernement est étroitement relié à la matîtrise de ses finances. En un mot, on pourrait dire qu’il n’y a pas de gouvernement fort avec des finances faibles.
Lorsque nous avons pris le pouvoir en 1970, le redressement des finances du Québcc était absolument prioritaire. Qu’on se souvienne qu’à ce moment-là il y avait une élection qui avait été déclenchée sans même qu’on ait de discours du Budget. C’était la première fois de connaissance politique qu’on constatait qu’un gouvernement avait tellement peur de dévoiler à la population la situation financière qu’il à déclenché une élection sans présenter de budget à la population. Evidemment, tout ce travail prend un certain temps. Réaliser des finances comme celles que nous avons actuellement, cela suppose un travail énorme pour le gouvernement, énorme pour le ministre des Finances et son ministre, M. Raymond Garneau. C’est un travail quotidien qui suppose une collaboration de tous, et qui suppose également des sacrifices considérables en cours de route. Mais cela valait la peine de faire ces travaux. Cela valait la peine de s’imposer cette discipline financière. Qu’on voit les résultats! $ 100 millions d’allègements sélectifs, que nous avons donnés aux Québécois! Quatre budgets sans augmentations de taxes! Un taux de croissance qui est réduit de presque 100 %, dans les dépenses! En fait, ce que nous avons fait depuis trois ans, c’est le meilleure performance que jamais aucun gouvernement a pu offrir aux Québécois en matière de finances publiques.

En 1970, vous vous souvenez, on disait qu’il faut élire au Québec des gens qui savent compter. Eh bien vous avez élu au. Québec des gens qui savaient compter et vous voyez aujourd’hui les résultats. Quand on a pris le pouvoir, nous étions l’une des provinces les plus taxées au Canada et maintenant, lorsque l’on voit toutes les hausses qui se sont réalisées dans les autres provinces, nous sommes l’une des provinces en train de devenir le moins taxées du Canada. Cela c’est la performance que
nous avons réalisée depuis trois ans.

125,000 salariés qui grâce à notre action ne paieront plus d’impôt. Je suis convaincu qu’il s’en trouve plusieurs milliers dans mon comté de Mercier à Montréal. Et j’ai été très fier, à l’occasion de ce discours du budget, de pouvoir d’une façon concrète signaler à mes électeurs du comté de Mercier la gratitude pour l’appui qu’ils m’ont apporté depuis sept ans.

L’aide aux municipalités, la réduction de l’impôt foncier scolaire et les avantages que ceci peut comporter pour les classes moyennes, l’aide à l’entreprise, avec l’amortissement accéléré, tout cela est le résultat concret, des résultats évidents pour l’ensemble de la population. Nous avons par exemple réussi à réduire les différentiels dans les taux d’intéréts entre les obligations du Québec et les obligations de l’Ontario. Alors qu’il y a quelques années les différences approchaient 1%, nous voyons actuellement que la différence équivaut environ à un dixième de 1%.
Qu’est-ce que cela veut dire pour les contribuables québécois? Des économies très importantes. Cela veut dire, seulement pour l’année 1972, $ 34 millions de moins à payer. C’est ça le résultat de l’administration financière. La maîtrise de nos finances publiques, elle peut se concrétiser, elle peut se réaliser d’une autre façon quand on voit par exemple ce qui arrive à nos syndicats financiers. Souvenez-vous il y a quelques années combien de déclarations, combien d’affrontements, combien d’accusations de toutes sortes ont été faites? Nous, on a peut-être limité au minimum le nombre de déclarations dans ces secteurs. Mais, nous avons agi concrètement et comme le ministre des Finances le disait lui-même, il sera maintenant possible à des firmes québécoises et à des Québécois d’être présents d’une façon plus réelle dans nos syndicats financiers.

J’ai parlé à l’occasion de ce budget de justice sociale, j’ai parlé de l’aide aux municipalités, j’ai parlé également de la relance économique. Il y a également la hausse des immobilisations.
[There are various ways to increase the economic growth
in the province of Québec. The Government of Québec has a role to play
in this economic growth. We did increase in the last three years by around 50% the amount of public investments in the province and this is a substantial and concrete way to achieve economic growth. We are doing that and reducing the deficit, not exactly a deficit in a sense that public inves;.lent is to last for 20 or 25 years. Therefore, it is not normal for current revenues to pay entirely for public investments but still we are improving also in that respect the situation in Québec since we were able to reduce the deficits by $ 70 million compared with last year.]

Cette performance financière du gouvernement, elle s’est accomplie pas seulement en exerçant le pouvoir simplement pour l’exercer. Cette performance financière elle s’est accomplie en votant plus de 300 lois, en posant des milliers de gestes administratifs qui se trouvent à augmenter et à améliorer la qualité des services.

Mes chers militants, je crois que vous pouvez être fiers du budget qui vous a été proposé. Vous devez l’assimiler de la façon la plus rapide possible de manière à faire connaître à toute la population du Québec les avantages énormes que comporte pour eux le dernier budget.
Si nous examinons maintenant les arguments qui ont été apportés par l’Opposition pour faire face à ce budget, nous voyons l’Union Nationale qui le critique alors que lorsqu’elle était au pouvoir, elle a augmenté les impôts de 1966 à 1970 de quelque $ 300 millions en deux ans. Ce sont eux maintenant qui critiquent la performance budgétaire du gouvernement actuel alors qu’ils ont augmenté les impôts en deux ans de plus de $ 300 millions. Ils font également des propositions dans le secteur de l’impôt foncier, des
propositions complètement irresponsables. Comment voulez-vous prendre au sérieux un gouvernement ou un parti politique qui a été battu qui propose des formules qui auront pour effet d’augmenter les contributions des entreprises québécoises au gouvernement fédéral. Eux qui critiquent le gouvernement du Québec parce qu’il ne va pas chercher assez de fonds au gouvernement fédéral, qu’est-ce qu’ils font? Ils proposent des formules en ce qui a trait à l’impôt foncier des compagnies, formules qui se trouvent à augmenter de plusieurs dizaines de millions de dollars les sommes qui iront au gouvernement fédéral!
Quant au Parti Québécois, il est également très mal placé pour critiquer le budget. En effet, cela fait plusieurs années que le Parti Québécois propose et promet un budget pour un Québec indépendant. On va bientôt fêter le troisième ou quatrième anniversaire de la promesse du Parti Québécois de donner au public un budget pour un Québec indépendant. En attendant, on est prêt à toutes sortes de promesses électorales et démagogiques. Qu’est-ce que propose le Parti Québécois pour financer nos dépenses publiques? Toute une série d’étatisations d’un côté. On veut étatiser les compagnies de finances, étatiser les banques à charte, on veut étatiser les postes de télévisions. Et, comment veut-on financer tout cela? Tout simplement par une réduction des impôts d’un milliard de dollars!
Ce sont ces gens-là qui se présentent devant la population avec un nouvel esprit. Ce sont ces gens-là qui veulent faire croire à la population qu’ils sont supérieurs aux partis traditionnels. Et ils font les promesses les plus irresponsables et les plus démagogiques qu’un parti n’ait jamais faites. On tronque les chiffres, des chiffres absolument officiels pour essayer de faire croire à la population que le budget n’est pas si avantageux que cela pour elle. Les prédictions du Parti Québécois sont un peu comme celles de René Lévesque quand il parle de l’élection de 1974: il y a trois semaines, M. René Lévesque disait: [« Le Parti Québécois va obtenir 45% du vote ».] Il y a trois jours, il disait: [« Le Parti Québécois va obtenir 32% du vote. »] Alors, cela a baissé de 13% dans deux semaines! Probablement que c’était le lendemain du budget!
C’est comme son voyage en France. A Grenoble il dit l’indépendance va se faire dans six ans. En Normandie, il dit l’indépendance va se faire dans deux ans. A Paris, quand il se faisait appeler « Monsieur le Président », il dit l’indépendance va se faire dans six mois. Nous le connaissons René Lévesque. Malgré ses qualités, il n’a jamais su compter. Et c’est parce qu’il n’a pas su compter qu’il est dans le parti séparatiste aujourd’hui.
Le pauvre Parti Québécois! Il s’est encerclé politiquement avec ses théories monétaires. Il est très facile de démontrer d’une part qu’avec ses théories monétaires et budgétaires il ne pourra pas convaincre la population que son programme politique n’affectera pas la prospérité individuelle et collective. En temps opportun, nous serons en mesure de montrer à la population que la prospérité individuelle et collective des Québécois ne résisterait pas à l’application du programme du Parti Québécois.
Si nous avons de bonnes nouvelles du côté financier, nous en avons également du côté économique, spécialement avec les grands projets de développement économique que nous pouvons considérer quelques instants. Le ministre de l’Industrie et du Commerce, M. Saint-Pierre, a donné il y a quelques semaines plusieurs données sur la situation économique du Québec; le fait que de février 1972 à février 1973 il y a eu 80,000 nouveaux criplois au Québec; avec toutes les autres mesures, comme le Placement étudiant que j’ai annoncé avant-hier et qui créera une vingtaine de mille emplois pour nos étudiants cet été, deux fois plus que l’an dernier. Nos problèmes économiques majeurs sont connus; accroissement exceptionnel de la main-d’oeuvre, entraînant la persistance du chômage malgré une création d’emplois accélérée, vieillissement de la structure industrielle du Québec, absence relative de rationalisation de notre agriculture et de mise en valeur de nos ressources naturelles.

L’action du gouvernement a consisté à s’attaquer de front à ces problèmes. Politique budgétaire expansionniste, accroissement substantiel des immobilisations pour créer des emplois, restauration du climat social et politique en vue de rétablir la confiance dans l’avenir du Québec, élargissement et consolidation et renforcement de l’action de nos grands instruments collectifs de développement économique, création de la SDI, réorganisation de la SGF, augmentation du capital-actions de SOQUEM et da SIDBEC et extension prochaine du champ d’opération de REXFOR, augmentation de l’aide aux agriculteurs et réorientation de l’agriculture en l’intégrant aux circuits de la distribution et de la transformation des produits agricoles, développement de nos programmes de promotion touristique, des équipements récréatifs et des activités de chasse et de pèche, première définition d’une politique cohérente et dynamique dans le domaine-clé de l’énergie et des ressources forestières, ouverture du Québec aux investissements étrangers, particulièrement dans les domaines de pointe et promotion au Canada, aux Etats-Unis, en Europe et au Japon des avantages économiques du Québec.

Cette action économique du Québec, si elle est bien concrète, elle se situe dans le cadre de ce besoin immédiat que nous avons d’augmenter la création d’emplois, de maintenir sur une plus longue période le Québec en position concurrentielle dans les secteurs industriels de pointe et d’assurer au développement de toutes les régions du Québec un rythme suffisant pour satisfaire aux besoins de toute la population. Cette action systématique et ces efforts de tous les instants rejoignent le coeur même des problèmes économiques des Québécois.

Parmi les grands projets économiques, il y a bien sûr celui de la Baie James qui apporte déjà aux Québécois des avantages considérables et qui, à l’échelle internationale, contribue autant sinon plus que toutes les autres initiatives prises dans le passé à donner du Québec une image de jeunesse, d’audace, d’imagination et de dynamisme. Chaque jour qui passe, au fur et à mesure que la réalisation de ce gigantesque projet se concrétise, et cette réalisation se fait normalement, les Québécois se rendent compte que leur gouvernement a pris une bonne décision, celle de mettre nous-mêmes en valeur pour le plus grand avantage de la population nos ressources hydro-électriques afin de répondre à nos besoins et de placer le Québec dans une position-clé face à la pénurie d’énergie constatée et si vivement ressentie à l’échelle du continent nord-américain.
Cette réalisation du projet de la Baie James démasque chaque jour davantage la quirielle de sceptiques dont les intérêts politiques partisans et mesquins les ont emmenés à tenter de discréditer le plus grand projet jamais mené par des Québécois. Il y a des chiffres officiels qui existent et qui révèlent que l’immense majorité des sommes investies sont dépensées au Québec: $ 115 millions sur $ 127 millions, et que cela aide à la relance économique de tout le Québec, y compris dans le Nord-ouest québécois. C’est notre intention d’entreprendre un vaste programme d’information de la population au sujet du projet de la Baie James afin de faire en sorte que tous les Québécois participent à chacune des phases de la réalisation de ce projet et en tirent pour le plus grand bien du Québec une fierté tout à fait légitime.
Dans les tout prochains mois, j’ai l’intention de publier un volume mettant en relief les immenses avantages que comporte ce projet pour les Québécois.
La décision du gouvernement fédéral de construire l’aéroport international de Sainte-Scholastique a soulevé bien des controverses et bien des inquiétudes dans la population affectée par ce projet. Certaines de ces inquiétudes demeurent et, c’est notre plus cher désir d’apporter à ces citoyens des solutions efficaces et humaines à leurs problèmes.
Maintenant que cet aéroport devient une réalité, notre responsabilité est de faire en sorte que cet investissement considérable profite au maximum aux Québécois et au développement du Québec et du Canada. Dès son élection le gouvernement a décidé de collaborer pleinement avec le gouvernement fédéral dans chacune des phases de la réalisation de cet aéroport. Notre souci premier était de faire en sorte que cet aéroport Mirabel apporte à la région de Montréal un élan et un souffle dont elle avait absolument besoin, non seulement pour elle-même, mais aussi pour le progrès du Québec tout entier et de chacune de ses régions, parce que le développement du territoire québécois dépend dans une large mesure du dynamisme d’une région aussi importante que Montréal.
Le rapport des experts rendu public par M. Gérard D: Levesque, ministre responsable de l’OPDQ, est clair. Montréal possède des avantages économiques importants par rapport aux autres villes de l’est de l’Amérique du Nord en matière de fret aérien. Parallèllement à cela, le ministre de l’industrie et du Commerce, M. Guy Saint-Pierre, s’est penché sur l’aménagement d’un important parc industriel dans la région de l’aéroport Mirabel de façon à être pret à recevoir le développement industriel inhérent à la construction de cet aéroport. Déjà des discussions sur cette double base sont engagées avec le gouvernement fédéral et c’est l’attention du gouvernement québécois, en raison de l’importance et du sérieux de ce dossier, d’y accorder une attention prioritaire.
Je suis convaincu que nous trouverons de part et d’autre les formules appropriées à la réalisation de notre objectif et je puis vous assurer que le gouvernement québécois multipliera les initiatives afin de mener à bon terme cet important projet.
Pour le Québec, ce projet est nécessaire afin de donner à la région de Montréal un nouveau dynamisme et ainsi lui permettre de jouer pleinement son rôle à l’égard du développement des autres régions du Québec. D’autres grands dossiers retiennent aussi l’attention du gouvernement.
Dans le domaine du pétrole, un projet de port pétrolier est étudié de façon à répondre aux besoins d’approvisionnements du Québec dans les années 1980 et d’accommoder les superpétroliers de 350,000 tonnes qui amèneraient du pétrole brut des puits du Moyen-Orient et de l’Amérique du Sud. Situé en aval de Québec, entre Kamouraska et Rimouski, un tel port nous permettrait de dépendre moins complètement du pipeline PortlandMontréal et de rapatrier au Québec les effets d’entratnement liés à la construction et à l’exploitation d’un tel port. Un oléoduc relierait les installations du port à celles des raffineries de Montréal et de Québec, contribuant ainsi à renforcer encore davantage les industries québécoises de raffinage.
Dans le domaine du gaz,un immense projet de gazoduc en vue d’acheminer le gaz de Arctique est à l’étude par diverses entreprises spécialisées. Le Québec se trouve en position avantageuse pour tirer profit de ce projet puisqu’un gazoduc construit le long de la côte est de la Baie d’Hudson aurait 400 mille de moins qu’un gazoduc construit sur la côte ouest. De même, les conditions du sol seraient plus favorables et la construction et l’exploitation d’un tel gazoduc seraient grandement facilitées par les travaux effectués dans cette région en vue de la mise en valeur des ressources hydroélectriques de la Baie James.
Encore sujet à réalisation d’un certain nombre de conditions techniques, ce projet représente à lui seul un investissement de $ 4 à $ 6 milliards. Qu’il s’agisse de le Baie James, de l’aéroport de Mirabel, du superport pétrolier ou du gazoduc, on voit d’une façon concrète les possibilités de développement du Québec. On constate facilement comment cela peut être avantageux pour le Québec de chercher à tirer profit de sa position
stratégique au Canada et en Amérique du Nord. Ce sont ces possibilités de développement du Québec qu’il faut mettre en valeur. C’est notre défi à nous les Libéraux de convaincre nos concitoyens que l’avenir du Québec peut être de cette façon; et seulement de cette façon, véritablement prometteur pour les Québécois.

Voilà pourquoi j’ai pu dire que la priorité absolue du gouvernement est celle du développement, un développement que nous voulons le plus cohérent possible par les efforts de planification que nous faisons au niveau du gouvernement, de ses organismes et des infrastructures économiques et sociales. Un développement aussi qui compte sur l’apport de l’entreprise privée. Un développement enfin qui privilégie les dossiers concrets dont je viens c’e vous donner quelques exemples précis.
Nous pourrions ajouter de nombreux exemples de projets économiques, les centaines de millions qui sont investis dans la pétrochimie, les centaines de millions qui sont investis dans le développement hôtelier, les centaines de millions qui sont investis dans le développement minier, sans compter les retombées économiques extraordinaires des Jeux olympiques que nous avons décidé d’appuyer concrètement, au moment même où ils étaient sérieusement compromis. Il est admis que sans l’intervention du gouvernement du Québec, les Jeux olympiques n’auraient pas pu se tenir à Montréal. Nous l’avons fait à cause des bénéfices considérables en faveur de la jeunesse du Québec et pour les retombées que cela comporte pour tout le Québec.
Quant à la situation sociale, dans son ensemble elle s’est fortement améliorée. Dans nos sociétés modernes le leadership social n’est pas une sinécure. Il faut à la fois du tact et de la fermeté. Nous avons eu à faire face depuis trois ans à toute une série de situations délicates que nous avons surmontées, soit en faisant preuve de doigté ou de souplesse, soit en faisant preuve de fermeté ou les deux à la fois. Dans le même but, on a fait une lutte aux inégalités sociales; dans le secteur des affaires sociales, avec les lois que vous connaissez, dans le secteur de la justice, avec l’aide juridique et la loi des petites créances, dans le secteur de la protection du consommateur, dans le secteur de la fiscalité où nous venons d’exempter d’impôt 125,000 salariés québécois.
D’autre part, lorsque la fermeté s’est avérée nécessaire, nous l’avons utilisée. J’écoutais avant-hier un représentant d’une association internationale des travailleurs, un M. Carlos Custer. D’après lui, le gouvernement du Québec serait un gouvernement fasciste. M. Custer disait que nous sommes un gouvernement fasciste. Eh bien, si nous avions été et si nous étions un gouvernement fasciste, il n’aurait même pas eu le temps de finir sa déclaration qu’il se serait retrouvé sur le premier avion pour son pays.
Nous sommes en fait l’un des endroits où la liberté d’expression, la liberté de contestation et la liberté de dissension est l’une des plus grandes au monde. En fait, ces gens qui viennent de l’étranger et qui accusent aussi gratuitement le gouvernement devraient s’informer davantage des événements qui sont survenus, si des poursuites ont été engagées. Ce n’est pas par caprice l’an dernier que nous avons pris des poursuites. Si le Procureur Général a pris des poursuites, c’est parce qu’il y avait des milliers de malades dont la santé était sérieusement compromise et qui pouvait l’être encore davantage si le gouvernement n’avait pas pris ses responsabilités vis-à-vis ces poursuites pour outrage au tribunal.
Nous avons assisté au Québec l’an dernier, dans le secteur hospitalier, à l’une des grèves les plus dures qui se soient tenues ces années-ci dans le monde occidental. Il était normal que le gouvernement, face à une telle situation, n’hésite pas à prendre ses responsabilités. Nous sommes convaincus que l’immense majorité de la population ne prend pas au sérieux ces accusations gratuites qui sont faites, que ce soit par ces étrangers ou par d’autres. Ces socialistes de salon ou ces socialistes de motels de luxe qui accusent le gouvernement d’avoir appliqué les recommandations du Rapport Fantus que nous avons discuté il y a quelques semaines, c’est clair que si le gouvernement a pris les décisions que vous connaissez,. c’est après un examen très sérieux de la situation et après avoir tenu compte de l’impact et des implications de tous les gestes qui étaient posés. En fait, si l’on voulait des preuves ou des indications de la justesse de l’action du gouvernement on a qu’à constater l’incohérence de ceux qui nous accusent..

Vous avez le Ralliement créditiste qui dans un mente discours nous accuse d’être socialistes et capitalistes à la fois. Comment peut-on être à la fois socialiste et capitaliste, la logique, c’est pas le fort du Ralliement créditiste! Ils le disent quand même. Dans la critique du discours du Budget qui a été faite par le représentant de la Banque du Canada à l’Assemblée nationale, M. Fabien Roy, député de Beauce, les illogismes étaient très nombreux. Le programme du Ralliement créditiste n’est pas encore connu. On doit donc se limiter aux déclarations des dirigeants. On doit constater par exemple qu’ils proposent une diminution des revenus de la taxe de vente de $ 500 à $ 600 millions, sans dire d’aucune façon où le gouvernement pourrait financer cette somme $ 500 millions de réduction sans dire comment. Ils sont aussi irresponsables que les autres partis d’opposition.
Si nous examinons vis-à-vis l’ensemble de l’administration, nous voyons que le gouvernement a pris des mesures pour resserrer les contrôles des dépenses publiques. On a fait beaucoup d’accusations gratuites ces derniers temps. On a accusé le Parti libéral de faire du patronage et du favoritisme systématique. J’ai demandé à l’opposition de soumettre un seul cas, un cas de transaction illégale, malhonnête ou abusive, un seul cas. Après trois semaines, l’Opposition est arrivée avec un cas, ils se sont levés en Chambre triomphants et solennels. Le député de Maisonneuve a dit : M. le Président j’ai le cas demandé par le Premier ministre. » – « Ah, ai-je demandé, qu’est-ce que c’est le cas de patronage ou de favoritisme malhonnête? » – C’est une lettre qui a été envoyée pour le dîner-bénéfice de ce soir. C’était ça le cas! Le fameux cas! Après trois semaines, tout ce qu’ils ont pu trouver, c’est une lettre envoyée pour le dîner-bénéfice qui réunit tellement de monde ce soir que l’hôtel a certaines difficultés à assumer le service.
Mes chers amis, le Parti libéral dans ce secteur comme dans les autres secteurs a posé des gestes concrets pour resserrer le contrôle des dépenses publiques. Il a également formé un comité sur le financement des partis politiques, un comité de l’Assemblée nationale qui est prêt à écouter toutes les suggestions valables sur le financement des partis politiques. Il a également institué une commission d’enquête publique sur le crime organisé. L’enjeu de cette enquête, et tous les Québécois le savent, c’est la liberté et la sécurité des personnes et des biens, rien de moins que cela. La présence et l’activité du crime peuvent entraîner pour les citoyens des conséquences sérieuses.
L’enquête sur le crime organisé est commencée. Nous sommes le premier gouvernement a avoir eu le courage de l’entreprendre. Nous sommes déterminés à la poursuivre avec la plus grande efficacité, quelles que soient les tentatives de manoeuvres ou les retombées que l’on voudra faire subir aux partis politiques. Au moment de prendre cette décision de tenir une telle enquête, le ministre de la justice et moi-même en avons bien évalué les difficultés, ayant une très bonne idée de la subtilité des moyens et des méthodes que le milieu prendrait pour contrer nos efforts. Nous savons bien où nous allons avec cette enquête. Nous savons que la route sera difficile, mais nous atteindrons nos objectifs. Depuis trois ans si nous avons pu surmonter beaucoup de situations difficiles, c’est que nous avons fait la preuve que nous pouvions déjouer bien des calculs, même les plus subtils.

Avec votre collaboration et cet appui constant que nous obtenons de la population québécoise, nous entendons continuer notre travail dans la même voie. Au niveau de l’Assemblée nationale des mesures additionnelles seront prises et c’est le sens même de la déclaration que je faisais le soir de mon élection le 29 avril 1970 lorsque je m’engageais à opérer une réforme en profondeur de notre système électoral pour rejoindre des questions comme la carte électorale, les listes électorales, le financement, la contestation d’élections, le mode de scrutin.
Vous savez que cette réforme est déjà réalisée en grande partie et qu’elle se poursuit avec célérité et sérieux. Dans quelques jours commencerontt une nouvelle série de conférences fédérales-provinciales.
[It is obvious now that there is a new atmosphere in the relations between the Government of Québec and the Federal Government. Our views are supported by a large number of provinces. On many issues, it is no more a question of the Federal Government against the Government of Québec. On many issues, it is almost all the provinces, and in some cases all the provinces, discussing with the Federal Government for a better equilibrium of powers between the two levels of government. We had a very substantial result ‘in the last federal budget where the Québec Government and six other provinces did get from the Federal. Government substantial amounts. These federal-provincial conferences will be a test in the next few months of the flexibility of the federal system in Canada.]

Egalement dans les prochains jours le gouvernement fera connattre sa politique linguistique, actuellement en préparation au ministère de l’Education sous la direction éclairée de M. François Cloutier.
Bref, dans tous les secteurs le gouvernement manifeste vigilance, détermination, innovation. L’engagement du Parti libéral du Québec, c’est le développement. Le développement du Québec pour permettre à notre société de progresser au même rythme que ses voisins. Le développement aussi de tous les Québécois pour que tous puissent jouir des conditions de prospérité et de justice nécessaires à l’épanouissement de leur personnalité et à l’affirmation de leur liberté individuelle. Pour que ce développement soit possible, il importe qu’au niveau politique les intentions soient claires et fermes.
Le Parti libéral du Québec est convaincu que c’est au sein du Canada et en particuler en participant aux valeurs de la société nord-américaine que le Québec et ses citoyens trouvent les meilleures garanties de progrès, de prospérité et de justice. Nous cherchons en toutes circonstances les formules et les techniques qui favorisent le mieux la réalisation de nos objectifs économiques, sociaux et culturels.
Notre leadership vise essentiellement à donner au changement un rythme, un contenu et une mesure qui satisfont à la fois aux exigences de notre monde moderne et à la capacité d’adaptation des individus au changement.
J’ai la conviction que c’est ce que l’immense majorité des Québécois attendent de leurs leaders politiques. Du discernement, un sens aigu des responsabilités, une grande ouverture d’esprit, de la fermeté, un souci constant de justice et une indéfectible volonté de faire progresser le Québec pour le plus grand avantage de ses citoyens.
Un Québec plus juste, un Québec plus moderne, un Québec plus prospère, voilà des objectifs qui peuvent rassembler tous les Québécois. Ce rassemblement de tous les Québécois, seul le Parti libéral du Québec peut le réaliser.
Mes chers amis, continuons de travailler ensemble comme nous le faisons depuis trois ans et la force du Québec n’en sera que plùs grande.

[QBRSS19730523]

[DECLARATION DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER. MINISTRE DU QUEBEC, SUR LE FINANCEMENT DES PROGRAMMES DE SANTE ET DE L’ENSEIGNEMENT POST-SECONDAIRE A LA CONFERENCE DES PREMIERS MINISTRES DU CANADA A OTTAWA LE 23 MAI 1973.]

Notre ordre du jour prévoit que nous aborderons séparément la question des programmes de santé et celle du financement de l’enseignement post-secondaire.

La Conférence des ministres des Finances du 8 mai l’a cependant montré de façon très claire, il n’est pas facile de s’en tenir rigoureusement à une telle distinction. Les solutions
à mettre au point dans les deux secteurs sont à ce point similaires au moins quant à leurs principes qu’on déborde forcément d’un secteur sur l’autre, quel que soit l’ordre dans lequel on les analyse.

C’est pourquoi la déclaration que nous distribuons traite des deux questions dans un même exposé.

Il serait fastidieux que je lise au complet cette déclaration. Aussi je me contenterai de rappeler les principaux éléments de la position québécoise.

Le financement des programmes de santé, aussi bien que le financement de l’enseignement post-secondaire, soulève des problèmes de deux ordres: la mise au point d’une formule servant à calculer la croissance du montant de la contribution fédérale annuelle, d’une part; la détermination des modes de transfert des ressources requises aux provinces, d’autre part.

Notre document analyse les propositions fédérales et les questions que nous continuons à nous poser à ce sujet en ce qui concerne la première catégorie de problèmes.
On prendra connaissance à ce sujet de nos commentaires à la lecture du document.
J’insisterai plutôt sur les propositions relatives aux modes de transfert des ressources requises aux provinces.

D’une part la plupart des provinces sinon la totalité d’entre elles se sont mises d’accord pour réclamer un transfert inconditionnel de 28 points de l’impôt des particuliers, ce transfert étant assorti de modalités telles que le rendement per capita des 28 points d’impôt s’établisse pour toutes les provinces au palier de la province où ce rendement est le plus élevé.

D’autre part, le Fédéral propose ce qui suit:
Que le Fédéral réduise de 6% son impôt sur le revenu des particuliers de façon à permettre, en conséquence, aux provinces d’augmenter ellesmêmes leur propre impôt sans ajouter au fardeau fiscal des contribuables. Que le Fédéral retire ses taxes d’accise sur les alcools et les tabacs de façon que les provinces puissent occuper l’espace fiscal ainsi libéré. Que les provinces conservent les 4.357 points d’impôt sur le revenu des particuliers et le point d’impôt sur les corporations déjà transférés pour l’enseignement post-secondaire dans les arrangements fiscaux en vigueur.
Que les revenus découlant pour les provinces des mesures précédentes soient intégrés au système général de la péréquation actuellement en vigueur au titre de la Loi sur les arrangements fiscaux, le rendement de ces impôts provinciaux étant ainsi ajusté au palier de la moyenne nationale.

Que le Fédéral continue à verser aux provinces les paiements d’ajustement requis pour combler la marge entre le rendement des impôts ainsi transférés aux provinces et les sommes auxquelles elles auraient droit selon le « quantum » prévu par la formule du Ministre fédéral de la Santé au titre des programmes de santé, d’une part, et selon le « quantum » établi par la formule du Secrétaire d’Etat au titre de l’enseignement post-secondaire, d’autre part.
Une question se pose à ce propos: comment la récupération par les provinces de ces taxes indirectes pourra-t-elle être assurée?

Telles sont donc les deux propositions globales discutées par nos ministres des Finances, il y a deux semaines, et qu’ils nous ont demandé de considérer.

J’ai noté avec satisfaction les principes qui semblent avoir avoir inspiré la proposition fédérale.

En premier lieu le gouvernement fédéral confirme que l’élaboration et la mise en oeuvre des programmes adéquats de santé et d’enseignement post-secondaire est une responsabilité des provinces, responsabilité qu’elles doivent assumer selon leurs propres priorités non seulement à l’intérieur de ces deux domaines mais aussi dans le cadre de l’ensemble de leurs politiques de développement. En effet le gouvernement fédéral nous indique clairement qu’il n’entend plus soumettre sa contribution au financement des secteurs impliqués à des vérifications détaillées comme celles que nous connaissons aujourd’hui; au contraire il vise manifestement à éviter désormais tout ce qui pourrait être perçu comme une intervention du gouvernement central dans l’administration interne des provinces dans les deux domaines en cause.

En deuxième lieu, il reconnaît que le financement de ces programmes doit s’effectuer en procurant aux provinces les revenus appropriés sous forme d’un transfert fiscal et que ce transfert fiscal doit être assorti de modalités qui tiennent compte des inégalités de rendement des impôts entre les diverses provinces.
Ce sont là à mon sens les principes fondamentaux que la formule fédérale vise à respecter. Sur ces principes nous devons reconnaître que la position fédérale marque un très net progrès et qu’elle rejoint la position des provinces.

C’est au plan des modalités d’application de ces principes qu’il nous reste à combler les écarts significatifs qui nous séparent.
A ce propos il suffira, pour l’instant, que je mette en relief les éléments suivants:
A la Conférence des Ministres des Finances du 8 mai, M. Turner a affirmé que les propositions fédérales équivalaient, pour l’ensemble des deux programmes, à 20.6 points de l’impôt sur le revenu des particuliers pour l’année 1974-75;
Or, dans le cas du Québec tout au moins, et notons-le bien, toutes les provinces seraient dans le même cas si elles avaient bénéficié de la formule d’option prévue dans la Loi sur les programmes établis, la situation actuelle est la suivante:
Pour l’assurance-hospitalisation seulement, le Québec bénéficie d’un transfert fiscal égal à 16 points de l’impôt sur le revenu des particuliers;
Ajoutons à cela les points d’impôt déjà acquis pour toutes les provinces pour l’enseignement post-secondaire: 4.4 points de l’impôt des particuliers et 1 point de l’impôt sur les sociétés;
L’on arrive ainsi à un total équivalant à 21.4 points de l’impôt des particuliers.

De toute évidence, le Québec pour sa part ne saurait accepter une proposition de transfert fiscal qui représenterait, par rapport à ce qui est déjà acquis, un recul significatif.

Entre les propositions du Fédéral et les propositions des provinces il faut noter au moins les décalages suivants: Il y a d’abord la marge entre les 21.4 points déjà acquis et les 20 points auxquels équivaut l’offre du Ministre fédéral des Finances. Cette marge existerait déjà pour l’année 1974-75 et elle s’élargirait d’année en année du fait que l’offre de M. Turner porte pour environ la moitié sur des impôts dont le rendement croît beaucoup moins vite que celui de l’impôt sur le revenu des particuliers.
Un autre décalage particulièrement significatif porte sur la façon de résoudre le problème des inégalités de rendement des impôts transférés entre les provinces. La proposition fédérale se contente de corriger ces inégalités au palier de la moyenne nationale. La proposition du Québec et de plusieurs autres provinces établit la correction requise au palier de la province où le rendement per capita des impôts transférés est le plus élevé.
Un dernier décalage, encore plus manifeste, est celui qui sépare les 21 points correspondant à la situation actuelle et les 28 points réclamés par les provinces.

Devant l’ampleur et l’importance des écarts de divers ordres qui séparent les propositions formulées de part et d’autre jusqu’à maintenant, est-il encore possible d’être résolument optimiste sur les résultats de nos discussions?

Je tiens à vous indiquer, M. le Président, qu’en ce qui nous concerne du Québec, nous voulons aborder ces discussions de la façon la plus positive possible dans les circonstances.

Nous demeurons entièrement ouverts à toute nouvelle proposition qui pourrait sortir de nos délibérations pourvu qu’elle nous conduise à une formule de transfert fiscal authentique et définitif; que ce transfert respecte les situations acquises en matière de fiscalité; que ce transfert fournisse aux provinces des ressources financières sensiblement égales par habitant; que le calendrier de réalisation de l’ensemble du programme de transfert soit le même pour toutes les provinces.

[QBRSS19730621]

[A Mme Indira Gandhi
« VOTRE CULTURE ET VOS TRADITIONS ENRICHISSENT DEPUIS DES MILLENAIRES LE PATRIMOINE UNIVERSEL » Robert Bourassa Québec, le 21 juin 1973]

Madame le Premier ministre, Monsieur le Juge en Chef du Québec, Excellences,
Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,
Le gouvernement du Québec est heureux de vous accueillir dans la Métropole du Canada. Dans cette ville qui fut en 1967 le rassemblement des peuples lors de l’Exposition universelle dont nous garderons longtemps le souvenir. Parce qu’elle fut une sorte de remarquable communion dans la vie des nations et mieux encore l’occasion de mille et une fraternités entre des hommes de toutes races, de toutes couleurs, de toutes ethnies.
Un événement non moins important prendra place dans cette même métropole en 1976 alors que se dérouleront les Jeux olympiques réunissant ainsi les athlètes du monde entier dans des compétitions les plus variées.

J’ose croire que votre court séjour chez nous vous fera aimer le Québec, son peuple hospitalier, le dynamisme de ses citoyens et la jeunesse de son avenir. Nous essayons de traduire ici, en Amérique, un modèle original de culture et de civilisation qui soit le reflet véritable de ce que nous sommes, c’est-à-dire des francophones, membres de l’ensemble canadien et intégrés à la vie nord-américaine. Nous sommes cinq millions pour tenir ce pari et nous réussirons grace à la qualité de nos ressources humaines et au potentiel de notre jeunesse.
Il nous faut réussir, ne serait-ce que pour apporter notre modeste quote-part à l’universel rendez-vous du donner et du recevoir. Rendez-vous auquel votre pays participe déjà depuis des millénaires et dont la riche histoire se confond avec celle de l’humanité.

Sous votre administration, Madame le Premier ministre, les affaires de votre pays prennent graduellement un essor de plus en plus remarqué. Le rôle prestigieux que vos hommes politiques ont accompli et que vous jouez présentement, non seulement au niveau national mais aussi sur le plan mondial, met en relief votre compréhension des responsabilités inhérentes à la direction d’un grand pays conscient du rôle qu’il est appelé à jouer sur la scène internationale.
En vous accueillant aujourd’hui, le peuple du Québec salue en votre personne le peuple indien et ses dirigeants. Il fait des voeux pour qu’en ce lointain pays asiatique, représenté avec tant de grace par Votre Excellence, continuent de s’épanouir une culture et des traditions qui enrichissent depuis des millénaires le patrimoine universel.

[QBRSS19730824]

[ALLOCUTION DE M. ROBORT BOURASSA, PREMIER MINISTRE ET CHEF DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC A LA CLOTURE DU COLLOQUE TENU AU MONT ORFORD LES » 24, 25 ET 26 AOUT 1973. (Thème du colloque: LE QUEBEC ET SON AVENIR) ]

Madame la Présidente, Mes chers Amis,
Je voudrais d’abord très brièvement remercier tous ceux qui ont contribué à ce très grand succès du colloque, remercier les panelistes, les militants et les invités, ceux qui ont participé, les organisateurs. Il faut je pense signaler le travail de la présidente du parti, Mme Lise Bacon, qui a été à l’origine de la proposition et qui comme d’habitude a fait son travail d’une façon exceptionnelle. Je désire féliciter également un nouveau venu sur l’avant-scène politique, un de mes proches collaborateurs et amis, qui a servi de coordonnateur au colloque, M. Jean-Claude Rivest, et tous ceux qui ont participé y compris les jeunes, en très grand nombre comme d’habitude à ce très grand succès.
[I would like to thank very warmly all those who contributed to this very great success.]

Nous pouvons conclure de façon générale que ce colloque a permis d’approfondir, de consolider et de confirmer les grandes orientations du Parti libéral, soit l’attachement traditionnel aux valeurs démocratiques, l’attachement à un lien ou à un système fédéral et l’importance de la croissance économique.
Dans le fonctionnement de la démocratie, si nous examinons certains thèmes du premier sujet, et il en a été discuté vendredi soir, si nous examinons le fonctionnement normal et légitime de la démocratie, la question de la liberté de la presse est évidemment aussi importante que fondamentale. Nous croyons, dans le Parti libéral et dans notre gouvernement, au rôle de vigilance, très important, très légitime et irremplaçable de la presse; cette vigilance se trouve à compléter les mécanismes internes qui peuvent exister et qui existent de plus en plus au sein même du gouvernement et au sein même des différentes administrations publiques, que ce soit les mécanismes ou les directives du Conseil du trésor, divers comités comme le comité des engagements financiers, les commissions parlementaires qui ont la liberté d’examiner à la loupe toutes les décisions administratives et toutes les transactions gouvernementales, ou que ce soit le rôle de l’opposition.
Donc, cette liberté de la presse est quelque chose d’essentiel et de fondamental dans notre régime politique et dans notre société. Elle ne doit pas s’exercer au détriment du bien commun cependant. Elle doit s’appuyer évidemment sur des informations sérieuses et vérifiées. Le gouvernement, c’est clair et cela a été mentionné à plusieurs reprises, ne peut être que préoccupé par le phénomène de la concentration de la presse qui peut compromettre dans une certaine mesure, du moins en théorie, cette liberté de la presse. Cependant, il faut non seulement regarder cette concentration au niveau de la propriété – c’est un aspect du problème – il faut également considérer, comme l’a souligné un éminent paneliste vendredi soir, M. Pierre Salinger, le phénomène de la politisation excessive des syndicats qui pourraient en venir à contrôler les salles de rédaction.
On a discuté également du système parlementaire, en particulier du rôle des commissions parlementaires. Il est évident que depuis que nous sommes au pouvoir – il y a trois ans et demi – nous avons accru considérablement le rôle des commissions parlementaires. Nous l’avons fait de façon délibérée parce qu’il nous parait normal que dans une. société où les tensions sociales existent à un niveau plus élevé et plus fréquent qu’elles pouvaient exister il y a quinze ou vingt ans, il nous paraît donc normal pour un gouvernement qui veut faire preuve à la fois de sagesse et de lucidité de permettre aux administrés d’avoir toutes les tribunes nécessaires pour faire valoir leur point de vue, et ceci sans compromettre d’aucune façon la tache fondamentale du gouvernement qui est de gouverner et de décider.
Les commissions parlementaires permettent de faciliter le rôle normal d’arbitrage du gouvernement lorsqu’il entend les parlementaires d’un côté et les groupes traditionnels de l’autre, et également les nouveaux groupes, qui se forment de plus en plus, et qui expriment le point de vue de certaines catégories de citoyens.

Ce rôle des commissions parlementaires permet également de moderniser, de revaloriser les débats parlementaires. C’est une formule qui est plus souple et qui permet de la part des députés une participation positive. Elle facilite également, cette formule, l’humanisation de l’administration puisqu’elle encourage et permet un contact direct avec les administrés. Combien d’exemples particuliers et concrets nous pourrions donner, mettant en relief cet avantage du contact direct, notamment dans le cas des corporations professionnelles, dans le cas des mesures pour l’accès à la justice, dans le cas de la protection des consommateurs, dans le cas, par exemple, de l’une des mesures dont mon gouvernement et moi-même sommes des plus fiers, c’est-à-dire l’assurance-santé qui permet à des millions de Québécois de pouvoir avoir des soins gratuits pour une chose absolument essentielle, et qui permet, à toutes fins pratiques, à notre société d’être plus civilisée.

Quatrièmement, ce rôle accru des commissions parlementaires nous oriente vers un meilleur équilibre entre la technocratie et les administrés. Alors que les exigences de l’administration actuelle, de l’administration de nos sociétés modernes, sont de plus en plus complexes, il est important de rechercher cet équilibre entre les décisions forcément technocratiques qui sont absolument irremplaçables dans n’importe quelle société qui veut progresser à un rythme normal, et la population qui veut pouvoir profiter de ces décisions.

Cinquièmement, ce rôle des commissions parlementaires permet d’assurer la transparence de l’action gouvernementale au niveau du processus de décision. Elle permet à un gouvernement qui n’a absolument rien à cacher, comme c’est le cas du nôtre, de pouvoir entendre tous les groupes, tous les partis, tous ceux qui sont directement intéressés ou même indirectement intéressés, et d’arriver ainsi à une décision qui soit le plus conforme au bien commun.

Cette même transparence au niveau de l’administration publique, elle doit se transposer au niveau des partis. On le fait actuellement dans le Parti libéral avec tous ces congrès régionaux que nous tenons depuis quelques années – une douzaine de congrès régionaux chaque année – qui permettent aux dirigeants du parti et aux dirigeants du gouvernement de pouvoir dialoguer directement avec la population en discutant avec elle, et non simplement en imposant le point de vue gouvernemental. Le Parti libéral, sous ma direction, est un peu allergique à la grandiloquence. Il recherche d’abord la substance des choses. On l’a constaté encore une fois dans ce colloque, où les interventions de la part des participants étaient basées sur des faits précis, sur des données bien dans le style du parti et du gouvernement actuel. Pas de grandiloquence, mais une véritable recherche pour aller au coeur des problèmes. C’est tellement facile de pratiquer l’évasion à travers la rhétorique. C’est beaucoup plus difficile de faire front, de faire face aux problèmes et d’y apporter des solutions. C’est évidemment la seule démarche lucide et intelligente.
Toutes les autres activités du parti, les publications de différentes sortes, permettent cette transparence du Parti libéral et du gouvernement avec ses militants.

Il y a également la question du financement des partis qui a été quelque peu abordée à l’occasion de ce colloque. Nous avons formé une commission parlementaire où tous les partis peuvent donner leur point de vue, mettre en relief l’importance d’améliorer le financement des partis. Même si plusieurs mesures ont déjà été apportées depuis quelques années, le gouvernement est prêt à faire quelques propositions en ce qui a trait au financement des partis, notamment entre les périodes électorales.

Dans cette question du fonctionnement de la démocratie, il doit être traité également des problèmes de décentralisation et de déconcentration. L’un des griefs souvent invoqués à l’encontre de l’administration publique est la centralisation. La plupart des mesures prises pour résoudre ce problème jusqu’à présent ont abouti à une certaine déconcentration au niveau des régions. Le rapprochement de l’administration et de l’administré, en bien des domaines, se heurte cependant encore, au niveau local, non seulement à la méfiance des fonctionnaires à l’égard d’une régionalisation véritable, mais également au découpage administratif ou au manque de fonctionnaires formés en vue de l’administration régionale.

Ce qui frappe souvent l’observateur qui compare le secteur public et le secteur privé, c’est l’absence trop fréquente de flexibilité et de mobilité des administrations publiques. La caractéristique essentielle des grandes entreprises modernes est la flexibilité. Cela veut dire qu’elles sont en mesure de modifier rapidement leurs activités et leurs structures pour tenir compte des circonstances et des possibilités que leur ouvre le marché. L’action de l’administration publique ne doit donc pas se caractériser par une extrême rigidité.

La décentralisation de l’administration est également à l’ordre du jour par le biais de la réforme régionale. Il est clair que l’administration ne peut se rapprocher des individus et des entreprises que dans la mesure où il existe réellement une vie locale et régionale. Il n’y aura pas de régionalisation s’il n’y a pas d’animation économique créatrice d’emplois. Il n’y aura pas d’animation économique si l’Etat ne crée pas les équipements collectifs nécessaires. Une telle politique devient donc avant tout une politique d’équipement.
Ceci se concilie toutefois avec les regroupements de ministères tels que celui des Affaires sociales, des Transports, des Travaux publics et de l’Equipement. La coordination des différents ministères a été facilitée et l’efficacité améliorée notamment par l’application de la rationalisation des choix budgétaires.
Cela a été une réforme majeure du présent gouvernement et un travail énorme a été accompli dans ce secteur il nous a permis d’atteindre l’équilibre fiscal et financier que nous avons actuellement.

Le colloque nous a permis également d’examiner le rôle du Québec dans la communauté économique transnationale. Le colloque a confirmé jusqu’à quel point il doit y avoir une distinction entre le fonctionnement actuel du régime fédéral – qui peut etre sujet à toutes sortes de critiques – et le principe même du fédéralisme, qui lui, paraît irremplaçable dans l’état de notre économie moderne. Nous ne pouvons pas imaginer d’une façon réaliste tous ces concepts d’États souverains associés, ou de souveraineté-association, sans qu’il y ait de lien fédéral. L’expérience du Marché commun nous a été mise en relief hier avec beaucoup de clarté et de conviction. Il est évident que le Marché commun, s’il s’oriente vers une union monétaire, ne peut certainement pas éviter d’envisager de plus en plus sérieusement un lien fédéral. Alors, comment, dans notre cas, nous qui exportons par exemple près de 50% de ce que nous produisons, comment dans notre cas ne pas considérer l’existence d’un tel lien fédéral comme étant absolument essentiel, surtout si nous désirons retenir notre niveau de vie – et on sait que l’immense majorité des Québécois n’est pas prête à faire des sacrifices quant à son niveau de vie simplement pour des structures politiques qui peuvent rapidement devenir vides de substance.

Alors, lorsqu’on s’aperçoit que la monnaie commune est intimement liée à la question d’un lien fédéral et que cette monnaie commune au départ est intimement liée au bien-être économique de tous les citoyens du Québec, il est évident que ce système fédéral est la seule option réaliste pour les Québécois. Comment concevoir – je l’ai dit depuis plusieurs années, et aucune réponse valable n’a encore été apportée par qui que ce soit – comment concevoir qu’avec une monnaie commune nous n’ayons pas de représentation directe?

Comment concevoir, alors que nous nous rendons compte ces mois-ci de l’importance du phénomène de l’inflation, que des technocrates pourraient décider d’alourdir ou de diminuer la fiscalité sans qu’il y ait de lien direct avec les contribuables?

C’est le fondement même de notre civilisation qui se trouve en jeu lorsqu’on accepte, par exemple, que la lutte à l’inflation ou qu’une monnaie commune puisse exister sans qu’il y ait de lien fédéral. C’est pourquoi depuis que nous sommes au pouvoir, et auparavant- dans mon cas personnel, j’ai eu l’occasion d’en discuter très souvent – j’ai toujours insisté sur cette condition d’accord de nature économique, fiscale et financière, intimement reliée à notre stabilité politique et à notre paix sociale.

D’ailleurs ceux qui proposent la brisure du lien fédéral, ceux qui proposent de casser le pays, se trouvent de plus en plus manifestement dans une impasse. Depuis six ans, je réclame le budget d’un Québec indépendant – et je le fais non seulement comme Chef de gouvernement, non seulement corme homme politique, mais simplement comme Québécois soucieux de vouloir discuter en toute franchise et en toute clarté des différentes options qui peuvent s’offrir aux Québécois. Depuis six ans, je le réclame de ceux qui proposent de casser le pays, de ceux qui proposent de séparer le Québec du reste du Canada avec une formule de souveraineté politique. J’insiste pour qu’on propose aux Québécois le budget d’un Québec indépendant, un budget qui nous permettrait, chiffres en mains, la tête reposée et en-dehors des périodes électorales, de voir exactement où nous mène la souveraineté politique, quelles implications concrètes cela comporte pour les millions de travailleurs québécois, en particulier pour les 200,000 travailleurs québécois qui dépendent du gouvernement du Québec dans leurs conditions de travail.
C’est seulement avec un tel budget, et avec toutes les données qui s’y trouvent impliquées, que nous pourrons avoir une discussion sérieuse et objective. Or, malheureusement, nous devons continuellement attendre la publication d’un tel budget. On nous le promet de mois en mois, même d’année en année. On nous disait même – et c’est un porte-parole de ceux qui proposent la séparation du Québec – il y a quelques jours qu’on craint de rendre public ce budget d’un Québec indépendant parce qu’on a peur que Robert Bourassa y trouve des failles.
C’est donc qu’on en a déjà probablement trouvé plusieurs!

Il est évident pour la population que, lorsque nous pourrons lui expliquer toutes les implications budgétaires, elle verra que cette formule n’est pas réaliste pour les Québécois.
Cet entêtement qu’on constate à refuser un lien fédéral amène d’ailleurs au Québec un alignement des forces politiques quelque peu artificiel. Nos divergences sur le plan des structures constitutionnelles font passer trop souvent au second plan les débats essentiels sur les questions sociales et économiques, lesquelles sont déterminantes pour l’avenir des sociétés modernes. Le risque est grand d’une division des forces progressistes dont pourraient tirer profit les éléments réactionnaires qui peuvent exister dans notre société. Tout simplement parce qu’on s’obstine à vouloir nier quelque chose – et je pense que cela a été un peu une conclusion ou un consensus à l’occasion de ce colloque –
qui paraît absolument inévitable dans le contexte de nos économies modernes, avec le niveau d’intervention des États dans l’économie, avec les relations commerciales et financières que nous avons actuellement avec le reste du Canada, à nier donc la solidarité de fait que personne ne peut démentir et qui est étroitement liée à notre niveau de vie et suppose un lien fédéral. Cet entêtement à ne pas vouloir l’accepter se trouve tout simplement à favoriser la division des forces progressistes au Québec.
Le débat sur les questions de croissance économique a réflété les discussions actuelles que nous avons tant au sein du parti que dans plusieurs autres milieux sur l’importance respective de la croissance et de l’écologie. On a vu que, même dans des pays où la structure industrielle est beaucoup plus forte que celle qui existe au Québec, l’option croissance est encore maintenue et prévaut toujours. Si c’est le cas pour un pays dont la structure industrielle est beaucoup plus forte, a fortiori cela doit être le cas au Québec où nous avons à faire face à un taux de croissance de la main-d’oeuvre qui est un des plus élevés du monde libre au cours des années 1970 et qui se trouve à forcer un gouvernement, qui est lucide et responsable, à mettre l’accent sur la création d’emplois.

J’entendais ce matin mon ami Phil Cutler qui référait aux 100,000 emplois, c’est-à-dire à un objectif que nous nous étions fixé en 1970. Je me permets de faire une légère rectification, avec votre consentement, sans insister évidemment, c’est que ce n’est pas 100,000 emplois.. c’est 125,000 que nous prévoyons avoir pour 1973.
Je remercie M. Cutler de m’avoir donné l’occasion de faire cette mise au point.
Donc, pour les besoins d’une main-d’oeuvre importante, pour renforcer notre structure industrielle, puisque la solidité économique au Québec est quelque chose d’important et de vital, pour des raisons qui n’existent pas dans d’autres régions du monde et qui tiennent à une réserve presque inépuisable de nos richesses naturelles, pour des raisons qui tiennent également à une densité et à des espaces géographiques qui ne se comparent pas avec plusieurs autres régions de l’Amérique du Nord, ces atouts très importants pour le Québec justifient le maintien de cette option de croissance économique.

Ceci évidemment ne doit pas, et en fait n’élimine pas nos préoccupations en ce qui a trait à la protection de la qualité de la vie. Bien au contraire, depuis quelques années, tout en considérant – c’est la façon la plus pragmatique de le faire et peut-être aussi la plus efficace – tout en considérant les cas particuliers ou les cas un à un, en visant à réaliser le meilleur équilibre partout entre les priorités en ce qui a trait à la culture, à l’économie et à l’écologie, nous n’avons jamais négligé, bien au contraire, cette question, et nous y accordons de plus en plus d’importance.

Toujours sur cette question de la croissance économique et de son impact social, je me dois de souligner le rôle éminemment utile qu’a joué jusqu’à présent le mouvement coopératif au Québec, notamrent le Mouvement coopératif Desjardins qui constitue notre plus importante institution financière québécoise. Toutefois il m’apparaît bon d’ajouter que pour maintenir l’élan de la croissance économique chez nous, il faudra que la prudence qui a caractérisé jusqu’à maintenant le Mouvement coopératif Desjardins soit tempérée par une prise de conscience pleine et entière de l’importance du rôle social que cet organisme doit remplir dans la vie québécoise.
C’est l’esprit d’entreprise qui devra animer si possible encore davantage son action afin de permettre au Mouvement de donner tous les fruits que les Québécois sont en droit d’en attendre. Il importe notamment que les épargnes canalisées par l’entremise du Mouvement coopératif Desjardins puissent servir à développer et à maintenir chez nous des entreprises qui auront un effet d’entraînement sur de larges secteurs de l’économie, ou bien qui pourront permettre d’assurer au sein de certains secteurs un équilibre désirable.
Il a été également question du fardeau fiscal des entreprises. On ne peut oublier les contraintes qui existent chez nous eu égard à cette parité que nous voulons établir entre les régions. On ne peut oublier également les disparités de revenus qui existent au sein même du Québec et qui doivent nous inciter à avoir des politiques particulières adaptées à nos priorités sans pour autant nous séparer du contexte nord-américain. De même, il faut considérer cette fonction de répartition qui doit exister dans toute politique fiscale. Nous voulons concilier ces différents objectifs parce qu’ils nous apparaissent tous valables et essentiels au progrès de notre société. Notre colloque a été extrêmement fructueux. Il a mis en relief certains aspects fondamentaux de la vie québécoise. Il
nous a permis de nous rendre çompte que nos grandes orientations, étaient saines et justes. Il nous a permis de discuter ce qui a été fait, et aussi ce qu’il faut accomplir. Nous avons toutes les raisons depuis trois ans et demi que nous sommes au pouvoir de mettre l’accent sur l’économie. La base économique est en effet essentielle à toute action fondamentale. Tous les panelistes et tous les. participants sont tombés d’accord sur ce point pendant les trois jours de discussion.

Le mérite du Parti libéral aura été de s’attaquer depuis qu’il est au pouvoir au cœur du problème, le problème économique, car la force économique est à la source de la véritable force du peuple québécois. Il n’y a pas de tâche plus difficile pour un gouvernement québécois que de prendre de front les problèmes économiques et financiers, comme nous l’avons fait depuis trois ans et demi.

Durant des générations entières, on a évité cette priorité au Québec, trouvant plus facile – et de fait c’était plus facile de s’en prendre aux problèmes de structures, ou de chercher encore des boucs émissaires à d’autres niveaux de gouvernement. Nous avons assumé nos responsabilités dans ce qu’elles ont de plus exigeant et nous avons réussi en bonne partie, car jamais l’économie et les finances du Québec n’ont été aussi bonnes.

Si nous examinons tant la situation économique de cette année que l’équilibre fiscal qui existe actuellement, nous verrons que cette affirmation se trouve confirmée.

Ceci toutefois n’était qu’une étape de notre action, une étape qu’il nous faut absolument poursuivre. Il y a d’autres objectifs cependant, touchant l’aspect culturel, en raison des facteurs géographiques et démographiques. L’évolution de la langue et de la culture françaises doit nécessairement être l’objet d’une attention particulière de la part du gouvernement et de l’ensemble du milieu québécois. L’examen objectif des données du problème souligne l’importance primordiale du rôle du gouvernement québécois en regard de l’affirmation de la langue et de la culture françaises. C’est l’évidence même. Pour assumer avec efficacité cette responsabilité, le gouvernement du Québec doit disposer sur le plan constitutionnel d’une marge de manoeuvre très large. C’est précisément cette liberté d’action nécessaire qui exprime avec le plus d’autorité l’idée de souveraineté culturelle, liberté d’action à laquelle il faut évidemment joindre l’indéfectible détermination de l’ensemble du milieu québécois de sauvegarder et de développer sa culture, et de se doter à cette fin des politiques et des instruments nécessaires. C’est ce que notre colloque a clairement dégagé.
Nous sommes bien conscients du travail à faire dans ce secteur, du travail qui a été fait et surtout du travail qui reste à faire. La priorité de notre premier mandat – c’était clair – a été de nature économique en raison de la situation inquiétante qui existait lorsque nous avons pris le pouvoir. Tout en poursuivant avec acharnement cet objectif de croissance économique équilibrée, le problème culturel est devenu une préoccupation majeure et doit être une préoccupation majeure pour les prochaines années. Les études de la Commission Gendron, dont personne n’a contesté l’intérêt, même pas ceux qui en ont contesté les recommandations, ont révélé qu’il n’y avait pas de péril immédiat mais qu’il fallait quand même agir. Notre responsabilité est donc évidente.

Dans les questions économiques nous sommes prêts à partager les centres de décision tout simplement à cause de cette solidarité de fait dont je vous parlais tout à l’heure. C’est une simple question de réalisme. Dans les questions culturelles, les centres de décision dont nous avons besoin pour notre propre sécurité culturelle devront nous être transférés, notamment dans le secteur des comnunications. Encore là c’est une simple question de bon sens puisqu’on ne peut pas confier à une majorité anglophone le soin d’assurer la sécurité culturelle d’une minorité francophone.
La position de mon gouvernement là-dessus pourrait être flexible quant à la forme, mais sur le fond et quant à l’objectif poursuivi, elle est et sera ferme, claire et déterminée.
Ce colloque aura donc permis de dégager les lignes de force de notre action future. Poursuite de la croissance économique en tenant compte des effets sur le qualité de la vie et sur la répartition ente les différents groupes de citoyens, dynamisme de la culture, paix et justice sociale, nous avons donné la preuve depuis trois ans et demi de notre volonté, de notre détermination, de notre acharnement à travailler pour les Québécois, quels que soient les coups durs ou meure les coups bas qui nous sont portés.
Ce colloque nous donne ainsi toutes les raisons d’être résolument optimistes pour l’avenir du Québec.

[QBRSS19730831]

[MESSAGE DU PREMIER MINISTRE. DU QUEBEC A L’OCCASION
DE LA FETE DU TRAVAIL 1973]

La Fête du Travail traduit la solidarité qui existe entre tous les travailleurs. Une solidarité dont la signification profonde est la nécessité qu’il y a de réaliser au sein de la société une véritable concertation des efforts des uns et des autres.
Ce besoin de concertation est d’autant plus pressant pour une collectivité comme la nôtre qu’elle doit mener de front le double combat de la permanence de son identité culturelle et de son développement économique et social.
Nous connaissons les contraintes que l’histoire et la géographie nous imposent. Nous savons aussi que l’héritage du passé comporte pour nous des avantages considérables dans cette tâche entreprise ici pour batir une société originale et véritablement humaine.
Nos réussites d’hier ont tôt vite fait de dissiper les craintes que nous pouvions entretenir pour l’avenir. Nous sommes chaque jour plus confiants dans notre capacité d’être authentiquement nous-mêmes sur cette terre d’Amérique.
Nous avons la conviction que l’avenir de notre société, c’est à nous qu’il appartient de le façonner. Nous disposons des moyens et des ressources nécessaires pour faire que le Québec demeure lui-même à l’intérieur du Canada tout en participant au bien-être économique et au progrès social de l’ensemble des citoyens du pays. On sait les efforts que nous avons déployés pour que ces moyens et ces ressources soient mis en valeur, créant ainsi du travail pour le plus grand nombre possible.
Je sais que chaque travailleur québécois est déterminé à apporter sa contribution personnelle à la construction du Québec de demain. Cette détermination, c’est en définitive l’expression même de cette nouvelle solidarité québécoise qui se trouve évoquée par la Fête du Travail.
A tous les travailleurs québécois, quelles que soient la sphère d’activité où ils oeuvrent et la région où ils vivent, j’offre mes meilleurs voeux à l’occasion de la Fête du Travail
et je formule le souhait que cette fête contribue à renforcer encore davantage la solidarité entre tous les Québécois.

QBRSS19740122]

[Déclaration sur l’énergie Robert Bourassa, premier ministre Conférence fédérale-provinciale des premiers ministres sur l’énergie Ottawa, 22, 23 janvier 1974]

Je n’insisterai pas sur le caractère inédit de la conférence qui commence aujourd’hui.
C’est la première fois à ma connaissance que les Premiers ministres du Canada consacrent une conférence toute entière à une seule question, celle de l’énergie.
C’est aussi la première fois que la question sur laquelle nous réfléchirons ensemble, comporte des dimensions qui correspondent à ce point à des champs de responsabilités si clairement partagés entre les deux ordres de gouvernement dans notre régime fédéral.
Le fait même de notre conférence indique sans équivoque que, dans la pleine conscience de nos responsabilités respectives, nous reconnaissons qu’un problème comme celui de l’énergie ne peut être résolu qu’en acceptant au départ l’interdépendance de nos actions
et la nécessité de les coordonner si nous voulons qu’elles correspondent aux exigences du développement des collectivités dont nous sommes les représentants.

La prise de conscience de l’importance de l’énergie dans le développement des sociétés modernes, n’est évidemment pas nouvelle parmi nous. Au cours des dernières années, nos gouvernements ont posé des gestes qui en sont l’indice manifeste. Pour ce qui est du Québec, par exemple, c’est en novembre 1972 que nous avons inscrit dans un « livre blanc », les orientations générales que nous entendions poursuivre. C’est ainsi également qu’au printemps 1973, le gouvernement fédéral proposait à notre réflexion un document élaboré sur une « politique canadienne de l’énergie ».
Pour m’en tenir à ces deux documents seulement, sachant bien que des travaux analogues ont été entrepris par d’autres gouvernements, je voudrais souligner qu’à l’époque où nous les avons préparés, nous pensions que nous aurions le loisir d’en approfondir les implications et d’engager le dialogue requis avec tous les partenaires impliqués dans la sérénité d’une évolution normale des choses.
Les événements qui se sont produits au Moyen-Orient au cours des derniers mois et qui ont profondément modifié la situation mondiale dans le secteur du pétrole nous ont amenés à accélérer le processus de notre réflexion sur les problèmes de l’énergie.
Il n’est donc pas étonnant que nos discussions soient d’une certaine manière dominées par l’impact immédiat de la conjoncture du pétrole.
Mon intention n’est pas de proposer que nous nous concentrions exclusivement sur cette forme d’énergie. Je veux cependant souligner que nous ne devons pas perdre de vue ce type de problèmes et expliquer pourquoi les réflexions que je vous soumettrai seront principalement orientées vers leur solution, même si les principes sur lesquels je me fonderai et les conséquences à tirer de ces principes, pourraient éventuellement s’appliquer à d’autres formes d’énergie pour lesquelles il n’y a pas d’urgence aujourd’hui, sous réserve il va de soi, des adaptations imposées par le caractère propre de la ressource énergétique en cause.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les propos que je tiendrai au cours de cette première séance de travail essentiellement consacrée aux objectifs et aux orientations générales d’une politique canadienne de l’énergie.
UN PRINCIPE ET UN OBJECTIF
Procurer au meilleur coût possible et à un prix sensiblement identique aux consommateurs de toutes catégories, y compris les entreprises pétrochimiques ou autres des diverses régions du Canada l’énergi correspondant à leurs besoins réels. Tel est à mon sens l’objectif qu’une véritable politique canadienne de l’énergie doit se donner, le principe fondamental qui doit orienter notre réflexion.
Sur un tel principe, j’imagine que nous nous mettrons assez aisément d’accord.
Satisfaire les besoins réels
On voit mal, en effet, qu’on puisse renoncer volontairement à se procurer une denrée comme l’énergie qui est aussi essentielle au développement économique et à la qualité de la vie dans le monde d’aujourd’hui.
Notons cependant que la quantité d’énergie requise pour répondre à la demande des entreprises ou des particuliers n’est pas indépendante de la façon dont ceux-ci peuvent en faire usage. On a souvent l’impression que les consommateurs d’énergie gaspillent et dilapident pour une bonne part une richesse d’autant plus précieuse qu’elle est non renouvelable dans ses composantes majeures. Aussi dans l’évaluation des besoins à satisfaire ne faudra-t-il pas ignorer l’action que l’on peut exercer sur la demande elle-même, sur le comportement des consommateurs pour les faire correspondre aux exigences réelles et fondées du développement et de la qualité de la vie. Sous réserve de ces correctifs nécessaires à des usages souvent abusifs, il me semble aller de soi qu’une politique de l’énergie doit viser à procurer aux consommateurs l’énergie correspondant à leurs besoins.
Accessibilité et parité des prix
On comprendrait mal, par ailleurs, qu’on poursuive cet objectif en créant des conditions telles que des catégories identiques de consommateurs dans les diverses régions du pays soient placées dans une situation d’inégalité flagrante d’accessibilité et de prix pour un produit dont le caractère essentiel n’est plus à démontrer.
Sans doute à cet égard faut-il être réaliste et reconnaître que certaines contraintes nous empêcheront peut-être d’établir une parfaite égalité entre les consommateurs de toutes les régions d’un pays comme le nôtre. Il n’en demeure pas moins cependant que, dans son principe même, une politique équitable pour l’ensemble de la collectivité ne saurait se résigner à consacrer et à maintenir volontairement des inégalités imposées par la nature avec tous les effets d’entraînement que cela pourrait comporter sur l’ensemble du développement. Elle doit, au contraire, viser à les réduire dans toute la mesure du possible, sinon à les effacer complètement, compte tenu, encore une fois, et il faut y insister, du caractère essentiel de l’énergie, caractère que n’ont point, du moins au même titre, d’autres types de ressources naturelles.
Le meilleur coût possible
Qu’il faille, au surplus, viser à produire ou à se procurer les quantités d’énergie requises au meilleur coût possible, cette règle s’impose d’elle-même dans le cas de l’énergie comme dans le cas de tous les autres biens économiques. Ce n’est pas le lieu d’insister trop longuement sur cette règle. Notons cependant qu’elle comporte au moins trois types d’exigences. En premier lieu elle nous impose des investissements qui peuvent être considérables dans la technologie de production de diverses formes d’énergie disponible chez nous.
En second lieu elle exige que nous prenions les moyens nécessaires pour éviter les coûts artificiellement élevés des produits énergétiques provenant de profits abusifs de la part des diverses catégories d’agents qu’on retrouve à toutes les étapes de l’économie énergétique.
Enfin, elle requiert que nous maintenions dans toute la mesure du possible un équilibre réel entre le coût de l’énergie à tirer de nos propres ressources et celui de l’énergie que nous pourrions nous procurer à l’extérieur.
Au total, dans les trois dimensions qui le définissent essentiellement la nécessité de répondre aux besoins réels des consommateurs, la nécessité de répondre à ces besoins dans les conditions d’équité et de parité pour les consommateurs eux-mêmes et la nécessité de rentabiliser l’opération en l’effectuant au meilleur coût possible, dans les trois composantes qui l’articulent, le principe général que j’ai formulé tantôt non seulement me semble fondé, mais il me semble le seul qu’une politique canadienne de l’énergie puisse décemment se donner. Aussi ai-je la conviction qu’il est possible de réaliser au palier du principe lui-même un large consensus parmi nous.
Reste maintenant à nous interroger sur les implications d’un tel principe, à nous poser les questions que sa mise en oeuvre soulève.
Les implications
L’autosuffisance et la sécurité des approvisionnements . Première question: Est-il possible d’atteindre l’objectif visé à même les ressources énergétiques canadiennes?

Autosuffisance théorique

Tous les experts nous disent que le Canada est dans une position privilégiée en matière d’énergie: surtout si l’on tient compte des substitutions possibles entre les diverses formes d’énergie, notre pays disposerait, au moins dans un sens purement physique, dans l’ensemble de son territoire, de ressources suffisantes pour répondre à ses besoins.

Théoriquement, on pourrait donc dire que la réponse à la question posée est positive et que le Canada peut légitimement viser à l’autosuffisance énergétique à plus ou moins long terme.
Inégalités régionales
Une telle autosuffisance globale pour l’ensemble du Canada est cependant loin d’être le fait, à l’heure actuelle, pour toutes et chacune des grandes régions qui le composent.
Cela tient non pas à ce que la production canadienne d’énergie soit inférieure à la consommation dans l’absolu, mais à ce que les sources de certaines formes d’énergie sont localisées de telle sorte au Canada que certaines régions en disposent en surabondance et que d’autres régions en sont presque démunies.
Ainsi même dans le cas de l’électricité dont le Canada est très largement pourvu au moins quant à la ressource primaire, certaines régions du pays sont cependant relativement défavorisées surtout dans les circonstances présentes où elles doivent se procurer à des prix très élevés le pétrole qui alimente leurs centrales thermiques. Il est vrai que dans un cas comme celui-là la solution à un tel problème est relativement facile à identifier et à mettre en oeuvre: il suffirait, par exemple, que l’électricité excédentaire produite dans une région du pays puisse être rendue disponible aux autres régions par une meilleure interconnexion des réseaux de transport. Tel n’est point le cas d’autres formes d’énergie pour lesquelles les choses sont beaucoup plus complexes.
En ce qui concerne le pétrole, nous sommes dans la situation paradoxale où nous exportons vers les Etats-Unis à partir des sources localisées dans l’Ouest des quantités comparables à celles qu’il nous faut importer vers l’Est du pays.
La situation est tout aussi paradoxale en ce qui concerne le gaz naturel, en ce sens que le gaz exporté vers les Etats-Unis à partir de l’Ouest pourrait largement diminuer les importations de pétrole s’il était acheminé vers les consommateurs du Québec.
Dans ces conditions on pourrait croire que la solution à mettre en oeuvre pour le pétrole et le gaz est toute simple: stopper les exportations vers les Etats-Unis pour divertir les quantités requises au profit des consommateurs de l’Est.
Mais il s’agit là précisément d’une solution trop simpliste.
Production de l’Ouest
En effet, tous les experts nous signalent que la production de pétrole classique dans l’Ouest commencera à décliner sensiblement dès 1977. D’autre part, [l’Energy Resources Conservation Board] de l’Alberta nous indique qu’au mieux et pourvu qu’on investisse des sommes de l’ordre de 8 à 10 milliards de dollars durant les dix prochaines années, les sables bitumineux ne produiront qu’environ 800,000 barils par jour en 1985.
Or, compte tenu de la baisse prévue de production du pétrole classique, une telle production des sables bitumineux ne suffira à combler la croissance de la demande canadienne dans l’Ouest et en Ontario qu’à la condition de réduire proportionnellement les exportations vers les Etats-Unis.
Demande dans l’Est
Qu’en sera-t-il de la demande dans l’Est en 1985?
Dans un ouvrage publié en juin 1973 sous l’autorité du ministre fédéral de l’Energie et intitulé : [« Politique canadienne de l’Energie » de l’Energy Resources Conservation Board, le 7 septembre 1973, lors du symposium de la Society of Petroleum geologists.]
on a montré que de 1955 à 1972, la consommation de pétrole a augmenté en moyenne de 7 % par année. L’extrapolation du même rythme de croissance annuelle donnerait en 1985 pour les mêmes régions une demande de l’ordre de 1.7 million de barils par jour au lieu de 750,000 barils par jour en 1973 (ou de 2.1 millions de barils par jour au lieu de 950,000 si l’Est du Canada continuait à exporter vers les Etats sous forme de produits finis une proportion identique de son pétrole brut importé).
J’ai déjà évoqué cependant la possibilité d’agir sur la demande au moins pour éviter les gaspillages. Il est également possible que la hausse spectaculaire des coûts freine la consommation du pétrole. Enfin, le gaz amené de l’Ouest vers le Québec permettra de modifier sensiblement la demande de pétrole.
Bien qu’il soit difficile d’évaluer exactement l’effet de ces divers facteurs, il serait étonnant que cet effet dépasse les deux ou trois cent mille barils par jour sachant que le principal facteur, celui de la substitution du gaz au pétrole, sera au mieux de l’ordre des 100,000 barils par jour correspondant aux achats les plus élevés possibles dans l’Ouest. De sorte que la demande probable de l’Est s’établira à près de 1.5 million de barils par jour en 1985, abstraction faite de l’exportation de produits finis vers les Etats-Unis.
Tout compte fait, si l’Est devait s’alimenter exclusivement au pétrole de l’Ouest, nous serions en 1985 non seulement dans une situation identique à celle que nous connaissons aujourd’hui mais dans une situation plus grave encore.
Dans ce contexte l’autosuffisance canadienne, c’est-à-dire en somme l’approvisionnement de l’Est, ne semble donc pas réalisable à partir de l’Ouest.
Nouvelles sources dans l’Est et l’Arctique
Le deviendra-t-elle si l’on tient compte des possibilités d’une production pétrolière à partir du golfe St-Laurent, du plateau continental et de l’Arctique?
De ce côté, les perspectives sont nettement positives, mais à une condition sine qua non: à la condition que l’on investisse dans l’exploration des sommes considérables probablement du même ordre que celles requises à l’exploitation des sables bitumineux dans l’Ouest et qui seront de l’ordre de 8 à 10 milliards de dollars comme nous l’avons souligné.
Si nous consentons à un tel effort d’investissement dans l’Est et dans l’Arctique, il n’est pas exclu, il y a même des chances raisonnables que de nouvelles sources de pétrole dans ces régions commencent à produire de façon significative à partir de 1985.
Produiront-elles des quantités suffisantes pour répondre à la totalité des besoins de l’Est?
Selon les prévisions les plus optimistes notamment celles de grandes compagnies pétrolières, et si les choses se passent dans ces territoires conformément à la statistique d’événements analogues ailleurs dans le monde, on peut espérer que vers 1985 l’Est pourra s’alimenter à ces nouvelles sources de façon significative, présumément au rythme d’environ 500 mille barils par jour.
Par la suite on estime que la production de l’Est et de l’Arctique finira par rejoindre la demande au cours de la dernière décennie du siècle.
Conclusion: dépendance des sources extérieures
En somme les conclusions suivantes se dégagent de l’analyse que nous venons de faire.
Le développement des sables bitumineux dans l’Ouest suffira à peine à répondre aux besoins de l’Ouest et de l’Ontario; ce n’est donc point sur cette source d’approvisionnement que l’Est doit compter dans l’avenir.
L’espoir d’approvisionner l’Est du pays à des sources canadiennes repose entièrement sur les découvertes escomptées dans l’Arctique et dans l’Est. L’équilibre entre les besoins de l’Est et la production de ces nouvelles sources ne sera atteint au mieux que dans une
quinzaine d’années. L’Est est donc condamné dans l’intervalle à recourir de façon massive aux importations.
Durant toute cette période nous demeurerons confrontés au choix qui caractérise la situation présente: ou bien nous réalisons l’autosuffisance canadienne et il nous faut alors stopper les exportations aux Etats-Unis pour amener le pétrole dans l’Est dans les plus brefs délais; ou bien, pour diverses raisons, il ne nous apparaît pas justifié ou souhaitable de réduire trop radicalement les exportations vers les Etats-Unis et nous devons alors continuer à importer des quantités d’autant plus considérables de pétrole que nous maintiendrons à un palier élevé nos exportations.
Dans ces conditions, il faut manifestement nuancer la réponse à la question que j’ai posée au départ: peut-on subvenir aux besoins de l’ensemble canadien à même les ressources canadiennes? Si l’on veut être réaliste, nous ne saurions parler d’autosuffisance absolue dans l’immédiat. Il faudrait plutôt parler d’autosuffisance relative au moins pour une période de 15 ou 20 ans.
Sécurité des approvisionnements
Autosuffisance et sécurité des approvisionnements ne sont cependant pas synonymes.
Même si les sources énergétiques canadiennes, notamment en ce qui concerne le pétrole, ne permettent pas d’assurer cette forme de sécurité des approvisionnements que procurerait l’autosuffisance, admettant qu’elle soit effectivement réalisable au moins plus parfaitement qu’à l’heure actuelle, il faut aussi analyser comment le choix des fournisseurs de pétrole importé et le type de relations à établir avec eux pourraient contribuer à une sécurité réelle des approvisionnements.
Les événements des derniers mois nous ont montré que certains producteurs peuvent devenir, pour les raisons que nous savons, des sources moins sûres d’approvisionnement qu’ils ne l’étaient à certaines époques. Les facteurs qui ont joué contre la sécurité de nos approvisionnements sur le marché international durant l’automne ne sont pas les seuls imaginables. D’autres pays peuvent être affectés par d’autres facteurs avec le même résultat quant à nous.
Aussi nous faudra-t-il procéder à une analyse très sérieuse des conditions dans lesquelles nous pourrions avoir le plus de chance d’améliorer notre sécurité d’approvisionnement sur le marché mondial, puisque nous sommes condamnés de toute façon à y recourir.
Ces conditions sont multiples et variées.
La première réside sans doute dans le fait même de maintenir la diversification de nos sources d’approvisionnement et de continuer à traiter avec plusieurs pays producteurs plutôt que de nous en remettre à un seul, ou même à deux ou trois.
Une seconde condition pourrait toucher la façon dont nous établirons nos échanges et nos relations permanentes avec les pays producteurs, non seulement au stade initial du processus d’importation, mais aussi aux stades ultérieurs. Les pays dont nous dépendons pour assurer notre approvisionnement dépendent aussi en partie de nous-mêmes, ne l’oublions pas, quant aux avantages découlant de notre propre clientèle pour les fins de leur développement. Aussi n’est-il pas utopique d’espérer que des aménagements appropriés dans nos relations institutionnelles avec eux soient un facteur déterminant pour la sécurité de nos approvisionnements.
Même si nous sommes d’accord pour concentrer des efforts considérables sur la réalisation d’une autosuffisance dont nous avons marqué les limites, j’ai la conviction que nous commettrions une erreur majeure en négligeant le recours à des sources extérieures susceptibles de contribuer efficacement à la sécurité réelle de nos approvisionnements; au moins pour une quinzaine d’années.
Telles sont les réflexions forcément d’ordre général qui se dégagent, me semble-t-il, de la première question à se poser au sujet d’une politique canadienne de l’énergie visant à répondre d’une façon équitable aux besoins de l’ensemble de la collectivité canadienne.
B – La parité des prix
Une seconde question majeure se pose dans la perspective du principe que j’ai formulé au départ : quelles que soeint les sources auxquelles le Canada doive s’alimenter pour répondre à ses besoins, qu’elles soient canadiennes ou étrangères, est-il réaliste de formuler la règle que les consommateurs canadiens soient placés dans des conditions sensiblement identiques pour se procurer l’énergie dont ils ont besoin? Est-il réaliste de viser à la parité des prix pour les consommateurs canadiens en matière d’énergie?
J’ai déjà dit pour l’essentiel sur quels motifs s’appuie une telle règle. Je ne reviendrai donc pas sur cet aspect de la question. Je voudrais plutôt m’en tenir à quelques-unes de ses implications majeures.
De telles implications s’analysent difficilement si l’on considère la totalité des formes d’énergie. Nous pourrons mieux cerner les problèmes en prenant le pétrole comme objet d’analyse, ce choix se justifiant manifestement par l’importance de cette forme d’énergie qui représente à elle seule 46% de la consommation énergétique canadienne en 1969 et 71% de la consommation québécoise en 1972.
Trois variables doivent être prises en compte, il me semble, pour répondre à la question posée: le prix du pétrole importé, le prix à l’exportation du pétrole canadien et le prix du pétrole canadien à l’intérieur de nos frontières.
Le prix du-pétrole importé
Pour ce qui est du pétrole importé, nous connaissons tous l’évolution dramatique qui s’est produite au cours des derniers mois: un baril de pétrole coûtait en moyenne $3.10 à Montréal en 1972; il coûte $10.60 en janvier 1974.
Comment les choses évolueront-elles dans l’avenir immédiat et à long terme? Toutes les hypothèses à la hausse apparaissent plausibles à la lumière des événements récents. Le moins qu’on puisse dire, et là-dessus tous les analystes de la situation semble d’accord, c’est qu’il est extrêmement improbable que le prix mondial du pétrole s’établisse à un niveau plus bas que le niveau déjà atteint. Dans certains milieux, et la chose semble plausible, on prétend que le prix du pétrole importé en Amérique s’établira éventuellement sur la base du coût d’exploitation des schistes bitumineux aux Etats-Unis, c’est-à-dire à un niveau au moins égal au prix actuel du pétrole mondial.
Le prix du pétrole canadien exporté
Qu’en sera-t-il, dans un contexte de ce genre, du prix du pétrole canadien à l’exportation? Il est pour le moins raisonnable de supposer, et je crois même qu’il faudrait viser au résultat, que le prix du pétrole canadien à l’exportation s’établisse sensiblement au même palier que celui du pétrole importé, ce qui semble d’ailleurs correspondre à la tendance actuelle dans la fixation d’un prix pour le pétrole exporté aux Etats-Unis via la taxe à l’exportation.
Le prix du pétrole canadien au Canada
Prenant donc pour acquis une correspondance étroite entre les prix du pétrole à l’exportation et le prix à l’importation, il me semble que le principe suivant serait valable à court terme aussi bien qu’à long terme pour le prix du pétrole canadien au Canada: il devrait s’établir à un niveau tel que les consommateurs forcés de s’alimenter au marché mondial soient placés dans une situation de parité par rapport aux autres consommateurs canadiens qui bénéficient de la production canadienne.
A court terme, si l’on part du fait que le prix du pétrole canadien exporté aux Etats-Unis rejoint le prix mondial et par conséquent le prix à l’importation par le jeu de la taxe à l’exportation et que cette taxe sera vraisemblablement maintenue pour une certaine période de temps, cela signifie en pratique que les importateurs de l’Est devraient bénéficier d’une subvention suffisante pour réaliser la parité du prix pour l’ensemble des consommateurs canadiens.
Soulignons en passant que de telles subventions ne devraient pas poser de problèmes particuliers de financement compte tenu du fait que les volumes exportés sont sensiblement identiques aux volumes importés; ils leur seraient même sensiblement supérieurs si la subvention à l’importation n’affectait que le pétrole entièrement utilisé au Canada.
A long terme, peut-on faire l’hypothèse que le prix à l’importation du pétrole étranger, le prix à l’exportation du pétrole canadien et le prix du pétrole canadien à l’intérieur du Canada, seront à parité? Nonobstant les aléas qui caractérisent l’évolution des choses dans un domaine de ce genre, je serais porté à croire, étant donné le contexte canadien, que les choses se produiront de cette façon; de sorte que, à plus ou moins brève échéance, il ne sera plus nécessaire, comme à l’heure actuelle, de recourir simultanément à une taxe à l’exportation dans l’Ouest et à des subventions aux importations dans l’Est pour maintenir la parité des prix au Canada.
Dans certains milieux, on semble cependant souhaiter que, de façon permanente, le prix du pétrole canadien soit inférieur sur le marché domestique au prix mondial, de façon à créer par ce moyen une situation de concurrence favorable sur le marché international pour les entreprises canadiennes pour lesquelles le pétrole est un élément déterminant de leur coût de production, ce qui serait notamment le cas des entreprises pétrochimiques.
En d’autres milieux, on souligne, par contre, la nécessité de pourvoir à des investissements massifs pour le développement pétrolier au Canada et que l’on doit compter pour de tels investissements sur la contribution d’entreprises multinationales qui auraient peutêtre tendance à préférer d’autres endroits pour investir, si elles y trouvaient un avantage relatif important. Dans cette hypothèse, le poids du développement pourrait reposer, pour une part excessive, sur les sociétés d’Etat, elles-mêmes financées soit dans des conditions analogues à celles que les entreprises privées auraient présumément jugé insatisfaisantes, soit à même des contributions provenant de la taxation.
Conclusion
Telles sont les bases sur lesquelles il nous apparaît non seulement équitable mais réaliste d’établir les prix du pétrole au Canada de façon à établir la parité pour l’ensemble des consommateurs canadiens.

Les implications institutionnelles
Toutes les considérations précédentes n’ont porté que sur ce que j’appellerai les contenus d’une politique canadienne de l’énergie. Je n ai donc point tenu compte et de façon bien consciente d’un problème majeur pour l’avenir de notre pays, celui des implications que
l’élaboration et la mise en oeuvre d’une telle politique peuvent avoir sur les institutions politiques canadiennes. C’est cette troisième question fondamentale que je voudrais maintenant aborder.
Nécessité de solutions « canadiennes »
A ce sujet, je soulignerai en premier lieu que lorsque nous évoquons la possibilité d’une politique canadienne de l’énergie, nous reconnaissons que non seulement les problèmes à résoudre dans ce domaine affectent l’ensemble du Canada et tous les Canadiens, mais aussi et surtout qu’ils ne peuvent être résolus à l’échelle des régions qui composent le Canada, que ces régions coincident avec les frontières d’une province ou en comprennent plusieurs.
Cela tient à une donnée sur laquelle nous n’avons aucun contrôle et que la nature nous impose: la répartition même des ressources énergétiques à travers le territoire canadien qui ne coïncide manifestement pas avec la répartition des besoins.
Faut-il conclure de ce fait incontestable et reconnu qu’une politique canadienne de l’énergie incombe au gouvernement central et devrait être exclusivement ou même principalement son oeuvre?
Si l’on répondait affirmativement à cette question et s’il advenait que de façon directe ou indirecte le fédéral assume toutes les responsabilités dans l’élaboration et la mise en oeuvre d’une politique énergétique canadienne, nous sommes tous conscients du bouleversement qui serait ainsi introduit dans le jeu des institutions politiques canadiennes.
Partage des compétences
Aux termes de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, il est clair que les provinces détiennent la propriété des richesses naturelles et, par conséquent, des ressources énergétiques ainsi que la responsabilité de leur mise en valeur et de leur exploitation sur leur territoire. A ce sujet, j’oublie pour l’instant le fait qu’en vertu de son pouvoir déclaratoire, le fédéral s’est attribué la gestion de l’uranium. Malgré son importance pour l’avenir énergétique du Canada, j’espère qu’il ne s’agissait point là d’un précédent applicable à toutes les autres sources d’énergie à partir du moment où elles deviennent essentielles et que la Constitution canadienne n’est pas encore désuète en ce
qui concerne les droits des provinces sur leurs ressources.
Nécessité d’une action coordonnée
Quoi qu’il en soit, il est non moins clair que le Fédéral, pour sa part, détient la compétence en matière de commerce international et de commerce interprovincial.
Or toutes ces dimensions: la propriété et la mise en valeur des ressources énergétiques aussi bien que les échanges du Canada avec le monde extérieur et les échanges entre les régions du pays, doivent être prises en compte et mises en rapport les unes avec les autres si nous voulons aboutir à la cohérence nécessaire à une véritable politique canadienne de l’énergie.
A mon sens, ce ne seront ni l’action unilatérale du gouvernement fédéral, ni les actions dispersées des gouvernements provinciaux qui nous permettront d’atteindre les buts auxquels il faut viser. Ce ne peut être qu’une action concertée des deux ordres de gouvernements et de l’ensemble de nos gouvernements.
Suffira-t-il, pour que cette concertation s’effectue, de la consultation et des échanges de vues que des conférences fédérales-provinciales permettent de réaliser?
Je ne le crois pas.
Il nous faudra à mon sens dépasser le dialogue, si franchement ouvert soit-il, qui caractérise les rencontres de ce genre.
Mais de quelle manière, si nous voulons concilier à la fois les exigences d’une politique canadienne de l’énergie et le respect des compétences attribuées par la constitution à nos gouvernements respectifs?
Nous ne résoudrons évidemment pas un problème aussi complexe au cours de la présente conférence.
Il me semble toutefois que nous pourrions franchir une étape significative dans la voie des solutions espérées.
Modes de coordination
Dans cette perspective, une distinction s’impose entre les trois phases que comporte nécessairement, pour des gouvernements, toute politique en matière d’énergie comme en d’autres matières: la planification, la législation et la mise en oeuvre.
La phase planification
Pour ce qui est de la planification, est-il besoin d’insister sur on importance et sa nécessité? La façon dont nous avons procédé au cours des derniers mois pour faire face à la situation inédite dans laquelle nous avons été placés en est, il me semble, la démonstration. Derrière les actions qui ont été posées, peut-être, y avait-il un plan parfaitement articulé? Nous n’en avons rien su. A quoi bon cependant revenir sur le caractère apparemment improvisé de certaines actions posées? C’est l’avenir qu’il nous faut aménager de façon plus rationnelle.
Comment donc procéderons-nous alors à la planification des opérations extrêmement diversifées qu’une politique de l’énergie doit comporter?
Planification conjointe
Prenons pour acquis que la planification requise peut et doit être conjointe.
Quels en seraient les artisans?
Pour respecter le caractère conjoint de l’entreprise, le personnel nécessaire à l’élaboration du plan qui incernera en quelque sorte la politique canadienne de l’énergie devrait être fourni par tous les gouvernements désireux de participer à l’élaboration de ce plan.
Organisme intergouvernemental
Faudrait-il que ce personnel soit regroupé dans un organisme semblable à 1′ »Office de répartition des approvisionnements d’énergie » qui vient d’être institué par le bill C-236 et dont l’une des fonctions est précisément de procéder à une certaine planification?
Cet Office mis en place par une Loi du Parlement canadien est forcément un organisme exclusivement fédéral. On nous a toutefois laissé entendre que le fait de demander aux provinces de proposer la nomination d’un certain nombre de ses membres pourrait lui conférer un certain caractère intergouvernemental.
Une telle formule ne va pas assez loin, à mon sens, dans la bonne direction. Il me semble qu’avec un peu d’imagination, nous pourrions mettre au point une formule plus satisfaisante.
L' »Office de Planification des Programmes énergétiques » auquel nous pouvons songer, pourrait être plus formellement un organisme de caractère intergouvernemental du fait que son mandat en serait un de planification et non pas de mise en oeuvre.
L’élaboration d’un plan ne met pas en cause la répartition des compétences parce que celles-ci ne s’exercent effectivement qu’au stade de l’exécution du plan, dans la décision d’engager ou non les actions prévues par le plan.
Au surplus, je ne vois pas pourquoi les membres d’un organisme.intergouvernemental ne réussiraient pas à réaliser entre eux les consensus nécessaires, malgré la diversité de leurs provenances, si l’on prend pour acquis ce qui est une sorte de postulat en matière de planification, une approche fondée sur un effort de rationalité plutôt que sur la défense des intérêts régionaux.
En somme, il ne me semble pas plus utopique d’espérer que nous pourrions collectivement confier à un organisme véritablement intergouvernemental une fonction de planification dans le domaine de l’énergie, pour et au nom de nos gouvernements respectifs, que d’espérer aboutir un jour à une politique vraiment canadienne de l’énergie.
A condition, bien sûr, que l’échange et la circulation de l’information nécessaire, au moins quant aux données de la problématique, fassent l’objet d’un accord et d’une acceptation de la part de tous les gouvernements.
A condition également que les travaux de l’Office de Planification puissent se situer dans le prolongement des orientations générales qu’une conférence des ministres de 1’Energie pourrait être appelée à déterminer dans le cadre du Conseil canadien des ministres des Ressources.
A condition enfin que le plan mis au point au cours des deux ou trois prochaines années par l’Office puisse faire l’objet d’une délibération collective de la part de nos gouvernements respectifs.
Mécanismes traditionnels de concertation
Dans l’intervalle, durant les deux ou trois années que l’Office devra prendre pour élaborer le plan dont nous avons besoin, il faudra sans doute recourir aux seuls mécanismes qui soient à portée de notre action immédiate, celui de rencontres entre les fonctionnaires, d’une part, et entre les ministres, d’autre part, qui sont responsables du secteur de l’énergie.
L’analyse trop sommaire que je viens d’en faire montre cependant, il me semble, que les difficultés de concerter l’action de onze gouvernements dans un pays comme le nôtre et dans la situation constitutionnelle qui caractérise notre fédéralisme, ne paraissent pas insurmontables si l’on s’en tient, pour commencer, à la phase « planification » de l’ensemble du processus.
La phase « législation » et la phase « mise en oeuvre » soulèveront manifestement des problèmes plus difficiles à résoudre.
La phase « législation »
Pour des gouvernements, la phase « législation » est déjà le commencement de la phase « mise en oeuvre ».
Dans certaines circonstances, il peut même arriver que, de leurs points de vue, les deux phases coincident à toutes fins utiles, la mise en oeuvre se limitant à l’encadrement des actions concrètes effectuées par des instances non gouvernementales; en d’autres circonstances, il arrive aussi que l’intervention gouvernementale sous forme de législation consiste précisément à mettre en place des agents de mise en oeuvre, ce qui est le cas lorsque, pour la réalisation d’un programme donné, les gouvernements instituent des sociétés de la couronne.
Le plan et la cohérence des législations
En toute hypothèse, il y aura plus de chances que l’ensemble des actions de nos gouvernements respectent la cohérence postulée par une politique canadienne de
l’énergie, si ces actions présumément indépendantes les unes des autres par le jeu de la répartition des compétences constitutionnelles, sont posées à la suite d’un plan préalablement mis au point et tout au moins discuté, sinon convenu, qu’en l’absence d’un tel plan.
Autonomie législative
Dans cette perspective, à mon avis, il serait prématuré de nous imposer dès maintenant par un mécanisme formel la contrainte de concilier les législations qui relèvent de nos compétences propres en vertu de la constitution dans le domaine de l’énergie. J’ai confiance, pour ma part, qu’à la lumière du plan dont je parlais tantôt, et sans mettre en cause une revision du partage de nos compétences, nous réussirons à établir spontanément entre nos législations respectives une cohérence et une harmonie beaucoup plus aléatoire autrement.
A deux conditions cependant.
La première condition porte sur l’usage que nous ferons de nos mécanismes de consultation et de dialogue au palier ministériel de façon générale: il faudrait que le recours à ces mécanismes soit systématisé et devienne aussi régulier que possible.
La seconde porte sur la façon dont nous pourrions avoir, avant la mise au point du plan dont nous avons besoin, à poser des gestes commandés par des situations d’urgence: il faudrait, il me semble, nous imposer rigoureusement requis pour faire face aux imprévus de la conjoncture immédiate.
La phase « mise en oeuvre »
Les mêmes réflexions pourraient également s’appliquer à la phase « mise en oeuvre » d’une politique canadienne de l’énergie.
A cet égard, je voudrais toutefois ajouter quelques commentaires sur quelques points qui me paraissent particulièrement significatifs.
L’entreprise privée
Premièrement, nous postulons tous, j’imagine, que la mise en oeuvre d’une politique canadienne de l’énergie fera appel, et très largement, à la contribution de l’entreprise privée, que ce soit au titre des investissements dans l’exploration de nouvelles sources énergétiques, notamment dans le secteur du pétrole, ou que ce soit dans le domaine de la mise en marché des produits.
A cet égard, il faudrait de toute évidence, il me semble, que notre politique conjointe ne tarisse pas les sources de financement et d’efficacité que l’entreprise privée représente dans une économie de type libéral. Ce n’est pas cependant sur ce point que je voudrais insister pour l’instant, c’est plutôt sur le rôle que l’entreprise d’Etat est appelée à jouer dans la mise en oeuvre d’une politique canadienne de l’énergie.
L’entreprise d’Etat
Comment concevons-nous ce rôle? Quelles entreprises d’Etat doivent être appelées à l’exercer? Voilà autant de questions qu’il me paraît essentiel d’explorer entre nous avant que des gestes irrémédiables ne soient posés sinon quant à leurs intentions du moins quant à leurs modalités.
Effectivement, au cours des dernières années, plusieurs gouvernements au Canada se sont donnés des sociétés d’Etat, qui se sont inspirées d’une volonté d’intervention gouvernementale dans le secteur de l’énergie. Pour ce qui est du Québec, la nationalisation de l’énergie hydroélectrique complétée en 1963, la création de la Société québécoise d’Initiatives pétrolières (SOQUIP), se sont inscrites dans ce cadre général. D’autre gouvernements provinciaux ont agi dans le même sens et il en a été de même du gouvernement fédéral lorsqu’il a mis en place [l’Eldorado Mining, l’Atomic Energy of Canada Ltd et la Panarctic Oil Ltd] pour ne point parler de Polymer Co. ni de l’Office de répartition des Approvisionnements d’énergie ou de la Société nationale des Pétroles dont on nous a annoncé récemment la création prochaine.
A telle enseigne que nous nous trouvons déjà aujourd’hui devant un grand nombre de sociétés d’Etat susceptibles de permettre à plusieurs gouvernements dans notre pays de s’inscrire dans le processus de mise en oeuvre d’une politique canadienne de l’énergie.
Devant cette prolifération déjà observable ou à prévoir des interventions gouvernementales par le moyen de Sociétés d’Etat, il faut à mon sens se poser plusieurs questions. La première et la plus fondamentale porte sur le rôle respectif des sociétés d’Etat de caractère provincial et des sociétés analogues de caractère fédéral.
A ce sujet, nous serons tous d’accord, je pense pour reconnaître que, si les gouvernements jugent à propos d’intervenir par le moyen d’une société d’Etat ou par le moyen analogue d’une participation déterminante à une entreprise privée, ce n’est pas pour élaborer une réglementation ou simplement établir des normes de comportement pour des tiers, mais d’abord et exclusivement pour mettre en oeuvre des programmes et des projets bien concrets. Ces programmes et ces projets ont une caractéristique commune: ils visent à contribuer de façon significative à un développement qui ne se produirait peut-être pas autrement et dont le caractère essentiel justifie précisément l’intervention de 1’Etat. Ils ne visent pas simplement à administrer des entreprises qui naîtraient spontanément ou qui assureraient par le simple jeu des dynamismes de l’économie le développement visé.
Or, à qui incombe aux termes de la constitution qui régit notre fédéralisme, la responsabilité et la compétence de pourvoir au développement des richesses naturelles et par conséquent des ressources énergétiques? C’est incontestablement aux provinces, que ce soit par l’intermédiaire de l’entreprise privée ou de l’entreprise d’Etat si elles jugent à propos de recourir à cet instrument.
Priorité des interventions des sociétés à caractère provincial dans le territoire des provinces
Voilà pourquoi advenant que l’Etat intervienne de quelque manière dans ce développement, nous devons convenir, et j’insiste sur ce point qui me semble fondamental, que cette intervention devrait s’effectuer d’abord et en priorité par les sociétés gouvernementales mises en place par les provinces.
Quant à nous du Québec, c’est dans cette perspective que nous avons mis en place, il y a maintenant quatre ans, la Société québécoise d’Initiatives pétrolières. J’ai la conviction que c’est dans la même perspective que d’autres provinces ont agi dans ce sens ou souhaitent le faire.
Les sociétés à caractère fédéral
Cette priorité de l’Etat provincial dans le type d’interventions auxquelles je réfère n’exclut pas cependant que l’Etat central lui-même puisse également intervenir surtout dans un domaine comme celui de l’énergie.
Il se trouve, en effet, que des sources importantes d’énergie non encore développées sont localisées dans des territoires sous juridiction fédérale en dehors de ceux des provinces.
Aussi, il me semble aller de soi qu’une Société fédérale des pétroles, dont on nous a annoncé la création prochaine, devrait exclusivement jouer, dans les territoires fédéraux, un rôle analogue à celui des sociétés que les provinces ont déjà instituées ou souhaiteraient mettre en place pour leur territoire.
Coordination entre les deux types de sociétés d’Etat
Advenant qu’il apparaisse souhaitable de permettre à la société fédérale d’exercer certaines responsabilités à l’extérieur des territoires fédéraux, il faudrait s’interroger sur la façon d’éviter une concurrence inutile entre les diverses sociétés d’Etat relevant des deux ordres de gouvernement dans un même territoire. Dans cette perspective, il faudrait sûrement songer à donner à la Société nationale un caractère intergouvernemental réel en permettant aux sociétés provinciales d’en être des partenaires actifs, comme la chose a été évoquée dans un autre contexte, mais pour des raisons fondamentalement analogues, à l’occasion des rencontres entre les Premiers ministres des Provinces de l’Atlantique, lorsque ceux-ci ont cherché une solution aux problèmes des droits miniers sous-marins dans le Golfe St-Laurent et sur le plateau continental et à celui du partage des rôles dans l’exploration et le développement de cette région pétrolifère.
Ampleur du rôle des sociétés d’Etat
Une deuxième question doit être posée concernant les sociétés d’Etat, qu’elles soient fédérales ou provinciales: jusqu’où souhaitons-nous élargir par ce moyen le champ des interventions gouvernementales dans le domaine du pétrole?
Il appartient à chaque gouvernement de répondre à cette question pour les sociétés qu’il juge à propos d’instituer.
Quant à nous, c’est notre intention ferme de confier à la Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP) le mandat et les moyens nécessaires pour qu’elle puisse exercer un rôle de plus en plus important dans le secteur qui la concerne. Nous sommes bien conscients toutefois qu’un tel mandat et un tel rôle ne sauraient prendre une extension qui substituerait à toutes fins utiles l’intervention de l’Etat à celle des entreprises privées dans le développement des nouvelles sources de pétrole, dans la solution du problème de nos approvisionnements et dans le domaine de la distribution. Tout en visant à ce que SOQUIP joue plutôt un rôle de complément et de stimulant, nous tenons cependant à ce qu’elle s’inscrive à tous les stades du processus depuis l’exploration jusqu’à la distribution en passant par les stades intermédiaires et à ce qu’elle s’y inscrive de façon assez significative pour influer sur l’évolution des choses à titre de secteur témoin, notamment sur deux dimensions majeures de la problématique que j’ai exposée précédemment: la sécurité des approvisionnements et la transparence des prix.
Les implications financières
J’en viens maintenant à un autre ordre d’implications non moins important que les précédents puisqu’il met en cause non seulement le problème du financement des actions requises pour le développement de nos ressources énergétiques ou de nos approvisionnements à des fins canadiennes, mais aussi, aux dires de certains, tout l’équilibre laborieusement acquis et encore imparfait du financement de la Fédération.
Envergure des investissements requis
Le financement du développement de nos ressources énergétiques nécessitera, au cours des années à venir, la mobilisation de ressources financières considérables.
Que ce soit au titre de l’exploitation des sables bitumineux ou au titre de l’exploration de nouvelles ressources dans l’Est ou dans l’Arctique, comme je l’ai déjà évoqué; que ce soit au titre d’autres opérations prévues par la stratégie analysée dans l’ouvrage sur la « Politique canadienne de l’énergie » qui se rapproche le plus à mon sens des besoins réels du Canada, au total c’est à des investissements de plus de $60 milliards qu’il faudrait songer.
Une telle mobilisation de ressources risque évidemment de modifier profondément les priorités actuelles tant du secteur public que du secteur privé. Il s’agit là d’un programme d’une telle envergure qu’il serait pour le moins téméraire de nous y engager sans l’étude approfondie et conjointe que le groupe intergouvernemental de planification dont j’ai précédemment suggéré la création rendrait possible dans des conditions les plus satisfaisantes pour nos gouvernements respectifs.
La situation actuelle nous impose cependant de poser des gestes à très court terme. Effectivement certains de ces gestes ont déjà été posés. Je pense, en particulier, à la taxe à l’exportation du pétrole de l’Ouest vers les Etats-Unis, au gel des prix du pétrole canadien sur le marché domestique auquel n’a cependant pas correspondu une mesure comparable pour le pétrole importé.
Ces gestes dont je ne voudrais pas mettre en cause le bien-fondé dans le contexte de l’époque ont peut-être contribué dans une mesure difficilement évaluable à atténuer les conséquences de la crise pour certaines parties du pays.
Accentuation du déséquilibre entre les provinces et les provinces pauvres
Il n’en demeure pas moins cependant que pour l’ensemble du Canada les événements qui se sont produits dans le domaine du pétrole auront eu pour effet d’accentuer le déséquilibre entre les provinces riches et les provinces pauvres. Paradoxalement les provinces qui subissent les contre-coups de la crise actuelle sont surtout celles qui doivent recourir aux paiements de péréquation pour financer leurs programmes réguliers de dépenses. La hausse actuelle du prix du pétrole ajoutera aux coûts que ces gouvernements devront supporter tant pour leurs frais d’opération que pour leurs programmes d’assistance sociale.
Bien plus, les difficultés économiques qui résulteront de cette crise se manifesteront surtout dans l’Est du pays et augmenteront encore plus les disparités entre ces régions et celles de l’Ouest.
Maintien du système de péréquation
Il serait donc pour le moins contradictoire de songer à remettre en question un mécanisme aussi fondamental au financement de la Fédération canadienne que celui de la péréquation, alors que ce mécanisme lui-même devrait être utilisé pour corriger, au moins partiellement, les séquelles de la crise actuelle.
La situation devant laquelle nous nous trouvons actuellement ne justifie donc aucunement une modification au principe même de la péréquation des revenus gouvernementaux, pas plus qu’un recul vis-à-vis les améliorations qui ont été péniblement acquises depuis son instauration en 1957. Le fait que l’imposition d’une taxe à l’exportation de produits pétroliers et que l’établissement d’un prix national supérieur au prix domestique antérieur résultent en une augmentation marquée des droits et taxes sur le pétrole, n’est pas une raison valable pour que soit modifiée la formule de péréquation s’appliquant à
ces sources de revenu. Encore moins valable serait une reformulation en profondeur du mécanisme de péréquation qui aurait pour conséquence de retarder, sinon de remettre en cause, le partage équitable des richesses du pays.
La formule de péréquation n’est effectivement pas seule en cause dans la conjoncture créée par les incidences financières de la question du pétrole. Du point de vue des gouvernements, c’est dans une certaine mesure presque tout le registre des interventions fiscales qui est impliqué. La gamme des actions fiscales qui peuvent avoir pour effet de réaliser les objectifs auxquels nous pourrions viser est très étendue et soulève des problèmes particulièrement complexes que nos ministres des Finances auront à considérer a l’occasion de leur conférence qui suivra immédiatement la nôtre.
Tous les pays industriels multiplient les contacts et les rencontres pour faire face à la situation créée par des événements qui ont bouleversé les données traditionnelles du problème de l’approvisionnement en ressources énergétiques.
A l’échelle du Canada, nous sommes, nous aussi, réunis pour tenter d’esquisser une nouvelle politique énergétique canadienne qui, à court terme comme sur une plus longue période, permettra aux Canadiens de toutes les régions du pays de disposer de ressources énergétiques correspondant à leurs besoins et, est-il nécessaire de l’ajouter, à un prix raisonnable et équitable pour tous.
L’importance de la question énergétique n’échappe à personne. Pour la collectivité, c’est son développement économique et social qui est mis en cause. Pour l’individu, c’est l’accroissement du niveau et de la qualité de vie qui en dépend.
Le gouvernement du Québec s’est préparé avec le plus grand soin à cette conférence et il entend ne ménager aucun effort pour que nous puissions, ensemble, trouver des réponses satisfaisantes aux difficultés que nous connaissons présentement en matière de ressources énergétiques.

[QBRSS19741019]

[ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA
Grand Théâtre Le samedi 19 octobre 1974]

Vous me permettrez quelques mots pour expliquer la signification de cette soirée. Comme n’importe quelle organisation, un parti politique a besoin de ressources financières s’il veut mener à bien le rôle qu’il veut remplir dans la société.
Ce rôle des partis politiques, vous le savez, devient de plus en plus important afin d’assurer, au plus grand nombre possible de citoyens, une participation réelle et.efficace
à la vie politique québécoise.
En acceptant de participerr à cette soirée comme vous le faites, même si les circonstances étaient peut-être un peu plus difficiles que d’habitude, vous accomplissez votre devoir de citoyens responsables et éclairés car vous permettez à notre parti de défrayer le coût des secrétariats généraux du parti, des congrès régionaux et ducongrés annuel.
Le Parti libéral du Québec, il est bon de le répéter, à été le premier à adopter le principe du remboursement de certaines dépenses encourues au cours des campagnes électorales.
Et dans le cadre de la réforme que nous avons vouluu poursuivre en 1970, nous avons déjà plusieurs résultats, comme l’abolition des comtés protégés, là refonte de la carte électorale, l’établissement de la liste électorale permanente et nous entendons proposer prochainement aux membres de l’assemblée nationale. un nouveau système de financement des partis politiques, en dehors des périodes électorales, qui viendra appuyer les efforts des militants pour assurer, sur une base permanente, une action soutenue des partis.
La commission parlementaire de l’Assemblée nationale sera donc très. bientôt saisie des modalités de ce système de financement et elle pourra ainsi faire un pas de plus en vue d’améliorer la qualité de notre vie démocratique.
Encore une fois, c’est notre parti, le Parti libéral du Québec, qui l’artisan d’une réforme hautement significative sur le plan de la participation des citoyens à la vie politique du Québec.

Pour ce qui a trait aux autres secteurs d’activité, évidemment, ce n’est pas l’endroit pour mettre en relief toutes nos réalisations, mais il y a quand même des chiffres
qu’on peut dire et qui résument très brièvement notre réussite. En deux ans, 200,000 nouveaux emplois; 128,000 l’an dernier et 75,000 cette année, ce qui fait 100,000 en’moyenne. C’est un chiffre qui nous dit quelque chose, 100,000 nouveaux emplois par année. On a des résultats concrets qui démontrent que, lorsque nous avons proposé cet objectif à la population, nous étions capables de le réaliser.
Dans le domaine social, nous voulons poursuivre l’application. du programme du Parti libéral. Et avec toutes ces réformes que nous avons faites depuis quatre ans, nous voulons mettre l’accent sur l’humanisation entre les administrés et le gouvernement. C’est pourquoi, dans le cas des personnes âgées, notamment, il y a actuellement une tournée par Mme Bacon, pour faire connaître les politiques du gouvernement dans ce secteur.
Dans le domaine culturel, nous avons posé un geste historique. Le français est devenu la langue officielle du Québec. Nous avons, par la loi 22, établi clairement que le Québec français était une réalité que tous devaient reconnaître. Nous avons, par la suite, traduit,dans cinq grands secteurs d’activité, les modalités de ce principe du Québec, la langue officielle du Québec. Le débat autour de la question linguistique occupait l’avantscène de la vie politique québécoise depuis plusieurs années. Depuis combien d’années entendions-nous parler de la nécessité d’une politique linguistique? Et nous sommes le premier gouvernement dans l’histoire du Québec à décider, pleinement conscients de la complexité énorme de ce problème, et à avoir fait adopter une solution pour les Québécois. Plusieurs avenues étaient ouvertes; une seule nous a toutefois paru satisfaire aux exigences de l’intérêt du Québec et à celles de la justice et de l’équité pour tous. C’est celle que l’on retrouve dans la loi 22, c’est-à-dire une expression très claire et très ferme du caractère français du Québec et des aménagements réalistes au niveau des modalités, de façon à assurer d’une part, la prééminence du français et, d’autre part, le respect des droits individuels de la minorité et les conditions économiques et sociales dans lesquelles s’inscrit le Québec, aujourd’hui, au sein du Canada et sur le continent nord-américain.
Depuis l’adoption de la loi 22, j’ai pu, comme chef du gouvernement, recueillir un très grand nombre de réactions. Il y a eu, il faut bien le comprendre, un sentiment d’inquiétude au sein de la minorité anglophone. La loi 22 n’est toutefois pas dirigée contre eux. Elle se veut tout simplement un instrument de valorisation du français dans une société dont plus de 80% de la population est de langue et de culture françaises.
Dans le monde économique, on a eu une attitude d’attente en vue de mesurer, en termes concrets, les conséquences de la loi. Mais chaque jour qui passe me convainc davantage de la disponibilité de ces milieux pour traduire dans le monde du travail, le caractère français du Québec et respecter ainsi la personnalité culturelle des travailleurs québécois.
En effet, depuis la loi 22, il y a eu 240 demandes d’implantation du français dans les entreprises québécoises et ceci implique de 170,000 à 200,000 travailleurs. Ce sont des résultats concrets. C’est ainsi qu’au moment où nous nous apprêtons à mettre en place les
structures prévues pour la mise en oeuvre de la loi 22, nous acquérons la certitude de pouvoir atteindre les objectifs fixés .
Il y a bien sûr, ceux-là qui, pour des intérêts partisans et mesquins, se livrent à une action démagogique. On l’a vu, les séparatistes trouvent très difficile d’admettre que
c’est le Parti libéral du Québec qui fasse du français la langue officielle du Québec.
Ils étaient tantôt quelques milliers à manifester, sur une population de 6 millions, dirigés par un quarteron de politicailleurs. Il y avait même des dirigeants de la FTQ, comme si elle n’avait pas assez de problèmes, la FTQ, ces jours-ci. Cet échec lamentable, malgré des efforts d’organisation admis par les organisateurs eux-mêmes, des centaines et des centaines de personnes qui, dans certains cas, ont essayé,dans des écoles ou des CEGEP, par toutes sortes de moyens, d’inciter les enfants à participer à cette manifestation.
Durant plusieurs semaines, ils ont fait ces efforts; on a vu l’échec lamentable de cette réunion. C’est la preuve de la luciditée des Québécois. Parce que les Québécois, dans leur immense majorité, n’acceptent pas que la rancoeur partisane tienne lieu de politique.
Nous, du Parti libéral, avons en effet un mandat de servir les intérêts des Québécois et ce mandat, nous le détenons des citoyens du Québec qui ont exercé leur droit démocratique au cours des dernières élections.
Mes chers amis, en conclusion, je voudrais souligner le travail exceptionnel des organisateurs de cette soirée. Je veux remercier chaleureusement.le président du parti et
ses collaborateurs et particulièrement M. Henri Dutil, pour la réussite de cette soirée.
On sait ce que cela représente d’efforts de la part d’Henri Dutil et de ses collaborateurs.

[QBRSS19750420]
[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, M. ROBERT BOURASSA, CHEF DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC, AU DINER-BENEFICE DU P.L.Q.
TENU EN L’HOTEL REINE-ELIZABETH DE MONTREAL LE 20 AVRIL 1975.

Monsieur le Président, Mes chers Collègues, Mes chers Amis,
Je veux m’associer d’abord aucparoles du président du Parti, M. Claude Desrosiers, pour manifester toute notre reconnaissance en votre nom pour ce grand succès du dîner-bénéfice, un autre grand succès, près de 7000 billets ont été vendus, et féliciter M. Jean Morissette et son équipe pour le travail inlassable réalisé.
Nous avons ce midi des milliers et des milliers de libéraux de toutes les régions, comme nous en avons rencontré depuis quelques semaines et quelques mois dans toute la province, que ce soit à Magog, à Nicolet, à Louiseville, à Sherbrooke, à Trois-Rivières, à Amos, partout, nous avons rencontré cette foule de libéraux, cette foule de citoyens du Québec de tous les groupes. Nous avons été à même de constater un appui nombreux et solide dans tous les groupes.
[I am very pleased indeed to welcome all our English-speaking militants who are here in a great number again. I want to thank them ‘For their support.]

Comme on le signalait tantôt, mes chers amis, à quelques jours près il y a cinq ans nous prenions le pouvoir. Rappelons-nous durant quelques instants ce moment. A cette époque l’Union Nationale, au mois de mars 1970, déclenchait les élections. Selon les observateurs, l’Union Nationale partait gagnante. Mais un mois de campagne électorale a renversé complètement la situation, et on sait que nous avons remporté les deux tiers
des sièges, l’une des plus grandes victoires du Parti libéral à ce moment-là.
En 1973, dans un contexte différent, après un mois de campagne électorale, alors qu’avant de déclencher les élections il pouvait y avoir une certaine inquiétude à cause d’une autre campagne de salissage qui s’était faite sur les libéraux, après un mois de campagne électorale nous remportions la plus grande victoire électorale de l’histoire du Québec.

Lorsque nous communiquons directement avec la population, lorsque nous avons la possibilité et tout le temps, comme cela se présente durant une campagne électorale, de lui expliquer notre action, les implications, les contraintes, le résultat est toujours positif quand notre bilan sur le plan économique, financier, social et culturel est l’un des plus productifs…
Pourtant, les conditions d’exercice du pouvoir ne sont pas toujours des plus faciles. Quelques mois après la prise du pouvoir en 1970 on a eu à faire face en même temps à la crise d’octobre, à une grève générale des médecins et aux effets d’une récession nord-américaine. En même temps nous avions à faire face à ces trois événements. Nous avons démontré à la population que nous étions capables de relever ces défis. La direction de l’Etat québécois exige que l’on soit bien conscient de notre réalité historique. Nous avons ce problème culturel particulier: une population de quelques millions de francophones, moins d’un quarantième de la population nord-américaine, où il nous faut concilier des intérêts qui souvent vont en direction opposée, alors qu’il faut bien admettre qu’il y a un déclin des francophones dans la proportion canadienne. II est donc normal que le seul gouvernement francophone en Amérique du Nord voit à ce que les principaux centres de décision en matière de culture reviennent à l’Etat québécois.

Par ailleurs, sur le plan économique, nous avons tout avantage à collaborer étroitement avec le régime fédéral qui nous vaut des bénéfices économiques irremplaçables.
A ce problème culturel particulier qui est le nôtre, il faut ajouter cette crise de civilisation que connaît actuellement l’Occident dans la recherche d’une nouvelle échelle des valeurs. Au Québec, il faut ajouter en plus de cela une mutation accélérée de notre société, l’une des plus rapides dans l’histoire du monde. Dans un tel contexte, il est normal que les gouvernants fassent preuve de lucidité, de vigilance et de détermination. Cette vigilance est d’autant plus justifiée que parmi d’autres facteurs plus immédiats s’ajoutent une inflation de 12%, une menace de récession au Québec puisqu’il est normal que nous soyons affectés temporairement, étant donné que les Etats-Unis connaissent la pire récession depuis la guerre et que nous y exportons presque la moitié de ce que nous produisons sur le plan manufacturier.

A tous ces facteurs il faut ajouter les événements du Watergate qui ont engendré dans nos sociétés occidentales un climat de suspicion, de dénonciations et d’accusations gratuites. Cependant, c’est parce que les obstacles à surmonter sont de loin moindres que les forces vives du Québec, que nous avons pu faire autant avancer la société québécoise en ce qui a trait à sa prospérité, à sa justice sociale et à sa culture.
Nous avons un peuple courageux, lucide, efficace, avec des ressources naturelles presque illimitées. Nous avons tout pour réussir au Québec et le Parti libéral y travaille sans relâche et avec acharnement depuis qu’il a pris le pouvoir.

En 1970 notre parti a été élu en mettant l’accent sur l’économie. Quels sont les résultats de notre action? Brièvement, car je ne peux pas commenter les 500 lois que nous avons adoptées depuis que nous sommes au pouvoir, mais quelques résultats de cette action et de ces engagements que nous avons pris.

En 1970, il y avait 60,000 Québécois qui quittaient le Québec chaque année. Il y en a trois fois moins maintenant et nous poursuivons nos efforts pour garder tous les travailleurs québécois sur notre territoire.
[My dear friends, we said five years ago that we would insist to create the greatest number of jobs. What are the results now? If we take the four completed years of our mandate, we see that there is an average of 75,000 new jobs which are created in Québec. This is one of the greatest achievements in the economic history of Québec. Those are concrete results b y the Liberal party and for the Quebecers.]
Depuis cinq ans, le produit national brut a augmenté plus rapidement au Québec qu’au Canada, 11.6% par rapport à 10.8%. L’an dernier notre produit national brut en termes réels a augmenté plus rapidement que celui du Canada, et pourtant le Canada a été l’un des pays où le PNB a augmenté le plus rapidement au monde. Voici d’autres résultats concrets, car on ne peut pas prouver de façon plus claire et plus certaine que par des chiffres comme ceux-là la portée de notre action.
En cinq ans les immobilisations manufacturières au Québec par rapport aux immobilisations du Canada sont passées de 19.3% à 27.7% , ce qui est supérieur à la proportion de notre population. Ces immobilisations ont augmenté entre 1970 et 1974 et c’est là où il est intéressant de comparer, entre 1966 et 1970 elles n’avaient non seulement pas augmenté, mais elles avaient baissé de 2.4% en moyenne par année. Entre 1966 et 1970 il y avait un taux d’augmentation annuelle en moyenne de 16.3% des chômeurs québécois; nous avons réduit cela à moins de 1% en 1970 et en 1974, malgré une poussée exceptionnelle de la main-d’oeuvre.

Dans le domaine des finances publiques auxquelles j’ai toujours accordé une attention spéciale puisque j’ai commencé ma carrière politique comme critique financier, de 1970 à 1975, non seulement nous n’avons pas augmenté les impôts durant six budgets consécutifs, mais nous avons réduit les impôts de quelque $ 800 millions, y compris les mesures qui ont été annoncées jeudi soir dans un budget que même nos adversaires politiques ont été obligés de constater et d’accepter comme excellent, budget annoncé par le ministre des Finances M. Garneau, sans compter les nombreuses mesures en faveur de tous les groupes de la société, y compris les agriculteurs.

C’est d’autant plus éclatant comme résultat lorsque l’on constate que de 1960 à 1970 il y a eu des augmentations d’impôts presque tous les ans. Il faut dire qu’à ce moment-là le conseiller économique du gouvernement était l’auteur du budget de l’An 1, M. Jacques Parizeau.
Si nous examinons également,sur le plan financier, les emprunts budgétaires, nous voyons que le dernier budget de l’Union Nationale prévoyait un déficit de $ 237 millions. On a plus que doublé le budget cette année et le déficit budgétaire, ou montant à emprunter, est de $ 225 millions, un montant inférieur à celui auquel nous avions à faire face lorsque nous avons pris le pouvoir. On est passé de $ 3 milliards à $ 7 milliards,et on a tout de même réduit le déficit.

La dette à long terme par tête est sensiblement inférieure à celle des autres provinces.

Enfin, il y a un demi-million de contribuables québécois qui par suite des mesures fiscales que nous avons prises n’ont plus à payer d’impôt provincial sur le revenu.
Qui dit mieux, dans l’administration financière et fiscale du Québec et dans sa gestion économique!

Nous pourrions continuer longtemps afin de démontrer que nous avons contribué d’une façon sans précédent à la force économique du Québec sans laquelle aucun autre progrès n’est possible. Tout cela a été le résultat d’un travail d’équipe, une équipe extraordinaire tant au niveau des ministres que des députés et des militants. Aussi, parce que nous avons accompli cette tâche dans un système dans lequel nous croyons fermement: le fédéralisme.

Nous avions parlé en 1970 de fédéralisme rentable. On voit les résultats. L’an prochain $ 1,300,000,000 sous forme de paiements inconditionnels en péréquation. Dans le domaine du pétrole nous avons reçu $ 1 milliard depuis un an; même si nous n’avons pas de pétrole au Québec, pas de gaz, pas d’oléoduc, nous recevons du reste du Canada $ 1 milliard pour protéger nos consommateurs et nos industries. Ce sont là des résultats concrets! Seulement avec ces deux item-là vous avez $ 2 milliards. Dans son prochain budget, le budget de l’An 3, le Parti Québécois part avec un déficit de $ 2 milliards. Il va être encore obligé de taxer l’aide sociale, comme dans le dernier, pour pouvoir balancer!

Si on examine également les effets sur l’inflation,que voit-on? Nos adversaires séparatistes disent que le gouvernement ne combat pas l’inflation. En fait, l’an dernier nous avons ajouté aux dépenses du gouvernement des sommes considérables. Il est faux de déclarer que l’on se finance par l’inflation quand il faut ajouter un demi-milliard aux dépenses du gouvernement pour permettre aux Québécois de faire face à l’inflation avec l’indexation de toutes les allocations familiales, de toutes les prestations sociales, des salaires que nous donnons dans les secteurs public et parapublic. Ce sont des centaines et des centaines de millions que nous devons ajouter à nos dépenses à cause de l’inflation. Et, malgré cela, nous avons réduit les impôts de plus d’un demi-milliard de dollars.
Imaginez, si nous étions séparés, seulement en ce qui concerne la question du pétrole, il faudrait ajouter 4% à l’indice du coût de la vie. Ce n’est pas 11% d’augmentation qu’on aurait eu l’an dernier, c’est 15%, le taux le plus élevé en Amérique du Nord.

Le Québec a donc connu depuis les cinq dernières années, en bonne partie grâce à notre action,en collaboration avec les autres niveaux de gouvernement également, une croissance matérielle exceptionnelle. Mais le croissance matérielle n’est pas tout. C’est pourquoi nous avons adopté un nombre considérable de mesures visant à accroître le justice dans la société. De l’assurance-maladie aux garderies, des nombreuses réformes dans le domaine de la justice, des mesures pour la protection des consommateurs, la qualité de l’environnement, des loisirs pour tous les groupes de la société, loisirs que nous voulons regrouper dans une structure appropriée, toutes ces mesures font que nous avons l’un des régimes sociaux les plus généreux en Amérique du Nord.

Cette démocratie sociale, elle implique aussi la justice fiscale. On a vu qui était, dans les faits, le parti des travailleurs.
On a vu encore dans le budget présenté par M. Garneau jeudi dernier quel est le parti, dans les faits et pas seulement dans la rhétorique comme le fait le Parti Québécois, quel parti est le plus proche des travailleurs. Nous pouvons prouver chiffres en mains que le Parti Québécois propose des réductions d’impôts qui profitent d’abord aux contribuables les plus riches ou les plus fortunés.
Juste un exemple bien concret: au contribuable marié qui gagne $ 6,000 nous offrons nous une réduction de $ 229; à celui qui gagne $ 25,000 nous offrons à peu près le même montant, $ 250. Le Parti Québécois, lui, qui se dit plus à gauche que nous, à celui qui gagne $ 6,000, il n’offre pas une réduction d’impôt comme nous de $ 229, mais de $ 13 seulement, tandis qu’à celui qui gagne $ 25,000, il offre une réduction d’impôt de $ 278, soit 21 fois plus qu’au petit salarié ou travailleur qui est davantage frappé par l’inflation.
Voilà une preuve concrète qui illustre d’une façon on ne peut plus éloquente la philosophie sociale de notre gouvernement et qui démasque le Parti Québécois comme le parti des petits bourgeois.
Il est normal en effet que nous aidions davantage le petit salarié. C’est lui qui est surtout frappé par l’inflation puisqu’il doit affecter une partie importante de son revenu aux dépenses alimentaires, qui sont le principale cause de l’inflation.
Pour la même raison nous avons considérablement augmenté le salaire minimum . Depuis quatre ans le salaire minimum a augmenté au Québec de 79.3%. Si on avait suivi la politique des partis d’opposition il n’aurait augmenté que de 28%, c’est-à-dire l’augmentation du coût de la vie. C’est avec des résultats comme ceux-là que nous avons obtenu aux dernières élections près de 95% des sièges.
Il n’est pas étonnant non plus qu’avec de tels résultats dans le domaine social, économique et financier nos adversaires politiques prennent tous les moyens pour nous combattre. On ne recule devant aucune manoeuvre pour tenter de nous diminuer ou de nous salir. On préfère souvent au débat des vrais problèmes des Québécois les attaques personnelles. On constate déjà que nos adversaires ont lamentablement échoué.

D’ailleurs, en ce qui a trait à la qualité de notre gestion, on prend les mesures les plus efficaces, des enquêtes publiques, qui sont refusées par d’autres gouvernements. Nous connaissons les risques de ces enquêtes publiques puisque que ceux qui sont visés peuvent se venger du gouvernement en obtenant facilement les Manchettes de certains médias par des affirmations gratuites.
Nous avons adopté des règlements sur les conflits d’intérêts, qui sont les plus sévères de tout le Canada. L’Opposition officielle cite la Colombie-britannique comme exemple alors que la Colombie-britannique va beaucoup moins loin que nous quant aux règlements sur les conflits d’intérêts. Non seulement nous, nous avons la divulgation, mais nous avons l’interdiction de faire affaire avec le gouvernement. Il s’agit simplement qu’un ministre ou un proche des ministres possède une seule action dans une entreprise privée pour qu’il y ait une interdiction de faire affaire avec le gouvernement. Ce sont les règlements les plus sévères et les plus exigeants qui aient jamais été adoptés dans toute l’histoire du Canada.
Nous avons aboli les caisses électorales occultes. Fini le mythe des caisses électorales! On ne gagne pas une élection avec une grosse caisse électorale. La meilleure preuve en est qu’à la dernière élection l’Union nationale avait le plus grosse caisse. Elle s’est enterrée avec, tout en étant incapable de faire élire un seul député.

Des gestes concrets, des mesures très fermes, des sanctions si nécessaire, voilà notre façon de répondre. D’ailleurs,dès la prise du pouvoir nous avions accru considérablement les pouvoirs du Conseil du Trésor en établissant un contrôle très rigoureux. Il ne faut tout de même pas oublier qu’il y a 1,600,000 personnes qui ont voté libéral. On ne peut pas exclure 1,600,000 personnes de celles qui voudraient faire affaire avec le gouvernement. Il ne faut quand même pas sombrer dans le ridicule. Et surtout, il faut se fier au bon sens des Québécois.

L’important,c’est le respect des normes par tous. Or, on a été incapable, après cinq ans d’administration, de démontrer un seul cas où le gouvernement n’avait pas toutes les justifications,sur le plan de la gestion, sur le plan des économies de coûts. Cela fait donc cinq ans que l’on est incapable d’indiquer un seul cas où le gouvernement aurait fait preuve d’un favoritisme injustifié.
Il n’est donc pas étonnant que sur le plan économique, social et financier, sur le plan de la gestion administrative, on est incapable de nous attaquer sérieusement. Faute d’arguments, on essaie de nous porter des coups bas.
Dans le domaine culturel le gouvernement a assumé ses responsabilités avec la Loi 22. J’ai eu et j’aurai l’occasion, auu cours de congrès régionaux, de dialoguer et de discuter avec la population du Québec sur cette question comme sur d’autres. Quand la Loi 22 est expliquée, elle est comprise et acceptée.
[We had a very good experience in Toronto last week. There was an explanation of Bill 22. Why, what were the reasons why we have decided to adopt that law. It is obvious that in a rational discussion it can be understood very quickly. When we see our situation now, when we see the declining proportion of French Canadians within Canada, when we see the growth of communications, when we see that we have now a very low birth rate, when we see that we are a small people of a few million on the North American continent where there are more than 200 million people, it is logical, it is justified and it is normal for the leader of the government and for that government, which is the only French-speaking government in North America, it is totally justified to take some action to protect the cultural security of that people. We did that with Bill 22.
When we have a rational discussion, like the one we had in Toronto last week, this leads obviously to a better understanding of the bill.]

Nous avons posé avec la loi 22 un geste historique, un geste qui fait du Québec un Etat officiellement français. C’était nécessaire de le faire. Nous étions conscients qu’en étant le premier gouvernement depuis plus d’un siècle à adopter une loi linguistique comme celle-là, nous étions conscients qu’inévitablement il pourrait y avoir certaines tensions. Nous avons pu quand même faire adopter cette loi, l’expliquer, et nous allons continuer de l’expliquer afin que tous les groupes de la société québécoise puissent comprendre la justification de notre action.

Il n’est pas facile de légiférer dans le domaine linguistique. Nous aurions pu attendre des années et des années, nous aurions pu nous défiler devant ce défi. Je crois qu’un gouvernement qui reçoit de la population un mandat sans précédent comme celui que nous avons eu doit faire preuve de courage et nous avons fait preuve de courage.
Dans l’optique de la souveraineté culturelle, c’était une étape fondamentale. Il nous faut poursuivre cet objectif dans le domaine des communications et dans le domaine de l’immigration. Si dans ces deux domaines le Québec obtient des pouvoirs additionnels ou des garanties constitutionnelles qui lui donnent la pleine sécurité pour le développement de sa culture, le fédéralisme aux yeux des Québécois sera renforcé.

Cet aspect, parmi d’autres, est particulièrement important dans la question du rapatriement de la Constitution. Les Québécois ne sont pas opposés en principe au rapatriement de la Constitution au Canada. Cependant, comme nous avons une situation culturelle tout à fait particulière, surtout avec l’évolution dont je parlais tantôt, il est normal que nous exigions des garanties constitutionnelles pour la protection de notre culture. Nous avons actuellement à Ottawa un groupe francophone très fort qui contribue avec toutes les régions du Canada et avec le Québec en particulier à promouvoir la culture française. Nous n’avons pas de garantie que dans 10, 15 ou 20 ans, alors que notre proportion décline au sein du Canada, nous aurons encore une représentation francophone aussi forte que celle que nous avons depuis que M. Pearson a pris le pouvoir il y a une dizaine d’années, avec près d’un tiers des ministres qui sont francophones.

Nous n’avons pas de garantie qu’en 1980 ou 1985 nous aurons la même proportion de ministres francophones. Il est donc normal dans le domaine culturel que nous travaillions à la protection de notre culture avec des garanties constitutionnelles. Sur le plan économique il est aussi normal que nous collaborions étroitement avec le reste du Canada.

Cette souveraineté culturelle dans un fédéralisme économique, c’est là l’option du Parti libéral et c’est là le seul choix lorsque l’on veut concilier les différents objectifs du Québec. Cette force du Parti libéral s’explique par la valeur de notre politique, la qualité de notre action et notre détermination à répondre aux besoins des Québécois. Ce n’est certes pas le cas des partis d’opposition.

Est-ce qu’on n’a pas eu la meilleure preuve mercredi dernier de la faiblesse de l’Opposition lorsque le Parti Québécois a présenté son budget de l’An 2. Ils sont incorrigibles! Ils proposent des réductions d’impôt comme je vous le mentionnais tantôt qui favorisent les plus fortunés. Pire que cela, ils font des erreurs grossières de calcul: là où cela coûte $ 100 millions, ils estiment que cela coûtera $ 50 millions, comme dans le cas de l’impôt foncier scolaire. On dirait qu’à chaque occasion les dirigeants du Parti Québécois veulent absolument montrer qu’ils ne savent pas compter.

Après l’échec de M. Parizeau et de M. Lévesque avec le budget de l’An 1, après l’échec de Jacques-Yvan Morin avec le budget de l’An 2, ils vont probablement demander pour le budget de l’An 3 à Yves Michaud de faire ce budget, à cause de ses succès dans l’administration du journal Le Jour!

Comment prendre au sérieux cette équipe qui est non seulement irréaliste- on l’a vu proposer la séparation économique du Québec alors qu’en Europe on s’oriente vers un régime fédéral – non seulement elle est irréaliste, mais elle ne se gêne pas à l’occasion pour faire preuve d’hypocrisie. Souvenez-vous de la question du salaire des députés. Il ne s’agissait que de faire du rattrapage puisqu’il y avait une hausse du coût de la vie de25% depuis la dernière augmentation. L’augmentation ne visait donc qu’à rattraper cette perte du pouvoir d’achat. Le Parti Québécois a fait un débat marathon pour empêcher l’adoption de cette loi. Mais au moment d’encaisser les chèques il n’y avait plus de débat marathon: il y avait plutôt un marathon pour courir encaisser les chèques chez le trésorier.

Ainsi, au moment d’encaisser les chèques, ce parti hypocrite trouve que ça devient défendable l’augmentation du salaire des députés, comme l’a dit son chef, M. Lévesque.

Même attitude hyporrite en ce qui a trait à la question linguistique. On critique le Loi 22 et on propose un contre-projet sensiblement similaire. Même attitude hypocrite dans le cas du pétrole où on condamne la position du gouvernement du Québec, pour dire un an plus tard que le fédéralisme est rentable sur ce point. Même attitude hypocrite sur le document de la CEQ qui utilise les enfants pour propager la haine sociale. Dites-le, M. René Lévesque, si vous êtes oui ou non d’accord avec la CEQ qui incite les enfants à la haine et qui stimule la lutte des classes.

Nous sommes contre, nous du Parti libéral.

Même attitude hypocrite lorsque le PQ utilise les services publics à des fins partisanes comme l’a démontré le député de Saint-Jean, M. J acques Veilleux; on fait des détournements de fonds publics dans des organismes financés par l’Etat. Mais il se trompe s’il croit que la population ne voit pas son jeu.

Il y a les autres partis, mais dans leur cas, je crois qu’il y a plus de partis que de députés. Vous avez le Parti réformateur, le Parti Créditiste, le Parti présidentiel, trois partis pour deux députés.

Dans le cas de M. Bellemare, vous avez le Parti conservateur et le Parti de l’Union nationale. Deux partis pour un député. C’est difficile de prendre au sérieux une telle opposition. Peut-on penser que ces gens peuvent assumer les lourdes responsabilités de diriger le Québec.

Car le Québec a tellement d’avenir. Plus proche de nous, il a des projets comme les Jeux Olympiques, la Baie James qui suscitent l’admiration des autres provinces. Le dynamisme de notre économie, le potentiel exceptionnel de nos richesses naturelles, l’originalité de notre culture, le rythme de notre évolution sociale, voilà des motifs de fierté pour les Québécois. Voilà des motifs de fierté pour les militants car depuis cinq ans nous avons respecté nos engagements. Nous avons consolidé le régime fédéral au point même où le Parti Québécoistete de camoufler son action séparatiste.

Nous avons relancé l’économie. Nous avons au Québec une croissance plus forte que celle du Canada, qui est l’un des pays où la croissance est la plus vigoureuse au monde. Nous avons assaini les finances publiques: non seulement avons-nous réduit les impôts de $ 800 millions, mais nous avons également réduit la dette par tête en dollars constants. Nous avons rétabli la paix sociale. Rappelons-nous la violence politique des années 1960. Enfin, nous avons posé un geste historique pour la sécurité culturelle des Québécois francophones.
C’était là les problèmes majeurs des années 1970. Tout le monde peut constater que nous avons respecté ces engagements. C’est pourquoi la population du Québec fait tellement confiance à l’équipe libérale. Il nous faut maintenant préparer les années 1980 en mettant l’accent sur la qualité de la vie.

Nous appartenons à l’une des cultures les plus prestigieuses du monde. Nous avons en outre l’avantage de participer au dynamisme nord-américain, la plus forte économie du monde. Nous avons toutes les raisons d’être optimistes parce que nous sommes une société privilégiée. Continuons, mes chers amis, de travailler ensemble et le Québec est appelé à un avenir extraordinaire.

[QBRSS19750822]
[ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE ET CHEF DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC A LA CLOTURE DU COLLOQUE TENU AU MONT GABRIEL LES 22, 23 ET 24 AOUT 1975. (Thème du colloque: LES ANNEES ’80)]

Monsieur le Président du Parti, Messieurs les invités, Mes chers amis,
Je veux d’abord m’associer à Mme Taylor qui a fait un travail exceptionnel. Elle s’est oubliée dans l’énumération des grands responsables de ce succès du colloque et je veux la féliciter en mon nom et au nom de tous ceux qui ont participé et qui ont été présents à ce colloque. Je veux m’associer à elle pour remercier les panélistes, les organisateurs ainsi que ceux qui se sont occupé également de l’organisation technique.

L’opportunité d’un tel colloque était apparue évidente. Elle a été confirmée par la qualité des discussions, qui permet un élargissement du débat public à des questions qui ne sont pas toujours d’actualité immédiate, mais qui sont vécues quotidiennement, que ce soit par les travailleurs, les chefs d’entreprises ou les parents. Ces moments de réflexion sur l’avenir de la société québécoise sont nécessaires à plusieurs titres. En effet l’entrée soudaine et précipitée dans le monde moderne de la société québécoise a coincidé avec l’une des périodes les plus spectaculaires de transformation et de changement dans les valeurs du monde occidental. On vous en a parlé ce matin. A telle enseigne que certains peuvent avoir des difficultés à distinguer dans le changement survenu, ce qu’il y a d’authentique et de proprement québécois de ce que nous partageons avec les autres sociétés occidentales. Aussi est-il important de fournir une juste interprétation de l’évolution du Québec au cours des dernières années. D’autant plus d’ailleurs que nous disposons de moins en moins de points d’ancrage solides face au changement.
Ce fut la construction d’un Etat moderne, l’Etat du Québec, l’expression est de l’époque, l’apprentissage d’une liberté nouvelle pour nos penseurs, nos intellectuels, nos artistes, la réforme de l’éducation, en somme une poussée exceptionnelle, une cadence rapide qui cependant allait très tôt connaître ses premières difficultés devant la réticence des uns de suivre le rythme du changement et devant l’impatience des autres de voir les choses ne pas aller plus vite. Comme on l’a souligné hier, une société doit se bâtir avec le concours des hommes et des femmes qui la composent. On ne peut la bâtir à leur place, encore moins malgré eux.
Lorsque les transformations rejoignirent directement les individus et les familles, quand les premières espérances tardèrent à se concrétiser, quand les premiers signes de violence et de désordre social apparurent, le mouvement fut ralenti, surtout que la situation économique devenait plus difficile et que l’avenir des milliers de jeunes que nous instruisions apparaissait de plus en plus incertain, alors que pour la première fois de l’histoire était posée en termes clairs et précis la question de l’avenir du Québec au sein de la fédération canadienne.
Le dilemme devant lequel nous nous trouvions alors était essentiellement le suivant: les ambitions légitimes de modernisation qu’il fallait réconcilier avec celles non moins légitimes de la très grande majorité des Québécois qui voulaient se retrouver dans les changements opérés. Voilà une solution qu’il fallait apporter également à leurs problèmes quotidiens. Une chose nous est apparue certaine: le Québec n’avait d’avenir véritable qu’au sein de la fédération canadienne. En second lieu, la construction du Québec moderne était d’abord une question de croissance et de développement économique. En troisième lieu, l’avenir culturel des Québécois francophones devait être assuré en respectant toutefois les droits fondamentaux de tous les citoyens.
C’est sur ces bases que nous avons cru possible de reprendre les choses en mains et de poursuivre l’effort initial de modernisation du Québec. La confiance que les Québécois nous ont accordée depuis témoigne de la justesse de nos vues. Nous avons pu ainsi permettre au Québec de réaliser d’incontestables progrès. La gestion financière et administrative de l’Etat a été améliorée. Les programmes de justice sociale ont connu un développement sans précédent. Des mesures courageuses de promotion culturelle des Québécois ont été prises, et conformément à notre engagement majeur, la prospérité du Québec et des Québéco is a été accrue.

Je n’insisterai pas évidemment sur le bilan économique de ces premières années. Plusieurs données pourraient être fournies pour démontrer la remontée économique du Québec depuis cinq ans. Nous pouvons nous contenter d’une seule donnée qui traduit ce progrès en termes concrets pour le citoyen québécois. En effet le taux de croissance moyen du revenu personnel par habitant au Québec depuis 1970 s’est accru de 12.8% alors qu’il n’était au Canada que de 11.8% en moyenne, et ceci y compris l’augmentation du Québec, c’est-à-dire qu’en pratique l’écart est encore plus favorable au Québec.
Donc, la croissance du revenu personnel depuis 1970 a été de quelque 9% supérieure au Québec qu’au Canada. Et pourtant, on sait que depuis cinq ans le Canada a été l’un des pays du monde occidental et du monde entier où la croissance économique réelle a été la plus élevée. Le Québec ayant une croissance nettement supérieure à celle du Canada, personne de sérieux ne peut nier la façon exceptionnelle dont nous avons relevé le défi économique que nous nous étions imposé à la prise du pouvoir, et ceci malgré les obstacles que vous connaissez.

Ceci est encore davantage mis en relief si l’on ajoute que durant les années 1960 1970, contrairement à ce qui existe depuis que nous sommes au pouvoir, la croissance au Québec a été quelque peu inférieure à celle du Canada.

Le Parti libéral n’insiste donc pas en vain sur la croissance économique. Pour lui ce n’est évidemment pas une fin en soi. Nous avons eu des débats très intéressants en fin de semaine sur ces questions de croissance économique et de croissance de la consommation depuis quelques années dans le monde occidental. Nous au Québec nous croyons qu’il nous faut poursuivre la croissance économique, tout simplement afin d’accentuer encore davantage le progrès social.

La social-démocratie ne se bâtit pas dans la rareté. En outre, la croissance économique nous donne la liberté de choisir. Elle permet également de réduire les inégalités en favorisant une répartition de la richesse plus favorable aux moins nantis. La croissance économique doit également s’associer à la lutte contre la pollution. Concrètement pour le Québec, ceci veut dire d’abord viser à développer des sources d’énergie propres dont le meilleur exemple est l’hydraulique. En effet, nous ne proposons pas, comme certains le font curieusement au Québec, de combattre la pollution par la construction de centrales nucléaires!
Pour quelques années encore, probablement jusqu’au terme des années 1980, nous pouvons compter largement sur de nouvelles ressources hydrauliques. A cet égard on connaît le projet de la Baie James. On devrait même le connaître davantage, a dit ce matin M. Kahn. J’espère que mes amis journalistes ont retenu le message de cet éminent futurologue.

Il faut donc nous préparer à l’utilisation optimale des ressources. A cette fin nous avons discuté à plusieurs reprises d’une telle nécessité, notamment dans le domaine énergétique à la Conférence des Premiers ministres de l’Est du pays et des Gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre à Saint Andrews il y a quelques mois. Nous avons l’intention de poursuivre prochainement à Québec ces discussions, visant un meilleur rendement pour tous de ces ressources énergétiques.
Dans le même but de préparer l’avenir, si les problèmes de création d’emplois, de salaires, de conditions de travail devront demeurer au centre de nos préoccupations, des questions comme celle de savoir si le travailleur trouve ou non dans son emploi un instrument de valorisation et de satisfaction personnelle prendront une signification nouvelle en regard des stricts impératifs de productivité, comme des exigences de la civilisation des loisirs
qui s’annonce.

En somme, il s’agira de donner une signification authentiquement humaine et personnelle à l’organisation et au développement de la société. J’ai la conviction que le Québec peut réussir ainsi à placer l’homme au centre de la réalisation de ses grands objectifs de développement. Il peut se donner comme ambition de faire de la politique un instrument d’équilibre et de dépassement individuel et collectif.

Par ailleurs, en regard de la volonté sans cesse réaffirmée des citoyens de chercher à vivre dans un univers qui leur soit naturel et familier et d’avoir sur place tous les services dont ils ont besoin, il apparaît nécessaire de reconnaître une importance accrue à la région dans notre politique économique. Il ne fait pas de doute dans mon esprit que nous devons en conséquence prendre les décisions qui s’imposent et qui devront traduire un très net parti pris en faveur de la vie régionale.
En termes concrets, cela veut dire renforcer l’infrastructure économique et sociale de la région, diffuser à l’échelle du territoire la richesse collective et miser sur une politique systématique de mise en oeuvre des richesses et des ressources locales. Ce parti pris en faveur de la région devra se réfléter au niveau de la concertation des politiques du gouvernement québécois et du gouvernement fédéral, dans l’élaboration de la politique fiscale et budgétaire de l’Etat et dans l’ensemble des décisions administratives des ministères, organismes et régies du gouvernement.

Le développement d’une vie régionale authentique est essentiel à la réalisation de tout objectif de personnalisation des rapports sociaux. C’est au niveau local et régional que l’homme trouve les éléments premiers de son équilibre personnel et de son identification à la collectivité. Enfin, pour que la société québécoise puisse orienter ses efforts vers la réalisation des aspirations profondes de l’individu, il faut qu’une solution soit apportée à la question de l’identité culturelle des Québécois.
S’il est une constante qui se dégage de notre passé collectif, c’est bien celle de la volonté de protéger et de développer des valeurs culturelles qui nous sont particulières au sein du Canada, C’est au gouvernement du Québec qu’incombe la responsabilité de mettre en oeuvre une politique culturelle et linguistique dynamique et conséquente avec notre avenir. S’il était question seulement de cela, c’est-à-dire de cet attachement des Québécois à leur langue et à leur cutture, et de cette olonté d’affirmer leur personnalité culturelle , il n’y aurait pas tellement lieu de craindre pour l’avenir. Il nous suffirait d’être simplement vigilants et de faire preuve de détermination et d’imagination. D’ailleurs nous avons su le faire dans le passé, comme en témoignent la création et la production artistiques et culturelles du Québec dont la valeur et l’originalité sont incontestables.

Le problème ne s’évalue pas à ce seul niveau. Si la problématique de notre affirmation culturelle est devenue plus exigeante, c’est que des facteurs purement objectifs sont venus modifier la situation historique de la langue et de la culture françaises au Québec et au Canada. Le développement des moyens de communication modernes, la situation de notre taux de natalité et la difficulté croissante d’intégration des immigrants comportent en eux-mêmes des risques évidents pour l’avenir de notre collectivité. Face
à cette situation nouvelle, la question qui se pose est de savoir si le Québec peut s’en remettre à d’autres pour décider de la façon dont nous devons faire face aux changements survenus et à ceux qui s’annoncent.

La bonne foi ou l’action des hommes en place au niveau du gouvernement fédéral n’est pas ici en cause, non plus que les mérites d’une éventuelle relève. Le problème n’est pas au niveau des hommes, il est au niveau des faits. Selon toute vraisemblance la population québécoise diminuera par rapport à celle du reste du Canada. Quand nous parlons de souveraineté culturelle du Québec, nous ne cherchons pas de garantie contre les personnes, nous cherchons à protéger pour l’avenir les droits d’un peuple.
Le rapatriement de la constitution canadienne et l’adoption d’une formule d’amendement à la constitution pourraient être l’occasion d’une telle reconnaissance des droits culturels des Québécois.

Evidemment, dans le domaine de la revision constitutionnelle, le Québec partage avec d’autres provinces un certain nombre d’objectifs visant à réaliser un meilleur équilibre entre le pouvoir fédéral et le pouvoir provincial. Nous avons eu d’ailleurs l’occasion d’en discuter il y a quelques jours à la Conférence des Premiers ministres provinciaux à Saint-Jean dans la province de Terre-Neuve.

Cependant, le gouvernement du Québec, pour des raisons évidentes, se doit d’exiger des garanties constitutionnelles très claires dans des secteurs naturellement liés à la sécurité culturelle parmi lesquels les communications et l’immigration ont une signification particulière. En tant que Chef du gouvernement du Québec, je suis convaincu que les Québécois n’accepteront le rapatriement de la constitution, objectif désirable en soi, que si cette constitution leur donne des garanties pour l’avenir de la culture française.

Il me semble en effet tout à fait normal que le Québec se voit reconnaître le pouvoir et les moyens de décider finalement des questions majeures qui concernent la protection et le développement de sa langue et de sa culture. Ainsi donc, au terme de ce colloque sur les années 1980, nous pouvons constater que l’amélioration des relations humaines au sein de notre société met en relief l’importance des questions de croissance économique et exige une adaptation constante de notre fédéralisme particulièrement au Québec en ce qui a trait aux droits culturels.
D’une façon générale on peut donc conclure ainsi: si,comme on l’a déjà dit, la politique doit devenir l’instrument par excellence de la gestion des besoins humains, un lieu de cohérence pour les conflits et un espace légitime pour les affrontements et pour les réconciliations, il faudra élargir encore davantage les voies de communication entre l’Etat et le citoyen. Les représentants élus de la population, les membres de la fonction publique, les groupes de pression et la presse verront ici leur rôle et leurs responsabilités accrus en regard de ces nouveaux impératifs de rapprochement du citoyen et de l’Etat.

Au terme de cette rencontre je propose donc au Parti libéral du Québec et particulièrement à sa commission politique de pousser plus avant cette réflexion sur le Québec des années 1980 et sur les moyens qui nous permettront d’opérer un réel changement du contenu de la politique pour en faire un instrument de valorisation et de dépassement individuel et collectif.

Le Parti libéral n’a jamais reculé devant aucun objectif, si difficile soit-il. C’est un parti qui a toujours su préparer l’avenir tout en ordonnant l’immédiat. Ce colloque en est encore une fois le témoignage et la preuve éloquente.

[QBRSS19750822]
[ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE ET CHEF DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC A LA CLOTURE DU COLLOQUE TENU AU MONT GABRIEL LES 22, 23 ET 24 AOUT 1975. (Thème du colloque: LES ANNEES ’80)]

Monsieur le Président du Parti, Messieurs les invités, Mes chers amis,
Je veux d’abord m’associer à Mme Taylor qui a fait un travail exceptionnel. Elle s’est oubliée dans l’énumération des grands responsables de ce succès du colloque et je veux la féliciter en mon nom et au nom de tous ceux qui ont participé et qui ont été présents à ce colloque. Je veux m’associer à elle pour remercier les panélistes, les organisateurs ainsi que ceux qui se sont occupé également de l’organisation technique.

L’opportunité d’un tel colloque était apparue évidente. Elle a été confirmée par la qualité des discussions, qui permet un élargissement du débat public à des questions qui ne sont pas toujours d’actualité immédiate, mais qui sont vécues quotidiennement, que ce soit par les travailleurs, les chefs d’entreprises ou les parents. Ces moments de réflexion sur l’avenir de la société québécoise sont nécessaires à plusieurs titres. En effet l’entrée soudaine et précipitée dans le monde moderne de la société québécoise a coincidé avec l’une des périodes les plus spectaculaires de transformation et de changement dans les valeurs du monde occidental. On vous en a parlé ce matin. A telle enseigne que certains peuvent avoir des difficultés à distinguer dans le changement survenu, ce qu’il y a d’authentique et de proprement québécois de ce que nous partageons avec les autres sociétés occidentales. Aussi est-il important de fournir une juste interprétation de l’évolution du Québec au cours des dernières années. D’autant plus d’ailleurs que nous disposons de moins en moins de points d’ancrage solides face au changement.
Ce fut la construction d’un Etat moderne, l’Etat du Québec, l’expression est de l’époque, l’apprentissage d’une liberté nouvelle pour nos penseurs, nos intellectuels, nos artistes, la réforme de l’éducation, en somme une poussée exceptionnelle, une cadence rapide qui cependant allait très tôt connaître ses premières difficultés devant la réticence des uns de suivre le rythme du changement et devant l’impatience des autres de voir les choses ne pas aller plus vite. Comme on l’a souligné hier, une société doit se bâtir avec le concours des hommes et des femmes qui la composent. On ne peut la bâtir à leur place, encore moins malgré eux.
Lorsque les transformations rejoignirent directement les individus et les familles, quand les premières espérances tardèrent à se concrétiser, quand les premiers signes de violence et de désordre social apparurent, le mouvement fut ralenti, surtout que la situation économique devenait plus difficile et que l’avenir des milliers de jeunes que nous instruisions apparaissait de plus en plus incertain, alors que pour la première fois de l’histoire était posée en termes clairs et précis la question de l’avenir du Québec au sein de la fédération canadienne.
Le dilemme devant lequel nous nous trouvions alors était essentiellement le suivant: les ambitions légitimes de modernisation qu’il fallait réconcilier avec celles non moins légitimes de la très grande majorité des Québécois qui voulaient se retrouver dans les changements opérés. Voilà une solution qu’il fallait apporter également à leurs problèmes quotidiens. Une chose nous est apparue certaine: le Québec n’avait d’avenir véritable qu’au sein de la fédération canadienne. En second lieu, la construction du Québec moderne était d’abord une question de croissance et de développement économique. En troisième lieu, l’avenir culturel des Québécois francophones devait être assuré en respectant toutefois les droits fondamentaux de tous les citoyens.
C’est sur ces bases que nous avons cru possible de reprendre les choses en mains et de poursuivre l’effort initial de modernisation du Québec. La confiance que les Québécois nous ont accordée depuis témoigne de la justesse de nos vues. Nous avons pu ainsi permettre au Québec de réaliser d’incontestables progrès. La gestion financière et administrative de l’Etat a été améliorée. Les programmes de justice sociale ont connu un développement sans précédent. Des mesures courageuses de promotion culturelle des Québécois ont été prises, et conformément à notre engagement majeur, la prospérité du Québec et des Québéco is a été accrue.

Je n’insisterai pas évidemment sur le bilan économique de ces premières années. Plusieurs données pourraient être fournies pour démontrer la remontée économique du Québec depuis cinq ans. Nous pouvons nous contenter d’une seule donnée qui traduit ce progrès en termes concrets pour le citoyen québécois. En effet le taux de croissance moyen du revenu personnel par habitant au Québec depuis 1970 s’est accru de 12.8% alors qu’il n’était au Canada que de 11.8% en moyenne, et ceci y compris l’augmentation du Québec, c’est-à-dire qu’en pratique l’écart est encore plus favorable au Québec.
Donc, la croissance du revenu personnel depuis 1970 a été de quelque 9% supérieure au Québec qu’au Canada. Et pourtant, on sait que depuis cinq ans le Canada a été l’un des pays du monde occidental et du monde entier où la croissance économique réelle a été la plus élevée. Le Québec ayant une croissance nettement supérieure à celle du Canada, personne de sérieux ne peut nier la façon exceptionnelle dont nous avons relevé le défi économique que nous nous étions imposé à la prise du pouvoir, et ceci malgré les obstacles que vous connaissez.

Ceci est encore davantage mis en relief si l’on ajoute que durant les années 1960 1970, contrairement à ce qui existe depuis que nous sommes au pouvoir, la croissance au Québec a été quelque peu inférieure à celle du Canada.

Le Parti libéral n’insiste donc pas en vain sur la croissance économique. Pour lui ce n’est évidemment pas une fin en soi. Nous avons eu des débats très intéressants en fin de semaine sur ces questions de croissance économique et de croissance de la consommation depuis quelques années dans le monde occidental. Nous au Québec nous croyons qu’il nous faut poursuivre la croissance économique, tout simplement afin d’accentuer encore davantage le progrès social.

La social-démocratie ne se bâtit pas dans la rareté. En outre, la croissance économique nous donne la liberté de choisir. Elle permet également de réduire les inégalités en favorisant une répartition de la richesse plus favorable aux moins nantis. La croissance économique doit également s’associer à la lutte contre la pollution. Concrètement pour le Québec, ceci veut dire d’abord viser à développer des sources d’énergie propres dont le meilleur exemple est l’hydraulique. En effet, nous ne proposons pas, comme certains le font curieusement au Québec, de combattre la pollution par la construction de centrales nucléaires!
Pour quelques années encore, probablement jusqu’au terme des années 1980, nous pouvons compter largement sur de nouvelles ressources hydrauliques. A cet égard on connaît le projet de la Baie James. On devrait même le connaître davantage, a dit ce matin M. Kahn. J’espère que mes amis journalistes ont retenu le message de cet éminent futurologue.

Il faut donc nous préparer à l’utilisation optimale des ressources. A cette fin nous avons discuté à plusieurs reprises d’une telle nécessité, notamment dans le domaine énergétique à la Conférence des Premiers ministres de l’Est du pays et des Gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre à Saint Andrews il y a quelques mois. Nous avons l’intention de poursuivre prochainement à Québec ces discussions, visant un meilleur rendement pour tous de ces ressources énergétiques.
Dans le même but de préparer l’avenir, si les problèmes de création d’emplois, de salaires, de conditions de travail devront demeurer au centre de nos préoccupations, des questions comme celle de savoir si le travailleur trouve ou non dans son emploi un instrument de valorisation et de satisfaction personnelle prendront une signification nouvelle en regard des stricts impératifs de productivité, comme des exigences de la civilisation des loisirs
qui s’annonce.

En somme, il s’agira de donner une signification authentiquement humaine et personnelle à l’organisation et au développement de la société. J’ai la conviction que le Québec peut réussir ainsi à placer l’homme au centre de la réalisation de ses grands objectifs de développement. Il peut se donner comme ambition de faire de la politique un instrument d’équilibre et de dépassement individuel et collectif.

Par ailleurs, en regard de la volonté sans cesse réaffirmée des citoyens de chercher à vivre dans un univers qui leur soit naturel et familier et d’avoir sur place tous les services dont ils ont besoin, il apparaît nécessaire de reconnaître une importance accrue à la région dans notre politique économique. Il ne fait pas de doute dans mon esprit que nous devons en conséquence prendre les décisions qui s’imposent et qui devront traduire un très net parti pris en faveur de la vie régionale.
En termes concrets, cela veut dire renforcer l’infrastructure économique et sociale de la région, diffuser à l’échelle du territoire la richesse collective et miser sur une politique systématique de mise en oeuvre des richesses et des ressources locales. Ce parti pris en faveur de la région devra se réfléter au niveau de la concertation des politiques du gouvernement québécois et du gouvernement fédéral, dans l’élaboration de la politique fiscale et budgétaire de l’Etat et dans l’ensemble des décisions administratives des ministères, organismes et régies du gouvernement.

Le développement d’une vie régionale authentique est essentiel à la réalisation de tout objectif de personnalisation des rapports sociaux. C’est au niveau local et régional que l’homme trouve les éléments premiers de son équilibre personnel et de son identification à la collectivité. Enfin, pour que la société québécoise puisse orienter ses efforts vers la réalisation des aspirations profondes de l’individu, il faut qu’une solution soit apportée à la question de l’identité culturelle des Québécois.
S’il est une constante qui se dégage de notre passé collectif, c’est bien celle de la volonté de protéger et de développer des valeurs culturelles qui nous sont particulières au sein du Canada, C’est au gouvernement du Québec qu’incombe la responsabilité de mettre en oeuvre une politique culturelle et linguistique dynamique et conséquente avec notre avenir. S’il était question seulement de cela, c’est-à-dire de cet attachement des Québécois à leur langue et à leur cutture, et de cette olonté d’affirmer leur personnalité culturelle , il n’y aurait pas tellement lieu de craindre pour l’avenir. Il nous suffirait d’être simplement vigilants et de faire preuve de détermination et d’imagination. D’ailleurs nous avons su le faire dans le passé, comme en témoignent la création et la production artistiques et culturelles du Québec dont la valeur et l’originalité sont incontestables.

Le problème ne s’évalue pas à ce seul niveau. Si la problématique de notre affirmation culturelle est devenue plus exigeante, c’est que des facteurs purement objectifs sont venus modifier la situation historique de la langue et de la culture françaises au Québec et au Canada. Le développement des moyens de communication modernes, la situation de notre taux de natalité et la difficulté croissante d’intégration des immigrants comportent en eux-mêmes des risques évidents pour l’avenir de notre collectivité. Face
à cette situation nouvelle, la question qui se pose est de savoir si le Québec peut s’en remettre à d’autres pour décider de la façon dont nous devons faire face aux changements survenus et à ceux qui s’annoncent.

La bonne foi ou l’action des hommes en place au niveau du gouvernement fédéral n’est pas ici en cause, non plus que les mérites d’une éventuelle relève. Le problème n’est pas au niveau des hommes, il est au niveau des faits. Selon toute vraisemblance la population québécoise diminuera par rapport à celle du reste du Canada. Quand nous parlons de souveraineté culturelle du Québec, nous ne cherchons pas de garantie contre les personnes, nous cherchons à protéger pour l’avenir les droits d’un peuple.
Le rapatriement de la constitution canadienne et l’adoption d’une formule d’amendement à la constitution pourraient être l’occasion d’une telle reconnaissance des droits culturels des Québécois.

Evidemment, dans le domaine de la revision constitutionnelle, le Québec partage avec d’autres provinces un certain nombre d’objectifs visant à réaliser un meilleur équilibre entre le pouvoir fédéral et le pouvoir provincial. Nous avons eu d’ailleurs l’occasion d’en discuter il y a quelques jours à la Conférence des Premiers ministres provinciaux à Saint-Jean dans la province de Terre-Neuve.

Cependant, le gouvernement du Québec, pour des raisons évidentes, se doit d’exiger des garanties constitutionnelles très claires dans des secteurs naturellement liés à la sécurité culturelle parmi lesquels les communications et l’immigration ont une signification particulière. En tant que Chef du gouvernement du Québec, je suis convaincu que les Québécois n’accepteront le rapatriement de la constitution, objectif désirable en soi, que si cette constitution leur donne des garanties pour l’avenir de la culture française.

Il me semble en effet tout à fait normal que le Québec se voit reconnaître le pouvoir et les moyens de décider finalement des questions majeures qui concernent la protection et le développement de sa langue et de sa culture. Ainsi donc, au terme de ce colloque sur les années 1980, nous pouvons constater que l’amélioration des relations humaines au sein de notre société met en relief l’importance des questions de croissance économique et exige une adaptation constante de notre fédéralisme particulièrement au Québec en ce qui a trait aux droits culturels.
D’une façon générale on peut donc conclure ainsi: si,comme on l’a déjà dit, la politique doit devenir l’instrument par excellence de la gestion des besoins humains, un lieu de cohérence pour les conflits et un espace légitime pour les affrontements et pour les réconciliations, il faudra élargir encore davantage les voies de communication entre l’Etat et le citoyen. Les représentants élus de la population, les membres de la fonction publique, les groupes de pression et la presse verront ici leur rôle et leurs responsabilités accrus en regard de ces nouveaux impératifs de rapprochement du citoyen et de l’Etat.

Au terme de cette rencontre je propose donc au Parti libéral du Québec et particulièrement à sa commission politique de pousser plus avant cette réflexion sur le Québec des années 1980 et sur les moyens qui nous permettront d’opérer un réel changement du contenu de la politique pour en faire un instrument de valorisation et de dépassement individuel et collectif.

Le Parti libéral n’a jamais reculé devant aucun objectif, si difficile soit-il. C’est un parti qui a toujours su préparer l’avenir tout en ordonnant l’immédiat. Ce colloque en est encore une fois le témoignage et la preuve éloquente.

[QBRSS19760530]
[ALLOCUTION DE M. ROBERT BOURASSA, PREMIER MINISTRE ET CHEF DU PARTI LIBERAL DU QUEBEC, A L’OCCASION DU DINER-BENEFICE DU P.L.Q. TENU AU REINE ELIZABETH A MONTREAL, LE DIMANCHE 30 MAI 1976. ]

Monsieur le Président,
Mes chers Collègues du Conseil des Ministres, Mes chers Collègues du Caucus, Mes chers amis,
[Dear Friends:]
Evidemment, au début de l’été, par une belle journée sensationnelle, s’enfermer dans un hôtel pour écouter un discours politique constitue certainement un témoignage exceptionnel de la vigueur du Parti libéral, et je vous en remercie.
Nous avons encore une fois cette année, en tenant compte de la rencontre de Québec, quelque sept mille billets qui ont été vendus, à savoir 5000 cette fois-ci et 2000 à Québec grâce au travail de Jean Morissette et de toute son équipe.
Mes chers amis, c’est un autre exemple de la volonté du gouvernement et du Parti libéral d’assurer un financement démocratique. Nous avons des milliers et des milliers de contributions de tous les milieux des centaines de jeunes sont ici aujourd’hui – toutes les régions, tous les groupes de la société sont représentés. Nous avons annoncé dans le discours inaugural l’abolition des caisses électorales occultes, un autre geste qui fait suite à combien d’autres gestes pour accroître le niveau de la moralité publique, sans compter le bénévolat exceptionnel que l’on rencontre dans le Parti libéral.
Tout ceci s’inscrit dans la volonté du gouvernement d’assainir au maximum et par tous les moyens possibles d’améliorer le niveau de la moralité publique et des pratiques administratives. On pourrait donner combien d’exemples des mesures que nous avons prises depuis quelques années au niveau du Conseil du trésor, au niveau des commissions parlementaires, au niveau de l’examen des crédits d’une façon plus détaillée, de manière à ce que la gouverne de l’Etat soit la plus ouverte possible.

Si l’on se replace à l’automne dernier pour examiner les problèmes qui existaient à ce moment-là et l’action du gouvernement depuis lors, on constate qu’il y a sept ou huit mois il y avait le problème de la lutte au crime organisé, la situation financière et économique, les Jeux olympiques, les relations de travail, les problèmes culturels. Il y a d’autre choses également que nous avons réglées, et qui n’ont peut-être pas soulevé tellement d’intérêt dans l’opinion publique – étant donné que cela a été réglé d’une façon relativement technique, mais qui étaient importantes: je pense notamment à l’entente avec les Indiens de l’automne dernier. Nous avons quand même réussi -à nous entendre sur cette question, en particulier avec la collaboration de M. John Ciaccia, et à créer au Canada un type d’entente qui, non seulement nous permet de poursuivre ce développement exceptionnel de la Baie James – développement combien avantageux pour les Québécois – mais constitue aussi pour toutes les autres régions du Canada un exemple.
Dans le cas du crime organisé, c’est un fait que dans tout le Canada et dans tout le Québec, jamais un gouvernement ne s’est attaqué d’une façon aussi concrète, aussi forte, aussi réelle, au crime organisé. Nous sommes tous en mesure de constater aujourd’hui les résultats remarquables des efforts du gouvernement.

Il y a certainement lieu de souligner l’efficacité de la Commission Dutil et des services de police qui l’appuient.
Pourquoi le gouvernement emploie-t-il de tels moyens pour combattre le crime organisé? C’est évident que c’est pour faire respecter la loi, ce qui est essentiel dans notre société, pour protéger la population qui peut être victime de ces gangs et de ces groupes. C’est aussi parce que l’action du crime organisé est beaucoup plus répandue que certaines personnes peuvent le penser. Nous l’avons constaté cette semaine lorsque nous avons vu, en preuve, la présence de réseaux de distribution de drogues dans les écoles du Québec.
L’action que nous menons au gouvernement à travers les commissions d’enquêtes que nous créons et que nous appuyons par tous les moyens donne donc des résultats très concrets. Nous pouvons le constater aujourd’hui, ce triple succès du gouvernement:
D’abord il y a eu la victoire à la Cour suprême du Canada confirmant les méthodes de nos commissions d’enquêtes et renforçant par le fait même l’équilibre de ces pouvoirs au sein du fédéralisme canadien.
On a aussi, et d’une façon spectaculaire comme on l’a constaté, démasqué les chefs présumés du monde interlope. Nous avons désorganisé leurs réseaux d’activités et obtenu des condamnations. C’est certainement l’un des grands succès de la justice pénale au Québec et cela n’a pas été facile d’obtenir tous ces résultats.
Enfin, depuis sept ou huit mois, avec l’arrivée en scène de Gérard D. Lévesque et de Fernand Lalonde, on a obtenu des résultats très concrets. on a alors vu dans quelle mesure nous nous sommes attaqués aux présumés chefs du monde interlope.
Une autre ligne de force de notre administration et qui concerne, encore là, tous les Québécois, c’est sa dimension financière.
La situation il y a six mois n’était pas tellement facile dans le contexte de l’inflation que nous connaissions ainsi que dans le contexte du ralentissement aux Etats-Unis, la pire des récessions économiques y existant depuis la guerre. Il fallait faire face à une telle situation.
[The problem of inflation six months ago was quite serious
in Canada. The rate of inflation was above 10% in the last preceding year. We had to do something and we did collaborate with the Federal Government. In our case, we came with Bill 64 which was adopted in November. Now we can realize the exceptional progress of this fight against inflation. We see, for instance, that now the rate of inflation – and this is profitable for all the workers of Québec and for all the categories of Québec taxpayers – is around 4% as compared to the last quarter of 1975, we can be quite satisfied with the work of all the governments in Canada. Let’s look at what is happening in other countries where in some cases they still have a rate of inflation of 10%, 15% and 20%.
You know that this is a serious threat for our democratic system, i.e. when you have a rate of inflation of that importance. This is
why it was essential for all governments of Canada to collaborate very closely. Now, we can realize what a great success we achieved when we were able to reduce the rate of inflation in a very substantial way.]

La situation financière des provinces et du Canada n’était pas des plus faciles. La majorité des provinces ont dû cette année augmenter leurs impôts. Or, elles n’avaient pas à faire face au déficit olympique.
Malgré cela, malgré une situation financière assez difficile, dans le dernier budget proposé par M. Garneau, nous avons apporté des allègements aux personnes âgées, parce qu’il y a toujours au sein du Parti libéral cette volonté permanente, constante, de réduire par tous les moyens possibles les inégalités sociales en tenant compte de nos contraintes nord-américaines. Nous voulons aider une catégorie de personnes qui en a particulièrement besoin, à savoir les personnes âgées.

Nous avons également apporté des mesures de relance économique, ainsi qu’une solution au financement des Jeux olympiques avec une taxe accrue sur les cigarettes, qui, quand même, place le niveau du prix des cigarettes à celui de leur prix dans les provinces voisines. Je vois que vous êtes d’accord parce qu’il y en a des milliers et des milliers aujourd’hui qui contribuent au financement du déficit des Jeux olympiques. Tous peuvent le constater. Même l’un de nos adversaires politiques, le Chef du Parti Québécois, est un contributeur enthousiaste au déficit des Jeux olympiques!
Le Parti Québécois s’est dit: Cette année on ne présentera pas de budget de l’An III. On a présenté un budget de l’An I, on a présenté un budget de l’An II, on a fait rire de nous. Pas de budget de l’An III cette année! Mais au moins on va contribuer au déficit des Jeux olympiques comme le fait le Chef du Parti Québécois.

Le seul élément du Budget de l’An III que l’on ait, c’est l’armée. Si j’insiste tellement sur le dépôt du budget, sur cette discussion budgétaire, c’est parce que le budget est quelque chose de fondamental dans l’expression des politiques d’un peuple ou d’un gouvernement. Le Parti Québécois l’avait compris en 1973. Il a soumis alors son budget. L’an dernier, il a soumis le budget de l’An II et, fait unique au Canada et au Québec, il proposait alors $ 500 millions de réductions de taxes. Il pensait que c’était impossible qu’on puisse le faire. On est arrivé avec $ 540 millions de réductions de taxes! Alors cette année, ils se sont dit: On ne va pas prendre de chance. Sauf sur un point. Ils ont dit : On va avoir une armée au Québec. $ 500 millions pour l’armée du Québec! Comme si la population allait être impressionnée par le général René Lévesque pour protéger nos institutions. Cela n’a aucun sens d’arriver avec des propositions aussi ridicules et c’est certainement la preuve que le Parti Québécois est complètement dépassé par les problèmes que peut poser l’avenir du Québec.
Certains, comme on le sait, ont signalé le fait que le gouvernement du Québec n’indexait pas l’impôt sur le revenu. Très brièvement, parce qu’il s’agit là d’une question technique, je tiens quand même à rétablir les faits sur cette question-là.
Il est vrai que le gouvernement du Québec n’indexe pas l’impôt sur le revenu, mais, par ailleurs, nous avons au Québec des allocations familiales provinciales qui n’existent pas dans les autres provinces. Nous n’imposons pas au Québec les allocations familiales fédérales. Cela non plus n’existe pas dans les autres provinces. Nous avons relevé en 1974 le niveau des exonérations, nous avons réduit l’impôt au titre du soutien du revenu de $ 336 millions en 1975 et de $ 348 millions en 1976. Cela veut dire que durant les années 1974, 75 et 76 il y a eu une réduction d’un milliard deux cent vingtsix millions pour les contribuables du Québec.
Ce sont là des faits concrets, et si l’on veut comparer le système fiscal qui existe au Québec, au Canada et à l’étranger, on doit tenir compte de tous ces avantages fiscaux,que l’on retrouve ici et que l’on n’obtient pas ailleurs. Ces avantages fiscaux coûtent au trésor québécois au-delà de $ 100 millions, c’est-à-dire que les Québécois, qui résident au Québec, profitent d’une somme de $ 100 millions de plus que s’ils résidaient dans les autres provinces, en tenant compte des mesures fiscales pour lesquelles il peut y avoir comparaison entre les autres provinces et le Québec.
Je tenais à répliquer sur ce point à nos adversaires politiques, car même s’ils ne sont pas toujours pris au sérieux, ils affirment souvent être d’accord avec le fait que le gouvernement a réduit les impôts de $ 500 millions l’an dernier, avec le fait que le gouvernement n’a pas augmenté la taxe de vente, qui est à 10% à Terre-Neuve,qui a été augmentée à 8% en Nouvelle-Ecosse, mais le gouvernement, disent-ils, n’indexe pas. Si nous n’indexons pas, c’est parce que cela favoriserait les plus riches. Je l’ai dit à plusieurs reprises. Mais nous prenons d’autres, mesures qui, dans leur ensemble, coûtent plus cher que l’indexation.

Une bonne administration financière, c’est essentiel pour le gouvernement et pour la population du Québec. Nous pouvons avec une bonne administration financière élargir les services. C’est le cas au Québec où nous avons constamment, chaque mois même, élargi les services qui sont accordés à la population.
Quant à la situation économique, elle se redresse rapidement. Le taux de création des nouveaux emplois se maintient au double de celui de l’an dernier. Nous avons l’immense avantage d’avoir des ressources naturelles qui sont à peine exploitées. Il y a là évidemment une condition fondamentalement avantageuse pour l’avenir de tous les Québécois.

Il y a aussi actuellement le problème des relations de travail. Le gouvernement y fait face comme il a fait face à d’autres problèmes difficiles dans le domaine économique, financier, comme il a fait face au problème du crime organisé. Nous avons apporté dans tous ces secteurs une action méthodique qui a donné des résultats concrets.

On pourrait mentionner l’exemple des Jeux olympiques. Il est maintenant évident que sans l’action du gouvernement il n’y aurait pas de Jeux olympiques le 17 juillet. Quand en novembre dernier le gouvernement est intervenu à la suite d’informations nouvelles – le 10 juillet 1975 on nous avait donné des assurances formelles, c’est écrit dans le Journal des Débats de ce moment-là, qu’il n’y avait pas de problème – quand ces assurances se sont révélées inexactes et que le gouvernement est intervenu aussitôt qu’il a eu des informations sur l’ampleur du déficit et sur les problèmes que posait le calendrier, la situation était grave!

On ne pouvait pas le dire d’une façon trop ouverte, à cause de l’impact international, mais la situation était très grave. Plusieurs autorités me disaient à ce moment-là; C’est impossible physiquement d’arriver à temps. Il faut songer à annuler les jeux. Je peux le dire aujourd’hui. D’ailleurs il y a quelques semaines un journaliste qui suit ce dossier de très près, M. Guy Pinard de la Presse, signalait dans un article les avis qui étaient donnés au Chef du gouvernement sur la quasi-impossibilité de réussir. Mais, malgré ces avis, j’ai pris la décision de tout faire pour sauver les Jeux olympiques.

Il paraissaît impensable pour l’honneur du Québec, avec toutes les conséquences économiques, sociales, psychologiques que cela comportait pour les Québécois, d’annuler les jeux. Quelle aurait été la réputation du Québec partout dans le monde s’il avait fallu renoncer aux Jeux olympiques! Quelle aurait été la réputation du Québec sur le plan économique chez ceux qui auraient pu être intéressés à venir investir au Québec? Quelle aurait été leur impression quand se serait fait sentir l’impact international de l’annulation, un impact qui aurait été énorme?

Nous avons pris tous les moyens avec l’équipe que nous avons formée, le Dr Goldbloom, Claude Rouleau, Roger Trudeau. Nous avons réussi à surmonter toutes les difficultés et à réaliser l’impossible. J’étais personnellement convaincu que les travailleurs du Québec étaient capables de relever ce défi. Ils l’ont en fait relevé, ce défi. Cela n’a pas été facile, niais en voyant le résultat de leur travail exceptionnel, on peut dire qu’ensemble on a réussi à relever l’un des défis les plus difficiles auxquels on a jamais eu à faire face dans notre administration, étant donné l’importance de l’enjeu.

Même sur le plan financier. Il y a quelques mois, vous vous souvenez que nous étions en discussion avec le gouvernement fédéral sur une contribution accrue de sa part. Nous en sommes venus à une entente. C’est ainsi que le ministre des Finances a annoncé dans son budget qu’il prévoit quelque $ 350 millions de l’extension de la Loterie olympique alors que notre demande était de $ 200 millions. Je pense bien que là aussi on peut parler d’un résultat très positif.

Cependant, le problème actuellement le plus urgent, le plus prioritaire, c’est celui des relations de travail; même si dans les autres secteurs on a pu surmonter les difficultés, l’inflation, sauver les Jeux olympiques, faire face à la situation financière, il reste le problème des relations de travail.

Si nous examinons l’ensemble de ce secteur, nous voyons d’abord que dans le secteur privé la situation est relativement acceptable actuellement au Québec. Quelques milliers de grévistes sur plus de deux millions de travailleurs. C’est évident que vous ne pouvez pas avoir une situation où il n’y aurait aucun gréviste; ne serait-ce qu’à cause des conventions collectives qui se renouvellent, il y a toujours quelques milliers de grévistes dans une situation normale.

Donc, en ce qui concerne le secteur privé, nous nous comparons avec toutes les régions du Canada et même de l’Amérique du Nord.

Dans les secteurs public et parapublic, il y a évidemment les syndicats à l’intérieur du Front commun et ceux qui se trouvent à l’extérieur de celui-ci. Nous avons réussi à signer avec la plupart des syndicats à l’extérieur du Front commun: près de cent mille travailleurs qui ont accepté les conditions du gouvernement.

Au sein du Front commun, si nous voulons circonscrire le problème, il y a la question de l’éducation et il y a celle des hôpitaux. Nous avons signé avec les fonctionnaires, nous avons signé avec les infirmières, nous avons signé avec les professeurs de l’Etat du Québec, nous avons signé avec des dizaines de syndicats qui ne font pas partie du Front commun.

Dans le secteur de l’éducation, on doit constater un rapprochement important à différents égards: il reste encore la question de la tâche, notamment au niveau secondaire, mais dans l’ensemble, on peut dire que l’objectif du gouvernement, qui était d’empêcher l’annulation des sessions, qui était de sauver l’année scolaire, même si elle a été très perturbée, que l’objectif du gouvernement donc a été atteint. Gestes administratifs, Loi 23, efforts au niveau de la négociation, tous ces éléments nous ont permis de sauver l’année scolaire des
étudiants. Il y a deux mois, il y avait des lock-out, il y avait des grèves, il y avait le danger dans plusieurs CEGEP de voir les étudiants perdre leur session. Malgré cela, nous avons réussi à éviter une telle situation, et j’espère qu’au cours des prochains jours on pourra en arriver à une entente.

On s’aperçoit d’ailleurs qu’une bonne partie des enseignants veut mettre fin au conflit: il n’y a en effet que 42% ou 43% d’entre eux qui se sont présentés pour voter à la demande des dirigeants syndicaux. C’est quand même un signe qu’une majorité d’enseignants souhaitent qu’on en arrive à une conclusion le plus rapidement possible.

La question des hôpitaux; priorité extrêmement importante pour le gouvernement. Je sais que cela inquiète une très bonne partie de la population. On connaît là-dessus les déclarations qui ont été faites, notamment celle de l’archevêque de Montréal, Mgr Grégoire, déclaration courageuse dans laquelle il signalait notamment qu’il n’y a pas de commune mesure entre les torts qui sont causés aux patients et aux malades, et les avantages qui sont en discussion.

Contrairement à 1972, nous n’avons pas eu de grève générale illimitée. Le gouvernement a fait adopter la Loi 253 sur les services essentiels. Malgré cela, des problèmes se sont posés et des injonctions ont été prises par le gouvernement. Des injonctions n’ont pas été respectées dans plusieurs cas, et une centaine de responsables syndicaux sont devant les tribunaux maintenant. Dans le système que nous avons, système démocratique qui suppose un pouvoir judiciaire, un pouvoir exécutif et un pouvoir législatif, il est
normal que ce soit les tribunaux, dans ces poursuites-là, qui décident, comme on le sait. C’est ce qui est arrivé il y a quatre ans.
Il est évident que les poursuites prises par le gouvernement étaient justifiées. Quand des injonctions ne sont pas respectées et qu’il est prouvé que la santé des malades est en cause, le gouvernement doit poser des gestes, et il l’a fait.

Quel est le contexte de cette négociation dans le secteur hospitalier? Qu’est-ce qui cause, indépendamment des facteurs extrinsèques, actuellement des tensions dans ce secteur. Du côte gouvernemental, il faut tenir compte de données concrètes, à savoir que l’on a par exemple au Québec 2.6 personnes par lit contre 2.2 en Ontario. Ils sont 20% plus riches que nous et, dans le secteur hospitalier, on consacre 5.2% du produit national brut contre 4.5% en Ontario.

C’est notre responsabilité de voir à ce que ces choses-là puissent être corrigées pour accroître la qualité des soins.

Cependant, le problème majeur, actuellement, c’est ce que l’on appelle la clause sur la mobilité du personnel. Quelle est-elle? C’est une clause qui a été accordée en 1966 alors que le gouvernement Daniel Johnson cédait aux pressions des syndicats. C’est une clause qui est irréaliste, qui est très coûteuse sur le plan financier et sur le plan de la qualité des soins. C’est notre responsabilité de donner aux Québécois une bonne gestion, des meilleurs soins, tout en tenant compte du contrôle des coûts.

La clause sur la mobilité: ce que nous voulons obtenir, c’est plus de souplesse dans son application. Quand des travailleurs deviennent inactifs, nous voulons qu’ils puissent travailler dans des secteurs très connexes. Pas dans des secteurs différents, mais dans des secteurs très connexes pour venir en aide aux patients. En vertu de cette clause de 1966, c’est une situation qui est pratiquement impossible. Est-ce qu’on peut blâmer le gouvernement d’essayer d’améliorer la qualité des soins, d’essayer de réduire des coûts ou de réduire un gaspillage inutile de ressources humaines? Tout cela a une incidence sur le climat hospitalier.

Sur ce plan comme sur le plan des offres salariales, les offres du gouvernement sont très raisonnables. Les offres du gouvernement dans le domaine hospitalier se comparent avantageusement et avec le secteur privé à l’intérieur du Québec et avec toutes les autres régions du Canada. D’ailleurs, la meilleure preuve en est qu’elles ont été acceptées par un très grand nombre de syndicats et par des dizaines et des dizaines de milliers de travailleurs.

On ne peut pas faire autrement. On va faire un effort intense de négociations au cours des prochains jours, mais quand même, c’est ma responsabilité, sans nuire au climat des négociations, de dénoncer l’attitude du Front commun et les informations erronées qui ont été données aux syndiqués du Front commun vis-à-vis cette clause de mobilité. Il n’est pas question de mouvance permanente. Il n’est pas question de leur faire faire des fonctions complètement étrangères à celles qu’ils font. Quand j’entends les déclarations qui sont faites à la radio par les dirigeants du Front commun, je trouve qu’ils ont une très grande responsabilité lorsqu’ils informent mal les syndiqués quand on connaît les conséquences qui peuvent en résulter pour ces tiers que sont les patients et les malades.

Sur le plan politique, quand on voit les dirigeants du Parti Québécois, comme il y a quelques semaines, en commission parlementaire, vanter la maturité des chefs syndicaux! La maturité des chefs syndicaux, quand on voit ce que leur attitude entraîne actuellement pour des milliers et des milliers de malades. Toute une maturité! Le moins que l’on puisse demander au Parti Québécois, c’est de s’abstenir. On sait qu’il y a des liens étroits entre l’establishment syndical et le Parti Québécois. On sait qu’ils étaient en pleine campagne de financement, mais ils auraient dû placer le bien commun au-dessus de leurs intérêts partisans. Il est tout à fait inadmissible, alors qu’on a une situation sociale très sérieuse dans le secteur hospitalier, de faire de la partisannerie politique d’une façon aussi dommageable pour des milliers de personnes innocentes. C’était la même chose notamment dans le cas de la grève du Métro il y a quelques mois quand le gouvernement est intervenu pour mettre fin à la grève du Métro qui causait des inconvénients
à des centaines et des centaires de milliers de travailleurs. En septembre dernier ainsi, quand après cinq jours le gouvernement a passé une loi spéciale pour que les travailleurs de Montréal ne soient pas pénalisés, le Parti Québécois a voté contre. C’est à se demander s’ils ne sont pas devenus les marionnettes des chefs syndicaux.

Nous, ce que nous voulons, c’est le bien-être des travailleurs d’abord et avant tout,et c’est la raison d’être de telles lois. Quand on voit les solutions apportées par les trois autres partis, créditistes ou pseudocréditistes ou poujadistes. Solutions simplistes. Il faut se rendre compte qu’on ne peut penser arriver dans le secteur des relations de travail et proposer des solutions qui ne sont pas applicables.
Avant 1964, quand le droit de grève a été accordé, puisqu’ il était interdit auparavant dans la fonction publique, vous aviez tout de même des grèves en très grand nombre dans ce secteur. C’est une chose – et nous allons le considérer en particulier dans le secteur hospitalier, je l’ai dit à quelques reprises – que nous allons réexaminer après la négociation actuelle: la question du droit de grève. C’est une chose de proposer l’interdiction du droit de grève, mais il faut prendre les moyens pour que cela puisse s’appliquer. En Australie, vous n’avez pas de droit de grève dans les secteurs public et parapublic, et pourtant les jours de grèves sont passés de 500,000 à 3 millions en une dizaine d’années.

Quand on veut appuyer l’interdiction dans nos lois de sanctions très sévères, il faut en examiner les implications sur notre propre régime démocratique. Alors, c’est cela que nous voulons faire aussitôt la négociation terminée: examiner la formule qui permettrait de compléter ce que la Loi 253 fait afin que les malades ne soient d’aucune façon pénalisés par des grèves dans le secteur hospitalier.
Actuellement, on doit le dire, la situation du côté syndical est incertaine. Depuis presque trois semaines, ils ont renoncé à des débrayages, sauf un groupe minoritaire d’infirmières qui ne veut pas accepter les conditions qu’on a accordées au groupe majoritaire. A part cela, il n’y a pas eu de débrayages depuis près de trois semaines.
Il y a eu un vote de grève qui n’est pas concluant. Les Chefs syndicaux demandaient les deux tiers pour déclencher une grève générale illimitée, les syndiqués, en plus de s’abstenir en très grand nombre, n’ont pas voulu leur donner ces deux tiers. Quelle sera l’attitude des syndicats vis-à-vis la grève générale, nous serons fixés dans les prochaines heures.

Le gouvernement, lui, doit envisager toutes les hypothèses. Si les syndicats renoncent à la grève générale parce qu’ils n’ont pas obtenu l’appui de leurs syndiqués et retournent à la table de négociation pour trouver une solution négociée, cela peut se faire et espérons que la solution sera trouvée très prochainement pour éliminer le climat d’incertitude que connaissent actuellement les hôpitaux.
S’ils maintiennent leur vote de grève générale et qu’ils annoncent le déclenchement de la grève générale, le gouvernement, évidemment, devra envisager les mesures à prendre.
Si le gouvernement ne peut plus compter sur le sens des responsabilités des chefs syndicaux dans des questions de négociations aussi importantes pour une partie de la population, des ententes négociées dans le secteur hospitalier deviennent alors extrêmement difficiles; les prochains jours sous ce rapport seront déterminants.
Ou les chefs syndicaux renoncent à la grève générale, retournent à la table de négociations, trouvent une solution négociée raisonnable, acceptable pour le gouvernement et pour les syndiqués, et cela complétera ce qui a été fait dans le domaine des relations de travail dans les secteurs public et parapublic, ou bien les syndicats optent pour l’affrontement direct avec le gouvernement et là, évidemment, le gouvernement devra tirer ses propres conclusions.
Dans les tout prochains jours, le Conseil des ministres examinera l’alternative et les choix qu’il aura devant lui.
Nous espérons évidemment qu’une attitude responsable prévaudra du côté syndical. Il y a plusieurs facteurs dont il faut tenir compte: il y a la situation immédiate qui est très sérieuse; il y a le climat qui existera dans les hôpitaux dans six ou douze mois; il y a l’expérience acquise dans les négociations; il y a la qualité des soins à court, à moyen et à long terme. Quand le gouvernement prend une décision, c’est tout cela qu’il doit considérer. Il a réussi dans tous les autres secteurs, malgré un contexte extrêmement difficile. Il a réussi à apporter des solutions efficaces et il va s’efforcer avec le même acharnement à régler ce problème des grèves dans le secteur hospitalier.

Je comprends l’inquiétude d’une bonne partie de la population. Elle est justifiée à bien des égards et le gouvernement en tient compte, mais la seule approche responsable, la seule approche que nous pouvons avoir en tant que gouvernement, c’est une approche lucide, déterminée et franche.
Autant notre lucidité nous permet de nous rendre compte de la complexité de certains problèmes, dans une société comme la société québécoise qui a connu une accélération de l’histoire – nous ne sommes plus dans une société traditionnelle comme il y a vingt ans, nous ne sommes plus dans une société patriarcale, les problèmes des années 1950 ne sont pas les problèmes des années 1970, il faut s’en rendre compte – mais autant notre lucidité nous fait constater l’ampleur des problèmes et solutions que nous devons y apporter, autant cette lucidité nous fait voir le progrès de la justice accompli depuis quinze ans.

Certains commencent à mettre en question les réformes qui ont été apportées depuis la révolution tranquille, mais il faut examiner également tous les progrès énormes qui ont été réalisés au plan de la démocratisation, de l’accessibilité aux soins. Il y a certainement une réduction énorme des inégalités sociales qui a été effectuée au Québec, si l’on en juge par les propos des visiteurs qui viennent ici constater le progrès de nos réformes sociales.
Il y a un accroissement du bien-être qui est indéniable. Depuis six ans au Québec il y a eu une augmentation du niveau de vie qui est probablement un record: 70% en termes courants, et si on enlève le taux d’inflation, il reste encore une augmentation du niveau de vie de près d’un tiers, soit de 30%. Ce sont là des résultats concrets.

Il y a l’affirmation de notre culture. Nous avons posé là aussi des gestes historiques. On constate avec le temps que ce sont à la fois des gestes modérés et qui répondent aux préoccupations des Québécois.

Alors, cette lucidité vis-à-vis les progrès que nous avons faits, vis-à-vis les progrès que nous devons faire, c’est l’objectif du Parti libéral. Il faut poursuivre sans relâche, quelle que soit la difficulté des situations, quelle que soit l’acuité des problèmes. Vous savez les obstacles que nous avons dû surmonter depuis six ans, ceux que nous avons connus depuis un an du fait d’une situation économique difficile, avec des tensions sociales.
Il était inévitable qu’avec une période d’inflation et de ralentissement économique les tensions sociales soient aïgues. On a réussi à régler un grand nombre de problèmes. Il en reste un, majeur, dans le secteur des hôpitaux et c’est notre priorité au cours des prochains jours.

Ce travail de tous les Québécois pour répondre à leurs aspirations, pour faire avancer la société dans toutes les régions, dans tous les groupes, c’est un travail qui doit être solidaire. La tâche du Parti libéral consiste à enrichir la fierté du Québec en améliorant la qualité de vie des citoyens. Il y a trois ans, lorsque nous avons été élus, nous avons dit que nous mettrions l’accent sur la qualité de vie des citoyens. On l’a fait: la qualité de vie démocratique, l’augmentation du bien-être, la réduction des inégalités sociales, on a travaillé dans tous ces secteurs-là avec des centaines de lois, des milliers de gestes administratifs et nous avons un bilan, nous l’avons vu au congrès, très impressionnant. Il faut continuer avec autant de sang froid que de détermination et de volonté et de lucidité et de vigilance. Il faut continuer à rechercher la réalisation de tous ces objectifs parce qu’il y a une coincidence très nette entre la volonté d’action du Parti libéral et le progrès authentique de la société québécoise.

[QBRSS19761119]
Une brève déclaration, messieurs! J’ai décidé de quitter la direction du Parti libéral du Québec. Je veux dire toute ma reconnaissance aux centaines de milliers de libéraux, particulièrement mes collègues ministres et députés qui m’ont toujours accordé leur confiance depuis le 17 janvier 1970. Ils m’ont permis de servir une cause à laquelle j’ai toujours cru, soit le mieux-être de tous les Québécois. Le Québec est aujourd’hui une terre officiellement française qui a porté ses frontières jusqu’aux espaces de la baie James, une terre à laquelle tous les Québécois de toutes origines culturelles sont profondément attachés.
Je suis fier d’avoir travaillé à améliorer le bien-être économique et social des Québécois, particulièrement en ce qui concerne ceux qui en avaient le plus besoin.
J’ai toujours donné à cette tâche le meilleur de moi-même. A cet égard, je souhaite que les Québécois apportent toujours un caractère prioritaire à la question de la croissance économique, car la justice sociale ne se bâtit pas dans la rareté. Elle ne peut être, cette justice sociale, que le fruit d’une volonté de partage de la richesse qu’il faut d’abord avoir le souci de créer.
Dans cette même perspective, il faudra que le Parti libéral du Québec s’engage avec indépendance et ouverture à apporter une solution définitive à la question de l’avenir du Québec au sein du Canada.
Mon épouse se joint à moi pour remercier tous ceux qui m’ont permis de vivre l’expérience vraiment unique de servir, au plus haut niveau, le Québec et les Québécois.

[I would like to thank all those who allowed me to live the unique experience of serving at the highest level Quebec
and all its citizens.]

Ma décision est de quitter le Parti libéral du Québec qui prendra effet le premier janvier prochain. Messieurs, je vous remercie.

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