[QLESG19600825]
[Discours de l’hon. Jean Lesage, Premier Ministre du Québec Devant les participants à la Conférence de l’UNESCO]
[Montréal. Jeudi le 25 août 1960.]
Messieurs,
À titre de Premier Ministre et au nom du gouvernement de la province de Québec, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue. La décision de l’Unesco de convoquer au Canada, et plus particulièrement dans le Québec, la seconde Conférence Mondiale de l’Éducation des Adultes nous honore et nous réjouit.. En choisissant la ville de Montréal, l’Unesco situait vos délibérations dans un cadre symbolique à cause du caractère polyculturel de sa population et de son statut de métropole d’un pays qui est à vivre une phase extrêmement active de son expansion industrielle.
Je suis profondément heureux que la présence, ici, d’un Prince de l’Église symbolise si éloquemment l’importance de la religion dans le climat qui est le nôtre.
Pour ceux d’entre vous qui entrez au Canada pour la première fois, vous trouvez à Montréal une reproduction presque fidèle de la grande mosaïque culturelle que constitue la population canadienne. Vous avez déjà constaté la variété et l’abondance que nous vaut cette diversité culturelle tant au point de vue intellectuel qu’au point de vue artistique. Qu’il me suffise de mentionner les deux institutions de haut savoir que sont les Universités de Montréal, de langue française, et Mc Gill, de langue anglaise, dont les réputations ont franchi les frontières de notre pays. Montréal est également le siège de la Société Radio-Canada et de l’Office National du Film, tous deux relevant du gouvernement du Canada et dont les contributions à l’éducation populaire sont particulièrement remarquables. Enfin, vous avez déjà eu l’occasion d’apprécier les expositions de peinture et d’oeuvres d’art que la ville organise dans ses parcs publics sans compter les autres manifestations de la vie artistique à Montréal.
Mais Montréal est aussi au coeur d’un pays et à la tête d’une province qui viennent de traverser une période d’expansion industrielle très rapide qui n’a pas été sans effet sur nos structures sociales, économiques et politiques. À ce point de vue, nous n’avons pas été soustraits à cette réalité que l’homme du vingtième siècle vit dans un univers mouvant et qu’aucune partie du monde n’échappe aux assauts d’une civilisation de plus en plus modelée par la technique qui, elle-même, obéit à l’accélération du progrès scientifique. Voilà pourquoi je disais qu’en choisissant Montréal, l’Unesco situait vos délibérations dans un cadre symbolique. Elle vous propose, Messieurs, d’étudier le rôle de l’éducation des
adultes dans un monde en évolution. Cette étude, vous l’avez commencée depuis quelques jours et vous la poursuivrez pendant une autre semaine. J’ai retenu, de l’examen de l’agenda de votre Conférence, que vous abordez l’éducation des adultes sous des aspects d’une importance capitale, tels que l’éducation civique et sociale, l’éducation et les loisirs, les relations entre l’éducation des jeunes et les programmes d’éducation des adultes. Simultanément, vous étudierez les problèmes pédagogiques spécifiques à l’éducation des adultes ainsi que le rôle des gouvernements et des organisations bénévoles dans l’organisation de cette éducation. Les études d’ensemble, vous les faites à la lumière des expériences que vous avez vécues dans vos pays respectifs, compte tenu des situations particulières que vous y rencontrez.
Néanmoins, vous vous rejoignez tous dans une même croyance que l’éducation des adultes est une nécessité permanente qui s’inscrit dans la nature même de l’homme. Celui-ci doit réaliser sa condition d’homme dans un contexte nouveau. Le progrès scientifique et la technique affectent le cadre matériel et les conditions psychologiques de son existence, ils ne changent pas pour autant la nature de l’homme. Et je crois que c’est sur cette réalité fondamentale que doit reposer l’éducation des adultes. À mon point de vue, elle doit aider chaque individu à procéder à une prise de conscience lucide du monde dans lequel il vit. J’entends ici l’acquisition des connaissances qui fortifieront sa compréhension, son jugement, se liberté et son courage et le rendront apte à maîtriser ses propres innovations et à participer efficacement à l’élaboration des structures nouvelles qu’elles postulent. Personnellement, je crois que les efforts que nous faisons pour élargir la fréquentation scolaire à toute la jeunesse prépare un terrain fertile à l’éducation des adultes. De fait, l’éducation doit devenir une activité permanente d’autant plus nécessaire que nous vivons dans des sociétés où les relations entre les hommes deviennent de plus en plus complexes.
Voilà pourquoi nous éprouvons une si grande admiration pour l’oeuvre de l’Unesco dans le monde. L’accroissement du nombre des pays qui y participent témoigne de la vision des gouvernements qui l’ont instituée. Depuis 16 ans, l’Unesco a provoqué des initiatives de qualité, favorisé la compréhension internationale en permettant aux pays de mieux se connaître par des échanges de services et de personnes à l’occasion de projets spécifiques. Il en résulte un enrichissement mutuel pour tous les participants. Cette conférence que vous tenez présentement en est un témoignage. Elle fait appel à la coopération des pays membres pour, d’une part, établir le bilan des réalisations en matière d’éducation des adultes depuis la conférence d’Elseneur, et, d’autre part, élaborer un plan d’action pour assurer l’application, au cours de la prochaine décennie, d’objectifs aussi précis que: Rendre l’éducation extra scolaire accessible à tous les êtres humains sans distinction de sexe, de nationalité, de race ou de couleur; D’examiner si de nouvelles techniques peuvent être favorablement appliquées dans l’éducation des adultes; Et enfin d’étudier les méthodes et les moyens d’utiliser au mieux les mouvements d’éducation des adultes pour atteindre les objectifs de l’Unesco relativement au projet majeur Orient-Occident.
Ces questions indiquent bien l’intention de l’Unesco de tirer parti de votre expérience et de votre sagesse: dans le but de définir les conditions d’expansion de l’éducation des adultes dans le monde en tenant compte de facteurs locaux tels que les traditions, les aspirations et les besoins des troupes. J’en conclus que la qualité de vos délibérations actuelles déterminera l’expansion de l’oeuvre de l’Unesco. Pour leur part, les Canadiens ont toujours répondu aux entreprises de l’Unesco. Les organisations bénévoles, à ce sujet, ont contribué à éveiller et à soutenir un intérêt vivant pour les oeuvres de l’Unesco. Depuis deux ans le Canada créait sa Commission nationale pour l’Unesco dans le cadre du Conseil des arts. Cette commission a déjà largement contribué à articuler la collaboration des services du gouvernement et des associations bénévoles dans l’étude des questions pertinentes à l’oeuvre de l’Unesco en même temps qu’elle a resserré les liens de notre pays avec l’Unesco. Dorénavant, nos relations réciproques seront plus étroites et plus complètes. Je puis vous assurer que la province de Québec entend participer étroitement aux travaux de la Commission canadienne nationale pour l’Unesco. Tous seront heureux de partager avec d’autres pays le résultat de nos propres expériences dans des essais de solutions à des problèmes similaires à ceux qu’ils rencontrent.
Messieurs, je formule les meilleurs voeux pour le succès de vos travaux. Je souhaite que votre séjour parmi nous vous soit agréable. Soyez assurés que votre présence à ce dîner honore à la fois le gouvernement et la population de la province de Québec.
[QLESG19600831]
[Union des Municipalités de la province de Québec Congrès, Hôtel Reine Elizabeth, 31 août 1960 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]
Vous ne sauriez croire tout le plaisir que je ressens à prendre contact, aujourd’hui, avec les administrateurs des municipalités de la province de Québec.
Je sais l’esprit qui anime vos délibérations; je connais le sérieux que vous apportez à l’examen de vos problèmes et je connais aussi la valeur des travaux et des études présentés par les experts que vous invitez à vos congrès.
Je pense que s’est affirmée définitivement l’utilité de ces réunions annuelles, qui vous permettent de faire le point, d’examiner certaines questions d’administration municipale et de trouver des solutions à des problèmes particulièrement difficiles.
Des réalisations fort intéressantes figurent au palmarès de l’Union des Municipalités de la province de Québec. C’est même à la demande de votre groupement que le gouvernement du Québec créait, il y a plus de quarante ans, le département des Affaires municipales. Plusieurs des recommandations que vous avez faites à l’autorité provinciale, au cours de vos congrès antérieurs, se retrouvent, aujourd’hui, dans les statuts et contribuent à rendre plus efficaces la gestion et le fonctionnement de cet important secteur de l’administration publique que constituent les corporations municipales et scolaires.
Il ne faut donc pas s’étonner que le gouvernement accueille avec tant d’intérêt et de sympathie les recommandations que vos travaux et vos études suggèrent. C’est ainsi que le gouvernement provincial a accepté de verser aux corporations municipales qui feront des travaux en vertu du programme d’encouragement des travaux d’hiver dans les municipalités un octroi représentant 40 % du salaire payé à la main-d’oeuvre en chômage ou qui le serait si ces travaux n’étaient exécutés. Cet octroi porte donc à 90 % le montant de la subvention que recevait les corporations municipales qui exécuteraient des travaux au cours de l’hiver prochain.
L’honorable ministre des Affaires municipales vous a mentionné, en outre, au début de ce congrès, que des mesures législatives seraient proposées dans la prochaine session pour répartir, suivant des normes établies d’avance, les revenus de la province.
N’hésitez donc pas à nous proposer les améliorations ou modifications que vous considérez utiles ou impératives, les mesures que vous jugez propres à rendre plus efficace l’administration municipale dans la province. Nous vous en saurons gré car elles nous aideront à réaliser le bien-être de toute la collectivité québécoise, qui reste, naturellement, notre grande préoccupation, notre but premier.
Dans la conduite des affaires publiques, vous vous situez au palier la plus rapproché du peuple. Il vous est donné de tâcher constamment le pouls de la population, de connaître ses aspirations, d’être mis au fait, et tout de suite, des besoins de vos concitoyens, des améliorations qu’ils souhaitent, des services qu’ils désirent et qu’ils réclament. Je pense qu’on ne connaît pas assez, dans le public, et c’est dommage, le rôle extrêmement important que jouent nos administrateurs municipaux, la tâche éminemment utile qu’ils remplissent et les sacrifices énormes qu’ils doivent consentir dans le but d’assurer le bien-être de la communauté. Chaque gouvernement accomplit, dans les limites
de sa juridiction, une tâche utile et nécessaire. Mais il serait difficile de surestimer l’importance du gouvernement municipal. Dans ses activités de tous les jours, le citoyen est constamment mis en présence de l’administration municipale. C’est le rôle, entre autres choses, du gouvernement local d’assurer la protection des personnes et des propriétés. Le policier et le pompier occupent une place bien précise dans l’organisation civique. L’installation et le maintien de services appropriés sont aussi des devoirs qui ressortissent aux administrateurs publics.
Il appartient aussi au maire et aux membres du conseil d’ouvrir, de construire et de paver les rues afin de faciliter le mouvement des personnes et des marchandises; il leur incombe de bien éclairer et nettoyer la voie publique. L’aménagement du territoire selon les principes de l’urbanisme, la santé publique, les transports en commun, le déneigement, le budget, le financement des travaux publics, la règlementation de la circulation et du stationnement des véhicules automobiles, etc., sont autant de responsabilités confiées aux administrateurs municipaux par l’autorité provinciale.
Ce sont là des responsabilités que j’appellerais officielles. Il faut ajouter à cela les multiples tâches obscures, les déplacements, les interventions, les démarches que monsieur le maire ou monsieur l’échevin doivent faire pour le compte de tel contribuable, de telle mère de famille, de tel étudiant, de telle personne abandonnée ou en difficulté; et cela à longueur de semaine.
Qui saurait dire le nombre d’heures qu’il vous faut consacrer à la conduite des affaires publiques et la municipalité des devoirs que vous devez accomplir dans l’exercice de vos fonctions municipales ?
Les citoyens réclamant de vous, souvent à des heures très matinales ou très tardives, les services les plus variés, et, parfois, les plus inattendus. On demande à monsieur le maire de jouer le rôle de père, de confident, d’arbitre et de guide; tout cela en dehors de ses fonctions dites officielles.
Ce qui me renverse et provoque, en même temps mon admiration, c’est de voir monsieur le maire, oubliant ses fatigues et renonçant souvent à certains plaisirs légitimes, répondre toujours de bonne grâce à ces sollicitations multiples. C’est assez dire le travail harassant qu’il vous fait abattre.
Vous avez accepté, sollicité même, la tâche de conduire, au nom de vos concitoyens, les affaires de la communauté. Mais, pour bien jouer votre rôle, pour bien remplir les devoirs et exercer les pouvoirs que la loi attribue aux conseils municipaux, vous devez vous sentir appuyé par la population. Il faut que le citoyen participe directement et constamment à l’administration municipale. Il s’impose qu’il vous signale certaines erreurs ou omissions,
qu’il vous soumette certaines recommandations et vous propose des améliorations. Car l’intelligence d’un peuple, son dynamisme, son esprit d’entreprise jouent un rôle important dans le développement d’une collectivité.
La cité existe pour l’homme, qui est plus précieux que toutes les inventions les plus perfectionnées, et toute la production, quelle qu’elle soit, doit être mise à son service. Dans un régime politique libre et responsable comme le nôtre, la fonction publique ne s’accomplira entièrement et efficacement que si le citoyen participe au gouvernement. Le peuple doit avoir une bonne connaissance de nos structures gouvernementales et du travail des gouvernants et prendre une part active à la réalisation des projets devant déterminer et hâter l’expansion de la collectivité. Il est nécessaire que le citoyen pratique le civisme à jet continu et traduise, dans ses activités de chaque jour, sa volonté de contribuer au mieux-être de la cité. Comme on l’a écrit, « pour être honnêtes et prospères, il suffit encore aux nations démocratiques de le vouloir ». Le
développement de l’esprit civique doit donc être une des grandes préoccupations des hommes public.
Le civisme n’est pas une vertu qu’on vient de découvrir. Il existe depuis les origines de la civilisation et il a contribué à la prospérité des peuples. À l’époque des Césars, c’était un honneur insigne que d’être reconnu citoyen romain. Créé pour vivre en société, l’homme a des devoirs envers cette société. C’est là la raison d’être du vrai civisme.
Le civisme s’adresse sans doute à tous les échelons du gouvernement. Mais il intéresse davantage l’homme sur le plan local; car là commence la démocratie. C’est au niveau municipal, d’abord, que le citoyen fait l’apprentissage de la liberté, en régime démocratique.
Notre liberté politique restreint, il est vrai, avec notre consentement, certaines libertés individuelles. Mais ce qui fait la beauté de notre liberté, c’est que, même quand nous nous joignons à nos voisins pour réaliser une chose qui est bonne pour tout le monde, nous gardons notre personnalité, nous restons nous-mêmes. Bien des définitions ont été données du civisme. Je voudrais vous rappeler une réflexion que faisait, sur le sujet, lors de la Semaine Sociale de 1955, Son Éminence le cardinal Paul-Émile Léger:
« Le civisme, écrivait-il, réclame d’être étudié et approfondi pour retrouver, partout et chez tous, sa place et ses droits, tant dans la vie des sociétés que dans l’estime des individus. La situation: internationale actuelle et les besoins particuliers des nations donnent à cette question difficile et complexe entre toutes une raison d’actualité. Le civisme est une vertu, c’est-;-dire une disposition permanente de la volonté, éclairée par des principes sains. Il se loge donc au plus intime de l’activité individuelle avant d’apparaître dans les institutions sociales. »
Aux dernières lignes de son étude magistrale sur « La Démocratie en Amérique », Alexis de Tocqueville écrit: « La Providence n’a créé le genre humain ni entièrement indépendant, ni entièrement esclave. Elle trace, il est vrai, autour de chaque homme, un cercle fatal dont il ne peut sortir; mais, dans ses vastes limites, l’homme est puissant et libre; »
Et Tocqueville ajoute:
« Les nations, de nos jours, ne sauraient faire que, dans leur sein, les conditions ne soient pas égales; mais il dépend d’elles que l’égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou à la misère »,
Plus d’un siècle après avoir été écrites, ces lignes ont gardé tout leur sens, toute leur valeur actuelle. Elles nous rappellent combien nous devons apprécier notre mode de gouvernement, qui convient singulièrement à notre manière de penser, à notre façon de vivre. Nous sommes vraiment libres si nous vivons dans un pays indépendant où l’homme a le droit et la faculté de choisir et de censurer ses gouvernants; dans une société où le citoyen peut faire un usage de sa liberté personnelle; dans un milieu où l’homme peut s’assurer un gagne-pain en rapport avec ses aptitudes, ses goûts, ses efforts et où il lui est possible, en toute liberté, d’affirmer sa valeur et d’exprimer sa personnalité.
Parce que leurs peuples sommeillaient, qu’ils étaient enveloppés dans une indifférence engourdissante, la liberté démocratique a disparu en certains pays. Une telle éventualité nous répugne, à nous qui avons fait une longue expérience de la démocratie. Mais n’oublions jamais que la liberté ne se conserve que par la vigilance et la pratique. Aussi longtemps que notre peuple se montrera vigilant et voudra pratiquer un civisme véritable, bien orienté, il n’y aura pas lieu de craindre.
Quand je regarde une assemblée comme celle-ci, je suis tranquille. Quand je vois des hommes publics, si près du peuple, si dévoués au bien commun, réunis pour discuter avec autant de sérieux et d’application les problèmes qui réfèrent au progrès de la société, je me crois justifié de prévoir que de ces études, de ces échanges d’idées vont naître des choses intéressantes, des mesures positives, propres à assurer le bon fonctionnement et le développement du gouvernement municipal. Souhaitons de garder toujours ce privilège de contempler le spectacle de l’homme qui, exercent sa liberté individuelle en accord avec le bien de la société, fait marcher la démocratie par son suffrage ou par sa participation directe aux affaires publiques.
Ai-je besoin de vous dire quel stimulant, quel réconfort représentent pour un chef de gouvernement, cet enthousiasme, cette atmosphère qui marquent tous vos congrès et qui ont marqué celui qui se termine. Souhaitons que le résultat soit digne de vos efforts. Pour ma part, je suis convaincu que les discussions que vous avez eues ne pourront avoir que d’heureuses répercussions sur la conduite des affaires municipales dans la province.
Messieurs, au nom du gouvernement de la province, je vous remercie et vous félicite des travaux que vous avez accomplis.
[QLesage19600908]
[Notes d’une allocution prononcée par monsieur Lesage, jeudi, le 8 septembre, 1960 lors du dîner du « Mérite du Défricheur »]
L’Ordre de Mérite du Défricheur constitue un hommage à la fois émouvant et solennel, à l’occasion de cette dignité qui consiste à faire de quelqu’un le Commandeur de l’Ordre de « Mérite du Défricheur, car les colons, dans leur ensemble, s’il n’y avait qu’eux, ignoreraient probablement l’oeuvre créée par leur talent et leur labeur fécond. L’éclat qui entoure cette appréciation de mérite est nécessaire, parce qu’il donne plus de valeur aux médailles et aux diplômes qui ne sauraient garder de présence durable sans l’attention des hommes, sans la chaleur d’un hommage.
Pour qui veut s’y intéresser, si la colonisation conduit à des découvertes et à des actes méritoires, l’Ordre de Mérite du Défricheur apparaît comme un soutien dans la poursuite d’un idéal qui exige, à la fois, du travail,de la »compétence et la vertu d’économie. La colonisation d’expansion agricole dans la province de Québec, ne représente pas quelque chose d’un autre âge. Sans doute la colonisation remplit les archives de l’Histoire. Elle demeure non seulement à la source de nos traditions, non seulement la pierre d’assise de nos paroisses rurales, mais aussi le jalon important de la vie agricole chez nous.
Aujourd’hui, le défricheur cherche à tracer la voie vers l’agriculture de l’avenir. La préoccupation qui anime les autorités civiles et religieuses de changer la colonisation dans ses principes et dans ses méthodes, est activée par les progrès d’une civilisation industrielle qui double aujourd’hui notre civilisation rurale.
Les industries peuplent maintenant le paysage que nos ancêtres ont connu libre, eux qui cultivaient avec beaucoup plus d’amour que de science. Ce complexe industriel et humain continuera de s’accroître avec les années, mais nos regards devront s’accoutumer au voisinage des troupeaux avec les grandes industries.
D’ailleurs le paysan avec sa ferme qu’il cultive
à volonté, qu’il organise en fonction de la sécurité qu’il désire pour lui-même et sa famille, constitue la base première et stable de tout le système de l’entreprise privée dans lequel nous vivons.
Une agriculture saine et florissante est aussi importante à la prospérité de la province que le sont nos plus grandes industries.
Enfin, l’Ordre de Mérite du Défricheur en associant le labeur des missionnaires colonisateurs, des curés de paroisses rurales à celui des défricheurs, a pour but de développer davantage dans l’esprit de tous une fierté rurale qui protège contre les préjugés et les erreurs.
[QLESG19601001]
Il y a quinze ans, presque jour pour jour, plusieurs d’entre nous se trouvaient ici même à Frelighsburg, pour participer à une fête marquant le 53e anniversaire de naissance de l’honorable Adélard Godbout.
Les orateurs à qui revenaient alors l’agréable tâche de souligner les grandes qualités de coeur et d’esprit de Monsieur Godbout, disaient en substance: [« Monsieur Godbout est un grand Canadien. Il a fait pour les siens des choses que tout coeur reconnaissant ne saurait oublier. »]
Avec le recul du temps, la population est, encore plus en mesure de juger aujourd’hui l’oeuvre impérissable qui a été la sienne.
Ce 22 septembre 1945, celui à qui nous rendons aujourd’hui un témoignage d’estime et de reconnaissance, nous donnait le conseil suivant; [« Jeunes gens de ma province, continuez d’être Canadiens. »] Par ce précieux conseil, Monsieur Godbout incitait notre jeunesse à travailler à la grandeur de notre province et de notre patrie.
C’est lors de cette manifestation mémorable que Monsieur Godbout, un homme de pensée, d’idéal et de justice, avait déclaré: [« Le libéralisme est l’orientation de toutes les forces d’une nation vers le bien de ses plus humbles citoyens. »] C’est en pensant à toutes ces choses, à ses réalisations, à ses déclarations, dont certaines constituent presque des leitmotive, que nous nous penchons aujourd’hui sur sa tombe pour lui rendre un hommage sincère et bien mérité.
Réunis devant ce monument, nous sentons tous monter dans nos coeurs les sentiments les plus nobles et, dans nos esprits, les pensées les plus inspiratrices de dévouement réel et sincère à la patrie québécoise d’abord, puis à la patrie canadienne et à cette autre grande patrie qui, de nos jours, s’impose de plus en plus à notre sollicitude; l’Humanité.
Comment se fait-il, mesdames et messieurs, que
le souvenir d’Adélard Godbout nous émeuve encore à ce point, cinq longues années après son départ.
C’est que Adélard Godbout fut l’un de ces véritables hommes d’élite que la Providence, à certains moments de l’histoire, charge d’éclairer leurs contemporains sur la route du destin, et dote des grâces d’état nécessaires à 1’accomplissement d’une mission aussi glorieuse que périlleuse, dont les événements se chargent d’illustrer dans la suite la bienfaisance fécondité.
Le chef d’État à qui nous rendons hommage en ce moment est indiscutablement l’un de ces disparus que le temps ne cesse de grandir.
Toute la carrière de ce brillant chef de la province n’est-elle pas une démonstration vivante de la parfaite harmonie de la grandeur et de l’humilité dans la personne des démocrates authentiques, c’est-à-dire des hommes politiques entièrement, sincèrement et passionnément dévoués au service de leurs concitoyens ?
En effet, Adélard Godbout, comme tous les grands humanitaires, était d’une modestie exemplaire.
Ce fils de cultivateur, né dans une petite paroisse éloignée des grands centres, a gardé durant toute sa vie, même au faite des honneurs, cette magnifique simplicité qui caractérise notre noblesse rurale canadienne-française. Comme elle était admirable, cette triple association de la modestie et du talent, de la culture et du courage, du patriotisme et du sens chrétien, chez cet homme devenu, par les seuls moyens de ses qualités et de son irrésistible magnétisme, le chef de son peuple.
Dès son accession au poste de Premier Ministre, Adélard Godbout s’est classé parmi les grands hommes d’État démocrates de son époque.
En cinq années d’administration seulement, à une phase de l’histoire extraordinairement difficile pour nous comme pour le monde entier, il a su accomplir des oeuvres prodigieuses, qui ont orienté notre province vers la modernisation progressive de ses institutions.
Toute sa politique fut le fruit d’un esprit supérieur, qui veut sortir des sentiers battus, qui voit clair dans la synthèse des grands besoins nationaux, dont le courage se mesure à la difficulté des tâches et qui méprise toute popularité acquise par des moyens équivoques.
Permettez, Mesdames et Messieurs, qu’en ce jour de pèlerinage national au tombeau de l’un de taos plus grands disparus, j’évoque brièvement quelques unes de ses principales réalisations.
Le plus grand mérite du gouvernement Godbout, c’est incontestablement d’avoir donné un vigoureux coup de barre en matière d’instruction publique, lorsqu’il a fait voter les lois d’instruction obligatoire et gratuite, prenant
ainsi le moyen d’augmenter au même rythme que chez les peuples les plus avancés de notre temps le potentiel intellectuel de notre entité ethnique.
Àce moment, il était moins facile qu’aujourd’hui de comprendre l’urgence de répandre l’instruction et de perfectionner l’enseignement à tous les degrés. Mais les esprits clairvoyants et généreux, en tête desquels figuraient feu le Cardinal Villeneuve et la grande majorité des membres du Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique, ont fermement appuyé les projets de Monsieur Godbout sur ce point; et la partie fut gagnée. De leur côté, les protestants favorisaient eux aussi la modernisation de nos lois scolaires. Il n’y a pas longtemps, le Doyen de la Faculté de Théologie à l’Université McGill ne disait-il pas que la civilisation occidentale, pour survivre, a besoin du meilleur système d’éducation que l’esprit humain puisse concevoir?
Le geste courageux posé par Adélard Godbout et tous ceux qui ont appuyé cette réforme devenue nécessaire de la législation scolaire, marque chez nous le début d’une ère toute nouvelle pour l’enseignement. Depuis ce coup de maître en politique scolaire, l’éducation préoccupe beaucoup plus nos familles, nos législateurs, nos administrateurs publics, nos élites et tout le monde enseignant.
Adélard Godbout n’a pas fait que passer des lois en faveur de l’instruction publique. Dans ses discours qu’une haute culture et une chaude éloquence rendaient si persuasifs, il ne manquait jamais une occasion d’inviter ses compatriotes à s’instruire, puis à rechercher la compétence dans tous les domaines, par tous les moyens possibles.
Si le gouvernement Godbout était resté au pouvoir quelques années de plus, la province de Québec eût été la première, et non pas la
dernière du pays, à posséder un plan d’assurance-hospitalisation, car le Premier Ministre avait alors adopté une législation à cet effet, il avait nommé des commissaires compétents pour étudier la question et prouvé sa détermination de réaliser ce vaste projet de bien-être social.
Le Conseil d’orientation économique aujourd’hui en voie de réorganisation, et dans lequel tout le monde voit l’instrument d’expansion économique par excellence qui nous
manquait, n’est rien autre chose que la résurrection du Conseil d’orientation économique fondé par Adélard Godbout, en 1943, et mort d’inanition, faute de crédits, après le changement de gouvernement en 1944.
Agronome et propriétaire d’une ferme qu’il cultivait avec amour et succès, Adélard Godbout était le protecteur le plus vigilant de l’Agriculture québécoise et l’ami de tous les cultivateurs. C’est quand il parlait d’agriculture que sa verve s’animait davantage. Les cultivateurs du Québec ne pourront jamais exagérer l’amour de ce Premier Ministre pour eux
et pour l’Agriculture. C’est précisément afin de leur rendre plus de services qu’il s’était réservé l’administration des deux départements de l’Agriculture et de la Colonisation.
Une de ses initiatives fort intéressantes fut l’établissement d’une industrie de la betterave à sucre, créée pour fournir un nouveau marché aux producteurs agricoles de toute une région. Nos lois ouvrières les plus justes et les plus progressives, c’est au gouvernement Godbout que nous les devons.
Afin d’intéresser davantage notre peuple à la gestion de la chose publique et de rendre la vie politique plus digne, monsieur Godbout a accordé le droit de suffrage aux femmes.
En dépit des énormes difficultés causées par la guerre, celui dont nous honorons la mémoire a considérablement modernisé l’administration provinciale dans tous les domaines.
Il a eu le courage d’instituer une véritable Commission du Service civil, qui eût rendu justice aux fonctionnaires et pourvu la province d’une équipe de serviteurs compétente et mieux organisés, si on n’avait pas violé dans la suite l’esprit et la lettre de cette bienfaisante législation.
Il faudra qu’un jour s’écrive l’histoire véridique de ce grand Québécois, l’un des plus beaux types d’hommes politique non seulement de chez nous, mais du monde démocratique; un homme qui n’a caressé qu’une seule ambition celle de donner à sa province une politique propre – une politique d’honnêteté, de grandeur morale et de prospérité matérielle.
Si le disparu que nous pleurons toujours était vivant parmi nous, il apprécierait sans doute les bons sentiments que nous exprimons à son endroit. Mais je crois rappeler fidèlement son attitude en signalant qu’il a toujours préféré à la fumée de l’encens le parfait accomplissement de son devoir.
On dit souvent que le temps atténue tout. Il est bon qu’il en soit ainsi pour les douleurs humaines, afin que les éprouvés d’hier puissent accomplir leurs tâches d’aujourd’hui.
Mais il m’est impossible d’évoquer la mémoire d’un homme, comme Adélard Godbout, et de croire ensuite que puisse s’atténuer la douleur de sa disparition.
En retrouvant ici la noble compagne de sa vie et ses enfants, je ne puis m’empêcher de leur redire la profonde sympathie qui m’envahit encore irrésistiblement à leur égard, car je les devine évoquant en eux mêmes avec émotion la chaude atmosphère de leur vie familiale d’autrefois, autour du chef aimé et respecté. Mais une immense fierté consolatrice doit également les envahir, non seulement à la pensée de ce que fut ce mari et ce père, mais aussi de ce que, eux, ils furent pour lui.
Nous ne pouvons vénérer l’homme, sans rendre par le fait même hommage à l’épouse admirable et aux enfants qui furent le secret de sa force intérieure. Et, c’est pourquoi, je ne crains pas d’affirmer que notre dette envers Adélard Godbout s’étend jusqu’à eux. Cette dette, nous la paierons de la façon qu’ils le désirent le plus … de la façon que le voudrait Adélard Godbout lui-même … Cette façon, c’est de servir de toutes nos forces les causes qui lui furent chères et auxquelles il consacra, sans se ménager jamais, toutes les ressources d’une magnifique intelligence et toute l’ardeur d’un coeur noble et généreux.
[QLESG19601007]
[FEDERATION DES FEMMES LIBÉRALES DU QUÉBEC Journée d’étude du 7 octobre 1960
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre Remerciements d’usage ]
Le gouvernement et le parti que j’ai l’honneur de diriger sont redevables aux membres de votre Fédération d’avoir éveillé les femmes à leurs responsabilités politiques et d’avoir accompli une oeuvre d’éducation populaire sans laquelle la victoire libérale du 22 juin n’aurait pas été possible.
Si l’on analyse les chiffres du 22 juin, on se rend facilement compte que ce sont les gains réalisée par les libéraux et non pas les pertes subies par l’Union Nationale qui ont libéré notre province du régime corrompu et corrupteur qui l’accablait depuis plus de quinze ans. Alors que le vote UN demeurait stable ( 977,318 en 1960 contre 956,082 en 1956 ), les libéraux enregistraient un gain de plus de 235000 votes ( 1,077,135 en 1960 contre 839,890 en 1956). C’est dire que les libéraux ont su gagner l’appui des nouveaux électeurs
( 214,799 en 1960) ainsi que des indifférents qui, cette année, ont jugé nécessaire de se prévaloir de leur droit de vote (80.39 p. 100 en 1960 contre 77 p. 100 en 1956 des électeurs inscrits.) Les femmes étant autant sinon plus nombreuses que les hommes dans notre province, on peut dire que dans les deux catégories ci-dessus, elles ont favorisé davantage le Parti libéral du Québec que l’Union nationale. Ce succès que nous avons connu tant auprès des jeunes qu’auprès de ceux qui d’habitude demeurent indifférents à la chose publique nous le devons surtout à notre programme ainsi qu’au dynamisme et à l’ardeur qu’ont déployés les militants pour gagner la population à notre cause. Dans les deux cas, une grande part du mérite revient à vous de la Fédération des Femmes Libérales du Québec qui avez su contribuer à l’élaboration de notre programme et avez poursuivi inlassablement votre oeuvre d’éducation populaire par le truchement des associations féminines que vous avez fondées et maintenues actives dans la plupart des comtés de la province. Ce n’est pas par hasard que le Parti libéral du Québec a présenté à la population un programme de justice sociale répondant aux besoins réels de la famille chez nous. L’activité des femmes et leur précieuse participation aux travaux de la Fédération libérale du Québec – que ce soit à l’échelon du comté, dans les congrès régionaux ou dans les congrès généraux comme celui qui débute ce soir – n’ont pas été sans exercer une grande influence dans l’élaboration du programme libéral et dans l’édification des structures du parti.
Je l’ai dit à maintes reprises et je tiens à le répéter encore aujourd’hui la victoire du 22 juin a été avant tout celle de nos militants et de nos militantes. Ce sont tous ces hommes et ces femmes des quatre coins de la province qui ont rendu possible le succès de notre marche de la libération.
La province est enfin libérée du joug de l’Union nationale. N’allons pas croire que notre tâche est terminée pour autant. L’oeuvre de restauration que nous entreprenons est immense. Elle ne s’accomplira pas sans qu’il soit nécessaire de combattre certaines habitudes politiques qui sont ancrées dans notre peuple et aussi de faire accepter à celui-ci certains sacrifices. Déjà, certaines décisions que nous avons prises ont été soit mal comprises, soit mal interprétées; il en est résulté un certain malaise du fait que ces décisions – qui exigeaient un effort de compréhension – ont bousculé des habitudes qu’on croyait immuables. Tout ceci reflète certaines faiblesses au point de vue civisme qu’il va nous falloir corriger rapidement si nous ne voulons pas que, soit entravée notre oeuvre de restauration.
Il va falloir nous discipliner. Nous nous sommes battus vous vous en souvenez – je l’ai assez dit et répété, non pas pour un changement de « patroneux », non pas seulement pour un changement de gouvernement – mais pour un changement de vie.- Un changement de vie demande courage et persévérance. Qui mieux que la femme peut nous aider, nous supporter et nous faciliter la tâche.
Le gouvernement à la victoire duquel vous avez tant contribué, compte sur vous, Mesdames, pour l’aider à accomplir son oeuvre de grandeur nationale, qui ne peut être possible sans l’assainissement de nos moeurs politiques et une nouvelle conception du rôle de l’État dans la vie de la collectivité. L’oeuvre d’éducation populaire que vous avez entreprise avec tant de succès, vous vous devez de la poursuivre avec encore plus d’ardeur et de conviction. Personne mieux que vous comprend la nécessité de la tâche que nous nous sommes engagés à accomplir; personne mieux que vous n’est en mesure d’en instruire notre population. Nul doute que ce sont là des problèmes sur lesquels vous vous pencherez au cours de cette journée d’étude. Je souhaite de tout coeur que cette confrontation vous permette d’entrevoir des horizons neufs et vous révèle des moyens nouveaux et efficaces d’étendre vos activités et d’accomplir votre oeuvre si méritoire et si nécessaire à toute notre population.
Le gouvernement que je dirige compte sur vous; le parti que je dirige compte sur vous. Je sais que vous ne nous décevrez pas.
[QLESG19601008]
[Discours .prononcé, le samedi, 8 octobre, a 10h00 heures 6e Congrès de la Fédération Libérale du Québec Montréal, les 8 et 9 octobre 1960 Honorable Jean Lesage, Premier Ministre ]
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs « Gouvernement et Démocratie », voilà le thème de notre sixième congrès qui débute ce matin. Ce congrès, en lui-même et à lui seul, est un accomplissement de l’idéal que les présentes assises de la Fédération se proposent d’approfondir.
En effet, cette rencontre, ce dialogue ou cette confrontation entre le personnel d’un gouvernement et le personnel de ses structures démocratiques est un fait sans précédent dans l’histoire politique de notre province, C’est un événement neuf. C’est, sous un aspect fondamental et inédit, une nouvelle alliance entre le gouvernement et la démocratie au pays du Québec.
Quel sera l’esprit de cette nouvelle alliance? Quelles en seront les modalités et les structures? Quels sent ses buts et quels seront ses moyens?
La démocratisation du Parti libéral était déjà un fait nouveau et révolutionnaire, quand il s’est agi de rassembler les effectifs et la pensée des forces oppositionnistes. Ce fut le triomphe que vous savez.
Le Parti libéral et notre Fédération ont été, comme force d’opposition, le creuset d’un renouveau de la, pensée politique dans notre province et les organes de la conquête du pouvoir. Comment et à quelle condition le Parti libéral et la Fédération peuvent-ils maintenant s’adapter au pouvoir, en demeurant une démocratie en action et la pensée d’un gouvernement?
En d’autres termes, les structures nouvelles du Parti avaient forgé une arme admirable de combat. La victoire électorale, aussi bien que les tâches de l’avenir, nous imposent désormais de perfectionner l’arme de combat en instrument de gouvernement.
Notre combat ne se limitait pas, en effet, à la destruction d’une administration en décadence. Notre combat était – et demeure- la reconstruction de la province. Essentielles de la simple bataille électorale, les armes du parti le sont bien davantage encore pour le
combat qui reprend sur un champ désormais plus vaste et plus décisif le combat de la restauration du Québec et la conquête de l’avenir national. Lors des congrès précédents, le chef du parti rendait compte de son mandat dès la première séance. Je remets cette tâche, qui sera très agréable, à demain soir pour aborder de front ce matin trois problèmes concrets et urgents qui se rattachent directement au thème d’études que nous avons choisi.
Nous avons devant nous des tâches trop pratiques et trop nombreuses pour nous livrer aux phrases inutiles. Un rappel des principes est toutefois une préparation indispensable aux décisions, de même que la pensée prépare l’action. « Gouvernement et Démocratie »: ces deux mots sont donc le sujet de nos délibérations. Sujet difficile, puisque ces deux mots résument, à eux seuls, la contradiction interne de la société qui doit concilier la, nécessité de l’autorité et les droits de la liberté; l’unité de direction et d’objectif avec la diversité des opinions. Sujet à jamais controversé, depuis que des hommes délèguent à d’autres hommes – leurs égaux et leurs pairs la responsabilité d’administrer le bien commun, en leur mon et en vertu d’une autorité qui découle du consentement de tous.
Voilà la théorie et voilà le principe qu’on ne saurait ignorer sans détruire les fondements de nos institutions; c’est-à-dire, les valeurs de la démocratie et de ses libertés aussi bien que l’autorité et la signification elle-même du gouvernement.
La théorie et le principe révèlent donc le dilemme normal et constant dans lequel se trouve n’importe quel parti politique, une fois qu’il est porté au pouvoir, par suite de la dualité du mandat qui engage tout gouvernement sous le régime de la démocratie parlementaire.
C’est pourtant à la lumière de ces principes qu’il faut envisager le noeud du problème qui nous réunit aujourd’hui. Le noeud de notre problème est de définir les relations qui doivent exister entre le gouvernement libéral désormais au pouvoir et le parti qui l’y a porté, qui s’identifie au gouvernement sans pourtant s’y confondre, de même que « Gouvernement et Démocratie » sont deux notions qui se distinguent sans s’exclure.
En pratique, qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que, sous le régime de notre démocratie, nous avons un gouvernement de parti; mais le parti n’est pas le gouvernement. L’un est issu de l’autre et l’un ne vit pas sans l’autre; ils s’identifient, mais ils ne se confondent pas. La vitalité du parti et le libre exercice de cette vitalité sont conditions de la vie du gouvernement; mais la discipline de l’un est aussi condition de l’autorité de l’autre. Un gouvernement est mandataire du parti qui a, choisi ses chefs et ses candidats, qui a rédigé son programme, qui a combattu ses combats et qui soutient son oeuvre. Ainsi les candidats et le chef du parti deviennent, par le scrutin, les élus du peuple, de même que le programme du parti, par l’adhésion populaire, devient la volonté du peuple tout entier et son droit.
De cette façon, l’intérêt commun a la priorité sur l’intérêt du parti.
Rôle ingrat du parti et des partisans, dira-t-on au gouvernement actuel comme on l’a dit à tous les gouvernements démocratiques dignes de ce nom. C’est pourtant l’honneur et la raison d’être du Parti – aussi bien que le véritable intérêt personnel de chacun de ses membres – de réunir l’élite qui est l’aile marchante du bien commun et de constituer en temps d’épreuve comme ce fut le cas pour les libéraux du Québec – la minorité qui travaille, persévère et triomphe pour l’avenir de tous.
Comment ajuster le rôle en apparence ingrat du parti au pouvoir à la mesure des services qu’il a rendus dans l’opposition et qu’il continue de rendre dans le gouvernement?
En ajustant l’intérêt du parti et de chacun de ses membres à la mesure de l’intérêt de la collectivité; c’est-à-dire, en opérant le ralliement sans cesse compromis des citoyens autour de son programme, en faisant rayonner la connaissance et la volonté de ses objectifs, en élevant le peuple tout entier à l’harmonie de son idéal. Alors s’accomplit l’unité de fonction dans la personne du premier ministre qui est en même temps chef de parti; l’unité des intérêts du parti et des intérêts publics; l’unité elle-même du peuple, puisque la justice envers tous et envers chacun – qui est le voeu profond de la démocratie – est, désormais, l’oeuvre du gouvernement.
Tout cela, les libéraux que vous êtes le savent depuis toujours, car tout cela est la moelle et la substance du libéralisme.
Mais peut-être n’était-il pas inutile d’allumer ensemble ces lumières des principes, au moment d’aborder des questions aussi controversées et aussi complexes que l’application du programme libéral dans les domaines suivants : le rôle de la législature et des députés, le rôle de l’État comme client ou comme employeur, ce qui pose tout le fameux problème du patronage; le rôle de la Fédération et du Parti comme instrument de gouvernement.
[ The I epZ slature •and the Members.
With f ree men living in a free country, this saine unity of spirit and objectives cannot be achieved without the free alliance of
Government and Democre.c•r.
We know to what depths governments who have
I
decried democracy have fallen, under pretext of achieving unity for their people.
The parliamentary system continues to be the main and the most brilliant expression of this alliance between government and democracy. !~’aced with the decline of order and the humiliation suffered in the only Prench language Legislature in America, the Liberals vowed tb restore the dignity of this institution which is
the very heart of our
• democracy.
‘Vhat have we done? As soon as the bouses convened we set out to establish the authority of the Speaker on the basic of absolute impartiality. With the desire for order and discipline in mind we
w reintroduced the time-honoured tradition of aseociating the Opposition with the choice of he who would be the arbitrator of our debates. The Opposition willin;ly subycribed to the r;esture which bases the prestige of the Assembly on the authority of the Speaker. this did not prevent them from contestin^, shortly after, the Speaker’s first decision by a useless vote, a procedure whicb undermines presidential authority unless
reserved for very serious matters.
W?iat else have we done? The day after the government Iras formed, calling a caucus of members and Liberal candidates together, we proclaimed our determination to restore the dignity and the honour appertaining to the representatives of our people.]
Je l’ai dit alors et je le répète: le député à, la Législature du Québec doit être rétabli dans sa dignité de législateur, et il le sera. J’ai dit alors et je le répète: le député de chez nous ne sera plus la caricature humiliée des parlementaires d’ailleurs. Au Québec, le député ne sera plus le jouet des patroneux, ni patroneux lui-même. Il sera le représentant honnête et libre d’une population libre et honnête. Il ne sera plus le pion silencieux que les puissances d’un gouvernement invisible manipulent à leur gré sur l’échiquier de la province. Il sera le lien effectif et vivant du législatif et de l’exécutif, le point de rencontre de l’État et du peuple: l’associé du ministère et sa conscience.
Dans notre province, la conception du rôle véritable du député avait tellement été faussée par des années de dictature que mes paroles sur une vérité aussi simple ont crée de la confusion. On a dit qu’en restaurant le député dans son rôle de législateur, je voulais briser le contact intime qui l’unit à, ses électeurs.
Quelle stupidité: Le rôle du législateur, en démocratie, est précisément fondé sur l’union intime avec les électeurs et leur volonté. Le législateur reste le représentant du peuple; c’est-à-dire, son conseiller et son confident, son intermédiaire auprès du gouvernement et des ministères, en un mot, son délégué, son député, celui que l’on envoie pour se faire représenter et défendre sa cause.
Je le répète une fois de plus: sous notre gouvernement, le député ne redeviendra jamais le commissionnaire et le porte-paquet d’un soviet de petits « patroneux » gouvernant son comté, comme le soviet des « grands-Patroneux » gouvernait son parti tout entier, depuis le chef démissionnaire jusqu’au dernier cantonnier. Mais, sous notre gouvernement, au zèle du député
s’ajoutera le prestige du législateur, de telle sorte que chacune de ses interventions au bénéfice de ses commettants aura un poids nouveau et une efficacité nouvelle.
Je ne mentionne qu’un seul exemple pour illustrer à cet égard ma pensée que beaucoup ont mal interprétée. Quand j’ai dit qu’à l’avenir les Commissions scolaires pouvaient suivre directement les canaux administratifs en ce qui concerne les octrois, certains ont vu là un coup porté au rôle du député. C’était absurde! Bien au contraire, la tâche primordiale d’un député élu sous le programme libéral est de promouvoir de toutes ses forces les progrès de l’éducation dans son milieu. Dans ce but, plus l’Association du député et des corporations scolaires sera étroite dans les comtés, plus la cause de l’éducation progressera dans la province.
C’est cela que nous voulons!
D’autres ont voulu que les commissions scolaires viennent manger dans la main du patroneux et que la photographie de leur humiliation fasse le tour de la province. Nous, les libéraux, nous voulons que le député législateur soit profondément lié aux problèmes des corporations scolaires de son comté et qu’il leur facilite l’obtention des octrois, non plus comme un cadeau personnel mais comme un droit public. Voilà, je crois, un exemple concret et qu’on peut appliquer à toutes les gammes des relations du député avec ses électeurs de ce que j’entends quand je dis que le député doit être rétabli dans son rôle de législateur.
Que ferons-nous encore pour la restauration de la Législature et de la fonction de député? Je n’envisage, évidemment, que l’avenir immédiat. Nous donnerons un sens nouveau et une utilité réelle aux postes de secrétaires parlementaires qui, vous le savez bien, n’ont été jusqu’ici à Québec qu’une pitance additionnelle et une prime à la paralysie plutôt qu’un ordre d’action. L’étude que vous ferez sur les méthodes électorales servira également la promotion de la Législature et des députés, car nous ne visons pas tellement à étaler les plaies de la province qu’à les guérir. Par exemple, le mode de financement des élections – que les réformes apportées par notre Fédération ont tellement amélioré au sein du Parti libéral que le chef démissionnaire de l’Union Nationale les citait récemment comme un modèle à imiter par son propre parti – fournira l’un des sujets importants de vos discussions.
Enfin, nous voulons restaurer le rôle du député en l’intégrant à l’oeuvre de la Fédération dont je vous parlerai tantôt, lorsque nous envisagerons les problèmes de structures et d’avenir propre à la Fédération. Voilà, Mesdames et Messieurs, la contribution que l’administration actuelle a promis d’apporter et apportera dans ce domaine fondamental du gouvernement et de la démocratie.
Le Patronage
Je vous parlais tantôt d’unité. Il y a une unité, mes amis, dont le gouvernement n’a pas à se réjouir. C’est celle qui concentre les critiques – et je l’admets – le mécontentement, sur un seul point des politiques du gouvernement. Il s’agit du fameux patronage! Qu’il existe du mécontentement, je ne cherche pas à le nier. Beaucoup de libéraux et beaucoup d’indépendants qui ont travaillé au renversement du régime s’impatientent parce que le changement de gouvernement ne s’accompagne pas d’un changement complet et immédiat d’appareil administratif; parce que les injustices dans la structure du fonctionnarisme régi par la seule règle du favoritisme risquent maintenant d’être immobilisées et consacrées par notre respect de la loi; parce que l’appel des soumissions publiques paraît mettre sur le même pied que les autres ceux qui se sont rendus coupables d’une majoration éhontée des dépenses gouvernementales.
À ceux-là, je dis que je les comprends. À ceux-là, je dis que réparation s’impose. Mais à ceux-là je dis aussi que jamais une injustice n’a été réparée et ne sera jamais réparée par une autre injustice.
D’un autre côté, le gouvernement est accusé de retourner au système du patronage. De nombreux journaux de la province, et certains de l’extérieur, nous ont reproché avec amertume le remplacement de certains employés temporaires. Signalons que tous ces journaux ont assisté dans un silence de vingt ans à l’édification du plus formidable empire de « patroneux » jamais vu dans un pays libre! Applaudissons à leur réveil c’est la meilleure preuve que la victoire libérale n’a pas été vaine et que la liberté n’est plus en prison dans la province de Québec!
Mais je dis à ces moralistes de la dernière heure que les absolus de la pureté sont l’idéal du gouvernement aussi bien que le leur. Ils n’ont que la liberté de parler, tandis que le gouvernement assume la lourde responsabilité d’agir. En effet, l’absolutisme en ces matières conduit, en pratique, à des intolérances qui vont jusqu’à la persécution. L’exigence totale de renouveau et de pureté administrative, quand elle est trop pressée, ne peut avoir d’autres corollaires que la fièvre de châtiment et l’appétit de vengeance qui ont conduit tant de peuples à la folie des tribunaux populaires où coupables et innocents sont sacrifiés dans le même aveuglement.
En d’autres termes, que l’on pousse l’intransigeance devant les actes du nouveau gouvernement jusqu’à l’excès, si l’on veut! Mais qu’on n’aille pas oublier qu’il est impossible d’arrêter l’intransigeance à moitié chemin et qu’elle irait fatalement atteindre tout ce qui reste de l’ancien régime. Les moralistes de la dernière heure peuvent se demander si telle est la voie de la charité et du pardon:
Entre ces deux feux, quelle est l’attitude du gouvernement? Elle est simple. Dans tous les cas où la loi existe, c’est le respect de la loi et l’application rigoureuse de la loi. Dans tous les cas où il serait possible d’instaurer son
ordre et son règne, ce sera encore le respect de la loi et l’application rigoureuse de la loi. Dans tout le reste, la justice et l’équité.
Je répète donc aux uns qu’ils auront réparation. Je répète aux autres que, sans cette réparation envers ceux qui ont souffert, d’un ostracisme de vingt ans pour préparer la liberté des autres, l’esprit de vengeance ne cessera de lutter contre l’esprit de justice.
Aux uns comme aux autres, je dis que le gouvernement ne peut détruire en trois mois la pyramide infâme du patronage, achevé jusqu’à sa perfection totale depuis vingt ans, et dont la base reposait sur un siècle de mauvaises habitudes et d’immaturité civique.
Appliquons maintenant ces considérations aux relations concrètes du gouvernement avec tous les citoyens qui lui offrent des services ou des marchandises, c’est-à-dire, à l’ensemble du domaine qui était jusqu’ici la chasse gardée du patronage.
Dans le fonctionnarisme, la politique du gouvernement est claire, simple et nette. C’est le respect intégral de la loi! Tant que le gouvernement actuel sera au pouvoir, pas un seul fonctionnaire ne sera privé de la sécurité de son emploi, aux conditions garanties par la loi du service civil. Pas un seul ne sera démis de ses fonctions pour aucune considération et pour aucun motif que ceux spécifiquement décrits par la loi et sous le contrôle de la Commission du Service Civil.
La Commission du Service Civil a la responsabilité de réorganiser sur une base d’efficacité administrative les cadres qui s’étaient constitués, en bien des cas, au hasard de la routine ou du favoritisme. Elle a la responsabilité de procéder à la classification qui doit régir les promotions et mettre de l’ordre dans les hiérarchies établies selon les mêmes hasards.
Cette réorganisation est, nécessairement, une oeuvre de longue haleine. La Commission du Service Civil aura le personnel nécessaire, elle aura par surcroît l’assistance de la commission d’enquête dont je parlerai tantôt, afin d’effectuer cette réorganisation dans les plus brefs délais compatibles avec la prudence et l’équité. Nous avions promis de chasser la politique du fonctionnarisme. Nous prenons les moyens nécessaires, et elle le sera.
Aux deux extrémités de la hiérarchie des employés gouvernementaux, il y a des catégories qui ne sont ni régies, ni protégées par la Loi du service civil. Au sommet, il y a certains employés supérieurs comme les officiers des commissions, les secrétaires de ministres, les substituts de la Couronne et autres. Par la nature de leurs fonctions et par l’étendue des pouvoirs qui leur sont délégués par les membres du gouvernement, il est évident que le gouvernement doit conserver au moins la liberté de choisir ces collaborateurs immédiats et confidentiels, dont il assume la responsabilité. Dans ce cas, la pratique est à peu près la même à Québec que dans les autres démocraties. Au bas
de l’échelle, il y a les employés temporaires qui sont, dans la plupart des cas, des salaries à temps partiel. Par tradition, on n’exigeait d’eux aucune qualification, sauf celle de la couleur politique. Par tradition également, ils étaient changés avec chaque changement de gouvernement. Sur ce point – et sur ce point seulement – nous avons été incapables de rompre complètement avec la tradition. Je le déclare avec franchise, cette pratique nous répugne et il faut trouver une alternative. En fait, tout le monde sait que ces employés temporaires étaient versés, bon gré mal gré dans l’armée personnelle du député au pouvoir en périodes électorales.
C’est un système néfaste à tous les points de vue. Il détruit les libertés civiles de l’employé qui est conscrit au service du parti politique s’il veut conserver son emploi. Il est souvent une tragédie familiale pour des hommes qui peuvent être ainsi des employés temporaires pendant dix ou quinze ans. Il est surtout néfaste pour l’administration publique parce qu’il encourage l’incompétence, protège les corruptions et conduit à la démoralisation des services ainsi constitués. À titre d’exemple, ,je vous signale les protestations répétées de nos groupements sportifs et des associations consacrées à la protection de notre faune, qui ont maintes fois soutenus que notre système de gardes-chasses n’était pas autre chose qu’une bonne association de braconniers.
Le système doit être changé. Il faut établir en règle générale que tout emploi gouvernemental, dans n’importe quel ministère, sera assujetti à la Loi du service civil, dès qu’il offre le moindre caractère de permanence. Il faut établir en règle générale que les emplois temporaires ne sont pas autre chose qu’un recours d’exception. Le barème des qualifications exigées élèvera la qualité des services concernés, tout en stimulant l’éducation chez des gens qui n’en
voyaient pas toujours la nécessité quand un clin d’oeil du patronaux local suffisait pour décrocher une « job » du gouvernement.
Nous sommes donc déterminés à restaurer le service public sur la sécurité de l’emploi, sur la compétence et sur 1’impartialité dans l’examen des candidats qui seront appelés publiquement. Tel est notre but et telle est la promesse de tous les libéraux qui ont rédigé notre programme. Nous atteindrons notre objectif progressivement, on procédant avec autant de méthode que d’énergie.
Les mêmes considérations s’appliquent aux entreprises, aux professions et aux commerces qui font affaires avec le gouvernement. Là, aussi, il y a eu un quart de siècle d’injustices.
Le système du patronage qui a édifié la nouvelle classe des millionnaires de l’Union Nationale est aboli depuis le premier jour de notre élection. Jamais notre gouvernement n’y retournera. Que cela, soit compris et bien entendu. Jamais !
Nous avons commencé d’appeler des soumissions publiques pour les travaux gouvernementaux et nous avons accordé les contrats aux plus bas soumissionnaires.
Nous ne dévierons pas de cette ligne de conduite qui est la ligne de l’honnêteté.
Mais la question se pose: notre respect de la loi va-t-il aboutir à immobiliser l’injustice d’hier dans la sécurité d’aujourd’hui?
Je dis Non. Voici les moyens que nous prendrons pour rétablir au moins un équilibre.
Je viens d’annoncer le début de l’enquête que nous avions promise sur l’administration de l’Union Nationale. Nous ne visons pas tellement à étaler les plaies de la province, nous sommes déterminés à les guérir! Cependant, ceux qui se seront rendus coupables de malversation – soit à l’intérieur de l’appareil administratif, soit à l’extérieur selon une preuve clairement établie à l’enquête, devront être punis ou tout au moins mis hors d’état de nuire. À ce côté négatif mais nécessaire de l’enquête, le gouvernement veut allier une œuvre positive. L’enquête qui commence par son côté positif doit servir les fins qu’a obtenu l’enquête Hoover aux États-Unis.
De cette façon, non seulement nous pourrons réorganiser les cadres de l’administration selon les techniques les plus modernes que nous conseilleront les experts attachés au personnel de l’enquête, mais le gouvernement libéral pourra se prémunir contre les désordres où se sont abîmés ses devanciers.
Or, la cause principale du mécontentement actuel chez les libéraux et chez tous ceux qui n’étaient pas liés au régime de 1’Union Nationale, c’est que l’appel des soumissions publiques s’adresse indistinctement à ceux qui sont soupçonnés d’avoir prévariquer pendant un quart de siècle, comme à ceux qui ont été trop honnêtes pour s’engrener dans ce que j’ai toujours appelé la machine infernale.
Mes amis, jamais le premier ministre actuel et jamais un gouvernement libéral ne condamneront un homme sur de simples soupçons, si légitimes soient-ils. Jamais le premier ministre actuel et son gouvernement ne retourneront aux contrats sans soumissions et au brigandage général érigé en système de gouvernement.
Quelle est, alors la solution? La justice exige une réparation, quelle sera cette réparation? Tous ceux que l’enquête démontrera coupables de profitages ou malversations, avec des preuves formelles à l’appui, ne seront pas admis à offrir leurs services et leurs marchandises au gouvernement.
Il est une liquidation qui est immédiate et sans retour. C’est la liquidation du « patroneux » professionnel, ce parasite de la société, ce chancre de l’industrie et du commerce aussi bien que de la politique, qui vit d’une vie d’entremetteur en monnayant ses prétendues influences. Ces intermédiaires étaient fourrés partout sous l’ancien régime. Ils tiraient une rançon sur tout ce que le gouvernement achetait,
depuis les graines de semence jusqu’aux matériaux de construction. Ils vivaient de chantage auprès des commerçants aussi bien que de leurs amitiés honteuses auprès des gouvernants.
Cette race est disparue. Si elle tente de renaître, elle sera écrasée. Le gouvernement ne traitera qu’avec le commerce et l’industrie légitime, par leurs agences légitimes, selon les pratiques tires du marché. Le gouvernement que je dirige ne paiera jamais de rançon aux patroneux. Mes amis, membres de la Fédération et du parti, tels sont esquissés rapidement et dans leurs grandes lignes seulement les moyens que le gouvernement entend prendre pour réaliser le programme que vous avez vous-mêmes rédigé pour lequel vous avez combattu et dont le premier objectif était l’épuration de la vie publique dans la province de Québec.
La Fédération
Je vous disais au début que la Fédération libérale, au moment d’ajuster ses structures aux conditions qui ont changé depuis le 22 juin, devait perfectionner ses armes pour le combat qui commence sur un champ plus vaste. L’épuration de nos moeurs publiques demeure notre premier objectif, après l’élection comme avant l’élection. Le combat doit reprendre sur ce front, non seulement contre le passé, mais pour l’avenir.
C’est un trait de l’histoire politique du Québec que les gouvernements qui ont eu, chez nous, une longue durée ont tous succombé dans l’humiliation.
Votre gouvernement aura une longue durée. Il pourra être vaincu dans la défense de ses politiques. Ne permettons jamais qu’il s’anéantisse par sa propre humiliation. Telle est l’oeuvre principale à laquelle la Fédération doit se consacrer désormais. Il n’est plus tellement question pour elle de surveiller l’ennemi terrassé- que les amis au pouvoir. Elle doit être le chien de garde de l’honnêteté de ses mandataires et de ses militants, de telle sorte que nous nous abaissions jamais à adorer ce que nous avons brûlé avec tant d’ardeur et de promesses.
Une autre tragédie de notre histoire politique, c’est que notre peuple a toujours voté contre un gouvernement et rarement pour un programme et pour un idéal. Il faut orienter notre peuple vers la puissance de la pense positive, et vers les réalités de l’action positive. Un peuple est contre par déception et par découragement. Un peuple est pour par enthousiasme et seul l’enthousiasme déclenche les énergies nécessaires à l’action.
Insuffler et communiquer cette orientation positive à notre peuple telle est la seconde mission de notre Fédération. Elle l’a admirablement commencé avec le programme qui nous a conduits à la victoire. Il est essentiel qu’elle reprenne le combat, sans retard, pour conduire ce programme à sa réalisation.
Pour cela, la Fédération doit remettre en oeuvre toutes les pièces de sa structure, depuis les
associations de paroisses et de contés, les groupements régionaux et jusqu’à 1’exécutif, dans une entreprise coordonné et périodique d’éducation populaire sur les politiques qui commencent.
Les patroneux de l’Union Nationale essayaient parfois de se justifier en disant que les membres des corporations scolaires ou municipales ne connaissaient guère les octrois qu’ils pouvaient réclamer ou que les simples citoyens ne savaient pas à quelle porte frapper pour obtenir la part des mesures sociales à laquelle ils avaient droit. N’existe-t-il pas là comme ailleurs une carence d’éducation populaire? Passez en revue n’importe quel secteur de la vie provinciale et n’importe quel secteur des relations entre le gouvernement et notre démocratie, depuis l’éducation jusqu’aux pêcheries et l’agriculture, depuis les problèmes ouvriers jusqu’à la question constitutionnelle, et vous constaterez la même carence et le même besoin.
Qu’on ne parle pas de démocratie quand elle est ainsi dissociée du gouvernement par l’indifférence des populations! Or, je le répète, notre but et notre devoir est d’opérer l’alliance du gouvernement et démocratie. Seule, à l’heure actuelle dans la province de Québec, la Fédération libérale possède les structures et les armes pour y parvenir.
Par ailleurs, mes amis, le programme dont vous les libéraux et le peuple entier nous avez confié le mandat changera bien des choses dans la province de Québec. Tout changement même pour le mieux rencontre des obstacles et soulève des oppositions. Les obstacles et les oppositions sont toujours à la mesure des changements. L’envergure elle-même du programme libéral condamne donc les libéraux à la permanence du combat. Nous ne pouvons atteindre nos objectifs sans l’adhésion pleinement éclairée et sans la volonté positive de l’opinion publique. Nous n’obtiendrons cette adhésion et cette volonté qu’en diffusant la connaissance de nos moyens et de nos objectifs. La Fédération en étroite collaboration avec les députés et les anciens candidats, doit donc dresser immédiatement un programme d’éducation populaire, qui utilisera tous les moyens modernes de diffusion dont le province est abondamment pourvue, qui ajoutera à ces moyens la vertu de la persuasion des contacts personnels et des études en commun, qui puisera dans l’expérience des ministres, des experts, des hauts-fonctionnaires, des députés et des membres du parti, afin de faire rayonner partout dans la province de Québec la pensée positive sans laquelle l’action du gouvernement est vouée à l’échec.
Jamais, libéraux, un parti politique n’a été convié au Québec ou au Canada, à une oeuvre qui comporte à la fois tant de travail et d’utilité démocratique, tant, de dévouement et tant d’honneur!
Mes amis, dès mes premières paroles j’ai voulu mettre ce congrès libéral sous le signe de
l’unité au sein de notre peuple. Ce n’était pas un vain artifice oratoire, ni une tentative de confondre l’intérêt du parti et de chacun de ses membres avec l’intérêt commun, ni même un espoir de résoudre le conflit personnel d’un premier ministre qui se trouve en même temps chef de parti.
C’était une nécessité de l’heure. Dans 1e tourmente
universelle des jours présents, le temps n’est plus aux mesquineries qui divisent, mais aux oeuvres de justice et de réparation qui, si imparfaites soient-elles parmi les hommes, n’en demeurent pas moins un élément d’unité pour notre parti dans la province de Québec, il faut livrer le combat contre le patronage, le combat de l’éducation, le combat de la conquête des ressources naturelles, le combat de la santé, celui de la moralité et celui de la famille et, par dessus tout, le combat de la justice parmi des citoyens qui sont des frères.
Que la Fédération soit à la tête du combat et nous triompherons de la même façon et avec les mêmes armes que la Fédération a utilisé pour rendre la liberté à tous les citoyens de notre province.
[QLESG19601012]
[International Chamber of Commerce Montréal, October 12, 1960 Hon. Jean Lesage. Prime Minister]
Une des questions les plus discutées à l’heure actuelle est celle des rapports qui doivent exister entre l’État et l’économie. Tout gouvernement qui veut mener à bonne fin ses entreprises et qui a plusieurs moyens d’action à sa disposition doit avoir une idée précise du rôle qu’il entend jouer dans l’économie de la nation qu’il dirige. Il doit posséder une notion claire du degré d’influence qu’il juge à propos d’exercer sur cette économie.
Cette idée précise est d’autant plus importante maintenant, et d’autant plus nécessaire, que des facteurs d’ordre économique et social nous obligent depuis déjà quelques années à une révision de nos conceptions traditionnelles des relations entre l’État et l’Économie.
En effet, l’évolution économique et sociale du monde moderne, en particulier du Canada et surtout de la province de Québec, a été extrêmement rapide. Elle s’est faite à une cadence qui ne cesse d’accélérer. On note par exemple des changements profonds dans la mentalité des citoyens; certaines idées que l’on prenait pour définitivement acquises sont remises en question, pendant que de nouvelles surgissent. Les techniques de production changent elles aussi. On peut même dire qu’elles sont en révolution permanente; de nouveaux procédés de fabrication succèdent aux anciens qui eux-mêmes en avaient remplacé d’autres il n’y a pas tellement longtemps. La concentration industrielle, ou mieux la concentration économique, a provoqué la formation d’entreprises gigantesques dont la capacité de production est à la mesure de leur taille.
À tous ces facteurs qui influencent la vie quotidienne et le comportement de centaines de milliers de citoyens s’en ajoute un autre plus récent mais nullement négligeable. Je veux parler ici du défi que présentent au monde libre les économies des pays communistes. Leur production commence à envahir de nombreux pays jusqu’ici indépendants; leurs agents commerciaux ouvrent chaque jour de nouveaux marchés pour ces produits et leurs agents culturels élargissent de façon alarmante une sphère déjà trop étendue. Ce sont tous ces facteurs qui nous incitent à réviser nos conceptions des relations entre l’État et l’économie et qui nous forcent en quelque sorte à les moderniser et à les rendre plus conformes aux exigences de la vie moderne. Mais cette révision ne peut pas se faire à l’aveuglette; elle ne peut pas se faire arbitrairement. Elle doit, de fait, être basée sur un critère sérieux. On ne change pas ses idées, ni ses conceptions, pour le seul plaisir d’en avoir de nouvelles. Il faut qu’une révision soit justifiée par les améliorations qu’elle peut apporter; il faut en d’autres termes qu’elle permette une plus grande efficacité, aussi bien dans l’usage des ressources productives, que dans l’emploi maximum des ressources humaines.
Au cours de l’histoire moderne, on a déjà effectué de ces révisions. Elles étaient orientées, ou bien par le libéralisme économique, ou bien par le socialisme, ou bien encore par des variétés de l’une ou l’autre de ces tendances. Je crois que la révision qui s’impose actuellement doit aller au-delà de ces deux courants traditionnels, qu’elle doit en somme les dépasser. De ce fait même, elle sera plus réaliste, car le libéralisme économique, comme le socialisme, ne sont plus pour nous que des mythes.
[Economic Liberalism
Let us now take the case of economic liberalism. When we talk about it today, we forget most of the time that at the beginning of the last century, economic liberalism was more a liberation from the commercial and industrial restrictions of the previous years, than a permanent ideal of economic organization. In itself, liberalism was not looked upon as being a permanent way of life; it was no more than a system of economic organization, based on free enterprise, but adapted to the situation of that period of history
and apt to solve its problems. There is nothing in it which makes
It is important to point out that economic liberalism has never taken for granted that the State should completely refrain from any intervention in the economy. Its most enthusiastic supporters
have always admitted that the State had an
important economic function. The State, even in the liberal era, played a definite rôle, for example, in the construction and maintenance of roads, canais, railways, etc. It used tariffs to direct commercial exchanges, it granted subsidies to certain types of industries, it provided certain necessary public services, as military protection, post offices, etc. Therefore, those who desire a return to the economic liberalism system because they want to abolish ail intervention on the part of the State, are simply endeavouring to realize a myth. Moreover, it is quite imprac go tical to try to adapt to an economy as complez as ours a solution
which may have had sonie relevance more than a century ago, in a com
it good for ail countries at ail time. Of course, in it we find constituent elements that modern society must proteét and keep. Individuel freedom is one of them. But I think it is a myth to believe that we need only to reestablish it in its integrity to solve the problems modern economies are faced with. As I said before, the economic and social background has changed so much compared to what it was in the days of economic liberalism, that we now live in an almost new world.
w 0
pletely different context.
• At any event, no one ignores that if economic liberalism no longer existe as such, that is to say unadulterated, it is because it became the victim of the problems it naturally gave rise to. Economic liberalism had., we may say, the defects of its own qualities.
• The full freedom it granted to the citizens
brought about many excesses and provoked a general insecurity, the main source of which was absolute competition. The insecurity did not affect the working (but frequently unemployed) class only; it affected the businessmen and industrialists themselves. They were the victime of their own competition. It is not surprising that, with time, the world could witness more and more numerous agreements and deals between those
people. These agreements concerned territory, prices, advertising methods, etc. In many cases, such agreements léd to industrial and financial concentration. There were also more and more market surveys undertaken, more and more research projects on production metjods, etc. There was also much improvement in more efficient advertising techniques in order to insure the various concerna a more stable market. On the whole, by controlling the instances in which free enterprise was giving rise to too many risks, there was an effort to curtail the effects of « laissez-faire ». In doing so, there was an inevitable departure from the spirit of economic liberalism. À few firme became bigger and more powerful according as integral economic liberalism gradually decreased.
One of the main arguments which is often used to prove the value of economic liberalism is the way it succeeded in the priva te sector of western economy. Those who use this argument say that the high standard of living attained by the western countries, namely
the United. Statep and Canada, is the conséquence of free enterprise only. èfee~ly~believe that free enterprise certainly contributed very much to this.h’iigh standard of living and to the higher and’higher
• industrial production which are characteristic of North American economy. It permitted the realization of courageous ambitions and gave a free course to the numerous initiatives of competent industrialists.
tir » ~conomic liberalism is the only progressive factor; I do not have the impression either that it is the mort important one. I would rather feel inclined to grane much credit to the dynamic spirit of the businessmen themselves who knew how to exploit their inventions and how to concretize their intuitions. They also knew how to consolidate their first successes by their tenacity.. I would aise grant some credit to the new techniques of production which revolutionized the rythm of economic progress. Neither would I forget the new methods of transportation and the new uses of raw materials, nor the recent discoveries of greater and sometimes almost unlimited natural resources. I would not want to neglect the improvements which took place in the level of education
i resources of those countries now enjoying a high stàndard of living.
J In other words, I do not believe that we should attribute to ~he prin
of the workers; it made them much more efficient and much more competent in their trade. Finally I would give much credit to the natural
ciples of economic liberalism more than they actually brought about.
c
I consider them as being one of the important factors in the succesa
of the private sector of western economy, but in my opinion it’is far from being the only one. I have the impression that by isolating it from all the others, which is dons too often;, we make it the only responsible element of a situation which is the result of numerous other factors. It is in this way, by taking it out of its real context, that economic liberalism became a social myth.
Economic liberalism has never in fact been in a position to solve the main economic problems of modern times. On the contrary, we may even say that it bequeathed them to us. If the average standard of living has improved, there are still too many citizens who enjoy only a minimum level of subsistance and are etill deprived, to a great extent, of the benefits of culture. If those citizens are
! longer exists as such; it is because we have been able to mitigate it I
chanisms which, like social security, do not take into consideration
not more numerous, it is paradoxically because economic liberalism no
•
by introducing into the economy and into the social institutions, me profit motives only.
Socialism ~~
Now, what should we think of the other alternative that is socialism? We must say right now that, as well as economic liberalism, socialism is based on a great idea= human mutual aid and economy at the service of the human being. But, unfortunately, this great ides could never be put into practice on a large scale. On the oontrary, the so-called socialistic States which endeavoured to apply it have, mort of the time, succeeded onlbr in ourtailing the citizens’ freedom, when they did not abolish it completely. Through a desire to protect the population against the excesses of laissez faire, through a desire to give more security, the Governments of those countries have impaired some of the fundamental rights of the individual, like the right of property, the freedom of initiative and even the freedom of speech and religion. To go as far as that, it has been necessary to use various excuses often based on an erroneous perception of economic and social phenomena. It has been believed, for instance, that the happiness of the human race could be measured in terme of its degree of security, that the common good naturally required the control of individual actions, that the improvement of the human being as a whole supposed its liberation from religious beliefs. Consequently in many cases, mostly in the socalled « People’s Democracies », a universe of restrd.ints has been created in which the individual becomes a being taken care of by the sollicitudes of the State, fesi but anonymous, easily replaced and discarded. and condemned to the service of an omnipotent State.
• In economic terme, the socialist experience has failed, or rather never took place. Private capitalism was replaced by a State capitalism, still more impersonal and farther away from the preoccupations and the desires of individuals. This State capitalism, because of the needs of a rapid industrialization, justified by the purpose of surpassing and doing more than the western economies, has sacrificed the consumer, as a person, to the producer, as a citizen. If the standard of living has recently improved in those countries, it has been due to a tactical necessity rather than to a deliberate choice of the State authorities. If, on the other hand, their production has considerably increased, it is as a weapon of the economic warfare, rather than as an instrument in the edification of a greater • welfare for the citizen.
On the rare occasions when, during the lest
century, ideal socialism was put into practice, all efforts failed. The
le normal human behaviour had simply been forgotten. There was a flagrant neglect of the fact that motives of personal interest can be powerful and completely legitimate. An unrealistic conception of human nature had. been adopted. Socialism, as it is presented by some thinkers, could never then be applied with success. Socialism, as it is practiced by the communist leaders, is nothing more than a distortion of an idea which at one time had some greatness and some human appeal. Ail this
• incites me to believe that socialism is also a myth. If a few of its constituent elements deserve some attention, the economic systems which now bear its narre and in which a class of bureaucrate has become prosperous, cannot provide us with a valid solution to the economic pro
10 blems of our society.
Democratic Planning
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The re-establishment of economic liberalism le not, in
my mind, more acceptable, nor more desirable, than the establishment of socialism. However, under the present economic and social circumstances, the State cannot neglect the economy completely; neither can it take the complete responsibility as is done in the socalled « People’s Democracies ». In the first case, an absolete instrument would be used to solve our problems. In the second case, the means would be totally inefficient and incompatible with our way of life and the liberties we enjoy.
In my opinion, the only way to avoid this dilemna is to go beyond it. The State does not have to choose between socialism and economic liberalism; it can direct itself in another way be keeping the advantage of the two economic systems mentioned, while doing away with their defects and shortcomings. This third way is what I call « democratic planning ».
I suppose it would be useful if I made the meaning of the word « planning » clearer. A plan is essentially an act of intelligence in the organization of the realities which we can control. Nobody would contemplate, et this stage of scientific development, making a plan of the weather to coure; we do not as yet control the climats. However, a young ‘en can plan his future because he knows that he can exert some influence on his personal progress. In the
saine way, an engineer or an architect make plans; industries also plan their production. a plan appears then to be the result of an act of intelligence, of perception, of reflection. In this context, planning can be looked upon as the preparation and the carrying out of many particular or general plans.
In our days, the modern State that wents to avoid the dilemna between laissez-faire and socialism, can fulfill its tank adequately only
if it uses economic planning. Such planning has becorne an indispensable mode of action for many reasons, as a result of the conditions of modern life and, in particular, because of the massive industrialization of North American economy. Because of the sums it spends each year, because of the influence that even the least important of its devisions can have on the rest of the economy, the State owes it to the people to let them know where it is going. It must endeavour to know in advance what may be the social and economic repercussions of its actions; most of all, it must know what action must be taken and when it may be taken. In fact, the citizens must have confidence and be convinced that•the State will not act blindly or at random.
Very often, in the decisions taken by business concerns ,and industries, many factors or economic sectors over which the State has an exclusive, or at least partial control, enter into consideration. For instance, in matters of taxation and social security, or in matters of natural resources or transportation. The industries affected by those sectors of governmental control muet be informed about the State’s plans so as to establish their own plans. They must be free from the doubts that are usually provoked by arbitrary State action. In this way, carefully established planning injecta into the entire economy an element of stability capable of sustaining the pace of economic progress.
However, it is mostly in the study of economic problems, in the elaboration and in the application of the solutions of these problems and of the shortcomings of the economy in general, that economic planning comprises its most important contribution. In order to solve a difficulty, it is necessary te be well acquainted with its nature, its extent and its effects. It is for this reason that economie research is se indispensable. It furnishes the raw materiai from which solutions can be extracted, se te speak. As te the solutions themselves, they must,be put into order and used according te the logic and the requirements of the economic and social environments. The role of economic planning is first, te discover the problems in all their manifestations; second, te promote an awareness of the adéquacy as well as the potential efficiency of the solutions and, finally, te determine the way in which the appropriate solutions may be applied.
This type of planning is done at :he government level.
It must net however become an invitation te state socialism. That is why I consider it te be absolutely essential that the private sector
be incorporated into the decisions taken by the State. In other words, governmental decisions must net tome exclusively from a « brain trust » made up of specialists and technicians who would consult among themselves only and whose decisions and directives would assume an obvious anti-democratic character.
It is possible te look upon the Economic Council
recently established by the Provincial Government as an excellent example of what I have in mind when I talk about democratic planning. Government management, labour and universities are all represented on the Council. Still, this Council is only one example, a prototype we may sait of the way the democratic character of the planning process tan
be safeguarded through representation and consultation. I think it
is possible to act in the saure way wherever it may be deemed necessa
ry te apply the planning process. In fact, the consultation of
• interested groupa is, in any undertaking, one of the most important
conditions of the successful outcome of a
common action. Economic
planning must be done by the government and the private sector
toaether; not by the government for the private sector and the rest of the economy.
Most of all, it must be done realisticaliy and efficiently. To this end, although its ultimate purpose may be the solution of the difficulties of a country or of a province, economic
planning cannot achieve its aim without paying attention to the characteristics, the problems and the’resources of the various regions which compose the country or the province. Therefore, planning must be well ordered but deoentralized. This decentralization movement becomes necessary if we desire to formulate policies which will take into account local circumstances and which will rely on the capital assets existing in a given region. Those capital assets, so far idle or unprofitably invested, viii thus be in a position to accelerate the improvement of the community or region where they are found.
At all levels planning must be carried out democratically, but not under any coercion. Social, industrial and business croups in each region will be consulted and will be parties to decisions made concerning them in view of giving a definite orientation to the overall economy of the region where they live and work.
Economic planning, based on democratic principles, gives new dimensions to the relations between the State and the Economy. It makes it possible to avoid thq dilemna into which too many govern
qu mente were thrown in the pasts a choice between economic liberaliam and socialism. It
provides modern governments, which are conscious of the efficiency of their policies, with ways and means adapt3d to the problems of our times.]
L’État dans l’économie moderne
Je reviens en terminant à une idée que j’ai mentionnée au tout début de cette conférence. J’ai dit à un endroit que les événements des dernières années avaient modifié plusieurs de nos conceptions traditionnelles. Une de celles que j’avais à l’esprit à ce moment est la nouvelle attitude que la population en général
[QLESG19691026]
[NOTES DU DISCOURS DE L’HONORABLE JE » M SAGE, PREMIER 14INISTRE DE LA PROVINCE DE QUEBEC, LORS DE L’ÉTUDE DU PRCBLEME DU CHÔMAGE PAR LA CONFERENCE FISCALE FEDERALE-PROVINCIALE
DES 26, 27 et 28 OCTOBRE 1960]
Je désire tout d’abord remercier le premier ministre du Canada et ceux des provinces d’avoir accepté la suggestion contenue dans la lettre que j’adressais au chef du gouvernement canadien, le 29 septembre dernier, et dans laquelle je demandais avec instance que le problème du chômage soit discuté durant la présente conférence.
Notre pays tout entier traverse sa période la plus difficile depuis la guerre. J’ai signalé ce
problème de l’heure dès le mois de juillet. Vous-même, monsieur le premier ministre, l’avez reconnu lors d’une allocution télédiffusée le 21 septembre. Depuis, une multitude de nouveaux indices sont venus confirmer la gravité de la situation.
Les experts prétendent que la présente récession a débuté au mois de février 1960 et qu’elle sera peut-être la plus prononcée depuis la crise économique des années 1930. Au cours du second trimestre de cette année, la baisse de notre production nationale brute a été de 1.5%. C’est la diminution la plus marquée depuis qu’on a commencé à publier des données trimestrielles en 1947. De plus, il est fort possible qu’une nouvelle baisse se manifeste au cours du troisième trimestre. Si cela se produit, ce sera la première fois, pendant la période d’après-guerre, que notre production nationale aura diminué au cours de deux trimestres consécutifs. La présente récession est donc une des principales causes du chômage anormal dont nous souffrons.
Mais ce n’est pas tout. La récession actuelle suit la période d’expansion la plus courte et la plus faible depuis celle de 1927-29. On estime que le volume de notre production nationale par tête sera plus faible en 1960 qu’en 1956. C’est donc dire que nous traversons une période de stagnation qui est une autre cause de chômage.
Le chômage de structure est aggravé par le chômage technologique attribuable au progrès technique et à l’automatisation en particulier. Si l’on ajoute à ces catégories de chômage le chômage saisonnier que l’hiver nous apporte régulièrement, on a une juste idée de la gravité de la situation à laquelle nous devons faire face.
En juillet dernier, lorsque j’ai soulevé la question du chômage, j’ai conclu mon exposé en disant:
« Nous n’avons pas l’intention de suggérer au gouvernement fédéral comment il devrait s’acquitter de sa responsabilité à l’égard du chômage, mais nous osons espérer qu’il est prêt à mettre en application une politique énergique
et efficace et qu’il sera bientôt en mesure de communiquer avec les provinces pour nous indiquer, au moins de façon générale, quelles mesures il entend prendre pour faire face à la situation. Quant à nous de la province de Québec, nous sommes prêts à entamer des pourparlers à ce sujet afin de coordonner nos projets respectifs. » Monsieur le premier ministre, dans la lettre que vous m’avez adressée le 11 octobre, vous mentionnez la participation fédérale aux travaux d’hiver, l’assistance financière à l’habitation et le programme fédéral de travaux publics comme des mesures vigoureuses prises par le gouvernement central, mesures qui, dites-moi, indiquent l’intention de votre gouvernement de remplir tout son rôle dans la lutte contre le chômage, présentement et au cours des prochains mois d’hiver.
Le programme de travaux d’hiver est sans doute utile, mais il a aussi des faiblesses que je me propose de souligner plus loin. De l’avis de plusieurs constructeurs d’habitations, l’assistance fédérale annoncée récemment n’est pas suffisante et vient trop tard. Enfin, d’après les relevés faits par le ministère fédéral du Commerce, le programme d’investissements du gouvernement central sera inférieur au cours de la présente année à celui de l’an dernier.
En raison des différents aspects de la situation actuelle, je crois devoir dire que ce programme paraît nettement insuffisant. Il prend pour acquis que le chômage n’existe que dans l’industrie de la construction – ce qui n’est pas le cas – et il ne suffira même pas à créer des conditions satisfaisantes d’emploi dans cette industrie particulière. La situation actuelle au pays est beaucoup plus généralisée dans sa gravité que ne le laisse entrevoir le programme fédéral. Celui-ci, par exemple, n’apporte aucune véritable solution au chômage technologique et de structure qui sévit à l’heure actuelle. Comment devons-nous aborder ce problème? Une grave faiblesse de la structure de notre économie se trouve dans le secteur domestique de notre industrie manufacturière. Ce sont surtout les industries de biens de consommation qui éprouvent présentement des difficultés. Pour que ces industries puissent faire face à la concurrence étrangère, il leur faut diminuer leurs frais de production. Ce résultat ne pourra être obtenu que si elles peuvent avoir accès à de plus vastes marchés et se spécialiser davantage. À cette fin, un programme d’assistance gouvernementale devrait être préparé et mis à exécution en collaboration avec les représentants du travail et de l’industrie. C’est le gouvernement fédéral qui devrait prendre l’initiative dans ce domaine, mais le gouvernement du Québec est prêt à participer à une action conjointe dans les limites de ses responsabilités.
Pour ce qui est du chômage technologique, il y a certaines mesures à prendre qui sont du ressort des provinces. La période de fréquentation
scolaire obligatoire pourrait être prolongée et nos jeunes pourraient recevoir un meilleur entraînement professionnel ou technique. Cela aurait pour effet de retarder l’arrivée des jeunes sur le marché du travail et de les mieux préparer à s’y présenter. Dans notre société moderne, le jeune travailleur non spécialisé devient un véritable handicapé. Dans le même ordre d’idées, il importe d’accorder une aide généreuse et efficace à ceux qui sont déjà sur le marché du travail mais qui ont perdu leur emploi à cause de leur manque de qualification ou parce que leur métier n’est plus requis. Un tel plan, conçu et exécuté par les provinces, aurait des effets tant immédiats que lointains sur le niveau et la structure de l’emploi dans notre pays, car ce sont présentement les jeunes travailleurs et les ouvriers non spécialisés qui sont les principales victimes du chômage.
À ce sujet, nous sommes complètement d’accord avec le gouverneur de la Banque du Canada, monsieur Coyne, qui, lors d’un récent discours à Calgary, déclarait:
[« In order for Canada to do this we need, in the first place, to
improve our educational facilities iamnensely, we need to have
more universities and technical institutions and training establishments of all kinds, and many times as many students and
workers in training as at present. »]
Je n’ai mentionné que deux causes de chômage parmi celles que des travaux publics ne sauraient faire disparaître, et je pourrais en signaler d’autres. Il y a aussi les cas où les travaux publics ne constituent pas le meilleur remède à apporter; le chômage cyclique dont nous souffrons au cours de la présente récession en est un exemple.
Il n’en reste pas moins qu’un programme de travaux bien conçu peut être utile, surtout l’hiver, en contribuant à stimuler l’industrie de la construction et les industries connexes. À ce sujet, je voudrais faire une proposition pratique qui pourrait, semble-t-il, accroître considérablement les effets bienfaisants du programme conjoint de travaux d’hiver. À l’heure actuelle, les contributions versées aux municipalités sont uniformes et ne couvrent qu’une partie du coût de la main-d’oeuvre. La part la plus importante du financement de ces travaux reste donc à la charge des municipalités.
Une telle situation ne présente pas trop d’inconvénients aux municipalités plus fortunées, qui comptent peu de chômeurs. Les subventions fédérales et provinciales leur permettent d’alléger leurs charges financières par contre, le système actuel de contributions uniformes ne permet pas aux municipalités pauvres de participer pleinement au programme
de travaux d’hiver, même si, règle générale, on y trouve proportionnellement le plus grand nombre de chômeurs. Nous pourrions établir, sous la surveillance directe des provinces, un
système de subventions graduées selon la proportion de chômeurs. Dans ce cas, les contributions maxima devraient couvrir une partie du coût des matériaux, de la machinerie et de l’équipement. Nous espérons que cette idée sera discutée plus en détail au cours de cette réunion. Le chômage, comme je le disais tout à l’heure, est devenu un problème aigu. Contrairement à nos prédécesseurs, nous avons accepté une part de responsabilité dans la lutte contre le chômage et nous avons fermement l’intention de remplir notre rôle le mieux possible dans les limites de nos ressources financières. Le gouvernement du Québec participe maintenant au programme des travaux d’hiver dans une proportion de 40% du coût de la main-d’oeuvre et nous sommes prêts à faire davantage pour les localités où le chômage est spécialement élevé, à condition que le gouvernement central imite notre action.
Nous faisons en sorte que les travaux publics se poursuivent au cours de l’hiver. Nous procédons le plus rapidement possible à l’aménagement de nos ressources afin de créer de l’emploi. Nous avons également l’intention, dès la prochaine session, d’améliorer sous plusieurs aspects notre programme de sécurité sociale, ce qui aura pour effet non seulement de diminuer la misère, niais aussi d’accroître le pouvoir d’achat.
Nous voulons prendre des mesures efficaces pour prolonger la fréquentation scolaire afin de mieux préparer nos jeunes à exercer un métier ou une profession. Nous désirons enfin aider les chômeurs qui n’ont pas de métier ou qui doivent on acquérir un autre à se réadapter en fonction du marché du travail. À cette fin, nous tenterons dès cet hiver de diffuser l’enseignement technique et professionnel par tous les moyens possibles.
Comme je le disais au mois de juillet dernier, « nous serions toutefois bien naïfs de croire que nous pouvons à nous seuls, même avec la collaboration des municipalités, régler le problème du chômage ». D’un autre côté, je crois devoir le dire, l’action du gouvernement fédéral a été jusqu’ici nettement insuffisante car elle s’est limitée surtout à la lutte contre le chômage saisonnier. À mon avis, sa politique doit être beaucoup plus large et viser également à combattre le chômage technologique, cyclique et de structure qui sévit présentement. Le gouvernement fédéral devrait nous dire, dès cette: réunion, ce qu’il entend faire pour améliorer les conditions de l’emploi dans notre pays.
Au fait, les difficultés économiques que nous connaissons sont tellement complexes et graves que seule une planification coordonnée pourra les surmonter. Les gouvernements fédéral et provinciaux, s’ils veulent remplir pleinement leur rôle, n’ont plus le choix de ne pas planifier. Toutefois, pour être bienfaisante, cette planification ne doit pas être théorique et centralisée. Il faut, au contraire, qu’elle se fasse en fonction de la prospérité de chacune de nos industries et qu’elle soit fondée sur les
zones économiques – nos plus petites unités géographiques.
Toutefois, une planification sans coordination intergouvernementale ne saurait être pleinement efficace. Au sein du fédéralisme, les différentes sphères de gouvernement sont interdépendantes surtout dans le domaine économique. Aucun gouvernement ne peut raisonnablement ignorer les projets des autres. Pour ces raisons, je le répète, le gouvernement fédéral devrait dès maintenant nous dire ce qu’il entend faire pour améliorer le niveau de l’embauchage au Canada.
Nous devrions savoir, du moins de façon générale, ce que chaque sphère de gouvernement est disposée à faire pour remédier au ralentissement de notre activité économique. Nous devrions également décider comment nous pouvons le plus efficacement coordonner notre action pour ramener au travail les centaines de mille Canadiens qui souffrent présentement du chômage.
[QLESG19601120]
[Conseil consultatif de l’Association des Hommes d’Affaires de Montréal
Montréal. Dimanche le 20 novembre 1960
Pour publication après 7 hrs. p,m.
Hon. Jean Lesage. Premier Ministre Le 20 novembre 1960.]
Je veux vous rassurer tout de suite. Là où j’ai lu « une heure », vous pouvez entendre plutôt vingt minutes, et probablement moins.
Il se produit parfois des coïncidences troublantes. Au moment où j’allais mettre en ordre les quelques idées que je voudrais vous exposer, le hasard d’une lecture a placé sous mes yeux la phrase suivante de René Benjamin qui, je vous l’avoue, m’a un peu ébranlé [« C’est extravagant, (dit cet auteur) d’oser parler tout seul, une heure, devant un millier de personnes qui se taisent. Quelle inconséquence … ou quelle audace! »]
Le maître des cérémonies à un dîner-causerie avait dit un jour, en souhaitant la bienvenue aux invités:
[« Mesdames, Messieurs, mangez, buvez et soyez heureux … car bientôt viendront les discours. »]
‘Le mien, en plus de sa brièveté, aura une autre excuse. C’est que je ne pouvais vraiment pas résister à une invitation courtoise venant d’un groupe aussi important et, disons le mot, aussi admirable que le vôtre.
Votre Association combine les deux caractéristiques les plus importantes et pas du tout contradictoires de l’entreprise privées, concurrence et collaboration.
La concurrence produit d’excellents résultats qui profitent au bien commun. La collaboration, à un niveau supérieur, unifie les volontés vers
le progrès sous le commandement d’un idéal. Et l’idéal qui règne ici, c’est le progrès du Montréal Métropolitains la foi en son avenir, la volonté de l’assurer aussi grand que possible. Cette foi, je vais tâcher de le prouver, ne repose pas sur des chimères, sur des désirs qui se prennent pour des réalités.
Je pense à ce propriétaire d’hôtel qui avait fait venir un agent de publicité afin de discuter des moyens d’attirer une clientèle plus nombreuse. Il lui demanda:
Comment trouvez-vous le lac sur les bords duquel mon hôtel est construit?
L’agent de publicité répondit: Excusez-moi, mais j’ai beau regarder à droite et à gauche, en avant et en arrière, je ne vois pas ici le moindre lac:
Alors, dit le propriétaire, vous n’êtes pas du tout l’homme qu’il me faut! Contrairement à cette histoire, tous les atouts sont dans le jeu de ceux qui ont confiance dans l’avenir merveilleux de Montréal: il s’agit simplement de les jouer comme il faut. Si le développement de la région métropolitaine est au premier plan de nos préoccupations, c’est pour une raison qui saute aux yeux de tous.
C’est que la province entière bénéficiera de ce progrès. Il arrive souvent que le progrès accompli par un individu lui permette de mieux servir la communauté. De même, la meilleure manière pour la région de Montréal de servir toute la province, c’est de se développer d’une façon rationnelle et dynamique.
L’importance de Montréal se juge à la place occupée par la zone métropolitaine et la région économique adjacente, la Cité de Montréal ayant des frontières trop arbitraires pour qu’on puisse l’isoler totalement du milieu environnant. Selon le recensement de 1956, la zone métropolitaine d Montréal compte 34 % des habitants du Québec. Elle fournit cependant 58 % de la production industrielle de la province, et, en ajoutant la production des comtés immédiatement adjacents et dépendant du complexe économique montréalais, on atteint les deux tiers de la production industrielle provinciale.
Il n’est pas possible de déterminer quelles sont exactement les relations qui unissent l’économie de la zone de Montréal au marché de la province de Québec. À cause, cependant, de la très grande diversité de la production montréalaise, on peut assez facilement présumer qu’une large part de cette production approvisionne le reste
de la province, la croissance de l’industrie montréalaise devant alors être d’autant plus marquée que la province se développe elle-même plus rapidement.
Cette observation prend une importance considérable quand on note que c’est l’industrie manufacturière qui constitue l’activité principale de la zone de Montréal, l’industrie employant à peu près trois fois plus de travailleurs que l’ensemble du commerce de gros et du commerce de détail réunis. Le port constitue l’un des moyens de communications, à
peu près au même titre que la route et le rail et il n’a d’importance que dans la mesure où, comme les autres moyens de transport, il facilite ou bloque le développement de l’industrie elle-même. La croissance industrielle explique d’ailleurs une bonne part de l’expansion des services commerciaux; les bureaux d’administration se multiplient aussi en fonction de l’industrie, une part de la croissance de son activité étant cependant due à la place stratégique occupée par Montréal dans l’ensemble des réseaux d’échanges provinciaux et nationaux. La construction actuelle de nombreux gratte-ciel serait alors le résultat, à la fois de cette expansion industrielle locale et du développement de l’économie provinciale ou même nationale.
Considéré ainsi, l’avenir de Montréal semble donc lié d’abord au développement de la grande industrie manufacturière, bien que je doive ici ouvrir une parenthèse pour souligner que, dans mon esprit, ce développement ne peut aller de pair qu’avec une décentralisation de plus en plus accentuée de l’industrie secondaire. L’avenir de Montréal dépend aussi des voies de communications qui relient, d’une part, la zone de Montréal au reste de la province et du pays, et d’autre part, les différentes parties de la région économique entre elles. Il faut cependant remarquer que les activités économiques sont en train de se redéployer de telle sorte, que c’est surtout la question des communications qui passe au premier plan, du moins au niveau des responsabilités provinciales. Bien entendu, les problèmes de financement doivent aussi être examinés avec une certaine attention. Les phases successives de la croissance de Montréal permettent de poser avec plus de précision le problème actuel des communications, tel qu’engendré par le développement industriel et par celui des opérations commerciales et administratives.
Jusqu’en 1931, Montréal a attiré non seulement l’industrie, mais aussi la main-d’oeuvre et la population. Un grand nombre des comtés de la province, surtout aux abords immédiats de Montréal, ont vu décroître leur population dont des contingents importants allaient, semble-t-il, grossir celle de Montréal. Sous ce rapport, on peut affirmer que la croissance de Montréal s’est, dans une bonne mesure, substituée à l’émigration vers les États-Unis.
Mais à partir de 1931, la congestion du centre de Montréal devient visible, et les plus vieux quartiers situés en bordure du port commencent à perdre de leur population. Cependant, la zone de Montréal continue de progresser dans les quartiers périphériques de la Cité et dans les villes de la banlieue immédiate.
De 1941 à 1951, la congestion s’étend rapidement. Au cours de cette période, 14 seulement des 35 quartiers enregistrent un gain; les quartiers en déclin remontent du port vers le nord et occupent une zone restreinte mais continue, de près d’un mille et demi de profondeur et contenant la moitié de la population de la Cité. Pendant ce temps, les quartiers périphériques et les villes de banlieue voient progresser leur population à un rythme extraordinaire.
Depuis 1951, les tendances signalées plus haut se sont intensifiées, les quartiers en croissance accentuent leur progrès, les quartiers en déclin se dépeuplent de plus en plus. La force de croissance se déplace alors à l’extrême périphérie de la région économique à mesure que la montée très rapide de la population de la prochaine banlieue amène ces quartiers à faire progressivement le plein. Cette force de croissance qui s’exerce maintenant au delà des limites de la zone métropolitaine elle-même affecte différemment les comtés concernés; le transfert de l’impulsion en vagues concentriques successives se poursuit avec cependant des déformations nettes qui sont liées, semble-t-il, aux grandes routes terrestres.
Tout autour de la zone métropolitaine, les comtés suivants manifestent une vigueur remarquables : Vaudreuil, Deux-Montagnes, Terrebonne, l’Assomption, Verchères, Chambly, Laprairie, Châteauguay et Beauharnois.
À cette ceinture viennent s’ajouter des prolongements constitués par Napierville, Saint-Jean et Shefford au sud-est, et Richelieu au nord-est. Avec Saint-Jean et Shefford, on constate déjà une certaine diminution de la pression démographique, mais au delà, le contraste est net. La population s’accroît à peine et les gains sont récents. Cette dernière zone comprend les comtés de Yamaska, Bagot, Saint-Hyacinthe, Missisquoi et Huntingdon. Le reflux de la population de Montréal s’accompagne de changements dans la localisation des quartiers résidentiels et des activités économiques. Si le centre de Montréal tend à perdre de sa population résidentielle, une expansion considérable des quartiers d’habitation a eu lieu dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Ouest, l’Est et le Nord. De nouveaux quartiers apparaissent en outre sur l’Île Jésus et au divers points de la Rive-Sud. Enfin, il semble bien que certaines parties des comtés de Vaudreuil et des Deux-Montagnes soient aussi en voie de devenir des zones surtout résidentielles liées aux activités économiques de la métropole. Parmi celles-ci, l’industrie manufacturière a manifesté la tendance la plus forte à la décentralisation. L’encombrement du centre de la ville, le prix élevé du terrain et les nouvelles normes de construction se sont conjugués pour repousser l’industrie manufacturière vers la périphérie. En 1948, la production industrielle de la Cité de Montréal représentait 78 % de la production totale de la région métropolitaine. Huit ans plus tard, le rapport était tombé à 58 %. Une zone industrielle extrêmement importante s’est créée le long de l’actuel Boulevard Métropolitain et l’industrialisation de certaines municipalités indépendantes, de l’Est en particulier, s’est accélérée.
Ce déploiement de l’industrie de Montréal a cependant largement dépassé les limites statistiques de la zone métropolitaine. L’expansion industrielle des comtés de Terrebonne et de Verchères, par exemple, est dans une bonne mesure le résultat du reflux des activités économiques vers la périphérie.
Les activités commerciales ne contribuent qu’en partie seulement à ce phénomène de décentralisation. Par l’intermédiaire des centres d’achat, une partie du commerce de détail a émigré vers la périphérie. Dans l’ensemble cependant les quartiers des grands magasins continuent de jouer leur rôle traditionnel.
Enfin, la centralisation des bureaux reste entière. Sans doute, le quartier des immeubles de bureaux s’est-il considérablement élargi, mais il n’a pas tendance à éclater. Il continue de drainer une main-d’oeuvre de plus en plus considérable.
L’industrie manufacturière, on l’a noté, constitue la base de l’expansion de Montréal. Ce qui favorise l’industrie favorise en même temps la croissance de la ville et les activités tertiaires qui en sont une des expressions. Or, plusieurs phénomènes tendent maintenant à s’opposer à l’expansion de l’industrie manufacturière. Le premier de ces phénomènes est la congestion et l’encombrement des voies de circulation. La décentralisation des activités et des habitations n’a pas réglé le problème. La congestion au centre est restée très grande et les artères périphériques se sont révélées insuffisantes.
La construction du Boulevard Métropolitain a permis cependant d’établir un grand axe de circulation rapide à travers la région, sans que la nouvelle route ne touche, en aucun de ses points, le vieux centre de la ville, c’est-à-dire la partie la plus encombrée.
Bien d’autres voies doivent être prévues dans un avenir rapproché. Leur disposition doit être telle, qu’elle réponde aux objectifs suivants: relier les quartiers résidentiels en voie de développement aux quartiers industriels, en ménageant des « zones réservées » utilisables dans l’avenir; relier les quartiers industriels à l’extérieur; faire en sorte que le centre soit facilement accessible, sans cependant être le lieu de rencontre de toutes les voies de circulation.
Pour satisfaire ces objectifs, l’axe du Boulevard Métropolitain présente une utilité considérable. Déjà un embranchement vers le Nord (l’autoroute des Laurentides) y est relié. Un autre vers la Rive-Sud s’impose, qui puisse passer à peu de distance du centre des affaires. D’autres embranchements vers le nord et l’ouest de l’Île de Montréal devraient sans doute être étudiés.
Ici, le ministre des Finances a un sursaut et il glisse à l’oreille du Premier Ministre : « Ne prends pas tes désirs pour des réalisations immédiates.' » Mais emporté par son enthousiasme, le Premier Ministre lui impose silence d’un air
impérieux et il continue:
Advenant le développement industriel intensif du comté de Verchères, il deviendra essentiel de relier cette région à Montréal, autrement que par le pont Jacques-Cartier. Un pont ou un tunnel reliant la région au Boulevard Métropolitain permettrait d’utiliser le même axe pour éviter une trop forte congestion du centre de Montréal. Il serait d’ailleurs
utile, pour faciliter le développement de la région, de relier ce pont ou ce tunnel aux environs de Saint-Hyacinthe, de façon à créer, derrière la nouvelle zone industrielle, des zones domiciliaires ou d’industrie légère.
Ce premier axe des transports, appelé à un avenir considérable, forme la diagonale du carré approximatif de 50 milles de côté qu’est maintenant devenue la région économique de Montréal d’autres voies sont à l’étude, dont certaines ont une importance particulière. Tel est le cas de la voie à circulation rapide le long du port de Montréal. Pour ce qui est des liaisons de la région avec l’extérieur, on doit distinguer d’une part, les installations portuaires, ferroviaires, et d’autre part les voies routières. On a tendance à exagérer l’influence de certaines fonctions du port de Montréal sur la prospérité de la ville. Si, historiquement, le port a joué un rôle important comme point de transit et de transbordement, sa valeur véritable est de nos jours industrielle. L’importance relative des autres fonctions est secondaire. L’essentiel semble bien être de moderniser les installations, d’en dégager l’accès et de faire en sorte que l’absence de quais ne retarde pas le développement industriel de certains points de la Rive-Sud. Lés installations ferroviaires ne posent pas non plus, semble-t-il, de graves problèmes. Quant aux voies routières, trois d’entre elles sont essentielles et je me dépêche de le dire avant que le ministre des Finances me mette le baillon leur aménagement doit être accéléré. Il s’agit d’abord de la route vers Toronto qui sur toute sa longueur, en Ontario, sera bientôt transformée en autostrade, des routes vers Québec et vers Sherbrooke.
La décentralisation d’une industrie croissante et d’une population de plus en plus nombreuse risque cependant, à la longue, de provoquer des difficultés de circulation, non pas pour les produits industriels mais pour la main-d’oeuvre. On a noté qu’aucune décentralisation ne se produisait dans certaines activités tertiaires et qu’un quartier d’immeubles à bureaux se développait au centre d’une vieille zone urbaine qui se dépeuple graduellement. Dans ces conditions, il serait souhaitable que le reflux de la population vers la périphérie soit en partie contrecarré par l’établissement, au centre de Montréal et à proximité des quartiers d’affaires, d’ensembles domiciliaires formés d’immeubles de plusieurs étages. À cette fin, le recours à la loi nationale d’habitation semblerait s’imposer. Ainsi pourrait être résolue l’opposition assez radicale des besoins
d’espaces de l’industrie manufacturière et des besoins de main-d’oeuvre du centre des affaires. L’industrie manufacturière n’est pas seulement dépendante de l’excellence des transports. L’industrie recevra une impulsion considérable le jour où un complexe sidérurgique important sera mis en place, sur la Rive-Sud. Il dépendra des entreprises mais aussi du gouvernement provincial et du Conseil d’orientation économique que les premiers pas faits en ce sens depuis quelques années soient suivis par d’autres plus importants et plus décisifs.
D’une façon plus générale encore, la croissance de Montréal sera très directement influencée par l’état de l’industrie manufacturière nationale. Les démarches entreprises par les gouvernements fédéral et provincial pour accélérer le développement industriel du pays ou de la province auront des répercussions immédiates sur le développement de Montréal. On s’entend pour reconnaître depuis quelques années certaines faiblesses à l’industrie manufacturière canadienne, en raison surtout des importations de produits étrangers. Ces faiblesses sont une des causes d’inquiétude que l’on peut avoir à l’égard de l’expansion de Montréal, une fois que seront terminés quelques grands travaux spectaculaires. Que les autorités publiques facilitent aux entreprises manufacturières l’emprunt de capitaux, qu’ils les protègent d’une façon ou d’une autre, qu’ils leur redonnent une certaine vigueur, et l’avenir de Montréal ne présentera alors aucune difficulté, dans la mesure où les problèmes de transport auront été réglés.
On peut s’étonner de ce que ces réflexions sur les perspectives d’avenir de Montréal soient à ce point basées sur des projets ou des mesures à recommander, La région de Montréal se trouve maintenant placée dans une situation où des politiques municipales, provinciales ou fédérales appropriée peuvent lui assurer une croissance très rapide et où le report à plus tard de ces mesures contribuerait à ralentir son développement d’une façon extrêmement sensible. En ce sens, Montréal n’est plus porté par une conjoncture nationale en expansion.
Sa croissance à venir dépend, dans une bonne mesure, de décisions précises et de programmes d’urbanisme d’autant plus faciles à tracer que la Métropole et sa région offrent peu de contraintes historiques ou architecturales aux reconstructeurs.
Tout ce que je viens de dire est-il un rêve stérile? … un rêve éveillé qui est un dérivatif trompeur à l’action? …une excuse pour ne pas agir en se payant de mots?
Je ne le crois sincèrement pas. Nous voulons non seulement que la Métropole du Canada devienne pour nous un sujet d’orgueil de plus en plus grand, mais qu’elle soit plus qu’une agglomération matérielle. Nous lui voulons une âme bien à elle, une âme qui soit un témoignage de son éternel renouvellement – une âme qui soit faite du commun idéal et de l’acte de foi de tous ceux qui ont travaillé fièrement à
l’édifier. Avec le plus grand professeur d’énergie de notre siècle, Sir Winston Churchill, je crois qu’il n’y a pas de limites à l’esprit d’initiative quand il se met énergiquement à l’oeuvre dans des circonstances que favorisent la paix et la justice.
[QLESG19601203]
[Bank of Montreal – New Head Office Building For release after
Montreal. December 3. 1960 3.30 P.M. Hon. Jean Lesage. Prime Minister of Quebec]
Je veux tout d’abord vous remercier de l’aimable invitation que vous m’avez faîte d’assister à cette inauguration. J’ai accepté avec empressement et j’en suis très heureux, aujourd’hui, puisque j’ai l’occasion de participer à une fête, aussi magnifique.
[I would like to take this opportunity to stress two ideas which perhaps one has a tendency to overlook. Every one knows the role of banks in a modern economy. If, however, this role can be played, it is because, in my opinion, banks are essentially dynamic institutions. Banks themselves may not etart new industries, exploit oue naturel resources, build the housse we live in or carry consumer goods.
But it is the banks that, very often, have understood what the initiative of certain businessmen or finance people could achieve and that have accepted to help these men by making available to them the capital they needed for their undertakinge.
Canada’a and Quebec’s economic growth has its origin in the joint effort of bankers and businessmen who were apt to
visualize the long run results of costly and difficult enterprises. One can wonder how many of our present industries would exist, how many of our resources would now be exploited, how many of our products would now be known and used if, in the past, the businessmen’s initiative had not been backed by the banker’s dynamism.
I have no exact statistics to give you on that matter, but I have a definite impression that if such had not been the case, our country and our province might not now enjoy the high standard of living which characterizes them in comparison with other nations of the world.
This brings me to the second idea I vent to point out to you. On account of the economic and social progress which they ….2
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make possible, through the profitable use of the capital deposited by the public, banks have become public services of ‘an extreme importance. In a society, such as ours, where free enterprise prevails, banks are economic institutions at the service of the community. They are an important source of the capital necessary for the safeguard of the high standard of living our society has reached. This very
particular role they play bestows a very great responsibility upon the banking institutions. Their past undertakings helped to take our country, our province and our people where they are now. It may very well be that their present and future devisions which will be largely responsible for the further improvement of a standard of living our people have learned to appreciate and which it would not want to ses jeopardized.
As you know, our country as well as our province, although their natural resources are enormous, have problems to face • and mostly to solve if our present standard of living is to keep on rising. The situation of employment is one of these problems. The government of the province of Quebec has initiated measures in order to improve it. It. is also currently working on other ways of reaching the same end. However, the government cannot undertake such a big task alone. In fact, it dose not intend doing it alone. We believe in what I already called « democratic planning », but we do not believe in a state-run economy. Thus we will need the collaboration of business, financial and trade-union groupe. In its common effort towards a better orientation of its economy, our people will need a particularly understanding cooperation from the banking institutions.
Our province still has plenty of land, plenty of natural resources, plenty of industries to develop. There are still many profitable opportunities for progressive and foreeeeing investors. I am confident then that the banking institutions in general, and the Bank of Montreal in particular, will have their great share of responsibility in the bright future which our province will
achieve through the cooperation of all its citizens.
While reading the very handsome brochure you prepared for today’s ceremonies, I was able to notice the remarkable progress accomplished by the Bank of Montreal, Canada’s first permanent financial institution. Its previous building has now been replaced by a very modern and very impressive structure. In this I ose a double symbole solid links to a past your institution may well be proud of and also a great vitality animated by a deep awareness of the conditions of our time.
You know that, from Confederation up to the early nineteen twenties, the Bank of Montreal was, by and large, the provincial administration’s sole Bank. For motives which, even here,
will be readily appreciated, our Government then apportioned its business amongst an increasing number of chartered banks with the result
that the Bank of Montreal’s virtual monopoly ceased in 1924 when the
• province’s total payments reached some thirty-five million dollars. Since that time your Bank’s share of our Government’s accounts has fluctuated but, over all, transactions have risen markedly.
Moreover, up to the first World War bond issues were effected almost entirely in the United Kingdom and our registered stocks and other debentures were made payable principally at your London City Office. Changed circumstances have completely modified the picture in this respect and some oldtimers felt genuinely sorry when, as recently as six years ago, we paid off our last sterling issue.
May I say, in conclusion, how deeply I have appreciated the wise counsel and round advice tendered to me from time to time
by the Bank of Montreal since I became Minister of Finance last July? It is indeed heartening to feel that, whenever we are faced with difficult problems, we can rely on the fullest cooperation of Canada’s leading financial institutions.
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Let me finally thank you warmly for your invitation. I congratulate you on your achievements and I venture to express the confident hope that during the next one hundred and forty years, to the mutual benefit of our province and of-your venerable institution,
• the Bank of Montreal may continue to progress as smoothly and as significantly as during the petiod which has elapsed since 1817.]
Messieurs, je ne vous apprends évidemment rien en vous disant que les perspectives économiques de la province de Québec demeurent fort encourageantes. Le gouvernement de la province tient à ce que ces perspectives ne se démentent pas et a fermement l’intention de travailler de concert avec ceux qui veulent, par leur talent, leur travail ou leurs capitaux, en accélérer le progrès. La tâche à accomplir est considérable, mais je suis profondément convaincu que, par l’orientation rationnelle de notre économie et par la collaboration de toutes les classes de notre société, nous arriverons ensemble à atteindre ce but commun qu’est la prospérité de la province.
[QLESG19610120]
[Université Laval de Québec
Doctorat « honoris causa » – 20 janvier 1961, Hon. Jean Lesage, Premier Ministre
Pour publication aprbs 5.00 hr. le 20 janvier 1961 L’UNIVERSITE l’ÉTAT la CULTURE]
Au moment où, après tant d’années, je me trouve une fois de plus sur cette même estrade, dans cette même salle des Promotions, ce sont les plus grandes joies d’une vie d’homme qui accourent du plus profond de sa jeunesse.
Comme je ressens, en ce moment, la signification poignante de « l’Alma Mater » et l’émotion de la reconnaissance. Ici, je suis aux sources qui ont abreuvé ma pensée et mon âme. Vous tous, dans cette enceinte académique qui est celle d’autrefois, vous avez le visage des amitiés qui ne vieillissent jamais. Prêtres-éducateurs du Séminaire et professeurs de l’Université qui ont
nourri ma génération d’exemples, de dévouements et de sciences; condisciples et camarades, tous ces témoins de l’espoir; ceux qui sont morts et ceux qui oeuvrent encore; nous nous retrouvons tous dans le miracle du souvenir, aussi bien que dans la continuité vivante de ces lieux. Séminaire de Québec, Université Laval quels trésors pour ceux qui ont eu le privilège d’être vos fils : Quels trésors pour tous ceux qui, en cette Salle des Promotions, ont fait l’apprentissage des grands moments qui couronnent les efforts et les labeurs : Les initiations solennelles à l’Académie St-Denys, les fêtes qui servaient de prétextes à l’art dramatique, les fanfares de la Société Ste-Cécile, ces autres fanfares qu’étaient nos concours oratoires; tous ces événements précieux qui reflétaient l’âme de la maison et qui nous orientaient vers « la prise des rubans », ce mystère à la fois triomphant et douloureux de la vocation qui était une rupture avec l’adolescence et le cher Séminaire, en même temps que le pas décisif vers l’Université et vers 1’affrontemont de la vie
Aujourd’hui comme hier, Laval entoure l’un de ses fils de la même sollicitude et de la même générosité, en m’octroyant ce doctorat d’honneur. Encore cette fois, aujourd’hui comme hier, ce sont les maîtres et les guides qui ont tout le mérite. Tout au plus l’occasion me permet-elle, enfin, d’offrir mon chant de gratitude.
Quelles sont donc ces sources que j’ai trouvées ici et qui abreuvent la pensée et l’âme des générations canadiennes-françaises ?
C’est le patrimoine tout entier de la civilisation occidentale, sous la lumière universelle de la Révélation et du Christianisme.
C’est la filiation grandiose qui intègre chaque homme au destin millénaire de l’humanité et qui donne une direction collective et un sens infini à sa vie personnelle et finie. C’est la théologie et la philosophie. C’est l’Histoire et ce sont les Sciences. Ce sont les Arts et les Lettres. Bref, c’est l’humanisme chrétien qui suit la trace de l’homme et lui ouvre les voies, depuis les conquêtes matérielles de son milieu et l’organisation progressive de sa vie en société, jusqu’aux aboutissements mystérieux et jusqu’aux sommets secrets de sa confrontation avec l’Éternel.
Dans toutes les disciplines dans les Sciences qui sont un humanisme quoi qu’en prétende la dialectique matérialiste, aussi bien qu’aux degrés les plus élevés du savoir spéculatif, se maintiennent, ici à Laval, les attaches essentielles avec l’universel et avec l’humain. On m’excusera cependant d’un préjugé encore plus favorable en faveur du Droit que j’ai puisé à Laval, qui est ma carrière et qui me vaut l’honneur que vous me faites aujourd’hui. Quelle autre Faculté universitaire, ou quelle autre activité professionnelle, est-elle plus
visiblement dans les liens de la tradition humaine, depuis que les hommes ont peu à peu dégagé leur individualité du bloc de l’inconscience barbare, ont ensuite harmonisé leurs rapports entre eux, en poursuivant le rêve dont ils sont autorisés par une part de leur nature, d’une harmonie poussée à une perfection sublime parce qu’elle est fondée sur les rapports de l’homme avec Dieu, au point ultime où le concept du Droit doit rejoindre la vérité de la Justice ?
Les maîtres qui nous ont formés, à Laval, étaient inspirés par cette notion à la fois historique et métaphysique du
Droit; pour eux, le droit romain, le code Napoléon ou la loi commune des Britanniques n’étaient, à la vérité et profondément, que les étapes d’un mouvement constant de la conscience vers ce point de rencontre des lois humaines et de la justice divine. Leur enseignement n’était ni un entraînement technique, ni une simple préparation professionnelle; mais le pur alliage de l’illumination spirituelle, de la connaissance intellectuelle et de la formation morale qui sont les matériaux d’un caractère d’homme et les éléments d’une sagesse.
Est-il possible de demeurer fidèles, aujourd’hui, à l’humanisme chrétien, idéal de tant de générations qui étaient en quête de l’homme complet ? Le patrimoine des connaissances s’est tant multiplié qu’il est impossible à l’individu d’en porter désormais tout le fardeau. L’homme complet de la Renaissance et de l’époque classique que pouvait encore réunir la somme de l’acquit humain. Quel cerveau électronique pourrait aujourd’hui réussir le même exploit ?
Il faut donc maintenant choisir dans l’abondance des nourritures offertes à l’esprit et tout choix implique une privation. La spécialisation, devenue absolument inévitable, doit-elle marquer la mort de la culture générale et de cet humanisme chrétien qui était la sève de notre enseignement classique et universitaire ?
Le problème nous bouleverse, dans notre pays du Québec comme partout ailleurs. Nos meilleurs esprits se consacrent avec énergie et une patience méthodique aux solutions. D’autres, plus pressée que prudents, font mine d’aller aux extrêmes. Un vent de réforme – une sorte de renaissance – court sur notre enseignement à tous ses degrés et, pour la première fois peut-être, la masse de notre population en est atteinte. Cette passion populaire pour l’éducation est même l’un des signes salutaires de l’époque.
Faut-il s’inquiéter des rajustements nécessaires ? Ils s’effectuent déjà, dans les programmes et dans les institutions, sans anarchie comme sans hésitations. On modifie l’accessoire, mais on consolide l’essentiel. On réaménage les accidents sans toucher à la substance. On pratique un choix dans le bagage des connaissances humaines, mais on ne veut rien sacrifier de ce qui est humain. Nos institutions, notre Université, notre Séminaire
possèdent en eux toutes les puissances de l’adaptation, puisque ce sont les puissances de la vie. Ils ne sont prisonniers d’aucune contingence car jamais ils ne se sont identifiés à ce qui passe; tout leur effort, au contraire, a été de tourner la face des générations vers ce qui est éternel.
Cela, rien ne devra jamais le changer ! Rien ne pourra jamais le changer ! C’est immuable, comme la Vérité.
Axée sur le double universalisme des humanités et du Christianisme, l’Université a été et demeure néanmoins le foyer, créateur, en même temps que le moyen d’expression, d’une culture nationale canadienne-française.
Tous les mouvements culturels du Canada français sont issus, jusqu’ici, presque exclusivement de l’Université, qu’il s’agisse de l’avancement des sciences, de la recherche sociologique, de l’essor des lettres et même d’une éducation populaire encore en germe. Tous les grands mouvements de la survivance ethnique et culturelle, depuis les congrès de la langue française, la documentation historique jusqu’à la thésaurisation folklorique ont eu leur origine à l’Université, ou tout au moins ont trouvé leurs meilleurs appuis chez le personnel universitaire.
C’est bien là, en effet, le rôle d’une véritable Université; elle est la manifestation par excellence de la culture d’un peuple. Mais l’Université ne peut être abandonnée à ses seules forces. La communauté qu’elle inspire doit faire fructifier son oeuvre et l’étendre en l’assimilant. L’État, comme émanation de cette communauté et comme responsable de son avenir, doit accomplir la tâche qui est la sienne, de concert avec l’Université, en collaboration avec elle, et selon les fonctions respectives de leur ordre et de leur liberté. C’est pourquoi le gouvernement du Québec propose actuellement la création d’un ministère des Affaires culturelles, dans lequel nous plaçons de grands espoirs. Ses devoirs ne seront pas nouveaux. L’Office de la langue française s’associe aux fidélités maintenues depuis nos origines. Le Département du Canada français d’outre-frontières correspond à la fraternité qui a résisté à toutes les séparations imposées par les dures nécessités. Le Conseil provincial des Arts est la manifestation d’un peuple exceptionnellement doué pour le culte de la Beauté et, enfin, la Commission des Monuments historiques est l’illustration de nos attachements sans défaillances.
Tous ces objectifs assignés au ministère des Affaires culturelles étaient déjà poursuivis, non seulement par l’Université, mais par l’admirable floraison de nos sociétés nationales qui, dans leurs domaines particuliers, travaillent depuis toujours à la grande oeuvre du patriotisme et de la culture.
Combien de dévouements se sont exercée avec fruit dans tous ces groupements qu’il est si heureusement impossible d’énumérer; dans cette
Société St-Jean-Baptiste aux longues traditions, dans l’ACFAS consacré à des impératifs nouveaux, dans le Conseil de la vie française, ce clairon sonnant le rassemblement de la « diaspora » canadienne-française, et jusque dans ces chapelles plus modestes où éclate notre personnalité si riche de diversités dans les lettres, les beaux-arts et la musique
Aucune de ces initiatives ne peut être remplacée par un ministère du gouvernement ou par des organismes de l’État. La culture d’un peuple est un jaillissement spontané de son âme; elle est un élan de la liberté, du travail et de la pensée. Elle ne peut être imposée du dehors et tous les États qui ont voulu établir une culture nationale sur l’artifice des lois ou des contraintes, n’ont abouti qu’à tarir les sources elles-mêmes de la création; la culture, chez eux, n’a été que le masque nouveau des barbaries antiques. Si l’art est une collaboration entre Dieu et l’artiste, il va de soi que moins le gouvernement fera intrusion dans le dialogue sacré, mieux il aura tenu son rôle.
Là, comme dans tout ce qui touche à l’individualité du citoyen en ce qu’il possède de plus précieux, partout où la frontière des valeurs spirituelles et des données matérielles demeure dans un équilibre délicat, le rôle de l’État ne peut se résumer qu’à un supplément d’efforts, à une collaboration, à une coordination. L’État n’abolit rien, ne remplace rien; il aide, soutient et renforce le tout. Aussi, l’Université dans sa liberté académique; nos groupements artistiques, nos sociétés savantes, nos associations patriotiques dans leur action innombrable, ne trouveront-ils toujours au nouveau ministère des Affaires culturelles que ce qu’ils ont le droit d’attendre de l’État et de la communauté; une aide et un soutien qui donneront plus de force à leur libre rayonnement.
Depuis les premiers jours de notre histoire, cette volonté de rayonnement culturel, et notre existence ethnique elle-même, ont été bien des fois considérées comme la folie d’un défi à toutes les données matérielles de la nature et des faits. La nécessité de cet îlot français et catholique, dans la masse étrangère d’un continent, a soulevé autant de doutes que de difficultés. Plus encore aujourd’hui, dans l’éclatement du monde et la confusion des peuples, la durée de cette poussière perdue au sein d’un univers en bouleversement n’obéit-elle pas à des raisons que la raison elle-même ne connaît pas?
Quelle serait cette raison d’être du peuple canadien-français? Quelle est donc cette certitude intérieure de son destin, invisible du dehors, mais si profondément vivante que jamais les s’il était demeuré consciemment à l’écart et en marge – de toute une époque dont les formes d’organisation et les méthodes d’action ne correspondaient ni à son tempérament, ni à son histoire, ni à son idéal.
Mais l’époque nouvelle n’impose-t-elle pas que soit comblé désormais l’abîme entre la matière et l’esprit? L’état matériel de l’humanité ne clame-t-il pas aujourd’hui la nécessité de l’avènement de l’esprit? La solution des problèmes les plus essentiellement matériels, comme ceux de la production et de la distribution des biens de la terre dont dépendent la paix ou la guerre – n’est déjà plus exclusivement la solution des économistes. La seule solution apparaît, de plus en plus, comme celle des philosophes qui exigent de l’humanité, ainsi qu’on l’a dit, un « supplément d’âme », comme condition de son salut même matériel. Manquaient-ils de réalisme les maîtres et les guides du peuple canadien-français, alors que les événements leur donnent aujourd’hui raison? Des impératifs nouveaux nous attachent donc à l’idéal ancien d’un humanisme chrétien et d’une vocation spirituelle. Malgré leurs faiblesses et leurs fautes, malgré, en particulier, les défaillances de leur vie publique qui apparaissent trop souvent aux yeux scandalisés des autres comme la trahison des valeurs qu’ils professent, les Canadiens français continueront de faire tout simplement de leur mieux pour ne pas enfouir l’humble talent qui leur a été confié. Ils continueront d’apporter leur pierre à la construction du monde.
C’est l’oeuvre qui doit unir l’Université, l’État et la communauté.
La tâche peut parfois paraître disproportionnée à nos forces. Il ne faut ni s’en étonner, ni perdre confiance, car cette disproportion a toujours été pour nous une constante et une logique de l’histoire.
Aussi, en guise de conclusion, je voudrais vous offrir les paroles de sérénité et de foi que prononçait au Canada le très jeune homme qui, en ce moment même de notre réunion, assume à Washington les responsabilités les plus lourdes qui aient peut-être jamais été chargées sur les épaules d’un homme d’État. Il y a près de quatre ans, M. John Kennedy ignorait qu’il deviendrait le président des États-Unis. Il prononçait ce qui, est probablement jusqu’ici son unique discours en terre canadienne. C’était une fête académique absolument semblable à celle-ci. Il recevait un doctorat d’honneur à l’Université du Nouveau-Brunswick comme celui que Laval me décerne aujourd’hui.
Ses dernières phrases étaient un appel à la jeunesse du Canada, comme à celle de son pays. [« Nous voulons de vous, disait-il, non pas le scepticisme des cyniques, ni le désespoir des faibles de coeur. De cela, nous avons déjà une abondance. Nous vous demandons d’apporter la connaissance, la vision et l’illumination à un monde plein de trouble ».] C’est le même appel que j’adresse à l’Université Laval.
Phare de l’humanisme, qu’elle continue d’illuminer non seulement les voies de notre peuple, mais aussi celles où doit progresser la caravane humaine, depuis les profondeurs de l’histoire jusqu’à son arrivée glorieuse.
[QLESG19610217]
[Salon National de l’Agriculture, Pour publication après Montréal0 le 17 février 1961 le 17 février n1961 Hon. Jean Lesage. Premier Ministre de la province de Québec.]
Pour le peuple canadien, et surtout pour le peuple canadien-français, un Salon de l’Agriculture n’est pas que la manifestation publique des progrès et des tendances d’une industrie qui ne le concerne que de loin. Car, quelle que soit notre occupation actuelle, nous sommes tous d’origine agricole. Nous le sommes évidemment à des degrés divers, mais même ceux qui vivent maintenant et depuis longtemps dans les villes ont conservé une sorte de nostalgie de la vie rurale. Dans notre milieu, ce qui touche à la vie agricole intéresse aussi bien les cultivateurs que ceux qui n’ont jamais vécu sur une ferme; ces derniers ont le sentiment d’être familiers avec elle et aiment, à l’occasion, renouer connaissance avec certains de ses aspects. C’est pourquoi je suis assuré que le IXe Salon National de l’Agriculture remportera tout le succès qu’en espèrent ses organisateurs. C’est pourquoi aussi, à titre de Premier Ministre de la province dans laquelle se tient ce Salon de l’Agriculture, il me fait grand plaisir d’en faire ce soir l’inauguration officielle. Je profite de l’occasion pour inviter instamment toute la population à venir le visiter. Elle y trouvera grand profit et, j’en suis convaincu, sera impressionnée des progrès récents de la technique agricole. Elle verra combien demeure vivante notre plus ancienne et notre plus importante industrie primaire. Je désire également féliciter les organisateurs de ce Salon du travail utile qu’ils accomplissent. Pour le rendre possible, ils se sont assurés la collaboration d’un grand nombre de personnes et de groupes privés ou publics. Une telle collaboration constitue en quelque sorte la garantie du succès de l’entreprise commune à laquelle ils se sont consacrés.
Le Salon National de l’Agriculture comporte beaucoup de points de ressemblance avec les salons industriels, mais il s’en distingue aussi de plusieurs façons. Je crois que de sont justement ces éléments distinctifs qui en font plus, et même beaucoup plus, qu’un Salon industriel ordinaire. D’abord, il répond à un besoin profond. Comme vous le savez, l’industrie agricole comprend des milliers et des milliers de producteurs individuels, dont l’exploitation est souvent de dimensions modestes et que parfois des distances assez considérables séparent les uns des autres. Isolés et aux prises avec des problèmes de marché, de revenus, de mécanisation ou de consolidation qu’ils ne peuvent individuellement résoudre à cause de la multiplicité même de leurs entreprises, il faut
aux cultivateurs des occasions de se réunir, des occasions de faire le point et d’étudier ensemble les solutions possibles aux difficultés qui les assaillent. Bien entendu, le Salon National de l’Agriculture n’est pas la seuls occasion de ce genre; les efforts d’un organisme comme l’Union Catholique des Cultivateurs, ceux des nombreuses coopératives, ceux aussi des associations de producteurs, concourent tous au même but général par des moyens différente. Mais le Salon de l’Agriculture ajoute un élément nouveau: il s’adresse à toute la classe agricole et à tous ceux qui y sont reliés par des attaches économiques comme les fabricants de machinerie ou les commerçants. Il leur fournit une possibilité de rencontre et d’échange de vues profitable. Il permet aussi au grand public de comprendre mieux la nature et la complexité de l’exploitation agricole moderne.
Le Salon est donc conçu à la fois comme un instrument de publicité et comme un instrument d’éducation. L’aspect publicitaire se retrouve dans tous les salons industriels, et vous pouvez le voir présent ici dans les exhibits de machinerie agricole que tous les cultivateurs ont grand intérêt à visiter attentivement. L’effort éducatif se constate partout et vise tout autant le producteur, que le commerçant ou le grand public. Au Salon de l’Agriculture, le producteur, c’est-à-dire le cultivateur se tient au courant des développements récents dans le domaine de la machinerie, se familiarise avec de nouvelles méthodes de production, apprend le résultat d’expériences conduites ailleurs et découvre de nouveaux moyens d’écouler ses produits sur un marché toujours plus vaste, mais aussi toujours plus concurrentiel. Le commerçant, de son coté, s’instruit sur le processus de la production, sur les nouvelles variétés de produits, sur les problèmes de la concurrence entre produits et entre régions agricoles ou sur ceux qui découlent du climat et du transport des produits de la ferme. Cependant, tout cet effort éducatif serait notoirement incomplet s’il n’englobait pas le grand public. À ce propos, le Salon rend un grand service à toute l’industrie en apprenant au public consommateur ce qu’est l’agriculture moderne et ce qu’elle produit, et en l’incitant par l’intérêt qu’il suscite chez lui à une consommation plus considérable des produits de la ferme et surtout de ceux qui, jusqu’à présent, ont moins bénéficié de ses faveurs pour une raison ou l’autre. Je crois bien que ce n’est pas par hasard que le Salon de l’Agriculture a lieu non seulement dans un centre urbain, mais dans la métropole du pays, plutôt, par exemple, que de se tenir au coeur d’une région agricole. Je sais bien que les facilités de transport et d’exhibit de même que la proximité des marchés et des producteurs de machinerie agricole sont pour quelque chose dans le choix de Montréal. J’ai aussi l’impression qu’on a voulu atteindre le plus de consommateurs possible, et surtout qu’on y a réussi.
Le Salon de l’Agriculture, pour réaliser son
oeuvre, avait nécessairement besoin de la coopération des organismes privés ou publics qui s’intéressent à l’agriculture. Cette collaboration, il l’a reçue, grâce au travail immense de ceux qui ont la responsabilité d’organiser cette manifestation annuelle. Le dépliant publicitaire préparé pour le Salon de cette année montre que de nombreuses entreprises ont prêté leur concours à cette manifestation. C’est également le cas d’un grand nombre d’associations rurales ou patriotiques. Je note par exemple l’enquête concours sur la famille terrienne, commanditée par la Fédération des Sociétés St-Jean-Baptiste du Québec. Il y a aussi l’apport des Cercles de Fermières, de l’Union Catholique des Femmes Rurales, de l’Association des techniciens en industrie laitière et évidemment celui de l’Union Catholique des Cultivateurs. Je pourrais nommer beaucoup d’autres collaborateurs à ce Salon, mais la liste en serait trop longue. Vous verrez d’ailleurs leur présence en parcourant ce Salon et en suivant les diverses activités qui sont prévues au programme.
Il me fait plaisir de souligner en passant l’intérêt que le gouvernement de la province a accordé à cette entreprise. En effet, six des ministères du gouvernement se partagent ici dix-huit kiosques. Je vous invite à les visiter. Vous y trouverez une mine de renseignements aussi bien sur l’agriculture, ce qui est tout à fait normal dans un Salon agricole, que sur les pêcheries, l’électrification rurale, les mines ou la protection de la santé. Je suis heureux aussi de remarquer la participation du ministère fédéral de l’Agriculture, dont le titulaire est d’ailleurs parmi nous ce soir. Tout cela démontre l’attention que l’État, au niveau fédéral ou au niveau provincial, apporte à des initiatives privées dont le but immédiat ou éloigné est de provoquer une prise de conscience par un milieu donné, de ses problèmes et de ses ressources.
Le Salon de l’Agriculture conduit en effet à une telle prise de conscience. Celle-ci est double. Les citadins, d’une part, y saisissent mieux l’importance que revêt pour eux et pour notre économie toute entière l’industrie agricole avec laquelle ils ne sont en contact que par les produits qu’elle leur fournit pour leur consommation quotidienne. D’autre part, chez les cultivateurs et c’est d’après moi ce qui est primordial, leur prise de conscience les incitera à être fiers du rôle qu’ils jouent dans notre économie et de la place qu’ils occupent dans notre société.
On a souvent parlé, au Canada français, de la place du cultivateur et du rôle de l’agriculture dans notre société. Je n’ai pas l’intention, ce soir, de m’arrêter à un sujet aussi vaste. Je voudrais seulement, en terminant, insister sur une idée qui n’est certes pas nouvelle, mais sur laquelle je trouve qu’on ne revient jamais assez.
On a fait remarquer, avec beaucoup de justesse, que l’agriculture avait été, dans le passé, le
facteur le plus important de la survie nationale du peuple canadien-français. Elle a en quelque sorte isolé le Canada français des influences qui auraient pu s’attaquer à ses traits culturels et profonds. D’une certaine façon, l’agriculture a. été la pierre d’achoppement d’un processus d’assimilation presque inévitable chez tout peuple minoritaire.
Ce qui est peut-être plus important encore, c’est que la vie rurale et agricole a transmis aux Canadiens français une façon de vivre et de voir les choses qu’on continue de percevoir même dans le comportement de ceux qui vivent depuis longtemps en milieu urbain. Elle a aussi donné à notre peuple la grande stabilité que les observateurs reconnaissent facilement à ses attitudes en matière religieuse ou sociale. Conscient du rôle qu’elle a joué dans notre histoire, le gouvernement de la province reconnaît aussi l’importance économique que revêt, pour le Québec, son industrie agricole. Il a fermement l’intention de ne pas se dérober à la responsabilité qui lui incombe de la protéger, mais ne le fera pas toutefois en lui créant un cadre artificiel qui pourrait en engendrer la stagnation. Évidemment, il existe certaines formes de production, certaines valeurs sociales et économiques, qu’il faut conserver. La ferme familiale entre dans cette catégorie et le gouvernement entend bien l’aider à s’aider elle-même. Mais, il verra à donner à l’agriculture les moyens de faire face aux problèmes nouveaux provoqués par l’expansion économique de la province et du pays.
En agissant ainsi, le gouvernement n’empêche pas, comme certains l’ont dit, le déclin nécessaire d’une industrie périmée, dépassée par les événements. Au contraire, il ne fait que remplir son devoir en permettant à la plus stable,
à la plus noble et à la plus indispensable des industries humaines de prospérer dans un monde qui a, malheureusement, peut-être tendance à oublier trop facilement les services insignes qu’elle lui rend.
[QLESG19610225]
[Chambre de Commerce des Jeunes dit District de Montrés Montréal, le samedi 25 février 1961
Pour publication après 6.00 Hres P.M.
Hon Jean Lesage, Premier Ministre du Québec le 25 février 1961]
Permettez-moi d’abord de vous remercier bien sincèrement du geste amical que vous avez posé en me remettant un certificat de gouverneur honoraire de votre Chambre. Je considère cet honneur comme une marque d’estime personnelle de votre part et veuillez croire que j’en suis très touché. Un certificat de ce genre ne confère peut-être pas de pouvoir particulier à son détenteur, mais il l’associe intimement aux efforts et aux ambitions du groupe qui le lui remet. C’est dans cet esprit que je l’accepte;
il continuera à soutenir le grand intérêt que j’ai toujours porté à votre mouvement.
Dans la lettre que votre président me faisait parvenir en octobre dernier pour me demander de faire partie des vôtres aujourd’hui, il mentionnait justement cet attachement que je manifestais pour votre mouvement. Votre président avait raison d’insister sur ce point car, comme je viens de le dire, je n’ai jamais été indifférent au travail utile que vous accomplissez. Au contraire, j’ai toujours profité le plus possible des occasions qui m’étaient données de vous rencontrer. Malgré le surcroît de travail causé par la session surtout une première session – j’ai été heureux de pouvoir me rendre à votre invitation et je me réjouis maintenant de vous adresser la parole. Je ne sais pas qui a inventé les anniversaires, ni pourquoi on l’a fait, mais je crois qu’ils constituent une excellente occasion de faire le point. Ce doit être pour cette raison qu’ils sont si populaires auprès des groupes ou des associations et qu’à chaque fois qu’on en célèbre un, il se trouve quelqu’un pour retracer le chemin parcouru et surtout s’interroger sur les perspectives d’avenir. Les anniversaires ne sont donc pas seulement des prétextes socialement acceptables d’organiser des réjouissances ou des occasions de revoir de vieux amis. Ils proviennent du besoin que tous éprouvent, à un moment donné, de s’arrêter pour réfléchir. Ils tendent à indiquer qu’on a franchi une étape et qu’on s’apprête à poursuivre le mouvement déjà lancé. C’est peut-être la façon que les hommes ont choisie de se rappeler qu’ils sont en perpétuel « devenir » et que les tâches qui les attendent demain découlent souvent de celles qui ont été accomplies hier. Chaque groupement, chaque organisation a sa logique interne, son dynamisme propre, sa tendance particulière. Il importe périodiquement de remettre tout en question; c’est le meilleur moyen d’éviter de sombrer dans un conservatisme de mauvais aloi oh pourraient se scléroser sans espoir des initiatives pourtant prometteuses au départ.
J’imagine bien que vous n’attendez pas de moi que je procède à un tel examen en ce qui concerne votre mouvement. Comme je le connais surtout de l’extérieur, je serais assez mal placé pour le faire. D’ailleurs, je ne crois pas que cette sorte de remise en question s’impose. Je serais plutôt porté à penser, du moins si j’en juge par votre travail intense et toujours renouvelé, que vous surveillez de très près l’évolution de votre mouvement. Si vous ne l’aviez pas fait, si vos prédécesseurs ne l’avaient pas fait non plus à l’occasion, vous ne célébreriez pas aujourd’hui votre trentième anniversaire de fondation.
Car, ce qui me frappe, c’est justement que vous puissiez le célébrer ce trentième anniversaire de fondation. Un mouvement de jeunes, par définition, est un mouvement dont on se retire lorsqu’on atteint un certain âge. Il se produit souvent, dans des organismes similaires, que le
groupe initial, plein d’enthousiasme et de bonnes intentions, s’effrite avec le temps et qu’il n’y ait personne pour prendre la relève. Cela aurait pu vous arriver, il y a déjà quinze ou vingt ans; votre mouvement aurait alors perdu de son élan, graduellement, et se serait tranquillement éteint. Ou bien encore, il aurait pu survivre mais en se métamorphosant et en remplaçant ses objectifs de départ par d’autres moins conformes à l’esprit qui animait le mouvement à ses débuts.
Rien de tel pourtant dans votre cas. Vous êtes demeurés fidèles aux buts poursuivis, tout en adaptant vos méthodes d’action aux exigences et aux caractéristiques de la vie moderne. Les jeunes gens d’aujourd’hui ont remplacé ceux d’hier et les résultats de votre action témoignent de l’intérêt que suscite votre organisation dans la jeunesse. À Montréal, vous groupez 1,200 membres, ce qui me semble un chiffre impressionnant, même si je ne suis pas statisticien. Je dois cependant reconnaître que la vitalité démontrée par votre groupe n’est pas exclusive à la région montréalaise. Elle est peut-être intrinsèque au mouvement Jeune Commerce. Dans toute la province, en effet, on compte plus de 110 chambres locales, alors que le Jeune Commerce canadien groupe un total de plusieurs milliers de membres. Ces faits doivent faire réfléchir ceux qui pensent que les entreprises des jeunes sont inévitablement éphémères.
Vous savez mieux que moi ce qu’il en a fallu de dévouement et de désintéressement pour remporter un tel succès. Je ne peux que me l’imaginer, mais, croyez-moi, je me représente assez bien les efforts que des centaines de jeunes ont dû accomplir. Je tiens d’ailleurs à rendre ici hommage à tous ceux qui, par leur travail bénévole et souvent obscur, leur esprit de continuité et de persévérance, ont su conserver à votre mouvement le dynamisme qui le caractérise si bien. Pendant des années, ces jeunes gens et ceux qui participaient au mouvement avant eux ont largement puisé à cette source de bonne volonté qu’on trouve chez les jeunes qui n’ont pas voulu perdre trop vite cet idéalisme créateur dont leurs aînés ont la nostalgie.
Il ne faudrait surtout pas croire que la source de bonne volonté dont je viens de parler s’est tarie avec le temps. Je dirais même que, contrairement à toutes les lois physiques et psychologiques, elle est plus abondante que jamais. J’en vois une preuve éclatante dans ce réseau varié d’activités poursuivies par votre Chambre. En préparant ces quelques notes, j’ai consulté ce que vous appelez votre « Carnet d’Activités » pour les mois de janvier, février et mars. J’y ai vu un nombre surprenant, presque audacieux, de manifestations diverses. Il y en a pratiquement chaque jour de la semaine. Un soir,
c’est un concours oratoire, l’autre soir un Ciné-Club ou une visite industrielle. À d’autres moments, un conférencier vous rend visite pour vous entretenir de problèmes économiques,
politiques ou sociaux. J’ai vu aussi que vous ne négligez pas le sport, du moins en fin de semaine. Il y avait même, la semaine dernière je crois, un défilé de mode ! On ne dit pas sur votre « Carnet d’Activités » à l’intention de qui il était présenté, mais j’ai pensé qu’on a peut-être voulu amadouer les épouses qui trouvent que leurs maris consacrent trop de leur temps au Jeune Commerce.
Quoi qu’il en soit, il est certain que par vos multiples comités et vos activités de toutes sortes, vous couvrez tous les champs d’intérêt.. Vous ne laissez pas grand chose de côté et là-dessus, vous avez raison. Vous visez à cultiver aussi bien les qualités personnelles de vos membres que leurs connaissances; vous élargissez leurs horizons.
L’appellation « Jeune Commerce » ne signifie d’ailleurs pas que les membres du mouvement ne songent qu’à la carrière des affaires, ni que la Chambre de Commerce des Jeunes n’est que l’antichambre ou la succursale de la Chambre sénior. Elle est avant tout un mouvement d’éducation et de culture pour les jeunes et par les jeunes; elle est, pour ainsi dire, une sorte d’école de la vie. Le Jeune Commerce tend à constituer une élite par la formation qu’il leur aide à acquérir ou à compléter, par la camaraderie qu’il sert à établir et à maintenir entre eux et par le développement et la coordination de leurs initiatives.
Ainsi, par votre adhésion au groupement, vous vous efforcez de devenir des citoyens plus complets et plus aptes à remplir les tâches que la vie publique ou privée vous réserve. C’est tout ce programme d’action qui, à mon sens, se trouve reflété dans la belle devise du mouvement « Jeune Commerce » « Le progrès par l’étude et l’action ». Mais la devise d’un groupement est un peu comme une arme à double tranchant. Elle est d’abord un symbole conçu pour stimuler l’action, pour la soutenir et pour rappeler à ceux qui voient ce symbole le but ultime poursuivi par l’association. Elle comporte aussi et surtout un plan d’action en résumé, un programme que le groupement se doit de réaliser s’il veut être fidèle à lui-même et à l’esprit qui animait ses fondateurs.
Dans votre devise, il y a le mot « progrès ». Je trouve que voilà un mot lourd de conséquences, un mot presque dangereux qui vous engage comme membres à orienter vos efforts vers un dépassement constant de ce que vous êtes maintenant, vers un dépassement de ce qu’est la société qui vous entoure. Vous érigez le dynamisme en principe. On pourrait même dire que vous vous condamnez au changement perpétuel. Vous êtes en somme les ennemis de la stagnation – automatiquement – du fait même que vous adhérez au mouvement Jeune Commerce. Une telle ambiance, dans un groupe de jeunes, rassure ceux qui n’en font pas partie. Elle les rassure en ce sens qu’elle leur montre qu’il y a ‘encore, dans notre société, des éléments de renouvellement sur qui on peut compter, des éléments qui, par
leur présence même, empêcheront en quelque sorte de dormir tranquilles ceux qui croient béatement que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. À titre de premier ministre de la province, je serais l’homme le plus heureux du monde si je pouvais vous dire ce soir que vous pouvez dorénavant vous reposer, qu’il n’y a plus de problèmes dans la province de Québec et qu’il n’y a maintenant rien d’autre à faire que de jouir en paix des biens abondants que notre économie nous assure à tous. Mais je ne le dirai pas, parce que ce n’est pas vrai. Il y a encore des problèmes de tout genre dans notre province, il y en a même beaucoup et je suis le premier à le reconnaître. Autrement, nous n’aurions pas besoin de nouvelles lois, il ne nous servirait à rien de nous réunir en session pendant de longs mois, il ne nous serait pas nécessaire de penser à l’avenir, ni de le préparer dans la mesure de nos moyens.
De plus, en vous parlant ainsi, j’aurais l’impression de manquer à mon devoir. Un gouvernement, n’importe quel gouvernement, du fait qu’il est élu par le peuple, ne devient pas pour autant omniscient, ni tout-puissant. Il demeure composé d’êtres humains, remplis de bonne volonté peut-être, mais pas nécessairement infaillibles; d’êtres humains qui, en toute humilité devant Dieu, font leur possible croyez-moi – pour améliorer le sort du peuple qui les a choisis. C’est là une tâche qui est loin d’être facile; elle est à la fois grandiose et routinière, stimulante et ingrate. Pour l’aider dans cette tâche, pour l’orienter, un gouvernement démocratique non seulement permet à l’opinion publique de se manifester; je dirais qu’il en a besoin et qu’il en a d’autant plus besoin que celle-ci est éclairée. Je crois que votre mouvement, à cause de sa vitalité et de son importance, participe à cette opinion publique éclairée et la nourrit. Pour cette raison, je vous encourage à conserver l’élan intérieur qui vous anime, je vous encourage à demeurer fidèles à votre devise de progrès.
Le progrès toutefois n’existe pas en soi. Il se fait par l’action sur les structures, par l’action sur le milieu. Mais, il faut d’abord qu’il se fasse sur les individus qui veulent exercer une action simultanément utile et durable. C’est ce qui me porte à dire que le progrès que votre mouvement recherche est double, il concerne la personne et aussi la société.
Parmi les articles de votre « Crédo Jeune Commerce », je remarque le premier qui s’énonce ainsi: » La personne humaine est la plus précieuse des richesses ». Vous complétez cette idée généreuse par un autre article du même Crédo oh vous dites que » nos institutions n’ont de raison d’être que si elles concourent à ennoblir la personne humaine « .
Votre conception de la personne humaine reflète la dignité que vous y attachez et que vous vous efforcez de sauvegarder et d’augmenter par les occasions de progrès personnel que vous donnez à vos membres.
Les responsabilités que vous prenez vous obligent à faire preuve d’initiative, vous donnent des expériences variées et vous révèlent à vous-mêmes des aptitudes que vous ignoriez peut-être. Je pense ici au travail magnifique que doivent accomplir des comités comme celui de la Parole et de la Personnalité, ou encore celui des Affaires Culturelles. Je pourrais même ajouter tous les autres comités car ils s’adressent avant tout aux membres comme personnes, même s’ils portent moins que les deux autres sur leur personnalité ou leur culture. Comme vous le dites, ils s’en servent pour « Remplir avec compétence leur rôle de citoyens ». Le rôle de citoyens, on peut le jouer partout, et pas seulement le jour des élections en allant voter. Vous êtes des citoyens utiles lorsque vous faites consciencieusement votre travail, au bureau ou à l’usine, lorsque vous poursuivez sérieusement vos études, lorsque vous vous employez à faire progresser votre entreprise. Une nation a toujours besoin d’une élite vigoureuse, d’un levain. Elle a besoin de dirigeants, conscients de leur responsabilité. Elle peut les puiser dans des organisations comme la vôtre. Si elle ne les y trouve pas, ou s’ils se dérobent aux tâches qu’on leur propose, la formation personnelle qu’ils y ont reçues sera stérile. Elle se retournera sur elle-même et s’appauvrira, car les responsabilités économiques, sociales ou politiques, si parfois elles accaparent le temps d’un homme, permettent à celui-ci de s’enrichir au contact de ses semblables et de s’humaniser à cause des services qu’il peut leur rendre. La formation personnelle, comme la culture ou la richesse, sont des biens individuels, mais n’auraient pu naître sans l’apport des autres membres de la société.
Ce progrès de la personne n’a pourtant son sens complet que si ceux qui en profitent s’efforcent, par leur politique de présence, d’en faire bénéficier la société qui les entoure. Ils y ont indirectement participé et ceux qui en bénéficient le plus doivent en transmettre partiellement les fruits à leurs compatriotes.
Au Québec, nous avons besoin, plus que jamais peut-être, d’élites dynamiques et progressives. Vous avez probablement déjà entendu parler du phénomène de l’accélération historique. Il signifie que l’humanité fait maintenant plus de chemin en quelques mois, qu’autrefois en plusieurs années. Vous en avez des exemples tous les jours. Il y a eu plus de progrès matériel dans le monde pendant la première moitié de ce siècle que pendant tout le Moyen-Âge.
J’ai dit « progrès matériel », mais je n’ai pas dits « progrès spirituel ». Je n’ai pas dit non plus « amélioration des idées, des sentiments », parce que, justement, il n’y a pas correspondance entre les deux types de progrès. C’est d’ailleurs là un des problèmes cruciaux du monde actuel. Ce problème, nous l’avons aussi dans la province de Québec depuis le début de son expansion industrielle. J’ai même
l’impression que, d’une certaine façon, il est plus sérieux qu’ailleurs,. du moins par certains de ses aspects. Car ici, ce que le progrès matériel trop rapide met en danger, ce n’est pas la culture en tant que valeur humaine, c’est la culture canadienne-française en tant que valeur nationale. Notre niveau de vie matérielle est en général élevé, mais notre niveau de vie nationale l’est-il autant ? Nous laissons-nous bercer par le souvenir des réalisations parfois héroïques de ceux qui nous ont précédé ? Osons-nous croire la partie gagnée ? Pensons-nous plutôt que nous jouons une partie qui recommence sans cesse et dont le résultat n’est jamais définitif ?
Il y a une chose qui m’encourage pourtant. C’est cet éveil de notre conscience nationale dont on perçoit depuis quelque temps des traces dans tous les journaux que nous lisons, dont on voit les preuves dans les objectifs que se fixent certaines associations. Mais la conscience d’un problème, même si elle est remplie de promesses, doit s’actualiser dans des tentatives de solution; elle doit se matérialiser. Le Canada français fait maintenant partie du monde. Il n’est plus, comme avant, replié sur lui-même. Il ne lui est plus possible de l’être. Trop de voies de communications, physiques ou intellectuelles, trop de réseaux d’intérêts, l’attachent au reste du monde et notamment à ses voisins les plus proches. Le Canada français s’est déjà consolidé de l’intérieur; c’est ce qui lui a permis de subsister, de survivre. Mais survivre, n’est pas nécessairement vivre, ni vivre pleinement. À l’occasion, des explorateurs visitent des peuplades indigènes isolées qui conservent quelques-unes de leurs caractéristiques particulières. S’ils les visitent, c’est qu’ils les savent destinées à l’extinction et qu’ils s’empressent de recueillir tout ce qui persiste encore d’une civilisation autrefois florissante. Ces peuplades ont survécu, mais elles ne font maintenant qu’exister; elles ne vivent même plus.
Elles ne vivent plus parce que des forces extérieures trop puissantes leur empêchent de se manifester, parce que leurs institutions n’ont pu résister à cet assaut. Mais les nôtres, au Québec, ont pu résister pendant trois cents ans. Elles ont résisté par repliement sur elles-mêmes si je peux dire, par courage intérieur. Elles ont pu résister, je pense, parce qu’elles n’ont pas changé, un peu comme un bloc de granit résiste au vent ou à la mer. Elles ont servi d’enveloppe protectrice au petit peuple que nous étions.
Aujourd’hui, ce n’est plus la même chose. L’influence extérieure, qui nous pénètre, n’arrive plus à nous par la force ou la violence. Bien au contraire. Elle revêt un visage attrayant, emprunte la voie de la facilité, se fait séduisante. Elle n’en est que plus dangereuse, car les défenses déjà érigées et auxquelles nous sommes habitués ne sont souvent plus adaptées à ce genre nouveau de
menace. Il faut maintenant que nos institutions culturelles se transforment, mais qu’elles le fassent dans le sens qui nous est propre. Il faut qu’elles s’affirment par leur aptitude à faire face d’égales à égales avec celles dont les sous-produits culturels nous envahissent. Elles ne le feront pas d’elles-mêmes, automatiquement, par une sorte de servo-mécanisme culturel. Elles doivent être animées, renouvelées de l’intérieur, par la génération actuelle et par celle qui lui succédera; par les jeunes d’aujourd’hui qui demain se lèveront pour accepter de plein gré, conscients qu’ils seront de leur devoir de citoyens, les charges que la communauté canadienne-française exigera qu’ils assument dans le monde économique, social ou politique. Vous et les autres associations de jeunes faites partie de cette source de bonne volonté, de cette source de citoyens remplis d’initiatives et d’idées qu’ils mettront au service de leur peuple.
Il est réconfortant pour un gouvernement de penser qu’il n’est pas seul à accomplir sa tâche, seul au milieu de l’indifférence générale. C’est une preuve que la démocratie est vivante au Canada français. L’existence de groupes comme le Jeune Commerce garantit aux chefs politiques que leur action ne sera pas sans lendemain, car ils savent qu’il y a des jeunes gens qui les écoutent, qui apprennent, des jeunes qui s’intéressent à la chose publique, aux affaires, à la culture, et qui finiront par prendre la relève dans tous les domaines où le Canada français entend s’affirmer comme entité nationale distincte et faire fructifier les valeurs qu’il a si abondamment reçues en héritage.
[QLESG19610304]
[Semaine de l’Éducation
Montréal, le 4 mars 1961
Hon. Jean Lesage. Premier Ministre]
J’éprouve toujours un plaisir bien particulier à adresser la parole à des groupes qui se consacrent à l’étude des grands problèmes de notre société et qui, par leur travail et leur énergie, s’efforcent d’en découvrir les solutions. Ce plaisir que j’ai se double, ce midi, d’un certain sentiment de fierté. J’ai en effet conscience d’être au milieu de personnes dont la valeur professionnelle et la compétence reconnue permettent d’espérer que l’éducation chez nous accélérera sa marche vers le progrès. Le besoin que nous ressentons tous de faire le point à diverses époques, le besoin que nous avons de nous arrêter et de réfléchir sur l’évolution passée et future des mouvements ou des causes que nous avons à coeur, le simple besoin, en somme de voir, de regarder, de comprendre semble surgir d’une tendance innée chez l’espèce humaine. De cette tendance, naissent bien des entreprises comme les sessions d’études, les congrès et les groupes de discussion. C’est aussi pour la même raison que
l’on réserve pendant l’année des périodes de temps au cours desquelles on met l’accent sur une idée ou sur un projet. La Semaine de l’Éducation entre dans cette catégorie et, comme les autres semaines consacrées à telle ou telle question, donne à ceux qui y participent une excellente occasion de réfléchir sur les problèmes qui les concernent. Mais la Semaine de l’Éducation a ceci de particulier qu’elle porte sur un sujet d’une très grande actualité et dont, de plus en plus, toutes les classes de notre société sont conscientes, surtout depuis quelques années.
Elle vise entre autres buts à accroître dans notre milieu cette prise de conscience collective des problèmes éducationnels. Dans chaque région de la province elle donne lieu depuis 1959, à des conférences, des débats ou des forums; ainsi, notre population prend un contact vivant avec ces problèmes, dont la solution, au moins partielle, incombe à chacun des secteurs de notre société.
Cette année, le thème de la Semaine est « L’éducation garantie de l’avenir ». À la vérité, il était difficile de choisir un thème plus approprié et surtout plus apte à provoquer des réflexions salutaires; il ouvre beaucoup de perspectives et justifie bien des commentaires. Je vois, d’après le programme de la Semaine, qu’il sera question au cours des jours prochains de l’enfant, du foyer, de l’école, de la cité et de l’Église. Je ne voudrais pas, ce midi, passer en revue tous ces sujets, ni m’arrêter aux facteurs d’ordre proprement pédagogique qui peuvent influencer le processus éducationnel. Je sais qu’il y a, parmi vous, des spécialistes beaucoup mieux placés que moi pour vous entretenir de ces questions. J’aimerais plutôt m’en tenir à quelques-unes des réflexions que m’inspire le thème de cette année et vous exposer rapidement certaines idées qui me paraissent prendre une importance spéciale en cette Semaine de l’éducation.
On peut considérer l’éducation de plusieurs façons différentes selon qu’on est professeur, spécialiste en méthodes pédagogiques ou simplement étudiant. Pour le profane cependant, c’est-à-dire la majorité de la population, l’éducation peut, à mon sens, apparaître à la fois comme un moyen de mise en valeur de la personne humaine d’enrichissement de la société et de participation à la culture universelle.
La mise en valeur de la personne se fait par le développement de ses aptitudes à faire et à comprendre, grâce à l’acquisition de techniques et à l’ouverture d’esprit qu’entraîne chez elle sa soumission à un programme éducatif conçu pour la préparer aussi bien à affronter le pratique de la vie quotidienne, qu’à accéder à la culture. Il s’agit, en somme, par l’éducation, d’actualiser chez l’être humain les qualités, les aptitudes et les habiletés qu’il possède en puissance. Ces pouvoirs, le jeune enfant les a à l’état embryonnaire, pour ainsi dire, et il appartient à l’éducation et à tout ce qu’elle
implique d’entraînement et de travail de les découvrir et, littéralement, de les cultiver. Sans l’éducation, l’être humain est un peu comme une matière brute à laquelle on n’a encore imprimé aucune forme, une matière brute qui n’a pas été traitée et dont l’utilité pour la société peut être fort réduite. Par l’éducation, il devient un être complet, équipé, transformé au plus profond de lui-même et capable, s’il a été bien dirigé, de rendre les services les plus éminents à ceux qui l’entourent et à ceux qui espèrent en lui.
C’est ainsi que l’homme éduqué, au sens où je l’entends ici, enrichit la société dont il fait partie. Les services directs ou indirects qu’il lui procurera dans l’activité qu’il choisira d’exercer, pourront être inestimable s’il a su profiter de l’entraînement intellectuel et même moral auquel il a été soumis. Mais l’attitude et la compréhension de l’individu face à l’éducation ne sont pas les seuls facteurs à entrer en ligne de compte. Les méthodes par lesquelles on le forme, le système éducatif qui le prend en charge au moment où sa raison s’éveille pour le rendre à la société lorsqu’il devient adulte, l’ambiance culturelle du milieu où il évolue, l’échelle des valeurs qu’on l’habitue à respecter, sont tous des facteurs dont l’action est lente, mais dont les effets sont durables et peuvent faire la grandeur ou la déchéance des peuples. À ce propos, on peut avec raison dire qu’une nation vaudra, dans ses réalisations matérielles ou intellectuelles, ce que vaut son système éducatif. S’il n’est pas adapté aux besoins du monde moderne, s’il n’encourage pas l’effort suivi et s’il ne conduit pas au respect des valeurs humaines fondamentales, il engendre l’imprécision, la peur du travail, la dispersion intellectuelle et le culte de la facilité. Si, par contre, il érige le travail en principe, s’il est constante adaptation aux nécessités nouvelles, s’il diffuse la véritable culture, il permet des réalisations étonnantes et justifie de grands espoirs chez les peuples qui attribuent à l’éducation l’importance qu’elle mérite. Nous avons des exemples frappants de ce phénomène dans l’histoire ancienne et récente de plusieurs nations. La Grèce antique et la France moderne témoignent de ce fait. D’autres nations, plus petites, pauvres et négligées par les grandes puissances, ont donné au monde beaucoup plus que leurs dimensions matérielles ne pouvaient le laisser croire.
L’éducation permet aussi, à celui qui en bénéficie, de participer à la culture universelle, de goûter aux réalisations intellectuelles des autres nations, de les apprécier et de s’en pénétrer pour s’enrichir lui-même. L’homme éduqué vit une vie plus intense, plus remplie et aussi plus intéressante; il satisfait un de ses besoins les plus fondamentaux: celui de connaître et de comprendre. Il communie à la pensée des autres peuples, s’en inspire et transmet le fruit de ses études et de ses expériences au peuple dont
il fait lui-même partie. Si, par la suite, il produit quelque chose dans quelque domaine que ce soit, il y sera dans une large mesure arrivé en puisant au trésor universel des connaissances humaines. Il enrichira de ce fait sa propre nation par l’apport indirect de ce qu’il aura reçu des autres cultures et des autres civilisations. À l’époque actuelle, où il est impossible de vivre isolé du reste du monde, l’homme instruit et cultivé profitera pour lui-même et pour la société qui l’entoure d’un rapprochement forcé avec les autres cultures. Jusqu’à maintenant je n’ai parlé que de l’apport de l’éducation en général. Cependant, comme celle-ci n’existe pas par elle-même, mais qu’elle agit dans un contexte social et culturel donné, il importe de nous arrêter quelques moments à la signification particulière qu’elle prend par rapport à la situation et aux aspirations de notre peuple. Il me semble, à ce propos, que l’éducation, du moins dans les formes qu’elle prend et dans les effets qui en découlent ici au Québec, constitue un moyen d’affirmation de notre entité nationale en même temps qu’elle lui fournit un moyen de sauvegarde.
L’humanité a tendance à oublier les petits peuples. Ceux-ci risquent en quelque sorte de passer à côté de l’Histoire, à moins qu’ils ne se signalent à l’attention des autres nations plus grandes par des réalisations tout à fait particulières. Au Québec, nous courons toujours le risque d’être inaperçus, d’être oubliés. Nous ne sommes que 5000000 à vivre le long du St-Laurent et, d’après les lois historiques les plus normales, il y a longtemps que nous aurions pu disparaître comme entité nationale. C’est le sort malheureux que l’Histoire réserve le plus souvent aux minorités nationales, aux petits pays, ou aux populations qui n’ont pas su se manifester aux autres par une originalité quelconque. Le Canada français a toujours refusé et refuse toujours obstinément de disparaître. Il ne veut pas passer à côté de l’Histoire, il veut entrer dans le concert des peuples.
Bien sûr, il n’y arrivera pas par la force. Le voudrait-il qu’il en serait totalement incapable. Nous n’avons pas au Canada français la puissance matérielle de nos voisins du nord et du sud; nous ne disposons pas de la richesse des grandes nations, ni de leur population. Mais nous pouvons impressionner ceux qui nous entourent, nous pouvons nous signaler à l’attention du monde, nous pouvons conquérir sur le plan intellectuel la place qu’il nous est impossible d’obtenir sur le plan de la force matérielle.
J’ai dit tout à l’heure que l’éducation pouvait nous donner un moyen de sauvegarde de notre entité nationale. De fait, j’aurais dû dire qu’elle était à mes yeux un moyen d’en arriver à cette fin, car c’est par la promotion de l’éducation que nous pourrons préserver les facteurs qui jusqu’à ce jour nous ont permis de survivre à notre langue et notre culture. Non seulement notre langue et notre culture peuvent-
elles se perpétuer par le truchement de l’éducation, mais elles peuvent aussi en être améliorées et revivifiées. De ce fait, l’assimilation de notre peuple danger que tout groupe national minoritaire ne doit pas oublier – deviendra impossible puisqu’elle rencontrera une résistance farouche, née non pas d’un réflexe de défense, mais du dynamisme interne d’une culture vivante et productive. Une telle culture traduite dans nos institutions et transmise par elles peut, sans danger, assimiler les découvertes et les progrès des peuples étrangers. Ceux qui en sont animés peuvent, sans danger encore, se lancer à la reconquête économique de nos richesses et, par leur action, empêcher que les progrès des valeurs intellectuelles chez les nôtres ne résulte, comme cela s’est déjà produit, en une absence de réalisations matérielles. Il n’y a en effet pas d’opposition entre les deux, comme on est souvent porté à le croire, et il appartient justement à notre système éducatif de transmettre cette idée aux jeunes générations.
On peut donc dire que l’éducation est vraiment, pour le Canada français, la garantie de son avenir. Cependant, le rôle énorme que nous demandons à celle-ci de jouer dans notre milieu entraîne, vous l’imaginez facilement, des responsabilités dont l’ordre de grandeur correspond aux répercussions étendues de son action sur le présent et le futur de notre peuple en général et de notre jeunesse en particulier.
Ces responsabilités, elles n’incombent pas à un seul groupe de notre société, ni à une seule profession; elles sont au contraire partagées par toute la communauté, par toutes les classes et par tous les citoyens, car l’éducation n’est le fief exclusif de personne. La part respective de responsabilité varie évidemment d’un groupe à l’autre, d’un individu à l’autre, mais elle n’en est pas moins présente pour chacun d’entre nous. Chez les parents, les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, elle exige compréhension du travail de ceux-ci, et acceptation de leur rôle comme stimulateurs de ce désir d’apprendre qui est inné chez tout jeune enfant et qu’il ne faut absolument pas laisser perdre. S’il est en effet naturel de veiller à conserver et à augmenter les richesses matérielles que nous possédons, il devrait l’être encore davantage d’éveiller les jeunes esprits à la connaissance du monde qui les entoure et surtout de susciter chez eux la soif du savoir. Seuls les parents peuvent jouer ce rôle, car ce sont eux qui les premiers prennent contact avec la jeunesse qui plus tard se dirigera vers les institutions et les maisons d’enseignement. Si la flamme de la connaissance a été éteinte au départ par un manque de compréhension de leur rôle par les parents, il sera difficile aux éducateurs de la rallumer. Les parents ont aussi un devoir de participation dans les organismes communautaires qui s’occupent d’éducation à un titre ou l’autre. Je
pense ici aux commissions scolaires, aux associations de parents et maîtres, aux cercles d’études. Je pourrais en mentionner d’autres, car ces organismes et ces moyens d’expression sont heureusement nombreux chez nous. Ce qu’il faut vaincre par là, c’est une tendance naturelle à l’indifférence comme si l’éducation qui est l’affaire de tous les citoyens devenait, pour une raison quelconque, « l’affaire des autres ».
Il est bien évident, cependant, que les parents, malgré toute leur bonne volonté, ne sont pas automatiquement des experts dans tous les domaines. C’est à ce point-ci que les éducateurs professionnels commencent à agir. Ils consacrent leur vie d’aujourd’hui à préparer les citoyens de demain. À mon sens, c’est là une des professions humaines les plus nobles. Les éducateurs doivent l’exercer, dans la limite de leur compétence, mais toujours en collaboration avec les parents qui ont préparé l’esprit de ceux auxquels ils transmettent la science. Pour ce faire, et le faire adéquatement, il faut que les éducateurs aiment leur travail, comprennent la portée immense de leur rôle dans la formation des esprits et conservent toujours vivant le souci d’augmenter leurs propres connaissances et leurs aptitudes. Que dire maintenant de la part de responsabilité en éducation des associations, des groupes, des clubs sociaux et autres mouvements ? À mon avis, leur apport peut être considérable.
Ils peuvent soutenir l’intérêt en matière d’éducation et combattre l’indifférence qui s’installe trop facilement dans n’importe quel milieu. Ces groupes doivent être des ferments dans la société où ils évoluent. Ils sont en mesure, grâce à leur situation et grâce aux membres qu’ils comprennent, de faire part à l’État de leurs vues en matière d’éducation et de communiquer aux pouvoirs publics leurs observations à ce propos. Ils ne doivent pas le faire comme groupes, de pression soucieux de réaliser ou de faire réaliser tel ou tel objectif particulier; ils doivent au contraire, comme d’ailleurs c’est leur devoir, viser à la réalisation du bien commun en suscitant des améliorations toujours nécessaires.
Au sujet des associations et de leur rôle, je
voudrais ici rendre hommage à la vôtre et à l’influence positive qu’elle a dans notre milieu. L’Association d’Éducation du Québec est, vous le savez évidemment, un organisme privé, né d’un effort constructif de cohésion et de coordination. Elle est animée d’un dynamisme qui la caractérise parmi les autres associations du genre et réunit pour une tâche commune des représentants de tous les secteurs de notre système d’enseignement. Par la propagande que fait l’Association, elle attire l’attention du public sur les problèmes de l’éducation et soulève l’intérêt de la masse. Par les recherches qu’elle conduit, elle apporte une lumière indispensable à la compréhension de ces problèmes et facilite la découverte de solutions adéquates et réalistes. Je pense à ce sujet, à
« l’Enquête sur la Persévérance scolaire » entreprise par l’Association d’Éducation du Québec. Les résultats et les conclusions de cette enquête, une fois terminée l’analyse complète des données recueillies, s’avéreront certainement d’une grande utilité pour ceux, et j’en suis, que préoccupe la fréquentation trop peu poussée de nos institutions d’enseignement par nos jeunes.
Mais, parmi ceux qu’ont toujours préoccupés tous les problèmes relatifs à l’éducation, il faut que notre admiration réserve la place d’honneur aux prêtres et aux religieux.
Le rôle de l’Église dans le domaine de l’éducation, rôle qui vient immédiatement après celui des parents, est assez connu dans notre province pour que je n’aie pas besoin d’en parler longuement. Ce que je tiens à dire, cependant, c’est que notre peuple tout entier a une immense dette de reconnaissance envers les prêtres, les religieux et les religieuses qui, pendant des générations, ont été presque les seuls à se donner à l’éducation des jeunes. Si nous existons encore comme peuple distinct, il est certain que c’est en grande partie la résultante du dévouement, de la ténacité et de l’action de notre clergé.
Aujourd’hui, des laïques de plus en plus nombreux viennent continuer la tâche si bien commencée. L’Église canadienne-française, j’en suis certain, est heureuse de constater que sa mission d’éducatrice donne des fruits aussi abondants. Elle doit se féliciter de voir les laïques déployer une activité aussi grande dans le domaine qui lui est si cher et auquel elle a consacré et consacre encore tant d’énergie. Les jeunes gens et les jeunes filles qui adoptent l’enseignement comme profession devront, pour être fidèles à ce que notre peuple attend d’eux, s’inspirer des magnifiques exemples de désintéressement que lui ont fournis et que continuent de lui fournir les éducateurs religieux dont ils viennent maintenant seconder les efforts.
Il me reste maintenant, en terminant, à vous entretenir des responsabilités de l’État, telles que je les vois, en matière d’éducation. C’est là, vous l’admettrez, un sujet fort complexe, d’autant plus que l’État dans le Québec doit toujours garder comme but immédiat ou éloigné la promotion du groupement canadien-français. On conçoit donc que c’est à un double titre, l’avènement et le maintien du bien commun, d’une part, et ses devoirs vis-à-vis le groupe canadien-français, d’autre part, que l’État du Québec se voit actuellement imposer une immense part de responsabilité dans le domaine de l’éducation. Cette responsabilité, ce défi devrais-je dire, je puis vous assurer que le gouvernement a fermement l’intention de l’accepter, sans pour cela tomber dans le paternalisme d’État, car il se reconnaît, en éducation, un triple devoir qu’on peut résumer en ces mots: coordination, prévoyance et progrès. C’est pour l’aider à réaliser ces objectifs qu’il vient d’instituer une Enquête Royale sur l’Éducation. Comme vous le savez, celle-ci a pour mandat d’étudier tous les aspects du problème de l’éducation dans notre province. Je ne veux pas revenir maintenant sur des détails qui ont été publiés dans les journaux et dont vous avez entendu parler. Je tiens seulement à rappeler que l’Enquête sera complète et qu’elle ne négligera aucun secteur, aucun niveau de notre système d’éducation. Une telle étude approfondie de tous les aspects de l’enseignement au Québec est devenue indispensable à cause, entre autres facteurs, de l’évolution socio-économique rapide de notre province. Nous voulons faire le point, connaître la situation exacte, établir les faits pertinents, découvrir les lacunes. À partir des recommandations des enquêteurs, le gouvernement sera en mesure d’effectuer les réformes qui s’imposeront, tout en établissant entre elles des priorités nécessaires. Il pourra, grâce à la connaissance fournie par l’Enquête et à cause aussi de sa conviction des bienfaits de l’éducation, en faciliter le progrès par un soutien financier adéquat et par l’adaptation possible des structures éducatives aux nécessités du monde actuel. Toutefois, pour que l’État puisse accepter l’immense et difficile tâche qui lui incombe en matière d’éducation, il faut qu’on consente à lui laisser jouer pleinement le rôle qui lui revient comme responsable du bien commun de la société. En effet, il existe encore certains malentendus dont la présence gêne une action de l’État qui pourrait être constructive. Beaucoup de personnes pensent, par exemple, que l’État est à sa place quand il n’y est pas, quand il est absent, quand il ne prend aucune responsabilité ou presque. D’après moi, une telle façon de voir les choses si elle est poussée à sa limite logique, peut facilement devenir aussi dangereuse que la tendance à confier la solution de tous les problèmes aux autorités publiques. Si je dis qu’une telle interprétation est dangereuse, c’est pour des motifs bien précis qui résultent de notre situation particulière dans le contexte démographique nord-américain et qui nous forcent, tous tant que nous sommes, à considérer l’État nous l’éclairage d’un raisonnement nouveau. Car, il faut bien comprendre que l’État québécois, c’est le point d’appui collectif de la communauté canadienne-française et, à l’heure actuelle, l’instrument presque nécessaire de son progrès économique et social. Il nous faut savoir l’utiliser sans excès, mais aussi sans fausse crainte. L’État québécois n’est pas un étranger parmi nous, au contraire, il est à nous. Il nous appartient et il émane de notre peuple. Avec la collaboration de tous, il peut faire beaucoup pour protéger notre entité nationale et assurer le progrès de nos institutions culturelles. L’éducation accrue, mieux comprise, mieux coordonnée, rendra notre population apte à faire ce bond en avant. Le gouvernement est nettement conscient des exigences que ces objectifs supposent et croit qu’il n’a pas le droit de ne pas s’intéresser davantage dans l’avenir aux problèmes de l’éducation chez nous. Il n’accomplirait pas son devoir s’il s’en détournait et si son comportement en la matière était dicté par une prudence excessive. Nous ne prétendons pas tout recommencer à zéro, ni modifier du tout au tout notre système éducatif. Les générations qui nous ont précédé ont déjà fait leur grande part. Cependant, c’est à nous, à notre génération, qu’il appartient de prendre la relève et d’insérer dorénavant dans notre système d’éducation le souci de la coordination, de l’ordre et de l’adaptation. Le gouvernement de la province se fait un point d’honneur de participer à la réalisation de cette tâche difficile et compte beaucoup, pour y parvenir, sur la collaboration indispensable des personnes et des organismes intéressés. C’est à cette condition essentielle que l’éducation sera vraiment, au Québec, la garantie de notre avenir commun.
[QLESG19610313]
[Les Associés de l’Université de Montréal Montréal. lundi le 13 mars 1961 Pour publication après 7:30 hres P.M., le
lion. Jean Lesage, Premier ministre 1 mars, l961]
Lorsque, il y a quelques semaines, j’ai reçu l’aimable invitation du recteur de l’Université de Montréal, Monseigneur Lussier, d’adresser la parole au dîner annuel
des Associés de l’Université, je n’ai pas hésité un seul moment à l’accepter. Le travail sessionnel, extrêmement intense au moment où je vous parle, aurait pu triompher, je vous l’avoue, de la tentation à laquelle j’ai très facilement cédés le plaisir de vous rencontrer le plus tôt possible.
J’avais vraiment hâte de prendre contact avec le groupe des Associés dont je sais le dynamisme et l’esprit d’initiative. L’idée de former autour de l’Université de Montréal un réseau d’amis, un réseau d’Associés, me paraît excellente et laisse espérer l’établissement de liens toujours plus étroits entre l’Université et la communauté qu’elle s’emploie à servir. Nul doute que les financiers, les industriels, les commerçants et les professionnels qui font partie des Associés pourront appuyer les administrateurs de l’Université et faire bénéficier ceux-ci de leur précieuse expérience. Je suis certain, d’autre part, que les administrateurs eux-mêmes ont été touchés de l’intérêt qu’ont manifesté autant d’hommes d’affaires envers l’Université en adhérant au groupe des Associés. Les relations de plus en plus nombreuses qui pourront se nouer entre ceux qui administrent l’Université et ceux qui, de l’extérieur, y consacrent une part importante de leur attention profiteront à l’institution elle-même d’abord et aussi à toute la population.
De fait, à une période de notre vie nationale et politique comme celle que nous vivons présentement et où il est tellement question d’éducation dans notre province, le chef du gouvernement ne peut qu’être réconforté de constater l’ampleur, du mouvement que vous avez provoqué. Elle est la preuve tangible que notre population, par son élite, comprend et accepte la responsabilité qu’elle doit assumer envers l’Université. Celle-ci, désormais, n’est plus en quelque sorte isolée, seule aux prises avec ses problèmes; elle est assurée de ce que j’appellerais une dimension communautaire de son entité. Si vous me permettez une comparaison, je dirai que, de même que le progrès matériel abolit les distances géographiques, de même la collaboration des Associés abolit les distances psychologiques qui risquent toujours d’exister entre ceux qui sont à l’intérieur de l’Université et ceux qui la regardent évoluer de l’extérieur. Si l’existence du groupe des Associés ne faisait qu’accroître, dans notre milieu et plus particulièrement dans le milieu que vous représentez, la compréhension de la vie universitaire et des préoccupations qu’elle entraîne chez ceux qui la suivent de près, je dirais qu’une grande partie de son but a été atteint. Mais je sais très bien qu’elle aboutira à beaucoup plus que cela et qu’elle provoquera à la longue, comme elle a déjà commencé à le faire, la généralisation, dans notre société, d’une inquiétude salutaire pour un niveau élevé de vie culturelle. Je souhaite de tout coeur que votre activité comme Associés de l’Université finisse par alerter l’ensemble de notre population au soutien actif des valeurs intellectuelles. Vous donnez en somme un exemple que tous ne peuvent évidemment imiter, mais dont tous peuvent s’inspirer.
[I wish now, to pay a special tribute to our Englishspeaking compatriote and to the representatives of other cultures who have consented to act as members of the Group of Associates and who thus show how highly they consider French culture in Canada and in America. I am very deeply touched by their presence here tonight, and by the support given to one of the greatest cultural institutions in French Canada. Their cooperation facilitates the protection of all the cultural
characteristics, not only of French Canada, but also of the entire Canadian nation which is our aim. For when French Canada manifesta the attachment it has always had toward its culture, it does not only seek the assurance of its survival, it is maintaining a Canada différent from the great American people to which it is bound by more than three thousand miles of frontier.
I hope this is not a narrow-minded attitude, it stems from the realization that the two cultures of our great nation are the best defence against the easy invasion of a culture which in many of its aspects is foreign to us.]
Je voudrais profiter de l’occasion que j’ai ce soir de vous adresser la parole pour revenir rapidement sur deux sujets dont l’importance me semble maintenant acquise, mais qui soulèvent quand même plusieurs commentaires. L’élément français du Canada peut, s’il le veut, devenir un important trait d’union entre les pays occidentaux et ceux qui appartiennent à ce que nous appelons le tiers-monde. Un grand nombre de ces pays sont d’expression française – je pense ici aux nouveaux États d’Afrique et d’Asie – et ils ont besoin de l’appui culturel et technique du Canada français. Tous ces nouveaux États ne partagent pas le même degré d’industrialisation et le même niveau de vie, mais tous, à cause de leur situation nouvelle et à cause de leur indépendance récente, sentent la nécessité de frôler les coudes des nations qui peuvent les comprendre. Il est indéniable que le Canada français appartient à ce groupe. Je suis d’ailleurs convaincu que les citoyens d’expression française de notre pays comprennent leur devoir et nourrissent une sympathie agissante à l’égard de ces nouveaux États.
C’est un peu pour cela que je suis heureux de l’initiative, née dans la province de Québec, de grouper les universités de langue française du monde entier. Comme vous le savez, ce projet suggéré par l’Union culturelle française prendra corps en septembre prochain. Grâce à ce qui en résultera, la culture du Québec profitera d’une résonance universelle qui ne pourra manquer de la fortifier et de l’enrichir. Les jeunes États de langue française, dont je parlais, pourront tirer parti de ce rapprochement entre les universités pour se sentir mieux intégrés à la culture des peuples d’expression française, à laquelle, d’ailleurs, leur apport futur pourra s’avérer très utile.
L’autre sujet dont je tiens à vous parler ce soir est également d’une très grande actualité. D’autres personnes que moi en ont souvent parlé dans les milieux universitaires et j’ai nettement conscience que ce que j’ai à vous dire n’est pas tellement nouveau pour vous qui vous intéressez de si près à l’éducation supérieure au Québec.
On demande souvent l’aide de l’État dans la poursuite, par des groupements privée, d’objectifs tout à fait recommandables. Ces groupements privés ont parfois fort raison d’espérer que l’État écoutera leurs demandes et qu’il accordera son concours à des entreprises bénévoles ou humanitaires socialement désirables. Cependant, si l’État est prêt à faire éventuellement sa large part, il estime qu’il appartient d’abord au secteur privé de faire tout en son pouvoir pour tirer le meilleur usage possible de ses propres ressources. Il croit, en somme que le secteur privé doit, avant de faire appel à l’État, montrer toute l’initiative dont il est capable dans la mise en action des moyens dont il peut disposer pour la solution de ses propres problèmes.
Je crois que l’on peut appliquer ce principe d’ordre général aux méthodes de financement des universités. Comme il est impossible actuellement de faire porter par les étudiants tout le coût de l’enseignement supérieur, il est indispensable que les universités trouvent ailleurs les fonds qui leur permettront de poursuivre leur travail. Dans le Québec, il me semble qu’il existe un appui financier qu’on n’a peut-être pas suffisamment, si vous me permettez l’expression, mis à contribution. Je pense ici à toutes nos maisons d’affaires canadiennes-françaises dont l’apport présent à notre société pourrait, sans trop de difficulté probablement, se doubler d’une sollicitude particulière envers nos institutions d’éducation. Je pense, de fait, qu’elles pourraient de plus en plus dans l’avenir faire beaucoup pour alléger le fardeau financier des universités. Certaines font déjà leur part, mais j’ai l’impression que leur nombre pourrait s’accroître. J’avoue que je me sens assez optimiste à ce propos ce soir, à cause justement de l’existence d’un groupe comme celui des Associés que je trouve très prometteur.
Mais cette sollicitude financière, si je peux dire, ne peut se limiter aux maisons d’affaires et aux entreprises commerciales. Il existe chez nous des personnes qui ont l’avantage de disposer d’une fortune assez considérable et qui, j’en suis presque convaincu, se demandent parfois avec quelle entreprise charitable ou philanthropique elles pourraient la partager. Les universités seraient sûrement heureuses de bénéficier des largesses de ces personnes qui participeraient ainsi, à leur façon, à la vie culturelle et éducative du Québec. La même remarque s’appliquerait à des fondations canadiennes-françaises qui encourageraient tel ou tel projet d’étude ou qui associeraient leur nom à l’expansion future de nos maisons d’enseignement supérieur.
[In the saure vein, I make a special appeal to our English ki fid idutilit buidfild speaking speangrens,nsrass,sness an proessona men, an I invite them to take an active interest, for example in our program of scientific research. Certain business establishments, certain English-speaking industrialists as well as affiliates of American companies, distribute scholarships to our students, American Foundation have financed research programs, notably social research’ in our Quebec universities. I hope that this gesture is but the
• beginning ci a sustained financial collaboration which will continue
and increase throughout the years. I would ses in this action on
their part a real desire to facilitate the tank that our universities
are willing to undertake in the economic and scientific progress of
• Canada as a whole.
Miss Virginia Gildersleeve, dean emeritus of Barnard College, in her autobiography entitled
« MANY A GOOD CRIISADE » recollects the celebration of the fiftieth anniversary of her college.
For me (she says) the most moving moment of the celebration came when a short telegram from an absent alumna was …. opened. « DON’T EVER DARE » read the message (…) « TO TAKE POUR COLLEGE AS A METTER OF COURSE, BECAUSE LIKE FREEDOM AND DEMOCRACY, MANY PEOPLE YOU WILL NEVER KNOW ANYTHING ABOUT HAVE BROKEN THEIR HEARTS TO GET IT FOR YOU. »]
Si j’ai dit que le secteur privé pouvait jouer un grand rôle dans le financement actuel et futur de nos universités, je ne veux quand même pas laisser l’impression que le gouvernement que je représente a l’intention de se désintéresser désormais des problèmes de l’enseignement supérieur au Québec. Bien au contraire, c’est parce qu’il s’y intéresse grandement qu’il désire, comme je viens de vous l’exprimer, voir une mobilisation générale des énergies pour la découverte de solutions adaptées aux besoins de notre époque. Le gouvernement se sentira épaulé s’il sait que d’autres que lui entretiennent les mêmes préoccupations envers notre vie universitaire.
Il n’aura pas l’impression, par sa législation à ce sujet, d’imposer à une population non alertée des solutions dont l’ampleur et la portée dépasseraient les désirs de la majorité.
Il y a un peu plus d’une semaine, j’assistais, ici même à Montréal, à l’ouverture de la Semaine de l’Éducation. Dans le discours que j’ai prononcé à cette occasion, j’ai essayé, entre autres choses, de définir comment se répartissaient entre les secteurs et les classes de notre société, les responsabilités nombreuses envers l’éducation. J’ai parlé du rôle des parents, de celui des éducateurs et de celui des associations de citoyens. Je me suis aussi arrêté assez longuement à préciser ce que le gouvernement du Québec considérait être sa tâche en matière d’éducation.
Cette tâche peut se résumer en trois mots: coordination, prévoyance et progrès. Par la coordination, le gouvernement veut, comme le terme l’indique, intégrer encore plus étroitement les pièces multiples de notre système d’éducation. Ces pièces ont été conçues parfois sous le coup de la découverte subite d’un besoin aigu non encore satisfait. On a souvent couru au plus pressé, sans toujours se soucier de voir comment les nouvelles initiatives se greffaient à l’ensemble de ce qui existait déjà. Il faut reconnaître qu’il est impérieux maintenant de faire le point et de savoir oh nous allons. L’Enquête Royale sur l’Éducation devrait à ce sujet nous fournir des lumières dont nous avons besoin et que ne pourraient dénigrer que ceux qui mettent la torche sous le boisseau, au lieu de profiter des vérités fécondes.
Cette enquête permettra aussi au gouvernement de poursuivre sa seconde tâche, celle de prévoyance, en lui révélant les besoins exacts
de notre société, les tendances démographiques de notre population et les lacunes du système actuel. Nous voulons en définitive adapter notre système aux exigences futures qu’entraînera la complexité grandissante de la vie en société.
La tâche de progrès, le gouvernement entend l’accomplir en même temps que les précédentes, mais aussi grâce à elles, car il existe entre celles-ci un lien indissoluble qu’aucun programme d’action ne peut négliger sous peine de faillite. Le progrès de notre système d’éducation, et notamment de nos institutions universitaires, est beaucoup plus qu’une question de financement. Elle est aussi une question de compétence et d’ouverture d’esprit. Mais pour que la compétence et l’ouverture d’esprit puissent se manifester, il importe que le facteur financier ne soit plus un obstacle, comme il l’a été trop longtemps.
Évidemment, les capacités financières de l’État ne sont pas infinies. Il y a bien d’autres programmes de législation, en particulier la législation sociale, qui nécessitent des dépenses considérables. Dans la limite de ses moyens, le gouvernement de la province demeure convaincu qu’il lui faut accomplir encore davantage. Il ne pourra peut-être pas le faire immédiatement de façon aussi intense qu’il le désirerait, mais il ne tentera pas, sous quelque prétexte que ce soit, de diminuer la part considérable de responsabilité qu’il se reconnaît en matière d’éducation. Il n’a pas l’intention, en cela, de remplacer ce que le secteur privé est en mesure d’accomplir; il vise seulement, comme gardien du bien commun.
En terminant, laissez-moi vous réitérer ma conviction profonde que les universités, celle de Montréal comme les autres, jouent un rôle de premier plan dans la formation des chefs, dans la fabrication d’élites, que c e soit dans le domaine de l’enseignement, dans le monde des affaires ou dans celui de la politique. Au Québec, ce rôle est capital à cause de la situation géographique et démographique de la province dans le contexte nord-américain et à cause de l’apport qu’on est justifié d’exiger de notre groupe ethnique dans la communauté canadienne.
À mon point de vue, les universités constituent la clef de voûte de tout notre système d’enseignement et c’est à ce titre qu’elles doivent faire l’objet des constantes préoccupations du gouvernement de la province, ainsi que de celles de tous les citoyens qui ont à coeur le progrès culturel de leur patrie.
[QLESG19610507]
[Congrès régional des Associations libérales féminines de la Mauricie
Trois-Rivières, le 7 mai 1961 Pour publication après 8h00 P.M. le 7 mai 1961, Hon. Jean Lesage, Premier ministre]
Je n’ai pas souvent l’habitude, pendant la session parlementaire, d’accepter les invitations – et elles sont nombreuses – qui me
sont faites d’adresser la parole à des groupements d’action politique. Cette règle de conduite n’est pas de l’indifférence pour ceux et celles qui militent si généreusement dans les rangs de notre parti. Bien au contraire, ils ont toute ma reconnaissance car je sais fort bien que, dans une très large part, la victoire du 22 juin dernier provient des efforts enthousiastes, quoique anonymes et désintéressés, de milliers de citoyens qui avaient à coeur le renouveau politique, économique et social de notre province.
Si je m’abstiens généralement pendant la session de faire ce qu’on appelle des « discours politiques », c’est pour une raison bien simple. Les tâches du Premier ministre sont tellement absorbantes qu’elles laissent peu de loisirs au chef du parti libéral. Croyez bien que je regrette cet état de choses. Mais voilà que soudain mon regret s’est transformé en une tentation de déroger à une règle qui me pesait et que cette tentation est devenue d’autant plus irrésistible que … les tentatrices, c’étaient vous: Or, comme disait quelqu’un: » À quoi bon la tentation, si on n’y succombe pas: » Comme membres actives de la Fédération des Femmes Libérales du Québec, vous vous attendez peut-être à ce que je vous décrive le rôle de la femme en politique. Je ne sais pas si vous serez déçues mais ce n’est pas de cela que j’ai l’intention de vous parler. De fait, j’ai bien l’impression qu’avec tout ce que vous avez fait pour le parti libéral, vous savez aussi bien, sinon mieux que moi, l’importance essentielle de l’apport féminin dans l’action politique.
Je voudrais plutôt revenir ce soir sur un sujet auquel j’ai fréquemment fait allusion à la Chambre. Je ne vous cacherai pas que j’attendais l’occasion d’en faire le thème d’une causerie politique. Ce sujet, je pense qu’on pourrait l’appeler « la mythologie de l’Union Nationale ». Tous les partis, à un moment ou l’autre, font ce qu’on appelle de la propagande politique. En d’autres termes, tous les partis font de la publicité. Ils tentent par là de porter leurs oeuvres, leurs aspirations ou leurs projets à là connaissance des électeurs. C’est là une façon d’agir tout à fait normale, et on pourrait même s’étonner qu’un parti quelconque ne s’y conforme pas.
Cependant, dans le domaine de la propagande politique, comme dans celui de la publicité, il existe ce que l’on appelle l’éthique professionnelle. Certaines choses sont acceptables, d’autres le sont moins et enfin, il en est qui ne le sont pas du tout. Vous avez pu vous rendre compte, par exemple, que le parti libéral – qui fait de la propagande politique comme tous les autres groupements du genre s’en est toujours tenu en cette matière à la plus stricte dignité. Cela ne nous a pas empêchés de frapper durement lorsqu’il le fallait, ni de dévoiler des faits sur lesquels il importait de faire la lumière. Mais vous savez que nous n’avons jamais utilisé le préjugé, le mensonge ou la calomnie comme arme politique. Le peuple nous a jugés sur notre sincérité et non selon une image fausse de nous-mêmes que nous aurions fabriquée de toutes pièces.
On ne peut pas en dire autant des méthodes de nos adversaires. Je ne veux pas ici relever tout ce qui a été dit lors de la dernière campagne électorale contre nous ou contre notre programme. Je désire m’en tenir exclusivement à l’attitude prise par l’Union Nationale depuis le début de la présente session. Je crois que j’aurai amplement de matière pour exposer ce qui est devenu la « mythologie » de ce parti. Le cas de l’Union Nationale est tragico-bouffon. Quelques jours encore avant les élections générales, elle paraissait extrêmement puissante. Mais, comme Thomas Masaryk, fondateur et premier président de la république tchécoslovaque, le disait: [« Une dictature n’a jamais l’air aussi dangereusement puissante que dix minutes avant de s’écrouler. »] Par la démagogie, l’achat des consciences, le patronage et la caisse électorale, le régime que nous avons connu s’était fabriqué une armure qu’on pouvait croire redoutable, mais qui, de fait, ne tenait qu’à un seul boulon mangé par la rouilles la dictature. C’est ce boulon corrodé que nous avons pulvérisé le 22 juin et, depuis ce temps, le public assiste, un peu étonné, à l’effondrement vertigineux et au dégonflement massif du colosse aux pieds d’argile.
Les publicistes de l’Union Nationale ont souvent dit que leur parti n’était pas comme les autres. Je crois que c’est vrai et que nous en avons la preuve aujourd’hui. Dans n’importe quel parti, la défaite peut devenir une occasion salutaire de réviser certaines positions, de repenser un programme ou de restructurer l’organisation. Or, l’Union Nationale est totalement incapable de se livrer sincèrement à cet effort parce qu’elle n’a jamais eu d’autre idéal que celui qu’elle pouvait déposer dans sa caisse électorale! Pour donner le change, elle fait semblant de se chercher un programme qui ne peut être que faux, artificiel ou inconséquent et qu’elle n’a pas plus envie d’appliquer que celui de 1936 qui avait séduit tant de nationalistes sincères vite désabusés. Elle n’a pas d’autre pensée politique véritable, je dirais même « de raison d’être », que le culte de l’immobilisme. Tout comme l’hypocrisie, selon La Rochefoucauld, [« est un hommage que le vice rend à la vertu »,] le faux programme que se cherche l’Union Nationale est un hommage envieux qu’il rend au programme du parti libéral.
Ce n’est pas une défaite qu’a subie l’Union Nationale, c’est une débandade, un étalage indécent de son vide intérieur. Rapidement, elle s’enfonce dans l’histoire du passé. Elle est périmée. Démantelée sur la place publique, elle ressemble à ces vieilles machineries abandonnées, rongées par la rouille et dans lesquelles vont s’amuser les enfants, au grand désespoir de leurs mères qui voudraient les garder aussi propres que possible.
Pourtant, elle fait du bruit. Vous entendez ses porte-parole à la Chambre. Dans leur haine de toute législation sociale, ils parlent tellement qu’ils retardent le travail sérieux de la session. Mais ils ne disent rien et ils ne remplissent même pas leur rôle de membres de l’Opposition. Comme je vous le dirai tout à l’heure, ils pérorent pour s’épater mutuellement et faire, monter leurs parts respectives dans le but que vous devinez. Jamais, ils n’ont prouvé aussi clairement combien leur chef et fondateur avait raison lorsqu’il disait d’eux avec un mépris qu’il ne cachait même pas devant des témoins libéraux: [Sans moi, ils ne seraient rien.] Il ne croyait pas si bien dire!
Pour se donner l’illusion de survivre et pour prolonger son agonie, l’Union Nationale utilise ce qui lui semble être sa dernière ressources elle invente des mythes qui trouvent leur écho, non pas auprès du public qui a autre chose à faire que d’écouter des sornettes, mais dans les colonnes malpropres de certaines feuilles de chou qui ont érigé la calomnie en principe et le mensonge en système.
Parmi les outils modernes que le parti libéral ne craint pas d’utiliser, il y a l’enquête en profondeur qui permet de prendre avec certitude le pouls de l’opinion publique. Grâce à des méthodes d’une surprenante efficacité qui expliquent ma confiance inébranlable d’avant le 22 juin, on peut savoir avec précision l’effet qu’a produit tel ou tel avancé. Or, le mythe, par exemple, du gauchisme, jusqu’à quel point est-il pris au sérieux par la population? D’après une enquête scientifique, je dois admettre que le pourcentage est plus élevé que je ne le pensais il est de deux %. Comme l’Union Nationale a pris; le 22 juin, 46% du vote, il faut en conclure avec amusement que 44% des électeurs de l’Union Nationale ne croient pas eux-mêmes aux bobards de leur parti! Mais alors, me direz-vous, pourquoi parler de mensonges que 98% des électeurs n’ont pas gobés? Pour la raison bien simple que si les députés de l’Union Nationale sont assez complaisants pour prêter le flanc au ridicule, nous aurions bien tort de ne pas nous payer une pinte de bon sang à leurs dépens. Puisqu’ils veulent faire des pitreries, nous aurions mauvaise grâce de ne pas nous en amuser. Après seize ans de tragédie, la province a droit à une détente comique. Même quand les munitions ratent la cible, elles nous en révèlent long sur l’intelligence et l’honnêteté de ceux qui les utilisent. Et sur l’honnêteté intellectuelle de l’Union Nationale, rappelons cette constatation troublante que ce parti se complaît tellement dans le mensonge, qu’il déteste tellement la vérité, que le jour où son chef, dans un sursaut d’honnêteté ou une crise de nausée, a voulu la dire, il a été forcé de remettre sa démission.
J’ai donc pensé qu’il serait divertissant de passer en revue quelques bobards classiques de l’Union Nationale. D’abord, il y a celui déjà cité du gauchisme. À en croire ceux qui se
servent de cet épouvantail à corneilles, l’avènement au pouvoir d’un gouvernement libéral aurait, mystérieusement et à l’insu de tous, donné le contrôle occulte de la province à une cinquième colonne quelconque relevant directement du Kremlin. Vous vous rendez compte facilement du caractère hautement ridicule d’une telle prétention. Si je ne connaissais pas ceux qui tentent de propager des idées aussi fantaisistes, je croirais qu’elles ont germé dans l’esprit délirant de quelque lunatique. Seulement, je les connais et je regrette d’avoir à dire qu’ils n’ont pas l’excuse d’être des lunatiques. Bien au contraire, il faut leur concéder un certain type d’intelligence à base de ruse, et c’est justement ce qui rend leurs inventions aussi odieuses. Ils savent fort bien l’étendue du mal qu’ils essaient de faire et, ce qui est encore pire, ils ne croient pas, de leur aveu même, le premier mot des bêtises qu’ils débitent automatiquement comme par un réflexe conditionné. Ce qui est affreusement grave et tout à fait révélateur de leur fierté patriotique, c’est la piètre opinion en laquelle ils tiennent l’intelligence du peuple pour lui servir une nourriture aussi insultante. Mais l’électeur n’est pas la dupe qu’ils espèrent et, surtout, n’est pas aussi naïf qu’ont l’air de se l’imaginer ceux qui essaient de lui faire peur. Mais le mythe du gauchisme en englobe beaucoup d’autres de même nature. Je pense aux gens qui de bonne foi craignent le socialisme et auxquels on a fait croire que tout effort de planification, que ce soit dans la mise en valeur de nos richesses ou dans l’administration, est un pas vers l’étatisme. On essaie de convaincre ces personnes que l’immobilisme est la garantie même du maintien de la liberté et qu’il vaut mieux ne rien changer à ce qui existe parce que, dit-on, toute évolution est dangereuse. Or, le parti libéral croit au contraire que le progrès social et économique, donc le mouvement, est la meilleure façon de promouvoir le bien-être commun. C’est pour cela qu’au cours de la dernière campagne électorale nous disions : « C’est le temps que ça change ». Déjà nous avons donné des preuves que nous étions fidèles à notre slogan. Il y a bien des choses de changées dans le Québec depuis le 22 juin dernier et il reste encore énormément à faire. Le peuple le sait et nous le savons aussi. Nous n’avons pas l’intention de nous arrêter à mi-chemin. D’ailleurs, nous n’en sommes même pas à mi-chemin; nous venons à peine de débuter. Cependant, il y a des gens à qui notre volonté de progrès déplaît. Où ils ont à sauvegarder des intérêts personnels opposés. à ceux de la province, ou ils se rendent compte, à leur grand désarroi, que nous sommes en train d’accomplir des réformes dont la population du Québec nous sera reconnaissante parce qu’elle-même les souhaitait depuis longtemps. Ils veulent nous mettre des bâtons dans les roues en soulevant des mythes poussiéreux et en essayant, bien vainement, de convaincre le peuple que le progrès est dangereux et que le salut réside dans la momification à laquelle l’Union Nationale a essayé de contraindre la province pendant trop d’années. Les bâtons qu’ils mettent dans nos roues ont à peu près la force d’une allumette car ils n’ont nullement ralenti le rythme que le gouvernement libéral a décidé d’adopter. Mais je suppose que, réduite à se contenter des satisfactions les plus puériles, l’Union Nationale considère comme une victoire d’avoir pu, par son obstruction systématique, retarder de quelques jours l’adoption d’une loi sociale.
Toujours dans le même ordre d’idées, les mêmes fabricants d’illusions prétendent que le parti libéral menace nos institutions les plus chères, comme l’Église, l’école confessionnelle et la famille. En toute sincérité, je dois vous dire que j’ignore absolument à partir de quoi on a pu inventer de pareilles sottises. Quand on dit que nous formons un gouvernement gauchiste, je comprends que c’est parce que le parti libéral est plus à gauche que l’Union Nationale. Cela, je l’admets avec fierté, car l’Union Nationale représente le conservatisme dans sa forme la plus arriérée et la plus stagnante. C’est une eau dormante, et vous connaissez le proverbe au sujet de l’eau qui dort. Il n’est donc pas difficile d’être à gauche de ce qui fut un monument fossile élevé à la préhistoire de l’économie et de la sociologie. En fait, il est impossible d’être ailleurs qu’à la gauche de l’Union Nationale. À sa droite, c’est le néant, et à sa place même, c’est le cloaque: Quand on dit que nous avons des tendances socialistes, je peux encore comprendre en traduisant le mot « socialistes » par le mot « sociales », car nous n’avons pas peur d’affirmer que l’État, dans la situation actuelle et à cause de la position du Canada français comme minorité culturelle, doit jouer le rôle qui lui revient.
Cependant, quand on dit que notre parti menace nos institutions, vraiment je ne peux m’empêcher de penser que nous sommes témoins des manifestations délirantes d’un groupe d’illuminés. Mais, il arrive que ceux qui affirment de telles énormités savent qu’ils inventent leurs accusations, qu’ils se livrent en somme à la calomnie et qu’ils sont obligés d’avoir recours à des méthodes aussi honteuses parce que leurs autres mythes leur ont éclaté en pleine figure.
Vous noterez d’ailleurs que l’accusation que je viens de relever est la plus récente. Je ne dis pas qu’on ne nous calomniait pas ainsi avant; je dis que ce n’est que tout dernièrement qu’on s’est mis à exploiter aussi ouvertement les sentiments profonds du peuple québécois en matière religieuse ou familiale pour des fins tellement mesquines que toute la province en est révoltée. S’il faut juger l’arbre à ses fruits, le Québec doit se sentir heureux aujourd’hui d’avoir mis un terme au règne des mystificateurs de l’Union Nationale.
On nous accuse de menacer l’Église, l’école confessionnelle et la famille. Je ne parle même
pas du danger imaginaire que nous représentons pour l’Église et la famille d’après certains fumistes; la calomnie est trop grossière pour que je perde mon temps à la relever. J’aurais fait subir le même sort à l’autre calomnie sur l’école confessionnelle si, au cours des dernières semaines, on n’avait pas mis en oeuvre une odieuse technique qui, fort heureusement, a lamentablement échoué. Vous vous souvenez des centaines de lettres que j’ai reçues de la part d’écoliers qui me demandaient, à peu près tous dans les mêmes termes, de conserver l’enseignement religieux dans les écoles. Chose étrange, toutes ces lettres venaient de la même région. Je veux bien n’y voir qu’une simple coïncidence. Je veux bien ne pas y déceler une relation de cause à effet entre certaines déclarations emportées et sciemment trompeuses du plus mythomane de nos adversaires et l’influence néfaste qu’il a pu avoir sur l’esprit de certains de ses électeurs. Je ne sais pas, mais l’opinion, publique croit que, tout comme « l’affaire des faux billets », ce viol de la conscience et de l’idéalisme naturel des enfants a éclaté dans le « vrai visage de l’Union Nationale ».
Quoi qu’il en soit, il faut vraiment être rendu au bout de son rouleau pour, utiliser des calomnies apparentées à celles que les régimes totalitaires les plus pervertis ont lancées pour accéder ou pour se cramponner au pouvoir.
Entre nous, quel danger peut bien courir l’école confessionnelle depuis que les libéraux sont au pouvoir? Vous connaissez mes opinions à ce sujet. Nos plus hautes autorités religieuses sont les premières à admettre comme nous que notre système d’éducation a besoin d’être amélioré. Cela veut-il dire que nous allons le détruire? Il n’en a jamais été question! Si nous voulons l’améliorer, c’est pour le rendre plus fort, pour lui permettre de faire face aux immenses tâches patriotiques qui l’attendent. Lorsqu’un chirurgien entreprend d’opérer un malade, c’est pour le remettre à la santé et non le tuer. Faudrait-il condamner les opérations chirurgicales parce qu’elles sont parfois douloureuses?
Je sais bien qu’il existe des personnes timorées qui aiment mieux tolérer un mal parce qu’elles le connaissent, parce qu’elles sont familières avec lui, plutôt que d’entreprendre les réformes que l’évolution historique réclame. Ces personnes ont peur; elles sont demeurées en panne le long de l’Histoire et craignent d’être remorquées dans notre ère parce qu’elle comporte des problèmes dont leur esprit se refuse à reconnaître l’existence ou dont, tout au moins, la solution le dépasse. Ils prennent leur peur pour de la prudence, leur impuissance pour de la sagesse. Leurs porte-parole se sont manifestés à plusieurs reprises au cours de la présente session. Chaque fois que nous esquissions une réforme, il fallait les voir surgir, bardés de sophismes, et refusant de constater les faits regrettables et les abus que nous avions entrepris de corriger. Je ne dirai pas que ces personnes presque toujours les mêmes étaient toutes de mauvaise foi, mais j’ai nettement l’impression que leur conservatisme agressif était stimulé par certains honorables mythomanes moins sincères qu’elles.
Un ancien ministre, deuxième ténor de la troupe d’opéra comique de l’Union Nationale, et qui a pour cheval de bataille l’air dans LAKME, « Fantaisie, ô divin mensonge », a même fait, il y a quelques semaines, la déclaration suivante. Il s’étonnait de voir combien, depuis le 22 juin, la province était envahie d’idées nouvelles, peu orthodoxes et pernicieuses, qui n’avaient pas cours sous l’administration de l’Union Nationale. Il en concluait que la victoire de notre parti avait en quelque sorte livré le Québec aux propagandistes de l’anticléricalisme, du laïcisme et du socialisme marxiste. Un peu plus, il nous aurait accusés de favoriser les témoins de Jéhovah, les francs-maçons ou Dieu sait qui, au détriment des catholiques et des Canadiens français. Ces accusations sans preuves prouvent malgré tout une chose: c’est que, pour le culot, l’Union Nationale demeure championne: Si l’on imposait une taxe sur le culot, l’Union Nationale pourrait, à elle seule, faire vivre la province!
Qu’il y ait des idées nouvelles dans le Québec depuis le 22 juin, d’accord! Le programme de notre parti est fondé justement sur des idées nouvelles et nous avons commencé à les mettre en application. S’il y a eu aussi des manifestations nouvelles de laïcisme, il n’y a par contre aucun lien entre elles et la victoire de notre parti. Il me semble, de fait, que les gens qui émettent maintenant ces idées, ne le font pas pour la première fois. Il y a plusieurs années qu’un lécheur de bottes de l’Union Nationale a commencé à semer les germes de la mythologie actuelle de ce parti en parlant de ce qu’il appelait « l’infiltration gauchiste au Canada français ».
Cependant, ce qui me frappe dans la déclaration de l’ex-ministre dont je parlais, c’est l’aveu implicite qu’il fait du climat de liberté intellectuelle et du soulagement éprouvé par tant de citoyens depuis la victoire libérale. Il craint en somme que l’abolition de la dictature virtuelle qu’était l’Union Nationale n’entraîne un foisonnement d’idées susceptibles de miner à la base les dogmes réactionnaires d’une époque révolue. Monsieur le second ténor, vous l’avez reconnu aux couacs qu’il fait dans un rôle trop élevé pour lui, monsieur le second ténor ferait bien de prendre le deuil; l’époque de la bêtise érigée en système, l’époque ou les plus sérieux problèmes de notre société faisaient tout au plus, de la part du Grand Chef l’objet d’un calembour usé tiré de l’Almanach Vermot, cette époque, dis-je, est bel et bien finie; le Québec ne sera jamais plus une nation sous cloche. Nous croyons que notre population est assez adulte pour se conduire sans oeillères. Si certains esprits sectaires profitent des circonstances pour énoncer leurs idées, c’est bien regrettable. Mais, nous ne croyons pas que pour empêcher cinquante personnes de se complaire dans des opinions auxquelles le peuple n’apporte d’ailleurs aucune attention, il faille restreindre la liberté de penser de 5000000 de citoyens. Du reste, il y a longtemps que l’on ne parlerait plus de nos laïcisants si certains pharisiens politiques ne leur avaient donné de l’importance en poussant des cris effarouchés.
Madame la Présidente, Mesdames et chères amies, je pourrais continuer encore longtemps. Mais, comme c’est le cas pour les contes de fées, tous les mythes se ressemblent. J’en laisse donc de côté, car ils ne sont que des variantes de ceux auxquels je me suis arrêté.
Je ne m’attends pas non plus à ce qu’on en invente de nouveaux puisque l’Union Nationale est devenue un parti politique intellectuellement desséché. Elle a perdu tout pouvoir créateur et il lui reste tellement peu d’idées qu’elle base toute son argumentation contre nous et nos oeuvres sur des distorsions d’une réalité qu’elle perçoit à travers l’esprit brumeux de ses fabricants de mythes. D’une certaine façon, le gouvernement libéral regrette de ne pas avoir en face de lui une Opposition réelle et constructive, car nous ne prétendons pas à l’infaillibilité et nous acceptons de prendre conseil. Une Législature pourrait être comparée à une paire de ciseaux. Une lame ne peut bien couper que si elle en rencontre une autre qui lui fait opposition. Mais si la seconde est ébréchée ou si elle est tordue, elle ne permet pas à la première de fonctionner comme il se devrait dans des circonstances idéales pour l’intérêt public. À moins que je me trompe, le rôle d’une Opposition doit être de surveiller les agissements du gouvernement et de prendre les intérêts du peuple. Actuellement, l’Union Nationale ne considère que ce qu’elle croit être les intérêts de son parti.
Et c’est là qu’elle se trompe. Car si le peuple a voté contre l’Union Nationale, c’est précisément parce qu’il en avait assez d’un gouvernement qui n’était motivé que par les intérêts d’un parti et qui avait perdu tout sens du bien commun. Même à l’intérieur du parti, l’intérêt particulier prime les intérêts généraux. Qu’a fait l’Opposition depuis le début de la session? Elle nous a donné le spectacle d’un duel de deux aspirants chefs avec tout le cabotinage que cela implique.
Il est à la fois pathétique et amusant de voir les expressions navrées des simples soldats de l’Opposition qui ne peuvent entretenir l’espoir de devenir chefs. Ils assistent, avec un enthousiasme de conscrits, c’est-à-dire la mort dans l’âme, à des discours aussi nus que leur programme et aux manoeuvres infantiles des deux principaux candidats qui cherchent à les impressionner.
Il était particulièrement cocasse, lorsque le Chef de l’Opposition a répondu au discours du budget, de le voir tourner le dos au Président de l’Assemblée législative avec une constance qui devenait un manquement sérieux au protocole parlementaire. Et ce n’était pas pour s’adresser à la droite. Non, c’était pour quêter des approbations sur les propres banquettes de l’Opposition. C’était la tentative d’un homme qui veut s’accrocher au rôle qui excite l’appétit du second ténor, c’était un discours non pas à l’Assemblée législative, mais un discours de congrès.
Et tout ce mal pour rien! Avec son passé, L’Union Nationale n’a pas d’avenir. Pas un seul, soyez-en sûres, mesdames, pas un seul député de l’Opposition actuelle ne siégera à droite. Si jamais l’Union Nationale reprend le pouvoir, ce sera parce qu’une nouvelle génération, lasse d’avoir été si longtemps sa dupe, aura signifié leur congé à ceux qui se son t crus propriétaires de leur parti. Non, pas un seul député actuel de l’Union Nationale ne se retrouvera au pouvoir car ce parti est totalement discrédité aux yeux du public et il a entièrement perdu la confiance des citoyens du Québec. Il est devenu le symbole de la corruption et du patronage. Il s’est écroulé avec fracas sous le poids de ses propres scandales, et le citoyen moyen est ahuri de découvrir l’étendue de son immoralisme politique.
Dans sa réponse au discours du budget, le Chef de l’Opposition a cherché une citation qui pourrait nous fustiger dans notre politique financière. Incapable d’en trouver, il a dit: [« Je parodierai une phrase de Pagnol pour dire au gouvernements « Le crédit, c’est comme les allumettes; ça ne sert qu’une fois ».]
Eh bien, nous, pour parler de l’Union Nationale, nous n’avons pas besoin de transformer les citations et de forcer leur sens. Nous n’avons qu’à rétablir textuellement le conseil que donne César à son fils Marius, conseil qui rappelle le destin de l’Union Nationale: l’honneur, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois!
En plus d’être déshonorés, l’Union Nationale est déracinée et décapitée. Elle a perdu toute attache avec le peuple et essaie bien en vain de renouer le contact en évoquant des croquemitaines. Malgré tout le bruit qu’elle tente encore de faire, l’Union Nationale est une « faiblesse qui s’ignore ». Lorsqu’un navire coule, il provoque toujours un remous: c’est ce qui arrive à ce triste parti aujourd’hui. C’est pourquoi il ne faudrait pas se méprendre et croire que le vacarme dont il s’entoure est un indice de vitalité. Fidèle à sa technique de l’illusion massive, l’Union Nationale veut donner l’impression qu’elle est présente. Mais les moyens qu’elle prend pour le faire démontrent jusqu’à quel point sa cause est désespérée.
Enfin, l’Union Nationale est désorientée. De fait, elle est prise dans un terrible dilemme car elle est hantée par les fantômes contradictoires, les fantômes rivaux de son fondateur et de celui qui lui a succédé. Quelle voie prendra-t-elle si par hasard elle survit, ce qui serait étonnant, à son premier congrès? Et, soit dit en passant, puisqu’un congrès est une bonne chose, pourquoi n’en avait-elle pas avant? Ou bien elle s’enfoncera dans un duplessisme réactionnaire, moyenâgeux et discrédité; ou bien elle adoptera le conservatisme moins obtus de son successeur et, par le fait même, reniera son passé.
Du reste, quelle chance le conservatisme traditionnel aurait-il? Rappelons-nous que c’est l’état désespéré du conservatisme, son impasse définitive, qui a fait recourir en 1935 à la formule « Union Nationale ». Quelle chance aura ce parti en redevenant conservateur? À peu près la même que celle que connaîtra aux prochaines élections fédérales le parti qui veut étrangler l’essor économique et social de notre province par ses dernières inventions vexatoires en matière de fiscalité.
D’une part, donc, la déstalinisation de l’Union Nationale est trop avancée pour qu’elle s’imagine pouvoir recourir avec quelque succès au duplessisme; et, d’autre part, il y a encore trop de traces de duplessisme dans ses méthodes pour qu’elle puisse se sauver avant le dernier soupir, par une confession « in extremis ». En somme, l’Union Nationale est un peu comme un voyageur exténué qui se trouve soudainement à une bifurcation; il veut prendre la route la moins ardue, mais il, ignore qu’au bout de l’une ou de l’autre des routes qu’il peut choisir il y a un précipice.
Quand on veut dire que quelqu’un doit s’attendre à rencontrer des difficultés, on dit souvent « que son avenir n’est pas rose ». Dans le cas de l’Union Nationale, je ne peux même pas me servir de cette expression, car ce parti n’a plus d’avenir. Ses membres, ce sont quarante députés, quarante veuves demeurées inconsolables de la disparition de leur chef, et quant à son chef présent, il est comme certains horaires, « sujet à changement sans avis préalable »; son programme inavoué, c’est l’immobilisme.
Le parti libéral a déjà éprouvé des difficultés dans le passé, mais il ne s’agissait que de revers temporaires de fortune. Nos épreuves ne dépendaient pas de contradictions internes, de conflits mentaux ou d’une névrose politique, mais d’un climat que nous n’avons pas créé et qu’il fallait combattre avec patience et acharnement. Nous avons finalement résolu nos problèmes et nous sommes sortis de l’épreuve plus forts que jamais. Mais l’épreuve actuelle de l’Union Nationale lui sera fatale, car elle n’a plus d’épine dorsale. Elle n’a aucune pensée politique à laquelle elle pourrait s’agripper. Elle vivait lorsque le pouvoir la nourrissait, mais maintenant que le pouvoir ne lui permet plus de saigner le peuple, elle tombera d’inanition.
La déconfiture de l’Union Nationale conserve une certaine grandeur historique, si je peux dire. Jamais en effet, à ma connaissance, une formation politique s’est effondrée de façon aussi spectaculaire. À une fausse impression de puissance a succédé une certitude de néant. Un peu comme dans le cas d’une ville atomisée, il n’en reste que des vestiges croulants. L’Union
Nationale appartient désormais à l’Histoire du Passé. Elle se survit péniblement et la seule consolation qui lui reste, c’est qu’elle peut, dans un moment de lucidité, se payer le luxe d’inviter le peuple à assister à son enterrement;
Je m’excuse du « libers » un peu trop long que je vous ai chanté, ce soir, mais au lieu de suivre l’Union Nationale jusqu’au cimetière, il faut se rappeler la phrase de l’Évangile: « Laissons les morts ensevelir les morts ». Rappelons-nous que le monde appartient aux vivants et que, de tous les partis au service de notre peuple, aucun n’est plus vivant que le parti libéral. Celui qui n’avance pas, recule. Aussi éloigné du socialisme que d’un conservatisme antédiluvien, le libéralisme s’adapte au monde moderne.
Dans l’industrie, il faut que le propriétaire, au lieu de bouder le progrès, marche avec lui et se procure, si besoin en est, les instruments les plus perfectionnés et les services des spécialistes les plus qualifiés.
Il en est de même dans la vie d’une nation. Pour marcher avec son époque, un peuple doit savoir tourner pour toujours le dos aux impotents de la politique. Il doit confier ses destinées à un parti qui, comme le nôtre, possède un nom et un programme évoquant de plus en plus irrésistiblement l’idée de liberté, de souplesse, de générosité, de progrès social et de patriotisme agissant, au lieu de se créer des mythes qui feraient un jour sa honte.
[QLESG19610513]
[Corporation des Maîtres-Electriciens de la province de Québec
Congrès – Château Frontenac – 13 mai 1961
Pour publication après 7930 hres
Hon Jean Lesage Premier Ministre le 13 mai 1961]
Même si je suis un profane en ce domaine, j’aurais pu cependant vous entretenir des progrès et des perspectives de l’industrie hydroélectrique de la province. Cela, à mon avis, aurait été un excellent sujet, mais il comportait un risque; en effet, il nous aurait presque inévitablement conduits, vous et moi, dans une jungle statistique où il est assez peu recommandable de s’aventurer après un trop copieux banquet. C’est un risque soporifique que je me refuse à courir comme conférencier!
J’ai plutôt voulu profiter de l’occasion que vous m’offriez pour revenir sur l’un des plus importants sujets de l’heure. Ce sujet, auquel, il me semble, vous ne pouvez demeurer indifférent puisqu’il concerne l’électricité de près, c’est l’exploitation des richesses naturelles du Québec. Laissez-moi d’abord vous dire que j’ai été très touché de l’invitation que vous m’avez faîte de prendre la parole au banquet de clôture de votre Congrès annuel. Il m’a fait grand plaisir de l’accepter bien que, dans la mesure du possible, je m’efforce actuellement de conserver tout le temps dont je peux disposer aux travaux de la session en
cours.
Quand vous m’avez demandé de vous rencontrer, j’ai bien l’impression que vous ne vous attendiez pas à ce que je vous fasse une conférence sur les bienfaits de l’électricité. Malgré l’expérience et les connaissances que j’ai acquises dans ce domaine au cours de ma vie politique, je ne saurais atteindre le niveau de votre Président.
Vous n’êtes pas sans savoir que, dans son programme d’action, le gouvernement que je dirige accorde une très grande importance à la façon dont devraient être exploitées les immenses richesses naturelles de la province. Voua n’êtes pas non plus sans savoir que, depuis qu’il a accédé au pouvoir, lé gouvernement s’efforce de suivre ce programme à la lettre. On nous a même reproché, dans certains milieux, de trop le respecter et d’avoir fait imprimer comme Discours du Trône le programme de notre parti. Je n’ai pas besoin de vous dire que ceux qui raisonnent ainsi ont souvent des raisons bien précises de désirer que certaines réformes que nous nous sommes engagés à réaliser ne le soient pas trop rapidement. Ces personnes s’imaginaient que le programme détaillé que nous avions présenté à la population avant notre arrivée au pouvoir avait surtout un but électoral et qu’il était, de ce fait, condamné à moisir dans les tiroirs de l’administration provinciale.
Mais la population sait maintenant à quoi s’en tenir. Elle sait que notre programme d’action en est véritablement un et qu’il n’a rien de commun avec la propagande électorale ordinaire. L’attitude que nous avons adoptée à l’égard de l’ensemble de ce que nous avions promis de faire, nous sommes fermement décidés à la prendre dans le domaine particulier des richesses naturelles. De fait, comme je vous le montrerai tout à l’heure, nous avons déjà commencé à traduire dans les faits les principes d’action qui nous guident en cette matière.
Le premier de ces principes peut s’énoncer assez banalement comme suit pour nous, les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. J’avoue qu’en lui-même, à première vue, ce principe peut sembler ne pas vouloir dire grand chose. Je suis même le premier à reconnaître qu’on peut facilement en faire une phrase creuse et sans portée. Pour arriver à ce résultat, on n’a qu’à le répéter souvent, à tort et à travers, sans jamais s’arrêter aux lourdes conséquences qu’il peut entraîner. En agissant ainsi on n’avancerait pas plus, dans l’ordre des réalisations concrètes, que celui qui, au lieu de se conduire selon les règles de la morale, se contenterait d’affirmer qu’il faut faire le bien et éviter le mal! On en resterait dans l’ordre des grands principes généraux sans jamais les appliquer aux réalités qui nous entourent. Ce qui démontre combien il demeure facile de sa gargariser de mots lorsque, pour toutes sortes de raisons, on ne veut pas ou on ne peut pas passer à l’action, parce que l’interdiction vient d’une puissance occulte qui se manifeste dans un parti.
C’est pourquoi, ce soir, je pense que j’aurais pu vous présenter une conférence qui aurait exclusivement porté sur une élaboration de ce grand principe. J’aurais pu vous prouver, en citant tel ou tel auteur ou en analysant telle ou telle donnée historique, que les citoyens du Québec sont vraiment les propriétaires des richesses naturelles de la province. Mais à quoi cela aurait-il servi? Plus précisément, comment auriez-vous pu, à partir des déclarations contenues dans ma conférence, vous faire une idée précise des intentions réelles du gouvernement? Comment auriez-vous pu savoir si le gouvernement entendait effectivement mettre en pratique un si beau principe? Je pense que vous n’y seriez pas arrivés parce que l’avantage des grandes déclarations générales est justement de laisser dans un arrière-plan obscur et indéterminé les projets qu’on n’aime pas annoncer ou, surtout, l’inaction qu’on ne veut pas avouer.
Or, ce soir, je veux précisément quitter le terrain de tout repos que pourrait m’offrir la simple élaboration du premier principe que je viens de mentionner. Je désire au contraire en explorer les conséquences et voir avec vous jusqu’où il peut nous conduire en pratique.
Il existe deux corollaires à la proposition selon laquelle les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. C’est lorsqu’on les énonce qu’on commence à percevoir les conséquences lointaines d’un point de départ d’apparence anodine.
Le premier de ces corollaires est que les richesses naturelles de la province doivent, d’abord et avant tout, être exploitées au bénéfice de ses citoyens. En effet, puisque nous avons reconnu qu’ils en sont les propriétaires, il est naturel et logique que ce soit eux qui tirent le plus d’avantage de leur exploitation. Or, dans le Québec, actuellement, cette exigence n’est que partiellement satisfaite. La population retire certains avantages de l’exploitation des richesses de notre sol et de notre sous-sol, mais le gouvernement estime que ceux-ci sont nettement insuffisants.
Il y a trois raisons à cela. D’abord, dans une très large mesure, le Québec est encore sous-développé. Je veux dire par là que nous possédons collectivement d’immenses richesses dont nous ne connaissons pas toute l’étendue ou auxquelles nous n’avons pas encore accès. Le Québec est en quelque sorte un large réservoir de ressources minières et de pouvoir hydroélectrique auquel nous venons à peine de commencer à puiser.
D’ailleurs, quand je dis que « nous » commençons seulement à exploiter nos ressources, j’utilise un pronom qui n’est pas tout à fait exact. Car, et c’est là la seconde raison pour laquelle le gouvernement juge insuffisants les avantages que la population du Québec retire de ses richesses naturelles, ce sont presque invariablement d’autres intérêts que les nôtres qui mettent présentement en valeur les richesses dont le Québec est si généreusement doté.
Ces deux facteurs – le sous-développement relatif de la province et l’insuffisance de capitaux québécois dans l’exploitation de nos propres ressources – se compliquent de la présence d’un troisième qui, lui, peut-être plus que les autres, établit que l’exploitation de nos richesses naturelles ne se fait pas à l’heure actuelle d’abord et avant tout au bénéfice de la population du Québec. Ce facteur, si je peux l’exprimer ainsi, c’est la non transformation dans la province même des matières premières qu’on y extrait. Présentement nous exportons ces matières premières, mais l’opération la plus rentable du point de vue de la population, c’est-à-dire la transformation de ces matières premières en produits finis, se fait en grande partie à l’extérieur de la province. On peut presque dire que nous sommes trop souvent les témoins passifs du travail que font les autres sur des richesses qui constituent pourtant notre héritage propre. Je sais bien qu’il se trouve quantité de raisons économiques et historiques pour expliquer cet état de choses et il me serait facile de vous en citer plusieurs. Il existe aussi certaines raisons d’ordre politique sur lesquelles on me permettra de ne pas insister. Toutefois, je ne crois pas que cette situation soit pour autant justifiée, surtout à une époque où tellement de nations deviennent conscientes du danger que représente pour leur indépendance la mainmise des autres sur leur économie.
Même si le phénomène qui existe dans le Québec peut se retrouver à l’échelle du Canada tout entier, je pense qu’il commence à être temps que, de notre côté, nous réagissions. Je puis vous assurer que le gouvernement est très conscient de tous ces problèmes et surtout qu’il se propose de faire tout en son pouvoir pour les résoudre. Il a d’ailleurs déjà commencé. Si vous le voulez bien, je me permettrai de passer rapidement en revue quelques-unes des mesures qu’il a jugé bon d’adopter et qui, je crois, nous mettent carrément sur la voie dans ce que nous nous étions engagés d’accomplir.
Le gouvernement a permis, en février dernier, le jalonnement de claims miniers sur tout le territoire du Nouveau-Québec. À première vue, cette décision n’a rien de tellement impressionnant puisqu’elle découle tout bonnement des exigences de la Loi des mines votée depuis longtemps. De fait, cependant, elle inaugure un régime nouveau puisqu’on sait que depuis 1955 le territoire entier du Nouveau-Québec était soustrait au piquetage pour toute entreprise ou toute compagnie autre que celles qui s’y livraient déjà. En somme, le monopole virtuel de la prospection minière est désormais brisé et chaque citoyen du Québec peut maintenant s’intéresser activement aux immenses richesses de notre sous-sol.
Une autre mesure, prise il y a un peu plus d’un mois, concerne la procédure à suivre pour l’obtention des permis de recherche minière. Je tiens à vous faire remarquer qu’elle ne s’appliquait qu’aux compagnies incorporées en
vertu des lois de la province de Québec. Celles-ci ont été invitées par le ministère des Richesses naturelles à déposer des soumissions par voie d’enchères publiques pour le droit d’effectuer des recherches sur des terrains situés dans le territoire du Nouveau-Québec. Auparavant, comme vous le savez, ces permis n’étaient pas octroyés de cette façon et ils étaient consentis gratuitement. Maintenant, le gouvernement – et c’est très normal – exige une rente annuelle qui augmente chaque année et qui devient plus considérable par la suite si le permis est renouvelé. Nous croyons que c’est là un moyen de retirer plus de revenus des richesses naturelles du Québec.
Dans le domaine de l’hydroélectricité, le gouvernement n’a pas été inactif. Comme vous le savez aussi, il entreprend ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’opération Manicouagan », la plus vaste du genre au Canada. Celle-ci a deux aspects; elle accroîtra énormément le potentiel hydroélectrique de la province d’ici quelques années et donnera lieu à la récupération de milliers de cordes de bois qui autrement seraient inondées et définitivement perdues. L’électricité étant notre source d’énergie la plus abondante et la moins coûteuse, le gouvernement veut mettre tout en oeuvre pour lui conserver son caractère dynamique dans la croissance industrielle du Québec.
Mais tout cela n’est qu’un début. Je dirais même que c’est un faible début si on compare ce qui a été fait à date à ce qui reste encore à faire. À ce propos, le gouvernement envisage la réalisation de projets très précis qui devraient prendre corps d’ici quelques années.
Il entre d’abord dans nos intentions de procéder, lors de l’échéance des ententes avec les sociétés qui exploitent les richesses naturelles du Québec, à une révision complète du taux des redevances versées par elles. Nous verrons à ce que ces redevances correspondent davantage à l’importance des revenus que ces sociétés retirent de leur exploitation. À l’heure actuelle, des économistes s’emploient à étudier tous les facteurs qui devront entrer en ligne de compte dans la détermination des nouveaux taux. Nous voulons par là, et sans spolier qui que ce soit, faire disparaître l’arbitraire qui a trop longtemps régné dans ce domaine. Nous y arriverons en basant nos décisions sur des faits d’ordre économique et en n’oubliant pas que ceux qui s’intéressent à nos richesses le font moins par humanitarisme et par condescendance, que parce qu’ils ont un réel besoin de la matière première qu’ils trouvent chez nous. Le fait est que les entreprises qui exploitent nos richesses naturelles exploitent un bien qui appartient au patrimoine commun de tous les citoyens de la province. Si, comme on peut s’y attendre, elles retirent des profits de leurs opérations, il faut se souvenir que ces profits proviennent de l’extraction, de la transformation et de la mise en marché d’une richesse qui, au départ, leur a pour ainsi dire
été prêtée. D’après nous, les richesses naturelles de la province ne sont pas des biens commerciaux ordinaires et leur importance économique dans le Québec est trop grande pour que le gouvernement, comme gardien du bien commun, néglige d’apporter toute l’attention qui s’impose aux modalités selon lesquelles on peut permettre à des intérêts privés de venir les exploiter chez nous. Toutefois, le gouvernement estime que, même après l’établissement de taux de redevances plus équitables, il sera loin d’avoir accompli la tâche qu’il s’est tracée pour être fidèle, jusque dans les faits, au principe selon lequel les ressources du Québec doivent, d’abord et avant tout, être exploitées au bénéfice de ses citoyens. Il nous faut aller plus loin et viser à la réalisation d’un objectif auquel souscrit toute la population de la province. Cet objectif, c’est la transformation au Québec même de la matière première qu’on y trouve. Pour y arriver, il est absolument nécessaire que les citoyens de la province s’intéressent davantage à leurs propres richesses en investissant dans les entreprises québécoises qui auront justement pour but de les extraire et de les transformer à l’intérieur des frontières du Québec. Il ne s’agit pas là de la simple traduction dans la réalité d’un désir chauvin ou d’un objectif patriotique mal compris. Si nous voulons exploiter nos propres richesses, si nous voulons les transformer chez nous, ce n’est pas seulement parce que cela nous ferait plaisir ou que cela flatterait un sentiment naturel de fierté québécoise. Les projets du gouvernement à ce sujet se fondent sur des motifs beaucoup plus profonds; en effet, le Québec n’a pas le choix. S’il devait arriver, en effet, que notre caractère de minorité ethnique se doubla d’une négligence que je qualifierais presque de coupable envers la mise en valeur de nos richesses, le Québec risquerait, et pour longtemps, d’être relégué et confiné à l’arrière-garde des nations modernes. En soi le désir de survivre comme entité distincte est louable, mais, il faut tout de même conserver les moyens matériels d’en assurer la réalisation.
L’avenir économique de notre population dépend donc de nous-mêmes. Il ne faut pas s’imaginer que les autres viendront résoudre nos difficultés pour nous. Ils viennent lorsque cela leur plaît ou, plus exactement, lorsque c’est rentable. C’est à nous, en dernière analyse, qu’il appartient d’établir nos propres industries secondaires de transformation et c’est en les établissant que nous pourrons le mieux lutter contre la persistance d’un chômage dont la province depuis un grand nombre d’années, a le triste honneur de revendiquer plus que sa part proportionnelle.
Le gouvernement est cependant assez réaliste pour savoir que, malgré tout l’attrait qu’ils peuvent comporter, tous ces projets ne se réaliseront pas d’eux-mêmes. Il leur faut un point de départ, un catalyseur. C’est pourquoi nous étudions actuellement la possibilité de
former des sociétés mixtes – ce qu’on appelle en Europe des « compagnies de gestion » – dont le but serait d’accélérer le développement et de faciliter la transformation au Québec de nos richesses naturelles. De cette façon, le gouvernement se trouverait à donner l’exemple, car un exemple est nécessaire. En effet, notre population n’a pas trop l’habitude de risquer ses capitaux. Elle préfère les placements sûrs, quoique moins rentables. C’est là un trait de notre mentalité qui, en l’occurrence, s’avère négatif puisqu’il empêche le dynamisme qui s’impose en matière de développement de nos richesses naturelles. En somme, nous visons à une alliance heureuse de l’initiative privée et de celle de l’État. J’ai déjà dit que, dans le Québec, à cause de notre situation démographique et économique, l’État provincial doit être le point d’appui collectif dont il nous faut nous servir pour hâter l’avènement de conditions de vie meilleures. L’usage que le gouvernement se propose d’en faire dans le domaine des richesses naturelles vous montre comment nous entendons lui faire jouer son rôle.
Tout à l’heure, j’ai dit qu’il y avait un deuxième corollaire au principe général sur lequel est basée toute la politique du gouvernement en matière de richesses naturelles. Je voudrais m’y arrêter brièvement en terminant. À cause de l’étroite et indissoluble relation qui existe entre la façon dont nos richesses sont exploitées et le niveau de vie général des citoyens, nous croyons que le bien-être collectif sera d’autant plus élevé que l’exploitation des ressources se fera de façon rationnelle, conformément à un plan d’ensemble élaboré à partir de données précises. Nous n’avons moralement pas le droit de gaspiller ou de dilapider les richesses abondantes dont la Providence nous a comblés. Il nous faut au contraire les mettre en valeur, les exploiter, les extraire du sol, les harnacher, les transformer. Notre devoir collectif réside dans la mise en valeur rationnelle de cet actif commun. En d’autres termes, nous instaurons en cette matière le régime que nous entendons suivre ailleurs. Nous voulons mettre de l’ordre là où régnait le désordre et remplacer l’improvisation par le souci d’une planification bien comprise. La création d’un ministère des Richesses naturelles répond justement à ce souci car nous avons uni des forces qui étaient autrefois dispersées. Nous avons donné à ce ministère des buts bien précis sur lesquels je ne veux pas revenir ce soir puisqu’ils sont connus du public. Je mentionne seulement que c’est à ce ministère qu’il appartient de favoriser l’expansion de l’Hydro-Québec, de régir les taux d’électricité qui sont, comme vous le savez, un important facteur de localisation industrielle, d’encourager avec le Conseil d’Orientation économique l’investissement domestique dans les richesses naturelles et de faciliter l’établissement au Québec d’industries de transformation. Ces deux derniers objectifs ne se réaliseront certes pas
du jour au lendemain, car, pour certaines des réformes que nous voulons accomplir, il faut du temps et de la réflexion. Cela ne veut pas dire que nous remettons à un avenir incertain la réalisation de projets aussi primordiaux que ceux qui touchent l’exploitation de nos richesses naturelles. Si nous voulons être logiques avec nous-mêmes et si nous voulons éviter l’improvisation dont les résultats furent et sont encore néfastes, il importe de ne pas brûler les étapes. Après tout, les décisions que nous prendrons aujourd’hui se répercuteront, par leurs effets, sur des générations à venir.
Le fait que le Québec soit si bien pourvu de richesses de toutes sortes vaut à toute notre population plusieurs avantages indéniables. Ce que le gouvernement s’est engagé à faire, c’est d’accroître l’étendue de ceux-ci. Il s’y reconnaît une responsabilité de premier ordre et est disposé à accepter toutes les conséquences qui en découlent. Ce n’est pas là une tâche facile; je dirais même qu’elle est redoutable. Mais elle demeure fascinante lorsqu’on songe qu’elle suscitera à la longue l’épanouissement économique d’un peuple qui aura su, par les moyens qui s’imposent, mettre en valeur les richesses qui l’entourent et que lui envient souvent les autres nations.
[QLESG19610515]
[La Corporation des Entrepreneurs en Plomberie & Chauffage Assemblée générale – le 15 mai 1961 Montréal Hon. Jean Lesage, Premier Ministre
Pour publication après 11:00 hres A.M. le 15 mai 1961]
Malgré le travail de la présente session, j’ai voulu profiter de mon passage éclair à Montréal pour venir vous rencontrer à l’occasion de l’ouverture de votre 12e Congrès annuel. Je ne peux, surtout pendant la session, accepter toutes les demandes qu’on me fait d’adresser la parole. Cependant je suis très heureux d’avoir pu me rendre à votre aimable invitation ce matin, car, même si je dois malheureusement vous quitter presque immédiatement, il me fait toujours plaisir de prendre part, au moins dans une certaine mesure, aux manifestations publiques des groupements sociaux comme le vôtre. En démocratie, les groupements civiques ou professionnels sont nombreux et souvent très actifs. Les représentants des pouvoirs publics non seulement s’intéressent à ce travail mais, lorsque c’est possible, tiennent à montrer par leur présence à des manifestations comme celle d’aujourd’hui, la sympathie agissante qu’ils nourrissent à leur endroit.
Je ne suis pas suffisamment au courant des développements techniques ou autres dans votre domaine pour me risquer à vous en parler, ne serait-ce que pendant quelques minutes. Une des vertus qu’un Premier ministre doit pratiquer est la prudence. J’y manquerais si, pour les besoins de la cause, je m’engageais dans un sentier aussi périlleux.
Il y en a d’autres où je me sens plus à l’aise. Vous m’avez d’ailleurs suggéré vous-mêmes, indirectement il est vrai, celui que je devais choisir ce matin. En consultant le mémoire que votre Corporation a présenté au gouvernement de la province en septembre dernier, mon attention a été attirée par une remarque que vous y faites dès la première page de votre texte. Vous dites que l’éducation a toujours fait l’objet de la part de la Corporation d’une attention particulière. Si vous le voulez je voudrais profiter du fait que je vous rencontre pour vous livrer sans prétention et très rapidement deux ou trois des réflexions que ce passage a suscitées chez moi. Laissez-moi vous dire – et ce n’est pas de la flatterie combien il m’a fait plaisir de constater qu’un groupement spécialisé comme le vôtre ne perdait pas de vue un objectif aussi vaste que celui de l’éducation. L’intérêt que vous manifestez à ce propos est d’autant plus louable qu’une Corporation professionnelle a de nombreux autres objectifs plus immédiats et plus concrets à atteindre. J’ai d’ailleurs vu, dans votre Mémoire, que bien des sujets attiraient votre attention. Il eût été tout à fait normal que vous vous limitiez à ceux-là, en laissant à d’autres le soin de promouvoir la cause de l’éducation dans la province. Cependant, – et c’est justement ce qui me frappe, vous indiquez votre souci à ce propos en tout premier lieu et vous décrivez brièvement le travail que vous accomplissez avec l’aide de professeurs que vous avez choisie. Je vous félicite bien sincèrement de l’attitude que vous nourrissez à propos de l’éducation et je vous encourage à poursuivre les efforts que vous faites actuellement pour traduire cette attitude dans les faits. Je trouve que par là vous faites preuve d’une ouverture d’esprit qu’il est réconfortant de découvrir chez des groupements sociaux.
De fait, j’ai l’impression que l’intérêt en matière d’éducation devrait être partagé, à des titres divers bien entendu, par tous les groupements sociaux et par toutes les associations professionnelles. Il me semble en effet que, dès qu’une association se forme, elle acquiert automatiquement une fonction sociale. Je veux dire par là qu’elle devient, à sa façon, une cellule vivante de la société qui nous entoure. Mais une cellule vivante peut être active ou non. À mon sens elle n’est active que lorsqu’elle ajoute à ses préoccupations particulières, des objectifs d’un ordre plus général. C’est ainsi qu’elle peut le mieux participer à la réalisation du bien commun. Or l’avancement de la cause de l’éducation n’est-il pas justement un objectif éminemment social? Ne peut-il pas, plus que tout autre, contribuer énormément à la réalisation et au maintien du bien commun?
C’est à cette tâche grandiose et tellement nécessaire pour notre population que le
gouvernement actuel de la province consacre une grande partie de ses efforts. Je suis heureux, comme chef de ce gouvernement, de l’appui que votre Corporation nous accorde. Vous acceptez vos responsabilités de citoyens et, par là, vous nous facilitez la tâche redoutable que nous avons assumée il y a quelques mois. Encore une fois, je regrette que des fonctions particulièrement absorbantes à cette période de l’année me forcent à me disperser dans un nombre excessif de tâches urgentes et me privent du plaisir de demeurer plus longtemps avec vous. Mais en m’excusant de vous quitter d’une façon aussi abrupte, je veux souligner le plaisir que j’éprouve d’ouvrir votre 12e Congrès annuel. Je sais que vos assises se tiendront, même à partir de certains problèmes très concrets, dans l’optique d’un effort éducatif sincère. Vous en témoignez dans votre Mémoire; je vous en félicite de nouveau et permettez-moi aussi de vous en remercier.
[QLESG19610527]
[Association Dentaire de la province de Québec Sherbrooke, le 27 mai 1961
Pour publication après 1:OO,hre, samedi le Hon. Jean Lesage. Premier Ministre 27 mai 1961]
Laissez-moi d’abord vous dire qu’il me fait grand plaisir de venir vous rencontrer à l’occasion du 6e Congrès de l’Association Dentaire de la province de Québec. Je vous suis aussi très reconnaissant d’avoir bien voulu modifier quelque peu votre programme de la journée pour me permettre de prendre part à votre banquet de clôture à titre de convive et – j’en suis sûr – à titre d’ami.
Vous savez, que cette journée du 27 mai est très remplie; j’arrive à peine de Québec et je dois y retourner dès cet après-midi, après une visite à l’Université Bishop de Lennoxville, une de nos plus anciennes institutions d’enseignement dans le Québec. C’est à cause de cet horaire chargé que mon séjour parmi vous ne pourra malheureusement pas être aussi long que je l’aurais souhaité.
Aujourd’hui, c’est la première fois que je rencontre des dentistes autrement que comme patient un peu craintif et même parfois, très craintif. Par dessus le marché, j’ai même l’audace de les rencontrer en groupe. Quoique, à bien y penser, c’est plus rassurant de vous rencontrer nombreux qu’individuellement. D’habitude, les dentistes ont sur moi l’avantage des armes, si je peux dire, et – je vous l’avoue franchement – je ne peux jamais m’empêcher de nourrir quelque appréhension lorsque je me vois dans l’obligation d’avoir recours à leur art. Je sais que mon attitude est un peu injuste, car je leur dois beaucoup, comme d’ailleurs tous leurs patients. Pour me racheter un peu, je vous dirai que je suis le premier, malgré tout, à reconnaître la valeur sociale et individuelle des services professionnels qu’ils nous rendent à tous.
Vous êtes vous-mêmes conscients – et avec raison – du rôle indispensable que vous jouez auprès de vos concitoyens. Des congrès comme celui qui se termine aujourd’hui vous fournissent justement des occasions de réfléchir sur la façon dont la pratique de ce rôle essentiel peut être améliorée. Vous tenez à perfectionner vos méthodes et à accroître l’étendue des services que vous pouvez fournir. Comme chef du gouvernement de la province, je ne peux que voua encourager à persister dans vos efforts, car je sais que, tôt ou tard, toute notre population en bénéficiera.
Les travaux et les études que vous poursuivez dans votre domaine propre visent ainsi à la réalisation d’un des principaux objectifs que le gouvernement du Québec s’est lui-même fixés : l’amélioration constante du niveau de santé des citoyens. Le gouvernement, cependant, n’entend pas tout faire lui-même. D’ailleurs, il ne le pourrait pas.
Pour réussir dans l’action à longue portée qu’il a entreprise, il a besoin de la collaboration de tous ceux qui, d’une façon ou de l’autre, partagent les mêmes soucis que lui. L’Association Dentaire de la province de Québec fait partie de ce groupe sur lequel compte le gouvernement, pour trois raisons bien précises. D’abord, les personnes qui se consacrent actuellement à la protection et à l’amélioration de la santé chez nous ont une connaissance intime et profonde des problèmes qu’ils rencontrent et qu’ils doivent s’efforcer de résoudre pour poursuivre leur travail. Elles sont les mieux placées pour fournir au gouvernement les données dont celui-ci a absolument besoin pour élaborer et appliquer la législation qui s’impose en matière d’hygiène et de santé. De plus, la conscience professionnelle, qu’elles manifestent se traduit et se confirme par le souci qu’elles ont d’assurer à la population des services de plus en plus efficaces et de plus en plus conformes aux nécessités. Il est certain que si la durée moyenne de la vie a augmenté au cours des dernières années et si le niveau général de la santé s’est accru, c’est en grande partie à cause de l’application judicieuse par le corps médical, j’entende cette expression dans son sens le plus large – de techniques et de méthodes nouvelles.
Enfin, tout le monde connaît le sens civique des professionnels de la santé et l’intérêt qu’ils portent aux affaires des communautés humaines dans lesquelles ils vivent et dont ils font partie. Ils n’hésitent pas, malgré leurs occupations nombreuses et souvent harassantes, à donner d’eux-mêmes pour l’avancement économique, social et culturel du milieu auquel ils sont intégrés. Un tel sens social facilite au gouvernement la lourde tâche qu’il a à accomplir: il peut compter sur l’apport désintéressé de ceux qui se préoccupent du maintien et de la protection de la santé de leurs concitoyens.
Les membres du gouvernement ne sont pas des spécialistes dans tous les domaines. Le fait qu’ils aient accédé à une fonction publique n’a pas fait d’eux des êtres omniscients. Je dirais même qu’ils manqueraient à leur devoir s’ils se croyaient tels. Il leur faut, au contraire littéralement écouter le peuple, écouter surtout ceux dont les connaissances et l’expérience peuvent lui être utiles dans sa recherche du bien commun. Je ne veux pas dire ici que le gouvernement doit se contenter de faire tout ce qu’on lui demande ou tout ce qu’on lui recommande. J’insiste seulement sur le fait qu’il n’agit pas seulement pour la communauté, mais qu’il doit agir avec elle, joignant aux recommandations et aux représentations particulières qu’on lui fait la nécessité dans laquelle il se trouve constamment, de par sa fonction propre, de poursuivre des objectifs plus vastes.
Il lui importe donc d’instaurer une politique de dialogue et de la respecter. Cette politique résulte, à mon sens, des exigences de la vie en démocratie. Le gouvernement de la province entend se conformer à ces exigences; il l’a fait au cours des derniers mois, par exemple au moment de la conception et lors de la mise en marche du programme d’assurance-hospitalisation, et il continuera de le faire. C’est pourquoi, chaque fois que j’ai l’occasion de prendre la parole devant une élite comme la vôtre, je n’hésite jamais à lui demander les leçons de son expérience. C’est ce que je fais aujourd’hui avec vous. Les projets que le gouvernement veut mettre à exécution sont tellement nombreux et auront une telle portée que nous avons le devoir de réfléchir sérieusement avant de les appliquer et d’écouter avec grand soin ceux qui ont quelque chose à nous dires Nous ne vivons pas dans une tour d’ivoire; nous voulons être présente aux problèmes de notre époque. Nous voulons, dans la mesure du possible, corriger ce qui nous y déplaît; les moyens pour le faire seront d’autant plus efficaces que les groupes sociaux et professionnels divers se seront mis de la partie et auront collaboré avec nous, chacun à sa façon.
Je disais tout à l’heure que vous aviez profité de votre Congrès pour réfléchir, étudier et discuter. Les problèmes auxquels vous vous êtes arrêtés appartiennent sans doute à votre domaine propre d’action, mais l’effort de pensée que vous avez fait à leur propos est, à mon sens, une oeuvre d’éducation. Une oeuvre d’éducation d’abord pour vous, comme délégués au Congrès, mais aussi une oeuvre d’éducation pour le public qu’on met au courant de vos travaux par les journaux et autrement.
Par la tenue d’un tel Congrès – et c’est le cas des autres groupes qui en font autant – vous vous êtes associés, d’après moi, à un autre des grands objectifs visés par le gouvernement que je dirige. Cet objectif, vous le connaissez, c’est celui de l’éducation.
L’éducation est véritablement le sujet de l’heure. On en parle quotidiennement dans tous les journaux et elle suscite une attention extraordinaire par toute la province. Je crois que cette publicité que reçoit la cause de l’éducation est extrêmement salutaire. Elle a rendu – et rend encore – notre peuple conscient de son importance et provoquera, à la longue, une acceptation enthousiaste des réformes et des améliorations qui s’avéreront nécessaires. Déjà on nous demande d’agir, et d’agir vite. Mais s’il y a un domaine où la hâte peut être mauvaise conseillère, c’est bien celui de l’éducation. Les conséquences des mesures que le gouvernement adoptera dans un avenir prochain se feront sentir sur des millions de citoyens, pendant des générations. Il est donc important d’examiner tous les détails pertinents et de connaître tous les faits. La Commission Royale d’Enquête que le gouvernement a récemment instituée s’attaquera à tous les aspects de cette grave question et fournira des éléments de solution aptes à guider l’action de l’État, et celé, pour le plus grand bien de toute la population.
Il existe en effet une chose dont le gouvernement est convaincu. Notre peuple est, à cause de la géographie, de l’histoire et de la démographie, dans une position telle que l’éducation et la culture sont devenues les conditions de sa survivance comme entité distincte et de son appartenance au monde moderne. On a déjà dit que notre destinée ne se trouvait pas dans la richesse matérielle, ni le pouvoir militaire. Je ne sais jusqu’à quel point c’est vrai, mais je suis certain cependant que c’est surtout par nos réalisations intellectuelles que nous nous ferons collectivement une place dans ce monde. Le gouvernement veut agir de telle sorte que cet objectif soit atteint. Il accorde en conséquence une bonne part de son attention aux problèmes de l’éducation chez nous, sans négliger, bien entendu, les autres questions qu’on lui soumet. Vous formez un groupe professionnel assez spécialisé et l’éducation comme telle n’est pas votre préoccupation immédiate. Du reste, il est normal qu’il en soit ainsi. Je vous dis quand même ces choses pour deux raisons.
Vous avez vous-même bénéficié d’un enseignement supérieur. Vous en connaissez les avantages et vous êtes en mesure, à cause de la formation que vous avez repue, de vivre une vie plus remplie, plus complète et plus intéressante.
Vous faites aussi partie, chacun dans votre milieu, d’une élite. Vous avez, pour la plupart, des responsabilités civiques et sociales variées. Je n’ai pas l’habitude de donner des conseils à ceux qui me font l’honneur de m’inviter à leur adresser la parole. Je ne le ferai pas aujourd’hui non plus, mais je me permettrai tout de même d’exprimer un souhait. Je voudrais que, de retour chez vous, vous gardiez en mémoire non pas nécessairement tout ce que je vous ai dit, mais l’insistance que j’ai mise à souligner l’importance de l’éducation pour notre peuple. À mes yeux – et je le répète encore – elle nous permettra de survivre et de nous réaliser comme peuple socialement et culturellement différent des 190000000 de personnes qui nous entourent. Comme Premier ministre du Québec, je ne peux pas passer ce fait sous silence, et vous, dans votre milieu, je crois que vous ne devriez pas l’oublier. Vous êtes capables, par votre prestige et à cause de vos responsabilités comme citoyens éclairés, de transmettre cette idée à ceux avec qui vous venez en contact. Vous êtes capable de la faire valoir. Vous êtes surtout capables – avec les autres citoyens qui, comme vous, possèdent les avantages de l’éducation – de provoquer et de nourrir une prise de conscience par toute la population, de l’importance vitale de l’éducation et de la culture chez nous.
En vous acquittant de vos obligations professionnelles et en participant à votre façon à la diffusion de ces quelques idées sur l’éducation, vous aurez, je pense, facilité grandement à votre gouvernement la réalisation des objectifs qu’il s’est fixés et qui tendent tous à une seule fini la rénovation économique et sociale de notre peuple.
[QLESG19610531]
[Doctorat Honorifique Université de Montréal
Le 31 mai 1961
Pour publication après
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre 2830 hres le 31 mai 1961]
Une cérémonie de graduation universitaire est toujours un moment merveilleux d’angoisse et d’exaltation. Tous les grands départs sont ainsi chargés d’une anxiété devant l’aventure qui commence et d’une espérance devant les conquêtes à venir. Combien plus émouvants encore cette investiture d’une génération nouvelle, cette libération d’énergies tendues, ce grand départ qui est, plus que tout autre, plein de mystère et d’espoirs, puisqu’il lance sur les mers du devenir cette chose à la fois fragile et presque toute puissante qui est une vie d’homme!
Comment pourrais-je remercier votre Université du doctorat qu’elle me décerne aujourd’hui? Ce n’est pas uniquement un honneur académique que l’on fait au Premier ministre. C’est un retour aux sources de sa jeunesse qu’on lui offre, en l’associant à l’envol de la jeunesse d’aujourd’hui. C’est la fusion de deux générations qu’on favorise en abolissant les griefs d’incompréhension dont elles ont, depuis toujours, l’habitude de s’accabler mutuellement. C’est la perspective unique et irremplaçable de ceux qui prennent le grand départ dont on me permet de bénéficier, puisque cette occasion me hisse de nouveau, et avec vous tous, jusqu’à ces sommets de l’absolu d’où la jeunesse tient sa vision à la fois cruelle et émerveillée du
monde.
Quelle est cette vision du monde? En apparence, c’est le chaos d’avant le premier jour.
Des nations voient le jour, des civilisations meurent.
Les continents réimprovisent leur unité, pendant que l’humanité se fragmente. Les idées ne sont ni contemplation, ni joie de l’intelligence; elles sont des armes que les peuples braquent contre les peuples et les frères contre les frères. Le royaume de la terre est étendu jusqu’aux astres, mais les trois-quarts des populations souffrent toujours de la faim. L’homme se libère de sa prison et demeure esclave de lui-même.
Le peuple canadien-français échappe-t-il à ce mouvement universel de l’Histoire qui s’accélère jusqu’au vertige ? Notre, environnement matériel s’est transformé en notre temps; la communauté rurale est devenue prolétariat urbain. Notre régime politique établit une sorte d’anachronisme entre les formes parlementaires et les pressions du pouvoir exécutif, tandis que la démocratie impose désormais un supplément d’intelligence et de connaissances aux citoyens qui n’avaient même pas totalement réussi leur apprentissage du système alors qu’il n’en était encore qu’au stade primitif. Notre appareil économique pose, autant qu’ailleurs, les problèmes du capital et du travail, de l’aliénation des richesses nationales et du bien commun, de la production automatisée et du chômage, de la liberté personnelle et des intérêts de la collectivité. Chez nous comme ailleurs, il se manifeste un désaccord, une sorte de désynchronisation entre le mécanisme de la société et les fonctions qu’elle est désormais obligée de remplir; entre la tâche des individus et les moyens dont ils disposent pour l’accomplir.
Tous ceux qui envisagent ces déséquilibres purement matériels, qui en recherchent les explications et les remèdes, débouchent nécessairement sur les données spirituelles où se meuvent les hommes, selon la dualité de leur nature.
Au Canada français, les structures extérieures sont ébranlées; il est inévitable que l’on remette en cause la philosophie qui les avait inspirées, aussi bien que les valeurs spirituelles qu’elles semblaient avoir favorisées dans le passé. Chez nous, nous avions été longtemps protégés par surcroît contre les flots étrangers de la pensée, alors qu’il était nécessaire de nous refermer sur nous-mêmes, pour concentrer toute nos énergies d’instinct ou de raison sur le devoir exclusif et élémentaire de la survivance. La jeunesse d’aujourd’hui, comme d’ailleurs celle de toujours, se révolte aisément contre ces protections dont elle ne saisit plus l’utilité et qui ont pourtant arrêté aux frontières trois siècles de bouleversements pour permettre au peuple canadien-français d’organiser instinctivement sa durée. N’est-ce pas ce paysage chaotique qui provoque les jugements amers de la jeunesse? Vos journaux d’étudiants ne sont-ils pas remplis de ces perspectives désenchantées et ouvertes dans le réel par la lucidité cruelle des âmes ardentes, par vos exigences d’absolu et d’idéal? Vos attitudes invitent plus de sympathie que de critique. Elles sont dans l’ordre de la nature, depuis que « les pères ont mangé les raisins trop verts » et que « les fils ont eu les dents agacées ». Mais les fils n’ont jamais pu accepter l’expérience des pères. Chacun doit découvrir son propre univers; l’expérience ne se transmet point. Dans ce sens limité et précis – et sans rejeter l’existence de la vérité objective – on peut souscrire au défi de la jeunesse d’aujourd’hui et de la jeunesse de toujours. » À chacun sa vérité. » Car c’est la grandeur de l’homme, le privilège de la raison et de la liberté, que ce perpétuel recommencement de la vie des générations à l’intérieur d’une individualité. À défaut donc, des conseils qu’on ne sollicite pas, à défaut d’une expérience qu’on juge toujours dépassée, que peuvent offrir les aînés à ceux qui les suivent, sinon leur affection et un gage, le plus discret possible, de compréhension?
Or, la compréhension ne sera toujours, au fond, que la conscience des épreuves subies en commun! Les mêmes épreuves, les mêmes irritations devant le désordre apparent des choses, les hommes de ma génération les ont connues. Les articles que j’ai moi-même signés dans nos feuilles universitaires, sur ce que nous appelions alors « notre génération sacrifiée », étaient écrites, avec un peu plus de romantisme peut-être, de la même encre noire que vous affectionnez aujourd’hui!
Quelle était notre vision du monde, au moment où on nous remettait ces mêmes parchemins que vous recevez en cette journée? Au moment même où l’on nous gratifiait enfin d’un passeport pour l’avenir, tous les ports, tous les havres étaient bloqués devant nous. Des années de préparation et des années d’ambitions s’abîmaient sur la muraille de la crise économique. Plusieurs de ceux qu’on désignait suivant la formule consacrée comme « les élites de demain » allaient dissimuler bientôt leur humiliation parmi les chômeurs à vingt cents par jour, tandis que la plupart de leurs confrères plus heureux prenaient encore le pain de leurs parents, dans une nouvelle prolongation de l’enfance imposée par un monde où il ne semblait plus y avoir de place pour de nouveaux hommes. Je me rappelle encore avoir eu parfois l’impression d’être un intrus dans un monde dont nous dérangions les cadres.
Nos inquiétudes et nos rancoeurs d’alors ont-elles été justifiées? Nos tentations d’alors devant l’efficacité terrible des régimes totalitaires, qui accusaient les faiblesses de nos institutions et de nos libertés, ont-elles été soutenues par les faits?
Vous connaissez la réponse des faits. La liberté et la démocratie ont été régénérées dans l’épreuve. La génération issue de la crise économique s’est acharnée à épargner aux fils les misères dont les pères avaient été abreuvés.. Est-ce que la jeunesse apprécie l’immensité de cet effort? Est-ce que l’on mesure, en particulier, l’étendue de l’avance sociale accomplie en moins de vingt ans, dans les cadres de nos structures politiques et à l’intérieur même de notre régime économique? Que l’étudiant d’aujourd’hui compare seulement la sécurité plus que relative dont il jouit et la condition qui est la sienne, avec le sort qu’éprouvait son père, à la même époque de sa vie. Il aura déjà la mesure de la route parcourue!
Les fantômes qui hantaient notre collation des diplômes se sentent donc évanouis, dans la mesure où nous avons lutté contre eux, de toutes nos forces d’hommes. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi des anxiétés qui vous hantent aujourd’hui ?
Le problème n’est plus le même, c’est entendu. La génération d’hier n’a connu, en somme, que la faim du pain quotidien. C’est d’une autre faim dont souffre la génération d’aujourd’hui. C’est d’un autre pain qu’elle est en quête. Ce qui se résumait à un réflexe physique chez vous, dit la jeunesse, a dépassé chez nous ce palier instinctif. Notre crise, à nous, est la crise de l’intelligence. Notre inquiétude, à nous, est une inquiétude métaphysique! J’admets volontiers que, sur la plan matériel, les jeunes n’ont plus pour établir leurs revendications les raisons que nous avions C’est même ce qui fait dire à ceux qui ne voient pas plus loin qu’à la surface des choses que les jeunes d’aujourd’hui sont des « rebelles sans cause ».
Pour notre part, nous n’avons jamais été accusés d’être des « rebelles sans cause », car les causes étaient là, matérielles, tangibles et évidentes jusqu’à la tentation du désespoir! Mais si les étudiants d’alors avaient perdu confiance dans les hommes, ils n’ont jamais perdu leur foi dans les valeurs spirituelles!
Ce ne fut ni parce qu’ils étaient meilleurs, ni parce qu’ils étaient rompus à plus de docilité. Ce fut parce que l’inventaire de leur univers n’alla jamais plus loin que l’extérieur des données immédiatement pratiques et que les événements ne leur laissèrent, ni le loisir ni l’occasion, de remonter aux explications supérieures. Ils n’ont pas eu le temps de relier l’état de fait qu’ils condamnaient à un état spirituel mis en question. Si nous n’avons pas fait notre « voyage au bout de la nuit », c’est sans doute parce que nous fûmes soudainement éclairés par les feux terribles qui tombèrent alors sur l’humanité.
La situation a évolué, nous le savons bien. Les cadres éclatent de partout. Les villages sont dévorés par les villes et les clochers de Montréal sont perdus parmi les gratte-ciel en construction. Les réalités anciennes de la société canadienne-française se rompent et, avec elles, disparaissent certaines vertus civiques liées, semble-t-il, aux cadres de jadis.
Les conséquences de ce progrès qui nous bouleverse sont considérées avec la sévérité propre à la jeunesse. « Puisqu’il faut juger l’arbre à ses fruits, dit-elle, englobons dans un même refus la cité temporelle qui disparaît et les valeurs spirituelles qui la soutenaient. La confusion entre le spirituel et le temporel, entre laïcs et religieux, entre liberté et autorité, est toujours une source de conflits et d’erreurs. Toutefois, une telle confusion ne résiste guère à un examen conservant le sens des relations et la sérénité du jugement
Au Canada français, la liberté des cultes est garantie par la loi, mais l’État est officiellement chrétien. Il est en même temps, par la tradition et par la pratique, gardien de la liberté de conscience. Sa tolérance envers tous les particularismes est assurée par l’égalité des citoyens devant la loi. Ces principes ont été le fondement de nos lois et la lumière de nos mœurs.
Sans doute, tout n’est-il pas parfait. De perpétuels rajustements doivent être apportés, comme dans tout ce qui est humain, pour que l’application serre toujours de plus près les principes. Mais rajustement et correctifs signifient modalités et accident; non point principes et substance. Lorsqu’on ajoute un ornement à une structure, on ne commence pas par en saper les fondations.
Qui pourrait nier, chez nous, l’efficacité et la rapidité elle-même de ces rajustements entre le monde laïc et le monde religieux? L’Église canadienne-française – comment peut-on oublier un fait historique aussi élémentaire chez ceux qui se piquent de dialectique? – a dû suppléer, dès nos origines, à tout ce qui manquait à un peuple vaincu. Elle nous a tout donné: élites, institutions, cadres sociaux. Elle nous a donné,les syndicats et les coopératives et elle nous a donné l’université. Aujourd’hui encore, elle supplée toujours à d’autres carences et elle s’adapte à d’autres besoins quelle organisation de loisirs existe-t-il pour notre jeunesse, en dehors de la déformation des sports commercialisés, sinon celle des dévouements paroissiaux et celle des initiatives lancées également par l’Église? Est-ce que l’Église se cramponne à ses rôles de suppléance, comme à un fief médiéval, ainsi que le répètent les esprits plus enclins à imiter chez nous, avec un bon demi-siècle de retard, quelque aventure étrangère, au lieu d’approfondir nos données nationales pour en pousser plus loin l’épanouissement?
Par exemple, il y a un quart de siècle à peine, on comptait les professeurs laïcs sur les doigts de la main, dans l’enseignement classique et secondaire. Dans nos villes, l’enseignement primaire était assumé, sauf rares exceptions, par les religieux et religieuses. Or, le professorat est déjà une carrière puissante et croissante, où les laïcs constituent cette élite intellectuelle qui fait le plus grande richesse d’un peuple. En fait, le retard de l’accession des laïcs à l’enseignement n’est imputable, ni à la méfiance de l’Église, ni à un esprit de routine chez elle. La vraie responsable est une époque qui ne savait pas encore donner aux éducateurs la place qu’ils méritent dans la hiérarchie sociale la première.
L’Église a-t-elle transformé son rôle de suppléance dans l’hospitalisation en un fief médiéval? Ce sont les autorités elles-mêmes des hôpitaux religieux qui ont organisé chez nous la profession laïque d’infirmière et qui favorisent actuellement la mise au point de l’assurance-hospitalisation, avant de se soumettre aux législations prochaines associant plus étroitement l’État et notre système hospitalier. Dans le monde syndical, l’Église n’a-t-elle pas sacrifié, dans l’intérêt général, un rôle et une priorité sur lesquels elle avait pourtant le titre de fondateur?
Et au niveau universitaire, la nomination d’un vice-recteur à votre université de Montréal n’est pas la réponse à quelques cris puérils. C’est le simple développement de notre tradition universitaire, où les laïcs ont toujours été associés à l’oeuvre de l’Église. C’est un autre aspect, parmi tous les autres, de la liberté académique qui a toujours été la vie de nos universités, accueillantes aux races comme aux religions.
En fait comme en Droit, au Canada français, l’Église et l’État sont tous les deux souverains dans leurs domaines respectifs. Mais dans ce qui touche à l’intériorité de l’homme, là où s’estompe le délicat partage du spirituel et du temporel, l’État doit rechercher la lumière de l’Église, non pour s’évader de ses responsabilités, mais pour s’éclairer sur elles. L’État québécois recherche cette lumière auprès de la hiérarchie catholique, qui est le guide spirituel de l’immense majorité des citoyens. Il recherche et respecte en même temps le conseil et l’expérience des autres confessions religieuses auxquelles appartiennent nos concitoyens.
Au Canada français, nous avons cette harmonie. Nous allons la conserver.
Notre organisation scolaire reflète cette harmonie. Elle continuera de la refléter.
Mais cette harmonie confessionnelle n’est plus du goût de quelques intellectuels, qui s’empressent d’aller tenir leur débat intérieur et intime sur la place publique.
Ils sont bons apôtres; ils veulent donner des écoles aux minorités, même s’il faut risquer pour cela de renverser l’école qu’exige la majorité. « Il faudrait un secteur d’enseignement neutre, disent-ils, où le petit Juif, le petit Canadien-français et le petit Protestant pourraient se coudoyer à l’école, chacun recevant l’enseignement religieux à son église ».
Mais, en pratique, quels sont les parents qui formeraient ces commissions scolaires neutres. Car, ne l’oublions pas, l’éducation au Canada français est entre les mains des parents.
Qu’on ne vienne pas demander à l’État un traitement de faveur, en marge de toutes nos lois, pour la création d’écoles athées qu’il prendrait à sa charge, en violant les droits et les responsabilités que le Canada français reconnaît aux parents.
État où existe juridiquement la liberté des cultes, État officiellement chrétien et pratiquement tolérant, le Québec applique exactement ses principes de l’égalité des citoyens devant la loi. Il doit aux athées la même mesure de justice qu’aux autres citoyens et il leur offre les mêmes lois ni plus, ni moins. Jamais l’État du Québec, par contre, ne se fera complice de la propagation de l’athéisme, cette maladie de l’esprit qu’il faut, certes, traiter avec autant de charité que de justice, mais non pas favoriser par un traitement d’exception, en trahissant la presque totalité d’un peuple qui se sent en possession tranquille de la vérité.
Chers amis et confrères de graduation, je m’étais prévalu de cette occasion pour vous rejoindre dans la jeunesse et pour considérer votre propre vision du monde, avec vos yeux de sévérité et d’idéal. Quelle conclusion pouvons-nous tirer, pour nous-mêmes et pour notre peuple? Même le matérialisme historique nous indique que la voie les hommes et les peuples qui survivent et triomphent, sont ceux
qui s’adaptent à leur milieu et qui sont soutenus par la vitalité d’une idéologie.
Ne méritez pas le reproche de Péguy lorsqu’il parle « du monde qui fait le malin, le monde des intelligents, ironise-t-il, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre, le monde de ceux qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement: le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent. » Vous rencontrerez des blasés, comme nous, autrefois, nous en avions. Ils vous diront qu’ils ont découvert le vide, le néant et l’absurde. Mais vous constaterez aujourd’hui, comme nous constations autrefois que ces faibles avaient peut-être essayé de tout excepté du dévouement à une noble cause! L’ambiance des faits, de l’époque et des pensées peut nous paraître comme une forêt insurmontable. Imitons la sagesse paisible de nos pères: la forêt innombrable d’un continent ne les a pas immobilisés dans l’impuissance de la peur. Bravons l’anxiété du monde et abattons nos arbres, les uns après les autres, dans une humble acceptation du devoir quotidien.
Comme vient de le rappeler le jeune président des États-Unis, si les hommes possèdent désormais les moyens d’anéantir la vie humaine, ils possèdent en même temps les moyens d’anéantir la misère humaine. Chez nous, il y a tant de ces misères physiques et surtout morales qu’il faut anéantir. Il y a tant de tâches qui s’offrent aux spécialistes sortant de nos universités, dans l’aménagement de nos ressources et de notre milieu, dans la coordination de nos virtualités financières, dans l’économique et dans l’urbanisme, dans la sociologie et dans la recherche, dans la Médecine comme dans le Droit et le Commerce, dans la politique comme dans le civisme.
Tout bouge, chez nous. Tout est en mouvement. Canalisez ce mouvement un peu désordonné vers des aboutissements de stabilité et de progrès. La tâche est là, concrète, présente et immense, qui attend tous vos labeurs et toutes vos énergies. Nous avons relevé, avec succès, les défis du passé, affrontons d’un même coeur les défis du présent. Aujourd’hui comme hier, le peuple canadien-français ne triomphera de son entourage nouveau qu’à la condition d’être soutenu par une idéologie qui tienne à toutes les pages de son histoire et à toutes les fibres de son âme.
Du sommet privilégié de votre jeunesse, regardez au-delà d’un horizon limité et cruel. Et si le désarroi devant le furieux conflit des choses et devant la nébuleuse des idées vous accule parfois au mur de l’absurde, sachez que toutes ces ténèbres sont promises à la Lumière, par un acte d’une simplicité aussi totale que le fait originels. » Et la Lumière fut. »
La vision cruelle devient émerveillement. C’est dans cette lumière que vous pouvez prendre aujourd’hui votre grand départ, puisque vous êtes appelés à la conquérir, avec tout l’élan de vos forces, d’hommes dans la main de Dieu.
[QLESG19610603]
[Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste Ottawa. samedi_ le 3 juin 1961 Pour publication après 7200 P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier ministre le 3 juin 1961 ]
C’est un plaisir de venir rencontrer les représentants d’un mouvement national dont le dynamisme, la vigueur et le réalisme ont rendu tant de services au groupement canadien-français. Mais c’est aussi un devoir, car j’estime que le gouvernement de la province qui compte le plus de Canadiens d’origine française n’a pas le droit de se désintéresser des activités d’une société nationale comme la Saint-Jean-Baptiste, surtout à un moment où celle-ci tient un congrès conjoint, sous le thème « Les relations françaises interprovinciales ».
En préparant ma conférence, j’ai constaté certaines similitudes entre le gouvernement du Québec et votre groupement. Je m’explique. D’après moi, les deux ont, chacun dans sa sphère respective, une responsabilité commune. Ils visent tous les deux, mais par des moyens différents, à encourager l’avancement de la cause canadienne-française.
La Société Saint-Jean-Baptiste est, dans la communauté canadienne, un organisme en éveil; d’une certaine façon, elle représente la conscience nationale du Canada français. Son rôle n’est pas seulement de préserver ou de conserver ce que nous avons. Si elle se limitait à cette action, elle perdrait beaucoup de son efficacité et se cantonnerait dans un conservatisme économique et social mal adapté aux nécessités changeantes de la vie moderne. Il lui faut donc, en plus de ce qui précède, et c’est là l’autre facette de son rôle -avoir les yeux tournés vers l’avenir pour être en mesure de le préparer et surtout préparer le groupement canadien-français à y faire face.
Si je parle ainsi, c’est parce que nous, Canadiens français, nous éprouvons constamment, sans toujours nous en rendre compte, la tentation de nous consoler collectivement de ce qui nous déplaît dans le présent par des réminiscences nostalgiques d’un passé glorieux. Il y a dans ce comportement, normal par ailleurs chez une minorité ethnique, certains dangers que vous comprendrez facilement, notamment celui d’une démission virtuelle en face des problèmes actuels. Comme société nationale des Canadiens français, la Saint-Jean-Baptiste peut faire énormément pour canaliser l’énergie de notre peuple vers des fins plus utiles et des entreprises plus urgentes que la seule contemplation passive et facilement stérile de notre histoire et de nos traditions….Nous devons nous inspirer du passé, nous devons l’aimer et le vénérer, mais il ne faut jamais perdre de vue les tâches redoutables du présent et les défis de l’avenir. Je sais que c’est là l’esprit qui anime votre Société; je vous encourage à maintenir cette attitude, car c’est ainsi que vous pourrez le mieux, selon moi, parvenir aux objectifs que vous vous êtes fixés et dont tout notre peuple attend la réalisation. Je ne veux pas dire par là que c’est à la Société Saint-Jean-Baptiste seule qu’en incombe toute la responsabilité et que c’est elle seule qui doit travailler à l’avancement de la cause canadienne-française. Si le gouvernement de la province de Québec était de cet avis, vous auriez tout à fait raison de l’accuser d’infidélité nationale.
Il arrive cependant que c’est loin d’être le cas. J’ai dit il y a quelques instants, que des similitudes existaient entre l’action de la Société Saint-Jean-Baptiste et celle du gouvernement de Québec. Je viens de vous exposer brièvement ma conception du travail qu’accomplit votre Société. Si vous me le permettez, je voudrais maintenant profiter de la première occasion que j’ai de vous rencontrer comme conférencier depuis que j’occupe le poste de Premier ministre, pour vous indiquer dans les grandes lignes la façon dont le gouvernement du
Québec a entrepris de s’acquitter de ses obligations envers le groupement canadien-français.
Je souligne, en passant, que ces obligations ne sont pas nouvelles et que nous ne sommes pas les premiers à les assumer. D’autres administrateurs l’ont fait avant la nôtre. Toutefois, ce qui est nouveau actuellement, c’est, je crois, le caractère systématique, coordonné et étendu de notre action. Nous n’avons pas en effet l’impression que l’épanouissement du peuple canadien-français sera assuré par la seule sauvegarde de la langue ou par la réalisation exclusive de tel ou tel autre objectif donné. Nous croyons plutôt que ce but sera atteint par la poursuite simultanée de plusieurs objectifs partiels, pourvu qu’ils soient logiquement agencés les uns aux autres et qu’ils se complètent mutuellement. En somme, nous croyons que la cause de l’avancement de notre minorité nationale dans tous les domaines ne sera bien servie que si le gouvernement du Québec — la seule province à prédominance canadienne-française – adopte ce que j’appellerais une politique globale, en ne négligeant de cette façon aucun des domaines d’activité capables de favoriser l’épanouissement économique, social et culturel de notre groupe ethnique. La bataille que notre situation particulière dans la nation canadienne nous oblige à livrer doit donc se dérouler sur plusieurs fronts à la fois.
Le gouvernement de la province de Québec a conçu toute son action selon cette optique et il l’a fait à partir d’un principe fondamental sur lequel j’aime à revenir à l’occasion.
Le gouvernement part du principe que l’État du Québec non seulement appartient à ses citoyens, mais qu’il constitue aussi le levier, le point d’appui commun dont nous pouvons, et devons nous servir dans la poursuite des tâches que nous imposent notre présence dans la réalité canadienne et notre survivance au sein d’un monde dont la culture est étrangère à la nôtre. Notre conception du rôle de l’État – du rôle de notre État ne s’inspire nullement d’une quelconque idéologie socialiste. Je dirais plutôt qu’elle provient d’un souci bien pragmatique. Nous n’avons tout simplement pas le choix de procéder autrement. Car il faut bien nous rendre compte d’une chose que l’histoire et la démographie nous dévoilent d’ailleurs brutalement. Comme groupe ethnique, nous formons environ 30% de la population canadienne. Nous ne représentons même pas un trentième de toute la population de l’Amérique du Nord, 6000000 , par rapport à 190000000 ! Nous sommes collectivement un sujet d’étonnement pour les historiens. Il y a longtemps en effet que nous aurions pu être assimilés, mais en dépit des lois de l’histoire, nous avons survécu.
Il y a, dans notre situation actuelle, quelque chose de grandiose et de tragique à la fois. Ce qui est grandiose, c’est notre volonté de persister; ce sont « nos traditions, notre langue et notre foi », selon l’expression consacrée. Ce qui est tragique, c’est que ces facteurs ne suffisent plus désormais. Le progrès moderne a fait disparaître les frontières et d’une certaine façon, nous ne sommes plus chez nous seulement sur les bords du Saint-Laurent. Que nous le voulions ou non, il nous faut faire face au reste de l’univers. D’autres influences que celles que nous avons appris à connaître commencent à se faire sentir chez nous. Toutes ces influences ne sont pas nécessairement mauvaises, loin de là. Mais certaines d’entre elles, notamment l’américanisme, offrent des dangers nouveaux contre lesquels nous ne sommes pas préparés.
La conjoncture présente nous force à repenser nos positions traditionnelles. Il nous faut des moyens puissants non seulement pour relever les défis inévitables que nous rencontrerons dans les années qui viennent, mais aussi pour mettre le peuple canadien-français au diapason du monde actuel. Or le seul moyen puissant que nous possédions, c’est l’État du Québec, c’est notre État. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de ne pas l’utiliser. Je n’ai pas le droit, comme Premier ministre du gouvernement de cet État, de vous dire qu’il faut nous en remettre en cette matière aux seuls efforts des individus ou des groupements organisés. Je n’ai pas non plus le droit de vous dire qu’il faut nous contenter, comme par le passé, de faire confiance à notre culture pour la bonne raison que, justement, c’est elle qui est en danger.
Si nous refusions de nous servir de notre État, par crainte ou préjugé, nous nous priverions alors de ce qui est peut-être l’unique recours qui nous reste pour survivre comme minorité ethnique et pour progresser comme peuple conscient des exigences du monde dans lequel nous sommes dorénavant appelée à vivre.
Ce principe d’action, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger s’y conforme depuis bientôt un an. Un tel laps de temps est trop court pour que nous puissions déjà entrevoir les résultats concrets des décisions que nous avons prises. Il est assez long toutefois pour que la population commence à se rendre compte du soin constant que nous mettons à traduire dans les faits les principes auxquels nous déclarons croire. Il est assez long aussi pour qu’elle constate que, loin de nous limiter à un domaine d’action restreint, nous avons plutôt résolu de nous attaquer à plusieurs secteurs importants de notre vie économique et culturelle. Nous nous efforçons ainsi de mettre en application cette politique globale dont je vous parlais tout à l’heure, et qui, selon nous, est la condition même du succès d’une aussi vaste entreprise d’affirmation nationale. Les mesures que nous avons adoptées dans le domaine des richesses naturelles par exemple, et, plus encore, celles que nous adopterons avant longtemps tendent à matérialiser ce que nous avons toujours prétendu. Les richesses naturelles du Québec appartiennent en propre aux citoyens de la province; elles doivent être exploitées d’abord et avant tout à leur avantage et cela, de façon rationnelle, pour obéir aux impératifs de l’économie moderne. À ce propos, je voudrais signaler que le gouvernement que je représente favorise le principe de la formation de sociétés mixtes – c’est-à-dire de « sociétés de gestion » – dont le but sera d’accélérer le développement et de faciliter la transformation au Québec de nos richesses naturelles, par une alliance heureuse de l’initiative privée et de celle de l’État. Si je ne me trompe, les sociétés Saint-Jean-Baptiste de la province de Québec ont longtemps préconisé cette formule d’exploitation susceptible de fournir les capitaux que rendent nécessaires des projets de cette envergure. En acceptant de suivre cette recommandation, nous nous rendrons au désir de ceux qui l’ont énoncée et nous fournirons au peuple canadien-français un instrument de libération économique.
Il entre aussi dans nos intentions de procéder, lors de l’échéance des ententes avec les sociétés qui exploitent les richesses naturelles du Québec, à une révision complète du taux des redevances que celles-ci versent présentement à la province. Nous verrons, entre autres, à ce que ces redevances correspondent davantage à l’importance des revenus que ces sociétés retirent de leur exploitation. Nous voulons également faire tout en notre pouvoir pour inciter ces mêmes sociétés à employer plus de personnel technique et administratif formé dans le Québec.
Prenons maintenant un autre domaine d’activité du gouvernement, celui des relations fédérales-provinciales. Vous savez que si la vie en confédération comporte des avantages, elle peut aussi recéler certains risques auxquels les minorités nationales sont facilement exposées, à moins qu’elles ne portent une vigilance constante aux relations qui existent entre le gouvernement qui les administre et le pouvoir central. Nous avons, pour cette raison, doté le Québec d’un nouveau ministère, celui des Affaires fédérales-provinciales. Il concrétise une attitude plus réaliste en matière de fédéralisme, attitude fondée sur l’esprit nouveau que le Québec veut faire régner en ce domaine au Canada. Déjà, nous avons commencé à la manifester par les suggestions que nous avons faites aux conférences fédérales-provinciales. Je ne veux pas revenir sur les détails techniques de ces suggestions; je tiens seulement à vous dire que nous avons tenté, en quelque sorte, de réintégrer le Québec dans la Confédération. Si nous l’avons fait, ce n’est pas – comme certaines personnes mal informées ou mal intentionnées l’ont prétendu – parce que nous avons abandonné la lutte pour les droits que le peuple du Québec a si durement acquis dans le passé; au contraire, c’est parce que nous valorisons l’autonomie de notre province et que nous voulons directement et activement prendre part aux décisions qui nous touchent de près.
On dit souvent que la solidité de la famille canadienne-française est un des facteurs responsables de la survivance de notre peuple. Cela est certainement vrai lorsqu’on songe de quelle façon la famille de chez nous a su conserver bien vivantes nos traditions. Elle a préservé nos traits culturels et a rendu possible, en deux cents ans et pratiquement sans immigration, la multiplication par cent des 60000 Canadiens d’origine française qui ont eu le courage de demeurer au pays après la conquête.
Le gouvernement du Québec comprend parfaitement le rôle éminent qu’a joué l’entité familiale dans notre histoire et sait que notre avenir est intimement lié à l’évolution de la famille chez nous. Pour l’aider dans l’accomplissement de ses devoirs et pour garantir son intégrité, nous avons jugé bon d’instituer un ministère de la Famille. Ce ministère est chargé de repenser en fonction de la famille toute la législation sociale du Québec. Nous voulons augmenter, dans la mesure du possible, le niveau de vie matériel des personnes et des familles qui en ont besoin. Cependant, nous voulons aussi et c’est probablement ce qui, en ce domaine, nous distingue le plus des autres gouvernements de l’Amérique du Nord – nous voulons, dis-je, soutenir du même coup et rendre encore plus solide une institution qui, dans la forme qu’elle a prise chez nous, a valu à notre peuple sa survivance et sa conception chrétienne de la vie. Nous savons que les Canadiens français doivent beaucoup à l’institution familiale, mais nous savons surtout qu’elle les armera, dans les temps à venir, des qualités humaines qu’il leur faudra pour s’acquitter des tâches nouvelles qui les attendent.
Dans ce qui précède, je me suis permis de vous donner un aperçu de l’action systématique que le gouvernement du Québec avait entreprise dans plusieurs secteurs. Je dois avouer, toutefois, que cette action n’aurait que peu de portée si elle ne s’accompagnait pas d’un vaste mouvement éducationnel et culturel. Car, quoi que nous fassions et même si nous parvenions à vivre dans le confort idéal, nos richesses matérielles et financières, malgré leur étendue, ne pourront jamais se comparer au total à celles d’autres pays comme les États-Unis. Je veux dire par là que nous ne serons jamais matériellement ou militairement très puissants. Nous sommes trop peu nombreux pour cela et il est inutile de nous faire illusion là-dessus. Il ne nous servirait à rien de rechercher, par des réalisations gigantesques, la renommée de nos voisins du sud; nous n’y arriverions pas. Nous y perdrions notre temps et nos énergies et nous négligerions de nous engager dans une voie capable de nous conduire à l’affirmation de nous-mêmes. Cette voie, c’est celle de l’éducation et de la culture.
Dans ces deux domaines, le peuple canadien-français est tout à fait apte à faire sa marque et à se manifester à l’attention des autres peuples du monde. La capacité d’apprendre, de comprendre, d’enseigner, et de créer ne lui manque pas; les oeuvres de nos savants, de nos écrivains et de nos artistes le prouvent. Je dirais cependant — au risque d’être un peu injuste — que beaucoup de ces personnes ont pu mettre leurs talents en valeur malgré l’ambiance qui les entourait, malgré l’indifférence générale. C’est cette situation d’exception que nous ne pouvons et que nous ne voulons pas tolérer. Par certaines des décisions qu’il a prises, le gouvernement du Québec veut changer le climat intellectuel de la province et favoriser le rayonnement de la culture canadienne-française au Canada et ailleurs.
Vous connaissez notre souci de l’éducation. Vous êtes au courant des mesures que nous avons adoptées pour munir nos maisons d’enseignement de ce qui leur manquait pour remplir leur fonction première; vous savez quelle attention nous voulons accorder à la formation des éducateurs; vous connaissez aussi notre désir de rendre, le plus tôt possible, l’éducation accessible à tous. Je ne veux donc pas revenir là-dessus maintenant.
J’aimerais plutôt vous dire quelques mots de notre action dans le domaine culturel. Le Québec est actuellement la seule province du Canada à avoir un ministère des Affaires Culturelles. Par la création de ce ministère, nous considérons avoir doté le Canada français d’un merveilleux instrument pour la diffusion et l’épanouissement de ce que nous appelons le fait français en Amérique. Pour le gouvernement du Québec, la formation d’un tel ministère constituait un devoir; il était le seul à pouvoir l’accomplir et le seul en mesure de répandre notre culture commune à l’extérieur des frontières de la province et même du pays.
D’ailleurs, d’une certaine façon, ces frontières ne veulent plus dire grand chose. La majorité des Canadiens français demeurent dans le Québec, mais des centaines de milliers d’entre eux vivent dans d’autres provinces du Canada et aux États-Unis. De ce fait et à cause de sa cohésion et de sa force numérique, le Québec doit en quelque sorte se considérer comme la mère-patrie de tous ceux qui, en Amérique du Nord, parlent notre langue. Notre province est donc presque moralement obligée d’accorder son concours à ces groupes de nos compatriotes qui, par leur situation, sont en plus grand danger d’être assimilés ou de perdre contact avec la culture française. Par son intérêt à leur égard, elle aidera ces groupes à sauvegarder leur entité propre et se protégera elle-même grâce à l’appui que ces groupes éloignés de Canadiens français pourront lui donner. C’est pour cette raison que le nouveau ministère des Affaires Culturelles a sous sa juridiction le Service, également nouveau, du Canada français d’outre-frontière. L’organisation matérielle de ce Service n’est pas encore complète, mais vous me permettrez, en terminant, de m’arrêter un instant à quelques-unes des fonctions qu’il pourra remplir.
Il pourra d’abord mettre sur pied tout un programme d’échanges culturels. Grâce à ce programme, les Canadiens français des autres provinces pourront, en nombre plus grand que maintenant, s’inscrire à nos maisons d’enseignement. Le Québec participera ainsi à la formation des cadres dont nos compatriotes de l’extérieur de la province ont souvent besoin.
Un tel programme d’échanges culturels ne se limitera pas à la venue ici d’étudiants de l’extérieur. Par des visites et des tournées de conférences régulières, nos professeurs et instituteurs du Québec seront en mesure de faire profiter nos compatriotes de leur expérience et de leurs sciences, sans compter qu’ils retireront eux-mêmes un grand bénéfice de leur séjour hors des frontières de la province.
Les artistes du Québec, quel que soit leur champ d’activité, pourront aussi nous représenter avantageusement en dehors de la province. Ils ont déjà beaucoup accompli dans ce domaine. Le Service du Canada français d’Outre-frontières systématisera leur participation et la rendra plus conforme aux désirs des publics qui ont besoin de recevoir et aux désirs des artistes qui ont besoin de donner. Le Service pourra enfin diffuser la littérature canadienne-française dans les autres provinces et dans les centres franco-américains. Ce sera là, si je ne m’abuse, un précieux encouragement à tous ceux qui ont la vocation littéraire.
Il y aurait bien d’autres choses à ajouter en ce qui concerne le travail qu’accomplira ce Service, notamment auprès des Néo-canadiens que le gouvernement essaiera d’intégrer à notre culture en aussi grand nombre que possible.
J’en aurais, aussi, encore long à dire si je voulais esquisser devant vous tout ce que nous espérons – et ce que vous-mêmes espérez sans doute – du ministère des Affaires Culturelles. Je pense ici en particulier à l’influence durable et profonde que pourra avoir le Conseil provincial des Arts et l’Office de la langue française sur l’épanouissement culturel de notre peuple. J’aime mieux cependant ne pas m’engager dans ce sujet, ce qui m’obligerait à vous retenir ici au moins encore une heure. Je tiens plutôt à vous dire que le gouvernement du Québec considère qu’il vient à peine de commencer l’action qu’il s’est proposé d’entreprendre dans le domaine culturel. Il en est de même dans presque tous ses autres champs d’activités. Il y a tellement à faire et, justement parce que notre tâche est aussi étendue, vous ne pouvez savoir combien il est réconfortant pour nous de recevoir, de la part d’organismes comme le vôtre, ou de simples citoyens, les témoignages d’appréciation et les commentaires approbateurs qu’on a bien voulu nous faire parvenir sur le travail accompli jusqu’ici. Lorsque quelqu’un tente d’innover en matière artistique et culturelle, il rencontre souvent l’incompréhension ou l’indifférence de ceux qui ont l’habitude du conformisme. Un gouvernement est en butte un peu au même problème, surtout si l’action qu’il entreprend ne comporte pas d’effets tangibles immédiats. On a tendance à oublier que le futur est une époque qui se prépare, et que cette époque, pour notre province, est déjà arrivée. Nous devons faire vite, mais nous devons faire bien.
Au Québec, tout en repensant notre notion traditionnelle de patriotisme, nous posons présentement les jalons d’une ère nouvelle. Le gouvernement de la province est pleinement conscient de tout ce que la population attend de lui; il sait aussi qu’il faut du temps pour réaliser l’entreprise de
rénovation et d’affirmation nationale à laquelle
il s’est attaquée; il sait surtout qu’il a besoin de la collaboration de tous et de chacun — de la collaboration de tout Canadien d’expression française — pour surmonter les obstacles et résoudre les problèmes qu’il rencontrera sur sa voie.
Le gouvernement du Québec — comme tout gouvernement est formé de personnes, d’êtres humains qui ne sont ni infaillibles malgré les difficultés qui pourront surgir, une chose demeure toutefois certaine nous ne permettrons pas, nous ne permettrons jamais si c’est humainement possible, que soit déçu cet immense espoir que nous avons soulevé chez tous les Canadiens français.
[QLESG19610615]
[Institut des Comptables Agréés Québec, le 15 juin 1961
Hon. Jean Lesage. Premier Ministre
Pour publication après 3:00 hres P.M. le 15 juin 1961]
Je ne sais pas si vous m’avez invité à vous adresser la parole cet après-midi à titre de Premier ministre ou à titre de Ministre des Finances. De toute façon, veuillez croire que je suis très heureux de venir vous rencontrer à l’occasion du Congrès Provincial Annuel de votre Institut, et heureux aussi de constater que vous avez choisi la capitale provinciale comme siège de vos délibérations.
Un ministre des Finances n’a jamais l’impression d’être en territoire étranger lorsqu’il se trouve au milieu de gens qui, comme vous, sont, de par leur profession, appelés à vérifier, à contrôler et à clarifier les états financiers des entreprises qui font appel à leurs services. Il existe évidemment des différences entre les responsabilités de ce ministre et celles des comptables agréés. J’ai pensé cependant qu’il existait assez de similitudes pour que je me permette, cet après-midi, si vous le voulez bien, de vous entretenir d’un sujet qui est à la fois d’intérêt public et d’intérêt privé. Ce sujet – les tâches actuelles du gouvernement québécois – est d’intérêt public parce qu’il concerne l’ensemble de notre population. Il est aussi d’intérêt privé parce que la population est composée de citoyens qui ont le privilège, pas toujours apprécié – c’est entendu, de participer selon leurs moyens au coût de l’administration gouvernementale. Celle-ci en échange – cela on l’oublie facilement – leur fournit les nombreux services que rend nécessaires la vie dans une société toujours plus complexe.
À cause du développement industriel et des nouvelles conceptions sociales, on demande de plus en plus à l’État. Il y a à cela deux raisons bien précises.
Dans bien des cas, les services fournis par le gouvernement ne pourraient être assurée par l’initiative privée seule, parce qu’ils ne sont pas économiquement ou immédiatement rentable. La construction d’un réseau de routes modernes, l’édification d’écoles et d’hôpitaux ou encore l’établissement de bibliothèques publiques appartiennent à ce premier groupe.
Il existe aussi certains services dont la nature même oblige l’État à les prendre à sa charge. Je pense ici aux forces armées, à l’administration de la Justice ou, dans un autre domaine au système postal. Ici encore, les divers niveaux de gouvernement se répartissent la tâche selon leur juridiction propre.
Enfin, à cause des circonstances, l’État a graduellement été amené à fournir aux citoyens qui en ont besoin une tranche de plus en plus imposante d’assistance sociale. Pour garantir un degré de sécurité convenable aux individus et aux familles menacées par le chômage, la maladie ou la vieillesse, il a organisé un vaste régime de protection sociale. Il a également eu, pour la même raison, à prendre des responsabilités accrues dans le domaine de la santé et de l’hygiène publique.
En plus de cet éventail impressionnant et varié d’activités, l’État s’est en quelque sorte vu confier, par ses citoyens eux-mêmes, le soin de façonner, à l’intention du secteur privé, le cadre à l’intérieur duquel celui-ci évolue. Il peut arriver à remplir cette responsabilité nouvelle au moyen de la législation qu’il adopte ou grâce à la politique économique qu’il décide de suivre. En d’autres termes, non seulement accepte-t-on que le gouvernement entre dans des domaines d’activités comme ceux dont je viens de donner de brefs exemples, mais on a fini à la longue par le rendre responsable de la stabilité et de la croissance économique de la nation tout entière. Cela est tellement vrai que, si quelque chose ne va pas de ce côté – augmentation du chômage, par exemple, ou exploitation non rationnelle des richesses naturelles – c’est d’abord au gouvernement qu’on s’en prend. Je signale le fait pour démontrer jusqu’à quel point l’idée est maintenant ancrée dans l’opinion publique que l’État n’a plus le droit de ne pas intervenir lorsque l’intérêt commun est en jeu. Vous pouvez voir combien nous sommes loin – non pas chronologiquement, mais psychologiquement – des anciennes théories qui voulaient que l’État s’immisce le moins possible dans la vie économique de la nation.
La province de Québec n’a pas échappé à l’évolution de la pensée sociale dans ce domaine. Du reste, cette pensée, construite sur des faits patents et justifiée par la nécessité des réformes à accomplir dans un univers économique qu’on avait trop longtemps laissé à lui-même, cette pensée, dis-je, a trouvé des applications d’intensité variable dans tous les pays du monde, notamment dans les pays occidentaux. La population du Québec ne peut pas toutefois demander à son gouvernement d’assumer des responsabilités aussi étendues que celles du gouvernement central, par exemple dans le domaine de la stabilisation économique. Comme province, le Québec ne dispose pas de tous les moyens à court et à long terme dont peut se servir l’administration fédérale. Il ne contrôle pas la monnaie; il n’a pas non plus d’influence directe sur le volume des échanges commerciaux avec les autres pays.
Néanmoins, le gouvernement que je représente ne peut pas, pour cette raison – si bonne semble-t-elle – adopter une attitude passive et se retirer à l’écart en attendant le résultat des événements. S’il choisissait d’agir ainsi, il n’accomplirait pas sa tâche puisqu’il est en mesure, de par les pouvoirs législatifs et fiscaux dont il dispose tout de même, d’exercer une influence appréciable sur la vie économique et sociale de la province. Ce n’est pas à lui, bien entendu, qu’appartient la responsabilité de tout mettre en oeuvre et de tout diriger. Il n’a pas non plus l’intention de se substituer aux efforts des individus et des groupes privés. Mais il a le devoir d’être présent; il a le devoir de faciliter aux citoyens du Québec la réalisation de leurs objectifs communs; il a surtout le devoir de leur fournir les instruments dont ils ont un urgent besoin: sinon, ces objectifs risquent de demeurer des mirages inaccessibles.
J’ai utilisé à dessein l’expression « urgent besoin », car, s’il nous faut, comme toute nation, nous équiper collectivement pour l’avenir, il nous faut aussi, et dans le plus bref délai possible, rattraper des retards inquiétants. Évidemment, le Québec, à bien des points de vue, est plus avancé qu’un grand nombre de nations du monde. Notre niveau de vie est très élevé si on le compare à celui qui prévaut dans certains pays d’Asie ou d’Amérique
Latine. Quand je dis, donc, que nous avons des retards à combler, je situe le Québec non pas dans un continent hypothétique composé de pays sous-développés, mais bien là où il est géographiquement localisé, c’est-à-dire en Amérique du Nord. Et il arrive qu’en comparaison avec le reste de cette partie du monde, nous sommes en retard. À ce propos, il ne faut pas se laisser tromper par les apparences. Nous avons beaucoup de jolies villes, nos établissements de commerce sont modernes, nos industries sont bien équipées. Pour peu qu’on aille plus loin que cette surface parfois resplendissante, on s’aperçoit facilement des graves lacunes qui demeurent, par exemple dans le domaine de l’éducation et celui de la culture, dans celui des services sociaux, dans celui de la voirie, dans celui de l’habitation, dans celui de l’agriculture et dans bien d’autres encore.
Lorsque je qualifie tous ces retards d’inquiétants, c’est que notre caractéristique de minorité nationale nous rend plus vulnérables à la puissance économique, financière et culturelle des nations plus grandes qui nous entourent et dont les produits de toutes espèces traversent nos frontières. Tous les gouvernements du monde ont au moins deux choses en commun: lorsqu’ils exercent le pouvoir, ils le font après avoir succédé à d’autres dont le comportement a inévitablement laissé des traces et dont souvent la philosophie était différente. De plus, les ressources financières grâce auxquelles ils peuvent mettre en application les programmes qu’ils se sont tracés sont forcément limitées. Ces deux constantes forment, si l’on veut, l’arrière-plan concret sur lequel s’édifiera leur politique. Elles peuvent plus ou moins compliquer leur tâche, mais elles restreignent toujours l’ampleur de leur action. Le gouvernement actuel du Québec, a, lui aussi, succédé à un gouvernement antérieur dont l’optique administrative différait de la sienne et dont les traces ne se sont pas encore effacées. Deux de ces traces, peut-être les plus persistantes, sont d’abord les retards dont je parlais il y a un instant et ensuite la somme surprenante des engagements de l’ancien régime pour les vingt prochaines années: comme je le disais dans mon discours du budget, ceux-ci atteignaient, au 5 juillet 1960, le sommet de $344000000.
Si vous ajoutez ce chiffre à la deuxième difficulté à laquelle tout gouvernement doit faire face, c’est-à-dire les ressources financières limitées, vous comprendrez facilement combien se compliquait la tâche déjà difficile pour le gouvernement que je dirige de mettre en oeuvre le vaste programme de rénovation nationale qu’une étude sérieuse de la situation du Québec lui avait permis de dresser. Pourtant, il ne pouvait être question de repousser à plus tard l’instauration des réformes prévues. Celles-ci étaient depuis longtemps d’ailleurs tellement urgentes qu’on peut s’étonner de ce qu’elles n’aient pas été appliquées par l’ancien régime.
Nous avons par exemple un capital humain précieux à mettre en valeur. Nous comptons y arriver, comme l’ont fait d’autres nations, par un effort intense d’éducation et de culture. Mais pour cela il faut doter nos institutions d’enseignement de l’équipement matériel indispensable, il faut les rendre capables d’absorber un nombre grandissant de jeunes.
Nous devons aussi moderniser tout notre réseau de routes, construire des voies nouvelles, ouvrir de nouveaux territoires à l’exploration et au peuplement, relier les villes entre elles par des routes adaptées au siècle dans lequel nous vivons.
Nous avons également de grandes responsabilités à assumer dans le domaine du développement urbain rationnel et dans le réaménagement de certaines villes; nous devons favoriser l’habitation familiale, faciliter l’accès à la propriété domiciliaire.
Notre action en matière de santé nous force à améliorer les services hospitaliers actuels et à accroître le nombre des hôpitaux et des cliniques.
Le gouvernement doit aussi établir tout un ensemble de services, moins tangibles peut-être que ceux que je viens de nommer, mais aussi nécessaires. Je pense ici aux services techniques de recherche, presque inexistants il n’y a pas encore une année, qu’il nous a fallu développer au sein de l’administration provinciale et qui devront prendre de plus en plus d’expansion, à mesure que le réclameront les efforts de planification du gouvernement. Toutes ces tâches qu’il nous faut entreprendre je suis loin, en passant, de les avoir toutes mentionnées – nous devons nous en acquitter non pas seulement pour l’unique raison que nous nous sommes engagés à le faire;. disons plutôt que, si nous nous sommes engagée à les accomplir, c’est parce que la situation du Québec le réclamait. Il y a là une nuance, nuance que perçoivent facilement les nombreuses associations professionnelles, les groupes d’hommes d’affaires, les sociétés nationales et les mouvements ouvriers qui ont longtemps insisté pour que le gouvernement de la province s’attaque aux lacunes que nous avons commencé à combler. En nous rendant à ces désirs, si souvent exprimés, nous suivons tout simplement la voie que nous ont indiquée les citoyens de cette province en nous confiant l’administration de celle-ci.
Mais, comme vous le savez bien, vous qui êtes professionnels des domaines de la comptabilité et de l’administration, nous vivons dans un monde oh la réalisation des projets les plus louables est subordonnée à la quantité des ressources matérielles disponibles. Dans le cas d’un gouvernement, ces ressources matérielles sont surtout d’ordre financier. « Grosso modo », un gouvernement pourra accomplir ce qu’il s’est proposé de faire dans la mesure où ses ressources financières disponibles le lui permettront. Là-dessus, je pense que tout le monde s’entend, du moins en principe.
Il arrive cependant qu’on confond souvent les ressources disponibles, selon l’expression que je viens d’utiliser, avec les revenus courants. En d’autres termes, au lieu de s’exprimer comme je le faisais il y a une seconde, on dira qu’un gouvernement accomplira ce qu’il s’est proposé de faire « dans la mesure oh ses revenus courants le lui permettront ». Dès qu’on est victime de cette confusion, on s’enferme dans un raisonnement sans issue.
D’après moi, le gouvernement est un peu comme une entreprise du genre de celles avec lesquelles vous êtes familiers. Je sais que toute comparaison cloche et la mienne n’échappe pas à la règle. Néanmoins, elle me permettra de mieux vous exposer ce que j’ai à l’esprit. Lorsqu’une entreprise veut financer une expansion devenue nécessaire, elle peut le faire de deux façons. La première vient immédiatement à l’idée; elle peut puiser à même ses revenus courants ou ses réserves et en affecter une partie à l’achat d’équipement ou à la construction de bâtisses nouvelles. Si cette première méthode de financement est insuffisante, comme c’est fréquemment le cas, il lui en reste une autre également très connue et acceptée de tous les hommes d’affaires: elle peut emprunter, quitte à répartir l’amortissement de l’emprunt sur un certain nombre d’années. Si elle choisit la seconde méthode de financement, personne n’ira dire que l’entreprise en question est en déficit, puisqu’elle agit de la sorte justement pour augmenter ses revenus, grâce à une production accrue et améliorée.
Un gouvernement provincial procède un peu de la même façon. S’il établit comme règle inéluctable et définitive de se limiter à ses seuls revenus courants, il devient incapable de stimuler une expansion rapide, si impérieuse soit-elle. Tout comme l’entreprise, il lui faut donc à l’occasion, avoir recours à l’emprunt. Quand cet emprunt est destiné à financer un programme d’expansion, on ne saurait, pas plus que dans le cas de l’entreprise, brandir l’épouvantail du déficit et s’inquiéter d’une soi-disant mauvaise administration des deniers publics.
Quand, durant une guerre, un gouvernement défend la liberté de ses citoyens, il est logique et juste que ceux de la prochaine génération participent financièrement aux sacrifices qui leur ont permis de naître libres.
Quelle est la personne malade qui choisirait de mourir plutôt que de se faire traiter par un médecin qu’elle ne pourrait payer que plus tard? Quel est l’homme qui considère comme une dette à éviter une hypothèque sur une maison où il peut assurer le bien-être de sa famille? Au contraire, il estimera comme un actif la partie de la maison que cette façon d’agir lui aura permis de payer.
Il en est de même du gouvernement dans des projets dont la bienfaisante influence se fera sentir dans le monde de demain, et, là encore, il est logique et juste que ceux qui en bénéficieront participent financièrement à nos efforts. En face des responsabilités urgentes que les besoins du Québec l’obligent à assumer, le gouvernement de la province a résolu de recourir temporairement à l’emprunt. Ses revenus courants, bien que supérieurs à ses dépenses ordinaires, n’auraient pas du tout suffi à financer les investissements de tout genre qu’il doit présentement effectuer. Car il s’agit bien d’investissements. Quel autre terme peut-on en effet utiliser pour décrire les vastes projets que nous voulons mettre en oeuvre et dont les résultats heureux se répercuteront sur des générations de citoyens. Nous investissons dans notre capital humain, dans la mise en valeur de nos richesses, dans le meilleur état de santé de notre population, et que sais-je encore. Tous ces investissements, comme vous le savez, augmenteront la capacité productive de toute la province. Cette capacité accrue permettra non seulement le remboursement des intérêts et du capital emprunté, mais améliorera le niveau de vie des citoyens du Québec.
Évidemment, si nous n’avions pas eu à supporter les engagements énormes de nos prédécesseurs et si le gouvernement central n’avait pas manoeuvré, lors des récentes conférences fiscales, comme s’il voulait mettre un frein à l’expansion économique et sociale du Québec, la dimension de nos emprunts aurait pu être moindre.
Tout de même, il y a des besoins à rencontrer, et à rencontrer immédiatement. C’est pourquoi comme l’ont d’ailleurs signalé un très grand nombre d’observateurs impartiaux, dont des membres éminents de votre profession – je me permets de croire que nous avons choisi la politique financière la plus sensée et la plus logique dans les circonstances. Nous n’acceptons pas en effet que des théories périmées nous interdisent l’usage de l’emprunt public; après tout, l’emprunt lancé pour des fins comme celles que j’ai invoquées il y a quelques instants est une ressource disponible, pratiquement au même titre que les revenus courants.
Du reste, je pense que lorsqu’on considère des investissements seulement en fonction des dépenses temporaires qu’ils provoquent, on en oublie le véritable sens. Il faut plutôt s’efforcer d’en entrevoir les résultats. Car on n’investit pas pour le plaisir de dépenser; on investit pour produire davantage. Et produire davantage, dans le sens où je l’entends ici, cela veut dire pour la population du Québec une vie plus remplie et plus heureuse.
[QLESG19610629]
[CORPORATION DES AGRONOMES DE LA PROVINCE DE QUEBEC Montréal, le 29 juin 1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.
Hon Jean Lesage Premier ministre le 29 juin 1961]
J’ai craint un moment, monsieur le Président, que la prolongation de la session m’empêche d’accepter votre aimable invitation à adresser la parole à ce congrès annuel des agronomes du Québec. J’en aurais été déçu. J’ai eu peur de nouveau quand je me suis rendu compte de l’impossibilité absolue où je me trouvais d’être avec vous ce soir. Inutile de vous dire combien j’apprécie la courtoisie dont vous avez fait preuve à mon égard en retardant notre rencontre jusqu’à ce soir pour ne pas m’enlever le plaisir de vous adresser la parole.
Je suis, en effet, tellement heureux d’avoir cette occasion d’expliquer, un peu plus en détail que les circonstances ne me l’ont permis en ces derniers temps, les positions très fermes que j’ai prises sur une double question qui englobe toutes les préoccupations de votre groupement: les progrès de l’agriculture et l’avancement de la profession d’agronome dans la province de Québec.
Deux mots, tout d’abord, sur notre agriculture. Avions-nous raison de parler de la stagnation relative de nos exploitations agricoles? Je n’ai jamais prétendu, remarquez-le bien, au titre d’expert en agriculture. Mais, comme l’honnête homme du dix-septième siècle, un chef de parti politique se doit, sur tous les grands problèmes de l’heure, d’acquérir quelques clartés, de se renseigner auprès de ceux qui savent, et de regarder les choses d’un point de vue objectif et réaliste. Or, pour me renseigner sur la question que je pose, je n’avais qu’à entendre les doléances des porte-parole des cultivateurs et je n’avais, messieurs les agronomes, qu’à parcourir le compte rendu de vos congrès annuels et de vos journées d’études régionales. Je tiens, messieurs, à vous rendre immédiatement ce témoignage que, depuis la formation de votre association professionnelle, vous n’avez cessé, fidèles à votre devise, « Servir », d’étudier en commun les besoins de notre agriculture, de faire constamment le point, et d’indiquer, au meilleur de votre connaissance, et les objectifs que nous devions nous imposer et les moyens de les atteindre. Vous aviez le courage de situer notre agriculture, non pas en rapport seulement avec un lointain passé, mais en fonction de la concurrence qu’elle avait à subir à l’heure présente et qu’elle devrait affronter dans un proche avenir, face à l’accélération du progrès technologique agricole. De toutes vos études, une conclusion principale se dégageait, à savoir que dans le contexte nord-américain, l’agriculture du Québec accusait un retard des plus inquiétants. Vos études suggéraient bien qu’un vigoureux coup de barre devenait impérieusement nécessaire si nous voulions conserver et étendre nos marchés, et assurer, dans cette province, la survivance d’un nombre suffisant de fermes familiales rentables.
Mon premier geste a été de nommer à la direction des ministères de l’Agriculture et de la Colonisation un homme possédant une connaissance pratique et théorique des problèmes du colon et du cultivateur, un travailleur acharné, l’un de vos confrères, mon collaborateur intime, Alcide Courcy. La tâche que je lui ai confiée, vous le savez beaucoup mieux que moi, est difficile et complexe. Cependant, elle se rattache à cette oeuvre de planification que je considère essentielle au progrès du Québec et, tout particulièrement, à l’épanouissement économique, social et culturel de notre groupe ethnique.
Je me suis aussi empressé, à la demande de vos porte-parole et sur la recommandation de mon ministre de l’Agriculture, de faire adopter le bill 249 (Loi modifiant la Loi constituant la corporation des agronomes) et le bill 35 (Loi concernant l’exercice de la profession d’agronome).
Le bill 249 vous a permis d’apporter à votre constitution originale les changements que 19 années d’expérience et d’évolution avaient rendus nécessaires. Le bill 35, d’autre part, vous redonne, auprès de l’État provincial, les privilèges corporatifs que vous aviez perdus en 1945. Cette loi constitue à la fois un acte de reconnaissance et un acte de foi. Nous reconnaissons l’attitude altruiste, véritablement professionnelle, que votre corporation
a manifesté jusqu’à ce jour, et nous avons confiance que les agronomes du Québec continueront d’évoluer dans le plein sens de leurs responsabilités individuelles et collectives, scientifiques et sociales. Je reviens à ce but ultime que je mentionnais à l’instant: l’épanouissement du Québec et de notre groupe ethnique. Ce but, nous ne pourrons l’atteindre que par ce que j’appellerais une politique globale, c’est-à-dire par la poursuite simultanée de plusieurs objectifs partiels, s’agençant logiquement les uns aux autres et se complétant mutuellement. Soyez assurés, Messieurs, que dans l’élaboration et l’application de cette politique globale, le gouvernement réserve une place de choix au relèvement de l’agriculture québécoise et à l’action du corps agronomique. Se faisant en cela le porte-parole de tous ses collègues, M. Courcy a souligné, à maintes reprises, l’importance économique et sociologique de l’agriculture pour nous, Canadiens français, pour qui la possession et l’utilisation rationnelle du sol constituent encore, et représenteront toujours, des éléments majeurs de survivance et d’épanouissement.
L’élaboration d’une véritable politique agricole, s’intégrant à la politique globale dont je viens de parler, ne peut résulter que de la méthode démocratique qu’on a pu croire, chez nous, en voie de disparaître.
La méthode démocratique, c’est celle du dialogue avec les administrés, leurs élites, leurs porte-parole. Elle vise tout d’abord à réaliser l’unanimité des esprits sur les solutions essentielles aux problèmes qui se posent. Elle tend ensuite à établir des compromis entre les idées et les intérêts qui sont ou semblent inconciliables. Elle demande de la part des gouvernants un réel courage. Car, par suite des dialogues constants qu’elle suscite avec les divers groupements de la population, elle contribue à poser les problèmes devant l’opinion publique, plutôt qu’à les escamoter; elle engage les gouvernants à trancher les débats qui se prolongent après tous les essais de conciliation; elle les place en face de leurs responsabilités et les pousse irrésistiblement à l’action.
Pouvons-nous dès maintenant juger cette méthode, comme on juge l’arbre à ses fruits? Quel a été le résultat de cette première année d’expérience, dans le domaine qui vous intéresse? Je ne saurais entrer dans les détails; je laisse aux experts le soin d’y aller de leurs commentaires. Mais il me semble que le bilan agricole de notre première session montre un actif très encourageant.
Des actes législatifs ont été posés touchant la revalorisation de la profession d’agronome, le financement et la consolidation des fermes familiales, la stimulation de la production agricole, l’organisation ordonnée des marchés des denrées alimentaires, l’expansion du syndicalisme et du coopératisme agricoles, l’aide aux régions rurales désavantagées; en tout cela, et par d’autres mesures de politique générale, il me semble que nous avons manifesté notre volonté de travailler à l’intégration sociale de notre classe agricole.
Loin de nous le sentiment d’avoir réglé tous les problèmes, de même que toute velléité d’abandonner la course entreprise pour rattraper le temps perdu. Au reste, ce bilan législatif ne constitue que la partie visible du travail effectué en cette première année d’administration.
Qu’on me laisse seulement mentionner les efforts que nous avons déjà déployés en vue de rendre plus efficace les ressources humaines et budgétaires des ministères de l’Agriculture et de la Colonisation, en vue aussi d’élaborer, avec votre concours, MM. les agronomes, un programme à long terme de consolidation de nos paroisses rurales, et qu’on me permette de consacrer le reste de mon temps à ce que nous considérons tous, vous, tous mes collègues et moi, comme le problème numéro 1 de l’agriculture québécoise: l’organisation de notre enseignement agricole et agronomique.
Dans le mémoire qu’ils présentaient, en 1954, devant la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, les porte-parole de votre corporation avaient justement et courageusement posé ce problème. À preuve, les quatre lignes suivantes de ce mémoire:
» C’est par la qualité et non par le nombre de ses habitants que l’agriculture continuera à remplir sa mission nécessaire au pays du Québec. Pour atteindre cet objectif, il faut une politique de l’instruction et de l’éducation, de la maternelle à l’université, à la campagne comme à la ville, de l’enfant à l’adulte. »
Et cet excellent mémoire, que je n’ai pas le temps de citer ici plus longuement, recommandait fortement la formation d’un comité d’enquête sur les questions se rapportant à l’enseignement agronomique.
Au programme du gouvernement que je représente, le perfectionnement de notre système éducatif occupe le tout premier rang. J’ai dit souvent, et ne me lasserai jamais de répéter, que l’éducation est vraiment, pour le Canada français, la garantie de son avenir. L’affirmation vaut autant pour l’agriculture que pour tout autre champ d’activité de notre vie provinciale.
C’est pourquoi, à la recommandation de M. Courcy, le gouvernement a institué en octobre 1960 un Comité d’étude sur l’enseignement agricole et agronomique, y compris la recherche et l’extension. Le nom même que nous avons donné à ce comité vous suggère le vaste champ d’investigation que nous lui avons attribué. Tout récemment, ce comité nous a présenté un compte rendu partiel de ses travaux. Le conseil des ministres n’a pas encore eu le loisir d’étudier ce rapport préliminaire, dont l’indispensable complément nous sera remis en novembre prochain. Pour ces raisons, et d’autres que je dirai à l’instant, je ne saurais encore dévoiler les recommandations les plus précises du Comité ni, il va sans dire, présumer la décision que devra prendre le gouvernement sur une question aussi importante et aussi complexe que celle qui est à l’étude. Mais je me crois absolument tenu, à l’occasion du congrès de 1961 des agronomes du Québec, d’extraire du rapport préliminaire du Comité d’étude sur l’enseignement agricole et agronomique, pour vous les présenter très succinctement, certains exposés de faits et certaines affirmations qui réclament de nous tous la plus grande attention.
Tout d’abord, le problème fondamental résiderait dans la carence de formation générale, professionnelle et scientifique de ceux qui ont directement en main le destin de notre, agriculture il y a chez nous rareté de cultivateurs de haute formation professionnelle, carence de techniciens agricoles, et carence d’agronomes savants, aptes à former d’une part de véritables techniciens agricoles, et à former d’autre part des agronomes voués à la recherche. Nous manquons aussi de professeurs d’agronomie dans tous les secteurs qui en ont un immense et pressant besoin, y compris ceux de la biologie agricole, de l’économie et de la sociologie rurales.
De très importantes réformes ou innovations s’imposeraient aux quatre paliers suivants de l’enseignements : Cours secondaire; Cours technique digne de ce nom; Cours universitaire agricole menant au baccalauréat; Cours universitaire agricole menant à la maîtrise et au doctorat. Les membres du Comité, dont plusieurs sont des professeurs universitaires de haute culture et de grande compétence, ont visité divers endroits du Québec, de l’Ontario, des États-Unis, et découvert chez les Américains des faits d’une incalculable portée.
De quoi s’agit-il? Il s’agit tout d’abord de l’existence aux États-Unis, et cela depuis plus de dix ans, d’un réseau d’instituts de technologie agricole, industrielle et commerciale, instituts donnant une sorte d’enseignement qui est entièrement inconnu au Canada, en ce sens que cet enseignement est de qualité telle, qu’il établit le pont entre l’enseignement secondaire et l’enseignement universitaire. Rien de comparable, par conséquent, avec nos écoles actuelles d’arts et métiers.
L’État de New York compte six centres d’instituts de technologie, dont le centre de Farmingdale, situé près de la ville de New York, a fait l’objet des études du comité à titre de cas-type. Cette institution compte 1,600 élèves réguliers, tous munis d’un diplôme du cours secondaire (High School Leaving Certificate) et dont 25%, soit 400 élèves, étudient diverses techniques agricoles, par exemple l’aviculture, l’industrie laitière, l’outillage et la machinerie agricoles, la floriculture, etc. Les cours, d’une durée de deux ans, plus exactement de 18 mois, ne sont pas des cours préparatoires mais des cours complets. Le but de cet enseignement est d’entraîner des hommes et des femmes à exercer des métiers ou des fonctions qui se situent entre la main-d’oeuvre spécialisée et les professions hautement scientifiques. À retenir que le programme des sciences de base enseignées à l’Institut technique de Farmingdale est l’équivalent du programme des sciences de base de nos institutions agronomiques d’Oka et de Sainte-Anne de la Pocatière. Aussi bien, 25% des diplômés de Farmingdale passent-ils à l’université pour devenir par la suite des professionnels, et plus particulièrement des agronomes. L’importance de ces faits ne saurait vous échapper.
Si aux États-Unis et il en sera probablement de même très bientôt au Canada l’enseignement technique croit devoir se hausser à un tel niveau scientifique, que dire des exigences grandissantes que l’enseignement universitaire doit et devra s’imposer à lui-même?
L’ingénieur saurait-il se contenter de la même préparation fondamentale que le technicien en outillage industriel ou en construction de bâtiments, et l’agronome saurait-il se satisfaire de la même préparation de base que celle du technicien en aviculture, en industrie laitière ou en conservation des aliments par le froid? Il faut penser à l’image que l’ingénieur et l’agronome de demain voudront et devront se faire d’eux-mêmes et de leurs rôles.
Qu’il s’agisse d’enseignement technique ou d’enseignement universitaire, mais beaucoup plus encore de ce dernier, il importe de tenir compte en pratique, et non pas seulement par des paroles, de l’incessant et prodigieux avancement des sciences dont celles qui trouvent leur application à l’agriculture.
Je vous disais à l’instant que notre Comité d’étude sur l’enseignement agricole et agronomique, y compris la recherche et l’extension, complétera d’ici novembre prochain le, compte rendu global de ses investigations. Il nous faudra de toute nécessité intégrer les résultats de ces investigations à ceux de trois autres organismes qui oeuvrent présentement dans le vaste champ de l’éducation, à savoir le Comité national d’étude sur l’enseignement technique et agricole, le Comité provincial d’étude de l’enseignement technique et notre Commission d’enquête sur l’enseignement.
Vous voyez tout l’intérêt que suscitent la question de l’enseignement technique et celle de l’enseignement en général. C’est, d’une part, qu’il nous faut prévoir les besoins de l’avenir, mais c’est aussi pour une raison actuelle et de la plus grande importance, à savoir que le manque de formation générale et d’instruction technique constitue, dans une mesure qu’on n’a pas le droit de négliger, l’une des causes du chômage. Vous savez aussi que beaucoup de chômeurs viennent de nos milieux ruraux. Et vous savez enfin que votre travail agronomique porterait beaucoup plus de fruits, si vous vous adressiez à des cultivateurs possédant une meilleure instruction générale et une meilleure formation professionnelle.
C’est pourquoi on nous demande avec instance de donner à l’enseignement agricole et agronomique, à tous les niveaux, le même statut qu’à tout autre enseignement, autrement dit de ne pas dissocier l’enseignement agricole et agronomique de l’enseignement général.
Je puis vous rapporter, pour ce qui a trait à l’enseignement agronomique, qu’on nous recommande fortement de considérer les responsabilités sociales et économiques de notre future Faculté d’agronomie et d’édifier, pour la première fois dans l’histoire du Canada français, une école de haut savoir dans le domaine des sciences agricoles.
Nous avons dans ce domaine un immense retard à rattraper et il importe au plus haut point de faire vite et bien. Le gouvernement devra donc très bientôt prendre une décision relative au site et au statut de la Faculté d’agronomie d’expression française. Il devra la prendre non pas en fonction des désirs contradictoires de groupes régionaux, mais en fonction du bien commun; non pas en fonction d’un vénérable passé, mais en fonction des impératifs de l’avenir et en tenant compte de la présence d’autres institutions d’enseignement et de recherche dans le Québec.
À ce moment-là, le gouvernement voudra recourir à la méthode démocratique et devra pouvoir compter sur l’appui collectif, éclairé, exempt de toute confusion, des principaux intéressés, tout particulièrement des agronomes et des cultivateurs.
J’aurais aimé, mais je vous ai déjà, retenus trop longtemps, vous dire toute mon admiration pour cette profession qui est la vôtre, qui réunit déjà ou devrait réunir des hommes travaillant dans de nombreuses sphères de la biologie, du génie, de l’économique et de la sociologie.
Pour thème de ce congrès, vous avez choisi et avec raison: « l’Agronomie, profession d’avenir ». Vous n’ignorez, certes pas que cet avenir dépendra beaucoup non -seulement de l’attitude sympathique du gouvernement, qui vous est acquise, mais aussi de ce que sera votre future faculté d’agronomie, de sa capacité d’adaptation à l’évolution accélérée de notre époque. D’un texte de Mgr Irénée Lussier, recteur de l’Université de Montréal, texte intitulé « La Profession », permettez-moi de citer quelques lignes appropriées à la circonstance:
[ » L’homme de profession a l’obligation sociale d’être au fait des courants sociaux, des courants d’idées, des implications diverses de toute initiative, des diverses conséquences lointaines des attitudes présentes… Il doit être un homme de vision. « ]
Puissions-nous tous répondre à ces exigences, prévoir les diverses conséquences lointaines de nos attitudes présentes, et prendre les décisions qui nous éviteront de passer à côté de l’histoire.
[QLESG19610709]
[Centenaire de Portneuf Dimanche, le 9 juillet 1961 Pour publication
après f:00 P.M.Hon. Jean Lesage Premier ministre juillet 1961]
Dans la vie, on n’a aucun mérite dans le choix de ses parents… ce qui ne diminue en rien l’orgueil légitime que l’on éprouve à leur sujet.
Je n’irai pas jusqu’à dire que l’on a un immense mérite à choisir ses beaux-parents, puisque l’on obéit alors à des sentiments et à des émotions qui ne doivent pas toujours laisser à la volonté son plein exercice! Mais on peut au moins affirmer que le « OUI » sacramentel des époux comporte tout de même un élément de liberté suffisant pour donner satisfaction aux autorités religieuses et civiles!
Eh bien, tout comme le mariage nous associe à une nouvelle famille et nous donne des parents par alliance, il étend du même coup notre patrie intime. Aussi… tout comme on parle de beaux-parents, de beaux-frères, de belles-soeurs, d’oncles, de neveux et de cousine par alliance, on devrait parler de petite patrie par alliance! Comme on parle de ses beaux-parents, on devrait parler de comté par alliance, de son… « beau » comté!
Et quand je dis mon « beau » comté de Portneuf, c’est, vous l’avez deviné, dans les deux sens du terme. En effet, c’est dans ce comté qu’en 1935, je participais libre, insouciant et célibataire à une campagne électorale. Mais mon autonomie fut victime d’une guerre-éclair à laquelle il me fut impossible de résister. Quoique solidement accroché, je fis une belle lutte sportive. Avec l’énergie du désespoir, je résistai pendant trois ans!
Mais, le 2 juillet 1938, je capitulais sans conditions! Vous avez peut-être eu l’occasion de remarquer que, depuis la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne ne s’est jamais si bien portée, économiquement, que depuis sa capitulation sans conditions. Je vous avoue que, de mon côté, je n’ai pas eu trop à me plaindre du sort qui a été le mien depuis ce complot victorieux contre ma liberté. Et je vous ramène aujourd’hui votre Portneuvienne de 1938 pour que vous puissiez constater sur sa figure sereine les bons effets de ma conduite exemplaire comme mari!
Je n’étonnerai probablement personne – sauf elle! – en vous disant que l’appui qu’elle m’a donné avec un merveilleux et inlassable dévouement a joué dans ma vie un rôle dont je n’aurais pu me passer. À tous les jeunes célibataires qui se proposent un jour de devenir premiers ministres, je n’ai qu’un conseil à donner, mais je crois qu’il est excellent.
Épousez une jeune fille de Portneuf en venant assister au centenaire de votre ville, car il s’agit bien d’une ville aussitôt que seront émises les lettres patentes qui ont été décrétées par un arrêté ministériel adopté il y a quelques jours.
Lorsque votre Conseil a demandé son érection en ville par un bill privé, je lui ai conseillé d’attendre l’application des dernières modifications à la Loi des cités et villes, modifications qui permettent l’incorporation, en certaines circonstances spéciales, de villes de moins de 2000 âmes, et cela sans payer des frais d’environ $2,500 peut-être pour un bill privé de ce genre.
Tout s’est donc passé conformément à la nouvelle loi, et vous voilà citoyens d’une ville exactement cent ans après l’érection canonique de votre paroisse.
Votre premier centenaire se célèbre donc sous les plus heureux auspices et je vous en félicite en vous engageant à commencer votre deuxième siècle avec le même dynamisme que vos fondateurs d’il y a cent ans.
En venant assister à vos fêtes et en jetant mes pensées sur le papier, j’évoquais ce que fut Portneuf il y a cent ans. Il y a un fait de votre petite histoire que je n’ai jamais oublié depuis le jour où ma femme me l’a racontés
Pour élever une église à Portneuf, le zèle et l’enthousiasme collectifs qui furent déployés frisaient l’héroïsme. Non seulement on vit la plupart des habitants charger pour leur part jusqu’à 150 voyages de pierre, non seulement on en vit cinq autres qui ne craignaient pas d’hypothéquer leur terre pour $1,500, mais on vit le curé qui, soutane relevée, chargeait des bateaux de pierre et de tuf sur les grèves de Cap-Santé.
En évoquant cette période de détermination et de sacrifices héroïques, on sent grandir sa fierté, mais en même temps on se pose la question inévitables : Nous sommes fiers d’eux, mais eux, seraient-ils fiers de nous ?
Eh bien, au risque d’en étonner plusieurs, ma réponse ne sera pas la conclusion pessimiste que l’on a l’habitude de donner oratoirement à une telle question.
L’héroïsme et le courage ne doivent pas être des idées figées pour toujours. Tout ce qui est vivant est souple et ces qualités dont je viens de parler s’adaptent au climat où elles fleurissent.
Or, notre climat n’est pas celui qui existait il y a cent ans. Si nos ancêtres vivaient de nos jours, ils seraient des hommes d’aujourd’hui et ils s’adapteraient à leur milieu et leurs vertus non seulement seraient de notre temps mais elles seraient celles dont notre temps a besoin. L’honnête homme d’aujourd’hui, la mère de famille de 1961, tous les êtres de bonne volonté qui, sans ostentation, accomplissent leur devoir avec simplicité, sont tout aussi digne d’admiration que celui qui, dans une circonstance exceptionnelle s’est montré exceptionnellement héroïque. L’important, c’est, non pas de rechercher l’héroïsme, mais d’obéir à l’inspiration du devoir. Cette inspiration peut changer selon l’époque, mais, même si les actes sont différents, le caractère qui les produit possède les mêmes qualités profondes. Si vous aviez vécu au temps de vos ancêtres, vous vous seriez conduits comme eux. Si eux vivaient de nos jours, c’est dans l’exécution de leurs devoirs quotidiens qu’ils feraient preuve des mêmes qualités qui excitent notre admiration quand nous les retrouvons dans l’histoire au lieu de les voir dans notre entourage.
Entre les deux conceptions du devoir, entre l’héroïque et le quotidien, il y a plus qu’une harmonies il y a, je le crois sincèrement, une ressemblance essentielle et, peut-être même, une identité parfaite. Et cette harmonie, cette identité, on doit, je le pense, les rechercher et les transposer dans notre comportement comme peuple. Je crois que tous les extrémistes font fausse route. Je crois que la prudence et le progrès peuvent faire bon ménage dans une conception qui unit à la sagesse du traditionalisme l’audace des conceptions plus nouvelles.
Pourquoi la science politique ferait-elle exception aux autres sciences, aux autres arts, y compris l’art de vivre? Ceux qui font progresser les autres sciences et les autres arts ne sont ni ceux qui s’accrochent désespérément au passé ni ceux qui en font table rase. Ce sont ceux qui savent considérer la tradition non pas comme une momie, non pas comme un fossile, mais comme une force projetée dans le présent et l’avenir.
Je me sentirais désorienté si mon esprit était vide de toute tradition, si je ne sentais clairement remonter en moi toutes les choses du passé dont j’ai la certitude, peut-être naïve mais intense, d’être l’héritier. Mais je me sentirais traître envers ce même passé si je me contentais d’en copier l’image au lieu d’en perpétuer la vitalité.
Ce qui est aujourd’hui tradition fut un jour très moderne et très audacieux. Le véritable traditionaliste a hérité non pas tant du progrès d’autrefois que de la capacité d’en créer un nouveau, adapté aux circonstances présentes et aux devoirs de l’heure, que ce soit en économie, en sociologie ou en éducation.
Ce progrès, que sera-t-il au juste pour nous? En quoi consistera-t-il? J’ignore jusqu’où les moyens que m’a donnés la Providence me permettront d’aller. Je ne sais qu’une chose: j’aime mieux présumer de mes forces que de les mettre trop prudemment – voire lâchement – en veilleuse. Même en marchant avec circonspection, il n’y a plus de temps à perdre, puisque l’enjeu, c’est la réalisation de notre destinée comme groupe ethnique.
Est-ce à moi qu’appartiendra la consolation d’avoir mené la tâche à bien? Je ne me contenterai que d’une satisfaction: c’est la conviction que quelque chose a bougé dans la bonne voie. Et c’est déjà énorme pour un homme de penser qu’il a travaillé, même modestement, pour sa patrie. Un proverbe qui se trouvait dans mon livre de lecture du cours élémentaire m’est resté gravé dans la mémoire: [ » Celui qui a planté un arbre n’a pas passé en vain sur la terre. « ]
Suis-je dans la bonne voie quand je rêve d’une politique qui soit à mi-chemin entre celle des attardés et celle des partisans du changement à tout prix?
Je le pense très sincèrement et si vous voulez bien me le permettre, je vais me servir d’une image très familière mais qui, dans l’inspiration du moment, me paraît assez juste. Vous connaissez ces automobilistes irritants que le langage populaire ne veut même pas désigner d’une expression française et que l’on appelle, sans même prendre la peine de traduire, des [« SUNDAY DRIVERS »] ? Vous connaissez également ceux que l’on appelle les casse-cou ?
Eh bien, il y a en politique des [« Sunday drivers »] et il y a des casse-cou. Il y a ceux qui piétinent sur place et qui exaspèrent tellement ceux qui voudraient arriver à destination, qu’ils causent souvent un accident fatal.
Il y a aussi les casse-cou pour qui rien ne va assez vite en politique. Eux aussi provoquent des tragédies, et comme dans le cas des tragédies de la route, ils ne sont pas les seuls à en souffrir, puisque des innocents paient souvent de leur vie l’audace des irresponsables. Je n’ai pas besoin de m’expliquer davantage: la comparaison saute aux yeux. Les arriérés de la politique sont ceux-là mêmes qui exaspèrent et même provoquent une révolution impatiente, et les révolutionnaires casse-cou ne se soucient pas des innocents qu’ils plongent dans la tragédie.
Voici les réflexions qui me sont venues à l’esprit en pensant au contraste fécond entre le passé et le présent de votre ville. Si vous étiez demeurés comme il y a cent ans, vous seriez un objet de curiosité! Si vous aviez renié le passé, vous seriez des traîtres. Vous avez choisi la voie la plus simple, la plus naturelle, la plus logique: vous avez choisi d’être ce que seraient vos fondateurs s’ils vivaient aujourd’hui, puisque, en somme, chaque époque a droit à son type d’idéal, pourvu que ce soit un idéal.
Je crois, je vous l’ai dit, je crois à la fois au progrès et à la tradition. Je crois surtout en un progrès qui était contenu en puissance dans la tradition et qui en découle tout naturellement. Je crois en un idéal qui est l’anticipation d’un ordre plus fécond que celui que l’on connaît déjà… en un idéal qui est une généreuse émulation à détruire l’injustice… en un idéal, enfin, qui est l’espérance indestructible de préparer un monde plus logique où l’homme trouvera de plus en plus facilement les moyens de réaliser sa vocation terrestre et sa vocation surnaturelle.
[QLESG19610802]
[Hon. Jean Lesage. Premier ministre L’Association parlementaire du Commonwealth (Section canadienne) Québec. mercredi le 2 août 1961 Pour publication après 1800 P.M.. le 2 août 1961]
C’est avec grand plaisir et beaucoup de fierté que je souhaite aujourd’hui la bienvenue aux délégués de la section canadienne de l’Association parlementaire du Commonwealth. Comme Premier ministre de la province, je suis flatté que votre conférence se tienne chez nous et soyez assurés que mes collègues de l’Assemblée législative, de quelque parti qu’ils soient, partagent mon sentiment à cet égard. Comme citoyen et député de la Vieille Capitale, je suis heureux de votre présence. Je pense que vous aimerez notre ville et que vous en goûterez le charme. Ceux d’entre vous qui viennent ici pour la première fois verront vite que, pour ses habitants, Québec est beaucoup plus qu’une ville. Québec a une valeur de symbole. C’est par Québec que la civilisation occidentale a fait son entrée dans le territoire qui devait devenir le Canada; c’est par elle aussi que la culture française s’est établie dans notre pays et c’est en grande partie grâce à elle qu’elle a pu y survivre. Par son existence même, notre cité a en quelque sorte pris figure de monument élevé à la fidélité qu’éprouve le peuple canadien-français pour ses origines et ses institutions.
[Québec, however, is not just the capital of our province. It is one of the great cities of our country and is part of the common héritage of all Canadians. It is also one of the cities of our Commonwealth and its citizens are happy to welcome the delegates to this meeting.
I would like to take advantage of this opportunity that I have been giv’en of speaking to you, to express the hope that the gathering that you are holding in our city will be a mort profitable one. I am no,t expressing this hope merely as a polite way of welcoming ypu here. Through your work, you are helping the cause
of democracy, and as a result, all the people in the world may eventually gain something from your discussions. I won’t go so far as to say that your meeting will settle the fate of the world. Your immediate aim is lesa ambitions, but it is nevertheless a very important one.
As you know, Canada’s traditional role in Commonwealth affaire has been one of leadership, assistance and co-operation.
Our fellow-members from all over the world know that we have « no axe to grind » and that we have always given unbiased advice and help whenever we have been asked. In this modern age, parliamentarians in the Commonwealth and in Canada face a greater challenge than ever before. To-day, a member of parliament is
weighed down by heavy responsibilities at the local, provincial and federal levels, and thie meeting in Quebec could lead to important reforme affecting Senatore and Legislative Councillors, as well as members of parliament and legislative assemblies.
e
The parliamentary system, like any man-made institution, is in a constant state of evolution. It was not perfect when it began, and it is not perfect to-day, and being familiar as you are with the normal human endeavour to strive for perfection, you and I naturally corne to realize that the parliamentary system never will be perfect. Nevertheless, in spite of its shortcomings, I think that it would be difficult to find a form of government that has a greater respect for the dignity of the individual or which offere better protection for the rights of the citizen.
There is, however, one indispensable condition attached. Before the parliamentary system can give the resulte that we can expect to derive from it, it must be set up within a democratic framework. We forget all too often that parliamentary government is an institution and a form of government. Parliamentary government la not necessarily democracy, because democracy is a way of
life as well as being a form of government. We all know of countries where a form of parliamentary government existe, but where democracy
is conspicuous by its absence. We ail know of countries where the citizens may exercise their right,to vote, but where there is no true democracy. In this case, of course, the right to vote is fictitious, but the fart remains that these countries have a parliament or an institution resembling one, and they sometimes even have political parties. In some ways these countries may appear to be
democratic, but they do not have a democratic spirit. Democracy does not exist as an abstraction. It materializes in human institutions and is expressed through collective behaviour. As a result, it can be easily distorted and can be easily misrepresented. The democratic way of life is never fully acquired. The degree of liberty that it gives to the individual can, in certain cases, lead to abuses that may bring about its graduai decline and abandonnent. Undesirable and unscrupulous elements can take advantage of circumstances and undermine the confidence of the people in democracy. You know as well as I do that these things have happened, and that even those countries which have a strong tradition of a democratio way of life are never completely free from this danger.]
Car, il ne faut pas oublier que l’espèce humaine est encore à faire l’apprentissage de la démocratie. Lorsque l’on considère l’histoire de l’humanité, l’on est bien obligé de conclure qu’elle vient à peine de sortir de l’époque du despotisme, de l’autoritarisme, de l’arbitraire. Ce qui est plus grave, c’est que des nations entières n’en sont pas encore libérées. Au lieu donc de prétendre comme certains le font trop souvent que l’expérience démocratique n’a pas réussi, il convient plutôt de s’efforcer de vivre d’abord cette expérience. Rares sont, encore aujourd’hui, les pays où la démocratie authentique, comprise dans le sens où nous entendons habituellement ce terme, a pu être réalisée. Il n’y a à cela rien d’étonnant car, pour qu’elle existe vraiment, il faudrait que l’être humain réussisse à vaincre certains des automatismes, certains des comportements naturels qu’ont créés chez lui des siècles de lutte brutale pour la vie. Le souci du bien de la communauté, le respect de l’opinion des autres et des droits de ses semblables sont des réactions relativement nouvelles de l’être humain. D’aucuns diront que la nature humaine est telle que jamais la démocratie réelle ne pourra être intégralement vécue. Cela est bien possible, mais ce n’est pas une raison pour croire qu’on ne peut se rapprocher de cet idéal. Aucun médecin par exemple ne croit qu’il réussira à vaincre la mort; pourtant, aucun médecin n’abandonne la lutte pour la santé.
À l’heure actuelle, plusieurs nations jouissent de régimes démocratiques même imparfaits. Ce sont ces premières expériences de la démocratie qu’il faut s’efforcer de protéger, de faire comprendre et de rendre encore plus efficaces. Chaque peuple a sa façon bien à lui de vivre en démocratie. Ce régime de gouvernement, même s’il repose sur les mêmes principes fondamentaux partout dans le monde, s’actualise chez des peuples dont la culture, le tempérament et l’histoire diffèrent. Il n’existe pas d’après moi de comportement démocratique unique et valable pour tous les pays; j’admettrai cependant qu’un même esprit, qu’un même idéal, avec tout ce que cela suppose, doit animer tous les régimes qui se disent démocratiques.
Je le répète, la cause de la démocratie n’est jamais définitivement gagnée. Elle demande une vigilance constante et ne sera authentiquement réalisée qu’à deux conditions essentielles. D’abord, il est nécessaire de promouvoir constamment la cause du parlementarisme et de se rappeler que celui-ci ne peut être sain que comme instrument de progrès pour l’ensemble de la communauté et non comme gardien des intérêts particuliers. En effet, le gouvernement doit s’efforcer d’augmenter le bien-être de toute la population; il ne peut être au service de groupes de pression qui canaliseraient à leur avantage la législation qu’ils réussiraient à lui faire adopter. Lorsqu’une administration publique oublie ou néglige de se conformer à cette règle de conduite, elle éloigne le jour où pourra se réaliser un régime démocratique véritable.
[Furthermore, public opinion should be wellinformed,
wide awake and even exacting. I would say that
this requirement is even more important than the former for the safeguarding of democratic institutions. When the people take no interest in the work of its government, when the legislation that is drawn up dosa not create any reaction that is either favourable or unfavourable, the administration’ feels alone and forgotten. Or rather, it feels that it is no longer being watched by those to whom it is responsible for its actions. The administration can easily get the impression that it is being left to work in its own way in a sphere of activity that is of no interest to anyone. I say that it is then that the danger of abuse becomes great; the party in power, particularly if it is not deeply convinced of the value of the democratic way of life, may end by no longer being able to distinguish between party and government. If this heppens, favouritism, nepotism, the use of influence and arbitrary measures arise quite naturally, and the cause of true democracy loses ground. Every democratic government in the world is exposed to the risks that I just mentioned. The Government of Quebec is not exempt from these risks any more than those of the other provinces. Like them, the Government of Quebec is taking the necessary steps to ease tke progress of true democracy. It is also doing its best to restore the dignity of public office, and to create, through education and culture, a better informed public opinion.
To me, it only seems right that a gathering such as the one that you are holding in our province should, in addition to strenghtening the parliamentary system through your discussions and reflections, contribute to the enlightenment of public opinion. It will give, I am certain, to the people of Canada an awareneas of the great advantage that the western peoples have of living under a form of government that respects fundamental human liberties. In one way, we beconie accustomed to it too easily. We forget the long hard road that the human race had to travel to get where we are to-day, and we
also forget the long road that is still ahead.
As Premier of Quebec, I am particularly happy to have
you here, because the government which I have the honour to direct
is — at this very moment — bending every effort towards the building and strengthening of democratic institutions in the province.
One again, I bid you welcome and express the fervent wish that your discussions will have met with all the success that their importance to our parliamentary form of government justifies.]
[QLESG19610803]
[L’Association parlementaire du Commonwealth (Section canadienne)
Assemblée Législative jeudi le .Jag 1 61 Pour publication après 10:30 A.M.
Hon_ Jean Lesage, Premier ministre le 3 août 1961 ]
Hier, j’avais le grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue dans notre capitale. Aujourd’hui, je suis heureux
de vous accueillir à l’Assemblée législative. Comme Premier ministre de la province, je tenais à ce que vous visitiez notre parlement.
Il y a quelques semaines à peine, l’endroit où vous vous trouvez maintenant bourdonnait d’activité, Nous terminions une des plus longues sessions qu’ait connues la Législature. Elle fut, je crois, l’une des plus remplies et, – dois-je ajouter, sous peine de me faire accuser de vantardise – une des plus fructueuses.
J’aurais vraiment aimé que vous assistiez au moins à quelques-unes des séances que nous y avons tenues pour vous rendre compte par vous-mêmes de la façon dont elles étaient conduites. Si je m’exprime ainsi, c’est que l’administration provinciale du Québec évolue dans un cadre que les circonstances historiques lui ont donné sans qu’elle ait elle-même à en déterminer tous les détails.
Je m’explique. Comme vous le savez, la grande majorité de la population du Québec est d’origine canadienne-française. Il en est naturellement de même des représentants qu’elle élit. Cependant, notre régime parlementaire est de type britannique. On pourrait ainsi être porté à croire que, lorsque le député canadien-français siège à l’Assemblée législative, il se trouve à l’intérieur d’une structure parlementaire qui lui est étrangère et à laquelle son tempérament est mal adapté. Pourtant, tel n’est pas du tout le cas, car le peuple canadien-français a non seulement su s’habituer à des institutions d’origine britannique, mais il les a littéralement acclimatées.
La population les accepte d’ailleurs comme siennes. Personne par exemple ne songe à proposer que notre régime parlementaire soit radicalement modifié ou qu’il soit remplacé par un autre. Nous apprécions celui que nous avons parce qu’il a su permettre à notre peuple, même à l’intérieur d’une institution transplantée ici, de se gouverner comme il l’entendait et de se donner les lois qu’il désirait.
[There is nothing to be astonished about the fact that
the only population in North America of which the majority is Frenchspeaking was able to adapt itself to the British form of parliamentary government. History is full of similar antitheses, and particularly contemporary history, where population shifts take place so often and so frequently, and where communications are being speeded up more and more. The process of adaptation, for adaptation there ie, does not always take place without some difficulties, but it does, eventually, take place.
The most striking thing about French Canada is the almost total absence of these difficulties and sudden impulses that often appear when new institutions are established in a place where there is the ultimate possibility that they will
result in causing changes. I will not go so far as to say, as others have dons before me by misquoting a saying and twisting its meaning, that we are « a people without history », but the fact is that ve do not have « a history of violence ».
Historians and sociologiste will probably ses in this the recuit of the influence of British institutions on our people, institutions sufficiently flexible for people to become adapted to them little by little, but institutions, nevertheless, that are authoritative in their structure. On the other hand, I dont think
• that this is the principal reason for a growing people to have behaved so well. I believe, on the contrary, that it has seldom been necessary for us to resort to violence in
the course of our history. The French Canadians have been able to make the mort of their rights and have been able to defend them through the workings of these came institutions that they adopted.
They learned to use the British form of parliamentary
9b government et the same time as they learned the meaning of the democratic way of life. They accept this form of government today, and in it they can ses one of the reasons for their survival in this part of the world where they form only a minority. As for the democratic way of lite, it is the crystallization of their innate sense of s.*cial and political justice. For amongst the French Canadiens, injustice, oppression and arbitrary conduct have always produced what.I would cala an instinctive reaction. As a national minority, they understand minority peoples whose rights are knowingly or unknowingly neglected. I will even go as far as to say thet they have a sort of natural instinct to sympathize first and foremost with the victime of what appears to be an injustice. Anyone who has had the experience of suffering injustice ia able to associate himself, morally at least, with those nations of the world whose deep aspirations are not respected.
I could say a great deal about these « deep aspirations ». In French Canada we often epeak about our own deep aspirations, and we are doing our utmost to realize them. We are equally proud of our cultural heritage and what we call our « own characteristics »; they give us a character of our own and make a definite contribution te that « Canadian accent » which distinguishes the citizens of our Canada from our neighbours to the south.
One of our characteristics which vreates the greatest impression upon foreign observera is the way that Quebec’s political life expresses itself, even within the framework of the British parliamentary system. I would say that we have remained « typically Latin ». We like political life and political struggle. Very few of our people remain indifferent to these two thinga, as
can be seen during the election campaigns that take place in our province from
time to time.
As you know, the French-Canadian people like to argue, discuss, and exchange opinions. There is probably nothing that they appreciate more than freedom of speech, and they would find it very difficult indeed if they were deprived of it.
I firmly believe that the Members of Parliament share
this sentiment and react in the saure way as their fellow citizens who elect them. Everybody agrees to the fact that the sittings of our Legislative Assembly are often very lively. Believe me, my friends, – and I apeak from experience – there are members of each party who take it upon themselves to keep them that way: Those who have something
to say like to say it; those who do not agree there are always some Z want to make sure that the public and their opponents know about it. There follows, as you can well imagine, exchanges — which are often noteworthy for the strength and originality of the expressions used. We like to prove, disprove, and convince the member toppositel that he really should never have stood up to make proposals or to pass remarks which at least this is what every member believes – the truth contradicts so brutally! And there you are. When one is sure that one is right, – it is very difficult, in fact it is really heroic,
to have to wait patiently until someone who is making a long (and obviously wrong statement) has finished expressing his views. And then the old Latin spirit – always on the look out for an opening at any meeting of Quebecers – comes to the surface to make rejoinders or short interruptions which have the knack of turning the most pompous speeches into oratical disasters.
In my opinion, we should not be misled by all this and say that the rules of parliamentary procedure are not respected in this province. We must accept the Latin temparament as it is and remember that the rules of parliamentary procedure were never designed to prevent Legislative sessions from being lively.
I really feel that by carrying on in this way, the French Canadian is showing to what extent he believes in democratic procedure and how much he has assimilated it. We see the same
phenomenon not only at political meetings but everywhere that public discussions are held. Everyone has the right to’express his opinion, but each one of us must expect to be disagreed with.]
Des attitudes comme celles dont je viens de parler ne sont pas à mon sens étrangères à la conception que les Canadiens français ont de l’autorité. En effet, j’ai bien l’impression, si j’en juge par mon expérience de député et
de premier ministre et par celle de mes collègues, que celle-ci au Québec s’exerce d’un commun accord entre celui qui commande et celui qui exécute. Je veux dire par là que le Canadien français sera prêt à se conformer aux désirs de ceux qui détiennent l’autorité pour autant que celle-ci ne s’exercera pas arbitrairement et qu’il sera convaincu du bien-fondé de ce qu’on attend de lui. Avant d’agir, il demande en quelque sorte à être persuadé que les actions qu’on réclame de lui sont rationnelles et sont justifiées par un respect bien compris du bien de la communauté. Lorsque, au contraire, on veut lui interdire telle ou telle action, il aime bien à savoir pourquoi. En d’autres termes, le Canadien français comprend mal l’obéissance aveugle; il n’est pas porté au fanatisme. Il prend difficilement au sérieux ceux qui lui semblent se prendre au sérieux: Il a moins le sens du solennel que celui de l’humain. L’homme politique du Québec, le personnage public, lorsqu’il est au milieu de ses concitoyens, se sent accepté d’eux moins comme représentant de l’autorité civile que comme ami. On sera enclin à le trouver d’autant plus sympathique, qu’il sera moins distant. On l’aimera d’autant plus qu’il se considèrera l’égal de ceux avec qui il se trouve.
Je pense être justifié de dire qu’en général le héros désincarné et inaccessible ne plaît pas au Canadien français! Au contraire, ce dernier trouvera attachant l’homme honnête et dévoué, le citoyen qui, sans être parfait, a néanmoins le sens du devoir, de la responsabilité et de l’idéal.
[It seems to me that the French-Canadian people, in fact, corne to realize that their form of parliamentary government encourages the broadening of these qualities amongst those’of its citizens who are called to public life. It constitutes a framework vithin which the democratic way of life that they have assimilated has found a means of expression. Evidently, as I was saying a few moments ago, our people have transformed pariiamentary government through their use of it. They have not transformed its spirit, but they have transformed its application, and have made it conform to
their own cultural characteristics.
Through our ability to adopt an institution such as this, as well as to appreciate the intellectual and material achievements of other nations, while at the time remaining resolutely faithful to our past, we too have become a modern nation. To-day we are proud of what we have succeeded in becoming. We can now hope that to-morrow, those who corne alter us vill be proud of what we shall have permitted them to be.]
[QLESG19610803a]
[Etudiants des Cours d’été de Laval
Château Frontenac, jeudi le 3 août 1961 Pour publication après 5:00 P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier ministre le 1 août 1961 ]
Il m’est impossible d’imaginer un groupe plus sympathique que celui que vous formez. Ce qu’il y a de plus noble dans l’homme, c’est son désir de perfectionnement, et ceux qui y donnent libre cours au point de lui sacrifier une partie importante de leurs vacances méritent toute notre admiration.
Je dis admiration quand j’aurais dû dire envie. On envie ceux qui sont heureux et il me semble qu’il y a peu de joies sur terre qui soient supérieures à celle de comprendre.
À mesure qu’il me devient de plus en plus impérieux de juger les hommes avec autant de sûreté que possible, je me rends compte que le barème le plus efficace, c’est de se fier à la largeur d’esprit et à la capacité de comprendre. Je ne sais pas si la nature dont on disait autrefois qu’elle avait horreur du vide a horreur de la stagnation. Mais une chose est certaines la nature est impitoyable à la stagnation. Pour durer, il y a une condition essentielle que les hommes et les institutions doivent remplir: c’est de demeurer jeunes… d’une jeunesse qui n’a rien à voir avec le calendrier, mais plutôt avec une certaine attitude intellectuelle. Pour vivre pleinement, il faut une fraîcheur d’esprit qui se traduit par un appétit insatiable de savoir, par une constante adaptation au milieu, au climat, aux phénomènes de l’heure.
Je n’ai qu’un souhait à vous faire pour votre bonheur et peut-être le mien: tachons de demeurer toute notre vie jeunes étudiants.
Je vous remercie d’avoir choisi Québec et Laval comme site de vos études de vacances, mais je crois que Québec et Laval ont été à la hauteur de l’honneur que vous leur avez fait et de la confiance que vous leur avez manifestée. Nous sommes très fiers des réalisations de l’Université Laval et de la façon dont elle comprend et remplit sa mission de servir la culture dans un rayonnement aussi étendu!
À ceux qui, plus particulièrement, venaient parfaire ici leur connaissance du français, permettez-moi de dire avec un orgueil légitime que nous croyons vraiment les avoir servis en leur apprenant à mieux utiliser le merveilleux instrument qu’est la langue française pour le travailleur intellectuel. J’espère que vous n’oublierez jamais la route qui mène à Québec. Nous avons été ravis de vous accueillir et nous espérons que le souvenir que vous conserverez de nous sera tellement agréable et tellement vivace que vous ne laisserez jamais l’herbe croître sur le chemin de l’amitié.
[QLESG19610810]
[Centenaire de Victoriaville,
Jeudi, le 10 août 1961, Pour publication après 8s00 P.M. Hon. Jean Lesage Premier ministre le 10 août 1961]
Chaque fois que j’entends prononcer le mot centenaire, je ne peux m’empêcher de penser à
Léon XIII à qui un jeune prêtre souhaitait de vivre cent ans: Mon fils, lui dit doucement le pape, ne fixons pas de limites à la bonté de Dieu. Ne fixons pas non plus de limites aux dons qu’il vous a si généreusement versés, car il ne faut pas oublier une choses un centenaire n’est pas un point d’arrivée mais plutôt un jalon qui marque un nouveau départ.
Depuis le début de ma visite ici, je ne cesse d’être en proie à un sentiment que je ne réussis pas à nommer, parce qu’il est composé en réalité de plusieurs sentiments. Il est fait de vénération, de respect et de reconnaissance pour le passé … d’admiration pour le présent … et surtout de confiance sereine dans l’avenir.
Tout ici vous est sujet d’orgueil comme tout est, pour vos visiteurs, sujet d’envie.
Il est évident que tous les patriotismes, que ce soit celui du Canadien, de l’Anglais, du Français, de l’Italien, du Chinois ou du Russe, sont légitimes. Il faudrait avoir le coeur et l’esprit bien malades … même viciés … pour ne pas aimer le sol où nos racines ont puisé leurs nourritures. Cependant, rares sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir une petite patrie aussi attachante que la Reine des Bois-Francs. Oui, tout, je le répète, vous est sujet d’orgueil. Non seulement votre passé, non seulement la ténacité de vos fondateurs, leur courage et leur foi, mais aussi la façon dont vous avez appris la leçon du passé pour demeurer dignes de votre héritage.
Abraham Lincoln disait: [ Je m’inquiète peu de ce qu’était mon grand-père je m’inquiète plutôt de ce que sera mon petit-fils.]
Je crois, pour ma part, qu’il y a moyen de concilier le culte des ancêtres avec l’émulation de continuer leur oeuvre. Songez que si vous célébrez aujourd’hui votre centenaire, vos descendants par contre se réuniront dans un siècle d’ici pour vous honorer vous!
Peut-être vous demandez-vous avec une humilité fort sympathique mais, j’en suis sûr, excessive, peut-être vous demandez-vous si vous mériterez alors d’être mis sur le même pied que vos fondateurs?
Pour ma part, je crois que le devoir quotidien, simplement et courageusement accompli, est l’une des plus admirables, l’une des plus efficaces et, surtout, l’une des plus méritoires manifestations de la véritable noblesse de caractère. Je crois puisque « Bon sang ne peut mentir » que si vous êtes fiers de vos pionniers, vos descendants sauront, à leur tour, être fiers de ceux qui auront alimenté et transmis la lampe du progrès.
La lampe du progrès: Voilà une image qui acquiert une signification tout à fait éloquente ici, puisqu’elle se retrouve dans vos armoiries même. Cette lampe allumée est un symbole émouvant de l’importance que vous attachez à l’éducation.
Ai-je besoin de vous dire combien mes collaborateurs dont votre dévoué député, combien mes collaborateurs et moi-même sommes ravis et touchés de nous trouver en harmonie de pensée avec vous à ce sujet? Nous sommes convaincus qu’on ne peut pas être patriote sincère … qu’on ne peut pas aimer réellement son pays, sa province, sa ville, son village ou son lopin de terre, si l’on ne fait pas de l’éducation le premier de ses soucis.
Se désintéresser de l’éducation, c’est croire que la patrie ne compte qu’aujourd’hui, parce que c’est aujourd’hui que l’on vit! Se désintéresser de l’éducation, c’est croire que la seule importance de la patrie, sa seule raison d’être, consiste dans les avantages qu’elle procure! Se désintéresser de l’éducation, c’est croire que des intérêts mesquins et immédiats sont supérieurs à la vision généreuse d’un idéal.
Et l’on n’est pas digne du passé en se contentant de le prolonger; il faut le dépasser! Parce que, ne l’oublions pas, la leçon de l’histoire est là quand les hommes ne se décident pas à avancer, ce sont les événements qui décident à leur place d’avancer: Et alors, les conséquences deviennent tragiquement imprévisibles puisque les événements aveugles ne sont pas, comme l’homme, soumis à la raison et à la mesure. Le nageur qui est entraîné par un courant ne peut plus choisir lui-même le rythme de sa course.
Par contre, penser à l’éducation, c’est penser à la grandeur future de sa patrie; c’est vouloir cette grandeur digne du passé.
Des amoureux platoniques du passé nous ont accusés d’aller trop vite, tout comme des partisans du changement à tout prix nous ont accusés d’aller trop lentement. Non seulement ces critiques se détruisent l’une l’autre, mais elles forment le plus beau compliment que nous pouvions souhaiter. Je dis « le plus beau compliment » pour l’éloquente raison qu’il est involontaire!
Pendant deux siècles, le Canadien français a été fort justement obsédé par l’idée de sa survivance. Toutefois, quand on contemple des réalisations comme celles qui se dessinent un peu partout et comme il en foisonne dans votre admirable ville, on se rend compte combien dépassée et combien futile est devenue la crainte de disparaître.
Il ne s’agit plus d’avoir peur mais de prendre résolument sa place au soleil. Il n’est pas question de survivre, mais de vivre. Et vivre, c’est lutter, c’est progresser, c’est non pas calquer servilement le passé – c’est matérialiser le rêve qu’il contenait.
De la sorte, nous prouverons que ce ne sont pas des oeillères que nous avons reçues en héritage du passé non, c’est une vision lucide et courageuse des phénomènes sociaux modernes. Voilà des pensées qu’il est non seulement facile mais tout simplement naturel d’exprimer dans une ville aussi vouée au progrès qu’est la vôtre … et voilà pourquoi également, si tout le monde vous félicite de vos cent ans, voilà pourquoi j’ai tenu, pour ma part, à venir spécialement ici pour vous féliciter … de votre jeunesse!
[QLESG19610826]
[Shawinigan. le 26 août 1961
25e Anniversaire de la Fédération des Chambres de Commerce des Jeunes de la province de Québec]
C’est toujours avec un immense plaisir que j’accepte d’adresser la parole à des groupements de jeunes. Je ne dis pas cela seulement par politesse, car j’exprime un sentiment vraiment sincère. Je suis heureux d’être au milieu de vous et je remercie ceux qui ont pensé à m’inviter.
Vous fêtez présentement le 25e anniversaire de la fondation de votre Fédération. Vingt-cinq années, c’est un quart de siècle, et un quart de siècle, dans la vie d’un homme, c’est beaucoup. Mais lorsqu’il s’agit d’un organisme comme le vôtre, un quart de siècle, ce peut être ou bien une très longue période, ou bien un très court laps de temps. Tout dépend de ce qui s’est passé durant ces vingt-cinq années. Si cette période en a été une d’inactivité, si elle n’a pas permis une évolution toujours nécessaire, si elle n’a pas été marquée, au moins par moments, d’un renouveau créateur, alors elle apparaîtra longue. Si, au contraire, ces vingt-cinq années ont donné lieu à de nombreuses réalisations, si elles ont été fertiles en innovations dont toute la communauté a bénéficié, si en somme elles ont permis à un mouvement de remplir, ou au moins de commencer à remplir, la mission que lui avait confiée ses fondateurs, alors un quart de siècle c’est bien peu. Car, lorsqu’on travaille, lorsqu’on pense et surtout lorsqu’on atteint les buts qu’on s’est fixés, le temps passe vite. Il peut même sembler s’écouler trop vite, car le temps manque pour réaliser tous les projets mis de l’avant par des membres dynamiques.
J’ai bien l’impression aujourd’hui que la Fédération des Chambres de Commerce des Jeunes de notre province a dû trouver le temps court depuis 1936 : Elle n’a certainement pas végété puisqu’ elle groupe aujourd’hui plus de 10000 membres actifs, répartis dans 155 Chambres différentes. Vous rendez hommage, ce soir, à vos anciens présidents provinciaux et à votre Bureau des Dix. J’imagine, surtout pour vos présidents d’il y a une dizaine, une quinzaine et une vingtaine d’années, qu’ils doivent être fiers de ce que le mouvement Jeune Commerce est devenu, de l’expansion qu’il a prise dans tous les milieux et dans toutes les régions de notre province. Le véritable hommage que vous leur rendez, c’est d’être aussi vivants, aussi actifs, – en un mot, aussi présents que vous en donnez la preuve à tous ceux qui vous observent. Je ne sais pas combien vous êtes ici ce soir certainement plusieurs centaines; pour qu’une organisation de jeunes réussisse à réunir autant de convives, il faut une conscience peu commune de la
participation à un même corps, il faut un esprit de cohésion qu’à mon sens on ne retrouve pas assez souvent chez un peuple comme le nôtre, qui conserve beaucoup de traces de l’individualisme latin. Un tel esprit de corps ne peut exister que s’il a été façonné par une collaboration constante des membres à des tâches communes et à la réalisation d’objectifs compris et voulus par tous. Cette volonté unique de servir la communauté dans laquelle il s’insère, le mouvement Jeune Commerce la possède à un rare degré; elle a permis à votre Fédération non seulement de durer un quart de siècle – ce qui serait déjà remarquable pour un groupement de jeunes – mais aussi d’agir, de progresser et d’être utile.
Si, à l’occasion de votre anniversaire, quelqu’un d’étranger à votre mouvement essayait de faire le bilan de votre action au cours des vingt-cinq dernières années, il rencontrerait peut-être certaines difficultés car vos réalisations ne sont pas toutes immédiatement perceptibles à l’oeil. Lorsqu’un gouvernement veut parler de ses réalisations à lui, cela lui est beaucoup plus aisé; il peut se servir de statistiques, montrer des routes, des ponts, des édifices. En d’autres termes, l’action d’un gouvernement peut souvent avoir des résultats matériels évidents, tandis que votre action à vous ne se situe pas, comme telle, au niveau des manifestations concrètes. Je dirais qu’elle les transcende et, d’une certaine façon, qu’elle les dépasse. Si, pourtant, comme il arrive, votre action provoque de tels résultats d’ordre matériel, c’est surtout parce que votre mouvement a donné une impulsion initiale à un processus parfois long et laborieux.
En effet, chaque Chambre de Commerce des Jeunes dans le milieu où elle se situe est, selon moi, d’abord et surtout une source d’initiatives. Et si elle est une source d’initiatives, dont les résultats peuvent être concrets, c’est parce qu’elle constitue un ferment d’idées neuves. Votre rôle, comme membres de l’une ou l’autre de ces Chambres, n’est pas surtout de faire vous-mêmes, mais d’agir de telle sorte que quelque chose se fasse.
Vous avez une devise qui dit: « Le progrès par l’étude et l’action ». Je pense qu’elle résume admirablement bien votre raison d’être. Vous recherchez le progrès, celui de votre communauté et le vôtre comme membres d’un organisme communautaire et vous y arrivez par l’étude et l’action. Cependant il ne s’agit pas de n’importe quelle étude et de n’importe quelle action. Votre étude est plutôt une réflexion intelligente sur les problèmes de votre milieu, et votre action réside plutôt dans les suggestions et dans les solutions que vous pouvez formuler après vous être familiarisés avec les problèmes auxquels votre communauté fait face. Ces suggestions, vous les faites à ceux qui, par les pouvoirs qu’ils détiennent, sont en mesure de les appliquer ou de les adapter: conseil municipal, commission scolaire et combien d’autres groupements publics et privés. Naturellement, vous devez d’abord agir dans votre propre milieu, dans votre propre localité, mais ne croyez pas pour autant que vous devez vous en tenir à cela. Nous vivons en démocratie et les gouvernements non seulement tolèrent, mais souhaite entendre la voix dos jeunes. C’est du moins l’avis de celui que j’ai l’honneur de représenter, et à titre de Premier ministre, je puis vous assurer que vous trouverez toujours chez mes collègues et moi-même, une oreille attentive.
Le fait d’être une source d’idées et d’initiatives, dans un milieu donné, n’est pas une tâche facile, ni de tout repos. Car les idées que vous avez à émettre doivent être neuves et les idées neuves ne sont pas toujours bien acceptées par ceux qui considèrent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comme disait quelqu’un: « Les idées neuves, ça dérange.' » Eh oui: « ça dérange », comme c’est d’ailleurs le cas dans l’industrie lorsque des moyens de production plus conformes aux exigences modernes remplacent des techniques périmées. Ce genre de « dérangement » est la condition même du progrès économique et social, lequel, comme vous le savez, est fondé sur le dépassement perpétuel des positions acquises par des positions nouvelles.
Chacune des Chambres locales de votre Fédération dans son milieu propre doit donc être en quelque sorte une « cause de dérangement ». Il ne s’agit pas évidemment pour vous de troubler la paix publique – ce n’est pas ce que j’entends ici par « dérangement » -, mais plutôt d’être par votre présence et surtout par votre action une sorte de défi constant à une certaine quiétude, à un certain conservatisme stérilisateur où s’enlisent les initiatives et où se perdent les énergies. En somme, votre rôle est moins de protéger ce qui existe, que de préparer ce qui vient. Vous êtes jeunes, et ce serait vraiment désolant s’il fallait qu’un mouvement comme le vôtre consacre le plus clair de ses efforts à la conservation, plutôt qu’à la création. D’ailleurs, ne vous inquiétez pas: la cause de la conservation a déjà beaucoup de partisans et d’adeptes. Il n’est que normal – et souhaitable – que, pour votre part, vous vous attachiez plutôt à celle de la création. Il en résultera un équilibre salutaire car, dans toute société, le véritable danger est
bien moins l’accélération voulue que la stagnation inconsciente. Et votre groupement, par sa structure et sa raison d’être, est l’ennemi par excellence de la stagnation inconsciente.
Bien entendu, en vous opposant au danger permanent qu’est l’immobilisme social, il se peut que vous fassiez des erreurs, que vous alliez trop loin. Il y a là un risque à courir, mais c’est le risque que courent tous ceux qui veulent agir, dans quelque domaine que ce soit. Mais je pense qu’il vaut mieux se tromper en essayant au moins de faire quelque chose, que de s’imaginer avoir raison en ne faisant rien. Pour cela, j’admets qu’il faut une certaine dose de courage, mais j’ai tout lieu de croire que cette dose de courage vous l’avez. L’appartenance à un mouvement comme le Jeune Commerce fournit aussi, d’après moi, une occasion unique d’acquérir une formation de citoyen responsable et averti. Vous dites vous-mêmes, dans une de vos devises, que la formation est une « source de progrès ». Le travail que vous faites en groupe, les démarches que vous accomplissez, la nécessité dans laquelle vous vous trouvez constamment de connaître votre milieu, les discussions qui animent vos réunions tout cela à mon sens, constitue un magnifique apprentissage de la démocratie.
Vous ne devez pas vous objecter à l’expression « apprentissage ». Elle ne signifie pas que vous apprenez ce qu’est la démocratie et ce qu’elle comporte, alors que les autres le savent déjà. Au contraire, elle veut dire que vous, vous avez la chance de vous pénétrer des avantages et des exigences du mode de vie démocratique, alors que beaucoup d’autres n’en ont pas l’occasion. Car la façon de vivre démocratique, ce n’est pas quelque chose qui est acquis à la naissance, du seul fait que vous venez au monde dans un pays dont le régime politique permet et protège la liberté individuelle. Elle est plutôt un mode de vie qui se comprend à l’expérience et qui s’apprécie à l’usage.
La démocratie, comme je viens de le dire, a ses exigences. Une des plus importantes est la participation consciente du citoyen à la chose publique. Le simple exercice du droit de vote ne suffit pas. Le citoyen n’a pas rempli son devoir s’il se contente seulement d’enregistrer périodiquement son vote en faveur de tel ou tel parti et surtout s’il croit que le gouvernement est la responsabilité exclusive de ceux que l’électorat a favorisé. On dit souvent – mais on l’oublie en pratique tout aussi fréquemment que ceux qui sont élus ne sont que les mandataires du peuple et qu’ils devront lui rendre des comptes. Mais si, par contre, ceux qui sont élus ont l’impression nette que le public se désintéresse du travail qu’ils essaient d’accomplir, ils en viendront graduellement à la conclusion que le gouvernement est de fait leur responsabilité à eux seuls. Ils pourront même finir par penser que ceux qui continuent à leur faire des suggestions ou à leur indiquer les lacunes de la législation ou de l’administration outrepassent leurs droits.
Des organismes comme le vôtre empêchent justement ce danger de se matérialiser, puisqu’ils favorisent la compréhension des problèmes auxquels il faut trouver des solutions et puisqu’ils canalisent vers les législateurs les suggestions éclairées de leurs membres. En un mot, par votre action, vous contribuez à créer et à soutenir une opinion publique intelligente et éveillée. Et l’opinion publique que vous nourrissez a ceci de remarquable qu’elle n’est pas guidée par des intérêts égoïstes et qu’elle ne vise pas à la réalisation d’objectifs particuliers. Ce que je dis maintenant est d’ailleurs vrai d’un bon nombre de groupements fondés dans le même esprit de service à la communauté que les Chambres de Commerce des Jeunes. Une telle opinion publique, informée et capable de s’exprimer en toute liberté, est aussi nécessaire au mode de vie démocratique que, par exemple, la consultation populaire périodique que sont les élections. Nous avons conscience qu’il se forme actuellement une opinion publique de ce genre dans le Québec et le gouvernement de la province en est heureux. Nous voulons, et surtout nous espérons, qu’elle continuera désormais de se manifester aussi clairement qu’elle a commencé à le faire.
Selon moi, l’opinion publique a deux moyens principaux d’expression. D’abord la presse, y compris des canaux de communication comme la radio et la télévision; ensuite les associations de citoyens, les groupements de travailleurs, les clubs sociaux et autres organismes du genre. C’est à ce deuxième groupe que le mouvement Jeune Commerce appartient. Comme association, il permet au citoyen seul de joindre sa voix à d’autres citoyens qui ont les mêmes opinions et donne à chacun de, ses membres, lorsqu’ils expriment leur avis, le prestige du groupe entier. Comme votre mouvement est politiquement indépendant et qu’il n’a aucun intérêt particulier à sauvegarder ou à promouvoir, les opinions qu’il émet et qui sont celles de l’ensemble de ses membres peuvent avoir une portée considérable. Elles contribuent à leur tour, une fois exprimées, à façonner l’opinion publique parce qu’elles suscitent de nouvelles idées en rendant la population plus consciente de ses problèmes.
J’ai dit qu’on percevait maintenant dans le Québec l’existence d’une opinion publique plus éclairée. Je dois dire également que celle-ci est de plus en plus sévère en ce qui concerne la législation, l’administration et le comportement de l’homme politique. Nous
la sentons de plus en plus présente et le gouvernement que je dirige estime qu’il doit en être ainsi. Un de ses objectifs primordiaux est justement la valorisation de la fonction publique et l’établissement de l’efficacité administrative. Cette tâche que nous avons résolu d’accomplir nous sera d’autant plus facile si nous savons que la population s’intéresse à nos efforts et si au moment où des difficultés se présentent, nous sommes assurés de son soutien moral et de sa compréhension sympathique. Nous ne demandons pas qu’on nous loue toujours des initiatives que nous prenons, ni qu’on vante constamment nos réalisations; nous ne voulons pas non plus qu’on se contente seulement de monter en épingle les lacunes et les défauts auxquels nous n’avons pas encore eu le temps de nous attaquer ou ceux qui ne disparaissent pas assez vite. Tout ce que peut souhaiter un gouvernement démocratique, c’est une opinion publique éclairée; si elle est éclairée, elle saura bien faire la part des choses et servira alors vraiment de guide à ceux qui ont la responsabilité immédiate du gouvernement.
Si une telle opinion publique commence maintenant à exister dans le Québec, c’est en grande partie grâce au travail et à la présence des mouvements de jeunes. Les premiers résultats que nous constatons tous doivent vous encourager à persévérer dans la voie où vous vous êtes engagés.
Une nation a toujours besoin d’une élite vigoureuse, d’un levain. Elle a besoin de dirigeants conscients de leurs responsabilités. Ces dirigeants, elle peut les puiser dans des organisations comme la vôtre.
Le peuple québécois compte plus que jamais sur les jeunes d’aujourd’hui car l’évolution historique et économique le force à renouveler sa vision du monde et l’oblige à accepter ce qui est peut-être le plus grand défi de son histoire.
Pendant les deux cents dernières années, il s’est efforcé de survivre et il y a réussi. Mais la bataille dont il a gagné la première manche, ne se terminera par une véritable victoire qui si notre peuple, maintenant solide et assuré de son présent, a l’audace d’entreprendre la conquête de son avenir. Pour celle-ci, il nous faut cependant d’autres moyens que ceux qui nous ont permis de survivre. Ces moyens nous les connaissons, mais nous ne les possédons pas encore tous.
Le gouvernement que je représente ici, par ses lois sur l’éducation, par son souci de la culture, par ses conceptions en matière de développement économique et par l’attention qu’il apporte au bien-être matériel de la communauté québécoise espère fournir ces moyens à notre peuple et matérialiser ainsi la volonté d’affirmation nationale qui l’anime. Il n’y arrivera toutefois vraiment que s’il a, pour atteindre un objectif d’une aussi grande envergure, l’appui de notre jeunesse et la collaboration de notre élite. Nous construisons aujourd’hui ce qui sera demain votre monde à vous. Nous savons que vous allez nous y aider par votre présence et votre sens social. Car en nous aidant, vous ne vous préparerez pas seulement un avenir meilleur; vous assurerez à tout notre peuple canadien-français la place que lui réserve l’Histoire.
[QLESG19610901]
[ Exposition provinciale de Québec
Le ler septembre 1961 Pour publication après 8:30 P.M.
Ho n. Jean Lesage, Premier Ministre le ler sept. 1961]
L’Exposition provinciale de Québec est un événement annuel dont l’importance se mesure à l’intérêt considérable qu’elle soulève auprès de toute notre population.
Ce soir, c’est la cinquantième fois qu’a lieu cette Exposition constamment renouvelée. Je suis donc particulièrement honoré de ce qu’on m’ait, à cette occasion, invité à procéder à son ouverture officielle.
Un cinquantième anniversaire est toujours en lui-même une grande date. Un tel anniversaire est encore plus remarquable lorsqu’il s’applique à une entreprise comme l’Exposition provinciale; en effet, lorsqu’une initiative communautaire réussit à l’atteindre, c’est qu’elle a acquis un caractère de solidité que les événements à venir ne sauraient désormais lui faire perdre. L’Exposition provinciale est ainsi devenue aujourd’hui une institution bien établie, à tel point que l’activité intense qui l’entoure et l’afflux des visiteurs qu’elle amène à Québec font maintenant partie du visage permanent de notre ville.
Comme Québécois, je suis heureux ce soir de m’associer personnellement à cette manifestation qui, chaque année au début de septembre, fait de Québec le centre d’attraction de la province entière. À titre de premier ministre, il me plaît aussi beaucoup que cet événement se tienne dans notre capitale provinciale; cela à mon sens donne à l’Exposition une envergure plus grande et une portée beaucoup plus étendue.
D’après moi, toute exposition produit deux effets distincts. Elle constitue d’abord une excellente source d’information, et suscite en même temps des occasions de réflexion.
Je pense qu’elle est d’abord une source d’information pour le public en général, pour ceux qui visitent les différents comptoirs où sont exposés les produits qu’on veut porter à leur attention. Ce public est à même de constater les progrès de notre industrie et même à un degré plus remarquable ceux de notre agriculture, pivot de notre survivance comme groupe ethnique et, pendant longtemps, condition même de notre existence matérielle. Le public apprend ainsi à connaître l’immense progrès accompli dans notre production agricole et industrielle, et il peut de ce fait formuler un jugement sur leur qualité en les comparant aux autres de même nature. Cette possibilité de comparaison fournit un stimulant aux producteurs. Ceux-ci savent en effet fort bien que leurs produits seront pour ainsi dire scrutés par des milliers de visiteurs qui profiteront de l’occasion unique qu’ils ont d’apprécier les produits similaires que leur offrent des concurrents. Comme la concurrence est un élément essentiel du régime d’entreprise privée dans lequel nous vivons, les expositions agricoles, industrielles et commerciales jouent donc un rôle de premier plan dans le progrès économique.
De plus, par la publicité qui en découle, elles font naître chez les clients – car tous les visiteurs sont des clients éventuels – le désir de se procurer des produits utiles et attrayants qui leur sont offerts.
Je ne dirais cependant pas que c’est là leur principale fonction. Je pense plutôt que de telles expositions fournissent la preuve du génie créateur de l’homme et que, à cause de cela, elles peuvent provoquer de salutaires réflexions. Elles montrent, entre autres choses, quelles étapes l’homme à franchi dans l’effort qu’il poursuit constamment en vue de tirer de la nature les biens nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Elles montrent comment il a réussi à se donner une vie matériellement plus confortable. Elles montrent surtout que sa tâche en ce sens est loin d’être terminée puisque chaque année des innovations importantes rendent souvent désuets des produits dont on vantait les mérites l’année d’avant..
Ce que je viens de dire est vrai pour toutes les expositions, pour toutes les foires agricoles, industrielles, scientifiques, ou autres. Mais, dans l’Exposition provinciale de Québec, il y a quelque chose de plus. Elle constitue pour nous le miroir de l’activité de notre peuple. Tous les domaines d’activité de notre population sont touchés: l’agriculture, l’industrie, le commerce, les arts et quoi encore. Dans ce « miroir de notre activité », nous pouvons trouver bien des motifs de contentement: notre niveau de vie se compare favorablement à celui de n’importe quelle nation évoluée, la qualité de notre production équivaut à celle des autres pays, nos travailleurs donnent de multiples preuves de leur habileté remarquable et nos artistes nous présentent les résultats prometteurs de leur grand talent.
Mais devons-nous, collectivement, nous arrêter seulement à ces motifs de satisfaction? N’est-il pas plutôt de notre devoir, comme citoyens du Québec et comme Canadiens français, de réfléchir – et très sérieusement – non pas sur ce que nous sommes et sur ce que nous possédons déjà, mais sur ce que nous pourrions et devrions être, sur ce que nous pourrions et devrions posséder.
J’ai dit tout à l’heure qu’une exposition comme celle qui s’ouvre ce soir permettait de souligner les progrès accomplis dans diverses sphères d’activité. Mais le progrès lui-même implique le changement. Dans l’époque où nous vivons actuellement, les changements sont très rapides et ceux qui ne sont pas continuellement en alerte risquent d’être vite dépassés par les événements. C’est là un risque qu’un petit peuple comme le nôtre n’a pas le droit de courir car il y va de son existence même. Les nations qui nous entourent sont trop grandes et trop puissantes pour que nous nous contentions d’être ` leur remorque.
Nous n’avons qu’un parti à prendre: nous affirmer par notre présence dans tous les domaines. Nous avons déjà fait beaucoup, mais ce n’est pas suffisant, ce n’est plus suffisant. Pendant les jours qui suivront, toute notre population pourra voir dans les édifices qui nous entourent des exemples de ce que nous avons pu réaliser matériellement. Il faut aussi qu’elle voie ce qui nous reste à faire, ce qui nous manque encore.
Et il se peut, je le souhaite même, qu’elle se pose une très grave question: sommes-nous, comme peuple, assez présents dans ce progrès technologique de l’agriculture – au sein de cette industrie – dans ces maisons de commerce et dans ces institutions financières dont la concurrence nous menace? Je devrais plutôt dire: nous intéressons-nous assez à la mise en valeur de notre propre économie? Ou bien, au contraire, est-ce que nous n’avons pas plutôt tendance à prendre pour acquis, par une sorte de conditionnement historique, que ce genre d’activités appartient à d’autres que nous?
Le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger a déjà plusieurs fois manifesté son désir de corriger cette situation manifestement anormale, qui provient en grande partie de notre propre attitude en matière d’économie, de finances et de commerce. Il veut que désormais notre peuple, sans détriment ou injustice pour qui que ce soit, joue le rôle qui lui revient dans le développement matériel du Québec. Mais pour accomplir un tel dessein, il lui faut l’appui de tous les éléments de notre société. Il lui est en somme difficile d’agir s’il rencontre l’indifférence générale, si notre peuple qui, d’une part, veut sincèrement et résolument le renouveau économique de notre province, n’est pas consentant d’autre part à accorder sa collaboration agissante.
Il est un domaine, entre autres, qui ne laisse personne indifférent: nos richesses naturelles. L’Exposition provinciale de cette année a d’ailleurs reçu comme thème « La Faune québécoise », une de nos richesses les plus abondantes. Je suis très heureux de ce choix car il permettra à tous les visiteurs de l’Exposition de prendre conscience d’un de nos actifs les plus précieux.
Ce que je souhaite en terminant, c’est qu’ils étendent leur prise de conscience non pas à l’existence ou à la valeur même de ces richesses naturelles – je suis convaincu que c’est déjà fait – mais à ce qu’impliquera concrètement pour le peuple du Québec et pour son gouvernement la mise en valeur systématique de ces richesses qui nous appartiennent en propre.
Déjà, nous avons développé les richesses de notre sol en une agriculture rationnelle dont vit encore une proportion imposante de notre population. Il nous reste à consolider les progrès accomplis et à résoudre les problèmes qui subsistent par une adaptation de notre industrie agricole aux exigences du marché moderne.
Quant aux richesses de notre sous-sol, elles nous posent un défi à la mesure de notre volonté nationale de reconquête économique. Il y aura, dans ce domaine, un effort intense à fournir. Le gouvernement du Québec entend faire sa part. Il faut aussi que le peuple du Québec, le moment venu, accepte de faire la sienne. Monsieur le Président, il me fait maintenant plaisir de déclarer officiellement ouverte la cinquantième Exposition provinciale de Québec.
[QLESG19610904]
[Fête du Travail (Confédération des Syndicats Nationaux) Québec. lundi 4 septembre 1961
Pour publication après 9:30 A.M.
Hon, Jean Lesage, Premier ministre, le 4 septembre 1961,]
Les chefs de gouvernement ont toujours l’habitude, à la Fête du Travail, de transmettre leurs meilleurs voeux à l’ensemble des travailleurs et à la classe ouvrière en particulier. Je suis vraiment très heureux ce matin de pouvoir le faire de vive voix et de me trouver au milieu des représentants de la Confédération des Syndicats Nationaux. Je profite donc de l’occasion qu’on m’a offerte de vous rencontrer pour vous faire part, à vous qui êtes ici présents et à toute la classe ouvrière, de mes sentiments personnels d’amitié, ainsi que, de ceux de tous mes collègues.
La Fête que nous célébrons le premier lundi de septembre, chaque année, est celle de tous les travailleurs, mais à mon sens elle est surtout celle des ouvriers. J’y vois la fête par excellence, le jour de commémoration qu’on a choisi pour rappeler à ceux qui vivent aujourd’hui, tous ces travailleurs souvent inconnus dont la largeur de vue, le courage et l’abnégation ont fait franchir à la classe ouvrière les premières étapes dans sa marche vers la libération économique et sociale. Car la Fête du Travail n’est pas simplement un jour chômé, un jour de réjouissances. Je crois plutôt qu’elle est une sorte de « fête du souvenir », un hommage collectif que la classe ouvrière d’aujourd’hui rend à ceux des siens qui, hier, ont payé de leur liberté et parfois même de leur vie les droits dont elle jouit maintenant.
Un de ces droits les plus chèrement acquis est celui de l’association libre. Alors qu’il était à peu près inconnu, il y a seulement quelques dizaines d’années, il est maintenant devenu, par la ténacité du peuple ouvrier lui-même, la règle normale dans le domaine des relations ouvrières. Mais, comme dans toute règle, il subsiste des exceptions. Ces exceptions, toujours trop nombreuses même si elles ne sont pas fréquentes, une société vraiment démocratique ne peut les souffrir, car dès que le droit d’association est menacé, la justice sociale est en danger. Je pense bien que le respect de cette justice sociale est un des premiers objectifs que doit s’employer à atteindre tout gouvernement soucieux du bien commun. De toute façon, celui que j’ai l’honneur de diriger veut que les droits des travailleurs et les libertés conquises par des générations d’ouvriers, autant dans notre province que dans d’autres pays, ne soient désormais plus mis en danger par les attitudes despotiques et réactionnaires d’intérêts particuliers davantage préoccupés de leur bien propre que de celui de l’ensemble de notre société.
La fête du Travail n’est pas seulement l’occasion d’un rappel historique. Elle permet aussi de faire le point. À ce propos, elle est une suspension salutaire du travail habituel et quotidien; elle donne lieu à la réflexion aussi bien sur le chemin parcouru par les travailleurs vers la promotion véritable de la classe ouvrière que sur les problèmes auxquels cette classe fait aujourd’hui face.
Je ne veux pas non plus commenter longuement les statistiques officielles du chômage publiées vers la fin du mois d’août. J’aimerais tout au plus profiter de la circonstance pour souligner que la situation s’est quelque peu améliorée au Québec. Entre juin et juillet derniers, le chômage a diminué proportionnellement plus dans notre province que partout ailleurs au Canada. Le niveau de sous-emploi correspond maintenant à peu près à celui de l’an dernier à pareille date; depuis plusieurs mois, à cause du ralentissement économique que le pays a connu, il avait eu tendance à être plus élevé. Cette amélioration relative que l’on note dans notre province n’a pas été aussi marquée dans le reste du Canada. Quoi qu’il en soit, le nombre des travailleurs sans emplois reste encore trop nombreux chez nous. Le gouvernement du Québec est parfaitement conscient de la situation angoissante de ceux qui sont incapables, malgré tous leurs efforts, de se procurer
un emploi stable; il est aussi parfaitement conscient de l’état d’esprit de ceux dont la vie est souvent tissée d’incertitudes et de déceptions. Il comprend les difficultés des familles que le chômage touche et celles des communautés humaines dont le développement économique demeure lent et insuffisant.
Même s’il n’a pas à sa disposition tous les moyens que possède par exemple le gouvernement central de notre pays, il est résolu à faire sa part dans la lutte contre la plus pernicieuse maladie sociale de notre époque. Depuis un an déjà, il a adopté d’importantes mesures à cette fin. Je mentionne seulement notre politique de travaux d’hiver ou, plus précisément, la participation du gouvernement provincial aux coûts de ces travaux.
Même si, d’après les statistiques compilées au cours des derniers mois, cette politique a pu donner du travail à des milliers de personnes qui autrement se seraient trouvées sans emploi, il n’en reste pas moins qu’une telle mesure est presque uniquement palliative. Elle corrige une partie des effets du chômage; elle n’en attaque pas la cause profonde. Pour pénétrer jusqu’aux racines du mal, d’autres méthodes s’imposent, plus appropriées et d’efficacité plus durable. Nous devons par exemple nous employer à faciliter l’établissement, dans le Québec, d’une industrie secondaire de transformation, capable d’employer des milliers de travailleurs. C’est là le but de certaines démarches que mes collègues et moi avons déjà faites; c’est aussi un des buts poursuivis par des organismes comme le Conseil d’Orientation économique et des ministères comme celui de l’Industrie et celui des Richesses Naturelles. Le travail accompli récemment en ce sens devrait bientôt donner des résultats tangibles, à l’avantage de toute notre population et particulièrement à celui de la classe ouvrière de notre province.
Mais il ne suffit pas de provoquer la naissance d’industries nouvelles pour que le problème du chômage disparaisse de notre scène économique. Il faut aussi que la population laborieuse soit capable de remplir les emplois offerts par ces entreprises nouvelles; il faut qu’elle soit prête à s’intégrer à une structure d’emplois qui peut comporter des exigences plus sévères quant aux connaissances requises. Il y a une raison bien simple à cela, car il existe un rapport inverse entre le niveau de chômage et celui de l’éducation. Des études démontrent que les personnes dont le niveau de scolarité est insuffisant courent énormément plus de risques d’être touchées par le chômage que celles qui ont longuement fréquenté les institutions d’enseignement. Cette situation découle du progrès technique qui demande de plus en plus de préparation académique chez ceux qui recherchent des emplois. Avec l’arrivée de la mécanisation et de l’automatisation, ce phénomène social s’est précisé et exerce déjà ses effets. L’administration des commerces, des entreprises et des gouvernements est également plus compliquée. De nouvelles occupations sont créées, mais elles réclament toutes de ceux qui y aspirent un degré de préparation élevé. Nous découvrons même le paradoxe suivant: d’un côté, il y a beaucoup plus de travailleurs que d’emplois disponibles, alors que, de l’autre, c’est le contraire: on manque de main-d’oeuvre. Par moments, surtout l’été, il arrive dans certaines régions qu’il y a presque autant d’emplois offerts que de personnes sans travail. Mais ces emplois ne peuvent être occupés par ceux qui chôment à cause de l’absence des qualifications qu’il leur faudrait pour cela. On peut donc dire qu’une partie, parfois assez forte, du chômage est provoquée par le manque de connaissances techniques et administratives de ceux qui se trouvent sans travail.
On comprend aisément dès lors pourquoi le gouvernement du Québec accorde autant d’importance aux réformes à accomplir dans le domaine de l’éducation. Pour les mêmes raisons, il a cru urgent de faciliter à la population l’accès aux maisons d’enseignement, en instituant dès cette année, au moins partiellement, le régime de l’éducation gratuite. Ce n’est là encore qu’un début car il nous reste beaucoup à faire dans ce domaine. Nous sommes cependant persuadés que c’est par l’éducation accrue et étendue à tous que non seulement le peuple canadien-français pourra s’affirmer et développer ses qualités intellectuelles et morales, mais encore qu’il pourra enfin voir le jour pas trop lointain où le chômage forcé de sa jeunesse et de ses pères de famille aura fini d’être une menace permanente.
En cette Fête du Travail, j’ai voulu vous faire part à titre de Premier ministre, du souci qu’a le gouvernement actuel d’assurer à la classe ouvrière et à la population en général la justice et la sécurité dans l’ordre et le progrès.
[QLESG19610908]
[Institut d’Administration Publique du Canada Québec, vendredi le 8 septembre 1961, Pour publication aprbs 7:30 hres P.M.
Jean Lesage, Premier Ministre le 8 septembre 1961]
Laissez-moi d’abord vous dire combien je suis heureux de vous recevoir ici ce soir au nom de la population du Québec et au nom du corps administratif de la province. Je vois dans la salle de nombreux représentants de notre haut fonctionnarisme et il me fait plaisir de constater l’intérêt qu’ils manifestent envers l’Institut d’Administration Publique du Canada et l’appui qu’ils accordent à ses travaux.
[I want especially to welcome those members of the Institute tute who have corne here from the other provinces of our country, or who have been sent as delegates by public bodies outside Quebec. I would like them to know that Quebec’s specialiets in public administration are happy to co-operate with them in a common work which is becoming more and more necessary just as much in Canada as in the other advanced countries of the world.
The general and greatly increasing industrialization of modern nations has, in effect, created a gradual relative decrease of those occupations which were traditionally known as primary ones; it has, at the saure time, increased the importance of the secondary group. As for the services — of which you all forrn a part they have developed a great deal as the result of the creation of new professions designed to cope with new needs. It is, of course, a recognized fart that the greater the development of the economy, the greater the number of people employed in industry. Through constant progress in the economic sphere, production becomes diversified and the markets increase; techniques change and the various types of activity multiply. Education, transport and communications, social services, pure or applied research, advertising, business, government services and all kinds of other occupations require a greater and greater number of people. As industry and finance develop more and more, co-ordination, which used to be merely useful, becomes essential. Administrative functions take on a heretofore unsuspected importance and can
become, through the efficiency of those who carry them out, one of the basic conditions for the social and economic progress of a nation. At the present time, we have a better understanding of
the bearing and the great importance of administrative tasks in a
world where they are commanding an increased respect. It must be
pointed out, however, that those who wish to become administrators
must be endowed with something more than mers willingness. For this
reason, the technique of administration now forets part of the curricu
lum of several institutions of higher learning, and those who apply
• these techniques are receiving better and better remunerations for their services. In short, as the result of circumstances and the fact that all types of organisme interested in administration have taken on a new awareness, it has aroused the interest of the progressive elements of our society in the sphere of public and private administration. It was the general opinion for a long time – at least people acted as if it was the general opinion – that administrative work was unproductive, and this type of work was restricted as much as possible. Today, this way of thinking has become obsolete, and the close relationship which existe between an adequate and wellordered administration and the quality of production is much better understood. Even the word /production » has been enlarged to include
I
the administrative services as well as production in terme of physical or quantitative effort.]
Je ne sais pas au juste à quoi tient le nouveau courant de pensée en cette matière, mais je suis convaincu que des groupes et des associations comme l’Institut d’Administration Publique du Canada ont beaucoup contribué à son avènement. Vous avez compris que les changements rapides dont notre monde est témoin rendraient nécessaire l’adaptation constante des techniques administratives à la réalité ambiante. Pour que cette adaptation puisse se faire, il importe que ceux qui la recherchent soient ouverts aux solutions possibles des problèmes qu’ils rencontrent dans leurs tâches quotidiennes respectives. Si j’en juge par le programme et les communications à la réunion que vous tenez cette année à Québec, vous remplissez parfaitement cette exigence. Le dynamisme de votre Institut et la largeur de vue de ses membres me semblent être non seulement une garantie du succès de ses entreprises actuelles, mais préparent aussi notre avenir commun; en effet, l’évolution naturelle de la conjoncture économique et sociale nous conduit inévitablement vers un mode de vie – vers un monde, pourrait-on dire – où s’amplifiera graduellement l’emprise du secteur administratif sur l’ensemble de la vie communautaire.
[It seems quite obvious that the increase in the spheres
of government activity has had an enormous influence on the slow but steady transformation of our economy into an economy of administrative services. a few decades ago, in accordance with the idealogical position of the then predominating economic liberalism, the part played by the State was not as widespread as it is today. As a matter of fart, it was almost non existant when we compare it with the tasks that modern governments must assume if they are fully aware of their responsibilities and the farreaching effect of government activity on the human element in the sphere of social security as well as that of economic policy, the problem of the relationship the administrative personnel and those whom it administers now requires to be solved. There are times when this relationship is very close, for example when it is a question of presenting proof of eligibility for such and suoh a government grant. At other times, the relationship between the administrative personnel and the general public is far less obsious but still exists, because dicisions made by members of Parliament and Government or certain highly placed civil servants can still affect thousands of individuals.
In the administrative sphere, therefore, it is always a good ides to keep the human touch, and to remember that even it is easiér to draw up legislation and the regulations which go with it in definite and categorical terme, the citizen who considers himself
a particular case, does not always fit precisely into any one particular class of the socially insured, either as a beneficiary or as a contributor. There are always exceptions to any rule to remind the administrator of the deep complexity of the human being, and each case’ must be judged in the most enlightened manner. Furthermore, real efficiency of the administration very often reste not so much on the speed with which the administration of a department is carried out, but really reste on the common sense of the decisions that it makes. In other words, the administrative process consiste of reconciling two things that are not always compatibles the simplicity of the regulations that are to be kept or enforced, and the respect for justice towards those who corne under the administration. The simpler the regulations, the faster their application, but the less easy it is to fulfil the requirements of true distributive justive. On the other hand, the harder we try to give each one what he should get in accordance with his needs or his rights, the more we need to provide a multiplicity of regulations, and the exceptions become more and more numerous. It becomes inevitable, therefore, that there cornes a time when we must draw the line, and the point at
which we must draw this line can never be determined in advance or once and for all. In the drawing up of laws for example, all particular cases must be reduced to a common denominator as far as possible, without, however,’ simplifying things to the extent that they would result in creating more problems than they would provide solutions. The prior judgment of the legislator must be implemented by the judgment of the administrator who must see to the application of the laves thus conceived. Those who are responsible for the administration of laws and
regulations and to seeing that the regulations are carried out are faced by two dangers: arbitrariness and red-tape. These two dangers are not in themselves incompatible, even though they can stem from causes that are, as for example vagueness in the meaning of the law, or too much attention to detail on the part of the adrninistrator.
Naturally, in this case as in many others, the attainment of perfection in practice is too much to expect. While perfection as always to be hoped for, we know that it is not always possible to attain, and trying to attain it without understanding could result in the drawing up of laws that would be inapplicable to human beings endowed with liberty, initiative and judgment, and also — we must admit — with a spirit of contraririess.
Administration, like government, as a human undertaking.
A great deal can be expected of it, but we certainly cannot expect it to perform miracles. Also, we must not lose sight of the fart that even if it is built up along ideal lines, its value as an instrument for the common good is in direct proportion to the level of competence of the people who run it.
There is not a single government or administrative service in this world that can escape from this problem. It is inherent with them in one way or another. There are two ways of solving this problem — by simply ignoring it — or by accepting the challenge that it presents.
The first way is obviously the easiest because it is simply a motter of making negligence a principle. This attitude is very easily justified by saying that no one expects public administration to be efficient anyway. Furthermore, one can always cite some instances where it did not come up to expectations. One therefore concludes that civil servants are merely a necessary evil that modern nations have allowed to take root and to which they will have to become resigned. Once such an ides Je adopted, and once its logical conclusions are accepted, it is almost impossible to make the necessary changes to get the administrative personnel to become more competent. In fact, we do not encourage them at all to reach this end. Further
more, we frighten away those people who could enrich and renovate civil service from the
inside.
The other solution naturally calls for far more courage. Not only is it contrary to an all too fréquent conception of civil service, but it also attacks a state of affairs that has been built up by the collective behaviour of whole generations of people. Nevertheless, this is the,solution that we have chosen to adopt in Quebec. I should say, rather, that this is the solution that was called for in view of the new tasks that the Quebec Government will have to take on and which, furthermore, the population of the province has called upon us to carry out.]
Ces tâches sont à la fois nombreuses et étendues. Le peuple du Québec attend dorénavant de son gouvernement qu’il fasse sa grande part dans le domaine de l’éducation et de la culture, qu’il intensifie, par l’effort de coordination et de planification qu’il peut y apporter, le développement rationnel de notre territoire et la mise en valeur de ses richesses naturelles et aussi qu’il y participe – et qu’il augmente le niveau de santé et de bien-être de toute la population. Bien entendu, un tel programme ne peut se réaliser rapidement, ce que tout le monde admet. Mais tout le monde reconnaît aussi qu’il doit éventuellement se réaliser et cela, non pas dans un futur incertain, mais dans l’avenir immédiat.
Afin de s’acquitter des responsabilités nouvelles, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger a cru devoir orienter son action vers un double objectif: la réforme des structures administratives, et, parce que ce premier objectif est en lui-même insuffisant, la valorisation de la fonction publique. C’est à ces deux conditions que nous croyons pouvoir entreprendre la réalisation du programme à long terme dont le peuple du Québec nous a confié le soin. En ce qui concerne le développement économique, nous avons d’abord remis sur pied le Conseil d’Orientation économique, resté inactif pendant plusieurs années. Nous lui avons donné une perspective nouvelle et nous lui avons confié un mandat plus précis.
Ce Conseil est un organisme voué à la recherche et à la réflexion; il agit comme consultant auprès du gouvernement et, par ses suggestions et ses recommandations, accentue le progrès matériel du Québec.
Comme d’autre part, le peuple de la province est plus que jamais conscient de l’importance de ses richesses naturelles et de la nécessité de les exploiter d’abord à son avantage, puisqu’il en est le propriétaire, nous avons résolu de coordonner toutes les activités du gouvernement qui ont trait à ces richesses. À cette fin, nous avons réuni sous la juridiction d’un seul ministère, celui des Richesses naturelles, tous les services gouvernementaux axés sur les mines et les ressources hydrauliques.
Dans le même ordre d’idée, nous avons réorganisé le ministère de l’Industrie et du Commerce en y créant de nouveaux services et précisant leurs fonctions. De la sorte, nous croyons disposer désormais d’un véritable ministère de l’Économie, grâce auquel le souci de planification du gouvernement actuel pourra se traduire dans les faits.
Dans le domaine social, en plus de toutes les nouvelles lois à caractère proprement humanitaire que nous avons adoptées, nous avons transformé l’ancien ministère du Bien-être social en ministère de la Famille et du Bien-être social. Il ne s’agit pas là que d’un simple changement de nom. Le nouveau ministère a en effet pour mandat de repenser toute notre législation actuelle en fonction de la famille qui, comme vous le savez, est un des facteurs principaux dans la survivance du groupe ethnique canadien-français.
Notre culture particulière est un autre de ces facteurs. Pour la favoriser et pour lui donner plus d’occasions de s’épanouir, nous avons créé le ministère des Affaires culturelles. Celui-ci a sous sa juridiction des organismes comme l’Office de la Langue française, le Département du Canada français d’outre-frontière, le Conseil provincial des Arts et la Commission des Monuments historiques. Pour la population canadienne-française, ces divers organismes ont une signification profonde; ils sont en quelque sorte la cristallisation de sa volonté de vivre et de faire connaître sa culture. Ils sont aussi le symbole de l’acceptation par l’État du Québec du rôle nouveau qu’il doit dorénavant assumer dans le maintien et l’expansion du « fait français » en Amérique.
[French Canada, in Canadian Confederation, cannot live turned inward upon itself, nor can it live « against » the other ethnie groups., Our country is made up mainly of two ethnies groups’and its future depends entirely upon the co-operation which should exist between these two groupe. The French Canadians want te be accepted as full citizens, for they no longer believe that their « country » stops at the boundarios of Quebec. In order to reach this objective, we decided te create a Department of Federal-Provincial Affaire whose principal task will be te integrate Quebec into Confederation, without allowing Quebec te lose any part of
its identity in the process.
Se far, I have only mentioned structural reforme. As I have already mentioned, we must go even further. For this reason, we have taken a serious look at the problem of administration as well as the, problem of personnel. We have, for example, given new strength te the Treasury Office and we have created the post of Controller of th e Treasury. In this way, we have decentralized the tanks of the Cabinet and ensured a better supervision of the spending of public moneys. We have also reintroduced the system of calling for public tenders and we have applied the same system in the purchasing service. In connection with the granting of permits, in the case of liquor, for instance, we
have set up a better process for the issuing of permits by creating a quasi-judicial body known as the Quebec Liquor Board. We have also begun te reorganize the Quebec Provincial Police Force from top to bottom in which we have also introduced the merit system. We want our Provincial Police Force to be an exemplary body of men and a model for others to copy.
In order te ensure the selection of competent administrative personnel, we have increased the number of Commissioners in our Civil Service Commission, and we have adopted the system of public competitions as regular procedure.
Ail these decisions and many others that we have made stem from the new spirit that we wish to instil into every aspect of our provincial administration. A great many of the services that I have mentioned already existed, but they had almost never been allowed to render the services that were expected from them. We have revived them so that they will be able to carry out the functions which the necessary progreas of our society calls for.
We are only beginning the reforms that must be made. Our province, which is the common lever of the French Canadians and at the same time an active member of Confederation, has entered into a new phase of its history. The population will, from now on, scrutinize much more than in the past the steps which the Provincial Government takes to carry out the tanks that the citizens have given it. For this reason we need a Civil Service whose members will be competent, efficient and who will take pride in the part that they play in the proper administration of the province. The Government of Quebec is happy, in this case, to know that the mont dynamic elements of the private sector are mort interested in raising the prestige of the Civil Service. It is aise pleased to know that many members of the administrative personnel are interested in improving their professional knowledge. The Government is also giving every encouragement to universities to develop study programmes for future Civil Servants and to improve those programmes which are already in force.
A far-reaching effort in this sphere will substantially change the face of our Civil Service. As a result of the reforms that we have introduced we can already ses encouraging signe of change. These changes are very promising because they allow our present personnel to give its full contribution, and allow the Government to carry out its newly assumed responsibilities. The Government is mont pleased to accept these new responsibilities, because they constitute the first stop towardo the achiovement of the kind of society in which the citizens of Quebec have chosen to live.]
[QLESG19611021]
[Journée des Anciens de Laval
Québec. le 21 octobre 1961 Pour publication, après 7:00 hres P.M.’
Hon. Jean Lesage Premier Ministre le 21 octobre 1961]
Je voudrais d’abord vous exprimer, mes chers amis et chers confrères d’Université, combien je suis heureux de me retrouver aujourd’hui parmi vous. J’ai l’occasion par cette rencontre de renouer connaissance avec des camarades qui, comme moi, ont eu le privilège de fréquenter l’Université à laquelle nous devons tant; je revois de vieux amis que le sort ou les occupations différentes tiennent loin du milieu où je dois évoluer. Il y a aussi de ces vieux amis – car je les considère toujours tels – dont les opinions politiques ne correspondent pas toujours aux miennes. Ils ne m’en voudront pas, j’en suis certain, de signaler cette différence, car ils savent, comme moi, qu’il faut de tout pour faire un monde … Je leur dis, à eux aussi, qu’il me fait plaisir de les rencontrer, car, en définitive, nous avons au moins une chose en commun, une qualité dont tous ceux qui sont ici présents sont fiers: cette chose, cette qualité, ce titre de gloire, c’est d’être ancien de Laval. Je profite de l’occasion qu’on me donne ce soir de vous adresser la parole pour remercier tout particulièrement ceux qui ont pensé à me remettre la médaille des Anciens pour l’année 1960-61. C’est avec grande joie que j’accepte cet honneur qui me touche. Je l’accepte non pas parce que j’ai la prétention d’y avoir droit, mais parce que j’y vois de votre part une marque d’amitié et de confiance dont je vous suis reconnaissant. Veuillez croire que j’essaierai de me montrer aussi digne de l’honneur que vous me faites, que vous y avez vous-mêmes mis de sincérité à me l’offrir.
Je vous ai dit, il y a un instant, que nous étions tous des Anciens de. Laval; c’est d’ailleurs pour cette raison que nous pouvons tous nous réunir ici. Mais, je ne sais pas si vous vous êtes fait la même réflexion, nous ne sommes pas à proprement parler des Anciens. Car le mot « ancien » a une résonance additionnelle que je n’aime pas, du moins par rapport à Laval; il laisse supposer que les liens que nous avions avec l’Université de notre temps d’étudiants sont maintenant coupés et que, si nous nous réunissons une fois par année, lors des journées des Anciens, c’est parce que nous voulons ensemble remuer de vieux souvenirs.
En réalité je ne crois pas qu’il y ait d’Anciens, de Laval dans ce sens-là. Je ne pense pas qu’aucun de nous ait l’impression que ses liens avec l’Institution qui, l’a formé ont été coupés au moment où il l’a quittée. L’Université Laval a justement ceci de remarquable qu’on ne la quitte jamais. Elle nous suit partout, ou plus exactement elle nous accompagne. Les connaissances que nous y avons puisées, nous nous en servons encore tous les jours; l’esprit qu’elle nous a insufflé, il continue de marquer toute notre personnalité; son influence sur notre comportement est désormais indélébile. Quand je dis que l’Université Laval nous accompagne, je pense aussi à autre chose. Notre Université, car c’est notre Université, évolue constamment. Elle nous accompagne dans le temps, elle suit le progrès de toute notre province, et, souvent, elle le précède. Sans Laval, le Québec d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’il est devenu; sans Laval, il nous manquerait quelque chose que nous chercherions vainement à remplacer. Je doute qu’on puisse un jour établir précisément l’étendue du rôle que Laval a pu jouer au cours de notre histoire, mais nous savons tous instinctivement que ce rôle est immense. Nous nous en rendons compte à chaque moment, et à chaque moment nous découvrons dans quelle mesure notre Université a fourni à notre peuple l’armature intellectuelle et spirituelle dont il jouit présentement et qui a pour beaucoup contribué à assurer sa survivance.
Si notre peuple, en général, doit tant à l’Université Laval – et aussi aux autres institutions d’enseignement de tout genre répandues à travers toute la province – il est difficile d’imaginer quelle dette ont, à son égard, ceux qui ont eu, personnellement, le privilège de la fréquenter. En effet, il s’agit d’un privilège, et d’un privilège auquel ne peuvent encore aspirer un trop grand nombre de nos citoyens. Cette situation a quelque chose de navrant. Il arrive que, dans notre société, comme dans bien d’autres du monde, un bien aussi précieux et aussi indispensable à l’heure actuelle que l’éducation, et surtout l’éducation universitaire n’est accessible qu’à une minorité de la population. Si encore cette minorité groupait tous les jeunes citoyens dont le talent permet d’entreprendre des études approfondies, la situation serait moins grave. Mais tel n’est pas le cas. Vous savez tous, aussi bien que moi, que le critère d’entrée dans nos institutions universitaires est non pas le seul talent, mais aussi la situation sociale ou le degré de fortune de la famille d’où provient le jeune étudiant.
Je ne prétends pas que, idéalement, tous les citoyens d’un pays devraient ou pourraient posséder une éducation universitaire. Ce genre d’éducation ne convient pas à tous les talents, ni à tous les goûts. De plus, il existe d’autres branches de l’activité intellectuelle oh les aptitudes individuelles peuvent s’épanouir pour le plus grand bienfait de la société.
Il n’en reste pas moins, vous en conviendrez, que l’accession à l’éducation supérieure à trop souvent dépendu de critères socialement injustes.
Bien entendu, des pères de famille de conditions modestes ont parfois pu, au prix de sacrifices énormes, et j’en sais quelque chose, donner à leurs enfants une éducation supérieure. Des étudiants peu fortunés ont parfois aussi réussi à s’instruire grâce à leur travail pendant l’été ou pendant l’année ou encore grâce à des emprunts, cela aussi, j’en sais quelque chose. Les gouvernements ont également fait leur part en accordant des bourses aux étudiants les plus doués. Des sociétés patriotiques, des groupements d’hommes d’affaires ou encore des entreprises commerciales ont, de leur côté, agi un peu dans le même esprit en encourageant par leur support financier beaucoup d’étudiants à poursuivre leurs études.
Tous ces efforts méritent d’être signalés parce qu’ils ont atténué, dans bien des cas, les résultats néfastes de l’inégalité des chances au point de départ. On ne peut cependant s’attendre que de telles initiatives – ce que reconnaissent d’ailleurs ouvertement ceux qui les suscitent rendent l’éducation supérieure accessible à tous ceux qui pourraient et devraient en profiter. Elles touchent trop peu d’étudiants pour cela et, surtout, elles n’atteignent généralement ceux-ci qu’au moment où ils sont prêts à entreprendre des études universitaires. À ce moment, la sélection par le critère financier, si je peux m’exprimer ainsi, est presque terminée. Ceux qui ont jugé ne pas en avoir les moyens ont déjà depuis longtemps, abandonné tout espoir; plusieurs, de ce fait n’ont même pas commencé leurs études secondaires. Fondamentalement donc, et malgré les corrections qu’on a pensé apporter à ce processus naturel de sélection, celui-ci demeure injuste. Il nous faut toujours en revenir à la même conclusion: la possibilité d’acquérir un niveau élevé d’éducation continue aujourd’hui encore de dépendre beaucoup plus des ressources financières des intéressés que de leurs talents. Lorsqu’on est obligé, dans une société, de porter un tel jugement, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c’est qu’il y a un mécanisme de faussé quelque part. Car on ne peut considérer l’épanouissement intellectuel, la culture, la formation comme des privilèges réservés à quelques élus; ce sont des droits que tout citoyen intelligent et capable d’en profiter acquiert du fait même qu’il naît dans une société démocratique faisant partie d’un monde évolué.
Mais ce n’est pas tout. Au Canada français – comme je l’ai souvent mentionné — nous avons une raison de plus de mettre un terme à la situation que je viens de décrire. Notre histoire, notre géographie nous ont situés dans le continent nord-américain de telle sorte que nous ne formons qu’une très petite minorité par rapport à une énorme population d’origine et de mentalité anglo-saxonne. Nous avons donc besoin de toutes nos forces pour nous affirmer, pour nous réaliser collectivement. Il nous est désormais impossible de vivre repliés sur nous-mêmes comme ce fut le cas pendant plusieurs générations.
Il nous faut aussi entreprendre de façon dynamique la reconquête économique de notre territoire, il nous faut planifier le développement de notre économie. Nous ne pouvons plus laisser à des forces aveugles le soin de résoudre les nombreux problèmes avec lesquels nous sommes encore aux prises. Notre peuple doit au contraire participer à l’édification du monde dans lequel il désire vivre. Or ce n’est pas seulement en investissant des capitaux, en construisant de nouvelles usines, en exploitant de nouvelles richesses que nous réussirons à nous acquitter pleinement des tâches qui nous incombent en ce domaine. Le capital le plus précieux est le capital humain. C’est ce capital qu’il importe de rendre plus efficace et c’est par un effort intense en matière d’éducation qu’il deviendra tel. En somme, par l’éducation accrue, non seulement nous assurerons la permanence du fait français en Amérique, mais nous donnerons aussi à notre population les moyens d’acquérir le niveau de vie matériel qu’il est en droit de désirer. Comme vous le savez, le gouvernement du Québec est tout à fait conscient, pour ces raisons, du rôle qu’il doit jouer dans le domaine de l’éducation et de la culture. Il a aussi compris que l’éducation accrue, dans l’époque où nous vivons, protégera mieux l’entité propre de notre peuple et lui permettra de mieux se réaliser tant au point de vue culturel qu’au point de vue économique.
Je n’ai pas l’intention de vous présenter une revue de la législation que nous avons adoptée à ce propos. Même si elle est abondante, je sais qu’elle demeure incomplète, je sais surtout qu’il faudra un certain délai pour que ses effets profonds commencent à se faire sentir. Nous n’avons fait qu’établir les premiers jalons d’une véritable politique de grandeur nationale. Il nous reste énormément à accomplir et nous comptons beaucoup, à ce sujet, sur les conclusions de la Commission d’Enquête que préside le vice-recteur de Laval.
Certains diront peut-être que nous avons surestimé l’aptitude du Québec à entreprendre une tâche d’une telle envergure, que nous aurions dû en somme nous contenter d’apporter au problème de l’éducation chez nous de nouveaux palliatifs.
Cependant, si nous avions choisi d’agir ainsi je crois sincèrement que nous aurions manqué à notre devoir. En d’autres termes, nous avions le choix entre une démission virtuelle en face des tâches que l’avenir immédiat impose au Canada français et l’acceptation réfléchie des défie qui l’attendent.
Nous avons préféré la voie la plus difficile car nous sommes convaincus que c’est en nous y engageant que nous pourrons, avec la collaboration de tous les éléments dont se compose notre société, commencer dès aujourd’hui à édifier le Québec de demain.
L’esprit dans lequel nous nous attaquons aux problèmes de l’éducation est le même que celui qui nous inspire dans le domaine, par exemple, des richesses naturelles, de la santé ou du bien-être. Nous n’avons jamais prétendu réaliser de miracles; nous voulons seulement faire notre possible. Et c’est en nous consacrant pleinement à atteindre cet objectif que nous croyons pouvoir assurer l’affirmation de notre groupe ethnique et la grandeur de la communauté québécoise.
[QLESG19611023]
[Conférence sur les Ressources et notre Avenir Montréal le 23 octobre 1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier, Ministre le 23 octobre 1961]
Je veux d’abord, à titre de Premier Ministre, vous souhaiter la bienvenue dans la province de Québec et vous dire toute l’importance que je vois à la Conférence qui vient de s’ouvrir. Je sais que cette Conférence a été préparée de longue date et avec beaucoup de soin. Nul doute que les résultats de vos délibérations comme spécialistes serviront à éclairer l’action des divers gouvernements du pays dans la mise en valeur des richesses renouvelables.
[Because of the repercussions which will, no doubt, result from this Conference, it is necessary, I think, for all of you to express your opinions freely, which is exactly what I intend to do myself. Your governments have invited you to take part in these deliberations, but this does not mean that you agree with their policies in any way, or that you are acting as their spokesmen. On
the contrary, whether you are from government, industrial, professional or university circles, you will take part in the discussions as individuals – in your personal capacity. In this way, you will have an excellent opportunity to express those thoughts which you have in common and to state your views as well as any new ideas which you may have. The only aim of the Conference on « Resources and our Future » is, in fact, to analyse the deficiencies which exist in the development of our renewable resources and to give us an ides of the norms required for their proper exploitation while taking into account the various uses of waters, lands, forests, wild life and fish.]
Au Québec, nous avons pris conscience de ces problèmes et nous savons qu’il reste énormément à faire pour les résoudre et pour atteindre ainsi les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous sommes cependant confiants de les réaliser parce que nous constatons que la population de la province se rend compte non seulement du fait que les richesses de son sol et de son sous-sol lui appartiennent en propre, mais que c’est elle qui est responsable de leur mise en valeur. Le potentiel énorme dont elle jouit, elle veut l’utiliser à son propre avantage; en planifiant son exploitation, elle veut garantir le progrès matériel de toute la communauté québécoise. Le gouvernement du Québec connaît les citoyens de la province en ce qui touche leurs richesses et croit qu’il est de son devoir de faire en sorte que ce sentiment soit respecté. C’est pourquoi nous visons actuellement à donner à l’administration provinciale le cadre institutionnel qui lui permettra de s’acquitter des tâches qu’il a assumées en vue de favoriser le développement du territoire québécois. Dans toute cette entreprise nous sommes guidés par un principe primordial qu’ont commencé à traduire dans les faits plusieurs des ministères qui s’intéressent à la mise en valeur de l’une ou l’autre de nos ressources. Ce principe, cette règle d’action, devrais-je dire, on le retrouve dans le souci de planification auquel nous voulons nous conformer et que nous nous employons à instaurer dans tous les domaines de notre vie économique qui avaient été jusqu’à maintenant abandonnés à l’arbitraire, au laisser-faire ou à l’expédient dicté par la partisannerie politique. Pour que, dans un pays comme le nôtre, l’effort de planification puisse être efficace, pour qu’il puisse diriger dans le sens désiré l’exploitation et la transformation des richesses sur lesquelles il s’exerce, un certain nombre de conditions doivent être réalisées. Il faut, par exemple, une connaissance précise des faits, il faut un personnel compétent et ouvert aux problèmes que pose l’interrelation des ressources et de leurs usages, il faut aussi que chacun des gouvernements provinciaux se donne des structures administratives adéquates, il faut surtout – et c’est là-dessus que je voudrais insister – tenir compte des différences régionales dans l’élaboration du plan à suivre. En effet, cela est indispensable car, même si la planification est conçue à la fois aux niveaux intermédiaires et supérieurs de gouvernement, elle se concrétise, en dernière analyse au niveau régional. C’est à ce niveau, comme vous le savez, que se manifestent la plupart des problèmes d’aménagement et d’utilisation des ressources.
Nous vivons au Canada dans un pays immense dont les régions économiques sont nombreuses. Cela ne simplifie évidemment pas la tâche de ceux qui croient qu’un effort sérieux de planification s’impose, surtout si les responsabilités de chaque structure administrative ne sont pas, au départ, clairement définies.
Je crois qu’il existe une façon relativement simple de les définir. Mon opinion se fonde sur deux constatations, que d’ailleurs tout le monde est à même de faire.
La première – et je viens de l’énoncer – c’est que la planification doit tenir compte des différences régionales et cela pour des raisons bien pragmatiques d’efficacité. La seconde, c’est que notre régime constitutionnel attribue la juridiction aux administrations provinciales en ce qui a trait aux richesses naturelles, renouvelables ou non.
Le champ d’activité très vaste qu’est la planification économique, la nature même de l’action à entreprendre, le fait aussi que nous vivons dans une confédération où nous sommes tous solidaires, sont autant de facteurs qui incitent, d’une part, l’administration fédérale à donner son importante contribution à une entreprise aussi vitale. Mais cette contribution, nous la voyons surtout d’ordre général. Elle peut être axée par exemple sur la connaissance qu’a notre
gouvernement central des exigences de la situation du peuple canadien dans le commerce international, ou encore sur l’influence que sa position lui permet d’apporter sur d’autres variables, comme la monnaie et certaines catégories d’impôts.
La constitution, d’autre part, confie aux provinces la responsabilité du développement économique de leur territoire. Les éléments immédiats de ce développement et de l’aménagement des richesses du sol sont également de leur ressort. Ce sont elles qui peuvent contrôler la plupart des facteurs grâce auxquels une politique de planification peut se matérialiser et avoir certaines chances de succès. Les provinces sont aussi en mesure d’influencer le ton de leur progrès industriel par leur action sur la localisation de l’industrie secondaire, par le tracé, de communications pour faciliter l’accès aux ressources de base et par leur juridiction absolue sur les structures municipales. Elles peuvent de plus participer directement à l’investissement dans le développement des ressources et l’aménagement de l’industrie là où les conditions économiques l’exigent. L’examen des faits que je viens d’énoncer, la réflexion à leur propos, suggère une conclusion qui – je pense bien correspond entièrement à l’esprit de la constitution canadienne. Il nous apparaît que les provinces de notre pays sont, en droit et en fait, les premières responsables de la planification, aussi bien celle des richesses naturelles, renouvelables ou non, que celle de l’industrie secondaire de transformation.
Cette responsabilité – à laquelle le gouvernement fédéral peut naturellement fournir l’apport précieux que lui permet sa situation dans le contexte canadien – cette responsabilité, dis-je, oblige cependant les provinces à faire preuve entre elles d’une collaboration constante, car la tâche qui est dorénavant la leur est d’une importance telle qu’il serait dangereux de la minimiser. Sa complexité même doit les pousser à établir entre elles des contacts fréquents. À ce sujet, je me permets de rappeler le rôle très étendu et très utile que pourrait jouer le Secrétariat interprovincial permanent dont j’ai déjà eu l’honneur de proposer la formation l’an dernier à Ottawa.
[In this sphere, as in many others, the Government of quebec is ready to co-operate, but this co-operation will be, as I have repeated so often since July 1960, in spite of all the publicity
that has been given to the voice of a very few -an active one.
The people of Quebec are more than ever aware of their rights, but mark my word — they no longer wish to live apart. This evening, I have openly expressed our views. If I have done so, I have not done it in a spirit of misplaced provincialism — because we who live in Quebec feel that in our way of doing things, in our way of living,
we can be a positive element and an additional
source of survival and pride to the whole of’the population of Canada.]
[QLESG19611025]
[Corporation des Ingénieurs Forestiers
Québec. le_ 25 „octobre ,1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.
Don. Jean Lesage, Premier Ministre le 25 octobre 1961,]
De tous les groupements organisés de la province, vous êtes probablement un de ceux qui suivent le plus attentivement la politique nouvelle qu’entend appliquer au domaine des richesses naturelles le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. La Corporation des Ingénieurs Forestiers de la province de Québec – on l’imagine facilement – est en contact quotidien, pour ainsi dire, avec l’une de nos plus abondantes richesses: la forêt. Dès lors, il est naturel que vous consacriez une grande partie de vos énergies à assurer le progrès constant de l’industrie forestière, que vous vous préoccupiez intensément des tendances qui s’y manifestent et des perspectives qui s’y dessinent.
Je suis certain que c’est dans cet esprit que vous m’avez soumis, au mois d’août, le mémoire de votre Corporation. Du moins, c’est ce qui découle clairement de vos commentaires et des suggestions constructives que vous avez jugé utile de nous transmettre.
J’ai eu récemment l’occasion de parcourir votre intéressant mémoire et je dois vous dire, en toute sincérité, qu’il m’a agréablement impressionné. Et la chose qui m’a le plus frappé, cela je tiens à le souligner, non pas pour vous faire plaisir, mais parce que c’est la vérité, ce qui m’a le plus frappé, dis-je, c’est « l’atmosphère de votre mémoire », si vous me permettez l’expression. Votre attitude est totalement objective. On sent, j’ai senti, devrais-je dire, qu’en soumettant vos recommandations vous visiez non pas à promouvoir les intérêts de votre profession ou de votre Corporation, ou encore ceux des compagnies forestières, mais bien plutôt ceux de la communauté tout entière.
C’est peut-être d’ailleurs parce que vous êtes si familiers, comme groupe, avec les problèmes de l’industrie forestière que, dans votre remarquable mémoire, vous manifestez aussi clairement votre souci d’une planification bien comprise de ce secteur important de l’activité économique de notre province. À ce sujet, vous rejoignez une des préoccupations fondamentales de l’administration provinciale actuelle. Comme vous le savez sans doute, nous avons résolu, en ce qui a trait aux richesses naturelles dont notre province est si abondamment fournie, d’orienter notre politique à partir de principes d’action que l’ensemble de notre population accepte et qu’elle veut nous voir mettre en pratique.
Le plus important de ces principes peut s’énoncer assez banalement comme suit: pour nous, les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. J’avoue qu’en lui-même, à première vue, un tel énoncé peut sembler ne pas vouloir dire grand-chose. Je suis même le premier à reconnaître qu’on peut facilement en faire une phrase creuse et sans portée. Pour arriver à ce résultat, on n’a qu’à le répéter souvent, à tort et à travers, sans jamais s’arrêter aux lourdes conséquences qu’il peut entraîner. En agissant ainsi on n’avancerait pas plus, dans l’ordre des réalisations concrètes, que celui qui, au lieu de se conduire selon les règles de la morale, se contenterait d’affirmer qu’il faut faire le bien et éviter le mal! On en resterait dans l’ordre des grands principes généraux sans jamais les appliquer aux réalités qui nous entourent. Ce qui démontre combien il demeure facile de se gargariser de mots lorsque, pour toutes sortes de raisons, on ne veut pas ou on ne peut pas passer à l’action. Il existe deux corollaires à la proposition selon laquelle les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. C’est lorsqu’on les énonce qu’on commence à percevoir les conséquences lointaines d’un point de départ d’apparence anodine.
Le premier de ces corollaires est que les richesses naturelles de la province doivent, d’abord et avant tout, être exploitées au bénéfice de ses citoyens. En effet, puisque nous avons reconnu qu’ils en sont les propriétaires, il est naturel et logique que ce soit eux qui tirent le plus d’avantages de leur exploitation. Or, dans le Québec, actuellement, cette exigence n’est que partiellement satisfaite. La population retire certains avantages de l’exploitation des richesses de notre sol et de notre sous-sol, mais le gouvernement estime que ceux-ci sont nettement insuffisants.
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, dans une très large mesure, le Québec est encore sous-développé. Je veux dire par là que nous possédons collectivement d’immenses richesses dont nous ne connaissons pas toute l’étendue ou auxquelles nous n’avons pas encore accès. Le Québec est en quelque sorte un large réservoir de ressources minières et de pouvoir hydroélectrique auquel nous venons à peine de commencer à puiser. D’ailleurs, quand je dis que nous commençons seulement à exploiter nos ressources, j’utilise un pronom qui n’est pas tout à fait exact. Car et c’est là la seconde raison pour laquelle le gouvernement juge insuffisants les avantages que la population du Québec retire de ses richesses naturelles ce sont presque invariablement d’autres intérêts que les nôtres qui mettent présentement en valeur les richesses dont le Québec est si généreusement doté.
Je puis vous assurer que le gouvernement que je représente est très conscient de ces problèmes et surtout qu’il se propose de faire tout en son pouvoir pour les résoudre. Il a d’ailleurs déjà commencé, comme le prouvent nos décisions relatives au mode d’exploitation des richesses naturelles du Québec et comme le démontre si clairement notre intention d’établir une Société Générale de Financement grâce à laquelle toute la population du Québec – les citoyens aussi bien que les groupements dont ils font partie comme les sociétés de finance et d’épargne collaborera à cette oeuvre grandiose que sera pour nous le développement de notre province. Cette Société Générale de Financement n’est qu’une des nombreuses innovations auxquelles pense le gouvernement du Québec. D’autres suivront, car l’effort qu’il nous faut collectivement fournir doit toucher tous les secteurs de notre vie économique et toutes les industries de notre province. Le gouvernement n’a évidemment pas l’intention de tout régenter, ni de tout diriger; nous ne croyons pas que ce soit nécessaire. Mais il veut prendre ses responsabilités et jouer, dans notre communauté, le rôle qui lui revient. Il veut aller de l’avant et influencer par le dynamisme de son attitude l’allure de l’expansion économique du Québec.
Vous comprendrez qu’il n’est pas facile de s’acquitter d’une telle tâche. Les difficultés qu’elle recèle sont nombreuses et imprévisibles. Nous sommes résolus à mettre toute la bonne volonté nécessaire pour les résoudre, mais nous n’avons jamais prétendu pouvoir y parvenir seuls. Ce que nous voulons accomplir, nous le ferons pour la population de notre province, mais aussi et surtout avec elle. À la vérité, nous comptons sur elle pour nous seconder dans nos efforts, nous comptons sur les groupements organisés pour nous présenter leurs suggestions. C’est là notre façon de comprendre la démocratie; nous voulons associer la communauté entière au processus de la décision politique et nous voulons qu’elle participe librement à l’élaboration des lois et des politiques qui la touchent de près.
En présentant son mémoire au gouvernement, votre Corporation s’est conformée exactement à ce que nous pouvions attendre d’un groupe de citoyens pénétrés de leur idéal professionnel et conscients de leurs devoirs sociaux. Nous considérons que vos suggestions viennent à point et qu’elles sont inspirées, comme je l’ai dit tout à l’heure, par votre souci d’aider les intérêts fondamentaux de l’ensemble de notre population. Naturellement, vous ne vous attendez pas à ce que je vous dise ce soir que le gouvernement a décidé de mettre immédiatement en pratique tout ce que vous nous proposez. Le document que vous nous avez soumis mérite beaucoup de réflexion et les réformes administratives et autres sur lesquelles vous insistez feront – veuillez m’en croire l’objet d’une étude attentive de la part de mes collègues et de moi-même.
Il y a tout de même un grand nombre de points que vous soulevez à propos desquels je ne puis que vous exprimer mon accord complet.
Ce que vous dites de l’inventaire de tout notre domaine forestier, de son exploitation, de son utilisation, ainsi que du reboisement et de la conservation de la forêt québécoise rejoint plusieurs de mes préoccupations et concorde précisément avec les politiques que nous avons commencé à appliquer en matière de richesses naturelles. Bien entendu, tout ne sera jamais parfait et il n’est pas non plus possible de traduire rapidement dans les faits le programme à longue portée que vous tracez. Vous pouvez toutefois être assurés que nous nous y mettrons sans tarder et que nous essaierons de réaliser, dans le plus bref délai possible, au moins les plus importantes de vos recommandations.
Il y a plusieurs années, en 1949, vous souligniez la nécessité de créer un comité de refonte et d’amendements de notre code forestier. Comme vous le mentionnez vous-mêmes, cette recommandation n’eut pas de suite. À ce sujet je peux vous dire que nous remettrons bientôt de l’ordre dans les lois et règlements affectant les forêts publiques et leur utilisation car nous voulons procéder sans plus de retard à cette importante refonte. Nous ferons aussi la classification économique des terres afin que nous puissions séparer définitivement les domaines forestiers des domaines agricoles.
Il est, de fait, indispensable que nous entreprenions cette tâche poux pouvoir, comme nous nous le proposons, aménager rationnellement le territoire de notre province.
À cause de la politique nouvelle que le gouvernement entend suivre en matière d’éducation, vos recommandations relatives à l’éducation forestière entreront certainement en ligne de compte dans les décisions que nous aurons à prendre. Il en est de même aussi de vos suggestions sur l’urgence des recherches que nous devons encourager ou auxquelles le gouvernement devrait participer. Je reconnais que le Québec est très en retard à ce sujet, et qu’il nous faut nous hâter si nous désirons que l’expansion de l’industrie forestière puisse se poursuivre.
Vous insistez également sur le problème social que représente la situation actuelle de la main-d’oeuvre forestière et vous avez parfaitement raison de recommander que des recherches sociologiques d’envergure soient entreprises à ce propos. Le gouvernement comprend les difficultés dans lesquelles se trouvent autant de travailleurs en forêt. Il ne s’agit pas seulement, bien au contraire, d’une simple question de salaire. Le travailleur en forêt est particulièrement touché par le caractère saisonnier de son emploi et par son éloignement du milieu familial. Il importe sûrement de trouver des remèdes appropriés aux conditions du Québec et de faire en sorte que le travail forestier devienne plus humain.
J’aurais bien des choses à ajouter sur les nombreuses recommandations que vous nous faites. Je n’ai voulu, ce soir, que vous faire part de mes premières impressions et vous dire que nous accorderons à votre mémoire toute l’attention qu’il mérite.
Nous allons étudier vos suggestions et réfléchir sérieusement sur leurs implications profondes car, à mes yeux et à ceux de mes collègues, elles nous tracent admirablement la voie que nous devons emprunter d’ici les prochaines années pour nous conformer au programme dont le peuple nous a confié la réalisation. Nous sommes assez réalistes toutefois pour prévoir qu’il nous sera parfois peut-être difficile d’accomplir tout ce qui devrait être fait. Chose certaine, nous nous sommes engagés à faire notre possible, et même, d’une certaine façon, plus que ce qu’un certain conservatisme social dépassé considérerait comme possible. Aux problèmes anciens, nous avons résolu d’apporter des solutions nouvelles et nous voulons maintenant poursuivre l’édification du mode de vie nouveau que tout notre peuple désire. Je vous ai dit tout à l’heure, en d’autres termes, que, pour nous, la démocratie ne devait pas seulement être un vague concept qu’on mentionne de temps à autre, sans vraiment y croire. Nous pensons au contraire que ses applications sont multiples. Elle existe dans le domaine politique; on doit la trouver aussi dans le domaine économique. Par les mesures que nous avons adoptées et, plus encore, par celles auxquelles nous songeons, nous voulons instaurer la démocratie économique au Québec. Grâce à des recommandations comme celles que vous nous avez faites, il nous sera plus facile de réaliser un tel projet.
Nous ferons ainsi du Québec, tous ensemble, un monde nouveau, un monde où le dynamisme aura succédé à la passivité, un monde en somme où à la qualité de citoyen s’ajoutera celle, aussi noble, d’artisan de l’avenir.
[QLESG19611031]
[Ecole Joseph-François Perrault
Québec, mardi le 31 octobre 1961 Pour publication après 6200 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre le 31 octobre 1961]
Chaque fois que l’on inaugure une école, quelle qu’elle soit, on pose un geste symbolique. Ce geste consiste moins à consacrer officiellement l’existence d’un nouvel édifice scolaire, qu’à marquer un pas de plus dans la voie du progrès économique, social et culturel. Et quand cette école on l’inaugure dans le Québec, le symbole devient plus profond. C’est alors tout le groupement canadien-français qui voit s’accroître la somme des moyens matériels qu’il a à sa disposition pour mener à bonne fin les tâches que sa situation particulière en Amérique du Nord l’oblige à entreprendre. L’école dont il s’agit aujourd’hui porte le nom de Joseph-François Perrault. Cet homme est mort il y a déjà plus d’un siècle. Il fut, en son temps, un éducateur reconnu, mais de nos jours – il faut bien l’admettre – la plupart d’entre nous ignorons l’oeuvre féconde que son courage et sa ténacité remarquables lui avaient permis d’accomplir. Je suis heureux que l’on ait donné son nom à une école aussi importante que celle que nous inaugurons maintenant. De cette façon, les Québécois d’aujourd’hui – les citoyens de la province, comme ceux de la vieille Capitale – se rappelleront l’apport d’un Québécois d’hier à la grande cause de l’éducation.
Je n’ai pas l’intention à ce moment de vous relater la vie de Joseph-François Perrault, ni même vous la résumer. Des historiens riens peuvent beaucoup mieux que moi s’acquitter de ce travail.
Je me permettrai seulement, si vous le voulez bien, de tirer un enseignement de sa vie. Perrault fut en effet un des précurseurs de l’éducation gratuite chez nous. Avec l’aide de Mgr Plessis, d’autres religieux et de nombreux laïques, il fonda une société philanthropique dont le but était d’instruire gratuitement les enfants dont les parents étaient peu fortunés. Il ne se contenta pas cependant d’établir une institution, il manifesta aussi une activité pédagogique extraordinaire, en écrivant plusieurs volumes ou manuels scolaires à l’intention des élèves qui, à cette époque, en avaient grand besoin.
Ce ne sont pas ces faits précis que je veux retenir aujourd’hui, mais bien plutôt le caractère fondamental de son apport. Car Perrault fut avant tout un initiateur.
Et, dans n’importe quelle société, le rôle d’initiateur n’est pas facile. Les obstacles à surmonter sont abondants, les préjugés sont profondément ancrés, sans compter que l’incompréhension mine souvent les volontés les plus obstinées.
Perrault ne céda jamais à ces difficultés car il croyait, avec raison, que sa cause était juste et qu’en définitive elle finirait par triompher. À l’heure actuelle, nous lui devons beaucoup, car il a imprimé à l’éducation canadienne-française un élan qui persiste encore. Parfois, cet élan a pu sembler s’amoindrir au point de disparaître. Parfois, les circonstances ont pu laisser croire que le domaine de l’éducation chez nous avait atteint sa forme finale et que tout progrès, tout renouvellement était désormais inutile, voire nuisible.
De fait – vous le savez – il n’en est pas ainsi. Tout notre peuple veut aujourd’hui que ses institutions d’enseignement, que les méthodes qu’on y pratique s’adaptent aux conditions dans lesquelles nous vivons, Notre peuple veut en somme que se perpétue l’esprit d’initiative, l’esprit de création, l’esprit de renouveau qui animait un homme comme Joseph-François Perrault, soucieux du bien de sa communauté et pénétré de la grandeur de son action. Naturellement, il y a des gens qui craignent l’innovation, parce que justement l’innovation risque de modifier des modes de penser et d’agir auxquels ils sont habitués et qui leur apparaissent confortables. Pour ces gens, tout va bien lorsque rien ne change. Or, s’il est un domaine où le conformisme intellectuel est dangereux, s’il est un domaine qui exige l’adaptation aux réalités nouvelles, c’est bien celui de l’éducation. À ce propos, JosephFrançois Perrault nous donne une leçon. Dans son temps à lui, il y avait certainement des gens qui trouvaient ses entreprises hasardeuses et qui s’effrayaient des résultats qu’elles pourraient comporter. Pourtant, il a continué dans la voie qu’il s’était tracée, non pas parce qu’il voulait tout transformer pour le plaisir de la nouveauté mais parce que, d’après lui et d’après ceux qui le secondaient dans ses efforts – Mgr Plessis, son évêque, appartenait à ce groupe – il fallait à l’époque insuffler un esprit nouveau à l’éducation canadienne-française.
Au Moyen-Âge, il y avait d’excellents éducateurs. Au dix-huitième siècle aussi. Au temps de Joseph-François Perrault également.
Personne toutefois n’irait aujourd’hui proposer que nous revenions aux formes anciennes d’enseignement, car ces formes ne sont plus de notre époque; elles y seraient hors de place, dépaysées en quelque sorte et, surtout inefficaces. Les besoins du Canada français ne sont plus les mêmes qu’autrefois, qu’on le veuille ou non. On peut garder du passé une certaine nostalgie; mais il ne faut pas, si vous me permette l’expression, que cette nostalgie soit « agissante », il ne faut pas, en d’autres termes, formuler nos politiques actuelles en fonction de ce qu’était le Canada français d’hier. Si Perrault vivait aujourd’hui, il serait sans doute le premier à nous interdire de copier ce qui était valable dans son temps. Car, toutes proportions gardées, nous vivons dans un autre monde.
Ce monde, c’est celui que s’efforce de comprendre le gouvernement que j’ai l’honneur de représenter. Ses caractéristiques générales sont déjà connues. Le Canada français, le Québec en particulier, groupe une minorité ethnique isolée en quelque sorte dans une population trente fois plus considérable, de mentalité et du culture différentes. Pendant des générations entières, le souci de la survivance nationale a primé sur toutes les autres préoccupations. Maintenant, la survivance est assurée, mais elle ne suffit plus. Il nous faut dorénavant nous affirmer, non pas seulement exister, mais aussi vivre, car la rapidité de la vie moderne, les facilités de communications, l’interpénétration des cultures peuvent, si nous ne réagissons pas – et le plus tôt possible – reléguer notre peuple au rang des nations de second ordre.
Cela le gouvernement du Québec le comprend et, à cette fin, il a entrepris de doter la province des instruments qui permettront à notre population de hausser le niveau moyen de sa culture et d’influencer l’allure de son développement économique. Toute notre législation, aussi bien sur l’éducation que sur d’autres secteurs d’activité, vise de près ou de loin à faciliter la réalisation de cet objectif, qui soulève chez nous tant d’espoirs.
Dans le domaine plus précis de l’éducation, nous n’avons pas voulu nous en tenir seulement à une législation d’ordre général, fondée certes sur de bons sentiments, mais dont la portée réelle aurait été douteuse. Nous avons d’abord voulu connaître les faîtes en détail, et c’est pour cette raison que nous avons établi une Commission Royale d’Enquête sur l’éducation, présidée, comme vous le savez, par le vice-recteur de Laval.
La présence de cette Commission n’a cependant pas servi entre temps de prétexte à l’inaction législative. Nous possédions déjà des données très nettes sur certains problèmes et il importait que nous nous attaquions à leur solution le plus tôt possible. Nous avons ainsi posé les premiers jalons d’une politique globale en matière d’éducation et nous avons commencé à appliquer certaines réformes qui ne pouvaient subir de retards. Vous avez là la raison d’être de plusieurs des lois que nous avons adoptées et dont l’effet concret devrait se faire sentir assez rapidement. Lorsque nous parviendront les recommandations de la Commission d’Enquête, nous appliquerons de faon encore plus systématique les mesures dont les faits nous démontreront la nécessité.
Mais ce n’est pas seulement à la Commission d’Enquête qu’il appartient dans notre province de réfléchir sur une question aussi importante. Ce n’est pas parce qu’elle est maintenant à l’oeuvre que les citoyens doivent se croire libérés du souci de travailler, eux aussi, à la solution des problèmes d’ordre éducationnel dont ils sont conscients. Une telle attitude, si elle se manifestait, équivaudrait à une démission virtuelle en face d’un devoir primordial celui, pour les membres éclairés d’une démocratie, de prendre leurs responsabilités.
Je les encourage fortement, entre autres, à faire part à la Commission d’Enquête de leur opinion, de leurs projets ou de leur expérience dans le domaine de l’éducation. Ils peuvent collaborer à ses travaux à titre individuel ou encore par l’entremise des groupes auxquels ils appartiennent. Je veux aussi qu’ils sachent combien leur apport peut être utile. Si la Commission a été formée ce n’est d’ailleurs pas dans le but de trouver les moyens d’appliquer une politique déterminée au départ. Au contraire, elle vise à aider le gouvernement à élaborer une politique précise qui, pour la première fois peut-être dans le Québec, tiendra compte de tous les facteurs pertinents. Ces facteurs, la Commission peut certes les découvrir au moyen d’études scientifiques, mais elle ne les comprendra vraiment dans toute leur complexité que si les citoyens, qui en vivent les effets, coopèrent avec elle.
Il va sans dire que les commissions scolaires, les groupements d’instituteurs, en un mot, tous ceux que cette importante question touche doivent d’abord s’interroger eux-mêmes pour ensuite soumettre leurs vues aux organismes capables d’appliquer les solutions qui conviennent. Ainsi nous pourrons mieux, tous ensemble, édifier les structures d’enseignement les mieux adaptées aux nécessités présentes. Chaque type d’organisation, comme les écoles publiques, les collèges, les écoles professionnelles, chacun des groupements intéressés, comme les enseignants et les administrateurs de maisons d’enseignement, doit avoir de l’éducation la vue d’ensemble qu’exige, je vous prie d’excuser le néologisme technique, qu’exige la complémentarité des multiples secteurs de l’éducation dans notre province. C’est à cette condition essentielle qu’il deviendra possible de coordonner ceux-ci pour les rendre plus efficaces.
D’aucuns peuvent parfois être tentés de croire que les objectifs que nous poursuivons dans le domaine de l’éducation sont trop vastes ou encore que les ressources matérielles du Québec ne suffiront pas pour les réaliser. Je reconnais que notre programme est ambitieux, mais c’est ainsi que le veut le patron dont nous exécutons les désirs: le peuple de la province. Il sait qu’il a des retards à combler, il sait aussi qu’en les comblant et en faisant preuve de dynamisme, il prépare son avenir.
Il se souvient également que la liberté politique, pour être durable et réelle, doit se fonder sur la liberté économique. Or le peuple du Québec s’apprête actuellement à acquérir sa liberté économique. Il essaiera de l’atteindre en prenant activement part au développement de ses propres richesses et en participant directement à la mise en valeur de son territoire. Mais il n’y réussira vraiment que s’il est en mesure d’exercer les fonctions administratives et techniques, nouvelles chez nous, qui rendront possible un tel développement et qui en découleront. Il n’existe à cela qu’une seule solution: un niveau d’éducation accru, capable de préparer les jeunes d’aujourd’hui à prendre la place qui revient aux nôtres dans l’industrie, le commerce et les finances. Pendant longtemps, nous avons vainement souhaité qu’on nous donne, cette place; nous n’avions pas encore compris qu’il fallait en quelque sorte que nous la prenions, aussi bien en investissant dans nos ressources, qu’en nous imposant par notre compétence et par nos connaissances. En somme l’investissement financier que le Québec fournira bientôt à notre industrie n’aura les résultats que nous espérons que s’il s’accompagne d’un investissement dans notre potentiel humain.
C’est là le sens de la « politique globale » dont je parlais il y a quelques minutes et que nous avons la ferme intention d’appliquer. Nous comptons pour cela sur la collaboration de tous les éléments de notre société qui veulent que soit couronnée de succès l’oeuvre d’affirmation collective à laquelle la population du Québec a désormais résolu de consacrer ses efforts.
[QLESG19611109]
[Fédération des Femmes Libérales du Québec Québec. le 9 novembre 1961 Pour publication après 1:00 hre P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 9 novembre
1961]
C’est toujours un plaisir renouvelé pour moi que de me trouver parmi vous. Surtout en une journée d’étude comme celle-ci où, j’en suis convaincu, les travaux que vous accomplissez contribueront grandement à éclairer les délibérations du grand congrès libéral qui débutera ici même demain soir et au cours duquel j’aurai l’occasion d’exposer longuement toutes les choses que nous avons pu accomplir en seulement seize mois de pouvoir. Dans la même circonstance l’an dernier, je vous disais combien le gouvernement et le parti que je dirige comptaient sur vous pour renseigner notre population et l’aider à mieux comprendre l’oeuvre de restauration nationale que nous avons entreprise et que nous ne saurions mener à bien sans l’appui de tous et chacun. Et je souhaitais que vous trouviez des moyens nouveaux et efficaces d’étendre vos activités et d’accomplir votre oeuvre si méritoire et si nécessaire au bien-être et au progrès général. Mon souhait a été magnifiquement réalisé puisque votre Fédération compte maintenant des associations bien vivantes et très actives dans plus de quatre-vingt comtés de la province, et que les congrès régionaux, que vous avez tenus au cours de l’année ont contribué à rendre notre population plus consciente des problèmes qui nous confrontent et à mieux apprécier les efforts que nous multiplions pour leur trouver des solutions adéquates le plus rapidement possible. Vous méritez des félicitations chaleureuses pour le remarquable travail que vous avez accompli au cours de l’année, et je sais me faire l’interprète de tous les militants libéraux de la province en vous disant combien nous apprécions votre collaboration et l’appui indéfectible que vous nous accordez.
Je vois que vous avez inscrit à l’ordre du jour de votre réunion, l’étude et l’adoption d’une nouvelle constitution. Je ne sais dans quel sens exactement sont orientés les réformes et les changements que vous désirez apporter à la structure et aux règlements qui régissent votre vie et vos activités politiques. Cependant, j’imagine facilement que les transformations dont est témoin notre province depuis le 22 juin 1960 et l’expansion vraiment remarquable que connaissent les cadres de votre Fédération, vous incitent à assumer de nouvelles responsabilités et à vous associer davantage encore au Parti Libéral du Québec, à tous les paliers de sa structure pyramidale. Dans le Parti Libéral, nous avons toujours considéré la femme l’égale de l’homme; nous lui reconnaissons les mêmes droits et nous désirons vivement qu’elle assume au sein du parti les mêmes responsabilités que son compagnon d’armes. Je ne doute pas que vous saurez vous inspirer d’idées aussi généreuses envers les militants libéraux de l’autre sexe, et dont je suis dans l’élaboration et l’adoption de votre nouvelle constitution.
D’ailleurs, les libéraux n’ont-ils pas démontré dans le passé, alors qu’ils étaient au pouvoir à Québec, leur volonté d’accorder a la femme les mêmes droits que 1′ homme dans toutes les sphères d’activités, comme cela se passe à l’intérieur même de notre parti. Ai-je besoin de rappeler que c’est un gouvernement libéral qui a donné le droit de vote aux femmes dans notre province? Que c’est encore un gouvernement libéral qui, par exemple, a accordé l’admission des femmes au Barreau, c’est-à-dire à la pratique du Droit au Québec? Nous-mêmes n’avons pas hésité, depuis le 22 juin, à faire appel aux talents de la femme pour remplir d’importantes fonctions sur plusieurs organismes gouvernementaux. Je ne voudrais pas vous imposer une nomenclature peut-être monotone, mais vous me permettrez sûrement de rappeler qu’une femme, Me Marguerite Choquette, est l’un des cinq membres de la nouvelle Régie des Alcools du Québec, que le secrétaire de la Commission Royale d’Enquête sur l’ancienne administration de l’Union Nationale est également une femme, Me Gervaise Brisson, et que nous avons nommé une femme au Bureau de la Censure du Film, Madame Florence Martel, fondatrice de la Société des Femmes universitaires de Montréal. Des femmes siègent également sur le Comité consultatif de l’assurance-hospitalisation, sur le Comité d’Étude de l’Enseignement technique et professionnel, à la sous-commission de l’enseignement aux enfants exceptionnels, ainsi que sur plusieurs autres organismes. Nous ne considérons pas cependant que tout a été fait pour l’égalité de la femme dans une province où elle va être appelée de plus en plus à assumer d’importantes responsabilités et à faire bénéficier notre population de ses talents et de ses dons. Je sais que l’une des mesures les plus urgentes à cet égard est la révision du statut juridique de la femme mariée. Déjà, le programme politique que nous avons soumis à l’approbation de l’électorat, comportait deux articles bien précis à ce sujet. Mais vous avez voulu pousser plus avant l’étude de la question, et le comité que votre Fédération avait formé à cet effet a fait ratifier par le congrès général de l’an dernier un rapport très fouillé, que j’ai lu. avec grand intérêt. Laissez-moi vous dire qu’il contient d’excellentes suggestions qui ne sauraient laisser indifférent le gouvernement que je dirige. Cependant, le rapport de votre comité reconnaît lui-même que les réformes demandées auront des répercussions sur de nombreux chapitres du code civil. Ce n’est pas là une chose qui pouvait se faire du jour au lendemain, surtout lorsqu’on sait la somme de travail que le gouvernement a eu à abattre dans tant de domaines, dans un laps de temps aussi court que seize mois. Je reconnais néanmoins que plusieurs des réformes préconisées par votre Fédération sont urgentes. Nous en sommes bien conscients et c’est notre ferme intention d’agir dans ce domaine avec toute la célérité possible. Je ne puis vous dire si cela se fera à la session qui s’ouvre le 9 janvier ou à celle qui suivra, mais soyez assurées que nous agirons de manière à donner satisfaction à la femme mariée québécoise,
et cela de façon positive, avant la fin de notre premier mandat.
Encore une fois, vous aurez fait la preuve de la nécessité et de l’efficacité de l’action que vous exercez. Il n’est donc pas besoin pour moi d’insister davantage sur le rôle que votre Fédération doit continuer de jouer avec autant de détermination et de succès, tant au sein du parti que chez notre population. Tout ce que je veux ajouter, c’est que tant et aussi longtemps que la femme travaillera avec autant d’enthousiasme et militera en aussi grand nombre dans le Parti Libéral du Québec, le gouvernement que je dirige pourra poursuivre en toute sérénité d’esprit son oeuvre de restauration nationale.
[QLESG19611110]
[Congrès de la Fédération Libérale du Québec Séance d’Ouverture, le 10 novembre 1961 Pour publication après 9:00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier ministre le 10 novembre 1961,]
Vous vous souvenez tous qu’en septembre 1958, trois mois à peine après que vous m’aviez fait l’insigne honneur de m’élire chef du Parti libéral du Québec, je déclarais formellement considérer le congrès général de la Fédération libérale du Québec comme les états généraux du Parti et qu’en conséquence, je rendrais annuellement compte de mon mandat à votre assemblée qui est souveraine en toutes matières de son ressort. Je précisais que cette procédure, que j’ai inaugurée dès le congrès de 1958, se poursuivrait même après que je serais Premier ministre de la province. À ce moment, bien des gens qui n’étaient pas au fait de l’immense effort de démocratisation déployé par notre parti – et même certains de nos militants qui ne se laissent pas facilement emporter par l’enthousiasme ont douté de la possibilité de réaliser un tel engagement une fois la victoire acquise. On semblait croire à tort que la Fédération était avant tout un instrument de combat, qu’elle n’aurait plus d’utilité véritable une fois le parti porté au pouvoir, et que ses dirigeants ne sentiraient plus alors le besoin de réunir annuellement les militants.
Seize mois. S’il est vrai que, de par sa nature même, tout gouvernement a généralement une vie beaucoup moins longue que celle des hommes qui le composent, seize mois de pouvoir n’en constituent pas moins une période vraiment courte pour réaliser un programme aussi vaste et aussi complexe que celui pour lequel a voté l’électorat de la province. Ceci est d’autant plus vrai pour nous que nous avons trouvé l’administration et les finances de la province dans un fouillis indescriptible, que nous avons eu à faire face dès le début à des problèmes urgents que nos prédécesseurs avaient négligé ou refusé de solutionner. Et c’est d’autant plus vrai qu’il nous a fallu tenir deux élections partielles pour combler des vacances créées par la démission de deux membres de l’Opposition et assurer ainsi que les comtés de Joliette et de Rouville soient représentés en Chambre; et, enfin, qu’une très grande partie de notre temps a été littéralement accaparée par la session la plus longue de toute l’histoire politique du Québec.
Pourtant, et malgré toutes les difficultés auxquelles nous avons da faire face, que de choses nous avons pu accomplir en seize mois. Dois-je rappeler ici que la Fédération s’est révélée plus vivante que jamais au lendemain du 22 juin 1960? Non seulement a-t-elle démontré par les nombreux travaux quelle a accomplis au cours des seize derniers mois que son utilité demeure toute aussi grande au pouvoir, que dans l’Opposition, mais elle a continué à réunir et à consulter régulièrement les électeurs aux trois paliers de sa structure pyramidale, c’est-à-dire dans le comté, dans la région et dans la province. C’est ainsi que cette année comme l’an dernier et les années précédentes, l’occasion m’est donnée de venir vous dire ainsi qu’à toute la province comment le gouvernement que je dirige s’est efforcé depuis son accession au pouvoir de traduire dans la législation et la réalité quotidienne le programme politique que vous nous aviez tracé et dont nous sommes devenus les mandataires de par la volonté du peuple.
[Indeed, the longest session of the.Quebec Legislature has also been the most fruitful of our whole political history.
No less than ninety bills were presen ted by the Government, and voted upon during the last session. I shall spare you the monotony of a long enumeration. Still, I would like to stress the fact that our whole legislative action of the last session was aimed at restoring liberty and justice in our province.
The thousands of Quebec taxpayers who, since January lst, have taken advantage of our hospital insurance Plan … the thousands of family heads for whom the education of their children has ceased to be a nightmare to become a right which they fully enjoy … the thousands of old-aged, of widows, of unmarried women, of crippled, of blind and of other persons in need who are about to receive from September lst supplementary new allowances … the thousands of farmers and settlers who now obtain more generous loans at more
• advantageous conditions … each and all are living witnesses to the government’s effort to render, through its legislation, justice to the whole population of the province.
But justice does not corne without liberty. One needs but look around to ses how freedom — which might have been believed dead forever in the province of Quebec — is more alive than ever and proves itself with great vigor in all spheres of activities. The
• « rediscovered freedom » of our written and spoken press is ample proof of the climate of
liberty we now enjoy in our province under a Libera} Government.
Together with our legislative action, we have taken the necessary means to put order and coherence in public affairs, particularly in the finances of the province. A Treasury Board has been set up so as to insure a close control of publie expenditure. The
Ob system of public tenders has been enforced, as stipulated by our program. The Purchasing Office has been reorganized so as to set it free from all political tie-ups and to insure, at the same time, that services and products manufactured in Quebec with Quebec materials be given preference, within the bounds of possibility.
There is no need to go into further details, I think,
• to show clearly that the government has spared no effort to restore
justice, liberty and order in the province, as instructed to do so
by the electorate on June 22nd, 1960.]
Oui, amis libéraux, que de choses nous avons pu accomplir en seize mois. Dans le domaine législatif, le gouvernement a fait voter par les Chambres pas moins de 90 lois … 90 lois dont notre province avait grand besoin pour rattraper le temps perdu au cours des seize dernières années. Ceux d’entre vous qui ont suivi de près les travaux de la dernière session – sûrement la plus fructueuse qu’ait jamais connue notre province – ont pu facilement se rendre compte combien nous nous sommes appliqués à faire passer dans la législation le plus grand nombre possible d’articles du programme sur lequel nous nous sommes fait élire. Je vous fais grâce d’une nomenclature qui risquerait d’être longue sans rien vous apprendre de neuf. Je ne saurais trop insister cependant sur les préoccupations de justice et de liberté qui ont animé toute notre action législative, qu’il se soit agi d’éducation, de santé publique, de rayonnement culturel, de politique agricole, de grandes réformes administratives et autres.
Dans le domaine de la santé publique, par exemple, nous avons voulu garantir à tous les citoyens de la province le droit de se faire hospitaliser gratuitement, tout en respectant la liberté et les caractéristiques propres tant de notre population que de nos hôpitaux. Nous avions pris un engagement solennel à cet effet: la loi instituant l’assurance-hospitalisation fut la première à être inscrite au feuilleton de l’Assemblée législative, et dès le premier janvier de cette année, les contribuables pouvaient se prévaloir des bénéfices de cette loi, ainsi que nous l’avions promis à l’électorat. Les améliorations que nous apportons à cette loi à mesure que son application en démontre le besoin nous convainquent que l’expérience pratique que nous avons pu acquérir depuis dix mois qu’elle est en vigueur, nous permettra d’en parfaire les modalités beaucoup plus rapidement que si le plan était encore à l’étude, ainsi qu’on l’aurait voulu dans certains milieux. Le vieux dicton: « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », s’applique ici magnifiquement!
Je m’en voudrais de ne pas mentionner également la Loi pour remédier à la pollution des eaux, qui est une mesure efficace pour prévenir la maladie et améliorer la santé générale de notre population. Vous me permettrez de rendre ici hommage à la mémoire du regretté Docteur Kirkland, le si dévoué député de Jacques-Cartier qui a été le principal instigateur de cette importante mesure législative, ainsi qu’à celle de son collègue de Chambly, M. Robert Théberge, qui a si bien servi ses compatriotes tant comme député que comme adjoint parlementaire du Secrétaire de la province.
Ce n’est pas sans raison qu’on a dit et écrit que la dernière session avait été celle de l’éducation. Si l’on consulte rapidement la nomenclature des lois votées au cours de cette session, on constate qu’une douzaine d’entre elles – allant des allocations scolaires à la Commission royale d’enquête sur l’enseignement s’attaquent à ce problème crucial dont la solution est la plus sûre garantie de notre réalisation nationale. Sans préjuger aucunement des résultats de l’enquête sur l’éducation, nous avons voulu établir immédiatement la gratuité de l’école publique et rendre l’enseignement secondaire et universitaire accessible au plus grand nombre en apportant un début de solution aux problèmes financiers auxquels ont à faire face tant les parents que les maisons d’enseignement. C’est dans ce sens qu’on a pu dire que le gouvernement avait réalisé une première étape dans son action pour doter le Québec d’une grande charte de l’éducation.
Qui dit éducation dit épanouissement culturel. En même temps que nous faisions porter nos efforts dans le domaine de l’éducation, nous avons voulu que le Québec affirme, par sa langue et sa culture, la présence française sur le continent nord-américain, ainsi que nous engageait à le faire le programme politique que vous nous aviez tracé. La poursuite des tâches que nous imposent les réalités canadiennes et notre survivance au sein d’un monde américain dont la culture est étrangère à la nôtre, exigeait que le Québec devienne la première province du Canada à se doter d’un ministère des Affaires culturelles. Un tel ministère et les organismes qui le composent ne peuvent s’édifier en quelques semaines ou quelques mois. Pourtant, malgré des moyens encore restreints, le ministère des Affaires culturelles fait déjà sentir son action même à l’extérieur du Québec. Je ne vous redirai pas l’accueil inoubliable que nous a fait la France lors de l’inauguration de la Maison du Québec à Paris. Je voudrais simplement souligner quel rôle important ont joué les liens culturels qui nous unissent à la France dans les pourparlers que nous avons eus à Paris tant avec les autorités gouvernementales qu’avec les représentants de la finance, de l’industrie et du commerce. C’est par la culture que le dialogue trop longtemps interrompu a été renoué avec la France. C’est par la culture également que le Québec se constituera la mère-patrie de tous les parlants français qui, en terre d’Amérique, vivent au-delà de nos frontières. La visite officielle que je viens de faire au New Hampshire, la première du genre jamais accomplie par un premier ministre du Québec, m’en a facilement convaincu.
Si l’on a pris l’habitude d’appliquer plus généralement le mot culturel aux grandes manifestations de l’éducation et de la civilisation, tels les arts, les sciences et les lettres, le dictionnaire nous informe, au cas où nous serions tentés de l’oublier, que la culture est avant tout l’action de cultiver la terre. Le gouvernement que je dirige n’a pas oublié cette vérité fondamentale au cours de la dernière session, il a fait voter plus de douze lois qui améliorent sensiblement le sort de nos cultivateurs et réalisent ainsi la plus grande partie du programme agricole que nous préconisons. Sans vouloir les énumérer toutes, je rappellerai que les plus importantes d’entre elles ont ajouté $20000 000 aux sommes à prêter par l’intermédiaire du Crédit agricole; encouragé et aidé les cultivateurs à emprunter à meilleur compte pour améliorer leurs fermes et leurs troupeaux; favorisé l’expansion des coopératives agricoles; protégé à la fois les cultivateurs et les consommateurs en prohibant la vente des succédanés du beurre colorés; rendu plus efficaces la loi des marchés agricoles; permis au gouvernement de réglementer l’achat, la vente, le prix et le mesurage du bois de pulpe coupé sur les terres des cultivateurs et des colons.
Cela suffit, je crois, pour démontrer que le gouvernement libéral comprend l’importance d’une agriculture progressive et prospère dans l’expansion économique de notre province et qu’il entend procurer à nos cultivateurs les moyens de se réaliser pleinement.
Nous avons légiféré également dans plusieurs autres domaines. Je voudrais, avant d’en venir aux grandes réformes administratives que nous avons déjà effectuées, vous parler brièvement de deux lois que je considère d’une grande importance. Il y a d’abord la loi pour assurer l’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile. Voici une loi qui s’imposait depuis longtemps. Au rythme où augmente le nombre des véhicules moteurs sur nos routes et, proportionnellement, les occasions d’accidents, il devenait indispensable d’instituer un Fond d’indemnisation pour les victimes de la route et, sans rendre l’assurance obligatoire, exiger une preuve de solvabilité des automobilistes. C’est là une mesure humanitaire dont tous doivent se réjouir.
Puis il y a la loi qui a créé la nouvelle Régie des alcools du Québec, dont l’application a été confiée à un organisme composé d’un juge-président et de quatre membres. Cette réforme de la loi régissant la vente, la possession et le transport des boissons alcooliques dans le Québec s’imposait, elle aussi, depuis longtemps. L’ancienne loi prêtait à bien des abus, encourageait l’hypocrisie, servait souvent d’instrument de chantage, et était désuète dans son application car elle ne tenait pas compte des réalités de notre temps.
Sans prétendre que nous ayons atteint à la perfection, nous croyons sincèrement avoir réalisé un réel progrès. D’ailleurs, nous l’avons dit lors de sa présentation en Chambre, cette loi est sujette à des améliorations à mesure que son application nous en révèlera les faiblesses. En même temps que nous mettions de l’ordre et de la justice dans un domaine où tout n’était qu’incohérence et arbitraire, nous légiférions de façon à intensifier la lutte contre l’alcoolisme. Là comme partout ailleurs, nous avons appliqué une politique, positive qui est, je crois, la grande caractéristique de toute notre législation.
J’ai eu l’occasion, lors du récent congrès de la Fédération des Jeunes libéraux du Québec, d’esquisser les grandes lignes de la réforme administrative que nous avons entreprise depuis seize mois que nous sommes au pouvoir. Nous avons restructuré la Commission du Service Civil et nous avons réinstitué le système des concours pour les emplois permanents, du bas en haut de l’échelle de l’administration provinciale. Nous avons sorti la police provinciale de la politique et l’avons dotée de cadres nouveaux de manière à en faire le corps policier le plus compétent et le plus efficace de tout le Canada. Nous avons entrepris la réévaluation des tâches dans tous les domaines de l’administration, en même temps que la reconstitution des divers départements et services nécessités par la création de nouveaux ministères et des transferts de responsabilités. Alors que s’accomplissaient ces changements importants de structures et de cadres, nous prenions les dispositions nécessaires pour rétablir l’ordre et la santé dans les affaires publiques, particulièrement en ce qui concerne les finances de la province que nos prédécesseurs avaient laissées dans un état plus que lamentable. Un Conseil de la trésorerie a été créé afin d’assurer une étroite surveillance de l’usage qui est fait de l’argent des contribuables. Le système des demandes de soumissions publiques a été rétabli, comme l’exige la loi. Le Service des Achats a été réorganisé de façon à le libérer de toute ingérence politique et à assurer en même temps que les services et produits fabriqués au Québec avec des matériaux du Québec obtiennent toujours la préférence dans la mesure du possible. Dans le même esprit, nous exigeons des architectes et constructeurs qu’ils fassent appel aux talents de chez nous pour l’ornementation, la décoration et l’esthétique de nos grands édifices publics. Ce qui est une autre application d’une politique culturelle qui doit bénéficier à toute la population.
Ce sont là quelques-unes des grandes réalisations que nous avons pu accomplir en seulement seize mois, de pouvoir. Je sais que vous pourriez vous-mêmes en nommer plusieurs autres, comme par exemple le Conseil d’orientation économique, la Commission d’aménagement et d’embellissement de la capitale du Québec, etc. Pourtant, il ne faudrait pas croire que tout a été fait, que notre programme a été réalisé dans son entier, et qu’il ne nous reste plus qu’à nous reposer sur nos lauriers.
Beaucoup reste à faire, et vous êtes les premiers à le savoir, vous de la Fédération libérale du Québec, puisque depuis votre dernier congrès vous n’avez pas cessé de multiplier vos travaux et vos activités dans le but d’aider le gouvernement que vous avez fait élire à poursuivre jusqu’au bout son oeuvre de restauration nationale. C’est ainsi que vous avez choisi pour thème de votre septième congrès annuel, la réforme électorale. Il arrive que c’est là l’une des principales mesures que nous aurons à réaliser au cours de la session qui débute en janvier, et nul doute que les travaux que produiront vos délibérations seront d’une grande utilité au gouvernement dans la préparation de sa législation. J’aurai d’ailleurs l’occasion de vous en causer plus longuement au banquet de demain soir. J’ai dit à maintes reprises que l’expansion et le rayonnement de l’État du Québec ne sauraient s’accomplir sans la reconquête économique. C’est dans ce but que nous avons fait porter jusqu’ici nos efforts les plus grands sur l’éducation. Car la compétence et le savoir sont à la base même du succès dans ce domaine oh nous avons tant à faire. Mais en même temps que nous prenions les moyens pour faciliter aux nôtres l’accès à la connaissance, nous posions les premiers jalons d’une action gouvernementale qui va enfin permettre à notre peuple d’accéder à la liberté économique. C’est ainsi que le Conseil d’orientation économique, entre autres, va nous permettre d’entreprendre dès la prochaine session une action positive et déterminante pour l’avenir du Québec.
Cette action dynamique et positive en matière économique va nous permettre d’attirer chez nous de nouveaux capitaux. La source cependant en sera beaucoup plus diversifiée, ce qui va nous aider à contrebalancer l’influence par trop envahissante des capitaux américains, auxquels sont attachés des techniques, un comportement et un vocabulaire qui constituent une réelle menace à notre culture propre. Les transformations que va ainsi connaître notre vie industrielle et commerciale ne seront pas sans avoir d’importantes répercussions sur le marché du travail. Nos ouvriers, nos techniciens et nos experts devront être mieux qualifiés que jamais pour occuper les postes de commande partout où nous nous affirmerons économiquement. Mais en même temps ils devront pouvoir compter sur une législation ouvrière qui leur garantira stabilité et sécurité. Notre programme est très précis à ce sujet. Déjà nous avons commencé d’agir dans ce domaine. Plusieurs lois ont été votées à la dernière session et c’est notre ferme intention d’améliorer encore et de compléter notre législation ouvrière le plus rapidement possible.
Ai-je besoin de préciser que notre action, tant dans le domaine de l’éducation que dans celui de l’économie, aura pour résultat d’apporter enfin une solution, peut-être pas définitive, mais sûrement satisfaisante, à l’angoissant problème du chômage. Alors que nos prédécesseurs n’ont jamais voulu rien faire dans ce domaine sous prétexte que cela ne regardait qu’Ottawa, nous avons courageusement reconnu que le chômage étant avant tout un problème familial, le gouvernement du Québec avait sa part de responsabilité dans la recherche d’une solution. C’est ainsi qu’à la dernière session, nous avons passé plusieurs lois, comme celle favorisant l’exécution de travaux d’hiver par les municipalités qui ont apporté du travail à des milliers d’ouvriers québécois et aider ainsi à diminuer le chômage dans notre province. Mais nous ne sommes pas sans savoir que tous les palliatifs que nous pouvons apporter dans ce domaine ne sauraient constituer une solution permanente au chômage. Le mal est plus profond; la guérison viendra du relancement d’une économie dont nous serons enfin les maîtres ainsi que d’un plus haut degré d’éducation qui permettra au plus grand nombre des nôtres d’affronter victorieusement les exigences des techniques modernes. C’est ce à quoi s’applique le gouvernement que je dirige et il n’aura de cesse tant et aussi longtemps que le chômage existera chez nous.
Vous tous, amis libéraux, savez que c’est notre ferme intention de mettre sur pied le plus tôt possible une Société générale de financement qui, tout en bénéficiant du stimulant que constituera la participation financière, même minoritaire, du gouvernement, va enfin permettre à tous les citoyens du Québec de participer directement à l’exploitation des richesses naturelles qui lui appartiennent en propre, et de prendre ainsi leur place dans l’industrie, le commerce et les finances. Je le répète: cette société de financement constitue le meilleur moyen de faire enfin servir les capitaux québécois – ceux des petits épargnants comme ceux de nos sociétés d’épargne et de finance, et même du gouvernement – dans l’intérêt du peuple du Québec et de son économie propre, au lieu, comme c’est trop souvent le cas présentement, d’être dispersés et noyés dans des entreprises improductives ou dans des entreprises étrangères à nos préoccupations collectives. En faisant jouer ainsi à l’État du Québec son rôle de magnifique instrument de libération économique et d’affirmation nationale, le gouvernement que je dirige sait qu’il a avec lui toute la population de la province et qu’elle l’approuve.
Un tel effort de renouveau national au Québec ne va pas sans soulever de nombreux problèmes dont la solution – je vous l’avoue franchement – n’est pas chose facile pour le gouvernement. Il faut savoir le degré d’anarchie que nous avons trouvé dans tous les domaines de l’administration provinciale, après seize ans de « grande noirceur », pour comprendre l’ampleur de la tâche qui nous incombe. Les difficultés qui nous confrontent peuvent être classées dans deux grandes catégories: les moyens encore imparfaits dont nous disposons pour traduire dans la réalité quotidienne la législation que nous avons votée, et donner ainsi forme au plan d’ensemble de gouvernement que nous nous sommes tracé; les défauts de structure d’une administration dont les cadres demeurent inadaptés aux besoins modernes et qui, dans trop de domaines encore, sont dominés par des gens qui ne pensent pas comme nous et qui, inconsciemment ou volontairement, entravent notre action et ralentissent la réalisation du changement de vie que nous avons annoncé à la population qui veut ce changement de vie
Les nombreuses lois que nous avons votées dans les domaines de l’éducation, de la santé publique, du bien-être social et autres, ont exigé au sein de l’administration provinciale des transformations d’importance et la création de nouveaux rouages dont l’ajustement demande du temps. Tant et aussi longtemps que ces transformations et ces nouveaux rouages n’auront pas été parfaitement intégrés, l’application de la nouvelle législation sera lente à produire les fruits qu’en espère notre peuple. Et la réalisation du plan d’ensemble que nous avons élaboré pour le plus grand bien de la province paraîtra plus ou moins cohérente.
Je sais bien comme vous, amis libéraux, – et tous les membres du gouvernement en sont parfaitement conscients, que la clef de ce problème crucial se trouve dans la revalorisation de notre fonctionnarisme. D’ailleurs, aurions-nous voulu l’oublier que
vous vous êtes chargés vous-mêmes, militants libéraux, soit individuellement, soit par le truchement de notre Fédération ou de notre journal libéral « LA REFORME », de nous rappeler constamment l’urgence qu’il y a de doter l’administration provinciale d’un fonctionnarisme qualifié, compétent et imbu du renouveau national que désire si ardemment notre peuple.
Nous sommes bien d’accord qu’il nous faut remplacer, comme vous dites, le « bois mort » ou le « bois récalcitrant » qui entravent inutilement l’action du gouvernement, mais veuillez m’en croire, cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, même pas après seize mois de pouvoir. Il y a deux raisons pour cela. J’ai lu dans un certain numéro de « LA REFORME », et je cite : [ » Le gouvernement Lesage n’a pas pris le pouvoir à la faveur d’une révolution et il n’entend pas avoir recours à des lois d’exception pour accomplir le « grand ménage » que réclame la population. « ]
Effectivement, le gouvernement que je dirige respecte les institutions démocratiques qui nous régissent, s’efforce de les revaloriser et de les solidifier, et c’est dans le cadre de ces institutions et avec les moyens qui sont ainsi mis à notre disposition que nous entendons accomplir la réforme du fonctionnarisme. Cette réforme, elle est déjà commencée, et je puis vous assurer qu’elle sera menée jusqu’au bout.
La seconde raison est beaucoup plus grave. Je l’ai dit au congrès des jeunes libéraux: le long règne de nos prédécesseurs, en même temps qu’il privait notre jeunesse des moyens d’acquérir les connaissances qui lui permettraient aujourd’hui de prendre la relève, a systématiquement écarté du fonctionnarisme provincial nos compétences qui ont dû faire fructifier dans d’autres sphères le savoir et les talents qu’ils possédaient. L’État du Québec souffre terriblement du vide créé par le passage combien pénible et douloureux de l’Union Nationale Heureusement la lumière luit de nouveau dans notre province depuis le 22 juin 1960. Le peuple est non seulement le témoin, mais participe activement au plus grand effort de renouveau national qu’ait jamais connu notre province et le Canada français tout entier. À votre exemple, militants libéraux, le peuple nous fait confiance. Il sait, comme vous, que les difficultés et les obstacles que nous pouvons rencontrer sur notre chemin, ne nous arrêteront pas dans notre marche triomphale vers la libération économique et sociale de l’État du Québec. La province et sa population ont une oeuvre grandiose à accomplir en terre d’Amérique, et c’est dans l’unité de volonté que nous l’accomplirons tous ensemble
[QLESG19611118]
[Congrès des Affaires Canadiennes de l’Université Laval Québec. le 18 novembre 1961 Pour publication après 1:00 hre P.M.
Hon, Jean Lesage, Premier ministre, 1e 18 novembre 1961]
Je tiens d’abord à vous exprimer le plaisir que j’ai de recevoir, au nom des citoyens de la province de Québec et en mon nom personnel, les participants au Congrès des Affaires Canadiennes de l’Université Laval.
[I would like te welcome here, among others, the delegates from the other provinces, and I hope that their stay with us is a most agreeable one.]
Le gouvernement du Québec n’a pas voulu demeurer étranger à vos assises. Même s’il n’y a pas pris part de façon officielle, il désire, par la rencontre de ce midi, vous témoigner l’intérêt considérable qu’il a porté à vos délibérations.
Je sais que pour ma part – et il doit en être de même de mes collègues – j’ai suivi avec grande attention les compte-rendus de vos débats dans les journaux. Les questions que vous y avez soulevées, vous le devinez facilement, ne pouvaient nous laisser indifférents.
[I have been particularly impressed by the frankness and broadness of outlook which your guest speakers as weli as all those taking part have shown in expressing their opinions. I am sure that this will result in improving mutuel understanding between the two most important ethnie groups of the population of Canada.]
J’aimerais féliciter bien sincèrement les dirigeants et les membres de l’Association Générale des étudiants de Laval de la magnifique idée qu’ils ont eue d’organiser ce Congrès. Quand j’ai pris connaissance du thème que vous vous proposiez d’examiner, quand j’ai vu le soin qu’on avait apporté à préparer chacune des sessions plénières, quand j’ai compris surtout l’esprit dans lequel le Congrès avait été conçu, je me suis senti fier – je l’avoue – des étudiants de l’Université dont je suis moi-même un ancien élève. Je veux que vous sachiez, notamment vous qui vous y êtes le plus dévoués, combien j’apprécie les efforts que vous avez si habilement déployés et que vous avez su rendre si fructueux.
Je suis certain, par exemple, qu’il s’en trouvera plusieurs, dans divers milieux, pour dire que le thème de votre Congrès était vraiment osé et qu’il aurait peut-être mieux convenu de s’en tenir, dans la conjoncture politique actuelle, à l’étude de problèmes moins litigieux.
Si vous me permettez de vous exprimer mon opinion personnelle, je vous dirai cependant qu’il faut, dans n’importe quelle société, que quelqu’un à un moment donné fasse ouvertement prendre conscience à l’ensemble de la population des problèmes qui la touchent de près. Ce quelqu’un, à mon sens, c’est probablement la jeunesse et particulièrement les étudiants qui ont le loisir de penser et qui, surtout, sont peut-être la classe sociale la plus libre. Les autres classes, riches ou pauvres, instruites ou non, urbaines ou rurales, ont quelque chose à défendre, ou à proposer. En somme elles ont toutes des intérêts à mousser ou à sauvegarder.
Je crois bien que c’est le propre des étudiants de ne pas faire la partie facile à leurs aînés. Dans tous les pays du monde, ils ont le don de soulever des questions difficiles ou même épineuses à des moments que leurs aînés peuvent juger inopportuns ou prématurés.
Ce phénomène est évidemment normal et si je le mentionne ce n’est pas que je regrette qu’il en soit ainsi; c’est tout simplement parce que je veux rappeler un fait connu de tous. Mais puisqu’il arrive que la classe étudiante est libre de penser à sa guise, même si cette liberté est par définition provisoire, il est dès lors de son devoir, pendant qu’elle le peut, de soulever des questions que les autres groupes de la société, aimeraient mieux parfois esquiver. Je préfère d’ailleurs, voir un problème délicat discuté à un moment qualifié d’inopportun par ceux pour qui le calme et la tranquillité prennent le pas sur la vérité et la justice, que de le voir négligé ou même oublié.
[Ail this, to tell you my firm belief that you have been right in choosing this difficult « terrain » and to refuse « to talk about something else ». I am convinced that the time has corne for us to ask ourselves if Canada is « a successful experiment or one that has failed ». We will soon be celebrating the hundredth anniversary of Confederation, and I think that this is an excellent occasion for each one of
us to ask himself this question. We are all Canadiens, and we live within a framework that was thought up by those who came before us. Therefore, it is only right for us to ask ourselves if this frarnework still meets present requirements or if, on the contrary, it should be set aside and replaced by a better one. In short, has the Canadian experiment, which commenced in 1867, succeeded, or has it proven to be a failure ?
This is the problem that jour Convention has given us
to investigate. There can be no question of evading it. Therefore, it would be wrong for me
to corne here and sidestep the issue by speaking to you on some other subject. This is not one of my habits, particularly as I have very definite ideas on the questions that you have raised and about which I would now like to talk to you.]
Vous nous demandez donc si le Canada est une expérience ratée ou réussie.
Pour savoir si une expérience est un succès ou si au contraire elle est une faillite, il faut à mon sens deux conditions essentielles. La première est que l’expérience soit d’abord arrivée à son terme, c’est-à-dire qu’on ait donné le temps et la possibilité aux éléments qu’on a mis en présence d’agir les uns sur les autres. La deuxième, c’est que l’on ait réuni sans exception tous les éléments pertinents. Ainsi, pour continuer à me servir de cette image, dans une expérience chimique valide, on aura contrôlé à la fois la température et la pression atmosphérique et on aura réuni dans des proportions déterminées les ingrédients dont on veut connaître les réactions. Personne ne prétendra que l’essai tenté est concluant, négativement ou positivement, à moins que l’on n’ait satisfait à toutes ces conditions.
Je sais que l’expérience canadienne ne saurait se réduire à de simples phénomènes physico-chimiques. De fait, il s’agit d’une aventure humaine à laquelle on ne peut appliquer les critères de succès ou de faillite que l’on utilise dans les laboratoires. Vous me permettrez tout de même de revenir, sans prolonger la métaphore, aux deux conditions essentielles dont je viens de parler. D’après moi, elles fournissent des éléments de réponse à la question qu’on a posée à ce Congrès.
Peut-on d’abord s’imaginer que l’expérience canadienne soit arrivée à son terme? Je pense pour ma part – et vous aussi sans doute – qu’il n’en est rien et que nous sommes au contraire en train de la vivre. En fait, nous ignorons quel en sera l’aboutissement. Notre pays, découvert et fondé il y a quelques centaines d’années, n’existe sous forme fédérale que depuis un peu moins d’un siècle. Dans l’histoire humaine, cent ans, c’est bien peu. J’admets cependant que cela peut suffire pour nous faire une idée au moins approximative de la façon dont les choses se déroulent.
Mais nous ne pourrons alors apporter une réponse intelligente au problème soulevé que si nous tenons compte de l’autre condition essentielle dont j’ai parlé. L’expérience canadienne a-t-elle réuni vraiment et activement tous les éléments qui y ont, pour ainsi dire, participé. Tous les groupes ethniques de notre pays -ce sont là les ingrédients à partir desquels l’expérience se fait ils sont d’une façon ou de l’autre présents dans l’immense laboratoire canadien.
Ils sont présents, mais cela ne suffit pas pour que l’on puisse dire que la deuxième condition essentielle est nécessairement remplie. Je voudrais ici qu’on me comprenne bien
Nous vivons à l’intérieur d’une Confédération qui, encore une fois, aura bientôt cent ans. C’est en fonction de ce cadre qu’il faut, je pense, nous demander comment s’est manifestée la présence des divers groupes ethniques dont se compose la population canadienne, et notamment des groupes d’expression française et d’expression anglaise. Je fais donc entrer ici en ligne de compte un autre ingrédient: le régime confédératif. C’est en examinant comment il a rempli sa fonction ou, plus exactement, comment les deux principaux groupes ethniques l’ont utilisé que nous pourrons savoir jusqu’à quel point l’expérience canadienne est une réussite ou, peut-être, une faillite, de toute façon inachevée en ce moment
La plupart du temps, quand on parle de la Confédération, on le fait en termes de « cadre » ou de « pacte ». On n’en parle à peu près jamais comme d’un « moyen » – et je trouve que c’est un peu regrettable – car on oublie ainsi un de ses aspects les plus importants, et cela aussi bien pour les Canadiens français que pour nos compatriotes de langue anglaise.
Si elle est un moyen, en plus évidemment, selon les points de vue adoptés, d’être un cadre ou un pacte, la Confédération doit donc servir à atteindre une fin donnée. Quelle est cette fin?
Je n’ai pas l’intention maintenant de faire l’exégèse de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, ni de m’interroger sur tous les facteurs économiques, sociaux ou politiques qui ont provoqué au Canada l’émergence du régime confédératif. Je me contenterai seulement de répondre qu’une Confédération, n’importe laquelle, doit permettre à chacun des groupes qui en font partie – et c’est vrai surtout au Canada où la population n’est pas homogène – de réaliser leurs aspirations propres dans les domaines sur lesquels on leur a donné juridiction. Au Canada, le régime confédératif s’applique à 18000000 de citoyens vivant dans dix provinces distinctes. Les frontières de ces provinces ne correspondent pas exactement à la répartition géographique des deux principaux groupes ethniques; il y a des Canadiens français et des Canadiens anglais dans toutes les parties du pays. Tout de même, l’acte confédératif, par les pouvoirs multiples qu’il a confiés aux gouvernements provinciaux, rend possible à des populations de mentalité et de culture différentes de vivre dans des institutions qui leur conviennent mieux, de garder leur identité propre et de se réaliser authentiquement. C’est du moins ce qu’elle permet, comme moyen, de faire.
Or, ce moyen a-t-il toujours été utilisé comme il aurait pu l’être? En d’autres termes, a-t-on, au cours du siècle qui s’achèvera en 1967, mis à profit tout ce que l’on pouvait tirer du régime confédératif? Peut-on dire que nous avons véritablement vécu l’expérience confédérative ? Pour nous, je ne crois pas qu’on l’ait encore pleinement vécue. Et j’appuis mon opinion sur deux arguments. Souvent dans le passé, certaines provinces – dont le
Québec, je l’admets – ont, pour des raisons de commodités administratives ou tout simplement parce qu’elles craignaient de prendre des initiatives nouvelles, laissé assumer par le gouvernement central des responsabilités qui, constitutionnellement, leur appartenaient. Même si les raisons avancées étaient excellentes au moment où on les faisait valoir, elles ont ainsi faussé en quelque sorte, ou laissé fausser, le mécanisme confédératif qu’il devient dès lors difficile de juger à sa réelle valeur.
Le deuxième argument est le suivant. Dans les cas d’urgence nationale – la guerre, par exemple – il était utile et même indispensable de centraliser, c’est-à-dire de laisser pour un temps au gouvernement fédéral certains pouvoirs normalement détenus par les provinces. Mais à l’heure actuelle, alors que l’urgence du temps de guerre est disparue, il y a pour ainsi dire « urgence provinciale » en ce sens que les provinces ont des besoins prioritaires fondés sur la nécessité dans laquelle elles sont d’accélérer leur développement économique, de doter leurs populations de services éducationnels accrus et d’augmenter le niveau de bien-être de l’ensemble des citoyens. Ce sont toutes là des responsabilités qui leur appartiennent en vertu de la Constitution. Pourtant, à cause d’arrangements antérieurs, valables en leur temps mais désuets à l’heure actuelle, les provinces ne peuvent pas toujours s’acquitter adéquatement de ces tâches qui leur reviennent. Là encore il y a accroc au régime confédératif.
Les deux arguments dont je viens de me servir sont fondés sur des faits relativement récents, mais il serait facile d’en découvrir de semblables à d’autres périodes de notre histoire.
Pour ces raisons, je crois que l’expérience confédérative n’a à peu près jamais, depuis le début, été conduite à fond dans notre pays. Bien entendu, nous ne le savons que trop, la réalité mouvante ne fournit pas toujours des conditions idéales d’expérimentation. Je ne dis pas qu’il faudra attendre, pour porter un jugement final sur la Confédération, que ces conditions idéales surviennent. Je prétends cependant que ce jugement on ne pourra le rendre que lorsque toutes les possibilités du régime confédératif auront été sérieusement explorées et appliquées. C’est cela qui, pour toutes sortes de motifs, n’a pas encore été fait; c’est cela qu’il nous appartient de faire à nous de la génération présente.
Pour répondre plus précisément à la question que vous avez agitée au cours de votre Congrès, je dirais que le Canada n’est ni une « expérience ratée » ni non plus une « expérience réussie ». En d’autres termes, les données dont nous disposons ne sont pas concluantes à cause de l’utilisation qu’on a faite, ou qu’on n’a pas faite, d’un de ses éléments de base: le régime confédératif.
Est-ce à dire qu’il faut maintenant repartir sur un pied nouveau, refaire en somme l’acte confédératif parce qu’il nous est impossible de dire aujourd’hui carrément et sans nuance que le Canada est une réussite ou bien, qu’il est une faillite ?
Je ne crois pas du tout que ce soit nécessaire, car nous avons en main tout ce dont nous avons besoin, comme citoyens canadiens, ou comme citoyens de l’une ou de l’autre des dix provinces, pour faire un succès véritable de la grande entreprise commencée il y a à peine cent ans.
Je veux dire par là que si nous savons utiliser pleinement, nous du Québec par exemple, les pouvoirs que la Confédération nous a confiés, alors le bi-culturalisme de notre pays, les richesses intellectuelles de chacun des deux grands groupes ethniques, toutes nos différences elles-mêmes, pourront servir à l’édification car celle-ci est encore à faire – à l’édification, dis-je, de notre pays le Canada. Je ne préconise pas un retour pur et simple à la lettre de l’acte confédératif car je sais fort bien que les conditions sociales et économiques ont considérablement changé depuis un siècle. Des adaptations sont sûrement nécessaires et tous les spécialistes de la question le reconnaissent. Ce qu’il faut réexaminer, c’est plutôt l’usage actuel que nous faisons du régime, afin de trouver tous ensemble les moyens de le mieux adapter à nos besoins présents et prévisibles.
Au Québec, nous nous sommes engagés dans cette voie. Nous croyons que c’est par une attitude positive que nous sauvegarderons vraiment les droits provinciaux. Une attitude négative comme celle qui a déjà prévalu pendant trop longtemps chez nous – est au
contraire nuisible; les torts qu’elle a causés à l’idée de l’autonomie provinciale qu’elle a dévalorisée et même à celle de la Confédération sont tels que plusieurs sont prêts à rendre cette dernière responsable des problèmes que le Québec, et d’autres provinces éprouvent. Or justement comme je le disais il y a un instant, toutes les possibilités du régime confédératif, et elles sont nombreuses, n’ont pas été explorées.
Une attitude positive en cette matière serait, donc la première condition de la réussite canadienne. J’en vois une seconde: l’acceptation et la compréhension, non pas seulement verbale, mais concrète des deux groupes ethniques, l’un par l’autre. Si on est réaliste, on conviendra que ce rapprochement est encore loin d’avoir été accompli; il n’y a aucune illusion à se faire à ce sujet.
Mais quand je parle du rapprochement nécessaire entre les deux groupes, je ne le vois pas comme étape à franchir dans la voie de l’uniformité nationale. Personne qui soit vraiment canadien ne désire cette uniformité, car notre pays perdrait ainsi une de ses caractéristiques les plus remarquables: celle d’avoir permis à des populations différentes de conserver leurs traits culturels particuliers. Le peuple du Québec est plus que jamais conscient de ce qu’il représente – et de ce qu’il peut représenter au sein de la population du pays. Il veut collaborer à l’oeuvre commune, il exige d’y être présent à tous les niveaux et à part entière, mais à cause de son histoire, de sa langue et de sa culture, il ne peut le faire sans être assuré de pouvoir sauvegarder les valeurs qui sont pour lui essentielles. Pour lui, le régime confédératif constitue une garantie suffisante, à condition qu’il soit appliqué dans son essence, et qu’il soit repensé au plus vite en fonction des besoins prioritaires des provinces et de leurs exigences économiques et financières.
La Confédération canadienne, comme cadre d’action et comme moyen de sauvegarde culturelle, peut prendre dorénavant l’une ou l’autre de deux directions: elle peut se perpétuer telle que nous la connaissons maintenant, et alors elle n’aura pas le rendement qu’on pourrait en espérer, et elle pourrait finir par compromettre ainsi son existence même. Elle peut au contraire être réorientée, afin de permettre aux provinces de mieux remplir envers leurs citoyens les obligations que la Constitution leur a confiées. Ce qui, dans le cas du Québec, aiderait à résoudre de graves problèmes, qui sont tout autant nationaux que purement provinciaux.
Si cette seconde direction est celle que l’on choisit, le thème du Congrès des Affaires Canadiennes pourra être repris dans quelques années. Je suis convaincu qu’il sera alors possible d’affirmer que l’expérience canadienne a véritablement réussi. D’ici ce temps, les citoyens du Québec, comme je l’ai dit, veulent faire leur part en ce sens; ce sera leur façon à eux de faire de notre pays la réussite grandiose qu’envisageaient ceux qui l’ont jadis mis sur pied et c’est la réussite qu’il peut encore devenir, à condition que tous, comme vous l’avez fait, acceptent d’abord de regarder bien en face les données, même déplaisantes, de toutes nos situations.
[QLESG19611207]
[La Chambre de Commerce de Québec
Québec. le 7 décembre 1961 Pour publication aprbs 7200 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre le 7 décembre 1961]
Comme vous l’imaginez sans doute, la fonction de chef de gouvernement m’oblige souvent à quitter la région de Québec et à me rendre ailleurs dans la province et même dans d’autres villes du pays. Il me fait toujours plaisir de rencontrer mes concitoyens québécois et canadiens, mais ce plaisir, ce soir, est d’autant plus grand que l’occasion m’est donnée, grâce à votre aimable invitation, de rencontrer des concitoyens et de renouer connaissance avec quelques bons amis. Je suis heureux aussi de remarquer parmi vous plusieurs personnes domiciliées dans le comté que j’ai l’honneur de représenter à la Législature, et je m’empresse de les saluer bien amicalement.
Dans vos occupations d’homme d’affaires ou d’administrateurs d’entreprises, vous êtes fréquemment amenés à vous interroger sur la situation économique. Un tel souci est tout à fait normal car vous vous devez de connaître les grands mouvements de l’économie qui sont susceptibles d’influencer à la hausse ou à la baisse le niveau de vos affaires. Si vous tenez ainsi à vous informer, c’est parce que vous sentez à un moment donné le besoin de faire le point et de savoir à quoi vous pouvez vous attendre dans la conjoncture dans laquelle vous évoluez. Cette attitude peut vous aider à prendre des décisions importantes quant à la direction à donner à vos propres affaires.
De même, vous surveillez de près tout ce qui touche le commerce ou l’industrie dont vous êtes les propriétaires ou les administrateurs. Vous étudiez le marché, vous essayez de prévoir les goûts et les réactions de la population, vous jugez de la concurrence à laquelle vous avez à faire face, en un mot vous voyez à vos affaires! De cela, personne ne peut vous tenir rigueur. Bien au contraire, on aurait droit de vous accuser de négligence si tout cela ne vous préoccupait pas et on pourrait dire que vous manquez de prévoyance.
Or le gouvernement est lui-même une énorme entreprise. C’est la plus vaste de toutes celles qui existent présentement dans la province. Elle a un chiffre d’affaires annuel qui atteindra bientôt le milliard de dollars. Mais le gouvernement n’est pas une entreprise comme les autres, comme celles avec lesquelles vous êtes familiers.
D’abord l’entreprise gouvernementale appartient à toute la population. Je n’en suis moi-même qu’un des administrateurs. Mes collègues et moi administrons des biens qui ne nous appartiennent pas. Nous devons tous les quatre ans environ rendre compte de notre mandat à ceux qui nous l’ont confié. S’ils sont satisfaits de nous, j’aime à croire qu’ils nous inviteront à poursuivre notre travail. S’ils ne le sont pas, je suis convaincu qu’ils nous le feront savoir clairement.
Le gouvernement, de plus, vise à rendre service. Son but n’est pas d’accumuler des profits, ni de vendre, ni d’acheter. Il est là pour donner à la population les instruments que celle-ci désire pour s’acquitter des tâches qu’elle s’est fixées.
À cause donc de sa nature propre et de ses fonctions, le gouvernement doit lui aussi, peut-être plus que l’entreprise privée, connaître la réalité et prévoir le cours de son action. Il doit se donner les cadres administratifs les plus efficaces et établir une priorité entre les besoins qu’il doit satisfaire et les objectifs qu’il doit réaliser. En d’autres termes, il lui est interdit de marcher à l’aveuglette et de résoudre les problèmes au jour le jour, à mesure qu’ils se présentent. Il faillirait à sa tâche nous faillirions à notre mandat – si aucune vue d’ensemble ne permettait de guider les décisions à prendre.
En somme, essayer de voir et de comprendre, essayer de mesurer la portée des lois qu’il propose, essayer de saisir l’envergure des difficultés qui se présenteront, et agir en conséquence, c’est cela la planification que le gouvernement doit instaurer dans son régime administratif. Vous en faites vous-mêmes tous les jours la planification et si vos affaires se portent bien, la plupart du temps c’est que vous avez su prévoir et agir au moment où il fallait le faire. Et si vous êtes les administrateurs de vos entreprises, ceux qui vous ont confié ce rôle vous sauront gré d’avoir, par votre souci d’ordre et de cohérence, assuré la prospérité de leurs sociétés eu de leurs commerces. Il est donc logique et souhaitable que l’immense entreprise collective qu’est le gouvernement soit elle-même planifiée. C’est l’opinion que partage l’administration provinciale actuelle. C’est d’elle que sont nées les nombreuses réformes de structure que nous avons apportées à l’organisme gouvernemental. C’est d’elle aussi qu’est née notre volonté de constituer un fonctionnarisme compétent, persuadé de la noblesse de son travail et heureux de servir le peuple québécois. Cependant, le gouvernement ne peut se contenter d’être une machine bien huilée. Il a, comme je l’ai dit il y a un instant, des services à fournir à une population qui compte énormément sur lui car il est, pour elle, un levier sur lequel elle doit pouvoir s’appuyer afin de concrétiser les objectifs qu’elle s’est donnés. Vous les connaissez déjà ces objectifs. Vous savez qu’ils touchent à peu près tous les domaines, aussi bien celui de la santé et du bien-être que celui de l’éducation, aussi bien celui des richesses naturelles que celui de la libération économique. Le mandat que nous nous sommes engagés à remplir est très étendu et nous forgeons présentement pour le peuple du Québec les outils qui, jusqu’à maintenant, lui ont manqué pour affirmer sa culture et la propager, relever le niveau de son éducation et prendre la place qui lui revient dans le monde économique. Nous croyons que le gouvernement serait inexcusable de ne pas apporter sa collaboration essentielle à l’action rénovatrice que notre peuple vient d’entreprendre. Il serait coupable de demeurer indifférent devant le dynamisme qui se manifeste enfin chez nous et qu’il a lui-même en partie provoqué. La désillusion serait grande chez nous s’il fallait, après avoir suscité tant d’espoirs, que le gouvernement tire son épingle du jeu et abandonne maintenant cette politique de présence qui peut servir de catalyseur aux velléités dont font actuellement preuve toutes les classes de notre société québécoise. La population ne demande pas que le gouvernement fasse tout pour elle, la population n’a nullement l’intention de démissionner en face de ses responsabilités. Lorsqu’elle désire la présence dont je viens de parler, elle veut tout simplement que le gouvernement – que son gouvernement collabore avec elle, qu’il l’aide à réaliser ses ambitions. Elle ne veut pas, en somme que son associé le plus puissant la laisse se débrouiller dans des tâches auxquelles elle n’est pas encore habituée et qu’elle n’a pas toujours les moyens financiers de mener à bonne fin. Et quand je parle de la population en général, je n’exclus personne; je ne pense pas seulement aux individus qui ne jouent pas de rôle économique de premier plan, je pense aussi aux hommes d’affaires, aux industriels, aux commerçants et aux financiers de chez nous dont notre communauté québécoise a un immense besoin et sur qui elle compte également.
Bien entendu, le gouvernement peut de plusieurs façons collaborer avec la population pour la seconder dans son action économique. La Société Générale de financement qui sera instituée dès la prochaine session offre un excellent exemple d’une des méthodes que le gouvernement peut employer. Par sa participation à cette Société, il fournira en quelque sorte une garantie à ceux des nôtres qui voudront bien, pour leur propre avantage et pour celui de l’ensemble des citoyens de la province, venir collaborer à l’oeuvre qu’elle entreprendra. Nous inviterons aussi les capitaux étrangers à se joindre aux nôtres, mais nous espérons que le peuple du Québec saisira de grand coeur l’occasion historique qui lui sera donnée de prendre lui-même part – et pour la première fois de son histoire – à une initiative devant ultimement conduire à la mise en valeur de ses propres richesses et à l’établissement chez nous d’une vaste industrie secondaire.
Il y a d’autres façons pour le gouvernement de collaborer à l’essor économique du Québec. Il lui est possible, entre autres, de le faire par la planification. Si celle-ci rend, dans l’organisation administrative même, les services qu’on sait et que j’ai évoqués tout
à l’heure, on conçoit facilement la portée qu’elle peut avoir sur l’ensemble de la production industrielle de la province, sur l’exploitation de nos ressources et sur d’autres activités comme le commerce et la finance.
Le monde économique est devenu, de nos jours, tellement complexe que seule une connaissance approfondie de tous les éléments de la conjoncture peut permettre, de la part des agents économiques, des décisions sûres, prises en tenant compte de tous les facteurs pertinents. L’établissement industriel ou commercial ordinaire peut, à la rigueur, orienter son action à partir d’une connaissance assez précise du secteur économique où il opère habituellement. Toutefois, certains éléments plus généraux lui manqueront toujours. Le gouvernement, de son côté, peut acquérir de cet ensemble une notion objective et raisonnablement exacte; seul le gouvernement est en mesure, à cause de ses fonctions elles-mêmes, d’orienter le développement économique de son territoire selon une politique à long terme.
Le gouvernement du Québec n’échappe pas à cette règle et entend bien, à ce propos, jouer le rôle qui lui revient. Ce rôle, comme je viens de le dire, est d’orienter le développement, en quelque sorte de le guider. Il n’est donc pas question en principe que ce soit lui-même qui directement et autoritairement, crée des industries, exploite des mines, se livre au commerce ou encore finance la croissance économique. Dans certains cas particuliers, une action aussi directe pourra se révéler nécessaire, mais planification ne signifie pas inévitablement nationalisation ou étatisation. Ce sont d’ ailleurs là des solutions de dernier recours et les gouvernements modernes préfèrent de beaucoup, comme cela se fait dans certains pays d’Europe, donner au secteur privé un cadre à l’intérieur duquel il peut fournir toute sa mesure et trouver de nombreuses occasions profitables. Lorsque nous parlons de planification au Québec, c’est cela que nous voulons dire. Le gouvernement pourra alors, le moment venu, déterminer précisément les politiques à suivre et donner à ces politiques les formes concrètes que les circonstances et la nature du problème exigeront. Il me semble que c’est là l’attitude la plus sage à adopter. Nous reconnaissons au gouvernement un rôle essentiel à jouer en cette matière, tout en regrettant qu’on ait aussi longtemps négligé au Québec de le mettre à profit; cependant, nous ne voulons pas pour autant rendre le gouvernement seul responsable du développement économique de la province. Je viens de vous parler de planification économique et je viens de vous préciser le sens que nous donnons à cette expression. Nous devons toutefois bien nous rendre compte tous ensemble d’une chose qu’on a peut-être la tentation d’oublier. Le pouvoir, pour le gouvernement du Québec, d’orienter l’économie de la province dans les directions qui s’imposent, demeure un objectif vers lequel nous tendons. Nous sommes convaincus que lorsqu’il qu’il sera atteint, les industriels, les commerçants et l’ensemble de la population en tireront grand avantage. Pour le moment nous nous efforçons encore de donner à l’administration provinciale les moyens de s’acquitter de cette responsabilité, nouvelle chez nous et nouvelle aussi dans notre mentalité.
Nous avons d’abord, comme je le mentionnais il y a quelques minutes, réorganisé la structure de plusieurs ministères, notamment celui des Richesses Naturelles et celui de l’Industrie et du Commerce. Nous nous sommes aussi assurés des services de spécialistes en matière économique, mais ceux-ci demeurent encore trop peu nombreux. Nous avons remis sur pied le Conseil d’Orientation économique, dont les recommandations conduiront, comme vous le savez, à l’établissement d’une Société Générale de Financement.
Tout cela, je l’admets avec vous, n’a pas automatiquement résolu des problèmes concrets et quotidiens comme le sous-emploi, la mauvaise allocation des ressources ou encore la transformation à l’extérieur du Québec de nos richesses naturelles. Il faut comprendre que, dans ce domaine, il est par définition impossible de faire vite. La planification suppose la réflexion et la réflexion suppose l’étude. Cela demande du temps et de l’énergie. L’énergie nous l’avons, mais nous savons aussi que le temps presse. On ne peut pas cependant réparer en seize mois l’héritage des générations qui nous ont précédé et qui croyaient aux vertus intrinsèques d’un laissez-faire économique quasi intégral. Nous sommes tout de même en bonne voie. Cela également il faut le remarquer. Le peuple n’exige pas de nous que nous fassions des miracles; il nous demande de faire ce que nous savons possible et ce que nous croyons juste et utile.
Je pense bien que jusqu’à présent nous n’avons pas déçu cette attente. Comme il se devait, certaines réformes que nous avons entreprises se sont avérées plus difficiles à conduire que nous l’escomptions; d’autres, par contre, ont été plus faciles à réaliser que prévu. C’est dans l’ordre des choses, et l’administration publique doit s’y attendre. Si j’avais cependant, en terminant, une leçon à tirer de notre expérience des derniers mois, je dirais que le gouvernement de la province, comme n’importe quel autre gouvernement, ne peut appliquer à lui seul toutes les réformes et établir au Québec l’ordre nouveau auquel toute la population aspire. Il faut, de fait, que la population soit derrière lui, qu’elle le surveille, qu’elle l’appuie, qu’elle le guide. Il ne suffit pas, pour que les réformes soient fructueuses, que la population se conforme passivement aux lois nouvelles. Il importe qu’elle en vive selon l’esprit ou qu’elle demande qu’on leur apporte des corrections si nécessaires; elle remplira ainsi sa fonction véritable dans une société que, tous ensemble, nous voulons démocratique.
Au Québec actuellement, on sent dans tous les milieux que le peuple veut un changement de vie. Le gouvernement que je représente ne dirige pas ce mouvement; il l’accompagne et, par les moyens dont il dispose, il veut le faciliter. Nous ne faisons que préparer la voie aux citoyens du Québec; ils savent maintenant qu’ils peuvent s’y engager. Pour notre part – comme administrateurs de la propriété commune qu’est le gouvernement de la province – nous souhaitons seulement qu’ils le fassent et nous sommes complètement disposés, dans la mesure de nos moyens, à continuer l’oeuvre de rénovation nationale à laquelle nous consacrons présentement tous nos efforts. La démocratie réelle, dans l’ordre et la justice, il n’appartient pas au gouvernement de l’imposer, pas plus qu’il ne peut imposer la liberté. Le peuple doit d’abord la désirer et, s’il le faut, modifier pour cela certains comportements traditionnels.
[QLESG19611211]
[Club des Anciens du Collège Ste-Marie Montréal, le 11 décembre 1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.
Hon, Jean Lesage, Premier Ministre le 11 décembre 1961]
Tout le monde s’entend actuellement à reconnaître que, depuis quelques mois, la province de Québec est entrée dans une période d’évolution rapide dont on trouve peu d’exemples dans notre histoire. Ce qui me frappe dans cette évolution – et ce qui vous frappe peut-être vous aussi – c’est le fait qu’elle est désirée et réclamée par l’ensemble de notre population et le fait également qu’elle touche à peu près tous les secteurs de notre vie économique, sociale et politique. Je pense bien que nous n’avons jamais, comme Québécois, vécu un mouvement sociologique aussi profond et aussi étendu.
Il se trouve évidemment des personnes pour craindre ces changements, et même pour les dénoncer sous prétexte qu’ils mettent en danger notre culture et nos traditions. Ces gens ont fini par croire que celles-ci étaient indissolublement liées à une certaine forme de conservatisme dont notre mentalité et notre façon de vivre n’ont pas toujours été exemptes. Pour notre part, nous croyons au contraire qu’une attitude plus dynamique en cette matière donnera à notre culture et à nos traditions les moyens de mieux résister aux dangers nouveaux qui les menacent. Nous croyons aussi que celles-ci ne sont pas des pièces de musée à être, comme telles, gardées sous cloche; nous voulons plutôt qu’elles servent de point d’appui à notre peuple dans la vaste entreprise d’affirmation nationale à laquelle il consacre maintenant le plus clair de ses efforts. Elles ne pourront le faire que si elles sont constamment revivifiées et que si elles savent s’adapter au climat nouveau né, en ce vingtième siècle, de l’abolition des distances et de la compénétration des cultures. En d’autres termes, s’il y a actuellement au Québec cette profonde évolution qui en inquiète quelques-uns, mais qui enthousiasme l’immense majorité des citoyens, c’est que notre peuple s’est rendu compte que sa survivance comme groupe ethnique ne saurait désormais être assurée sans un renouvellement par l’intérieur de notre mode collectif de vivre et de penser, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus seulement exister sur cette terre d’Amérique, mais qu’il devait dorénavant y vivre et s’y affirmer sous peine d’être graduellement absorbé par la masse qui l’entoure.
Le mouvement de renouveau a, comme je l’ai dit, touché à peu près tous les secteurs de la vie québécoise. Vous en voyez des effets dans le désir de libération économique que notre peuple manifeste et pour lequel il se donnera bientôt les institutions financières, comme la Société Générale d’Investissement, qui lui manquent encore. Vous en voyez aussi des résultats dans le souci qu’il a de garantir sa sécurité en face des imprévus de la vie et dans des solutions comme l’assurance-hospitalisation ou les allocations familiales aux étudiants. Il en est de même de nos institutions et de certaines de nos coutumes politiques et administratives qui ont, d’après l’opinion générale, besoin d’être réformées; dès la prochaine session, par les corrections qu’il apportera à la Loi électorale, le gouvernement entend bien traduire dans les faits l’esprit nouveau qui souffle présentement sur le Québec. Quant à notre vie culturelle, nous avons commencé à lui fournir les moyens de s’exprimer authentiquement et de se diffuser à l’extérieur de nos frontières; nous avons ainsi souscrit au désir évident de toute notre population.
Je crois bien cependant que le domaine de l’éducation demeure l’un de ceux qui soulèvent le plus d’intérêt chez nous à cause de son importance propre et en raison du nombre élevé de citoyens qui, comme pères ou mères de famille, comme contribuables, comme enseignants, ou étudiants, s’y rattachent directement. Si on faisait aujourd’hui un relevé des préoccupations des Québécois, je suis convaincu que celles qui ont trait à l’éducation seraient les plus marquées. On conçoit donc facilement que le gouvernement actuel de la province ait dû, dès sa première session, accorder autant d’attention à ce sujet et prendre à son propos des décisions d’importance majeure. Nous avons voulu, de la sorte, apporter au moins un début de solution aux problèmes les plus urgents.
Je dis bien un début de solution, car malgré la portée des lois adoptées, nous ne visons pas du tout à donner l’impression que nous avons accompli tout ce qu’il y avait à faire. Il n’est pas question de jeter de la poudre aux yeux à personne. Nous sommes assez réalistes pour savoir – et pour le reconnaître publiquement qu’on ne peut résoudre en quelques mois, même avec la meilleure volonté du monde, des problèmes transmis d’une période de notre histoire où l’on n’a pas toujours, pour toutes sortes de raisons, fait preuve de la prévoyance et de l’esprit d’adaptation nécessaires. Aujourd’hui, nous avons devant nous une triple tâche que je veux résumer en ces trois mots : disponibilité, adaptation et accès. Il nous faut d’abord doter le Québec de l’équipement matériel indispensable à l’acquisition par les citoyens d’un niveau d’éducation compatible avec les exigences de la société industrielle et hautement spécialisée vers laquelle nous nous dirigeons. Nous devons en somme rendre cet équipement disponible. Il importe de plus que le peuple de la province, à cause de sa situation minoritaire, soit parfaitement préparé au point de vue intellectuel pour s’affirmer comme entité distincte et pour s’imposer en quelque sorte à l’attention des autres nations. Le Québec ne possédera jamais une puissance militaire ou financière qui puisse se comparer avec celle de ses voisins américains; ce n’est donc pas de ce côté surtout qu’il doit orienter ses efforts s’il veut attirer sur lui l’attention des autres peuples. Il lui appartient plutôt d’apporter sa contribution au monde par ses réalisations d’ordre intellectuel et cela il ne pourra le faire qu’en élevant le niveau moyen d’éducation. Un tel objectif ne sera atteint que si tous les jeunes doués de talent ont accès à nos institutions d’enseignement, quelle que soit leur fortune ou celle de leurs parents. Il se produit actuellement, comme vous le savez et comme vous le déplorez sans doute, un gaspillage regrettable et particulièrement nocif pour le peuple du Québec de talents que des considérations purement pécuniaires empêchent d’être cultivés. Cette situation doit absolument cesser car nous ne pouvons pas nous payer le luxe, chez les Canadiens français, de perdre ainsi chaque année des centaines et même des milliers de jeunes gens qui, une fois formés dans les disciplines qui les intéressent, contribueraient énormément à l’avancement économique et culturel de notre groupe ethnique.
Tout citoyen, du fait même qu’il naît dans une société démocratique, acquiert au départ un certain nombre de droits. Un de ces droits est la mise à profit de ses talents. Par contre, la société entière a à son égard un devoir bien précis : lui fournir l’occasion, s’il ne le peut lui-même, de cultiver l’actif intellectuel qu’il représente pour la communauté. C’est là l’avis que partage le gouvernement actuel du Québec et qu’il désire transposer dans les faits par la gratuité de l’enseignement à tous les niveaux; en effet, l’éducation coûte tellement cher aujourd’hui que l’immense majorité des étudiants ne pourraient en profiter s’ils ne bénéficiaient d’aide extérieure, comme c’est déjà partiellement le cas. Évidemment, personne ne croit que cette importante réforme et les autres dont j’ai parlé pourront dès maintenant être mises entièrement en application.
Il y a deux raisons fondamentales, à cela. La première est que de telles réformes doivent s’effectuer par étapes, en raison des déboursés imposants que la collectivité devra consentir pour les mener à bonne fin. Car, il faut bien comprendre à ce propos le sens de l’expression gratuité de l’enseignement. Grâce à elle, l’accès des maisons d’éducation ne sera interdit à personne, pour autant que le talent dont fait preuve l’étudiant, à quelque classe sociale qu’il appartienne, justifie une formation poussée; cependant, comme nous
1’avons toujours dit et comme le saisissent bien tous les contribuables, le coût de ce service, qui d’ailleurs profitera à tous directement ou indirectement, sera nécessairement réparti sur la totalité de la population. En somme nous prendrons tous ensemble une assurance contre l’ignorance. C’est pour que le poids de la prime, si l’on peut dire, ne soit pas trop lourd que nous devons en cette matière avancer graduellement.
La deuxième raison, peut-être plus importante que la précédente, est que nous ne possédons pas encore, ni vous ni moi, tous les éléments du problème. En nous fondant sur les données dont nous disposions, nous avons pu au cours de notre première session, adopter quelques lois sur l’éducation, mais nous ne pouvions vraiment faire davantage. Les décisions relatives à l’éducation ont tellement de portée qu’il serait dangereux de les tirer de considérations superficielles ou d’observations rapides et incomplètes de la réalité. C’est pourquoi nous avons formé une Commission Royale d’Enquête sur l’Éducation. Cette Commission, au terme de ses études, nous transmettra ses recommandations appuyées sur une vue à la fois générale et détaillée des faits et nous permettra de légiférer en connaissance parfaite de cause; au moment où je vous parle elle a déjà commencé ses audiences publiques et vous avez pu constater la teneur des mémoires qui lui ont été présentés. Par l’entremise de la Commission d’Enquête, nous consultons en somme ceux qui, au Québec, désirent exprimer une opinion sur notre système d’éducation, sur les programmes d’études ou sur la formation du personnel enseignant. Ce procédé, véritablement démocratique, souligne des aspects de la réalité ou des problèmes qui, autrement, pourraient fort bien être négligés.
On conçoit donc la nécessité d’une telle Commission; elle était, de fait, pré requise à toute politique nouvelle dans le domaine de l’éducation. Comme je l’ai dit il y a un instant, il nous a tout de même fallu adopter, dès les premiers mois de notre mandat, certaines lois dont l’urgence ne faisait aucun doute. Elles ont, depuis, été appliquées et les services que la population en a retirés apparaissent déjà considérables.
Je dirais même qu’elles ont modifié assez profondément le paysage scolaire du Québec, si vous me permettez cette expression. Et, comme il est normal en face de réformes, la population a dû vivre une période d’adaptation aux lois nouvelles. Elle a dû s’habituer à de nouveaux règlements, elle a dû apprendre à se prévaloir de nouveaux avantages. Tout cela et, encore une fois, c’est naturel, a dérangé quelque chose à des façons de vivre, à des comportements familiers.
Ainsi, le même phénomène s’est produit avec l’assurance-hospitalisation et je suis convaincu qu’on le reverra pour d’autres mesures à venir. Nous ne nous en étonnons pas du tout car lorsqu’on adopte une loi, c’est un peu comme lorsqu’on construit un édifice; il faut un certain recul pour en comprendre l’ensemble et pour en apprécier l’architecture.
Remarquez qu’il existe deux façons bien simples d’éviter cette période de réajustement: ne rien faire ou encore légiférer en tenant compte le moins possible des cas particuliers.
Dans le premier cas, le gouvernement ne remplirait pas ce que j’appellerais son devoir d’État. Il démissionnerait en quelque sorte devant les responsabilités qu’il devrait prendre. Cela – vous le savez aussi bien que moi – est déjà arrivé dans le passé; vous n’ignorez pas quelles furent les conséquences de cette inaction puisque notre société doit aujourd’hui supporter l’héritage onéreux d’un régime voué à l’immobilisme systématique.
Quant au second cas, il représenterait une solution de facilité, mais risquerait d’entraîner des injustices. Les lois trop simples sont rarement adéquates. La personne humaine est complexe, les situations à corriger sont multiples et remplies d’imprévus; on ne peut songer à résoudre celles-ci entièrement ou même partiellement au moyen de lois fondées davantage sur la commodité administrative que sur le besoin à satisfaire. Par contre, il serait illusoire de désirer une législation qui puisse prévoir toutes les situations individuelles. Le gouvernement du Québec, comme il l’a abondamment démontré, veut jouer pleinement le rôle qui lui revient en matière d’éducation, aussi bien que dans les domaines de la santé, du bien-être, de l’économie ou de la culture. Nous avons, pour cette raison, entrepris de fournir à la province une législation qui soit à la mesure de ses besoins réels et qui soit la plus complète possible. Au cours des années qui viendront, nous poursuivrons l’oeuvre de longue haleine dont le peuple nous a confié la réalisation.
Ce peuple souhaitait une impulsion nouvelle en éducation, car il y voit la garantie de son avenir et la sauvegarde de son entité propre. Cette impulsion nous venons de la donner et en la donnant nous avons commencé à forger l’instrument dont le Québec a besoin pour se réaliser intégralement, pour s’affirmer davantage et pour prendre sa place dans l’économie nord-américaine.
Le gouvernement de la province sait qu’il reste énormément à faire, il sait également qu’il a suscité bien des espoirs. En s’attaquant résolument à la tâche, en matière d’éducation comme en d’autres secteurs d’activité, il essaie simplement, avec toute la bonne volonté dont il est capable, de ne pas décevoir l’attente des millions de citoyens de chez nous qui lui font confiance.
[QLESG19611220]
[La Chambre de Commerce de Sillerv Mercredi, le 20 décembre 1961
Hon. Jean Lesage, Premier ministre,]
Je voudrais ce soir, si vous me le permettez, profiter de l’occasion que vous me donnez de vous rencontrer à un moment de l’année propice aux examens de conscience, pour vous offrir mes commentaires sur un des objectifs que s’est fixés le gouvernement du Québec et dont, depuis un an et demi, il veut hâter la réalisation. Cet objectif, comme nous le concevons nous à qui le peuple a confié l’administration de son patrimoine commun, pourrait se décrire ainsi nous voulons rendre chaque Québécois conscient de sa dignité de citoyen, nous voulons le rendre conscient de ses droits et aussi de ses devoirs, car nous voyons dans la concrétisation, pour ainsi dire, d’une telle attitude, la condition indispensable de l’avènement au Québec d’une démocratie véritable. Qu’est-ce que la dignité de citoyen ? Par cette expression, je l’admets, on peut entendre bien des choses. La première qui vient à l’esprit est que le citoyen, en vertu des droits dont il jouit, doit s’acquitter de ses obligations envers la société qui l’entoure. Et pour s’acquitter de ses obligations, il doit prendre une part active dans les affaires de la communauté. Il doit, par exemple, fournir son apport aux organismes qui font appel à lui; il doit, même si la victoire de son candidat semble lui rendre son devoir moins impérieux, il doit exercer son droit de vote; il doit payer ses impôts, rendre service à ses semblables et que sais-je encore.
Tout cela est vrai et découle réellement de la dignité que la société démocratique reconnaît à ses membres. En vous le rappelant, je sais que je ne vous apprends rien de neuf; il s’agit de choses dont on vous a parlé à maintes reprises depuis des années et dont vous comprenez bien le sens. Je sais d’ailleurs, puisque vous êtes membres d’une Chambre de Commerce, que vous n’hésitez pas à jouer pleinement, dans votre milieu, votre rôle de citoyens éclairés.
Mais ce soir, justement, je voudrais aller au-delà de cette notion, disons traditionnelle, qu’on a chez nous et ailleurs, du citoyen. Cette notion n’est pas fausse, loin de là; je dirais plutôt qu’elle est incomplète car elle ne tient aucun compte, en soi, des conditions dans lesquelles s’exerce ce rôle de citoyen, ni du sentiment qui l’anime. En effet, voter pour un candidat, payer ses impôts, se conduire honorablement ne sont en quelque sorte que les accessoires visibles du citoyen; de fait, sa dignité se fonde sur quelque chose de beaucoup plus profond.
Ceux qui vivent sous des régimes dictatoriaux votent, même s’il n’y a qu’un parti, payent leurs impôts et peuvent se conduire tout à fait honorablement. Pourtant, jouissent-ils de la dignité de citoyen? Nullement, car le cadre social dans lequel ils vivent, l’atmosphère politique qu’ils respirent, le régime administratif qu’ils subissent, les réduisent à l’état de numéro, leur enlèvent le droit et même le besoin de penser et d’agir et, de ce fait, les rendent dépendants de la société et non plus d’eux-mêmes.
Quand je dis que la dignité de citoyen se fonde sur quelque chose de beaucoup plus profond que le vote ou la participation à des groupements sociaux, je veux parler du milieu culturel, politique et administratif comme facteur déterminant de cette dignité. En d’autres termes, pour que soit nourrie et sauvegardée cette qualité du citoyen véritable qu’est sa dignité d’homme, il faut qu’il soit d’abord libre dans son choix et qu’il accepte d’être, malgré certains risques que cela peut comporter, un élément social actif. Pour être libre, vraiment libre, il ne faut pas que son choix, que ses décisions soient gouvernées par des préjugés, par l’ignorance ou par la crainte. Pour être actif, et pour le demeurer, il ne faut pas que les lois qui régissent ses actions et celles de ses concitoyens le forcent à dépendre de la société, il ne faut pas qu’elles briment son initiative ou la détruisent avant même qu’elle ne se manifeste. S’il en était ainsi, la société finirait par ressembler à une immense usine peuplée de robots sans individualité propre, apathiques et incapables de se diriger eux-mêmes. À la pensée originale et à la réflexion créatrice, aurait succédé le conformisme stérile; à l’activité auraient succédé la passivité et la dépendance. Il n’est pas nécessaire pour justifier cette conclusion, que le libre mouvement des citoyens, ou même leur liberté de parole soit menacés; il suffit tout simplement que, pour une raison ou pour une autre, leur mentalité soit faussée dans le sens de la dépendance ou de la passivité, il suffit en somme que les citoyens songent davantage à ce qu’on peut faire pour eux qu’à ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes.
Je me suis peut-être exprimé en termes trop abstraits, mais je crois que les considérations que je viens de faire peuvent facilement s’appliquer, avec les nuances qui s’imposent, au Québec et à sa population. J’ai dit au début que le gouvernement de la province voulait rendre chaque Québécois conscient de sa dignité de citoyen. Or, comme vous l’imaginez sans doute, on n’atteint pas un tel objectif par la seule persuasion; il faut en quelque sorte lui donner les moyens de se matérialiser, de se traduire dans les faits. Nous ne croyons pas y arriver dans un avenir immédiat, mais nous savons fort bien que si nous ne nous mettons pas tout de suite à la tâche, un jour viendra où il deviendra extrêmement ardu, sinon impossible, de renverser un courant qui jamais, chez nous, rencontré d’obstacles vraiment sérieux. Les velléités réformatrices de certains de nos prédécesseurs n’ont eu que peu de résultats parce que, à mon sens, elles n’ont jamais dépassé le stade de l’exhortation bienveillante. Nous voulons, pour notre part, agir sur trois plans bien précis : éclairer les citoyens, valoriser la fonction publique et corriger la conception que, trop souvent chez nous, on se fait de l’État. Ces trois plans se touchent de fait, et il ne peut être question de se consacrer à l’un d’entre eux, en négligeant les deux autres. Comment former des citoyens éclairés? C’est là le problème auquel doit faire face toute nouvelle démocratie. Ce peut aussi être le problème de démocraties plus anciennes. La nôtre appartient à ce second groupe.
Ainsi, nous ne partons pas de zéro. On peut présumer au départ que les Québécois savent à quoi s’en tenir sur le régime de vie démocratique, qu’ils connaissent leurs devoirs et qu’ils exercent leurs droits.
Mais il y a place pour une nette amélioration. C’est pourquoi nous avons voulu, dès cette année, commencer à mettre en application une politique d’éducation qui soit à la hauteur des exigences multiples auxquelles doivent satisfaire ceux qui, comme les Québécois d’aujourd’hui, sont appelés à vivre dans un monde fortement industrialisé et de plus en plus complexe. En acquérant les connaissances qui leur sont indispensables, ils obtiennent du même coup une compréhension plus aigue des phénomènes économiques et sociaux dont ils sont les témoins. Ils peuvent mieux les juger et, parfois, résoudre les problèmes qui en découlent. Ils saisissent mieux le sens de leur participation et de leurs responsabilités dans les affaires de la communauté et peuvent se faire une idée plus précise des programmes politiques ou autres qu’on leur soumet.
Même s’ils sont mieux informés, il se peut cependant que la publicité mensongère ou exagérée dans un sens ou l’autre, la fraude ou l’intimidation ouverte ou voilée faussent le jugement des citoyens ou les empêchent de faire librement valoir leur opinion, au moment des élections par exemple. Ce problème n’est pas nouveau chez nous, mais nous n’en avons pas moins résolu d’y mettre fin car nous y voyons une violation flagrante de la dignité du citoyen. La réforme électorale que nous effectuerons dès la prochaine session mettra un terme que nous espérons définitif à des pratiques que la population québécoise a appris à réprouver.
Par cette réforme, nous nous engagerons en même temps sur le second plan de notre action, la valorisation de la fonction publique, Nous augmenterons le prestige du représentant du peuple, auquel, comme vous le savez, nous voulons aussi redonner son rôle véritable, celui de législateur. Mais si la fonction publique est législative, par l’entremise de ceux que le peuple élit, elle est aussi administrative par ceux qui appartiennent au fonctionnarisme. Nous nous proposons également, comme nous avons commencé à le faire, de valoriser le rôle de ces serviteurs de l’État. Nous voulons que la fonction publique devienne une carrière pour les jeunes gens de chez nous qu’intéresse la vie administrative. De plus en plus, nous exigerons de ceux qui aspirent au fonctionnarisme, une préparation adéquate; de plus en plus, nous donnerons à ceux qui y appartiennent déjà, l’occasion de parfaire leurs connaissances ou d’acquérir une expérience enrichissante pour eux et aussi pour toute notre communauté.
On nous a reproché à ce propos – oui, on nous l’a reproché, aussi étrange que cela puisse paraître – de tendre à employer des experts, comme on a dit, des spécialistes de l’administration, de l’économique, des sciences, du bien-être social, etc. … Je n’ai pas besoin de vous dire combien j’ai été surpris de cette attitude. Je m’attendais de fait à ce qu’on regrette, avec nous, qu’il n’y ait pas plus de ces experts, dans notre province. Songerait-on à reprocher à un hôpital d’employer les meilleurs spécialistes de la médecine? J’imagine bien que non: On s’étonnerait plutôt du contraire. Cependant, certaines personnes en sont rendues dans le Québec à dédaigner le travail, pourtant capital, de fonctionnaires dont on devrait, bien au contraire, soutenir les efforts et encourager la formation. Il y va en effet de l’intérêt de toute la province. En nous efforçant d’amener au service de l’État québécois les gens les plus qualifiés que nous puissions trouver, c’est cet objectif que nous poursuivons. Nous le poursuivons aussi à travers les réformes administratives dont certains de nos ministères ont été l’objet. Je ne veux pas vous énumérer ces réformes de structure ce soir, mais je veux simplement souligner en votre présence notre espoir de rendre ainsi l’immense entreprise qu’est le gouvernement plus utile au peuple québécois et plus efficace dans les services qu’il lui demande de fournir.
En donnant à notre population les moyens de juger par elle-même l’étendue de ses problèmes et la validité de leurs solutions possibles, en valorisant d’autre part la fonction publique et en perfectionnant cet instrument d’affirmation collective que peut devenir le gouvernement de la province, nous sommes persuadés que nous aidons les Québécois à sauvegarder leur dignité de citoyens.
Mais, nous ne nous faisons pas illusion. Pour que cette dignité soit plus qu’un vain mot, il faut absolument que nous continuions, tous ensemble, de corriger, par tous les moyens dont nous disposons, cette conception erronée de l’État que trop de nos concitoyens partagent. Il s’agit là je l’admets – d’une vaste campagne de rééducation. Elle ne fait que commencer et, déjà, elle se révèle difficile; nous avons à renverser des comportements qui existent chez nous depuis des générations et l’administration provinciale ne pourra y arriver seule. Il lui faut la collaboration de tous les Québécois de bonne volonté, de toutes les associations qui, comme la vôtre, recherchent à leur façon propre, le bien de leur communauté et celui de leur province.
J’ai dit, il y a plusieurs mois, que nous voulions instaurer au Québec un nouveau régime de vie. C’est ainsi, en effet, que nous interprétions le mandat qu’on nous avait confié. Ni mes collègues ni moi n’avons, depuis, changé d’avis à ce propos. Nous sommes plus résolue que jamais à continuer dans la voie où nous nous sommes engagée. Généralement, il faut bien le reconnaître, les administrations nouvellement élues perdent vite l’enthousiasme et l’idéal assez fondées, pour retomber dans les ornières qu’elles voulaient qu’elles avaient au départ. Elles se trouvent des excuses, parfois assez fondées pour retomber dans les ornières qu’elles voulaient pourtant quitter.
Or, au risque de paraître présomptueux, je tiens à vous affirmer ce soir que nous n’avons encore rien perdu de l’esprit de renouveau qui nous animait il y a plus d’un an. Vous pouvez vous en rendre compte tous les jours et il est même possible que vous vous en étonniez car c’est probablement la première fois que cela se produit au Québec. Car, si nous sommes francs avec nous-mêmes, nous devrons admettre que pendant des décennies, l’État, pour beaucoup de Québécois, a constitué une ressource dont on a essayé de retirer le plus d’avantages possibles. L’État, qu’on appelle plus couramment le gouvernement, c’était l’employeur peu exigeant, la société de bienfaisance par excellence, la riche oncle dont on espérait des faveurs, le bon père de famille qui venait payer les pots cassés par ses enfants turbulents, l’ami un peu bonasse qu’on tentait de rouler, le pourvoyeur de contrats payants. En somme, pour employer une expression dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est de saison, c’était l’État Père Noël! On pouvait tout avoir du gouvernement, pensait-on, pourvu qu’on se présentait à lui comme un partisan convaincu, pourvu, comme on dit, qu’on votât du bon bord. Comme vous voyez, le costume du Père Noël n’était pas toujours rouge!
Si encore des avantages qu’on recherchait avaient été au bénéfice de toute la population. Mais non, on a fini par considérer le gouvernement comme une propriété non plus collective, mais personnelle, que l’on s’efforçait d’exploiter à son avantage particulier avant qu’il ne s’en aperçoive et, surtout, avant qu’un changement d’administration ne détourne ses faveurs vers d’autres. Et ainsi, pendant des années et des années, une mentalité néfaste a détourné notre seul instrument d’affirmation nationale de sa fonction véritable; pendant des années et des années, on a appris à dépendre du gouvernement et à recourir à ses services, non pas en dernière instance comme il se doit, mais en tout premier lieu.
Aujourd’hui, tous tant que nous sommes, nous subissons les conséquences d’une abdication presque séculaire de leurs responsabilités par trop de nos citoyens et par certaine des groupes auxquels ils appartiennent. Nous avons instauré la dépendance en système. Qu’une localité quelconque pense à attirer de nouvelles entreprises chez elle ou qu’un citoyen boucle son budget familial avec difficulté, on pense immédiatement à avoir recours au gouvernement. Et cet esprit de dépendance qu’on a ainsi développé, non seulement il n’a pas été combattu par les administrations qui se succèdent chez nous depuis des générations, mais il a été soutenu et encouragé parce qu’on y voyait un excellent moyen de contrôle de l’électorat. Le plus tragique, c’est que celui-ci, dans une grande mesure, a fini par voir dans certains programmes de sécurité sociale et dans certaines subventions une source de faveurs de la part d’un gouvernement omnipotent, alors qu’il ne s’agissait en réalité que de droits garantis par la loi.
En m’exprimant comme je viens de le faire, je n’ai nullement l’intention de prétendre qu’il faille dorénavant revenir à cette conception antique du gouvernement selon laquelle le rôle de l’État se borne à légiférer et à assurer la paix publique. Bien au contraire, c’est justement parce que je vois à l’État moderne une responsabilité capitale dans le développement économique, dans le maintien du plein emploi et dans la sauvegarde d’un niveau de vie convenable pour la population, que je souhaite le voir abandonner, et le plus rapidement possible, des fonctions qui non seulement ne lui appartiennent pas, mais qui lui empêchent de jouer le rôle indispensable qui est le sien. Nous n’avons pas le droit, dans notre situation actuelle, de distraire l’État québécois – notre État – de ses tâches primordiales. Nous avons tout à perdre; nous n’avons rien à y gagner. La nouvelle conception de l’État que nous avons entrepris de faire prévaloir chez nous ne se répandra pas d’elle-même parmi les citoyens du Québec. J’ai parlé, il y a quelques minutes, de l’effort de rééducation qu’il nous importe de fournir, et qu’il importe aux citoyens de bonne volonté de soutenir et d’animer. De fait, il s’agit aussi de réhabiliter l’État, de lui redonner la place qui doit désormais lui revenir et d’apprendre à la population à l’accepter dans sa fonction propre.
C’est ainsi, et seulement ainsi, que sera, au Québec, préservée la dignité du citoyen. Pour me servir d’une expression connue, je dirai qu’en cette matière nous revenons de loin. Il nous reste à parcourir un chemin semé d’embûches et où le moindre manque d’attention ou la moindre absence de vigilance peut nous faire perdre les quelques progrès déjà accomplis.
La pire embûche, cependant, n’est pas l’obstruction que peuvent mettre à notre action certaines personnes qui se souviennent nostalgiquement du temps où l’État pouvait être leur serviteur particulier; elle prend surtout la forme de l’incompréhension ou de l’indifférence chez cette partie de notre population qui, comme ce serait pourtant son devoir, ne s’intéresse pas suffisamment à la chose publique et à ses problèmes.
Ainsi donc, au cours des derniers mois, nous avons commencé à créer le climat favorable au sentiment que nous voulons donner aux Québécois de leur dignité de citoyen. Pendant les années qui viennent, nous poursuivrons notre tâche. Elle fait partie du mandat que nous avons accepté; le peuple attend de nous que nous y soyons fidèles. Nous voulons, de notre côté, qu’il nous aide à mener cette tâche à bonne fin. Et il le fera d’autant mieux qu’il comprendra vraiment la portée réelle du rôle que le citoyen peut et doit jouer dans un régime où la démocratie n’est plus seulement un mot creux que l’on sonne comme une fanfare, mais un idéal vécu.
[QLESG19620108]
[The Canadian Club of Montreal
Mondav, Januarv 8, 1962, For publication after 1300 P.M. Non. Jean Lesage. Prime Minister January 8. 196]
Il y a quelques jours à peine nous terminions une année sur laquelle les historiens futurs de la province de Québec auront beaucoup à dire. Je suis convaincu, en effet, que nous venons ensemble de vivre le début d’un mouvement dont nous connaissons déjà l’ampleur mais dont la portée véritable se manifestera surtout au cours des années qui viennent.
Le peuple du Québec, avec toute l’énergie dont il est capable, s’est engagé dans le renouveau qu’il souhaitait depuis des années.
À cause de cet élan qui le transporte, il a eu tôt fait de réclamer la collaboration du gouvernement de la province à son entreprise. Il savait d’ailleurs que ce gouvernement, que j’ai l’honneur de diriger, s’était à plusieurs reprises montré favorable aux projets qu’il nourrissait et que, de fait, il les avait inclus dans son propre programme d’action. C’est ainsi que des groupements d’hommes d’affaires, des formations syndicales, des sociétés culturelles et de nombreux organismes de citoyens sont venus demander l’appui du gouvernement qu’ils considéraient comme seul capable, à cause des moyens dont il disposait, de les aider à traduire dans les faite les aspirations de la population tout entière. En somme, désireuse de se procurer les instruments qui lui manquaient, s’adressait par la voix des groupes qui la constituent à la plus puissante structure administrative de la province, son gouvernement.
Nous ne pouvions raisonnablement refuser de coopérer avec des citoyens chez qui nous sommes conscients d’avoir, en partie, allumé cette volonté de renouveau qui étonne aujourd’hui plusieurs de nos concitoyens. Nous étions même heureux d’accorder l’appui qu’on nous demandait car, en le faisant, nous nous rendions, comme il se doit en toute démocratie, au désir d’une population dont il ne fallait pas
décevoir l’attente.
[This is the reason why we hante put so much effort during the last few months into introducing innovations the number and variety of whioh are without preoedent in this province. At the administrative level, for example, severai Departmente have been reorganized to enable them to funotion more efficiently, the better to serve our population. We have also made every effort to give back to public office its real meaning, by restoring its Crue value and by trying to interest competent persons and gifted young people in taking up careers in administration.
From the eoonomic view point, we have prepared several projects. The General Investment Trust is one of them and will corne into being at the
next session of the Legislature. In the sphere •f
social legislation, we have set up the huge hospital insurance »,gramme which is well known to ail of you, and whioh has already helped thousands and thousands of £acoilies to receive treatment that their state of health required. À great many of these people have also profited from the new school allowances and from the increase which we granted to the recipients of certain social security measures.
In the case of culture and education, we have undertaken the carrying out of a long term plan some of the effects of which are already being felt. We now have a Department of Cultural Affaire -the only one of its kind in America thanks to which Arts and Letters wiil receive a new stimulus in our province. In the field of education itself, a great deal of legislation was passed. This was very necessary because the lag which we had to make up — and which we still have to make up — permitted of no delâ.y in that part of our programme which could be realized at once. As for the rest of our programme, we are not yet in possession of all the elements we absolutely need in order to fuifil it. The Royal Commission on Education will give us valuable information on these points.
In short, if I avers to sum up what we have done during the last few months, I would say that we have, on the one hand begun te anewer the needs which had to be filled at the earliest possible moment; this applies particularly to our social policy, through which we hope to approach this ideal of authentic social justice which
go
Ob
should inspire any government that is conscipus of its responsibilities.
You will admit as I do, however, that no really efficient polioy can get along on purely curative measures. Otherwise, in spite of the temporary improvements that may result from these measures, there is always the risk that sooner or later the unhappy situations whioh we wanted to do away with will arise again. Our action must therefore have another dimension; I would say that it must be a preventive one in the senne that it will strike at the roots of the problems we are facing today, and which our so-called « curative » measures can do no more than lessen.
This is why, on the other hand, we decided to provide the people of Quebec with the means which, we hope, will allow them to find definite solutions not only to their present difficulties, but also and especially to those difficulties that would otherwise continue to make themselves felt and which, as the experience of all countries has shown, would certainly become more serious. What we want then,If I may say so, is to cure the sickness before it spreads and forces
us into taking much more costly measures later on, when today’s unsoived problems will
inevitably have become much more important. There is no need for me to go into a great deal of details to prove what I am saying. In fact, a good part of the expenses incurred today by the Provincial Government — and consequently by
the oitizens of Quebec — is really the result of what part generations were unable to do, for reasons that were probably valid at that time, to solve probleme the consequences of which we are now suffering. In a way, the present generation is paying the heavy price of past inaction.
Today we have a wide knowledge of things, and we also have abilities which were unknown to those who came before — and I ….
am not epeaking here of the provincial administration that we succeeded;
• as a matter of fart that particular government could have used those meana because they were available just as they are now. What I mean to say is that we are living in an era in which it is almost forbidden not to act. Science has made great progress, techniques have been perfected, our conception of the yole of the State has changed, our relative wealth ie more abundant, the economic theory is more precise, our knowledge of the society that surrounds us is greater. We are no longer totally helpless in the face of the blind forces of the economic world;
i we can oppose resistance and to a certain extent correct the conditions in which we live. Better still, we can prepare for the future by making necessary decisions now, for exemple by allowing the people to develop along intellectual as weil as material lines. In this way
they will be better able to accomplish the tasks which await them, the fulfilment of which will guarantee their future well being.
For all these reasons, therefore, we must take action in
• two directions at onces solve our present problems, and prepare for
Quebec’s future. The tank to be undertaken -and which has in large
part already been undertaken — is far from being an easy one, and you
can easily understand why. We muet coordinate a considerable number
• of different fields of activity; we must take into account not only the consequences of the probieme we are attacking, but also those of the solutions that we put forth and of which several have begun to be carried out. We muet never forget that any action taken with the aim of modifying social conditions or generally widespread behaviour ‘ brings in a new Étate of affaire to which we must sometimes give our attention; in fact, we can never be sure beforehand that the steps we
• have taken will end with the ideal result which is our final aim. In that case, readjustments are called for, followed by new solutions. This is a perfectly normal phenomenon, and public administrators muet
expect to meet it.
There existe another phenomenon which is just as serious. Our population, as I have said all along, has needs which it intends ….
to satisfy. They want to have better government services, to encourage the proper development of their natural resources, to promote the industrial development of the province, to stimulate agricultural progress; they also want to give themselves a form of social seourity that will take family responsibilities more into account, and they want more adequate health services. And finaily, they wish, and this wish –
I should say this demand — is of prime importance to us – they want to raise the level of education and culture in the province.
These are all vital needs. It is not a question of providing the population of Quebec with sumptuous institutions or services, if I can so express it. On the contrary, the needs that I have just mentioned are absolutely essential, because they are linked with the intellectual and material development which is the basis of all modern societies, and with which we must of necessity endow Quebec.
a
These essential needs must be satisfied if we want to give Quebec the place it deserves in our country. However — and this is the other phenomenon I referred to a minute ago – these needs will call for considerable disbursements. In order to meet these disbursemente Quebec’s financial resources will have to be increased, it will have to have greater revenues.
Through direct or indirect taxation the citizens of Quebec are already contributing a great deal to the financial resources which their government spends, and which it uses for the common good. But this source of revenue is not inexhaustible; it would even be pretty unjust to make it carry the whole load of present or future innovations at a time when the sharing of tax revenues between various levels of government in the country needs to be reexamined in the light of the economic and social conditions which prevail in Canada at this time. Today we are living to a great extent within a framework te which was designed ta’fulfil a function that has long since been made
obsolete by the course of events. The present distribution of sources
of revenue between governments was thought out, applied, and instituted for the mont part during the last war. It was continued during the post was period and is etill practically the saure. However, it so happens that the motives of the federal government at that time have now bat a great deal of their relevance.
During the war, it was normal that the whole country’a human and financial resources ahould, whether we liked it or not, be pointed toward one goal — victory. The central government therefore was justified in claiming all the sources of revenue that it needed from the provinces, of course, fully understood the
seriousness of the situation and cooperated with the central government.
After the war and during the years which followed it, the readjustment of the Canadian economy to new conditions, the latent dangers of a major economic slow-down, the impetus which had to be given to certain investments that were intended to profit the whole country, all these reasons necessitated that the old arrangements ahould continue. At that time, Canada had certain needs which, we admit, took priority over those of the provinces; it was necessary that these needs be filled because the future of the country was at stake. This period of relative emergency lasted for about fifteen years.
Such is not the case today. The provinces are the ones who now have priority needs. À state of war no longer existe; the immediate post war readjustment of our economy is now an accomplished fart. Of course, the federal government
continues to have a great responsibility as far as economic policy is concerned, because in accordance with the constitution it keeps control of the money and can influence the trends and volume of international trade. The
• balanced economic development of our country requires that the central government act in those spheres which corne under its jurisdiction; in so doing, it plays a role which no one would seriously think of contesting. However, we of the province of Quebec — because of the great needs of our population, because of the enormous investments which our population must make in ail fields of its social and economic life in order to fill all these needs – we feel that it is no longer right for the revenues of the federal government to keep on being as large as they are now. On the contrary, it is the sources of revenue of the provinces which should be increased. In Quebec we do not like to ses the federal government spending its money for useful things when we could be using it to carry out,essential, things such as I mentioned a few moments ago.]
Dans une grande mesure, ne l’oublions pas, nous vivons aujourd’hui à l’intérieur d’un cadre conçu en fonction d’une situation depuis longtemps dépassée par les événements. La répartition actuelle des sources de revenus entre les gouvernements, même si elle s’est quelque peu modifiée depuis, a été pensée, mise en application et institutionnalisée en grande partie à l’occasion de la dernière guerre. Elle a été conservée dans l’après-guerre et persiste maintenant à peu de choses près. Cependant, il arrive que les motifs sur lesquels s’était fondé le comportement du gouvernement fédéral dans le temps, ont perdu aujourd’hui beaucoup de leur pertinence. Ce sont maintenant les provinces qui ont des besoins prioritaires. L’état de guerre n’existe plus; la réadaptation de notre économie à l’après-guerre immédiat est maintenant chose accomplie. Le gouvernement fédéral continue évidemment d’avoir une grande responsabilité en matière de politique économique car il détient toujours, selon la constitution, le contrôle de la monnaie et peut influencer le volume et la direction des échanges internationaux.
Mais il reste que notre population a des besoins qu’elle tient à satisfaire. Elle veut jouir de services gouvernementaux meilleurs, favoriser l’aménagement rationnel de ses richesses naturelles, encourager le développement industriel de son territoire, stimuler le progrès de son agriculture; elle veut aussi se donner un régime de sécurité sociale qui tienne mieux compte des charges de famille et elle désire des services de santé plus conformes à ses besoins.
Elle souhaite enfin – et ce souhait, cette exigence devrais-je dire est pour nous d’une importance capitale – elle souhaite hausser le niveau de l’éducation et de la culture dans la province.
Il s’agit là de besoins vitaux. Il n’est pas question en effet de fournir à la population du Québec des institutions ou des services de type somptuaire, si je peux m’exprimer ainsi; au contraire. À cause de ces besoins immenses de notre population, à cause des investissements énormes qu’elle devra effectuer dans tous les secteurs de sa vie économique et sociale pour y répondre, nous considérons que les sources de revenus du gouvernement fédéral n’ont plus de raison d’être aussi étendues. Au contraire, ce sont celles des provinces qui doivent être élargies. Nous acceptions mal, au Québec, que le gouvernement fédéral consacre les sommes dont il dispose à des fins utiles, alors que nous pourrions les employer à la réalisation d’objectifs essentiels, les besoins dont je viens de parler sont absolument essentiels parce qu’ils se rattachent à l’équipement intellectuel et matériel qui se trouve à la base des sociétés modernes et dont il faut, de toute nécessité, doter le Québec.
[All this will explain why we, at this juncture, are insieting so strongly upon the necessity for our province to obtain the sources of revenue for which it has such an urgent need. lie have every reason to believe that our needs have an obvious priority over
• those of the central government; we have no reason, or almost none, to accept the continuation of a state of affaira which should be discussed as aoon as possible — because a state of emergency does exist.
The argument that I have just put forward is always behind our attitude on questions of federal-provincial relations. You may have noticed it in our proposais on fiscal affaira and in our desire that a complets reexamination of the present distribution of revenue sources be made both by the provinces and the central government.
This could be followed — by a major overhaul of
the Canadian Constitution — which would be a good thing. It is certain, no matter what happens on this subject, that the future of our country itself will depend to a great extent over the coming years upon the attention we *ive to the primary needs of the provinces which make up thia Canada of ours.
In the other provinces of our country, there are projects the preciae details of which I do not know. In Quebec, at any rate, we are concentrating all our efforts towards the building of a better world in which to live. In order to do so, it is abaolutely necessary for us to get the materials that we lack. This is the deepest wish of the whole of Quebec’s population; it is also the deepest wish of its government.
[QLESG19620126]
[Inauguration du nouvel édifice de la Croix-Rouge
Québec. le 26 janvier 1962 Pour publication après 5:00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 26 janvier 1962]
Il y a des chefs d’oeuvre de l’esprit qui sont l’honneur du cerveau humain. Mais il y a aussi des chefs d’œuvre du cœur qui sont l’honneur de l’humanité!
Je ne saurais vous exprimer à quel point je suis fier de participer à l’inauguration de cet édifice, car je ne connais pas un seul mouvement qui fasse davantage honneur à l’humanité tout entière que la Croix-Rouge.
Je n’aurai pas l’outrecuidance de raconter, même brièvement, l’histoire de la Croix-Rouge internationale, canadienne et québécoise, vous la connaissez mieux que moi. Pour agir ainsi, il faudrait du reste n’avoir appris que tout récemment ce qui fait la grandeur de votre rôle et, avec l’émerveillement tout frais de la découverte, en parler avec un enthousiasme naïf comme si l’on était seul à connaître toute l’histoire de votre mouvement. Il n’en faut pas moins signaler avec orgueil que la ville de Québec a été le berceau de la Croix-Rouge au Canada puisque votre Société a été fondée ici en 1900, neuf ans avant la Croix-Rouge canadienne. C’est depuis cette date que vous n’avez cessé de vous dévouer au bien-être de la population. L’esprit de solidarité et l’efficacité dont vous avez fait preuve au cours, par exemple, de sinistres comme ceux de Rimouski et de Cabano, ont conquis l’admiration générale.
Il est rare de voir un mouvement réaliser une telle unanimité dans la population québécoise. Je suis depuis trop longtemps l’admirateur des héros et des héroïnes anonymes de votre Société pour entretenir l’illusion qu’il reste un seul éloge nouveau à vous adresser. Il me faut me contenter de citer ceux qui ont eu des bonheurs d’expression qu’on ne saurait dépasser. Parmi ces expressions, il n’en est pas de plus justes, de plus heureuses, de plus inspirées que celle de François Poncet qui disait ne croire qu’à une seule Internationale, l’Internationale de la Bonté, c’est-à-dire la vôtre.
Dans le monde de 1962, il n’est pas facile de porter un jugement absolument sûr, catégorique et définitif sur toutes les causes que les hommes peuvent épouser avec la plus entière bonne foi.
L’idéal d’une partie de l’humanité n’est pas celui de l’autre. Mais dans tous ces conflits dont quelques-uns sont même intérieurs dans l’homme, dans tous ces conflits, quel doit être le bonheur de celui qui ne peut pas douter de l’idéal auquel il s’est voué! Quelle source de joie et de satisfaction de se dire que l’on ne peut pas se tromper puisque l’on se consacre au bonheur de ses semblables! Quelle consolation d’avoir un idéal que l’on peut servir aveuglément sans entretenir, sur sa valeur, l’ombre d’un doute pendant l’ombre d’un instant! Ce bonheur, cette joie, cette satisfaction, cette consolation sont les vôtres. C’est là que je trouve l’explication de la gaieté et de la bonne humeur qui vous sont traditionnelles puisque rien n’influe aussi heureusement sur le caractère que la certitude de faire du bien.
Parmi les vers qui, depuis le collège, se sont accrochés à ma mémoire, il est un de Lamartine qui me revenait tout à l’heure et que j’ai voulu noter: [ » Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. « ]
» Borné dans sa nature « , l’homme est un être, hélas! qui parfois se rend compte avec désespoir combien sont puissantes les attaches matérielles qui semblent le condamner à la petitesse. » Infini dans ses voeux « , l’homme, cependant, se grandit et se réhabilite à ses propres yeux. Et je ne peux pas imaginer un mouvement qui réhabilite davantage l’homme que celui de la Croix-Rouge. S’il fallait un jour que l’humanité en bloc passe en jugement pour ses erreurs ou pour ses crimes, j’imagine l’avocat qui, prenant sa cause en main, invoquerait dans la preuve de caractère la Croix-Rouge.
La Croix-Rouge, c’est, dans le procès de l’humanité, la circonstance atténuante et le trait rédempteur.
[QLESG19620217]
[Congrès des Gérants de Rédaction,
Québec. le 17 février 1962, Pour publication après 7×00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 17 février 1962 ,]
Après dix ans, vous revenez à Québec, messieurs les gérants de rédaction, pour tenir votre conférence annuelle sur les problèmes de votre profession. Soyez les bienvenus. Vous êtes accueillis parmi nous avec la joie entourant les bons amis qui se retrouvent après une trop longue absence. Personnellement, je suis très heureux de cette occasion qui m’est fournie de renouer avec de vieilles connaissances du Québec comme de tout le Canada et de lier des amitiés nouvelles. Je le suis d’autant plus que c’est la première fois que je rencontre la direction de la presse quotidienne, depuis que je suis Premier ministre. Tour à tour, j’ai participé aux assises de la presse hebdomadaire et au congrès des journalistes de langue française, mais c’est mon premier contact avec ceux à qui nous sommes redevables des journaux quotidiens du Canada tout entier.
Acceptez mon hommage de citoyen et ma reconnaissance d’homme politique pour les services que vous rendez à notre société, au Québec comme au Canada, jour après jour, avec une constance et un labeur qui sont votre servitude et votre grandeur.
[Gentlemen of the press, since your lest visit here ten years ago, a few changes have taken place in this Quebec of ours, where, it was once said, nothing would or could ever change. As a matter of fact, there are a great many things in Quebec that have never changed and which will never change
One of them is our traditional enjoyment in welcoming the visiter within our gates, and, above ail, our deep sense of brotherhood towards our fellow-Canadians from the other provinces or other ethnie groupe.
The holding of your convention coincides with the preliminary fireworks of the Quebec Llinter Carnival, and I hope that you will be able te combine some of the pleasures of our Carnival with the hard work which you viii do during your stay in Quebee.
In keeping with the carnaval spirit, let me recall a couple of very recent incidents which happened at our own expense, whether ve are
• newspapermen or politicianss
Only a few days ago, I am told, one of our more pondereue dailies published a large advertisement asking for cats te be delivered te the General Post Office te be sent te the Congo : On the saure day, a competitor across the street ran an advertisement solliciting financial contribution for the widow of the Unknown Soldier. Both newspapers were the victime of a practical joke and,
• with the usual rivalry that exista between the management and the editorial department of any newspaper, you can appreciate the effects of a joke such as this one.
Recently, the editorial department has had its troubles toc. Someone, let’s eall him an « official » or « semi-official » source of information, stated that newspapers in Quebec
were only fifty percent objective, which was a highly subjective job of reporting the Tacts: According to later pronouncements, from even higher sources, the situation for the whole of Canada may be even worse, and there is talk of a « servile press » and other remarks of a similar nature.
But let me give you a glimpse of a publia man’s inner secrets. The Press is the mirror of public opinion. It becomes very
• tempting et times to throw atones into the pond to disturb its mirrorlike surface and break up the reflection of the surrounding scenery! Old political hands have taught me this lesson, so that I have always been careful never to
join any « Bureau of Misquoted Persona », and never to throw atones – at least not at the press – because the last nord is always … the printed word.
Nevertheless, gentlemen, the fact is – the real and comforting faot is – that in Canada, the press is truly the mirror of public opinion, and is therefore the vert’ image of the Canadian people.
From the small political pamphlets of past generations, our Press has developed into the mass information medium that it ie today. In its process of development it has managed for the most part to have avoidedd the gaudy period of sensationaliam which dominated the American press at the start of the century, and which et the present time ia reaching more and more into the old civilizations of Europe.
Like the Canadian people, our press is serious, some people might aven go so far as to say that it is serious to the point of drabnese, but dont foreign observera say the saure thing about us
• Canadians in our northern placidity? Our Press, like our people, is steady and reliable, not easy to roues, but stubborn in its convictions.
It has been laid that a people gets the government that it deserves, and the came thing applies to a country’s press. Patience, soundness and reliability make up the fabric of the Canadian character and the character of our daily press. These are qualities that do not generate superficial brilliancy or splendid flights into nowhere. They are, however, the rock upon which are built institutions Chat will endure.
Of course, gentlemen, the daily press in Canada has its own problems juat like everyone elle, otherwise you would not be gathered here at this time, notwithstanding the Quebec Winter Carnival.[
Ces problèmes de la presse quotidienne sont multiples et considérables. À la fois inquiétants et pleins de promesses. C’est une crise de croissance; mais c’est aussi un élan du progrès. Bref, la presse s’identifie si étroitement à notre société, qu’elle en subit tous les bouleversements et toutes les évolutions. Profondes transformations matérielles, comme l’abolition des distances et les tendances universelles vers l’unité, qui posent aux Canadiens les problèmes de l’identité nationale au sein de l’internationalisation des économies et de la pensée. Transformations sociales, alors que le Canada doit passer, pour ainsi dire du jour au lendemain de la cellule familiale et d’une société rurale au complexe industriel et à la civilisation de masse. Transformation psychologique du Canadien qui se découvre ainsi citoyen du monde, en même temps que sujet et partie d’un corps social toujours du plus en plus organisé et croissant, au sein duquel l’individu éprouverait le sentiment d’être écrasé ou perdu, s’il n’était constamment éclairé sur sa place et sur sa responsabilité dans la vie de l’État à laquelle il participe. Et, par-dessus tout, la soif de connaître, la curiosité innombrable, l’insatiable besoin d’obtenir des réponses à toutes les questions qui sont posées aujourd’hui aux intelligences humaines, à l’homme de la rue comme aux savants, par l’extraordinaire développement des moyens de diffusion qui apportent, même dans les foyers les plus modestes, l’actualité des faits, les actes de la politique, les données de l’économie, les secrets de la science et jusqu’aux spéculations de la philosophie.
Votre tâche, Messieurs les gérants de rédaction, est d’adapter les journaux à ces transformations matérielles et psychologiques. Que de difficultés elle présente!
Les grandes agences internationales créent, certes, des liens avec le monde, mais encore faut-il que les Canadiens, par leurs journaux, puissent se fier non seulement aux témoignages étrangers, mais considérer le monde avec leurs yeux de Canadiens. Et quel fardeau financier que la représentation de nos journaux à l’extérieur! Par ailleurs, la civilisation de masse gonfle, évidemment, les tirages des quotidiens; mais l’élimination des faibles et la puissance toujours accrue des forts n’en sont-elles pas la conséquence? Enfin, les exigences de la curiosité et la volonté de s’instruire, – le plus exaltant phénomène de notre époque poussent encore les quotidiens vers le même aboutissement : seuls les plus riches deviennent en mesure de fournir l’abondance qu’on exige d’eux!
De tous ces facteurs et de bien d’autres résulte un processus de concentration de la presse qui est universel. Chaque année voit disparaître quelques grands quotidiens, en Europe et en Amérique. Au Canada français, nous avons eu plus que notre part de ces disparitions. Pourtant, le seul quotidien qui soit né, en Amérique du Nord, en ces dix dernières années, vient d’apparaître dans la province de Québec. Le fait ne contredit en rien l’universalité des difficultés de la presses il souligne peut-être que Québec n’est pas une province comme les autres, ou que son dynamisme de transformation est actuellement plus aigu qu’ailleurs, ou encore que ses retards étaient plus marquée… car la diffusion des quotidiens, proportionnellement à la population, demeure encore sensiblement inférieure, au Québec, à ce qu’elle est en d’autres parties du Canada.
Dans ces conditions, le problème le plus important qui se pose à un congrès comme le vôtre n’est-il pas d’enrayer ce processus d’une liberté de la presse qui se dévore elle-même, à la fois par le jeu de la concurrence, les nécessités du progrès et par le coût de la production ?
Les quotidiens du Canada se sont déjà engagés dans la voie d’une collaboration qui a permis la coexistence des quotidiens régionaux avec celle des grands organes métropolitains. L’agence coopérative que constitue la « Presse Canadienne » fut, à cet égard, un succès. L’expansion des services français au sein de l’agence, en particulier, est un développement assez récent qui sera suivi, nous l’espérons, par d’autres progrès et par d’autres initiatives absolument nécessaires à la dualité culturelle du Canada.
A-t-on épuisé, au Canada et plus spécifiquement au Québec, les possibilités de la formule coopérative, à la fois sur le plan de la concurrence, de l’expansion et sur le plan du coût de production, afin de maintenir une saine multiplication des quotidiens à travers le pays? C’est à des groupements spécialisés comme le vôtre qu’il appartient d’approfondir la question. Mais justement, les groupements spécialisés comme le vôtre, et les divers organismes professionnels qui existent à l’heure actuelle chez les journalistes comme chez les administrateurs et les propriétaires de journaux, ont-ils eux-mêmes épuisé les possibilités de leur collaboration? La coordination des efforts de ces associations professionnelles qui, à vrai dire, parait à peine ébauchée jusqu’à présent, serait peut-être la clé des problèmes de la presse quotidienne, depuis les soucis financiers des administrateurs jusqu’au code d’éthique que veulent s’imposer les journalistes. Car, Messieurs, aux défis que pose une civilisation de masse, il faudra répondre par la synchronisation des actes de l’initiative individuelle, autrement la civilisation de masse ne pourra être autre chose qu’un totalitarisme où iront mourir les libertés de tous.
Les problèmes des quotidiens découlent donc directement des transformations de notre société. Or, les problèmes des gouvernements viennent exactement de la même source. Vous, messieurs, comme gérants de rédaction, et moi, comme chef de gouvernement, nous nous ressemblons comme des frères, en face de nos responsabilités et de nos devoirs quotidiens. Vous avez la responsabilité de créer l’opinion publique, nous avons la tâche de la satisfaire! L’opinion publique éclairée fait les gouvernements sages. Une opinion publique est véritablement éclairée, lorsqu’elle est aussi consciente des réalités que de ses désirs; lorsqu’elle accepte ses devoirs avec autant de fermeté qu’elle réclame ses droits. Éclairer de cette façon l’opinion publique telle est l’oeuvre que vous accomplirez, non pas seulement comme les juges des gouvernants, mais surtout et avant tout comme leurs auxiliaires.
Dans l’infini des travaux qui s’imposent désormais aux gouvernants dans la phase de reconstruction, de difficultés et d’espoirs que nous traversons, la plus pure lumière de l’opinion publique est, plus que jamais, l’esprit positif qui s’oppose au néant des négations, l’objectivité des faits qui écarte les fantaisies du subjectivisme; en un mot, la vérité qui est splendeur de la connaissance et lien de l’amour entre les hommes!
Oh! je sais bien, messieurs les journalistes, que la verve de la critique est plus brillante que l’exposé positif des travaux et des jours d’une société. Mais tout le monde sait, aussi, qu’il est plus facile de démolir que de construire. Alors qu’il y a tant à construire, au Québec et au Canada, prenons garde de paralyser nos populations dans la stérilité des critiques et dans le défaitisme des démolitions. Prenons garde, aussi, de créer artificiellement une opinion publique qu’il soit physiquement impossible de satisfaire.
Je sais bien, aussi, que pour lutter contre l’imagerie de la télévision et pour se donner un ton et une individualité, la presse n’a souvent d’autre recours que l’interprétation subjective des faits. C’est une tendance qui se manifeste, de plus en plus, même dans les colonnes de pure information. Si le nouvelliste devient commentateur, qui fournira la nouvelle au public? Si les faits ne sont présentés qu’à travers le prisme d’une opinion ou d’un caprice, où seront les faits? Si chacun possède sa vérité, que sera la vérité ?
Le commentaire, l’interprétation ou l’explication des faits sont nécessaires, mais les faits ont la priorité. Un éditorial sans la nouvelle, c’est un jugement sans procès. Car dans une démocratie, les citoyens sont libres de former leur propre jugement. Leur jugement ne peut être formé que s’ils sont en possession des faits. La présentation subjective des faits dans le journalisme n’est pas, comme on pourrait s’illusionner, une manifestation de la liberté démocratique; car cette pratique ne trouve son application parfaite et définitive qu’au sein d’une dictature, à laquelle la déformation des faits finit par conduire, ne serait-ce que par l’anarchie qu’elle produit dans le jugement des citoyens comme dans leurs actes. Au Canada et en Amérique, la presse a établi son prestige et son utilité sur les faits. Vous êtes les témoins de la vérité et vous avez charge d’âme, l’âme de la collectivité. [Truth, gentlemen, is the basic material for the development of mutual love and understanding among men. Give the objective truth to the peoples of all nations, and you will give peace to the world.
Now, more than ever, Canadians need the binding force
of truth to unite them. We are fortunate to have a few – too few -journaliste representing nome of your newspapers from the other provinces here in Quebec. Our own French language dailies have representatives in Ottawa, but Gloser practical contacts should be maintained between newspapers as they are between provincial governments, because Canadians know far too little about the local problems of their fellow Canadians at the provincial level, where their mutual understanding should really begin. As Premier of Quebec, the development of friendship amongst all Canadians based upon mutual knowledge of one another was one of the main objectives in promoting the inter-provincial conferences which were held with such promising results in Quebec and Charlottetown, with the next one to be held soon in British Columbia.
Gentlemen, the truth, like happiness, is often salent. There are, at times, noises in Quebec and the rest of Canada noises that may sound disturbing to you and to us. However, let us not be distracted by these noises, let us look ahead, instead, to the truth of Quebec and Canada, where lies our fellowship, our hopes, and our future.]
[QLESG19620311]
[Alliance Française de Montréal
Montréal, le 11 mars 1962 Pour publication après 7430 P.M.
Ron. Jean Lesage. Premier Ministre le 11 mars 1962]
Au moment où je me lève ce soir pour saluer la présence parmi nous d’un délégué spécial de la France, je suis encore sous le charme de notre propre visite à Paris, au début du mois d’octobre.
Avant mon départ, je n’avais jamais osé rêver que les manifestations dont nous fûmes l’objet seraient émouvantes à ce point. Sous chaque geste officiel perçait une amitié véritable, et ce sentiment si précieux pour nous, nous en trouvions constamment la preuve dans nos contacts personnels avec la population elle-même, car si le protocole peut ordonner admirablement tous les gestes extérieurs, il ne pouvait commander à la foule de nous donner aussi spontanément et aussi sincèrement qu’elle l’a fait des preuves constantes de la cordialité du peuple français à notre égard. Je me suis rendu compte alors que ce n’étaient pas seulement les progrès de la navigation aérienne qui avaient supprimé les distances, mais qu’entre la France et le Québec, il n’y a plus, pour pasticher le mot célèbre de Louis XIV au sujet des Pyrénées, il n’y a plus d’Atlantique De tous les gestes qui m’ont touché, aucun peut-être ne m’a laissé un souvenir plus vivace que celui, Monsieur Chastenet, qu’a posé à mon égard votre illustre compagnie.
Dans le Grand Larousse encyclopédique, qui est tellement récent que seuls quatre volumes sur dix en sont jusqu’ici parus, je lis cette phrase à l’article Académie française : [ » L’Académie se réunit toujours en comité secret, sauf pour la séance publique annuelle et pour les réceptions des nouveaux élus. « ]
L’invitation que vous avez faite à quatre ministres du Québec d’assister à une séance de la rédaction de votre dictionnaire, aura donc il est amusant de le souligner rendu désuète une phrase d’un autre dictionnaire avant qu’il soit publié.
Veuillez croire que je ne me fais pas d’illusions: Je sais bien que c’est à ma province et non à moi que s’adressait cette invitation. Mais je n’en suis que plus reconnaissant aux sentiments qui m’ont valu un privilège aussi rarement accordé.
Car seule une atmosphère de fraternité totale pouvait justifier ce geste exceptionnel, vous nous avez reçus comme si nous étions des vôtres, comme si nous étions entre Français. Comprenez-vous maintenant pourquoi le charme auquel je faisais allusion en commençant ne s’est pas évanoui et pourquoi il me tient toujours sous son empire? D’ailleurs, qui peut résister à la France lorsqu’elle se veut séduisante ?
Mais peut-être mon admiration même fera-t-elle excuser la seule critique que j’oserai exprimer au sujet de votre pays: il vient de faire un geste qui nous a désolés, en nous enlevant – et ce n’est pas un lapsus que je vais commettre en nous enlevant un compatriotes monsieur Francis Lacoste
Ce n’est pas l’amitié personnelle qui m’aveugle lorsque j’affirme que personne n’a su se faire admirer et aimer des Canadiens autant que monsieur Lacoste. Peu d’hommes nous auront autant et si bien compris: c’est vraiment un des nôtres que nous voyons partir. Vous allez, Mesdames, Messieurs, penser que je compte les jours comme un prisonnier, mais je viens de me rendre compte qu’il y a exactement 199 ans, 1 mois et 1 jour (soit le 10 février 1763) le traité de Paris cédait le Canada à la Grande-Bretagne.
La France avait rêvé une Nouvelle-France, mais elle connaissait un brutal réveil. Et c’est à nous qui étions ce rêve qu’il appartient de le continuer et de le réaliser. Cela ne veut pas dire qu’il faut copier servilement la France. Il faut, au contraire, prouver que notre ancienne mère-patrie savait mener ses enfants jusqu’à l’âge adulte. Notre devoir, c’est d’être nous-mêmes et non une pâle réplique des Français. C’est ainsi que nous prouverons la valeur, la force et la vitalité des traditions dont nous avons hérité; c’est ainsi que nous prouverons que vivre, c’est, non pas imiter un modèle, fût-il le plus beau de tous, mais conquérir notre personnalité à nous en réalisant, en matérialisant le rêve que notre ascendance commune contenait en elle-même. Le vrai maître est celui qui n’écrase pas la personnalité du disciple, mais qui la fait s’épanouir, et la richesse de la culture française, c’est de permettre à ceux qu’elle forme, non pas de demeurer, mais de devenir eux-mêmes. Car trouver sa personnalité, c’est la suprême conquête, c’est l’ultime devenir.
Un héritage ne donne pas que des droits, il crée des devoirs auxquels on ne peut se dérober. Nous avons la responsabilité, non seulement de conserver notre héritage intact, nous avons la responsabilité non seulement de le garder vivant, actif et de le faire fructifier comme les talents de la parabole, mais nous avons aussi celle de la propager, comme la France elle-même l’a fait et continue de le faire. Ce sera ainsi, plus que par tout autre moyen, que le groupement canadien-français pourra, en ce vingtième siècle, demeurer fidèle à ses ancêtres et demeurer fidèle à lui-même tout en étant fidèle à (le mot n’est pas trop fort) à sa vocation.
Notre fierté se justifie du fait plus que jamais indéniable que la culture et la langue que nous avons héritées de la France constituent un ensemble de valeurs qui enrichissent le Canada tout entier.
En sauvegardant cette culture, nous nous sommes tout d’abord protégée comme groupe, mais tout comme l’instinct de conservation de chaque individu sauvegarde en fin de compte la nation tout entière, notre instinct de survivance a servi le Canada tout entier.
Monsieur John W. Pickersgill, député à la Chambre des Communes, disait récemment:
[ » À l’heure actuelle, la culture canadienne-française est probablement plus dynamique que la culture anglaise, et un grand nombre de Canadiens anglais souhaitent que les Canadiens français prennent l’initiative d’un progrès culturel plus marqué dans tout le Canada. « ]
Cette idée, celle de l’apport canadien-français au pays tout entier, est en train de faire son chemin dans tous les esprits. Je ne vous surprendrai donc pas en disant que les Canadiens des autres provinces commencent à nous être reconnaissants d’être Canadiens français d’une façon aussi intransigeante.
Je suis sûr que nous perdrions leur estime si nous abdiquions nos caractéristiques et je crois que je puis affirmer un principe qui a le rare mérite d’être à la fois utilitaire et généreux: il faut nous enrichir tous de nos différences mutuelles
Voilà donc pourquoi il existe au Canada ce délicieux paradoxe qui est la plus douce revanche dont pouvait rêver la France depuis le traité d’il y a 199 ans: les Canadiens anglais souhaitent tout aussi ardemment que nous la survivance de la culture française.
Mais soyez assurés, Monsieur l’Ambassadeur et Monsieur Chastenet, que si nous réussissons à demeurer dignes de notre mission, le mérite premier en reviendra à la nation envers laquelle nous avons contracté une dette semblable à celle d’un enfant pour ses parents. Cette dette, il ne peut l’acquitter que d’une façon: en transmettant à son tour, à la génération suivante, le flambeau qu’il a lui-même reçu. Cette loi est partout dans la nature et dans l’histoire, mais aucun peuple n’en peut tirer un orgueil plus grand que le nôtre, puisque celui de qui il a tant reçu est le peuple français.
[QLESG19620407]
[Sir George Williams University Silver Anniversary Montréal, le 7 avril 1962 Pour publication
après 7×00 hres PM
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 7 avril 1962]
Votre Université célèbre aujourd’hui son [« Silver Anniversary »]. Je suis heureux, à cette occasion, de me joindre à vous et de vous souhaiter, de la part du gouvernement de la province, tout le succès futur que votre institution peut escompter après les vingt-cinq années de services qu’elle a rendus. Je ne suis, pour ma part, nullement inquiet de ce que l’avenir vous réserve. Votre [Silver Jubilee] vous fournit une excellente occasion de mesurer le trajet parcouru et de constater, par vous-mêmes, la dimension des progrès accomplis. Le dynamisme et l’esprit de création dont votre institution a fait preuve depuis qu’elle existe constituent, à toutes fins utiles, la meilleure garantie possible par rapport aux années qui viennent. Sir George Williams University a toujours su non seulement s’adapter aux conditions toujours changeantes de la vie moderne, mais aussi les prévoir. C’est ainsi, par exemple, que par les cours nombreux qu’elle donne le soir, elle a pu procurer une précieuse formation à des centaines de personnes que l’on retrouve maintenant à des postes administratifs responsables dans les maisons de finances, les industries et les établissements commerciaux de notre province. Sans votre institution, toutes ces personnes, tant de langue anglaise que de langue française, n’auraient peut-être pas pu apporter une contribution aussi valable que celle qu’elles fournissent maintenant à la vie économique et financière du Québec. Presque tous vos diplômés, et leur nombre dépasse 5000 , demeurent et travaillent dans la province. Il est facile, dès lors, même sans faire d’étude statistique poussée, de voir le rôle important qu’a pu jouer Sir George Williams dans l’évolution du Québec au cours des dernières années et de comprendre pourquoi la communauté l’a, dans le passé et encore aujourd’hui, soutenue avec autant de conviction. Par l’expérience qu’elle a faite d’un type d’enseignement nouveau, votre université a répondu à un grand besoin et a permis aux autres maisons d’éducation de poursuivre des expériences similaires pour d’autres groupes de notre population et souvent en d’autres domaines. En continuant son expansion, elle pourra multiplier ses services et les rendre disponibles à un plus grand nombre de nos concitoyens.
Je dirais que votre Alma Mater participe, à sa façon et dans le secteur, qui lui est propre, à l’immense oeuvre qu’a entreprise le gouvernement de la province dans le domaine de l’éducation. Cette oeuvre, vous la connaissez déjà dans ses, grandes lignes et je ne voudrais pas ce soir revenir trop longuement sur un sujet avec lequel vous êtes sans doute familiers. Il n’en reste pas moins, toutefois, que l’éducation suscite tellement d’intérêt chez nous que je ne puis m’empêcher, surtout devant un auditoire comme le vôtre,
de vous soumettre quelques-unes de mes réflexions sur la question. Je ne m’étendrai pas sur l’importance que revêt l’éducation pour notre peuple, car je crois que tout le monde en est convaincu. Si j’en juge par les nombreux témoignages que nous recevons, les citoyens du Québec appuient avec enthousiasme la politique mise de l’avant par le gouvernement dans ce domaine vital. Ils comprennent tous les avantages qu’ils en retireront et regrettent que les réformes que nous proposons n’aient pas été élaborées il y a déjà quelques années. La première idée qui vient à l’esprit d’un ministre des Finances, occupation qui est loin d’être une sinécure, notamment à quelques jours de la présentation du discours du budget, est le coût énorme que représente une politique d’éducation qui se veut complète et conforme aux besoins. Nous avons, en cette matière, des retards considérables à combler et, comme dans n’importe quel secteur d’activités où il faut exercer un effort intense, c’est à la génération présente qu’il revient de donner le coup de barre que la situation exige.
Au cours de l’exercice financier qui vient de commencer, le ministère de la Jeunesse et le Département de l’Instruction publique, à eux seuls, consacreront une somme totale de plus de $303000000 à des fins d’éducation. Sont inclus dans cette somme, les quelque $35000000 réservés aux investissements des universités. De fait, cependant, les montants réservés à ce poste dans le budget de la province pour 1962-63 sont encore plus élevés que ce chiffre impressionnant en lui-même. En effet, d’autres ministères, par exemple ceux de l’Agriculture, des Pêcheries, du Travail, des Terres et Forêts, etc., dépensent à des fins semblables dos sommes importantes qui ne sont pas incluses dans les $303000000 que je viens de mentionner. C’est donc dire que l’éducation, de quelque type qu’elle soit, constitue le plus important poste du budget du gouvernement.
Nous ne sommes pas étonnés qu’il en soit ainsi, Au contraire, nous le désirons, car, dans l’ordre des priorités que le gouvernement doit établir devant toutes les tâches qu’il a à assumer, l’éducation occupe nettement la première place. C’est de ce côté, croyons-nous, qu’il nous faut, d’abord et avant tout, fournir le plus d’efforts. L’éducation, en effet, est pré requise à la réalisation de tout autre objectif. Il est impossible, par exemple, de songer à accélérer le progrès économique si nos citoyens ne sont pas préparés à soutenir ce progrès et à occuper les emplois nouveaux et spécialisés qui seront inévitablement créés. Le bien-être social est aussi une de nos importantes préoccupations, mais la politique de bien-être la plus sensée n’est-elle pas justement de donner à la population les moyens de s’assurer elle-même un niveau de vie et de culture convenable? Or, elle ne peut y réussir que par l’éducation. De cela, semble-t-il, tout le monde est convaincu.
Est-ce à dire, toutefois, que la somme sans précédent de $303000000 est suffisante dans les circonstances actuelles? Il serait fort erroné de le croire, car ce montant n’est, en réalité, que le minimum nécessaire au maintien de la politique de longue haleine adoptée par le gouvernement de la province. Il ne vaut que pour 1962-63 et il est possible que, l’an prochain il soit encore plus élevé. On peut s’étonner et même s’inquiéter de la hausse remarquable des dépenses qui se produisent dans ce domaine, mais lorsqu’on s’arrête à mesurer l’acuité des besoins qu’il
faut absolument satisfaire, car ils sont essentiels et primordiaux, on est vite convaincu qu’il ne peut en être autrement.
Il faut non seulement construire des édifices scolaires, agrandir les universités, équiper les laboratoires, créer des centres de recherche ou améliorer ceux qui existent, mais aussi accorder une attention toute particulière à la formation du personnel enseignant à tous les niveaux et attirer vers la profession d’éducateur les jeunes qui peuvent y employer leur talent à l’avantage de tous. Il faut, de plus, donner à tous les jeunes la chance égale de bénéficier, s’ils en sont aptes, d’un enseignement approprié à leurs goûts et aux besoins de notre communauté.
En effet, notre objectif est double: donner à tous les citoyens La possibilité de recevoir un niveau d’éducation correspondant à ses aptitudes et rendre notre système d’éducation le plus complet et le plus possible conforme aux nécessités.
Je n’ai pas besoin de vous dire que personne ne s’attend à ce qu’un tel objectif puisse être atteint rapidement. Il nous faut tout de même commencer dès maintenant à franchir les premières étapes d’une marche en avant qui sera longue, mais qui rapportera vite des fruits. Déjà depuis un peu plus d’un an, les progrès dans le secteur de l’éducation ont été très marquée. Ce qui est remarquable, c’est que l’amélioration s’est produite non seulement dans la législation proprement dite, mais aussi dans notre mentalité collective. Je veux dire par là que notre population n’a plus, au sujet de l’éducation, le même comportement qu’avant. Elle est maintenant imbue de son importance et a transformé l’éducation en sujet de discussions quotidiennes. Je trouve personnellement que cette attitude est très saine, car il est excellent, en démocratie, que les citoyens s’intéressent de près à une question aussi vitale et aux problèmes qui la touchent. Naturellement, tous ne peuvent être des experts en cette matière, mais tous ont des raisons profondes, comme parents, comme contribuables ou comme étudiants, de suivre avec attention son évolution.
On a aussi compris – et c’est cela à mon sens qui est le plus nouveau – que l’instruction n’est pas une marchandise que peuvent se procurer seulement ceux dont les ressources financières permettent de l’acheter. En somme, l’instruction, à cause de sa nature, n’est pas un produit qu’on peut laisser au libre jeu du marché. Elle n’est pas non plus un privilège dont on doit réserver la jouissance à un petit groupe d’élus, comme ce fut le cas pendant trop longtemps, et pas seulement dans notre province. Je dirais même à ce propos que notre philosophie actuelle de l’éducation nous situe à l’avant-garde des nations évoluées; nous avons franchi en quelques mois un espace historique énorme et nous nous préparons maintenant à nous donner les instruments qui nous permettront d’atteindre les objectifs nouveaux que notre peuple s’est fixés.
Le gouvernement, on l’imagine bien, ne peut demeurer indifférent et à l’écart de toutes ces préoccupations. D’ailleurs, il serait mal venu de le faire puisqu’il est, en bonne partie, responsable de l’état d’esprit nouveau qui règne maintenant chez nous. Il jouera donc, à ce sujet, le rôle qui lui revient et qui, parfois, l’obligera même à prendre l’initiative des réformes à être effectuées. Car si, avant tout, la fonction du gouvernement est de soutenir, coordonner et même diriger les efforts des groupements privés, il peut fort bien arriver que, dans certains domaines, notamment celui de l’éducation, l’action à entreprendre dépasse nettement les possibilités du secteur privé. Alors, en toute logique et conformément à son rôle primordial, qu’est la sauvegarde du bien commun, il lui appartient d’agir. Mais, s’il doit agir, il est essentiel qu’il le fasse en pleine connaissance de cause, selon un plan d’ensemble conçu en tenant compte de toutes les valeurs qu’il lui faut protéger, de tous les problèmes que son action peut susciter et de tous les buts dont il doit rechercher et faciliter la réalisation. C’est pourquoi – on s’en doute bien – le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger attache une aussi grande importance au travail qu’accomplit actuellement la Commission Royale d’Enquête sur l’Enseignement. Il sait que, de cette enquête, pourront provenir des recommandations susceptibles d’influencer profondément le développement futur de l’éducation au Québec. Il sait que la population de la province en retirera un énorme bénéfice.
J’ai dit, il y a un instant, que nous poursuivions un double objectif: éducation accessible à tous, indépendamment de la situation financière de l’étudiant, et enseignement le mieux adapté possible à nos besoins. On comprend facilement que l’application d’une politique nouvelle fondée sur de tels objectifs apportera inévitablement des modifications à notre système d’éducation; mais comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, à la Chambre ou en public, noue n’avons nullement l’intention de tout détruire et de recommencer à zéro; ce serait là une façon de procéder tout à fait irréaliste.
Nous nous rendons bien compte toutefois que n’importe quel changement, si minime soit-il, à des comportements ou des modes d’agir auxquels toute une population a fini par s’habituer, provoque inévitablement des difficultés passagères. Ce changement vient en quelque sorte troubler un ordre existant, même si l’ordre existant est devenu inacceptable pour quelque raison que ce soit, même s’il a grand besoin d’être réformé et même si l’ensemble de la population reconnaît l’urgence des améliorations à faire. La nature humaine est ainsi faite qu’elle voudrait qu’à une situation imparfaite succède immédiatement, dès qu’on applique des réformes, une situation parfaite. Or, cela est complètement impossible car, si nous sommes réalistes, nous devons reconnaître que les institutions humaines, si bonnes soient-elles, ne peuvent être parfaites. De fait, ce que les citoyens doivent rechercher, ce que le gouvernement doit s’efforcer de créer, c’est une amélioration, la plus grande possible, aux conditions antérieures. Cela est vrai dans le domaine de l’éducation; cela l’est aussi dans tout autre secteur d’activités. Dans le Québec, nous avons déjà commencé, là où il fallait agir sans délai, à mettre en application certaines réformes urgentes; au début, comme nous nous y attendions, il s’est produit une certaine période d’adaptation. Puis, avec le temps et à mesure que le public comprenait mieux la portée et le sens de ces réformes, les changements voulus ont fini par faire partie du comportement habituel de la population. On s’y est, en somme, habitué et on les a appréciés pleinement. Ce phénomène n’est pas propre au domaine de l’éducation; on le retrouve aussi, par exemple, dans le cas de l’assurance-hospitalisation dont actuellement la population est nettement satisfaite.
Le gouvernement est donc décidé, comme le désire le peuple du Québec, à aller de l’avant. Pour les raisons que je viens de vous donner, nous savons qu’en adoptant l’attitude dynamique qui est la nôtre nous nous rendons la vie moins aisée que si nous étions guidés par un conservatisme qui n’est désormais plus de mise, pas plus en matière d’éducation, qu’en matière de santé, de bien-être ou de développement économique. Je pense bien que nous avons, à date, donné plusieurs preuves de l’esprit nouveau qui nous anime et qui anime également tous les Québécois. Ce que je vous ai dit de l’éducation n’est qu’un aspect – un important aspect cependant – du type d’action que nous entendons poursuivre. Nous croyons qu’en agissant comme nous le faisons, avec toute la bonne volonté que nous pouvons y mettre, nous saurons répondre à l’attente de notre population et que nous pourrons, dans la mesure du possible, réaliser les espoirs de tous les citoyens de notre province qui ont bien voulu nous faire confiance. C’est là notre objectif ultime et c’est à la réalisation de cette tâche que, depuis bientôt deux ans, nous employons toute l’énergie dont nous sommes capables. Et nous sommes d’autant plus heureux d’accomplir notre devoir que nous nous sentons appuyés et aidés par le peuple du Québec dans l’entreprise si difficile, mais si exaltante, qu’est la rénovation économique, sociale et politique de notre province.
[QLESG19620425]
[Conseil des Pêcheries du Canada
Québec. le 25 avril 1962 Pour publication après 1:00 hre p.m.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre le 25 avril 1962]
[I would like, first of ail, to bid you welcome to the capital of oUr province, and to cohgratulate you on having,chosen Quebec City as the site of the seventeenth arinual meeting of the Fisheries Council of Canada. As Prime Minister, and as a resident of the City of Quebec, I am indeed happy to welcome you here, and I have no doubt that your discussions will be crowned with succesa.]
J’ai pris connaissance de votre programme de travail pour les jours qui viennent. J’y ai remarqué un souci évident de couvrir tous les aspects importants de l’industrie qui vous intéresse et d’examiner toutes les solutions possibles aux problèmes auxquels celle-ci fait face.
[As you know, several of these problems result from the fact that our countryes economy has been developing at an extremely rapid pace for the last few years. I am not an expert in the domain of maritime fisheries, and I would prefer to leave the question of discussing technical problems with you to someone sise. Nevertheless, it seems to me that the fishing industry has three important problems to solve, amongst others: the modernization of its equipment, the finding of steady markets and conservation.
If I speak of the modernization of equipment, it is not because this equipment is defective or that it dose not suffice for present needs. I only mean to say that insofar as the fishing industry ia concerned, perhaps more than for any other industry, it is necessary to improve constantly the methods of production and processing. Ail in ail, the fishing industry muet be in a Étate of perpetual evolution. Our country is one of the world’s greatest providers of sea food, and furthermore the beginning of our history is intimately linked with the fishing industry. Today, however,
it muet face competition from many other nations and even from certain ones which corne and fish in the proximity of our shores. These nations produce for their own consumption and also with a view to selling their catchez to other countries. As Canada exporta about two thirds of the production of its fishing industry and also has the United States as its best customer, competition in the international market becomes a serious problem. For this reason, the fishing industry muet put forth a serious effort in this quarter, for example by finding new markets, by increasing sales in those markets which it
already has, and by encouraging a greater consumption of sea food by the citizena of our own country.
As for cnnservation, we must remember that even if the sea ia an important source of wealth and necessary products, it is
• not, however, in inexhaustible one. In this aphere, as in the case of any other renewable resource, it is important to rationalize production and to start thinking of protecting the future now; because abuses, in spite of passing gains, always endanger the industry which is guilty of them.
It is not for me to tell you how to reach these objectives; I know that you are exerting yourselves energètically con
9b oerning them, and that you will discuss them during your present meeting. Following your studies and meetings, you will certainly find a basis for the solution of these problems. Your Fisheries Council, made up as it is of fishermen’s associations, producers,
The questiors which I have just mentioned concern the ceuntry as a whole, but they also concern Quebec. I will net go so far as to claim that we have found answers to them and that you vill learn, during this convention, how the reat of Canada shouid selve them by following what we are doing here at home. We are, hewever, very conscious of them and the Government has already adopted certain measures which, we think, will greatly improve the lot of the fishermen and which will also encourage production in their industry.
You probably know that Quebec is the only Canadian province which administers its own maritime fisheries, and this since 1922. This is the reason why our Department of Game and Fisheries has spread out and now is involved in so many different activities. I will not give you a -description of its whole organization – I will only point out that it has helped the province’s fishermen to modernize their equipment and that it has increased the trade and consumption of fish and other sea produce by educational and advertising campaigne in newspapers and magazines.
Government interest has assisted greatly in the eensiderable progress made by the fishing industry over the part few years. For a long time, this industry was a family or local type of business which consisted, for the most part, of coastal fishing. However, this type of fishing gradually came to an end because less profitable, and it became necessary to improve the fishing fleet in order to help the fishermen earn their living at their trade. At the came tune as the production aide was being improved, ancestral ways of preparing the fish for market were giving way to more modern methods. The demand for both fresh and frozen fish increased greatly and made the provision of modern mechanized processing plants a necessity at the principal unloading points in Gaspé, on the North Shore, and in the Magdalen Islands.
Co-operative enterprise, while increasing the
standard of living of the fishermen, has aise rendered great service in the processing and marketing of Quebec production. It has
made for
the rationalization of production, the stabilization of the markets and the establishing of commercial connections both in Quebec and Canada as well as with foreign countries.
However, in order to understand the way in which Quebecers look at the fishing industry, it muet be placed within a larger framework.
You are aware of the Tact that the citizens of Quebec are now vert’ wide awake concerning the development of their natural resources. In this development is mirrored their economic progress and the gusrantee of a brilliant future. Natural resouroes, never
• theless, do not consist only of hydroelectric power and mines, as we are sometimes inclined to think; they also include fishing and everything that goes with it. This is why the Government has, in this field as in all other fields, put forth a very etrong effort during the part year. In addition to the subsidies granted for the modernization of the fishing industry or for the construction of small fishing boats, we have increased the Maritime Credit services to help coastal fishermen; in the case of loans made by
• the Department of Game and Fisheries, the Government reimburses 4% interest and assumes the total cost of the loan insurance. In this way, the borrower has very little interest to pay and can use the amounts advanced to him to improve his equipment. The initial distributors and exportera, can pool their
experience and their individual knowledge, and, in this way, promote the interests of the Canadian fishing industry. amount which he must provide to obtain a modern boat has been reduced from 200 to 10%, and the premium for the insurance on these
• bats ia now also entirely paid by the Government. It is still toc early to know the exact results of this new policy, but up to now they have been very encouraging.
I should mention at this point, the putting into service, in 1961, of a new type of steel trawler, the tiret of its kind in the province. It has a hold capacity of 100000 pounds of fish. While it ia etill only undergoing its trials, the firet fishing
Ob experiments made with it have been conclusive, and we anticipate that twelve similar boats will be built in 1962. The Government will help in financing their construction.
I would also like to say a few words about sport fishing fer which our province is so renowned. One of our firet tasks in thia connection has been to follow a policy of making the many and
• widespread lakes and rivers of our province accessible to the whole population, and not just to those who have wealth. To do this, we have to reduce the number of so called « private » lakes and build accesa roads by which it will be easier to reach them. We believe that all classes of the population should be able to benefit from the abundant resources with which nature has endowed us. We should. be able, in the near future, to provide for the ever increasing demanda of our Quebecers.
We have also decided to put an end to the selfish squandering of a resource which belongs to the whole population of Quebec. Our corps of fish-wardens is now better trained and we are sure that it will greatly reduce the abuses and even the ruin of certain water courses which have been the victime of too much fishing.
These are but a few examples of the overall policy which the provincial administration intends to set up in Quebec, in the fishing industry as well as in other spheres of activity. -Our needs romain enormous and it is net humanly possible to do everything at once. We will net relax our efforts, but we muet be realistic and face the Tact that we cannot make an accumulation of problems of all kinds disappoar in a few month.]
On a souvent dit que le mode de vie du pêcheur ressemblait un peu à celui de l’agriculteur. En effet, tout comme le travailleur de la terre, le travailleur de la mer ne peut, dans un pays comme le Canada, exercer son activité à longueur d’année. Il doit nécessairement ralentir et même arrêter complètement ses opérations à certaines périodes. I1 en a toujours été ainsi, mais le progrès technique a permis à la production de croître sans cesse, sans qu’il soit pour autant nécessaire, pour le pêcheur ou l’agriculteur, de travailler davantage.
Pendant ses périodes d’arrêt de travail, le pêcheur s’est habitué, souvent par nécessité, à recourir à un emploi secondaire qui lui permet d’augmenter ses revenus et d’obtenir un meilleur niveau de vie. Je pense par exemple aux emplois occasionnels dans l’agriculture, l’industrie de la construction ou celle du déchargement de bateaux. Tel n’est pas le cas de tous les pêcheurs mais c’est celui d’un assez grand nombre pour qu’il vaille la peine de s’y intéresser.
À cause des facteurs en présence, personne ne peut croire que le gouvernement soit capable de résoudre entièrement le problème et d’assurer au pêcheur une stabilité parfaite d’emploi et de rémunération. Toutefois, la législation nouvelle, dont je pariais il y a un instant, atténuera certainement le problème presque séculaire de ce groupe de citoyens, tout en permettant une production plus considérable. Les facilités de financement des bateaux et de l’équipement en général visent justement à aider le petit producteur, celui en somme qui est le plus sujet aux incertitudes du marché et de la température.
Le pêcheur doit aussi compter sur lui-même et sur les associations dont il est membre. J’ai parlé, à ce propos, du rôle social essentiel et remarquable joué par les coopératives et je croie que celui-ci peut et doit continuer à s’exercer. Je suis aussi d’avis qu’un organisme comme le vôtre, le « Conseil des Pêcheries du Canada », a une action importante à exercer. Je n’insiste pas sur la nature de ce rôle, car je me rends bien compte que vous en saisissez pleinement tous les aspects.
[In closing, I would like te give you a thought which
ften cornes into my mind.
At the present time we hear a great deal about the
rapid inorease in the world population. We even wonder hew human
ingenuity will manage te ensure the feeding of future generati•ns.
Some people suggest sowing the ocean beds, fertilizing the deserts,
colonizing the planets, etc. And yet, fishing, which is the eldest
• of ail occupations, has net been overtaken
by avents.
It still off ers man an important part of hia diet, and there is nothing ti prevent us frais thinking that this rôle
can beeome even greater if, te the vert’ necessary renewing of equipment, there ia added a sensible conservation policy. I know that you are looking into this question, and that over and above the immédiate problems that you must solve, you will net loose sight of thia longer term pr.blem. In this way, you are doing your part in your particular field and with the means at your disposai, net only te impreve the quality nf the service which you provide for your fellow ceuntryman, but also te provide Canadians and citizens of other countries who depend on Canada for the food that they need. In your own way, you are contributing te the serieus problem which the feeding of an ever growing humanity has now become, and which might prove te be alarming as time goes on.
Thus, though momentarily forgotten because of technical progreas, partie ularly from the time of the industriel revolution te the era of automation, a primary industry – I ehould say a « primordial » industry – such as fishing has now corne back te being front page news. Through your vigilance and dynamism, you will give it back the place it should have among the great modern industries.]
[QLESG19620428]
[Inauguration de l’immeuble de la C-I-L Montréal. le 28 avril 1962, Pour publication aprbe 3:00 hres p.m.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre Le 28 avril
1962]
Nous sommes aujourd’hui les témoins d’un événement depuis longtemps préparé dans ses moindres détails, d’un événement qui devait être – et qui est, en fait – un exemple concret de la valeur de l’effort planifié des hommes.
Ceux qui sont ici appartiennent à deux groupes. Le premier est celui des réalisateurs remplis d’un légitime orgueil devant une réussite qu’il faut bien qualifier de sensationnelle. Le second est composé de tous ceux qui sont conquis par l’admiration qu’inspire cette réussite.
Il serait impossible de rendre hommage à tous ceux pour qui ce jour représente le point culminant de plusieurs années d’un travail soigneusement ordonné dans ses moindres détails. Depuis le germe du projet jusqu’à son parachèvement, qui pourra rendre compte des tâches énormes qui ont été accomplies par une armée plus énorme encore? Je ne puis qu’englober tout le monde dans des félicitations enthousiastes qui s’adressent à ceux qui ont conçu le plan et à tous ceux qui l’ont exécuté. L’utilisation judicieuse des matériaux les plus modernes a permis de créer une oeuvre architecturale dont la simplicité fonctionnelle est une beauté en soi. Vu dans l’ensemble des lignes qu’il projette dans le ciel de la métropole, cet immeuble à la fois riche et dépouillé semble un monument élevé à la conception antique que tout ce qui est inutile est mauvais et que tout ce qui peut s’enlever, doit s’enlever. Ce qui prouve que la beauté de l’antiquité classique et la beauté moderne peuvent, tout en différant radicalement en apparence, obéir intérieurement à une même loi où se rencontrent tous les arts, la fameuse loi si sage du « rien de trop ».
Mais, transcendant la réussite matérielle et la réussite artistique, je vois ici plus qu’une masse, – si bien organisée soit-elle – de matériaux, je vois plus que le triomphe de la beauté fonctionnelle. Dans ce monument – car c’en est un – dans ce monument qui fera partie de l’histoire de Montréal et qui prouvera que cette ville a fait plus que marcher avec le progrès et qu’elle lui a servi de guide, d’éclaireur et d’avant-garde, dans ce monument, dis-je, je vois un symbole de notre marche en avant et l’une des plus belles preuves de confiance dans l’avenir de notre vie économique. De quoi – sans faux mysticisme – cet immeuble est-il fait? Beaucoup plus que de matériaux, il est fait de la certitude que Montréal et la province de Québec sont des endroits où il fera encore bon de vivre dans l’avenir!
Le geste des constructeurs et ce dernier mot inclut tous ceux qui ont collaboré à cette réussite d’envergure, le geste des constructeurs dépasse la matière, il devient la signature d’un contrat avec l’avenir, d’un contrat que seuls peuvent signer ceux qui sont profondément convaincus de la santé économique du milieu où ils vivent.
Même si je puis leur dire que leur confiance est entièrement justifiée, je ne veux pas que leur victoire d’aujourd’hui, leur certitude d’avoir eu raison depuis si longtemps, leur enlève la moindre parcelle du mérite d’avoir eu foi sans cesse au succès. Les hommes qui ont fait prospérer leur nation ont toujours été, partout et toujours, ceux dont la confiance en l’avenir était inébranlable. Leur courage les a fait triompher de tous les obstacles et leur vision claire leur a toujours fait considérer l’avenir comme le lieu d’élection de leurs rêves. Je pense à la prière du philosophe chinois qui répétait tous les jours: Faites que je vois aujourd’hui avec les yeux de demain. Voilà donc achevé le cadre que vous avez créé. Je souhaite qu’il n’y règne que le succès et la prospérité; j’espère que toutes les entreprises qui s’installeront ici seront comme un échantillonnage, un prélèvement réconfortant de la situation générale de l’économie de la province. Nous nous efforçons de l’administrer avec la même confiance, la même vision de l’avenir dont ont fait preuve ceux qui ont construit cet immeuble. Nous savons que seule une politique de dynamisme confiant peut permettre à notre province de réaliser entièrement les possibilités latentes qui sont depuis longtemps les siennes. Pas plus que dans les affaires que la plupart d’entre vous dirigez, le gouvernement n’a le droit de se laisser imposer le rythme de ses activités. Gouverner, ce n’est pas assister en spectateur au développement de l’État, pas plus qu’administrer une entreprise ne consiste à se laisser ballotter par les circonstances. Gouverner, – le mot le dit – c’est être au gouvernail. Et quand un bateau n’a pas d’autre ambition que de demeurer à l’ancre, il n’a pas besoin de gouvernail. Avancer, progresser est une loi naturelle, et ce n’est pas dans l’inaction que l’on entre dans l’avenir
Je vous félicite tous d’avoir si bien compris cette loi. Nul ne peut vous approuver plus sincèrement que celui qui s’est efforcé dans son récent discours du budget de prouver que c’est ruiner demain que de ne vivre que pour aujourd’hui. On suffoque, on se sent perdu quand on n’a pas la sensation d’avancer. Et pour avancer, il faut tout mettre au service de l’avenir, y compris l’instrument financier qui doit rendre demain meilleur.
Voilà pourquoi, entre hommes qui ont en quelque sorte posé des gestes identiques, entre hommes qui, chacun dans sa sphère, sont résolus à ne se laisser distancer en rien, voilà pourquoi c’est avec une immense satisfaction que je dédie cet immeuble à l’esprit d’entreprise.
Puisse un tel esprit régner dans tous les milieux de notre peuple, et c’est ainsi que nous pourrons tous nous pencher avec respect sur un passé admirable, mais surtout retrousser nos manches devant un avenir rempli de promesses plus admirables encore! [QLESG19620519]
[Congrès des Chevaliers de Colomb de la province de Québec, Québec, le 19 mai 1962 Jean Lesage, Premier ministre le e 19 mai 1962]
Je cherchais, depuis une couple de jours, les mots qui me rendraient digne de répondre ce soir à la santé de la province. Une citation obsédait mon esprit. Est-elle littéralement exacte?
Je ne saurais le dire. Je me rappelle seulement qu’elle est de Tacite et qu’elle doit se trouver dans Vie d’Agricola.
En passant, inutile de vous dire que le merveilleux reconstituant moral et intellectuel qu’est la lecture est mesuré avec parcimonie à un premier ministre qui, la plupart du temps, est plongé dans des mémoires et des rapports d’une épaisseur parfois terrifiante. Il en est forcément réduit à la portion congrue, à ce minimum vital sans lequel on ne peut être vraiment et complètement un homme. Mais si, par la radio ou le journal, un jeune étudiant apprend mon triste sort de frustré de la lecture, qu’il profite de la leçon et se hâte, dès aujourd’hui, de mettre les bouchées doubles en s’efforçant d’emmagasiner tout ce qu’il pourra. Et, surtout, qu’il n’aille pas hausser les épaules en disant qu’il ne risque pas de devenir premier ministre. Je vous assure en toute connaissance de cause qu’on ne sait jamais ce qui peut nous arriver!
La citation dont je parlais est à peu près la suivantes : Pressé par l’ennemi, un patriote ne me demandez pas son nom – encourage ses soldats par un cri sublime qui termine sa harangue. Pensez, dit-il, à la fois à vos ancêtres et à vos descendants. À ses ancêtres … à ses descendants. » Car un homme ne vit pas que sa propre vie. Elle ne le contient pas tout entier. Entre les divers âges d’une nation, il y a comme une interdépendance qui les transcende et les relie. Entre les ancêtres qu’il vénère et les descendants dont il veut préparer le bonheur, l’homme éprouve la fierté d’être un anneau essentiel. Il sait qu’il ne vit pas seulement pour lui et pour son épouse, qu’il est associé à la fois à la grandeur du passé et à celle de l’avenir. Cette intuition donne un sens à sa vie et un rôle à sa volonté en lui enseignant que, « spectateur éphémère d’un spectacle infini », il ne doit pas se borner à admirer les faite glorieux de l’histoire et croire que l’avenir sera beau parce que le passé l’a été.
Le patriotisme est facile quand il se borne à demeurer un sentiment – si sincère soit-il mais il est exigeant et impérieux quand il faut le transformer en actes, en attitude positive devant les problèmes de l’heure, tout en méprisant les solutions de facilité. Fils de pionniers courageux, nous devons à notre tour être les pionniers courageux de l’avenir.
Chaque fois que l’on étudie la vie d’un homme qui a laissé sa signature dans l’histoire, on se rend compte qu’il a su discerner dans la situation parfois confuse de son époque les conséquences morales qui s’en dégageaient. Malgré le bruit – parfois assourdissant – des événements quotidiens, il a su prêter l’oreille aux solutions même austères que lui dictait la voix de sa conscience.
Être patriote, ce n’est pas marcher derrière une musique en bombant le torse … ce n’est pas agiter un drapeau pendant quelques minutes pour retourner ensuite à des préoccupations mesquines … ce n’est pas présenter une motion à la Chambre pour parler de la noblesse de ses sentiments à peu près comme Tartuffe parle de son cilice et de sa discipline. Être patriote, c’est beaucoup moins théâtral mais combien plus difficile, car le patriotisme exige les trois vertus cardinales: la foi en la nation, l’espérance en son avenir, et, surtout, oui surtout, la charité envers tous, la charité non pas seulement pour le groupe social, professionnel ou même géographique auquel des intérêts peuvent nous lier, mais la charité qui va même au delà de sa génération afin de préparer le bonheur de celles qui lui succéderont.
Un patriote croit à ce qui unit autant dans le temps que dans l’espace et non à ce qui divise. Il croit que la stabilité de la nation dépend du bonheur du plus grand nombre et non de la sauvegarde dangereuse de certains privilèges aux dépens de la paix sociale de demain. L’homme n’est pas au service d’un système, ce sont les systèmes qui doivent docilement, souplement s’adapter à sa dignité et à son idéal.
L’idéal est l’espérance, et même l’anticipation, de l’ordre; le refus d’accepter avec veulerie l’imperfection du présent comme une chose définitive et un mal incurable. L’idéal, c’est le ferment de l’avenir, semblable au levain de la parabole. L’idéal, c’est le zénith qui est à l’antipode du pharisaïsme économique et social, du pharisaïsme repu que satisfait un « statu quo » avantageux pour ses intérêts particuliers … un « statu quo » dont parfois s’accommodent ceux-là mêmes qui en souffrent mais qui, par peur de la marche en avant et de l’inconnu, préfèrent une inertie qui n’inquiète pas leurs préjugés.
Racine nous dit que les « détestables flatteurs sont le présent le plus funeste que puisse faire aux rois la colère céleste ». Mais on ne flatte pas que les rois. Et ceux que les « patriotes professionnels » savent le mieux flatter sont les gens à courte vue, les myopes de l’économique dont le regard n’a pas la puissance de se porter sur l’avenir.
« Ne songer qu’à soi et au présent, source d’erreur dans la politique », écrivait la Bruyère. Combien mieux inspirée, je crois, est la sagesse généreuse du patriotisme lorsqu’elle n’a pas peur d’un sacrifice d’aujourd’hui, qui non seulement évitera d’en accomplir un plus grand demain mais qui rendra demain meilleur. Chaque bloc de marbre contient en puissance une sculpture d’art, à condition qu’il se trouve un artiste qui entretienne un rêve dans son coeur.
Ce que le sculpteur est au marbre, le patriote l’est au pays. Il en sculptera la destinée, sans tenir compte des obstacles dressés par ceux qui préféreraient voir le bloc demeurer informe. Pour un peu, ces derniers l’enfouiraient dans la terre, comme le talent de la parabole, afin d’être bien sûrs de n’avoir pas de décision à prendre. Mais ils ne savent pas que les mesures les plus faciles en théorie sont les plus compliquées dans leurs conséquences imprévisibles, car l’inaction finit toujours par rendre une situation intenable et rien ne complique davantage la tâche de demain que la désertion d’aujourd’hui.
Le diable n’a besoin que de la neutralité des honnêtes gens: il se satisfait de l’inaction qui est sa plus précieuse alliée. Notre devoir est donc de résister à la tentation de laisser l’avenir s’édifier de lui-même, se façonner au gré des circonstances sociales et économiques.
Plaignons ceux qui ont érigé leur indifférence en système et qui n’aspirent qu’à ressembler à leur portrait d’hier qui croient que « charité bien ordonnée » commence – et surtout finit – par sa seule époque. Oui, plaignons-les: il doit faire bien froid dans leur âme.
Contre les penseurs négatifs, dressons-nous en partisans du progrès. Vous avez entendu avant moi le représentant de l’Église et le représentant de Sa Majesté. Même la gardienne de la vérité immuable évolue … même la monarchie évolue. Devant des exemples venant de si haut pouvons-nous rester insensibles? Tout nous enseigne que nous devons marcher sans hésitation vers un but qui, je le reconnais, ne sera jamais atteint, mais qui au moins s’embellit d’une étape à l’autre. Notre mérite sera d’avoir accompli notre destin qui est, non pas d’atteindre un idéal, mais de marcher courageusement vers lui.
[QLESG19620527]
[Doctorat d’honneur de l’Université d’Ottawa Dimanche le 27 mai, 1962, Pour publication après 3s00 hres P.M. Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 27 mai 1962]
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier bien sincèrement du grand honneur que vous me faites en me conférant ce doctorat « honoris causa ». J’y vois plus qu’une marque personnelle d’estime, car si c’est le Premier ministre du Québec qui reçoit ce doctorat, c’est, j’en suis certain, à toute la population de la province qu’il lui appartient d’en transmettre le sens.
Je ne saurais en effet accepter pour moi seul un honneur dont il ne m’aurait pas été possible d’être l’objet si nous n’avions pu, mes collègues et moi-même, compter sur la bonne volonté, l’esprit de renouveau et le dynamisme
de la population du Québec.
[In Quebec, we have undertaken an immense task which requires the co-operation of every one of our people. This great task — I should say the enormous responsibility which we have undertaken, is nothing more than the preparation for a future which we want to be as brilliant as possible, and in which the abundant promises of today will be realized. At the present time, our people are devoting their energies, in one way and another, towards attain
• ing this goal, and Quebec, for perhaps the first time in its history, is beginning a forward movement from which it bas every reason to expect the most remarkable results.
This is the reason why, for exemple, the government of the province is devoting such a large part of its budget to every level of education. Our people are, in fact, convinced that it will be impossible for them to bring to a conclusion a real policy of national renovation, economic progress and intellectual development, unless our citizens are well prepared to assume the new obligations stemming from them. In our complex and highly specialized world, it is essential that our youth have at its disposai the means of obtaining the education, culture and development which they are still lacking, but which they have the right to obtain. Because youth is in itself a promise; it holds an enormous potential which it is the
• duty of ail Quebecers to develop. Consequently, we
cannot allow ourselves to loose the talents which have ail too often been left undeveloped amongst a community who should seek its strength in the quality of its members rather than in their number.
The saure thing applies to any nation. We are living in an era where the discovery of new techniques, the multiplication of means of communication and information, the size of public and private administration, the rapid development of cities and towns and many other factors tend to reduce the importance of the individual. By means of education and culture, this dehumanizing movement can be contained, because education and culture are the two things that can stabilize the human being by increasing his ability to think as well as his intellectual creativeness.
Under these circumstances, universities constitute, in their own way, one of the best pledges of security for the individuel. It is they which maintain and constantly increase the high level of knowledge in ail those spheres where the human mind devotes itself to study and research. It is the universities again which, without being subject to prejudices that are founded on the defence of particular interests, examine the world around us coldly and scientifically the better to understand it and
improve it. It is in the universities, finally, that freedom of research, no matter what this research is applied to, comes to its full fruition.]
Et les étudiants, ceux qui ont l’avantage de venir y puiser des connaissances, de venir y acquérir des techniques et des méthodes précises et éprouvées d’action et de pensée, de venir s’y préparer à affronter la vie et à jouer dans leur milieu un rôle positif, ceux-là sont vraiment privilégiés. L’Université – et je parle ici de l’institution universitaire en général l’Université leur a donné beaucoup- elle les a transformés, elle les a, dans le sens littéral du terme équipés d’outils intellectuels et leur a montré comment s’en servir.
Mais l’Université, c’est d’une certaine façon la société tout entière qui la supporte, directement ou indirectement. De ce fait, ceux qui ont eu l’avantage de la fréquenter, même s’ils ont dû y investir de leur propre avoir, ont contracté une dette non seulement envers leur université, mais envers la communauté. En effet, même si les frais de scolarité peuvent paraître élevés, ils n’arrivent jamais à correspondre entièrement à la valeur réelle de l’éducation que les étudiants reçoivent en échange et qui les rend mieux préparés à faire leur chemin dans le monde que ceux de leurs jeunes concitoyens qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas bénéficié du même privilège.
Je dis que les étudiants ont contracté une dette envers la communauté, mais la dette dont je parle ne peut pas s’effacer, comme d’autres dettes, seulement par de l’argent. Les étudiants, les professionnels et les spécialistes de demain – et dans votre cas, il s’agit bien de demain peuvent s’en acquitter par les services qu’ils sont en mesure de rendre à leur communauté.
On vous a certainement parlé, à plusieurs reprises, de la conscience professionnelle, du sens du devoir, dont vous devez faire preuve. Je n’ai pas l’intention de m’y arrêter maintenant, mais je voudrais plutôt insister sur une autre forme de service, à laquelle on est moins porté à penser.
En effet, ce qui me frappe souvent dans la situation que j’occupe, c’est le manque de participation d’une certaine élite sociale et intellectuelle aux affaires de leur milieu. Il y a, de ce côté, une absence parfois déplorable de ceux qui, justement, seraient les plus capables, par leur formation et leurs connaissances, de faciliter le développement et le progrès tant du groupement immédiat auquel ils appartiennent que de leur communauté municipale, scolaire, provinciale ou même nationale. Je m’empresse immédiatement de dire qu’il n’y a pas seulement la vie politique – bien que celle-ci soit importante – où cette élite a un rôle évident à jouer; il y a aussi toutes les autres formes de la vie en société qui réclament l’apport inappréciable de leurs talents et de leur compétence.
Parce que nous vivons en régime démocratique, nous pouvons et nous devons améliorer constamment le mode de vie qui est le nôtre, car rien n’est jamais parfait. Une des façons de rendre notre démocratie plus réelle, plus complète et plus éclairée, réside justement dans cette participation accrue de ceux qui peuvent le plus y contribuer. Puissiez-vous, messieurs les finissants, toujours vous rappeler qu’une province et qu’un pays ne progressent que dans la mesure où leurs intellectuels, leurs professionnels et leurs spécialistes joignent leurs efforts à ceux des autres classes de la société dans la poursuite d’objectifs communs.
Et, à ce propos, le rôle que vous avez à assumer demain est immense. Toute la communauté compte sur vous et je sais que vous ne la décevrez pas. Il est un bonheur qu’il est important de connaître très tôt dans la vie, car il apporte avec lui une certitude tellement sereine que la volonté de l’homme, éclairée pour toujours, ne peut plus hésiter, ne peut plus fléchir. Je vous souhaite de découvrir très tôt le plus grand bonheur que l’homme puisse éprouver sur terre: servir de toute la force de ses dons l’humanité tout entière au sein de sa patrie.
[QLESG19620604]
[Canadien Manufacturera’ Association
Montreal. June 4, 196a Pour publication après 7300 hres p.m.
Hon. Jean Lesage. Prime Minister, le 4 juin 1962 ]
Il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue à la [Canadian Manufacturer Association] dans la province de Québec. Comme Premier ministre de cette province, je suis heureux que vous ayez choisi le Québec comme site de vos assises annuelles. Vous en êtes à votre 91e réunion générale et votre Association a au, depuis autant d’années, prendre une part très active au progrès industriel et commercial de notre pays.
Nous sommes aujourd’hui en 1962 et, même s’il est impossible de prédire l’avenir, personne ne doute que le Québec soit à la veille d’une expansion aussi notoire, sinon plus remarquable que celle dont a bénéficié notre pays de 1945 à 1957. Je ne manifeste pas en cela un optimisme exagéré auquel la réalité ne correspondrait pas; j’exprime tout simplement une constatation fondée sur l’ampleur des richesses que nous ne cessons de découvrir chez nous et sur le dynamisme d’une population, celle du Québec d’abord et aussi celle de tout notre pays, qui souhaite la mise en valeur de toutes ces ressources et qui s’apprête à prendre les moyens d’y arriver.
[It is not my intention to draw you a picture of the industrial possibilities of Quebec, starting with the naturai resources which our province has et its disposal. Even if we do not know the full extent of these resources, we are fully aware of their importance, and everyone else is aware of thia, not only in Quebec, but in the rest
• of Canada and in foreign countries as well. We also know that these resources are still inaufficiently developed and that they often exist in the form of huge reservea upon which we will be able to draw for years to coure.
But the naturel wealth which is found in our rivers, our soil, and underneath the ground is not sufficient to make a people wealthy. Something else is needed, and I believe that we in Quebec are
i finally on the way to obtaining it; it is a question of capital – not just — as we might be led to believe — of financial capital, but aise of human capital.
As far as financial capital is concerned, by which I mean those aums which we must invest in our commercial and industriel growth, we do not lack them oollectively in Quebec, but what each citizen of the province possesses individually cannot suffice to speed up the economic expansion to which the population of Quebec wants to devote a good part of its efforts. In this connection, the Government of Quebec vanta to be realistic. It has realized that it would have to bring together the available capital of individuals which vas spread all over the province, and direct it towards a common goal and into something from which the whole population could benefit.’ The Government knew that the great majority of the French-Canadian people who, for historical reasons that I will not dwell upon, were ûnaccustomed to investing their savings in more or less risky undertakinga, could nevertheless change their traditional behaviour on condition that they would have what would appear to them to be reasonable guarantees. This is the reason why the Government of Quebec will establish a General financing company in these next few days. The Government itself will take an active part in this company and will also invite those citizens of Quebec who wish to invest their money in an undertaking which will be likely to promote the economic expansion of our province, to do the same. Capital investments from Quebec institutions and £rom those outside the province will not only be accepted but will be welcomed. As a matter of fact, the Government of Quebec hopes that those to whom this capital belongs viii want to put some of it into the development 0
of thie huge territory called Quebec. At first, naturally, there will be no question of the General financing company plunging into any
risky
• projects; with time, and as its capital increases, it will become an essentially dynamic factor in Quebec’s progress.
As for human capital — which we are often inclined to forget, and this is regrettable from every point of view – the Government of Quebec has not neglected it. Through its constant efforts in matters of education, it ie preparing citizens who will be better equipped to carry out the taeks which the economy of the present day has a
• tendenoy to create. The Government knows that one of the best ways to fight unemployment ie to raies the educational level of the population as a whole. Today we
need competent specialists, technicians, and administratoxs. The Government which I have the honour to direct is aware of this – and is acting accordingly, because it is convinced that the éducation of the greatest possible number of citizens is an investment from which the whole community will profit. Thanks to the policy that we have adopted in this sphere, investors will be able to find the specialiste that they need right here at home. À noticeable improvement has already begun to be felt in this regard. Thinking along these same lines, we are increasing the fitness of Quebec’s population because of our policy in the sphere of social welfare and because of the steps which we have taken in the field of health. All the devisions taken, tied in with the increase
• in the level of education, will allow each citizen to develop completely as a human person, and will make him capable of taking a more active and efficient part in our economic and social life.
The brie£ description, I should say the very incomplete description which I have just given you of a few of the policies that
le the government has put into effect to cover urgent needs, has certainly caused several amongst you to wonder what part we intend to play from now on the economic and social life of the province. It is even possible that certain people are occasionally worried about present developmente, because they wonder which way we are going to turn.
In this connection, I would like to recall two things.
The firet is that in doing what it has dons, the government was only fulfilling the wishes which had been expressed for a long time by our population. We have only assumed the responsibilities which the people wanted us to assume. The second is that, in this matter, the position of the government which I represent has never deviated. I have stated it on many occasions, and some of you who are attending this present meeting have heard me say it. I wish, nevertheless, to come back to it briefly today, because I realize, just as everyone who is present here, that the problem is one which is widespread and also one to which we muet give
a great deal of thought.
In this respect, I am sure that there is one fact that everyone will admit: the present government wants to assume the role that it should play in the economic as well as ‘in the social sphere.
I mean it when I say, « the role that it should ylav », because I believe that this precieion is of capital importance if we want fully to understand the meaning and the extent of government action. Otherwise, there is the risk of confusion and misunderstanding.
It is often said that modern economy has become so complex and so interrelated that government, whichever one it may be, should direct the economy according to a plan set up by its experts. In my opinion, this is not quite correct. It is true that problems are not
• as simple as they were – let us say, a century ago but this dosa not necessarily mean that the government must unilaterally become the great planner of economic progress. It should, rather, and this is the point of view of the administration which I represent — it should take part in the economic life of the country, because of the services which it can render to the community as a whole, – but it should do this in coopération with private enterprise and not by imposing its views upon it
• in a dictatorial manner, In this way, economic progress becomes the result of joint action, and if the government
takes part in it, it is not because it is pursuing the illusionary and evil object of controlling all sectors of production, just for the cake of control and power, but because its presence and the special outlook that it has from its position give it a knowledge of events which allow it to render valuable service to its citizens, and to avoid problems that would otherwise unavoidably arise.
An example might perhaps make my point clearer. Everybody knows that the increased mechanization and automation in industry do help towards greater production. But this obvious advantage also has its bad points in the number of workers who are laid off because they do not have and cannot quickly acquire, the technical knowledge that would enable them to get a specialized job. Well, here is a difficulty
• which government can prevent or solve up to a point by providing the population with the required educational and technical training. But this is not enough: the government should be able, in co-operation with private enterprise, to direct the economy in such a way that it will be advantageous to both the investors and the population in general. In all this, we must never forget that what works to the detriment of the workers also works to the detriment of those who produce the goods intended to be consumed or used by the workers. When we say that today’p
. economy is interrelated in its parts and components, this phenomenon is one of the main points of the question.
Another example. It happens occasionally that an industrial concern starts to open up some undeveloped part of the country. In order to do this, it must carry out several operations: build access roads, put up buildings, processing plants and I do not know what else
Once all this preliminary work has been completed about three or five years later, what happens then to the hundreds or thousands of workers of have left their homes and their old jobs, and who are now settled in an isolated area of their province or their country, where their services are no longer required? À certain number of them may find work in the newly opened mine, in the processing plant that has been built, or in transporting the raw or semifinished product; but what about the others? When a development such as this takes place suddenly, when there is no planning to foresee its consequences, the whole community finds itself under the moral obligation of having to support a population for which private enterprise, because of its nature, is no longer responsible. There is no question here of blaming private enterprise, because its conduct is perfectly normal. However, the government which allows such things to happen without taking an interest in them, and especially without having foreseen them, even if this kind of thing does not happen too often, then that government, I say, should be held to blame.
This second example, like the preceding one, is a good illustration of what we mean when, speaking of government, we mention « the part that it should plat' ». This part can,be of greater or lesser extent, depending upon circumstances, but in the present world – and this is accepted by the majority of businessmen, industrialists and
• merchants – it cannot be non-existent. And if it is accepted in this way, it is precisely because these people have corne to realize that the government can be a partner: – that it can, because of ita position and its power, create an economic climate from which everybody will benefit.
Both here in the province of Quebec and elsewhere, I have already spoken about « democratic planning ». My colleagues have also spoken about it. Now, what we have talked about and what we have dons to date in this regard is the complete opposite to planning of a dictatorial and unilateral kind. The government of Quebec dosa not avant to dictate the economy, it has no intention of taking in hand the different sectors of the economy and it does not want to control the market. It is not interested in doing so, because it does not believe that this is its role. The government’s general objective is the maintenance of a reasonable standard of living for the greatest possible number of citizens, the ordered acceleration of economic progress, the balanced localization of industries, and the prevention of those problems Which this economic progress is likely to create. For these reasons, it is the duty of the
government to get business concerns, and particularly those which have a large influence over the rest of the economy, to co-operate together and with the government in order to reach this objective. The advantages of this policy are perhaps less easy to see immediately, but in the end they become obvious, as can be seen in several western European countries.
If a spirit of co-operation such as this can dominate the relationship which should exist between government and private enterprise, there cannot be any harm. This la the spirit that my colleagues and I want to see prevailing in Quebec. In the course of its actions, the government will, however, and this is quite normal, have definite policies to apply. It will always apply them only with a full knowledge of the situation, and after having oonsulted those who are in the best position to give it advice. In other words, nobody needs fear that the government of Quebec will make decisions which are hasty or unjustified. Ycu may also rest assured that no matter what may have happened or might happen elsewhere, the rights of Capital no more than those of Labour, no more than those of any other group of citizens, will be endangered. As long as the government which I represent is responsible for the administration of the province, it will establish ite programme of action in co-operation with the interested parties, and in a complete spirit of justice.]
Nous croyons jusqu’ici nous être engagés dans la bonne voie et nous recevons chaque jour des témoignages approbateurs. On sait où le gouvernement du Québec se dirige; on le sait soutenu par la population de la province et on l’encourage à compléter l’oeuvre commencée.
Nous tirons, je l’admets, quelque fierté de la confiance qu’on nous manifeste aussi ouvertement. Cette confiance, qui ne s’est pas encore démentie et qui, nous l’espérons, ne se démentira jamais – car nous nous en tiendrons toujours, en matière économique, aux principes fondamentaux que j’ai énoncés il y a un instant – cette confiance, dis-je, nous incite à poursuivre nos efforts dans la voie que la population nous a tracée.
[In this way, thanks to the co-operation of all the interested parties, Capital, Labour and Government, we will succeed in making Quebec the modern, industrialized, stable and happy province that it can become.]
[QLESG19620606]
[Public Personnel Association,
Québec, le 6 juin 1962, For release after 7330 P.M.
Hon. Jean Lesage, Pri.me Minister June 6th, 1962,]
La [Public Personnel Association] termine aujourd’hui son congrès. Je suis donc malheureusement en retard pour vous souhaiter la bienvenue dans la capitale de la province de Québec, mais je suis convaincu que vous avez apprécié votre séjour ici et que vos réunions et vos sessions d’études ont été fructueuses. Le but que poursuit votre Association justifie tout l’intérêt que vos membres y apportent et mérite que tous les citoyens conscients de leurs responsabilités y donnent leur appui.
[You have set for yourselves the task of giving emphasis te the worth and dignity of the public service. On this score, governments, whichever ones they may be, owe you a great debt of appreciation. They realize that the work of associations such as yours, together with their own efforts, will, in the end, provide the taxpayers with competent administrative personnel, proud of their work and especially keen te make their contribution te the progress of their town, their province, or their country. You are rendering an even more essential service because it is only recently, both here and elsewhere, that a new day has dawned for those who are employed in public administration. The citizens have a greater and greater tendency te thrust more and more responsibility upon their public administrations. •Today’s realities make this necessary, because the size and nature of present social problems are such that government must take a hand in solving them. Certain people regret this tendency, but in most cases it is because they think that the expansion of goveenment action is nothing more than state management, pure and simple. As far as I am concerned, I can sec no danger in this — as long as the government only assumes those responsibilities which fall within its proper scope for the safeguarding of the common good, without insinuating itself into things wh-.ch privato enterprise can bring to a successful conclusion through its own efforts.
Be that as it may, ail the world’s public administrations, great or small, need qu.e+.lified personnel. The difficulty with which several of them are faced is that they are still short of this type of personnel. The Governm:~ent of Quebec knows this problem very well, because we are facing it and its consequences every day.
I do net mean to say that the civil servants whom we have at present are net doing their work well or that their output is
• not satisfactory. This is net what I mena. And there is no need for me to take the whole of rmy alloted time to give you a summary of the history of our province over the last few years, and te show you that what I would call the « a’bient conditions » did not always faveur the emergence of careers in public administration here in this province.
Naturally, after the people of Quebec entrusted us with the administration of the province, almost two years ago, the number of problems
with which tige were faced was terrifie. As ail Quebecers will remember, one of the first things vie did was te tackle one of the principal causes of’ the very discouraging state in which we found the civil service of our province. We made a concerted effort to free our methods of recruiting from politics, which, ail too often in the past, had dominated the choice of candidates for one appointment or anothor in public service positions.
I must tell you right away – because in this sphere as in any other I intend te be realistic, and because I want to speak to you frankly, te you who are devoting your efforts
to the development of an even more efficient public service – that in doing what
we did, we never expected ta be able ta solve, within a week, a problem that had been in existence for several generations. I believe,
• nevertheless, that we have made a great deal of progress in this respect, in spite of the short time that has elapsed since we took over the administration. Today, everyone agrees that the atmosphere has changed in Quebec’s civil service, and that a new spirit now prevails.
Dose this mean that we should be satisfied with the results already achieved and that we shouldeease our efforts ta improve even further the standard of our civil service? In my opinion it would be dangerous ta think sa. I have just said that we cannot, from one day ta the next, break habits which have been acquired over a number of years. À form of behaviour which I can only call traditional cannot be changed very quickly. This applies anywhere, and I cannot ses any reason why it would not also be the case in Quebec.
This is the reason why as Premier of this province, I am fully aware — as are my colleagues — of the constant struggle that we muet carry on in this regard. We cannot claim ta have achieved perfection, but we are certainly on the right road, judging by the commente that we receive.]
Ce n’est pas tout de dissoudre le lien qui a pu exister étroitement entre l’affiliation politique réelle ou présumée et l’admission à des fonctions administratives publiques. Il faut aussi que les fonctionnaires de l’État québécois reçoivent, d’une façon ou de l’autre, la formation qui leur est nécessaire. Cette exigence, et cela est normal, s’applique davantage à certains niveaux de l’administration qu’à d’autres.
Nous avons actuellement, dans le fonctionnarisme québécois, des personnes qui ont toutes les aptitudes naturelles nécessaires pour devenir des administrateurs exemplaires. Ils se rendent toutefois compte que, malgré leur expérience, ils bénéficieraient grandement d’une formation systématique plus poussée que celle que les circonstances leur ont permis d’obtenir dans le passé. Le gouvernement que je représente ne peut pas se permettre le luxe de ne pas exploiter au maximum les qualités et surtout la bonne volonté dont ces personnes font preuve. Je parle de leur bonne volonté parce que ces fonctionnaires l’ont manifestée bien clairement au cours des derniers mois. Un bon nombre d’entre eux – je ne saurais vous dire exactement combien parce qu’il est très difficile de compiler tous les efforts individuels que ceux-ci fournissent en vue d’acquérir une formation plus complète – un bon nombre, dis-je, ont accepté de s’inscrire à des cours en administration publique. Ces cours qui ont lieu, par exemple à l’Université Laval, se donnent le soir et le samedi, donc après la période normale de travail; on nous dit que l’assiduité et l’esprit de travail de nos fonctionnaires sont remarquables et qu’on sent chez eux le désir de se rendre plus utiles et plus efficaces. Je me permets, ici ce soir, de les féliciter publiquement et de les encourager dans leurs études.
[It is obvious, and everybody is aware of this, that we cannot count on a scattered and limited number of people ta make up the shortages which will persist just as long as the production of qualified personnel is not undertaken by both the Government of the province and the universities of Quebec. This systematic effort cannot be improvised, and it
is se difficult ta carry out that the Government is faced with a dilemna; either, in co-operation with the universities and other institutions of the saure kind, give temporary leave ta all its employees who avant ta take advanced courses in public administration, during which period we will have ta do without their essentiel services at a time when there is sa much ta be dons; or ta avoid the difficulty, resign ourselves ta letting each civil employee get some form of additional training outside of working hours, as is the case at present, which results in too few persons getting this additional training.
We are at present looking into ways of getting out of this dilemna. We feel that the solution lies in finding a happy medium, and it is in applying this happy medium, if such it may be called, that the difficulty arises. We are in a complets state of transition, not only as far as the civil service is concerned, but in many other fields, and it is impossible to achieve immediately the ideal which is called for by the present situation.
Yes — the question of our civil service — is far from being the only thing that is occupying our minds. We have to take action in every field at once, and in Quebec as elsewhere, those who are responsible for government administration are, after all, only human beings. Nevertheless, in proportion to all the problem that we are trying to solve, we are giving an even greater amount of thought to the establishment in our province of a competent civil service, whose
members will be interested in their work.
With the saure thought in mind, that of making our civil service more efficient, we did not hesitate, right from the start of our administration, to obtain the services of a good number of specialists from ail branches of learning, who came either from private firme or from other governments. These specialists, most of whom are relatively young, were very keen to coure and work for a government that had a programme of action which was in keeping with their hopes and ambitions. Today, we can congratulate ourselves on the wonderful support that they have given us. In addition to the care which we have taken to give back value and dignity to our civil service — a cars which must never be allowed to slip — because a civil servent must always be ready to adapt itself to new developments, and should always surpass himself
in the search for an ideal — we have also gone ahead and made certain changes in the administration. I will not bore you with the liat of the changes we have made in the machinery of government in Quebec, but I would like to point out briefly, because this subject is of
spscial interest to -ou, sono
• of the objectives that we pursue.
First of -Tl, we avant the huge structure which is the Government of Quebec to become as efficient as possible. I know perfectly well that certain sincere people take it for granted that government, as such, must inevitably function less efficiently than private enterprise. Personally, I do not believe that this idea ie alwaya well founded. As a matter of fact, it is quite possible for government administration to become efficient if it is net so already. It is only a matter of making an honest effort to assume the task of coordinating government activities. Furthermore, private firms are not all automatically efficient simply because they happen to be operated by private enterprises.
There are a thousand proofs to the contrary.]
On dit parfois que l’administration publique a tendance à être lente, tant dans ses décisions que dans ses actions. C’est fort possible, et même probable. Comme je l’ai mentionné il y a un instant, ainsi qu’au début de ma causerie, les gouvernements actuels sont devenus de dimensions impressionnantes. Le progrès économique et social le veut ainsi. Il faut également se rappeler que toute administration vraiment démocratique doit fonctionner sans brusquerie et en tenant compte de tous les éléments en présence, de même que des expressions d’opinions de la part des intéressés. C’est cela qui exige du temps, des délais. Une dictature peut agir vite; elle n’est pas pour cela nécessairement efficace. Il importe de ne pas confondre.
Nos réformes administratives ont un second objectif, corollaire au premier. À cause des tâches considérables que le peuple du Québec désire confier à son gouvernement, – et qu’il a de fait déjà commencé à lui confier, il est indispensable que celui-ci devienne assez souple pour exercer des fonctions nouvelles.
Je ne prétendrai pas que jusqu’ici nous avons déjà prévu toutes et chacune de ces fonctions nouvelles, et cela pour des années à venir. Je ne prétendrai même pas que la réorganisation à laquelle nous avons procédé dans plusieurs ministères soit entièrement à point à l’heure actuelle. Chose certaine, avec l’aide de mes collègues et à la demande de la population du Québec, nous avons résolu de doter notre province d’un gouvernement de type moderne. Comme vous le savez, – et je l’ai souvent répété, nous ne considérons pas le gouvernement du Québec comme un organisme purement administratif. Notre conception de la structure gouvernementale va plus loin; nous l’envisageons comme un instrument dont notre peuple peut et doit se servir pour réaliser les objectifs qu’il s’est fixés.
[In short, the government has an active part to play in this province. It is at present preparing to assume this role, and
I wanted to speak to you this evening about this process of adaptation and even of transformation. This process may take longer and be more difficult than we would perhaps like it to be, but it is essential that it be carried out.
It is essentiel because the future of the population itself is intimately tied in with the degree of success which we will be able to achieve in this effort, which is part of the renewal which we began two years ago, and which we have been carrying on ever since with strength and confidence.]
[QLESG19620611]
[Lancement du Voilier du Centenaire Académie de Québec, le 11 juin 1962 Pour publication après 8:00 hres p.m. Hon. Jean Lesage, Premier ministre, le 11 juin 1962]
J’ai été très touché que l’on ait eu la délicatesse de souligner mon anniversaire de naissance. En effet, je suis, depuis 24 heures, un quinquagénaire.
Ce qui me console, c’est que tous ceux qui ont voulu m’appeler ainsi ont bafouillé. C’est un titre qu’il n’est pas facile de décerner parce que, phonétiquement, il faut prendre tout un élan pour appeler quelqu’un un [ » ku-in-kouagénaire « ], et le rythme de la vie moderne ne nous donne pas le temps nécessaire pour prononcer avec sérénité des mots aussi laborieux.
Hé oui ! … j’ai la moitié de l’âge de l’Académie de Québec. Et quand je vois les extraordinaires projets qui sont les siens, j’éprouve le plus réconfortant des sentiments: l’émulation.
Loin de me déprimer, mes cinquante ans me font un effet tonique et je me dis que je commence mon deuxième demi-siècle avec au moins autant d’entrain que je commençais mon premier.
Et puis, ma foi, comme ça fait cinquante ans que je suis jeune, je ne peux plus en perdre l’habitude. J’ignore la date précise à laquelle fut lancé votre premier voilier. Mais je pense bien que depuis plusieurs dizaines d’années les imaginations ont découvert toutes les figures de style d’ordre nautique qui pouvaient s’adapter aux circonstances. Je ne vous servirai donc pas une nouvelle métaphore en vous remerciant, au nom de ma femme et en mon nom, de nous avoir invités à faire un petit tour de bateau en votre compagnie.
Laissez-moi vous dire, cependant, que quand on conduit la barque de l’État – même si elle ne navigue pas sur un volcan, comme me le soufflerait le bon monsieur Joseph Prud’homme c’est une véritable détente que de monter à bord de votre voilier à vous.
Il fait bon d’admirer la façon dont il est conduit par des navigateurs qui ne quittent pas des yeux l’étoile qui leur indique la route.
Comment ne me sentirais-je pas en confiance parmi vous? Nulle part plus qu’ici je ne peux espérer voir mieux compris l’effort que nous faisons dans le domaine de l’éducation. Cet effort, je l’espère, montre mieux que des paroles creuses ou des motions théâtrales que notre principale préoccupation est le Québec de demain, c’est-à-dire la jeunesse d’aujourd’hui.
On demandait au grand magnat de l’acier Andrew Carnegie s’il ne craignait pas que les jeunes gens auxquels il fournissait généreusement les moyens de se préparer aux responsabilités futures, ne finissent par le supplanter. Il répondit: La seule chose qui pourrait me tracasser, c’est qu’ils ne me supplantent pas. « La jeunesse est une si belle chose », disait Bernard Shaw, « que c’est bien dommage de la voir réservée aux jeunes. » Mais ce qu’il faut le plus leur envier, c’est l’énergie et l’enthousiasme qu’ils peuvent mettre au service des plus belles causes. L’enthousiasme, l’étymologie du mot nous le rappelle, c’est le sentiment d’être « habité par un dieu ». C’est cet appétit de servir qui est le plus magnifique signe de santé morale. Il est bien fortuné celui qui peut entretenir cette inspiration toute sa vie et qui conserve son coeur d’enfant pendant que son intelligence devient celle d’un homme.
Oui, il est fortuné, car – je le crois profondément – le seul secret du bonheur et ici je voudrais tellement m’exprimer avec une simplicité qui aurait horreur des mots boursouflés, le seul secret du bonheur, c’est, quoi qu’en disent ceux qui se croient malins, d’aimer le vrai et le beau, désirer le bien et faire humblement de son mieux. Y a-t-il un homme qui ait eu la détermination d’être sincère, magnifique et héroïque s’il le faut, et qui l’ait par la suite regretté? Je suis sûr que non, comme je suis sûr que la satisfaction d’avoir vécu une telle vie a toujours triomphé même en certains jours de fatigue – de l’envie que peut inspirer le succès matériel. Puisqu’il est indéniable, et cela dans les philosophies les plus disparates, que l’homme aspire avant tout au bonheur, il vaut mieux alors être farouchement, obstinément idéaliste qu’être un désespéré de l’égoïsme cynique … un désespéré qui est peut-être arrivé, mais, comme le disait un ironiste, « il faut voir en quel état. Je sais bien que ce n’est pas facile. Le scandale du monde matérialiste est toujours là … du monde des cyniques … du monde de ceux à qui on ne la fait pas … du monde de ceux qui ne croient à aucune mystique, à aucun dévouement, à aucun sacrifice … du monde des blasés et des profiteurs … du monde des opportunistes qui se disent: « Tirons notre épingle du jeu » et « Après nous le déluge » du monde, enfin, de ceux qui sont en possession tranquille de ,leur mensonge. Oui, je le répète, il est difficile de ne pas se scandaliser, et cela il faut le comprendre. Quand on a cessé de comprendre les jeunes, c’est signe que l’on a vécu trop longtemps. Il faut savoir que le plus grand défi que doive relever le jeune homme, c’est d’apprendre la morale sans la voir toujours appliquée. « Qu’est-ce que c’est que ce monde », a-t-il la tentation de se dire, « où tant d’hommes prêchent une morale qu’ils ne pratiquent pas? » Les jeunes, ne l’oublions pas, ont, pour dépister l’hypocrisie, une acuité de perception que l’âge détruit malheureusement très vite par suite d’une déplorable immunisation.
On ne scandalise pas que les tout petits dont parle l’Évangile. L’amoralité politique peut, par son arrogance par les avantages matériels qu’elle étale, scandaliser le jeune homme, si elle demeure impunie … si des secrets qui ne sont même plus honteux, hélas. … si des secrets que tous les gens connaissent mais qui leur font hausser les épaules, ne sont pas dénoncés, et si l’attitude cynique qu’ils révèlent n’est pas combattue.
La punition terrible annoncée « à celui par qui le scandale arrive » doit faire réfléchir autant celui qui scandalise le jeune homme que celui qui scandalise le tout petit, car je ne crois pas qu’il existe de plus grand crime contre la patrie que de rendre cynique sa Jeunesse. Nous avons trop besoin de son enthousiasme, de sa merveilleuse capacité de dévouement et de son refus de pactiser avec les mensonges confortables.
Aux jeunes gens qui pourraient m’entendre, je n’ai qu’une recommandation à faire:
Puisque vous êtes, en somme, les fiduciaires de notre avenir, jugez vos actes par le seul critère que voici en vous demandant:
Que pourrais-je faire aujourd’hui qui puisse me donner – non pas le plus de confort physique mais le plus de fierté, lorsque je me rappellerai ma jeunesse le jour où je serai … quinquagénaire.
[QLESG19620909]
[Convention de la Société des Artisans Montréal, le 9 septembre 1962 Pour publication après 1:00 hre p.m. Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 9 septembre 1962]
Quand j’ai reçu votre aimable invitation à assister à cette manifestation et à y adresser la parole, j’avais deux raisons principales de l’accepter. La première est votre président général, Me René Paré. La seconde est le caractère même de la Société des Artisans. Je m’explique.
En ce qui concerne votre président, je vais faire vite car je ne veux pas trop heurter sa modestie. Je connais Me Paré depuis longtemps et j’envie la Société des Artisans d’avoir un tel président. S’il a fait autant pour aider votre Société que pour rendre service à la cause de notre peuple, vous lui devez certainement beaucoup. Car Monsieur Paré est un des artisans – c’est le cas de le dire – de certaines des initiatives les plus louables qui ont récemment vu le jour chez nous. Je pense, par exemple, au Conseil d’Orientation économique du Québec qui, sans son apport, n’aurait pas pu être aussi utile qu’il l’a été et surtout qu’il le sera au gouvernement de la province. Je pense aussi à la Société Générale de Financement, née du Conseil d’Orientation et dont la conception doit beaucoup à votre président général. Et il y a, en plus de cela, quantités d’autres recommandations du Conseil auxquelles Monsieur Paré a participé. Toutes n’ont pas encore pu être appliquées, mais le gouvernement, n’en doutez pas, saura en tenir compte au cours des mois qui viennent.
Votre président fait ainsi partie du groupe de ces Québécois qui ont suscité le renouveau actuel et sa prise de conscience. Il fait aussi partie de ceux, toujours plus nombreux, sur qui s’appuie notre peuple et en qui il espère. Je remercie Monsieur Paré de son esprit de collaboration et de dévouement, et je veux publiquement lui exprimer ma reconnaissance.
Je passe immédiatement à ma deuxième raison d’être avec vous aujourd’hui.
Votre Société des Artisans est une entreprise coopérative et ce caractère, je crois, mérite d’être souligné d’autant plus que votre institution s’est engagée à fond dans le mouvement coopératif de la province de Québec et lui a, de ce fait, apporté une assistance considérable. Votre Société a aussi, comme toute autre entreprise d’assurances, consenti des prêts hypothécaires, mais ces prêts ont une valeur sociale particulière. En effet, ils ont, entre autres, permis le développement de la Coopérative d’habitation de Montréal, une des plus grandes sociétés de construction domiciliaire de la Métropole. Vous avez, en quelque sorte, canalisé les capitaux des nôtres vers des fins utiles aux nôtres.
Vous ne vous êtes pas cependant limités au domaine strictement économique. Vous avez – et il me plait de le mentionner – consenti des prêts à de nombreux étudiants, plusieurs milliers, je crois, secondant ainsi l’action gouvernementales dans sa politique d’éducation. Vous avez aussi contribué largement à la cause de la langue française en Nouvelle-Angleterre, par une initiative originale dont on a peu d’exemples.
Je vous félicite bien sincèrement de toutes ces réalisations et je vous engage à poursuivre votre oeuvre. Vous avez clairement démontré par votre travail, la portée du mouvement coopératif chez nous et vous en avez exploité les possibilités. Votre succès actuel ne fait que présager, à mes yeux, d’un avenir encore plus prometteur.
L’entreprise coopérative m’a toujours paru être la traduction, dans la vie économique, de l’idéal démocratique que, depuis des générations, l’humanité s’efforce d’instaurer dans la vie politique. C’est cela qui fait que, paradoxalement, les uns doutent de l’efficacité de la coopération en matière économique, alors que d’autres y voient au contraire l’occasion d’allier la participation consciente du citoyen à la recherche d’une vie meilleure. Pourquoi certains doutent-ils de l’efficacité du régime coopératif? Il y a, je pense, plusieurs explications à cette attitude. Celle-ci peut provenir, d’abord, d’une observation superficielle de la réalité. On s’est étonné, en effet, de ce que des entreprises de type coopératif n’aient pas toujours été couronnées de succès. on a remarqué qu’à l’enthousiasme du départ ont succédé les écueils suscités par les divergences d’opinion ou encore par la complexité du marché. Et souvent ces difficultés ont malheureusement raison d’une bonne volonté qui apparaissait indéfectible. Cependant, même en jugeant l’entreprise coopérative d’après son degré de succès disons commercial, la comparaison n’est pas nécessairement à son désavantage. En effet, toutes proportions gardées, les entreprises de type capitaliste ordinaire subissent elles aussi des échecs, et même des échecs fréquents si l’on en croit le nombre de faillites qui se produisent chaque année.
En réalité, dans tout cela – tant pour le secteur coopératif que pour le secteur capitaliste traditionnel – les insuccès proviennent beaucoup plus du manque de préparation des responsables de l’entreprise ou d’une mauvaise connaissance du marché, que de la non-rentabilité de l’entreprise en elle-même. Si l’on ajoute que, dans le secteur coopératif, il y a en plus le caractère démocratique, avec tout ce que cela implique de compréhension humaine, on peut conclure qu’une coopérative qui réussit a plus, pour ainsi dire, de mérite qu’une entreprise ordinaire. Une coopérative ne peut passer outre à l’opinion de ses membres. La valeur sociale de la démocratie, économique ou politique, est incomparablement plus grande que celle de l’autocratie. Ceux qui la pratiquent et y réussissent en sortent grandis; ils ont réalisé des buts immédiats et ont, en plus, joué pleinement leur rôle de citoyens responsables. Ils y sont devenus des hommes plus complets, plus dignes.
Dans une démocratie économique comme dans une démocratie politique, le départ est souvent difficile, la poursuite de l’action représente un défi constant à des défauts bien humains, mais lorsque le terme est atteint, lorsque le succès s’affirme – l’homme a franchi un pas de plus dans la voie vers une société meilleure. Avec la coopération, le pivot de l’activité économique se déplace. On ne cherche plus, comme dans l’entreprise capitaliste ordinaire, le profit en tant que tel. Sans négliger ce profit, on tend aussi à des fins supérieures. La coopération donne ainsi une dimension sociale à des actions qui ne pourraient être que commerciales. La combinaison de ces deux préoccupations suscite évidemment des difficultés dans un monde où la recherche du profit demeure la raison d’être de la presque totalité de l’activité économique.
Pour ce second motif, un certain nombre de personnes n’ont pas confiance au régime coopératif. Ils y voient des éléments étrangers à ce qu’ils croient être la conception normale et obligatoire des affaires. Pour eux, la coopération est une excroissance temporaire sur un système foncièrement individualiste et devant se perpétuer comme tel.
Pourtant ils ont tort. L’évolution récente de la société démontre que la recherche du seul profit laisse graduellement sa place, comme motivation à des objectifs que j’appellerais sociaux. Ainsi, l’émergence du secteur public de l’économie – c’est-à-dire ce secteur contrôlé directement ou indirectement par le gouvernement – s’est produite, entre autres à cause des déficiences du secteur privé. Et chaque jour le secteur public s’accroît davantage parce que, de plus en plus, les citoyens ont besoin de services que ne peut leur procurer l’entreprise capitaliste ordinaire. Je pense ici aux écoles, aux routes, aux hôpitaux, à la sécurité sociale, à la défense nationale, à la recherche scientifique, et que sais-je encore? C’est la nature même de l’évolution des groupements humains qui force le secteur disons social de l’économie à prendre une ampleur qu’on ne soupçonnait même pas il y a une ou deux générations.
Mais il ne faut pas que cette tendance finisse par confier au gouvernement l’ensemble de l’activité économique. Autrement il en résulterait, comme cela s’est vu dans d’autres pays, un esprit de dépendance qui viendrait à l’encontre du but poursuivi par la démocratie, soit la valorisation de la personne humaine. Le citoyen intelligent se transformerait en une pièce anonyme à l’intérieur d’une vaste machine administrative.
Entre le secteur public qui comporte certains dangers comme celui que je viens de mentionner et le secteur privé de type capitaliste axé exclusivement sur la recherche du profit et, de ce fait, déficient quant à la recherche d’objectifs sociaux, il y a l’entreprise coopérative. Celle-ci allie des avantages propres à chacun des deux autres régimes et peut s’exercer dans à peu près tous les domaines. L’expérience des pays scandinaves le prouve d’ailleurs fort bien.
Est-ce à dire qu’il suffit de formuler le souhait que la coopération prenne davantage d’ampleur, pour qu’il en soit immédiatement ainsi? Ou encore, suffit-il que le gouvernement facilite ce type d’entreprise pour qu’automatiquement celle-ci multiplie ses activités? Vous connaissez vous mêmes la réponse à ces questions. En effet, la coopération ne s’ordonne pas; elle se comprend et ensuite elle s’applique. Et la meilleure façon pour elle de s’étendre est de démontrer les services nombreux qu’elle peut rendre. C’est ce que votre Société a fait, c’est ce qu’ont fait quantité de coopératives agricoles, de coopératives d’habitation, etc. Dès la reprise de la session, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger présentera une refonte des lois coopératives. Nous sommes convaincus qu’elles faciliteront le progrès de la coopération au Québec, mais nous savons aussi que c’est la population elle-même qui rendra ces lois utiles en s’en servant et en étendant leur champ d’application dans toutes les directions possibles.
On parle de plus en plus chez nous de libération économique et c’est avec plaisir et fierté que, personnellement, j’assiste à la prise de conscience de notre population à ce sujet. Mais cette libération, cette émancipation économique – comme on dit aussi – il n’appartient pas seulement au gouvernement de la réaliser. Il y apportera évidemment son concours – la Société Générale de Financement en est la preuve, la politique de planification économique que nous appliquerons bientôt en sera aussi un autre exemple – mais dans ce domaine l’action ne peut être unilatérale. Il faut en quelque sorte une réponse de la part de la population. Il faut que, parallèlement à l’action du secteur public, le secteur privé prenne lui aussi des initiatives dans la même direction.
Or, dans le secteur privé, entendu dans son sens le plus général, les entreprises de type coopératif sont peut-être les mieux orientées vers cette action émancipatrice. D’abord ce sont des entreprises québécoises, fondées par les nôtres pour se rendre service à eux-mêmes. De plus, leurs membres sont déjà alertés à la nécessité d’un effort commun; en d’autres termes, leur éducation, pour ainsi dire, est faite. Enfin c’est notamment le cas des sociétés coopératives d’assurance – elles détiennent des capitaux abondants qui peuvent être canalisés vers des fins utiles à la population québécoise.
Nous avons prévu l’apport de ces capitaux coopératifs dans la Société Générale de Financement. Par la refonte des lois coopératives que nous présenterons à la session d’automne, nous leur ouvrirons aussi d’autres possibilités. En outre, au moment où nous commencerons à appliquer une véritable politique de planification économique, il est certain que cette politique, qui aura été pensée en collaboration avec les éléments intéressés de notre population (industriels, hommes d’affaires et, également, coopératives), fera appel au concours de l’énergie et des capitaux coopératifs.
En somme, la libération économique de notre peuple se fera avec lui et par lui. Autrement, il est inutile d’y penser. Nous aurons fait un beau rêve mais il n’aura pas de lendemain. Pourquoi, vous demandez-vous peut-être, insister tellement sur la participation de notre peuple à son émancipation économique? Est-ce qu’il ne conviendrait pas plutôt, comme c’était la coutume jusqu’à maintenant, de demander la collaboration des hommes d’affaires, des financiers et des industriels canadiens-français et de laisser de côté ceux qui n’ont ni entreprises, ni capital? Pourquoi, en d’autres termes, ne pas s’en remettre exclusivement à ceux qui font partie de ce que j’appellerais notre élite économique?
Je dois d’abord, pour répondre globalement à ces questions, dire que beaucoup des nôtres qui ne sont ni industriels, ni commerçants ont des épargnes qui pourraient servir à la mise en valeur de notre patrimoine commun. Il ne faut donc pas les négliger parce qu’on se priverait ainsi d’un capital éventuellement précieux.
J’ajoute aussi que, dans le passé, il y a eu, à quelques reprises, des campagnes d’opinion auprès des nôtres. On a déjà essayé de mobiliser les énergies et les capitaux; les résultats ont parfois été intéressants et encourageants, mais dans l’ensemble ils sont demeurés limités, surtout parce que la majorité de notre population était demeurée étrangère à ces efforts et parce que le gouvernement du Québec, levier potentiel de notre progrès économique, était en pratique indifférent à la situation. Il manquait à ces efforts une certaine articulation, une certaine coordination centrée sur un objectif précis. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons en mains les éléments qui nous ont toujours manqué; il ne nous reste qu’à nous en servir.
Mais la mobilisation générale de toutes nos forces économiques repose sur un motif encore plus important que les précédents. Pour que l’action à entreprendre devienne le résultat d’un effort constant, il faut que l’opinion publique soit pénétrée de son urgence et de sa nécessité, il faut que tous et chacun de nos citoyens se sente responsable de sa conduite à bonne fin. Il n’y a pas seulement que les capitaux à mobiliser, il y a aussi les idées, sans compter qu’il faut créer chez les nôtres le sentiment d’appartenir à une communauté qui peut, si elle le veut, devenir dynamique.
Il ne saurait être question, dans l’effort à fournir, d’utiliser la contrainte, pas plus que ce n’est la coutume dans les coopératives. Il importe donc d’indiquer à notre peuple, à chacun de ses membres, comment il peut s’affirmer économiquement et d’instaurer – comme nous le ferons dans quelque temps avec la Société Générale de Financement – des moyens commodes et pratiques de participer à sa propre émancipation, et cela quel que soit le niveau de sa fortune personnelle ou de son expérience des affaires.
Je crois que c’est ainsi que nous pourrons réaliser chez nous une vraie démocratie économique. Naturellement, c’est là un objectif ultime qui ne sera pas atteint demain, mais, comme Premier ministre du Québec, j’ai une confiance absolue que notre peuple voudra enfin réussir cette nouvelle entreprise, après tant d’années d’hésitation, d’initiatives louables mais fragmentaires et même de crainte.
Votre Société des Artisans nous donne l’exemple de ce à quoi peut arriver l’effort conscient d’un groupe d’hommes résolus et animés du même idéal. D’autres entreprises coopératives nous livrent des preuves similaires.
Ainsi, je pense, il y a suffisamment d’énergie chez notre population pour que tous les espoirs nous soient permis. Ce n’est pas être sentimental que de le reconnaître; c’est simplement être réaliste.
[QLESG19620929]
[41° Congrès annuel de l’Union des Municipalités de la province de Québec, le 29 septembre 1962 Pour publication après 1:00 hre P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier-Ministre, le 29 septembre 1962]
C’est un grand plaisir pour moi de rencontrer aujourd’hui, à l’occasion du 41e congrès annuel de l’Union des Municipalités, les maires des cités et villes de la province de Québec ainsi qu’un grand nombre d’échevins et d’officiers municipaux. Vous représentez un très important secteur de l’administration publique et, croyez-moi, je m’intéresse beaucoup à vos travaux.
Il n’est pas nécessaire de rappeler que tous les gouvernements qui ont présidé aux destinées de la province depuis les quarante ans qu’existe votre association ont prêté une oreille attentive à vos suggestions qu’ils savaient appuyées sur des études sérieuses et reliées à des besoins précis.
On ne compte plus, il m’a fait plaisir de le souligner, les recommandations que l’Union des Municipalités a faites aux autorités provinciales et qui ont aidé à bonifier la législation municipale et à rendre plus efficace l’administration des collectivités locales. Comment, dans ces conditions, ne pas vous inviter à continuer à proposer au gouvernement les améliorations ou les corrections suggérées par vos études et par votre confrontation quotidienne avec les problèmes municipaux.
Les études que vous faites, les travaux auxquels vous vous livrez augmentent la somme des connaissances utiles aux administrateurs publics, améliorent les techniques administratives, vous aident à résoudre les questions souvent difficiles, facilitent votre tâche et contribuent au bien-être et au progrès de la collectivité. Vous ne vous attendez pas, bien sûr, que je fasse de l’éducation le sujet de cette allocution qua vous m’avez si aimablement invité à prononcer. Je n’en ai d’ailleurs pas l’intention. Il est à propos, je pense, de porter à votre connaissance une politique qui a un caractère de grande actualité et qu’il est facile de relier à vos travaux.
S’adressant aux participants à la 38e session des Semaines sociales du Canada qui vient de se tenir à Montréal, un conférencier de marque, M. Jean Lacroix, affirmait ceci: [ Qu’elle le veuille ou non, dans l’ère spatiale où nous entrons, chaque nation qui désire survivre doit se modifier radicalement en modifiant tout son système d’éducation. Jusqu’ici, l’éducation a été surtout un facteur de transmission des valeurs traditionnelles reflétant certes l’évolution de ces valeurs, l’accélérant parfois, mais évoluant dans une perspective de continuité; désormais, elle devient un facteur de transformation de l’homme et du monde qui l’entoura, et s’inscrit dans la perspective de progrès accéléré qui la détermine et auquel elle a elle-même tant contribué. »]
Il ne fait pas de doute que, en face de l’accélération non seulement de l’histoire mais aussi des connaissances, l’éducation », ainsi que le fait remarquer ce philosophe français, devient peu à peu l’accompagnatrice de toute l’existence humaine. Nous vivons, sans bien le savoir, une extraordinaire mue de l’humanité; celle de l’éducation de tous les hommes.
Ici s’arrêtent mes remarques sur l’éducation. Mais j’ai cru convenable de vous les faire parce que, je pense bien, des rencontres comme celle-ci, appuyées sur une préparation et une participation très sérieuse s’inscrivent justement dans le contexte d’une éducation permanente qui est devenue un besoin essentiel de toute société démocratique.
On ne peut, c’est entendu, demander à un homme de tout savoir. Mais je crois que les administrateurs publics, et ce besoin est singulièrement pressant en ce moment, doivent sans cesse tendre à être des hommes bien informés, en possession des données essentielles propres à leur permettre de saisir les problèmes dans une perspective globale et de trouver des formules, des solutions véritablement conformes aux besoins et aux aspirations de la population.
Je crois que vous êtes par ailleurs bien conscients de cette nécessité quand vous vous proposez, comme la chose est arrivée au cours de ce congrès-ci, d’étudier les « responsabilités et les ressources des municipalités ». Je vois dans le choix de ce thème votre souci de vous arrêter un moment pour réfléchir à des formules susceptibles de faire agir le gouvernement municipal jusqu’à la limite de ses possibilités. Dans notre monde moderne, les différentes disciplines et spécialités se complètent de plus en plus et nous devons prendre conscience que chaque réalité a de multiples dimensions. L’ignorer, ce serait nous acheminer vers des solutions fausses, des solutions tronquées.
Vous n’êtes pas sans savoir que le gouvernement de la province doit faire face simultanément à de nombreuses tâches requérant des études et des décisions reliées au progrès et à l’avenir de notre propre action. Il faut, dans plusieurs secteurs, élaborer des programmes à longue échéance; il faut orienter, innover, formuler des politiques nouvelles, articuler des programmes d’action dynamiques et bien pensés. Nous devons donc faire des options, choisir, établir un ordre des obligations et des urgences.
Il est à peine nécessaire de vous assurer que nous nous préoccupons beaucoup des obligations financières des municipalités et que nous nous efforçons de rechercher des solutions aptes à répondre à ces besoins, qui sont immenses et combien actuels, il faut en convenir. Il se produit, dans le secteur municipal, des transformations, des mouvements démographiques, économiques et sociaux dont il faut tenir compte et qui sont la marque de notre société en évolution. Dans cette perspective, les tâches que vous assumez se multiplient et deviennent de plus en plus lourdes et difficiles. Vous administrez des budgets considérables qui atteignent des dimensions imposantes à côté des minces budgets d’il y a dix ou quinze ans.
La statistique officielle établit à près de $334000000 les dépenses totales faites au cours de l’année 1960 par toutes les municipalités du Québec. C’est environ $225000000 de plus qu’en 1950. En 1945, le budget total des municipalités de la province dépassait à peine $80000000 . On voit la formidable augmentation enregistrée au cours des quinze dernières années au titre des dépenses faites par les administrations locales afin de réaliser les entreprises jugées nécessaires au bien-être de la population.
Mais la progression apparaît encore plus nettement peut-être quand on s’arrête à considérer que le budget,de la seule ville de Montréal, pour 1962-63, se situe au palier de $150000000 , alors que, il n’y a pas si longtemps, le budget total du gouvernement de la province était inférieur à ce chiffre. Les comptes publics montrent, en effet, qu’il était de $133000000 pour l’exercice de 1946-47. Évidemment, vous aurez vite compris que, depuis ce temps, et en accord avec l’expansion démographique, économique et sociale, le budget du gouvernement de la province a grossi lui aussi dans des proportions énormes pour s’établir à $953000000 pour le présent exercice fiscal. Mais, et c’est ce qu’il faut retenir, les chiffres que je viens de mentionner indiquent assez bien l’ampleur des responsabilités et des besoins des administrations municipales. Et nous nous en préoccupons, croyez-m’en. Pour que les gouvernements locaux s’accomplissent pleinement, pour qu’ils jouent leur rôle entier, leurs ressources financières doivent correspondre aux responsabilités assumées, aux besoins à satisfaire.
Dans le but d’arrondir les revenus des municipalités et de leur permettre de faire face à leurs obligations croissantes, nous avons songé à établir un système de péréquation capable de réaliser l’équilibre recherché. Car ce qu’il faut implanter, c’est un système qui colle à la réalité, qui répond aux besoins et qui permet des paiements ou rajustements basés sur des barèmes équitables et réalistes. Ce n’est pas une mince tâche, vous en conviendrez. Il s’agit là d’une question extrêmement complexe qui nécessite des études longues et très sérieuses. Le comité interdépartemental que nous avons mis sur pied avec la mission de nous fournir les éléments devant conduire à la mise en application d’une formule appropriée poursuit ses travaux. Et nous avons bon espoir de réaliser ce projet dans un avenir prochain.
Nous sommes très conscients des besoins financiers des municipalités. Si, par hasard, il subsistait, dans le monde municipal, une inquiétude suscitée par l’annonce que je faisais voici quelques jours d’un très important projet du gouvernement, qu’il me soit permis de la dissiper définitivement en réitérant ici l’assurance que l’Hydro-Québec va assumer désormais le paiement, aux taux courants, de toutes les taxes municipales et scolaires des entreprises nationalisées. Au surplus, dans toutes les municipalités où elle a présentement des propriétés, l’Hydro paiera, à l’avenir, les taxes municipales et scolaires, non plus seulement sur les fonds de terre et les bâtiments, mais aussi sur tous ses biens immobiliers, à l’exception des centrales et des barrages. En bref, la nationalisation des compagnies d’électricité, n’entraînera aucune perte de revenu pour les municipalités.
L’aspect financier de l’administration municipale est certes très important. Mais il y a une multitude d’autres questions auxquelles les gouvernements locaux ont à faire face. Ainsi, la pollution de l’eau pose un problème grave à beaucoup de cités et villes. La lutte concertée qui s’amorce contre la pollution de l’eau est bien caractéristique de notre société industrialisée et urbanisée. Indispensable à la vie, l’eau est essentielle à l’industrie, à l’agriculture, à la conservation de la faune et à l’exploitation des ressources naturelles qui font notre richesse.
Partout dans le monde, on s’inquiète devant le danger que représente pour l’homme la pénurie de plus en plus accentuée d’eau potable. Il y a deux ans, des spécialistes de trente-trois pays se réunissaient à Paris afin d’étudier la question. Ces scientistes se sont rendus compte qu’en certains points du globe l’eau est puisée dans le sol mille fois plus vite qu’elle n’est remplacée par les pluies, Il est donc devenu nécessaire d’utiliser plusieurs fois la même eau.
Je n’ai pas besoin de définir pour vous ce qu’est la pollution. Il a été constaté que les principaux agents polluants de l’eau sont les égouts d’agglomérations et les résidus chimiques provenant de différents établissements industriels.
L’homme n’est pas seul exposé ail, danger de l’empoisonnement de l’eau. La pollution menace les oiseaux, les poissons, les autres animaux aquatiques ainsi que la végétation.
La Régie d’épuration des eaux, que nous avons créée, il y a un peu plus d’un an, à la demande de nombreux corps publics qui s’inquiétaient à bon droit de l’empoisonnement graduel de nos cours d’eau, de nos sources d’approvisionnement d’eau potable, a accompli jusqu’ici un travail très constructif, malgré de grandes difficultés. La Régie doit veiller à ce que les municipalités aient l’équipement voulu pour fournir à la population une eau saine. Mais vous savez que la construction d’une usine de filtration ou de traitement des eaux-vannes requiert habituellement des déboursés considérables. Un aspect financier très sérieux s’ajoute donc aux questions techniques.
Afin de rendre plus efficace l’action du gouvernement de la province dans la lutte contre la pollution de l’eau, nous entendons prendre très prochainement les mesures nécessaires pour placer sous la juridiction du ministère des Affaires municipales la Régie d’épuration des eaux, qui relève actuellement du Conseil Exécutif.
Ce transfert de juridiction va faciliter l’examen non seulement des problèmes techniques mais aussi du financement des entreprises nécessaires, financement auquel le gouvernement provincial veut participer par des subsides.
Par ailleurs, le ministère des Affaires municipales est déjà responsable du paiement des subventions au titre de la Loi pour faciliter l’établissement de réseaux d’aqueduc et d’égouts dans les municipalités. Il voit aussi au paiement d’octrois pour la protection contre les incendies.
Le transfert de juridiction de la Régie va permettre au ministère des Affaires municipales de réaliser une meilleure coordination en ce qui concerne l’aide financière et technique accordée par le gouvernement de la province aux municipalités.
Les administrateurs municipaux s’inquiètent, avec raison, de l’inactivité forcée que doivent subir périodiquement de nombreux travailleurs. Conscients des difficultés causées par le chômage saisonnier, nous décidions, il y a deux ans, de participer au Programme d’encouragement des travaux d’hiver dans les municipalités en versant une contribution égale à 40% du coût de la main-d’oeuvre. Étant donné que le gouvernement fédéral paie 50% des salaires versés pour l’exécution de ces travaux, la part des municipalités à ce chapitre a été réduite à 10%. C’est ainsi que nous avons payé aux municipalités, au cours des deux dernières années, une somme de $21000000 en vertu du programme d’encouragement des travaux d’hiver. Il est intéressant de remarquer que, grâce à ce programme; et selon des calculs préliminaires, plus de 65000 travailleurs qui, autrement, se seraient trouvés en chômage, ont été employés à des entreprises utiles à la collectivité tout en assurant, dans la dignité, leur subsistance et celle de leur famille. À noter que ces 65000 travailleurs ont fourni 2,698,527 journées de travail pendant cette période.
Évidemment, d’autres mesures, positives, sont envisagées par le gouvernement de la province afin de permettre au marché du travail d’absorber la main-d’oeuvre accrue résultant de l’expansion démographique. Qu’il me suffise ici d’en faire la mention.
En dehors de toute considération politique, il faut convenir que la participation du gouvernement provincial au programme d’encouragement des travaux d’hiver est à l’origine de la progression très sensible notée dans le nombre et la valeur des entreprises réalisées.
Pour la période du 15 octobre 1961 au 31 mai de cette année, 986 municipalités (192 urbaines et 794 rurales) de la province de Québec ont soumis 2,602 projets d’une valeur totale de $101000000 . Pendant la période précédente, 639 municipalités avaient réalisé 1,774 entreprises au coût total de $77000000 . Quand le Programme fut inauguré, en 1958-59, 230 projets d’une valeur de $17000000 avaient été exécutés par 71 municipalités. La province ne participait pas financièrement alors au Programme.
On voit donc que le nombre et la valeur des entreprises a augmenté considérablement. Et tout indique que ce rythme va être maintenu au cours de la période de 1962-63 puisque déjà 138 projets représentant un coût de plus de $4000000 ont été soumis au ministère des Affaires municipales.
Nous sommes soucieux de voir la province de Québec dotée de l’équipement économique et social approprié aux réalités du moment. Par exemple, l’automation, en libérant l’homme de la machine, en remplaçant le muscle et, jusqu’à un certain point même, le processus mental, appelle une redistribution du travail et des rajustements dans l’emploi du temps. Dans cette optique, l’organisation des loisirs communautaires revêt une importance de plus en plus grande. Il sied donc d’accorder à cette question toute l’attention qu’elle mérite. Je me réjouis du fait que vous en ayez discuté au cours de ce congrès. Soyez assurés que le gouvernement s’intéresse de près à cette question si étroitement rattachée au développement et à l’épanouissement complet du citoyen. Il y aurait encore beaucoup à dire quant aux multiples sujets qui s’imposent de toute urgence à l’attention de ceux qui sont responsables de la gestion des affaires publiques. Mais je dois m’arrêter. De plus en plus, dans notre monde moderne, l’État requiert, pour la formulation et la mise en oeuvre de ses politiques, la coopération et l’adhésion des différents secteurs de la société. Dans cette perspective, vous qu’accompagnent quotidiennement les problèmes municipaux et qui, peut-être plus rapidement que nous, êtes mis au courant des besoins de la population, je vous invite à nous proposer les rajustements ou les améliorations qui vous paraissent propres à assurer le mieux-être de toute la collectivité québécoise. Nous vous écouterons avec beaucoup d’attention et de sympathie.
Messieurs, je vous remercie de votre attention et je vous assure de l’appui et de l’encouragement du gouvernement dans l’accomplissement de vos tâches souvent si difficiles.
[QLESG19620930]
[Dîner de la Fédération libérale du Québec Montréal, le 30 septembre 1962 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre
Pour publication après 7:00 hres P.M. le 30 sept. 1962 ]
Pendant les prochaines semaines, mes amis, nous allons au Québec vivre des moments historiques. Je ne parle pas tant de la campagne électorale proprement dite que de l’occasion que cette campagne donnera à tous et à chacun des citoyens de notre province de décider du sort de notre nation.
Nous en sommes rendus à la période du choix. Certains ont dit que ce serait la minute de vérité. C’est vrai. Le Parti libéral du Québec, conscient des exigences de la démocratie dans laquelle nous vivons, a voulu, une fois sa propre décision prise, demander à la population entière de se prononcer catégoriquement sur la plus importante des questions jamais soumises à son attention. Il veut savoir d’elle si, oui ou non, elle veut enfin poser le geste dont ont rêvé nos ancêtres depuis des générations. Il veut savoir si elle accepte d’orienter elle-même son propre avenir.
Mes chers amis, je vous dirai que j’ai une confiance absolue dans l’issue de cette lutte qui met aux prises les forces les plus vives de notre peuple contre le trust de l’électricité. Je suis persuadé, comme je ne l’ai jamais été dans toute ma vie, que la population ne laissera pas passer l’occasion exceptionnelle qui lui est offerte de mettre un terme à une situation devenue intenable.
Cette situation, vous la connaissez. C’est celle d’une société qui a été privée des moyens qui lui auraient permis de s’épanouir pleinement. C’est celle d’une société où les clefs d’une économie moderne appartiennent à des intérêts étrangers à nos préoccupations nationales et indifférents à nos aspirations légitimes.
Comme peuple adulte, nous ne pouvons plus supporter de croupir dans l’immobilisme forcé, immobilisme imposé par une clique politique à qui il plaît que notre province demeure une source de matière première, un réservoir de main-d’oeuvre à bon marché ou un pays vieillot que l’on visite en touriste. L’époque du colonialisme économique sera définitivement morte, oubliée même, le 14 novembre prochain. En ce jour qui méritera de devenir une seconde fête nationale, le peuple du Québec aura signifié leur arrêt de mort aux intérêts égoïstes qui s’opposent directement ou hypocritement à la marche en avant d’un peuple jeune à qui, désormais, l’avenir peut et doit appartenir.
Je n’ai pas encore ouvert officiellement la campagne électorale de notre parti, que je m’aperçois déjà – et mes collègues de même combien la population du Québec a soif d’une puissance qui, normalement, logiquement et moralement même – oui moralement – aurait toujours dû lui appartenir.
Tout le monde chez nous comprend maintenant qu’on ne pourra jamais rien réussir de durable au Québec si, une fois pour toutes, on ne s’attaque à la racine du mal. Et la racine du mal, c’est que notre économie ne nous appartient pas. C’est aussi simple que cela, mais c’est aussi grave que cela.
[I know that there are some who say: « Let the•foreigners corne and invest their money here and everything will be fine ». Now, this is wrong, • because it is not enough. Foreigners only corne here when it pays them to do so, and I can understand why. They come here when they can exploit natural wealth which will earn them a profit. This is their aim, and it is a perfectly normal one.
For us, however — yes, for us, Quebecers of any origin – is
this enough, in spite of the advantages that we get out of it? Will we always be the victime of a mental attitude which condemns us to gather nothing but the crumbs that fall from the table of those who corne from elsewhere, These crumbs can become momentarily more plentiful, but they are still nothing but crumbs. Have we not had enough of being looked upon as a nation of drifters whose wealth is exploited by everyone else except ourselves and which leaves us better off? Have we not got enough pride to make us, stand up at last and demand*for ourselves not presents, handouts or empty honours, but rather what is our due, because
after all, the wealth that Providence has given this province belongs to us and to nobody elsel
My dear friends, I firmly believe that the people of Que’ec have made their choice. I firmly believe that they want to become the masters of their own economy. This is a legitimate désire. This la a necessary objective. The age of half measures is over. Let us leave the patchwork policy to those who; unfortunately for themselves, have still failed to underatand the deep aspirations of our people, Let us leave the patchwork policy to those toadies who have already begun to go about the province in a vain attemps to make our people believe that it la their destiny to live on bended knees before the Golden Calfl For our part, we have understood for a long time that it is no use to dream of a better to-morrow if we do not take control of our economy to day.
Believe me, ail our legitimate désires are in for an
unavoidable disappointment if we do not take steps now to achieve them.
Chez nous, comme partout ailleurs au monde, le père de famille veut, pour ses enfants, un niveau d’éducation qui leur permette de réussir dans la vie, l’ouvrier désire un emploi stable, le cultivateur souhaite que les produits de son labeur se vendent, le petit industriel pense à assurer l’avenir de son entreprise, le travailleur, de quelque catégorie qu’il soit, compte sur un revenu suffisant; en somme tous les citoyens veulent un niveau de vie acceptable et convenable.
Ce sont là des désirs normaux. Une société moderne doit s’employer à les satisfaire. C’est là son devoir et c’est ce qu’on est en droit d’attendre d’elle.
Mais quand cette société – comme je l’ai dit il y a un instant n’a pas les moyens de satisfaire à ces désirs, un gouvernement vraiment responsable doit, en conscience, prendre les mesures qui s’imposent pour les lui procurer. I1 n’y a pas à en sortir. Rien ne sert de tergiverser, ni de s’illusionner; quand on n’a pas la clef, on ne peut pas entrer dans la maison.
Or, notre clef, au Québec, c’est l’électricité. Notre province est immensément riche en pouvoir électrique. Nous possédons, comme territoire, une puissance énorme.
J’ai dit comme territoire, parce que, comme peuple, nous sommes bien pauvres. Actuellement, l’électricité, c’est la clef d’une économie moderne. Nous voulons en faire la clef de coûte d’un régime de vie où, enfin, après tant de générations, nous serons ma^tres chez nous.
La question n’est pas de savoir s’il faut que le peuple du Québec prenne contrôle d’une partie ou de tout l’actif économique impressionnant qu’est l’industrie électrique. La question est de savoir s’il veut entreprendre, avec des moyens efficaces, l’oeuvre de libération économique dont il rêve. Et pour entreprendre cette oeuvre, pour en faire un succès, il lui faut contrôler la production et la distribution hydroélectriques du Québec. Pas les secteurs les moins rentables, non, la production et la distribution globales. C’est là la condition même du succès.
Pendant des mois, le gouvernement libéral a étudié la question. Pendant des semaines, il a soupesé toutes les solutions possibles. À l’aide de données techniques, il a examiné le problème à fond. Et, il en est venu à la conclusion que la seule voie possible était celle d’une nationalisation complète. Pas de demi-mesures du genre de celles dont nous avons toujours fait les frais. En gros, nous avions trois solutions possibles la première était de ne rien faire, c’est-à-dire de laisser se perpétuer la situation actuelle dans laquelle la clef de notre avenir nous échappe. Alors, notre parti aurait pu continuer à diriger la province, sans rien changer de fondamental, sans rien déranger. Et nous aurions fait comme trop de gouvernements qui nous ont précédés: nous aurions été des rois nègres. Vous savez ce que c’est qu’un roi nègre au sens où je l’entends ici? Dans les peuplades africaines dont le territoire avait été conquis par les blancs, au début de ce siècle, les vainqueurs devaient naturellement diriger des populations qu’ils connaissaient mal et dont les réactions étaient imprévues. Ils ne trouvèrent rien de mieux que de confier à des indigènes le soin de garder les peuplades nouvellement acquises fidèles aux conquérants. En échange de ce service, les conquérants fermaient les yeux sur la façon parfois peu orthodoxe dont les rois nègres s’acquittaient de leur tâche. Pourvu que le pouvoir conquérant restât tranquille, tant pis pour la population indigène; la démocratie, c’était pour les conquérants, pas pour les peuplades indigènes qui devenaient, à cause des rois nègres, des serviteurs perpétuels d’intérêts étrangers. Or Dieu sait combien, dans notre province, nous avons eu de rois nègres ! Vous en voyez encore qui font le tour du Québec, obéissant à leurs maîtres d’ailleurs.
I1 y avait une seconde solution, la plus lâche et la plus pernicieuse de toutes, mais aussi la plus facile. Nationaliser les entreprises les moins rentables et conserver les autres aux intérêts privés. Aucun roi nègre n’aurait rien pu inventer de plus malhonnête envers les citoyens du Québec. Ainsi, par cette politique, on leur ferait supporter les coûts additionnels d’entreprises non rentables, sans leur donner les avantages d’une nationalisation ordonnée. D’après nous, c’était là la solution la plus lâche.
Comme citoyen du Québec, j’ai vraiment honte maintenant de vous dire, ce que vous savez déjà, que d’autres nous proposent cette fausse et inefficace solution. De toutes les façons possibles de s’attaquer au problème de l’électricité, c’était là la moins acceptable de toutes. Or, il fallait que quelques valets du trust se chargent de tromper notre peuple et s’emploient à lui faire croire que sa destinée, c’est d’être à jamais soumis aux intérêts privée de groupes qui recherchent le profit pur et simple avant le service à la communauté. Oui vraiment, je n’aurais pas voulu que des Québécois nous arrivent avec cette prétendue solution, véritable plan de nègre s’il en fut un.
On peut soutenir que la nationalisation des industries électriques est mauvaise en soi. Ce point de vue ne vaut pas, à mon sens, mais il peut au moins se défendre! Cependant, promettre de nationaliser deux des compagnies les moins importantes, c’est se moquer de la population. La dernière méthode envisagée par notre parti et rejetée par l’autre devient la première à laquelle pensent ces faux Québécois qui parcourent la province pour la perte des nôtres! Si la solution de lâcheté a eu des adeptes, vraiment il devient vrai ce proverbe qui dit « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ». Quand on s’acoquine avec un trust pour fouler aux pieds les intérêts primordiaux de notre peuple, on devient traître à la nation!
Il n’est pas surprenant alors que de telles gens, l’Union Nationale puisqu’il faut bien la nommer, se soient rendus coupables, il y a quelques années à peine d’un crime odieux que notre population ne pourra jamais leur pardonner. En effet, ces gens qui ont dénationalisé à leur profit personnel un secteur public – celui du gaz naturel voudraient aujourd’hui nous faire croire qu’ils recherchent le bien des Québécois. Quelle farce!
Oui, quelle farce! Ou plutôt quel cynisme! Ce sont ces gens qui, pour obtenir un profit égoïste, n’ont pas hésité à priver notre province d’un bien qui appartenait à toute notre collectivité. Ce sont ces gens qui ont trompé le peuple, qui l’ont volé, oui, volé! Et aujourd’hui, ces serviteurs des trusts veulent donner un coup de poignard dans le dos de notre peuple en faisant mine de l’aider, alors qu’en réalité ils lui proposent la plus nocive des solutions possibles. Heureusement, personne ne sera dupe. C’est Abraham Lincoln qui, je crois, disait: « On peut tremper tout le monde quelque temps. On peut tromper quelques-uns tout le temps. Mais on ne peut tromper tout le monde tout le temps. Or, l’Union Nationale, illusion qui lui sera fatale, essaie de tromper tout le monde tout le temps. Et de cela, notre peuple en a assez! Des partis comme celui de l’Union Nationale, il en a assez! Des politicailleurs, il en a assez! Des gens qui se moquent de lui, il en a assez! Il veut qu’on s’attaque enfin aux véritables problèmes, celui de la libération économique, par exemple.
Or c’est l’objectif que le parti libéral du Québec propose aux nôtres. Pendant des années, on n’a fait que courir au plus pressé dans le Québec, on n’a fait qu’éteindre des feux. Il commence à être temps de voir à ce que ces feux ne s’allument plus!
Mesdames et messieurs, l’enjeu de la lutte actuelle, c’est l’avenir même du Québec. Il n’y a pas à en sortir. Les adversaires en présence dans cette lutte sont: le peuple du Québec versus le trust! Celui qui est pour le trust est contre le peuple du Québec. Celui qui est pour le peuple est contre le trust. Là non plus il n’y a pas à en sortir.
Mesdames et messieurs, à la face de la province, j’accuse l’Union Nationale d’être lâche en refusant de s’attaquer au fond du problème … d’être hypocrite en tentant de faire croire à la population que ce qu’elle appelle son programme est autre chose quo du patinage de fantaisie… d’être renégate envers les intérêts fondamentaux de notre peuple en refusant, comme par le passé, de collaborer à l’oeuvre capitale de la libération économique … d’être traître envers notre nation en prenant la part d’influences occultes qui tiennent à l’asservir .
Mesdames et messieurs, je défie publiquement, ce soir, le chef imposé de l’Union Nationale de se prononcer catégoriquement et sans détour sur le fond du problème. Va-t-il dire, une fois pour toutes lui, l’ancien ministre des Ressources hydrauliques – si, oui ou non, il considère la nationalisation de l’électricité comme l’outil devant permettre au peuple du Québec de devenir enfin maître chez lui? Va-t-il finalement adopter une position claire – lui, l’ancien ministre des Ressources hydrauliques ? Le peuple du Québec veut savoir!
Mesdames et messieurs, je défie publiquement le chef imposé de l’Union Nationale d’expliquer pourquoi, oui pourquoi il a, pour son bénéfice personnel, participé à la destruction d’un patrimoine commun en profitant de la vente à des intérêts privés du réseau de gaz naturel de l’Hydro-Québec? Cela, le peuple du Québec veut le savoir! Mesdames et messieurs, je défie publiquement le chef imposé de l’Union Nationale de révéler quelle sorte d’avantages, directs ou indirects, son parti reçoit pour faire campagne on faveur des compagnies d’électricité? Cela aussi le peuple du Québec veut le savoir!
Mes chers amis, la campagne électorale du Parti libéral n’est pas encore officiellement ouverte. Bientôt elle le sera, et alors j’aurai l’occasion de revenir avec plus de détails sur des sujets qui feront regretter à l’Union Nationale, sa lâcheté, son reniement et sa traîtrise envers la population de notre province. Pour le moment, oublions ces gens chez qui les historiens de l’avenir sauront déceler les vestiges du colonialisme économique dont notre peuple veut maintenant se défaire à jamais!
Je vous ai dit, il y a quelques minutes, qu’il y avait, en gros, trois solutions au problème de l’électricité. Vous connaissez les deux premières: celle de la facilité et celle de la lâcheté.
Il en restait une autre, celle du courage, et nous, du Parti libéral du Québec, nous l’avons choisie. Elle est la seule à fournir au peuple de la province, entièrement et définitivement, la clef de toute économie moderne. Elle est la seule à satisfaire aux exigences de la justice et de l’efficacité. C’est pourquoi nous nous y sommes arrêtés, après mûre réflexion, après maintes recherches. Nous la proposons aujourd’hui à la population du Québec. Pour notre part, notre décision est prise. Nous savons où nous voulons aller, et nous y allons avec détermination et confiance. Il faut nationaliser toutes les compagnies exploitant et distribuant l’électricité dans le Québec. Le geste est sérieux, mais il est aussi indispensable. À l’heure actuelle, la situation financière de la province lui permet d’envisager de grands projets. Il en est de même pour l’Hydro-Québec. L’occasion est donc excellente, et il importe de la saisir. Notre décision arrêtée, nous voulons démocratiquement la soumettre au peuple et obtenir de lui un mandat péremptoire. Il fallait de l’audace et nous en avons eu. Finis les gouvernements de rois nègres.
Par la nationalisation de l’électricité, étape indispensable d’une politique vraiment nationale, notre population bénéficiera d’avantages directs et indirects. Tous les citoyens du Québec en profiteront d’une façon ou de l’autre. Je me permets de vous rappeler ces avantages. Baisse de taux dans plusieurs régions de la province. Dans les territoires nationalisés, les tarifs domestiques et commerciaux seront rajustés de façon à supprimer la confusion et les injustices flagrantes qui règnent présentement. Bref, non seulement personne, nulle part, ne paiera plus qu’il ne paie maintenant, mais un grand nombre d’usagers verront leurs comptes diminuer.
Aux frais de l’Hydro-Québec, conversion de 25 à 60 périodes (cycles) de l’électricité en Abitibi, et modernisation des structures électriques dans le Bas-du-Fleuve et en Gaspésie. Du coup, on permet un nouveau départ à des régions trop longtemps négligées.
Politique dynamique de décentralisation industrielle. Des régions entières seront ouvertes à l’industrie, ce qui contribuera à augmenter le nombre d’emplois disponibles. Dans son travail de développement et de décentralisation économique, le gouvernement pourra compter sur une puissante Hydro, devenue vraiment capable de mener à bien une politique rationnelle et dynamique de tarifs industriels. Diminution des coûts de production de l’électricité par suite des économies réalisées. Cela placera le Québec en meilleure position sur les marchés internationaux où s’écoulent certains de nos produits dont la fabrication exige l’utilisation intensive d’énergie électrique.
La nouvelle Hydro assumera le paiement, sur la base courante, de toutes les taxes municipales et scolaires des entreprises nationalisées. De plus, dans toutes les municipalités où elle possède actuellement des biens, la nouvelle Hydro paiera à l’avenir les taxes municipales et scolaires, non plus seulement sur les fonds de terre et les bâtiments, mais aussi sur tous ses immeubles, sauf les centrales et les barrages.
La nouvelle Hydro deviendra la propriété collective de 5300000 actionnaires à part entière, fiers de leur avoir commun et fiers de leur puissance nouvelle. Comme acheteurs de nombreux matériaux et services, la nouvelle Hydro favorisera avant tout les gens du Québec. La nouvelle Hydro permettra la formation plus poussée et la promotion de nos jeunes techniciens du Québec qui eux pourront, par la suite, participer de façon efficace à la poursuite de notre oeuvre de libération économique.
Le Québec conservera les quelques $15000000 d’impôt que chaque année les compagnies privées versaient au gouvernement central.
L’Hydro-Québec fera face aux dépenses de la nationalisation grâce à son expansion normale et aux revenus additionnels provenant de ses nouveaux territoires. De plus, pourront servir à cette fin les $15000000 que les compagnies versent présentement à l’impôt fédéral chaque année.
[It will aise be necessary to borrow capital by means of longterm loans. These loans X ll mot necessarily have to be made on the Canadian market. If conditions continue to be as favourable as they are now, these loans may also be made on the American or European markets, either in whole or in part.
. This would ensure the entry into Canada of
the foreign
capital that we need,
but in auoh’a way that control if this capital will be kept in our hands. Furthermore, the capital that many Quebecers have invested in nationalized power
ompanies would become available for investment in other sectors of our economy.
The employees of these companies will become employees of QuebecHydro, and shah not lose either their rank or their acquired rights.
The shareholders of these companies will receive fair compensation, to be fized in taking into strict account the legitimate interests of the shareholders and the taxpayers. This compensation shall be subject to final determination by the courts.
Needless to say, the Government will not engage in any general policy of nationalization. Its so’e aim is to give to Quebec-Hydro a stature commensurate with the province’s needs and ambitions.]
La nationalisation de l’électricité est clairement la mesure économique la plus vaste et la plus féconde jamais proposée dans notre histoire.
C’est pourquoi, ayant longuement examiné et discuté le problème, le Parti libéral du Québec est convaincu que la nationalisation de l’électricité est une grande et fructueuse affaire, non seulement pour le bien-être matériel du Québec, mais tout autant pour la santé sociale et l’avenir national du Canada français.
Le Parti libéral du Québec fait confiance au peuple de la province. Il sait que ce peuple ne permettra jamais de laisser passer l’occasion sans précédent qui lui est offerte de choisir, une fois pour toutes, entre la libération économique, gage d’un avenir meilleur, et la sujétion à des intérêts indifférents à nos préoccupations nationales et étrangers à nos aspirations légitimes de peuple adulte.
Le Parti libéral du Québec, sûr que les années qui viennent verront l’émancipation économique du peuple québécois, et convaincu de l’idéal auquel il se consacre, a accepté de mettre son existence en jeu sur cette question vitale dont tous les Québécois comprendront l’importance et l’étendue. Le Parti libéral du Québec a confiance, comme ont confiance toutes les nations jeunes qui, un jour, ont résolu de s’affirmer …Pour la première fois dans son histoire, le peuple du Québec peut devenir maître chez lui ! L’époque du colonialisme économique est révolue. Nous marchons vers la libération. C’est maintenant ou jamais, soyons maître chez nous.
[QLESG19621005]
[Association des Bonnes Routes
Québec, le 5 octobre 1962 Pour publication après 7:00 hres p.m.
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 5 octobre 1962]
La route est aujourd’hui reconnue comme un des instruments les plus modernes de développement économique. Pour sien rendre compte on n’a qu’à imaginer ce que deviendraient nos principales villes si on fermait soudainement à la circulation les grandes voies d’accès qu’empruntent quotidiennement, pour s’y rendre, des milliers de citoyens. Ces milliers de citoyens vont à la ville pour y exercer leur métier ou leur profession, ou encore pour y conduire leurs affaires. En somme, sans le lien que constitue la route entre la ville elle-même et le reste de la province ou du pays, la vie économique s’étiolerait bientôt et laisserait la place à une stagnation néfaste.
Qu’on imagine aussi ce que deviendraient nos campagnes et nos petites villes si elles n’étaient rattachées entre elles par une multitude de voies carrossables. Elles étoufferaient, elles péricliteraient. Elles formeraient chacune des petites communautés repliées sur elles-mêmes, fermées à l’apport de l’extérieur. Les possibilités d’échange étant pratiquement disparues, la grande entreprise deviendrait impossible et le marché, tel que nous le connaissons, serait inexistant.
On peut dire d’une certaine façon que le vingtième siècle, celui plus précisément de l’Amérique du Nord avec tout son progrès, son dynamisme et ses perspectives brillantes, a été rendu possible par l’existence même d’un réseau routier rapide et en constante expansion. Sans la voirie moderne, nous ne serions peut-être pas encore sortis de l’économie pastorale. Notre pays lui-même doit une grande part de son progrès des dernières années à toutes ces routes qui rapprochent l’une de l’autre des régions économiques souvent très variées.
Si la route est un facteur de développement aussi important, cela tout le monde l’admet, son expansion ne peut être laissée au hasard. Sa modernisation non plus. En construisant dos voies de communication, un gouvernement doit songer non seulement aux investissements qu’il lui faut effectuer, mais aux effets que peuvent imposer ces investissements sur l’économie régionale et, de là, sur l’économie de la province. Évidemment, je parle ici comme chef du gouvernement d’une province, mais je n’oublie pas que le réseau routier d’une province peut influer sur l’allure du développement économique d’un pays.
De toute façon, que nous le voulions ou non, l’aménagement des voies de communication modernes doit se concevoir et s’effectuer à partir d’un plan directeur. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire au Québec. Les montants dont nous disposons pour la modernisation de notre réseau routier n’étant pas infinis, il fallait trouver le moyen d’utiliser au meilleur escient possible les sommes à être dépensées. C’est pourquoi on parle maintenant de voirie en termes de planification et d’intégration. Qui pourra censément nous le reprocher? S’il est un domaine où il importe de prévoir, de penser d’avance, de peser et de soupeser longuement les décisions qui engagent dans une large mesure le crédit de la province pour des années à venir. C’est bien, il me semble, en matière de voirie.
Quand on y réfléchit quelque peu, ne faut-il pas admettre que dans toute entreprise privée digne de ce nom, la planification est devenue une fonction universelle. Qu’il s’agisse de la haute direction, de la sous-direction ou des chefs d’équipe, chacun travaille à utiliser efficacement la main-d’oeuvre, à choisir les meilleurs matériaux, à acquérir l’outillage le plus moderne, à recourir à des procédés qui abaisseront le coût de production sans pour autant nuire à la qualité du produit, La mise en marché est étudiée avec soin. Des experts colligent une documentation considérable sur les goûts et les habitudes du consommateur, sur son pouvoir d’achat, sur le potentiel industriel et commercial du secteur, sur les facilités da transport et quoi encore! Puisque planifier permet à une industrie privée d’épargner du temps et de l’argent, pourquoi en serait-il autrement pour le gouvernement, à coup sûr l’un des plus gros entrepreneurs de la province?
Nous avons donc fait des études afin de déterminer quelles opérations s’imposaient d’ici les cinq prochaines années et d’orienter en conséquence la distribution des sommes qui peuvent être attribuées à cette fin. Nous avons, dans l’établissement de ce plan d’ensemble, tenu compte, aussi largement que possible, des perspectives de développement commercial et d’expansion industrielle susceptibles de modifier et d’accentuer l’intensité de la circulation dans les diverses régions de la province. Le programme que nous avons établi pour les cinq prochaines années reste souple et adaptable à des nécessités nouvelles. L’accroissement de la circulation dans la province de Québec comme partout ailleurs pose sans cesse des problèmes nouveaux. Il exige de plus en plus l’aménagement de routes plus larges, plus confortables et plus résistantes à des charges plus lourdes et répétées à un rythme de plus en plus rapide. Il faut envisager pour l’avenir l’élargissement des emprises, la prévision de tracés nouveaux et la réalisation systématique du contournement des agglomérations. Il faut tenir compte du problème complexe des aménagements urbains dans les grands centres et de l’amélioration du réseau secondaire.
On pourrait être porté à croire, en entendant parler de planification en matière de voirie, que le gouvernement ne se préoccupe que des grandes voies de communication et qu’il néglige ce qu’il est convenu d’appeler la voirie de comté. On aurait tort de le penser. La voirie de comté, moins spectaculaire peut-être que la grande voirie demeure une des principales préoccupations du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. Il est impossible en effet de la dissocier de l’ensemble du réseau routier, car elle en fait partie. Il n’y a pas, à proprement parler, de voirie de comté, mais une voirie provinciale avec des ramifications au niveau régional et au niveau local. Il s’agit alors, pour le gouvernement, de distribuer ses crédits en tenant compte, non plus de considérations purement politiques, mais de l’équilibre qui doit exister entre les trois niveaux: local, régional et provincial. Cela est une des conditions du progrès économique cohérent de toutes les parties de la province.
Le gouvernement, conscient de l’importance d’un réseau routier de premier ordre, mettait à la disposition du ministère de la Voirie, au cours de l’année 1961-62, un montant de plus de $150000000 pour l’élaboration d’un vaste programme d’amélioration générale de voirie, conforme aux besoins de toutes les classes de la population et aux exigences de la prodigieuse expansion de la circulation. Au cours de 1961, le ministère de la Voirie a entrepris la modernisation des principales voies de communication qui relient les grandes villes entre elles, et la province aux provinces et aux États américains voisins, ainsi que l’amélioration de nombreux chemins ruraux dans toutes les régions, même les plus éloignées. Des entreprises de construction, de réfection et d’asphaltage furent effectués sur une longueur de 2975 milles.
Dans les comtés du bas du fleuve Saint-Laurent, de Montmagny à l’extrémité de la péninsule de Gaspé, des travaux furent exécutés sur une longueur de 471 milles et ont nécessité des déboursés de l’ordre de $6035000. Des travaux considérables furent exécutés sur la route de ceinture de la Gaspésie ainsi que sur plusieurs chemins à l’intérieur de la péninsule.
Sur la côte nord du Saint-Laurent, le ministère de la Voirie a dépensé $3550000 pour la construction et la réfection de 224 milles de chemins, particulièrement sur la route 15, de Tadoussac à Sept Îles et de Mingan à Hâvre Saint-Pierre. Dans les régions de Chicoutimi et du Lac Saint-Jean, des routes ont été construites ou améliorées sur une longueur totale de 126 milles nécessitant des déboursés pour un montant de $3250000. Parmi les entreprises les plus considérables, il y a lieu de mentionner la construction des routes Chicoutimi-Tadoussac et Roberval-La Tuque. Pour l’aménagement du réseau routier de la région métropolitaine de Québec, le ministère a dépensé, au cours de 1961, $ 2000000 et a fait d’autres travaux dans les comtés avoisinants sur une distance de 122 milles pour un montant de $2790000. Dans la région de Trois-Rivières et de la Mauricie, une somme de $1980000 a été dépensée pour l’amélioration de 130 milles de chemins. Les travaux les plus considérables furent exécutés aux approches du nouveau pont de Shawinigan, qui sera terminé au cours de 1962 par le ministère des Travaux Publics.
Sur la rive sud du Saint-Laurent, du comté de Lévis au comté de Chambly, des travaux d’amélioration furent exécutés sur 205 milles de routes pour un montant de $3350000. Des entreprises de réfection furent salement exécutés dans la région de la Beauce et des comtés avoisinants ainsi que dans les Cantons de l’Est pour un montant de $8180000 couvrant une longueur totale de 736 milles.
Dans la région métropolitaine de Montréal ainsi que dans tous les comtés contigus de la métropole, nous avons commencé la réfection complète de notre réseau routier, demandée depuis plusieurs années par la population. On a dépensé, au cours de 1961, $7930000 pour le début d’aménagement de 366 milles de routes. Parmi ces entreprises, on doit faire mention particulièrement de l’aménagement des approches du pont Champlain, qui fait partie d’un vaste plan d’ensemble d’un réseau moderne de routes à voies divisées et à accès contrôlés sur la rive sud du Saint-Laurent dans les comtés de Chambly, Laprairie et Châteauguay, ainsi que la construction d’une route à voies divisées et à accès contrôlés afin de relier notre province a la route 401 dans la province d’Ontario.
Dans la région des Laurentides, les routes furent améliorées sur une longueur de 200 milles nécessitant des déboursés de l’ordre de $4800000. Dans la partie nord-ouest de Montréal, du comté de Deux-Montagnes jusqu’au comté de Pontiac, aux limites de la province d’Ontario, nous avons dépensé $1985000 pour la réfection de 105 milles de chemins. Enfin, les routes des régions de 1’Abitibi et du Témiscamingue subirent, au cours de 1961, d’importantes transformations, et le gouvernement a dépensé $3150000 pour l’amélioration de 280 milles de chemins afin de favoriser l’essor de l’industrie minière dans cette importante partie de la province.
Je vous rappelle, en passant, que les chiffres que je vous mentionne maintenant sont ceux du dernier exercice financier. Ceux de l’exercice actuel ne sont pas encore définitivement établis. Cependant, au cours de cette année le gouvernement a continué dans la même voie et le vaste programme de construction routière se poursuit constamment. Les voyageurs qui parcourent notre province s’en aperçoivent d’ailleurs facilement. Nôtre réseau routier est en train de changer de visage.
Toutefois, en ce qui concerne les routes secondaires, on peut dire que la province de Québec est assez bien équipée, si on procède par voie de comparaison. Malheureusement, la situation n’est pas aussi brillante au chapitre des routes de grande classe. Québec possède environ 150 milles de voies divisées avec accès contrôlé, tandis que sa voisine, Ontario, en a plus de 1,500. Il est vrai que l’incidence économique de nos grandes artères est parfois difficile à apprécier, mais cela ne nous excuserait nullement d’ignorer le problème. En effet, nos artères principales risquent d’être congestionnées par l’accroissement de l’industrie du transport et la progression rapide des véhicules en circulation. C’est pourquoi le gouverneront a adopté plusieurs mesures visant à résoudre le problème posé par l’absence de grandes voies de circulation. Son action a porté sur la construction de la route transcanadienne et sur celle des autoroutes.
La construction du tronçon de la route transcanadienne qui traverse le Québec est, sans contredit, une des plus importantes entreprises du gouvernement de la province. Cette construction qui a débuté en 1961 constitue la plus considérable jamais mise en chantier chez nous par un ministère de la Voirie.
Le gouvernement avait inscrit au budget 1961-62, à cette fin, une somme de $3171300. Avec la contribution de l’administration fédérale, qui était de $21685000, nous pouvions exécuter des travaux pour un montant de $53398000 .
Cette route moderne, dont le coût final s’établira aux environs d’un milliard de dollars, en plus de raccourcir la distance d’un océan à l’autre, sera pour le Québec l’occasion d’un développement économique considérable. En améliorant sensiblement les conditions de transport, nous favorisons incontestablement la décentralisation de la grosse et de la moyenne industrie actuellement cantonnée dans les grandes agglomérations ou à leur périphérie. Par la construction de la route transcanadienne, c’est toute notre province qui prendra un nouvel essor. Dans le domaine des autoroutes, il y a eu depuis deux ans un effort gigantesque. Notre province ne peut plus se permettre d’être privée de ces voies de communication modernes et rapides; son économie l’exige, sa population le demande. Le gouvernement a déjà entrepris le prolongement de l’autoroute des Laurentides, de St-Jérôme à Ste-Adèle au nord de Montréal. On estime que le coût de cette amélioration importante à notre réseau routier s’établira à environ $20000000.
De plus, comme chacun le sait, les Cantons de l’Est seront bientôt reliée à la métropole par la construction de l’autoroute des Cantons de l’Est que la population réclame depuis déjà longtemps. L’Office des autoroutes a été autorisé à préparer les plans et devis. La construction proprement dite devrait débuter au cours de 1963.
Quant à la rive nord du fleuve, des études sont actuellement en cours; celles-ci nous permettront de prendre ultérieurement des décisions précises en vue de doter cette partie de la province de moyens de communication adaptés aux besoins de la vie économique moderne.
Tout le monde est donc à même de constater la dimension de la tâche entreprise par le gouvernement du Québec pour doter tous les coins de notre province d’un réseau routier adapté à ses besoins et conçu en fonction des nécessités de la vie actuelle.
Je dois dire que nous sommes assez fiers de ce qui a déjà été fait. Nous avons conscience d’avoir fourni un effort utile qui n’est cependant que le prélude à des progrès encore plus considérables. En effet, le plan que nous avons commencé à réaliser doit se poursuivre sur plusieurs années. Bientôt, notre province n’aura plus grand chose à envier à ses voisines. Dans quelques années, toutes nos grandes villes seront reliées par des voies modernes, rapides et sûres. Déjà cette vision de l’avenir se dessine. Il ne s’agit plus de promesses; il s’agit de travaux concrets qui viennent de commencer, qui sont en voie de réalisation.
C’est ainsi que notre voirie non seulement établira des liens plus étroits entre chaque partie de notre province, mais elle donnera au Québec un des instruments les plus importants de son progrès économique futur.
[QLESG19621013]
[Club Richelieu International
Québec, le 13 octobre 1962, Pour publication après 7:30 hres P.M.
Hon, Jean Lesage, Premier Ministre le 13 octobre 1962]
C’est avec grand plaisir que le gouvernement de la province vous a priés ce soir d’accepter son invitation. Pour ma part, comme vous le savez sans doute, je suis passablement occupé ces temps-ci. Mais comment pouvais-je résister à la perspective d’un dialogue avec les membres d’un Club qui symbolise à mes yeux l’expression organisée du désir d’entraide sociale. Il émane de notre milieu et s’étend à travers toute la province. On trouve des Clubs Richelieu dans toutes les régions du Québec, et partout ils poursuivent la même oeuvre magnifique: l’aide à l’enfance malheureuse. Le mouvement s’étend aussi à l’extérieur de nos limites territoriales et, par là, il poursuit la même oeuvre de rayonnement national que celle à laquelle s’est attaqué notre gouvernement. Le Richelieu est donc une sorte d’ambassadeur de notre langue et de notre culture. Il en favorise l’épanouissement et le progrès, et manifeste la présence du Canada français dans le reste du pays et même aux États-Unis.
Ce n’est pas seulement notre langue et notre culture qu’il diffuse, c’est aussi notre esprit, notre façon de voir les choses, notre interprétation de la réalité. Le mouvement Richelieu nous représente donc dans ce que nous avons de plus authentique.
Comme Premier ministre du Québec, je n’ai pas besoin de vous dire combien j’apprécie le rôle de vos clubs dans la politique d’affirmation nationale que tout notre peuple désire. Je vous en remercie bien sincèrement, je vous en félicite et je vous encourage fortement à toujours continuer dans la voie qui s’est avérée si fructueuse déjà.
Mes chers amis, il est réconfortant de savoir que des citoyens consacrent tant de leur temps et de leur argent à une bonne cause. Dans une démocratie, il convient que des groupements privés s’organisent pour faire leur part dans l’amélioration du niveau de bien-être. De fait, l’action de ces groupements privés – et particulièrement celle de clubs sociaux comme le vôtre – est absolument essentielle. Il n’existe pas de statistiques démontrant l’envergure de votre action, mais notre société serait différente – elle serait probablement moins humaine – si des groupements comme le vôtre n’existaient pas. En plus des immenses services qu’ils rendent, ils ajoutent une note de charité dans le vaste champ d’action qu’est l’assistance sociale chez nous. Ils perpétuent l’esprit d’entraide qui a marqué, au Québec, toute l’évolution de notre régime de sécurité sociale. Cet esprit d’entraide, la société moderne a tendance à le perdre. À mesure que s’accroît la dimension des services de bien-être social, surtout à mesure que s’accroît la part gouvernementale à ces services, il devient nécessaire d’adopter des normes administratives efficaces. Inévitablement, le contact humain risque alors de laisser place à des relations de lointains fonctionnaires entre la personne aidée et l’organisme qui lui accorde le secours dont elle a besoin. Ce danger existe dans tous les pays du monde et, au Québec, nous en sommes conscients. C’est pourquoi, par exemple, nous avons résolu de décentraliser le ministère de la Famille et du Bien-être social afin de le rapprocher de la population. De cette façon, la personne secourue sera toujours considérée comme une personne, et non comme un nom ou comme un numéro dans un dossier.
Par la présence des organismes d’assistance bénévole, comme nos Clubs Richelieu, cet effort de personnalisation est plus facile. La société aide l’individu à la fois grâce aux sommes versées par le gouvernement et grâce aux services que peuvent lui rendre des groupes de citoyens et des institutions privées. La collaboration et la complémentarité de l’initiative publique et de l’initiative privée ne peuvent qu’avoir des effets heureux. Le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger le comprend parfaitement et désire que des modes de coopération encore plus nombreux établissements entre le secteur privé et le secteur public du bien-être social.
Les immenses services qu’a rendus l’initiative privée dans le domaine de l’assistance sociale au cours de notre histoire peuvent ainsi acquérir une efficacité et une portée nouvelles. Le réseau d’institutions et d’oeuvres charitables qui existe déjà à travers notre province doit être utilisé, selon nous, le plus possible. Le gouvernement doit s’efforcer de lui donner une efficacité maximum en lui faisant une large place et en lui laissant exercer des responsabilités étendues dans tous les domaines où l’efficacité de l’initiative publique serait moindre. C’est dans cet esprit qu’a été conçu notre ministère de la Famille et du Bien-être social et c’est dans cette perspective qu’il continuera d’agir.
Le ministère de la Famille ne s’est pas seulement attaché à découvrir des modes de collaboration plus étroite entre le gouvernement et le secteur du bien-être social relevant de l’initiative privée. Il lui a fallu aussi parce que les besoins des personnes et des familles passent avant ceux des structures administratives, améliorer grandement le régime de sécurité sociale de la province.
Je n’ai pas l’intention ici – soyez sans crainte – de vous énumérer une longue liste de ce que le gouvernement a entrepris dans ce domaine au cours des deux dernières années. Je veux seulement vous donner quelques exemples pour vous montrer comment nous nous sommes attaqués à certains des problèmes auxquels une partie de notre population avait à faire face. Si nous partons de l’année 1960, nous constatons que le ministère de la Famille est, depuis ce temps, venu en aide à plus de 360000 citoyens du Québec. Comme la plupart de ces personnes vivent dans des familles, l’objectif du ministère est de secourir la famille par l’individu, on peut donc dire que, depuis deux ans, environ un million de personnes vivant dans le Québec ont reçu, à un moment donné, une aide directe ou indirecte du ministère de la Famille. Dans les deux années qui ont précédé 1960 – je vous présente ces chiffres rapides à titre de comparaison – environ 135000 personnes ont été aidées de cette façon, soit, en tenant compte des familles où elles vivaient, environ 400000 personnes au total. Ainsi, à cause des nouvelles mesures de sécurité sociale et à cause également de l’amélioration des mesures déjà existantes, on peut dire que 600000 personnes de plus ont été directement ou indirectement aidées au cours des deux dernières années. Au cours de ces deux mêmes années, les sommes versées par le ministère de la Famille sous forme d’assistance sociale ou autrement ont dépassé $340000000.
Évidemment, toutes les personnes aidées par le gouvernement ne sont pas indigentes au sens strict du terme. Pour un grand nombre d’entre elles, ce n’est pas leur subsistance complète qui est assumée par le gouvernement. C’est plutôt une aide supplétive que le ministère leur accorde pour leur permettre de vivre une vie meilleure.
Parmi les mesures d’assistance sociale qui ont été grandement améliorées je vous signale l’assistance versée aux personnes inaptes au travail pour plus de 12 mois, mais non de façon permanente, et l’assistance publique qui est maintenant accordée à un beaucoup plus grand nombre de personnes qu’avant. À eux seuls, ces deux postes du budget de la sécurité sociale ont dépassé $160000000 au cours des deux dernières années,
Nous avons aussi adopté plusieurs mesures nouvelles. Je pense par exemple aux allocations scolaires actuellement versées aux parents de plus de 130000 étudiants de 16 à 18 ans. Il y a aussi l’assistance aux veuves et célibataires de sexe féminin âgées de 60 à 65 ans. Cette assistance n’existait pas auparavant. Les allocations supplémentaires de montant variable n’existaient pas non plus; elles sont destinées à améliorer, selon leurs besoins, le sort des personnes qui reçoivent l’une ou l’autre des allocations suivantes: assistance-vieillesse (personnes de 60 à 65 ans), pensions de vieillesse (personnes de plus de 70 ans), allocations de cécité, d’invalidité ou de mères nécessiteuses. Une autre mesure importante de sécurité sociale – une des mesures les plus attendues et les plus nécessaires – a été l’assurance-hospitalisation. Jusqu’ici, depuis son établissement, l’assurance-hospitalisation a bénéficié à 1510000 personnes. Son coût total, à la province, aura été en deux ans de $160000000. Il faut ajouter à ce montant la part fédérale qui est également de $160000000 . Ce qui fait un total de $320000000 . Selon les recherches faites au ministère de la Santé, il semble bien que, pour l’année 1962 seulement, l’assurance-hospitalisation aura bénéficié à plus de 933000 personnes. Dans l’avenir, on prévoit que le nombre de bénéficiaires augmentera encore davantage. En somme, l’assurance-hospitalisation a répondu à un besoin pressant de notre population. Il en est résulté – et c’est de cela surtout que le gouvernement est fier – une sécurité nouvelle pour nos citoyens: celle de savoir que, quoi qu’il arrive, ils ne seront plus jamais écrasés par des frais d’hospitalisation disproportionnés à leurs revenus. L’assurance-hospitalisation a si bien répondu aux besoins des Québécois que le gouvernement vient d’en étendre les bénéfices aux cliniques externes pour les traitements psychiatriques, les soins d’urgence et la chirurgie mineure. Nous nous promettons d’ailleurs de continuer dans cette direction dès que ce sera possible, même si nous nous rendons bien compte que le progrès réalisé depuis deux ans, tant en matière de santé que d’assistance sociale, est énorme.
Mes chers amis, j’arrête ici cette courte nomenclature. J’ai voulu vous donner une idée rapide de l’action du gouvernement dans un domaine qui vous intéresse. Il m’eût été possible de vous citer des chiffres pendant une heure entière, mais je crois que ce que j’ai dit suffit pour vous faire voir le souci qu’a le gouvernement d’appliquer une politique familiale qui tient compte des besoins de chacun. Il vise à ce que cette politique englobe, comme une de ses parties essentielles, l’action des organismes privés et des groupements qui, comme le vôtre, sont formés de membres conscients de leur rôle de citoyens.
Je pense cependant qu’il convient de dépasser le cadre du bien-être social et de la santé pour nous arrêter, avant que je ne termine cette causerie, à ce que j’appellerais la condition indispensable du progrès économique et social de notre province.
Je vous ai parlé de l’activité du gouvernement en matière de sécurité sociale. J’ai insisté sur le rôle de l’initiative privée dans ce domaine. Mais je voudrais ajouter – car je crois que c’est essentiel, surtout maintenant – que dans tout cela nous ne nous attaquons qu’à des effets et non à des causes. Je veux dire que l’action du gouvernement doit viser à corriger des situations qui, autrement, seraient socialement inacceptables. Elle vise à les corriger, à les atténuer, et même à les faire disparaître, mais pour les empêcher de se produire, il faut agir sur les causes. Ainsi, le véritable moyen de venir en aide à une personne sans travail, c’est de lui donner de l’emploi et non de lui verser de l’assistance sociale. L’assistance sociale est nécessaire, indispensable en autant qu’elle rencontre des besoins immédiats et inévitables, mais il serait souverainement illusoire de compter exclusivement sur elle pour résoudre des problèmes économiques profonds dont le chômage est la conséquence ou l’effet. Je pense d’ailleurs que tout le monde est d’accord là-dessus. C’est pourquoi le gouvernement a pensé s’attaquer à la racine du mal, tout en ne négligeant pas – comme je viens de vous le démontrer les besoins immédiats d’une partie de notre population. Il a choisi de conduire une action en profondeur dont les résultats seront de nature à faire disparaître les causes qui conduisent aux effets que nous nous employons à corriger lorsqu’ils se manifestent.
Cette action au niveau des causes est multiple dans ses moyens, mais unique dans son but. Ce but est le progrès économique du Québec. Le progrès économique du Québec se fera, croyons-nous, grâce à la création et à la décentralisation d’industries nouvelles. Il n’y a pas à en sortir; autrement, nous nous condamnons à piétiner sur place et à attendre que les autres veuillent bien venir s’installer chez nous pour exploiter nos richesses.
Quels sont les moyens à employer pour atteindre ce but? Ils sont nombreux et l’un d’entre eux existe déjà: la Société Générale de Financement. Cette Société est maintenant formée et ses directeurs temporaires sont nommés. Bientôt elle se mettra à l’oeuvre.
D’autres moyens n’existent pas encore, mais nous serons en mesure de les créer, probablement cette année. Je pense par exemple au réaménagement régional rural et à la planification économique. Les structures administratives nécessaires sont prêtes car nous nous sommes employés à les définir au cours des derniers mois. Le Québec saura ainsi où il va et pourra utiliser ses ressources humaines et économiques le plus rationnellement possible.
Je vous ai jusqu’ici parlé avec l’objectivité des statistiques ou des principes d’économie qui sont au-dessus des convictions politiques. Malgré le climat électoral et la tentation qu’il fait naître chez les chefs de parti de vanter les solutions qu’ils ont déjà proposées, je ne pousserai pas plus loin, devant un aréopage voué comme tel à la neutralité politique, l’énumération des autres forces que nous espérons harnacher au profit de notre avancement dans tous les domaines. Je veux m’abstenir de tout ce qui
est sujet à controverse pour le moment, même si je crois qu’on doive s’étonner un jour que la controverse ait pu existera Quoi qu’il en soit, je ne veux à l’heure actuelle que formuler un principe qui doit planer au-dessus des politiques de parti:
Il faut soulager les symptômes, d’accord!… mais c’est le mal qu’il faut supprimer!
Mes chers amis, je vous laisse sur cette idée que je me permets, même si le mot n’est pas au dictionnaire de l’Académie, de qualifier de: apolitique. Si jamais l’on m’invite de nouveau à une séance du dictionnaire, j’en proposerai l’adoption! En attendant, je veux vous dire avec admiration que, comme citoyens éclairés et conscients de vos responsabilités, vous vous consacrez à une œuvre magnifique; et le souhait le plus sincère que je puisse faire à ma province, c’est de se voir totalement envahie par un esprit qui, comme celui de votre mouvement, soit marqué au coin de la générosité sociale et de l’entraide humaine.
[QLESG19621118]
[Congrès des journalistes de langue française Québec, le 18 novembre 1962 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]
En 1960, mon premier discours après l’élection s’était aussi adressé aux journalistes. En effet, j’avais été, le 20 août, le conférencier invité à la réunion des hebdos à la Malbaie. Le premier événement d’un mandat que le peuple de notre province vient de renouveler, c’est ce rendez-vous d’aujourd’hui avec la presse. Est-ce le fruit du hasard? Peut-être, mais alors il est heureux, car il correspond étroitement aux impératifs de la gratitude et aux voeux de l’amitié.
Entendons-nous bien. À aucun moment de la lutte électorale qui vient de se terminer vous avez eu le désir ni l’impression d’être au service d’un parti politique. Vous avez exercé librement votre profession d’informateurs et de communicateurs, sans autre but que celui de servir, au meilleur de votre connaissance, cette grande réalité qui s’appelle le bien commun. Je vous en félicite et l’on ne m’en voudra certainement pas d’ajouter que je me réjouis du fait qu’au cours des dernières semaines il ait été évident que la conception que la majorité d’entre vous vous faisiez du bien commun et celle que nous nous en faisions nous-mêmes aient été substantiellement les mêmes.
Conscient de l’importance vitale de la liberté de la presse, une liberté retrouvée que vous défendez maintenant avec ferveur, je me sens à l’aise pour vous remercier de l’immense effort d’information que vous avez fait au cours de l’élection qui s’est terminée il y a quelques jours. Quantitativement et qualitativement vous avez couvert la campagne électorale de la façon
la plus brillante et la plus objective qui soit. Nous n’allons certes pas nous livrer aujourd’hui à un « post-mortem » des dernières élections. Cependant, il y a des constatations qu’il convient de mettre en lumière, à la fois parce qu’elles sont à l’honneur de la presse du Québec aussi, je l’affirme sans fausse modestie – à l’honneur du pouvoir que le peuple du Québec vient de consacrer.
Par leur origine commune, vous disais-je; il y a deux ans, la presse et le pouvoir sont des frères siamois, engendrés tous les deux dans les flancs de l’opinion publique. Par leur fonction différente, ils ont souvent l’occasion – et ils ont parfois le devoir – de s’affronter en frères ennemis. Par leur but et par leur idéal, ils se réconcilient au point de s’identifier, dans la mesure où la presse et le pouvoir sont tous deux intégralement fidèles au bien de la communauté, qui est leur poursuite conjointe aussi bien que leur seule raison d’être.
Ce sont ces alternances d’unité et de divergence, ces jeux d’opposition ou de collaboration, qui constituent la substance des relations entre la presse et le pouvoir et qu’on ne peut définir qu’en référant aux thèmes éternels de la liberté.
Confrontons cette théorie avec la pratique, comparons ces formules idéalistes à la réalité et aux faits que nous avons pu observer depuis deux ans et plus concrètement encore au cours de la dernière campagne électorale.
Mesdames, messieurs, la presse de chez nous a été libre, agissante et efficace devant un pouvoir qui a respecté sa liberté. L’un et l’autre sont demeurés distincts dans leur ordre et séparés dans leur fonction. Tous les deux ont conjugué leurs efforts au point de les identifier, parce que la presse comme le pouvoir étaient intégralement au service de la communauté.
Un incident révélateur illustre, à lui seul, jusqu’à quel point l’appui spontané que vous avez accordé au pouvoir était un jaillissement de votre liberté.
Après que l’Union Nationale eut repoussé diverses formules pour procéder au choix des journalistes qui devaient participer au débat télévisé ouvert aux chefs de partis, il fut proposé que chacun des camps désignerait lui-même trois journalistes.
Or, Messieurs, quand il s’est agi pour nous de trouver trois journalistes qui représenteraient directement le Parti libéral, la chose fut impossible. Tous ceux qui ont été pressentis ont tenu à affirmer leur indépendance. Tous ces journalistes, dont la plupart soutenaient jusqu’à la passion le thème principal de la campagne électorale, refusaient d’engager une responsabilité qui ne soit point exclusivement personnelle, par loyauté envers la liberté de la presse. Voués à une cause, à un idéal, ils refusaient de se lier à un parti politique.
Et bien, Messieurs, n’allez pas penser que j’ai cru que nous n’avions plus d’amis parmi les journalistes: Bien au contraire, je me suis réjoui aussi, permettez-moi de le souligner que, sous un gouvernement libéral la presse puisse être le critique objectif du pouvoir et jamais son esclave. Je ne suis surtout réjoui de constater que la liberté de la presse a refleuri dans le Québec et que les journalistes eux-mêmes entendent s’en faire les défenseurs. Je vous en félicite et je compte sur votre vigilance constante pour que cette liberté, qui est en somme la gardienne de toutes les autres, ne soit plus jamais menacée dans notre province.
Il y a exactement deux ans, presque jour pour jour, je vous entretenais, ici même, des relations de la presse et du pouvoir. Il y a deux ans, également, votre union me présentait un mémoire sur tout un ensemble de considérations, de requêtes et de voeux relatifs à la profession du journalisme.
Nous avions posé des prémisses: Quelles conclusions pouvons-nous tirer aujourd’hui? Quelles ont été, depuis, les relations de la presse et du pouvoir? Quel chemin ont parcouru les projets que vous suggérait votre idéal professionnel. Un congrès comme celui-ci est l’occasion de faire lé point, d’examiner le travail accompli et d’inventorier le travail qui reste. Reprenant le mémoire que vous m’aviez présenté, il y a deux ans, j’ai fait, moi aussi cet examen de conscience. Et, mes amis, je dois vous dire que je m’en suis tiré avec le ferme propos … de recommencer. Sur les sept propositions majeures relatives à votre profession, six sont déjà réalisées ou en voie de réalisation.
Il y a une explication à ce succès: vos recommandations avaient en vue, certes, le bien de votre corps professionnel; mais elles visaient, par delà ces légitimes préoccupations particulières, le bien commun de notre société. Vous réclamiez la coordination et la diffusion des informations fournies à la presse par les divers ministères et organismes gouvernementaux. Un effort fructueux a été fait dans ce sens, principalement par la réorganisation des services d’information dans les ministères, grâce à un personnel puisé largement dans les rangs du journalisme. Mais dans ce domaine, il y a des limites qu’il ne faut point dépasser: un gouvernement doit mettre à la disposition du public les moyens de se renseigner, mais il doit se garder de mettre sur pied une machine de propagande. À cet égard, les vues du gouvernement actuel coïncident exactement avec celles de votre profession.
Vous souhaitiez les indispensables instruments de travail que sont les publications statistiques. Vous savez quelles réformes nous avons apportées à l’Annuaire statistique, ainsi qu’à la diffusion périodique des bulletins qui enregistrent, presque au jour le jour, le rythme de notre vie économique et sociale.
Vous aviez recommandé un rôle spécifiquement journalistique à l’Office de la linguistique. Encore là, les débuts sont prometteurs et vous avez commencé à recevoir les bulletins dont vous pouvez vous servir pour faire rayonner chez notre peuple la correction de notre langue.
Vous espériez aussi l’institution d’un Journal officiel des débats au Parlement provincial: nous nous sommes appliqués à rencontrer vos vœux et ceux de la population, malgré bien des difficultés techniques à surmonter, et je crois bien qu’à la prochaine session nous aurons le journal des débats.
Votre union, soucieuse de l’avancement moral et matériel de ses membres et du progrès de la profession, a voulu que l’État contribue à des bourses d’études et de perfectionnement. Depuis votre requête, nous voyons avec plaisir que trois des vôtres vont, chaque année, bénéficier d’un stage à Strasbourg, et c’est la somme de votre expérience professionnelle qui s’en trouve collectivement enrichie.
Depuis deux ans, les relations de la presse et du pouvoir dans notre province ont donc été ce qu’elles doivent être: une collaboration dans la liberté, la poursuite en commun du bien de la communauté.
Journalistes, continuez d’éclairer ces vies parfois si difficiles, et nous pourrons encore célébrer en commun, comme aujourd’hui, l’honneur du devoir accompli, du travail bien fait, en même temps que les promesses d’avenir.
[QLESG19621124]
[Message de l’honorable Jean Lesage, Premier ministre de la province de Québec, à l’adresse des participants au Congrès des Affaires Canadiennes au Château Frontenac, le 24 novembre 1962. Ce message a été lu par monsieur Guy Frégault, sous-ministre des Affaires Culturelles.
Pour publication après 1:00 hre P.M., le 24 novembre 1962
]
Seul un voyage en dehors de la province pouvait m’empêcher de revenir à temps pour adresser la parole au Congrès des Affaires Canadiennes; car s’il est un rendez-vous auquel je voudrais toujours être présent dans la mesure de l’humainement possible, c’est bien celui qui doit exister en permanence entre la jeunesse étudiante et le gouvernement d’un État, c’est-à-dire la conférence de l’avenir et de l’instrument qui doit le préparer.
Parmi toutes les satisfactions que peut procurer la tâche de Premier ministre, l’une des plus consolantes que j’aie éprouvées est le dialogue spontané qui s’est renoué avec la jeunesse. Jamais le courant de sympathie, de compréhension mutuelle, n’a été aussi évident, aussi fort et aussi prometteur.
J’ai eu récemment plusieurs occasions de rencontrer les étudiants de diverses universités. Chaque fois, j’ai été profondément ému du ton de confiance avec lequel on m’a parlé. Chaque fois, j’ai été émerveillé par le patriotisme si adulte qui inspirait à ceux qui m’ont interrogé des questions précises exigeant des réponses précises, des questions qui révélaient un souci profond de la dignité et du bien-être du peuple du Québec, des questions qui ne pouvaient être posées que par ceux qui ne se paient pas de mots
et dont l’enthousiasme national ne se nourrit pas d’ombre mais de substance.
Je suis sûr de ne pas me faire d’illusions en croyant que l’on m’a parlé sur ce ton précisément parce que je suis demeuré – et espère demeurer toujours – très près de cette jeunesse.
Jamais je ne m’en éloignerai, car j’ai besoin d’elle, j’ai besoin de son intransigeance, j’ai besoin de son regard lucide sur tous les problèmes de fierté nationale. Nous avons présentement la jeunesse la plus réfléchie, la plus sérieuse et chose paradoxale, mais en apparence seulement, la plus enthousiaste de notre histoire!
Quand la lucidité de l’intelligence s’allie à la chaleur du coeur, tous les espoirs sont permis pour un peuple qui possède une jeunesse étudiante aussi harmonieusement équilibrée! L’atmosphère n’est jamais plus malsaine que lorsqu’une jeunesse se tait avec résignation et désespoir devant un gouvernement au cynisme contagieux. Il n’est par contre rien de plus réconfortant, de plus tonique que de se savoir dans la ligne politique qui répond aux exigences impitoyables de la conscience sans compromis des jeunes.
Un peuple est en santé lorsque sa jeunesse s’intéresse aussi sérieusement que la nôtre aux affaires de la nation; c’est la meilleure assurance que l’on puisse avoir contre la sclérose intellectuelle. C’est pourquoi, tout en me désolant de ne pouvoir lire moi-même mon message, je veux y exprimer quand même la joie que j’éprouve à voir les étudiants s’attaquer résolument à nos problèmes, à les voir donner ainsi la preuve qu’ils ne démissionnent pas de leur poste de sentinelles de notre avant-garde nationale.
[QLESG19630126]
[Comité Ukrainien de Montréal Pour publication après 7:00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 26 janvier 1963]
Il y a un mot de l’humoriste américain Will Rogers qui m’a toujours bien amusé. On sait que, dans la république voisine, il y a tellement de gens qui voudraient que leurs ancêtres fussent venus sur le Mayflower en 1620, qu’on se demande si ce minuscule bateau n’était pas une flotte de plusieurs transatlantiques gigantesques. Mais Will Rogers qui était de descendance indienne disait: Mes ancêtres ne sont pas venus ici sur le Mayflower. Ils l’ont vu arriver. Je suis moi-même très fier de porter le nom et le prénom d’un Jean Lesage qui arriva en Nouvelle-France il y a trois cents ans. Mais c’est la fierté d’un mérite qui fut le sien. On ne choisit pas ses aïeux … et très peu ses descendants! L’important, c’est d’être dignes de ceux qui sont venus avant nous, en préparant la place de ceux qui viendront après. Ne jamais oublier que l’on n’est qu’un chaînon de l’Histoire, c’est faire preuve à la fois d’humilité et de fierté.
Or, le mérite qui fut celui de mes ancêtres français, c’est celui que je retrouve chez ceux qui ont, plus récemment que mes aïeux, choisi cette terre pour être leur patrie d’adoption, cette terre sur laquelle ils n’ont pas des ancêtres reculés dans l’Histoire, mais où ils seront, eux, des ancêtres !
Ce que je veux dire, c’est que le patriotisme n’est pas une affaire de date, mais de noblesse de caractère et d’intelligence. Je dis bien d’intelligence, car un sentiment même aussi incarné, aussi près du charnel qu’est l’amour de la patrie, ressortit aussi à l’intelligence, tout comme le mariage d’amour peut fort bien s’harmoniser et se confondre avec le mariage de raison !
Et puisque nous parlons de mariage, pourquoi, ma foi! – ne passerions-nous pas chez le notaire pour examiner la précieuse dot des divers groupes ethniques qui sont venus enrichir notre pays ?
[Even a perron who is completel.y ignorant of history would net date te question the contribution made by those who have colle te New France since the beginning of the sevente3nth century. Let us think for a moment what our country would be without thia chanter in our history. À blank which we would look upon as being inccnceivable in our past history can open our eyes te the importance,
in the twentieth century, of warnly welcoming -because only a narrow-minded man’ is suspicious of an offer of friendship — te the importance, I say, of giving a vrarm welcome te those v:ho corne here-to enrich our common horitage. They enrich it through their intellectual strergth, the treasures of their folklore, the moral strength that they have shown in choosing a free land, the will te work which they already had, and s:h.ich the circumetances surrounding their establishment in a ne-or country will forci them
te increase. They enrich their new land with the traditions of their country of origin, and it is in keeping vrith the spirit of Canada that theso traditions should be all.rnced te grow, because our social and political philosophy is net based on the uniformity of a common cracible into which differences bety:een ethnie groupe are put te be melted down, with the result that they disappear. Our philosophy is based on whist has been justly called « tho Canadian mosaic ».
This diversity dois net mean that the various elements of the population will look lapon one another with suspicion but that, on the contrary, the certainty that each one vrill have of remaining himself and net becoming just another robot vrill contribute te the creation of a fruitful and peaceful atmosphere in which te live.
Nor dose thi3 diversity mean that certain characteristiès will never change. In a marrio.go or in a friendship, it is impossible for one party net te influence the other eventually, and vice versa. When a tree is transpianted, it can undergo certain changes by accliimriatization through the new sap
which it tesla rising in itself from the roots that it sinks deeper and deeper into its land of adoption, while at the saure time essentially keeping its original characteristics.]
Tout cela est sain, tout cela est normal, tout cela est souple comme la vie, tout cela est rempli de promesses de grandeur pour le Canada comme pour l’État du Québec.
Cette expression « État du Québec » a eu récemment la vedette de l’actualité. Si j’y fais une fois encore allusion en cette circonstance, c’est pour souligner que le phénomène de la mosaïque canadienne ne concerne pas seulement les Canadiens arrivés au vingtième siècle mais aussi les Canadiens français qui ont au moins ce problème commun avec vous.
Quand je parle de l’État du Québec, ce n’est pas pour soutenir que le Canada serait composé de neuf provinces plus un État. C’est pour affirmer plus fortement encore – comme je vous le dois à tous la personnalité du Québec.
[This in whr I believ3 that vrith mature determination there will be no problems that we will not be able to solve. We must however adopt a dignified and resolute attitude in the face of goodt;,,Ill that has net always been enlightened. But did the fault always lie exclusively with the others? That is the question! And I am not too sure that thero ought not te be nome « mea culpa » in the answer.]
[Tout en étant physiquement une province de la Confédération canadienne, le Québec représente plus qu’une division territoriale. Dans les responsabilités – tacites mais impérieuses dont son gouvernement est investi par l’Histoire, il y a la mission de sauvegarder la culture des Canadiens français. La preuve qu’il s’agit d’une attitude dictée par l’origine ethnique, c’est que nous ne traduisons pas en anglais le mot État par [State]. Pourquoi? Parce que l’affirmation de personnalité impliquée dans l’emploi du mot État traduit un phénomène socio-culturel typiquement canadien-français, alors que le mot province, convient, sans nécessité d’établir des nuances – à nos compatriotes québécois de langue et de culture anglaises.
Je soutiens que, dans l’esprit du pacte confédératif, province de Québec signifie État du Québec, à cause précisément de la mission et du phénomène dont je viens de parler. Nous pouvons donc, entre Québécois imbus de cette conception, employer l’une ou l’autre de ces expressions, tout en nous rappelant qu’en français universel, dans la définition du mot province prédomine le sens de division d’un État. C’est ce sens que nous corrigeons aussi souvent que possible en français par l’emploi de l’expression État du Québec. Elle ajoute à l’expression pratique mais incomplète de province un commentaire sur notre mentalité, sur notre détermination, sur notre rôle, sur notre souveraineté de Canadiens à part entière que nous sommes tous, quelle que soit notre origine ethnique.
[U’hen I believe in the recuits of a firmer stand, I know that my optimiem is justified and that it cannot be called blind optimism. It does•not refuse te accept abncrmal situations wnich should be corrected, I might say, by mon of
goodwill. I am convinced that the remedy exista in the spirit of our partnership itself and that we must not got discouraged by the incomplete use of this partnerehip that has been made by both sides.]
On dit que, dans une association, lorsque deux personnes sont du même avis, l’une des deux est de trop! Dieu sait qu’en se basant sur ce critère, il n’y a pas beaucoup de gens de trop dans cet immense pays! Mais je continue de placer ma, foi en d’innombrables hommes de bonne volonté et je suis sûr que notre féconde diversité, loin de nous paralyser, loin de susciter constamment des antagonismes, nous permettra d’aspirer à des lendemains glorieux. Et alors, vos enfants et les miens chanteront d’un même coeur cette phrase presque banale pour un Canadien mais lourde de sens et d’espoir pour celui qui, plus récemment; a choisi de le devenir … cette phrase que vos descendants vous remercieront, – chers futurs ancêtres! – de leur avoir permis de chanter avec émotion: 0 Canada, terre de … nos aïeux.
[QLESG19630202]
[Discours prononcé à Charlottetown Île-du-Prince- Edouard le samedi 2 février 1963 par Jean Lesage Premier ministre de la province de Québec à l’occasion de la cérémonie marquant le début des travaux d’un monument commémoratif élevé à la mémoire des Pères de la Confédération]
C’est certainement un très grand honneur qu’on me fait de m’inviter à la cérémonie qui se déroulera aujourd’hui à quelques pas d’ici. Je vous en remercie bien sincère double titre: d’abord au nom des citoyens du Québec que je représente en ma qualité de Premier Ministre de la province, comme président de la dernière conférence des Premiers ministres. Vous m’avez demandé, Messieurs les directeurs de la Fondation, d’adresser la parole à cette assemblée. J’en profite pour transmettre à votre Fondation tous mes voeux de succès et pour saluer les citoyens de l’Île-du-Prince-Edouard.
Si nous sommes réunis ici aujourd’hui, mes chers amis, c’est parce que nous voulons marquer d’une façon toute particulière le début de la construction de l’édifice commémoratif des Pères de la Confédération. La Fondation des Citoyens, chargée de mener cette entreprise à bien, a eu raison je pense, d’organiser la présente cérémonie. Car les Pères de la Confédération sont, en quelque sorte, les fondateurs de notre pays, le Canada, tel qu’il existe aujourd’hui, et il importe de leur en rendre hommage. Ils ne l’ont pas découvert, bien entendu, mais c’est en grande partie à cause d’eux que le Canada a pu prendre l’essor remarquable qui l’a caractérisé depuis la Confédération. C’est à cause d’eux qu’ont été associés dans un but commun des territoires étendus, éloignés et divers qui, si nous avions vécu en Europe, auraient peut-être constitué autant de pays différents.
À leur époque déjà, il y a une centaine d’années environ, ils avaient perçu le sérieux danger que comportait pour la survie d’une population canadienne distincte la présence, à ses portes, de la dynamique nation américaine. Nous n’avons pas à reprocher leur dynamisme à nos voisins du sud et il ne nous appartient pas non plus de leur attribuer globalement des intentions annexionistes, même si cet objectif a déjà été mentionné, en toute sincérité, par quelques-uns d’entre eux. Il n’en reste pas moins qu’au siècle dernier notre population devait faire un choix: vivre par elle-même selon le sens de ses traditions historiques et de son biculturalisme, ou se laisser tranquillement, imperceptiblement même, devenir partie intégrante du grand complexe américain. Elle a choisi, grâce aux Pères de la Confédération, de vivre par elle-même. Cette décision, il faut bien s’en rendre compte, renfermait un défi implicite. En jetant un regard en arrière, nous saisissons aujourd’hui combien ce défi était redoutable. En regardant la situation actuelle nous voyons aussi avec quelle acuité ce défi, toujours redoutable même s’il a quelque peu changé de nature, continue de s’offrir aux canadiens de 1963. La Confédération était d’abord un défi à la nature du territoire couvert par les dix provinces actuelles. Quiconque examine une carte géographique s’aperçoit vite que l’orientation naturelle du continent nord-américain est nord-sud. Les montagnes de l’Ouest font partie de la même chaîne rocheuse que celle qui traverse l’ouest américain. Les plaines du centre du Canada sont le prolongement du centre américain. La région industrielle du sud de l’Ontario ressemble énormément à la région industrielle qui se trouve juste de l’autre côté de la frontière canadienne. Et je pourrais ainsi multiplier les exemples.
Pourtant la Confédération a voulu donner une orientation est-ouest à cette immensité de territoire où sur une étroite bande de 3000 milles de long vit une population dix fois moins considérable que celle des États-Unis. Et ce pari, car c’en était un à toutes fins utiles, a été gagné. Les Canadiens ont en quelque sorte forcé par la nature et se sont construits un pays qui leur appartient bien à eux et qui présente aux yeux des Américains des caractéristiques particulières et qui jouit d’une autonomie véritable.
Il fallait aussi, dans cette Confédération, rattacher ensemble des groupements humains d’origines différentes. Notre pays, sans être aussi cosmopolite que les États-Unis, n’est pas ethniquement uniforme. Actuellement, on y trouve deux groupes majeurs: les
Canadiens d’expression anglaise et les Canadiens d’expression française, mais il ne faut pas oublier qu’au départ et par la suite une assez forte minorité de notre population appartenait, et appartient encore, à des groupes d’autres origines. De fait, cette minorité, avec le temps, et le processus continue, s’est jointe à l’un ou l’autre des deux groupes majeurs, particulièrement au groupe d’expression anglaise. Je n’ai pas aujourd’hui à retracer les raisons de ce phénomène, mais j’en signale la présence indéniable car il fait partie des facteurs qui déterminent l’évolution de la population canadienne en général.
Or, un des défis qui se présentaient à la Confédération était d’associer les principaux groupes ethniques dans la poursuite d’un même destin, et non de les unir dans un « melting pot » où se seraient effacés les traits propres de chacun. Plus exactement, le but de la Confédération était, entre autres choses, de permettre à chacun de ces groupes de s’épanouir par le respect et la diffusion de sa culture et de sa langue. En somme, il fallait que le groupement d’expression française et celui d’expression anglaise trouvent, en vivant la Confédération, un milieu favorable à leur croissance comme groupements humains distincts, tout en coopérant très étroitement à l’édification d’un pays nouveau. À la veille de célébrer le centenaire de cette Confédération, nous avons, chers amis, à porter un jugement réaliste sur le résultat de cette entreprise, incertaine au point de départ même.
Je pense qu’il nous faut, comme Canadiens conscients de leur rôle dans notre société et soucieux de l’avenir de notre pays, regarder les faits bien en face. C’est seulement si nous avons le courage de voir ce qui existe en réalité que nous pourrons acquérir la détermination de nous préparer collectivement un avenir plus satisfaisant.
La Confédération canadienne en effet n’a pas relevé tous les défis qui se présentaient à elle. De façon générale, elle a permis l’émergence d’un peuple canadien, fier de son pays, confiant dans son avenir et respecté sur la scène internationale. C’est beaucoup, mais ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas suffisant parce qu’un de ses buts essentiels n’a pas été atteint. Comme je l’ai déjà dit ailleurs, l’expérience confédérative n’est pas encore terminée et elle ne le sera jamais vraiment que lorsque nous y aurons mis tous les ingrédients. Pour le moment, elle se poursuit, mais depuis quelques années ses tendances nous incitent à revenir à une foi plus agissante que j’oserais comparer, par désir d’émulation, à celle des premiers chrétiens.
Vous savez que les Canadiens d’expression française s’interrogent tout particulièrement sur la place qui est la leur dans la Confédération telle qu’elle existe maintenant. Dans le Québec notamment les expressions d’idées à ce sujet sont nombreuses et variées, mais rares sont celles où l’on ne perçoit pas un degré plus ou moins marqué d’insatisfaction. Car, et c’est ce à quoi je faisais allusion il y a un instant, les Canadiens français n’ont pas l’impression d’appartenir au Canada dans la même mesure que leurs compatriotes de langue anglaise. Pourtant, le sentiment d’appartenance, et de là de coopération intéressée, est un des buts primordiaux d’un régime confédératif réussi. Et sur ce point particulier, je ne puis dire, comme Premier ministre du Québec et comme représentant des Canadiens français, que la Confédération est une réussite, même si elle l’est à d’autres points de vue, comme ceux que j’ai moi-même mentionnés. On ne peut dire que la Confédération canadienne est une réussite, car un des groupes majeurs qui constituent notre population n’y a pas trouvé l’ambiance que son affirmation comme peuple distinct et son épanouissement culturel auraient exigée. Il peut sembler étrange – et même quelque peu irrévérencieux – de prononcer de telles paroles au moment où, à l’endroit même où la Confédération a débuté, nous nous apprêtons à commencer l’érection d’un édifice commémoratif dont le but sera de nous rappeler à nous et à ceux qui viendront après nous les responsables de cette Confédération. Pourtant, je n’hésite nullement à exprimer les réserves qui, à mon avis, s’imposent. Je me sens même, devant vous, encouragé à le faire puisque, comme moi, vous désirez sincèrement la réussite de l’oeuvre entreprise il y a près de cent ans.
On peut en effet, comme nous le faisons aujourd’hui, rendre un hommage profond à ceux qui nous ont donné le Canada moderne; on peut leur témoigner notre reconnaissance envers l’idéal qu’ils nourrissaient; on peut même les remercier du mouvement dont ils sont à l’origine. Il n’est pas nécessaire pour autant d’accepter sans aucun sens critique la situation que leurs successeurs nous ont légués. Aucune entreprise humaine n’est parfaite et la Confédération canadienne n’échappe pas à la règle.
Il y a une autre raison qui m’incite à déclarer mes sentiments aussi franchement. C’est que les successeurs actuels des Pères de la Confédération, ce sont les Canadiens de 1963, comme ce furent les Canadiens de 1933, ou de 1903. Ainsi, c’est à nous qui vivons aujourd’hui qu’il appartient de donner à la Confédération les éléments qui lui manquent encore pour réaliser l’objectif fondamental de la coexistence constructive de deux groupements ethniques différents par leur culture et par une bonne partie de leur histoire. Je n’ai pas de raison de croire, sauf preuve évidente du contraire, que la Confédération, si elle était authentiquement vécue avec tout ce que cela comporte de largesse d’esprit et de compréhension mutuelle, ne pourrait pas s’avérer un succès que nous envieraient les autres nations du monde dans une situation semblable à la nôtre et qui nous permettrait à nous-mêmes, à quelque origine que nous appartenions, de devenir le peuple progressif et uni que les Pères de la Confédération avaient entrevu.
Mais cette réorientation- car c’est bien de cela qu’il s’agit, et non d’une simple retouche -ne pourra se faire que si, de part et d’autre, on tient compte d’un fait ancien et d’un facteur nouveau.
Le fait ancien c’est le biculturalisme canadien. Je crois qu’il constitue le point de départ de toute action future car il contient à la fois un état de fait et un actif à développer. On a toujours admis qu’il existait au Canada deux cultures; la culture canadienne-française et la culture canadienne-anglaise. Mais il ne suffit pas de l’admettre; il faut transposer dans les faits cet arrière-plan sociologique. Il faut, puisque c’est elle qui, à cause des circonstances et de la négligence du sens profond de la Confédération, se trouve désavantagée, que la culture canadienne-française obtienne les moyens de s’affirmer et de s’épanouir. Or, la culture canadienne-française ce n’est pas seulement la langue parlée, c’est toute la mentalité, c’est tout le comportement d’un groupe. Pour que la culture ainsi comprise s’épanouisse, pour qu’elle se greffe en terrain fertile, il faut que soit acceptée et désirée la présence de ceux qui la possèdent, c’est-à-dire les Canadiens d’expression française. Il faut qu’on apprécie leur apport éventuel sur la scène canadienne et qu’on se départisse de certains préjugés fondés sur des phénomènes vus de loin en dehors de leur contexte. Il faut qu’on comprenne le peuple canadien-français comme il est maintenant et non pas à partir de ce qu’on a pu, dans le passé, croire qu’il était.
Le facteur nouveau c’est le Québec d’aujourd’hui. À travers tout le Canada on s’aperçoit que le Québec vient d’acquérir une nouvelle stature, qu’il s’est engagé dans une voie qui le dirige vers le progrès économique et social et la satisfaction de ses aspirations. Si, à cause des nouvelles attitudes qui prévalent maintenant au Québec, il s’ouvre davantage au reste du Canada, ce n’est pas parce qu’il devient moins soucieux de son entité propre ou qu’il a résolu de se contenter de compromis ou d’abandonner des exigences antérieures. Au contraire, il est plus authentiquement lui-même qu’il ne le fut peut-être jamais dans le passé, mais il veut l’être d’une façon positive, en faisant profiter le reste de notre pays d’un apport qu’il croit précieux. Et précieux, il l’est; en effet, la présence même du groupement canadien-français dans l’ensemble de la population canadienne est une garantie contre l’envahissement culturel américain. Beaucoup de nos compatriotes d’expression anglaise ont d’ailleurs déjà reconnu ce fait.
Mais il y a plus. Comme Premier ministre du Québec, s’il est une chose que je puis affirmer, c’est que le peuple de cette province, d’ici quelques années, étonnera le reste du Canada par ses entreprises et ses réalisations de toutes sortes. Nous ne nous prenons pas, au Québec, pour autres que ce que nous sommes vraiment, mais nous avons l’intention ferme de ne négliger aucune de nos possibilités et de mettre en oeuvre toutes nos ressources, tant intellectuelles que matérielles. Actuellement, le gouvernement de la province a été chargé parle peuple québécois, à deux reprises déjà, en 1960 et en 1962, de hâter la marche en avant, d’accélérer le rythme du progrès. C’est ce que nous faisons depuis. C’est cela notre « révolution pacifique », et elle ne fait que commencer. Notre participation à la vie canadienne deviendra donc ainsi encore plus riche. Mais, pour cela, il y a une condition absolument indispensable: qu’on nous fasse confiance, non seulement en reconnaissant verbalement notre présence dans la Confédération, mais en posant des gestes concrets qui soutiendront les volontés positives du peuple québécois. Et surtout, oui surtout, il ne faudrait pas que par indifférence ou action négative on déçoive le groupement canadien-français à un moment où il est porté à douter des avantages possibles de la Confédération. Ce serait vraiment regrettable pour l’avenir de notre pays.
Mes chers amis, je suis cependant convaincu que si nous entreprenons un effort commun, nous pourrons enfin, tous ensemble, vivre véritablement la Confédération. Tous les défis qu’elle comportait au point de départ auront ainsi été relevés avec succès. Notre pays sera non seulement grand géographiquement, mais il sera grand de l’oeuvre humaine qu’il aura pu mener à bien: la collaboration éclairée, amicale et positive de groupements humains culturellement distincts, mais animés d’un même idéal.
Nous devons aujourd’hui rendre hommage à ceux qui, il y a un siècle, nous ont donné les moyens constitutionnels d’atteindre un tel objectif. Il ne nous reste plus, à nous qui avons succédé, aux Pères de la Confédération, qu’à adapter ces moyens aux situations actuelles et à nous en servir pleinement.
Si, et j’en suis certain, l’édifice commémoratif qui sera érigé tout près d’ici nous incite à appliquer aujourd’hui l’esprit qui régnait, il y a cent ans, dans la salle où nous sommes maintenant, la Fondation qui en aura été responsable aura droit à la reconnaissance de tout le peuple canadien.
Au nom des citoyens québécois et en mon nom personnel, je félicite bien sincèrement la Fondation de son initiative et je l’en remercie. Elle pose véritablement un geste historique.
[QLESG19630203]
[Congrès des Jeunes Libéraux du Québec
Québec, dimanche le 3 février 1963 Pour publication après 7:00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre du Québec]
C’est la première fois, ce soir, que j’ai l’occasion, depuis le 14 novembre dernier, de vous rencontrer en groupe. Je veux d’abord vous remercier de l’aide que vous avez apportée à nos candidats dans tous les comtés du Québec. Vous l’avez fait chacun d’entre vous à votre façon et c’est à la conjugaison du travail de centaines de jeunes comme vous que nous devons une bonne partie de notre éclatante victoire. Je vous en suis personnellement reconnaissant car vos efforts et ceux de tous nos partisans m’ont donné une équipe de députés encore plus considérable qu’en 1960 sur laquelle je peux compter et sur laquelle -c’est plus important encore toute la province peut compter.
Depuis les élections beaucoup de personnes m’ont demandé à quoi particulièrement j’attribuais la victoire que nous avons remportée. Il est bien évident que le thème même de la campagne électorale – la libération économique du Québec – a énormément plu à notre population parce que, pour la première fois dans notre histoire, une administration provinciale lui a fourni enfin l’occasion tant rêvée de prendre en main son propre développement économique et industriel. Cela ne s’était jamais vu dans le passé et il s’est trouvé des gens pour dire que nous prenions un risque formidable car, disaient-ils, la population n’était pas prête à poser un tel geste.
Mais nous, du Parti Libéral du Québec, nous avons fait confiance au peuple. Nous savions qu’il comprendrait le sens tout à fait spécial que prendrait son vote le 14 novembre. C’est ce qui s’est effectivement produit et aujourd’hui nous avons, comme gouvernement, un mandat clair et précis à. exécuter.
Le thème de la libération économique du Québec n’est toutefois pas le seul facteur qui peut expliquer notre victoire. Il y en a un autre que je crois d’une importance peut-être plus grande, c’est ce que le gouvernement libéral représente maintenant pour la population du Québec.
En effet, pensons à ce que nous nous sommes efforcés de faire depuis 1960. Rassurez-vous, je ne veux pas maintenant passer en revue toutes nos réalisations, mais j’aimerais plutôt extraire la signification profonde.
Nous avons voulu donner au peuple de la province un gouvernement honnête, efficace et dynamique. Je pense bien soit dit sans trop nous vanter que nous pouvons être fiers de ce que nous avons réussi en si peu de temps.
Évidemment, dans ce bas monde rien n’est parfait. Mes collègues et moi sommes les premiers à reconnaître qu’un idéal, n’importe quel idéal, est difficile à atteindre et que ses exigences sont difficiles à satisfaire. Pourtant notre désir de progrès et de renouveau demeure aussi intense aujourd’hui qu’en 1960 et nous avons bien l’intention de poursuivre sans relâche la réalisation complète de la tâche exaltante que nous nous sommes fixée, à la demande même des citoyens du Québec. Vous admettrez qu’on ne rencontre pas souvent de gouvernement qui, après quelque temps de pouvoir, conserve aussi vivantes les préoccupations de réformer qui l’animaient au début. J’ai dit que nous avions entrepris de doter le Québec d’un gouvernement honnête, efficace et dynamique. Pour y arriver entièrement, il nous faut toutefois la collaboration éclairée des éléments de notre société qui partagent le même idéal que nous. Vous, les jeunes libéraux, vous faites partie de ces éléments et nous sommes convaincus que vous vous empresserez de nous accorder votre appui comme vous l’avez toujours fait dans le passé.
Vous comprendrez que les ministres et les députés, malgré toute la ténacité qu’ils peuvent y mettre, sont incapables à eux seuls de modifier tous les comportements traditionnels qui peuvent freiner parfois le mouvement de renouveau que nous avons lancé. Prenez le cas des partis politiques. Trop longtemps chez nous, les partis – et c’était vrai pour le nôtre comme pour les autres – n’ont pas été autre chose que de puissantes machines électorales dont on se servait tous les quatre ans. Il faut, dans l’avenir, qu’ils deviennent des organisations structurées, formées de citoyens partageant des idées politiques communes et construisant ensemble des programmes d’action bien déterminés. Les partis politiques doivent également, et c’est leur droit absolu en démocratie, informer le reste de la population des propositions qu’ils avancent pour résoudre les problèmes économiques et sociaux qui se posent constamment dans une société en évolution. Ils doivent faire connaître leurs opinions ouvertement et franchement, et les présenter à l’examen critique et réfléchi de l’ensemble des citoyens en vue d’obtenir leur adhésion.
La Fédération libérale du Québec s’est déjà engagée dans cette voie et elle ne doit pas lâcher prise. Vous, les Jeunes Libéraux, pour, votre part, vous pouvez chacun dans votre milieu propager cette notion nouvelle que notre peuple doit acquérir des partis politiques. Vous formez un groupe jeune, vous désirez l’action, vous cherchez moins votre intérêt personnel et particulier que l’existence d’un gouvernement qui réponde à vos aspirations; alors vous pouvez vous constituer en quelque sorte comme mouvement d’avant-garde dans notre parti et vous préparer ainsi à jouer plus tard des rôles politiques que vous aurez vous-mêmes contribué à définir.
Il y a aussi – dans cet ordre d’idées – tout le rôle du député à repenser. Il ne peut plus, il ne doit plus être le distributeur des faveurs gouvernementales auprès de ceux qu’il représente. Il est entendu qu’il doit être au service de ses électeurs pour les informer, les aviser et les aider dans leurs relations avec l’administration. Mais il lui revient d’abord, comme je l’ai dit souvent, de participer à l’élaboration des politiques gouvernementales. La connaissance du milieu qui l’a choisi, son expérience de la vie ou des affaires peuvent s’avérer indispensables en cette matière. Nous avons commencé à lutter contre le patronage systématique et nous allons continuer avec autant d’ardeur que jamais. Nous mettrons sur pied les structures qu’il faut pour y réussir. Déjà le danger du patronage éhonté est moindre qu’il ne le fut jamais, grâce à l’octroi des contrats par soumissions publiques, au contrôle plus adéquat sur les dépenses gouvernementales, aux normes administratives plus précises, aux nominations fondées sur le mérite, etc. Le gouvernement du Québec est devenu une grande entreprise; c’est le plus gros employeur de la province. Il importe de mettre fin aux méthodes folkloriques d’administration et d’établir des procédures et des politiques administratives efficaces qui permettent au gouvernement de s’acquitter des tâches immenses que lui ont confiées et que lui confieront encore les citoyens du Québec. Car – il ne faut jamais l’oublier – le gouvernement de notre province est la propriété collective de tous ceux qui vivent dans le Québec. Il n’est pas le fief exclusif des partisans d’une formation politique, quelle que soit cette formation politique. Notre devoir – et votre devoir à vous Jeunes Libéraux – est de propager cette idée et de la faire respecter. N’oublions jamais non plus que, le 14 novembre dernier, le peuple du Québec a voté pour nous parce qu’il savait que nous étions en voie d’établir un type nouveau de gouvernement. Il veut que nous poursuivions cette oeuvre et je vous demande de m’aider à y arriver. Nous avons encore beaucoup à faire; votre collaboration et celle de tous nos partisans de bonne volonté est plus nécessaire que jamais. Vous savez, notre parti court un risque. Il court le risque auquel ont à faire face tous les partis qui ont été élus pour en remplacer un autre dont l’inaction et le conservatisme étaient devenus la règle de vie. En effet, en prenant le pouvoir il s’est trouvé tellement de choses à reprendre, à réparer, à corriger; il s’est trouvé tellement de retards à combler qu’une très grande partie de nos énergies a dû être consacrée tout simplement à remettre un peu d’ordre dans une administration vétuste, poussiéreuse et décadente. Cela peut nous faire tous ensemble tomber dans une illusion qui serait désastreuse pour toute la province car nous risquons d’oublier que c’est en fonction de l’avenir qu’il nous faut travailler et non pas seulement en fonction des négligences d’une administration disparue. Jusqu’à maintenant le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger s’est attaqué aux deux aspects du problème dans-la mesure de ses moyens mais nous sommes encore aux prises, dans bien des secteurs, avec les séquelles du régime qui nous a précédé. C’est cette double tâche – rattraper les retards et préparer l’avenir – qu’il nous incombe de poursuivre, mais pour cela il nous faut conserver le dynamisme dont nous avons fait preuve jusqu’à maintenant. Nos bonnes intentions présentes doivent continuer à guider notre action. Nous comptons en particulier sur vous les jeunes libéraux, pour nous soutenir dans cette voie.
Je viens de vous faire part d’un des problèmes que nous aurons à résoudre – ou plutôt d’une des embûches que nous aurons à éviter – au cours des prochaines années. Il y a deux autres problèmes que je considère particulièrement importants. Nous devons voir à ce que, de plus en plus, les politiques décidées par le Conseil des ministres, ainsi que les directives qui en découlent, soient rapidement et intégralement appliquées par le personnel de l’administration provinciale. Cette déclaration, dans ma bouche, peut vous sembler étrange car vous direz-vous le Conseil des ministres est, après tout, avec l’Assemblée législative, la plus haute autorité au gouvernement du Québec et on doit, au niveau de l’administration proprement dite, traduire leurs décisions en actes.
C’est vrai, mais il y a de fait beaucoup plus que cela. Il ne suffit pas de transmettre des ordres, ni d’adopter des arrêtés ministériels ou même des lois pour qu’automatiquement la réalité en soit changée. On doit, par l’application de ces arrêtés-en-conseil ou de ces lois, transmettre un certain esprit, celui que veut la population et qu’elle manifeste ouvertement en choisissant un parti politique plutôt qu’un autre. Dans ce contexte, les fonctionnaires, comme serviteurs de l’État, participent à l’élaboration des politiques en soumettant leur avis et en fournissant la documentation pertinente. Une fois les décisions prises par l’autorité voulue par le peuple, ils ont le devoir de les appliquer avec le même esprit que celui dans lequel elles furent conçues. Ils n’ont surtout pas le droit d’y mettre d’obstructions, au contraire; ni le droit d’en faire bénéficier leurs amis au détriment des autres; ni, encore moins, le droit de ne pas donner suite, d’une façon ou de l’autre, aux volontés de l’autorité exprimées sous forme de lois ou de règlements.
J’admets que, depuis 1960, il a pu y avoir, dans quelques cas, brisures entre les décisions et les actes qui normalement devaient s’ensuivre. Certains de mes collègues ont déjà parlé de sabotage. Cette expression, un peu imagée, ne s’applique évidemment pas partout dans l’administration provinciale car la très grande majorité des fonctionnaires s’acquittent de leurs fonctions consciencieusement, selon le mode que je viens d’indiquer. Il s’est trouvé aussi de nos amis libéraux pour nous dire que le patronage se continuait de plus belle, mais en faveur de nos adversaires. Cela est peut-être vrai dans certains cas mais on a certainement exagéré. Après tout, il est impossible à une équipe d’hommes, même la mieux intentionnée, de suivre à tout moment ce qui se passe dans chacun des services d’une entreprise aussi étendue que le gouvernement du Québec. De toute façon, je puis vous assurer aujourd’hui que nous mettrons ordre aux excès qui ont pu se produire, mais que nous ne tomberont certainement pas dans le défaut contraire. Ainsi, nous n’avons nullement l’intention, pas plus en 1962 qu’en 1960, de remplacer graduellement les fonctionnaires par des gens que nous choisirions à cause de leurs sympathies libérales. Le critère fondamental, dans le choix des fonctionnaires et dans leur promotion, doit être la compétence et non l’affiliation politique. Nous tenons absolument à cette règle.
Il n’entre pas non plus dans nos projets de remplacer le patronage qui s’est fait systématiquement contre nous, par du patronage qui se ferait systématiquement en notre faveur. C’est peut-être ce que regrettent certains de ceux qui se sont plaints, mais là non plus nous ne modifierons pas notre façon actuelle d’agir. Le gouvernement du Québec est au service de toute la population et c’est ainsi que le peuple qui nous a élus désire qu’il demeure. L’époque du favoritisme politique et de l’arbitraire administratif doit être finie dans le Québec.
Le second problème que nous avons à résoudre est celui du contact avec la population. Vous n’ignorez pas combien peut être absorbante la responsabilité qu’on nous a confiée d’administrer le patrimoine commun du Québec. Si nous ne réagissons pas, nous pouvons facilement être conduits à une situation où nous serions constamment occupés à l’administration proprement dite. Ce serait regrettable car ainsi nous perdrions facilement contact avec la population. Est-ce à dire qu’il faille moins travailler et se consacrer davantage à la publicité? Dans ce cas, c’est le risque inverse qui nous menacerait.
Dans tout cela, il y a un juste milieu. Il ne s’agit pas de faire de la propagande politique à outrance, ni de nous engager dans le lavage de cerveaux, mais bien plutôt d’informer la population de ce que nous faisons, de ce que nous avons l’intention d’accomplir et de leur faire part des problèmes et des difficultés que nous y rencontrons. C’est exactement le but que je poursuis dans la série d’émissions de télévision qui a débuté le 25 janvier.
Cette information doit être transmise sous le signe de la sincérité et de la franchise. Il ne peut plus être question de bâtir des mythes ni de cacher la vérité aux citoyens. Laissons cette façon d’agir aux partis qui ne se sont pas encore aperçu que, depuis plus de dix ans, nous sommes dans la seconde moitié du vingtième siècle et que la population est plus renseignée que jamais. Elle a le droit de savoir la vérité et c’est notre devoir de la lui faire connaître, même si parfois cette vérité n’est pas rassurante.
Si vous aviez, comme moi, fait le tour de la province à l’occasion de la dernière campagne électorale, vous vous seriez vite rendu compte combien nos gens ont besoin d’avoir confiance en quelqu’un et combien aussi ils méprisent – et avec raison – ceux qui ne font pas confiance à leur jugement et à leur intelligence. Ils tiennent à ce qu’on leur parle clairement, sans détour, sans faux-fuyant. Les citoyens savent fort bien que les hommes politiques ne sont pas des personnages tout puissants ou omniscients. Ils savent que les hommes politiques peuvent se tromper. Cela ne les étonne pas. Ils veulent tout simplement être convaincus que ceux qu’ils ont élus mettent toute leur bonne volonté à remplir leur devoir. Et nous ne pourrons les convaincre qu’en leur parlant franchement et souvent.
D’ailleurs le mode de vie démocratique, s’il doit être pleinement vécu, exige qu’il en soit ainsi. Il suppose des échanges de vues entre le peuple et ceux qui le gouvernent. Il suppose des explications. Il suppose que les gouvernants disent clairement au peuple où ils veulent le conduire. Il suppose surtout que ces gouvernants savent où ils vont.
Pour notre part, nous du Parti libéral du Québec, nous le savons. Nous l’avons exprimé en détail dans notre programme politique de 1960 et dans notre manifeste, de 1962. Dès 1960, nous nous sommes mis à l’oeuvre sans attendre, trop vite, ont dit certains. En 1961, nous avons continué. En 1962, nous avons voulu consulter le peuple sur un projet grandiose auquel nous étions arrivés après maintes études et consultations: la nationalisation de l’électricité. Le peuple nous a approuvés et maintenant, en 1963, nous nous attaquons à cet objectif nouveau.
Je voudrais, en terminant, vous laisser une idée à vous qui appartenez à notre parti et qui êtes son avenir. Ce qui importe pour les années qui viennent, c’est moins de lutter contre nos adversaires que d’appliquer toutes nos énergies à la diffusion d’un idéal qui convienne aux aspirations et aux besoins de notre peuple. Pour cela, il faut que notre idéal se colle à la réalité qui nous entoure, qu’il s’en nourrisse. Si nous réalisons cet objectif, nous aurons laissé nos adversaires loin derrière nous. D’une certaine façon nous n’aurons plus à en tenir compte car ils symbolisent les forces qui s’opposent à l’idéal que recherche le peuple du Québec. Ils seront du fait même rejetés par lui et cela pour d’autant plus longtemps que nous ferons nous-mêmes partie d’une formation politique qui sera toujours aux aguets, qui se renouvellera constamment et qui conservera bien agissant le dynamisme dont vous êtes vous, les Jeunes Libéraux, l’expression actuelle et le gage de persévérance.
[QLESG19630211]
[11 e Salon National de l’Agriculture Montréal, lundi le 11 février 196 Pour publication après 7:00 hres p.m. Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec le 11 février 1963]
J’avais deux raisons bien particulières d’accepter avec plaisir l’aimable invitation que vous m’avez transmise de me joindre à vous à l’occasion de votre banquet annuel.
Je dirai d’abord que j’aime toujours m’associer à des organismes qui, comme le vôtre, s’efforcent d’accélérer par des moyens efficaces le progrès d’une industrie aussi vitale chez nous que celle de l’agriculture. Dans notre société actuelle, les problèmes qui confrontent l’administration publique sont d’une complexité telle que leur solution dépendra beaucoup plus d’une coopération éclairée des groupements de citoyens avec les divers gouvernements, que de ces gouvernements eux-mêmes s’ils devaient agir seuls. Ce que je viens de dire est particulièrement vrai de l’agriculture, et la collaboration de tous ceux qui s’y emploient ou qui en vivent d’une façon ou de l’autre y est peut-être encore plus utile qu’ailleurs. En effet, s’il est isolé, le producteur ne peut pas trouver une solution durable à ses problèmes; si, au contraire, il se groupe avec d’autres producteurs en vue d’une action commune, il peut espérer le succès. C’est du moins ce que démontre clairement l’expérience coopérative dans le domaine agricole.
L’autre raison pour laquelle je devais, me semble-t-il, me rendre à votre invitation, c’est que le gouvernement du Québec est maintenant prêt à apporter aux problèmes de l’agriculture de notre province des solutions qui auront, croyons-nous, l’avantage de s’attaquer aux racines du mal plutôt qu’à ses seules manifestations. Je suis heureux, ce soir, non pas de vous exposer ces solutions en détail j’imagine que vous en connaissez l’essentiel mais de tenter d’en dégager le sens.
Nous avons voulu, en tout premier lieu, adopter dans le domaine agricole une attitude réaliste. Par là, je veux dire que nous avons voulu carrément reconnaître les problèmes qui existent dans cette industrie et aussi accepter, pour le gouvernement du Québec, une part importante de responsabilité dans la découverte de solutions véritables et durables. Il ne sert à rien, je pense bien – d’ailleurs il peut même être très néfaste – de nous illusionner sur la nature des difficultés de l’agriculture moderne et de nous faire croire qu’elles ne sont que temporaires. Au contraire, elles sont bel et bien l’indice d’une situation en profondeur que nous devons attaquer de front, même s’il faut pour cela réorganiser presque entièrement la nature de l’exploitation agricole dans certaines régions du Québec.
Je ne vous apprends rien évidemment en vous disant que trop de cultivateurs québécois ne réussissent pas à vivre de leur terre. La situation existe chez nous depuis déjà longtemps on la retrouve aussi dans d’autres provinces et les moyens habituels d’aide à l’agriculture ne sont plus suffisants pour parer à tous les cas de cette nature. Les subventions diverses, les primes et beaucoup d’autres politiques d’encouragement à la production, à la mécanisation et à la mise en marché ont eu leur utilité, et même leur nécessité, pendant un certain temps et elles l’ont encore. Mais ce serait être injuste envers certains producteurs marginaux, à qui elles sont destinées, que de leur donner l’impression qu’il peut en être ainsi indéfiniment et qu’ils pourront réussir. L’aide que le gouvernement leur accorde ainsi, à ces producteurs marginaux, ne fait que retarder une échéance qui sera d’autant plus désastreuse qu’elle aura été longtemps reportée à plus tard.
C’est pourquoi d’autres politiques s’imposent. Le programme d’Aménagement des Ressources et de Développement Agricole (ARDA) dans lequel le Québec s’engage appartient à ce groupe de politiques. Évidemment, il ne faut pas en attendre la solution finale et définitive de tous les problèmes auxquels l’agriculture peut faire face, et encore moins leur solution immédiate par des subsides versés aux individus, Mais ARDA contient des éléments de solution qui apporteront une direction nouvelle à l’agriculture de nos régions particulièrement défavorisées.
[Because ARDA (the Agricultural Rehabilitation and Development Act) contains such elements capable of changing the marner in which farming is being carried out in several ragions, I must stress the spirit in which the provisions of this Act are applied in Quebec. This, I believe, is an essential point, because agriculture is far’more a way of life than a simple foret of employment. And if it is a way of life, it is influenced by the dominant racial culture in the ares in which it is being carried on. In Quebec, for exemple, the behaviour of our farmers and the way they live are rot necessarily similar to those of farmers living in other parts of Canada.
ARDA is’a joint programme. The attitude of the Quebec Government towards joint programmes is already well known. Amongst other things, we accept the ones which are at present in force, on condition that they respect the cultural characteristics which we in Quebec cherish and intend to save. And I will not hide from you the fact that ARDA could, if badly directed, prove itself to be contrary to these cultural characteristics.
In this way, and rightly so, the Quebec faner intends to keep his individuality — and the farmers from the rest of Canada are very much
like him in this respect. Furthermore, and this is what sets him spart from his fellowcountrymen of other cultures, the agricultural life both to him and to us
• is so bound up with our origine and with the survival of French Canada that it cannot be radically changed without risking the disappearance of the deeply rooted family and social traditions of our province. Consequently, we look upon ARDA as an instrument that will allow us to facilitate developments which have already been started, such as the consolidation of fan lands, and to bring about the return of unprofitable agricultural land to the forent. But I do not look upon ARDA as a programme that will be used to force-changes for which ourfaners are neither prepared nor to which they will consent, such as, for exemple, a kind
• of dictatorial collectivisation of fans. Our Department of Agriculture interprets ARDA within a completely democratic context, and from this fact, takes into account the underlying realities to which this programme must be adapted. And these realities are not the sanie here in Quebec as the ones to be found, for instance, in the western provinces.]
Pour ces raisons, nous mettons l’accent sur la coopération entre les cultivateurs car ce sont eux qui, en définitive, auront à accepter ou refuser les possibilités que leur offre un programme comme ARDA. Nous ne voulons forcer personne à quoi que ce soit, mais par un processus d’éducation qui, il faut le reconnaître, peut être assez long, nous voulons inciter les cultivateurs des régions défavorisées à s’aider eux-mêmes.
Cela ne veut pas dire que notre attitude générale en sera une de passivité ou de laisser-faire. J’ai dit que nous entreprendrions une oeuvre d’éducation et de persuasion. Des équipes de travailleurs communautaires, terme que j’emploie faute d’une expression plus précise, expliqueront aux intéressés les avantages du programme d’aménagement et de développement, et insisteront sur la nécessité de la coopération entre cultivateurs.
Il est d’ailleurs certains faits qui portent à réfléchir sérieusement. Le plus évident, c’est qu’il faut absolument, en toute justice sociale, améliorer le revenu de la classe agricole du Québec. Parfois, en milieu urbain, on est porté à croire que le faible revenu de trop de cultivateurs est le symptôme d’une inefficacité marquée de la production. Il y a peut-être du vrai dans cette opinion pour autant qu’elle concerne certains producteurs marginaux victimes de situations défavorables. Mais, dans l’ensemble, l’agriculteur québécois produit aujourd’hui suffisamment de nourriture pour satisfaire aux besoins d’une trentaine de consommateurs, soit trois fois plus qu’il y a vingt ans. Quant au citadin qui, lui, est davantage porté à croire que l’agriculture est une industrie peu efficace, il achète beaucoup plus de pain, de beurre et de lait aujourd’hui avec le fruit d’une heure de travail qu’il ne le faisait il y a vingt-cinq ans. Si le revenu agricole est faible, ce n’est pas le résultat de l’inefficacité de certains cultivateurs qui sont, je le répète, beaucoup plus souvent victimes d’un état de choses dont ils ne sont pas responsables, qu’artisans de leur propre niveau de vie la mécanisation accrue – et de là la production plus abondante – et les difficultés de mise en marché sont aussi et pour beaucoup la cause de revenus relativement moins élevés par unité de production agricole. La hausse des coûts d’exploitation est également une des raisons majeures de cette situation.
Le ministère de l’Agriculture du Québec, conscient comme ministère de toutes les difficultés qui ont surgi, ne croit pas qu’il soit capable de résoudre seul les nombreux problèmes qui se posent.
J’ai parlé, il y a un instant, de la collaboration qui devait exister entre les producteurs agricoles. Le ministère de l’Agriculture veut, lui aussi, mettre en pratique ce principe de collaboration qu’il souhaite voir adopté par les intéressés dans la poursuite des plans d’aménagement et de développement. Il ne se renferme pas sur lui-même en vertu d’une compartimentation administrative qui serait mal indiquée dans le cas présent. Il collabore au contraire avec des organismes comme le Conseil d’Orientation économique du Québec, et il participe à un Conseil interdépartemental formé de représentants de neuf ministères intéressés. Il travaillera aussi en étroite collaboration avec les comités locaux d’aménagement et les conseils régionaux d’orientation économique.
Au moment où je vous parle il a déjà préparé des plans d’aménagements paroissiaux et régionaux. Comme vous le savez, la région pilote d’aménagement rural sera la région du Bas-St-Laurent-Gaspésie.
[In short, I would say,that not only the point of view that it suits us to adopt in Quebec concerning the application of ARDA is designed to include the traditional characteristics andthe needs of the citizens of the province, particularly those of the farmers, but the spirit of cooperation which we want to see at work everywhere in the lire of action that is being followed by our Department of Agriculture.
I do not say that everything we do will inevitably be crowned
with success, but I do believe that we are on the right
road. In any case, it is probably the first time in Quebec that a government has shown so much determination to get to the root of the evil. À major reorientation is called for in our agriculture, especially in the less favoured regions, and we have the firm intention of
sparing no efforts in this respect.]
Pourtant, comme Premier ministre du Québec – et je l’avoue bien sincèrement – il est un fait qui me cause bien des soucis. Je suis témoin de l’effort que nous fournissons du côté de l’agriculture, comme d’ailleurs dans d’autres domaines, mais je suis tout à fait conscient que ce que nous faisons présentement, malgré toute l’énergie que nous y mettons, ne donne pas nécessairement des résultats immédiats. En d’autres termes, les plans que nous élaborons en détail, les programmes que nous traçons, les études que nous poursuivons ne résoudront pas ce soir les problèmes financiers du cultivateur dont le revenu, je l’admets, est nettement insuffisant pour les besoins de sa famille. Je vous dirai franchement qu’il n’existe pas de solutions immédiates et magiques aux problèmes agricoles. Je crois que nous devons être francs envers une population qui nous a fait confiance et lui dire nettement ce qui en est. D’ailleurs, notre population ne croit pas aux solutions miracles. Le cultivateur du Québec est assez réaliste pour savoir que si des solutions simples et faciles existaient, elles auraient déjà été appliquées.
En conséquence, nous aurons au moins pour un temps, à continuer l’application des méthodes habituelles d’aide à l’agriculture même là où nous savons que leur efficacité est limitée. Nous aurons à aider de toutes sortes de façons ceux de notre population agricole que le sort a défavorisés. Dans l’intervalle, cependant, nous mettons sur pied les programmes qui, comme ARDA et les autres auxquels nous songeons, apporteront aux problèmes agricoles des solutions durables.
Nous savons que la population du Québec comprend et accepte le point de vue de son gouvernement. Nous savons qu’elle l’approuve d’agir comme il le fait à l’avantage de toutes les classes de notre société. Or, la classe agricole est plus particulièrement aux prises avec des difficultés qui réclament, de la part du gouvernement, une action hardie et conforme aux besoins actuels. Notre action est déjà commencée et elle se continuera dans la même direction. Nous avons foi en l’avenir et surtout en notre milieu agricole. Et, ce qui est plus encourageant encore, notre classe agricole, j’en suis convaincu, a confiance en elle-même.
[QLESG19630216]
[lle Congrès du Barreau de la province de Québec Montréal, le 16 février 1963 Pour publication après 7:00 hres p.m.
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 16 février 1963]
Je me trouve ce soir parmi des confrères et des amis. Je vous remercie sincèrement de me fournir cette occasion de renouer les liens de fraternité qui nous unissent. Il m’arrive souvent de parler à des groupes de professionnels. Ceux que j’ai été à même de rencontrer, depuis que je suis Premier ministre, appartiennent à toutes les disciplines et à presque tous les secteurs d’activité humaine. Je me trouve ce soir devant une imposante assemblée d’avocats et de professionnels du droit qui vivent et exercent dans le Québec, et je suis sûr que certaines réflexions que je me suis faites sur l’évolution actuelle de notre province correspondent à celles qui vous sont vous-mêmes venues à l’esprit. Je voudrais, ce soir, vous en faire part brièvement, car la réalité qui les a provoquées vous intéresse, comme spécialistes du droit et donc des institutions humaines, peut-être plus que n’importe quel autre groupe professionnel. On entend fréquemment des gens nous dire que la province de Québec traverse aujourd’hui une période de changements économiques et sociaux rapides et que ces changements dépassent, par leur ampleur, tout ce qui a pu se produire de ce genre dans le passé. Pour certains, il n’y a dans tout cela qu’une manifestation temporaire dont on exagère la portée; ils croient que bientôt on retournera à l’équilibre antérieur et que l’effervescence présente apparaîtra, avec le temps, beaucoup moins profonde dans ses causes et ses effets qu’on ne se l’imagine maintenant.
Pour d’autres; par contre, le Québec vient d’entrer dans une ère de transformations majeures de nature à changer entièrement le visage qu’il affichait traditionnellement; ces personnes croient à une brisure complète entre le passé et l’avenir du Québec. Pour elles, nous serions actuellement en train de vivre cette brisure et les changements dont nous sommes tous témoins ne seraient que les signes avant-coureurs d’autres changements encore plus marqués.
J’ai bien l’impression, pour ma part, que la réalité se situe à mi chemin entre ces deux opinions. Au fond, ce qui se produit, c’est que le Québec est tout simplement occupé à se donner les institutions économiques et sociales qui lui manquaient pour avancer dans la voie du progrès. Tout cela crée évidemment un certain bouleversement dans la façon de vivre et de penser d’une partie du peuple québécois, mais je m’empresse d’ajouter que celui-ci, dans son ensemble, ne sentirait aucunement la nécessité d’institutions nouvelles si son mode de vie et sa mentalité n’avaient pas commencé à se transformer eux-mêmes de l’intérieur. En effet, il y a une interaction réelle entre le comportement d’un peuple et ses institutions; à leur tour, ces institutions influencent le comportement, et ainsi de suite. Il ne s’agit pas, à ce propos, de tomber dans l’erreur du matérialisme historique, mais seulement de constater des faits dont le Québec est la scène.
D’ailleurs, toutes proportions gardées, de tels faits ne sont pas particuliers à notre province; d’autres sociétés que la nôtre les ont vu survenir et leur évolution subséquente s’en est ressentie.
[For exemple, let us think back to the beginnings of western capitalism. There came a certain moment in history when, as a result of the pressure of liberal ideas of the tire, sooiety wished to throw off restrictions which dated, for the most part, from the middle ages. There restrictions were gradually abolished, and a new kind of society began to emerge. But in addition to a strong desire for freedom, this society held to the ideal of increased material progress. Individuals felt the neceosary strength and dynamisn to devote ail of their.energies towards reaching this goal; but in order to reach it, they needed ways and means which did net thon exiet. It was in this manner that the limited liability company was born, and has rince becone the modem corporation. This type of enterprise, and overything that lias tome from it in methods of financing, was precisely the thing that was laoking at thut time for people to risk
important
0
• amounts of capital in what were somecimes risky undertakings, and which resulted in giving a atrong forward movement to trade and industry. It is to this foret of business enterprise that the western world oves for a large part, as you know, the development of its standard of living in the few last generations.]
Ce qu’il importe de noter toutefois, c’est qu’une fois créée l’entreprise à responsabilité limitée a eu une énorme influence, par ses effets, sur le comportement de toute la société. Elle l’a, pour ainsi dire, transformée et, à la mentalité traditionnelle de l’époque antérieure, a succédé une mentalité nouvelle où la liberté entière d’action était considérée comme la condition première du progrès économique et social. Nous qui vivons dans la seconde moitié du vingtième siècle savons évidemment que libéralisme économique a, à son tour, en plus de donner des résultats positifs indéniables, suscité des problèmes dont les conséquences se sont répercutées, à travers le temps, jusqu’à nous. Plusieurs des efforts de la société contemporaine visent à corriger ces défauts, tout en conservant certains des avantages obtenus.
Et aujourd’hui encore, nous assistons à la création d’institutions nouvelles dont le but est, maintenant comme dans le passé, de fournir à la société les moyens d’action nécessaires à la poursuite des objectifs qu’elle s’est fixée. Je pense, par exemple, au Marché Commun ou aux sociétés d’entreprise mixte, fréquentes en Europe continentale.
Je pourrais continuer pendant longtemps à vous citer des faits illustrant la façon dont les sociétés humaines, à un certain moment de leur histoire et face à des problèmes nouveaux, ressentent le besoin de se donner des instruments leur permettant de réaliser leurs aspirations de façon plus efficace. Je pense cependant que les quelques exemples apportés suffisent pour démontrer que les sociétés sont en constante évolution et que les institutions qu’elles créent sont à la fois des conséquences et des causes de cette évolution. Revenons maintenant au cas du Québec moderne. Les transformations qui s’y produisent actuellement prennent un sens beaucoup plus juste si on les considère dans la perspective dont je viens de donner un exemple. Ainsi, on voit qu’il ne s’agit, dans ces transformations, ni d’un sursaut passager d’éléments instables de notre société, ni d’un renversement définitif et brutal d’un mode de vie auquel nous étions habitués. De fait, le Québec vient de prendre conscience de lui-même et, du même coup, de se rendre compte de la tâche immense qu’il lui faut entreprendre pour atteindre les objectifs nouveaux que cette prise de conscience lui révèle être indispensable à sa vie comme entité distincte et à son progrès comme collectivité humaine.
Les objectifs de la société québécoise actuelle sont l’affirmation économique et l’affirmation culturelle. Le premier provient de ce que le peuple du Québec se rend bien compte qu’il est, comme je lai déjà dit à plusieurs reprises, trop absent du monde de l’industrie, du commerce et de la finance; et que des décisions s’y prennent sans qu’il ait même à donner son avis sur des décisions le touchent parfois de très près. Il voit aussi que souvent le Québec se développe non pas en fonction des besoins de notre population mais en fonction des besoins des entreprises qui exploitent nos richesses et nos matières premières. Il sait surtout que sa vie comme groupement humain distinct au Canada et en Amérique du Nord ne sera pleine et entière que si elle s’appuie sur des assises économiques fortes.
Pour toutes ces raisons le temps venu de créer des institutions économiques permettant à notre peuple de s’affirmer dans un domaine où il est jusqu’à maintenant presque étranger. C’est de ce sentiment qu’est née la Société Générale de Financement et l’Hydro-Québec prendra, avec la nationalisation des onze compagnies privée, d’électricité, une dimension à la mesure des besoins du Québec moderne. Le Conseil d’orientation économique se place dans le même courant d’idées, en ce sens que grâce à la planification économique de type démocratique à laquelle il se prépare il visera à ce que le développement économique du Québec se fasse de façon cohérente et équilibrée. La création d’un ministère des Richesses naturelles obéit aux mêmes préoccupations générales. Il en est ainsi des modifications que la Législature vient d’apporter aux lois coopératives. En somme, le Québec se donne les moyens d’affirmation économique dont il a un besoin pressant, ou bien encore il modernise ceux qu’il a déjà. Quant à l’affirmation culturelle, elle constitue en réalité une aspiration déjà ancienne chez nous, mais dans la situation actuelle elle prend valeur d’objectif primordial. Dans le passé on ne lui a pas suffisamment donné d’appui vraiment efficace. Aujourd’hui, le peuple du Québec a accepté de repenser son système d’éducation, ce qui pourra aussi l’aider du strict point de vue économique. Par l’entremise du gouvernement, il s’est également enrichi d’un ministère des Affaires culturelles.
L’affirmation culturelle ne peut toutefois pas être limitée au seul territoire du Québec. Pour être vivante, une culture doit s’épanouir à l’extérieur de ses frontières naturelles, car elle tire profit du contact avec les autres cultures. Le peuple de la province veut s’affirmer sur le plan canadien et aussi sur le plan international. C’est là le but poursuivi par notre ministère des Affaires culturelles et par l’établissement de nos délégations générales à Paris et à Londres. Là encore il y avait un vide à combler et le Québec a vu à créer les institutions nécessaires à cette fin.
Maintenant que ce vaste mouvement est en bonne voie, à la suite d’un regain de dynamisme que certains qualifient de subit, il va se continuer de telle sorte que le peuple québécois pourra dorénavant disposer de tous les éléments dont il peut avoir besoin pour s’affirmer.
[With your indulgence, I would now like to bring out the lesson that can be learned from the present changes that are taking place in our province.
First of all, what appears to a lot of people to be a period of instability and reappraisal is nothing more than a return to normal. In other words, what I mean is that the people of Quebec have given themselves, in the space of a few months, social and economic institutions £rom which they could have benefited years ago. After a long period of calm and passivity — a period caused by a great number of factors which would take too long to discuss tonight — our people are trying to make up for lost time, and to do this, they must make an effort of which there are few examples in our history. It is therefore normal for them to be takipg up
matters anew, even some of those things which we had all learned to look upon as being definitely settled.]
Mais ce qui me frappe dans tout cela, c’est que les Québécois, dans leur immense majorité, ne sont pas inquiets du lendemain. Au contraire, ils ont en l’avenir une confiance qui étonne les observateurs étrangers. Ils viennent de se rendre compte de leur force véritable; cela leur donne un sentiment de puissance et confère à leur volonté d’affirmation une portée à laquelle s’attendraient peu nos compatriotes des autres provinces. De son côté, le gouvernement du Québec est devenu en quelque sorte le levier dont les citoyens ont résolu de se servir pour mener à bien leur entreprise d’affirmation économique et culturelle. Il a lui aussi, comme institution, changé de sens; il est devenu actif et plus que jamais s’est mis au service de la collectivité. Il y a plus encore et c’est sur cette idée que je voudrais terminer. On a pu remarquer, dans bien des pays, que le peuple subissait les effets des institutions nouvelles créées par les gouvernements, sans avoir lui-même participé à leur élaboration. Cela est vrai notamment des régimes dictatoriaux. Or, je ne crois pas que cela pourrait survenir chez nous. Je suis même prêt à dire que les politiques actuelles du gouvernement ne sont que les conséquences des désirs que la population exprime par la voix de ses représentants, des associations dont elle fait partie ou encore des médias d’information et de publicité. Il n’en a peut-être pas toujours été ainsi, mais avec la prise de conscience qui s’est produite chez nous depuis quelques années et l’augmentation du degré d’éducation, il n’y a aucune
raison de croire que le peuple du Québec perdra contact avec son gouvernement et que l’opinion publique se désintéressera des affaires de l’État.
De cette façon, l’action que le gouvernement pourra dans l’avenir avoir sur l’évolution de la société québécoise ne fera en définitive que résulter du désir même qu’aura cette population de modifier son comportement et sa façon de vivre. En d’autres termes, le gouvernement ne pourra damais devenir étranger aux préoccupations du peuple, non plus qu’y être indifférent.
S’il obéit à la population, comme je viens de le laisser entendre, le gouvernement la guide aussi, mais il ne la guide que dans des directions où elle veut bien s’engager. Je crois que c’est là l’essence même de la démocratie. Quand on prend l’avion, on a déjà choisi sa destination; mais quand on est dans l’avion, on s’en remet à l’esprit de décision du pilote.
Et, dans cet esprit, la condition première du progrès m’apparaît être l’adaptation constante de nos institutions économiques et sociales aux réalités qui nous entourent, de telle sorte qu’elles réussissent à satisfaire les aspirations profondes des Québécois.
C’est cette oeuvre d’adaptation nécessaire que nous avons entreprise. Elle trouble peut-être le calme dont s’accommodaient certains groupes; mais à la demande même de la majorité, nous avons la ferme intention de la poursuivre.
[QLESG19630318]
[L’ÉVANGELINE – Campagne de souscription
Québec. le 18 mars 1963 Pour publication après 7:00 hres P.M.
HOn. Jean Lesage. Premier Ministre le 18 mars 1963]
Il n’est pas habituel, en cette période de l’année – alors que le Parlement est en pleine session et que le Conseil exécutif de la province s’occupe activement à la préparation du budget – il n’est pas habituel, dis-je, que le Premier ministre accepte l’une ou l’autre des nombreuses invitations qui lui sont faites de porter la parole en public. Si j’ai consenti à déroger ce soir à la règle établie, c’est pour, deux raisons bien particulières.
Les quotidiens et les hebdomadaires de langue française du pays ont accepté avec joie et empressement de conjuguer leurs efforts pour venir en aide à l’un des leurs. Cette unanimité de notre presse – qui ne se produit pas tous les jours, on l’admettra – démontre sans équivoque l’importance de la cause que nos journaux ont entrepris de faire triompher. Il s’imposait que le Premier ministre de la seule province française du pays contribue de sa personne à cette cause, en acceptant l’invitation qui lui était faite conjointement par l’Association des quotidiens de langue française et par l’Association des hebdomadaires de langue française du Canada.
Mais il est une autre raison que je crois plus importante encore. Dans le petit dépliant publicitaire que nos journaux ont fait imprimer pour les fins de la campagne d’aide à 1’Évangéline, il est dit que laisser mourir le seul quotidien français des Maritimes [« serait une catastrophe nationale et marquerait un recul considérable dans la conquête des droits des Canadiens français en ces provinces »]. Voilà qui est grave – voilà qui nous impose des obligations. Et il n’est pas difficile de constater où se situe notre devoir. S’il est un domaine où le gouvernement de l’État du Québec possède déjà le mandat d’agir, c’est bien celui de notre langue et de notre culture. En effet, à deux reprises déjà en l’espace de vingt-sept mois, le peuple du Québec a démontré sa volonté d’affirmer, par la langue et la culture, notre présence française sur le continent nord-américain. Et il a consenti, pour cela, à ce que le Québec se constitue la mère patrie des trois ou quatre millions de Canadiens français et d’Acadiens qui vivent au-delà de nos frontières, en Ontario, dans les Maritimes, dans l’Ouest, en Nouvelle-Angleterre et en Louisiane. Dans ces conditions, je crois bien qu’il n’est pas nécessaire pour moi de préciser qu’il nous appartient à nous, du gouvernement de la province, d’encourager et de seconder les organisateurs de la campagne d’aide à l’Évangéline qui veulent faire une réussite de cette souscription nationale en faveur du journal des Acadiens! Je suis sûr d’ailleurs qu’ils connaîtront le succès.
Il n’est pas dans mes intentions de résumer, même brièvement, l’histoire à la fois émouvante et étonnante du peuple acadien, peuple de langue française et de foi catholique qui a connu en terre d’Amérique un destin bien différent de celui des descendants des pionniers du Québec. Vous tous ici ce soir, qui avez accepté d’unir vos efforts pour faire triompher la cause de l’Évangéline, savez les terribles épreuves qu’ont subies les Acadiens et les obstacles multiples qu’ils ont dû surmonter pour survivre, se regrouper et réussir finalement à faire entendre leur voix dans cette partie du Canada qu’on appelle les provinces maritimes.
Je me contenterai de rappeler qu’ils constituent de nos jours un groupe compact et bien organisé – que les progrès qu’ils ont accomplis depuis trois quarts de siècle ont été édifiants qu’ils exercent une influence indispensable, surtout au Nouveau-Brunswick où ils constituent près de quarante % de la population. Comme le soulignait récemment le président de 1’Évangéline Limitée devant la Chambre de Commerce de Montréal: [« Les Acadiens ont fait en sorte que le Nouveau-Brunswick est peut-être la province qui constitue la meilleure réplique du Canada lui-même par rapport à la composition de ses principaux groupes ethniques »].
Il est sans doute vrai, comme le disait encore Me Adélard Savoie, que l’Acadien se distingue suffisamment du Canadien français pour incarner un type différent – qu’il parle différemment qu’il s’amuse autrement – que ses chansons, ses légendes et ses traditions n’ont pas le même souffle que les nôtres. Mais sa voix est française et il appartient, de ce fait, à cette grande famille dont l’État du Québec se veut être à la fois le défenseur et le héraut sur notre continent.
Il y a quelques jours à peine, nous avions une preuve nouvelle de l’appartenance indéniable de la communauté acadienne à la nation canadienne-française. C’est en effet au directeur de 1’Évangéline, monsieur Emery LeBlanc, que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a accordé cette année son Grand Prix de Journalisme – le prix « 0livar Asselin 1963 » du nom de l’un des plus grands journalistes qu’ait connus le Québec.
Je sais me faire ici l’interprète de toute la population française du Canada, et même des États-Unis, en présentant à monsieur LeBlanc les félicitations les plus chaleureuses pour l’honneur qu’il vient de se mériter et qui rejaillit sur tout le peuple acadien.
À plusieurs reprises déjà, il m’a été donné de dire publiquement l’importance que représente pour notre groupe ethnique sa presse écrite et parlée. Ai-je besoin de rappeler que notre histoire – et à cet égard celle de l’Acadie s’apparente à celle du Canada français – que notre histoire, dis-je, démontre que le journalisme fut longtemps presque la seule profession qui, à côté du clergé, a maintenu les valeurs de la culture et les oeuvres de la pensée chez nous.
Les choses ont évidemment bien changé depuis. Le journalisme, comme toutes les autres professions et toutes les autres entreprises, a dû se transformer progressivement afin d’être toujours bien de son temps et d’en refléter fidèlement toutes les réalités. Le journalisme connaît donc lui aussi de plus en plus les spécialisations. Cependant, malgré toutes les préoccupations nouvelles qui l’assaillent en cette époque de difficultés et d’évolution, notre presse sait demeurer fidèle à sa mission première: celle d’être un dynamique instrument de diffusion de notre langue et de notre culture. En ce sens, elle est pour nous plus qu’un service public: elle est véritablement une vocation, avec tout ce que ce mot renferme d’austère et de consolant.
Un dîner comme celui-ci, qui réunit un grand nombre de journalistes et d’administrateurs de journaux désireux d’aider un confrère, présente une certaine tentation pour celui qui vous parle. C’est celle de vous entretenir des rapports entre la presse et le pouvoir. Je m’en voudrais cependant d’y succomber. D’abord, parce que j’ai déjà eu l’occasion de traiter ce sujet passionnant devant l’Union canadienne des Journalistes de langue française, peu après que je fus devenu Premier ministre du Québec – ce qui est encore assez récent! – ensuite, parce qu’au plan de la langue et de la culture, la presse et le pouvoir chez nous, loin de s’affronter, partagent le même but et le même idéal. Je dirai même que, dans ce domaine tout au moins, tous deux sont à ce point fidèles au bien de notre groupe ethnique que leur action les identifie presque l’un à l’autre. N’est-ce pas là d’ailleurs la raison qui fait se retrouver ce soir à la même table les représentants de la presse et du pouvoir?
Une assemblée comme la vôtre sait déjà quel appui non équivoque nos journaux apportent au mouvement que je dirige dans ses efforts pour faire du Québec notre État national et mieux faire ainsi rayonner le fait français en terre d’Amérique. Dans le même esprit, notre province à son tour n’éprouve aucune hésitation à seconder officiellement et tangiblement la presse de chez nous dans sa décision combien louable d’assurer la survivance et le progrès du journal national des Acadiens.
Je me souviens d’avoir déjà dit à un groupe de journalistes qu’il n’y a de citoyens responsables que les citoyens éclairés, et qu’il n’y a de citoyens éclairés que là où existe une presse responsable. Si l’on regarde jusqu’à quel point les Acadiens, en dépit des difficultés énormes qu’ils ont eu à vaincre, ont su assumer constamment leurs responsabilités, il ne fait pas de doute qu’ils sont des citoyens éclairés. Et une très large part du mérite en revient surtout à l’Évangéline, le seul quotidien de langue française des Maritimes.
Tous conviendront, je crois, que le journal l’Évangéline est irremplaçable dans son milieu. Comme l’a écrit un quotidien de la métropole, l’Évangéline est en quelque sorte le catalyseur des nouvelles des centres français des quatre provinces atlantiques et nous lui sommes redevables de les diffuser quotidiennement au reste du Canada. C’est l’Évangéline encore qui polarise toutes les bonnes volontés, tous les mouvements d’affirmation française, tous les efforts économiques des nôtres, toute l’impulsion donnée à l’expansion de l’éducation en milieu acadien.
Je ne puis m’empêcher de songer ici à une pensée célèbre du philosophe Sénèque que beaucoup d’entre nous auraient avantage à méditer souvent. Ce penseur romain aimait répéter: « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ».
Depuis quatorze ans qu’il est devenu quotidien, le journal l’Évangéline a osé constamment. Les choses n’en ont pas toujours été faciles pour autant, mais il a démontré qu’elles étaient tout au moins possibles. Et elles vont le devenir encore davantage avec la mise en oeuvre du programme d’expansion auquel vise la présente souscription.
Non, vraiment, les Acadiens ne sauraient se dispenser d’un quotidien comme celui qu’ils ont réussi à établir à Moncton, dans ce Nouveau-Brunswick qui est appelé à devenir la deuxième province à majorité de langue française. De là la nécessité pour nous de souscrire généreusement à la campagne qu’inaugurent ce soir les journaux d’expression française du pays. L’État du Québec se devait de donner l’exemple. On a déjà annoncé que sa souscription était de $15,030. Ce montant représente dix % de l’objectif de $150000 . Et nous pouvons peut-être y trouver un symbole du désir que nous entretenons tous de voir l’Évangéline entreprendre avec confiance et sérénité sa quinzième année de publication quotidienne.
D’avance nous sommes convaincus que la population du Québec suivra l’exemple que lui donne son gouvernement et qu’elle souscrira généreusement le montant que nos quotidiens et hebdomadaires jugent indispensable pour assurer définitivement la stabilité financière de l’Évangéline. C’est le moins que peuvent faire
les citoyens d’un État qui se veut la mère patrie de tous les parlants français d’Amérique.
[QLESG19630522]
[University of Western Ontario.
London, May_22 th,_ 1263.
Hon. Jean Lesage, Premier of Quebec.
For release:
after 3 otclock P.M. Friday, May 24th, 1963.]
Je voudrais tout d’abord remercier bien sincèrement l’Université Western Ontario du témoignage d’amitié qu’elle me rend aujourd’hui en me conférant ce doctorat d’honneur en droit civil. J’en suis extrêmement flatté, mais j’aimerais dire que j’accepte ce doctorat au nom du Canada français. Je n’ai pas la prétention de croire que mes propres qualités me valent à elles seules l’honneur dont je suis aujourd’hui l’objet. Lorsqu’une université rend un tel hommage à une personne, elle pose en réalité un geste symbolique. Je considère donc plutôt ce doctorat comme une marque de confiance et d’estime à l’endroit du peuple que je représente ici et, à ce titre, je vous en suis très reconnaissant.
[Those of you who are graduating today are ending a course of study which has brought you to the doorstep of your careers.
I .- s very kindly asked to say a few words to you on this occasion, and it gives me great pleasure to do so.
With your permission, I would like to suggest a subject for ocrious thought. You now belong to the Canadian élite, and as a result you will be called upon to accept certain responsibilities. You cannot remain indifferent to the difficulties which are at present disturbing our country. You are perhaps not yet in a position to solve them, but to a graat many amongst you, the opportunity to take part in the solution of these problems will probably present itself more quickly than you think. All the citizens of Canada are facing a common problem today: the very future of their country. I know that we often have the habit of speaking about the prospects for Canada’s progress in the most encouraging terms*. And – it must be admitted the abundance of our natural resources, the size of our country and the energy of our people justify thes optimistic expectations to a great extent. Nevertheless, for some time now, a new factor has taken shape in our country which may somewhat modify these forecasts. lie are not all equally
aware of it, and this is the unfortunate part. This factor is extremely complex, but it can be given an approximate definition in a single sentence: it seems that a great many Frenchspeaking Canadians do not feel really at home in Canadian Confederation.
This feeling obviously does not date from yesterday; it is present throughout the history of the last hundred years. What is more recent, however, is the awareness that has auddenly appeared in French Canada, and particularly in Quebec, of the part which the French-speaking Canadians should play from now on in our country. As I mentioned a moment ago, it raises an acute problem of a very urgent nature.
4lhat is the cause of this new awareness? It tomes first of ail from the fact that Quebec has developed enormously over the past few years. For a long time, the people of Quebec, like any minority people, lived unto themselves, looking backward upon a glorious past. Today, this is no longer the case, and it will never be so again. ïhe bucolic image which people had of us and which many still have must be definitely abandoned. Quebec, and with it the whole of French Canada, has just entered a new era. And just as any adult nation would do, it now wants to grow in all the sectors of human activity.
At the moment when I am speaking to you, we have made an important step in the economic sphere, which has traditionally been our weakest point. We are still living in an era when we must get our inspiration from experience gained elsewhere. We must still
have the help and support of others to achieve the economic objectives that we have set for ourselves. We are still going through a period in which we are seeking ways to channel all our energies in order to assert ourselves economically. However, a day will corne – the day is coming – which you of the present generation will see, I am sure when it will be the others who will corne to Quebec to see how we have carried out our work of renewal.
It must not he forgotten that the rapid development of Quebec has produced another outstanding phenomenon. No new development takes place without raising the question of the former order of things. This order of things includes several elements. Certain ones have to do with our educational system, others with our social welfare activities, others – and I have just spoken about them concern the part that we are playing in the economy as a people. Now, one of these elements is Confederation itself. It too, and I will not hide it from you because you are certainly aware of it through the newspapers, it too is being questioned. This was to be expected because it forms part of the framework of Quebec political life, one of the sectors which has historically interested us the
• most.
Of course, throughout their history, the French Canadians, especially those of Quebec, have often reproached our federal system for a great many things. However, they did so at certain precise moments, particularly at times when they were having economic and social difficulties. Periods of popular restlesness were followed by
several years of apparent indifference, and so on. Ode can there
• fore be led to think that the critical examination to which Confederation is at present being subjected by our people will not last long and that very soon no one will
taik about it any more. In my opinion, we would be seriously mistaken if we were to interpret the French Canadianst present dissatisfaction with Confederation as being a capricious and passing tendency. On the contrary,_ it must be looked upon as being deeply permanent, and we must convince ourselves that only a radical reorientation of our federal system and everything that
• it calls for will succeed in removing the causes of this dissatisfaction. The present state of mind, in Quebec and in the rest of French Canada, is not a surface manifestation; it is the logical result of the rapid development which has taken place there, and has nothing to do with motives of a sentimental nature. It results more from a close and realistic examination of our general situation as an ethnie group. This is why the aspirations of the French Canadians would not
• be satisfied by half-measures from now on. I have just mentioned the reorientation of our federal system. Many of our English-speaking fellow-countrymen are wondering just what we maan by this.
It is not my intention at this time to get involved in a technical or legal dissertation. In the first place, I would not have the time. It is possible, however, to give you, in a few words, the substance of what we mean by Il reorientation 11, or rather, what we hope to get from a ‘t reorientation «.
First of all, we want a way of life that will be favourable to our growth as a distinct ethnie group, having its own language and culture. As a people, we want to grow in a manner which suits us. We refuse to accept that ways of thinking and living be imposed upon us, and from this fact, we object to courses of action which do not take our own priority needs into account.’ I am thinking particularly here of joint plans which are made up of conditional payments in one way and another. Often, the conditions which are laid down – and which, from certain points of view, may be very sensible – do not respect our institutional structure and the mentality of our people. They often force us into spheres of action in which we are perhaps not yet ready to act, while other
sectors, on the other hand, require our urgent attention.
As I mentioned a few moments ago, we also want our culture to grow and to spread. This will only be possible if a growing number of Canadians understand our language, and if, especially, they are ready to recognize bilingualism and biculturalism. I am well aware of the fact that legal texts and judicial
decisions can’ be found which establish precedents, and that they can be interpreted as signifying that bilingualism and biculturalism should be limited to Quebec. Now the French Canada of today can no longer accept an argument of this kind.
• On the other hand, it is not a question of going to the other extreme. This is why it is our duty to discover in a vert’ short time how we in Canada can from now on make a greater place for the French cultural element, as much in those spheres where it is now present as in those where it has not had the chance to develop. In this connection, Quebec is depending a great deal upon the results of the Royal Commission on biculturalism that the federal government has promised to appoint. We would be deluding ourselves, however, if we were to believe that a Royal Commission can solve all our problems. It cannot change
opinions that are deep-rooted and often kept up by prejudices that have existed for generations. À rapprochement is imperative between the two great founding groups of Confederation, but it must have new scope: it must work both ways. I will admit that the French Canadians often look with suspicion upon the way in which the hand of friendship is habitually extended to them. To us, this has often maant concessions on our part without any being made in return. Exchanges of this kind must no longer have a place in a country which truly wants to safeguard the cultural features of a population that is made up of distinct elements.
For, we have the choice of two things: either we accept the coexistence of two cultures and we must then accept its logical consequences~ or else we do not believe in it, and then the French Canadians appear as a minority that is tolerated but which we hope to see disappear. In this second case, if ever Confederation falls apart, it will not be because Quebec – the political voice of French Canàda – has separateU_-from it. It will~be because the way to keep Cuebec in it has not Eeen7f ound
Finally, we want the means to act in order to reach the goals that we have set ourselves. As a province, Quebec is not asking for any special or unduly advantageous treatment in comparison with the other provinces. This would be unfair. pile ask, however, for freedom of action in keeping with its position as the mother-country of all those people living in Canada who speak our language and share our culture. We are aware that we are giving our country a cultural difference which enriches it and which protects it from an ever threatening americanization in a world where international boundaries are disappearing. If Canada wants to preserve its own identity, Quebec should be given should be given back – I should say – the economic,.financial and political powers which wili allow French Canada to grow at every level within a Confederation that is lived in
accordance with a new spirit. Back home we often say: » Quebec is not a province like the others » This is a true saying, and it must be understood in the way in which I have just described it.
The reorientation of the federal system of which I have
just spoken is therefore a great deal more than a simple touching-up of the Constitution. It can naturally suggest this, but it calls first of all for a change of attitude towards the place and the role of the French element in Canada. It suggests tangible demonstrations – several tangible manifestations – but French Canada will only be able to accept them if they are based on a firm and sincere understanding and acceptance on the part of English Canada.
If I am speaking in this way to you who are graduating today, it is because you, like myself, have the future of our country at heart. Ip the first place, I am speaking to you much more as the representative and spokeman of French Canada than I
am as Premier of Quebec. And yet, it is difficult if not impossible to dissociate one role from the cher.
I would like to end my speech on an optimistic note which is generally the thing to do in similar circumstances, by saying, for example, that – in spite of everything – things will end by straightening themselves out. But, alas, we have reached a point where things cannot straighten out by themselves. This is what characterizes the present situation. It is my duty to tell it
to you and to the rest of Canada. It is not very agreeable, but it is necessary.
Nevertheless, I remain confident, because an obvious goodwill exists amongst a greater and greater number of our Englishspeaking fellowcountrymen. We are counting on them to seek out, with us, concrete solutions which are called for by present problems. They in their turn can count on us to cooperate with them in what has become a vital effort.
I admit that our position, because it is firm and because it reflects the unanimous wish of a whole population, may surprise many people, for they see in it•the symptoms of a deep unrest about which they perhaps knew nothing. I will also admit that in expressing our views we are forcing many of our fellow-countrymen to reevaluate a balance which they thought in good faith to be stabilized and definite. However, we must always remember that it is by first of all being themselves that the French Canadians can become better Canadian citizens. This is their own way of contributing actively in the building of the Canada of Tomorrow.]
[QLESG19630529]
[Fédération Libérale du Québec Dîner-bénéfice Commission de Finance Château Frontenac, Québec le 29 mai 1963 Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec
Pour publication après $:00 hres P.M. le 29 mai 1963 ]
Il y a quelques mois avait lieu à Montréal le premier dîner-bénéfice organisé par la Commission de finance de la Fédération libérale du Québec, dans le but de permettre aux plus fortunés de nos supporteurs libéraux d’apporter une contribution tangible au financement démocratique de notre parti.
C’était le 30 septembre. Des élections générales venaient d’être annoncées. Le gouvernement que je dirige avait décidé de demander au peuple du Québec de se prononcer catégoriquement sur la plus importante des questions jamais soumises à son attention.
La campagne électorale n’était pas encore officiellement engagée. L’invitation que m’avait transmise la Commission de finance – invitation que j’avais acceptée avec grand plaisir, tout comme aujourd’hui – m’offrait l’occasion unique d’exposer à la population le thème d’une lutte devenue maintenant historique: la libération économique du Québec.
L’heure n’était pas alors aux félicitations ni aux remerciements. L’avenir du Québec reposait entre les mains de l’électorat. Il importait que, comme Premier ministre de la province et chef du Parti libéral du Québec, je m’en tienne, dans mes remarques, au seul enjeu de l’élection: la nationalisation de l’électricité, clef de notre devenir économique.
Aujourd’hui, notre oeuvre de libération économique est en bonne voie de réalisation. Beaucoup a été fait depuis le 14 novembre, et nous préparons pour les années à venir des projets d’une envergure encore plus grande. Toutefois, avant de vous parler de ces choses dont dépend l’avenir économique à la fois de la province et de la nation canadienne-française, je voudrais m’arrêter quelques instants pour souligner l’heureuse initiative prise par la Fédération, lors de ses deux derniers congrès, de rechercher
les moyens d’assurer de façon démocratique le financement de la permanence de notre parti. Les dîners-bénéfice, comme celui auquel nous avons été conviés ce soir, sont de ceux-là. Et l’on comprendra que je tienne à signaler le mérite bien particulier de la Commission de finance et de son président, monsieur Jean Morin, d’avoir assumé avec enthousiasme et compétence la responsabilité d’une telle entreprise.
En tant que chef de notre parti, je dis merci à monsieur Morin et à ses dévoués collaborateurs pour avoir ainsi conduit à bien une tâche aussi ardue. Et je dis merci à vous tous qui, par votre présence ici ce soir, rendez possible la réalisation d’un projet aussi méritoire.
D’autre part, en tant que Premier ministre de la province, je me réjouis et je suis fier de ce que le Parti libéral du Québec poursuive en son propre sein une réforme qui est en quelque sorte un complément de l’oeuvre entreprise par le gouvernement que je dirige pour assainir et démocratiser le financement des élections dans l’État du Québec.
Tout au long de la campagne électorale, les libéraux ont dit au peuple de la province que la nationalisation de l’électricité serait une grande et fructueuse affaire, non seulement pour le bien-être matériel du Québec, mais tout autant pour la santé sociale et l’avenir national du Canada français. Personnellement, j’ai affirmé partout – dans les assemblées publiques, à la radio et à la télévision – qu’un gouvernement libéral ferait de l’électricité une des clefs de voûte d’un régime de vie où enfin, après tant de générations, nous serions maîtres chez nous.
On sait quel accueil la population du Québec a fait à notre programme. On sait quels ont été les résultats du 14 novembre. En accordant au Parti libéral du Québec 56.4 % des suffrages, l’électorat a donné au gouvernement que je dirige un témoignage de confiance comme n’en avait reçu aucun autre gouvernement dans notre province depuis au moins trente ans.
Le 14 novembre, le peuple du Québec a manifesté de façon éclatante sa foi dans l’avenir. Il a exprimé sa volonté bien arrêtée de permettre à son gouvernement de prendre les moyens qui s’imposent pour que nous devenions, enfin, maîtres chez nous.
C’est un mandat clair et précis que nous recevions de la population. Il nous appartenait dès lors de traduire le plus rapidement dans les faits le slogan « maîtres chez nous » qui symbolise l’esprit de décision de tout un peuple de se réaliser pleinement.
Nous nous sommes immédiatement mis à l’oeuvre. Désireux d’éviter les retards qu’aurait sûrement subis la nationalisation de l’électricité par la présentation en Chambre d’une loi d’expropriation, le gouvernement a décidé de procéder par une offre juste et équitable aux actionnaires des compagnies concernées.
Chose qui mérite d’être soulignée: alors que nos adversaires politiques avaient prétendu que la nationalisation de l’électricité coûterait à la province de $ 800000000 à $1000000000, j’avais affirmé lors d’un certain débat télévisé que le coût de l’opération s’élèverait à $600000000 et que j’étais prêt à me battre pour ce chiffre.
Dès le 28 décembre, je pouvais annoncer la décision de l’Hydro-Québec de faire des offres fermes et définitives aux actionnaires des compagnies d’électricité dont la nationalisation avait été décidée par le peuple. Je soulignais alors que le coût total approximatif de ces offres – soit $604000000 – garantissait aux actionnaires, suivant l’engagement pris lors de l’annonce des élections, une juste compensation, fixée en tenant rigoureusement compte de leurs intérêts comme aussi de ceux des contribuables québécois.
Le 22 février, les conditions définitives des offres fermes de 1’Hydro-Québec étaient transmises par lettre aux actionnaires. Ceux-ci avaient jusqu’au 19 avril pour faire connaître leur décision.
Le 23 avril, soit quatre jours après l’expiration de l’offre, j’informais l’Assemblée législative qu’à la fermeture des bureaux le 19 avril, le pourcentage moyen d’actions ordinaires déposées avec des lettres d’acceptation s’établissait à 90.2 %. Ce pourcentage allait de 88.6 % dans le cas de la Compagnie d’électricité Shawinigan à 100 % dans celui de la Compagnie électrique du Saguenay. Afin de ne léser personne, l’offre était prolongée jusqu’au 17 mai pour les retardataires et les actionnaires encore indécis.
Le ministre des Richesses naturelles, pour sa part, annonçait en Chambre le 24 avril les offres fermes de 1’Hydro-Québec, au montant de $881,500, aux actionnaires de trois petites compagnies auxquelles n’avaient pu s’appliquer, pour des raisons techniques, les offres du 22 février. Il s’agit de l’Électrique de Mont-Laurier Ltée, l’Électrique de Ferme-Neuve Ltée et la Compagnie électrique de La Sarre Ltée.
À la date fixée, soit le premier mai, le président de l’Hydro dans un message de bienvenue aux nouveaux abonnés et au nouveau personnel de l’Hydro-Québec, publié dans les journaux, le président de l’Hydro, dis-je, pouvait déclarer: « la nationalisation de l’électricité est un fait accompli.
Ainsi donc, moins de six mois ont suffi au gouvernement que je dirige pour traduire dans la réalité la phase peut-être la plus importante de l’oeuvre que nous avons entreprise pour rendre les Québécois maîtres de leur économie. Désormais propriétaire du système de production et de distribution de l’électricité dans notre province, le peuple du Québec est maintenant en mesure d’entreprendre la réalisation de grands projets caressés depuis longtemps, tels la diminution des taux dans les régions éloignées, la modernisation du réseau en Abitibi et la décentralisation industrielle. Ce sont là des développements qui s’intègrent dans un plan d’action économique encore plus vaste dont je vous entretiendrai dans quelques instants.
Mais auparavant, on me permettra bien de rappeler brièvement quelques entreprises tout aussi importantes dont le mérite revient à la fois à l’esprit d’initiative du gouvernement et à la confiance que le peuple place en lui. Depuis le 14 novembre, en effet, nous avons oeuvré sur le plan économique dans bien d’autres sphères que celle de la nationalisation de l’électricité.
Il convient de mentionner en tout premier lieu la première émission d’obligations d’épargne du Québec dont le succès a dépassé toutes les prévisions. En l’espace d’un mois, soit du 11 mars au 11 avril, les épargnants québécois ont investi dans les obligations d’épargne du Québec plus de $175000000 . De ce fait, les épargnants québécois ont contribué à faciliter l’opération financière de la nationalisation de l’électricité. Comme je l’ai en effet déclaré le 23 avril, l’immense succès de la vente d’obligations d’épargne a réduit le montant qu’il a fallu emprunter à court terme, en attendant l’encaissement des dernières tranches de l’emprunt contracté aux États-Unis.
Une autre étape d’envergure dans notre oeuvre d’affirmation économique aura été la mise sur pied de la Société générale de financement. La première tâche du conseil d’administration provisoire fut de trouver les compétences capables d’assumer les lourdes responsabilités d’administrateur général, de directeur industriel et de secrétaire-trésorier. Une fois les nominations annoncées, les nouveaux titulaires ont consacré tous leurs efforts à préparer la première émission d’actions de la Société, dont le capital autorisé est de $150000000 . Une première tranche d’actions, au montant de $20000000 , a été mise sur le marché il y a à peine une semaine. Le succès de l’opération est d’ores et déjà assuré.
Ainsi donc, la Société générale de financement fournit enfin à notre peuple l’occasion tant espérée par les générations qui nous ont précédés de prendre une part active à la vie économique de la province. Cette Société, à laquelle le gouvernement du Québec est directement intéressé comme partenaire, vise à élargir la base de la structure économique, de la province, à accélérer le progrès industriel et à contribuer, en définitive, à la réalisation du plein emploi. Elle compte y arriver en suscitant et en favorisant la formation et le développement d’entreprises industrielles et, accessoirement, d’entreprises commerciales. Son but primordial est de collaborer au développement de moyennes et de grandes entreprises. En ce faisant, elle s’appliquera surtout à grouper sous une même direction des capitaux qui, autrement, seraient peut-être utilisés à d’autres fins ou investis dans des entreprises n’enrichissant pas le capital collectif de la population québécoise.
Je m’en voudrais de ne pas souligner également une importante mesure votée par les Chambres lors de la première partie de la session. Je veux parler de la réforme des lois coopératives et de la loi des caisses d’épargne et de crédit – réforme qui tend elle aussi vers l’objectif que nous voulons atteindre, soit une plus grande participation des Québécois à la croissance économique de leur territoire. En modernisant ces lois, nous mettons à la disposition de nos citoyens un instrument encore plus efficace d’affirmation économique. En somme, nous adaptons aux nécessités modernes des institutions qui, dans le passé, ont déjà énormément profité aux nôtres.
Voilà, brièvement résumée, l’oeuvre concrète que nous avons accomplie en l’espace de six mois pour donner à notre population la maîtrise de son économie. Nous tous du Québec sommes maintenant engagés, de façon définitive, sur la voie qui doit nous rendre maîtres chez nous. L’intégration de tout le système de production et de distribution de l’électricité, au sein d’une nouvelle Hydro dont la taille est désormais à la mesure des besoins et des espoirs du Québec, a déjà permis à quelques-uns des nôtres d’assumer des fonctions qui ne leur auraient jamais été accessibles sans la nationalisation. Je veux parler des nouveaux présidents des sept sociétés étatisées, qui agissent comme administrateurs délégués auprès de l’Hydro-Québec. Ingénieurs, professionnels, ces sept grands commis de l’État sortent des rangs de l’Hydro-Québec, à qui nous sommes redevables d’avoir su produire ainsi des compétences. Les sept sont des Québécois de langue française, et il est très significatif de constater que leur âge moyen dépasse à peine 41 ans.
Mais ce n’est pas en raison de leur langue ni de leur âge mais bien de leur compétence et de leur talent, que ces sept ingénieurs de l’Hydro ont accédé à des postes de commande. De là l’importance qu’il y a pour nous du Québec d’améliorer constamment notre système d’enseignement de manière à permettre à tous le libre accès au savoir et à la connaissance. Je l’ai déclaré à maintes reprises: il serait bien inutile, pour nous du gouvernement, de construire en fonction de l’avenir, d’édifier toutes les structures nécessaires à cette fin, s’il fallait que la société québécoise de demain n’ait pas les hommes requis pour remplir les cadres, pour insuffler la vie à ce qui peut paraître encore un rêve pour plusieurs.
C’est pourquoi nous avons accordé une importance prioritaire au domaine de l’éducation dès notre arrivée au pouvoir en 1960. Et l’on devine avec quel intérêt nous avons accueilli, il y a quelques semaines, la première tranche du rapport de la Commission Parent. Malgré les progrès énormes accomplis depuis trois ans, il nous reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. Le gouvernement que je dirige continuera de ne ménager aucun effort pour donner à notre jeunesse les moyens de se bien préparer à prendre la relève, à occuper les cadres nouveaux qu’exige notre évolution. Ainsi donc, les efforts que nous avons déployés jusqu’ici dans le domaine économique ont visé surtout à moderniser les institutions déjà existantes, à ériger les structures nouvelles indispensables à notre développement, et à préparer par une réforme de l’enseignement les hommes qualifiés dont nous aurons de plus en plus besoin pour occuper avec compétence les cadres nouveaux de notre société moderne. Il était indispensable que nous réalisions ces choses avant de songer à mettre en oeuvre un véritable plan d’action économique, dont j’aimerais maintenant vous entretenir pendant quelques instants.
À plusieurs reprises depuis que j’ai l’honneur de diriger le Parti libéral du Québec, j’ai parlé de l’urgente nécessité pour le Québec de recourir à la planification démocratique; C’est au Conseil d’Orientation économique, institué par la Législature en 1961, que le gouvernement a confié la tâche d’élaborer le plan de l’aménagement économique de la province en prévoyant l’utilisation la plus complète de ses ressources matérielles et humaines.
Il y a quelques mois, le Conseil soumettait au gouvernement le résultat de ses travaux préliminaires, travaux qui d’ailleurs se poursuivent à l’intérieur de groupes de spécialistes et portent sur un grand nombre de questions intéressant l’avenir économique et social du Québec. On compte réunir, au cours des prochains mois, des données suffisantes pour permettre au Conseil des Ministres de déterminer le taux de croissance qu’il souhaite voir se réaliser dans l’activité économique de la province.
Comme j’avais l’occasion de le déclarer en Chambre, lors du discours du budget, l’élaboration du plan prendra alors sa forme véritablement démocratique. En effet, des commissions consultatives seront créées sur divers sujets, et les agents de la vie économique, industriels, travailleurs, commerçants, etc. seront consultés sur les objectifs à atteindre au cours de cette vaste entreprise de planification. De leurs avis concertés et de la lumière de leur expérience, il sera possible de dégager un plan complet d’action économique. Ce plan sera ensuite soumis au Conseil des Ministres qui en précisera l’application, toujours selon des modalités s’inspirant du caractère démocratique du régime politique dans lequel nous vivons. De la sorte, le gouvernement du Québec espère soumettre à la population de la province un premier plan complet ou Plan I au début de 1965.
On me permettra bien de reprendre ici textuellement ce que dit à ce sujet le discours du budget du 5 avril dernier. Je cite: Vraisemblablement, le Plan I s’étendra sur six ans, c’est-à-dire de 1965 à 1970 inclusivement. Il devrait comprendre deux tranches: la première de 1965 à 1967 inclusivement, et la seconde de
1968 à 1970 inclusivement. Ce plan, comme ceux qui le suivront, sera conçu en fonction des besoins économiques du Québec et des possibilités concrètes d’action de notre population. Le Québec pourra dorénavant espérer une croissance économique équilibrée et une mise en valeur plus rationnelle de toutes ses ressources tant matérielles qu’intellectuelles. Le monde économique moderne est entré dans une ère où l’improvisation et le laisser-faire n’ont plus de place. Le Québec ne fera que suivre la voie qui a déjà conduit à tant de résultats remarquables des nations aux prises avec des difficultés plus considérables que les nôtres.
J’ai la conviction profonde que l’avenir même de l’État du Québec dépend du succès que connaîtra ce premier plan d’action économique. Il nous faut absolument, d’ici les prochaines années, établir chez nous des industries secondaires de transformation qui donneront des salaires élevés, qui fourniront des occasions nombreuses d’emploi et qui contribueront à la création de complexes industriels considérables, eux aussi générateurs d’emplois. Nous devons également, au cours de la même période, activer la décentralisation industrielle et rétablir ainsi l’équilibre économique, qui est actuellement boiteux du fait que plus de 40 % de la population et au-dessus de 50 % de l’industrie sont concentrés dans. un rayon de 75 milles de Montréal. Enfin, il est essentiel d’assurer la participation toujours plus nombreuse des nôtres à la vie économique du Québec – vie économique de laquelle nous sommes dangereusement absents depuis trop longtemps, pour les raisons que l’on connaît déjà. C’est ce que va nous permettre d’accomplir le Plan I que je viens de vous décrire.
Voici donc, brièvement exposés, les mesures qu’a appliquées jusqu’ici le gouvernement que je dirige et les moyens qu’il entend utiliser dans les prochaines années pour mener à bien notre oeuvre collective d’affirmation économique. Il est pourtant un autre instrument de croissance économique dont je me dois de vous dire quelques mots. Il s’agit d’un domaine dont le contrôle nous échappe encore en trop grande partie et qu’il nous faut récupérer le plus rapidement possible, si nous voulons devenir vraiment maîtres chez nous. Et c’est la fiscalité.
Il est vrai que la part d’impôt sur le revenu que notre province perçoit est plus importante maintenant qu’elle ne l’a jamais été depuis les dernières générations. Mais il est tout aussi vrai que cette part demeure nettement insuffisante en regard de ce que j’ai appelé et que j’appelle encore les besoins prioritaires du Québec.
Dans le discours du budget que j’ai prononcé en Chambre le 5 avril, j’ai dit quelles étaient pour l’instant les exigences minima du Québec en matière fiscale. Et j’ai déclaré alors textuellement: « Douze mois se passeront avant le prochain discours du budget. Ou bien le gouvernement central, quel que soit le parti élu le 8, avril, et je le répète: quel que soit le parti élu le 8 avril, le gouvernement central aura profité des douze mois à venir pour tenir compte des exigences du Québec, ou bien, nous du Québec, nous aurons vu, de notre côté, au cours de la même période, à prendre en matière fiscale les décisions qui s’imposent. Et ces décisions seront celles que nous dicte l’objectif d’affirmation économique, sociale et culturelle que nous nous sommes fixé à la demande même du peuple du Québec. » Près de deux mois se sont écoulés depuis. Un nouveau gouvernement a été élu à Ottawa. Le Parlement est présentement en session. Je comprends qu’il y a des problèmes urgents qui requièrent l’attention immédiate des nouveaux dirigeants. J’ai bonne confiance toutefois que les tâches nombreuses qui accaparent le Premier ministre du Canada et ses collègues du Cabinet ne les empêcheront pas pour autant d’accorder aux demandes du Québec toute l’importance et toute la diligence qu’elles exigent.
J’ai, trois jours avant les élections fédérales du 8 avril, énuméré les exigences minima du Québec. On comprendra que je veuille énumérer de nouveau, à l’intention du gouvernement libéral qui a été élu à Ottawa le 8 avril, ce que j’ai appelé dans le discours du budget et que j’appelle encore les exigences minima du Québec pour le moment.
Premièrement, 25 % de l’impôt sur le revenu des particuliers; deuxièmement, 25 % de l’impôt sur le revenu des corporations; troisièmement, 100 % de l’impôt sur les successions.
De plus, nous voulons que les paiements de péréquation soient calculés en prenant comme base le rendement des impôts sur le revenu des particuliers et des corporations dans la province où il est le plus élevé.
Également, le Québec désire que soit amendé le Code criminel afin de permettre l’institution de loteries pour fins provinciales.
Finalement, nous continuons à maintenir, comme nous l’avons fait à la conférence fédérale-provinciale de juillet 1960, que les plans conjoints n’ont plus leur raison d’être, que le gouvernement fédéral doit en sortir, et que ces plans doive être remplacés par le retour aux provinces des pouvoirs fiscaux. Ce sont encore là les exigences minima du Québec 51 jours après l’élection d’un gouvernement libéral à Ottawa.
Et je réitère que ces exigences minima sont celles du moment. Il y aura lieu plus tard, à partir des travaux de la Commission Royale d’Enquête sur la Fiscalité qui vient d’être nommée, de repenser toute la question de la répartition des pouvoirs fiscaux entre le gouvernement central et celui de l’État du Québec.
Le 14 novembre dernier, l’électorat de la province renouvelait avec éclat sa confiance au gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. Il nous confiait en même temps le mandat de poursuivre avec vigueur l’oeuvre exaltante de la libération économique du Québec.
Tout ce que nous avons accompli en ce sens depuis six mois permet déjà à la population de juger de notre sincérité et
de notre volonté de remplir intégralement nos engagements, J’ai la ferme conviction que la réalisation du plan d’action économique que nous sommes à élaborer présentement nous vaudra très bientôt un régime de vie où enfin, après tant de générations, nous serons pleinement maîtres chez nous!
[QLESG19630601]
[Jeune Commerce de Québec
uébec la Basto~rre~ ler- j_vin 19~ Pour publication après 7:00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage. Premier ministre du Québec le ler juin 1963 ]
Ce n’est pas la première fois, depuis que je suis Premier ministre, que je rencontre des membres de votre mouvement. Je conserve de chacune de ces rencontres un excellent souvenir. Le dynamisme et l’esprit d’initiative de votre groupe m’ont toujours fortement impressionné. Aussi, en recevant votre invitation à venir renouer contact avec vous, je me suis empressé de l’accepter.
Permettez-moi de vous en remercier bien sincèrement. Je dois vous dire que j’avais un motif particulier d’assister à l’événement que vous célébrez aujourd’hui. Le jumelage de la Chambre de Commerce des Jeunes de Québec et de celle de Paris est un geste qui me plaît énormément. En le posant, vous prouvez à tout le monde que le Canada français moderne n’est plus replié sur lui-même, qu’il veut au contraire multiplier ses liens avec les grands courants d’idées actuels et les peuples qui évoluent à l’extérieur de nos frontières. Vous continuez le mouvement que votre gouvernement a lancé dès 1961 et qu’il a marqué de façon tangible par l’établissement d’une Délégation Générale du Québec à Paris. La décision du gouvernement avait à ce moment été motivée par nos avantages de toutes sortes qui pouvaient en découler. Notre expérience depuis ce temps justifie les espoirs que nous avions dans un tel rapprochement avec l’Europe en général et la France en particulier. Je suis convaincu que vous vous rendrez compte vous aussi du même phénomène d’ici peu de temps. Je trouve pour ma part très encourageant qu’un organisme privé comme la Jeune Chambre de Québec, prenne sur lui d’établir des contacts plus étroits avec la capitale de la France. Je voudrais que cet exemple soit suivi par beaucoup d’autres. Il ne faudrait pas croire que ce genre d’initiatives appartient désormais exclusivement au gouvernement du Québec, au contraire. Nous avons été pendant si longtemps isolés de la
France que plus les liens avec elle seront nombreux, plus nous en profiterons collectivement.
Dans notre monde moderne, tous les peuples ont un acte d’humilité à poser. Tous doivent on effet reconnaître qu’ils ont à gagner du contact avec les autres peuples. Comme Canadiens français nous n’échappons pas à la régie, d’autant plus que nous ne sommes pas très nombreux et que des facteurs historiques nous ont longtemps formés à songer davantage à notre survivance pure et simple qu’à notre épanouissement. Aujourd’hui, cette phase de notre histoire est révolue et nous devons nous comporter comme une nation qui cherche à s’affirmer dans tous les domaines. Si nos attitudes devaient redevenir ce qu’elles ont souvent été dans le passé, nous nous condamnerions d’avance à nous laisser dépasser par ceux qui nous entourent.
Évidemment, tout ce que l’on fait ailleurs n’est pas nécessairement applicable intégralement chez nous. Cela est vrai de la France, comme de n’importe quel autre pays. Mais, en faisant la part des choses, il est possible en se rapprochant des grandes nations du monde moderne – et même des petites – d’acquérir une dimension intellectuelle nouvelle et de faire profiter tout notre peuple du choc des idées et des sentiments qui en résulte.
J’aime, mes chers amis, à constater que le geste que nous apprécions tous aujourd’hui provient d’un groupe de jeunes. Il constitue un indice très significatif du nouvel esprit qui prévaut maintenant chez les nôtres. Il démontre aussi d’une certaine façon comment la Jeune Chambre, et par là, la jeune génération, compte s’acquitter de son rôle dans notre société. Vous voulez ouvrir des horizons plus larges à notre peuple. C’est du moins le sens qui se dégage de votre initiative.
Bien que vous ne soyez pas les seuls à y appartenir, vous formez notre élite de demain. Toutes les influences qui s’exercent sur vous aujourd’hui peuvent à leur tour s’exercer plus tard sur notre peuple tout entier. Certains parmi vous détiendrez des postes responsables dans les divers secteurs d’activité de notre jeune nation. Votre formation et votre expérience, sans être les seuls facteurs à entrer en ligne de compte, coloreront nécessairement votre comportement et vos décisions. Aussi, il vous importe dès maintenant de prendre auprès des autres peuples tout ce que vous pouvez y trouver d’utile et d’enrichissant. Pour cette raison, je ne puis que vous féliciter du jumelage de la Jeune Chambre de Québec et de celle de Paris. J’aimerais que vous resserriez le plus possible les liens nouveaux que vous créez et que vous les conserviez toujours actifs au cours des années qui viennent. Vous en retirerez beaucoup de profit; je suis certain aussi que vos amis français, à cause de vous, apprendront encore mieux à connaître et, je le souhaite, à apprécier le peuple du Canada français. Vous deviendrez en quelque sorte un
peu nos ambassadeurs.
Peut-être trouvez-vous que j’accorde trop d’importance au rapprochement de deux mouvements de jeunes? Vous auriez raison si vos projets, à propos du jumelage d’aujourd’hui, ne dépassaient pas la manifestation à laquelle nous prenons part maintenant. Mais, je suis convaincu que vous irez plus loin et que votre décision donnera lieu à des échanges constants entre la jeune génération du Québec et celle de la France.
Les jeunes ont le devoir de pousser ceux qui détiennent l’autorité à agir et à se renouveler. Comme Premier ministre du Québec, je voudrais que vous n’hésitiez pas à exercer cette responsabilité, car c’en est bien une. Elle appartient particulièrement à ceux qui seront les dirigeants de demain. Il vous est possible, dans un monde où les communications sont faciles, de vous inspirer avec discernement de ce qui se passe autour de vous et de nous faire connaître votre point de vue. Je ne vous promets pas personnellement d’être toujours d’accord avec toutes les suggestions que vous voudrez bien présenter au gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, mais je puis vous assurer que ma sympathie vous est acquise comme elle l’est à tous les jeunes du Québec.
C’est en vous intéressant de près à la chose publique que vous pourrez le mieux nous aider à accomplir l’oeuvre d’affirmation nationale que nous avons entreprise. En démocratie, nul n’est infaillible. Le gouvernement a toujours besoin des jeunes, surtout quand ces jeunes, comme c’est le cas avec vous, s’ouvrent d’eux-mêmes aux réalités de leur époque et au monde qui les entoure.
[QLESG19630619]
[Pour publication: après 7:00 heures p.m. le 19 juin 1963. Troisième Centenaire du Séminaire de Québec. Québec, le 19 juin 1963. Honorable Jean Lesage, premier ministre.]
Nous sommes réunis pour contempler un arbre vieux de trois siècles et pour exalter le jugement de l’Histoire sur la magnificence de ses fruits.
Nous sommes réunis pour honorer le passé du Séminaire de Québec, ce grain de senevé planté autrefois dans les solitudes sauvages de l’Amérique et dont la croissance témoigne, aujourd’hui, de l’éternelle jeunesse de l’Église.
Nous sommes réunis, également, pour exprimer la gratitude du peuple canadien-français tout entier envers une institution qui fut le berceau de son origine et qui demeure un soutien de son avenir.
Aussi, cette assemblée saura-t-elle me pardonner l’émotion que j’éprouve en ce moment. C’est, en effet, un fils du Séminaire qui rend son hommage personnel, et cet hommage doit franchir, avant de vous parvenir, des flots de souvenirs très chers ainsi qu’une reconnaissance qui ne peut s’exprimer avec des mots. C’est, en même temps le chef du gouvernement qui rend un témoignage public et officiel, au nom du Canada français qu’il représente.
Il est bon qu’il en soit ainsi. À l’égard du Séminaire de Québec, l’hommage public et les sentiments personnels ne font qu’un, C’est l’ensemble du peuple français d’Amérique qui est, véritablement, le fils de cette Alma Mater. Ils sont nés à la même date. Ils ont connu les mêmes épreuves et les mêmes joies, traversé les mêmes guerres, et contribué aux mêmes conquêtes.
Ils sont solidaires dans l’avenir, comme ils l’ont été dans le passé; car les valeurs dont vit, depuis toujours le Séminaire de Québec sont la force, la sagesse et la foi qui, seules, assurent la permanence des peuples.
Je viens de dire que le Séminaire de Québec est une oeuvre ancienne de l’Église et il est aussi l’illustration de son éternelle jeunesse.
Les membres distingués de la Hiérarchie qui sont si exceptionnellement nombreux, ici ce soir, en éprouvent une fierté et une joie. À sa façon et à travers les années, en effet, cette institution trois fois séculaire accomplit, en Amérique – au Canada français – l’élan missionnaire, le rapprochement des peuples et le rayonnement spirituel que le grand Pontife, dont l’humanité entière pleure actuellement la perte, assignait à l’Église comme mère et guide des nations.
À l’occasion de ces fêtes, les trésors de l’Histoire sont tirés de leurs écrins et soumis à l’admiration publique. On évoque les débuts héroïques de cette fondation à Québec du Séminaire des Missions étrangères de Paris qui consacraient, en quelque sorte, les origines religieuses du Canada français. On retrace-les étapes successives de ce froment qui, au cours de sa croissance, ajouta un collège classique ouvert à toute la jeunesse à la maison créée pour la formation des clercs, déborda ensuite ses vieux murs pour établir de nos jours l’une des grandes universités modernes du continent.
L’homme d’aujourd’hui est si pressé qu’il ne s’intéresse aux choses du passé que pour y trouver les lumières qu’il faut pour éclairer son présent. Quelle actualité vivante et quel enseignement retiennent encore les pages de cette épopée véritable qui est celle de mon Séminaire.
Ainsi la promotion des peuples les plus oubliés de la terre est la grande fièvre de notre époque. Pourtant, dès sa cinquième année d’existence, le Séminaire de Québec était déjà voué à cette tâche, par la volonté de Louis XIV et de Colbert, qui avaient ordonné la création de ce frère cadet du Grand Séminaire original, afin d’amener les indigènes du Canada à la civilisation. De cette époque et de ce Séminaire de Québec est née la vocation missionnaire du peuple canadien-français qui couvre aujourd’hui le monde de son apostolat. Si les Canadiens français sont aujourd’hui l’un des grands peuples missionnaires de la terre, ils le doivent, avant tout, au foyer chrétien que nous honorons ce soir. Ainsi, encore, notre ère est possédée par l’idolâtrie des techniques et parfois dédaigneuse devant les principes et la culture qui sont pourtant les sources de la civilisation. Mais l’Église du Canada manquait-elle de sens pratique et de vision réaliste, quand son Séminaire de Québec ouvrait déjà son école d’arts et métiers et son école d’agriculture, il y a trois siècles?
Jeunesse de l’Église; éternelle jeunesse de l’Église jusque dans ses tâches les plus immédiatement temporelles, le Séminaire de Québec en a toujours fait rayonner l’image et le dynamisme.
Et le rapprochement des peuples, et la passion d’oeucuménisme dont le Pape Jean XXIII a enflammé l’humanité, n’étaient-ils pas contenus – au moins comme une ébauche et comme un espoir – dans cette générosité du Séminaire de Québec qui, au lendemain de la guerre de 1760, ouvrait indistinctement ses portes aux fils des Français et aux fils des Anglais, réconciliant les ennemis de la veille, recherchant ce qui pouvait les unir au lieu de souligner ce qui les divisait.
Leçon trois fois séculaire qui n’est pas superflue au Canada d’aujourd’hui.
Messeigneurs, Messieurs, je ne serais vraiment pas un homme politique si je ne tentais de trouver mon bien dans les trésors historiques du Séminaire que nous mettons à jour….
Par exemple, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger n’a pas manqué de rappeler avec assez d’insistance, surtout en campagne électorale, qu’il avait donné au peuple les prémices de la gratuité scolaire. Et bien, je dois vous avouer que mon gouvernement n’avait pas inventé la gratuité scolaire au Québec. Nous avons eu un devancier prestigieux: dès sa fondation, le Séminaire donnait l’enseignement gratuit. Il est vrai que les élèves devaient payer $ 4.00 par année pour le bois de chauffage,… mais les hivers canadiens sont si longs.
Austérité et générosité. Don de soi et don de la pensée. Tradition et progrès. Sciences humaines et connaissance de Dieu. Préparation à la vie du siècle et ouverture sur le destin éternel. Voilà ce que les éducateurs qui se sont succédé au Séminaire de Québec ont donné en nourriture à des générations et des générations, chez nous. C’est pourquoi l’hommage de tout un peuple ne peut que se confondre, ce soir, à mon tribut personnel. Les éducateurs du Séminaire ont été le sel de la terre canadienne-française. Ils continuent de l’être. Car, au Séminaire, on n’apprend point uniquement à gagner plus tard sa vie. On y apprend le sens de la vie.
Institution privée et confessionnelle, le collège classique a droit à l’assistance de l’État démocratique, qui cherche à rendre égales les chances de ses citoyens et à favoriser le libre choix des parents dans l’éducation de leurs enfants. Mais la liberté des parents dans l’éducation de leurs enfants est conditionnée elle-même par la liberté des institutions privées d’enseignement qui leur sont offertes, à côté des institutions publiques. L’égalité des chances entre les citoyens en matières d’éducation ne consiste pas à les engouffrer dans le même moule, à les engager de force dans une voie unique qui serait celle de l’État. L’égalité des chances consiste dans le nivellement des obstacles, surtout financiers, qui empêchent les citoyens d’exercer leur préférence devant l’éventail des moyens d’éducation et de culture.
L’aide de l’État aux collèges classiques doit donc être un soutien de leur liberté, et non une entrave: autrement, ce ne sont pas les institutions d’enseignement qui sont atteintes; ce sont, en définitive, les citoyens qui se trouvent mis en servitude.
Et qu’est-ce que la servitude des hommes, sinon la négation de l’humanisme chrétien qui est la moelle et la substance de l’enseignement dispensé depuis trois siècles en ce Séminaire? Et qu’est-ce que leur liberté, sinon l’exercice… d’une responsabilité issue de la transcendance spirituelle de la destinée humaine?
Excellences, Messieurs. Un jour, les vieux murs du Séminaire de Québec ont servi de remparts contre une invasion, qui se faisait au nom d’une liberté qui n’était pas la nôtre. Nos pères avaient eu raison de bâtir leurs murs d’une épaisseur incroyable: ils savaient que le peuple canadien-français s’installait ici pour demeurer.
Les invasions d’aujourd’hui sont à la fois plus subtiles et plus terribles. L’épaisseur des murailles n’arrête point toutes les invasions. Désormais la force d’âme est la seule forteresse où le peuple cànadien-français doit s’installer, s’il veut durer.
L’école, le collège, l’université voilà la source où l’âme canadienne-française s’abreuve de force, de conviction et de courage.
Tant que la source coulera, en abondance et en liberté, comme elle le fait depuis trois cents ans au Séminaire de Québec, notre peuple possédera la certitude de sa durée.
[QLESG19630829]
[Corporation des Instituteurs et institutrices catholiques de Québec
Québec, le 29 août 1963 Pour publication après 6:30 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec le 29 août 1963]
Je n’ai pas souvent l’occasion de m’adresser à des instituteurs, mais à l’heure où l’éducation se range parmi les premières de nos préoccupations je tiens à vous souligner l’importance que j’attache à notre rencontre de ce soir. Nous n’aurons demain que les chefs que nous aurons su former aujourd’hui. La justice qui règnera demain ne sera que celle dont nous aurons pu semer le germe aujourd’hui dans l’esprit et le coeur de nos jeunes. Partout l’on parle de la création d’un monde meilleur, mais quels sont ceux qui en posent les fondations? Ceux qui comme vous se consacrent à l’éducation de la jeunesse. Le gouvernement a un devoir, je dirais même une dette par anticipation envers l’avenir, c’est d’abord de le voir et de le comprendre, cet avenir, et de le préparer ensuite aussi grand que possible grâce à ses collaborateurs les plus précieux, les plus indispensables, les plus essentiels: les éducateurs.
Les grandes étapes nouvelles que nous allons bientôt franchir au Québec dans le domaine de l’éducation vont requérir des cadres nouveaux et des institutions dont le mécanisme démocratique s’appuie essentiellement sur la consultation et la participation des éléments responsables et dynamiques de notre société.
Ce n’est pas en vain que nous insistons sur l’importance et l’originalité de cette manière nouvelle de gouverner: le rythme même auquel notre gouvernement a entrepris les réformes sociales, éducatives, économiques et politiques qui s’imposaient, la portée de ces réformes et leurs vastes répercussions sur la vie de tous les citoyens du Québec exigent, dans tous les secteurs, la mobilisation des compétences et des bonnes volontés. C’est particulièrement le cas pour ce qui est de l’éducation.
Est-il nécessaire de rappeler qu’à une époque donnée de la vie d’un pays ou d’une nation, ses institutions doivent être adaptées aux conditions de l’heure et aux exigences politiques, économiques, sociales et culturelles du moment. Dans certains pays, comme le nôtre, où le régime démocratique est d’inspiration britannique, ces adaptations ont pris la forme d’une plus grande concentration des pouvoirs civils et politiques. Dans notre démocratie, que l’on veut adaptée aux besoins actuels du Québec, nous croyons essentiel à la fois de regrouper clairement la responsabilité du bien commun temporel sous la responsabilité bien identifiée des élus du peuple et d’y associer directement l’Église, les parents et les groupes intermédiaires représentatifs. Même si nous faisons encore l’apprentissage de ces modes nouveaux de régime démocratique, nous sommes persuadés qu’ils rapprochent intimement l’État et le citoyen.
L’État chez nous, notre État du Québec, prend des dimensions nouvelles. Nous voulons exercer pleinement les pouvoirs qui sont nôtres en vertu de la Constitution. Notre gouvernement s’efforce de diriger les affaires de notre société d’une façon toute différente de celle des régimes précédents, de quelque couleur politique qu’ils aient été. Nous tendons par notre politique sociale, à donner à tous les individus et à toutes les familles un traitement juste. Notre gouvernement, en publiant un programme précis, en créant des commissions d’enquête sur les questions vitales, en associant à la direction des affaires publiques les groupes intermédiaires, s’est tracé comme règle de conduite la consultation populaire aussi directe et aussi permanente que possible. Grâce à tous ces indices, je dirais même à tous ces faits, on reconnaît de plus en plus l’État québécois comme l’allié le plus fidèle et le plus puissant du citoyen et en définitive du peuple québécois.
La prise de conscience, par notre population, que son État et son gouvernement peuvent améliorer efficacement et rapidement sa situation, au lieu de s’égarer dans des tergiversations stériles comme ce fut trop souvent le cas dans le passé, n’est pas étrangère à cette confiance nouvelle et même à cette espérance que nous sentons bien vivantes. Dans cet effort d’affirmation économique et sociale, dans cette entreprise de plein exercice des pouvoirs politiques que nous détenons légitimement, la création d’un véritable ministère de l’éducation constitue une mesure prioritaire que nous appliquerons sans tergiverser.
Lorsque j’ai annoncé, le 8 juillet, la décision du gouvernement de reporter à une prochaine session l’étude du bill 60, j’ai bien établi qu’il n’était pas question de le retirer.
Jeudi dernier, à la Chambre, j’ai de nouveau insisté sur la décision ferme du gouvernement de créer ce ministère sans délai et j’ai souligné que l’échéance du premier septembre pour présenter tout amendement était définitive. J’ai reçu, au cours des dernières semaines, un certain nombre de suggestions précises que nous étudierons avec toute l’attention qu’elles méritent et cela dès le début de septembre.
Il nous faut agir vite, mais sans précipitation, car il est urgent de regrouper sous une autorité claire et bien identifiée la responsabilité de tout l’enseignement public au Québec – il est urgent de réadapter des structures administratives vieilles de cent ans, plus vieilles que la Confédération, aux exigences du Québec d’aujourd’hui et de demain – il est également urgent, et j’insiste, il est urgent de donner enfin aux parents d’une certaine façon, nos collaborateurs les plus précieux, une voie directe, libre et démocratique dans une matière qui les concerne au premier chef, l’éducation de leurs enfants.
Nous croyons que ce droit des parents, dont on parle beaucoup de ce temps-ci, mais qui ne peut actuellement s’exercer de façon réelle qu’au niveau de la famille et de la commission scolaire, constitue ce qu’il y a de plus essentiel, de plus vrai et de plus fondamental en éducation.
C’est pourquoi nous voulons qu’il puisse enfin s’exercer sur tout l’ensemble du système d’enseignement. Cela exige nécessairement que les parents sachent qui est responsable de l’enseignement chez nous et qu’ils puissent désigner eux-mêmes, librement et directement, le gouvernement et le ministre qui dirigeront l’éducation au Québec.
Nous croyons que les parents, à qui personne, je ne sache, ne conteste le droit d’élire leur gouvernement, nous croyons que les parents, dis-je, sont en mesure de choisir le gouvernement qu’ils jugent capable de prendre leur intérêt et celui de leurs enfants en matière d’éducation. Pour que ce droit fondamental des parents puisse réellement s’exercer, il faut d’urgence sortir l’éducation de sa situation actuelle où l’autorité est confuse et diffuse. Aujourd’hui, la voix des parents n’a pas de portée; au contraire, je dirais même que les structures actuelles de l’éducation chez nous l’étouffent. Il est temps que des questions aussi capitales que l’enseignement et la formation de notre jeunesse québécoise sortent du secret virtuel qui les entoure – devrais-je dire qui les étouffe – pour être traitées dans la lumière de la place publique, comme on traite, dans une démocratie, toutes les questions qui regardent le bien commun.
Est-il besoin de mentionner que, pour un gouvernement qui s’est donné comme objectif de rendre l’éducation accessible à tous, la démocratisation des structures supérieures de notre système d’éducation apparaît nécessairement comme un impératif.
Il faut bien entendre que le concept de participation démocratique ne signifie pas que l’autorité légitimement instituée, le gouvernement, se dépouillera de ses responsabilités et de ses pouvoirs pour les distribuer en parcelles à différents corps déjà constitués. Le gouvernement qui se rapproche le plus de la conception idéale est celui qui, investi sans équivoque de ses pouvoirs, sait ensuite les exercer avec décision après avoir écouté, dans chaque domaine, les voix les plus respectées. Je crains qu’on n’ait pas suffisamment insisté sur l’extrême importance pour le gouvernement d’avoir à ses côtés, en éducation, le consultant représentatif et actif que nous espérons tous. Avec la création d’un ministère de l’Éducation, il ne s’agit pas de distribuer l’autorité, mais plutôt d’identifier et de départager clairement les responsabilités. Le gouvernement de l’État du Québec est prêt et bien décidé à s’acquitter des siennes; nous avons demandé aux groupes intermédiaires, dont vous êtes, de prendre aussi les leurs et de constituer pour nous éclairer et nous guider un Conseil supérieur de l’éducation vraiment agissant.
A-t-on suffisamment réfléchi sur le fait fondamental que ce Conseil supérieur embrasse d’un bloc tous les niveaux de l’enseignement, de la maternelle à l’université. Cela veut dire, pour bien des groupes, jadis obligés d’opérer en circuit fermé à cause de l’état d’émiettement de notre système, une vaste ouverture nouvelle, du bas jusqu’au haut de l’échelle scolaire, un souffle neuf et puissant qui va rafraîchir tout le système.
Professeurs du primaire et du secondaire, professeurs des écoles spécialisées, professeurs de collèges classiques, professeurs d’universités, tous font partie d’une même continuité. Notre système d’enseignement n’est pas fait pour être divisé en secteurs étanches et autonomes; il est fait pour que nos enfants, nos élèves, puissent le parcourir à leur aise et librement, selon leurs aptitudes, depuis le premier degré jusqu’au niveau le plus élevé.
Ce soir, en terminant, je vous demande de collaborer avec nous, je vous demande de nous aider à aider le Québec. En associant vos efforts aux nôtres – et je suis certain que nous pouvons compter sur vous – vous participerez à l’édification d’une oeuvre dont vous serez fiers et dont les jeunes Québécois d’aujourd’hui et de demain tireront les plus grands avantages.
Comme l’a si bien dit monsieur Léopold Garant, il y a, dans toute cette entreprise, un défi à relever. Je sais que vous l’acceptez, comme nous l’avons nous-mêmes accepté.
Pour que notre peuple canadien-français devienne ce qu’il peut être, il y a plusieurs étapes que la génération présente doit franchir. Le ministère de l’Éducation en est une !
[QLESG19631010]
[Doctorat d’honneur – Université du NouveauBrunswick Fredericton, le 10 octobre 1963
Pour publication après 3:00 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec le 10 octobre 1963]
C’est avec un grand sentiment de fierté et de reconnaissance envers l’Université du Nouveau-Brunswick que j’accepte le doctorat d’honneur que vous avez bien voulu me remettre. Je l’accepte comme un témoignage d’amitié envers ma province, le Québec, que je représente ici et je vous en remercie bien sincèrement.
Chaque fois que je viens au Nouveau-Brunswick, je garde, en retournant au Québec, l’impression d’être allé renouer contact avec des amis qui ont beaucoup en commun avec mes concitoyens québécois. Il y a tellement de points de ressemblance entre la population du Nouveau-Brunswick et celle du Québec que je me sens parfaitement à l’aise pour vous entretenir de questions qui, selon nous, revêtent une importance capitale. Ainsi, je suis certain que les citoyens de cette province sont particulièrement bien placés pour comprendre notre attitude actuelle en matière de fédéralisme.
On se demande parfois, à l’extérieur du Québec, pour quelle raison nous tenons aussi fermement au respect de la juridiction provinciale dans les champs d’action que la Constitution de notre pays a réservés à la compétence des provinces. On se demande parfois pourquoi nous refusons des arrangements qui, à prime abord, présentent des avantages pratiques et même financiers. On ne voit pas non plus exactement pourquoi nous jugeons souvent utile de suggérer des alternatives à des programmes fédéraux qui, à première vue, visent à résoudre des problèmes dont tout le monde reconnaît la gravité.
Ainsi, comme chacun s’en souvient, nous avons émis de graves réserves en ce qui concernait le programme fédéral d’aide aux municipalités. De fait, nous n’avons pas voulu permettre au gouvernement fédéral de transiger directement avec les corporations municipales, préférant plutôt que celles-ci, à propos des prêts de l’Office fédéral, n’aient de contact qu’avec notre ministère des Affaires municipales.
Un phénomène analogue s’est produit avec le projet fédéral de pensions contributoires. Nous avons résolu d’établir, au Québec, notre propre caisse de retraite provinciale, publique, universelle et appuyée sur l’accumulation d’une réserve, ne permettant pas par là l’application chez nous du projet fédéral.
Nous entretenons aussi de forts doutes sur la pertinence et le maintien des plans conjoints. À ce sujet, et même si nous reconnaissons que les plans conjoints ont été utiles et même nécessaires dans le passé, nous voulons désormais de plus en plus nous en tenir à la formule d’option. Comme vous le savez, grâce à cette formule le gouvernement fédéral consent aux provinces qui désirent s’en prévaloir des avantages financiers équivalents à ceux qu’elles auraient obtenus en participant à ces plans. Il s’agit, bien entendu, de plans conjoints portant sur des activités relevant de la juridiction provinciale.
En somme, et les exemples que je viens de vous donner le démontrent, il arrive souvent au Québec de jeter ce que certains croient être une note discordante dans le concert
de la Confédération canadienne. De fait, nous ne nous réjouissons pas toujours, bien au contraire, d’initiatives fédérales qui sont possiblement fondées sur d’excellentes intentions.
Je m’empresse immédiatement de dire que le gouvernement du Québec n’est pas le seul des gouvernements provinciaux à formuler des objections à certaines politiques d’origine fédérale. Je reconnais toutefois que, parce qu’elles sont positives, nos attitudes en matière de relations fédérales-provinciales sont très fermes. Le comportement d’une minorité étant toujours plus facile à identifier que celui de groupes faisant partie intégrante de la majorité, nos attitudes sont aussi connues de tous, ce qui leur confère, dans l’esprit des autres citoyens canadiens, une présence plus nette.
Mais sur quoi, en définitive, notre attitude se fonde-t-elle ?
Nous partons d’abord de deux faits que n’importe qui est en mesure de vérifier. Le premier est que le groupement canadien-français, qui forme l’immense majorité de notre province, n’est cependant, par rapport à l’ensemble de la population canadienne, qu’une minorité. Évidemment, cette minorité est importante et elle est établie au pays depuis plusieurs siècles, ce qui lui confère à la fois des droits et des devoirs particuliers. Le droit fondamental, dont elle exige la sauvegarde, est le maintien de ses traditions et de ses caractéristiques culturelles. Son principal devoir, comme groupement de langue et de culture françaises, est l’épanouissement sur le sol d’Amérique de l’héritage humain dont elle se trouve la gardienne et la responsable. C’est pourquoi nous disons souvent que le Québec est, à nos yeux, la mère-patrie de tous ceux qui, en Amérique, parlent le français.
Aujourd’hui, la minorité canadienne-française est solidement établie dans notre pays. Il ne peut plus être question qu’elle disparaisse. Si cela avait à se produire, ce serait déjà fait. Il faut reconnaître en effet, que l’évolution historique et politique de notre pays ne nous a pas toujours été favorable. Mais ce qui importe maintenant – comme je l’ai dit à plusieurs reprises – c’est l’affirmation et l’épanouissement des valeurs auxquelles nous croyons, en somme c’est la réalisation des aspirations légitimes du Canada français. Sa survivance est acquise, mais il n’a pas encore réussi à jouer, dans notre pays, le rôle qui devrait être le sien.
Le deuxième fait auquel on doit constamment se référer si l’on veut bien comprendre le sens de nos exigences actuelles, c’est que le Québec expression politique du Canada français – existe et évolue à l’intérieur d’un régime politique donné. Le Québec existe dans la réalité concrète de la vie quotidienne et cette réalité l’influence dans son comportement et ses attitudes, tout comme ce serait le cas pour n’importe quel groupement humain. Or, le Canada, dont le Québec est une des dix provinces, possède un régime confédératif qui garantit pour s’en rendre compte on n’a qu’à relire l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique – qui garantit, dis-je, à la minorité que nous sommes le respect des droits auxquels je faisais allusion, il y a un instant.
Je tiens immédiatement à dire que nos positions actuelles en face du gouvernement central ne se fondent pas uniquement, loin de là, sur des considérations juridiques. Si je parle de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, c’est parce que je veux en dégager une interprétation avec laquelle s’accordent tous ceux qui ont quelques notions de l’histoire de notre pays.
Et quelle est cette interprétation ?
Selon nous du Québec, un des objectifs du régime confédératif, – objectif que l’on retrouve implicitement dans notre constitution canadienne – est de rendre possible aux groupes ethniques le maintien et surtout le développement de leurs caractéristiques propres. Si tel n’avait pas été le cas, on peut être certain que les Canadiens français, en 1867, n’auraient jamais accepté de faire partie de la Confédération canadienne. Pour qu’il puisse atteindre son but, le régime confédératif suppose une répartition des pouvoirs et des responsabilités. Ainsi, dans notre pays, des domaines importants d’action ont été réservés aux provinces parce qu’on jugeait, entre autres motifs, que l’autonomie provinciale, dans ces domaines, permettrait au groupement de langue française et au groupement de langue anglaise de s’épanouir librement. Le fait que d’autres provinces se soient, par la suite, jointes à la Confédération ne change rien à cet objectif initial. Et comme je viens de le dire, les Canadiens français de 1867 voyaient, dans cette autonomie provinciale, une de leurs exigences primordiales.
Tout cela explique pourquoi, aujourd’hui le Québec s’oppose tellement chaque fois qu’il constate que le gouvernement central s’introduit dans des secteurs d’activité qui, à notre sens; relèvent de la juridiction provinciale. Le Québec voit, dans de telles tendances, un grave danger de perdre graduellement certaines des garanties dont il exige la présence dans le régime confédératif qu’il a accepté de vivre, en 1867.
Le Québec craint qu’ainsi on finisse, en quelque sorte, par changer les règles du jeu de façon unilatérale. Et alors nous nous trouverions dans une situation qui n’était pas prévue en 1867, et qui n’est pas acceptable à l’heure actuelle. Pour cette raison, nous devons exercer une vigilance constante. Personne au Québec ne croit qu’une mesure donnée, – l’aide aux municipalités, le programme de retraite contributoire, ou l’aide fédérale à l’éducation, par exemple – peut, à elle seule, conduire le Canada français à l’assimilation à la majorité de langue anglaise. Personne ne croit non plus qu’une de ces mesures soit de nature, à elle seule, à menacer notre héritage culturel tout entier. Cependant, nous devons nous opposer systématiquement à toute initiative fédérale, quelle qu’elle soit, qui réduit, en fait, le champ de la juridiction provinciale ou y porte atteinte.
Nous ne pouvons absolument pas, même lorsqu’il s’agit de questions d’apparence secondaire, demeurer passifs devant des initiatives fédérales, que nous jugeons nuisibles à l’exercice des pouvoirs confiés aux provinces. En effet, c’est l’ensemble de ces mesures qu’il importe de considérer et c’est à toutes et chacune de celles qui constituent cet ensemble que nous devons nous opposer parce que chacune d’entre elles comporte un accroc à l’autonomie des provinces, accroc qui constitue un précédent qu’on a tendance à invoquer par la suite pour justifier d’autres accrocs de plus en plus étendus.
En somme, nous ne défendons pas le principe de l’autonomie
des provinces seulement parce qu’il s’agit d’un principe, mais bien plus parce que l’autonomie est pour nous la condition concrète non pas de notre survivance qui est désormais assurée, mais de notre affirmation comme peuple. Notre attitude est gouvernée par les conditions de la réalité dans laquelle nous vivons et non par une prise de position théorique et abstraite.
Vous vous demandez peut-être pourquoi, à l’heure actuelle, les positions du Québec sont aussi fermes. Vous vous interrogez peut-être sur l’évolution rapide que notre milieu connaît présentement. J’aimerais, en terminant, donner une réponse à ces questions.
Le Québec, depuis quelques années, prend conscience de ce qu’il est et surtout de ce qu’il peut devenir. Son désir d’affirmation est plus fort que jamais et il a besoin d’exercer tous les pouvoirs que la Constitution de notre pays lui accorde. De ce fait, il est beaucoup plus sensible, à cause des raisons dont je vous ai parlé il y a un instant, à toute intervention fédérale dans ses domaines d’action propres.
Il y a aussi un autre motif à l’attitude particulièrement ferme dont nous faisons preuve. Nous avons le sentiment que l’apport des provinces à la solution des problèmes de l’heure peut être assez important, par exemple dans le domaine du développement régional. Le succès d’une telle entreprise repose cependant sur la décentralisation des pouvoirs et sur la possibilité pour les gouvernements provinciaux de disposer de ressources financières suffisantes. Sans de telles ressources, l’exercice des pouvoirs qui relèvent des autorités provinciales devient illusoire: en droit, elles peuvent agir, mais, en fait, elles se trouvent incapables de s’acquitter de leurs obligations. Dans ces conditions, il est difficile pour les provinces de sortir de l’état de passivité vers lequel les conduit la répartition actuelle des ressources fiscales.
Le Québec d’aujourd’hui n’accepte pas la passivité. Nous sommes trop réalistes pour nous imaginer que nous pouvons tout faire, mais nous croyons que le véritable respect de l’autonomie légitime des provinces et de tout ce qui en découle suppose que celles-ci disposent des leviers indispensables pour occuper efficacement les domaines relevant de leur compétence.
Au Canada, cette condition essentielle à la réussite d’une action provinciale devenue nécessaire à cause de la dimension des tâches à accomplir, n’est pas encore satisfaite. Le fédéralisme, comme nous le comprenons, exige cependant qu’elle le soit. D’autres provinces partagent avec nous ce même souci.
La solution de ce problème est un de nos objectifs. Nous y consacrons nos énergies et nous le faisons avec d’autant plus d’enthousiasme et de vigueur que nous sommes convaincus du succès éventuel de nos efforts.
[QLESG19631011]
[Dîner offert au Ministre des Affaires Culturelles de France et à Mme Malraux par le gouvernement de la province de Québec
Château Frontenac, le 11 octobre 1963 Pour publication après 9:30 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec le ll octobre 1963]
Parlant des rapports de l’homme avec l’humanité, l’illustre représentant de la France que nous accueillons aujourd’hui avec fierté parlait d’approfondir sa communion et de cultiver sa différence.
Avec l’intuition qui caractérise l’écrivain affiné par sa méditation constante sur la beauté artistique, M. Malraux ne pensait-il pas aussi inconsciemment aux rapports avec la France des peuples qui ont été ses fils ?
Il semble paradoxal, du moins dans la forme, d’avoir été un fils. Ne l’est-on pas toujours? Ne demeure-t-on pas toujours le fils d’un père qui est plus magnifiquement vivant que jamais ?
Je voudrais m’expliquer en disant que si les Canadiens français n’ont jamais oublié leur origine, ils n’ont pas non plus méconnu les devoirs qu’elle imposait.
Or, le plus étonnant, à première vue de ces devoirs, est précisément, à la réflexion le plus évident.
Tout comme votre humanisme; Monsieur le ministre, ne vous a pas – bien au contraire! rendu moins Français, notre hérédité française ne nous a pas rendus moins Canadiens. Si le fils d’un grand homme n’avait d’autre ambition que d’être un calque de son père, il raterait sa propre vie. Bien plus, il serait traître envers son père par le mépris de la richesse même de son héritage qui lui permet et ici je veux reprendre votre expression de « cultiver sa différence ».
Héritier du peuple le plus individualiste de la terre, le Canadien français ne pouvait, à son tour, qu’être indépendant même de ses origines, tout en approfondissant sa communion avec elles.
Le génie de la France n’a jamais davantage prouvé sa force qu’en nourrissant des peuples qui ont hérité d’elle la faculté de ne pas l’imiter servilement.
Cette volonté d’être différent, au carrefour de deux cultures nord-américaines, c’est en réalité le plus grand et le plus affectueux des témoignages d’admiration que nous puissions vous rendre: jamais nous ne pourrons être davantage fidèles à nos origines qu’en demeurant, dans la Confédération canadienne, l’antidote contre l’américanisation de nos cultures.
Devinant notre besoin de serrer les coudes avec elle, notre mère-patrie nous envoie le ministre qui possède à nos yeux les prestiges mêmes que notre caractère nous fait le plus apprécier. Il y a quelque chose de typiquement français dans le fait de déléguer le ministre chargé des Affaires culturelles pour inaugurer une exposition à la gloire de la technique, de la science et de l’art français. Rien de ce qui est science n’est étranger à l’artiste français; rien de ce qui est art ne laisse indifférent le savant. Il y a dans cet équilibre qui dépasse l’intelligence pour rejoindre la nature intime; il y a quelque chose de français que l’on retrouve en filigrane dans votre vie, Monsieur le Ministre. Vous avez su concilier en vous d’une façon admirable deux hommes que, d’après nos préjugés psychologiques, nous croyons destinés à se combattre: l’artiste et l’homme d’action. C’est le divorce des deux qui devrait être artificiel. Or, justement, chez vous, l’artiste loin de nuire à l’homme d’action, a, au contraire, élevé et élargi son champ de vision.
Cela vous explique la sincère et profonde satisfaction que je ressens aujourd’hui en constatant que les liens établis il y a deux ans, lors de mon voyage à Paris, vous vous
souvenez? ont scellé définitivement une entente féconde entre la France et le Québec. C’était en octobre 1961. Nous inaugurions alors notre Délégation générale à Paris et j’ai conservé le souvenir des voeux que vous avez alors exprimés. Mais parmi ceux que je formais, il en est un qui se réalise aujourd’hui, puisque je vous vois ici, parmi nous!
Grâce à votre présence, la technique et la science françaises, le théâtre et l’art français font de ce mois d’octobre une étape importante dans la vie économique et culturelle du Canada français. Nous lisons le livre français, nous apprécions la peinture française, vous en aurez la preuve, Monsieur, dans le retentissement qu’aura l’Exposition que vous venez d’inaugurer et dans l’accueil que feront l’an prochain, les publics de Québec et de Montréal à l’exposition Albert Marquet, placée chez nous sous le patronage de notre ministère des Affaires culturelles. Nous admirons aussi bien les réussites françaises dans le domaine de la technique et de la science, qu’il s’agisse de sidérurgie, de construction aéronautique ou, encore, de télécommunications, comme dans le cas de la première liaison de télévision par satellites en juillet 1962.
Il y a quelques jours à peine, notre ministre des Affaires culturelles, M. Georges Lapalme, annonçait la formation d’une direction générale des Arts et des Lettres, nouvel organisme dont la tâche principale sera de favoriser la vie artistique sous toutes ses formes: théâtre, littérature, musique, arts plastiques.
Le musée de Québec – que vous visiterez demain, Monsieur le ministre – réorganise depuis quelques mois ses collections, relativement modestes, nous en convenons, mais combien nécessaires à la mise en valeur de notre héritage culturel. Le caractère universel de l’oeuvre que vous avez poursuivie, notamment, dans « Les voix du silence », nous permet de croire que vous saurez y découvrir quelques témoignages, quelques échos des grands courants artistiques qui ont animé la France.
Dimanche, vous parcourrez les rues du vieux Québec que le Service des Monuments historiques a entrepris de restaurer. J’ose croire que ces pierres vénérables ont conservé assez de cachet pour éveiller en vous une sorte de nostalgie des vieilles villes françaises qui sont à l’origine même de la Nouvelle-France comme Saint-Malo, Rouen, Dieppe, la Rochelle.
Enfin, vous rencontrerez à Montréal les écrivains et les artistes du Québec. Ils voient en vous l’un des grands maîtres de notre époque, l’inspirateur de deux générations qui ont admiré l’extraordinaire pénétration de vos vues dans le mystère de la création artistique.
Ce sera désormais un sujet de fierté pour l’Université de Montréal et pour tous les milieux culturels du Québec que de rappeler le nom de la chaire de l’histoire de l’art que vous avez accepté d’inaugurer: la chaire André Malraux. Si périlleux que soit l’honneur de posséder chez nous une chaire qui porte le nom d’un des esthètes les plus célèbres
de toute l’histoire de l’art, c’est un défi que nous relevons avec joie. Car la consécration que vous nous apportez par votre geste nous rappellera toujours combien nous avons raison, dans nos rapports avec le pays qui, il y a quatre siècles, rêva aussi fécondement une Nouvelle-France, de toujours approfondir notre communion avec elle !
[QLESG19631013]
[Inauguration de l’immeuble du Crédit Foncier Franco-Canadien
Montréal, le 13 octobre 1963 Pour publication après 3:30 hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec le 13 octobre 1963]
J’ai déjà dit, à plusieurs reprises, que l’inauguration d’un nouvel édifice constitue toujours un symbole, qu’il s’agisse d’un immeuble devant loger une entreprise comme la vôtre ou d’une école.
J’y vois un symbole en ce sens que tout nouvel édifice est, à mon avis, la preuve d’une réussite matérielle et l’espoir de succès futurs. Dans le cas du Crédit Foncier Franco Canadien, il n’y a aucun doute que nous sommes devant une institution déjà bien établie et qui peut être assurée d’un avenir de progrès.
Tout le monde connaît les besoins du Québec en capitaux. Personne non plus n’ignore quel vaste champ d’action le Québec moderne est devenu, quelles possibilités d’industrialisation s’ouvrent devant lui. Nous nous efforçons chez nous de canaliser nos capitaux de façon rationnelle vers la réalisation des objectifs économiques que nous jugeons essentiels à la solution de problèmes comme le chômage, provoqué, entre autres facteurs, par l’insuffisance d’industries secondaires. Malgré cela; il demeure toutefois évident que nos ressources financières propres n’arriveront jamais, à elles seules, à supporter le rythme de croissance économique devenu nécessaire. Nous avons, dès lors, besoin de l’apport d’autres capitaux que les nôtres. Nous souhaitons en somme qu’on vienne s’associer à nous afin que puisse se compléter l’oeuvre déjà commencée.
Ainsi, par exemple, en établissant une Maison du Québec à Paris et ensuite à Londres, nous avons voulu multiplier les relations économiques, commerciales et financières entre le Québec et deux des pays les plus dynamiques de l’Europe. Bien entendu, les effets d’une telle décision ne peuvent être immédiats; il s’agit en quelque sorte d’un investissement qui, à notre sens, s’avérera rentable au cours des années à venir.
Déjà cependant on remarque un renouveau d’intérêt de la part de la France envers le potentiel économique du Québec. Il en est de même pour la Belgique et l’Italie où, même si nous n’y avons pas de Délégation Générale, j’ai tenu à rencontrer personnellement des industriels et des hommes d’affaires pour les intéresser à notre province.
Toutes ces démarches, toutes ces initiatives nouvelles ont créé un climat utile. Je dois cependant dire que le succès d’entreprises comme le Crédit Foncier Franco-Canadien contribue énormément à faire connaître le Québec dans les milieux financiers sous un jour favorable et facilite directement la participation à notre développement économique des capitaux en provenance de l’extérieur.
En effet, il faut retenir de votre réussite qu’elle constitue un exemple que nous espérons voir se multiplier, de la coopération française à l’économie du Québec. Aux liens culturels déjà existants entre la France et le Canada, vous avez ajouté des liens économiques et – par le succès de vos efforts – vous encouragez les initiatives de ce genre. Comme Premier ministre du Québec; je ne peux que me réjouir de votre collaboration à la croissance de notre province.
[QLESG19631014]
[Université Laval – Inauguration des Pavillons de la Faculté des Sciences Conférence nationale des Universités canadiennes
Québec, Pavillon Pollack – le 14 octobre 1963 Pour publication après 8:00 hras P.M. Hon. Jean Lesage. Premier ministre du Québec le 14 octobre 1963]
[First of ai;, I would like to welcome, both in my own naine and in the naine of the citizens of Quebec, the delegates to the Conference of Canadian Universities to our province. I wish to thank Monsignor the Rector of Laval University for having kindly invited me to coure here and apeak to you. It•gives me an opportunity to meet you, and aise to renew my acquaintance with those of you whom I have already had the pleasure of knowing. In a moment,’I will take advantage of the occasion to tell you briefly, and in a general way, of the programme that the government of Quebec has drawn up in the field of education which is a matter of prime importance in our province at the present time.]
Auparavant, j’aimerais à souligner un événement qui me semble particulièrement heureux. L’Université Laval vient d’inaugurer officiellement les pavillons de sa Faculté des Sciences. Les deux nouveaux pavillons, celui des Sciences Appliquées et celui des Sciences Pures, constituent une addition importante à la Cité Universitaire de Ste-Foy. Les dimensions de ces édifices – comme vous avez pu vous en rendre compte – sont impressionnantes; si je ne me trompe, l’Université Laval disposera ainsi d’une Faculté des Sciences qui sera physiquement – on est tenté de dire géographiquement – une des plus considérables du pays. Elle sera aussi parfaitement équipée pour dispenser un enseignement qui ira de pair avec les progrès de la science moderne. Les recherches qu’on y poursuivra accéléreront ces progrès et porteront bien haut le nom de l’Université Laval dans le monde scientifique.
Je crois que Laval – dont je suis fier d’être un ancien élève – peut, avec raison, se féliciter de cette étape nouvelle de son expansion. Le gouvernement que je représente est également heureux, quand il constate les résultats atteints, de sa contribution à la croissance d’une institution à laquelle notre milieu doit tellement.
J’ai souvent dit que la survivance du Canada français était dorénavant assurée. Je tiens cependant à rendre hommage à l’institution universitaire qui nous reçoit aujourd’hui pour le rôle inappréciable qu’elle a joué, depuis plusieurs générations, afin que cette survivance devienne un fait accompli. Directement ou indirectement, à travers les milliers d’étudiants qu’elle a formés, et grâce à sa présence dans notre province, elle a fourni à notre peuple un appui indispensable à sa culture, à sa langue et à sa religion. L’Université Laval, et aussi les autres universités de langue française, ont donné à notre peuple quelques uns de ses plus puissants leviers d’affirmation culturelle. À ce titre, le Canada français leur doit une reconnaissance permanente.
Mais notre épanouissement, comme groupement distinct, ne doit pas se limiter seulement au domaine culturel, compris dans son sens le plus strict. Autrement, il nous manquerait une dimension que j’appellerais universelle, en ce sens qu’une fois notre survivance assurée, il nous reste à nous faire entendre dans le concert des nations du monde. Nous le pouvons évidemment par notre culture – et je crois que nous y arriverons, car plusieurs des nôtres se sont déjà distingués dans les domaines de la littérature et des arts, et aussi, je tiens à le dire, par nos réalisations d’ordre scientifique. Nous devons, en somme, élargir le cadre de nos préoccupations traditionnelles. À ce propos, les pavillons qui ont été inaugurés aujourd’hui indiquent, à mon avis, dans quelle direction il nous est maintenant possible d’orienter nos efforts. Le domaine de la science s’ouvre encore plus largement à nous et nous devons y entrer avec la même volonté de réussir que celle dont, il me semble, nous avons fait preuve au moment où il fallait conquérir les points d’appui de notre survivance nationale.
[QLESG19640229]
[Fédération des ;étudiants libéraux du Québec. Montréal, le 29 février 1964,Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec.]
C’est la première fois, depuis que la population a donné au Parti libéral du Québec le mandat de reconstruire à neuf notre province, que j’ai le grand plaisir de participer à votre congrès annuel. Non pas que je n’aurais pas aimé à le faire plus tôt, comme me l’a demandé chaque année celui qui présidait aux destinées de votre fédération, mais bien parce que la tâche de diriger l’administration de la province est très accaparante et qu’il n’est pas loisible à un premier ministre de disposer de son temps comme il le voudrait.
Lorsque l’invitation m’a été renouvelée cette année, j’ai craint un moment que certaines obligations, qui sont toujours plus lourdes en cette période d’intense activité, ne viennent me priver encore une fois de la joie bien compréhensible que j’éprouve d’être des vôtres. Toutefois, grâce au bel esprit de coopération du comité d’organisation de ce congrès, il a été possible de faire en sorte que l’horaire toujours fort chargé de celui qui vous parle coïncide pour une fois avec les projets qu’entretenaient les dirigeants de votre fédération. Veuillez croire que je m’en réjouis tout autant que vous. Et je souhaite avec vous qu’une si heureuse coïncidence puisse désormais se répéter d’année en année.
[The Liberal clubs in our English language universities and colleges are among the most dynamic and the most progressive of the Quebec Liberal Students’ Federation. It is indeed most stimulating to see the interest that our youth is taking in the political life of our province and the work done by a group such as yours to promote political education. You certainly deserve our sincere thanks for your constructive initiative
and your unfailing efforts to spread the liberal doctrine.
You all know the importance given by the Quebec Government to the place that our youth must take in the new society of our rapidly developing province. I have discussed this subject on several occasions, particularly at the last fundraising dinner of the Quebec Liberal Federation. I dont intend to repeat what I have so often said.
There is one point that I would like to stress, however. It is true that the State, the established institutions, the professional, commercial and agricultural enterprises — all have responsibilities towards our youth. But it is equally true that our young people have obligations that
are just as demanding to themselves, and even more to that society which our students of today will have become tomorrow.
That knowledge and learning should be made available to all is not enou h. It is also necessary that the intelligent young people should accept to use their talents not in their own selfish interests, but in such a way as to bring a valuable contribution to the Quebec that we have undertaken to rebuild together. In the same spirit, our youth — who have now been granted the right to vote at eighteen -must realize the responsibilities that.such a duty imposes upon them. Our youth must make use of this right, not
to bring chaos and anarchy to the political life of
Quebec, but rather to elect representatives of
the people
who will be entirely devoted to the advancement of the
province and, by their work, will help to
perfect the
political and administrative structures of a
state that
belongs to ail Quebecers.
As I have said on several occasions, it is essential that we, your eiders, listen with sympathy and understanding to what you have to say. But to do so, it is necessary that our young people accept
to engage in the dialogue with those who are willing to listen to them. Above ail, it must not happen that our youth, under the pretext that some of their eiders have set them such a bad example, prostitute theniselves politically and professionally, and exert themselves to pollute anew a climate which has just been made healthier, but not without certain suffering and difficulty, you can believe me.]
Me référant au programme de votre congrès, je vois qu’il a pour thème : « L’engagement politique de l’étudiant ». Voilà qui ne manque pas d’actualité. Surtout si l’on tient compte que depuis le premier janvier de cette année, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi électorale, quelque 250 à 300000 jeunes gens et jeunes filles de dix-huit à vingt-et-un ans ont désormais le droit de vote au Québec; et également, qu’un nombre de plus en plus grand d’entre eux sont appelés à fréquenter plus longuement nos écoles, nos collèges et nos universités, grâce au développement rapide que connaît le domaine de l’enseignement. Mais vous avez aussi voulu, semble-t-il, préciser la nature du sujet de vos délibérations puisque vous avez fait suivre ce premier thème de ce que j’appellerai un sous thème : « Le rôle d’une fédération comme celle des Étudiants libéraux du Québec ».
Votre congrès ne se termine que ce soir. Je n’ai pas encore eu l’occasion de prendre connaissance des travaux que vous avez accomplis depuis l’ouverture de vos assises annuelles. Je ne sais pas l’attitude que vous adopterez finalement en regard du problème très complexe que vous avez choisi d’étudier. Une chose est certaine, cependant: le droit de vote à dix-huit ans oblige désormais les jeunes – non seulement la jeunesse étudiante, mais tous les jeunes du Québec, qu’ils soient au travail ou à l’étude à s’intéresser de très près à notre vie politique, à se renseigner et s’instruire davantage sur nos institutions et rouages administratifs, à étudier et analyser les programmes et les structures des partis, en un mot à acquérir les connaissances qui leur permettront de faire un usage réfléchi et véritablement adulte du droit qui vient de leur être accordé. Et quand on sait que le régime parlementaire sous lequel nous vivons oblige à décréter des élections régulièrement habituellement à tous les quatre ans, sauf de rares exceptions – c’est dès seize ans et même quatorze ans que la jeunesse québécoise doit désormais commencer à s’intéresser à l’action politique.
Dans cette perspective, qui est désormais une réalité chez nous, il est bien évident qu’une fédération comme la vôtre a un rôle de première importance à jouer au sein de la jeunesse étudiante. Ce rôle doit en être un d’éducation politique, surtout et avant tout.
Ici, je voudrais qu’on me comprenne bien. Ce n’est pas, je crois à seize, dix-huit et même vingt ans, qu’un jeune homme ou une jeune fille peut en général s’engager irrévocablement dans une formation politique. J’ai vécu ces âges moi aussi et je sais par expérience que ce n’est pas au moment où i’on croit être devenu enfin libre, qu’on est prêt à accepter d’emblée les compromis auxquels oblige forcément l’appartenance à un parti. Car la politique, faut-il le rappeler, est l’art du compromis sans lequel aucun dialogue n’est possible, aucune action n’est durable. Et celui qui milite dans un parti doit s’astreindre à une certaine discipline qu’on accepte difficilement à l’âge où l’on peut confondre si facilement les libertés avec la liberté.
Ce qui ne veut pas dire pour autant que la jeunesse doive se désintéresser complètement des formations politiques sous prétexte qu’elle n’est pas d’âge à s’engager politiquement. Bien au contraire. Car sans être nécessairement engagés envers un parti ou un autre, les jeunes ne peuvent pas les ignorer puisque le vote auquel ils ont maintenant droit, c’est à l’un ou à l’autre des partis qu’ils devront l’accorder s’ils veulent remplir démocratiquement leur devoir de citoyens conscients de leurs responsabilités envers l’État dans lequel ils vivent. On voit bien dès lors que le rôle qu’une fédération comme la vôtre est appelée à jouer dans le milieu où elle évolue en est un essentiellement d’éducation politique. Et par éducation politique, j’entends beaucoup plus que la tâche de diffuser la doctrine libérale et de faire connaître le programme et la structure du parti dont votre fédération est l’une des pierres d’assise.
On déplore, non sans raison, l’ignorance quasi totale que les plus jeunes comme les moins jeunes ont de notre régime parlementaire, de nos institutions politiques et de nos structures administratives. Combien de ceux déjà engagés dans la politique active ne savent pratiquement rien de tout cela? Combien connaissent et comprennent la procédure qui doit être suivie pour l’adoption d’une loi par le parlement? Il faudra bien qu’un jour l’école, le collège et l’université en viennent à prodiguer à notre jeunesse les rudiments d’une science que ne peut plus ignorer le citoyen d’un état démocratique. Car il suffit de regarder ce qui se passe chez nous comme ailleurs pour se rendre compte que la politique, en raison même des responsabilités de plus en plus grandes que doit assumer l’État -que la politique, dis-je, conditionne davantage chaque jour toutes les autres activités de notre société.
Il faut souhaiter que la création d’un ministère de l’Éducation hâtera la venue de ce jour au Québec. D’ici là, il appartient aux groupements comme le vôtre d’assumer cette tâche au sein du milieu étudiant, comme doivent le faire nos autres fédérations – celles des jeunes, des femmes et des aînés – dans leurs milieux respectifs. C’est une lourde tâche à laquelle nous n’avons peut-être pas attaché suffisamment d’importance jusqu’ici et à laquelle tous les militants libéraux devraient se mieux préparer désormais.
Il est un autre point que je me dois de souligner. Votre fédération évolue en milieu étudiant. Il est bien évident que vos préoccupations premières vont aux problèmes d’éducation et aux conditions de vie dans votre milieu. Que vous recherchiez des solutions à ces problèmes et une amélioration des conditions qui sont actuellement les vôtres, s’explique facilement. Le contraire serait d’ailleurs tout à fait anormal, de quoi vraiment nous inquiéter tous.
Pourtant, ces préoccupations fort accaparantes ne doivent pas vous faire oublier un seul instant que les conditions de la vie moderne ne permettent plus aux différents groupes d’évoluer en vase clos. Votre action, quelle qu’elle soit, a forcément des répercussions dans tous les milieux. Et en tant que partie intégrante de cette jeunesse qui constitue la relève sur laquelle comptent l’État du Québec et le pays tout entier, vous ne pouvez vous permettre d’ignorer les besoins et les aspirations de tous ces jeunes qui sont au travail dans nos champs et dans nos usines. Il vous appartient peut-être plus qu’à d’autres de rechercher les moyens d’assurer que tous les jeunes aient de plus en plus accès à la connaissance et au haut savoir. Mais cette recherche, pour aussi importante qu’elle soit, doit tenir compte des réalités actuelles. Et l’une de ces réalités, c’est que pendant que vous êtes aux études, d’autres du même âge que vous et peut-être tout aussi doués que vous sont déjà sur le marché du travail. Cela, soit à cause du manque d’argent nécessaire pour poursuivre leurs études, soit à cause de lacunes dans les structures de notre système d’enseignement, aux échelons régional et local tout comme dans le domaine des techniques et des spécialisations.
Vous admettrez que ces jeunes, beaucoup moins favorisés que vous, auraient plus que d’autres des raisons de verser dans l’anarchie et la violence. Si j’étais de ceux qui se croient réduits aux solutions de désespoir, je m’inquiéterais du stoïcisme mais aussi du réalisme dont ceux-là font preuve. Je me demanderais si la raison n’en est pas que toute cette jeunesse a compris que quelle que soit l’issue des luttes constitutionnelles que nous vivons actuellement, le Québec est et demeurera toujours partie intégrante du continent nord-américain, que c’est dans le contexte nord-américain qu’il nous faut vivre notre vie, et que c’est seulement en nous affirmant économiquement et intellectuellement que nous occuperons toute la place qui nous revient en terre d’Amérique.
Voilà vers quoi tendent tous les efforts du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. Pour réussir pleinement, nous avons besoin de l’appui et de l’apport de tous les groupes, telle vôtre. Et la contribution que nous apportera votre fédération sera d’autant plus valable qu’elle tiendra compte des conditions dans lesquelles évolue cette autre partie importante de notre jeunesse qui travaille ou recherche du travail dans nos villes et dans nos campagnes.
En même temps que vous intensifierez votre action en milieu étudiant, votre intérêt comme celui du parti vous commande donc de resserrer les liens et d’intensifier le dialogue avec la Fédération de la Jeunesse libérale du Québec qui, elle, travaille à l’échelon du comté. De par ses activités, qui s’étendent à la grandeur de la province, cette fédération devrait être en mesure de vous faire mieux connaître et comprendre la situation des autres jeunes de votre âge.
Évidemment, j’ai eu un jour votre âge. Et comme vous, j’ai eu la chance d’aller au collège et à l’université. Je sais bien que la vie étudiante ne serait pas la vie étudiante, s’il n’y avait de ces activités sociales et culturelles, de ces mondanités et divertissements qui font oublier momentanément la monotonie de certains cours, la hantise des examens. Je comprends que dans l’esprit de plusieurs, de telles choses constituent un moyen efficace d’atteindre à la popularité qui engendre plus facilement l’adhésion. J’admets qu’il puisse en être ainsi. Je crois cependant que même au sein de telles activités, vos efforts doivent être orientés de façon à éveiller la curiosité des jeunes pour le monde complexe de la politique. C’est ainsi, il me semble, que doivent agir les clubs comme les vôtres qui, par leur affiliation à la Fédération des étudiants libéraux, participent à part entière à la vie d’un parti qui s’est donné comme mission de rebâtir à neuf l’État du Québec.
Justement, cette appartenance au Parti libéral du Québec vous impose certaines obligations. Celle, par exemple, de refléter dans le milieu étudiant le vrai visage du parti duquel est issu le présent gouvernement libéral du Québec. Il me semble que ce gouvernement a constamment démontré qu’il a le sens des responsabilités qu’il sait remplir les engagements qu’il a pris envers la population québécoise. Il est indispensable qu’il en soit ainsi à tous les échelons du parti.
D’ailleurs, plus vous vous efforcerez de donner à votre fédération un visage qui soit le plus fidèlement possible celui du parti, plus vous cultiverez dans tous vos clubs-membres un sens aigu de la responsabilité, plus vous accroîtrez l’efficacité de votre action. Il vous sera alors d’autant plus facile de jouer pleinement votre rôle qui est de diffuser l’éducation politique dans le milieu étudiant. Ce milieu étant particulièrement apte à comprendre la signification véritable des actes que nous posons à Québec depuis le 22 juin 1960 et à en saisir toute la portée, votre fédération doit jouir d’un préjugé favorable auprès des étudiants. Je sais que vous n’êtes pas sans vous rendre compte de l’avantage que vous possédez en regard d’autres clubs politiques universitaires et que vous ne ménagerez aucun effort pour continuer d’en faire bénéficier de plus en plus votre parti et le gouvernement que je dirige.
Il aurait peut-être été de mise que je profite d’une occasion comme celle que vous m’offrez ce midi pour revoir brièvement tout ce que nous avons accompli depuis que la population nous a fait confiance. Et Dieu sait si nous en avons fait des choses, particulièrement dans les domaines de l’éducation et de l’économique qui représentent pour vous un intérêt bien spécial. Là pourtant n’est pas mon intention. D’abord, parce que j’ai eu à le faire encore tout récemment, lors du débat sur l’Adresse à l’Assemblée législative, et que la presse parlée et écrite a alors fait largement écho à mes propos. Ensuite, parce que je ne vois vraiment pas l’utilité de dire à des militants libéraux ce que fait le gouvernement libéral.
Il me semble bien évident que si vous désirez remplir efficacement le rôle dévolu à votre fédération et à ses membres, votre premier devoir est de vous tenir quotidiennement au courant de ce que fait et accomplit le gouvernement libéral qui siège à Québec. Cela est devenu beaucoup plus facile maintenant que l’Assemblée législative publie un journal des débats. Le coût de l’abonnement – de
3 $ par session – est relativement minime. Et vous obtenez une source précieuse de renseignements sur toute l’activité gouvernementale.
En fouillant régulièrement cette publication, vous ajouterez constamment aux connaissances que vous possédez déjà de tout ce que nous avons réalisé en moins de quatre ans. Aussi, au lieu que j’aie à vous répéter ce que nous avons fait, c’est vous qui serez en mesure de le dire à ceux qui ne le sauraient pas encore.
En terminant, je me permettrai de rappeler une chose que j’ai dite maintes fois la jeunesse du Québec est l’avenir du Québec. Et tout ce que fait le gouvernement pour assurer à notre jeunesse la possibilité de se réaliser pleinement, c’est en fonction de l’avenir de notre province qu’il le fait.
« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent » a écrit quelque part Albert Camus. C’est cette générosité que s’efforce d’avoir le gouvernement libéral du Québec.
[QLESG19640304]
[Déclaration par l’honorable Jean Lesage, premier ministre, au sujet de la deuxième émission d’obligations d’épargne par la province de Québec.
Le retentissant succès qu’a connu en 1963 la première campagne de vente d’obligations d’épargne de la province de Québec a induit notre gouvernement S avoir recours pour une deuxième fois à un emprunt de ce type particulier.]
Je rappelle qu’alors qu’au printemps de l’année dernière nous espérions que les ventes se chiffreraient à un maximum de $100000000, le montant global en fut graduellement augmenté pour atteindre un sommet de $177,289,200 à la clôture de la campagne, le 11 avril. Fait significatif, en dépit des rumeurs qui ont couru dans certains milieux, les remboursements sont demeurés fort modérés pour une opération de ce genre puisqu’ils ne s’élevaient qu’à $19282050 à la fin de février 1964, soit en moyenne moins de l % par mois. Dans la déclaration que j’avais prononcée en Chambre le 19 février 1963 j’avais décrit les avantages des obligations d’épargne dans les termes suivants.
D’abord, le fait que les obligations d’épargne sont disponibles au public en même temps que des obligations de type ordinaire permet une diversification utile entre les divers détenteurs d’obligations. De plus, les obligations de type ordinaire sont souvent peu faciles d’accès aux petits épargnants, mais les obligations d’épargne le sont beaucoup plus puisqu’elles peuvent se vendre en petites coupures adaptées aux ressources de l’épargnant moyen. Les obligations d’épargne constituent également un placement très sûr – peut-être le plus sûr qui soit – tout en rapportant un revenu appréciable, soustrait aux fluctuations du marché de l’intérêt. Cela les rend particulièrement attrayantes aux petits épargnants, sans compter qu’elles sont très facilement encaissables. En somme, elles sont tout aussi liquides qu’un dépôt en banque, tout en étant plus profitables. En outre, les obligations d’épargne peuvent donner l’occasion à tous les citoyens du Québec professionnels, cultivateurs, ménagères, ouvriers, rentiers et rentières, employés de bureau – de participer directement à l’activité financière de leur propre gouvernement. Ces obligations diminueront ainsi le besoin, pour le gouvernement du Québec, d’avoir recours à des sources de capitaux extérieures à la province. Elles permettront du même coup aux épargnes des citoyens du Québec d’être utilisées de façon profitable pour tous dans la province même, au lieu de demeurer inactives ou encore d’être canalisées hors du Québec.
En vue d’arrêter certains détails techniques importants, j’ai reçu le concours d’un comité d’experts placé sous la présidence de M. Jean Ostiguy, financier de Montréal, comité dont font partie les sous-ministres des finances.
Je me suis également assuré la coopération des banques, des caisses populaires, des courtiers en valeur mobilière de toute la province et des compagnies de fidéicommis.
Voici quelles sont les conditions principales de la deuxième émission des obligations d’épargne de la province de Québec. Émises à 10 ans, les obligations seront datées du premier mai 1964 et écherront le premier mai 1974.
Elles seront munies de 10 coupons annuels d’intérêt portant les taux d’intérêt de: 5% pour les trois premières années, 5.1% pour les trois années subséquentes, 5 % pour les quatre dernières années, soit un rendement moyen d’intérêt de 5.25% approximativement.
Les obligations seront payables comptant sur livraison par les banques, les compagnies de fidéicommis et les caisses populaires directement aux acheteurs ou aux courtiers. Après un examen approfondi des divers aspects du problème nous avons décidé, comme l’année dernière, d’écarter la modalité de ventes par retenues sur les salaires. Toutefois, il y a lieu de s’attendre à ce crue de nouveau les banques, caisses populaires et compagnies de fidéicommis consentent des facilités de crédit de gré à gré à leurs clients.
Les obligations ne seront ni cessibles, ni transférables. Elles seront vendues immatriculées quant au capital seulement à des particuliers, adultes ou mineurs, et aux successions de personnes décédées, domiciliés ou résidant dans la province de Québec.
Les obligations seront émises en coupures de $ 50,
$100, $ 500, $1000 et $ 5000 .
Nul détenteur ne pourra posséder des obligations de la présente émission pour un montant supérieur à $ 15000 , à l’exclusion cependant des obligations acquises par succession d’un propriétaire immatriculé décédé.
Le prix d’achat sera de 100 % jusqu’au 15 mai 1964 inclusivement, plus, après cette date, l’intérêt couru à 5.25% l’an par mois ou partie de mois.
Le remboursement des obligations pourra se faire en tout temps au gré du propriétaire à 100% du capital, plus l’intérêt couru suivant un barème imprimé sur les obligations. Quant aux échanges, ils pourront se faire sans frais au bureau principal du régistraire de la deuxième émission, Montreal Trust Company, à Montréal.
La vente des obligations pourra être discontinuée en tout temps à la discrétion du ministre des finances.
J’ajoute qu’une campagne d’information débutera vers la fin du mois et sera menée de telle sorte que tous les citoyens du Québec seront suffisamment renseignés, et en temps voulu, des avantages et des modes d’achat des obligations. La livraison proprement dite des obligations commencera le 13 avril prochain. D’ici là, nos concitoyens pourront évaluer leurs disponibilités et prévoir le montant qu’ils seront en mesure d’affecter à l’achat d’obligations d’épargne de la province de Québec.
Enfin, comme vous l’entendrez bien souvent au cours de la campagne d’information, les avantages de ces obligations sont résumés dans l’adage: » Prospérité bien ordonnée commence par soi-même « .
[QLESG19640324]
[Ouverture officielle de la nouvelle laminerie de Northern Electric
Lachine, le 24 mars 1964 Pour publication après 4:8) hres P.M.
Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec le 24 mars 1964]
Il m’arrive, de temps à autre, de participer à des manifestations comme celle d’aujourd’hui. Chaque fois, j’en suis heureux. D’abord, en ces occasions, je me trouve toujours au milieu de personnes qui sont, à juste titre, fières de l’oeuvre qu’elles viennent d’accomplir. De plus, comme Premier ministre du Québec, je constate chaque fois, de mes yeux et sur place, des signes concrets de la croissance économique et industrielle de notre province et c’est alors à mon tour d’être fier.
Aujourd’hui, je préside à l’ouverture officielle de la nouvelle laminerie de la Compagnie Northern Electric. Je vous remercie de m’y avoir invité et de m’avoir ainsi permis, d’une certaine façon, de participer à votre entreprise. Il ne m’est pas facile, au cours de la session parlementaire, de trouver le temps voulu pour me rendre à toutes les invitations qu’on a l’amabilité de me faire. Cette semaine cependant, je me sens un peu en vacances puisque l’Assemblée législative a suspendu ses travaux. J’en profite pour venir vous voir car cette période de calme relatif durera peu de temps. Dans une semaine exactement, la conférence fédérale-provinciale, commencée en novembre dernier, reprendra à Québec. Et je n’ai pas besoin de vous dire qu’alors mes vacances – vacances de rêve seulement seront véritablement terminées ! [About two weeks ago, the newspapers published some official statistics which I personally found to be very significant, and which certainly must have struck you too.
These statistics concerned projected investments of all kinds: construction, new equipment, repairs, etc… The data which are used to make up these statistics are collected from businessmen, industrialists and from the country’s governments. The survey is made at the beginning of the current year.
Now; according to these figures, the level of investment forecast for Canada in 1964 is 1igher than ever: $13.460 billion compared with $12.565 billion for 1963. This is very encouraging in itself, but this is mot au. As a matter of fact, it is Quebec that has the greatest share of the increase in investment: $441 million out of a total of $895 million.
Without making a detailed analysis, I would litre to draw a few simple and brief conclusions from the facts tha.t lie behind these statistics.
First of all, one thing seems obvious to me. The economic energy of our province is mot only being maintained, it is also increasing. I do mot know
any more precisely than you do about what Quebecls economic future will be in ton or twenty years. I have absolute confidence in this future, but I do mot pretend to be a prophet. Furthermore, I am satisfied to examine existing facto, and in doing so, I am convinced that we have every reason to be pleased. Our economy is in full development, and the official opening of your company’s rolling mill provides further proof of it.
Quebec continues to be one of the most attractive parts of the country insofar as investment is concerned. In spite of the problems caused by world competition, especially in the last few years, I do mot think that I am deluding myself in believing that Quebec is continuing to attract mot only the capital of Canadian firms, but of foreign ones as well.]
Mais, comme Québécois, nous ne voulons plus demeurer passifs: nous voulons aussi prendre part à la mise en valeur de nos richesses, tout en souhaitant qu’on vienne s’associer à nous dans cette tâche. Je ne veux pas maintenant vous exposer le détail de la politique que nous suivons en cette matière, ni des efforts que, depuis plus de trois ans, nous avons faits pour donner à la population du Québec les institutions économiques qui lui manquaient.
Je signale seulement la création de la Société générale de financement et l’ouverture, à Paris et à Londres, de délégations du Québec. Nous voulons aussi faciliter l’investissement en formant, par notre politique d’éducation, des jeunes Québécois aux fonctions économiques et administratives qui les attendent dans le Québec d’aujourd’hui et de demain. Il y a également notre politique d’achat, dont on ne comprend pas toujours le véritable sens, mais qui, depuis qu’elle a été adoptée, a permis à certaines industries établies au Québec de prendre un nouveau départ.
On trouve les résultats de toutes ces politiques dans les prévisions d’investissements que j’ai mentionnées il y a un instant. Il est difficile de déceler dans quelle mesure telle ou telle décision ou attitude du gouvernement a pu influencer le montant des investissements envisagée, mais il est certain que, par son action, le gouvernement a amélioré ce que j’appellerais le climat économique du Québec. D’ailleurs, il fournit lui même, à cause des dépenses importantes qu’il projette dans tous les domaines: éducation, santé, voirie, construction de toutes sortes, etc., une bonne part du total des investissements prévus pour 1964. Au cours d’avril, dans mon discours du budget, j’aurai l’occasion de donner plus de précisions sur ces projets.
On dit souvent qu’au Québec il y a énormément de richesses à développer. Cela, à mon sens, est absolument vrai, et ce qui est encore plus vrai, c’est qu’il y a chez nous de la place pour tous les types d’entreprises.
Le gouvernement et les citoyens du Québec n’ont, à ce sujet, aucune attitude dogmatique. Nous croyons que l’entreprise privée a un grand rôle à jouer; nous croyons qu’il en est également de même pour l’entreprise mixte ou pour l’entreprise publique. Actuellement, les trois types d’entreprises existent au Québec et personne ne peut prétendre qu’elles se nuisent mutuellement, au contraire. D’ailleurs, il ne serait pas du tout réaliste, de la part du gouvernement ou de la part de qui que ce soit, de décréter que seule l’entreprise privée oc seule l’entreprise publique, par exemple, sont en mesure d’apporter au Québec le taux de croissance économique dont il a besoin. Les deux, comme je l’ai dit il y a un instant, sont nécessaires car certaines initiatives conviennent mieux à l’une qu’à l’autre et inversement. Il n’y a pas non plus de raison que le Québec, à l’instar de certains des pays les plus évolués du monde, ne réussisse pas à établir en cette matière l’équilibre qui s’impose. Pour ma part, je suis convaincu, étant donné la bonne volonté qu’on manifeste de partout à cet égard, que nous y arriverons entièrement. Nous sommes déjà bien engagés sur la bonne voie.
[QLESG19640431]
[Gouvernement du Québec
Déclaration de l’honorable Jean Lesage, Premier ministre, ministre des Finances et des Affaires fédérales-provinciales Conférence fédérale-provinciale, Québec, le 31 mars 1964.]
La conférence fédérale-provinciale, qui a débuté à Ottawa en novembre dernier, se continue aujourd’hui à Québec.
Nous sommes heureux que le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces du pays aient accepté avec autant d’empressement de se réunir au Québec pour poursuivre les travaux entrepris il y a quatre mois. Notre capitale et toute sa population se réjouissent de leur présence. Au nom du gouvernement du Québec, nous souhaitons à tous un séjour à la fois agréable et fructueux. Il ne nous semble pas nécessaire de revenir sur toutes les questions examinées en novembre. Pour certaines d’entre elles, il apparaît plutôt opportun de laisser écouler un laps de temps qui nous permettra de mieux juger des effets des décisions prises à ce moment. Nous considérons toutefois qu’il est essentiel de nous arrêter de nouveau à deux sujets d’importance capitale les arrangements fiscaux et les programmes conjoints. Dans le premier cas, nous réitérons notre position; les améliorations nécessaires que nous préconisons – et qui peuvent même conduire à une réforme en profondeur du fédéralisme canadien – nous incitent à remettre en pleine lumière le problème de la fiscalité . Dans le second cas, nous répétons le désir du Québec de se retirer des programmes conjoints moyennant compensation fiscale et nous formulons des propositions précises et concrètes à cet effet.
Enfin, nous abordons d’autres sujet qui sont à l’ordre du jour de la présente conférence ou qui se rapportent à des mesures annoncées récemment par le gouvernement du Canada. Les arrangements fiscaux
Les positions du gouvernement du Québec, relativement aux arrangements fiscaux, ont été exposées dans le document que le Québec a présenté à Ottawa en novembre dernier. Nous croyons utile de reproduire intégralement le texte qui traitait de la fiscalité et de la péréquation . Cette question se divise en deux sujets d’importance majeure la répartition des champs fiscaux et la péréquation.
a) la répartition des champs fiscaux.
Le principal et le plus urgent des motifs sur lesquels nous nous fondons pour exiger une répartition fiscale nouvelle est la priorité actuelle des besoins provinciaux. La répartition fiscale vise à satisfaire ces besoins, c’est-à-dire à permettre aux provinces de se consacrer plus adéquatement et plus efficacement à la mise en valeur, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de leur capital humain. C’est ce à quoi tendent les diverses mesures d’éducation, de bien-être et de santé. Corollairement, la répartition fiscale désirée leur permettra de s’acquitter de leurs responsabilités en matière de développement économique, ce qui a aussi une influence indéniable sur le capital humain. Ces deux objectifs se touchent et se complètent. Or, ils relèvent de la juridiction des provinces et celles-ci, comme nous l’avons déjà dit, n’ont pas actuellement les moyens financiers de les atteindre pleinement. C’est cette situation néfaste pour l’avenir même de notre pays qu’il importe absolument de corriger.
De nouveau, nous demandons comme pouvoirs fiscaux minima 25 % de l’impôt sur le revenu des particuliers, 25 % de l’impôt sur le revenu des corporations, soit (dans ce dernier cas) environ 10 % du revenu imposable, et 100 % de l’impôt sur les successions, car la transmission de la propriété relève de la juridiction des provinces. Corollairement, il est logique que l’impôt sur les donations entre vifs soit dévolu aux provinces puisque ces donations sont de même caractère que les successions.
S’agit-il là de demandes définitives et rigides ? Pas nécessairement et pour deux raisons. D’abord, nous sommes présentement au Québec à étudier le problème de la fiscalité. Tant que la Commission royale d’enquête nommée à cette fin n’aura pas soumis son rapport, les proportions que nous mentionnons ici ne peuvent être considérées comme finales, Chose certaine, elles représentent pour nous un strict minimum et elles ne se situent donc certainement pas au-dessus de ce à quoi peuvent nous conduire nos travaux courants sur la fiscalité.
Nous ne tenons pas non plus de façon absolue aux proportions déterminées qui sont indiquées plus haut. Naturellement, c’est la combinaison que, de loin, nous préférerions, mais nous ne refuserions pas, par exemple, de recevoir un pourcentage plus élevé que 25% de l’impôt sur les particuliers pour compenser un pourcentage moindre dans le cas de l’ impôt sur les corporations ou vice-versa. Pour ce qui est de l’impôt sur les successions, il est possible que le gouvernement fédéral tienne à en garder un léger pourcentage pour fins de vérification des autres types d’impôts. En supposant une équivalence du côté de l’impôt sur le revenu des particuliers ou sur celui des corporations, nous consentirions à ce que le gouvernement fédéral conserve 5% par exemple de l’impôt sur les successions. En somme, pour des raisons de commodité administrative que nous comprenons, l’impôt sur les successions peut donner lieu à un tel arrangement à condition naturellement que la plus grande partie de celui-ci soit dorénavant, comme il est normal, prélevé par les provinces qui le désirent.
Il importe toutefois que l’on sache que les alternatives dont nous parlons ici ne diminuent en rien la portée de nos exigences fondamentales en matière de fiscalité.
b) la péréquation
Nous avions demandé, en 1960, que la péréquation soit désormais calculée sur la base du rendement, per capita de l’impôt sur le revenu des individus et des sociétés commerciales dans la province où ce rendement était le plus élevé.
Aujourd’hui, nos positions à ce sujet sont demeurées sensiblement les mêmes, sauf que, pour favoriser les provinces à revenus moindres, nous croyons que le rendement des impôts sur les successions devrait continuer à faire partie de la formule de péréquation, même si nous demandons que le fédéral évacue entièrement ce champ de taxation. En effet, l’impôt sur les successions constitue une excellente mesure de la richesse relative des individus et, de ce fait, peut très logiquement servir de base partielle à la péréquation.
Nous sommes très heureux de constater que le gouvernement fédéral actuel, dans le programme qu’il a soumis à la population au printemps dernier, a promis qu’il verserait aux provinces des paiements de péréquation leur garantissant, dans les champs conjoints de taxation, les mêmes revenus par habitant que ceux que retire la province la plus riche. Cette prise de position claire et nette nous satisfait car elle rencontre une de nos demandes fondamentales. Nous comprenons aussi que l’expression « champs conjoints de taxation » exclut automatiquement les revenus des richesses naturelles du calcul de la péréquation. Là encore il y a amélioration sur la formule actuelle et on revient à l’esprit d’une véritable péréquation dont le gouvernement du Canada s’était sensiblement détourné avec les arrangements actuels.
Un point n’est cependant pas encore éclairci. Actuellement, la péréquation s’établit sur le rendement per capita moyen des revenus que les provinces peuvent retirer des impôts suivants : impôts sur le revenu des particuliers à raison de 17% en 1963, 18 % en 1964, etc. impôts sur le revenu des sociétés à raison de 9 % du revenu imposable par le gouvernement fédéral; impôts sur les successions à raison de 50% et moyenne pour les trois dernières années de la moitié des revenus provenant de l’exploitation des richesses naturelles. Dans la nouvelle formule que nous proposons, le dernier type d’impôts disparaîtrait. II reste donc à déterminer quels pourcentages de l’impôt sur le revenu des particuliers, de l’impôt sur le revenu des sociétés et de l’impôt sur les successions devront dorénavant servir de base de calcul . Nous suggérons que ces pourcentages soient de 25, 25 (soit environ 12 % du revenu imposable des corporations) et 100, au lieu de 17,9 et 50 selon les arrangements actuels.
C’était ici la position que le Québec exprimait en novembre 1963 sur la question des arrangements fiscaux. Il n’y fut pas donné suite. En effet, le gouvernement du Canada se contenta de libérer d’un 25% additionnel l’impôt sur les successions et d’établir la péréquation en prenant comme base les deux provinces les plus riches. Il a, en outre, conservé inchangés les pourcentages des impôts qui entrent dans le calcul de la péréquation. Enfin, il a corrigé ce montant pour tenir compte, dans une certaine mesure et selon des modalités techniques, du revenu que les provinces retirent de l’exploitation des richesses naturelles.
Ce nouveau mode de calcul des arrangements fiscaux a valu au Québec une somme qui, bien que de loin inférieure à ses demandes minima, représentait presque la moitié des revenus globaux que le gouvernement fédéral consentait à libérer. Cependant, comme nous venons de le dire, les sommes en question sont loin de suffire aux besoins prioritaires du Québec dans les domaines qui relèvent de sa juridiction; celles que les autres provinces ont reçues sont probablement insuffisantes elles aussi et pour les mêmes raisons.
De plus, le mode de calcul adopté en novembre, même s’il a corrigé une injustice dont le Québec, à la suite des arrangements fiscaux de 1962-67, avait été l’objet, a créé d’autres sujets de mécontentement pour certaines provinces. Le problème des arrangements fiscaux n’est pas du tout résolu. Il importe dès lors, et de façon urgente, tout de suite, d’en arriver à une solution véritable et équitable, qui tienne compte des droits prioritaires des provinces.
En conséquence, le Québec maintient intégralement les demandes qu’il a exprimées à maintes reprises depuis 1960, à savoir l’élargissement des champs de taxation, représenté par la formule 25-25-100 et la péréquation de ces mêmes impôts à ces taux et en prenant comme base la province où le rendement de ces impôts est le plus élevé.
De plus, comme les provinces occuperont, dès demain, 75% du champ de l’impôt sur les successions, il convient que celles-ci aient immédiatement l’exclusivité de l’impôt sur les donations entre vifs. Le montant en cause n’est pas considérable, mais cet impôt est essentiel à une saine administration de l’impôt successoral.
Les programmes conjoints
Les suggestions que le Québec avance relativement aux programmes conjoints se fondent sur les positions qu’il a déjà fréquemment énoncées à ce sujet, et sur celles que le gouvernement du Canada a fait connaître.
– Les positions déjà établies par la position du gouvernement canadien.
Au cours des derniers mois, le Premier ministre du pays et plusieurs de ses collègues ont à maintes reprises exposé la politique qui apparaissait en 1962, dans le manifeste du parti libéral du Canada. Cette politique s’énonçait comme suit : [« Si certaines provinces le désirent, elles devraient, sans perte d’argent, pouvoir se retirer des programmes conjoints déjà bien établis qui comportent des dépenses régulières payées par le gouvernement fédéral . Ottawa accordera alors à ces provinces une compensation égale à ce qu’il lui en coûte, en diminuant ses propres impôts directs et en augmentant les paiements de péréquation. Il en sera de même lorsque certaines provinces refuseront de prendre part à de nouveaux programmes conjoints que le gouvernement fédéral pourrait croire opportuns. Dans le cas des bourses d’études et des subventions aux universités, un nouveau gouvernement libéral offrira sans conditions – aux provinces qui le préfèrent – des ressources financières équivalentes ».]
Plus récemment, soit le 16 mars dernier, le ministre fédéral des Finances, dans son discours du budget (p. 1023 du Hansard) disait ce qui suit : [« Si les provinces le désirent, nous sommes disposés à leur confier l’entière responsabilité de certains de ces programmes à frais partagés d’une nature continue qui sont déjà établis, et à effectuer les rajustements fiscaux nécessaires, soit sous forme d’une part plus large des domaines d’imposition directe, soit au moyen de modifications ou de compléments aux versements de péréquation ».]
Plus loin, dans ce mémoire, nous consacrons un passage aux programmes conjoints de nature continue; notre position, au sujet de ces programmes, rejoint sensiblement celle du ministre fédéral des Finances.
2) la position du Québec
Le Québec a résolu, depuis 1960 (conférence fédérale-provinciale de juillet), de mettre un terme au régime des programmes conjoints. La position du Québec a été exprimée de nouveau à la conférence fédérale-provinciale de novembre 1963. Les programmes conjoints en vigueur ont certainement joué un rôle de stimulant dans la croissance économique et sociale du pays; ils ont même suppléé, en plusieurs cas, à l’initiative des provinces.
Toutefois, les subventions conditionnelles versées par le gouvernement fédéral aux provinces en rapport avec les programmes conjoints administrés par les gouvernements provinciaux posent toutes sortes de difficultés. Nous comprenons que, lorsque le gouvernement fédéral décide de participer à de tels programmes, il exige que certaines conditions soient remplies par les provinces, mais ces conditions mêmes font naître plusieurs complications. L’existence de ces programmes signifie perte d’efficacité ou double emploi et des frais plus élevés. Les provinces doivent avoir à leur service un personnel spécialement chargé de faire rapport à Ottawa de l’exécution de ces programmes et le gouvernement fédéral doit à son tour engager des fonctionnaires pour voir à ce que les conditions exigées par lui soient respectées par les provinces. À ce propos, les décisions finales sur des points controversés sont souvent réservées à Ottawa.
À cela il faut ajouter que les programmes à frais partagés sont généralement conçus sans consultation préalable avec les provinces. En adoptant cette façon de procéder, le gouvernement central agit comme s’il était meilleur juge des valeurs et des besoins de la population que les administrations provinciales. Celles-ci possèdent toutefois une connaissance bien supérieure des besoins de leur propre population.
Nous estimons par ailleurs que les administrations provinciales, si elles étaient pourvues des ressources, financières suffisantes, pourraient dorénavant démontrer la même initiative créatrice et la même efficacité que celles dont a pu faire preuve le gouvernement fédéral en certaines circonstances.
Au point de vue économique, nous devons noter que les subventions conditionnelles rattachées aux programmes conjoints représentent en pratique un don sans condition aux provinces riches. En effet, il est probable que celles-ci auraient dé toute façon, fourni à leur population les services rendus par les programmes conjoints. Dès lors, les provinces riches peuvent libérer une somme égale aux contributions fédérales et les affecter à des postes de leur choix. Il est même possible que, les circonstances s’y prêtant, la subvention conditionnelle permette à ces provinces de maintenir un taux d’imposition moindre que celui qu’elles auraient autrement atteint.
Dans le cas des provinces moins fortunées, c’est la situation inverse qui peut se produire. Pour bénéficier des subventions conditionnelles fédérales, ces provinces doivent parfois réduire d’autres postes de leur budget de façon à libérer les fonds dont elles ont besoin pour défrayer leur quote-part des programmes à frais partagés. Il s’ensuit une discrimination financière possible en faveur des services subventionnés au détriment des services qui ne le sont pas. Le problème constitutionnel soulevé par les programmes conjoints est grave. En pratique, la présence de ces plans réduit l’initiative des provinces dans les champs d’action que la constitution leur reconnaît et vient même déformer l’ordre de priorités que les provinces désireraient établir dans leurs propres dépenses. De plus, la plupart du temps, ils visent à défrayer le coût d’initiatives qui devraient normalement relever des juridictions provinciales.
Cependant, pour des raisons politiques faciles à comprendre, les provinces peuvent difficilement refuser les subventions rattachées aux programmes à frais partagés. Ces subventions deviennent ainsi une contrainte qui, à toutes fins utiles, place les provinces dans un état de subordination vis-à-vis le gouvernement central. En effet, si certaines d’entre elles, à cause de leur position constitutionnelle, ne veulent pas se soumettre aux conditions fixées par le gouvernement central, elles sont gravement pénalisées puisqu’elles se voient privées de sommes auxquelles leurs citoyens ont pourtant contribué. C’est cette situation qui a forcé le Québec à adhérer depuis 1960, à plusieurs programmes conjoints. Cette adhésion, toutefois, n’a toujours été pour nous qu’un pis-aller en attendant une solution satisfaisante à ce problème. Nous croyons qu’est maintenant venu le moment de résoudre la question une fois pour toutes.
– Les types de programmes conjoints et les modalités de l’équivalence
Le principe de la formule d’option étant clairement reconnu, de part et d’autre, il reste maintenant à déterminer à quels programmes conjoints elle s’appliquerait et selon quelles modalités.
Dans l’établissement des modalités d’option qu’il suggère, le Québec a tenu compte de cinq catégories possibles de programmes conjoints. Les programmes conjoints de nature continue auxquels le Québec adhère actuellement. On doit noter que certains programmes conjoints temporaires ont constamment été renouvelés depuis leur institution. Le Québec considère que ces programmes sont, de ce fait, des programmes de nature continue. Ainsi on se trouve en présence de programmes qui sont de nature continue « in se » et d’autres qui le sont « de facto ».
Le Québec désire en principe que la formule d’option s’applique à tous tes programmes de cette catégorie, notamment aux allocations d’invalidité et de cécité, à l’assistance-vieillesse, aux travaux d’hiver, à l’assistance-chômage, à l’assurance-hospitalisation, à la construction des hôpitaux et aux subventions d l’hygiène. L’option pourrait s’établir selon les modalités suivantes. Elle prendrait la forme d’une équivalence fiscale et son application se ferait en deux étapes distinctes : première étape : au premier janvier 1965, par exemple, le gouvernement fédéral libérerait l’impôt sur le revenu des particuliers d’un nombre de points d’un rendement total équivalent à la quote-part des dépenses qu’ il aurait effectivement encourues, pendant les douze mois de l’exercice financier précédent, pour le financement des programmes conjoints auxquels le Québec ne désire plus adhérer.
Cette équivalence semble à prime abord mieux s’appliquer aux programmes de nature continue « in se » qu’à ceux qui le sont « de facto ». Ces derniers, en effet, peuvent théoriquement cesser; l’équivalence fiscale perdrait alors apparemment beaucoup de son caractère définitif. Tel n’est cependant pas le cas, car si les programmes qui sont « de facto » de nature continue se terminaient, il faudrait naturellement que le gouvernement fédéral songe à une libération en faveur des provinces des champs de taxation qui lui étaient jusque là nécessaires au financement de ce type de programmes.
Mieux vaut alors prévoir cette situation et établir l’équivalence fiscale dès le départ. Chaque année, entre le premier janvier 1965 et le premier janvier 1967, sans changer le principe de la péréquation, des sommes seraient ajoutées aux paiements de péréquation ou déduites de ceux-ci, selon que l’équivalence fiscale, arrêtée le premier janvier 1965, s’avérerait inférieure ou supérieure aux dépenses effectivement encourues par le Québec dans le cadre des programmes conjoints dont il se serait ainsi retiré.
Pendant cette période de transition de deux ans, pour faciliter l’ajustement des sommes dépensées par le Québec à celles qu’il recevrait de l’élargissement des champs de taxation, et, en plus ou moins, de la péréquation le cas échéant, le Québec s’engagerait à ne pas modifier la structure et le fonctionnement des services déjà prévus dans les programmes conjoints pour lesquels il désire l’option. Deuxième étape : À compter du premier janvier 1967, soit vers l’époque où les arrangements fiscaux de 1967-72 entreraient en vigueur, on évaluerait l’expérience des deux années précédentes et, à la lumière de celle-ci, on pourrait déterminer une équivalence fiscale définitive.
Une fois l’équivalence finale déterminée, le Québec serait libre d’agir à sa guise à l’intérieur des domaines qui ne seraient plus soumis à la réglementation fédérale. Ni de part, ni d’autre, il n’ y aurait désormais d’ajustements par le truchement de versements ajoutés aux paiements de péréquation ou retranchés de ceux-ci.
Afin de donner une idée de ce que représenterait cette équivalence en termes d’impôt sur le revenu des particuliers, supposons que les sommes actuellement dépensées par le gouvernement fédéral au Québec en vertu des programmes conjoints de type permanent dont le Québec veut se retirer s’établissent à $ 212000000 par année. En supposant également qu’au Québec, 1 % de l’impôt sur le revenu des particuliers produise un rendement de $ 5300000 par année, l’équivalence prendrait la forme d’une libération, par le gouvernement fédéral, de 40 points additionnels de cet impôt. Il est bien entendu que si d’autres provinces désiraient se prévaloir de la même option, il faudrait alors utiliser le rendement de % d’impôt sur le revenu des particuliers s’appliquant chez elles et non le rendement québécois de cet impôt, comme c’est le cas dans l’exemple que nous venons de donner. L’élargissement de l’impôt sur le revenu des particuliers pourrait donc être différent d’une province à l’autre. Cette situation cependant ne présenterait pas de problèmes administratifs sérieux, car les taux provinciaux de l’impôt sur le revenu des particuliers varient déjà d’une province à l’autre. En effet, en vertu des arrangements actuels, même les provinces qui font percevoir cet impôt par le gouvernement central imposent des taux qui ne sont pas uniformes.
Si toutes ou une majorité des provinces désiraient se retirer des programmes conjoints, le Québec n’a pas d’objection à ce qu’on utilise, pour établir l’équivalence fiscale, le rendement de l’impôt sur le revenu des particuliers dans la province où il est le plus élevé, en faisant toutefois les ajustements nécessaires au moyen de la péréquation au niveau de cette province.
Le Québec désire signaler que la méthode suggérée ici est d’application beaucoup plus facile si l’on sort des programmes conjoints de type permanent en bloc. En effet, l’option deviendrait plus difficile à administrer si chaque province choisissait de sortir à sa guise d’un petit nombre de programmes conjoints, sans tenir compte de ceux dont d’autres provinces désirent elles-mêmes se retirer.
Les programmes de nature temporaire qui viennent d’être instaurés dans le Québec.
Le Québec ne désire pas se prévaloir pour l’instant de l’option de retrait relativement aux programmes de nature temporaire auxquels il vient d’adhérer. Il s’agit des dépenses en capital relatives à l’enseignement technique, de la route Trans-Canada, d’ARDA et du Centenaire de la Confédération.
Il est évident que le programme sur le Centenaire ne peut être renouvelé. Quant aux autres, ils le seront dans la mesure où le Québec n’aura pas pu profiter de façon juste et raisonnable des sommes auxquelles il a normalement droit, compte tenu de ses besoins et de sa population. Pour ceux qui ne seront pas renouvelés, il y aurait lieu d’appliquer l’équivalence fiscale telle qu’elle est énoncée précédemment.
De plus, le Québec ne tient pas à se retirer de quelques autres programmes temporaires de nature très spéciale se rapportant notamment à la recherche et autres projets du genre. Les programmes conjoints déjà existants mais auxquels le Québec n’adhère pas actuellement.
Le Québec n’adhère pas actuellement à certains programmes conjoints, déjà en vigueur dans les autres provinces, mais dont il aurait pu se prévaloir.
Les programmes conjoints à venir.
Dans le cas des programmes conjoints à venir, de même que pour ceux qui existent déjà mais auxquels le Québec n’adhère pas actuellement, nous désirons qu’une équivalence financière, qui serait ensuite transposée en une libération supplémentaire des champs de taxation, nous soit accordée, en prenant comme base de calcul la proportion relative de la population québécoise par rapport à l’ensemble de la population canadienne. En d’autres termes, en se fondant sur la population canadienne actuelle et sa répartition géographique, on considérerait que les montants versés pour les programmes conjoints dans le reste du Canada représentent 71 % d’un total hypothétique
qui se rendra à 100 % lorsque le Québec recevra, de la manière indiquée plus haut, le 28.9% auquel lui donne droit sa population relative. Il pourra évidemment, par exception, se produire des situations où le critère de la population relative ne conviendra pas comme base de l’équivalence. Il est possible, par exception également, que l’équivalence ne puisse pas toujours être transposée en champs de taxation élargis. Dans ce cas exceptionnel, l’équivalence pourra se traduire par des additions aux montants de péréquation auxquels le Québec a droit.
Cette formule d’option, d’après le Québec et en toute justice, devrait pouvoir s’appliquer de façon rétroactive non seulement aux programmes qui ont été établis depuis peu ou à ceux qui viendront, mais aussi à ceux dont le Québec, à cause de sa position en matière constitutionnelle, n’a pas cru devoir se prévaloir dans un passé plus éloigné. Dans le cas de ces programmes plus anciens, l’équivalence est assez difficile à évaluer. Il faut tenir compte de plusieurs facteurs. Ainsi, certains programmes conjoints ne touchent qu’une seule province, d’autres ne visent qu’un type d’activités étrangères au Québec; d’autres par contre auraient pu s’appliquer au Québec.
Il est toutefois possible d’établir, de façon approximative et pour certains programmes conjoints, les montants dont le Québec n’a pas bénéficié à cause de sa position constitutionnelle. Ainsi, dans le cas de l’assurance-hospitalisation, toutes les provinces sauf Québec ont été parties a l’entente à compter de 1959-60; en janvier 1961, le Québec a adhéré au programme. Pour la seule année 1960, celui-ci n’a pas reçu une somme de $ 60000000 à laquelle il aurait eu droit. Le même raisonnement s’applique à 1’assistance-chômage à laquelle toutes les provinces ont participé à partir de 1958. Le Québec y ayant adhéré en 1959, il n’a pu retirer une somme de $ 8000000 à laquelle lui aurait donné droit sa population relative pendant les douze mois qui se sont écoulés entre le moment où neuf provinces participaient au programme et celui où il a lui-même adhéré.
Les deux programmes mentionnés ici comme exemple s’appliquent à tout le Canada et il est, facile d’établir la rétroactivité en ne considérant que les années où seul Québec n’y adhérait pas. Le calcul est beaucoup plus complexe pour les années où d’autres provinces que Québec ne participaient pas aux programmes en question. À noter aussi que, toujours à cause de sa position en matière constitutionnelle, le Québec n’a à peu près jamais pris part à des programmes conjoints visant une région donnée ou une activité régionale, alors que presque toutes les autres provinces ont, à un moment ou l’autre, profité de tels programmes. Dans ces cas, il ne peut être question que de rétroactivité comparative.
Quoi qu’il en soit, il y aurait lieu de prévoir, une fois que les calculs nécessaires auront été effectués, un versement dit de compensation grâce auquel le Québec pourrait rétablir un certain équilibre entre les montants auxquels il aurait eu droit et ceux qu’ il a effectivement reçus. Un tel versement pourrait s’échelonner sur un certain nombre d’années ou faire l’objet d’un versement global. Amélioration ou élargissement des programmes conjoints dont le Québec se serait retiré. Si, pour quelque raison (addition de services, regroupement, etc.) le gouvernement fédéral améliorait ou élargissait les programmes conjoints dont le Québec se serait retiré, l’équivalence fiscale sur la base de la population relative devrait, en principe, s’appliquer. Il y aurait équivalence inverse, sur la base des dépenses effectivement encourues, si le gouvernement fédéral restreignait, après l’option, la portée de certains programmes.
Il est clair que l’équivalence dont les provinces jouiraient, advenant l’abandon par le gouvernement fédéral de sa participation financière aux plans conjoints, n’a rien à voir avec la répartition fiscale concrétisée par notre demande de 25-25-100. Il s’agit d’une question complètement différente, la répartition fiscale exigée devant uniquement permettre aux provinces de s’acquitter de leurs responsabilités et ale satisfaire des besoins devenus prioritaires. Pour aucune considération, la répartition fiscale demandée ne doit apparaître comme une compensation reliée à l’abandon, par le gouvernement fédéral, de programmes à frais partagés.
Les prêts aux étudiants
Le fait, pour le gouvernement fédéral, d’offrir seulement des prêts aux étudiants, et non plus des bourses et des prêts comme ce semblait devoir être le cas un moment donné, peut à première vue apparaître comme un effort pour éviter le problème constitutionnel qu’aurait posé l’octroi de bourses. En effet, par son contrôle sur le crédit, le gouvernement fédéral peut donner l’impression de demeurer à l’intérieur de sa juridiction en accordant des prêts plutôt que des bourses. Nous ne croyons pas qu’une telle façon de procéder évite le problème constitutionnel. Les étudiants eux-mêmes l’ont senti puisqu’ils se sont opposés ouvertement à la nouvelle politique fédérale. La difficulté vient du fait, non pas qu’il s’agisse de prêts, mais bien de prêts sans intérêt à des étudiants. Les prêts seront consentis par les institutions bancaires sur la garantie fédérale, mais le gouvernement central se chargera de rembourser l’intérêt.
Ce remboursement devient dès lors une subvention directe du gouvernement fédéral pour des fins d’éducation. En outre, les citoyens à qui celle-ci s’adresse sont des étudiants, ce qui n’est certainement pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d’une politique d’aide à l’éducation, domaine exclusivement provincial. Pour ces deux raisons, le gouvernement du Québec ne peut accepter que le programme fédéral envisagé s’applique tel qu’il est maintenant prévu.
Par ailleurs, nous avons déjà mis sur pied un service d’aide aux étudiants; les bourses qu’il verse aux étudiants du Québec et les prêts qu’il consent chaque année représentent des sommes considérables. Nous exerçons déjà un effort particulièrement important en ce domaine, sans compter les sommes énormes que nous consacrons annuellement aux autres secteurs de l’éducation. Dans les circonstances, et afin de résoudre le problème posé par la politique fédérale de prêts aux étudiants, le Québec demande que le gouvernement du Canada lui remette, sous forme d’équivalence fiscale, les montants qu’il aurait consacrés au remboursement de l’intérêt sur les prêts consentis aux étudiants du Québec. Pour établir cette équivalence, nous accepterions qu’on tienne compte de la proportion relative de la population québécoise À ce montant, il faudra évidemment ajouter une somme pour les cas de mauvaises créances. Cette somme ou cette proportion de cas de mauvaises créances est probablement déjà prévue par le gouvernement du Canada pour l’ensemble du pays.
Les allocations scolaires
Dans le dernier discours fédéral du budget, on prévoit l’extension du régime des allocations familiales aux jeunes de 16 et 17 ans qui fréquentent l’école. L’allocation sera de $ 10 par mois.
Le gouvernement du Québec croit qu’il s’agit là beaucoup plus d’allocations scolaires que d’allocations familiales proprement dites.. En effet, d’après nous, le projet fédéral vise davantage à augmenter la durée de la fréquentation scolaire qu’à accroître le revenu des parents au bénéfice des enfants, comme c’est le cas des allocations familiales. C’est ce que déclarait lui-même le ministre fédéral des Finances dans son dernier discours du budget ( Hansard p. 1032) .
[« Une caractéristique essentielle de notre ligne de conduite, c’est d’encourager et d’aider les jeunes à poursuivre leur formation pour les préparer à trouver un emploi. Afin de donner suite à cet objectif, nous proposons que les allocations familiales soient versées à l’égard des enfants âgés de 16 et 17 ans qui suivent à plein temps des cours d’instruction ou de formation » .]
Plus loin, le ministre ajoutait : [« Cette mesure est destinée à aider et à encourager les adolescents, en aussi grand nombre que possible, à poursuivre leur formation pendant deux ans de plus, de manière à les rendre plus aptes à remplir les genres d’emploi qui seront vraisemblablement disponibles » .]
C’était d’ailleurs là un des objectifs que nous poursuivions quand, en 1961, nous avons institué notre propre régime québécois d’allocations scolaires. Actuellement, nous versons $ 10 par mois scolaire aux jeunes de 16 et 17 ans qui fréquentent une maison d’enseignement reconnue.
Cette allocation a certainement eu un effet marqué sur le niveau de la fréquentation scolaire puisque, au 31 décembre 1962, 104,121 étudiants la recevaient comparativement à 122,982 au 31 décembre 1963. Pour 1964, on prévoit que le nombre des étudiants bénéficiant de cette allocation dépassera 140000 .
Entre le programme fédéral envisagé et le programme québécois existant, la coïncidence du montant versé et du groupe d’âge touché est trop grande pour ne pas exister également en ce qui concerne les objectifs de ces programmes.
Quoi qu’il en soit, il ne peut être question pour nous d’abandonner les responsabilités que nous avons déjà prises en ce domaine parce que le gouvernement du Canada a décidé d’appliquer une politique similaire à la nôtre. Nous n’avons pas non plus l’intention de permettre l’application simultanée des deux programmes. Il ne reste qu’une solution : la compensation fiscale.
C’est pourquoi le Québec veut que le gouvernement du Canada, en toute justice et en toute logique, lui accorde, sous forme d’équivalence fiscale, les montants qu’il aurait versés aux jeunes québécois de 16 et 17 ans si le gouvernement du Québec n’avait pas déjà occupé le champ. D’après des calculs préliminaires, la somme en cause est de $ 15000000 environ pour la première année complète, ce qui représenterait un élargissement de l’impôt sur le revenu des particuliers de l’ordre de trois points.
Par ailleurs, en instaurant son programme d’allocations scolaires, le gouvernement fédéral envisage de réduire, pour les fins de l’impôt fédéral sur le revenu des particuliers, l’exemption dont jouissent actuellement les
parents d’étudiants âgés de 16 et 17 ans. Cependant, lorsque notre propre régime d’allocations a été établi, nous n’avons pas réduit cette exemption pour les fins de l’impôt provincial, précisément parce qu’il s’agissait d’allocations scolaires. De son côté, le gouvernement fédéral avait adopté la même attitude. Nous tenons à ce qu’il continue d’en être ainsi. Autrement, s’il y avait diminution de l’exemption, les parents québécois d’étudiants de 16 et 17 ans seraient pénalisés et recevraient moins à cause de l’intervention fédérale, que ce à quoi ils ont droit présentement en vertu de notre régime d’allocations scolaires.
La coopération et la consultation intergouvernementales.
Dans le mémoire présenté par le Québec à la conférence fédérale-provinciale de novembre dernier, on trouvait le passage suivant « En suggérant, en 1960, que soit établi un secrétariat permanent des conférences fédérales-provinciales, nous étions d’avis qu’avec un tel secrétariat, les réunions et les rencontres fédérales-provinciales, tant au niveau des ministres qu’à celui des fonctionnaires, seraient mieux préparées et encore plus fructueuses. De plus, un tel organisme aurait pour conséquence de maintenir les relations intergouvernementales sur une base permanente et continue. Nous réitérons cette demande aujourd’hui, car nous la croyons plus pertinente que jamais.
De fait, il importe d’instituer des organismes intergouvernementaux, dont le secrétariat permanent des conférences fédérales-provinciales devrait être le premier à être établi. Dans le même ordre d’idées, il faut aussi songer à un conseil permanent des provinces.
De telles institutions sont devenues indispensables et sont probablement le seul moyen concret d’éviter aux provinces de se trouver en face de faits accomplis ou de mesures dictées unilatéralement, sans consultation préalable entre elles.
La position du Québec telle qu’exprimée en novembre sur la question de la coopération et la consultation intergouvernementales reste inchangée.
[QLESG19640415]
[Inauguration Maison de l’InformationQuébec, mercredi le 15 avril 1964 À publier immédiatement Hon, Jean Lesage. Premier ministre du Québec]
Nous inaugurons aujourd’hui la « Maison de l’information » qui est, en quelque sorte, la manifestation concrète des efforts déployés depuis trois ans par le gouvernement pour doter le Québec et sa population d’une véritable « Information officielle ».
C’est le 27 avril 1961 que fut en effet sanctionnée une loi de notre Législature créant l’Office d’Information du Québec. Je n’entreprendrai pas de vous dire tout ce qui a été fait depuis pour assurer à l’Office la structure, les cadres et les moyens indispensables à l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées. C’est justement le rôle de l’Office de vous le dire et, avec votre aide, d’en informer notre population. Et si j’en juge par la documentation qui nous est remise en ce jour d’inauguration officielle, l’Office a déjà commencé à le faire.
Par contre, j’aimerais vous entretenir quelques instants de l’Information officielle, qui est l’expression française reconnue et acceptée pour définir l’information émanant d’un gouvernement. Dans une allocution qu’il prononçait à une récente conférence de l’Institut canadien des Affaires publiques, le sociologue français Alfred Sauvy s’est appliqué à démontrer l’apport indispensable de l’Information officielle au bon fonctionnement de la démocratie. Il soulignait que l’Information officielle a un double but en ce sens que si les citoyens doivent connaître suffisamment les données fondamentales des questions, les gouvernants doivent, par contre, connaître l’état d’esprit et l’attitude des gouvernés. Et d’ajouter le professeur Sauvy: [« Le moins qu’on puisse dire est qu’il est non seulement du droit du gouvernement, mais de son devoir d’expliquer aux citoyens les raisons de la politique qu’il choisit. »]
Comme on le voit, l’information a un rôle essentiel à jouer en régime démocratique, et le gouvernement que je dirige, conscient de ses devoirs et de ses responsabilités, a voulu donner à l’information les moyens de jouer ce rôle. L’inauguration de cette maison, qui marque le début des travaux de l’Office d’information du Québec, en est la preuve tangible.
Ai-je besoin de le préciser: renseigner n’est pas interpréter.
Aussi ne faut-il pas confondre information; qui est la fonction de renseigner gouvernés et gouvernants, avec propagande qui, dans le contexte qui nous préoccupe, est la liberté pour les partis politiques d’interpréter à leur avantage – quand ils le jugent à propos – les renseignements que diffuse l’information officielle.
Le mandat de l’Office est clair: renseigner la population sur les lois adoptées par les Chambres, sur les structures gouvernementales qui en découlent et sur les services auxquels a droit notre population en vertu de la législation. C’est dire qu’il n’y a pas de place à l’Office pour la propagande ou la partisanerie.
Personnellement, je n’accepterai jamais qu’il en soit autrement, et je ne doute pas que les représentants de l’Opposition à la Législature verront à ne rien laisser passer dans un domaine aussi capital. Je m’en voudrais de ne pas souligner ici l’intégrité intellectuelle et la compétence professionnelle de l’équipe dont s’est entouré mon collègue, le Secrétaire de la province, pour mettre sur pied l’Office d’information du Québec et en assurer le bon fonctionnement. Plus particulièrement monsieur René Montpetit qui, à titre de sous-secrétaire adjoint suppléant de la province, assume la direction générale de l’information officielle, ainsi que monsieur Hubert Potvin, le directeur de l’Office; et monsieur Gaétan Major, le directeur de la publicité du Québec. Cette équipe; avec l’étroite collaboration des agents d’information des différents ministères, saura nul doute mener à bonne fin la tâche délicate mais combien essentielle qui lui a été confiée.
[QLESG19620420]
[Conference de presseQuébec, le 20 avril 1964,
À publier immédiatement
Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec Dénouement de la
Conférence fédérale-provinciale du 31 mars 1964]
La conférence fédérale-provinciale de la fin de mars à Québec, comme tout le monde le sait, s’est terminée dans l’insatisfaction générale. Le Québec, pour sa part, était extrêmement déçu. Il n’avait pas espéré de miracle de la conférence, mais il s’était attendu à une reconnaissance immédiate plus marquée des droits et des besoins provinciaux. Pour faciliter cette reconnaissance, pour accélérer la solution de problèmes complexes, nous avions pris soin de présenter des propositions concrètes et réalistes. Nous avions systématiquement évité de nous perdre dans des considérations générales pour nous en tenir plutôt à des suggestions pratiques.
C’est dans cet esprit que nous avons formulé nos demandes dans le domaine fiscal, nos suggestions quant à l’application de la formule d’option en matière de programmes conjoints et notre projet de caisse de retraite. Vous savez l’accueil qui a été fait à ces propositions, surtout à notre projet de caisse de retraite. Malgré cela cependant la conférence s’est terminée sur ce que je pourrais appeler une impasse: le gouvernement fédéral n’avait pas fondamentalement, dans les faits, modifié son attitude et les provinces du pays devaient se contenter de l’espoir qu’on en arriverait, dans un avenir plus ou moins éloigné, à reconnaître leurs droits et à satisfaire à leurs besoins. La conférence, ou plutôt son résultat, avait ainsi jeté, je le crains, dans notre pays, des germes de division d’une extrême gravité. Elle poussait le Québec à prendre des décisions justifiées par ses responsabilités, décisions dont, nous ne l’ignorions pas, les conséquences se seraient fait sentir pendant des années. Ces décisions –
comme je l’avais d’ailleurs annoncé dans mon discours du budget d’avril 1963 – nous étions fermement résolus à les prendre car il n’y avait vraiment pas d’autre issue. Il y allait de l’avenir du Québec, et de là du Canada français. Immédiatement après la conférence fédérale-provinciale, j’ai précisé quelque peu la nature de ces gestes qu’il nous aurait fallu poser. J’ai laissé entendre – et tel aurait été le cas – que nous en serions réduit à la double taxation. Ainsi, nous aurions été dans l’obligation de pénaliser notre population parce que le gouvernement central aurait laissé subsister un intolérable déséquilibre entre les besoins financiers des provinces et leurs ressources fiscales. Je n’ai pas besoin d’insister sur les effets négatifs que tout cela aurait eus sur la confédération canadienne.
Par ailleurs, en matière de caisses de retraite, la conférence a abouti à la confusion la plus complète. Chose un peu surprenante, nous avons été involontairement responsable de cette confusion. En effet, les renseignements que j’ai donnés sur notre propre projet de caisse de retraite ont contribué à mettre en doute la valeur économique et sociale du plan de pension proposé par le gouvernement du Canada et ont incité certaines provinces à envisager la possibilité d’adopter un régime de retraite similaire au nôtre.
En outre, certaines politiques récentes du gouvernement central ont mis le Québec dans une situation difficile, sinon impossible, où il n’avait vraiment pas d’autre choix que d’offrir un ferme refus et de proposer des solutions alternatives. Je pense ici aux allocations scolaires pour étudiants de 16 et 17 ans et aux prêts aux étudiants. Pour ces deux mesures qui touchent indiscutablement le domaine de l’éducation aucun arrangement autre que ceux que nous avons proposés dans le mémoire du Québec à la conférence n’était possible.
Il restait enfin la question des programmes conjoints. La formule d’option était reconnue depuis longtemps; c’est pourquoi, à la conférence de mars, nous avons proposé une méthode pratique de mise en oeuvre, fondée sur un examen attentif des principes et des sommes en cause et applicable à toute province canadienne qui désirerait se prévaloir de l’option. Le Québec entreprendra incessamment des négociations à ce sujet, en procédant non pas par programmes individuels, mais par catégories de programmes.
Ainsi, sauf pour ce qui est des programmes conjoints, la conférence de Québec n’avait produit aucun résultat, immédiat. Quant à nous, des solutions immédiates étaient essentielles. Il restait cependant un espoir. Le premier ministre du Canada, au terme de la conférence, avait annoncé qu’il réexaminerait, avec son cabinet, les questions soulevées au cours de nos échanges d’idées. Pour cette raison, nous avons immédiatement entrepris des discussions avec le gouvernement central dans le but d’apporter une collaboration encore plus étroite à la solution des problèmes canadiens actuels. Avant de prendre les décisions graves qui s’imposaient, notre devoir envers les citoyens du Québec était d’examiner, en détail, toutes les solutions possibles.
Un télégramme que tous les premiers ministres des provinces ont reçu vendredi dernier, contient des propositions découlant de ces négociations délicates et difficiles. Il va sans dire que nous acceptons entièrement ces propositions. En voici la teneur:
Allocations scolaires:
Le gouvernement du Canada, conformément à la position exprimée dans notre mémoire à la conférence, remettra au Québec sous forme d’équivalence fiscale les montants qu’il aurait versés aux étudiants québécois de 16 et 17 ans si nous n’avions pas déjà mis sur pied un programme similaire d’allocations scolaires. Ce programme existe au Québec depuis 1961. Il n’existe cependant pas dans aucune autre province du pays.
Comme nous l’avions également demandé, l’exemption pour fins d’impôt fédéral sur le revenu applicable dans le cas d’enfants bénéficiaires d’allocations scolaires québécoises demeure à $550. On sait que, dans le cas des allocations familiales, l’exemption n’est que de $300 par année. Cette exemption de $550, au lieu de $300 est rendue possible par le fait que le gouvernement du Québec en absorbera lui-même le coût dans le calcul de l’équivalence fiscale.
En outre, j’ajoute que le gouvernement a l’intention de proposer que les allocations scolaires du Québec soient versées pendant 12 mois au lieu de 10, ce qui représente une augmentation de $3000000 au profit des familles du Québec.
Prêts aux étudiants:
Le gouvernement du Canada, conformément à la position exprimée dans notre mémoire à la conférence, remettra au Québec et aux autres provinces qui le désirent une compensation équivalente aux sommes qu’il aurait versées pour le paiement de l’intérêt sur les prêts garantis et consentis aux étudiants sans intérêt.
Il ne peut s’agir là d’une somme considérable. Cependant, ajoutée aux $13000000 par année qu’aurait représenté, pour le Québec, le nouveau programme fédéral d’allocations scolaires dont j’ai parlé il y a un instant et pour lequel on prévoit une équivalence fiscale applicable au Québec, on peut estimer que l’équivalence fiscale, pour ces deux cas, correspondra à une libération, par le gouvernement fédéral, de 3% de l’impôt sur le revenu des particuliers. On sait en effet que 1% de l’impôt sur le revenu des particuliers a un rendement annuel d’environ $5300000 au Québec. Comme cette libération de 3% peut ne pas correspondre exactement, selon les circonstances, aux sommes auxquelles nous aurions droit, il y aura ajustement au moyen de la péréquation, si nécessaire.
Répartition des champs de taxation:
En vertu des arrangements fiscaux pour la période que nous vivons actuellement, soit 196267, la réduction de l’impôt fédéral en faveur des provinces devait être de 18% en 1964, de 19% en 1965 et de 20% en 1966.
Pour répondre aux demandes pressantes du Québec et des autres provinces du pays, le gouvernement du Canada, à la suite de la conférence fédérale-provinciale de Québec, a modifié les taux de ces réductions. Rappelons que les arrangements fiscaux pour l’exercice financier 1964-65 avaient déjà été modifiés lors de la conférence de novembre, à Ottawa. On se souvient que le gouvernement fédéral avait à ce moment libéré un 25% additionnel de l’impôt sur les successions et qu’il avait amélioré le mode de calcul de la péréquation. Ces changements avaient valu au Québec, pour l’exercice financier 1964-65, une somme additionnelle d’environ $43000000 .
Les nouvelles modifications aux arrangements fiscaux touchent donc les deux dernières années de calendrier de la période actuelle, soit 1965 et 1966. Pour 1965, l’abattement de l’impôt fédéral sur le revenu des particuliers sera de 2% de plus que ce qu’il aurait été autrement. En somme, au lieu de 19%, ce rabais sera de 21%. Pour 1966, les provinces bénéficieront d’un autre 2% de plus; le rabais total sera alors de 24% au lieu de 20%. Ce qui veut donc dire, pour résumer, que la progression 18%, 19% et 20% qui faisait partie des arrangements actuels est devenue 18%, 21% et 24%. Je m’empresse d’ajouter qu’il s’agit d’un élargissement fiscal soumis à la péréquation. Je vous fais grâce des détails du calcul et je me contente de vous dire qu’en vertu de cette façon de procéder chaque 1% d’impôt sur le revenu des particuliers vaut environ $9000000 par année au Québec. Ainsi, pour 1965, le Québec bénéficiera d’environ $18000000 de plus que ce que ne prévoyaient les arrangements fiscaux 1962-67; pour 1966, la libération de ce champ de taxation par le gouvernement du Canada nous vaudra $36000000 de plus.
Il va sans dire que toutes ces modifications aux arrangements fiscaux valent pour chacune des provinces du pays, bien que, naturellement, les montants absolus varient d’une province à l’autre.
Pour ce qui est du Québec, je voudrais à ce point-ci faire certaines additions qui rendront peut-être encore plus clair l’effet financier de ces développements fiscaux récents.
Les programmes fédéraux d’allocations scolaires et de prêts aux étudiants, qui sont déjà en vigueur au Québec et pour lesquels nous recevrons une équivalence fiscale, représenteront une somme approximative de $13000000 la première année complète. À ce montant s’ajoutent, pour 1965 les $18000000 résultant de la libération additionnelle de 2 points de l’impôt sur le revenu des particuliers, ces deux points étant soumis à la péréquation. Pour 1966, l’augmentation est d’au moins $36000000 . Au total, les nouveaux développements valent au Québec une somme globale de $86000000 environ. En plus de cela, il faut tenir compte des montants additionnes auxquels nous avons droit en vertu des arrangements fiscaux qui ont été proposés en novembre 1963. Le tableau suivant donne l’augmentation détaillée et globale provenant des modifications dont ont été l’objet les arrangements fiscaux 1962-67 depuis la conférence fédérale-provinciale de novembre dernier, à Ottawa. J’ai arrondi ces chiffres et j’ai tenu compte de l’accroissement probable du rendement des impôts et de la péréquation d’ici 1967.
Les sommes sont en millions de dollars.
1964 1965 1966
Conférence de novembre 1963: (nouvelle base de péréquation et 25% additionnel d’impôt sur les successions) – 43 46 50
Conférence de mars-avril 1964:
1) équivalence pour allocations scolaires (1) et prêts aux étudiants – 5 13 14 2) élargissement de l’impôt sur le revenu des particuliers – 18 36 Total: 48 77 100 .Ce programme sera en vigueur à partir du premier septembre 1964. On constate donc que les deux dernières conférences fiscales ont résulté, pour le Québec, en un accroissement de ressources financières de l’ordre de $225000000 d’ici la fin de 1966. À noter cependant que l’amélioration qui a suivi la conférence de novembre avait surtout pour but de corriger une injustice dont le Québec avait été victime au moment où les arrangements fiscaux 1962-67 avaient été originalement déterminés.
La caisse de retraite:
Afin de faciliter davantage la transférabilité des bénéfices de notre régime québécois de rentes à travers le Canada et d’en arriver à établir, si possible, un régime de pension uniforme dans tout le pays, nous avons entrepris, après la conférence de Québec, un examen des deux systèmes en présence: celui du gouvernement canadien, connu sous le nom de régime de pension du Canada, et celui du Québec, connu sous le nom de régime de rentes du Québec. Comme notre projet avait soulevé un énorme intérêt auprès des autres provinces ainsi qu’auprès du gouvernement fédéral lui-même, il nous a semblé que les deux systèmes pourraient s’ajuster l’un à l’autre de telle sorte que le public canadien se voit offrir un seul régime de pension plus avantageux de façon générale. Les discussions que nous avons eues avec les représentants du gouvernement central ont réussi et nous nous sommes entendus sur les ajustements suivants: le gouvernement du Canada a reconnu que le nouveau régime de retraite pourrait être entièrement administré par les provinces qui le désireraient. Ainsi, le Québec aura, comme prévu, son propre régime de rente; il percevra les cotisations, versera les pensions et placera lui-même toutes ses réserves selon ses propres objectifs de croissance; le gouvernement du Canada a accepté notre niveau de prestation: 25% du revenu moyen ajusté; le gouvernement du Canada a accepté un niveau moyen de cotisation qui correspond presque exactement au nôtre: 3.0% par rapport au 2.9% que nous avions prévu; le gouvernement du Canada a accepté notre système de rente aux veuves, orphelins et invalides et de prestation de décès; le marge de revenu cotisable sera de $600 à $5000 au lieu de 0 à $4,500 dans l’ancien projet fédéral et de $1000 à $6000 dans notre projet original; le gouvernement du Canada a accepté de rendre le programme obligatoire pour les personnes à leur compte ayant un revenu de plus de $1000 par année; auparavant, dans l’ancien projet fédéral, les personnes à leur compte pouvaient adhérer au programme de retraite de façon facultative; le gouvernement du Canada a accepté notre méthode de protection des prestations de retraite contre l’inflation; par ailleurs, l’ajustement des revenus servant au calcul des rentes sera fait au moyen d’un indice général des salaires au lieu de l’indice des prix à la consommation; nous avons accepté de réduire de 20 à 10 ans la période de transition. Ce changement rend notre projet encore plus généreux au début qu’il ne l’était; le régime sera mis en vigueur à partir du premier janvier 1966; conformément à notre politique générale, et afin de ne pas priver les citoyens des autres provinces de bénéfices sociaux qu’ils peuvent désirer, nous avons accepté de proposer à l’Assemblée législative du Québec l’approbation d’un amendement à la constitution. Cet amendement à la constitution permettra au gouvernement fédéral d’inclure les veuves, les orphelins et les invalides comme bénéficiaires de son régime de pension. Comme le Québec aura son propre régime de rentes, cette modification à la constitution ne nous touchera pas.
Voilà, en gros, les ajustements auxquels le gouvernement du Canada et celui du Québec en sont arrivés relativement à la caisse de retraite. Nous sommes heureux de constater le succès remporté par notre projet de régime de rentes. Nous croyons que les quelques ajustements que nous y avons apportés, sans qu’ils réduisent sensiblement nos réserves, ne l’ont qu’amélioré à l’avantage de nos citoyens.
Je voudrais vous dire, en terminant, qu’à mon sens une importante évolution s’est manifestée au cours des deux dernières semaines. Évidemment, cette évolution a été préparée par divers éléments, mais elle vient en quelque sorte de se cristalliser. En premier lieu, le premier ministre du Canada et ses collègues viennent de reconnaître, de façon tangible les droits et les besoins prioritaires des provinces du pays. De ce côté, un immense pas vient d’être franchi. Au cours des années qui viennent, la marche se poursuivra avec plus d’optimisme que peut-être jamais auparavant.
Il y a aussi autre chose. Le Québec s’est affirmé et je crois qu’il a été compris. Son caractère particulier a été reconnu par le premier ministre du Canada lui-même. Désormais, le dialogue entre les Canadiens d’expression française et les Canadiens d’expression anglaise pourra être plus facile et plus fructueux. Grâce à ce dialogue et grâce à la compréhension que l’on aura les uns des autres, nous pourrons travailler ensemble à l’élaboration d’uns confédération d’un type nouveau.
[QLESG19640516]
[Inauguration des travaux du pont de Trois-Rivières À publier
Honorable Jean Lesage. premier ministre du Québec.après 3:30 h. P.M.
Le 16 mai 1964.]
Le pont, nous l’aurons.
Il me fait plaisir de répéter, après tant d’autres qui le font depuis des années, le slogan de toute une population: Le pont, nous l’aurons Eh bien, les travaux commencent. Et, en fait, nous soulignons aujourd’hui plus que le commencement des travaux du pont de Trois-Rivières, car c’est une étape très importante dans l’histoire de ce pont qui se concrétise aujourd’hui.
Je pense pouvoir dire avec justesse que nous fêtons aujourd’hui ce qui est le fruit de 14 ans de labeur et de travail désintéressé. Certes, bien des citoyens de Trois-Rivières et de la province méritent nos félicitations à ce sujet. Et il serait difficile de retracer tous ceux qui, au cours des années, ont fourni de grands efforts à la réalisation de cette entreprise gigantesque. J’avoue que, pour ma part, j’ai aussi été pris dans le mouvement et que déjà en 1960 je m’étais engagé à étudier avec un esprit pratique ce problème au sujet duquel tant d’études avaient déjà été faites.
Aussi est-ce avec assurance que mon gouvernement appuyait officiellement, en mars 1962, ce projet de pont en adoptant une loi permettant au lieutenant-gouverneur en conseil de se porter garant des emprunts de la Corporation. Et nous voici au début des travaux. Après un assez long acheminement, sur une voie remplie d’obstacles dont je ne veux pas rappeler les détails, nous voici dans la réalisation d’un rêve qui sans doute fut cher à un grand nombre de nos ancêtres. Ma famille est originaire de la Mauricie, et j’imagine que vos ancêtres et les miens, aux prises avec les difficultés de la traversée du fleuve, ont souvent rêvé d’un pont qu’ils jugeaient par ailleurs irréalisable.
Mon grand-père racontait à mon père que lorsqu’il voulait, avec ses camarades, aller voir les filles de Baie-du-Febvre, il lui fallait attendre que le lac Saint-Pierre soit gelé! C’est bien dur, pour un coeur brûlant, de dépendre de la glace; et je ne connais pas de pire chômage saisonnier que celui du coeur!
Mais pour quitter le domaine sentimental et revenir à celui de l’économie nationale, nous pouvons nous dire avec satisfaction que le rêve de nos ancêtres est à veille de devenir une réalité pour nous, et c’est beaucoup plus qu’un pont; c’est un facteur très important du développement économique de la province.
C’est d’abord un moyen de communication majeur, et les communications sont la clef du développement. Ce pont reliera d’importantes régions de notre province. Nous avons préconisé depuis nombre d’années l’établissement de grands moyens de communication entre les grandes régions du Québec. C’est dans cet esprit que nous avons collaboré à la construction le plus rapidement possible de la route transcanadienne. C’est dans cet esprit que nous avons prolongé l’autoroute des Laurentides, que nous avons commencé l’autoroute des Cantons de l’Est, que nous construisons la route Marie-Victorin, que nous projetons une grande route dans la Gaspésie, que nous avons établi de meilleures routes sur la Côte Nord, que nous projetons une autoroute sur la rive nord à partir de Montréal et dont le pont de Trois-Rivières sera en quelque sorte un embranchement.
Comme moyen de communication, ce pont, qui sera le plus long de notre province, sera un facteur de développement industriel qui augmentera l’importance du port de Trois-Rivières.
Notre commerce en général tirera avantage de la facilité d’accès du pont de Trois-Rivières et de l’efficacité de distribution qu’il permettra. Il en sera de même pour la production agricole, l’industrie du bois et la future sidérurgie. En fait, je crois qu’il est impossible de prévoir, à l’heure actuelle, tous les avantages que procurera ce lien à l’économie régionale et provinciale. Sans doute, le tourisme de la province, qui est un avantage économique pour tout le monde, pourra aussi bénéficier de cette nouvelle structure qui facilitera l’accès du tourisme des États américains et des autres provinces du Canada.
En somme, l’oeuvre accomplie en ce moment par la Corporation du pont de Trois-Rivières est un facteur de progrès pour la province, et je me réjouis particulièrement de ce nouveau lien important entre de grandes régions québécoises. L’essor industriel et commercial du Québec va croître de façon vertigineuse au cours des prochaines années. Nos jeunes se préparent, en plus grand nombre et en meilleure qualité que jamais dans notre histoire, à assumer la relève et à continuer ce que nous commençons à édifier.
Tout ce que nous pouvons faire pour asseoir sur des bases solides notre avenir, nous le faisons. Le projet qui commence à s’édifier sous nos yeux aujourd’hui constitue une des grandes oeuvres qui se soient accomplies chez nous.
Je formule le souhait que, grâce à nos ingénieurs et à nos entrepreneurs, cette oeuvre parvienne à bonne fin. Et que notre population puisse bientôt lancer un nouveau slogan: « Le pont, nous l’avons! »
[QLESG19640517]
[Doctorat d’honneur – Université de Moncton Dimanche, le 17 mai 1964, À publier après 2:00 hres P.M. Hon. Jean Lesage. Premier ministre du Québec le 17 mai 1964]
Ai-je besoin de vous dire combien je suis touché du grand honneur que votre Université me fait aujourd’hui? Je vous en remercie bien sincèrement et je le fais avec d’autant plus de reconnaissance que cet hommage me vient de compatriotes canadiens-français d’une province soeur.
Je ne me fais cependant pas l’illusion de croire que cet honneur s’adresse exclusivement à ma personne. Il doit en très grande part revenir au Québec lui-même, cette province du Canada qui est aussi la mère-patrie de tous ceux qui, en Amérique du Nord, parlent le français, et dont l’existence et la force garantissent la survivance et l’épanouissement de la culture française sur notre continent.
C’est cette caractéristique, je pourrais dire cette obligation; ce devoir, qui fait que le Québec est si différent des autres provinces du pays, sauf peut-être du Nouveau-Brunswick qui, à cause de l’importance et de la vitalité de sa population de langue française, s’en approche de plusieurs façons.
Mais le Québec moderne, vous le savez, a attiré sur lui l’attention de tout le reste du pays. Son évolution récente, le dynamisme dont il fait preuve – et qui s’est répercuté dans tout le Canada français – ont modifié profondément l’image qu’on s’en faisait jusqu’à maintenant. Et si cette image peut se modifier, c’est qu’en fait la population du Québec est elle-même en train de changer, pour les moderniser et les rendre plus efficaces, plusieurs de ses institutions les plus anciennes. Nous construisons en réalité un Québec nouveau qui non seulement veut se donner les moyens qui lui manquent encore pour s’affirmer mais qui cherche aussi à occuper la place qui lui revient dans la confédération canadienne.
De tout ce mouvement est résulté, on peut facilement le supposer, une remise en question de plusieurs des caractéristiques actuelles du régime confédératif. Le Québec, même s’il y joue un rôle important, n’est pas seul à procéder à un tel examen de la réalité canadienne; d’autres provinces ont les mêmes préoccupations que lui. Pour cette raison, l’ancien équilibre qui existait entre le gouvernement fédéral et les provinces a été brisé et je crois que nous assistons présentement à l’élaboration, toujours difficile, parfois hésitante, quelquefois même contradictoire d’une confédération canadienne d’un type nouveau. Il ne faut donc pas s’étonner des malentendus auxquels donne fatalement lieu cette transformation de grande envergure. Dans la mesure où nous réussirons à dépasser ces malentendus, nous ferons oeuvre utile. Le danger que nous courons actuellement, au pays, est de nous y laisser prendre et de durcir nos positions de part et d’autre.
Je voudrais profiter de l’occasion pour vous entretenir de quelques-uns de ces malentendus et pour préciser, à l’occasion, les positions du Québec sur certaines des questions qui agitent présentement l’opinion canadienne. C’est au cours de 1963 que fut lancée au Canada l’expression « fédéralisme coopératif ». Les événements des douze derniers mois ont montré que cette expression ne fut pas toujours comprise de la même façon par tous.
Certaine ont cru que, dans le cadre élastique d’un fédéralisme désormais qualifié de coopératif, il suffisait, pour donner un sens nouveau au régime politique canadien, de consulter les provinces sur la mise en marche de décisions arrêtées d’abord au niveau fédéral. Si tel devait être le cas, on aurait raison de prévoir que les provinces seraient graduellement amenées à coopérer avec le gouvernement central à la mise en oeuvre de politiques fédérales s’appliquant à des domaines de responsabilité et de juridiction provinciales. Vu dans cet optique, le fédéralisme même qualifié de coopératif ne viserait effectivement qu’à obtenir le concours des provinces à des politiques centralisatrices, sans déplacer l’origine des décisions et sans vraiment changer l’orientation et le sens du fédéralisme canadien traditionnel. On réussirait tout simplement ainsi à couvrir d’une appellation peut-être plus attrayante des façons d’agir qui demeureraient essentiellement inacceptables.
Pour le Québec, aussi bien que pour plusieurs autres provinces, l’expression fédéralisme coopératif a été reçu dans un tout autre sens. Pour nous, elle signifiait, nous l’espérions, le début d’une nouvelle ère dans les relations fédérales-provinciales au pays et l’adaptation dynamique du fédéralisme canadien aux problèmes actuels. Elle signifiait une coopération régulière au niveau, ou plus exactement au moment de la prise de décisions quant à des politiques nouvelles et une consultation constante dans l’application des politiques, une fois celles-ci déterminées par les secteurs de gouvernement intéressés. Elle signifiait aussi que les provinces disposeraient désormais des ressources financières nécessaires pour s’acquitter de leurs responsabilités accrues, à un moment où les besoins des provinces sont devenus prioritaires par rapport à ceux du gouvernement fédéral.
On a compris, pendant les douze derniers mois, que ces deux conceptions du fédéralisme dit coopératif ne s’ajustaient pas facilement et qu’elles ne pouvaient même pas « coexister pacifiquement », pour reprendre une expression couramment utilisée. Il fallait que l’une ou l’autre prédomine autrement, la crise vers laquelle nous nous dirigions fatalement aurait eu des conséquences désastreuses. À la suite des conférences fédérales-provinciales de novembre 1963 et de mars 1964, il semble que le Canada se soit engagé dans la voie de la décentralisation fiscale et de la coopération intergouvernementale.
Il est encore trop tôt pour savoir si la tendance se maintiendra, mais je souhaite personnellement qu’elle se manifeste davantage, car les provinces du pays ne veulent plus jouer, dans la Confédération, le rôle de partenaires mineurs. Nous avons un nouvel équilibre à établir; refuser d’accepter cet équilibre ou même en retarder l’avènement ne ferait qu’aggraver les tensions qui ont commencé à se manifester depuis un ou deux ans.
Le nouvel équilibre dont je parle ici touche donc autant la consultation intergouvernementale, que la répartition des sources de revenus au pays et celle des responsabilités d’un secteur de gouvernement à l’autre.
À ce sujet, la position du Québec est bien connue. Tout en n’ignorant pas que la constitution actuelle est loin d’être parfaite, il y a au moins une chose possible à brève échéance. Qu’on laisse aux provinces, du moins à celles qui le veulent – et c’est le cas du Québec – le soin d’occuper les champs d’action que la constitution leur reconnaît. Il me semble qu’un fédéralisme vrai devrait accepter, comme point de départ, cette réorientation de notre régime politique, ce terme à une centralisation devenue inacceptable auprès de provinces qui se sentent capables d’assumer leurs responsabilités pour peu qu’elles aient de droit les moyens financiers de s’en acquitter.
Le Québec ne veut pas, par son attitude en matière fiscale ou autre, mettre le gouvernement fédéral dans une situation où il lui serait impossible de prendre une décision. Le Québec ne veut même pas ralentir l’élaboration des politiques strictement fédérales. Nous demandons seulement que les décisions et les politiques du gouvernement central ne touchent pas des domaines où nous nous sentons capables d’agir à notre guise parce que nous sommes équipés pour le faire et surtout parce que nous connaissons mieux que lui les besoins de notre population.
Nous comprenons que le gouvernement fédéral recherche à la fois l’uniformité administrative et l’uniformité des services fournis à la population à la grandeur du pays. Je répondrai à cela que le souci de l’uniformité administrative ne peut pas justifier la centralisation et les décisions unilatérales et que l’uniformité des services peut être atteinte par la collaboration des provinces entre elles. En effet, dans la mesure où il y a, de façon générale, correspondance entre les services offerts d’une province à l’autre, la recherche de l’uniformité devient une forme de perfectionnisme administratif dont un des résultats les plus évidents est de renfermer l’action des provinces à l’intérieur de structures et de méthodes rigides et stérilisantes et de créer, à toutes fins utiles, un État unitaire. Le Québec ne tient pas à ce genre d’uniformité car, dès que l’on accepte que notre communauté nationale a le droit de s’épanouir comme elle l’entend – et il me semble que cela est accepté dans la confédération canadienne – il faut logiquement s’attendre à ce que les décisions administratives du gouvernement du Québec ne soient pas nécessairement identiques à celles des gouvernements des autres provinces. Quand on nourrit le mythe de l’uniformité, on prive automatiquement les gouvernements provinciaux de toute velléité d’action ordonnée en fonction des besoins et des aspirations de leurs populations.
J’ai affirmé à plusieurs reprises dans le passé que le Québec avait adopté une attitude positive dans le domaine des relations fédérales-provinciales. Là aussi, tout comme dans le cas de l’expression « fédéralisme coopératif », il y a eu un malentendu. Certains ont pensé que notre attitude positive signifiait que nous ne ferions désormais plus obstacle à la centralisation, que nous cesserions de protéger notre culture, que nous nous laisserions tout simplement assimiler dans le grand tout canadien et même nord-américain. En somme, on a cru que nous avions fini de nous opposer aussi rigoureusement que tous ceux qui nous ont précédé à certaines tentatives fédérales centralisatrices.
Ceux qui ont pensé que là était la signification de notre attitude positive ont dû être bien déçus quand ils ont vu que, pour nous, elle signifiait tout à fait autre chose. Ainsi, au lieu de résister passivement et même de façon obstinée, le Québec a désormais des solutions concrètes à suggérer et il est mieux préparé à faire face à toute initiative fédérale inacceptable dans des domaines qui relèvent de sa juridiction. À la place d’un Québec dont on savait d’avance qu’il serait opposé à des entreprises fédérales, on trouve aujourd’hui un Québec qui va au-delà de cette opposition quasi traditionnelle et qui propose des suggestions aptes non seulement à résoudre ses propres problèmes, mais à faciliter la solution de ceux auxquels les autres provinces font également face. Grâce à cette méthode d’approche nouvelle, la seule vraiment qui puisse nous permettre à longue échéance d’atteindre nos buts, on s’est rendu compte de la contribution que nous pouvions apporter, non pas seulement comme on s’y attend à la culture canadienne en général, mais aussi – comme on s’y attend beaucoup moins du Canada français – à l’élaboration de solutions concrètes devant des difficultés techniques complexes. Ce fut notamment le cas de la caisse de retraite, de l’application de la formule d’option aux programmes conjoints et de la redistribution des champs de taxation.
Sur ces questions, nous avons toujours pris un soin tout particulier à exposer notre point de vue. Mieux encore: nous avons nous-mêmes apporté des suggestions très détaillées. Nous avons pensé faire oeuvre utile, non pas seulement pour nous mais aussi pour toutes les provinces du pays, en exposant au complet les solutions d’ordre technique que nous proposions.
Car je me dois de dire qu’à aucune conférence fédérale-provinciale depuis 1960, le Québec n’a avancé de propositions qu’il ne croyait applicables. Nous voulions que nos solutions soient réalistes. Et nous les proposons nous-mêmes, au lieu d’attendre qu’elles viennent du gouvernement fédéral ou d’ailleurs, parce que nous savons que c’est le Québec lui-même qui trouvera des réponses à ses propres problèmes. Il nous semblait qu’une critique du régime fédéral demeurerait stérile si elle n’était pas accompagnée de suggestions présentées de façon constructive.
Je suis le premier à reconnaître que notre façon de procéder, que la nouveauté même de nos idées, ont été de nature à troubler l’état des choses existant jusqu’à ces dernières années dans le domaine des relations fédérales-provinciales au pays. Dans cet ancien ordre de choses, le Québec n’avait qu’une attitude passive et même négative; on avait ainsi pris sa mesure et, comme c’était normal, on agissait en conséquence. Mais aujourd’hui, cette mesure n’est plus la même. Le reste du Canada a dû, dans un court laps de temps, apprendre à vivre avec un Québec nouveau style. Et cet apprentissage n’est pas encore terminé aujourd’hui, d’où les heurts fréquents et les malentendus comme ceux que j’ai mentionnés il y a un instant.
À aucun moment, nous n’avons voulu rejeter sur le reste du Canada la responsabilité entière des problèmes auxquels nous faisons face chez nous. À l’heure actuelle cependant nous voulons utiliser tous les moyens à notre disposition, tous ceux que nous donne la confédération telle qu’elle existe présentement et telle qu’elle peut évoluer, pour les résoudre. Nous voulons nous affirmer, comme cela est permis et souhaitable pour le peuple adulte que nous sommes. Nous voulons faire entendre notre voix et la faire écouter dans un pays que, comme canadien de langue française, nous avons commencé à construire et que, si on veut nous accepter comme citoyen à part entière, tels que nous sommes, avec nos qualités et nos défauts, nous avons bien l’intention de continuer à édifier.
Il fut peut-être un temps où l’on pouvait, grâce à certaines concessions plus apparentes que réelles, flatter la sentimentalité du Canada français et lui faire oublier les problèmes fondamentaux. Je veux que l’on sache, partout au Canada, que si jamais cette époque a existé, elle est désormais révolue. Nous reconnaîtrons dorénavant les signes tangibles de notre acceptation comme peuple, et seulement ces signes tangibles; nous regarderons d’un oeil peut-être amusé, mais certainement incrédule, les voies d’évitement où la bonne volonté de certaines et l’habileté d’autres voudront nous lancer. Non seulement le Québec n’est pas une province comme les autres, mais le Canada français n’est plus ce que, pour certains, il a déjà pu être.
On nous demande souvent: en somme, que voulez-vous ?
Cette question mériterait une longue réponse. On peut cependant résumer celle-ci en disant que le Canada français, et le Québec qui à cause de facteurs démographiques en est l’expression politique, veut non seulement être différent mais veut aussi qu’on lui reconnaisse le droit de l’être. Il ne s’agit pas ici, je m’empresse de le dire, d’une simple figure de style.
Je précise, cette exigence fondamentale signifie que nous, du Québec, nous ne pouvons pas, et nous ne devons pas, entrer dans des cadres artificiels sous prétexte de sauvegarder une uniformité strictement administrative. L’unité peut exister sans l’uniformité; il importerait parfois que l’on s’en souvienne. Autrement la recherche forcée de l’uniformité équivaut pratiquement à un manque de confiance envers des partenaires. Et nous croyons encore être des partenaires de la confédération canadienne.
Cette exigence signifie aussi que nous devons être en mesure d’utiliser nous-mêmes, comme nous l’entendons et pour les fins qui nous conviennent, les sources de revenus auxquelles nous avons droit. On dit souvent que le fédéralisme canadien est flexible; nous en aurons la preuve quand nous jouirons de la liberté de décision qui, semble-t-il, doit nous appartenir dans les domaines qui relèvent de notre compétence.
Cette exigence signifie enfin que le Québec, comme mère-patrie des Canadiens d’expression française, a, de ce fait, des caractères particuliers qui doivent lui être reconnus. Le Premier ministre du Canada lui-même a récemment fait état de ces caractères particuliers et le gouvernement du Québec, relativement aux minorités françaises par exemple, a assumé les responsabilités qui en découlent.
Avons-nous besoin de quitter la Confédération pour que cette exigence fondamentale – le droit d’être différent – soit respectée. Je ne le crois pas à la condition, facilement réalisable à mon sens, que nous nous orientions vers un fédéralisme d’un type nouveau.
Le Québec veut ce fédéralisme d’un type nouveau et pose actuellement les gestes qui y conduiront. Mais, il ne peut pas y arriver seul. Toutes les provinces doivent, non pas le suivre – nous ne voulons pas imposer notre mode de penser à qui que ce soit – mais travailler ensemble à traduire dans la réalité cette flexibilité que l’on voit au fédéralisme canadien. Elles y trouveront, à mon sens, des avantages appréciables. J’ai confiance en l’avenir car nous venons de nous engager, au Canada, dans la voie qui nous mènera à cette confédération d’un type nouveau. Le fait que l’espoir soit permis est déjà beaucoup; il importe surtout, au cours des mois et des années qui viennent, de ne pas le décevoir.
[QLESG19640420]
[Dîner-bénéfice – Fédération libérale du Québec Québec, le 20 mai 1964, À publier après 7:30 hres P.M. Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec, le 20 mai 1964]
J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de vous dire les raisons pour lesquelles les dîners-bénéfice de la Fédération sont organisés alternativement à Québec et à Montréal chaque année. Qu’il me suffise de rappeler que c’est un des moyens peut-être les plus efficaces d’assurer le financement démocratique d’un parti politique. Avec cette façon de recueillir des fonds, notre Fédération a été en mesure d’assumer rapidement l’entière responsabilité d’un nombre toujours croissant d’organismes permanents et d’activités régulières de notre parti. Je pense par exemple à nos secrétariats de Québec et Montréal, au journal « la Réforme », aux congrès de toutes sortes, ainsi qu’à une large tranche de la publicité libérale dont la série télévisée « Le Québec en marche ».
Le Parti libéral du Québec peut se féliciter d’avoir été le premier, et d’être peut-être encore le seul à avoir démocratisé son financement dans une si large mesure. Si l’on ajoute à cela la limitation des dépenses d’élections prévue par la nouvelle loi électorale présentée par le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger et votée par la Législature, on peut dire avec fierté que les libéraux ont fait plus en quatre ans pour assainir le climat politique dans notre province que tous les gouvernements qui l’ont précédé. C’est un accomplissement dont le mérite revient d’abord et avant tout aux militants libéraux, à ceux qui ont bâti notre programme et ont convaincu le peuple de sa nécessité … à ceux aussi qui, ayant été élus au Parlement de Québec, se sont empressés de traduire dans les lois les engagements que nous avons pris envers l’électorat … à ceux également qui, par leur action au sein de la Fédération, permettent que le parti renouvelle constamment sa pensée et ses cadres et poursuive, avec toujours la même vigueur, son oeuvre de démocratisation politique. Lorsqu’on parle du financement démocratique de notre parti, on ne saurait passer sous silence le magnifique travail que la Commission de Finance a pu accomplir grâce à votre collaboration si généreuse. Au nom du parti, je vous en remercie bien sincèrement, tout comme je remercie le président Jean Morin et ses dévoués collaborateurs du succès que connaît leur heureuse initiative. Quant on ose parler d’hypocrisie et de pharisaïsme, c’est qu’on n’a pas compris le changement profond qui s’est opéré dans le financement de la Fédération libérale du Québec.
Il y aura quatre ans le mois prochain que notre population, lasse de languir dans l’immobilisme, secouait le joug qui l’oppressait depuis seize ans et confiait au Parti libéral du Québec la tâche de donner à notre province un gouvernement dynamique et constructeur. Il y avait cependant beaucoup plus que cela dans notre programme politique de
1960 et notre manifeste électoral de 1962. Si on fait la somme des engagements qu’ils renferment, on se rend compte que les initiatives préconisées par le parti que je dirige visaient d’abord un but essentiel: faire du Québec un État moderne.
C’était une entreprise d’envergure. Il nous fallait agir sur deux fronts à la fois: rattraper le temps perdu et bâtir l’avenir. Avouons-le, la tâche n’était pas facile. C’était un véritable défi. Il suffit de se reporter quatre ans en arrière pour mieux s’en rendre compte. Qu’avons-nous fait? Nous avons immédiatement pourvu au plus urgent: assurance-hospitalisation, augmentation des pensions et allocations de manière à les rendre plus conformes aux réalités de la vie, fréquentation scolaire obligatoire jusqu’à 16 ans et allocations familiales provinciales de 16 à 18 ans pour les enfants aux études, travaux d’hiver pour combattre le chômage saisonnier, et j’en passe. Mais en même temps, nous portions notre regard vers l’avenir afin de mieux mesurer le chemin à parcourir pour que le Québec devienne un État moderne, un État dont les dimensions seraient à la mesure véritable des aspirations de sa population.
Nous n’avons pas mis de temps à constater deux choses. D’abord, que le Québec devait faire vite s’il ne voulait pas risquer de ne jamais se réaliser pleinement. Ensuite, que l’édification d’un État moderne a ses exigences qui sont de trois ordres: administration fortement structurée, planification à long et court terme, financement rationnel de l’effort déployé.
Ces problèmes se posaient au Québec bien avant 1960, même si leur acuité pouvait sembler beaucoup moins apparente immédiatement’ après la guerre et même dans les années ’50. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nos prédécesseurs ou bien ne s’en sont jamais rendu compte, ou bien ont démissionné devant l’ampleur de la tâche à accomplir. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont seize années précieuses qu’ils ont fait perdre à notre province, seize années que nous nous efforçons de rattraper en même temps que nous bâtissons l’avenir. Car faut-il le préciser, nous avons relevé le défi qui s’offrait à nous en 1960. Dès notre arrivée au pouvoir, nous avons retroussé nos manches et nous avons entrepris de faire du Québec un État moderne. Et comme il n’y avait pas un seul instant à perdre, nous nous sommes attaqués en même temps à la restructuration de l’État, à l’établissement des plans et à la modernisation du budget. Deux préoccupations majeures ont orienté les transformations que nous avons effectuées dans les structures de l’administration: la nécessité de bâtir des hommes et le besoin de donner à notre population les instruments indispensables à sa libération économique. C’est dire que nos efforts ont porté principalement dans le domaine de l’éducation et dans celui du développement économique.
Ce fut d’abord la création de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement. La première tranche du rapport Parent vint confirmer les constatations que nous avions pu faire à la suite des changements apportés dans ce domaine: l’urgent besoin d’un véritable ministère de l’Éducation au Québec. Une loi fut présentée à la fin de la session de 1963. Mais, parce que nous sommes des démocrates et que nous croyons que tous ceux qui ont quelque chose à dire ont le droit de se faire entendre, l’étude et l’adoption du bill 60 par la Législature furent reportées au début de la session de 1964. Et c’est ainsi que le ministère de l’Éducation a été officiellement proclamé le 13 mai, soit il y a une semaine exactement ce soir.
C’est par l’éducation que se bâtit un peuple. Mais c’est par sa culture que ce même peuple s’extériorise, rayonne et s’impose. Nous n’avons rien ménagé pour assurer un développement et un épanouissement aussi harmonieux que possible de cette richesse naturelle la plus précieuse: l’homme. Mais en même temps que nous nous efforcions de donner aux Québécois les moyens de s’instruire, de se cultiver et de se renseigner, nous avons voulu forger à son intention les outils qui vont lui permettre d’accéder rapidement au contrôle de sa vie économique par le développement rationnel et à son profit des ressources de toutes sortes dont est pourvue notre province.
Il va de soi, cela demandait des structures nouvelles. Mais cela exigeait également que l’édification de ces structures se fasse en fonction d’un plan général de développement économique. La première nécessité qui s’imposait à nous était de réaménager complètement le Conseil d’Orientation économique afin d’en faire un organisme dynamique, capable de rendre les services dont notre province avait si grandement besoin. C’est ce que nous avons fait dès la première session de 1960.
À cette structure indispensable dans un État moderne est venue s’en ajouter une autre: le ministère des Richesses naturelles, qui a placé sous l’autorité d’un même ministre ce qui avait été jusqu’alors le ministère des Mines et celui des Ressources hydrauliques. Il va sans dire que, grâce à des comités interministériels, une étroite collaboration fut immédiatement établie entre ce nouveau ministère et ceux déjà existants des Terres et Forêts, de l’Agriculture et de la Colonisation, ainsi que de l’Industrie et du Commerce. Les travaux entrepris par les nouveaux instruments de travail dont nous disposions désormais nous permirent de nous rendre compte de deux besoins urgents. D’abord la nécessité d’avoir au Québec un organisme capable de susciter et de favoriser la formation et le développement d’entreprises industrielles et commerciales afin, premièrement, d’élargir la structure économique de la province et, deuxièmement, d’amener notre population à participer à la mise en valeur de nos richesses en plaçant dans ces entreprises nouvelles une partie de son épargne. Ce fut la création de la Société générale de financement.
L’autre constatation exigeait de notre part une action d’une portée encore beaucoup plus grande. Là décentralisation industrielle ne pouvait se faire au Québec sans un développement et une utilisation rationnels de notre ressource d’énergie la plus riche et la plus rentable: l’électricité. Or, il était évident que seul l’État pouvait procéder avec succès dans ce domaine en confiant à l’Hydro-Québec l’entière responsabilité de la production et de la distribution de l’électricité de même que celle de l’uniformisation de notre réseau électrique. Cela allait nécessiter la nationalisation de toutes les compagnies privées d’électricité et l’intégration des coopératives d’électricité disséminées sur notre territoire.
Comment allions-nous procéder? Le problème avait été partiellement envisagé lors de l’élaboration de notre programme politique de 1960. Mais nulle part il n’était question d’une intégration complète de notre réseau électrique par la nationalisation de l’électricité.
En d’autres mots, nous n’avions pas le mandat d’agir dans ce domaine bien spécifique. Il fallait pourtant procéder et il importait d’associer toute la population du Québec à cette grande et fructueuse entreprise. De là les élections générales du 14 novembre 1962. Les résultats, ai-je besoin de le rappeler, dépassèrent tout ce qu’on avait pu prévoir: l’électorat accorda au Parti libéral du Québec 56.4 % des suffrages, donnant ainsi au gouvernement que je dirige un témoignage de confiance comme n’en a peut-être jamais reçu aucun autre gouvernement dans notre province. Six mois plus tard, la nationalisation de l’électricité était devenue un fait accompli.
L’opération n’avait pas coûté plus que les quelque $600000000 pour lesquels nous avions dit être prêts à nous battre. Elle n’avait même pas nécessité l’adoption d’une loi! Aujourd’hui, notre population peut se vanter d’être propriétaire d’une Hydro dont la taille est à la mesure des besoins et des espoirs du Québec.
Toujours dans le domaine économique, il était tout aussi essentiel d’accroître l’activité des secteurs de l’industrie et du commerce. D’autant plus que le ministère du même nom était appelé à jouer un rôle prépondérant tant pour le succès de la planification que nous étions à élaborer que pour celui de la mise en valeur de nos richesses naturelles. Là aussi nous avions fait plusieurs constatations. Par exemple, les nombreux avantages que pouvait retirer le Québec d’une plus grande diversification des investissements étrangers dans la province. Il devenait donc nécessaire de donner au ministère de l’Industrie et du Commerce des instruments de travail efficaces. C’est ainsi que sont nées les délégations générales du Québec à l’étranger. Également, qu’ont été créés ou entièrement réaménagés le Bureau d’Expansion industrielle, le Bureau de Recherches économiques et scientifiques, le Bureau de la Statistique.
D’autre part, nous avons créé un ministère du Tourisme qui a la responsabilité de tous les services ayant trait à cette importante industrie: chasse et pêche sportives, parcs et réserves, hôtellerie et artisanat.
Une autre exigence à laquelle nous avons dû faire face dans l’édification d’un Québec moderne a été la planification à long et à court terme. Il serait fort long, et sûrement fastidieux, de vous donner le détail des différents plans établis par chacun des ministères. Il est bien évident que dans le domaine de la voirie, par exemple, le ministère procède selon un plan qui tient compte à la fois des besoins immédiats et à court terme, comme ceux que nous impose l’Exposition universelle de 1967 à Montréal, mais également des besoins à long terme qui découlent des divers projets que le gouvernement entend réaliser dans plusieurs domaines. La même chose est vraie pour chacun des ministères et certaines corporations gouvernementales, telle l’Hydro-Québec.
J’ai eu l’occasion de le dire plusieurs fois et il importe, je crois, de le répéter: le monde économique moderne est entré dans une ère où l’improvisation et le laisser-faire n’ont plus de place. Le Québec, désireux à juste droit de vivre à l’heure de 1964, avait le devoir de s’engager au plus tôt sur la voie qui a déjà conduit à tant de résultats remarquables des nations aux prises avec des difficultés plus considérables que les nôtres.
Il n’est pas nécessaire, je crois, d’insister davantage sur l’importance de la planification. Le gouvernement l’a compris et, de concert avec le Conseil d’Orientation économique, s’y adonne avec énergie à tous les échelons de l’administration. J’en arrive maintenant à la troisième exigence qu’impose l’édification d’un État moderne: le financement rationnel de l’effort consenti par le peuple et son gouvernement dans tous les secteurs.
Ce fut l’erreur de nos prédécesseurs de croire que notre population était née pour « un petit pain »; le plus souvent sans beurre ni confiture. Ils savaient sans doute que le Québec, par sa langue et sa culture, avait une mission à accomplir en terme d’Amérique. Peut-être se doutaient-ils également des immenses richesses dont regorge notre province et des possibilités énormes que leur mise en valeur pouvait offrir en tant qu’instrument d’affirmation économique et culturel de notre peuple. Seulement, et c’est cela qui fut trop longtemps tragique pour nous tous, ceux qui nous ont précédés ont pensé que le défi qui s’offrait à nous était au-dessus de nos forces intellectuelles et matérielles. Ils ont cru que nous étions trop pauvres pour réussir.
En d’autres mots, nos prédécesseurs n’ont pas compris que justement nous n’avions pas les moyens d’être pauvres. Mes chers amis, notre province se doit d’être riches d’abord, parce que sa situation particulière et sa mission historique sur le continent nord-américain l’y obligent. Ensuite, parce que notre territoire de plus de 700000 milles carrés abonde en ressources de toutes sortes et que notre population possède le potentiel requis pour mettre en valeur et faire son profit des richesses qui sont nôtres.
C’est ce que nous avons compris et c’est ce que nous avons commencé de faire avec l’appui et la participation active de tous ceux qui pensent comme nous. Il n’y a que les timorés, les défaitistes, les indépendantistes, oui, en effet – et peut-être aussi quelques politiciens jaloux ou ombrageux qui se refusent encore à ce que nous, Québécois, soyons enfin maîtres chez nous.
Donc le Québec, s’il veut être un État moderne, se doit d’être riche. Je vous ai dit la confiance que nous avons placée dans notre province et sa population. Je vous ai dit un peu ce que nous avons fait, en quatre ans, pour planifier l’utilisation et le développement des richesses intellectuelles et matérielles de la nation et fournir à cette dernière les instruments de travail indispensables à sa pleine réalisation. Voyons maintenant quels sont les moyens modernes de financement auxquels l’État qui est le nôtre a recouru pour assurer le succès de son oeuvre. Il était nécessaire, comme je l’ai expliqué plus tôt, de permettre à notre population de participer à la mise en valeur de nos richesses en plaçant une partie de son épargne dans les nouvelles entreprises industrielles dont nous entendions favoriser la formation. Ce fut l’idée qui présida à la création de la Société Générale de Financement. Il importait tout autant que notre population soit appelée à placer une autre partie de son épargne dans le financement des investissements imposants que nécessite la transformation du Québec en un État dynamique et progressif. C’est dans ce but que furent lancées les Obligations d’Épargne du Québec. Vous connaissez l’immense succès qu’a connu, l’an dernier, la première émission de telles obligations. Une deuxième émission d’obligation d’Épargne du Québec vient d’avoir lieu. L’opération est trop récente pour que je puisse vous en fournir les résultats exacts. Il faudra encore quelques jours pour terminer la compilation des chiffres et avoir une idée précise de la situation telle qu’elle se présentera alors. Je souligne immédiatement que le montant de $175000000 recueilli l’an dernier dépassait de beaucoup les prévisions les plus optimistes sur les disponibilités financières des épargnants québécois. Il est bien évident que ceux-ci ont alors souscrit beaucoup plus qu’ils peuvent normalement épargner en un an. C’est dire que le montant qui a été souscrit cette année aura été sensiblement inférieur à celui de l’an dernier, les Québécois n’ayant pu, pour la plupart, y investir que leurs épargnes d’un an seulement.
C’est le taux de croissance économique qui détermine dans une large mesure la richesse d’un État. Aussi, dans un Québec moderne, le budget du gouvernement doit-il servir avant tout d’instrument de croissance économique. En plus de couvrir les frais de l’administration gouvernementale, le budget doit être utilisé de façon à diminuer les inégalités sociales et à promouvoir, en vue du bien commun, le progrès nécessaire des secteurs d’activité où l’initiative privée ne peut pas ou peut difficilement s’engager. C’est ce que nous nous efforçons de faire depuis que la population nous a confié la responsabilité de l’administration.
Ai-je besoin de le rappeler: nos prédécesseurs avaient une idée toute différente du rôle dévolu au budget dans l’économie de la province. Pour eux, il s’agissait surtout de limiter les investissements au strict minimum et de couvrir les dépenses courantes qu’ils cachaient d’ailleurs partiellement à la population. Ils n’avaient pas confiance dans l’avenir du Québec, continuant à croire que nous étions nés pauvres et que nous étions destinés à demeurer pauvres éternellement.
C’est ainsi que lorsque la population nous a portés au pouvoir en 1960, le budget de la province n’était que de quelque $500000000 . On conviendra qu’un tel budget ne reflétait en rien l’État moderne que voulait devenir le Québec. Aujourd’hui, soit quatre ans plus tard, le budget a été multiplié par trois et s’élève à un milliard et demi. Les Québécois ont raison d’être fiers et confiants dans l’avenir: le budget de la province est devenu l’instrument de croissance économique qu’ils désiraient et son ampleur est à la mesure d’un État moderne.
Encore une fois, c’est à notre population elle-même que revient la plus grande part du mérite pour un tel accomplissement. Son travail, son esprit d’initiative, sa foi dans les objectifs qu’elle nous à elle-même fixés, ont imprimé à notre croissance économique un rythmé accéléré. Ce qui a valu à la province un accroissement proportionnel de revenus. D’autre part, notre population a accepté de bon coeur une répartition plus équitable des charges fiscales, en attendant que le rapport que doit présenter la Commission d’enquête sur la fiscalité permette la réforme en profondeur de notre système de taxation. Enfin, notre population a compris la nécessité d’accroître, au moyen d’emprunts, les dépenses en immobilisation qui sont des investissements indispensables dans l’avenir de la province. C’est pourquoi nul doute que les Québécois ont accueilli avec autant d’enthousiasme le projet d’une caisse de retraite exclusivement provinciale qui, en plus des bénéfices sociaux qu’elle accordera aux nôtres, permettra au Québec de placer lui-même ses réserves selon ses propres objectifs de croissance.
Il est bien évident que c’est le peuple qui, en définitive, est appelé à défrayer le coût de l’oeuvre qu’il nous a lui-même chargés d’accomplir. Nous savons également qu’il y a des limites à sa capacité de payer. Il ne s’agit donc pas d’exiger de lui plus qu’il ne peut faire, mais bien plutôt de s’assurer que l’effort qu’il est appelé à consentir participe au maximum à l’édification d’un Québec moderne. La difficulté dans ce domaine est de conserver intacte la primauté des objectifs de notre province, sans pour autant, desservir les intérêts véritables du pays. De là l’urgente nécessité pour nous et les autres provinces de déterminer, avec le pouvoir central, les priorités qui doivent guider l’action gouvernementale au pays.
Comme je l’ai dit dans le discours du budget que j’ai prononcé à l’Assemblée législative le 24 avril, notre ténacité et la précision de nos objectifs nous ont permis de récupérer déjà une bonne partie des champs de taxation que nous réclamions. Mais veuillez m’en croire, nôtre effort en ce sens n’est pas terminé. Un immense pas vient d’être franchi. J’ai la ferme conviction qu’il en sera de même à l’issue des réunions du comité qui a été formé par la conférence fédérale-provinciale pour étudier la répartition des champs fiscaux au Canada, en regard des responsabilités propres aux divers secteurs de gouvernement. Vous pouvez compter sur moi pour que notre point de vue continue à triompher.
Je crois bien vous avoir démontré que le travail que nous avons accompli depuis quatre ans a permis au Québec de faire d’immenses progrès et de se transformer rapidement en un État vraiment moderne. Malgré l’impatience qui peut encore se faire sentir dans certains milieux, c’est ma conviction profonde qu’il n’aurait pas été possible à quiconque de faire plus et plus vite. Mais qu’est-ce que tout cela, au juste, a valu à date à notre population? Ce pourrait être le sujet d’une analyse fort intéressante. Elle risquerait toutefois d’être un peu longue. Car elles sont nombreuses les lois et les mesures du gouvernement qui ont bénéficié directement à la population ou qui ont eu pour résultat de susciter des initiatives et des entreprises contribuant à son bien-être, à sa sécurité et à son avancement.
Ainsi; par exemple, je pourrais vous parler des millions que le gouvernement verse chaque année en pensions, allocations et assistance de toutes natures. Ou encore, du nombre de lits d’hôpitaux ou de classes nouvelles que nous avons créés depuis 1960. Toutefois, il y a un sujet qui, j’en suis convaincu, vous intéresse bien davantage – et je veux parler de l’expansion industrielle vraiment extraordinaire que connaît présentement le Québec.
L’annonce de la construction, par Général Motors, d’une usine d’automobiles à Sainte-Thérèse a été accueillie par tous avec enthousiasme. Un investissement qui pourra se chiffrer dans les $75000000 , selon le quotidien [« American Metal Market »], et qui procurera du travail à quelque 2,500 personnes, lorsque l’usine sera complétée, est évidemment de nature à réjouir même les plus pessimistes: Je crois bien que c’était, la meilleure réponse qui pouvait être donnée aux quelques oiseaux de malheur qui voyaient tout en noir et prétendaient que la politique économique du gouvernement décourageait les investisseurs étrangers.
S’il est vrai que la venue de Général Motors nous vaut une nouvelle industrie de grande envergure: celle de l’automobile, il ne faudrait pas croire que c’est la seule industrie qui se soit installée dans la province depuis quatre ans. En fait, selon les chiffres compilés par le Bureau de la Statistique de notre ministère de l’Industrie et du Commerce, plus de 2000 industries ont vu le jour au Québec de janvier 1960 à janvier 1964.
Ceci représente des investissements de trois quarts de milliard de dollars et des emplois pour près de 35000 personnes.
À elles seules, les industries nouvelles de $50000 et plus se chiffrent à plus de 300, pour un total de $700000000 en investissements et des emplois nouveaux de plus de 12000 . Il s’agit d’industries de toutes sortes, allant du vêtement à la grosse machinerie, et en passant
par le textile, le bois, le cuir, le caoutchouc, les produits métalliques et autres. Je vous fais grâce de la nomenclature de toutes ces industries nouvelles et des produits multiples qu’elles fabriquent.
Pourtant, il importe, je crois, de mentionner quelques-unes des plus importantes, ne serait-ce que pour confondre ceux qui prétendent qu’il n’y a pas eu d’industries nouvelles au Québec depuis notre arrivée au pouvoir. Il y a, par exemple, l’usine d’acier inoxydable construite à Sorel par Atlas Steel Corporation au coût de $42000000 , et l’affinerie de zinc de Canadian Electrolytic à Valleyfield, un investissement de $18000000 . Puis les nouvelles mines de Matagami où sont investis $40000000 , et l’extension de l’usine à papier de $12000000 de la Canadian International Paper à La Tuque.
Il y a également l’usine de carton de revêtement de Bathurst Power & Paper en construction à New Richmond au coût de $40000000 . Et les $14000000 investis par la Consolidated Paper Corporation pour une nouvelle machine à papier à Grand’Mère. Puis l’usine de $12000000 des Textile Richelieu à Saint-Jean, une autre machine à papier journal de la Quebec North Shore Paper, de $20000000 celle-là, à Baie-Comeau, et combien d’autres?
Voilà, il me semble, des réalisations convaincantes et qui démontrent l’excellent état de santé de l’économie québécoise. Et ça ne fait que commencer, je le crois fermement.
Oui, mes chers amis, la croissance économique de notre province en ces dernières années est quelque chose de vraiment fantastique. Encore une fois, nous n’en sommes qu’au début. D’autres entreprises vont venir s’installer chez nous toujours en plus grand nombre. Le Québec est promis à un avenir magnifique. Tous ensemble, faisons en sorte que cet avenir se réalise dans la compréhension et la paix, pour le plus grand bien de notre province et du pays tout entier.
[QLESG19640820]
[Association canadienne des éducateurs de langue française. Le 20 août 1964, Château Frontenac, jeudi le 20 août 1964. Honorable Jean Lesage, Premier Ministre du Québec.]
C’est avec grand plaisir que je me trouve parmi vous ce soir. Je tiens à saluer tous ceux qui sont ici présents et particulièrement à féliciter les organisateurs de ce congrès du travail intense qu’ils ont dû fournir. Je veux aussi présenter mes hommages les plus sincères à tous les
éducateurs de langue française du pays qui, même s’ils ne peuvent pas tous être physiquement ici ce soir, se joignent à vous par cette communauté de pensée et d’idéal qui caractérise les organismes dynamiques et responsables.
Votre association assume une double responsabilité et cette responsabilité, dans la période que nous vivons actuellement, est un véritable défi. En effet, comme le nom de votre groupement l’indique, vous êtes des éducateurs et vous êtes de langue française.
Vous connaissez tous, parce que vous la vivez quotidiennement, l’importance de la profession d’éducateur. Je n’ai donc pas l’intention ce soir de m’arrêter longtemps à cet aspect de votre rôle, ni de vous démontrer quelle influence de premier plan l’éducateur peut exercer sur la formation intellectuelle de la jeune génération. Cela, vous le savez déjà, et d’autres plus qualifiés que moi sont beaucoup mieux placés pour vous parler de ce sujet et de sa portée.
Il y a tout de même une chose sur laquelle je veux insister. Votre profession d’éducateurs, vous l’exercez à une période de l’histoire du Québec et du Canada français – dont le moins qu’on puisse dire – est qu’elle est fascinante. Vous avez l’avantage – et je dis bien l’avantage – de participer à la formation de la génération de jeunes qui éventuellement nous remplacera tous. Cette génération fait en quelque sorte son apprentissage de la vie à un moment où plusieurs des valeurs traditionnelles de notre milieu sont soit, remises en question, soit adaptées aux nécessités de notre époque. En somme, nous vivons tous une période de transition par laquelle il fallait absolument que notre peuple passe dans sa marche vers l’ordre nouveau qui se construit aujourd’hui. Mais les jeunes Canadiens français, ceux avec qui vous êtes en contact tous les jours, ressentent plus que nous encore, grâce à leur réceptivité naturelle et normale, le contrecoup de cette transition. Ils n’ont pas la perspective que nous ont donnée notre propre éducation, notre expérience – et, avouons-le, nos erreurs. Pour eux, leur premier point d’appui dans la vie, le point de départ de leur existence adulte et, pour les plus jeunes, de leur existence consciente, est un point mobile, instable.
Ce point de départ, c’est la période actuelle où la volonté de changement et d’affirmation du peuple canadien-français se manifeste de multiples façons. Elle se manifeste dans les programmes d’enseignements, dans la réorganisation des structures administratives de notre système d’enseignement; elle apparaît aussi dans le caractère de notre renaissance économique – parfois je suis tenté de dire notre naissance économique, dans le nouveau rôle de l’État, de notre État, en somme dans ce réveil qui étonne tant de nos compatriotes. Pour nous, tous ces signes extérieurs de développement tant culturel qu’économique ou national, sont, comme je l’ai dit il y a un instant, fascinants et aussi encourageants.
Ils peuvent aussi l’être pour la jeune génération: en fait ils doivent l’être car c’est surtout elle qui en bénéficiera. Mais ils peuvent aussi être troublants et engendrer chez notre jeunesse une incertitude qui stérilisera son élan naturel ou l’incitera à s’engager au service d’aventures condamnées à l’insuccès.
Je ne prétends pas que les jeunes doivent nécessairement être, par les adultes et les éducateurs en particulier, mis de force ou de façon paternaliste à l’abri de tout problème et de toute difficulté, et qu’on doive leur indiquer dans tous ses détails la route qu’ils ont à suivre pour devenir des citoyens méritants et bien vus du reste de la société. L’éducation, a mon sens, vise moins à éloigner les difficultés des jeunes qu’à leur donner les moyens de les résoudre eux-mêmes quand ils seront devenus adultes.
Je crois toutefois qu’il est essentiel de leur éviter des problèmes inutiles et de leur aider à canaliser leur dynamisme vers des fins socialement constructives. Cela est possible à plusieurs conditions, une de celles-ci étant qu’ils voient les aspects positifs du monde en évolution qui les entoure. Pour cela, il est indispensable qu’on leur en montre tout le potentiel, qu’on leur fasse voir toutes les avenues qu’une telle évolution de leur milieu peut leur ouvrir, qu’on leur expose le sens de la période actuelle de transition.
Bien entendu, le gouvernement a une tâche de premier plan à remplir au cours de cette période. Dans nos démocraties cependant il ne peut ni ne doit agir constamment seul; il doit compter sur les corps intermédiaires et sur leurs membres. Or, les éducateurs sont, de tous les professionnels de notre société, ceux qui viennent le plus fréquemment en contact avec la jeunesse puisqu’il leur appartient de la former. Du même coup, ils ont à guider leur compréhension des événements actuels sans nécessairement l’imposer. C’est dire que l’éducateur, à quelque spécialité qu’il appartienne, doit être autre chose qu’une encyclopédie ambulante d’où l’on tire la science des faits et non pas la conscience de ceux-ci. En somme, il doit être un guide respectueux de personnes dont il a la charge; il doit aussi penser qu’il forme des citoyens et que ceux-ci seront d’autant plus fiers de ce rôle, et d’autant plus utiles à leur collectivité, qu’ils y auront été mieux préparés.
Mais pour être guide comme éducateur, il faut soi-même être doué de qualités particulières, il faut posséder une vision étendue de la réalité, et être en mesure de communiquer des connaissances approfondies sur tous les sujets que l’on a la charge d’enseigner.
C’est pour cette raison, entre autres, que dans le Québec moderne on s’efforce constamment d’améliorer le niveau de préparation des formateurs de notre jeunesse.
Il faut aussi que l’éducateur soit pénétré du sens et de l’importance de son rôle, on pourrait dire de sa mission. L’éducateur, en effet, peu importe où il vit dans le monde, vit dans un milieu donné, dans une communauté nationale donnée. Il ne peut ni ne doit en faire abstraction car la plupart des jeunes qu’il forme continueront à vivre dans cette communauté nationale et ils y exerceront les fonctions auxquelles ils auront été préparés. Vous, vous êtes des éducateurs de langue française. Vous vivez au Canada et, la majorité d’entre vous, au Québec. La communauté nationale envers laquelle vous avez un devoir primordial est la communauté canadienne-française.
Le fait pour vous d’être des éducateurs de langue française ne veut pas seulement dire que vous appartenez à une catégorie statistique où le critère de classification est la langue parlée. Cela signifie plutôt que, à votre façon, vous conservez la culture française, vous la diffusez et vous l’améliorez. Ce rôle vous l’exercez en Amérique du Nord où la communauté canadienne-française, si elle a pu survivre et s’épanouir, groupe quand même, par rapport à l’immensité humaine qui nous entoure, une minorité qui, justement parce qu’elle est minorité, peut réussir à prendre la place qui lui revient seulement si elle fait preuve d’une ténacité extraordinaire. Ainsi vous avez une responsabilité que peut-être seul le gouvernement du Québec partage aussi étroitement avec vous: vous devez aider le peuple canadien-français à s’épanouir et à s’affirmer. Vous devez y arriver par votre action et par votre influence sur les jeunes, tant par la qualité de votre enseignement que par les leçons de votre exemple.
Le rôle du gouvernement, dans l’entreprise d’affirmation collective désirée par la communauté canadienne-française, est de donner à cette communauté les moyens concrets de réaliser ses ambitions légitimes. C’est ce que nous nous efforçons de faire notamment dans le domaine de l’éducation depuis quelques années et dans celui de l’économie. De ce fait, le gouvernement est devenu le levier de tout notre peuple, rôle qu’il n’avait jamais joué de façon aussi intense auparavant et qui a contribué, pour beaucoup, je le crois, à modifier l’équilibre de forces qui jusqu’à maintenant existait chez nous.
La fierté d’être canadien-français, voilà une expression qui est employée chez nous depuis deux siècles! Pendant longtemps, et jusqu’à tout récemment encore, elle a voulu dire que nous devions être fiers de notre passé, des actes audacieux de nos ancêtres, de leur volonté de survivance, du soin qu’ils avaient mis à conserver notre culture, notre langue et notre religion malgré tous ceux qui les entouraient. Cette expression, on en trouve le reflet dans la devise « Je me souviens ».
Mais une telle devise, qu’on doit respecter et comprendre, ne suffit plus aujourd’hui. Je vais peut-être vous étonner en vous disant qu’il ne faut pas la prendre trop à la lettres Elle est un point de repère, pas un programme d’action. Nous devons certainement en tenir compte, mais nous devons le faire à la façon du voyageur qui, tout en se rappelant fort bien d’où il est parti, pense surtout au point qu’il désire atteindre. Nous n’avons rien à renier de notre passé, au contraire, mais le peuple jeune que nous sommes à tout un monde a construire. Épaulés par le passé qui a été le nôtre, nous devons désormais, comme nous avons commencé à le faire, consacrer nos énergies à la préparation de notre avenir. Notre devoir collectif est de chercher à être ce que nous pouvons devenir et non pas de demeurer ce que nous avons été. Pour cela, il nous faut à la fois être réalistes et déterminés, réalistes afin de ne pas nous fixer des objectifs impossibles à atteindre, déterminés afin de mettre en valeur tout le potentiel humain et économique que nous possédons.
Aux éducateurs comme aux parents, revient la tâche de donner une perspective de la vie à ceux qu’ils forment. Vous devez faire naître chez les jeunes un enthousiasme que les premières difficultés de la vie n’atténueront pas. Vous devez susciter chez eux un idéal fondé sur la réalité et sur ce qu’ils peuvent en faire, et non pas sur un vague sentimentalisme, vous devez leur faire voir quelle participation concrète peut être la leur dans l’édification du Québec de demain. Les jeunes d’aujourd’hui ont la chance de vivre dans une société en pleine croissance ou les occasions de s’affirmer et d’aider ainsi leur communauté nationale sont et seront de plus en plus nombreuses. Cela, il faut le leur dire pour les associer, par le coeur, par l’esprit et par l’action à la marche en avant du peuple canadien-français. Vous ferez de la sorte naître chez eux une fierté qui se justifiera non pas seulement par le passé de notre peuple, mais aussi et surtout par l’avenir qui lui est réservé.
On dirait, en lisant l’histoire du Canada, que le désir d’affirmation du Québec et du Canada français, même s’il est constamment présent, se manifeste ouvertement par vagues. À des périodes actives succèdent des périodes passives. On dirait qu’à certains moments nous prenons un élan et que, quelques mois ou quelques années après, celui-ci perd de son ampleur. Aujourd’hui encore nous vivons une période caractérisée par un élan, mais un élan qui est probablement sans précédent et qui, contrairement à la plupart des périodes similaires dans le passé, a donné lieu à des réalisations concrètes. La génération actuelle a l’impression d’avoir commencé trop de choses souhaitées depuis deux siècles par notre peuple pour risquer de les voir abandonnées parce qu’elle n’aura pas su préparer la relève. C’est pourquoi j’insiste tellement sur le rôle important, que vous, les éducateurs, avez à jouer pour préparer cette relève.
Qu’on comprenne bien cependant que je ne vous demande pas de vous faire les représentants attitrés d’une théorie officielle de l’histoire que votre gouvernement aurait approuvée et qu’il obligerait les citoyens à partager. Je ne vous demande pas non plus de vous faire les propagandistes des oeuvres du gouvernement.
Tout ce que, comme Premier ministre du Québec, je souhaiterais des éducateurs, c’est qu’en plus d’être des experts dans les matières qu’ils enseignent, ils instruisent et éduquent – et je ne doute pas que beaucoup d’entre vous le font déjà dans une telle optique – non pas seulement des étudiants, mais des jeunes qui sont membres d’une communauté nationale à laquelle ils seront un jour en mesure d’apporter une contribution valable. En somme j’aimerais que dans toutes nos maisons d’enseignement, il règne envers le Québec et le Canada français, cet esprit de fierté nationale dont j’ai parlé il y a quelques instants.
Vraiment, éducateurs, vous constituez un groupe privilégié. Vous formez le jeune Canada français, le jeune Québec. Dans le sens le plus complet du terme, vous préparez l’avenir. Votre influence est grande, votre responsabilité est immense. Toute notre jeunesse compte sur vous.
[QLESG19640824]
[ Àpublier après 1:00 h.P.M. Le 24 août 1964. Institut des Comptables Agréés.
Hôtel Reine Elizabeth – Montréal.
‘Lundi le 24 août 1964.
Honorable Jean Lesage, Premier Ministre.]
Vous savez que l’administration publique moderne est une entreprise d’une énorme complexité. Dans notre société actuelle, le gouvernement se voit confier des tâches chaque année plus étendues. Puisqu’il a la responsabilité du bien commun, il ne saurait les refuser. Dans la mesure où les besoins communautaires sont plus marqués, dans la mesure où la collectivité assume des risques qui autrefois reposaient exclusivement sur l’individu, dans la mesure en somme où le gouvernement, l’État comme on le dit fréquemment, doit jouer un rôle actif dans le développement et le progrès de la société, sa dimension physique et financière augmente constamment. Certains mêmes prétendent que cette tendance est irréversible parce que les raisons qui l’ont fait naître continuent d’être aussi présentes que jamais et que rien ne laisse prévoir leur déclin. La participation accrue de l’État dans les affaires économiques et sociales de la communauté n’est donc pas un phénomène passager. Une telle évolution peut, chez certains, soulever des craintes, chez d’autres provoquer des espoirs. Quoi qu’il en soit, ceux qui ont à conduire une gigantesque machine administrative dont les moindres décisions, les moindres succès et aussi les moindres erreurs influencent automatiquement la vie de millions de citoyens.
Cette tendance à la croissance des fonctions administratives du gouvernement se remarque aussi au Québec. Je dirais même qu’elle se remarque surtout ici puisque, jusqu’à tout récemment, on s’efforçait d’entretenir l’idée auprès de notre population que toute initiative gouvernementale était nécessairement infructueuse, coûteuse, pour ne pas dire néfaste. Cette vision des faits est maintenant abandonnée, car les citoyens du Québec ont compris quel levier puissant leur gouvernement pouvait leur fournir pour la réalisation de leurs aspirations. Ils se servent aujourd’hui de leur gouvernement comme d’un instrument de premier choix qui leur appartient en propre et qu’ils ont mis à leur service.
[It has sometimes been said that government enterprise is less efficient than private enterprise. Some Quebecers, while recognizing the indispensible character of public intervention, share this opinion, and are even ready to produce figures to back
it up. There is every possibility that they may be right in certain particular cases, but they forget, however, that ordinarily, you cannot compare two things of différent nature without reaching a false conclusion. As a matter of fact, government activity does not exist for the saine reason as private enterprise. The aim of the latter is to make a profit, which is quite normal; the aim of government enterprise, on the other hand, is directed towards serving the population, as a whole or in part. If private enterprise operates at a loss, it is not fulfilling its role; if government enterprise does not render the services that it should, then it is going astray.
There is alno another thing that we do not often think about: a modern government aims at reaching a multitude of particular objectives at the same time. Each one of its Departments has its own immediate goals: even if their ultimate aim is the common good, they go about it in vert’ différent ways. There are times when thèse immediate goals might look contradictory.
For instance, economic policy seeks, among other things, stability and growth: stability, so that the economy be subjected as little as possible to fluctuations producing unemployment, and growth, so that the people’s standard of living constantly increaseo These two goals may often contradict one another, because growth calls for movement, which is a form of instability, and stability infers a lack of movemento Under these conditions, the problem of governments is to discover the appropriate dosage of economic policy which will prevent a haphazard form of economic progress, or else stagnation. I can assure you that it is easier to talk about such an objective than it is to reach ita
I could give you an endless number of exemples similar to the one that I have just drawn from the field of economic policy, and 1 could show you that even with all the best intentions in the world, the various Departments of government have to put forward policies that are often
difficult to fit togethero It is obvious that a higher
authority can decide which activities should be given priority, but this is where another obstacle arises, one which is also exclusive to governmental enterpriseo As a matter of fact, the government must make every effort to satisfy all of the people at the same time a goal which contradicts every order of priorities, as this order has a tendency, at least on the short terni, towards giving more attention to some types of projects at the expense of others]
On voit donc que, du fait même qu’il existe et qu’il veut s’acquitter de son devoir, le gouvernement moderne se trouve au départ forcé de choisir entre les décisions qu’il peut prendre. Il sait d’avance, peu importe les alternatives qu’il choisira, qu’elles ne pourront plaire à tous et qu’elles ne feront pas automatiquement disparaître tous les conflits que leur application suscitera tant entre les décisions elles-mêmes et les opinions des citoyens qu’elles viendront déranger dans leurs habitudes ou leur mode de vie. Car, complication additionnelle pour ceux qui ont la charge de l’administration publique, les décisions qu’ils prennent, tout en répondant aux demandes de certains groupes de la société, peuvent fort bien diminuer les privilèges dont jouissaient antérieurement d’autres groupes. Il s’ensuivra, vous l’imaginez bien des contre-propositions, des démarches ou des pressions de ceux qui perdront ainsi des avantages auxquels ils s’étaient habitués. Si, en principe, tout le monde est d’accord pour que l’État consacre son activité à la recherche et au maintien du bien commun, cette sérénité disparaît vite quand on croit que son bien particulier est limité par celui des autres.
Et si encore tous les citoyens avaient la même conception du bien commun! Mais non – et c’est bien humain – celui-ci s’exprime à peu près toujours en terme d’intérêt immédiat. Ainsi, les uns estiment que le gouvernement devrait, avant toute chose, fournir à l’ensemble des citoyens le plus grand degré possible de sécurité matérielle; pour eux, l’État doit s’efforcer de façon prioritaire de faire disparaître tous les risques. D’autres croient que l’autorité publique, là également avant toute autre chose, devrait sauvegarder un climat absolu de concurrence et qu’elle devrait légiférer le moins possible; ces suggestions contradictoires viennent la plupart du temps de personnes ou de groupes qui ont déjà vaincu toutes les concurrences et que craignent que l’action de l’État n’apporte une aide redoutée à des entreprises qui ne peuvent actuellement, faute de moyens, se mesurer à eux. Les personnes et les groupements qui contrôlent présentement les centres de décisions sont d’avis que le bien commun réside dans le maintien du statu quo. Ceux qui sont dans la situation inverse, plaident, toujours en vue du bien commun, pour une réforme majeure de l’équilibre de forces existantes.
Comme vous pouvez facilement le voir, je n’en finirais pas de vous énumérer les notions diverses que l’on peut proposer, d’un milieu à un autre, non pas peut-être du bien commun considéré théoriquement, mais des moyens susceptibles d’en favoriser l’avènement et le maintien. Comme reflet de la communauté qui l’a élu, le gouvernement démocratique doit s’efforcer de mettre de l’avant des politiques qui rencontrent l’assentiment du plus grand nombre.
[Because the government cannot always guess the public’s whishes on a particular subject, and because it is not in a position to organize a referendum every time it has to make an important decision,’it has, in fact, to carry out its
responsibilities by itself. However, the decisions to be made are too frequent, too numerous, and their consequences too weighty, for the government to proceed blindly and to improvise. This is why political parties today have adopted the practice of submitting to the people definite plans of action which the population can analyse and on which it can decide at election time. These political programmes then become government policies, and they have this advantage, that in addition to providing the elected party with a concrete guide, they also allow the people, since these programmes have been made public and commented upon, to know all the time the way in which the party is carrying out the tasks it has assumed. Thus, the vert’ extent of modern government activity has indirectly given birth to a more enlightened democracy, thanks to an electorate that is better informed about the real intentions of those who are soliciting its votes.]
Si je vous mentionne de façon assez détaillée quelques-unes des caractéristiques de l’administration publique moderne, c’est pour vous montrer combien différente elle est de l’administration privée. Elle se situe dans un cadre complètement différent et doit tenir compte de considérations sociales et politiques qui s’ajoutent aux considérations économiques et, sans être étrangères à l’entreprise privée, ne lui imposent pas du tout les mêmes limitations.
Une question primordiale rapproche cependant les deux types d’organisations: toutes deux doivent disposer des moyens financiers suffisants si elles veulent s’acquitter de leurs obligations et si elles veulent se développer. Comme je parle à des comptables, je ne pense pas avoir besoin de prouver l’importance de cet aspect financier.
Aujourd’hui, le gouvernement du Québec ressemble un peu à une immense entreprise dont les perspectives seraient très brillantes et qui aurait besoin, pour rendre ces perspectives réelles, de capitaux abondants. Ces capitaux, le Québec désire les utiliser à des fins productives: augmenter le niveau d’éducation de sa population, améliorer leur état de santé et de bien-être, mobiliser ses ressources en vue de favoriser une croissance économique accélérée. En outre, puisque le Québec est au pays l’expression politique du Canada français, à notre devoir de croissance économique et sociale s’ajoute un autre devoir: celui de la croissance culturelle qui ne se mesure évidemment pas en termes monétaires mais qui fait fructifier des valeurs humaines auxquelles nous tenons.
Le gouvernement d’une province n’a que deux sources de capitaux: la fiscalité et l’emprunt. Aucune de ces deux sources n’est illimitée, mais une, la fiscalité, peut selon nous, être aménagée autrement qu’elle ne l’est présentement. Pour cette raison, nous avons mis sur pied une commission royale d’enquête dont les travaux et les conclusions seront de nature à nous aider grandement. De plus, comme vous le savez, nous avons entrepris de rapatrier au Québec des pouvoirs fiscaux actuellement détenus par le gouvernement fédéral. Les provinces, en effet, ont des besoins prioritaires par rapport à ceux du gouvernement central, phénomène qui commence à être reconnu par l’administration fédérale. Celle-ci, l’an dernier et surtout cette année, a libéré les champs de l’impôt sur le revenu personnel et de l’impôt sur les successions de quelques points, et elle a amélioré le mode de calcul de la péréquation. Le Québec a en outre reçu une compensation fiscale dans le cas des allocations scolaires fédérales qui ne s’appliqueront pas chez nous parce que nous possédons un programme similaire depuis 1961. Nous avons aussi demandé, dans le cas des programmes conjoints dont nous voulons nous retirer, une équivalence fiscale correspondant à la quote-part fédérale de ces programmes. Évidemment, dans la compensation applicable aux allocations scolaires et aux programmes conjoints, le Québec ne réalise aucun gain financier puisqu’il s’agit d’une équivalence fiscale de subventions conditionnelles, mais le degré de son autonomie fiscale s’élargit sensiblement, ce qui nous permet ainsi de réaliser graduellement un autre des objectifs du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger.
Ainsi qu’il en a été décidé lors de la conférence fédérale-provinciale de mars-avril 1964, à Québec, un comité fédéral-provincial, dit « comité du régime fiscal », commencera très probablement au cours des prochains mois, un examen détaillé et complet de la fiscalité canadienne. Ce comité sera composé de ministres fédéraux et de ministres provinciaux, assistés de spécialistes. Il examinera, entre autres choses, la répartition des sources de revenus entre les divers secteurs de gouvernement au pays en regard des responsabilités dont ils ont a s’acquitter. Comme je l’ai déjà annoncé, le Québec participera aux travaux de ce comité dont l’importance, dans les circonstances actuelles, sera certainement historique.
[I have painted here only a rough picture of Quebec’s fiscal aims. I have said merely a few words about the progress made in this field over the last few months, but I would like to point out that even though a great deal still remains to be done, we have, nevertheless, covered a good deal of ground in the recognition of our needs and of our rights. We have every intention of continuing our forward progress and of reaching a state of affairs which, as the result of a serious examination of all the relevant facts, will be far more acceptable than the one that exists at the present time.]
J’ajoute, en terminant, que nos objectifs fiscaux sont d’autant plus pressants que notre gouvernement, tout en acceptant les fonctions nouvelles que la population du Québec lui confie, et parce qu’il les accepte, veut améliorer son fonctionnement et son efficacité. Nous ne prétendons pas vouloir en faire une institution parfaite, qui pourrait servir de modèle à toute l’humanité, mais nous ne serons satisfaits que le jour où notre gouvernement pourra, avec célérité et dynamisme, jouer pleinement dans notre milieu le rôle moderne qu’il a commencé à assumer. Pour y réussir, il nous faudra arriver, dans un nouveau type de gouvernement adapté à nos besoins, à cultiver les avantages de l’entreprise publique et à nous inspirer du dynamisme de l’entreprise privée. Un tel but, en lui-même, constitue un défi. Je ne crois pas cependant qu’il soit plus difficile à relever que plusieurs de ceux qu’a déjà acceptés le Québec d’aujourd’hui!
[QLESG19640901]
[Inauguration de l’édifice À publier après:10:30 aom. commémoratif des Pères de le ler septembre 1964° la Confédération
Charlottetown, ler septembre 1964
Honorable Jean Lesage, Premier Ministre du Québec.]
Nous avons aujourd’hui l’occasion de réfléchir sur l’une des expériences humaines les plus intéressantes et les plus riches de promesses: la Confédération canadienne. Dans une telle circonstance, notre devoir est double: rendre hommage à ceux qui ont rendu une telle expérience possible et nous demander comment, en 1964, nous pouvons poursuivre, en l’adaptant au monde actuel, la tâche entreprise par les Pères de la Confédération, il y a cent ans. Le fait que nous soyons tous réunis ici constitue déjà un hommage, puisque, par delà nos propres personnes, c’est toute la population de notre pays qui se trouve symboliquement présente dans cette salle. S’il est toujours possible d’associer à une oeuvre commune des groupes d’hommes d’origine, de mentalité et de culture différentes, il est par contre très difficile d’instituer un régime politique grâce auquel ces groupes d’hommes, à travers les générations, conserveront leurs caractères propres et trouveront un milieu propice à l’épanouissement de leur culture. L’histoire de la Confédération canadienne est de ce fait l’histoire d’un défi dont on connaît peu d’exemples dans les autres pays modernes. Ce défi, il y aura bientôt cent ans qu’on l’a relevé. Nous devons nous réjouir du progrès économique et social qui a résulté de l’établissement du régime confédératif de 1867. Nous devons aussi nous réjouir du fait que la Confédération a permis, face à nos voisins américains, d’édifier au Canada une communauté humaine autonome. Ces résultats commandent notre respect et notre reconnaissance, mais ne nous évitent pas pour autant la nécessité dans laquelle sont tous ceux qui ont la responsabilité d’institutions humaines de faire le point, d’examiner les perspectives d’avenir et, à partir de là, de déterminer leurs tâches actuelles.
Tout le monde sait que le Québec moderne s’interroge sur la place qu’il doit occuper dans la Confédération canadienne et sur l’évolution qu’il lui semble souhaitable d’imprimer à celle-ci. Si le Québec s’interroge ainsi, ce n’est pas par simple souci de modifier l’équilibre qui a existé. Le fait d’apporter des changements à une institution ancienne est un processus trop compliqué, parfois même trop douloureux, pour qu’on l’envisage à la légère, en se basant sur des motifs superficiels ou sentimentaux. Québec n’est pas dans ce cas. La réorientation du régime confédératif qu’il désire est intimement liée à la prise de conscience qui a eu lieu chez nous tant de l’entité culturelle que nous formons, comme Canadiens d’expression française, que de nos possibilités d’action et d’affirmation.
En réalité, tout l’effort d’épanouissement actuel du Québec est essentiellement positif. Malgré certaines apparences, nous n’agissons pas contre qui que ce soit. Nous voulons construire et non détruire. Nous sommes guidés par l’espoir de notre avenir et non par la nostalgie de notre passé.
Pourquoi le Québec se situe-t-il dans cette perspective d’action positive? Parce que, tout simplement, celle-ci est une conséquence de son état d’esprit actuel et que le Québec ne peut pas logiquement adopter une autre attitude. En effet, le désir d’épanouissement qui se manifeste présentement chez nous est fondamentalement sain et se retrouve dans tous les groupes de notre collectivité. Il anime tout notre peuple et n’est le propre d’aucune classe sociale en particulier. Il est lié aux racines mêmes de l’histoire du Canada français, mais il a déjà donné des fruits qui ne sont que la première récolte d’une moisson plus prometteuse encore.
Pour que nos espoirs se concrétisent, nous devons contribuer nous-mêmes à la solution des problèmes inévitables et normaux que provoque la remise en question par la population du Québec du cadre économique, culturel, social et aussi constitutionnel dans lequel elle a vécu jusqu’ici. Nous savons aussi que nous vivons dans une ère de transition qui a débuté il y a quelques années mais qui ne peut pas durer indéfiniment. Cette ère de transition a modifié plusieurs de nos comportements habituels, notamment dans le domaine constitutionnel. Souvent, nous avons eu, en cette matière, tendance à considérer le statu quo comme un objectif automatiquement désirable; pour plusieurs chez nous, la constitution de 1867 prenait figure de rempart derrière lequel il convenait de se réfugier en cas de danger.
Nous croyons cependant que notre attitude nouvelle place notre constitution dans un contexte plus réaliste encore, dans un contexte en somme où tous les éléments de la situation globale du Québec entrent maintenant en ligne de compte dans l’évaluation des perspectives d’avenir de notre peuple.
Dès lors, nous percevons la constitution canadienne comme un cadre juridique devant permettre l’épanouissement des divers groupements humains qui vivent dans notre pays. Le Québec, à cause de ses caractères particuliers, à cause de la culture à laquelle appartient la majorité de ses citoyens, à cause des aspirations propres à sa population, à cause surtout de sa volonté maintenant permanente d’épanouissement souhaite fermement que le cadre constitutionnel de l’avenir, en évoluant et en s’améliorant, tienne mieux compte qu’actuellement des aspirations, que nous croyons être légitimes, d’un des groupements fondateurs de la Confédération canadienne.
Nous ne demandons aucun traitement de faveur. Dans un esprit tout à fait positif, nous voulons seulement que le Québec, et de là tout le Canada français, prenne la place qui lui revient et joue pleinement le rôle qu’il croit être le sien dans une Confédération d’un type nouveau.
Au cours de leur histoire, tous les pays évoluent. Le nôtre depuis le siècle dernier, n’a pas – et nous avons lieu d’en être fiers échappé à cette règle des institutions humaines vivantes et dynamiques. Aujourd’hui, nous n’avons pas à tout recommencer. Nous avons à continuer notre marche en avant, mais il nous faut reconnaître que nous vivons un moment de notre histoire où cette marche en avant suppose, tout particulièrement, de part et d’autres, une volonté réciproque de compréhension.
Ici même, le 2 février 1963, au début de la construction de l’édifice dans lequel nous nous trouvons présentement, je disais: Je suis convaincu que si nous entreprenons un effort commun, nous pourrons enfin, tous ensemble, vivre véritablement la Confédération. Tous les défis qu’elle comportait au point de départ auront ainsi été relevés avec succès. Notre pays sera non seulement grand géographiquement, mais il sera grand de l’oeuvre humaine qu’il aura pu mener à bien: la collaboration éclairée, amicale et positive de groupements humains culturellement distincts, mais animés d’un même idéal.
Nous devons aujourd’hui rendre hommage à ceux qui, il y a un siècle, nous ont donné les moyens constitutionnels d’atteindre un tel objectif. Il ne nous reste plus, à nous qui avons succédé aux Pères de la Confédération, qu’à adapter ces moyens aux situations actuelles et à nous en servir pleinement.
Je crois vraiment que c’est là l’essentiel de notre tâche pour les années à venir. Il n’y a pas de raison pour que nous ne réussissions pas à continuer avec dynamisme l’oeuvre que d’autres, il y a un siècle, ont entrepris avec autant d’espoir!
[QLESG19640904]
[Le 4 septembre 1964.
MESSAGE DE L’HONORABLE JEAN LESAGE
À L’OCCASION DE LA FETE DU TRAVAIL 1964.]
Cette année marque un point tournant pour tous les travailleurs, qu’ils soient employeurs ou employés. Comme 1934 et 1944, 1964 constitue une étape historique pour l’amélioration des relations entre employeurs et employés. Cette fête du travail est, en effet, sous le signe du Bill 54. La première partie du Code du Travail qui remplace sept lois éparses de relations de travail est en vigueur depuis une semaine. Ce début magistral d’une codification complète des lois concernant les travailleurs est le fruit de discussions et de consultations sans précédent dans l’histoire parlementaire du Québec.
Tous les travailleurs ont pu être entendus au cours même de l’étude de la mesure par l’Assemblée législative. Que ce soit au moment des séances du comité des bills publics en 1963 ou durant celles du comité spécial de la fonction publique en 1964, toutes les associations professionnelles intéressées ont eu voix au chapitre. Ce dialogue vraiment démocratique entre le législateur et la population a été rendu possible grâce au dynamisme et à la discipline des corps intermédiaires du monde du travail.
Quelques-uns ont pu prétendre que l’étude de cette loi a demandé trop de temps. Lorsqu’il s’agit du sort de la population active, lorsqu’il s’agit des conditions du climat industriel concernant les 1800000 travailleurs et les 110000 employeurs du Québec, je ne crois pas qu’on puisse consacrer trop de temps et trop d’efforts. Cette loi reprend en les clarifiant les principes fondamentaux qui étayent les droits et les responsabilités des premiers artisans de la paix industrielle.
Au cours de cette période extrêmement active où s’élaborait une mesure si importante, les idées et les événements ont fait faire des progrès rapides à la pensée québécoise concernant les relations de travail.
Le secteur entier de la fonction publique fera bientôt l’expérience de la négociation collective. L’association professionnelle est accessible à tous les types de travailleurs. Les employés des services publics jouissent maintenant en substance des mêmes droits que les autres travailleurs. Ce sont autant d’innovations qui montrent la maturité des associations patronales et ouvrières.
Le Québec s’est aussi fortement intéressé au cours des douze derniers mois à l’établissement d’un régime universel de rentes de retraite. Le gouvernement n’a négligé aucun effort pour que cette mesure, tout en étant hautement sécuritaire pour les individus, soit aussi un mécanisme de développement économique et un outil d’autonomie provinciale.
La Fête du travail présage une autre année de progrès pour le Québec. De notre côté, nous songeons déjà à la seconde partie du Code du travail: l’extension juridique de la convention collective. J’espère que de votre part, travailleurs de tous les secteurs d’activité, vous contribuerez pleinement comme par le passé à l’amélioration de nos lois. Je souhaite à tous une très heureuse Fête du travail. Que l’an prochain nous nous félicitions encore d’avoir marqué des points dans l’épanouissement du Québec. Tel est notre voeu et je suis sûr que c’est aussi le vôtre.
[QLESG19640909]
[Banquet du Mérite Agricole À publier après: 7:30h. p.m. Québec, le 9 septembre 1964 Le 9 septembre 1964. Honorable Jean Lesage, Premier Ministre,]
Je suis heureux de pouvoir rencontrer ensemble, ce soir, les décorés des concours annuels de l’Ordre du Mérite agricole et de l’Ordre du Mérite du Défricheur. J’applaudis à l’initiative d’avoir réuni en une seule, deux fêtes qui avaient été jusqu’ici distinctes. L’événement comporte une signification symbolique. Pour des raisons que vous connaissez, l’ère de l’ouverture de nouvelles paroisses agricoles au Québec a pris fin et cela pour un temps indéfini. Le grand, le difficile problème de l’heure, vous le savez aussi, c’est la consolidation de la ferme familiale, tant dans les vieilles paroisses que dans les pays neufs de la province. Dans ces conditions, la colonisation devient tout simplement le prélude de l’agriculture proprement dite. Le « faiseur de terre », tel que le romancier Louis Hémon l’a immortalisé sous le nom de Samuel Chapdelaine, ce genre d’homme qui, par vocation, consacrait toute une vie errante à ouvrir des terres vierges, est un type révolu. Ce dont nous avons besoin, aujourd’hui, ce sont des défricheurs qui s’enracinent sur leurs lots et les transforment graduellement en fermes viables et rentables.
Il convient donc au plus haut point de célébrer en même temps les mérites des heureux lauréats de l’Ordre du Mérite agricole et de l’Ordre du Mérite du Défricheur. J’offre de chaleureuses félicitations à tous les participants, et particulièrement aux nouveaux Commandeurs, aux lauréats et aux autres concurrents.
Tous ces décorés ont de grands mérites, dont celui d’avoir prouvé que le travail agricole peut encore faire vivre son homme, en cette période extrêmement difficile que traverse l’agriculture.
Oui, – c’est vrai – un grand nombre d’agriculteurs connaissent présentement une situation difficile. Car l’agriculture a beaucoup de mal à s’adapter à la révolution scientifique et économique qui transforme les structures de la société.
Vous pourriez être amenés à penser, à la lecture de certains journaux, que le malaise agricole est un cas particulier au Québec. Mais il n’en est rien. Savez-vous qu’en Saskatchewan, par exemple, qui demeure encore la province la plus agricole de toutes les provinces canadiennes, le nombre de cultivateurs qui en 1941 était de 138713 a passé en 1961 à 93924? Ceci veut dire qu’au cours de ces vingt années, il y a eu dans cette province une diminution annuelle de 2244 agriculteurs.
Il faut savoir qu’il y a eu en Saskatchewan comme au Québec, durant les années de crise 1930, un mouvement de retour à la terre, puisque la culture du sol pouvait au moins assurer le logement et en partie la nourriture. Mais, là comme ici, aussitôt que l’industrie et le commerce ont repris un certain essor, ceux qui s’étaient établis sans vocation particulière sur des terres ont voulu retourner à leur ancien état de vie ou à d’autres occupations que l’activité agricole. En Saskatchewan, entre les années 1941 et 1951, la diminution annuelle d’agriculteurs a été de 2669. Au Québec, pour la même période, elle n’a été que de 2033 annuellement. Une sélection s’est donc produite et qui continue de s’effectuer entre ceux qui ont véritablement une vocation agricole et ceux qui ne l’ont pas et qui peuvent faire ailleurs leur vie.
Ce que je viens de vous dire démontre seulement qu’ailleurs comme au Québec, l’agriculture subit un nécessaire et pénible ajustement aux forces qui transforment notre société. Je voudrais bien dissiper cette illusion, ce mythe, que le malaise agricole de l’heure présente est un cas particulier au Québec, en tant qu’il se traduit
par l’exode rural.
Ce que j’ai dit de l’exode rural s’applique également à la question du revenu agricole. L’insuffisance du revenu moyen des cultivateurs est une donnée centrale du problème non seulement au Québec mais au Canada et partout dans le monde. Le revenu agricole net réalisé est en moyenne bien inférieur au revenu moyen du travailleur non agricole, et partout comme ici, le malaise agricole se rattache très étroitement à l’existence d’un trop grand nombre de petites fermes marginales ou actuellement non rentables. Nous devons reconnaître tout d’abord que le malaise agricole résulte de causes nombreuses, dont le progrès de l’industrialisation, la hausse générale du niveau de vie, les besoins accrus de la classe agricole en terre, en machinerie, en capitaux, en savoir-faire technique, en de nombreux et nouveaux biens de consommation, etc. Il s’agit d’un problème complexe, qui ne peut pas se résoudre par des moyens simplistes, par le recours à un seul et unique remède de charlatan.
Un programme agricole s’élabore au Québec qui, face à la multiplicité des besoins à satisfaire, comporte un nombre équivalent de mesures. L’étude des faits.
Toute action doit s’appuyer sur un inventaire suffisant des faits. Au Québec, nous nous sommes trouvés en 1960 devant un manque effarant d’informations sur la situation agricole. C’est pourquoi nous avons institué de nombreux comités d’étude. Nous avons fait appel à la collaboration des universités, des associations et d’autres corps intermédiaires. Nous avons utilisé au maximum la capacité de travail des cadres de l’agriculture et de la Colonisation. Cet effort, qui continue de se poursuivre, a déjà suscité d’importantes mesures gouvernementales pour le cultivateur québécois. Le crédit agricole. Nous n’avions cependant pas besoin de longues études pour savoir qu’il existe une relation très étroite entre le revenu net réalisé des cultivateurs et les capitaux qui sont investis dans leurs fermes. Depuis longtemps L’U.C.C. réclamait une politique de crédit plus généreuse. Le gouvernement que je dirige est intervenu de diverses façons. Il a amendé la Loi provinciale du crédit agricole, de sorte que les prêts fonciers consentis aux cultivateurs en vertu de cette loi ont presque doublé en 1962 et 1963. Il a ensuite rendu opérante la Loi de l’amélioration des fermes, je veux dire qu’il l’a rendue acceptable par les banques à charte et les caisses populaires. Les prêts d’exploitation obtenus ainsi par les cultivateurs, de nuls qu’ils étaient en 1961 ont passé à $43000000 pour les deux années 1962 et 1963. Le gouvernement a enfin offert de rembourser aux agriculteurs du Québec 50% du taux d’intérêt exigé par la Société fédérale de crédit agricole, ce qui leur ouvrait une importante source additionnelle de crédit.
Au total, grâce à ces interventions, les prêts gouvernementaux de toutes sortes aux agriculteurs québécois sont passés d’environ $30000000 pour les années 1960 et 1961 à quelque $120000000 pour les deux années suivantes. La différence est de $90000000 , en 2 ans. Je suis convaincu que ces importantes injections de capitaux dans notre économie rurale, et qui se continuent, vont faire avancer de nombreuses fermes québécoises sur le chemin de la rentabilité.
La réorientation des productions agricoles
Une caractéristique principale de la production agricole du Québec est d’être trop entièrement centrée sur l’industrie laitière. Existe-t-il d’autres possibilités et dans quelle mesure? Après huit mois de travail, le Comité d’étude de la commercialisation des produits agricoles a fourni un rapport qui constitue justement les bases d’un plan de réorientation des productions agricoles du Québec.
Grâce aux indications de ce Comité, le gouvernement a déjà commencé à implanter le boeuf de boucherie dans le Nord-Ouest québécois, à intensifier et améliorer la culture de la pomme de terre dans les comtés de l’Islet, Joliette et Labelle, celle de la fraise dans l’Assomption et la région de Québec, et à accroître les productions avicoles dans Dorchester, l’Islet, Rimouski, Lac-St-Jean et Roberval. Cette réorientation des productions agricoles tient compte des possibilités régionales et de l’influence que peut avoir l’accroissement annuel des diverses productions sur les prix à la ferme.
Le gouvernement recherche et obtient la collaboration de l’entreprise privée et des coopératives dans cette oeuvre de planification. C’est un effort réaliste en vue d’accroître le revenu des fermes québécoises.
La mise en marché
Il n’appartient pas au gouvernement d’organiser lui-même la commercialisation des produits de la ferme. Ce que les producteurs agricoles désirent – l’U.C.C. l’a souvent répété – c’est qu’on leur donne les moyens de s’organiser collectivement eux-mêmes. C’est justement ce que nous avons fait.
En collaboration avec Ottawa, puisqu’il s’agit d’un domaine de juridiction concurrente, le gouvernement que je dirige a offert une aide financière à diverses coopératives pour la construction d’entrepôts de pommes de terre et autres légumes, à la condition cependant que les coopérateurs s’imposent une discipline de production, de classement et de vente de leurs produits. Cinq ou six coopératives du Québec se sont déjà prévalues de cette offre. S’il n’y en a pas eu davantage, ce n’est ni la bonne volonté ni le manque de prévisions budgétaires du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation qui en sont responsables.
Dans le domaine législatif, le gouvernement a amendé la Loi des coopératives agricoles et a procédé a une refonte complète de la Loi des marchés agricoles. Cette dernière loi accorde aux agriculteurs des pouvoirs leur permettant d’accroître leur force de marchandage, d’organiser des plans conjoints viables, de contingenter au besoin leur production.
Je crois toujours que les agriculteurs sauront se prévaloir avec mesure et réalisme des pouvoirs qui leur ont été conférés. Il s’agit là, en tout cas, d’un moyen efficace, entre plusieurs autres, d’accroître le revenu agricole net des agriculteurs du Québec.
L’aide aux régions rurales désavantagées
Les régions rurales éloignées, qui sont en même temps nos principaux territoires de colonisation, ont été l’objet de mesures spéciales.
Presque toutes les subventions destinées à encourager la mise en valeur des lots sous billet de location ont été doublées. Lois et règlements ont été modifiés, afin de faciliter aux défricheurs l’acquisition de lots additionnels jusqu’à un maximum de 500 acres, et de favoriser aussi l’achat de fermes et de lots abandonnés en vue d’agrandir et consolider les fermes des défricheurs et des agriculteurs. Aux producteurs agricoles par trop éloignés des grands abattoirs, des subventions ont été offertes qui ont abaissé et uniformisé les frais de transport de leurs animaux de boucherie, et qui, un peu partout, ont stabilisé les prix à la ferme de ces animaux aux niveaux de ceux des marchés de Montréal et de Québec.
Aménagement rural
Dans la plupart des régions rurales, surtout dans celles qui sont désavantagées par le sol, le climat et l’éloignement des grands marchés, l’agriculture ne peut évidemment pas assurer seule le plein emploi et l’élévation générale du niveau de vie. D’où l’importance des tout nouveaux programmes ARDA, entrepris sous l’empire de la Loi provinciale de l’aménagement rural et du développement agricole de mars 1963, et de la Loi fédérale concurrente déjà connue sous le sigle ARDA.
L’aménagement rural comprend au Québec divers projets spécifiques de mise en valeur et un grand projet de recherche en aménagement de territoires donnés.
À titre d’exemples de projets spécifiques, je mentionnerai l’organisation de bleuetières communautaires et de pépinières, l’entreprise de travaux de restauration forestière et d’amélioration de cours d’eau et, dans les régions dites d’aménagement rural, l’intensification des travaux d’amélioration des terres et l’implantation de bovins de boucherie. L’ensemble de ces projets qui ont été acceptés par Ottawa représente au premier août 1964 des promesses d’investissement d’environ $9000000 (la moitié payable par Ottawa). D’autres projets spécifiques sont à l’études. Quant au projet de recherche en aménagement complet d’un territoire rural, il se poursuit dans l’immense région-pilote du Bas-St-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine. Une équipe de spécialistes s’y emploie avec le concours de la population régionale, à dresser l’inventaire et à établir un plan directeur d’aménagement de toutes les ressources du milieu. C’est un travail de trois ans, qui se terminera en 1966. Qu’il suffise de dire pour l’instant qu’il s’agit là d’une entreprise de grande envergure, qui est unique au Canada et qui, à ce titre, suscite un vif intérêt et de nombreux espoirs.
Enseignement agricole
Vous savez quelle place prioritaire le gouvernement du Québec accorde maintenant, dans ses préoccupations et ses budgets annuels, à l’enseignement et à l’éducation, qui sont les clés de notre avenir.
Un comité d’étude est présentement chargé d’analyser les besoins et les problèmes de l’enseignement moyen agricole. D’autres comités ont déjà permis au gouvernement de résoudre le problème de l’enseignement agronomique et de créer l’enseignement technique agricole.
Je tiens seulement à réaffirmer une fois de plus, et avec la plus grande assurance, que l’instruction générale et la formation professionnelle des agriculteurs sont et resteront toujours, et de beaucoup, les outils les plus nécessaires et les plus efficaces de leur progrès économique et social. L’aide à la gestion de ferme
En attendant d’atteindre l’idéal d’une formation professionnelle plus poussée, il faut donner à la classe agricole une aide accrue en ce qui concerne l’administration des fermes. Il ne suffit plus d’avoir recours aux meilleures techniques de production. Puisque la ferme est une entreprise, il faut encore y assurer le meilleur rendement des capitaux, de la machinerie et de la main-d’oeuvre et cela, dans chaque cas particulier, par la combinaison la plus profitable des cultures et des élevages. Les agriculteurs progressifs qui le désireront seront réunis en groupes, ou cercles ou associations d’étude de la rentabilité de la ferme. Les débutants pourront obtenir gratuitement l’aide d’un conseiller en gestion. Avec l’aide de l’État, les groupes d’agriculteurs plus évolués pourront, moyennant une contribution financière minime, retenir à plein temps et pour eux seuls les services d’un conseiller en gestion.
La multiplication des groupes de gestion de ferme représentera une extension et une adaptation aux besoins de l’heure de la politique des concours de fermes. Cette prochaine offensive du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation dans les années à venir fera évoluer de nombreuses fermes québécoises vers une meilleure rentabilité. L’impôt foncier des agriculteurs
J’ai fait tout à l’heure allusion aux frais d’exploitation des fermes, qui s’accroissent sans cesse. Font partie de ces frais les taxes municipales et scolaires qui, je le reconnais volontiers, dépassent en général la capacité de payer des agriculteurs. J’ai déjà dit que les récentes mesures du gouvernement, dans ce domaine, ne représentent qu’une solution provisoire et partielle. La Commission Bélanger a reçu le mandat de proposer, en fin d’année, une solution satisfaisante et globale. L’élaboration d’une politique agricole. J’ai mentionné le Comité d’élaboration de la politique agricole. Institué en 1962, il fournit l’occasion d’un dialogue constant et fructueux entre les cadres du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation et les porte-parole des groupements les plus représentatifs de notre monde agricole. Pour n’être que consultatif, ce comité n’en apporte pas moins une indispensable contribution à l’élaboration démocratique de la politique agricole du Québec.
L’exemple des lauréats
Permettez-moi de dire, en terminant, que la part des individus, dans le renouveau agricole que nous voulons tous, restera toujours au premier plan. Aucun gouvernement, quel qu’il soit, ne peut aller commander aux agriculteurs, maîtres chez eux, de faire ceci ou cela, d’abandonner les méthodes routinières du passé pour les pratiques les plus modernes de production, de gestion et de mise en marché.
Les lauréats que nous acclamons ce soir témoignent de cet effort nécessaire de l’individu. Combien de leurs co-paroissiens, placés dans de mêmes conditions, stagnent ou reculent, tandis qu’eux, les lauréats, vont de l’avant, améliorent leur sort d’année en année? Et que dire de cette magnifique initiative de M. Johnny Bergeron et de ses fils qui ont tout mis en commun, capitaux, bétail, machinerie, capacités administratives, etc. pour exploiter collectivement, coopérativement, une ferme de 400 acres, montrant ainsi la voie aux immenses possibilités d’évolution et de transformation de l’agriculture familiale!
Pour le si précieux exemple que les lauréats donnent à tout leur entourage, je tiens à leur réitérer un vibrant témoignage d’estime et d’admiration.
[QLESG19640918]
[Fédération libérale du,Québec À publier après 9 hres. P.M. Ouverture du 10e Congres annuel Vendredi, le 18 septembre 1964. Vendredi, le 18 septembre 1964
Hôtel Reine-Elizabeth -. Montréal
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre du Québec.]
Au lendemain de la session qui s’est terminée le 31 juillet dernier – session qui fut, comme vous le savez, la plus longue de notre histoire parlementaire – l’Information Officielle du Québec a publié le bilan des lois nouvelles que le gouvernement a fait adopter par la Législature. C’est un document impressionnant. Il donne la liste des 68 projets de lois qui furent présentés par le gouvernement – c’est-à-dire par celui qui vous parle ou les membres de son cabinet – ainsi que des cinq bills publics que des députés ont fait inscrire au feuilleton et qui furent également votés par les Chambres.
Mon intention n’est pas de vous donner la nomenclature de toutes ces lois. Vous les connaissez déjà, soit pour en avoir pris connaissance dans les journaux, soit pour en avoir suivi l’étude par la lecture quotidienne du « Journal des débats », ce « Hansard » québécois qui est une autre réalisation de votre gouvernement libéral. Je voudrais plutôt souligner qu’en 1964, comme au cours des années qui ont suivi notre arrivée au pouvoir, l’équipe ministérielle que j’ai l’honneur de diriger s’est efforcée de parachever la réalisation du programme électoral que nous avions soumis à l’approbation de notre population en 1960 et de nouveau en 1962.
C’est dans cet esprit que furent présentées et votées trois grandes lois qui ouvrent à notre population des horizons nouveaux. Il n’est pas facile d’établir ici une priorité, chacune ayant à mon point de vue une importance capitale pour l’avenir du Québec.
La plus connue de ces trois lois est probablement le bill 60 instituant le ministère de l’Éducation et le Conseil supérieur de l’éducation. Depuis longtemps déjà notre population réclamait un tel ministère. Tous cependant n’étaient pas d’accord sur la forme et les pouvoirs que devait avoir cette structure indispensable à la transformation du Québec en un État moderne. Nous avons voulu procéder démocratiquement en donnant à tous ceux qui s’intéressent à l’éducation la possibilité de faire connaître leurs vues sur ce sujet. Présenté à la fin de la session de 1963, son adoption a été retardée à celle de 1964 afin que nous puissions, entendre les suggestions et recommandations de tous les intéressés. C’est une loi qui tient compte de tous les principaux aspects du problème. Elle a été sanctionnée le 19 mars et officiellement proclamée le 13 mai. Dans le domaine de l’éducation, le Québec s’est résolument mis à l’heure du progrès et s’engage dans des réalisations qui sont à la mesure des aspirations légitimes de notre peuple.
Un autre engagement libéral qui est devenu réalité au cours de la dernière session est la reconnaissance de la pleine capacité juridique de la femme mariée dans notre province. Présenté et défendu avec beaucoup de conviction et de talent par la première femme député du Québec à accéder au Conseil exécutif de la province, le bill 16 donnait à la femme mariée des droits et privilèges qui n’étaient accordés qu’à l’homme ou à la femme célibataire. Désormais, au Québec, la femme mariée n’est plus considérée comme mineure: elle jouit de sa pleine capacité juridique.
Comme dans le cas du bill 60, il importait que la codification de nos lois du travail fasse l’objet d’une étude approfondie au cours de laquelle ont pu se faire entendre tous ceux qui, directement ou indirectement, sont impliqués dans les relations patronales-ouvrières. Le bill 54, tel que sanctionné au cours de la dernière session, n’est pas complet; il reste encore beaucoup à faire dans cet important domaine des relations entre employés et employeurs. Nous sommes les premiers à l’admettre. Et les mesures que nous avons prises pour assurer que le travail se poursuive en ce sens démontrent notre volonté bien arrêtée de doter le Québec des lois du travail les meilleures qui soient. Il n’en reste pas moins que le bill 54 constitue un excellent début de Code du Travail, comme nous nous sommes engagés à en donner un au Québec.
Je devrais arrêter là cette revue rapide de la législation la plus importante votée au cours de la dernière session. Je m’en voudrais cependant de ne pas mentionner quatre lois qui complètent d’une certaine façon celles dont je vous ai déjà parlé, en autant qu’elles visent, elles aussi, au bien-être et à l’affirmation de la personne humaine. Il y a d’abord le bill 34 créant le Conseil supérieur de la famille. Puis le bill 40 qui établit clairement le caractère strictement provincial des allocations scolaires qui sont désormais payées douze mois par année à tous les jeunes de 16 et 17 ans qui poursuivent leurs études. D’autre part, le bill 48 protège désormais les petits emprunteurs contre certains abus, alors que le bill 67 met définitivement fin à la discrimination dans l’emploi.
[Things have changed in our province with the coming into power of the Quebec Liberal Party in 1960. One good example of the changes that have occurred is the revalorization of the part that is assigned to the Members of the Legislature in our parliamentary system. For too many years, the members of the party in power had been but confessors of their electors and distributors of governmental favours. They had nothing to say about the legislation and more often than not they were called upon to vote for bills about which they knew very little or nothing at ail. Today – all the members are asked to participate more and more in the study of the legislation that is submitted, whether public or private. Permanent committees of the House sit regularly and your representatives contribute largely to the elaboration of any bills. Furthermore, our liberal M.P.P.s have formed study groups which have initiated themselves to the wheels of government each one giving greater attention to the administration of the department of his choice.
We have also set up special committees, one of them to examine rules and proceedings of the Legislative Assembly so as to speed up work in the Lower House and to allow participation of elected members in more numerous tasks.
As I have already stated, private members have also introduced five public bills in the Lower House during the last session. And, to illustrate how things have changed in Quebec since 1960, one of those bills was proposed by the
Leader of the opposition – an Act governing the exportation of electric power – which was adopted by the Assembly. You will admit a thing like that could never have happened under the « old regime »!
As you see, our elected members are recuperating rapidly the functions of legislators which they should never have lost.]
Une autre réalisation importante de la dernière session, c’est le budget que j’ai présenté à la Chambre le 24 avril dernier. J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises: dans un Québec moderne, le budget du gouvernement doit servir avant tout d’instrument de croissance économique. S’il doit, d’une part, couvrir les frais de l’administration gouvernementale, il doit être utilisé, d’autre part, de façon à diminuer les inégalités sociales et à promouvoir, en vue du bien commun, le progrès nécessaire des secteurs d’activité où l’initiative privée ne peut pas ou peut difficilement s’engager. C’est ce que je me suis efforcé de faire encore davantage en présentant le budget de 1964-65. Nos prédécesseurs avaient évidemment une conception toute différente du rôle dévolu au budget du gouvernement dans l’économie de la province. Démontrant un manque de confiance dans l’avenir du Québec, ils limitaient les investissements au strict minimum, se contentant de couvrir les dépenses courantes qu’ils cachaient d’ailleurs partiellement à la population. Pour eux, les Québécois étaient nés pauvres et étaient destinés à le demeurer éternellement. La preuve en est que le budget de la province n’était que de $500000000 lorsque la population nous a portés au pouvoir en 1960. Ce n’est pas avec un tel budget que le Québec pouvait espérer se transformer en un véritable État moderne! Aujourd’hui, soit quatre ans plus tard, le budget a été multiplié par trois et s’élève à un milliard et demi. Comme je l’ai dit lors du dernier dîner-bénéfice de la Fédération, les Québécois ont raison d’être fiers et confiants dans l’avenir: le budget de la province est devenu l’instrument de croissance économique qu’ils désiraient et son ampleur est à la mesure d’un État moderne.
Mais, à mesure qu’augmentent les responsabilités de l’État provincial, celui-ci doit pouvoir compter sur des revenus accrus qui lui permettent de faire face à ses nouvelles obligations. Comme la capacité de payer du contribuable québécois a ses limites, c’est ailleurs que doit regarder le gouvernement. J’ai dit, dans mon dernier discours du budget, de quelle façon notre ténacité et la précision de nos objectifs nous ont déjà permis de récupérer du pouvoir central une bonne partie des champs de taxation que nous réclamons. Un immense pas a été franchi. Mais, veuillez m’en croire, notre effort dans ce domaine n’est pas terminé. J’aurai d’ailleurs l’occasion de vous en causer plus longuement lors de l’allocution qu’on m’a invité à prononcer au déjeuner de dimanche midi.
J’ai mentionné, il y a un instant, l’importance du budget comme instrument de croissance économique. L’entreprise privée a suivi, elle aussi, le mouvement imprimé par l’initiative gouvernementale et nous lui sommes redevables, dans une bonne mesure, de l’augmentation constante du taux de croissance économique du Québec. L’expansion industrielle vraiment extraordinaire que connaît présentement notre province n’en est-elle pas la preuve la plus convaincante! Nonobstant les quelques oiseaux de malheur qui, par électoralisme mesquin, prétendent que la politique économique du gouvernement décourage les investissements étrangers, les industries sont de plus en plus nombreuses qui s’installent au Québec. Selon les chiffres du Bureau de la statistique de notre ministère de l’Industrie et du Commerce, plus de 2000 industries ont vu le jour au Québec de janvier 1960 a janvier 1964. De ce nombre, 300 sont des entreprises coûtant $ 50000 . et plus, représentant des investissements de quelque $ 700000000 et des emplois nouveaux de plus de 12000.
Ceux qui disent qu’il n’y a pas eu d’industries nouvelles au Québec depuis notre arrivée au pouvoir ignorent sans doute l’existence de l’usine d’acier inoxydable d’Atlas Steel Corporation à Sorel, de l’affinerie de zinc de Canadian Electrolytic à Valleyfield, de l’usine de carton de revêtement de Bathurst Power & Paper à New Richmond, des nouvelles mines de Matagami, de l’usine des Textiles Richelieu à Saint-Jean, pour ne nommer que quelques-unes des plus importantes. Sans oublier, évidemment, l’usine d’automobiles que construit Général Motors à Sainte-Thérèse un investissement qui pourra se chiffrer dans les $ 75000000 et qui procurera du travail à quelque 2500 personnes lorsque l’usine sera en pleine opération.
Si l’on ajoute à cela les imposants travaux que poursuit l’Hydro-Québec, les développements nouveaux que connaissent l’industrie forestière et l’industrie papetière, ainsi que les résultats encourageants des premières expériences ARDA dans le Québec, plus particulièrement le projetpilote du Bas-du-fleuve, on en vient rapidement à l’évidence que le Québec est en pleine croissance économique et que son avenir est des plus brillant.
Voilà donc, résumé de façon bien succincte, ce qui a été réalisé dans les domaines législatif et administratif au cours des derniers douze mois. Mais celui qui vous parle n’est pas que le Premier ministre de la province. Il est également le chef du Parti libéral du Québec. Or, bien des choses ont été accomplies à l’intérieur de notre parti depuis le dernier congrès général de notre Fédération. Et c’est mon devoir de vous en toucher un mot dans le compte rendu que je vous fais ce soir de mon mandat.
On se souviendra que la conférence fédérale-provinciale, qui a eu lieu à Québec à la fin de mars, s’était terminée dans l’insatisfaction générale. Le Québec, pour sa part, était extrêmement déçu. Le Conseil général de la Fédération s’est alors réuni pour appuyer unanimement les propositions concrètes et réalistes présentées par le gouvernement que je dirige concernant le partage des impôts, la formule d’option en matière de programmes conjoints, notre projet de caisse de retraite et notre opposition ferme à certaines politiques du gouvernement central dans le domaine des allocations scolaires et des prêts aux étudiants.
Cet appui non équivoque que la Fédération a accordé au gouvernement du Québec a constitué un précieux encouragement à maintenir fermement nos positions, ce qui nous a d’ailleurs valu de réaliser par la suite des gains importants dans tous ces domaines. Je veux, ce soir, remercier bien sincèrement le Conseil général et tous les membres de la Fédération pour la confiance indéfectible qu’ils m’ont témoignée et continuent de m’accorder dans la lutte que nous menons tous ensemble pour l’affirmation et la promotion des droits de l’État du Québec. L’affrontement qui eut lieu alors entre le gouvernement central et celui du Québec illustrait de façon tangible la situation difficile dans laquelle se trouvait placé notre parti en étant la pierre d’assise de deux gouvernements à la fois. Sachant fort bien que des situations semblables à celle que nous venions de vivre étaient inévitablement appelées à se répéter, les dirigeants de la Fédération et le caucus des députés se sont penchés sur le problème avec lucidité. Le Conseil général fut réuni à Québec le 26 avril et, après un échange de vues très fructueux, en vint aux conclusions suivantes: premièrement, qu’il était dans l’intérêt de la province tout autant que des libéraux eux-mêmes de donner au Parti libéral du Québec une structure strictement provinciale; deuxièmement, qu’il était souhaitable que les libéraux fédéraux mettent sur pied leur propre structure dans le Québec, à laquelle il appartiendrait alors de s’affilier à la Fédération libérale du Canada.
En conséquence, un congrès spécial fut convoqué à Québec le 5 Juillet. Il avait pour but de procéder à une refonte de la constitution. La première partie du projet, à l’exception d’un ou deux articles, a été étudiée et adoptée, et est effectivement entrée en vigueur le 6 juillet. C’est d’ailleurs cette nouvelle constitution qui régit le présent congrès. Restent maintenant à étudier et à voter les articles se rapportant à l’association de comté et à l’association locale.
Je n’ai évidemment pas de directives à vous donner: les délégués qui participent au présent congrès demeurent entièrement libres de proposer toutes les modifications qu’ils jugent appropriées à cette dernière partie du projet de refonte qu’on leur demande d’approuver.
On me permettra bien de rappeler toutefois ce que j’ai dit au congrès spécial du 5 juillet. Les délégués, pour être logiques, devraient accorder un appui unanime au principe qui inspire cette refonte de la constitution, c’est-à-dire donner au Parti libéral du Québec une structure strictement provinciale. Et s’ils acceptent les recommandations du caucus des députés, du conseil général et la mienne, les délégués doivent reconnaître qu’il n’appartient pas à notre Fédération de déterminer de quelque façon que ce soit, dans sa constitution, la forme que devra prendre la nouvelle structure fédérale dans le Québec, à l’un ou l’autre de ses paliers. Cette tâche est du ressort exclusif des libéraux qui militeront dans la nouvelle structure fédérale. À ce sujet, on aura bien remarqué qu’il n’y a rien de restrictif dans la refonte qui nous est soumise: toute association de comté qui voudra s’affilier à la nouvelle structure fédérale, lorsqu’elle aura été constituée, pourra le faire en toute liberté. L’association de comté et les associations locales qui la composent constituent la pierre d’assise de la structure pyramidale qui fait le succès de notre parti. Il importe qu’on étudie avec soin les articles de la constitution qui régiront ces associations. Je sais que les délégués apporteront à cette étude tout le sérieux et toute la lucidité que je leur connais. Mais je sais également que les militants réunis ici comprennent la grande importance du thème de notre congrès et qu’ils voudront consacrer le plus de temps possible à l’étude des problèmes qui confrontent notre jeunesse, l’avenir du Québec.
Oui, amis libéraux, la jeunesse du Québec, c’est l’avenir du Québec. Ne l’oublions pas: la province deviendra demain ce que seront devenus alors les jeunes d’aujourd’hui. Il nous appartient, bien sûr de préparer l’avenir. Mais il importe que cet avenir soit accepté et voulu par les jeunes qui, eux, auront à le vivre. Notre tâche à nous, les aînés, est donc de chercher à savoir ce que pense et veut la jeunesse beaucoup plus que de lui dire, à cette jeunesse, ce qu’elle doit être aujourd’hui, ce qu’elle devrait être demain.
C’est dans cette optique, je crois, que les militants doivent envisager l’étude du thème qu’ils ont donné au congrès de cette année.
Bien sûr, la jeunesse d’aujourd’hui n’est pas différente, d’une certaine façon, de celle d’hier. Elle a besoin d’être conseillée, d’être orientée. Seulement, le monde a évolué très rapidement depuis les vingt dernières années. Beaucoup plus rapidement que l’évolution que nous avons connue alors que nous, les aînés d’aujourd’hui, étions la jeunesse d’hier.
Les conseils que les jeunes réclament de nous ne peuvent pas être ceux qui nous furent donnés à leur âge. Et le monde vers lequel ils ont besoin d’être orientés aura sans doute peu en commun avec celui qu’a connu notre jeunesse. Ce monde a déjà subi de profondes transformations et son évolution ne fera que s’accentuer toujours davantage.
Pourtant, il nous appartient de bâtir l’avenir… il nous appartient de recourir à tous les moyens pour assurer à notre jeunesse la possibilité de se réaliser pleinement. Nous réussirons beaucoup plus facilement et beaucoup plus sûrement si la jeunesse se convainc qu’elle doit participer activement et de plein gré à l’oeuvre de renouveau que nous avons commencé d’accomplir au pays de Québec.
« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent », a écrit Albert Camus. C’est cette générosité que nous nous efforçons d’avoir… c’est cette générosité que nous attendons en retour de la jeunesse du Québec.
[QLESG19640928]
[For release after: 1 P.M.
Monday, September 28, 1964. Canadian Club, Montréal, le 28 septembre 1964
Honorable Jean Lesage, Premier Ministre]
[Moved by a deep historical sense, many Canadians are now making efforts to coure to grips honestly, frankly, and realistically with the great issues that are to determine the character of Canada tomorrow. I will not expect, therefore, that what I say today will find agreement everywhere or that everyLhing I say shall have the saure general reception. But I hope that my endeavour to state the position of-Canadian federalism at this time, and to mark out the tendencies suggestive of its future, will be taken for what such statements really are, namely, a serious, determined effort by myself to share fully the responsibility in the present Canadian dialogue, where we are all participants whether we like it or not.]
Au moment de la naissance de la Confédération, il y a cent ans, nos prédécesseurs eurent le souci d’établir des liens véritables entre les Canadiens d’expression française et les Canadiens d’expression anglaise. Aujourd’hui, à un siècle de distance, nous nous rendons bien compte – et c’est ce qui importe – que la Confédération n’aurait pas été possible sans le désir profond et sincère de créer un cadre juridique à l’intérieur duquel les deux groupes linguistiques du pays pourraient vivre en harmonie et dans le respect mutuel l’un de l’autre: un cadre permettant tout autant une action commune en certains domaines qu’un programme autonome dans d’autres.
[To me, the primary historical lesson of Confederation, at
its founding, was the serious and frank effort to embrace two peoples within a common system of federal government, which implied both a common
program and a large measure of provincial autonomy for those vital concerns for which that autonomy was indispensable.
What happened to this political understanding implicit in 1867? In a way, there was from the beginning both success and difficulty. 1•Thatever the strength and weaknesses of the British North America Act, it was clear that it spoke the difficult and necessary language of compromise: a strong federal government was to be balanced by effective provincial authority.
But regional or provincial government in 1867 was not yet by itself a powerful instrument. Weak bureaucraties, limited financial resources, modest educational and welfare programs, little or no economic intervention in the modern sense all of these were characteristic of Quebec and other provinces.
However no provincial administration has ever accepted to be considered as a subordinate instrument of the central government, and Canadian public opinion has always been strongly opposed to any federal action which could have been permanently destructive of genuine provincial autonomy. This basic resistance to federal claims to supremacy, combined with the judicial interprÉtations of our constitution, has firmly established the equality of status of the federal and provincial governments and the integrity of their respective powers.
Then came two great experiences which again altered the political and constitutional balance of our Canadian existence: the great dépression of the 1930’s followed and terminated by the war and post-war « forties and fifties ». Both periods invited vast programs of federal action. The provinces were unable to cope with unemployment and the federal government had. to take on many burdens in fields which were of provincial jurisdiction. Because it commanded the total resources of the nation, the last war required a high-centralized system of government and a very superior bureaucracy that carried its concepts far into the postwar period in the management of the Canadian economy. Thus, a few years after the war, we find that the federal apparatus, the federal interest in local activities had approached proportions that could have indefinitely increased the scope of federal administrative action.
It was then that new economic and political realities emerged to challenge this long-term trend in the growth of federal power Those realities had to do with certain unforeseen developments in the Canadian economy, in the organization of the provinces’ political life, in the changing welfare demands of the people and above all, they had to do with fundamental social pressures and changes in Quebec itself.
On the general economic side, what was happening in Canada was the fascinating – if disturbing experience whereby affluence with unemployment, rapid development with regional poverty seemed to be becoming a fixed model for our land. Regrettably a very large part of that poverty and
of that unemployment happened to be in the province of Quebec and in the Atlantic provinces. Naturel economic policy, monetary and fiscal policy, were themselves unable apparently to make a major « final » assault on unemployment and regional underdevelopment.
At the saure time certain significant provincial needs began to appear everywhere. The population changes in Canada, the new technology and automation, all together demanded of
provincial and municipal governments a radically new approach to aducation and training. And while it was true that sonie financial support was coming from federal sources, the main burdens had to be borne by the provinces. Moreover, to this educational and population challenge were added the problems of rural development and those of urban expansion.]
Au Québec, ces problèmes, ces tendances nouvelles, furent particulièrement marquées; elles prirent un caractère un peu spécial, car elles provoquèrent des changements sociaux et culturels profonds qui modifièrent la structure de toute la société québécoise. Une nouvelle génération de Canadiens français pleins de confiance dans leurs nouvelles connaissances techniques, aussi bien dans le domaine des sciences que dans celui des affaires, cherchèrent l’occasion de mettre leur compétence à l’oeuvre et de réformer la communauté québécoise dans son ensemble,
Ainsi – et c’est là-dessus surtout que je veux insister Québec maintenait l’opinion qu’il fallait laisser aux provinces la solution des problèmes qu’elles seules pouvaient résoudre efficacement: éducation, bien-être, réaménagement rural, développement urbain, etc. Ces problèmes étaient la conséquence normale de notre réévaluation de la place que le Québec moderne devait occuper dans la Confédération canadienne et de notre conception de l’évolution qu’il était souhaitable d’imprimer à notre pays.
On peut affirmer que nous avons vécu et que nous continuons de vivre au Québec une double révolution tranquille. D’un côté, nous reconnaissons à notre gouvernement un rôle de premier plan dans les domaines qui relèvent constitutionnellement de sa juridiction et aussi dans ceux qui, à notre avis, présentent des difficultés que nous sommes mieux placés pour résoudre. Il se produit aussi une deuxième révolution tranquille. Il s’agit de la réforme sociale profonde de notre société canadienne-française où sont désormais respectées de nouvelles normes dans la fonction publique, où l’on recherche une nouvelle qualité dans nos entreprises intellectuelles et artistiques et où l’on donne à nos initiatives d’ordre économique un dynamisme inconnu jusqu’à maintenant.
Comme vous pouvez le constater, j’ai essayé de situer les tendances actuelles du Québec dans le contexte plus large de l’histoire canadienne et aussi dans celui d’un présent qui exige de tous les Canadiens des réponses précises aux problèmes de l’heure. Cependant, je n’ai pas l’intention d’éluder les difficultés d’ordre politique qui viennent à l’esprit de tous ceux qui s’interrogent sur l’avenir de notre pays. Je m’empresse de dire que le gouvernement fédéral semble, depuis quelque temps, démontrer une meilleure compréhension de notre point de vue. Au cours des dix derniers mois, le Québec et les autres provinces ont réussi, par la négociation, à obtenir des sources de revenus plus étendues. Le gouvernement fédéral est également prêt à accepter le principe de l’option en vertu duquel il nous sera possible de nous retirer d’un bon nombre de programmes conjoints moyennant compensation fiscale.
En somme, tant par une répartition nouvelle des champs de taxation que par le retrait du Québec des programmes conjoints touchant les domaines qui relèvent de sa juridiction, nous sommes en train de nous acheminer vers une situation de fait qui, sans être parfaite, représentera tout de même un progrès considérable par rapport à la situation antérieure. Il nous sera donc possible, à nous du Québec et sans détriment pour qui que ce soit, de résoudre nous-mêmes et à notre façon les problèmes de croissance auxquels nous avons à faire face.
Notre action politique ne vise pas à nous isoler des autres provinces du pays. Naturellement, notre situation particulière de province d’expression française influe sur le caractère et l’allure des positions que nous prenons; toutefois, nos initiatives dans le domaine des relations fédérales-provinciales ont été – je crois que nous avons le droit d’en être fiers avantageuses non seulement pour nous du Québec, mais aussi pour les citoyens de toutes les autres provinces du pays.
[But now let me turn to the evidence that Quebec, though it may opt of « joint programs », is not opting out of Canada whatever may be believed by the uninformed and the timorouso If there is debate over fiscal and monetary policy, if there are reservations about the size and cost of military expenditures by the federal government, such issues are not raised to intrude upon present federal jurisdiction, but they aim at opening the door to a new technique of discussion which so far our federalism has not provided for except through the mechanism of political representation at the federal level itselfo
This is not the proper time to discuss the required changes in any future Canadian constitution, changes that would reflect the present dialogue and the political experience that is now in the making.
Many studies are now under way, in dtoyal Commissions, in provincial and federal legislative or special committees, and in other efforts that are beginning to reshape our
understanding of the minimum requirements of a new Canadien constitution. You will appreciate therefore why I must speak with the caution and indeed with the humility that must surround so great an enterprise before it is in fact beyond the studying stage.
But the problem has already been sufficiently aired for anyone to see clearly that there are at least two minimum claims which a very great majority of French-Canadians make upon our Confederation. The first of these in a Status for the Frenchspeaking Canadian equal in all respects to that of the Englishspeaking Canadians This means in the immediate future: French as a working language in the federal administration and French as a teaching language for French minorities outside Quebeco The second claim is that of a genuine decentralization of powers, resources and decision making in our federal systemo Quebec, I have often said, believes in harmony through consultation and discussion among equals, not through a uniformity imposed by an all powerful central governmento At the moment, we believe our political framework to be flexible enough, especially if it were to be adapted to present circumstances, to allow for a centering in the Quebec government of all the means necessary to the development of a French-Canadian nation mainly concentrated within our borders. This political framework, grounded as it is on historical, geographical and economic realities, is resilient enough to secure the permanency of a country that stretches from coast to toast.
I believe that we will not solve our problems by seeking
solutions that may divide peoples at a time when everywhere efforts are being made by others to find reasons to unite reasons that are economic, political and often simply human. We must see the Canadian changes of the future in the context of a world situation where a vast reshaping of the consciousness of men is now under way. In days to coure, communications and needs are bound to bring men of all languages, religions and races Gloser together than ever before. Perhaps even the exploration of space augurs well for our common hymanity because from some platform on the way to the moon, men will have an « extraterrestriai view » of themselves and thereby gain a new perspective and a new humility.
Ladies and gentlemen, we are all of us groping for sensible and creative answers. I regard myself as someone obliged to seek perhaps radical solutions but always by moderate means. Those who are perturbed by the idea that Confederation may some day have to yield to the pressures of revendications from Quebec should have the patience, the courage and the strength to try for the higher prize, the prize of unity amid diversity, of a common national strength, side by side with the opportunity for us, Quebecers, to develop our aspirations and our traditions so that they may be fulfilled in their many ways.
If the past generation of an immensely fluid Canadien political experience has taught us anything it is that the creative political imagination can provide more than one answer to what may seem insoluble problems. I believe that the creative Canadian imagination is now at work and that it will give us answers,–some now in the making — that will some day make the present troubled debate appear to have been a valuable, honourable training ground for the Canadian future.
WE ARE SEING TRIED, BUT WE SHALL NOT BE FOUND WANTING ]
[QLESG19641019]
[ Àpublier après 4:30 h. P.M. Lundi, le 19 octobre 1964. DECLARATION DE L’HONORABLE JEAN LESAGE PREMIER MINISTRE DE LA PROVINCE DE QUEBEC CONCERNANT LE COMPLEXE SIDERURGIQUE.]
Fermement convaincus des immenses avantages économiques que la province est appelée à retirer d’un complexe sidérurgique intégré, le gouvernement du Québec et la Société générale de financement viennent de conclure à cette fin un accord de principe. La S.G.F. verra immédiatement à faire constituer une compagnie ayant pour objet l’établissement d’une sidérurgie au coût total estimé d’environ $225000000 .
Le gouvernement et la Société générale de financement estiment nécessaire que la majorité des actions de la nouvelle société soient détenues par le grand public. C’est dans cet esprit que le financement de la nouvelle entreprise doit être complété.
Le gouvernement entend donner à la nouvelle entreprise son appui entier et il a confiance que le public en fera autant lorsqu’il sera appelé à souscrire.
Comme première étape du financement, la S.G.F. souscrira $25000000 au fonds social de la nouvelle compagnie. De ce montant, $20000000 seront fournis par le gouvernement sous forme de souscription d’actions à dividende différé de la S.G.F. Celle-ci fournira le reste en utilisant à cette fin les $5000000 déjà investis par le gouvernement en actions à dividende différé.
Le reste du capital proviendra de la vente d’actions, d’obligations et autres valeurs qui seront offertes durant la période de construction estimée à trois ou quatre ans.
Le gouvernement a informé la SOGOFO qu’il est disposé, afin de faciliter le financement de la nouvelle entreprise, à autoriser une entente en vertu de laquelle les $20000000 de capital souscrits par la SOGOFO à même les fonds fournis par le gouvernement prendraient la forme d’actions à dividende différé la modalité de cette entente devant être arrêtée plus tard. Afin de protéger la position des porteurs de débentures convertibles et d’actions communes de la SGF, le gouvernement s’est engagé à ne pas convertir ses actions à dividende différé qu’il détient dans la S.G.F. avant que la sidérurgie ne soit prête à payer des dividendes sur ses actions à dividende différé.
[QLESG19641116]
[Empire Club & Canadian Club Àpublier après 1 h. P.M. Toronto, 16 novembre 1.964 Le 16 novembre 1964. L’honorable Jean Lesage, Premier Ministre.]
Laissez-moi d’abord vous remercier bien sincèrement de l’honneur que vous m’avez fait de m’inviter à vous rencontrer aujourd’hui et vous dire combien je suis heureux de l’occasion que vous m’offrez de revoir ici de nombreux amis. L’appartenance à des clubs comme les vôtres et votre présence ici aujourd’hui sont une preuve tangible de l’intérêt que vous portez aux affaires canadiennes et, si je peux l’interpréter ainsi, aux deux races qui ont fondé le Canada.
Si vous me le permettez, j’aimerais profiter de l’occasion qui m’est offerte de m’adresser à un groupe aussi représentatif que le vôtre pour vous dire un peu ce que la population de ma province pense et pour vous parler de la transition qui s’opère au Québec de la révolution tranquille à une évolution un peu moins tranquille.
Ce ne sera pas la première fois que je traiterai de ce sujet en dehors du Québec et même à Toronto. J’y reviens pour des raisons qui me semblent impérieuses. Car la situation évolue tellement vite – les changements sont si rapides – qu’il ne nous suffit pas de nous arrêter, de faire le point et de mesurer le chemin parcouru, mais qu’il nous faut aussi expliquer les changements non seulement à notre propre population mais aussi à leurs compatriotes des autres provinces.
C’est dans cette perspective que je vais tenter, dans cette allocution, de m’en tenir aux quelques idées maîtresses qui à la fois motivent et guident les décisions du gouvernement du Québec. Le Canada fait face à l’heure actuelle à deux ordres de problèmes qui, bien que distincts, s’entremêlent dans leurs causes et leurs solutions. Il y a d’abord le problème de la dualité canadienne: comment faire en sorte que le Canadien de langue française soit, individuellement et collectivement, mis sur un pied d’égalité avec le Canadien de langue anglaise. Il y a ensuite le problème du fédéralisme canadien: comment adopter les structures fortement centralisées que nous ont laissées la crise économique et la deuxième grande guerre à la diversité et à l’immensité du Canada.
Au centre de ces deux problèmes et, pour ainsi dire, à leur point de rencontre, il y a le Québec – un Québec dont l’enjeu est beaucoup plus considérable que celui d’aucune autre province, puisqu’il s’agit du maintien et du progrès du groupe canadien-français.
Quelle que soit la nature des initiatives qu’il entreprend, notre gouvernement vise essentiellement à l’épanouissement de la population du Québec. Nous considérons que c’est là notre devoir premier. J’imagine que l’on pourrait en dire autant de tous les gouvernements qui nous ont précédés sauf que, en ce qui nous concerne, nous n’employons pas nécessairement les mêmes méthodes que nos prédécesseurs. Nous essayons surtout d’en arriver à des résultats tangibles et positifs, et cela dans le plus bref délai possible, mais sans perdre de vue les principes auxquels le Québec a toujours adhéré. Ainsi nous croyons qu’il est essentiel à l’épanouissement de notre population que le Québec ait en mains les leviers nécessaires au progrès non seulement culturel, mais aussi économique de ses citoyens. Le facteur ethnique n’est pas le seul à exiger que la responsabilité de ce progrès soit, en ce que nous concerne, confié surtout au gouvernement du Québec, et non pas laissé au gouvernement central. Il y a aussi le fait que le Québec est en retard sur d’autres provinces, qu’il doit rattraper le temps perdu et qu’il doit, en conséquence, contrôler davantage le rythme de son propre développement.
Comme le Québec est la seule province du pays où les Canadiens d’expression française forment la majorité de la population, il est inévitable que notre action ait une influence sur l’évolution du Canada français tout entier et, de là, sur celle de tout notre pays. Vous ne devez donc pas vous surprendre du souci que le gouvernement du Québec nourrit traditionnellement envers tous ceux qui, au Canada, sont de langue française. Cette préoccupation explique d’ailleurs pourquoi certains parlent souvent du Québec comme étant l’expression politique du Canada français. Il est bien entendu que le gouvernement fédéral est le gouvernement de tous les Canadiens, mais sociologiquement l’on se rend bien compte que la population canadienne-française du Québec se sent davantage près du gouvernement de sa province que de celui du Canada. Les Canadiens français des autres provinces ne sont pas non plus indifférents à ce qui se passe chez nous en raison de l’affinité créée par la langue.
Il ne s’agit pas là, pour les Québécois, de provincialisme étroit; on doit plutôt y voir la conséquence évidente, de l’insuccès relatif de notre régime politique actuel qui fait que le Canadien français du Québec se sent vraiment chez lui seulement au Québec. Ce n’est pas là une supposition de ma part; c’est un fait. Je ne serais pas honnête si je vous le cachais; je ne serais pas réaliste si je l’oubliais. Voilà un aspect de la réalité canadienne dont, à mon sens, on devra tenir compte dans l’élaboration de la confédération d’un type nouveau que souhaite aujourd’hui le Canada français. Il n’en reste pas moins qu’un des groupes fondateurs du Canada, le groupe d’expression française, s’identifie surtout au Québec bien qu’il ait contribué à créer le Canada. Pourtant, sauf une petite minorité, il n’a pas l’intention de quitter les cadres de ce pays, mais, pour corriger quelque peu la situation dont je parle, il tient fermement a ce que le bilinguisme soit pratiqué au moins dans tous les services du gouvernement central.
Il veut également que, dans les autres provinces du pays, les minorités françaises soient traitées au moins aussi justement que le sont les minorités anglaises au Québec. À ce propos, il me fait plaisir, chaque fois que j’en ai l’occasion, de rendre hommage au progrès marquant que l’on constate à ce sujet en Ontario.
Les Québécois croient aussi que l’image internationale du Canada devrait constamment et partout dans le monde refléter la présence ici de Canadiens d’origine française et d’origine anglaise. J’arrive d’un voyage en Europe et je dois vous dire qu’en général des améliorations sensibles se font sentir de ce côté.
Ceci dit, la question fondamentale demeure la suivante: dans le Canada de l’avenir, comment réussirons-nous tous ensemble à faire au Canada de langue française, et plus particulièrement au Québec qui en est en quelque sorte la mère-patrie, la place qui doit lui revenir et comment jouera-t-il le rôle qui doit être le sien comme l’un des collaborateurs initiaux à cette entreprise un peu hasardeuse, mais enthousiasmante que fut l’institution du Canada?
À cette question, plusieurs réponses sont possibles.
Le Canada de l’avenir peut, comme c’est le cas présentement, comporter dix provinces; il n’est pas impossible que ce nombre soit réduit, à la suite du regroupement de quelques provinces actuelles, mais je ne saurais me prononcer là-dessus. Dans l’une ou l’autre de ces situations futures, le Québec, comme entité distincte, aura une place à occuper. Quelle sera cette place?
Puisque le Québec aura une place à occuper, j’élimine donc deux cas extrêmes: d’une part, la fusion du Québec dans un tout canadien de type unitaire et, d’autre part, la séparation complète entre le Québec et le reste du Canada. Je crois que l’hypothèse de la fusion est tout à fait inadmissible pour nous et, de toute façon, parfaitement irréaliste. Quant à la seconde, elle engagerait le Québec dans une voie qui est contraire au mouvement que j’ai perçu lors de mon voyage en Europe et selon lequel des pays distincts, au prix de combien d’efforts et de tâtonnements, cherchent à unir ce que l’histoire avait séparé.
Quelles avenues demeurent ouvertes devant nous ?
On pense d’abord à un Canada où toutes les provinces du pays, dix ou moins selon la configuration politique future de notre pays, auront chacune plus d’autonomie que ce n’est le cas présentement, chacune s’acquittant pleinement de ses responsabilités constitutionnelles. En supposant que toutes les provinces du pays ne désirent pas cet élargissement de leurs tâches administratives, certaines d’entre elles voudront quand même obtenir les responsabilités accrues qu’elles se jugeront aptes à assumer. En tout cas, c’est dans cette direction que le Québec s’est engagé. Dans cette perspective, toutes les provinces n’auraient pas le même régime administratif et les ententes qui interviendraient entre elles et le gouvernement fédéral ne seraient pas nécessairement identiques d’une province à l’autre, mais mieux adaptées à leurs besoins propres. Cela n’exclurait pas automatiquement toute unité d’action de la part des provinces, mais dorénavant la coordination entre elles proviendrait d’un choix librement consenti par elles et serait atteinte par leur collaboration consciente et active.
Ou bien encore, à cause de sa situation particulière de province de culture et de langue différente, le Québec peut désirer exercer des responsabilités auxquelles les autres provinces seraient indifférentes; ce cas s’est d’ailleurs déjà présenté.
Dans ces conditions, le Québec finirait à la longue par vivre selon un régime particulier, sans que, pour cette raison, notre régime confédératif soit menacé dans son essence. Il ne faudrait pas croire qu’il s’agirait là d’un régime privilégié ou nous nous ferions accorder par la négociation des pouvoirs, des responsabilités ou des avantages que nous n’avons pas encore et que l’on refuserait aux autres provinces. Il n’en est pas ici question, quoique il ne serait ni sage ni pratique de s’opposer en principe et d’avance à ce que des arrangements particuliers puissent intervenir entre une ou quelques provinces et le gouvernement fédéral sur des sujets qui ne touchent que cette province ou ce groupe de provinces. De tels arrangements, d’ordre financier par exemple, existent déjà envers les provinces de l’atlantique. Dans tout régime fédéral, dans toute constitution on doit préserver un élément suffisant de flexibilité afin que toutes les parties constituantes du pays ne soient pas forcées, surtout lorsqu’elles diffèrent les unes des autres, d’entrer dans un même moule.
J’ai mentionné toutes les possibilités qui précèdent, sans les commenter en détail, d’abord parce que je vous dirai franchement j’ignore celle qui prévaudra et ensuite parce que je voudrais laisser aux Canadiens d’expression anglaise, nos partenaires dans l’institution de ce pays, le soin d’y réfléchir au cours des semaines et des mois qui viennent. C’est d’ailleurs ce que font présentement plusieurs groupes de travail au pays: la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le Comité parlementaire québécois sur la constitution et le comité fédéral-provincial sur le régime fiscal.
Si le problème que je tente de cerner, nous préoccupe, nous du Québec, il doit pour les mêmes raisons vous préoccuper vous aussi. Si par hasard, ou par malheur selon le point de vue que l’on veut adopter, vous étiez ou demeuriez indifférents, nous du Québec arriverions quand même à formuler une solution car c’est à cette solution que nous consacrons une bonne partie de nos efforts actuels. Je souhaite tout simplement et bien sincèrement que l’avènement du Canada de l’avenir soit le résultat de la réflexion conjointe des Canadiens de langue anglaise et des Canadiens de langue française, sans oublier ceux qui appartiennent à d’autres minorités.
En somme, il faut que le reste du Canada aide le Québec à réaliser ses objectifs. Autrement, si nous sommes forcés d’agir seuls, nous serons et c’est humain – portés à adopter des attitudes qu’on finira de moins en moins à comprendre et qui ne réussiront qu’à nous pousser à une isolation que nous ne souhaitons vraiment pas. Car si, comme certains le craignent, le Québec semble pour eux se retirer à l’écart du Canada, a-t-on pensé que le reste du Canada peut hâter un tel résultat en se tenant, lui, de plus en plus à l’écart des préoccupations et des aspirations du Québec, que ce soit par indifférence ou par opposition ?
Par notre affirmation collective, en édifiant un Québec économiquement et politiquement fort et sûr de lui, nous avons modifié une situation à laquelle le Canada tout entier s’était habitué. Nos compatriotes de langue anglaise doivent aujourd’hui se faire une autre image du Québec. J’admets que c’est là un processus psychologique toujours difficile, même très difficile. D’ailleurs certains éléments de la société québécoise ne sont pas eux-mêmes encore entièrement adaptés aux réformes que nous avons apportées à nos propres institutions. C’est normal. N’oublions pas cependant que le gouvernement et la population du Québec, tout comme le reste du pays, font face à l’heure actuelle à des préjugés et à des impatiences que nous devons, de part et d’autre, dissiper au plus tôt. Le groupement canadien-français et le groupement canadien-anglais comptent chacun des extrémistes et des personnes qui ne veulent ni comprendre ni accepter la réalité des faits.
En évaluant cette réalité de la façon la plus lucide possible, le Québec moderne recherche actuellement et pour l’avenir les conditions économiques, sociales et politiques d’une interdépendance qui puisse permettre son plein épanouissement et qui soit plus digne qu’une indépendance qui risquerait fortement de n’être qu’illusoire. Personnellement, je crois que c’est dans cette voie, à la fois modérée et constructive, que le Québec doit s’engager. Dans un tel système d’interdépendance, il faut que chacun accepte l’autre. De notre côté, sauf une infime minorité, nous sommes prêts à accepter les problèmes et les difficultés de la coexistence parce que nous en percevons les avantages ultimes. Nous sommes prêts à accepter notre partenaire, le Canada anglais, comme il est et nous n’avons aucune intention, par exemple, de le forcer à changer son mode de vie ou sa culture. Nous voulons cependant la réciproque, c’est-à-dire qu’on nous accepte tel que nous sommes et en tenant compte de la situation particulière du Québec dans la confédération canadienne.
Je ne voudrais pas aujourd’hui avoir l’air de transmettre ce que l’on pourrait appeler un message au Canada anglais, mais j’ai une opinion à formuler, une opinion fondée sur l’expérience que j’ai acquise comme Premier ministre du Québec.
Il me semble que tout régime politique canadien qui, sous prétexte que le caractère sociologique et culturel du Québec ne serait qu’un phénomène passager et de peu d’importance, viserait à nous intégrer malgré nous dans un cadre uniforme et à nous forcer à transformer nos institutions et notre façon de vivre pour les adapter à celle des autres provinces, est d’avance condamnée au désastre. Si nous acceptons d’harmoniser nos lois et nos techniques administratives à celles des autres provinces, nous voulons que ce soit là le résultat d’un choix lucide et non d’une contrainte. En somme, nous voulons que nos décisions en ces matières soient autonomes et qu’elles soient dictées par nos propres évaluations des faits et des nécessités de l’interdépendance.
Nous demandons aussi que, dans le Canada de l’avenir, celui auquel nos esprits ont graduellement commencé à se préparer d’abord par une prise de conscience réciproque de nos problèmes communs et ensuite grâce à certains gestes concrets de compréhension mutuelle, nous demandons, dis-je, que dans le Canada de l’avenir l’on donne à l’entité canadienne-française, et particulièrement au Québec qui en est le point d’appui, une dimension qui seule pourra permettre l’égalité réelle et le respect l’un par l’autre des Canadiens de langue française et des Canadiens de langue anglaise. Voilà, je pense, en quelques phrases, l’essentiel de notre position sur le fédéralisme canadien.
Je viens de vous exposer, chers amis, aussi franchement et aussi honnêtement que j’ai pu, l’opinion de l’immense majorité des citoyens du Québec. Je n’aurais pas pu le faire de cette façon, il y a deux ou trois ans.
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Depuis ce temps, nous avons continué de réfléchir et de préciser nos aspirations. Elles n’ont rien de révolutionnaire et ne surprendront désagréablement que ceux qui n’ont pas encore saisi le sens de notre évolution récente. Je pense plutôt qu’elles aideront tous nos compatriotes de langue anglaise à comprendre ce que nous voulons dire lorsque nous parlons d’une Confédération d’un type nouveau. J’espère surtout que mes paroles contribueront à dissiper les malentendus qui risquent d’éloigner l’un de l’autre les deux groupes fondateurs de notre pays le Canada, que nous voulons tous voir grandir et prospérer car, après tout, il s’agit de notre patrie à tous !
[QLESG19641122]
[La Fédération libérale du Québec ÀPublier après 8h. P.M. Dîner-bénéfice Le 22 novembre 1964. Hôtel Reine-Elizabeth Montréal
Le dimanche, 22 novembre 1964
l’honorable Jean Lesage, Premier Ministre du Québec]
C’est toujours un plaisir pour moi de me retrouver parmi vous à ces dîners-bénéfice que la Fédération libérale du Québec organise alternativement à Montréal et Québec chaque année. D’abord, parce que cela me permet de vous dire combien le gouvernement que je dirige apprécie l’appui indispensable que nous accordent non seulement les militants du parti, mais également tous les Québécois de bonne volonté qui, comme nous libéraux, ont foi dans l’oeuvre de renouveau que nous accomplissons. Ensuite, parce que votre présence toujours très nombreuse à ces dîners-bénéfice indique de façon non équivoque votre détermination à parfaire sans cesse la démocratisation des structures, des cadres et des finances du parti.
Vous savez que cette façon démocratique de recueillir des fonds permet à notre fédération d’assumer la responsabilité financière d’un nombre toujours croissant d’organismes et d’activités du parti, tels les secrétariats de Montréal et Québec, le journal « La Réforme », la série télévisée « Le Québec en Marche », et bien d’autres encore. Les libéraux peuvent se féliciter d’avoir réussi, en relativement très peu de temps, à démocratiser dans une large mesure le financement de leur parti. Le mérite en revient, pour une grande part, au magnifique travail que la Commission de finance peut accomplir grâce à la réponse enthousiaste que ses appels reçoivent de votre part. Au nom du parti, je vous en remercie bien sincèrement et félicite chaleureusement le trésorier Jean Morin et ses dévoués collaborateurs du grand succès que connaît leur heureuse initiative.
C’est la première fois, ce soir, que l’occasion m’est donnée d’adresser la parole à un groupe de militants et de sympathisants libéraux depuis les élections partielles du 5 octobre. Vous savez quels en ont été les résultats: les victoires que nous avons remportées dans Dorchester, Matane, Saguenay et Verdun ont conservé intact le dossier électoral de notre parti. Les libéraux ont en effet triomphé dans toutes les élections partielles qui ont eu lieu depuis le jour historique du 22 juin 1960, alors que le Québec est sorti à tout jamais de la nuit profonde dans laquelle nos prédécesseurs voulaient le maintenir.
Comme je l’ai souligné le soir du scrutin, la population de ces quatre comtés – situés en quelque sorte aux quatre coins de la province a exprimé par son vote son approbation et aussi sa compréhension du travail de reconstruction que nous sommes en train d’accomplir. C’est un « oui » retentissant qui a été donné à la politique de renouveau que nous nous efforçons de mettre en oeuvre dans tous les domaines.
À cet effet, la victoire des candidats libéraux dans Dorchester et Matane peut être considérée comme étant particulièrement significative. N’oublions pas que ces comtés sont situés dans des régions défavorisées et économiquement faibles, où il aurait été le plus susceptible de se donner un vote protestataire.
Les électeurs ont cru plus utile et plus constructif de faire confiance au gouvernement. En agissant ainsi, la population de Dorchester et Matane, comme celle de Saguenay et Verdun, a démontré qu’elle comprend l’importance pour le gouvernement de planifier le développement de la province et de pratiquer une politique à long terme qui ne peut pas toujours donner des résultats immédiats.
Le Québec est en marche… et nous devons nous réjouir de ce que les électeurs de ces quatre comtés aient choisi d’aller de l’avant avec le Québec. C’est un encouragement que je qualifierais d’impératif à poursuivre avec plus de vigueur encore la transformation du Québec en un État moderne.
J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises ces derniers temps: le chemin parcouru en quatre ans permet d’affirmer aujourd’hui que l’oeuvre de reconstruire à neuf le Québec est fort bien engagée et que les résultats obtenus présagent un avenir brillant pour notre province. La tâche n’était pas facile à ses débuts. Elle présente encore plusieurs difficultés qui seront finalement surmontées si tous les Québécois mettent d’enthousiasme l’épaule à la roue et acceptent de résoudre les problèmes les uns après les autres au lieu d’exiger une solution globale immédiate qui, d’ailleurs, ne saurait être envisagée avec certitude avant que ne soient réalisés plusieurs préalables.
Ces préalables sont de trois ordres. Premièrement, rattraper le temps perdu. Ensuite, doter le Québec des cadres compétents et des structures indispensables à l’édification d’un État moderne. Enfin, user des moyens politiques dont nous disposons et des droits que nous garantit la constitution – qui a besoin, il est vrai, d’être rénovée de manière à donner au Québec le contrôle de son économie.
Nous avons, dès notre arrivée au pouvoir, pourvu au plus urgent: assurance-hospitalisation, augmentation des pensions et allocations sociales de manière à les rendre plus conformes aux réalités de notre temps; fréquentation scolaire obligatoire jusqu’à 15 ans révolus; allocations familiales provinciales pour les enfants de 16 et 17 ans qui poursuivent leurs études; travaux d’hiver pour combattre le chômage saisonnier, et j’en passe.
Ensuite, nous avons entrepris simultanément la restructuration de l’État, l’établissement des plans et la modernisation du budget.
Ce fut la création de nouveaux ministères dont, tout récemment, celui de l’Éducation qui a pour tâche de refaire à neuf toute la structure de l’enseignement dans le Québec afin de produire de façon efficace les compétences dont a besoin un État moderne. Ce fut également la mise en place d’organismes nécessaires à notre développement économique. Par exemple: un Hydro-Québec dont la taille, grâce à la nationalisation de l’électricité, est désormais à la mesure des espoirs de notre province; un Conseil d’orientation économique entièrement réaménagé; une Société générale de financement dont les initiatives nombreuses vont permettre la participation du grand public à la mise en valeur de nos richesses; les Obligations d’épargne du Québec, et plusieurs autres.
Il y eut aussi les différentes étapes de la planification à moyen et a long termes. Le projet-pilote du Bas-Saint-Laurent, dans le cadre du programme ARDA, est un exemple des bienfaits que l’on peut attendre de la planification. Et nous avons fait du budget de la province un instrument de croissance économique, celui-ci passant d’un demi milliard à un milliard et demi en quatre ans. Ce qui reflète bien la stature nouvelle du Québec moderne.
Enfin, nous avons oeuvré dans le domaine des relations fédérales-provinciales de manière à conserver intacte la primauté des objectifs du Québec sans, four autant, desservir les intérêts véritables du Canada. Déjà, nous avons pu récupérer une bonne partie des champs de taxation que nous réclamions. De plus, par suite de notre retrait de 29 programmes conjoints, le Québec touchera lui-même directement au moins 47 % de l’impôt sur le revenu des particuliers dès 1966, dernière année des arrangements fiscaux actuels.
Lorsqu’on sait que la part du Québec n’était que de 13 % en 1960, on doit convenir qu’il s’agit là d’un gain spectaculaire que ne pouvaient espérer même les plus optimistes.
Il y a également dans ce domaine l’accord intervenu le mois dernier entre le gouvernement central et les dix provinces sur une procédure d’amendement de la constitution canadienne. Lorsque ce projet aura reçu l’approbation du Parlement fédéral, des autorités provinciales compétentes et du Parlement britannique, le Canada entrera définitivement en possession de sa constitution. Il nous sera alors possible de négocier avec Ottawa et nos provinces soeurs, des amendements susceptibles de donner à notre constitution une plus grande flexibilité et aux Canadiens français de même qu’au Québec un statut à l’heure de 1967.
J’ai mentionné, il y a un instant, quelques-uns des organismes que nous avons créés ou rénovés afin d’accélérer le développement économique de notre province. J’ai dit un mot des buts poursuivis par la Société générale de financement. Je m’en voudrais de ne pas souligner ici deux récentes initiatives de cette société: la construction d’une usine de montage d’automobiles françaises; l’établissement d’un complexe sidérurgique.
Dans le premier cas, il s’agit de l’assemblage au Québec des voitures Peugeot et Renault. C’est la S.G.F. qui va construire elle-même l’usine au coût de $ 3000000 et demi. On prévoit que les premières voitures françaises assemblées au Québec sortiront des lignes de montage dès la fin de l’automne prochain. La capacité de production sera de 8000 véhicules par année mais pourra être accrue au même rythme que la demande.
Comme l’a souligné le ministre fédéral de l’Industrie, cette nouvelle entreprise est unique en ce sens qu’une société appartenant à des intérêts Québécois construira des automobiles sous licence pour un producteur étranger. Dès le début, une partie des pièces de montage sera fournie par des fabricants canadiens; d’autres pièces seront importées des sociétés françaises. La proportion des pièces importées diminuera progressivement à mesure que se développeront des sources canadiennes.
Comme on sait, General Motors a déjà commencé de construire une usine d’automobiles à Sainte-Thérese dans le comté de Terrebonne. Avec la fabrication au Québec des voitures Peugeot et Renault, on peut affirmer que notre province est en voie de devenir un centre de l’industrie automobile au Canada. C’est un exemple des résultats que pouvait seul permettre le renouveau économique dont le présent gouvernement s’est fait l’artisan.
Pour ce qui est de l’aciérie, j’ai déjà annoncé que le gouvernement du Québec et la Société générale de financement, parce qu’ils sont tous deux fermement convaincus des immenses avantages économiques que la province est appelée à retirer d’un complexe sidérurgique intégré, ont conclu un accord de principe à cette fin. La S.G.F. a donc été chargée de constituer une compagnie pour l’établissement d’une sidérurgie au coût total estimé d’environ $ 225000000 .
La période de construction de l’aciérie sera de trois à quatre ans. Sa capacité de production initiale atteindra 600000 tonnes par année, mais pourra être facilement portée à un million de tonnes. L’entreprise emploiera entre 2000 et 2500 ouvriers. Elle ne manquera pas d’avoir une influence bienfaisante dans le domaine de l’industrie secondaire, du transport routier et maritime, et bien d’autres.
J’ai déjà fourni les détails du financement de notre sidérurgie québécoise. Je rappellerai ici que la première étape consistera pour la S.G.F. à souscrire $ 25000000 au fonds social de la nouvelle compagnie. Ce montant est formé de $ 20000000 fournis par le gouvernement sous forme de souscription d’actions à dividende différé de la S.G.F., et des $ 5000000 déjà investis dans la S.G.F. par le gouvernement en actions à dividende différé. Le reste du capital proviendra de la vente d’actions, d’obligations et autres valeurs qui seront offertes durant la période de construction.
C’est la conviction du gouvernement et de la S.G.F. qu’il est nécessaire que la majorité des actions de la nouvelle société soient détenues par le grand public. La nouvelle entreprise aura l’entier appui du gouvernement et j’ai bonne confiance que le public en fera autant lorsqu’il sera appelé à souscrire.
En 1960, le Parti libéral du Québec s’était engagé, entre autres choses, à doter le Québec d’une industrie sidérurgique. Cet engagement est maintenant en voie de se matérialiser. C’est une autre réalisation d’envergure qui nous rapproche de l’objectif que nous nous sommes fixé : faire du Québec un État moderne !
[Ladies and Gentlemen, I am convinced that we have succeeded in creating a climate of confidence in favour of Quebec. My discussions and those of my colleagues with bankers, industrialists and businessmen in Europe and the United States have given me evidence that they are all aware of our fast economic growth and have confidence in the stability of the people of Quebec.
After.all, let us not forget that since we have taken over the reins of government, ATLAS STEEL has been established in Sorel, a zinc refinery in Valleyfield, additional paper capacity in Baie Comeau and in Chandler. Let us also bear in mind that the BATHURST POWER & PAPER is now building a mill in New Richmond, and so many other smaller industries are adding to our economic growth.
But, this is not all, because I am now, with some of my colleagues, having discussions with very important groups ior additional pulp, paper and kraft capacity to be established
in the province in the vert’ near future.
I wish to add also that both here in Canada and in France I have had talks regarding the establishment of new chemical industries, talks which were more than promising.
May I quote from an article written by Eugene Griffin in the Chicago Tribune of November lst:
« Almost every economic indicator is rising at a faster rate in Quebec that elsewhere in the country. Utilities, primary industry, secondary manufacturers, business, and government are all spending more on new construction in Quebec that the national average for Canada. Nonfarm employment has gained more rapidly in French Canada than in any other part of Canada.
Labour income has shot up rapidly in Quebec, causing a jump in retail sales, higher than in any other province. Unemployment, traditionally worse in Quebec than in the rest of Canada, has declined faster this year, with the shift of the labour force from farms to construction, manufacturing, and service industries. »
Quebec’s future is bright! Together, let us work and act in such a way that this promise is fulfilled in harmony and understanding, for the utmost well-being of our province and of Canada!]
Il ne faudrait pas oublier non plus les effets économiques qu’aura dans l’avenir la création d’une caisse de retraite au Québec. C’est maintenant définitif que le projet de loi sera présenté à la prochaine session et que le système entrera en vigueur à partir du premier janvier 1966.
Il s’agit d’une mesure de sécurité sociale qui, en plus d’accroître le bien-être de notre population, contribuera grandement à accélérer notre rythme de croissance économique. Les études actuarielles qui ont été faites à date prévoient que l’actif accumulé dépassera le milliard de dollars en 1970 et atteindra les $ 10 milliards en 1995. On imagine facilement quelle signification peut avoir une telle somme non seulement comme coussin, mais surtout comme aiguillon de l’activité économique au Québec.
L’actif ainsi accumulé sera administré par un organisme du genre « caisse de dépôt » qui sera totalement distinct de la régie des rentes. Il aura à faire fructifier cet actif dans le meilleur intérêt de la caisse de retraite, va sans dire, mais en tenant compte de la promotion des intérêts économiques de la province. Ce sera un puissant levier qui permettra plus facilement au Québec de s’affirmer économiquement et de jouer pleinement son rôle en terre d’Amérique.
Cet État moderne que nous sommes à bâtir pratiquement de toutes pièces, à quelles fins entendons-nous le faire servir ?
De quoi le Québec de demain sera-t-il fait ? Où voudra-t-il aller ? Comment entendra-t-il se comporter ? Voilà autant de questions auxquelles il faut tenter d’apporter dès maintenant des réponses. C’est une tâche qui revient en partie au gouvernement. Mais le peuple doit également avoir son mot à dire. De par sa structure, le Parti libéral du Québec plonge ses racines profondément dans le peuple. Il est en quelque sorte le reflet de la volonté populaire. On l’a bien au en 1960, en 1962 et dans toutes les élections partielles ai ont eu lieu depuis.
La Fédération et ses différents organismes doivent se mettre immédiatement à la tâche. Il nous faut définir au plus tôt de nouveaux objectifs, déterminer les pouvoirs dont nous aurons besoin pour les réaliser et les moyens auxquels il nous faudra recourir pour ce faire. En d’autres mots, il nous faut sans plus tarder commencer à dresser de nouveaux plans.
J’ai confiance que les militants sauront relever le défi et mener leur tâche à bonne fin, comme ils l’ont toujours fait jusqu’ici. Le gouvernement que je dirige n’en attend pas moins de notre parti et de ses membres.
[QLESG19641129]
[Fédération des Jeunes Libéraux du Québec Àpublier après Banquet – Con rès annuel 7:31 heures P.M.
Hôtel Hilton Dorval Le 29 novembre 1964 Dimanche soir, 29 novembre X64
Honorable Jean Lesage Premier Ministre]
Les circonstances ne m’ont pas permis l’an dernier d’assister à vos assises annuelles et d’y porter la parole. Veuillez croire que je l’ai beaucoup regretté. Cette année heureusement grâce surtout à la bonne compréhension du président et des membres de votre conseil exécutif – il a été possible d’arranger les choses de manière que je puisse, malgré mes occupations nombreuses et pressantes, accepter votre aimable invitation d’être conférencier au dîner de clôture de votre congrès général.
Je m’en réjouis, et pour plusieurs raisons. D’abord, votre fédération a accompli des progrès remarquables au cours des derniers mois et il convient, je crois, que le chef du Parti profite d’une telle occasion pour vous en féliciter. Ensuite, l’activité que vous avez déployée au cours de l’année a certainement contribué à la victoire libérale dans les comtés de Dorchester, Matane, Saguenay et Verdun le 5 octobre dernier. Quoi qu’il ne soit pas possible de déterminer dans quelle proportion exacte le vote des jeunes a favorisé le Parti libéral du Québec, les indications sont nombreuses qui permettent de croire que l’appui que nous avons reçu de la jeunesse a été imposant dans les quatre comtés, et peut-être déterminant dans Dorchester et Matane. Je sais l’excellent travail que votre Fédération et ses membres ont fait dans ces comtés et vous avez certainement droit aux remerciements du parti et du gouvernement.
Mais j’ai une raison peut-être plus importante encore de me réjouir ainsi de pouvoir vous adresser la parole. J’ai dit maintes fois que notre jeunesse est l’avenir du Québec. Or, puisque nous formons aujourd’hui le gouvernement du Québec et qu’il ne fait pas le moindre doute que nous formerons celui de demain, il nous appartient… et il appartient peut-être encore davantage à notre jeunesse de décider aujourd’hui ce que sera la Québec de demain. C’est un sujet que j’ai abordé au dîner-bénéfice que la Fédération libérale du Québec a tenu à Montréal dimanche dernier. Quant on sait que le prix du couvert à ce dîner était de cinquante dollars, je ne crois pas me tromper en disant que la quasi-totalité d’entre vous n’aviez pas les moyens d’y assister. Aussi, il me paraît opportun de référer ici à ce que j’ai dit ce soir-là.
Je ne reviendrai pas sur ce que nous avons accompli depuis que nous sommes au pouvoir. Je dirai simplement que les petites et grandes réalisations des quatre dernières années nous rapprochent rapidement du but que nous nous sommes fixé: faire du Québec un État moderne. Encore quelque temps et notre programme de 1960 – du ministère de l’Éducation au complexe sidérurgique, en passant par la restructuration de l’État et la planification économique – aura été presque entièrement traduit dans la réalité. Nous avons raison de nous réjouir et de retirer une satisfaction bien justifiée de tout ce qui est désormais acquis.
Toutefois, cela ne doit pas pour autant nous faire oublier l’avenir. De quoi le Québec de demain sera-t-il fait? Où voudra-t-il aller? Quels moyens devra-t-il prendre pour atteindre les buts nouveaux qu’il désire se fixer? Voilà autant de questions auxquelles il faut tenter d’apporter dès maintenant des réponses. C’est une tâche qui revient en partie au gouvernement, et les actes que nous posons aujourd’hui, que nous poserons demain, indiqueront dans une certaine mesure la route à suivre. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut que le peuple exprime son point de vue, fasse connaître ses aspirations profondes.
Par sa structure, le Parti libéral du Québec dont vous êtes, vous de la Jeunesse libérale plonge profondément ses racines dans le peuple. Il est en quelque sorte le reflet de la volonté populaire. On l’a bien vu en 1960, en 1962 et dans toutes les élections partielles qui ont eu lieu depuis et où les candidats libéraux ont triomphé sans aucune exception.
La Fédération et ses différents organismes telle la Fédération des Jeunes Libéraux du Québec – doivent se mettre immédiatement à la tâche. Il nous faut définir au plus tôt de nouveaux objectifs, déterminer les pouvoirs dont nous aurons besoin pour les réaliser et les moyens auxquels il nous faudra recourir pour ce faire. En d’autres mots, il nous faut sans plus tarder orienter notre programme vers l’avenir.
C’est ce qu’a commencé de faire la Fédération libérale du Québec en choisissant, pour son congrès général de l’automne prochain, le thème suivant: « L’économie rurale dans un Québec moderne ». Le gouvernement et le parti que je dirige attendent beaucoup des travaux que va entreprendre la Commission politique, laquelle a été réorganisée pour faciliter encore davantage l’expression de tous les points de vue.
Au cours de nos discussions, lors de la réunion plénière de l’Exécutif, dimanche dernier, nous avons mis l’accent sur la nécessité de trouver les moyens d’étendre ce que j’appellerai les tentacules de notre formidable expansion économique à tous les coins et recoins de la province.
On imagine facilement le rôle que vous, mes amis de la jeunesse libérale, êtes appelés à jouer dans l’élaboration du programme rénové de notre parti. Votre participation doit être une contribution majeure à la formulation d’une nouvelle plateforme électorale: je ne réfère pas ici à une certaine jeunesse, comme on dit souvent mais bien à tous les secteurs de la jeunesse comme s’efforce de les représenter votre fédération.
Il ne faut pas oublier en effet que les conditions de la vie moderne ne permettent plus aux différents groupes d’évoluer en vase clos. Quelle que soit l’action d’un groupe ou d’un secteur, elle a inévitablement des répercussions dans tous les milieux. C’est ainsi par exemple que la jeunesse étudiante – parce qu’elle est partie intégrante de cette jeunesse qui constitue la relève sur laquelle comptent le Québec et le pays tout entier – ne peut se permettre d’ignorer les besoins et les aspirations de tous ces jeunes qui sont au travail dans nos champs et dans nos usines.
Une fédération comme la vôtre doit, bien sûr, rechercher entre autres choses les moyens d’assurer que tous les jeunes aient de plus en plus accès à la connaissance et au haut savoir. Mais cette recherche, pour aussi importante qu’elle soit, doit tenir compte des réalités actuelles. Et l’une de ces réalités, c’est que pendant que certains jeunes sont aux études, d’autres du même âge et peut-être tout aussi doués sont déjà sur le marché du travail. Cela, soit à cause du manque d’argent nécessaire pour poursuivre leurs études, soit à cause de lacunes dans les structures de notre système d’enseignement, aux échelons régional et local tout comme dans le domaine des techniques et des spécialisations, lacunes que le gouvernement s’efforce de combler le plus rapidement possible.
On doit reconnaître que ces jeunes, beaucoup moins favorisés à bien des points de vue, auraient plus que d’autres des raisons de verser dans l’anarchie et la violence. Je l’ai déjà dit: si j’étais de ceux qui se croient réduits aux solutions de désespoir, je m’inquiéterais du stoïcisme et aussi du réalisme dont ceux-là font preuve. Je me demanderais si la raison n’en est pas que tous ces jeunes qui forment la grande majorité de la jeunesse québécoise ont compris que quelle que soit l’issue des luttes constitutionnelles que nous vivons présentement, le Québec est et demeurera toujours partie intégrante du continent nord-américain, que c’est dans le contexte nord-américain qu’il nous faut vivre notre vie, et que c’est seulement en nous affirmant économiquement et intellectuellement que nous occuperons toute la place qui nous revient en terre d’Amérique.
Voilà vers quoi tendent tous les efforts du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. Pour réussir pleinement nous avons besoin de l’appui et de l’apport de tous les groupes, de tous les secteurs de notre société, à commencer par celui de la jeunesse. Et la contribution que nous apportera votre fédération sera d’autant plus valable qu’elle tiendra compte des conditions dans lesquelles évolue cette partie importante de notre jeunesse qui travaille ou recherche de l’emploi dans nos villes et dans nos campagnes.
[As you know, the ultimate goal is to make of Quebec a modern state. To enable us to reach such a goal, the government has had to assume many responsibilities. There is one of which you, of the Young Liberal Fédération, will easily grasp the true meaning and the many implications. I refer to the responsibility which the Government of Quebec has assumed of associating our young people, as closely as possible, with the reconstruction work being carried out in our province and which has been marked by noteworthy success. The will of the Government to have our young people participate more actively in the political life of our province and to assume greater responsibilities towards our society has weighed heavily on the décision taken by the Quebec Législature to grant the right to vote at the early age of eighteen.
Such a weighty décision bespeaks our confidence and belief in our young peoplet – in their maturity, in their intrinsic good sense, in their desire to participate more actively in our political life and, abouve all, in their ability to share in the responsibilities which fuller participation implies. I
might also add that this décision brings in its wake to your elders, new obligations to the youth of today, the leaders of tomorrow.
Political parties must share some of thèse obligations. The reprehensible behaviour of a certain breed of politicians of another age has left a large section of our youth profoundly shocked and disillusioned. Thèse young people are still labouring under the effects of scandai and of disgust. Much still remains to be done to rebuild their trust and confidence.
For one, our Party.must relentlessly atrive to increasingly democratize its structures – and this at ail levels… our Party must engage wholeheartedly in a province-wide campaign of political education for the general public… our Party must, more and more, be instrumental in furnishing reliable information to the leaders of our province who shape public opinion in ail fields of endeavour and activity.
The Party counts on you, the Quebec Young Liberal Federation, to constantly renew its vigour, its enthusiasm and its dynamic character!]
Vous aviez choisi comme thème de vos assises: « Jeunesse 64, Québec de demain ». Ce thème rejoint directement mes propos du début alors que je vous ai dit qu’il appartenait surtout à notre jeunesse de décider maintenant ce que sera le Québec de demain. Le film « Jeunesse année 0 » a également été visionné au cours de vos délibérations. Ce qui n’a pas dû manquer de produire un certain choc mais a peut-être aidé, d’autre part, à orienter quelque peu la discussion.
Vous savez que j’ai moi-même présenté ce film lors du congrès général de la Fédération libérale du Québec en septembre dernier. J’ai pris soin alors de bien préciser que les idées et les commentaires exprimés tout au long du film ne représentaient l’opinion que d’une très faible partie de la jeunesse québécoise. J’ai dit également que si le comportement général de notre jeunesse était bien différent et, Dieu merci, beaucoup plus sain, il n’en était pas moins important que les militants libéraux prennent connaissance des idées qui ont cours chez certains jeunes. Pour plusieurs, ce fut une révélation choquante mais qui, à mon sens, n’a pu avoir par la suite que des effets bienfaisants. L’ignorance demeure encore le pire ennemi de l’homme et ce n’est pas en refusant de voir les choses telles qu’elles se présentent que nous réussirons à vaincre l’erreur et l’égarement.
Or, ce qui frappe le plus dans ce film – et c’est vraiment effarant – c’est l’ignorance quasi complète que certains jeunes ont de nos institutions politiques, de notre système parlementaire, et, ai-je besoin de le préciser, des changements majeurs survenus au Québec depuis quatre ans. Ceci est grave en soi mais l’est encore plus lorsqu’on sait que ces jeunes ont maintenant le droit de vote dès l’âge de dix-huit ans.
Qu’on me comprenne bien: le gouvernement que je dirige a donné le droit de vote aux jeunes de dix-huit ans, comme s’était engagé à le faire le Parti libéral du Québec. Je suis le premier à m’en réjouir. Et j’ai trop confiance dans notre jeunesse pour croire qu’elle pourrait, à un moment, faire mauvais usage de ce droit.
Ce qui m’inquiète, c’est cette absence quasi totale du sens de la responsabilité politique chez cette partie de la jeunesse dont le film que vous avez vu nous fournit un échantillonnage. Et je dis que le droit de vote à dix-huit ans oblige désormais tous les jeunes, qu’ils soient à l’étude, au travail ou à la recherche d’un emploi, à s’intéresser activement à notre vie politique, à se renseigner et s’instruire davantage sur nos institutions et nos rouages administratifs, à étudier et analyser les programmes et les structures des partis, en un mot à acquérir les connaissances qui leur permettront de faire un usage réfléchi et véritablement adulte du droit qui leur a été accordé.
Vous imaginez facilement quel rôle une fédération comme la vôtre est appelée à jouer au sein de notre jeunesse. Il ne s’agit pas tant de chercher à enrégimenter les jeunes dans notre parti que de les instruire et de les renseigner sur l’existence et la fonction des formations politiques dans un régime parlementaire comme le nôtre. Car sans être nécessairement engagés dans un parti ou dans un autre, les jeunes ne peuvent plus les ignorer puisque le vote auquel ils ont maintenant droit, c’est a l’un ou à l’autre des partis qu’ils devront l’accorder s’ils veulent remplir démocratiquement leur devoir de citoyens conscients de leurs responsabilités envers l’État dans lequel ils vivent. Votre rôle à vous qui évoluez dans les milieux de la jeunesse doit, dès lors, en être un d’éducation politique surtout et avant tout.
Jeunes libéraux du Québec, il vous appartiendra demain d’assumer la direction de notre parti et, je veux le croire, du gouvernement de la province. Votre tâche sera alors plus facile et plus réconfortante si vous avez su, par l’action que vous êtes appelés à déployer maintenant, éveiller la conscience de votre jeunesse et lui insuffler le culte de la connaissance, de la vérité, de la saine démocratie et de la paix sociale.
[QLESG19641206]
[Inauguration St-Lawrence Collège, Àpublier après 2:30 h. P.M.
Dimanche, 6 décembre l.64. Le 6 décembre 1964. Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]
En admirant les magnifiques armoiries de ce collège, ma pensée s’est arrêtée longtemps sur la croix double qui les surmonte. Cette croix rappellera toujours celui qui a tant voulu cette institution, celui dont j’ai l’honneur d’être le fervent admirateur et le respectueux ami, celui dont la modestie et la simplicité ont le don de dynamiser toutes les bonnes volontés: Son Excellence Monseigneur Maurice Roy, archevêque de Québec et primat de l’Église canadienne!
J’ai dit modestie et simplicité qui dynamisent, parce que plus j’avance en âge, sinon en sagesse, plus je constate que ceux qui veulent vraiment le bonheur du peuple, en poursuivant avec sollicitude et constance des buts nobles et élevés, sont ceux qui ne se font pas remarquer par leurs vociférations.
Que se réalisent ici tous les rêves de Monseigneur Roy, que ce collège lui apporte toutes les satisfactions que souhaite son coeur de pasteur, voilà, j’en suis sûr, le voeu le plus total que je puisse adresser à ceux ici présents – et même ici revenus pour la circonstance – qui ont collaboré à une réalisation aussi fidèle de l’idée génératrice.
Je vois déjà le jour où ce collège jouira d’un grand prestige, non seulement dans le Québec, mais dans l’Amérique du Nord tout entière. Dès l’annonce de sa création, il a exercé un attrait extraordinaire sur de nombreux parents de l’Ontario et des États-Unis, et je suis fier de dire que la principale source de ce prestige lui vient de l’enseignement du français, comme langue seconde, dans un climat canadien-français et dans les harmonique – si je puis m’exprimer ainsi – de la réputation extraordinaire dont l’Université Laval est irradiée.
On demande souvent aux Québécois, avec une nuance d’exaspération:
-Mais, au juste que voulez-vous? [« Be specific »]!
Eh bien, je crois que le St. Lawrence College est un exemple de ce que nous aimerions voir dans les autres provinces.
Nous souhaitons qu’elles accordent aux minorités canadiennes-françaises des institutions comme on en trouve ici et dont St. Lawrence est certainement l’un des plus beaux fleurons.
Nous voudrions que le Recteur de, l’Université de Montréal n’ait plus raison de dire aussi justement qu’il l’a fait, il y a quelques semaines: [Les Canadiens de langue anglaise n’ont pas appris le français parce qu’ils n’y étaient pas obligés, ce qui est troublant. Les Canadiens français n’ont appris l’anglais que parce qu’ils en avaient besoin, ce qui est également troublant.]
Voilà la différence entre l’utilitarisme à la vue courte et l’humanisme généreux!
Mais quand des jeunes, de croyances, de religions, aux origines ethniques, de milieux différents, s’assoiront côte à côte pour faire fructifier, pour le bien commun, leurs talents respectifs; quand ils apprendront à cultiver leurs différences tout en estimant ce qui rend l’autre différent, on découvrira alors qu’une Maison comme celle-ci est la pépinière idéale pour former des citoyens dignes de la liberté dont on jouit dans une démocratie.
Être digne de la liberté, quelle responsabilité d’adulte!
Une responsabilité à laquelle on ne songe pas toujours et qui pourtant oblige celui qui en est investi à développer ensuite les talents avec lesquels il pourra le mieux servir ses contemporains.
Le collège de 1964 ne peut pas être une tour d’ivoire de la culture dans laquelle un chercheur de laboratoire considère les convulsions du monde comme des réactions dans une éprouvette.
À la fois artisan et témoignage d’une civilisation généreuse, le collège doit servir d’éclaireur aux politiques de collaboration et d’efforts constructifs. Le but d’un collège est donc de préparer les hommes à s’intégrer à la société de l’avenir pour en rehausser les standards intellectuels et moraux au moins tout autant que les standards technologiques.
À mon sens, le comble de la démocratie c’est de faire en sorte que chaque enfant doué puisse développer au maximum ce qui est en puissance en lui. Lorsque nous voulons l’éducation pour la collectivité, ce n’est pas pour la placer au-dessus de l’individu. C’est pour servir celui-ci, c’est pour être sûr qu’un véritable talent ne sera pas étouffé par les ronces de l’ignorance et que ce talent, à son tour, servira la collectivité grâce aux possibilités que l’éducation lui aura ouvertes.
Nous avons ici avant tout un collège classique qui mettra l’accent sur les humanités tout en permettant à ses diplômés d’entrer dans n’importe quelle université canadienne, britannique ou américaine. Cet heureux équilibre entre les humanités et les sciences est indispensable, car l’homme n’est pas une intelligence désincarnée.
L’humanisme jouit d’un espoir qui sera toujours refusé à la technologie. Celle-ci est fatalement destinée a perdre une course, à être limogée, si je puis la comparer à une personne. La technologie ne peut s’empêcher de procréer le dauphin qui lui demandera sa démission. Mais l’humanisme est le témoin de l’esprit, le champion de l’éternel, de la vérité universelle; sa mission est de protester contre les abaissements spirituels, les dégradations qui menacent l’homme numéro de demain, même s’ils paraissent être demandés au nom du progrès.
Quand je lis dans [THE SCIENTIFIC AMERICAN] qu’on utilise aujourd’hui trente fois plus de jeunes gens forts en sciences dans l’industrie qu’il y a vingt ans, je ne suis pas découragé. Je le serais seulement si ces scientifiques n’avaient pas acquis une base humaniste.
Le danger, c’est que l’humanisme essoufflé ait de la peine à rejoindre la science qui galope. Nous créons l’automatisation puis, seulement après, nous nous interrogeons sur ses conséquences sociales; nous fabriquons une bombe
nucléaire et ce n’est qu’après que nous nous demandons comment la civilisation pourra lui survivre Nous nous proposons d’aller cultiver un petit jardin sur la lune, et le nôtre, sur terre, n’est même pas régulièrement sarclé.
La science doit être la servante de l’homme et non le Moloch impitoyable qui le dévorera. Tout pour l’avancement des sciences, d’accord; mais tout, encore plus, pour l’humanisme qui lui dira de se tenir au garde à vous devant la majesté native de l’homme.
C’est donc dire que l’éducation est une attitude de l’esprit beaucoup plus que l’inventaire d’un entrepôt de connaissances. Un premier ministre de France, Edouard Herriot, a dit autrefois une phrase inoubliable: [« La culture, (je pourrais ici ajouter l’éducation) c’est ce qui reste après que l’on a tout oublié »].
Ce ne sont pas les faits emmagasinés qui comptent. Souvent au contraire, rien n’est plus dangereux que la sottise armée d’instruction: si la mire d’un fusil est faussée, il est préférable que cette arme ne contienne pas de balles!
C’est donc à l’humanisme qu’il appartient de réchauffer l’esprit froidement utilitaire. L’intelligence n’est qu’une des facultés de l’homme: à elle seule elle sera toujours impuissante à le comprendre tout entier. Si banal soit-il de répéter que l’éducation doit développer les qualités qui ressortissent plus au coeur qu’à l’esprit, il faut déclarer cet idéal bien loin encore de sa réalisation, tant que la générosité et l’instruction ne seront pas en raison directe l’une de l’autre. Hélas! ce n’est pas encore le cas! Avouons-le courageusement, sans nous mettre la tête dans le sable. Je sais bien qu’une institution comme celle-ci est un forum, un carrefour de la tolérance, de l’oecuménisme des patriotismes, si j’ose m’exprimer ainsi. Mais il y a encore dans ce monde, dans ce pays et dans cette province, trop de rigides incompréhensions.
Tout comme la jalousie est beaucoup plus une manifestation d’égoïsme que d’amour, le patriotisme qui ne comprend pas celui des autres n’est pas du patriotisme. Ce qui entre dans une petite âme en prend les dimensions. Il en est ainsi du patriotisme d’un coeur desséché qui ne fait qu’extrapoler son intérêt personnel jusqu’aux frontières physiques de son pays et qui, sous prétexte qu’il ne partage pas le passé de ses compatriotes, refuse d’en partager l’avenir. Malheureusement, comme je le disais tout à l’heure, rien n’est plus dangereux que la sottise armée d’instruction.
C’est ainsi que devait être le pharisien de la parabole qui félicitait Dieu de l’avoir fait si bon et si intelligent!
Le pharisien d’aujourd’hui possède aussi son inquiétante certitude: Merci, ô mon Dieu, de m’avoir fait si lucide, si intransigeant. Merci de ne m’avoir pas fait comme le reste des hommes, comme, ce publicain de Jean Lesage qui croit à la coopération entre les Canadiens, qui ne sait pas, le pauvre, que seule la haine a de l’avenir en politique!
Un enfant pose des questions, un adulte pose des questions Le seul qui n’interroge plus ou qui ne s’interroge pas c’est le pharisien adolescent, car il sait tout.
Personne n’est plus comiquement arrogant qu’un blanc-bec qui vient de découvrir une idée et s’imagine en être l’auteur. Dans une pièce d’Edmond Rostand, le coq Chantecler croit que c’est lui qui fait lever le soleil avec son chant.
Malgré ses cocoricos, une certaine jeunesse dans un Québec qui pourtant change de visage, dans un Québec qui bouge, dans un Québec qui va de l’avant, ne semble pas se douter que le phénomène social qu’elle représente est celui de l’évolution régressive. Prenant l’histoire à rebrousse-poil, ces adolescents retardés oublient qu’il y a longtemps que nous étions au travail pendant qu’ils frottaient dans leurs berceaux leurs yeux ensommeillés. Ils ressortent aujourd’hui de la naphtaline des idées depuis longtemps abandonnées par mes contemporains quand leurs esprits se sont ouverts. Dans l’histoire du monde, combien de jeunes gens, hélas, sont morts pour une cause à laquelle, s’ils avaient vécu, ils eussent cessé de croire!
J’ai déjà dit que je comptais sur la bonne volonté de tous les Québécois pour maintenir un esprit de discipline sereine. Aux jeunes, j’ai demandé de ne pas nuire à la réputation du Québec, car cette réputation c’est leur avenir!
Le progrès économique de la province dépend étroitement du climat de paix sociale qui doit y régner. La jeunesse du Québec me croit, j’en suis sûr, quand je dis que je ne la confonds pas avec les exceptions dont je viens de parler. Je l’admire d’autant plus qu’elle sait résister à la tentation de la mesquinerie et ne veut pas donner à sa province un casier judiciaire qu’exploiterait la publicité cruelle d’une certaine presse étrangère. Il y a en effet, un certain journalisme dont le cynisme est l’habitat naturel et qui ne sait tout simplement pas quoi faire d’une bonne nouvelle, d’une nouvelle qui prouve que parfois l’homme réalise son idéal de dignité. La jeunesse du Québec continue de se méfier des groupes qui ne voient systématiquement qu’une facette unique des questions complexes. Elle sait reconnaître les aspirants-ratés qui aujourd’hui passeraient inaperçus s’ils n’avaient pas de mauvaises manières, car la grossièreté est la personnalité du faible.
C’est par ses résultats qu’on doit juger d’une politique. Que produit cette attitude agressivement négative? Elle ne peut que paralyser traîtreusement, elle ne peut que désarmer ceux qui veulent livrer dignement le combat utile.
Les élèves du cours classique se demandent peut-être comme je me le demandais à leur âge, à quoi peut bien servir l’étude des légendes antiques. À part les beautés littéraires dans leur fraîcheur première, j’y trouve maintenant une sagesse humaine qui ne m’avait pas alors frappé. Il est une de ces légendes qui m’est revenue à l’esprit pendant mon séjour en Grèce, il y a un mois, et qui m’a convaincu que les mythes anciens avaient leur origine dans la réalité. Pendant qu’Hercule combattait l’hydre de Lerne, un scorpion le piquait au talon. Tâche gigantesque de l’un, agressivité mesquine de l’autre.
Déjà, donc, dans l’Antiquité, l’on avait remarqué que ceux qui livrent combat pour autrui s’exposent encore à des attaques au ras du sol. Mais j’en reviens à mon thème principal: puisque l’instruction doit rendre inexcusables les préjugés, pourquoi trouve-t-on encore une masse impensante, moutonnière, injustement émotive, haineusement intransigeante, dans une certaine jeunesse que l’instruction n’a menée qu’à l’agnosticisme? Pourtant, le jugement devrait suivre la même courbe ascendante que celle de la connaissance. N’est-ce pas, par exemple, fermer systématiquement son esprit à la vérité, n’est-ce pas cultiver délibérément le sophisme que d’utiliser comme on l’a fait contre la monarchie constitutionnelle des arguments qui ne valent que contre la monarchie absolue.
La plus dangereuse des erreurs est une vérité légèrement déformée. Et quand on se contente de demi vérités, c’est qu’on veut mettre l’accent sur la moitié qui contient le faux.
Le magazine américain [TIME] nous reproche d’avoir [« overiooked chat bolatecily came to be recognized as the high moment of Quebec – the Qu.eon’s remarkably lucid and positive speech ».] Ce qui est tristement ironique, c’est qu’en réalité seuls les partisans du statu quo 1867 auraient pu manifester contre la Reine du Canada. Son titre même implique que notre pays est maître de ses destinées et qu’il a été décolonisé. Mais, a travers les vociférations, il ne fut pas facile de comprendre le sens profond et le prolongement de sa phrase : « Le rôle de la monarchie est de garantir l’exécution de la volonté populaire ». Pour celui qui connaît le sens élémentaire des mots et qui prend la peine de les écouter avant de protester « a priori », cela veut dire que si l’on veut être séparatiste, si même l’on veut être anti-monarchiste, on a la liberté de l’être par des moyens légaux, civilisés, (pourquoi pas courtois?) en s’efforçant de convaincre la majorité de ses concitoyens. Plutôt que d’avouer honteusement qu’on a pas l’appui de cette majorité, l’on préfère la clandestinité et le désordre et même les souffrances de l’anarchie.
Il me semble que ne pas comprendre un message aussi clair implique que l’on veut fermer obstinément son esprit, afin de penser à côté de la question.
Pourquoi le monde ne pourrait-il pas progresser sans drames? Et le drame commence avec le refus du dialogue, sous prétexte qu’on peut aller plus vite en brusquant les choses. On peut aller plus vite, mais on peut aussi se tromper de route!
On peut prendre celle qui mène à l’impasse. Ou au précipice surtout quand le guide est un aveugle.
La façon la plus efficace et la plus hypocrite de lutter contre le progrès, c’est de le brusquer. Ennemi de la tradition immobile, partisan du progrès en puissance qui se manifeste par 1’évolution rapide du monde, je refuse de croire que notre salut n’est pas dans une volonté populaire éclairée par la charité et la compréhension mutuelle. Je m’excuse d’avoir prêché devant des gens convaincus puisque je me trouve ici au carrefour de toutes les largeurs d’esprit. Depuis 150 ans, les Anglais se plaisent à dire que la bataille de Waterloo avait été gagnée sur les terrains de jeu du collège de Eton, mais je ne crois pas d’ajouter que la victoire de l’intelligence sur les préjugés peut être remportée dans des collèges comme celui-ci.
C’est dans ce lieu que je veux réaffirmer ma foi dans le principe que tout ce qui fait Québec grand, fort et autonome, enrichit le Canada, que tout ce qui sert le Canada enrichit le monde, c’est-à-dire la civilisation, c’est-à-dire l’humanisme généreux que des collégiens privilégiés viendront puiser ici, dans l’institution qu’a rêvée, qu’a voulue, qu’a réalisée le guide que nous ne remercierons jamais assez le Ciel de nous avoir donné, Son Excellence Monseigneur Maurice Roy.
[QLESG19641209]
[Club de Réforme de Québec À publier après 8h.00 P.M. Dîner-causerie Mercredi, 9 décembre 1964. Le mercredi 9 décembre 1964
L’honorable Jean Lesage, Premier Ministre.]
Les dîners-causeries que vous organisez régulièrement chaque année offrent aux dirigeants du parti une excellente tribune pour venir vous exposer les principes qui inspirent leur action politique. Ils font de votre club un véritable foyer de la pensée libérale. Et c’est exactement le but que s’étaient fixé les fondateurs du Club de Réforme de Québec, but qui demeure aussi valable et aussi utile aujourd’hui qu’alors.
Aussi, vous comprendrez avec quel plaisir j’ai accepté, malgré les tâches nombreuses qui me sollicitent de toutes parts, votre aimable invitation d’inaugurer ce soir cette nouvelle série de dîners-causeries. Vous constituez un auditoire parmi les mieux préparés à comprendre la signification profonde de l’oeuvre de reconstruction que nous avons entrepris d’accomplir. Ce qui explique nul doute l’enthousiasme avec lequel vous avez épaulé, chacun dans votre milieu, les mesures nombreuses que le gouvernement a introduites depuis quatre ans afin de pouvoir remplir pleinement le mandat que lui a confié l’électorat de la province.
Vous méritez sûrement de chaleureuses félicitations pour votre grand esprit de compréhension – qui vous amène le plus souvent à placer le bien-être général au-dessus de vos intérêts personnels – ainsi que pour votre foi profonde dans le bien-fondé de nos diverses entreprises dont le but ultime est de faire du Québec un État moderne. Je désire joindre à ces félicitations mes remerciements personnels à l’adresse de tous ceux qui, dans le district de Québec, ont contribué si généreusement par leur travail et leur dévouement à la victoire des candidats libéraux dans Dorchester, Matane et Saguenay aux élections partielles du 5 octobre dernier. Ces trois victoires et celle remportée dans Montréal-Verdun le même jour ont conservé intact le dossier électoral de notre parti. Les libéraux, en effet, ont triomphé dans toutes les élections partielles qui ont eu lieu depuis le jour historique du 22 juin 1960. Le mérite d’une telle réussite revient dans une très large mesure à l’apport combien précieux qu’ont su fournir les militants du parti. Encore une fois, je les en remercie bien sincèrement.
Les libéraux ont raison de se réjouir de ce qui a été réalisé depuis quatre ans. Le gouvernement qu’ils ont si largement contribué a faire élire a réussi, en un laps de temps relativement court, à traduire dans la réalité la presque totalité des engagements pris envers la population du Québec. Il suffit de référer à notre programme de 1960 et à notre manifeste de 1962 pour s’en rendre compte. C’est un accomplissement dont l’histoire de notre province offre peu d’exemples et qui justifie les libéraux à retirer une satisfaction bien compréhensible de tout ce qui est désormais acquis. Toutefois, cela ne doit pas pour autant leur faire oublier l’avenir.
Notre parti se doit d’indiquer encore une fois la route à suivre. Tous ensemble, nous devons fixer au Québec de nouveaux objectifs, nous devons déterminer les pouvoirs dont nous aurons besoin pour les réaliser et définir les moyens auxquels il nous faudra recourir pour ce faire. En d’autres mots, il nous faut sans plus tarder orienter notre programme vers l’avenir.
C’est ce qu’a commencé de faire la Fédération libérale du Québec en choisissant, pour son congrès de l’automne prochain, le thème suivant: « L’économie rurale dans un Québec moderne ». C’est ici, à Québec, que se réunira le congrès de 1965 et que seront élaborées les politiques qui, je l’espère, permettront au gouvernement que je dirige d’étendre à tous les coins et recoins de la province les bienfaits de notre formidable expansion économique. Aussi, le Club de Réforme de Québec me semble-t-il l’endroit tout choisi pour amorcer l’étude du thème de nos prochaines assises annuelles. Et je veux croire qu’on y verra l’importance que le gouvernement attache à la solution des problèmes du milieu rural et l’urgence qu’il y a d’élaborer une politique rationnelle dans ce domaine comme dans tous les autres. Mais avant d’essayer de déterminer quelle place doit occuper l’économie rurale dans un Québec moderne, il me paraît nécessaire: premièrement, de rechercher une définition générale de ce qu’il faut entendre par économie rurale; et ensuite, de revoir brièvement les grandes transformations survenues dans notre province depuis quatre ans.
Les spécialistes en la matière définissent l’économie rurale comme étant « l’étude des principes dont l’application permettra à l’agriculteur de retirer de son exploitation un revenu aussi élevé et constant que possible ». Il s’agit, en d’autres mots de la mise en oeuvre des moyens les plus efficaces de hausser le niveau de vie du cultivateur et de sa famille par la seule exploitation de la ferme.
Même en acceptant cette définition précise mais modeste de l’économie rurale, celle-ci n’en comporte pas moins plusieurs objets. On peut les grouper en trois grandes catégories: les facteurs externes, comme les interventions de l’État et les charges sociales; les agents de la production agricole, comme la nature, le capital, le travail; la combinaison optimum des facteurs de la production agricole. Une analyse même succincte de chacune de ces grandes catégories conduit à de sérieuses réflexions.
Par exemple, l’étude des facteurs externes invite à considérer le rôle de l’État en matière de protection douanière, d’organisation de l’enseignement agricole, de la recherche et de la vulgarisation agronomique, des mesures d’assistance à l’agriculture, et à examiner la nature des impôts et autres charges sociales des agriculteurs.
J’ouvre ici une courte parenthèse pour signaler que l’intervention de l’État, en matière d’économie rurale, peut consister en des actes de longue portée ou en des mesures d’urgence. Ce furent, par exemple, des actes de longue portée que les décisions prises par l’actuel gouvernement du Québec de centraliser l’enseignement agronomique du Québec dans le campus de l’Université Laval et de créer de toutes pièces, à La Pocatière et à St-Hyacinthe, l’enseignement technologique agricole.
Mais ce furent des mesures d’urgence et temporaires que celles: de réduire de 25% les charges d’impôt scolaire des agriculteurs et d’accorder aux producteurs de lait de transformation une subvention de 10¢ la livre de gras. Dans ces deux cas, l’État a voulu intervenir, dans la mesure de ses moyens immédiats, pour corriger des injustices sociales. La réduction de 25% de l’impôt scolaire des agriculteurs est une mesure temporaire, d’ici à ce que la Commission Bélanger nous propose une solution globale au problème de la juste répartition des impôts fonciers entre les contribuables québécois, y compris les agriculteurs. De même la subvention de 10¢ la livre de gras aux producteurs de lait de transformation, qui ont extrêmement à souffrir de l’actuelle structure des prix, est-elle une mesure d’urgence et temporaire, d’ici à ce que le gouvernement fédéral mette en vigueur ce qu’il annonce depuis des mois, à savoir une politique canadienne nouvelle et plus équitable, de l’industrie laitière.
Mais revenons maintenant aux objets de l’économie rurale, dont je n’ai signalé jusqu’ici que les facteurs externes à l’entreprise agricole. Considérons un moment ces facteurs classiques de tout économie que sont la nature, le travail et le capital.
L’étude de la nature en matière d’économie rurale, englobe le climat, le sol, les animaux et les végétaux. Celle du travail agricole comprend les salaires, les contrats de travail, l’emploi économique de la main-d’oeuvre, etc. Et l’étude du capital peut porter sur la classification des diverses sortes de capitaux agricoles, leur agencement et leurs rendements, les modalités du crédit agricole, et autres problèmes du genre. Quant à l’organisation et à la gestion de l’exploitation agricole, elles englobent les questions relatives au mode de tenure, à l’obtention et à l’utilisation des crédits nécessaires, à l’économique des diverses productions animales et végétales, à la combinaison la plus rentable de ces productions dans un milieu donné, aux modes de mise en marché, et j’en passe. Et puisqu’il est question de mise en marché, disons qu’il est encore du domaine de l’économie rurale d’étudier les industries agricoles de transformation: laiteries, conserveries, abattoirs, cidreries et autres, les transports et l’entreposage, les circuits commerciaux relatifs à la distribution des produits agricoles, etc.,etc.
Ceci dit, il faut retenir que la définition de l’économie rurale, qui a pris historiquement et conserve encore aujourd’hui le sens de « économie agricole », ne comprend qu’un aspect fort limité de la vie en milieu rural.
En choisissant d’étudier la place que doit occuper l’économie du milieu rural dans un Québec moderne, notre Fédération libérale entend, je crois, donner une portée beaucoup plus vaste à ses recherches. C’est sur le développement global des communautés rurales que doivent se pencher les militants. Ils doivent trouver des réponses aux questions de développement industriel et commercial, d’exploitation rationnelle des forêts, des mines, des pêcheries, de promotion touristique. Ils doivent rechercher les moyens de satisfaire les besoins d’éducation, de santé, de loisirs des populations rurales.
Il s’agit donc d’envisager ici le sens très large d’économie du milieu rural, de sociologie rurale, de l’aménagement des territoires ruraux, de la préparation ou humanisation des migrations indispensables, et que sais-je encore. N’oublions pas que la solution des problèmes du milieu rural va nécessiter une approche globale qui tient compte de tous leurs aspects: économiques, sociologiques, psychologiques, juridiques et autres.
C’est du moins le genre de solution auquel vise le gouvernement que je dirige. Et nous comptons sur les militants libéraux pour qu’ils, nous indiquent les moyens d’atteindre une telle solution.
Voyons maintenant quelles transformations importantes ont eu lieu au Québec depuis 1960 et, aussi, dans quelle mesure l’expérience acquise dans d’autres domaines peut aider à vaincre les problèmes du milieu rural auxquels notre province fait face présentement. Ne craignez rien: mon intention n’est pas de vous donner la liste de tous les changements dont nous avons été les témoins depuis quatre ans. Cette liste risquerait en effet d’être fort longue et quelque peu monotone. Et puis, malgré que ma mémoire soit excellente, je craindrais de faire des oublis qui ne me seraient peut-être pas tous pardonnés!
Ce qui me semble beaucoup plus utile, c’est d’essayer de cerner avec vous la nature et le caractère de ces changements. Ceux-ci peuvent être classés en quatre grandes catégories: changements de mentalité, changements de structures, changements de cadres, changements de méthodes d’action.
Au lendemain du 22 juin 1960, le climat s’est complètement transformé dans notre province.
Notre population, qui avait vécu repliée sur elle-même pendant de nombreuses années, a repris subitement goût à la vie. Elle a redécouvert la liberté. Et, en même temps, elle a ressenti le besoin de s’affirmer comme peuple adulte. Ce qui a forcément causé de graves perturbations dans bien des milieux et a obligé un très grand nombre à réévaluer la conception qu’ils se faisaient jusqu’alors des êtres et des choses.
Prenons deux exemples. Sous prétexte de ne sacrifier aucun des droits provinciaux, nos prédécesseurs avaient pris l’habitude de toujours dire non à Ottawa. Avec le résultat que le gouvernement central fut amené à occuper progressivement le plus souvent au bénéfice des autres provinces, les terrains laissés vacants par le Québec. Or voici qu’à la conférence fédérale-provinciale du mois d’août de 1960, un nouveau gouvernement québécois propose des solutions concrètes aux problèmes à l’étude et annonce que dorénavant notre province entend faire usage de ses droits dans tous les domaines de sa juridiction. On sait la suite de cette histoire: non seulement le Québec occupe davantage chaque jour le terrain qui lui appartient, mais il a commencé de récupérer là où il y avait empiètements, comme dans le champ de l’impôt sur le revenu des particuliers ou dans celui des programmes conjoints.
Et voici un autre exemple: les politiciens d’une autre époque nous avaient appris que rien ne devait changer au pays du Québec, surtout pas dans le domaine de l’éducation. Or notre peuple, en décidant de s’affirmer dans tous les domaines, s’est rendu comte du même coup que notre système d’enseignement avait besoin d’être entièrement rénové et que seul l’État était en mesure d’entreprendre une tâche d’une telle envergure et d’en coordonner la réalisation. Ce qui était impensable il y a à peine quelques années est maintenant une réalité: le Québec possède son ministère de l’Éducation au même titre que tout autre État moderne.
C’est ce que j’appelle les changements de mentalité. Ceux-ci ont à la fois permis et exigé des changements de structures. En effet, chaque fois que les Québécois veulent s’affirmer dans un domaine, ils se rendent compte que les structures indispensables à leur action ou bien sont complètement démodées et ont besoin d’être rénovées, ou bien n’existent pas tout simplement et qu’il faut les créer de toutes pièces. Je viens de vous citer l’exemple du ministère de l’Éducation. On peut en ajouter plusieurs autres: ministère des Affaires fédérales-provinciales, ministère des Affaires culturelles, ministère des Richesses naturelles, ministère du Tourisme, Conseil d’Orientation économique, Société générale de financement, Conseil de la trésorerie, Service de l’Assurance-hospitalisation, Hydro-Québec, et j’en passe.
Ce qui importe, ce n’est pas tant que les structures de l’État soient nouvelles ou rénovées, mais bien qu’elles servent de façon efficace à atteindre les objectifs qui leur sont fixés. Un exemple, entre plusieurs autres, est la Société générale de Financement. On sait que cette société a été établie afin de permettre principalement au grand public de participer à la mise en valeur de nos richesses. C’est exactement le but que va atteindre l’établissement au Québec d’une industrie sidérurgique. Lorsque la construction de l’aciérie sera complétée, d’ici trois ou quatre ans, une partie de notre minerai de fer sera ouvré chez nous par une entreprise québécoise dont la majorité des actions seront détenues par le grand public.
À leur tour, les changements de structures ont obligé à des changements de cadres. L’édification d’un État moderne ne peut se faire qu’avec la seule bonne volonté. Elle exige la présence active d’hommes compétents, qui sont des spécialistes dans leurs domaines et qui sont rompus à toutes les techniques de l’administration. C’est pourquoi le gouvernement n’a pas craint de faire l’effort nécessaire pour recruter le plus possible, aux divers paliers de l’administration provinciale, nos meilleurs talents. Il ne conviendrait pas que je donne ici des noms, ni que je cite un service ou un département en exemple. Car, une technicienne de la mécanographie, même si elle joue un rôle beaucoup plus effacé, rend des services tout aussi appréciables que ceux d’un rédacteur de l’Information Officielle ou d’un économiste du ministère de l’Industrie et du Commerce. Ce qu’il faut souligner, c’est que dans chacun de ces cas, l’État a dû faire appel à des spécialistes pour obtenir un travail bien fait et qui est rentable.
De même, il était inévitable que des transformations d’une telle importance au niveau des structures et des cadres apportent des changements profonds dans nos méthodes d’action. Il n’est pas facile de décrire ces changements. Disons que nous avons mis tout d’abord ordre et discipline là où il n’y avait toujours eu qu’improvisation ou laisser-faire. Un exemple est le regroupement des services qui, lors de notre arrivée au pouvoir, se trouvaient dans bien des cas éparpillés dans différents ministères. C’est le caprice plus que la logique qui avait amené nos prédécesseurs a confier les écoles spécialisées à un ministère autre que le Secrétariat de la province de qui, dans le temps, relevait pourtant de l’ancien Département de l’Instruction publique. Et combien d’autres cas du même genre que je pourrais vous citer.
Puis, nous avons eu recours à la planification, une méthode d’action dont le vieux régime semblait ignorer même l’existence. On pense bien que la décision d’établir un complexe sidérurgique dans le Québec n’a pas été le fait d’une génération spontanée. Elle est le fruit d’une minutieuse planification entreprise par le Conseil d’Orientation, économique et le comité interministériel de la planification, dès leur mise en place, et qui, avec la création de la Société générale de financement, a pu conduire à un aboutissement aussi heureux. Même chose pour l’intégration de tout le réseau de production et de distribution d’électricité au Québec ainsi que pour le projet-pilote d’aménagement rural du bas Saint-Laurent, dans le cadre du programme ARDA, et dont les résultats acquis et à venir aideront grandement à résoudre plusieurs des problèmes du milieu rural.
Enfin, nous avons fait servir à leurs fins véritables les structures administratives dont nous disposions. Le plus bel exemple est celui du budget de la province dont nous avons fait un puissant instrument de croissance économique. Que le budget soit passé d’un demi milliard à un milliard et demi en quatre ans reflète bien la stature nouvelle du Québec moderne. Ce qui est vrai pour le budget l’est également pour le Service général des Achats, la Commission du Service Civil et la plupart des organismes gouvernementaux.
Tous ces changements ne sont pas, croyez-moi, exclusifs à l’administration provinciale. Il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que les autres administrations publiques et l’entreprise privée ont besoin, elles aussi, d’y recourir constamment. C’est une évolution normale sans laquelle le progrès ne serait pas possible. Le Québec a payé cher pendant seize ans pour l’apprendre.
Ce qu’il faut pour faire participer toutes nos régions à la formidable expansion économique que connaît notre province, c’est que s’opèrent dans les milieux ruraux des changements de mentalité, de structures, de cadres et de méthodes d’action d’une égale importance. Le gouvernement, va sans dire, a un rôle excessivement utile à jouer. Il possède les techniques et les instruments de travail les plus aptes à favoriser la plupart de ces changements. Il ne saurait réussir cependant sans l’appui actif de la population.
Deux tâches particulièrement lourdes reviennent aux militants libéraux. En premier lieu, ils doivent travailler à modifier les mentalités dépassées qui existent malheureusement encore dans trop de milieux ruraux. Car le progrès ne viendra pas là où il n’est pas voulu. Ensuite, ils doivent rechercher les moyens les plus pratiques mais aussi les plus efficaces pour le gouvernement d’opérer les changements qui insuffleront une vie nouvelle à l’économie rurale d’un Québec moderne. J’ai confiance que les libéraux sauront relever le défi et mener ces deux tâches a bonne fin, comme ils l’ont toujours fait jusqu’ici.
[QLESG19641223]
[Message de l’Honorable Jean Lesage Àpublieraprès:
à l’occasion de Noël 1964. Mercredi, 23 décembre 1964.]
On dit qu’il n’existe pas, en démocratie, une seule injustice à laquelle on ne puisse remédier par plus de démocratie. Car les maladies politiques sont, le plus souvent, des maladies de carence.
Peut-être en est-il ainsi de toute la société. Pour le moindre de ses malaises ou pour le plus mortel de ses cancers, le monde possède un remède infaillible:
La Charité !
Pendant 364 jours par année, le coeur humain, malheureusement, ne s’ouvre pas assez à cette vérité si féconde. Mais, par-dessus l’âpreté regrettable que, dans la lutte pour la vie, donne une concurrence mal comprise, Noël vient rétablir la hiérarchie des valeurs humaines.
Noël est le mont le plus élevé de la Terre. Un jour par année, le coeur des hommes en atteint le sommet. Il voit les choses à leurs véritables proportions; et gagner sa vie ne devient pas, ce jour-là tout au moins, plus important que le but de la vie.
La poussière la plus petite peut irriter l’oeil. De même l’infiniment petit empêche parfois de voir l’infiniment grand de ce qui est vital. 364 jours par année, on peut ne voir que l’urgence des petites choses, mais un jour par année, on se rappelle au moins que tout ce qui est urgent n’est pas essentiel.
Le jour où l’homme redécouvre combien simple est le bonheur, il en trouve également le secret. Le bonheur consiste tout simplement à faire celui des autres.
La psychologie nous apprend que l’homme moyen n’utilise que 10% de son esprit. Avant de nous en étonner, de nous en scandaliser peut-être, demandons-nous honnêtement si nous utilisons plus de 10% de notre coeur ?
Du plaisir intellectuel, qui nous distingue des espèces inférieures, on a dit: « On se lasse de tout, sauf de comprendre ». Du bonheur, on pourrait dire: « On se lasse de tout, sauf d’aimer ».
La raison est d’accord avec le sentiment pour nous commander l’amour du prochain. À mesure que la science diminue les distances physiques entre les peuples, il faut que la générosité abatte à son tour les murailles entre les hommes et que, surtout, elle se garde bien d’en érige de factices. Que celui qui ironise trop facilement sur le « mur de la honte » de Berlin, interroge bien sa conscience, non en pharisien satisfait mais en publicain inquiet. Qu’il se demande s’il n’a jamais construit un mur de froideur, de méfiance et d’égoïsme entre lui et le compatriote que, malgré Celui dont nous fêtons la naissance refuse d’appeler son frère!
Je vous souhaite à l’occasion des Fêtes, de connaître, dans un esprit parfait de fraternité, l’intensité d’un bonheur qui se veut simple parce qu’il ne peut exister qu’ainsi. Plaignons le fêtard agité qui, tout en ne comprenant rien à Noël, sent obscurément que quelque chose mérite d’être célébré, et qui, infantilement, cherche son bonheur dans les plaisirs. Efforçons-nous plutôt d’être l’esprit mûr, réfléchi et serein qui trouve ses plaisirs dans le bonheur.
Je vous souhaite d’aimer vos êtres chers autant qu’ils vous aiment… je vous souhaite leur présence physique aussi longtemps que possible ou, si vous avez perdu cette consolation, leur présence indestructible dans votre coeur.
Je souhaite que Noël ne soit pas pour vous la fête d’un seul jour mais que l’année qui vient compte pour vous 365 Joyeux Noëls!
Je souhaite que 1965 vous apporte tout le bonheur que vous rêvez… ne vous apporte que du bonheur… et que les années suivantes en conservent l’habitude !
[QLESG19650203]
[Coopérative Fédérée de Québec Àpublier après 7 h. P.M. Montréal, le 3 février 1965 Mercredi, le 3 février 1965. Le Premier Ministre du Québec]
C’est avec empressement que j’ai accepté l’aimable invitation à adresser la parole à cet imposant banquet annuel des coopérateurs agricoles du Québec. Je veux profiter de l’occasion pour vous présenter quelques réflexions sur l’agriculture actuelle, non pas tant du point de vue de l’exploitant de ferme ou de l’agronome, son conseiller, que dans l’optique, on le comprendra, d’un chef de gouvernement.
Il est bien connu que l’agriculture, dans la plupart des pays, subit actuellement un malaise profond. Comme l’écrivait récemment un éminent ingénieur-agronome de France, M. François Robin: [« Partout, on est à la recherche de mesures permettant d’empêcher le revenu des agriculteurs de s’effondrer, sans entamer pour autant le pouvoir d’achat des consommateurs citadins. Observons tout de suite, ajoutait cet auteur, qu’on n’a découvert nulle part de solution miracle à cet irritant problème »].
Ce propos me semble juste. Personne, sauf les charlatans, n’a découvert et ne découvrira de solution miracle au problème de l’agriculture. Car vous savez comme moi qu’il s’agit d’un problème multiple, complexe, qui résulte de l’évolution rapide de l’économie rurale et même de l’économie générale des peuples.
Je viens d’admettre implicitement que le problème de l’agriculteur tient pour beaucoup à l’insuffisance de son revenu. Ici se pose la question des prix. Je reconnais la nécessité de prix agricoles stables et suffisamment rémunérateurs. L’intervention récente du gouvernement du Québec, accordant une subvention temporaire de .10 la livre de gras aux producteurs de lait de transformation, en attendant l’avènement d’une nouvelle politique laitière nationale, atteste que cette question de prix retient mon attention, de même que celle du ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, M. Courcy. Aucun autre gouvernement provincial au Canada n’est d’ailleurs intervenu en ce domaine et d’une aussi libérale façon !
Mais, d’autre part, je veux en arriver à ceci qu’une politique de prix agricoles, si généreuse soit-elle, ne peut pas seule résoudre le problème du revenu de la masse des agriculteurs. Une telle politique, ayons tous l’honnêteté de le reconnaître, ne profite véritablement qu’aux producteurs agricoles qui ont déjà atteint un assez haut niveau d’efficacité ou de productivité. Pour la grande majorité des fermes, une telle politique, si elle ne s’encadrait de mesures plus fondamentales, ne permettrait que de survivre médiocrement. Elle ne ferait que remettre à plus tard la solution de problèmes qu’il faut résoudre dans le plus bref délai possible. Que faut-il donc faire ? Il faut évidemment faciliter l’adaptation de l’agriculteur d’aujourd’hui aux conditions nouvelles de l’économie et l’aider, par toute une série de mesures cohérentes, à devenir un chef d’entreprise. Mais il s’agit là d’une oeuvre si considérable qu’elle exige la collaboration de tous les intéressés.
C’est dans cette optique que je vous livrerai quelques réflexions sur trois aspects du difficile problème qui nous préoccupe: la production agricole, la commercialisation des produits agricoles et l’aménagement des territoires ruraux.
La production agricole
En abordant le sujet des mesures d’assistance à la production agricole, je pose tout d’abord le principe que l’agriculture a droit, de par ses caractéristiques propres, à une aide spéciale des gouvernements. Chacun sait que l’agriculture, comparativement à d’autres industries, ne reçoit qu’une faible protection douanière. Chacun sait que l’agriculture dépend partout des conditions changeantes, imprévisibles et incontrôlables du climat. Chacun sait enfin, ou devrait savoir que les prix des produits agricoles, à court terme, ont tendance à la stagnation, alors que le coût des facteurs (ou marchandises d’utilisation professionnelle agricole) s’élève incessamment, d’où déséquilibre entre les recettes et les dépenses de l’agriculteur. Tout cela justifie une aide spéciale de l’État en vue d’aider les agriculteurs dans le domaine de la production. Il reste à savoir de quelle façon.
Il est indéniable, comme je l’admettais à l’instant, que des prix avantageux constituent une puissante incitation à la production. Mais qui irait jusqu’à dire qu’en matière de productions agricoles, tout pourrait au Québec s’arranger harmonieusement, automatiquement, sous la seule influence des prix ? En ce qui concerne le choix et l’agencement des spécialisations ainsi que la diffusion des techniques de production qualitative et l’abaissement des prix de revient, l’action de nombreux conseillers agricoles, soit au niveau de la recherche et de la programmation, soit à celui du contact direct des agriculteurs, s’impose parallèlement à toute politique de prix agricoles (laquelle relève d’ailleurs très largement du fédéral). Comprenez qu’il s’agit ici de techniciens et plus encore d’agronomes, soit spécialisés soit vulgarisateurs, plus ou moins polyvalents et qu’exige en grand nombre la réorientation de l’agriculture québécoise. Or, de tels hommes, il en manquait énormément en 1960 et il en manque encore beaucoup. Mais le gouvernement a fait du moins ce qu’il fallait faire pour remédier à cette carence.
Je pense surtout à l’établissement, dans le
Québec, d’une Faculté francophone d’agriculture, sise sur le campus de l’Université Laval. Ce site, c’est un comité d’étude des plus sérieux, le Comité Régis, institué par l’actuel gouvernement du Québec dès l’automne 1960, qui l’avait recommandé.
Les mesures d’assistance à la production agricole québécoise sont très nombreuses. Je m’interdirai d’en entreprendre ici l’énumération et l’appréciation. Mais on m’a souvent dit que beaucoup de ces mesures d’assistance sont maintenant dépassées. Il faudra donc les modifier, ou les remplacer par d’autres. Cela devra se faire, selon les meilleurs conseillers du gouvernement et notamment les dirigeants de la Coopérative Fédérée, lorsque le programme agricole du Québec, qui est présentement en préparation, aura été complété. Comme il en va de toute innovation, ces nouvelles mesures d’assistance ne seront très probablement ni comprises ni acceptées d’emblée. Il est donc certain que les élites agricoles, qui auront d’ailleurs participé à l’élaboration de ces nouvelles mesures, devront alors jouer, en vue du bien commun, un rôle très nécessaire de collaboration avec le gouvernement.
Mise en marché.
Tout comme les agriculteurs, j’attache une grande importance à la question de la mise en marché.
En tant que chef de gouvernement, j’ai vécu, en 1963, une expérience intéressante, lors de la discussion, aux audiences publiques du Comité d’agriculture, du projet de refonte de la Loi des marchés agricoles du Québec. De très nombreux représentants du commerce et de l’industrie y étaient venus faire de véhémentes protestations et prédire les pires calamités, au cas où le gouvernement adopterait tel quel ce projet. On a bien voulu reconnaître que, devant ces assauts, j’avais maintenu une attitude ferme. Chose certaine, c’est qu’aucune des dispositions de la loi qui tendaient à renforcer les Offices de producteurs agricoles, face aux puissants acheteurs de leurs produits, n’a été retranchée. Deux ans ont maintenant passé et nous pouvons faire le point. Qu’est-il advenu des sombres prédictions des industriels ? Nous n’avons encore entendu sonner le glas ni chanter le requiem d’aucune industrie alimentaire du Québec !
Pour ce qui est des critiques que la Coopérative Fédérée et
l’U.C.C. ont formulées à l’endroit de cette loi, le moment est aussi venu de les réexaminer, calmement, et si possible d’en faire une synthèse. Il va de soi que cette loi des marchés agricoles de 1963 est perfectible. En attendant la refonte qu’une plus longue expérience suggérera, un certain nombre d’amendements seront apportés à cette loi, au cours de la présente session. Il appartiendra aux porte-parole du monde agricole d’harmoniser leurs vues et d’en informer le gouvernement.
Quant à l’attitude du gouvernement vis à vis les
coopératives agricoles, le ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, M. Courcy, vous l’a déjà fort bien décrite, ` l’occasion de votre assemblée annuelle de l’an dernier. Le gouvernement désire aider le mouvement coopératif agricole du Québec à franchir la troisième étape de son ascension, celle qui le dirige vers les fusions désirables, vers la consolidation régionale de ses entreprises. Mais le coopératisme devra s’aider lui-même en cela; il est et doit demeurer le premier artisan de son évolution.
En ces dernières années, le gouvernement, s’autorisant d’un plan conjoint fédéral-provincial, a offert une aide financière importante aux coopératives agricoles dans le domaine de l’entreposage, à la condition que leurs membres s’imposent une discipline de production, de classement et de mise en marché. Cinq coopératives se sont prévalues de cette aide en 1963 et une en 1964.
Le gouvernement provincial fera en sorte que ce plan d’aide soit encore plus généreux en 1965. Mais il appartiendra aux coopératives elles-mêmes de se prévaloir de cette aide gouvernementale, qui tend à corriger, à leurs bases, quel que soit le régime des prix, les lacunes de notre production agricole.
Aménagement rural
Quelques mots sur l’importante question de l’aménagement rural. Nous savons tous qu’il existe au Québec des régions rurales que désavantagent leurs conditions de sols, de climat et d’éloignement des grands marchés. Le paupérisme qui caractérise ces régions y affecte tout autant le secteur non agricole que le secteur agricole. Par définition, ces régions n’ont qu’une vocation agricole partielle. C’est le but des lois fédérale et provinciale, toutes deux désignées par le sigle ARDA, que de favoriser le développement économique et social de ces régions par des programmes d’aménagement de toutes les ressources du milieu.
De tous les projets ARDA du Québec, le plus considérable est assurément le projet de recherche en aménagement rural qui
se poursuit actuellement dans l’immense région-pilote du Bas-St-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine. Commencée en 1963, cette entreprise, qui doit aboutir à l’élaboration d’un plan directeur de mise en valeur de toutes les ressources du milieu, se terminera au premier avril 1966. Une quarantaine d’aménagistes y sont à l’oeuvre et sollicitent la participation de toute la population régionale. Cette expérience est, par son envergure et sa méthodologie, une entreprise unique au Canada.
Il est certain que ce vaste projet n’a pas été compris d’emblée par toute la population régionale intéressée. Mais je crois pouvoir ajouter que le travail d’animation sociale qui se poursuit depuis plusieurs mois dans cette région porte déjà des fruits. Les gens qui font partie des comités
locaux et des comités de zone se rendent bien compte que le développement économique et social de la région est vraiment l’affaire de toute la population et que le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec se dévoue entièrement à la tâche qui lui a été confiée.
Vous avez pu lire dans les journaux que le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec et le ministère de l’Éducation ont organisé dans cette immense région-pilote des cours d’extension scolaire, offerts à tous les adultes qui désirent parfaire leur instruction générale, et leur permettant d’obtenir gratuitement un diplôme de 7e ou de 9e année. Le programme d’instruction qui vient d’être ainsi lancé prévoit une seconde phase qui sera consacrée à des cours de formation professionnelle. Le résultat aussi sensationnel qu’inespéré de cette première phase du programme d’instruction des adultes de la région-pilote est le suivant: 5000 adultes se sont inscrits à ces cours. Il me semble tout à fait certain qu’un tel résultat n’aurait pas pu être atteint sans le travail d’animation sociale rendu possible par l’existence des comités locaux et des comités de zone du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec.
J’ai laissé entendre au début de ce propos qu’aucun gouvernement ne parviendra jamais seul à résoudre le problème de l’agriculture et il en va de même du problème du développement des régions rurales désavantagées. Dans l’un et l’autre cas, le gouvernement doit pouvoir compter sur la collaboration franche, éclairée et majoritaire des premiers intéressés. J’ai confiance que cette collaboration s’établira. L’essor du Québec l’exige.
Amélioration du sort de l’agriculteur moyen
Je veux terminer par un message d’encouragement et d’espoir à l’adresse du producteur agricole du Québec qui s’efforce, malgré des conditions parfois difficiles, de faire de sa ferme une entreprise viable et rentable. Des mesures seront prises en vue de l’aider à traverser la difficile période de transition que nous connaissons présentement.
Certes, le gouvernement et son ministère de l’Agriculture et de la Colonisation entendent-ils poursuivre la mise en oeuvre d’une véritable politique du revenu agricole, une politique qui vise à corriger, à leur racine même, les malaises et les inadaptations de notre agriculture, mais une telle politique n’aura d’effet inévitablement, qu’à plus ou moins long terme. C’est pourquoi d’autres interventions s’imposent qui soient de portée plus immédiate.
J’ai mentionné au début la subvention gouvernementale de 10¢ la livre de gras en faveur des producteurs de lait de transformation, l’hiver. Plusieurs autres mesures de ce genre ont été approuvées en principe par le Conseil des ministres. Elles visent le drainage des fermes et la fertilisation des sols. D’autres, par exemple, touchent l’industrie laitière et l’élevage des porcs et du mouton. Toutes ces mesures ont été conçues en vue d’accroître sensiblement, dès 1965, le revenu de l’agriculteur moyen du Québec. Je regrette de ne pouvoir vous donner plus de détails ce soir. Le ministre de l’Agriculture et ses conseillers sont à préparer un livre blanc qui énoncera le détail des mesures proposées, livre blanc qui devrait être rendu public d’ici peu.
En terminant, je puis vous assurer à nouveau que le gouvernement continuera d’aider les agriculteurs qui peuvent et veulent s’aider, et que l’agriculture demeure au premier rang de ses préoccupations.
[QLESG19650215]
[Cérémonie du Drapeau Lundi, le 15 février 1965 Le Premier Ministre du Québec]
Ce n’est pas seulement au sommet d’une tour que doit être hissé notre drapeau, mais surtout dans notre coeur et dans notre esprit.
Il se présente à nos yeux en toute simplicité, comme un enfant qui vient de naître, mais un enfant plein de magnifiques promesses.
Ce drapeau doit être la preuve de notre foi en nous-mêmes. Il est un rêve de générosité qui sera ce que notre patriotisme fera de lui: le fruit du labeur patient du plus petit d’entre nous tout autant que les réalisations des intelligences les plus noblement audacieuses. Il sera riche de notre héritage et c’est à nous qu’il appartiendra de le rendre historique, car il n’est encore, au jour de sa naissance, qu’un désir d’être glorieux.
Un drapeau ne vaut que par le dialogue que l’on échange avec lui. C’est à nous de faire en sorte qu’il soit majestueux. Puisqu’il doit refléter l’âme canadienne, puisse-t-il ne refléter que la grandeur, l’idéal et la justice généreuse entre frères.
Cet emblème tout neuf dont nous pouvons choisir les souvenirs qu’il aura, qu’évoquera-t-il dans un siècle? Combien de fois, en lisant les plus belles pages du passé, nous sommes-nous dit avec autant de regret que d’émulation: « Comme j’aurais voulu être là, pour ajouter ma modeste pierre à l’édifice de la Patrie! » Eh bien, nous sommes présents au jour de la promesse; c’est nous qui, au carrefour, allons choisir la route; c’est nous qui pouvons vouloir que nos enfants soient fiers de la façon dont nous aurons pour toujours marqué ce moment. Nous avons un drapeau tel que l’ont désiré les esprits adultes quia sans renier leur filiation, quelle qu’elle soit, sans être traîtres au passé, veulent surtout et avant tout servir l’avenir afin que leur majorité s’épanouisse dans une individualité totale. Nous avons un drapeau qui symbolise un peuple responsable et fier, un drapeau qui est l’aboutissement logique d’un vouloir-vivre indépendant.
Demain matin, notre unifolié recevra pour la première fois le salut de l’aurore, puis il commencera son tour du monde, attirant les regards, tout d’abord intrigués, de ceux qui ne l’ont pas encore vu mais qui vont enfin se rendre compte que notre jeune pays vient de quitter sa robe prétexte pour endosser la toge virile
D’un océan à l’autre que ce drapeau soit le symbole du ralliement de tous les Canadiens. Je ne crains pas de prédire à chacun d’eux, de l’Atlantique au Pacifique, qu’ils ne pourront se défendre d’être émus, que leurs yeux seront doucement embués, le jour où, dans une capitale étrangère, ils découvriront soudain, flottant sur un édifice du Canada, ce drapeau bien à nous, rien qu’à nous: notre jeune gloire !
[QLESG19650301]
[Club de Réforme de Montréal Le lundi ler mars 1965, Le ler mars 1965 Le Premier ministre du Québec]
Il y a longtemps déjà que je n’ai eu le plaisir de me retrouver parmi vous en une occasion comme celle-ci. J’aurais pourtant voulu vous rencontrer beaucoup plus tôt pour vous entretenir de choses qui nous intéressent mutuellement. Les obligations multiples et combien lourdes qui incombent à un Premier ministre m’ont obligé malheureusement à reporter jusqu’à ce jour la joie d’être conférencier à l’un de vos déjeuners-causeries. Je sais que vous comprenez fort bien ma situation et que vous ne me portez pas rancune de vous avoir fait attendre plus longtemps que je ne l’aurais désiré !
Les déjeuners-causeries comme celui de ce midi offrent aux dirigeants du parti une excellente tribune pour énoncer publiquement les principes qui inspirent et guident leur action politique. Ils font de votre club un véritable foyer de la pensée libérale. Et c’est exactement le but que s’étaient fixé les fondateurs du Club de Réforme de Montréal but qui demeure aussi utile aujourd’hui qu’alors.
Le plaisir d’être des vôtres est d’autant plus grand pour moi ce midi que vous constituez un auditoire des mieux préparé à comprendre la signification profonde de l’oeuvre de reconstruction que, tous ensemble, nous avons entrepris d’accomplir. Ce qui explique facilement l’enthousiasme avec lequel vous avez épaulé, chacun dans votre milieu, les mesures nombreuses prises par le gouvernement pour remplir pleinement le mandat que lui ont confié les électeurs de la province.
Vous méritez sûrement de chaleureuses félicitations pour votre grand esprit de compréhension – qui vous amène à placer le bien-être général au-dessus de vos intérêts personnels – ainsi que pour votre foi profonde dans le bien-fondé de nos diverses entreprises dont le but ultime est de faire du Québec un État moderne On me permettra bien de joindre à ces félicitations mes remerciements personnels à l’adresse de tous ceux qui, dans le district de Montréal, ont contribué si généreusement par leur travail et leur dévouement à la victoire des candidats libéraux dans Saint-Maurice et Terrebonne. Les deux victoires du 14 janvier, tout comme celles qui ont été remportées dans Montréal-Verdun et dans trois autres comtés le 5 octobre dernier, ont conservé intact le dossier électoral de notre parti. Les libéraux, en effet, ont triomphé dans toutes les élections partielles qui ont eu lieu depuis le jour historique du 22 juin 1960, soit onze en tout. Le mérite d’une telle réussite revient dans une très large mesure à l’apport combien précieux qu’ont su fournir les militants du parti. Encore une fois, je les en remercie bien sincèrement.
On parle beaucoup de ce temps-ci de la constitution canadienne et de son rapatriement au pays. Le Chef de l’Opposition a même déclaré à deux ou trois reprises récemment que son parti allait faire une lutte à mort à la formule de rapatriement qui est présentement soumise à l’Assemblée législative, et
que lui-même est décidé à y jouer sa tête. C’est le cas de dire qu’il joue sur parole! Ça me fait vraiment de la peine que le député de Bagot accepte si allègrement de perdre la tête. Je désire tellement le garder en Chambre, car, comme Chef de l’Opposition, il me rend la vie tellement plus facile!
Je sais que tout ça finira par un compromis de sa part, et quand il comprendra le problème qui semble présentement le dépasser, au lieu de perdre la tête, il se contentera de perdre… la face!
Toute plaisanterie mise à part, il importe, lorsqu’on parle de rapatriement de la constitution, de se rappeler certaines choses. Sans vouloir faire l’historique de la question, on me permettra bien de souligner qu’il ne s’agit pas là d’une chose nouvelle. Déjà, en 1927, une conférence fédérale-provinciale abordait le sujet. D’autres conférences ont eu lieu en 1935, en 1950, et 1960-61 et, enfin, en septembre et octobre 1964, alors qu’on en arriva à la formule de rapatriement qui est maintenant soumise à la Chambre. Or, depuis toujours, le Québec a maintenu une attitude constante sur trois points: d’abord, la nécessité de rapatrier au plus tôt notre constitution; ensuite, la nécessité de soumettre toute modification importante de la constitution à la règle de l’unanimité; enfin, la nécessité de restreindre le pouvoir unilatéral d’amendement du Parlement fédéral. Encore une fois, le Québec a toujours parlé d’une seule voix sur ces trois points et cela, depuis aussi longtemps que 1927.
Il est étonnant et même renversant de voir jusqu’à quel point le Chef de l’Opposition et ses partisans sont ignorants de l’histoire de leur propre parti. Comment peuvent-ils avoir déjà oublié que le fondateur de l’Union Nationale, feu Maurice Duplessis, pour bien souligner l’importance qu’il accordait au rapatriement de la constitution, déclarait lui même à l’ouverture de la conférence de 1950, et je cite [ » .. la province de Québec est absolument en faveur d’une constitution essentiellement canadienne, élaborée et édictée au Canada, par des Canadiens et pour les Canadiens et basée sur l’esprit fédératif et l’âme même de l’Acte de l’Amérique britannique du nord de 1867. »] Remarquez que ce n’est pas le seul oubli dont sont victimes de ce temps-ci les membres de ce parti en pleine désintégration. Encore ces jours derniers, plus exactement le vendredi 12 février, ils furent tout surpris d’apprendre de la bouche du ministre de l’Éducation qu’en votant une loi au sujet des pensions de vieillesse en 1951, l’Union nationale avait autorisé un amendement à la constitution, alors que la loi en question ne donnait même pas le texte de l’amendement et laissait plutôt au premier ministre du temps, monsieur Duplessis, le soin d’en définir la portée en coopération avec les autorités fédérales. Ce qui a fait dire à mon collègue, l’honorable Paul Gérin-Lajoie, que c’est monsieur Duplessis qui avait, sans que ses ministres et députés s’en fussent rendu compte, inventé le fédéralisme coopératif que s’évertue maintenant à dénigrer l’Union nationale. L’histoire est tout autre en ce qui concerne la formule de rapatriement de la constitution. Alors que l’Union nationale et
son chef n’avaient pas de mandat du peuple pour consentir à un amendement comme ils l’ont fait en 1951, le gouvernement et le parti que je dirige ont soumis à deux reprises la question du rapatriement de la constitution au jugement des électeurs qui nous ont accordé leur confiance.
En effet, il est dit à l’article 44 de notre manifeste électoral de 1960, et je cite: » Québec proposera le rapatriement de la constitution « . C’est le mandat que nous avons reçu da peuple le 22 juin 1960 et nous entendons bien le respecter. C’est pourquoi d’ailleurs je n’ai pas hésité à soulever de nouveau cette question dès la Conférence des premiers ministres du mois de juillet 1960. Je l’ai fait dans les termes suivants: » Il existe présentement des restrictions importantes à la souveraineté fédérale et provinciale, puisque nous ne pouvons pas, sous plusieurs rapports, amender nous-mêmes notre constitution. Ceci constitue une anomalie et un vestige de colonialisme inacceptables. »
Or, vous ne l’avez sûrement pas oublié, amis libéraux, nous avons fait de nouveau appel aux électeurs en novembre 1962, et l’approbation que nous en avons reçue fut encore plus enthousiaste qu’en 1960. Et que dire aussi des résultats obtenus dans les onze élections partielles, comme je l’ai souligné tout à l’heure. Aussi, je ne crains pas d’affirmer que nous avons bel et bien reçu un mandat de la population au sujet du rapatriement de la constitution et que nous faisons honneur à notre engagement en soumettant à l’Assemblée législative la formule de rapatriement que vous connaissez déjà. Mon intention n’est pas, ce midi, de vous décrire tous les mérites de la formule proposée. J’aurai amplement l’occasion de le faire en Chambre. Je m’en voudrais cependant de ne pas attirer votre attention sur la nécessité pour le Québec d’exiger, pour tout ce qui concerne les changements fondamentaux, qu’on s’en tienne à la règle de l’unanimité qui prévaut actuellement. Cela, à cause de la vocation particulière du Québec, qui est la mère-patrie d’un groupe ethnique minoritaire.
Je n’ai pas, je le crois bien, à prouver que toute minorité doit chercher à garantir ses droits par des règles constitutionnelles précises. Je n’ai pas à insister, non plus, sur le fait qu’une règle constitutionnelle n’est réellement à toute épreuve que dans la mesure où elle ne peut pas être modifiée sans le consentement de la minorité qu’elle protège. La distribution des pouvoirs législatifs découlant de la constitution canadienne est le fondement même de l’autonomie du Québec. Il est dès lors évident que cette distribution ne doit pas pouvoir être changée sans son consentement.
Malgré la logique de notre attitude à cet égard, il s’en trouve encore certains pour soutenir que la rigidité même de la formule empêchera toutefois le Québec d’obtenir la réforme constitutionnelle qu’il désire. C’est là d’abord oublier que la règle d’unanimité est celle qui prévaut à l’heure actuelle en raison des conventions constitutionnelles existantes. À brève échéance, donc, il ne sera ni plus ni moins facile d’obtenir une révision constitutionnelle après le rapatriement qu’il ne l’est actuellement. C’est aussi oublier la règle de justice élémentaire qui veut que si le Québec demande un droit de veto, il doit aussi, dans la situation actuelle, accepter d’accorder le même droit aux autres provinces. Jamais, dans aucune conférence constitutionnelle, le Québec n’a réclamé le droit de veto pour lui seul. Il a toujours été clair que ce que nous demandions pour nous, nous étions prêts à le reconnaître aux autres.
Mais, il y a plus. Il ne faut pas oublier que le veto n’est pas seulement une arme défensive. Il est aussi une arme offensive puissante en vertu de ce qu’on appelle communément le [« bargaining power »] ou pouvoir de marchandage, et qu’on pourrait nommer plus élégamment le pouvoir de persuasion. Aussi, s’opposer au droit de veto dans l’optique d’une révision constitutionnelle, c’est méconnaître grandement la véritable portée de ce pouvoir. En réalité, deux hypothèses sont possibles: ou bien le Québec et le reste du Canada désirent des changements dans la même direction, et alors le veto des autres provinces est inoffensif; ou bien le Québec demande des réformes dans un sens disons la décentralisation et le reste du Canada demande des réformes dans un autre sens, disons la centralisation. Dans ce dernier cas, il est vrai que les autres provinces peuvent bloquer les réformes proposées par le Québec, mais le Québec à son tour peut bloquer les réformes que désirent les autres provinces. Dans de telles circonstances, il n’y aurait d’autre solution que de reconnaître des vocations différentes pour le Québec d’une part et les autres provinces d’autre part. De la sorte, le droit de veto du Québec sur l’évolution de la situation constitutionnelle du pays tout entier peut se révéler l’un des instruments les plus puissants que nous ayons pour atteindre les objectifs qui nous sont chers.
Il y a un autre mérite de la formule proposée que je tiens à souligner à votre attention alors que dans beaucoup de milieux on s’interroge de plus en plus sur la place qui doit être faite à la langue française, tant au Québec que dans les autres provinces du Canada. C’est la première fois dans l’histoire de notre pays que le français est mis sur un pied d’égalité avec l’anglais dans un texte constitutionnel émanant du Parlement britannique. Ce précédent ouvre la porte à une version française officielle de l’ensemble de notre constitution. S’il est vrai, comme plusieurs l’ont dit, que la constitution, malgré ses 97 ans, n’a pas encore appris à parler le français, on doit reconnaître que lorsqu’elle s’y met, elle apprend vite!
Et en parlant du français, je n’ai pas à rappeler qu’il est la langue de la très grande majorité des citoyens du Québec. Véhicule d’une culture particulière, le français – notre langue maternelle – est à la fois le résultat d’une civilisation aux caractéristiques puissantes et un facteur essentiel d’une façon de penser et d’envisager la vie. Tout ce qui influe sur la langue a infailliblement des répercussions sur la vie sociale, sur la culture d’un peuple dans son sens le plus large. Le rapport Parent a exposé, sur l’enseignement du français, des considérations fort utiles. Mais la valorisation de cet enseignement, son amélioration, la mise à son service de toutes les techniques audio-visuelles les plus perfectionnées, ne serviront à rien si le climat socio-culturel dans lequel se trouve plongé l’étudiant au sortir de l’école n’est pas favorable à un épanouissement complet d’une culture linguistique française authentique. Si nous devions appliquer les recommandations du rapport Parent sur l’enseignement du français sans faire d’effort sérieux pour redonner à la langue de la majorité la place qui lui revient de droit, dans notre société québécoise, nous ne réussirions qu’à former des Canadiens français dépaysés sur le plan linguistique, dotés d’une langue de serre-chaude
sans utilité dans la vie quotidienne.
La langue française, dans la province de Québec, ne doit pas se contenter du statut de langue familiale, de langue paroissiale, de langue du peuple, de langue quelque peu folklorique. Elle doit être, sans complexe d’infériorité, la langue de la vie courante dans tous les domaines.
Il est important de réagir contre des situations de faits qui sont inacceptables dans un État qui se veut le centre rayonnant de la culture française en Amérique du Nord. L’enseignement du français dans nos écoles primaires et secondaires ne suffit pas. Il faut dans nos institutions l’enseignement en français avec manuels français dans les techniques et les professions. Le français ne doit pas se contenter d’être la langue des subalternes dans le commerce et l’industrie; il doit être la langue usuelle de nos techniciens, ingénieurs experts et chefs d’entreprise.
Impossible, diront sans doute quelques échines trop souples. Alors… je me cabre! Car j’en ai assez de ce défaitisme! L’exemple de l’Hydro-Québec qui n’utilise que le français dans ses plans et devis et comme langue de travail sur ses chantiers gigantesques de la Manicouagan nous fournit quotidiennement une preuve que même en Amérique le français est une langue que l’on peut utiliser dans les techniques même les plus audacieuses.
Mais pour parvenir à ce résultat, il faut trouver le moyen d’éviter, dans nos universités et écoles techniques supérieures, le recours constant à des manuels de langue anglaise. Cet usage abusif conditionne nos futurs ingénieurs, nos futurs médecins, nos futurs techniciens, à envisager le français comme langue d’importance secondaire et les techniques françaises comme nécessairement en retard sur les techniques américaines.
Est-il nécessaire de souligner que plusieurs des techniques les
plus audacieuses tant en médecine qu’en génie ont à leur origine des concepts français.
Cela ne veut pas dire que nous rejetons de fait les techniques américaines et anglaises. Cela ne veut pas dire que nous refuserions de parler anglais et de communiquer en anglais avec nos concitoyens
anglophones. Mais la primauté du français au Québec est une nécessité vitale non seulement pour assurer notre survie comme groupe à culture française, mais également pour apporter à l’ensemble du Canada un élément puissant de résistance à l’envahissement de la culture américaine.
La primauté du français au Québec, c’est-à-dire son usage quotidien le plus étendu possible, est tout d’abord une condition essentielle au bilinguisme et au biculturalisme du Canada. Autrement, le bilinguisme perd tout son sens et devient une situation transitoire en attendant l’unilinguisme anglais d’un bout à l’autre du pays à plus ou moins longue échéance, et la réduction du français au rang de simple langue folklorique, dite de « culture » dans un sens très restreint.
La primauté du français au Québec signifie que les documents de travail des entreprises commerciales et industrielles établies dans le Québec devraient être en français, ou à la rigueur bilingues, pour que leurs employés d’administration interne n’aient pas à se servir nécessairement de l’anglais comme langue de travail quotidien. Nous croyons que c’est là une exigence normale imposée par le respect qu’une entreprise doit avoir du caractère culturel de la population au sein de laquelle elle est établie.
La primauté du français au Québec signifie que tous les fonctionnaires de l’administration fédérale dans le Québec, qu’ils soient employés de bureaux ou de ministères du gouvernement fédéral, ou de sociétés de la Couronne relevant du gouvernement fédéral, ou encore des membres des forces armées et de la Gendarmerie Royale, puissent se servir du français comme langue de travail, utiliser des formulaires français et communiquer en français avec leurs supérieurs dans la capitale fédérale.
Est-ce à dire qu’il est nécessaire, pour le gouvernement du Québec, de décréter, par législation, l’unilinguisme français? À mon sens, ce serait mettre la charrue devant les boeufs. Ce serait même dangereux à cause de l’illusion confortable qui en résulterait. Vraiment, ce n’est pas par voie de législation que l’on améliorera en pratique la situation du français au Québec. Il faut plutôt que l’on puisse trouver, chez les Québécois, une volonté clairement manifestée par des actes et des exemples. Nous, Canadiens français, devons nous faire un point d’honneur de nous présenter sous notre vrai visage français. Autrement, nous ne pouvons que nous rendre ridicules. Nous devons, comme on nous le répète depuis notre jeunesse, parler notre langue et la bien parler. Car si, comme je l’ai répété avec insistance dans ce discours, nous redoutons de la voir réduire au rang de langue folklorique, commençons par n’être pas les premiers coupables, les premiers traîtres, les premiers colonnards, chez nous, en public, sur les scènes de théâtre, à la radio et à la TV.
Nos hommes d’affaires canadiens-français doivent cultiver cette fierté naturelle de leur langue qui les poussera à donner à leurs entreprises des raisons sociales françaises, à arborer leur
véritable visage français et à prendre des mesures immédiates pour débarrasser le Québec de toutes ces affiches qui, avec leur enduit américain, en masquent la véritable personnalité. En somme, nous devons d’abord croire nous-mêmes à notre langue, la respecter et l’améliorer par les gestes voulus, quotidiens par leur répétition et constants dans leur intention.
Ce n’est qu’à partir de notre volonté et de notre action comme citoyens que pourra s’effectuer une valorisation véritable du français dans le Québec. Car, alors seulement, nous aurons démontré notre désir profond d’atteindre, par notre propre langue, un épanouissement plus complet de notre culture personnelle et de la culture collective du peuple canadien-français. Le français ne serait pas alors un symbole qu’on imposerait à d’autres, mais un moyen de communication humaine que tous les Canadiens auraient avantage à connaître et à utiliser. L’attitude positive que nous devons prendre vis-à-vis du français me paraît d’autant plus nécessaire par suite du rapport que vient de publier la Commission Laurendeau-Dunton. La revalorisation de notre langue condition essentielle au bilinguisme et au biculturalisme, se révèle en effet un des moyens vraiment efficaces que possède le Québec pour aider à résoudre la crise majeure que traverse le Canada. Car, comme je viens de le dire, c’est un élément puissant de résistance à l’envahissement de la culture américaine que redoutent et combattent avec raison tous les Canadiens dignes de ce nom. En accordant au français la primauté à laquelle il a droit, le Québec donnera au bilinguisme tout son véritable sens.
Le rapatriement de la constitution est un autre apport indispensable à la solution des problèmes graves auxquels fait face notre pays. Il fera disparaître les derniers vestiges du colonialisme et procurera à tous le sentiment profond de vivre et d’oeuvrer dans un Canada maître de sa propre destinée. Pour nous du Québec, pela implique que le rapatriement doit nous garantir nos droits sacrés. C’est la raison du droit de veto qui requiert forcément la rigidité, comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure.
En d’autres mots, c’est en continuant de s’affirmer que le Québec contribuera le mieux à faire du Canada un pays authentiquement canadien.
Sachons affirmer, par nos actes individuels et collectifs, la primauté de notre langue et de notre culture chez nous.
Sachons nous comporter, non pas comme une minorité dans le tout canadien, mais bien comme des partenaires égaux dans ce Canada qui est le nôtre.
Sachons dialoguer avec nos concitoyens des autres provinces de manière à bien leur faire comprendre le Québec et ses aspirations.
Sachons démontrer, par notre comportement, que les droits des deux langues et des deux cultures doivent être acceptés et reconnus également à travers tout le Canada.
C’est ce dialogue que, par mes discours, j’ai tenté d’engager depuis qu’on m’a confié la tâche, en 1960, de diriger notre province. C’est celui que je continuerai de prêcher lors de ma tournée dans l’Ouest au début de l’automne. Je m’efforcerai de faire comprendre le Québec et ses aspirations légitimes à ceux qui nous connaissent trop peu ou pas du tout. Et je ferai appel à la compréhension mutuelle comme je l’ai toujours fait.
Fasse le ciel que mes humbles efforts et surtout ceux de tous les Canadiens de bonne volonté réduisent à néant les pronostics les plus pessimistes de la Commission Laurendeau-Dunton qui vont jusqu’à envisager la destruction de notre patrie, le Canada.
Bien au contraire, quel que soit le prix du remède ou son amertume! – je crois que les chances de guérir d’une maladie grave parfaitement diagnostiquée, sont plus grandes que celles de supprimer les malaises mal définis des demi vivants ou des pusillanimes qui ont peur des examens médicaux de vérification! Si la gravité du diagnostic Laurendeau-Dunton que nous venons d’entendre nous a serré le coeur – c’est signe que nous tenons à la vie!
Nous voilà au moins sûrs d’une chose: nous repoussons le désespoir et le « vouloir – mourir », nous refusons de nous laisser désintégrer et nous avons plutôt la vision d’une grande patrie qui marche dans le sens de l’Histoire, c’est-à-dire non pas dans les ruelles de l’égoïsme, de la mesquinerie, de l’impuissance, de la crainte des saines confrontations, mais sur l’autostrade de l’unité et de la cohésion, vers la force, vers la grandeur, vers les plus hautes cîmes du prestige international.
[QLESG19650310]
[La Chambre de Commerce de Québec À publier après 6:30 h. P.M.
Mercredi, le 10 mars 1965 Mercredi, le 10 mars 1965 Manoir St-Castin, Lac Beauport
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre.]
Nous célébrons en 1967 le centenaire de la Confédération. Notre pays, le Canada, s’est complètement transformé au cours des cent dernières années. La population toujours grandissante a ouvert des territoires nouveaux à l’est, à l’ouest et au nord. Des travaux gigantesques ont été réalisés dans nombre de domaines. Le procédé d’industrialisation s’est étendu rapidement. Et le commerce a pris tellement d’ampleur que le Canada est devenu l’une des grandes puissances commerciales du monde.
En même temps qu’il s’affirmait par des réalisations nombreuses et plusieurs réussites spectaculaires, notre pays se donnait les instruments politiques, économiques et sociaux qui font des états adultes. Il acquérait également son indépendance. Aujourd’hui, il affiche la plupart des signes extérieurs de sa souveraineté: monnaie, timbres, douanes, armée, ambassades et consulats, siège aux Nations Unies, etc. Il y a à peine quelques semaines, il se donnait un drapeau distinctif bien à lui.
Le temps est maintenant venu pour le Canada de rapatrier sa constitution. Notre pays ne saurait accepter plus long temps d’avoir à s’adresser au Parlement britannique chaque fois qu’il désire procéder à des modifications constitutionnelles. Les provinces surtout ne peuvent se le permettre, car le temps joue contre elles. N’oublions pas en effet que ce sont les provinces qui ont, de fait, le plus à gagner de la définition constitutionnelle d’une procédure d’amendement qui garantit leurs droits et assure leur participation à tous les amendements qui les intéressent. Et c’est exactement ce que fait la formule de rapatriement qui est présentement soumise à l’Assemblée législative.
Dès 1946, une autorité en la matière, le professeur H.F. Angus, écrivait dans un journal spécialisé que l’évolution favorisait de plus en plus le Parlement fédéral. La tendance, disait-il, [« is towards concentrating power for… constitutional amendment… in the bands of the Parliament of Canada. Time, that is to say, is running against the provinces. It is all the more curious that a move for establishing written law on the subject should not corne from them, while they still have some bargaining power in the matter and when by choosing their time they can act together and not be obliged to face thèse issues in particular instances in which their interests are divergent. »]
Le rapatriement de la constitution, grâce à la formule proposée, renverse cette tendance au grand avantage des provinces. Que les provinces aient le plus à gagner de la définition légale d’une procédure d’amendement, comme je viens de l’expliquer, serait une raison suffisante, surtout pour le Québec, de vouloir rapatrier au plus tôt la constitution. Il y en a d’autres tout aussi impérieuses qui démontrent bien la nécessité du rapatriement. Rappelons tout d’abord que le sujet n’est pas nouveau.
Déjà, en 1927, une conférence fédérale-provinciale abordait la question. On en a également parlé aux conférences de 1935, de 1950, de 1960-61 et, enfin, en septembre et octobre 1964, alors qu’on en arriva à la formule de rapatriement qui est maintenant devant la Chambre. Or, s’il y a un point sur lequel le Québec a maintenu une attitude constante, c’est bien celui de la nécessité de rapatrier au plus tôt notre constitution.
Ainsi par exemple en 1950, le Premier ministre du temps, pour bien souligner l’importance qu’il accordait au rapatriement de la constitution, déclarait des l’ouverture de la conférence, et je cite: » la province de Québec est absolument en faveur d’une constitution essentiellement canadienne, élaborée et édictée au Canada, par les Canadiens et pour les Canadiens et basée sur l’esprit fédératif et l’âme même de l’Acte de l’Amérique britannique du nord de 1867. »
Pour ma part, je n’ai pas hésité à soulever de nouveau la question à la conférence des Premiers ministres de 1960. Je l’ai fait dans les termes suivants: « Il existe présentement des restrictions importantes à la souveraineté fédérale et provinciale, puisque nous ne pouvons pas, sous plusieurs rapports, amender nous-mêmes notre constitution Ceci constitue une anomalie et un vestige de colonialisme inacceptables. »
Je le répète: alors que nous nous apprêtons à célébrer le centenaire de la confédération et à tenir la même année à Montréal une exposition universelle, il est plus que temps d’entrer en possession de notre constitution et de faire ainsi disparaître ce dernier vestige de colonialisme.
On me permettra bien de souligner ici l’illogisme ou, du moins, l’inconscience de ceux qui parlent de refaire à neuf la constitution mais qui, en même temps, s’opposent à son rapatriement. Comment peut-on songer à modifier profondément ou même à réécrire la constitution sans d’abord prendre les moyens qu’il faut pour que nous, comme Canadiens et Québécois, en devenions les dépositaires !
Il n’est pas possible présentement d’apporter le moindre changement important à la constitution sans passer par Londres. C’est inacceptable, d’abord parce que c’est humiliant pour un pays qui se sait souverain, ensuite parce qu’une telle façon de procéder n’offre pas aux provinces toutes les garanties pour l’avenir.
Ce qui caractérise la situation actuelle, ce sont précisément l’absence de règles juridiques bien définies et la présence d’usages constitutionnels plus ou moins bien reconnus. Certains de ces usages sont de longue date et peuvent être considérés comme certains; d’autres sont plus récents et, par conséquent, plus sujets à caution.
Un usage qui est maintenant bien acquis, c’est que le Parlement britannique ne modifiera pas la constitution canadienne sans que le Canada ne lui en fasse la demande et que, corollairement, si le Canada fait cette demande, le Parlement britannique y accédera sans discussion. La première partie de cet usage a été officiellement reconnue dans le préambule du Statut de Westminster et, de plus, a été renforcée par la règle d’interprétation contenue à l’article 4 du dit statut. La deuxième partie de cet usage découle à la fois de la première ainsi que du statut d’égalité qui existe entre les pays du Commonwealth.
Un deuxième usage semble également bien établi. Les autorités fédérales sont seules considérées comme les porte-parole autorisés du Canada pour tout ce qui touche la modification de la constitution canadienne, du moins dans les matières qui ne sont pas du ressort exclusif des provinces. Dans ces matières, le Parlement britannique refusera d’agir sur la seule demande d’une province, ainsi que l’ont prouvé maints précédents. Et, bien que cela soit moins certain, on peut croire que le Parlement britannique accéderait à une demande des autorités fédérales malgré l’opposition formelle d’une ou de plusieurs provinces.
Il y a enfin un troisième usage, plus récent mais rigoureusement suivi par les autorités fédérales. Dans les matières qui concernent toutes les provinces, celles-ci sont consultées et doivent consentir au changement projeté avant qu’une demande ne soit faite à Londres pour le sanctionner. Cette règle s’applique, en particulier, à tout ce qui touche la distribution des pouvoirs législatifs. En conséquence de ces usages, on doit reconnaître que la règle qui régit actuellement tous les changements fondamentaux de la constitution est celle de l’unanimité. À cause des réalités politiques actuelles, les autorités fédérales se sentent bien obligées en effet de consulter toutes les provinces et d’obtenir leur consentement avant de demander à Londres un changement constitutionnel le moindrement important. Nier ces réalités ne serait qu’une politique d’autruche. Les reconnaître n’est qu’un sain réalisme.
Ce qu’il faut bien souligner cependant – et l’on doit ne jamais l’oublier,- c’est que cette règle de l’unanimité n’est pas une règle légale, mais tout simplement une règle coutumière. Elle ne repose, en définitive, que sur la pression que l’opinion publique exerce sur le gouvernement fédéral. Si, dans l’immédiat, on peut compter qu’elle sera scrupuleusement observée, rien ne garantit qu’il en sera toujours de même dans l’avenir.
Autre point à retenir: cette règle de l’unanimité ne s’applique qu’aux changements fondamentaux. Or, c’est le gouvernement fédéral qui, présentement, décide unilatéralement quelles modifications sont fondamentales et lesquelles ne le sont pas. En cas de désaccord, c’est juridiquement toujours le Parlement fédéral qui a le dernier mot.
On sait que Québec et Ottawa n’ont pas toujours partagé les mêmes opinions sur les amendements à la constitution. Par exemple, lorsque Ottawa décida unilatéralement, en 1949, de se faire octroyer par Londres un pouvoir exclusif d’amendement constitutionnel, le Québec protesta et demanda à être consulté. D’autres provinces se joignirent à lui. Mais le gouvernement fédéral fit la sourde oreille et rien ne l’empêcha de mettre ses desseins à exécution.
L’amendement de 1949 fut, en réalité, un changement d’une très brande importance. Depuis lors, le Parlement fédéral peut sans avoir a consulter qui que ce soit, modifier la constitution sur plusieurs points qui intéressent indiscutablement les provinces, quoi qu’on dise. Il peut, par exemple, comme il l’a fait en 1952, modifier la représentation des provinces à la Chambre des Communes. Rien ne l’empêche non plus d’abolir le Sénat, d’y modifier la représentation des provinces ou le mode de nomination des sénateurs. En fait ce pouvoir est couché dans des termes si généraux qu’il est susceptible d’une grande extension. Plusieurs prétendent qu’il aurait pu servir à faire adopter l’amendement de 1960 concernant la retraite forcée des juges des cours supérieures des provinces, sans recours à Londres et sans consentement des provinces. On peut se demander s’il ne pourrait pas s’étendre à la modification de la fonction de lieutenant-gouverneur, touchant ainsi à l’essence même du pouvoir provincial.
Donc en fait, l’amendement de 1949 est un changement obtenu par le Parlement fédéral grâce à la place prédominante qu’il occupe dans le processus actuel d’amendement constitutionnel. Il s’agit aussi d’un changement qui, lui même, ouvre la porte à une action unilatérale encore plus grande de la part du gouvernement central. Cela illustre bien la situation insatisfaisante dans laquelle nous nous trouvons maintenant. Cela montre également jusqu’à quel point ceux qui prétendent que la situation actuelle peut continuer sans danger et que le Québec n’a aucun intérêt au rapatriement de la constitution ignorent la réalité constitutionnelle telle qu’elle se présente aujourd’hui.
S’il y a à la fois urgence et nécessité de procéder au rapatriement de la constitution, je crois par contre que celui-ci doit se faire au moyen d’une formule qui garantit les droits sacrés du Québec. Je l’ai dit et je le répète: c’est exactement l’assurance que nous donne, à nous du Québec, la formule que l’Assemblée législative est appelée à ratifier.
Mais avant d’examiner quelques-uns des avantages les plus marquants de la formule proposée, il importe, je crois, de considérer les objectifs que le Québec doit poursuivre dans l’évolution constitutionnelle de notre pays.
J’ai déjà mentionné que c’est la règle de l’unanimité qui prévaut actuellement en ce qui concerne les changements fondamentaux. Ainsi, le choix qui s’offre au Québec, c’est soit de donner un statut juridique à cette règle et de la rendre ainsi définitive, soit de la remplacer par une règle plus souple. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement du Québec a choisi la procédure la plus sûre celle du droit de veto et de l’unanimité. À mon point de vue et à celui de mes collègues, il n’y en a pas d’autre qui soit acceptable.
En effet, nous devons tenir à la règle de l’unanimité. Ceci, en raison de la vocation particulière du Québec qui est, de fait, la mère-patrie d’un groupe ethnique minoritaire au Canada. Je n’ai pas à prouver, je pense bien, que toute minorité doit chercher à garantir ses droits par des règles constitutionnelles précises. Je n’ai pas à insister, non plus, sur le fait qu’une règle constitutionnelle n’est réellement à toute épreuve que dans la mesure où elle ne peut pas être modifiée sans le consentement de la minorité qu’elle protège.
La distribution des pouvoirs législatifs découlant de la constitution canadienne est le fondement même de l’autonomie du Québec. Il est dès lors évident que cette distribution ne doit pas pouvoir être changée sans son consentement. C’est là ce qu’on a toujours voulu dire en soutenant que la Confédération est un pacte soit entre les provinces originales, soit entre les deux groupes ethniques fondateurs. Parce que le Québec a son particularisme propre, parce que le groupe qu’il représente est minoritaire, il doit avoir un droit de veto sur tout changement constitutionnel important qui peut porter atteinte à ses pouvoirs. Le Québec a toujours réclamé ce droit de veto, et le gouvernement que je dirige croit qu’il est encore nécessaire de le réclamer. Si certains pensent que le Québec peut dorénavant se dispenser de ce droit et mettre ainsi son avenir constitutionnel dans les mains d’une majorité de provinces, nous leur demandons de le dire clairement et sans équivoque.
Certains disent s’opposer à la règle de l’unanimité parce qu’ils craignent qu’elle empêchera l’avènement d’un statut particulier pour le Québec. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces objections sont mal fondées. Il nous faut accepter les réalités telles qu’elles sont. On ne peut pas avoir en même temps les avantages de la rigidité constitutionnelle et ceux de la flexibilité. Si le Québec un jour réclame un statut différent de celui des autres provinces, c’est par sa force politique, par sa fermeté et avec l’accord des autres provinces qu’il l’obtiendra. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui et c’est celle où nous nous trouverons demain – quels que soient les textes législatifs et l’endroit où se trouve la constitution. Car en pareille matière, il faut, à cause des réalités politiques, qu’il y ait un consensus général, l’accord de tous les intéressés.
Mais il y a plus: une fois le statut particulier atteint, il serait encore nécessaire de maintenir la règle de l’unanimité si l’on ne veut pas que ce statut puisse ensuite être enlevé au Québec sans son consentement. En effet, un statut particulier accordé par une majorité de provinces risquerait toujours d’être défait ou modifié par une nouvelle majorité de provinces. Le Québec ne serait ainsi jamais maître de son sort. Plus la règle serait souple et moins la majorité aurait besoin d’être élevée, plus le statut du Québec serait aléatoire. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre statut particulier et règle de l’unanimité.
Par contre, une fois que la sécurité constitutionnelle est garantie, rien n’empêche une certaine flexibilité dans l’exercice quotidien des pouvoirs. C’est là le but de la délégation des pouvoirs législatifs qui est actuellement prévue. Cette délégation constitue, en fait, un élément constitutionnel nouveau qui a été proposé par les autres provinces et dont il est encore difficile de prévoir l’utilisation. Ce pouvoir existe dans d’autres constitutions fédérales comme celle de l’Australie où on en fait un usage très modéré. Il est probable qu’il servira au Canada à faciliter certaines ententes administratives entre les gouvernements qui le désireront. En réalité, la délégation des pouvoirs n’a pas de lien nécessaire avec le rapatriement de la constitution. On pourrait très bien la concevoir et la prévoir indépendamment du rapatriement lui même et pour d’autres raisons.
Dans un exposé de ce genre, il était nécessaire, je crois, de décrire sommairement l’état actuel du droit et de définir brièvement les objectifs à poursuivre par le Québec. Voyons maintenant les grands mérites de la formule qui a été approuvée par tous les premiers ministres du Canada et que nous demandons à l’Assemblée législative de ratifier.
Il faut apprécier la valeur de cette formule en l’examinant dans son ensemble et par rapport à la situation qu’elle corrige. En pareille matière, aucune méthode ne peut être absolument parfaite et, pour déterminer le véritable mérite d’une formule en particulier, il faut en comparer les avantages et les inconvénients. À ce compte, la formule proposée est très acceptable car ses avantages dépassent largement les quelques inconvénients mineurs qu’elle peut comporter.
Les mérites de la formule sont de deux ordres chacun présentant des avantages très spécifiques. Ceux de la première catégorie assurent la reconnaissance des droits que le Québec a toujours réclamés. C’est ainsi que la formule définit précisément la procédure d’amendement; garantit l’autonomie des provinces; conserve au Québec un pouvoir d’amendement unilatéral sur sa propre constitution; restreint le pouvoir unilatéral d’amendement du Parlement fédéral, et reconnaît un statut officiel à la langue française dans un document constitutionnel!
Actuellement, comme je l’ai souligné plus tôt, il n’y a pas d’autres garanties quant à la façon dont les amendements constitutionnels sont apportés que des coutumes plus ou moins bien définies. Il n’y a pas de texte de loi. Or, rien ne nous assure que le Parlement fédéral ne se servira pas des circonstances favorables qui pourraient se présenter dans l’avenir pour se faire accorder unilatéralement de nouveaux pouvoirs.
Rappelons-nous que déjà, en 1949, le Parlement fédéral s’est servi de sa position privilégiée pour se faire octroyer des pouvoirs d’amendements constitutionnels très largement définis, et cela non seulement sans consulter les provinces mais encore malgré les protestations de plusieurs d’entre elles, dont le Québec. Ce danger sera définitivement écarté par le rapatriement proposé, car on y définit de façon précise la procédure d’amendement constitutionnel – chose qui peut-être aurait pu être acquise depuis longtemps si le Québec avait toujours pratiqué une autonomie positive comme nous le faisons depuis 1960.
D’un autre côté, l’article 2 du projet donne un droit de veto à chacune des provinces, donc aussi au Québec, sur tout amendement touchant les pouvoirs législatifs, les droits, privilèges, actifs et biens des provinces, l’usage de l’anglais et du français. Les droits acquis en matière d’éducation sont garantis par l’article 4. Selon ces articles, le Québec a un droit de veto non seulement sur sa propre évolution constitutionnelle mais aussi sur celle du Canada tout entier. Cela, on le devine bien, assure à notre province un pouvoir de marchandage considérable dans toute révision du régime constitutionnel – un pouvoir dont on ne peut ni ne doit sous-estimer les conséquences possibles.
Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’il s’agit en l’occurrence, d’une grande victoire constitutionnelle pour le Québec. Le droit de veto sur tout changement important a toujours été la demande fondamentale du Québec. Encore une fois, cette exigence tient au particularisme propre de notre province et ne peut pas être abandonnée. Le simple fait que les autres gouvernements aient accepté de reconnaître cette exigence particulière et constante du Québec, est très significatif. Non seulement il garantit nos droits acquis mais il fait bien augurer de l’avenir.
Il est bon de souligner également que la province conserve intact son pouvoir d’amender unilatéralement et sans le concours de personne sa propre constitution – sauf, comme c’est le cas présentement, en ce qui concerne la fonction de lieutenant-gouverneur. C’est ainsi qu’on retrouve à l’article 7 du projet de rapatriement les pouvoirs qui se trouvent présentement au premier paragraphe de l’article 92 de l’Acte de l’Amérique britannique du nord de 1867. Il convient de faire remarquer à ce propos que cette clause contient les mots « nonobstant ce que prévoit la constitution du Canada, lesquels donnent une priorité absolue à ce pouvoir d’amendement, même sur les autres articles du projet lui même. C’est là une garantie intangible d’une pleine autonomie et d’une pleine autorité sur nos institutions politiques provinciales. Ceux qui veulent prétendre que le rapatriement soumettrait au consentement d’autrui toute décision du Québec affectant un domaine de sa propre juridiction, feraient bien de lire attentivement la formule et, au besoin, de se la faire expliquer.
Par contre, la formule proposée reconnaît que le pouvoir d’amendement de l’article 91, paragraphe 1 que le pouvoir central s’est fait octroyer unilatéralement en 1949 – est exprimé dans des termes trop généraux et ignore la nature même de notre régime fédératif. Dans toute véritable fédération, il est essentiel que les États-membres participent à la constitution et au fonctionnement des organes centraux. C’est ce qu’on appelle la loi de participation. Et c’est cette participation que l’article 6 du projet reconnaît dans la liste d’exceptions qu’il contient.
D’ailleurs, l’abrogation du paragraphe 1 de l’article 91 est tout autant une question de principe qu’une question d’importance pratique. Il s’agissait de corriger une situation anormale, à laquelle le Québec n’avait jamais acquiescé, de faire renoncer le gouvernement fédéral à des pouvoirs sur lesquels il n’avait aucun droit, de faire accepter par tous que, dans une fédération, le gouvernement central ne peut avoir sur sa propre constitution la même autorité que les États-membres sur la leur, puisque ceux-ci doivent participer à la constitution et au fonctionnement des organes fédéraux. C’est cette participation que reconnaît aux provinces l’article 6 du projet.
Enfin, ce sera la première fois que le français est mis sur un pied d’égalité avec l’anglais dans un texte constitutionnel immanent du Parlement britannique. Sans en exagérer la portée, il importe tout de même de constater que ce précédent ouvre la porte a une version française officielle de l’ensemble de notre constitution.
Je vous ai dit que les mérites de la formule sont de
deux ordres. J’ai bien démontré, je l’espère, que les avantages de la première catégorie assurent la reconnaissance des droits que nous, du Québec, avons toujours réclamés. Ceux de la deuxième catégorie permettront de préparer de deux façons la révision éventuelle du régime fédératif. D’abord, par l’utilisation intelligente du pouvoir de persuasion que comporte le droit de veto. Ensuite, par un traitement psychologique de l’opinion de façon à obtenir des autres provinces qu’elles accordent un accueil sympathique aux demandes du Québec.
On me dit qu’il s’en trouve encore au Québec – je crois toutefois qu’ils sont peu nombreux – pour soutenir que la formule de rapatriement, dans sa forme actuelle, empêchera notre province d’obtenir la réforme constitutionnelle qu’elle désire. C’est là d’abord oublier que la règle d’unanimité est celle qui prévaut à l’heure actuelle en raison des conventions constitutionnelles dont j’ai parlé plus tôt. À brève échéance, donc, il ne sera ni plus ni moins facile d’obtenir une révision constitutionnelle après le rapatriement qu’il ne l’est actuellement. Mais c’est aussi oublier la règle de justice élémentaire qui veut que si le Québec demande un droit de veto, il doit aussi, dans la situation actuelle, accepter d’accorder le même droit aux autres provinces. Jamais, dans aucune conférence constitutionnelle, le Québec n’a réclamé le droit de veto que pour lui seul. Il a toujours été clair que ce que nous demandions pour nous, nous étions prêts à le reconnaître aux autres.
Mais il y a plus, Il ne faut pas oublier que le veto n’est pas seulement une arme défensive. Il est aussi une arme offensive puissante en vertu du pouvoir de persuasion qu’on appelle communément pouvoir de marchandage. Aussi, s’opposer au droit de veto dans l’optique d’une révision constitutionnelle, c’est méconnaître grandement la véritable portée de ce pouvoir.
En réalité, deux hypothèses sont possibles: ou bien le Québec et le reste du Canada désirent des changements dans la même direction, et alors le veto des autres provinces est inoffensif; ou bien le Québec demande des réformes dans un sens – disons la décentralisation – et le reste du Canada demande des réformes dans un autre sens – disons la centralisation. Dans ce dernier cas, il est vrai que les autres provinces peuvent bloquer les réformes proposées par le Québec, mais le Québec à son tour peut bloquer les réformes que désirent les autres provinces. Dans de telles circonstances, il n’y aurait d’autre solution que de reconnaître des vocations différentes pour le Québec d’une part et les autres provinces d’autre part. De la sorte, le droit de veto du Québec sur l’évolution de la situation constitutionnelle du pays tout entier peut se révéler l’un des instruments les plus puissants que nous ayons pour atteindre les objectifs qui nous sont chers.
Bien à tort, on a voulu faire grand cas également de certains passages du livre blanc publié par le gouvernement fédéral qui soutiennent que la délégation des pouvoirs ne peut pas conduire à un statut particulier pour le Québec. Évidemment que cela est vrai. Il est clair que la délégation des pouvoirs législatifs dont parle la formule de rapatriement n’a rien à voir avec l’obtention par le Québec d’un statut particulier au sein de la confédération. Si notre province décide de revendiquer un tel statut, ce n’est certes pas à la délégation de pouvoirs qu’elle recourra pour l’obtenir.
En effet, cette délégation n’a aucune valeur constitutionnelle Elle est très limitée dans son application et est essentiellement révocable. Ni moi ni aucun autre ministre du gouvernement n’avons prétendu que la délégation des pouvoirs menait directement au statut particulier, bien qu’elle puisse, à cause des changements d’ordre administratif qui en découleraient, faciliter l’avènement d’un tel statut. Par exemple, si les autres provinces se servaient de la délégation pour prêter leurs pouvoirs à Ottawa, le Québec pourrait se retrouver de fait dans une situation particulière, laquelle pourrait habituer les esprits encore davantage à l’idée d’une vocation particulière pour notre province. On préparerait ainsi la voie, psychologiquement, à un véritable statut particulier pour le Québec. Mais il est clair que lorsqu’on parle d’un tel statut, on pense à autre chose que ce qui est susceptible d’être obtenu au moyen de la délégation des pouvoirs.
En réalité, c’est par la négociation que nous obtiendrons pour le Québec un régime qui convienne à sa vocation particulière. Après tout – et il me semble que c’est bien facile à comprendre nous ne vivons pas, nous du Québec, sur une autre planète. Nous ne sommes pas seuls au monde. Nous avons des voisins. Qu’on les aime ou non, ils sont là, et il faudra bien un jour que nous finissions par négocier avec eux. Naturellement, il est toujours facile et alléchant d’imaginer un univers où la seule mention de nos droits, de nos besoins, de nos aspirations, suffirait à rallier tout le monde anglo-saxon à notre cause et à renverser tous les préjugés. Cet univers, malheureusement personne n’y vit. C’est pourquoi nous devons recourir à la négociation. Cette technique n’est peut-être pas très romantique, mais elle a au moins l’avantage d’être efficace quand elle est conduite par un peuple sûr de lui, convaincu du bien-fondé de ses revendications mais respectueux de l’opinion des autres.
Dans ce contexte, parler de soumission à la volonté d’autrui, de permission à demander aux autres, ce serait faire de la démagogie. Il s’agit en réalité de pourparlers entre partenaires d’une même entreprise. Qui s’étonne de ce que nous ayons à nous battre pour la défense de nos droits ? La liberté n’est jamais acquise: elle est une victoire de tous les instants. Qui se surprend de ce que nous devions lutter pour être nous mêmes et nous affirmer dans notre individualité ? C’est une loi universelle de la nature.
Faire la preuve de nos besoins, défendre nos droits et privilèges, faire connaître et accepter notre situation particulière, ce n’est pas quémander notre place au soleil mais la gagner!
Le succès ultime de cette négociation qui se prépare entre le Québec et le reste du Canada dépend, en définitive, de deux facteurs. D’abord de la force politique du Québec – ce qui suppose une opinion publique alerte et agissante. Ensuite de la compréhension et de la sympathie dont le reste du Canada fera montre envers le Québec.
Nous croyons que notre cause est bonne et qu’elle s’impose d’elle-même, pourvu que le Québec ait la force de la faire valoir et qu’on veuille bien y réfléchir sans préjugés. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui, au Canada anglais, commencent à admettre notre point de vue. Ce climat de compréhension, de sympathie, d’ouverture d’esprit, il faut le préparer en montrant au reste du pays que le Québec est prêt à faire sa part pour donner au Canada tous les signes extérieurs de sa souveraineté. Rien n’incite mieux le reste du pays à regarder d’un oeil favorable les demandes légitimes du Québec que ce gage de notre fierté d’appartenir à un pays indépendant qu’est le rapatriement de la constitution.
D’ailleurs, le rapatriement de la constitution est véritablement une étape préparatoire à sa révision éventuelle. C’est bien ainsi que tous ceux qui ont participé aux dernières conférences constitutionnelles l’ont compris. J’en prends à témoin le paragraphe suivant que je tire du livre blanc publié par le gouvernement fédéral. Bien qu’il y ait eu confusion dans les termes, il n’y eut aucun doute dans les diverses conférences quant à l’objectif essentiel à atteindre: celui de trouver un moyen de soumettre la Constitution au pouvoir des autorités législatives canadiennes, sous tous ses aspects. Car, une fois ce pouvoir entièrement situé au Canada, il deviendra alors possible de prendre toute mesure souhaitable ou bien laisser la constitution essentiellement comme elle est, ou la modifier à certains égards, ou encore l’abroger et la remplacer par quelque chose de tout à fait nouveau. Il faut d’abord obtenir le pouvoir entier et définitif de modifier la Constitution, et le problème a été de s’entendre sur une formule de modification acceptable aux provinces et au gouvernement fédéral. Une fois que l’entente aura force de loi, toute mesure additionnelle pourra être prise en vertu de la formule de modification elle même.
Et la preuve qu’il en est bien ainsi, c’est que la tenue de futures conférences sur la révision de la constitution a été expressément mentionnée dans le communiqué de presse qui a suivi la conférence d’octobre 1964. C’est là un engagement formel de la part de tous les gouvernements.
Mon propos n’est pas de réfuter ici tous les arguments fallacieux et les idées erronées qui ont été exprimées à date au sujet de la formule qui est devant la Chambre. J’aurai amplement l’occasion de le faire quand j’en proposerai l’adoption aux représentants élus du peuple. D’ailleurs, je crois bien que l’exposé que je viens de vous faire, même s’il ne vide pas entièrement la question, apporte des réponses claires et précises à la plupart des critiques qui ont pu être formulées dans divers milieux. Et puis, ne nous a-t-on pas déjà fourni la preuve que nous sommes sur la bonne voie, que l’attitude que nous avons adoptée est juste, logique et la seule défendable ? Quand les extrémistes d’un côté et de l’autre s’unissent pour attaquer la position que vous défendez, c’est qu’elle est celle du bon sens et rallie l’approbation et l’appui de la très grande majorité des citoyens. Nous avions déjà au Québec ceux qui parlent de « lâchage » et de trahison. Nous avons maintenant dans le reste du Canada ceux qui parlent d’isolement et de séparation. D’un côté, il y a ceux qui accusent le Québec de se soumettre à la volonté du Canada anglais; de l’autre, il y a ceux qui accusent Ottawa d’accorder au Québec un statut qui conduirait éventuellement à la séparation. Entre ces deux extrêmes, il y a le juste milieu. Et c’est exactement la place que nous occupons. Je suis convaincu que c’est ce que désire la très grande majorité de mes concitoyens.
Le Canada français – et le Québec moderne en particulier – a toujours insisté pour que disparaissent le plus tôt possible les vestiges de l’état colonial du Canada d’autrefois, quelle que soit là nature de ce colonialisme. Le Québec n’a jamais traîné de l’arrière quand il s’est agi de faire reconnaître l’indépendance du Canada. Il fut toujours, au contraire, un leader.
Ce canadianisme de bon aloi est, en définitive, la politique qui rapporte le plus au Québec. Car la meilleure façon de préparer la mise à jour die notre constitution, c’est pour le Québec de démontrer de façon non équivoque qu’il est entièrement en faveur d’une constitution véritablement canadienne. C’est seulement dans un tel climat de confiance que peuvent être réalisés les ajustements qui sont nécessaires.
La constitution canadienne appartient aux Canadiens. Il est logique et normal que tout véritable Canadien exige qu’elle devienne sans plus de délai la propriété du Canada.
[QLESG19650312]
[Les Chambres de Commerce d’Ontario À Publier après % h. P.M. I e u bec Vendredi, le 12 mars 1965 St-Catherines, Ontario, Le 12 mars 1965 L’honorable Jean Lesage, Premier ministre du Québec.] Je vous remercie bien sincèrement de l’aimable invitation que vous m’avez faite. Malgré le fardeau de travail qu’impose à un Premier ministre la session parlementaire, je tenais à venir vous parler aujourd’hui. J’en profite pour vous présenter, au nom des citoyens du Québec, l’expression d’une amitié et le désir d’une compréhension que nous souhaitons toujours plus grandes.
Cette amitié et cette compréhension ne peuvent être créées artificiellement. Elles résultent plutôt de contacts fréquents où les interlocuteurs apprennent à se connaître, à mesurer leurs différences et à respecter leurs aspirations propres.
On emploie souvent – à tel point que c’en est même devenu un cliché – l’expression « coexistence pacifique ». Je sais qu’elle s’applique à deux camps internationaux – celui de l’ouest et celui de l’est
– qui, il y a encore peu d’années, étaient considérées comme essentiellement opposés. On voit pourtant aujourd’hui que la « coexistence pacifique » en question a eu des résultats heureux. D’abord, elle a diminué considérablement une tension qui était devenue intolérable. Mais, c’est ce qui est plus intéressant encore, elle a ouvert des avenues de collaboration que l’on n’aurait jamais soupçonnées.
Je ne prétends nullement que les relations entre le Canada français et le Canada anglais soient aujourd’hui telles que l’on puisse, avec à propos, souhaiter entre eux une « coexistence pacifique », dans le sens où cette expression est habituellement entendue. Après tout, les Canadiens français et les Canadiens anglais ne sont pas des ennemis! Mais nous avons des différences qui tiennent à un ensemble complexe de facteurs. Et nous du Québec, nous tenons fermement au maintien de certaines de ces différences, par exemple la langue, la culture, la religion. Comme je l’ai dit à maintes reprises, une réorientation de la confédération canadienne qui se fonderait sur la disparition des caractéristiques particulières du Canada français est d’avance vouée à une faillite retentissante. Aussi, les Canadiens français et les Canadiens anglais doivent-ils apprendre à vivre et à survivre dans le même pays. Ils peuvent y arriver de plusieurs façons. Une de celles-ci est l’indifférence réciproque. En d’autres termes, le Canada français peut construire son univers propre sans se préoccuper du reste du pays. Le Canada anglais peut fort bien faire la même chose. Mais ce sera là un résultat négatif dont nous aurions peu de raisons, à mon sens, d’être fiers. Nous avons plutôt à rechercher de nouveaux modes de collaboration entre les deux principaux groupements humains qui ont fondé ce pays. En somme, nous devons tout de suite viser à atteindre le but auquel la « coexistence pacifique » tend ultimement. Toutefois, une collaboration vraiment fructueuse est celle qui existe entre égaux. Au moment où je vous parle, en ce mois de mars 1965, une telle collaboration n’est pas facile parce que les deux groupes en cause, les canadiens de langue anglaise et les canadiens de langue française, ne sont pas égaux. Les deux peuples peuvent « coexister »; mais leur collaboration ne peut être aussi constructive qu’elle devrait l’être.
Vous trouverez peut-être que je m’exprime bien franchement, trop franchement selon certains. Croyez bien que je le fais en toute amitié. Je ne cherche pas à briser ce qui existe, mais à faire exister plus équitablement ce qui risque de se briser. Du moins, c’est ainsi que j’interprète mon rôle de Premier ministre du Québec.
Il est évident que, selon certains textes de lois, certaines dispositions théoriques, certains signes extérieurs, une certaine égalité des deux races fondatrices de ce pays est garantie et proclamée. Mais le Québec moderne n’est plus à l’époque où il se satisfaisait de l’apparence, sans trop apporter d’attention à la substance. Il désire aujourd’hui, par rapport au groupe d’expression anglaise, une égalité de fait.
Je m’empresse immédiatement d’apporter deux précisions. Nous reconnaissons d’abord qu’une partie de notre inégalité relative vient de nous-mêmes, en ce sens que, dans les générations passées, nous n’avons pas toujours accompli tout ce qu’il nous était possible de faire. Nous avons commis des erreurs historiques, mais, à ce sujet, comme dans l’Évangile, qui nous jetterait la première pierre? À l’heure actuelle intense de réforme qui nous caractérise, et cela dans tous les domaines: éducation, économie, bien-être, santé, culture, administration, etc. cet effort intense de réforme lui-même est une preuve bien nette de notre désir de prendre notre part de responsabilité dans notre propre évolution vers un statut nouveau. Nous faisons une partie du chemin. Ce chemin a deux extrémités. Nous nous avançons résolument à partir de l’une de celle-ci. L’autre est ouverte aux autres Canadiens et certains ont commencé à s’y engager.
Je veux aussi dire que l’égalité que nous recherchons n’a rien à voir avec ce que d’aucuns qualifient d’uniformité nationale. L’égalité souhaitée n’est pas seulement une égalité de principe mais aussi une égalité de fonction, une égalité de puissance… Nous sommes et demeurons différents, mais nous voulons occuper, dans la confédération de demain, la place qui, à notre avis, doit nous revenir.
Souvent on nous demande: « mais, que désirez-vous concrètement ? » Là-dessus, j’aurais à la fois beaucoup et peu à dire. J’aurais beaucoup à dire si j’entreprenais de vous relater, de façon anecdotique, un certain nombre de cas où, d’après nous, des Canadiens français, surtout à l’extérieur du Québec, ont été victimes du fait qu’ils étaient d’une culture différente, parlant leur propre langue et pratiquant leur propre foi. Je suis sûr qu’il vous vient à l’esprit quelques-unes de ces situations et j’éviterai donc de faire un plaidoyer fondé sur des événements qui sont, heureusement, moins fréquents. Je pourrais aussi vous dire comment, en sortant du Québec par exemple, le Canadien français se sent difficilement chez lui, même s’il est toujours dans son pays, le Canada. Je pourrais alors vous suggérer des moyens de résoudre les difficultés particulières que j’énoncerais. Vous pourriez d’ailleurs vous-mêmes en faire autant, mais nous ne serions pas tellement avancés car nous n’aurions pas réellement touché le noeud du problème.
C’est pourquoi ce n’est pas de cette façon que je parlerai de ce que le Québec désire. Mais ce que j’en dirai sera, je crois, l’essentiel, c’est-à-dire, ce sur quoi tous les citoyens du Québec s’entendent maintenant. Vous n’y trouverez peut-être pas le degré de précision voulue, mais je ne prétends pas aujourd’hui offrir de recettes simples. Je ne toucherai pas non plus aux divers articles de la Constitution. Nous avons à Québec un comité parlementaire qui étudie cette question et dont nous attendons les recommandations.
Nous voulons d’abord que l’on accepte les avantages et les inconvénients, du point de vue du Canada anglais, non seulement de l’existence du Canada
français, mais aussi de son désir d’affirmation et des moyens qu’il prend pour concrétiser ce désir. Il est clair que cela dérange sérieusement un état de choses que beaucoup de nos compatriotes de langue anglaise avaient fini par prendre pour acquis. Le Canada est un pays qui n’en est pas rendu au terme de sa croissance; il est en évolution constante et un des éléments nouveaux de cette évolution est justement la présence de plus en plus marquée et de plus en plus active du groupement de langue française. Il faut – je le dis clairement – ou bien s’habituer à ce nouvel état de chose, ou bien accepter que le Canada français évolue dans un monde qu’il se sera construit seul. Il n’y a pas d’autre alternative.
La possibilité d’une croissance entièrement autonome est, je dois l’admettre et vous en faire part, un souhait latent chez beaucoup de Québécois. Je dirais même que c’est une tentation, risquée il est vrai, mais tentation quand même. Il y a, dès à présent, peu de chances qu’on y succombe dans l’immédiat, ce qui tout de même ne la fait pas disparaître. Un réalisme élémentaire doit nous en faire voir la présence. Nous voulons aussi que cette acceptation, facile dans l’ordre de la théorie et possible dans l’ordre des sentiments, se traduise par des faits, par des résultats concrets: par exemple, la pratique sur une grande échelle du bilinguisme dans la fonction publique fédérale, le respect des droits scolaires des Canadiens français, l’acceptation de la participation des Canadiens français à la haute administration des entreprises privées, la reconnaissance du « fait français » au Canada. Cette dernière exigence, car c’en est une, est d’un caractère général, je l’admets. Pourtant elle peut en partie être satisfaite d’une multitude de façons. Certaines d’entre elles peuvent vous paraître assez anodines mais elles ont une résonance profonde chez les Canadiens d’expression française. Je pense, par exemple, à tous ces signes extérieurs de l’existence d’un Canada biculturel, dont l’accroissement du bilinguisme chez les Canadiens anglais et la diffusion de la culture canadienne-française dans l’ensemble du Canada. Je n’insiste pas sur la signalisation routière bilingue à l’extérieur du Québec, ni sur la publication de documents bilingues par les administrations publiques des autres provinces. En effet, il est difficile d’établir une règle générale en ce qui concerne de tels gestes, mais je vous ferai remarquer que ceux-ci sont loin d’être négligeables pour nous, surtout là où les nôtres sont assez nombreux. Je vous dirai aussi que nous n’exigeons pas que tous les citoyens canadiens d’expression anglaise parlent notre langue, pas plus que l’on ne devrait exiger la réciproque de tous les Canadiens de langue française. Il y a des limites qu’un sain réalisme doit reconnaître.
Jusqu’ici je m’en suis tenu aux relations qui doivent, à notre avis, exister entre les deux groupes fondateurs de ce pays. Une question importante demeure en suspens et il est normal que vous attendiez des précisions à son sujet: quelle sera la place du Québec lui-même dans la confédération de l’avenir ?
C’est là un des sujets dont j’ai le plus fréquemment parlé. Je pense que déjà, à l’extérieur du Québec, on saisit mieux le sens du mouvement de renaissance qui anime le Québec moderne, même si on n’en voit pas toujours très bien la direction. En un mot, nous voulons occuper toute la place qui nous revient dans la confédération canadienne. J’ai dit, il y a quelques instants, que les Canadiens d’expression française désirent une égalité de fait avec leurs compatriotes de langue anglaise. Il est clair, dès lors, que la place qui nous reviendra devra être plus large que celle qui nous est présentement faite. En tout cas, nous nous préparons, dans tous les domaines à la fois, à jouer un rôle plus étendu. Comme la majorité des Québécois sont de langue française, une telle attitude ne peut qu’exercer une influence déterminante sur l’évolution de notre province.
Quelle sera la forme de la confédération de l’avenir ? Y aura-t-il dix provinces comme c’est le cas présentement ou un nombre moindre ? Le statut du Québec y sera-t-il différent en ce sens que nous exercerons des responsabilités que les autres provinces, pour des raisons qui leur sont propres, préféreront laisser ou confier au gouvernement central ? C’est bien possible. Mais bien présomptueux est celui qui essaie de prévoir l’avenir avec précision.
Le Québec moderne est prudent. Je veux dire par là qu’il voit à ce qu’aucune des décisions politiques ou administratives qu’il prend maintenant ne contredise ou ne contrecarre le terme éventuel de son évolution présente ou de celle du Canada tout entier. La seule chose qui soit absolument sûre est qu’il s’efforce de plus en plus de contrôler lui-même l’origine des décisions susceptibles de le toucher dans ce qu’il considère essentiel. C’est pourquoi, présentement, il met l’accent à la fois sur la décentralisation des pouvoirs et la participation à certaines des politiques agissant sur son économie ou son mode de vie.
Mais le Québec est également prudent d’une autre façon. Il ne se charge graduellement que des responsabilités qu’il juge être capable d’assumer. Une politique d’affirmation mal conduite et surtout non réaliste pourrait provoquer des difficultés et des frustrations plus grandes que la passivité et le manque d’intérêt. Certains croient, et nous en sommes fiers, que le Québec est courageux en ce sens qu’il s’avance sur des terrains non encore entièrement explorés par les provinces; mais il n’est certainement pas téméraire. Notre but n’est pas de brusquer une évolution possible; mais de hâter une évolution nécessaire. Et nous voulons y arriver moins par des gestes spectaculaires que par des progrès sûrs.
Ce qui, peut-être, cause le plus d’inquiétude à nos compatriotes de langue anglaise, c’est la rapidité du mouvement qui se manifeste au Québec. En effet, depuis quatre ou cinq ans tout y est remis en question, et déjà, les premiers résultats de ce que l’on a appelé la « révolution tranquille » s’y font sentir. L’image que l’on donnait traditionnellement de notre province doit être rangée parmi les souvenirs de famille canadienne et, peut-être même, oubliée. À la place se dessine une nouvelle image, enthousiasmante pour certains, inquiétante pour d’autres, surprenante pour tous. C’est comme si une des pièces d’une mosaïque prenait soudainement d’elle même une nouvelle dimension, une nouvelle couleur: il faut désormais refaire l’ensemble du tableau. En réalité, le reste du Canada fait actuellement connaissance avec un Québec qu’on a maintenant besoin d’expliquer et qui a besoin d’être compris, un Québec qu’on ne peut plus prendre pour acquis. Dans tout ceci, il y a cependant une chose qu’on risque d’oublier. Même si le rythme en est rapide, accéléré, le Québec n’obéit qu’à une tendance tout à fait normale, une tendance qu’ont suivie avant lui des centaines de peuples. Il a tout simplement entrepris de s’affirmer, de traduire dans les faits son potentiel économique, culturel et même scientifique. Dans cette perspective, c’est la situation antérieure qui était anormale et regrettable. C’est la situation nouvelle qui doit soulever notre espoir même si elle nous oblige à réajuster certaines conceptions sur le statut du Québec dans la confédération future. Car, vous êtes témoins aujourd’hui non pas de l’affirmation d’une des dix provinces du pays, mais de celle d’un des deux peuples fondateurs de notre régime politique. Il y a là une différence fondamentale.
Tout cela nous voulons le faire dans la paix et la justice. Nous pourrions à la rigueur, et faute d’alternative, y arriver seuls, mais nous croyons qu’à long terme le bien du Québec et du Canada exige d’abord une association d’efforts par les deux peuples qui ont fondé ce pays. Cette association sera, je le souhaite, fondée sur la recherche et le maintien d’une compréhension mutuelle et d’une acceptation lucide des destins certes différents, mais complémentaires et indissolublement liés.
[QLESG19650401]
[Corporation des Ingénieurs du Québec À publier après Ch. P.T’i. Montréal, 1G avril 1965 le 1G avril 1965 Le Premier ministre du Québec.]
Permettez-moi d’abord de vous remercier très sincèrement du témoignage que vous avez bien voulu me rendre et du grand honneur que vous me faites en me recevant au sein de votre Corporation à titre de membre honoraire. À l’heure où tant de problèmes assaillent notre province en pleine ébullition, un premier ministre, s’il n’est pas ingénieur, doit à tout le moins être ingénieux et il ne peut rester insensible à ce qui est de nature à stimuler son « génie ». Je ne surprendrai personne en abordant ici, ce soir, un sujet brûlant d’actualité: le rapatriement de la constitution canadienne.
Ce n’est pas la première fois que j’ai l’occasion de parler de cette question. Il y a un mois exactement, j’exposais devant les membres de la Chambre de Commerce de Québec quelques-uns des principaux avantages de la formule qui est présentement à l’étude et je répondais aux principales critiques qui avaient été formulées contre elle. En résumé, je soutenais alors que la formule devait être acceptée par le Québec parce qu’elle met un terme au fouillis actuel en matière d’amendement constitutionnel, elle garantit nos droits acquis, elle restreint considérablement le pouvoir d’amendement du Parlement fédéral, elle reconnaît un statut officiel à la langue française dans un document constitutionnel, elle constitue un geste de nature à préparer les esprits e la révision prochaine de la constitution et, enfin, elle donne au Québec, comme arme ultime de marchandage, un veto sur l’évolution constitutionnelle du Canada tout entier. Je ne reprendrai pas ces arguments ce soir, car ils sont maintenant connus.
Cependant, un avantage très important de la formule n’a pas encore reçu toute l’attention qu’il mérite. On ne semble pas avoir vu jusqu’ici que l’unanimité requise par la formule est une unanimité que je qualifierais « d’unanimité à sens unique »: elle s’applique a la centralisation des pouvoirs, mais non à leur décentralisation. Par exemple, s’il est vrai que le Québec, comme toute autre province, possédera un droit de veto sur toute atteinte aux pouvoirs provinciaux, aucune province ne possédera à elle seule de veto sur l’augmentation des pouvoirs du Québec. En d’autres termes, pour augmenter les pouvoirs du parlement fédéral, il faudra le consentement de toutes les provinces, mais pour augmenter ceux des provinces, le consentement unanime ne sera pas nécessaire.
Pourquoi en est-il ainsi? Parce que seuls les pouvoirs législatifs des provinces et les droits des minorités sont expressément protégés par la formule de rapatriement. L’article de la formule qui exige l’unanimité parle en effet des pouvoirs législatifs, des droits, des privilèges, des biens et de la propriété des provinces, mais il n y est nulle part question des pouvoirs correspondants du gouvernement fédéral. Ceux-ci ne sont donc pas protégés par la règle de 1’unanimité.
Comment alors peut-on prétendre sérieusement que le rapatriement « ferme la porte » à la révision constitutionnelle et est une « camisole de force » qu’un Canada apeuré voudrait faire endosser au Québec? Actuellement, pour augmenter nos pouvoirs, il nous faut le consentement de toutes les provinces; après le rapatriement, le consentement de six. autres provinces sera suffisant. Aujourd’hui, l’unanimité demain, les deux tiers: est-ce là enfermer le Québec dans un carcan constitutionnel ? Est-ce là enchaîner le Québec dans le statu quo ? En fait, toute cette agitation au sujet de la prétendue rigidité nouvelle qui suivrait le rapatriement provient d’une méconnaissance totale de la réalité actuelle et de l’effet réel du rapatriement, ou elle n’est qu’un immense bluff politique. Ou bien on ferme les yeux sur la rigidité actuelle et on interprète mal la formule de rapatriement, ou bien on évoque le fantôme du suicide national et collectif avec le seul but de semer la méfiance et le doute dans le coeur des personnes enclines à un sentiment d’insécurité. Au lieu de discuter froidement, de faire le tour de la question et de peser le pour et le contre, on fait de grandes déclarations, on se fait prophète de malheur, on joue l’épouvante. On se dit qu’à tant crier, il en restera toujours quelque chose et que le peuple, avec la méfiance à laquelle on l’a malheureusement habitué en matière constitutionnelle, préférera conserver une situation qu’il connaît même si elle est insatisfaisante, que de se retrouver dans une situation nouvelle qu’on lui dit dangereuse. En un mot, on fait appel au sentiment et on croit que, dans une matière aussi technique que le rapatriement de la constitution, le gouvernement se trouvera incapable d’expliquer à la population les raisons qui motivent son attitude positive. Eh bien, on se trompe! Et si vous le voulez, je vais maintenant laisser de côté les arguments juridiques pour m’arrêter à des considérations plus terre à terre qui, je le pense bien, vont placer la question du rapatriement de la constitution dans sa véritable perspective.
On est en train aujourd’hui de vouloir faire croire à la population que la formule en cause est à peu près le plus formidable malheur qui ait jamais menacé de s’abattre sur le peuple du Québec! Il y a tout de même des limites. Sciemment ou non, on oublie que la situation dans laquelle nous sommes maintenant est essentiellement fausse et qu’elle nous serait nuisible à la longue. Nous avons maintenant une chance de la clarifier à notre avantage. À nous d’en profiter! D’ailleurs, les arguments qu’on énonce contre la formule dans le reste du Canada devraient nous faire comprendre que s’il y a un gagnant à la formule, c’est bien nous. Car, en plus de faciliter l’accroissement de nos pouvoirs, la formule nous donne enfin ce que nous avons toujours réclamé en tant que province et en tant que mère-patrie des Canadiens français: le droit de veto.
Ce n’est pas pour rien que le Québec a toujours réclamé ce droit de veto. Aucun autre mécanisme d’amendement ne peut en effet nous satisfaire. Car qui peut prétendre que le Québec, en tant que province, ne doit pas exiger un droit de veto sur tous les pouvoirs que lui accorde la constitution actuelle? Et qui peut prétendre que le Québec, en tant que mère-patrie des Canadiens français, ne doit pas exiger un droit de veto sur les droits du français au Canada et sur les droits de nos minorités dans les autres provinces? Par quoi voudrait-on remplacer le veto? Ceux, qui critiquent la formule actuelle en ont-ils une meilleure à proposer? Si oui, qu’attendent-ils pour la faire connaître? Pour ma part, je considérerais que je manque à mon devoir, que je serais un traître à ma province et à la minorité française au Canada si je n’exigeais pas un droit de veto sur tout ce qui touche les droits et du Québec et de la minorité française au pays. Je reconnais évidemment que rien n’est parfait dans ce bas monde, pas même la formule actuelle de rapatriement. Mais si on attend la perfection dans ce domaine, comme dans l’ensemble du domaine constitutionnel d’ailleurs, nous n’arriverons jamais à rien et nous perdrons les avantages immédiats, comme celui de l’unanimité à sens unique dont j’ai parlé il y a un instant. Aussi bien prendre ce qu’on peut obtenir maintenant, tout en nous préparant à gagner encore davantage la prochaine fois. Certains seront surpris de m’entendre parler de « prochaine fois ». En effet, ils en sont venus à croire, par Dieu sait quelle sorte de crise de juridisme aigu, qu’en acceptant la formule de rapatriement, nous signons un contrat éternel, qu’en somme nous vendons notre âme provinciale au diable fédéral!
Le gouvernement que je dirige n’a jamais eu l’impression, en acceptant la formule de rapatriement, de poser un geste qui le liera jusqu’à l’extinction de l’humanité. Il s’agit d’accepter des règles de procédure qui, tout en garantissant tous nos droits, nous permettront de discuter dans l’ordre du fonds de la question: c’est-à-dire l’évolution de la constitution ou son remplacement.
La perspective est celle d’une évolution dynamique du Québec et du Canada. Tout le monde sait que la constitution actuelle, qu’on le veuille ou non, devra subir une révision majeure avant longtemps. Alors, aussi bien accoler à la formule actuelle un mode d’amendement que nous aurons le temps d’éprouver avant la grande révision qui s’impose. Dans ces conditions, faire de ce mode d’amendement un instrument émotif de propagande politique trompeuse est malhonnête car c’est lui donner une importance qu’il n’a pas. On finit ainsi par créer des tempêtes inutiles dans des verres d’eau vides, si je peux m’exprimer ainsi, on finit par s’inquiéter soi-même et on porte la population à penser qu’en acceptant la formule proposée, elle accepte du fait même tout le régime fédératif actuel. Pourtant, il n’en a jamais été question. Le gouvernement que je dirige accepte la formule de rapatriement parce qu’il y trouve les avantages que j’ai énoncés à plusieurs reprises et ceux dont j’ai parlé ce soir, pas pour d’autres raisons. À tel point que si ces avantages étaient absents, nous la refuserions. J’ai dit tout à l’heure que la formule n’est pas parfaite. Si je peux utiliser cette tournure, je dirais qu’elle est encore moins parfaite pour le gouvernement fédéral que pour nous. C’est d’ailleurs un des motifs pour lesquels nous l’endossons, je vous le dis bien candidement.
Après tout, le fait d’accepter la formule de procédure ne rend pas pour autant le Québec muet ou impuissant politiquement. Ce n’est pas non plus le terme de l’action que nous avons entreprise, ni le terme de l’effort d’affirmation du Québec. Ce n’est en réalité qu’une étape qui permet la décolonisation du Canada et du Québec, décolonisation que symbolise bien le slogan
« Maîtres chez nous ».
On me dira qu’il vaudrait peut-être mieux attendre une révision en profondeur de la constitution pour y introduire un mode d’amendement. Mais alors comment ferons-nous pour changer entre temps la constitution du Canada? Nous avons pris 37 ans à nous entendre sur la procédure, combien de temps faudra-t-il pour nous entendre sur le fonds, surtout si nous n’avons pas de procédure établie. Voyez-vous le fouillis ou le guêpier dans lequel nous nous trouverions!
Nous pourrions toujours, comme certains le proposent, laisser mourir la constitution actuelle à
Londres et en réécrire une autre au Canada. Si c’était efficace, je serais bien d’accord, mais dans tout cela on oublie un léger détail: il faudrait que le reste du Canada ait, au sujet de la constitution, les mêmes sentiments que nous. À moins que je ne me trompe sérieusement et malgré les progrès récents, j’ai l’impression que nous n’en sommes pas encore là. C’est pourquoi j’aime mieux rapatrier une constitution sur laquelle nous nous entendons un peu avec nos compatriotes de langue anglaise, que nous asseoir pour en écrire une sur laquelle nous ne nous entendrions pas du tout! L’entente à ce sujet viendra avec le temps, mais il faut être peu réaliste pour en parler comme d’une situation actuellement plausible.
Je sais bien que l’on nous reproche, de temps en temps, de tenir trop compte du sentiment des Canadiens d’expression anglaise. La vérité est qu’il le faut bien, et pour une raison bien simple; ils vivent dans le même pays que nous. Cela veut dire, en pratique, que, dans la situation présente, qu’on aime cela ou non, nous sommes obligés de leur parler. Nous ne pouvons tout de même pas nous construire un monde imaginaire, une sorte de république aérienne du Québec d’où, d’un air détaché, nous pourrions avec hauteur dicter nos conditions au monde entier. Après tout, ce n’est pas notre faute si le Créateur nous a installés sur un coin de terre qui s’appelle le Québec, lequel coin de terre est rattaché à un pays, le Canada, et à un continent, l’Amérique du Nord. Avant de vouloir déterminer qui nous pouvons et devons être, tâchons d’abord de savoir qui nous sommes.
Or, pour le moment, nous sommes citoyens d’une province, Québec, et au Canada, il y a d’autres citoyens, d’autres provinces. Il s’agit là d’une vérité élémentaire que je suis moi-même étonné d’avoir à rappeler. Que la situation change dans l’avenir, que notre statut se modifie, c’est fort possible et souhaitable, et c’est d’ailleurs déjà commencé. Mais nous avons dû partir de la réalité actuelle, autant lorsque nous avons négocié avec le gouvernement fédéral que lorsque nous nous sommes adressés aux Canadiens de langue anglaise pour faire comprendre notre point de vue. C’est pourquoi nous devons dialoguer entre Canadiens: c’est l’étape initiale et nous gagnerons plus ainsi, comme le prouvent les victoires récentes et, à plusieurs égards, étonnantes du Québec. Un autre point qu’on oublie, c’est qu’avant de commencer la partie, il faut établir les règles du jeu. Avant de nous engager dans des discussions sur une révision de notre constitution, il nous faut absolument une procédure d’amendement claire et précise, capable d’être interprétée avec soin par les tribunaux et sur laquelle tous les intéressés se sont entendus au préalable. Cela est d’autant plus nécessaire que les changements envisagés seront importants; et, par conséquent, controversés. Or, qu’est-ce que fait le rapatriement? Il établit à l’avance les règles du jeu. Et ces règles, par rapport à la situation actuelle, sont non seulement claires et précises mais, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, elles sont plus avantageuses pour le Québec que les règles actuelles. À moins de ne vouloir comme règle que la suivante: le reste du pays ne fera que ce que veut le Québec et le Québec, lui, fera tout ce qu’il veut, il nous faut, avec confiance et réalisme, accepter les règles de la formule comme reflétant la réalité politique dans laquelle nous vivons. Encore une fois, je le répète, nous vivons sur la terre, et c’est ici que nous gagnerons d’autres victoires pas dans le paradis artificiel des déclarations sans lendemain.
La raison que je viens de vous donner justifierait à elle seule, je crois, que nous procédions immédiatement au rapatriement de notre constitution. Mais il y en a une autre qui est tout aussi importante. Le Québec, en effet, se doit de profiter de la situation relativement favorable où il se trouve actuellement pour renforcer sa position de négociation. Car, une fois la constitution rapatriée, nos droits actuels seront désormais garantis et ne pourront plus nous être enlevés, la décentralisation des pouvoirs sera rendue plus facile et la centralisation, par contre, sera soumise à notre droit de veto. D’un point de vue juridique, nous serons dès lors dans une position de force qui viendra s’ajouter à la force politique du Québec dont, en définitive, dépend le succès final. Car, ne l’oublions pas, c’est par sa force politique que le Québec réussira finalement à imposer et à faire valoir son point de vue. C’est cette force qui fera fonctionner le mécanisme d’amendement constitutionnel. Sans la force politique, le mécanisme le plus souple nous serait encore une barrière infranchissable; avec la force politique au contraire, même le mécanisme le plus rigide ne pourra nous empêcher d’atteindre nos objectifs. Je ne veux pas nier l’importance des règles juridiques: j’ai beaucoup insisté, au contraire, sur l’amélioration très nette que le rapatriement nous apporte à ce point de vue. Mais il n’y a pas que la définition de la règle, il y a aussi son fonctionnement. Là c’est la une perspective qu’il ne faut pas perdre de vue lorsqu’on envisage l’ensemble de l’évolution constitutionnelle du Québec et du Canada.
C’est justement ce que semblent oublier plusieurs de ceux qui s’opposent au rapatriement immédiat de notre constitution. Ces gens sont prêts à risquer de laisser au gouvernement fédéral la place prépondérante qu’il occupe dans le processus d’amendement actuel, à risquer de laisser la sauvegarde de nos droits au jeu d’usages constitutionnels qu’aucun tribunal n’accepterait de reconnaître, à risquer de laisser au Parlement un pouvoir d’amendement unilatéral large et indéfini, ces gens, dis-je, deviennent tout craintifs à l’idée de procéder d’abord au rapatriement de la constitution et ensuite à son amendement. Ils voient partout des complots et des machinations contre le Québec. Ils se refusent à considérer la question de procédure probablement parce qu’elle reflète des réalités politiques actuelles qu’ils voudraient ignorer sous prétexte qu’ils pourront se servir un jour de cette procédure pour obtenir les changements que nous pourrons désirer. Au fond, ils ne savent pas encore exactement ce qu’ils veulent et ils voudraient en conséquence que tout s’arrête, qu’aucune décision ne se prenne, que tout soit laissé en suspens. Ils ne veulent pas peser les avantages et les désavantages d’une action à poser; ils sont même prêts à laisser passer une excellente occasion d’améliorer notre position constitutionnelle de crainte de faire un faux pas et de gâcher l’avenir. En un mot, ils hésitent; ils sont cloués sur place; ils n’osent pas faire un pas en avant de peur de tomber dans un des précipices qu’ils imaginent partout. Et ce sont ces gens qui parlent de la vigueur du Québec:
Nous avons, quant à nous, décidé de poursuivre notre politique habituelle en matière de relations fédérales-provinciales, c’est-à-dire une politique positive, une politique de mouvement. Les fruits de cette politique sont bien connus et nous en sommes fiers. Les résultats en sont probants en matière d’impôt, de plans conjoints et de régime de retraite. Or, nous croyons que le Québec peut, dans le domaine constitutionnel comme dans les autres, participer activement à l’évolution du pays sans perdre pour autant son identité propre. Nous croyons que, là comme ailleurs nous n’avons rien à gagner à nous tenir à l’écart mais qu’il nous faut, au contraire, partir de la situation actuelle pour la changer. Nous croyons même que les réformes que nous désirons ont leur propre mérite et qu’elles s’imposent d’elles-mêmes pourvu que le Québec ait la force de les faire valoir et que le reste du pays veuille les examiner sans préjugés.
En définitive, le rapatriement de la constitution et la définition de la procédure d’amendement ne sont qu’une étape vers la révision substantielle de notre constitution. C’est ainsi que le gouvernement du Québec les comprend. C’est ainsi que le gouvernement fédéral les comprend, comme en témoigne le Livre blanc qu’il a publié sur le sujet. C’est ainsi que les autres provinces les comprennent, comme en témoignent le communiqué de presse qui a suivi la Conférence d’octobre et les déclarations d’autres premiers ministres sur le sujet. Le rapatriement est une étape préliminaire qu’il nous faut franchir et j’affirme que le chemin sur lequel nous nous engageons mène à la révision complète de notre constitution. Je n’ai aucun doute que le temps nous donnera entièrement raison.
[QLESG19650511]
[Conférence annuelle de la À publier après 8:00 tires P.M. Canadian Nuclear à.ssociation
Québec, le 11 mai 19 Le 11 mai 1965. Honorable Jean Lesage, Premier Ministre.]
Un de vos précurseurs, le célèbre physicien Millikan entendit un jour avec amusement la bonne qui disait au téléphone: « Oui, c’est bien ici la maison du docteur Millikan… Oui, oui, Madame, il est bien docteur… mais pas le genre de docteur qui fait du bien aux gens! Malgré cette opinion, ingénument radicale, nous savons fort bien au contraire que nos savants canadiens centrent leurs efforts sur des activités utiles au bonheur de l’homme. Selon un mot célèbre, « la science n’a pas de patrie mais les savants en ont une ». Je suis fier que les nôtres aient choisi Québec pour le lieu de leur conférence de 1965. C’est non seulement avec cordialité mais avec reconnaissance que je leur souhaite la bienvenue
dans une ville qui m’est doublement chère puisque, en plus d’être la capitale du gouvernement que je dirige, elle a été et demeure le théâtre des meilleurs moments de ma jeunesse…prolongée. Rien à mes yeux n’est trop beau pour la ville que j’aime. C’est pourquoi je suis heureux de la voir honorée par le choix des plus grands savants canadiens de l’époque – bouleversante du point :-Le vue technique – que nous vivons. J’espère donc que votre congrès sera exceptionnellement fructueux… fructueux même au point de faire dire un jour: « Cela fut décidé
à Québec au mois de mai 1965 ».
Il est heu:ceux que la [Canadian Nuclear Association] ait choisi de tenir sa conférence annuelle à Québec, capitale d’une province où la présence d’énergie occupe une place si importante. C’est aussi dans cette province, à l’Université Mc Gill, que les travaux de Rutherford et Soddy sur la radioactivité ont montré, dès 1904, l’instabilité de certains atomes, ouvrant ainsi la voie à cette science nucléaire appelée à exercer une si profonde influence sur notre monde moderne.
Dans l’ère technologique où nous vivons, la recherche de l’énergie, sous forme d’électricité, est une préoccupation dominante. Le standard da vie auquel une nation peut aspirer dépend étroitement de la facilité avec laquelle elle peut se procurer l’énergie électrique.
J’avais déjà eu l’occasion, comme ministre dans le gouvernement fédéral, de me rendre compte, mieux peut-être que la plupart des gens n’ont la chance de le faire, de la valeur immense de l’héritage dont une Providence généreuse a doté notre pays. Le destin m’a favorisé une seconde fois lorsque j’ai été appelé par la suite à prendre une part active à l’établissement des politiques d’exploitation des ressources de notre province qui possède près de la moitié du potentiel hydroélectrique d’un pays où les mots « hydro » et « électricité » sont en pratique devenus synonymes. Durant les quelques dernières années, des changements remarquables se sont produits dans le Québec. La population a ouvert les yeux sur les richesses qui l’entourent: 93% du territoire de la province – la plus étendue des provinces canadiennes – constitue un immense trésor de ratières premières à exploiter. Cette prise de conscience a donné lieu à un développement industriel et commercial sans précédent, dans un Québec considéré naguère comme essentiellement agricole. Coïncidant avec un accroissement rapide dans la consommation d’électricité pour fins domestiques, l’augmentation de la demande industrielle et commerciale a mis à rude épreuve le talent des ingénieurs chargés de maintenir et d’étendre nos réseaux électriques. L’Hydro-Québec poursuit son expansion. L’ampleur de certains de ses projets provoque l’attention du monde entier. Des ingénieurs de tous les pays étudient avec intérêt les nombreuses innovations techniques que comportent les travaux en cours sur la Manicouagan et la Rivière aux Outardes, ainsi que la construction d’un système de transmission d’énergie à 735 kilovolts.
Ces nouvelles installations ne pourront cependant satisfaire à la demande que pendant fort peu de temps. Dans quelques années, d’autres sources d’énergie deviendront nécessaires, et il faudra aménager de nouvelles centrales dans des endroits de plus en plus éloignés.
Des raisons économiques finiront inévitablement par imposer la construction de centrales thermiques dans les zones actuelles de grande consommation. Mais qui sait avec quelle rapidité l’importance relative des différentes régions de la province peut changer? Les lignes de transmission partant des centres de production qui existent déjà s’allongent sans cesse vers des régions de plus en plus éloignées, à mesure que de nouvelles entreprises s’y installent. Il serait inconcevable que nous ne songions pas à utiliser les vastes réservoirs d’énergie naturellement renouvelables que nous possédons au moment même où notre économie, élargissant ses frontières, commence à s’implanter dans les régions jusqu’à maintenant inhabitées où se trouvent ces réservoirs.
L’exploitation minière, qu’il s’agisse de gisements découverts récemment ou de dépôts déjà connus mais considérés autrefois comme non rentables à cause de leur éloignement, impose une charge de plus en plus lourde à nos réseaux de transmission. Mais à mesure que l’industrie se rapproche des régions dont le potentiel hydroélectrique est encore disponible, les avantages du traitement sur place deviennent de plus en plus intéressants. Avec un approvisionnement adéquat d’électricité à bon marché, on peut faire la réduction ou d’autres transformations du minerai dans le voisinage immédiat de l’exploitation minière proprement dite, sans avoir à transporter à grande distance d’énormes quantités de matière première. On réduit ainsi le coût de production. On augmente en même temps la demande de main-d’oeuvre locale et de services. Il en résulte un accroissement de la population, l’ouverture de nouvelles voies de communication et, d’une façon générale, le développement économique d’une région.
On peut donc penser que, dans un avenir pas très éloigné, l’industrie trouvera plus économique de se rapprocher des sources d’énergie et de matières premières. Le développement de ces régions qui semblent encore aujourd’hui trop distantes apparaît inévitable, en dépit de tous les’ clichés qu’on répète souvent concernant les difficultés économiques d’une implantation industrielle dans de telles régions. Ce ne sera peut-être pas cette année, ni l’an prochain mais on finira par vouloir s’installer ailleurs que dans les régions surpeuplées et congestionnées. On voudra s’éloigner des métropoles devenues des « mégalopoles ». Dans ce mouvement de décentralisation, l’électricité jouera un rôle capital en rendant habitables des territoires aujourd’hui déserts. Ce mouvement, d’ailleurs, est déjà commencé. Plusieurs régions éloignées de la province se sont développées à la suite de construction d’usines et de développements miniers. À Baie-Comeau, un rivage inhabité est devenu un centre prospère, possédant plusieurs industries importantes, une foule d’établissements de service et d’entreprises commerciales, ainsi qu’un des ports les plus actifs en Amérique-du-Nord.
Le Nord-Ouest de la province a connu lui aussi un progrès rapide. Les modestes opérations minières d’un passé encore récent ont pris une envergure plus considérable. Des mil lions de dollars ont été investis dans de nouvelles entreprises. L’Hydro-Québec a augmenté la capacité des centrales qui existaient déjà dans cette région. Deux nouveaux projets sont présentement en voie de réalisation, mais l’accroissement des besoins est tellement rapide que les ingénieurs ont déjà commencé à préparer les plans d’autres installations. On a augmenté… et on augmente encore la capacité des lignes de transmission et des sous stations, mais les demandes de service se multiplient du fait même de l’extension et de l’amélioration du réseau de distribution. D’importantes sources d’énergie hydraulique n’ont pas encore été exploitées. Des études sont en cours dans le but d’établir comment on pourra, de façon rentable, les intégrer dans le système de l’Hydro-Québec. Les grandes rivières qui se jettent dans la Baie James et dans la Baie d’Ungava, ainsi que celles qui se déversent sur la tête nord du Saint-Laurent constituent un potentiel d’importance majeure. On fait aussi des plans pour augmenter le rendement des rivières déjà partiellement exploitées. Le temps viendra aussi où on pourra recourir aux ressources des rapides de Lachine, près de Montréal. En plus des 13000000 de chevaux déjà utilisables, la province de Québec a donc encore de très grandes réserves d’énergie hydraulique.
Dans quelques semaines, une première unité produira de l’énergie à Manicouagan 2. Les autres unités de ce vaste complexe suivront, les unes après les autres. Dans quelques années, la Manicouagan et la Rivière-aux-Outardes nous fourniront plus de 7000000 de chevaux.
Mais toutes ces ressources, quelque abondantes qu’elles puissent nous paraître aujourd’hui, finiront par devenir insuffisantes. Le taux de croissance de l’Hydro-Québec est tel que les installations présentes et à venir ne pourront satisfaire à la demande que jusqu’en 1985 seulement, même en supposant que tout le potentiel hydraulique actuellement connu ait été utilisé. Parmi les grands réseaux électriques du monde, le système de l’Hydro-Québec est un des seuls qui dépendent presque exclusivement de l’énergie hydraulique. À part Beauharnois, Carillon et, éventuellement, Lachine, ses centres importants de production sont tous à grande distance des zones actuelles de grande consommation.
Le coût très élevé des lignes de transmission augmente le prix de la puissance de pointe. La longueur des lignes peut aussi, naturellement, affecter la régularité et la sécurité du service. Ce sont là des facteurs qui rendent souhaitable la construction de centrales thermiques près des centres de grande consommation. Le développement rapide des régions du nord de la province contribue d’ailleurs à rendre une telle politique beaucoup plus intéressante aujourd’hui qu’elle ne l’aurait été il y a quelques années. La demande d’électricité dans ces régions a augmenté de façon tellement spectaculaire, qu’il apparaît maintenant économiquement possible de les alimenter en utilisant nos réserves hydrauliques les plus éloignées.
Ce sont ces considérations qui ont amené Hydro-Québec à recommander qu’on établisse un programme de diversification des sources d’énergie de notre réseau électrique afin d’en arriver éventuellement, et d’une façon rationnelle, à une intégration de nos ressources hydrauliques dans un système mixte.
L’étude attentive des différentes méthodes de production d’énergie montre que les réacteurs nucléaires sont actuellement les seules sources d’énergie capables de concurrencer sérieusement les centrales thermiques de type classique. Il a donc été suggéré que l’Hydro-Québec entreprenne le plus tôt possible la réalisation d’un programme de construction de centrales nucléaires.
La mise en marche immédiate d’un tel programme présente de nombreux avantages. Il permettra d’abord de satisfaire l’augmentation de la demande d’énergie après que le projet Manicouagan-Rivière aux Outardes aura été complété. Il permettra aussi à l’Hydro de s’assurer les services d’un groupe de chercheurs et d’ingénieurs au courant des nouvelles techniques du génie nucléaire. Ce groupe constituera un noyau autour duquel il sera facile de constituer les équipes plus nombreuses qui deviendront nécessaires si la construction de centrales nucléaires prend une importance majeure. La collaboration entre Hydro-Québec et [Atomic Energy of Canada Limited] dans un programme conjoint donnera aussi à l’industrie secondaire de la province l’occasion de pénétrer dans le champ de la technologie nucléaire.
Les études qui ont été faites ont montré qu’on peut espérer des résultats fort prometteurs de la participation à un programme conjoint de développement d’un réacteur de type canadien refroidi à l’eau bouillante. Après avoir pris connaissance des conclusions de ces études, j’ai écrit au Premier ministre du Canada pour proposer qu’une installation de ce genre soit construite dans la province de Québec par [Atomic Energy of Canada Limited], avec la coopération de l’Hydro-Québec, suivant des termes semblables à ceux qui régissent la construction de l’usine de Douglas Point en Ontario.
Il me fait extrêmement plaisir de pouvoir annoncer que le gouvernement fédéral est d’accord avec nos conclusions et qu’une entente de principe est intervenue concernant la construction d’une centrale nucléaire dans le Québec. [Atomic Energy of Canada Limited] fait actuellement le travail de mise au point d’un réacteur qui représentera un grand pas en avant dans le domaine de l’énergie nucléaire. À moins de retards imprévus dans la mise au point de ce réacteur de type CANDU-BLW, on peut tenir pour acquis que la décision d’en commencer effectivement la construction sera prise à la fin de l’année prochaine. Il s’agit d’un réacteur de 250 mégawatts, de type canadien, utilisant l’uranium naturel comme combustible, l’eau lourde comme modérateur, et refroidi par de l’eau ordinaire en ébullition. Avec l’assurance que cette installation sera incorporée dans son réseau, Hydro-Québec pourra dresser immédiatement ses plans de développement nucléaire et commencer à recruter et à entraîner le personnel spécialisé dont elle aura besoin.
De nos jours, la terre des hommes a besoin chaque mois d’une quantité d’énergie supérieure à celle que leurs ancêtres du Moyen-Âge utilisaient dans un siècle. Quelle que soit l’abondance de nos ressources présentes, nous devons des maintenant envisager le fait qu’elles seront insuffisantes dans un avenir relativement proche. D’autre part, la production dans le Québec d’électricité à partir de centrales thermiques classiques, au charbon, à l’huile ou au gaz naturel, nous obligerait à faire venir de très loin d’énormes quantités de ces combustibles. Un jour viendra sans doute où les régions qui les produisent en auront besoin pour elles-mêmes et en limiteront l’exportation, ou bien leur coût deviendra prohibitif.
La construction d’installations nucléaires fera peut-être peur à certaines gens, à cause des dangers que peuvent présenter les radiations. Mais l’histoire de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire démontre que les dangers ne sont pas plus grands dans cette industrie que dans les autres. La sécurité y augmente d’ailleurs sans cesse, à mesure que l’expérience acquise permet de perfectionner la technique.
Il ne servirait à rien de s’enfouir la tête dans le sable (je devrais peut-être dire « de la plonger dans nos abondantes réserves d’eau »). Nous sommes à l’âge nucléaire. Il faut le reconnaître et essayer de prendre les mesures nécessaires pour que les techniques nouvelles servent au mieux les intérêts de l’humanité. En participant au développement de l’énergie nucléaire pour des oeuvres de paix, nous aiderons à chasser les craintes et à faire avancer le monde sur la voie du progrès, ouverte il y a 61 ans par Rutherford, à Montréal.
[QLESG19650515]
[Congrès du Barreau de la Province de Québec Québec, le samedi 15 mai 1965 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre du Québec.
A publier après: 8:00 hres. p.m.Le 15 mai 1965.]
Il faut d’abord que je vous dise combien je suis heureux d’être des vôtres ce soir. En m’invitant ici, vous m’avez parmi – et je n’aurai pas l’hypocrisie de nier mon plaisir d’entendre des choses agréables, qu’on a dites à mon sujet; mais surtout, vous m’avez fourni l’occasion de revenir, pour un moment trop bref, au Barreau. J’éprouve à me retrouver parmi mes confrères, parmi vous, une grande satisfaction. Je vous remercie de me l’avoir procurée et, pour vous prouver ma reconnaissance, je n’abuserai pas de vos instants. Du reste, pendant que je songeais à la préparation de ce discours, j’ai consulté un confrère. « Qu’est-ce qui », lui ai-je demandé, « pourrait, selon vous, étonner le plus agréablement une assemblée d’avocats? » Voici sa réponse catégorique et péremptoire: « Un discours très bref ». Durant ce congrès qui est le couronnement d’une année d’études et de recherches, vous vous êtes occupés de la révision des structures du Barreau. Ce labeur, que
vous vous êtes imposé en vue d’adapter la profession d’avocat aux exigences de notre temps, mérite des louanges: il porte témoignage de votre conscience professionnelle. Seul un sens aigu de vos devoirs explique votre désir de toujours mieux servir la société; seule une louable lucidité vous permet de constater d’une part que le Barreau ne peut rester immobile dans une société en marche et, d’autre part, l’importance de l’homme de loi dans le monde d’aujourd’hui.
C’est précisément du rôle éminent que le juriste doit jouer dans notre société que je veux vous entretenir un moment.
Connaissant la fonction que j’occupe – du moins, je l’espère, vous comprendrez que je veuille d’abord insister sur l’importance de la tâche du juriste au sein de la fonction publique.
Notre époque se caractérise par une extension de l’action des pouvoirs publics qui se manifeste inévitablement par un accroissement considérable de la production législative.
Le législateur timide et réservé d’autrefois visait par ses rares interventions à maintenir un ordre d’ores et déjà établi: il légiférait pour une société passablement satisfaite de son sort.
Aujourd’hui, chacun exige que l’État intervienne dans tous les champs d’action afin de favoriser la création d’un ordre qui permette davantage l’épanouissement de la personne humaine. Le législateur, par la force des circonstances, est devenu audacieux et entreprenant: il légifère continuellement pour une société complexe et en voie de perpétuel devenir.
Cette activité législative, qui chaque jour pénètre davantage dans des domaines autrefois réservés à la libre initiative des individus, risquerait de n’être qu’une vaine agitation si elle n’était pour une grande part inspirée et guidée par des législateurs avertis. Il faut le rappeler à ceux-là qui, avides de changement, voient dans l’homme de loi un simple technicien de la chicane – trop enclin à louer un passé révolu, et qui pour cette raison voudraient ne lui faire jouer qu’un rôle mineur dans l’élaboration des lois. Ceux-là se trompent: on ne peut faire de lois sans faire de droit. Et la tâche du juriste au sein de la fonction publique doit grandir dans la mesure même où s’accroît l’activité législative. Si l’on veut – et serait-il concevable que l’on désirât autre chose? – que nos lois réalisent la justice, il faut faire participer le juriste à tous les stades de leur élaboration et non seulement faire appel à lui pour rédiger des lois dont d’autres auraient constaté la nécessité et fixé le contenu.
Il est essentiel aujourd’hui que toute législation importante soit précédée d’une analyse de la réalité sociale et économique que l’on veut modifier; il est en effet normal de bien connaître ce que l’on veut améliorer. S’il est vrai qu’aujourd’hui, à la différence d’hier, il se trouve des sociologues et des économistes spécialement préparés à cette tâche, il n’en demeure pas moins due le juriste ne peut être étranger à cette étude. Le monde où nous vivons a été façonné, pétri par le droit, et l’on ne saurait le comprendre ni l’analyser sans se référer aux notions et aux règles juridiques.
Il appartient aussi aux juristes d’intervenir quand il s’agit de fixer les objectifs que les lois doivent poursuivre et non seulement pour déterminer les moyens propres à les atteindre. Le droit, en effet, est à la fois, comme l’a dit Savatier, une technique et une éthique. Le juriste a pour mission de servir « un idéal moral et social donné » à la réalisation duquel doit tendre l’ensemble de nos lois. Grâce aux connaissances qui sont les siennes, le juriste verra que certaines mesures législatives qui semblent s’imposer à première vue doivent, après un examen profond, être rejetées parce que, dans leurs conséquences ultimes, elles contrediraient des valeurs qui doivent être préservées.
Il ne faut pas se cacher que l’accomplissement de cette tâche par l’homme de loi est aussi difficile que nécessaire. Difficile, parce que la société d’aujourd’hui n’a pas la simplicité de celle d’hier et que le juriste, pour participer efficacement à la fonction législative, doit, en plus de posséder sa science propre, connaître les autres sciences sociales et accepter de collaborer avec les sociologues et les économistes; difficile aussi, parce que l’abondance des lois a rendu plus complexe un système juridique dont le juriste doit, malgré tout, conserver une vue d’ensemble afin d’en assurer le développement harmonieux; difficile, enfin, la tâche de celui qui participe à l’élaboration des lois, à cause de la nécessité qui s’impose à nous du Québec de nous doter d’un droit original qui corresponde à nos aspirations et à notre culture. S’il fut un temps où l’essentiel des lois avec lesquelles le citoyen venait en contact était contenu dans le code civil, où le législateur pouvait se permettre de traduire servilement les lois des autres provinces, cette époque est maintenant révolue. L’activité législative est aujourd’hui si poussée et pénètre si intimement la vie de tous qu’il serait illusoire de prétendre vouloir conserver notre culture si nous ne nous donnons pas des lois qui, autant dans leur but que dans leur technique, sont conformes à notre génie propre. Or, il n’est pas facile de satisfaire à cet impératif quand, d’une part, nous nous sommes toujours nourris de doctrine et de traditions juridiques nées sur d’autres sols et que, d’autre part, la nécessité d’harmoniser les solutions de notre droit avec celles des autres provinces nous incite à céder à la facilité du plagiat plutôt qu’à maîtriser les difficultés de la création.
Telles sont les exigences, telle est aussi l’importance de l’apport de l’homme de loi à la fonction législative. Mais le juriste de la fonction publique, quand il serait un puits de science, ne saurait à lui seul assurer la qualité de nos lois. Tous les juristes, et en premier lieu tous les avocats, doivent à cet égard prendre conscience du fait qu’ils sont véritablement investis d’une mission publique. Je vous ai parlé du juriste de la fonction publique, aussi permettez qu’avant de terminer je vous dise un mot de la fonction publique du juriste. On parle beaucoup aujourd’hui, et non sans raison, du rôle des corps intermédiaires dans une société vraiment démocratique. Or, j’en connais peu qui soient aussi importants et qui puissent avoir une action plus bénéfique que le Barreau. Il est nécessaire que le Barreau porte un intérêt critique à l’activité des pouvoirs publics. Il faut que l’ensemble des hommes de loi soit au premier rang de ceux-là qui s’appliquent à souligner les occasions inévitablement trop nombreuses où les pouvoirs publics sacrifient la justice à l’efficacité, soit en édictant des lois trop rapidement préparées, soit en négligeant de modifier des lois qui ne satisfont plus a nos besoins.
Les avocats ne pourront cependant remplir cette mission qu’en se dépouillant de ce conservatisme qu’on leur reproche souvent et qui n’est autre chose, en définitive, qu’un attachement excessif, non pas à la justice mais aux moyens imparfaits qui, à une époque donnée, ont pu servir à la réaliser. « La forme! » comme le disait en se moquant Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro.
Nos lois, nos codes, si anciens et vénérables soient-ils, ne sont que des moyens techniques servant à incarner la justice que le juriste a la mission de servir. Ils n’ont rien d’intangible ou de sacré et les juristes auraient tort de les considérer comme tels; car il importe que l’ordre juridique existant soit critiqué non seulement par ceux-là qui se sentent la vocation de le démolir, mais surtout par ceux qui, comme vous, ont la formation et les aptitudes pour le reconstruire.
[QLESG19650521]
[A publier après 8:00 hres p.m. Le 21 mai 1965. Allocution du Premier Ministre prononcée lors du dîner d’État donné en l’honneur de Leurs Majestés Impériales d’Iran le vendredi, 21 mai 1965.]
Si brève que soit malheureusement la visite de Leurs Majestés Impériales, le Shah et l’Impératrice d’Iran, nous voulons qu’elle soit marquée, dès le premier instant, de la respectueuse mais très spontanée, très amicale bienvenue que nous leur offrons. Pour la première fois dans son histoire, le Québec a l’honneur d’accueillir les représentants d’un pays dont la splendeur historique tient presque du fabuleux, d’un pays dont la civilisation antique a laissé sa marque indélébile dans les Annales du monde et coloré ses légendes les plus poétiques. Car le véritable inventeur du réacteur sur lequel Leurs Majestés ont volé jusqu’à nous, c’est – et je ne plaisante pas – le poète persan qui a rêvé le premier tapis magique! Et pourtant, si prestigieuses que soient les traditions persanes, le souverain sait qu’elles ne tiraient pas leur force de l’immobilisme, de l’inertie ou de la stagnation, mais du germe de progrès que contient en puissance toute civilisation véritables. C’est un fait de notoriété publique que l’Iran est gouverné par un homme d’une extraordinaire personnalité dont le leadership déterminé est en voie de transformer prodigieusement les conditions sociales et économiques d’un pays dont on disait peut-être, comme on l’a dit trop facilement du Québec, que rien n’y doit changer. Surmontant ce qui paraît insurmontable aux timorés et aux défaitistes, surmontant les différences de races, de couleurs, de religions, de castes, Sa Majesté le Shah d’Iran symbolise l’union dans sa personne. Sans crainte de heurter, quand il le faut absolument, des coutumes sacro-saintes, sans laisser amollir son courage par la critique que connaissent trop bien ceux qui agissent, c’est-à-dire le reproche du « trop vite » et le reproche du « pas assez vite », il a relevé tous les défis d’une situation difficile. Il n’a pas craint de livrer la lutte à l’ignorance, à la pauvreté, au parasitisme, à une extrême-droite égoïstement installée dans des privilèges féodaux, à une extrême-gauche anti-nationaliste, et il a rempli son peuple de confiance en soi-même en lui prouvant qu’il pouvait rêver grand et accomplir de grandes choses. C’est un homme heureux que je viens d’avoir le très grand honneur de rencontrer… heureux parce qu’il s’est voulu le premier serviteur de son peuple, heureux parce qu’il existe une conformité, une identification, une harmonie entre sa personnalité et la mission qu’il s’est donnée … heureux enfin parce qu’il trouve son propre bonheur dans le précieux stimulant qu’est la recherche du bonheur de son pays. Sa conception du gouvernement démocratique s’identifie parfaitement à la constitution de son pays. Elle diffère de la nôtre en ce sens qu’elle prévoit une intervention directe du monarque dans les affaires du gouvernement. Cela prouve une fois de plus cette vérité politique qu’aucun système ne possède exclusivement et hermétiquement le monopole de l’efficacité et que comptent avant tout l’homme, son amour de la patrie et sa bonne volonté nourrie du désir de progrès. Oui, l’important, c’est le courage moral, l’audace intellectuelle, la vision de l’avenir, l’activité créatrice. C’est un homme doué de toutes ces qualités que nous nous honorons d’accueillir aujourd’hui, un homme dont la culture étonnante est d’une diversité inouïe, à qui aucune idée, aucune discipline ne sont étrangères et qui n’a pas craint, dans sa hiérarchie personnelle des valeurs, d’accorder une place primordiale au merveilleux instrument de travail intellectuel qu’est la langue française,[ for I have often noticed that to people whose mother tongue is not French, the enriching pleasure occasioned by French culture is one fit for kings!]
Je me sens un peu honteux devant un homme qui parle je ne sais combien de langues et qui s’exprime avec une élégance extraordinaire et une correction raffinée dans les deux langues officielles de notre pays, de ne pouvoir lui parler dans la sienne. Je n’ai réussi qu’à élaborer la phrase suivante: [CHAHANCHAHA BE OSTANE -QUEBEC HRO9HAMADIDE] Mais comme Leurs Majestés comprennent mieux le français que l’iranien (tel que je le parle) je traduis à leur intention! Majestés, soyez les bienvenues au Québec! Elles auront excusé la maladresse de ma prononciation en la corrigeant par la sincérité de mes sentiments! Je prie Leurs Majestés Impériales, le Shah d’Iran et la très gracieuse Impératrice de recevoir les voeux très chaleureux que leur offre la population du Québec pour eux et pour leurs enfants, et je leur demande de conserver d’une province dont ils ont si facilement charmé tous les coeurs le plus amical des souvenirs.
[QLESG19650526]
[La Fédération libérale du Québec Dîner-bénéfice Château Frontenac Québec – le 26 mai 1965 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre. À publier après 8h.00 P.M. ]
Depuis que les libéraux du Québec ont décidé de donner des cadres permanents à leur parti et de doter celui-ci d’une structure démocratique – il y a maintenant dix ans de cela! – le goût de la démocratie et de la liberté semble avoir gagné tous les milieux de notre communauté québécoise. Je ne sais si c’est le bon exemple que nous avons donné ou, plus simplement, le désir de conservation qui l’a emporté sur l’esprit de tradition, mais toujours est-il que les adeptes même les plus endurcis du régime autoritaire que le Québec a subi pendant seize ans se sont finalement laissé gagner, eux aussi, au jeu compliqué de la démocratie. Du moins l’affirment-ils. C’est beau de leur part et ça mériterait sûrement qu’on les en félicite, si seulement l’on pouvait se convaincre de leur sincérité. Mais c’est ça qui est difficile! Remarquez que j’aimerais bien les croire et que je suis tout, disposé à les aider de mon mieux à s’engager dans la voie de la démocratie. Je l’ai d’ailleurs fait de bonne grâce en mars dernier quand j’ai accepté que les travaux de la Chambre soient ajournés plus tôt qu’à l’accoutumée pour permettre aux députés de l’opposition d’assister au congrès que leur chef avait remis de mois en mois depuis près de quatre ans. Peut-être aurais-je dû moins collaborer car d’après ce que j’ai lu de ce congrès dans les journaux, la démocratie n’y a pas fait les gains spectaculaires qu’on nous prédisait. Il est vrai que de la part de nos amis de l’opposition, nous aurions tort de nous attendre à autre chose que des illusions ou des déceptions. Je ne voudrais pas en dire plus long sur le sujet. Après tout, ce que font ces retardataires perdus dans leur passé peu glorieux ne nous concerne que de façon assez éloignée. Je ne puis toutefois m’empêcher de trouver quelque peu curieux ce besoin qu’ils ont de se dire toujours les plus ceci, les plus cela, et de chercher à s’attribuer à tout moment des initiatives qui n’en sont plus depuis déjà passablement de temps.
Prenez par exemple cette invitation qu’ils ont lancée aux divers groupements professionnels, syndicaux, sociaux et autres, d’envoyer, sans engagement politique de leur part, des représentants aux différentes activités de leur congrès. Quelle innovation… quelle trouvaille! On a raison de dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sauf l’ancien qu’on ne connaissait pas! Le député de Bagot et ses amis ne savent décidément rien de ce qui se passe dans la province. Mais où étaient-ils donc il y a dix ans quand, à l’occasion de son premier congrès, la Fédération libérale du Québec organisait déjà une « tribune libre » au Mont Saint-Louis, à Montréal, dont le modérateur était le regretté Jean-Marie Nadeau et à laquelle étaient conviés les représentants autorisés de l’ancienne C.T.C.C. (aujourd’hui la
C.S.N.), de l’U.C.C., du Congrès des métiers et du travail du Canada, du Conseil supérieur de la Coopération, de l’ex Congrès canadien du travail (aujourd’hui le C.T.C.) et de bien d’autres encore. Il y a des fois où je me demande si l’Union nationale ne fouille pas dans nos corbeilles à papier pour y prendre les copies au carbone de nos réalisations et s’en faire un programme! En 1955, le Québec croupissait dans la « grande noirceur ». La dictature du parti au pouvoir rejoignait alors tous les milieux de notre société. Et malheur à celui qui aurait osé lever bien timidement la tête pour réclamer ne fût-ce qu’un moment de liberté. Ils ne furent pas nombreux ceux qui répondirent, en novembre 1955, à l’invitation de notre fédération. J’ai trop des cinq doigts de la main pour les compter. Il n’y a pas de reproches à faire à ceux qui dans le temps ont cru préférable de s’abstenir. Ils avaient sûrement des motifs valables, quoique sans doute discutables, d’agir comme ils l’ont fait. N’était-il pas en effet difficile de croire en 1955 qu’il pouvait servir à quelque chose d’être téméraire au pays de Québec! La dignité, ça coûtait cher devant un dictateur qui exigeait bouche cousue même de ses collaborateurs immédiats. Mais justement parce que les militants libéraux d’alors et quelques autres ont su faire preuve de courage et de ténacité, lorsque cela semblait inutile, les choses ont finalement changé pour le mieux. Aujourd’hui, la liberté règne partout dans le Québec et chacun peut s’en prévaloir en toute tranquillité. Et quand on répond affirmativement à une invitation de l’opposition et qu’on participe à un congrès dont on ne partage pas nécessairement l’idéologie ni l’orientation, – comme ce fut le cas pour plusieurs en mars dernier, – on sait fort bien qu’on n’a pas à craindre les représailles du gouvernement et des hommes qui le compo sent. Je m’en réjouis car j’y vois la preuve que le Québec a connu un véritable changement de vie avec l’arrivée au pouvoir du parti que je dirige… la preuve également que depuis juin 1960, la démocratie chez nous est définitivement rentrée dans ses droits. Aujourd’hui que tout le monde « vole au secours de la victoire », nous pouvons nous dire que notre isolement d’autrefois est doublement à notre honneur. Premièrement, pour l’avoir connu. Deuxièmement, pour ne l’avoir pas ensuite imposé aux autres! Est-il nécessaire de multiplier les exemples pour démontrer combien il est facile de dégonfler les vantardises de ceux qui voudraient tant nous faire oublier leur passé? Je ne le crois pas. Toute leur entreprise de démocratisation est cousue de fil blanc, et il n’est pas besoin de faire d’efforts pour deviner leur jeu, malgré toutes les cartes qu’ils se passent sous la table. Une première preuve en est cette curieuse décision qu’ils ont prise de tenir leurs assises générales à tous les deux ans seulement. C’est donc dire que leur prochain congrès n’aura lieu qu’en 1967. Je n’ai pas, je crois, à vous faire de dessin pour que vous compreniez ce que cela signifie. Je me demande seulement s’il restera alors suffisamment de membres de ce parti voué à la disparition pour justifier la tenue d’un congrès. Encore plus révélateur est le silence prudent qu’ils ont observé au sujet des finances de leur parti. Voici des gens qui depuis cinq ans reprochent violemment au Parti libéral du Québec de ne pas procéder avec suffisamment de célérité et d’enthousiasme à la démocratisation de son financement. On aurait pu croire qu’ils auraient profité de la première occasion qui leur était donnée de se réunir pour régler publiquement la question de leur caisse électorale. Mais non, pas un mot. Ils sont très loquaces lorsqu’il s’agit de prêcher la morale aux autres Mais quand vient le temps pour eux de poser des gestes, ils deviennent timides et ne trouvent plus rien à dire.
Même si l’on ne souscrit pas nécessairement à tous les objectifs du Parti libéral du Québec, même si l’on ne partage pas toutes ses vues, on admettra en toute honnêteté que le financement démocratique des élections et des partis politiques est un domaine où nous avons démontré une grande sincérité, tout en nous efforçant d’être réalistes. Nous avons commencé d’agir et nous continuons d’agir en ce sens. Personnellement, je ne désespère pas d’en arriver très bientôt à des solutions qui, sans être nécessairement parfaites, satisferont davantage aux exigences de la démocratisation. Beaucoup a été fait dans ce domaine depuis 1960. Je soumettrai bientôt à la Chambre des amendements à notre Loi électorale de 1963 qui, dans l’ensemble, aideront à démocratiser davantage le financement des élections. J’ai l’intention, ce soir, de vous parler en toute franchise, cartes sur table, des mesures que nous avons prises et que nous continuons de prendre en ce sens, tant dans le domaine de la législation qu’au point de vue régie interne du parti. Mais, vous me permettrez bien, avant de ce faire, de rendre ici hommage à la Fédération libérale du Québec pour sa contribution combien méritoire aux efforts que nous déployons depuis cinq ans afin d’assainir de plus en plus le climat politique dans notre province. Nos militants libéraux ont non seulement fourni dans ce domaine des idées et des suggestions qui ont été fort utiles aux législateurs comme aux dirigeants du parti, mais ils ont aussi voulu prêcher par l’exemple. Les moyens démocratiques qu’ils utilisent pour assurer l’auto-financement de la Fédération et de ses organismes permanents permettent d’espérer que les partis politiques qui se respectent parviendront finalement à vaincre les difficultés qui ralentissent le processus de démocratisation de leurs finances.
Le président de la Fédération, le docteur Irenée Lapierre, et les membres de son exécutif méritent nos félicitations les plus chaleureuses pour l’intérêt soutenu qu’ils accordent, comme leurs prédécesseurs, à la solution de ce problème complexe et difficile. Ils sont tous aussi désireux que moi de voir le Parti libéral du Québec demeurer à l’avant-garde dans ce domaine comme dans tous les autres.
Les dîners-bénéfices comme celui de ce soir constituent la pierre d’assise de l’auto-financement de la Fédération. Je sais tout le dévouement qu’il faut consentir avec conviction et générosité pour organiser une manifestation de ce genre et en faire une réussite Aussi je m’en voudrais de ne pas remercier, en votre nom et au mien, le trésorier, monsieur Jean Morin, et les membres de la Commission de finance et du comité des banquets pour le magnifique travail qu’ils accomplissent et qui est toujours couronné d’un succès bien mérité. Pour apprécier comme il se doit tout ce qui a été fait depuis quelques années pour assainir nos moeurs politiques, il faut se rappeler quelle situation existait au Québec avant le 22 juin 1960. Pendant seize ans, nos prédécesseurs avaient développé et mis au point une « machine infernale ». Son moteur consistait en une loi électorale machiavélique dont la principale source d’alimentation était l’argents C’est dire l’importance qui était accordée à la « caisse électorale » et la puissance que détenait le grand argentier du régime.
Ainsi donc, une double tâche, parmi tant d’autres, se présentait à nous au lendemain de la libération de la province. D’une part, il nous fallait doter le Québec d’une loi électorale vraiment démocratique… d’une loi qui garantisse les droits et la liberté du citoyen, qui place tous les candidats et partis [« bona fide »] sur un pied d’égalité et qui, de plus, prévienne la fraude et l’orgie des dépenses d’élections. D’autre part, nous devions réduire à de justes proportions – c’est-à-dire à des proportions beaucoup plus modestes – le rôle de la « caisse » au cours des élections, car il fallait éviter, pour le bien de tous, que se reconstitue la « machine infernale » que nous venions de démanteler. La réalisation de ce deuxième objectif signifiait une action énergique de notre part dans les domaines de la législation, de l’administration publique et de la régie interne de notre parti. La refonte de la loi ilectorale ne fut pas une tâche facile. Il fallut y mettre beaucoup de réflexion et de temps. Notre fédération, pour sa part, y est allée de sa contribution fort utile. La nouvelle loi fut finalement sanctionnée à la session de 1963, et est entrée en vigueur le premier janvier 1964. Elle comporte de multiples innovations dont vous êtes déjà au courant. Mon intention n’est pas de vous en faire une description générale mais bien plutôt d’en souligner les aspects qui concernent le financement des élections. Notre première préoccupation dans ce domaine fut de limiter les dépenses, comme le réclamait d’ailleurs notre population afin de mettre un terme aux orgies maintes fois dénoncées et qui entachaient le bon renom de la province. Les restrictions imposées sont telles qu’un candidat ne peut dépenser au cours d’élections générales que $0.60 par électeur dans le district électoral jusqu’à 10000; plus de $0.50 par électeur jusqu’à 20000 et plus de $0.40 au delà de ce nombre. Pour des élections partielles, les montants que je viens de mentionner sont augmentés de $0.25 par électeur. De plus, dans certains comtés éloignés, le maximum fixé par les conditions que j’ai décrites est augmenté de $0.10 par électeur. Enfin, pour ce qui concerne le parti reconnu selon les termes de la loi électorale, le montant maximum de ses dépenses est limité, au cours d’élections générales, à $0.25 par électeur dans l’ensemble des circonscriptions où ce parti a un candidat officiel, et ne peut rien dépenser dans des élections partielles. Je considère qu’en principe la restriction par la loi des dépenses électorales est le meilleur contrôle qui puisse exister. Nous avons vu, au cours des élections partielles, qu’il est tout naturel pour le candidat et ses aides de vérifier minutieusement les dépenses de l’adversaire et de ses agents. Il n’y a aucun doute que les partis reconnus feront de même au cours d’élections générales pour ce qui concerne leurs adversaires. Il ne faut pas oublier que les dépenses, surtout celles des partis, consistent en publicité imprimée ou audio-visuelle et que les tarifs sont standards. Ce que je veux dire, en définitive, c’est que le contrôle le plus efficace possible est celui des dépenses. On parle souvent de la limitation des souscriptions électorales et de la publication des noms des souscripteurs et l’on prétend que si telle limitation et telle publication étaient obligatoires en vertu de la loi, cela pourrait avoir une plus grande efficacité. J’en doute fort. En effet, il serait tellement facile de contourner la loi! De telles exigences se sont avérées rien moins qu’une farce monumentale ailleurs. Si l’on y songe le moindrement et que l’on ait un peu d’expérience des élections, – pour me servir d’un terme populaire – l’on sait que telle limitation et telle publication constituent probablement le meilleur moyen d’atteindre l’opposé du but recherché, c’est-à-dire d’en arriver à la création de fonds électoraux cachés tant au niveau des candidats qu’au niveau des partis. Cette première innovation dont j’ai parlé il y a un instant en appelait toutefois une autre. Il ne suffisait pas en effet de limiter les dépenses; il fallait également prévoir dans une certaine mesure de quelle façon candidats et partis pouvaient obtenir les montants que la loi leur permet de débourser. C’est pourquoi la nouvelle loi autorise, suivant certaines exigences préétablies, le remboursement par l’État d’une partie des dépenses des candidats. Notre décision d’agir ainsi visait deux buts bien précis. C’était, premièrement, d’assurer que tout citoyen qui désire se porter candidat à une élection provinciale puisse compter sur un montant minimum pour ses dépenses d’élection, à condition qu’il satisfasse aux exigences de la loi. La justice la plus élémentaire veut en effet que tous les candidats soient placés, au départ, sur un pied d’égalité dans ce domaine comme dans les autres. C’était, également, de réduire les besoins financiers des partis [« bona fide »], qui ont certaines responsabilités vis-à-vis de leurs candidats, et leur permettre ainsi de procéder plus rapidement à la démocratisation de leur financement.
Six élections partielles ont eu lieu dans la province depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi électorale. Je n’ai pas à vous en rappeler les résultats; ils sont bien connus de tous! L’expérience acquise dans Dorchester, Matane, Saguenay, Saint-Maurice, Terrebonne et Verdun, a démontré la nécessité d’apporter certaines modifications à la loi. Nous avions dit en 1963 que la loi, tout en marquant un immense progrès, demeurait sujette à des améliorations. C’est ce que nous viserons à faire par les amendements que j’ai l’intention de suggérer sous peu à l’étude de la Chambre.
Le plus important, je crois, est celui qui vise à augmenter la somme remboursable par 1’État au chapitre des dépenses des candidats. Actuellement, le montant est de $0.15 par électeur inscrit. L’amendement auquel je songe, aurait pour effet, peu importe le montant de la dépense autorisée par électeur inscrit, qu’il s’agisse de trente, quarante ou cinquante cents ou plus, de rembourser suivant les règles déjà établies le candidat des dépenses légalement encourues, de façon à ce qu’il ne reste à la charge du candidat qu’un montant de vingt cents par électeur inscrit.
Ainsi donc, tous les candidats qui se qualifieront seront à l’avenir assurés d’un montant minimum encore plus élevé qu’aujourd’hui pour faire leur campagne ce qui devrait inciter des hommes sérieux et compétents mais souvent peu fortunés à accepter une candidature qu’ils avaient dû refuser jusqu’ici. Les partis politiques, pour leur part, verront leurs besoins financiers réduits d’autant – ce qui est un excellent moyen d’éviter la tentation toujours présente d’avoir recours à des procédés souvent douteux, parfois même condamnables, pour recueillir des fonds électoraux.
J’ai dit qu’il ne resterait à la charge de chaque candidat que vingt cents par électeur inscrit et il restera évidemment à la charge d’un parti reconnu vingt-cinq cents par électeur inscrit sur une liste dans la province.
A la suite de l’expérience que nous acquerrons au cours des prochaines élections générales, nous verrons s’il n’y a pas lieu, tout d’abord, de faire rembourser au total par l’État les dépenses permises des candidats, afin de faire disparaître l’élément le plus difficile à contrôler: les souscriptions électorales au niveau du comté.
Pour, ce qui est du remboursement des dépenses des partis reconnus, le problème est hérissé de difficultés, une d’el les étant, par exemple, d’éviter une pléthore de candidats non sérieux d’un parti fantôme, parti qui n’existerait que temporairement pour soutirer des fonds de l’État.
Notre fédération étudie présentement le problème sous tous ses angles et nous ne nous désespérons pas d’y trouver une solution raisonnable, surtout avec l’expérience qui sera acquise au cours des prochaines élections générales.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner une autre mesure qui a été prise pour réduire les dépenses des candidats officiels de partis reconnus, c’est celle qui prévoit le paiement par l’État des représentants des candidats dans les bureaux de scrutin, sans que cette dépense soit comprise dans le maximum permis à un candidat donnée. Nous aurions pu attendre l’expérience d’élections générales avant d’apporter des changements à une nouvelle loi électorale qui n’a pas encore deux ans. Nous avons cru qu’il importait de le faire maintenant, même s’il est vrai que les modifications proposées favorisent davantage, en pratique, les partis d’opposition que celui au pouvoir. Ce qui démontre que le gouvernement que je dirige n’en est pas un qui piétine sur place ou dort sur ses lauriers. Il agit aussi rapidement que cela peut humainement se faire dès que l’exige le bien général. Il n’a qu’un but: maintenir à un rythme accéléré l’évolution de la société québécoise dans tous les domaines. Tous savent jusqu’à quel point l’administration de la chose publique servait, sous l’ancien régime, à alimenter la « ma chine infernale » par le truchement de la caisse électorale. Une enquête a eu lieu qui a permis d’établir certains faits. Des causes sont encore devant les tribunaux. Je n’ai donc pas à en parler.
Tout ce que je désire vous dire, c’est que nous avons pris les moyens voulus pour que l’administration de la chose publique ne serve pas à bâtir une nouvelle « machine infernale ». Ce qui nous importe, à nous les libéraux, c’est que l’argent du peuple serve à l’évolution et au bien-être des citoyens plutôt qu’à enrichir scandaleusement certains individus qui accepteraient allégrement de redevenir les bailleurs de fonds des partis qui n’ont pas scrupule à se laisser corrompre.
C’est ainsi que la pratique des soumissions publiques, pour les travaux gouvernementaux et l’approvisionnement de l’État, ne s’applique pas seulement au gouvernement de la province mais s’étend de plus en plus aux corporations municipales et scolaires et à toutes les institutions qui reçoivent des subventions gouvernementales. C’est ainsi également que le recrutement dans la fonction publique se fait par concours de la Commission du Service Civil et que d’autres administrations publiques utilisent de plus en plus une procédure similaire.
Vous savez fort bien ce que cela signifie. Un entrepreneur qui obtient un contrat à la suite d une demande de sou missions publiques sait que son prix est le plus basa Un marchand ou un manufacturier qui obtient une commande du Service général des Achats sait qu’il offre la meilleure qualité au plus bas prix possible. Un fonctionnaire qui obtient un emploi par concours sait qu’il l’a emporté sur ses rivaux par ses connaissances, son expérience et sa compétence. Aucun des trois ne se sent obligé envers qui que ce soit. Il est indispensable qu’il en soit ainsi. C’est la garantie que le développement de la province et l’évolution de notre société ne risquent pas d’être compromis par certaines « incidences » qui sont plus souvent qu’autrement des entraves au progrès.
La population nous a donné le mandat de faire du Québec un État moderne. Nous avons pris les moyens qu’il fallait pour pouvoir réaliser cette entreprise difficile mais combien exaltante. Nous entendons bien ne pas dévier de la voie qui nous con duit rapidement à l’objectif que nous nous sommes fixé! C’est évident, qu’il faut de l’argent pour faire une élection. Nous ne saurions tolérer cependant que l’argent soit le facteur déterminant, comme c’était le cas sous le régime de nos prédécesseurs. Notre volonté est d’assurer que les finances jouent désormais un rôle beaucoup plus modeste dans ce domaine. En ce sens, la refonte de la loi électorale et la réforme de l’administration publique ont beaucoup contribué à réduire l’importance que les politiciens devaient attacher jusqu’alors aux avantages que pouvait leur procurer l’argent. Toutefois, l’action de l’État ne saurait seule suffire. Il faut que les partis politiques acceptent eux aussi de faire leur part. Ils doivent contribuer volontairement à cette oeuvre d’assainissement en se donnant, chacun à sa façon, un genre de code d’éthique de leur financement.
Je ne sais ce que font ou entendent faire les autres partis à ce sujet. Ils ne m’ont évidemment pas consulté, et je ne sache pas qu’ils aient l’intention de le faire. Ce qui me concerne et m’intéresse beaucoup plus, c’est la façon dont se fait le financement de notre parti. J’ai dit que j’allais vous en parler franchement. C’est chose facile pour moi car là encore notre parti, j’en ai la conviction profonde, est bien en avance et prêche par l’exemple.
Comme on le sait déjà, la Fédération libérale du Québec qui constitue la permanence du parti – assure son autofinancement de façon absolument démocratique. C’est elle qui maintient les secrétariats à Québec et Montréal, le journal « La Réforme », le bureau de presse, le service de documentation; c’est elle aussi qui prend à son compte le coût de ses congrès, de sa publicité, de ses publications et des autres activités qui ont lieu entre les élections. Pour ce qui est de mon programme télévisé « Le Québec en marche », il est financé lui aussi sous l’autorité de la fédération par des demandes publiques de souscriptions faites par l’intermédiaire de monsieur Paul Bédard, de Québec.
Toutefois, lorsque survient un appel au peuple, la responsabilité du coût de la campagne électorale incombe alors à la trésorerie du parti. On imagine bien que ce n’est pas dans les cinquante jours d’une campagne électorale qu’un parti peut espérer recueillir tout l’argent dont il a besoin, à l’intérieur des limites permises par la loi. Ce sont les contributions qu’il reçoit entre les élections qui permettent de constituer une réserve plus ou moins suffisante.
Comment s’obtiennent ces contributions, demanderez vous; c’est ici que’ s’applique, du moins dans notre parti, le code d’éthique que j’ai mentionné tout à l’heure. En voici les grandes lignes, et je voudrais que vous m’écoutiez très attentivement afin de bien comprendre les règles que doit suivre celui qui désire contribuer au succès du Parti libéral du Québec pour lui permettre de poursuivre son oeuvre salutaire.
Premièrement: – Le trésorier du Parti libéral du Québec est désigné sous le nom de secrétaire aux finances du parti.
Deuxièmement: – Les seules personnes autorisées à recevoir les contributions entre les périodes électorales sont le secrétaire aux finances, le bâtonnier Roger Létourneau, de Québec, et ses adjoints, messieurs René Hébert et Peter Thomson, de Montréal. Troisièmement: – En période électorale, des solliciteurs pourront être désignés par le secrétaire aux finances qui leur remettra une pièce d’identité à cet effet, valable seulement pour la période concernée.
Quatrièmement: – Il est interdit aux personnes qui sont autorisées à recevoir’ ou à solliciter des contributions:
a) d’accepter des contributions conditionnelles ou des contributions faites en vue dé transiger avec le gouvernement ou l’un de ses organismes ou une société de la Couronne ou une institution subventionnée;
b) de dévoiler à aucun membre de la législature ou à aucun fonctionnaire ou employé d’une société de la Couronne ou d’une institution subventionnée, le fait qu’une contribution quelconque a été recueillie, de même que le refus ou l’omission de souscrire;
c) de faire quelque démarche en vue de faciliter ou assurer à un souscripteur, en tant que tel, une transaction quelconque avec le gouvernement ou l’un de ses organismes ou une société de la Couronne, ou une institution subventionnée. Cinquièmement: – Les contributions en espèces sont interdites. Sixièmement: – Toutes les contributions doivent être faites par des chèques payables à l’ordre de « Le Trust Royal » ou « Le Trust de Montréal », exception faite pour les sollicitations publiques et ouvertes: cotisations des membres des associations libérales de comté, cotisations des associations de comté à la Fédération libérale du Québec, billets pour dîners-bénéfices des associations de comté, des groupements régionaux et de la Fédération libérale du Québec, appels spéciaux pour publicité entre les élections générales ou partielles, exemple « Le Québec en marche », et autres activités du genre.
Septièmement: – Les compagnies de fiducie soumettent des rapports au secrétaire aux finances qui, à son tour, les soumet semestriellement au chef du parti, et seulement au chef du parti. Ces rapports indiquent les retraits et autres renseignements pertinents, ainsi que l’ensemble des contributions perçues au cours de la période en question, sans préciser la provenance des fonds.
Tout ce que je viens de dire est conforme à la pratique suivie chez nous depuis quelques années et à des instructions écrites que j’ai données il y a quelques mois à MM. Létourneau, Hébert et Thomson. Cette procédure fort stricte doit être respectée par tous et, personnellement, je n’accepterai pas qu’on la transgresse. S’il arrivait qu’on y déroge et que quelqu’un en soit témoin, il n’aura qu’à m’en faire part. Je verrai à prendre les moyens pour que la chose ne se répète pas. Certains diront peut-être: pourquoi ne pas transcrire dans la loi le code d’éthique que vous appliquez au Parti libéral du Québec afin que tous y soient soumis? Nous y avons pensé sérieusement. Je vous répète qu’un comité étudie le problème depuis déjà passablement de temps. Il n’a pas terminé son travail. Malheureusement, il n’a pas réussi jusqu’ici à trouver la formule qui permettrait d’inscrire dans la loi une telle disposition sans risquer de créer de la présomption et de l’injustice. Je ne connais pas d’ailleurs de loi électorale qui aille aussi loin. Ce qui n’est évidemment pas une raison pour que nous n’innovions pas dans ce domaine comme nous l’avons fait dans tant d’autres.
On a suggéré d’autre part que l’État rembourse aux partis et aux candidats qui satisfont aux exigences de la loi électorale toutes les dépenses d’élection permises légalement. Ainsi, les partis n’auraient plus à se constituer de fonds électoraux. Il suffirait alors à la structure démocratique – c’est-à-dire celle qui rend publiquement des comptes – de tout parti politique d’assurer sa permanence par des cotisations et des appels publics, comme c’est déjà le cas pour notre fédération.
Comme je l’ai dit, je suis loin de rejeter cette suggestion, même si je ne suis pas entièrement convaincu que son application, hérissée de difficultés, – je l’ai dit tantôt fasse disparaître automatiquement les caisses électorales cachées. Il me semble toutefois que l’État a déjà fait un très grand pas en décidant de rembourser, aux candidats qui se qualifient, les dépenses permises par la loi, moins 20¢ par électeur. Avant de songer à faire rembourser, à même l’argent des contribuables, toutes les dépenses des partis et des candidats qui satisfont à la loi, il importe pour le moment que les partis fassent également leur part et démontrent leur bonne foi. La solution, comme je l’ai expliqué, est bien plus dans la limitation des dépenses électorales et leur remboursement par l’État, que dans le contrôle, toujours problématique et difficile, des souscriptions aux partis.
A ce sujet, on n’est pas sans savoir que la télévision et la radio sont les facteurs peut-être les plus coûteux d’une campagne électorale. Il s’agit évidemment d’un domaine de juridiction fédérale. Je veux croire que le comité fédéral qui enquête au sujet des dépenses électorales accordera une attention particulière à ce problème et fera des suggestions qui permettront aux partis politiques de réduire considérablement, sinon à rien, le coût de leur publicité audio-visuelle.
Comme je vous l’ai dit au début de cette allocution, nous ne désespérons pas d’en arriver un jour prochain à une solution qui, sans être nécessairement parfaite, satisfera davantage aux exigences de la démocratisation du financement des élections et des partis politiques. Une chose est certaine: nous avons l’esprit ouvert à toutes les suggestions. La fédération, qui étudie ce problème sérieusement, les recevra avec intérêt et n’hésitera pas à faire au chef du parti les recommandations qu’elle jugera pertinentes.
Qu’on le comprenne bien: le régime de la peur, du chantage et de l’intimidation a vécu au Québec. Aussi longtemps que la population et le parti que je dirige me conserveront leur confiance, je n’accepterai jamais qu’un tel régime renaisse chez nous. C’est pour que l’argent ne soit plus jamais ce rouleau compresseur derrière lequel on marche en toute assurance vers le pouvoir acheté, que j’ai voulu mettre devant vous « cartes sur table ».
[QLESG19650528]
[Sir George Williams University À publier après 9:30 h. P.M. Montréal, le 28 Mai 1965 Le 28 Mai 19650 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]
Vous qui appartenez à la communauté canadienne-anglaise et qui vivez au Québec, vous savez combien il se dit et s’écrit actuellement de choses sur notre province, tant chez nous, que dans le reste du Canada ou même à l’étranger. L’idée qu’on se fait de l’évolution dont, à notre façon nous sommes tous les artisans, n’est peut-être pas toujours exacte dans ses détails, comme il a pu vous arriver de le constater. Pourtant le fait même qu’on s’intéresse au Québec plus que jamais auparavant doit nous démontrer clairement, si nous en doutons encore, que nous sommes à vivre une expérience humaine presque unique dont vous, québécois de langue anglaise, êtes les témoins et pouvez être les interprètes.
Les expériences humaines ont ceci de particulier, par rapport aux expériences courantes dans les sciences physiques, qu’on n’en connaît pas toujours parfaitement le point de départ, qu’on en contrôle plus difficilement la marche et qu’on en ignore souvent le résultat. Dans le cas du Québec, je pense bien que le point de départ est assez connu. Les historiens et les sociologues, avec le recul du temps, pourront dans quelques années nous expliquer encore mieux que nous sommes aujourd’hui en mesure de le faire en vertu de quelles influences précises la période de notre histoire qui commence vers 1960 a été caractérisée par un élan, par un mouvement comme il ne s’en trouve presque aucun exemple dans notre passé. Tout de même, il est déjà possible, à l’heure actuelle, d’énumérer certains des facteurs à l’origine de ce mouvement. Je pense, par exemple, à des réformes politiques, à un désir d’affirmation latent depuis des générations qui a soudainement trouvé un moyen d’expression, à une prise de conscience non seulement de la force économique que le Québec français représente mais aussi et surtout de celle qu’il lui parait possible d’obtenir. Tous ces facteurs jouent les uns sur les autres, se transforment mutuellement, et deviennent ainsi des points de départ nouveaux. Il importe cependant de retenir – et cela, à mon sens, explique le plus logiquement la période actuelle – que toutes ces causes, et bien d’autres, ont agi à peu près en même temps. Des réformes d’ordre politique, il s’en est produit auparavant dans notre histoire. On peut retracer un désir d’affirmation dans toutes les générations qui nous ont précédés. La recherche de la puissance économique n’est pas non plus un objectif nouveau. Dans le passé, nous avons à peu près toujours consacré nos énergies à l’une ou l’autre de ces préoccupations, mais jamais à toutes ensemble. Cependant, depuis 1960, nous agissons dans tous les domaines à la fois, les citoyens s’appuyant sur leur gouvernement, et celui-ci trouvant son inspiration dans la conscience politique des citoyens et dans leur dynamisme naturel. C’est donc le caractère global de l’évolution actuelle qui doit retenir notre attention. C’est grâce à lui que tout le reste devient logique; c’est par lui que tout le reste semble possible; c’est pour lui que tout le reste apparaît souhaitable.
Et qu’est-ce que « tout le reste » ? « Tout le reste » est une nouvelle définition de nous mêmes, une nouvelle définition du Québec, par rapport à laquelle les grandes politiques que le gouvernement a mises de l’avant prennent figure de moyens orientés vers une fin unique. Il y a évidemment des objectifs à courte échéance, mais ils seront atteints par la recherche même de cette fin. Ainsi, il est clair que notre action économique vise avant tout à une amélioration du niveau de vie de nos citoyens, mais elle est aussi un des éléments de notre définition comme peuple. Il en est de même du domaine de l’éducation, de la culture, de l’administration publique, du bien-être social, et que sais-je encore?
Rappelons-nous que nous sommes dans le domaine de l’humain. Comme je le disais, il y a un instant, en faisant une comparaison entre les expériences des sciences physiques et les expériences humaines, nous ne pouvons pas contrôler à chaque moment et dans chacun de ses aspects la marche en avant de tout un peuple. En d’autres termes, s’il est certain que la société québécoise évolue rapidement, personne ne peut avec certitude diriger cette évolution vers des objectifs nets, arrêtés d’avance et au delà desquels il serait interdit de s’aventurera Il est même évident que des couches de notre société, que des classes entières, n’évoluent pas au même rythme que les autres. Certaines croient que le mouvement est trop lent, d’autres qu’il est trop rapide. Et chaque groupe croit honnêtement avoir raison. Ainsi le veut notre régime démocratique de vie.
Il arrive aussi, justement parce que nous vivons en démocratie, que tous ne s’entendent pas sur la définition de nous mêmes que nous recherchons. C’est pourquoi je disais tout à l’heure qu’on ignore souvent le résultat des expériences humaines. C’est pourquoi aussi je, vous dis maintenant que je ne peux pas, même comme Premier ministre du Québec, vous prédire avec sûreté ce que sera le Québec de demain. Si on est en mesure, avec assez de facilité, de dégager les tendances, les lignes de force de l’évolution actuelle, on ne peut pas, d’autorité, en fixer « a priori » le terme. Cela n’est pas désirable dans un régime qui veut respecter la libre expression des opinions; cela ne serait même pas possible dans une dictature, car l’histoire nous rappelle avec une insistance humiliante pour les prophètes et les doctrinaires qu’aucune dictature n’a fini – même dans sa pensée sociale – comme elle a commencé.
Vous vous demandez peut-être pourquoi j’insiste tellement sur le caractère difficilement prévisible de l’évolution pré sente du Québec démocratique.
Cela signifie-t-il, vous demanderez-vous, que le gouvernement du Québec ignore quelle orientation donner à ses politiques? Cela signifie-t-il que le mouvement dont notre peuple fait actuellement preuve tombe dans un extrémisme devenu incontrôlable?
Absolument pas. Mon seul but est de montrer que nous avons entrepris de mener à terme une initiative redoutable, mais nécessaire; la définition d’un peuple par lui-même et pour lui-même. Nous savons et nous savions – qu’une telle démarche comporte des risques, que de temps à autre des opinions variées se font jour même si elles ne rallient pas l’assentiment de la majorité de nos concitoyens, (quelle est la pelouse sans mauvaises herbes?) nous savons et nous savions qu’à cause du dynamisme québécois il peut se produire une réaction dans le reste du pays, réaction à laquelle nous ne sommes pas insensibles, mais à laquelle aussi nous nous attendions. Mais, à choisir entre un Québec qui se résigne à la situation qui lui est faite par des forces extérieures qu’il ne contrôle pas, et un Québec qui devient sûr de lui-même et qui veut aller de l’avant, même au risque de déranger un ordre de choses auquel on avait fini par s’habituer, il n’y avait pas d’hésitation. C’est pourquoi nous avons résolument opté pour un Québec nouveau style. Comme gouvernement, nous avons proposé des objectifs à cette population; elle aussi nous en a suggéré. Ce processus d’échanges dure depuis 1960 et rien ne permet de croire qu’il en soit à son terme. Aujourd’hui – même après cinq ans de croissance politique – aucun observateur étranger ne peut établir de distinction valable entre ce que, d’une part, le gouvernement désirerait sur le plan de l’affirmation collective du Québec et ce que, d’autre part, souhaiterait à ce sujet l’ensemble de notre population. Nous avons réussi, je pense, à réaliser une unanimité de vues que d’aucuns trouvent étonnante.
Et les objectifs recherchés – ces objectifs qui permettront l’auto-définition du peuple québécois sont, je crois, maintenant bien connus, non seulement de nous mais de la plupart des citoyens des autres provinces. Nous voulons détenir, d’une façon ou de l’autre, les leviers économiques qui nous manquent encore pour exercer sur la croissance économique, industrielle et financière de notre province une influence proportionnelle au groupe humain que nous sommes. Nous voulons une administration publique efficace et qui puisse servir de levier d’affirmation collective. Nous voulons un régime de sécurité sociale conforme à notre politique familiale. Nous voulons établir avec certains pays des relations qui nous seront mutuellement avantageuses.
Je pourrais, en entrant dans les détails, prolonger cette énumération. Les objectifs que j’ai mentionnés suffisent toutefois pour démontrer l’étendue de nos perspectives. Il s’agit d’un programme ambitieux, je le concède. J’ajoute même que nous sommes encore loin de l’avoir réalisé. Mais je tiens surtout à souligner qu’il a été accueilli par l’approbation complète de notre population. Aujourd’hui nous poursuivons sa mise en oeuvre, graduellement. Pour ce faire nous avons dû remettre en question bien des choses, bien des structures administratives et sociales qu’on avait fini par considérer comme permanentes, bien des façons de voir, bien des opinions parfois arrêtées et même certains des objectifs que nous nous étions initialement fixés.
La remise en question qui a le plus frappé le reste du pays est celle qui touche notre régime confédératif. Elle se produit non seulement parce que le Québec moderne se redéfinit et qu’il veut jouer un rôle qui convienne à sa dimension démographique et culturelle, mais aussi parce qu’il est engagé à fond dans un processus de réorganisation interne qui ne peut qu’influencer sa place à l’intérieur du Canada, ne serait-ce qu’à cause de la prise de conscience collective qui en résulte.
Il existe un phénomène dont tout le Canada, il me semble, doit être persuadé. Tous les Canadiens français ont un attachement indéfectible envers leur culture et leur langue. En fait, nous sommes tous « nationalistes », dans la mesure où ce terme signifie que nous tenons, absolument et définitivement, à notre identité propre. Et cette identité, il ne nous suffit pas qu’elle soit préservée, mais nous exigeons aussi qu’elle s’épanouisse, tant dans notre pays qu’à l’extérieur.
Ceci dit, des divergences apparaissent quant aux moyens à prendre. Certains croient que notre sauvegarde la plus complète est le Canada lui-même, comme entité complète et intangible, c’est-à-dire un pouvoir central fort et des gouvernements régionaux, dits provinciaux, soumis et non enclins à s’attribuer d’autres pouvoirs g1ie ceux qu’ils exercent déjà. À vrai dire, ceux qui partagent ce point de vue — ils sont assez peu nombreux au Québec -désirent surtout que le Canada contrebalance l’influence américaine dans ce qu’elle a de force assimilante. Ils croient que seul un gouvernement central fort est en mesure d’y arriver et, par là, de protéger la société canadienne-française.
D’autres au contraire estiment que le Canada lui même est une force assimilante et d’autant plus dangereuse qu’elle nous est moins éloignée Ils croient que le Québec atteindrait mieux les objectifs qu’il s’est fixés en se retirant tout simplement du pays et en devenant entièrement autonome dans tous les domaines. Comme la précédente, c’est là une solution nette et sans équivoque Certains gestes précis doivent être posés et, grâce à eux, notre identité culturelle serait maintenue pour toujours, même si une génération ou deux doivent se vouer à l’austérité pour éroder patiemment l’antagonisme de 200000000 d’Anglo-saxons.
Il y a aussi, comme dans n’importe quelle société, une proportion de la population québécoise qui, pour toutes sortes de raisons, est assez peu préoccupée de la place du Québec dans le Canada de l’avenir. Certains croient que nous n’arriverons jamais à changer quoi que ce soit, d’autres estiment que le gouvernement du Québec et la population de la province devraient s’intéresser à autre chose.
Reste enfin ce que je crois être une majorité des Québécois, qui sans avoir perdu confiance dans le Canada, comme entité, ne sont pas satisfaits de la relation qui existe présentement entre les deux groupes ethniques qui ont fondé notre pays. Disons que j’appartiens à cette catégorie de personnes. Du coup, je reconnais que mon attitude est la moins confortable, celle qui, en même temps, nous oblige à tenir compte de la réalité canadienne -c’est-à-dire du Canada, comme pars – et aussi de la réalité québécoise et canadienne-française à laquelle ceux qui y appartiennent et qui y vivent doivent donner une stature nouvelle.
Une telle position peut apparaître contradictoire. D’un côté, nous admettons comme prémisse que le maintien du Canada est avantageux au Québec, alors que, d’un autre côté, plusieurs de nos problèmes actuels proviennent de la façon dont fonctionnent les institutions politiques et administratives de notre pays. En réalité, il n’y a pas de contradiction, car nous voulons agir sur les deux variables qui
détermineront notre situation comme groupe ethnique: la répartition des pouvoirs au Canada et la place que doit occuper dans ce pays la société canadienne-française. Nous voulons donc, simultanément, agir sur cette entité qu’on appelle le Canada et permettre par là l’épanouissement de notre communauté ethnique symbolisée par le Québec. L’un ne va pas sans l’autre. Déjà, nous avons accompli beaucoup de progrès car le Québec ne correspond plus désormais et de loin – à l’image qu’on s’en faisait il y a encore peu d’années. Nous sommes à construire une nouvelle société sur les bases que je viens d’esquisser dans cette allocution. En somme, l’une des deux variables, le Québec, a commencé à être influencée. Quant à l’autre variable, le Canada, des progrès s’y sont aussi manifestés, mais ils n’ont pas l’envergure de ceux que l’on remarque au Québec. Nous sentons pourtant une évolution qui prouve que nos positions commencent à être perçues, même si elles ne sont pas encore toujours comprises et surtout acceptées. Mais cela ne suffit pas. Les difficultés que nous vivons présentement sont beaucoup plus profondes qu’un examen hâtif ne le laisse voir à prime abord. Le Canada est dans un sérieux état de déséquilibre. La poussée canadienne-française, le dynamisme de notre communauté, l’affirmation de son point d’appui qu’est le Québec ne sont pas des phénomènes passagers, des manifestations éphémères de sentimentalisme superficiel. Vous, comme Canadiens anglais qui vivez parmi nous, vous le savez. Je souhaite seulement que tous les Canadiens anglais du pays le sachent aussi. Souvent, j’ai dit ce que le Québec, comme point d’appui du groupement canadien d’expression française, désire. Nous voulons l’égalité des deux groupes ethniques qui ont fondé ce pays, nous voulons nous affirmer de la façon qui convient à notre culture et à nos aspirations, nous voulons dans le Canada de l’avenir, un statut qui respecte nos caractères particuliers. Pour ce faire, il n’est pas nécessaire de détruire le Canada, mais il sera indispensable de lui donner un autre sens et même de nouvelles institutions. Loin de nous conduire au pessimisme, une telle perspective doit au contraire soulever notre enthousiasme. Une phase de l’histoire de notre pays est en quelque sorte terminée; une autre commence où nous aurons à construire le Canada sur des bases nouvelles Le Québec fait valoir un point de vue qui en lui-même n’est pas nouveau, mais il le présente avec plus de force et de cohérence que jamais auparavant. Cette nouvelle phase de notre histoire, si elle doit réussir, aura obligatoirement à tenir compte de ce facteur. Sans doute, nous devrons encore vivre quelques années d’incertitude et de friction. Mieux vaut convenir de ce fait – car c’en est un. À quoi précisément aboutirons-nous ensuite? Je ne saurais le prédire. Mais je suis convaincu, et je ne vois rien maintenant, malgré certaines contradictions apparentes, malgré certaines confusions inévitables, qui puisse infirmer cette conviction, je suis convaincu, dis-je, que nous réussirons à fournir à la société d’expression française de même qu’à la société d’expression anglaise les institutions politiques qui permettront à chaque société non de combattre l’autre mais de la compléter. En somme, pour résumer ma pensée en une comparaison médicale, –
c’est bien mon droit après avoir tenté un diagnostic de notre état de santé! — nous ne voulons pas que le Canada subisse un traumatisme à cause du Québec, mais fouisse de l’accomplissement intégral des fonctions d’un Québec entièrement épanoui!
[QLESG19650607]
[Association des Hommes d’Affaires du À publier après l:hre PM
Nord de Montréal Le 7 juin 1965. Montréal, le 7 juin 1965 Hono Jean Lesage, Premier ministre du Québec.]
Si l’on considère objectivement le chemin parcouru au cours des cinq dernières années, on est forcé de se rendre compte que le Québec vit maintenant sous un ordre nouveau. On est forcé aussi de reconnaître, que le visage de notre province a commencé à se modifier d’une façon que certains n’ont pas hésité à qualifier de révolutionnaire. En tout cas, il est certain que les changements de toute nature que le gouvernement a instaurés, à la demande même de la population, dans tous les secteurs de notre vie économique, sociale, culturelle et politique, sont sans précédents.
Pour en mesurer la portée et l’étendue, il suffit de se replacer mentalement dans les années 50 et de se rappeler comment nous vivions alors. Pensons surtout, si je peux m’exprimer ainsi, à la philosophie dominante de l’époque, philosophie à laquelle, croyait-on, le Québec devait se soumettre et dont il devait passivement s’inspirer, si tant est qu’une inspiration puisse être passive. Mais nous n’en étions pas à un paradoxe près!
Ainsi, on tenait pour acquis que l’État devait autant que possible demeurer à l’écart de la vie économique et qu’il fallait plutôt se reposer entièrement sur l’entreprise privée. Ceux qui n’adhéraient pas aveuglément à une telle doctrine étaient facilement considérés comme des socialistes dangereux, voués à la destruction de nos institutions les plus chères.
Dans le même ordre d’idées, on trouvait normal et même souhaitable que le territoire du Québec serve avant tout de source de matières’ premières destinées à l’exportation et, de là, à la transformation hors de nos frontières. Quand quelqu’un mettait ce régime en doute, on l’accusait d’adopter des positions peu réalistes. On allait même jusqu’à prétendre que les capitaux étrangers s’éloigneraient du Québec si on décidait de transformer les matières premières chez nous.
Le système d’enseignement québécois nous était présenté comme le meilleur du monde et, là encore, ceux qui osaient suggérer des réformes étaient taxés de communistes ou d’athées.
On considérait que les emplois dans la fonction publique ne devaient intéresser que ceux qui pouvaient difficilement se trouver du travail dans l’entreprise privée On ne voyait pour l’administration publique, aucun rôle dynamique à jouer. Presque tous les ministères étaient, à leur façon, des officines gouvernementales au service d’intérêts particuliers.
On acceptait difficilement que le gouvernement prenne des responsabilités additionnelles en matière de sécurité sociale. On avait tendance à laisser plutôt à l’individu et à sa famille le soin d’assurer eux mêmes, par leurs propres moyens, la plus grande partie du fardeau ou presque, de situations dont ils n’étaient pas véritablement responsables, notamment dans le domaine de l’hospitalisation et de la santé. Dans nos relations avec le gouvernement central, on avait fini par considérer que la protection de nos droits n’était possible que par une attitude négative qui se limitait à un refus de dialoguer accompagné d’un repli sur nous-mêmes. Cette attitude pouvait parfois prendre une forme théâtrale, mais elle n’en demeurait pas moins essentiellement stérile.
Mais laissons là le passé et regardons plutôt la situation actuelle, le nouvel esprit qui anime le Québec moderne.
Aujourd’hui, que trouvons-nous au Québec? Un gouvernement qui, – je crois qu’on nous rendra ce témoignage, – est animé d’un dynamisme remarquable dans tous les champs de son activité; une façon de voir les choses grâce à laquelle les tabous d’antan apparaissent plutôt comme de mauvais souvenirs que comme des règles de vie; une population qui, loin de se replier sur elle-même, s’engage dans des entreprises de toutes sortes qui auraient fait frémir nos pères. Je pense par exemple aux initiatives que l’État québécois – notre État – a suscitées avec l’appui moral et souvent matériel de ses citoyens: réforme de l’administration publique du Québec, système d’éducation moderne, Conseil d’orientation économique, Société générale de financement, nationalisation de l’électricité, nouvelle politique sociale, assurance-hospitalisation, et que sais-je encore ? Dans le domaine des relations fédérales-provinciales, nous prenons des attitudes qui tranchent nettement avec celles qui prévalaient auparavant. On sait maintenant les avantages tangibles qui en ont résulté pour le Québec. On sait aussi que nous avons de ce fait graduellement poussé le reste du Canada à réfléchir – et très sérieusement – sur le rôle que nous voulons et devons jouer dans notre pays.
Il est facile de voir que nous n’avons rien négligé. Certains sont d’opinion que nous avons commencé trop de choses à la fois. Ceux-là oublient cependant que, dans bien des domaines, tout était à commencer et qu’il était urgent d’agir. Nous étions déjà en retard. Tout de même, il est bien évident que si un mot résume et caractérise les gestes que nous avons posés jusqu’à maintenant, c’est bien celui d’ « action ». Je ne voudrais pas que l’on y voie une quelconque propagande politique, mais force nous est d’admettre que pendant les cinq dernières années, le Québec a fait un bond prodigieux en avant, un bond d’une ampleur que rien – il y a six, sept ou dix ans – ne permettait de prévoir. Nous avons trouvé chez les nôtres à la fois le désir et l’énergie pour quitter une certaine tranquillité traditionnelle et pour se diriger vers des avenues encore inexplorées, mais combien fructueuses. Nous avons repris une confiance en nous mêmes qui, sans nous porter à la témérité, a définitivement chassé les mythes anciens et nous a ouvert des horizons nouveaux.
Je pourrais prolonger l’énumération, détailler la comparaison, faire ressortir d’autres faits. Mais ce que j’ai dit de la situation qui existait au Québec il n’y a pas si longtemps par rapport au mode de vie que nous nous efforçons dorénavant d’instaurer chez nous suffit, je pense bien, à démontrer combien profondément la réalité québécoise s’est transformée en si peu d’années. Il est bon et rassurant, de temps à autre, de faire le point, de mesurer les résultats de la vaste remise en question qui caractérise le Québec depuis cinq ans. Car depuis cinq ans, tout et je n’exagère pas en disant tout – a été remis en question chez nous, a été réexaminé, a été repensé Après de longues années, – et même des générations, d’une évolution qui, sans s’être jamais arrêtée, était tout de même assez lente et incertaine par rapport à celle d’autres pays, voilà qu’il se produit maintenant un bouillonnement d’idées, une vitalité nouvelle d’autant plus étendue qu’elle avait été comprimée et même niée par l’état d’esprit antérieur. Le gouvernement, on le sait, a eu et a encore une part de responsabilité dans le mouvement dont le Québec actuel fait preuve. Il a proposé des objectifs et canalisé des énergies. Même si notre action a été variée et rapide, nous n’avons toutefois pas agi dans le désordre et l’improvisation. Comme vous le savez, nous présentions un programme précis d’action, mais nous avions pris garde de nous enfermer dans un cadre rigide et déterminé une fois pour toutes. Nous avons voulu être assez réalistes pour atteindre les objectifs fixés, sans être esclaves d’une sorte d’horaire, et pour profiter des circonstances dans la mesure du possible. Aujourd’hui, après cinq ans d’efforts intenses, nous avons, je crois, raison d’être fiers des progrès accomplis, mais nous ne devons pas succomber à la tentation, bien humaine, d’arrêter là notre marche en avant. Il n’est même pas question de la ralentir. Ceux qui pourraient le souhaiter, ceux qui croiraient le soupçonner sont dans l’erreur. Nous avons autant et même encore davantage à faire que tout ce qui a été accompli jusqu’à maintenant. Vous serez peut-être surpris de m’entendre m’exprimer de la sorte, mais je dois vous dire que le gouvernement du Québec sait fort bien que l’oeuvre à laquelle il se consacre n’aura pour ainsi dire jamais de terme. Les initiatives que nous avons adoptées sont, ne l’oublions jamais, des moyens d’action et non des fins. Une fois traduites dans les faits, elles sont la réalisation partielle de politiques générales plus étendues, ou bien elles deviennent de nouveaux points de départ.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement veut à tout prix maintenir, aujourd’hui et pour les années à venir, le rythme d’activité qui a été le sien depuis cinq ans. Nous serions peut-être portés à nous reposer sur nos lauriers, en nous contentant de nous vanter de notre action lassée. Je peux vous dire, en tout cas, qu’il y aurait matière a plusieurs centaines de discours et de publications de propagande et, cela, seulement à partir de la matière première abondante qu’est l’oeuvre accomplie jusqu’à maintenant.
Mais nous n’ignorons pas qu’en se donnant un nouveau type d’administration publique, le peuple du Québec a du même coup signifié son intention bien nette de voir cette administration poser des gestes précis et concrets et attaquer les problèmes dans leurs racines. Je crois même qu’il est bien davantage prêt à nous voir commettre quelques erreurs en agissant qu’à apprendre que nous ne nous trompons jamais en ne faisant rien. En quelque sorte, la population du Québec nous a condamnés à toujours aller de l’avant. Et je crois que nous y allons. Pensons, si vous le voulez bien, à ce qui a été entrepris ou annoncé par le gouverne ment, non pas l’an dernier ou l’année d’avant, mais au cours des seuls six ou huit derniers mois: sidérurgie, société québécoise d’exploration minière, nouvelle politique agricole, caisse de retraite, caisse de dépôt et placement, amélioration de l’échelle de salaire des fonctionnaires, reconnaissance du syndicalisme chez les fonctionnaires, ministère de la justice, entente avec la France en matière d’éducation et projet d’entente culturelle, cidrerie, société générale d’habitation du Québec, mise en oeuvre graduelle des recommandations du rapport Parent, assurance-santé, etc. Je vous mentionne toutes ces initiatives et ces projets, non pas par ordre d’importance, mais un peu comme ils me viennent à l’esprit. Ils peuvent vous aider à saisir combien, même après cinq ans d’activité intense, il reste de choses à faire et à voir que, bien loin de se reposer j’en sais quelque chose – le gouvernement du Québec veut franchir de nouvelles étapes dans la voie du progrès économique et social de notre peuple.
Certaines personnes laissent parfois entendre que l’action gouvernementale est en voie de se ralentir, que nous manifestons de moins en moins de dynamisme, que nous avons moins de grands projets à proposer qu’il y a deux ou trois ans, en définitive que nous sommes devenus plus timides.
Je crois, comme Premier ministre de cette province, que de telles opinions ne reposent sur aucun fondement réel, mais qu’elles proviennent plutôt d’une réaction psychologique. Nous sommes collectivement devenus victimes d’une sorte d’accoutumance au rythme du changement. Nous sommes si habitués à ce que notre gouvernement pose des gestes spectaculaires, que lorsqu’il en pose de nouveaux, nous ne les voyons plus dans leur ordre d’importance. Lorsqu’un avion décolle, les passagers ont l’impression d’une vitesse étonnante, mais effectivement lorsque l’avion vole au-dessus de l’océan à cinq ou six cents milles à l’heure, ces mêmes passagers ont le sentiment de ne pas avancer, et cela pourquoi ? Parce que, au fur et à mesure que l’avion a pris de l’altitude, ils se sont habitués rapidement au rythme d’augmentation de la vitesse.
Au Québec, notre « décollage », pour ainsi dire, s’est produit de 1960 à 1962. Aujourd’hui, nous sommes bien lancés et nous accomplissons peut-être plus de choses en une seule session que nous n’en faisions en deux ou trois auparavant. Par ailleurs, la machine administrative s’est rodée; elle ne fonctionne pas toujours parfaitement – d’accord – mais elle abat une quantité formidable de travail à laquelle on ne pouvait même pas s’attendre, il y a trois ans.
On oublie aussi souvent quelle somme de travail exige chacune des mesures que nous présentons à l’Assemblée législative. Nous légiférons dans des domaines où il est absolument interdit d’improviser car nous engageons toute notre collectivité. Mais voilà, nous nous sommes habitués à un rythme d’activité intense, quoique réfléchi; nous sommes moins portés qu’avant à le trouver impressionnant.
En 1962 et 1963, pendant des mois il a été question de la nationalisation de l’électricité. Toute la population en avait discuté avant qu’elle ne se fasse et elle en a parlé longtemps après. Ce fut ce que j’appellerais la « nouvelle de l’année ». Or, pour prendre un exemple tiré du domaine économique, la caisse de dépôt et placement aura, sur l’avenir du Québec, des effets probablement plus profonds que la nationalisation de l’électricité. Pourtant, non seulement en parle-t-on beaucoup moins, mais, au moment même où la loi constituant cette caisse est rendue publique, des gens craignent bien sincèrement, et bien candidement, que le gouvernement ait terminé sa marche en avant ! Il est pourtant facile de voir, et je n’ai pas besoin d’insister davantage, que le gouvernement ne se contente plus de marcher de l’avant; non.., désormais, il court littéralement vers l’avenir ! Il y aura cinq ans, dans quinze jours, que la population du Québec aura accepté un engagement ferme que nous avons résolu de respecter: celui de lui donner une nouvelle fierté, une nouvelle raison d’être et d’agir. Nous avons décidé de construire un Québec nouveau et déjà, dans tous les domaines, nous avons commencé.
Nous n’avançons pas à la même vitesse partout, je suis prêt à le reconnaître, mais partout nous progressons. Le front est à l’attaque. Tous les flancs de notre armée du progrès avancent de concert avec le centre.
Et, croyez-moi, nous avons l’intention ferme de poursuivre et de compléter l’oeuvre entreprise.
En terminant, je veux reprendre, si vous le permettez, la conclusion d’un discours que je prononçais à Ottawa, devant les Sociétés St-Jean-Baptiste du Québec et de l’Ontario, le 3 juin 1961, il y a déjà quatre ans de cela …
Malgré parfois certaines apparences imaginaires par définition, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger ne ressent pas le besoin, à quatre ans de distance, de changer un seul mot de cette conclusion qui alors voulait résumer notre volonté d’innovation appuyée sur le désir d’affirmation de notre peuple. Je disais alors, et – même si cela n’entre pas dans mes habitudes – je cite textuellement le passage du discours au quel je me réfère:
« Le gouvernement du Québec – comme tout gouvernement – est formé de personnes, d’êtres humains qui ne sont ni infaillibles ni tout puissants. Malgré les efforts qu’il nous faudra déployer, malgré les difficultés qui pourront surgir, une chose demeure toutefois certaine: nous ne permettrons pas, nous ne permettrons jamais si c’est humainement possible, que soit déçu cet immense espoir que nous avons soulevé chez tous les Canadiens français. »
[QLESG19650612]
[La Fédération des Femmes libérales À publier après _lh.00 p.m. du Québec Samedi, le 12 juin 1965 Banquet de clôture Château Frontenac Samedi, le 12 Juin 1965 Hou, Jean pesage, Premier ministre] 1960 – Année de la libération politique de notre province avait marqué le dixième anniversaire de fondation de la Fédération des Femmes libérales du Québec. Je me rappelle très bien l’esprit de confiance, d’enthousiasme et de satisfaction qui présidait, cette année-là, à vos délibérations annuelles. J’étais votre invité à la séance d’ouverture et j’avais profité de la première occasion qui m’était offerte depuis les élections du 22 juin pour vous féliciter comme vous le méritiez du magnifique travail d’éducation politique que vous aviez accompli à travers la province.
Cette année, votre congrès coïncide avec trois anniversaires qui ne peuvent vous laisser insensibles. Il y a eu en effet quinze ans en mars qu’est née votre fédération. En cela, les femmes libérales ont donné l’exemple à tous les militants libéraux de la province puisque ce n’est qu’en 1955, soit cinq ans plus tard, que fut fondée la Fédération libérale du Québec. Vous aviez indiqué la voie à suivre, et l’on peut dire que c’est beaucoup grâce à vous si, aujourd’hui, le Parti libéral du Québec a réalisé la démocratisation complète de ses cadres et de ses structures. Vous avez amplement droit à nos remerciements et à notre reconnaissance.
Un autre anniversaire qu’on ne saurait passer sous silence devant une assemblée comme la vôtre est l’octroi – par un gouvernement libéral, il va de soi – du droit de vote aux femmes du Québec. Les fêtes organisées pour souligner ce vingt-cinquième anniversaire ont eu lieu en avril, soit le même mois ou, en 1940, le gouvernement de feu Adélard Godbout faisait voter par les Chambres la loi que les femmes de notre province réclamaient depuis 1922. La participation active de la femme à notre vie politique est un bienfait dont on ne saurait minimiser l’importance. Sa présence en politique est un facteur d’humanisation et de pondération dont nous avions franchement besoin, avouons-le. Personnellement, je suis persuadé que la province vous est redevable, mesdames, d’avoir accompli une oeuvre d’éducation populaire sans laquelle la victoire libérale du 22 juin n’aurait pas été possible.
Le changement de vie qui a suivi permet enfin à un nombre toujours plus considérable de femmes de faire bénéficier la province de leurs talents et de leur compétence dans les domaines de la fonction publique, de la magistrature, et même à la direction du gouvernement comme c’est le cas pour l’une des vôtres, l’honorable Claire Kirkland-Casgrain, le nouveau ministre des Transports et Communications du Québec à qui votre congrès veut rendre un hommage particulier.
Dans dix jours exactement, ce sera le 22 juin – date qui est maintenant passée à l’histoire de notre province. Ce cinquième anniversaire de la libération politique du Québec a été célébré par anticipation lors du dîner-bénéfice que la Fédération libérale du Québec a tenu ici même le 26 mai dernier. Il convient toutefois de le souligner de nouveau devant celles qui ont tellement contribué à rendre possible l’instauration d’un régime nouveau qui, par son dynamisme et son audace, est en voie de transformer le Québec en un véritable État moderne.
[Active participation of Québec women in politics has contributed greatly to raise the standards of electoral morals and government efficiency in our province. Women know that sound public administration is essential to the security and welfare of the family and they have given whole-hearted support to « the change in the way of life » sought by our party and carried out by the present government. Your Federation has accomplished a worthy task in convincing the greater majority of Québec women of both languages to endorse the reforms that can be witnessed at all levels of liîe in our province. English-speaking women of the Québec Liberal Party have done their share splendidly and they deserve our sincere thanks for their truly effective work. I am especially pleased to express my personal gratitude at this time, when we are celebrating thz’ee important anniversaries.]
Si j’ai tenu à rappeler ainsi trois anniversaires qui sont chers au coeur de tout véritable libéral, ce n’est pas, croyez-moi, simple fierté, déjà fort justifiée en elle-même. C’est plutôt parce que la réalisation des objectifs que symbolisent ces anniversaires a été rendue possible dans les trois cas par un travail d’éducation populaire dont vous avez toujours donné le meilleur exemple.
On s’imagine bien que la démocratisation du Parti libéral du Québec, dont votre fédération est une structure importante, ne s’est pas faite toute seule. Ce n’est pas non plus en se croisant les bras que les femmes ont obtenu le droit de vote au Québec. Enfin, ce n’est pas en conservant un silence prudent ni en acceptant de nous soumettre à la dictature de nos prédécesseurs que nous avons réussi à démanteler leur « machine infernale » et à restaurer chez nous la démocratie dans ses droits. Non, il a fallu chaque fois faire preuve de courage et de ténacité. Il a fallu surtout convaincre la majorité de la population que l’intérêt général exigeait qu’elle partage notre idéal et appuie effectivement notre action. En d’autres mots, il s’est agi pour nous de renseigner et d’instruire. C’est une tâche que vous, mesdames, avez toujours su remplir mieux que quiconque.
Aussi, ne faut-il pas trop vous surprendre si je me permets de faire encore appel à vos talents d’éducatrices pour nous aider à faire comprendre a la population la nécessité de certains actes qu’a posés jusqu’ici le gouvernement et des décisions qu’il devra prendre dans l’avenir. Vous vous rappellerez qu’à votre congrès de 1960, j’avais insisté sur le fait qu’un changement de vie comme nous le concevions demandait courage et persévérance. J’avais dit alors que personne mieux que la femme pouvait nous aider, nous supporter et nous faciliter la tâche.
J’avais raison, car c’est l’appui et l’action de la femme qui nous ont permis dans une très large mesure de mener à bien jusqu’ici notre rapide évolution, qu’on a appelée la révolution tranquille. Et c’est normal. En raison même du rôle qu’elle est appelée à jouer dans la société, la femme recherche peut-être encore plus que l’homme la santé, le bien-être et la sécurité de la famille. Aussi apprécie-t-elle à leur juste mesure les progrès multiples que le Québec a accomplis dans tous les domaines. Elle comprend et accepte les obligations qu’imposent au gouvernement et à la population la réforme de notre système d’enseignement, la planification de notre développement économique, l’institution de l’assurance-hospitalisation, l’amélioration du régime d’assistance sociale, la création d’un régime de rentes contributif et universel. Elle sait que tout cela n’aurait pas été possible sans que chacun y mette un peu du sien et que l’État assume courageusement toutes ses responsabilités.
Beaucoup a été fait à date, mais beaucoup reste encore à faire.
On sait par exemple que le gouvernement, répondant en cela au désir quasi unanime de la population, envisage d’ajouter l’assurance médicale à l’assurance hospitalisation afin de doter la province d’un véritable régime d’assurance-santé. Les sondages démontrent en effet que la population veut l’assurance-santé, et bien d’autres choses encore.
Mais aussi paradoxal que cela puisse être, il y a un certain pourcentage de la population qui, tout en réclamant l’action de l’État dans un nombre de domaines toujours croissant, voudrait en même temps que le gouvernement réduise les taxes et les impôts. Ce que ces gens ne semblent pas comprendre – ils sont une minorité heureusement – c’est que les services gratuits dont ils bénéficient maintenant au Québec dans tous les domaines leur valent beaucoup plus que le montant de taxes et d’impôts qu’ils versent à l’État. Il suffit de prendre un crayon et de faire l’addition pour s’en rendre compte. Et cela se comprend facilement: principalement à cause des taux progressifs de l’impôt sur le revenu des particuliers, ce sont les plus fortunés qui paient en grande partie, comme il convient, pour ceux qui en ont le plus besoin.
Qu’il y ait encore certaines inégalités, certaines injustices même, je le concède facilement. C’est justement pour cette raison que le gouvernement que je dirige a institué une commission d’enquête sur la fiscalité dont le rapport, qui ne devrait pas tarder, va nous permettre de réaménager tout notre système de taxation. Ce qui ne veut pas dire évidemment qu’il n’y aura plus de taxes, mais bien que le fardeau fiscal devrait être plus équitablement distribué à tous les échelons.
Il est inutile de nous leurrer. Plus la population exige de l’État – et c’est son droit de le faire plus augmentent les besoins de l’État. On nous a confié le mandat de refaire à neuf le Québec. Nous entendons bien remplir notre mandat et utiliser pour cela les moyens nécessaires qui sont les plus conformes à notre mentalité et à notre vocation de mère-patrie de tous les parlants français d’Amérique. Il n’est pas toujours facile d’expliquer et de faire comprendre à la population les raisons qui amènent le gouvernement à agir de telle façon plutôt
qu’autrement, et plus rapidement dans un domaine donné que dans tel autre. L’éducation populaire est une tâche de longue haleine, toujours en évolution, et qui exige à la fois compréhension, patience et conviction.
Si vous saviez combien il est difficile pour des hommes d’action déterminés, d’avancer avec prudence, assurance et rapidité quand ils sont harcelés de tous côtés. L’insinuation habile et malveillante quand ce n’est pas la calomnie la plus ignoble font partie de notre fardeau quotidien mais elles ne doivent pas nous écarter de la ligne droite que nous nous sommes tracée pour atteindre les buts fixés Ce qui doit caractériser notre vie, c’est d’abord l’action réfléchie – c’est vrai – mais l’action. Toutefois, les raisons, la signification et les objectifs de cette action exaltante doivent être compris et digérés par la population. Nous comptons sur d’autres pour nous aider, plus particulièrement dans cette tâche de faire partager par tous, cette exaltation qui nous inspire et nous permet de maintenir et même d’accélérer notre marche en avant. Le gouvernement et le parti que je dirige comptent sur vous de la Fédération des Femmes libérales du Québec pour continuer d’accomplir avec le même dévouement et la même ténacité cette oeuvre si méritoire et si nécessaire à toute notre population. Je sais que, comme toujours, vous ne décevrez pas le Québec.
[QLESG19650612a]
[Canadien Women’s Press Club A. publier après 7:30 h. P.M. Hôtel Reine Elizabeth – Montréal Le 12 juin 1965. Samedi, le 12 juin 1965
Hon. Jean Lesage, Premier ministre.]
Que ce soit comme mère, comme épouse ou comme jeune fille, une femme véritable est avant tout celle qui cimente un foyer.
De son côté, le journaliste digne de ses responsabilités cherche à unir toutes les forces qui peuvent collaborer au progrès de la nation.
Me voici donc devant le groupe même qui réunit les deux plus grandes qualités qui en font mon auditoire favori, puisqu’il est composé de journalistes et que ces journalistes sont des femmes! Ils forment pour moi une cour suprême devant laquelle je me sens à la fois un peu nerveux (comme homme!) et très confiant, à cause de son impartialité, de sa bonne foi totale et de son heureux équilibre de la tête et du coeur.
Et puisque nous sommes « entre nous, Mesdames », disons du mal des hommes! Même si cela vous est pénible à entendre! À la fin d’avril, dans un discours à Toronto, je demandais aux journalistes d’être mes critiques à la fois impitoyables et compréhensifs. « Soyez dans mon Cabinet », leur disais-je, « mes collègues du ministère de l’Opinion publique ». Je savais bien qu’un président de Conseil exécutif ne pouvait employer une telle figure de style sans prêter le flanc à des plaisanteries; je savais que je passerais pour un esprit léger au jugement des esprits lourds, mais je me disais que l’amitié qui me lie aux journalistes est trop grave pour en parler gravement. J’étais surtout convaincu que personne ne ferait la blague prévue, à cause même de sa facilité gratuite. J’avais raison: c’est, en fait, ce qui s’est produit.., ou presque. Il n’y ‘a eu qu’une couple d’exceptions. Et elles étaient masculines! J!ai eu beau regarder dans les journaux sérieux, pas UNE journaliste ne tomba dans un panneau aussi voyant. Ce qui prouve, a l’honneur des femmes, qu’elles possèdent en plus grand nombre’ que les hommes le sens de l’humour.
Peut-être vous dite-vous silencieusement que c’est précisément à cause de cela que vous pouvez nous endurer ? Le sens de l’humour chez la femme est la dernière chose qu’un de mes amis a découverte. Don Juan sur le retour, (j’ai oublié de vous dire qu’il est plus âgé que moi!) il continue sur son élan à faire des déclarations enflammées. Il me disait: J’ai découvert une chose que je n’avais jamais remarquée dans ma jeunesse: c’est curieux, mais toutes les femmes ont les yeux moqueurs!
C’est au tribunal du bon sens féminin que je veux présenter une requête. J’ai besoin de lui pour dénoncer les farceurs. On a souvent parlé, à tort et à raison, et surtout légèrement, de l’intuition féminine. On l’a même beaucoup blaguée en disant qu’elle devait ses succès à la mauvaise conscience des hommes. D’autres ont dit qu’elle était une invention flatteuse des hommes pour encourager les femmes à ne pas raisonner! Pour ma part, je crois que ce que l’on appelle à tort l’intuition féminine est un bon sens extrêmement puissant s’appuyant sur l’expérience qui raisonne parfois invisiblement et arrive par un raccourci à des vérités qui crevaient les yeux des hommes. Par exemple, la femme a un flair (je devrais dire un raisonnement inconscient) plus aigu que celui de l’homme pour dépister les farceurs, les charlatans de la pensée, les pontifes du néant. Une femme qui est normalement épanouie est plus près de la nature, donc plus près des vérités élémentaires que ne voient pas toujours très clairement les penseurs abscons. Combien de fois, devant un pédant profond et obscur qui se réfugiait dans de pompeuses abstractions, me suis-je surpris, après avoir fait le tour des regards attentifs des hommes, – regards de bons écoliers – à remarquer l’ex pression imperceptiblement moqueuse d’une femme. Elle avait décelé le chiqué du grand penseur breveté qui se gargarise des anticonformismes à la mode, mais qui ne sort des sentiers battus que pour déboucher sur des lieux communs « glamorisés » par l’imprécision de la pensée que sanctionne l’obscurité du vocabulaire.
Depuis que le monde est monde, l’humanité a été infestée d’amateurs pleins de zèle qui ont voulu lui imposer les règles étroites de leur conception du bonheur. Ces soi-disant hérauts de la patrie ont été la plaie du monde. Partant de prémisses théoriques et prenant bien garde de les confronter avec les réalités de l’action, ces manchots qui voulaient donner des leçons de boxe, ces culs-de-jatte qui voulaient enseigner la course à pied, se sont toujours distingués par le refus de la souplesse, par l’intolérance qui laisse tomber les oracles, par leur répugnance à voir l’homme dans l’imperfection qui lui est inhérente, par la sévérité de leurs condamnations. Ce qui caractérise un pharisien, quel que soit son siècle, quelle que soit son école de pensée, c’est de lapider les pécheurs. C’est-à-dire ceux qui ne pensent pas comme lui.
Nous avons aussi nos doctrinaires qui veulent diriger notre pensée, pour qui la prudence de l’homme d’action n’est que timidité méprisable et qui – agents de la circulation au carrefour des idées politiques – nous disent péremptoirement, malgré notre désir d’aller tout droit: Non, allez pas là! … à gauche que je vous dis! … ou à droite…vous n’avez pas compris espèces d’arriérés!
Eux seuls possèdent la lucidité courageuse, eux seuls ont le droit de faire la petite bouche devant les réalisations qui s’accomplissent et qui, à leurs yeux, sont toujours insuffisantes. Parce que leur montre avance sur l’heure exacte ils croient qu’elle est meilleure que celle des autres.
Lorsque je prie les journalistes d’être les ministres de l’opinion publique, je n’ai pas honte de solliciter leur compréhension – non pas partiale mais la plus bienveillante possible. Je leur demande de comprendre qu’un gouvernement se doit de garder le juste milieu entre les tendances extrêmes qui sont toujours des sources de perturbations douloureuses et de tragédies. Entre l’État gendarme ou veilleur de nuit qui se contente de maintenir l’ordre, et l’État-providence qui veut éviter à des administrés sans le moindre esprit d’initiative le soin de penser et d’organiser leur vie, il y a de la place pour la souplesse réaliste dans « l’art du possible ».
Et quand je parle du possible, je tiens à ajouter qu’il n’est pas figé, mais variable selon les circonstances de l’Histoire. Comprenez-moi bien: le possible d’aujourd’hui n’est pas la suppression, l’avortement d’un plus grand possible de demain!
Chaque fois que j’ai vu un libéral réduire sa pensée au socialisme intransigeant, j’ai fait exprès de choisir le mot « réduire », j’ai été frappé par une constatation: il semblait du même coup avoir perdu le sens de l’humour, c’est-à-dire de la perspective et du rapport invisible des vérités entre elles.
Un libéral – j’entends par là non pas le membre d’un parti, et je ne répéterai pas pour la millième fois qu’il y a des libéraux chez les conservateurs et des conservateurs chez les libéraux un libéral, c’est-à-dire celui dont la pensée réchauffée par la générosité évite le double écueil qui consiste à gouverner trop ou a ne pas gouverner assez, à laisser faire ou à tout faire, à ne pas aller assez vite ou à aller trop vite à se scléroser intellectuellement ou à se jeter tête baissée dans chaque utopie.
Le seul écueil qu’il ne puisse éviter, c’est celui d’être critiqué par les possesseurs de certitudes contradictoires. Par exemple, d’un côté on m’accuse d’avoir perdu la maîtrise du volant dans la révolution tranquille; de l’autre on me reproche de mettre les freins.
Tout ce que je vous demande à vous que l’on appelle « les historiens de l’instant », c’est de me dire si j’obéis ou non aux panneaux de signalisation en allant aussi vite que le permettent les courbes que je n’ai pas créées.
Les fossiles inquiets voudraient bien un gouvernement qui frise l’impuissance. L’immobilisme offre des avantages apparents, il donne l’illusion de l’équilibre; et puis vivre dans le passé c’est tellement poétique! Et ça coûte beaucoup moins cher! En éducation, par exemple. Combien d’égoïstes sans enfant ou dont les enfants sont établis, sont consternés, – je dis bien « consternés » – par le coût de l’éducation. Il est considérable, d’accord, mais beaucoup moins que celui de l’ignorance! Ce serait si rassurant pour les « bien pourvus », une société qui ne bougerait jamais! Mais ce serait une sécurité de surface, une sécurité trompeuse. Les dinosaures diront toujours: « Après nous le déluge ».
Par ailleurs, il est aussi injuste et aussi gratuit de dire que l’on ne bouge pas assez vite. Il est commode de gémir, de crier à la trahison, de faire croire à un peuple qui pourtant ne cesse de s’affirmer, de progresser, qu’il est le plus opprimé, « le plus colonisé de la terre » (on l’a dit) et que son gouvernement, conseil d’administration des exploiteurs du peuple, va chercher ses directives à Wall Street ou dans la rue Saint-Jacques.
Quand je vois de profonds penseurs qui, pour être sûrs de demeurer des philosophes désintéressés, se font un devoir masochiste de rater piteusement toutes les entreprises qui exigent de l’esprit pratique … quand je vois des gens lamentablement impuissants à rendre normale leur vie personnelle, et qui poussent le dévouement jusqu’à organiser celle de quelques millions de Québécois… l’abnégation que je trouve chez l’idéaliste qui rate sa propre vie pour réussir celle des autres, me porte à scruter avec sévérité ma ligne d’action.
Ne serais-je pas à mon insu devenu réactionnaire ? Le gouvernement ne serait-il pas essoufflé ? Est-ce que je le force à marquer le pas, à piétiner sur place, à tourner en rond pour donner l’illusion du mouvement ? J’agis peut-être comme un homme qui craint d’être allé trop loin ? Ma timidité politique effarouchée ne me fait, elle pas donner un coup de barre à droite ? Mais oui c’est ça! Sur le Chemin de Damas mes yeux viennent de s’ouvrir.
La preuve que je suis réactionnaire et que, valet docile, je reçois tous les matins par messager spécial les instructions occultes de la rue Saint-Jacques, c’est que je viens d’annoncer qu’un Comité de spécialistes ferait des recherches techniques a l’intention d’un comité conjoint de la législature en vue d’instaurer le rêve des grands capitalistes qui n’ont pas les moyens de payer les factures de leurs médecins: l’Assurance santé!-la preuve que je suis réactionnaire, c’est que nous venons de créer une Société d’exploration minière de laquelle, afin de mieux rouler le prolétariat, les Compagnies seront exclues! … la preuve que je suis réactionnaire, c’est l’annonce de notre politique d’habitation afin que tous les millionnaires puissent quitter leurs misérables taudis et vivre dans des maisons familiales! … la preuve que je suis réactionnaire, c’est que je veux créer le Régime universel de
Retraite afin que les représentants québécois de la Haute Finance Inter nationale, qui ne gagnent qu’entre $600 et $5000 par année, puissent enfin compter sur une vieillesse sereine quand l’âge ne leur permettra plus de me dicter leurs instructions! … la preuve que je suis réactionnaire, c’est que la Caisse de Dépôt et de placements permettra aux grands financiers d’être piqués, stimulés, tonifiés, par la concurrence que leur fera le peuple du Québec en accumulant des milliards pour son développement économique rationnel. ..La preuve, enfin, que je suis maintenant un affreux réactionnaire après avoir été de gauche dans ma jeunesse, je vais la fournir tout en frémissant à la pensée qu’un de nos grands idéologues aurait pu me démasquer avant ma confession publique. Figurez-vous que lorsque j’étais enfant et que je jouais prolétairement au baseball, je frappais à gauche.
Maintenant que je pratique un jeu de bourgeois appelé le golf, je frappe à droite! Vous voyez bien que je trahis mon passé et que le pouvoir m’a « conservatisé »! Voilà pourquoi votre fille est muette, voilà pourquoi j’applique les freins. C’est parce que je n’ai pas de carte routière, c’est-à-dire pas de plan quinquennal qui me permette de dire: « Je vais par là; peuple du Québec, suis le guide inspiré que Dieu t’a donné! »
En 1928, L’URSS a vu débuter le premier de ses nombreux plans quinquennaux. C’est sans doute pour cela que son standard de vie est le plus élevé du monde! Un autre pays a eu la satisfaction mystique de voir le coût de la vie monter de 25% depuis le début de son dernier plan!
Tout cela ne me convainc pas de l’inutilité des plans, mais de la nécessité qu’ils soient bons. Pour être bons il faut qu’ils soient longuement mûris Et pendant qu’ils mûrissent, je ne peux pas m’empêcher de hausser les épaules si un « non-réalisateur » me crie: « Plus vite! »
Je suis le premier et le plus déçu de tous à la pensée que mes conseillers économiques ne m’ont pas encore livré un certain travail que j’attends avec un appétit exaspéré. Mais qu’est-ce qu’un plan, essentiellement?
Effectuer des choix dans le domaine du long terme.
Si, pressé de préoccupations immédiates, bousculé par la nécessité d’obvier à des retards dont j’ai hérité, je choisis comme palliatifs provisoires d’augmenter la production industrielle, les échanges commerciaux, le rendement du travail, la réduction du chômage, l’élévation du niveau de vie, la sécurité sociale et les conditions de logement, je ne peux pas m’empêcher de penser: « Il est impossible que je me sois trompé de route ». On ne peut pas me reprocher de marcher dans une direction opposée à celle qu’indiquera un jour le Plan. On ne peut me faire qu’un type de reproche: n’avoir pas la science infuse, ne pas me croire infaillible, refuser de décider ex-cathédra, ne pas appartenir à ces esprits précieux dont Molière disait qu’ils « savent tout sans avoir jamais rien appris ».
La seule question qui est devant vous, mesdames mes juges, c’est: « ai-je dans l’intervalle perdu mon temps » ?
Je tire mon orgueil du fait d’être attaqué à la fois par les maniaques de la vitesse et par les « Sunday drivers ». Je trouve dans cet équilibre des attaques qui s’annulent les unes les autres une certitude humainement raisonnable d’avoir agi au mieux des circonstances dont je ne suis pas responsable. Et je trouve un immense réconfort dans la conviction que l’action pratique est la meilleure réponse aux accusations gratuites.
Depuis quelques mois les annonces de réalisations se sont succédées au point de chevaucher les unes sur les autres. L’Usine de la General Motors, les Usines Peugeot-Renault, l’Usine de Firestone, la Sidérurgie de Bécancour, la Raffinerie d’huile Irving, l’Usine d’Energie nucléaire, les nouvelles Usines de pâte et de papier, et combien d’autres! Voilà les réponses de l’action salvatrice aux cogitations brumeuses des théoriciens dédaigneux. Voilà aussi et surtout la réponse à ceux qu’un Québec selon eux outrageusement colonisé ne pourrait s’affirmer qu’en élevant des murailles autour de sa réserve! Le nationalisme séparatiste s’occupe des symptômes au lieu de s’attaquer aux causes. Il s’imagine qu’on peut chauffer une maison en tenant une allumette sous le thermostat.
Ce ne sont pas les apparences qu’il faut corriger! La dignité du Québec est une grande priorité – d’accord! La santé économique du Québec est également une grande priorité. Mais, prétendre que ces deux priorités ne font qu’une, c’est: – pour parler comme le professeur Topaze de Marcel Pagnol – « lancer les naïfs sur une fausse piste pendant que les malins se partagent la proie ». Talleyrand avait bien raison de dire: Bien agiter le peuple avant de s’en servir !
Que tous nos grands émancipateurs ne soient pas des Machiavels ou des sépulcres blanchis, j’en conviens volontiers. Il me suffit pourtant de connaître un cas pour savoir que le loup est dans la bergerie.
Et quant aux autres pensionnaires de la même bergerie, je veux bien me contenter de les prendre pour des agneaux qui rugissent pour se persuader qu’ils sont des lionceaux, pour des rêveurs infantiles, mais ils n’en demeurent pas moins des rêveurs dangereux, des rêveurs qui prennent des symptômes de leur refoulement pour un idéal, leur violence pour de la force et leur barbe pour de la virilité!
J’estime qu’avec des réalisations continuelles, comme celles que j’ai énumérées, je fais plus pour assurer le bien-être, la dignité, le bonheur du futur petit Canadien du Québec que ceux qui voudraient nous faire lâcher la proie pour l’ombre, que ces farfelus qui cogitent gravement en caressant la toundra de leur menton et qui nous donnent des leçons de fierté nationale. Ils prennent bien garde, cependant, de
vous parler de la facture, de la « douloureuse », c’est-à-dire des souffrances, qu’après la fuite des capitaux, des représailles économiques et l’inflation en flèche, leur théorie non digérée infligerait a deux ou trois générations sacrifiées, appauvries, humiliées. Pendant ce temps les idéalistes mystiques du parti tireraient, eux, leur épingle du jeu en occupant des postes bien rémunérés ou leurs fonctions consisteraient à indiquer aux autres les sacrifices qu’il faut accomplir pour sauver la patrie embourbée.
Cette armée d’indépendance… (excusez moi: ce peloton d’indépendance) pourrait déjà avoir sa devise: – La faillite, nous voici!
Ce ne sont pas eux qui souffriront de la banqueroute, ce ne sont pas eux qui paieront, allez! Ces enfants mal grandis, ces bricoleurs sans apprentissage, ces guérisseurs de notre pensée politique, ces fabricants de panacées qui ont découvert toutes les vérités d’amateurs qui échappaient à la science des laboratoires, adorent imiter les gestes de l’adulte, tous les gestes sauf un: celui de payer l’addition! Pour ma part, j’ai tout investi de moi-même (énergie, expérience, rêves) dans l’avenir du Québec et du Canada. Je ne veux pas – je ne crains pas d’avouer mon égoïsme – je ne veux pas voir s’écrouler ces parts.
Au lieu de lancer des défis ridicules et enfantins à tout un continent d’anglophones, au lieu d’imiter ces « patriotes professionnels incorporated » (à responsabilité limitée naturellement!) j’aime mieux faire en sorte que le Québec se tienne bien droit devant le reste du pays. Au lieu de tomber dans la perversion du nationalisme outrancier, – car le patriotisme sain est au séparatisme ce que l’amour normal est à la perversion – j’aime mieux que le Québec se fasse respecter non seulement en sachant ce qu’il veut, mais en le proclamant, au lieu d’être fuyant et honteusement imprécis.
A moins d’être pêcheur en eaux troubles, à moins d’aimer la haine et de se haïr soi-même, je ne vois pas pourquoi l’on créerait sans nécessité de l’antagonisme au lieu d’entretenir un climat de compréhension sympathique pour des problèmes qui nous sont particuliers. Un homme est-il moins bon Français parce qu’il est Marseillais, Lyonnais ou Parisien? Un homme est-il moins bon Canadien parce qu’il est Québécois? Êtes-vous moins bonne journaliste parce que vous tenez farouchement à conserver votre personnalité individuelle?
Quand on est comme Canadien du Québec ou Québécois du Canada reçu partout, dans le pays avec une cordialité qui dépasse le froid protocole pour aller jusqu’à la chaleur de l’amitié et de l’estime profonde, ce n’est pas à cause de nos extrémistes, de ces verrues de nos qualités françaises, croyez-moi.
Je veux terminer en revenant à ma pensée du début. Critiquez, attaquez, démasquez, mais n’écrivez jamais une ligne qui provoque la désunion, qui puisse inciter un Canadien à haïr un autre Canadien.
Dans le passé – et il en reste des reliquats chez des attardés qui se croient à l’avant-garde – on a tenté de faire croire que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux étaient des concurrents nés. Au lieu de cela, nous prouvons tous les jours que nous pouvons nous affirmer dans notre individualité sans que le Canada que nous voulons servir en souffre, bien au contraire. Il ne peut que se renforcer de la santé de ses parties constituantes, grandir non pas aux dépens du Québec mais sur le plan international.
Nous n’avons pas le droit ici de hausser les épaules devant les succès et les applaudissements que le Canada récolte sur la scène mondiale, comme si c’était le bulletin scolaire du fils de la voisine. Notre pays joue un rôle digne et efficace dans la société des hommes libres, un rôle qui lui assure dans le monde entier une considération et un respect de plus en plus grands. Et quand il fait entendre à Washington, à Paris ou au Nations Unies une voix calme et ferme en faveur des droits de l’humanité, l’orgueil que nous en tirons comme Canadiens ne nous empêche pas de nous dire que nous -Y avons notre part comme Québécois qui, sans perdre leurs perspectives particulières, savent également entretenir une vision plus haute, plus dégagée, donc plus complète et plus noble, qui embrasse tout l’horizon de la famille humaine.
Je suis Québécois à 100%, je suis Canadien à 100’%, et je n’ai aucune sympathie pour les esprits conventionnels qui croient gravement que cela fait 200 %.
[QLESG19650618]
[Fédération des Caisses Populaires Desjardins Montréal, le 18 juin 1965 À publier après 2h.00 P.M. Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec.
Le 18 juin 1965]
Il est bon pour un conférencier d’annoncer dès le début le thème de son discours. Sinon, il risque de mériter un commentaire comme celui-ci. Un jour, arrivant très en retard à une causerie, je me penche vers mon voisin de droite et lui demande, tout essoufflé:
– Il y a longtemps qu’il parle ? – Oh … trois-quarts d’heure. Et de quoi parle-t-il ? – Il ne l’a pas encore dit.
Eh bien, pour éviter le même sarcasme, j’annonce sans plus de préambule que je veux vous parler de la prise de conscience, par le peuple québécois, du fait que son gouvernement est pour lui un levier essentiel de progrès économique et social. Cette prise de conscience explique, en définitive, les réactions actuelles de notre peuple devant les problèmes auxquels il a toujours fait face, nous propose les objectifs à atteindre et donne un sens à notre action. Les citoyens du Québec ont compris qui ils étaient, ont vu qui ils pouvaient être et ont résolu de le devenir.
Je m’empresse tout de suite de dire que l’expression « prise de conscience » n’a rien d’une figure de style. Car rares sont les figures de style d’où peuvent naître des motivations, des programmes d’action et des perspectives nouvelles, comme cela s’est produit et se produit encore dans notre Québec moderne.
Il y a quelques années encore nous, regardions le passé avec nostalgie; aujourd’hui, nous envisageons l’avenir avec con fiance. Il y a quelques années, nous nous efforcions de survivre; aujourd’hui, nous voulons être et devenir. Il y a quelques années, nous faisions passivement confiance à des moyens d’action traditionnels; aujourd’hui, nous voulons adapter ces moyens d’action aux nécessités nouvelles. Il y a quelques années, nous avions un « gouvernement provincial » parce que la Confédération en prévoyait un; aujourd’hui, nous nous servons du gouvernement du Québec en lui demandant d’être une force qui, enfin, a pris conscience d’elle-même et abandonné le négativisme.
Je n’ai pas l’intention de vous faire une sorte de panégyrique des oeuvres du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. J’aimerais plutôt réfléchir à haute voix, devant vous, sur le phénomène de la prise de conscience dont je viens de parler en vous montrant quelques-uns de ses effets. Vous êtes d’ailleurs vous mêmes en mesure, dans vos vies quotidiennes ou comme membre d’institutions sociales ou économiques, de voir les résultats tangibles des changements considérables qui se font jour chez nous depuis quelques années.
J’ai l’impression, si j’en juge par notre expérience au Québec, qu’une prise de conscience ne peut s’effectuer et comporter des chances de succès qu’à deux conditions qui se complètent mutuellement: il faut d’abord poser un geste qui prenne la forme d’une remise en question et, en le faisant, il importe de conserver une double attitude d’esprit: accepter de bon gré cet examen de conscience et ne pas perdre de vue l’essentiel. Pour une société, une telle interrogation est toujours douloureuse à cause de l’incertitude qu’elle crée fatalement et des privilèges qu’elle risque de menacer. Car elle suppose une réévaluation à partir de critères nouveaux.
La réévaluation que le Québec a faite de lui-même au cours des dernières années lui a démontré à la fois ses forces et ses faiblesses. Notre peuple a mesuré ses forces en constatant qu’il formait un groupe humain auquel l’histoire, la culture et la langue ont donné une cohésion, une unité dont on retrouve peu d’exemples dans le monde. Nous sommes à peine plus de 5000000 au Canada, à peu près tous issus d’un même groupe ethnique et partageant dans l’ensemble les mêmes » valeurs. Rares sont aujourd’hui les populations qui, à peu près sans apport de l’extérieur, ont pu croître comme la nôtre depuis plus de deux cents ans et jouir, comme au Québec, d’un territoire aussi étendu et aussi riche. Même si, comparativement aux habitants des États-Unis par exemple, nous sommes peu nombreux, le territoire qui est le nôtre et les perspectives de progrès qui s’ouvrent devant nous font des Québécois un des peuples les plus riches et les mieux partagés du monde.
Pendant des générations, nous avons eu les yeux tournés vers l’intérieur et, comme je l’ai dit il y a un instant, vers le passé. L’histoire peut facilement expliquer ce phénomène qui, de toute façon, était inévitable dans la situation où nous nous sommes trouvés à partir de la conquête. Pendant des générations, nous avons raisonné en termes de paroisse, de vie rurale, de tradition. Notre horizon dépassait à peine le village où nos parents s’étaient installés, suivant ainsi leurs propres parents. En somme, nous vivions groupés autour de nos clochers respectifs.
Je ne rends pas ce passé responsable de tous les problèmes avec lesquels nous sommes aujourd’hui aux prises. Je suis plutôt porté à croire que c’est grâce à ce passé, grâce au sens de communauté et de solidarité des Québécois qui nous ont précédés, que nous avons pu survivre jusqu’à maintenant. Nous leur devons d’être désormais engagés dans un processus d’affirmation collective peut-être long à venir, mais plus intense et plus ferme que jamais auparavant. S’il avait fallu que nous nous dispersions un peu partout en Amérique après 1759, il n’y aurait probablement pas de Québec à l’heure actuelle. Je ne serais surtout pas ici, devant vous, à vous adresser la parole à l’occasion d’un congrès d’un réseau d’institutions bien à nous – les Caisses populaires qui ont été, sont et seront encore longtemps un de nos leviers économiques les plus puissants.
Nous avons donc pris conscience de nous-mêmes. Nous savons désormais que nous sommes une force parce que nous avons su demeurer ensemble et parce que, ensemble, nous sommes dorénavant prêts à de nouveaux départs. Notre force, bien sûr, ne nous permettra pas d’envoyer des hommes coloniser la lune (nous avons besoin de tous nos Québécois ici même!), mais elle nous permettra d’ici quelques années de laisser sur la terre même notre marque dans plusieurs domaines.
Nous avons aussi, par la réévaluation que nous avons accepté de faire de notre groupement humain, découvert nos faiblesses et nos lacunes. Et elles étaient nombreuses. Dans le domaine économique, nous étions absents des grandes entreprises industrielles et nous avions presque fini par penser qu’il y avait là, pour nous, un monde inaccessible. Dans le domaine financier, nous n’avions pas les moyens de nous mesurer aux grandes puissances d’argent et nous étions victimes d’un complexe d’insécurité héréditaire qui, là encore, nous interdisait de nous aventurer hors des sentiers battus. Dans le domaine de l’éducation, nous ne produisions pas les spécialistes et les experts que réclamait un monde hautement technique et sans lesquels nous risquions d’être abandonnés le long de l’Histoire. Dans le domaine social, nous n’avions pas réussi, sauf quelques exceptions, à concevoir et à appliquer une politique vraiment familiale. Dans le domaine de l’administration, nous croyions ne pas avoir les aptitudes voulues. Ces aptitudes, nous les avions dans le domaine de la politique, mais Dieu sait de quelle façon parfois nous les avons exercées.
En somme, tout en tenant compte des simplifications peut-être injustes que je suis forcé de faire, nous avons pris conscience de ce que nous étions en même temps que de ce que nous n’étions pas. Pour les uns, il en est résulté le désir de corriger avec dynamisme une situation qui menaçait, à plus ou moins brève échéance, non pas de nous faire disparaître comme peuple, mais de nous priver de toute importance réelle. Pour d’autres, les difficultés parurent insurmontables par les moyens dont nous disposions. Certains d’entre eux se résignèrent et abandonnèrent la lutte. Un autre groupe très restreint, composé de défaitistes qui s’ignorent, crut que le Québec ne réussirait rien sauf en recourant à des moyens d’action non démocratiques, et même à la violence. Comme on le sait maintenant, la majorité saine de notre population accepta de se mettre à la tâche et, appuyée par son gouvernement, résolut de franchir en quelques années des étapes qui demandèrent des générations à d’autres nations.
Depuis quelques années, on peut constater les effets de l’action entreprise. Le Québec vit maintenant une époque de changement sans précédent. Déjà nous sentons que nous sommes équipés pour aller encore plus loin et encore plus vite.
Nous n’avons pas encore réussi, ni complété tout ce que nous avons commencé, mais les progrès déjà accomplis justifient pleinement le maintien de l’enthousiasme et de la confiance. Chose certaine, en tout cas, notre prise de conscience elle-même a été une réussite tonifiante. Elle a dégagé chez nous une vigueur qui s’emploie à poursuivre l’effort d’affirmation dont notre action porte la marque dans tous ses secteurs.
A quoi tient ce succès ? Je crois que l’immense majorité des citoyens du Québec, convaincus de la portée des gestes que nous avons posés depuis quelques années, ont su garder une double attitude d’esprit. Ils n’ont pas craint la remise en question globale que supposait notre prise de conscience et ils n’ont pas perdu de vue l’essentiel.
Même s’il est persuadé de sa force intérieure, un peuple qui n’est pas plus nombreux que le nôtre, surtout si l’on pense qu’il est entouré de 200000000 de personnes de langue anglaise, court un danger permanent: celui de s’appuyer sans réserve sur des traditions qu’il connaît parce qu’elles sont survenues. On pourrait dire qu’il est toujours menacé de conserver des comportements traditionnels.
La raison en est bien simple. Il est humain et normal qu’une personne, dans les situations difficiles, se replie sur elle même et se tourne vers des solutions familières. Ce n’est pas au moment où l’on fait face à des problèmes aigus et où il faut agir vite qu’on a naturellement tendance à labourer une terre nouvelle. On tente au contraire de s’appuyer sur du solide, du connu, du familier.
Il en est ainsi des peuples. Au Québec, devant les faits que nous dévoilait notre réévaluation collective, nous aurions pu mettre de l’avant, dans un mouvement de réaction, les moyens dont nous disposions déjà et dans l’état où ils se trouvaient alors. Je veux dire que, face à notre absence relative du monde économique, nous aurions pu essayer de nous réaliser dans d’autres domaines accentuant de la sorte notre absence du secteur de l’industrie. Face aux déficiences de notre système d’éducation, nous aurions pu en consolider certains niveaux, négligeant alors de le réformer dans son ensemble.
Dans un tel état d’esprit, nous aurions également pu conclure que certaines de nos lacunes provenaient non pas du fait que nous n’utilisions pas suffisamment ce levier qu’est notre gouvernement, mais au contraire que nous y avions trop fait confiance.
On peut deviner tout de suite vers quels désastres nous aurait finalement conduits une réaction de ce genre. Nous aurions certes effectué quelques réformes, mais nous n’aurions vraiment rien remis en question, avec le résultat qu’à l’heure actuelle nous n’aurions attaqué aucun de nos problèmes à sa racine.
Mais notre peuple, heureusement, n’en n’a pas voulu ainsi. Il a, à mon sens, posé un acte de courage en réexaminant à fond, lucidement et froidement, les institutions économiques et sociales auprès desquelles il s’était traditionnellement senti en sécurité. Avec l’appui entier de son gouvernement, il les a réorientées, il les a transformées, il les a refaites et il en a même créé de nouvelles. Et il continue irréductiblement dans cette voie. En un mot, il a accepté de faire face, de plein gré et de façon positive, a des conditions qui ne dépendaient pas toujours de lui, en vue d’être le plus possible en mesure d’influencer dorénavant lui-même le monde qui l’entoure. Mais en s’engageant dans la remise en question nécessaire, notre population n’a pas perdu de vue l’essentiel. Elle a compris que si elle pouvait et devait adapter ses moyens d’action ou ses institutions pour les rendre plus efficaces, il ne lui était pas permis, sous peine de perdre son identité, de consentir à des compromis sur l’essentiel. C’est pourquoi, d’un côté, elle est plus fermement que jamais décidée à conserver sa langue et à lutter pour l’épanouissement de sa culture, alors que, de l’autre, elle n’hésite pas à emprunter des idées, des techniques ou des façons d’agir fui facilitent le progrès de l’essentiel. Ainsi, elle tient à accroître l’autonomie du Québec. Mais elle ne se complaît pas, avec une naïveté dangereuse, dans un monde imaginaire, comme savent en créer les frustrés qui ont peur de la lutte pour la vie! Elle sait que, dans sa province et dans son pays, vivent des concitoyens d’autres langues et d’autres cultures avec qui il lui est nécessaire de vivre et de travailler. Les frontières entre l’essentiel et l’accessoire ne sont pas toujours, loin de là, visibles au premier abord. L’une des tâches actuelles du peuple québécois est de savoir les découvrir, surtout à une période de notre histoire où se compénètrent autant les frontières politiques que les frontières culturelles, phénomène qui, du reste, ira toujours en s’accentuant, à moins que, pour la première fois depuis la création du monde, l’Histoire ne se mette en marche arrière. La réévaluation dont j’ai parlé de façon générale depuis quelques instants n’existe cependant pas en elle-même. Elle se manifeste de plusieurs manières souvent différentes à travers les institutions et les organismes de notre milieu. Ces institutions et ces organismes changent, les modalités de leur action évoluent. Cela est normal et, dans les circonstances actuelles, cela est nécessaire pour que le mouvement qui nous anime tous et qui est fondamentalement sain atteigne le but qu’on est en droit d’espérer. Ainsi, les Caisses populaires du Québec ont aujourd’hui, comme tous les autres organismes du genre, à faire certaines options, dans certains cas même à décider dans quelle direction elles doivent s’orienter. Ce n’est pas à moi qu’il appartient de vous indiquer la conduite à suivre: vous êtes beaucoup mieux placés que moi pour le savoir.
Mais les Caisses populaires ont joué un tel rôle dans notre milieu et cela depuis des années – que l’observateur de l’extérieur ne peut que souhaiter le plein succès des initiatives nouvelles qu’il leur paraîtrait nécessaire de susciter. Les Caisses populaires ont aidé nos citoyens et nos familles; maintenant, en plus, elles aident notre collectivité comme telle. Je pense à leur participation à la Société générale de financement. Je puis vous dire, comme Premier ministre du Québec, combien j’apprécie le caractère positif de la collaboration des Caisses populaires et l’ouverture d’esprit de ses dirigeants. Je suis certain que, dans la réévaluation de l’action des Caisses populaires, vous saurez, tous ensemble, un peu comme l’a fait et le fait encore le Québec, ne pas craindre les remises en question nécessaires tout en vous appuyant sur l’essentiel et en le sauvegardant. Je pense, par exemple, au caractère coopératif et démocratique des organismes dont vous êtes responsables. Au Québec d’aujourd’hui, nous vivons vraiment, mes chers amis, des années palpitantes. La période actuelle de notre histoire s’avérera certainement une des plus intéressantes. Elle sera, pour nous, l’occasion d’une reconnaissance. La tâche n’est pas facile, mais elle est à la mesure de la ténacité dont notre peuple a maintes fois su faire preuve dans le passé. Notre devoir présent n’est pas, comme on l’a cru longtemps, de maintenir rigides et inchangées les institutions dont nous avons héritées; il consiste plutôt à effectuer avec souplesse les réformes devenues nécessaires a notre affirmation et cela, avec un courage semblable à celui qui a guidé les premiers citoyens de ce monde nouveau qu’était, il y a trois ou quatre cents ans,-l’Amérique du nord. Car, à l’heure actuelle, comme dans le passé, vivre en Amérique du nord est peut-être un avantage à certains points de vue. Mais, pour une population de langue française, notre situation géographique et démographique dans ce milieu revêt parfois l’allure d’un défi à notre imagination et à notre persévérance. Ce défi, il y a plusieurs générations que nous avons accepté de le relever. Mais il s’agit d’un défi permanent. Je suis certain toutefois que, dans les années qui viennent, notre peuple, armé de son gouvernement, armé des institutions et des organismes qui sont une émanation fidèle de ses caractéristiques, armé surtout de sa force intérieure, saura de nouveau vaincre là ou il a commencé à réussir aussi brillamment. Et cela devant des peuples témoins qui ne songent même pas à cacher leur admiration pour le sursaut magnifique d’une grandeur en puissance!
[QLESG19650621]
[Association des marchands d’automobiles À publier après 9h:00 P.M. Château Frontenac -,Québec 21 juin 1965 Lundi, le 21 juin 1965 Hon, Jean Lesage, Premier Ministre. DÉVELOPPEMENT ECONOMIQUE RÉGIONAL]
Les pays industrialisés de l’occident ont tous découvert que des différences énormes existaient dans le revenu et la prospérité des citoyens d’une région à l’autre. On a même constaté que ces différences allaient s’aggravant, la productivité s’améliorant dans un pôle central et se détériorant dans les régions périphériques
Ce processus existe aussi au Québec où Montréal, depuis plusieurs années, a pu prendre une expansion disproportionnée. En somme, la poussée industrielle et l’automatisation ont fait que, dans tous les pars modernes, les régions pauvres ont montré une tendance naturelle a s’appauvrir et les régions favorisées une tendance naturelle à s’enrichir.
Il y a quelques années, la question se posait de savoir si le gouvernement du Québec devait se lancer dans un programme de planification globale à long terme, alors même que les instruments comptables, financiers et industriels nous faisaient encore défaut pour mettre en oeuvre les mesures qui seraient préconisées dans ce plan d’ensemble. On décida plutôt de s’attaquer d’abord à l’implantation de ces instruments. C’est pourquoi nous avons entrepris de créer les structures économiques et financières qui nous manquaient.
Nous n’avons pas pour autant oublié les déséquilibres régionaux de notre économie. Au contraire, la présente session donne une idée des préoccupations, gouvernementales à ce sujet. Les lois agricoles, la création de SIDBC, notre effort maintenu du côté de l’équipement social, la création d’un réservoir de capitaux comme la Caisse de dépôt et placement, le développement de la recherche pure et appliquée, voilà autant de gestes concrets en ce sens.
Mais; avant d’aller plus loin, demandons-nous quelles sont les conséquences des déséquilibres régionaux. Il en résulte une utilisation insuffisante de la main-d’oeuvre disponible, un taux peu élevé de productivité dans les régions défavorisées, ce qui retarde la croissance du revenu national, des prestations coûteuses en assurance chômage et en assistance sociale, et enfin, des coûts additionnels en travaux publics rendus nécessaires par la concentration trop poussée dans les grandes villes.
Pour le gouvernement du Québec il est bientôt devenu évident qu’une priorité devait être accordée à la planification régionale, sans pour cela abandonner l’idée d’un plan global embrassant tous les secteurs économiques. Plusieurs ministères, par leurs études et leurs travaux dans les régions du Québec, ont constaté l’ampleur du problème. Le gouvernement vient donc de confier au Conseil d’Orientation économique la tâche urgente de préparer, en collaboration avec tous les ministères intéressés, une politique complète de développement régional.
Les objectifs à atteindre de même que les moyens d’action y seront indiqués. Des choix seront présentés au gouvernement. celui-ci prendra des décisions importantes dans des domaines aussi variés que la politique d’investissements, les travaux; de voirie, la politique d’achat, la localisation de nouveaux pôles d’attraction, le lancement des entreprises, la décentralisation administrative, la fiscalité régionale, une plus juste répartition des travaux scientifiques, et que sais-je encore ?
Cette politique d’ensemble visera à régionaliser l’économie du Québec, c’est-à-dire simultanément à décongestionner Montréal et à concentrer les énergies locales autour de pôles régionaux de croissance. La régionalisation économique consistera, en somme, à créer un palier intermédiaire fort entre la multitude des unités économiques qui sont dispersées sur le territoire du Québec et le grand centre tout-puissant que constitue la région de Montréal. Pourquoi une telle politique de régionalisation économique est-elle aussi nécessaire ? Il nous faut d’abord, comme dans toute société moderne, parvenir à une meilleure utilisation des ressources humaines.
Il ne s’agit pas seulement, ici, de réduire le chômage dans les régions sous-industrialisées. Il faut en outre créer des emplois partout dans la province non seulement pour ceux qui sont effectivement chômeurs, mais aussi pour nombre de personnes femmes mariées ou personnes âgées – qui seraient heureuse:-, d’effectuer un travail à temps partiel. En se joignant ainsi à la population dite « active », cet apport de main-d’oeuvre contribuerait à augmenter sensiblement la richesse collective du Québec.
Nous devons aussi rechercher une meilleure utilisation de nos ressources matérielles. Si l’on considère ce que sera le Québec dans 10 ans, il devient en effet urgent de préparer dès aujourd’hui un plan complet de développement régional qui permette d’utiliser à leur maximum les ressources dont nous disposons, compte tenu de notre population. En 1975, celle-ci aura atteint 7000000 de personnes. Faciliter la croissance harmonisée de toutes les régions de la province, viser à la meilleure répartition possible des investissements publics et privés, assurer l’équilibre interne des économies locales, par la diversification et le regroupement des activité: économiques, voilà autant d’objectifs pour une politique de développement régional.
Par ailleurs, ce développement ne saurait se faire au détriment de la région de Montréal, qui doit continuer d’être le pôle d’attraction par excellence de toute l’économie. Il n’y a pas de contradiction entre cet objectif et celui de la décentralisation. Bien au contraire, le développement des régions viendra accentuer la puissance de Montréal à l’extérieur du Québec, même si quantitativement Montréal perd une importance relative à l’intérieur de la province. Entourée de pôles économiques fortement structurés, Montréal pourra étendre et donner à tout le Québec une puissance qu’elle seule détenait jusqu’à maintenant.
Il nous importe également – et c’est là un objectif évident d’une politique régionale dans la mesure du possible, les déséquilibres et les différences trop marquées d’une partie de notre territoire à l’autre. Certains problèmes ont des causes purement régionales sur lesquelles des programmes nationaux ou mêmes provinciaux risquent de ne pas avoir prise. Certains facteurs, de caractère strictement local, jouent un rôle prépondérant et créent des caractéristiques propres à chacune des régions.
On doit aussi noter qu’une politique régionale systématique peut permettre une division territoriale cohérente qui rendra plus facile l’administration des différents programmes des gouvernements et des grandes entreprises. Un cadre de 10 à 15 grandes régions est en effet plus pratique qu’un cadre de 95 comtés ou de 1,500 municipalités,
La délimitation de territoires permet en plus l’unité d’action qui est indispensable chez les responsables de l’aménagement économique de leur milieu. Ceux-ci voient un intérêt commun dans la réalisation de projets qui les touchent directement.
A ce propos, il convient de remarquer que la division en régions et l’institution d’organismes régionaux aident à atténuer des rivalités locales souvent exagérées. Si l’on détermine un programme et si l’on veut qu’il se réalise, les citoyens doivent au préalable l’accepter et le vouloir. Cette adhésion du public, cette consultation avec tous les agents de la vie économique, peuvent être plus facilement réalisées dans un cadre régional. Cela est l’essence même de la démocratie économique et apparaît comme une des conséquences d’une politique régionale.
La question se pose maintenant de savoir comment peut et doit s’élaborer une politique régionale typiquement québécoise. Pour y arriver, nous aurons à contourner plusieurs difficultés.
Il y a d’abord les problèmes de juridiction, tant dans les relations des différents niveaux de gouvernement que dans les relations entre le secteur public et le secteur privé.
En ce qui concerne le rôle respectif du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial, le Québec a des positions bien précises. Puisque nous avons des objectifs économiques qui nous sont propres et puisque les institutions gouvernementales québécoises sont intimement enracinées dans tous les secteurs de notre vie économique, donc plus près de notre peuple, il semble évident que le gouvernement du Québec est mieux posté que tout autre pour élaborer une politique régionale vraiment efficace. Il va sans dire que cette politique, tout en étant conçue essentiellement en fonction de nos besoins, doit, dans la mesure du possible, tenir compte des politiques régionales élaborées par les autres provinces du pays et des mesures fédérales qui, dans d’autres secteurs, peuvent compléter notre action.
Le même principe s’applique lorsqu’il est question du rôle de l’État provincial vis-à-vis des corps publics municipaux, des organismes privés régionaux et des divers agents de la vie économique. Sans l’appui et la participation des éléments les plus dynamiques de nos régions, la politique gouvernementale ne saurait être autre chose qu’un échec complet. Inversement, l’action des régions serait futile en l’absence d’une coordination au sommet des objectifs particuliers. C’est dans cette optique que le Conseil d’Orientation économique vient d’accréditer, sur une base temporaire, une dizaine de conseils économiques régionaux, qui recevront sous peu une subvention du ministère de l’Industrie et du Commerce. Celle-ci aura pour but de les aider à défrayer une partie de leurs dépenses de secrétariat.
Le rôle de ces conseils économiques régionaux est vital dans la situation actuelle. En plus de servir d’interlocuteurs au Conseil d’Orientation économique, ils pourront procéder à un inventaire succinct des ressources et des potentialités de la région, analyser les mouvements des biens et services, déterminer des orientations et des priorités, choisir ou suggérer des moyens pour réaliser les objectifs du plan régional.
Il est un second groupe de difficultés provenant de la dispersion des efforts qui, a tous les niveaux, nous n’avons pas à le cacher – caractérisent présentement l’action régionale au Québec. Il s’agit les divergences d’opinions et des conceptions différentes qui animent les ouvriers de la première heure. En effet, selon que vous êtes urbaniste, agronome, géographe ou économiste, il est fort probable que vous aurez une façon particulière de concevoir la façon d’élaborer une politique régionale
Dans la tâche qui lui a été confiée, le Conseil d’Orientation économique saura certainement faire la part des choses, et, peut-être, concilier toutes les tendances au moyen d’une synthèse harmonieuse, qui retiendra les avantages des unes et des autres.
Mais il ne suffit pas de dire, par exemple, que le développement régional ne doit pas se borner à l’aménagement du territoire rural ou urbain, que la planification régionale doit elle-même être intégrée dans une politique économique applicable à l’ensemble du territoire québécois, qu’il faille procéder à une décentralisation industrielle et à une urbanisation du monde rural.
Il reste en effet tout le chapitre des instruments par lesquels devront être conçus, coordonnés et exécutés les programmes régionaux.
J’ai parlé tout à l’heure des conseils économiques régionaux et du rôle important qui est le leur. À ce premier instrument viennent se joindre, sur le plan régional, des organismes d’exécution et de financement, dont la création a été suggérée dans divers milieux, tant privés que gouvernementaux. Là aussi le Conseil d’Orientation économique procédera à des études et fera les recommandations nécessaires. Il y a quelques semaines, mon collègue, le ministre de l’Industrie et du Commerce, l’honorable Gérard D. Lévesque, proposait qu’un travail d’harmonisation des frontières régionales des divers ministères gouvernementaux soit entrepris dans le plus bref délai possible, afin que notre politique régionale actuelle, même limitée, soit appliquée d’une façon efficace. Dans la même veine, il suggérait également que les fonctionnaires régionaux de tous les ministères intéressés fassent table ronde pour étudier et coordonner leurs travaux d’aménagement. Il va sans dire que ces suggestions doivent, de toute évidence, faire l’objet d’un examen au Conseil des ministres. Celui-ci ne saurait tarder à prendre une décision.
Mais de quels instruments administratifs le gouvernement dispose-t-il à l’heure actuelle ?
Tout le monde connaît maintenant le Conseil d’Orientation économique et je n’ai pas besoin d’insister sur son rôle et son importance.
Il existe, au niveau du Conseil des Ministres, un Comité ministériel de planification. Composé de cinq ministres intéressés de près aux problèmes économiques, ce comité étudie, pour le comte du Cabinet, les recommandations du COE et des différents ministères. Son rôle est de véhiculer et de coordonner les projets qui sont soumis au Cabinet.
En outre, depuis deux ans, un Comité permanent d’aménagement des ressources formé de huit sous-ministres est à l’oeuvre et sa tâche consiste à coordonner la mise en application des projets approuvés par le Cabinet. Qu’il s’agisse de projets financés par le gouvernement lui-même ou par les fonds de la loi ARDA.
Certains organismes ont recommandé à plusieurs reprises la création d’un ministère du Plan. Sans vouloir déprécier cette suggestion, il faut reconnaître que nous avons probablement déjà en main la plupart des éléments nécessaires pour constituer un organe au moins équivalent à celui qui est réclamé dans certains milieux.
Nous croyons qu’en structurant d’une façon appropriée notre Comité ministériel de planification, notre Comité permanent d’aménagement des ressources et le Conseil d’Orientation économique, nous disposerons d’un instrument de planification peut-être plus efficace qu’un ministère du Plan. Il serait difficile de confier à un seul ministère le rôle d’élaborer toute la politique économique du gouvernement, et il serait probablement inefficace d’assigner à ce seul ministère la responsabilité de l’appliquer. La formule des comités interministériels a commencé à donner des résultats. Je crois que quelques retouches de structure aux organismes déjà existants pourront conférer à notre appareil de planification un degré d’utilité encore plus considérable.
Si plusieurs mois se sont écoulés avant que l’unité organique préside aux destinées des comités interministériels, c’est qu’il fallait d’abord que chacun des organismes se taille une place au soleil, fasse ses preuves dans son secteur particulier et acquière ses propres méthodes de fonctionnement. Il fallait aussi que prennent corps les bureaux de recherche et de planification créés par différents ministères. Ceux-ci constituent autant d’interlocuteurs pour le Conseil d’Orientation économique. Pour assurer l’unité de vues au palier administratif, il fallait également que la comptabilité nationale du Québec, de même que la comptabilité interrégionale, soient complétées. Le Bureau de la Statistique du Québec est justement en train de réaliser ce programme essentiel d’information. Dans quelques mois le gouvernement aura à sa disposition des renseignements inédits sur les besoins spécifiques de chacune des régions du Québec et sur les objectifs à poursuivre dans chacun des secteurs de notre économie.
A l’heure où le Québec est en voie de terminer la réalisation d’une première phase de son développement économique, à savoir la mise en place des instruments financiers administratifs, industriels, énergétiques, il n’est en somme ni trop tard ni trop tôt pour parler de planification économique et de développement régional. Tout en continuant de se préoccuper de croissance quantitative, le gouvernement du Québec poursuit toujours sa marche et entre résolument dans une phase de croissance qualitative, celle qui assurera à toutes les régions du Québec et à toutes les couches de notre population leur juste part de prospérité économique
[QLESG19650719]
[Gouvernement du Québec Déclaration de l’honorable Jean Lesage, Premier ministre, ministre des Finances et des Affaires fédérales-provinciales Conférence fédérale-provinciale Ottawa, le 19 juillet 1965. ]
L’ordre du jour que nous avons devant nous est probablement l’un des plus chargés qui nous ait jamais été proposé pour une conférence fédérale-provinciale. La plupart des sujets abordés sont non seulement importants en eux-mêmes, mais constituent un tout susceptible d’influencer fortement et pour longtemps toute la politique provinciale ou fédérale, surtout en ce qui a trait aux ressources humaines. À ce titre, il nous faudra leur accorder la plus grande attention possible.
Avant d’aborder l’examen des sujets sur lesquels le Québec tient à faire connaître ses vues, nous aimerions mentionner trois facteurs primordiaux qui s’appliquent à l’ordre du jour dans son ensemble et qui doivent orienter nos discussions au cours de la présente conférence fédérale-provinciale. Comme on le notera dans les pages qui suivent, certains des problèmes auxquels nous nous arrêterons ont déjà incité le gouvernement du Québec, et certainement d’autres provinces aussi, à poser des gestes concrets. Ainsi, dans les domaines du développement régional, de l’unification des lois d’assistance sociale, du reclassement de la main-d’oeuvre et de la politique d’emploi, le Québec a commencé à agir, tout en poursuivant les études qui lui permettront d’élaborer des programmes d’action encore plus précis. Si nous croyons essentiel d’insister au tout début de notre mémoire sur les initiatives que nous avons déjà prises, c’est que celles-ci portent sur des domaines de compétence provinciale où les provinces peuvent, beaucoup mieux que le gouvernement fédéral, exercer une action efficace et durable. Au cours de cette conférence, nous devrons donc tenir compte de ces initiatives des provinces dans leurs domaines propres. En second lieu, nous ne devons pas perdre de vue le fait que le Comité fédéral-provincial du régime fiscal, dont sont membres plusieurs des participants à cette conférence, est actuellement à l’ oeuvre et qu’il entre dans son mandat d’examiner en profondeur des sujets qui touchent directement plusieurs des questions paraissant à l’ordre du jour. Si la présente conférence est en mesure de prendre certaines décisions de portée immédiate ou administrative, nous ne pouvons cependant pas du tout accepter qu’à cette occasion, elle serve de point de départ ou, ultérieurement, de justification à des politiques majeures qui, déterminées cette semaine, préjugeraient nécessairement des conclusions du Comité du régime fiscal. Cela est particulièrement vrai de tout ce qui peut avoir trait à la répartition des champs d’activité entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces, aux programmes conjoints, aux arrangements fiscaux et à la politique économique en général. Nous devons, en cette matière, être logiques avec nous-mêmes. Ou bien le Comité du régime fiscal doit s’acquitter de son mandat, et alors nous devons le laisser terminer son travail. Ou bien ce Comité n’apparaît plus nécessaire, et alors mieux vaut le dissoudre maintenant. Chose certaine, on ne peut pas, d’un côté, continuer à y participer et, de l’autre, agir sans attendre le résultat de ses études. Pour sa part, le Québec tient à ce que ce Comité, que nous avons nous-mêmes contribué à former, poursuive la tâche importante qu’il a entreprise. À notre avis donc, il ne conviendrait pas que la conférence qui s’ouvre aujourd’hui s’attaque prématurément à la solution de problèmes dont l’étude a déjà été confiée à un organisme qui doit nous faire rapport.
Enfin, nous avons toujours cru au Québec, et nous sommes plus fermement convaincus que jamais, qu’un des problèmes fondamentaux auxquels nous rivons à faire face est celui du réaménagement des recettes fiscales entre le gouvernement du Canada et ceux des provinces. Comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises lors de conférences antérieures, les provinces ont des droits et des besoins prioritaires. En fait, elles doivent faire face à des responsabilités accrues et très lourdes dans les domaines qui relèvent de leur juridiction: éducation, santé, bien-être social, voirie, aménagement du territoire, développement régional, etc. Ainsi, le gouvernement du Québec a dû, au cours des dernières années, assumer de lourdes responsabilités dans ces domaines et actuellement il est à préparer les plans d’initiatives nouvelles que réclame sa population. Leur mise en oeuvre est ralentie et risque même d’être compromise, à cause de l’insuffisance de recettes, conséquence d’un aménagement fiscal encore beaucoup trop orienté vers le gouvernement central. Certes, ce dernier a-t-il consenti, au cours des récentes années, un élargissement de certains impôts au bénéfice des provinces. Le Québec soutient que ce réaménagement est encore loin d’être suffisant pour répondre au financement de ses besoins dans les domaines qui relèvent de sa compétence. Depuis quelques années, les municipalités, les commissions scolaires et le gouvernement du Québec lui-même ont dû majorer certains impôts et même créer de nouvelles taxes. Le printemps dernier, alors que nous devions augmenter nos impôts et recourir à de nouvelles taxes, le gouvernement fédéral était dans l’heureuse situation où il pouvait accorder des allégements fiscaux aux contribuables canadiens. Le Québec n’entend pas critiquer la décision prise par le gouvernement du Canada, mais tient à signaler ce fait pour indiquer que le problème qu’il nous faudra résoudre dans les mois à venir est beaucoup plus ce lui du réaménagement fiscal, question étudiée par le Comité du régime fiscal, que celui du lancement d’initiatives nouvelles par le gouvernement fédéral dans des domaines de compétence provinciale. Le développement régional.
Depuis quelques années, les gouvernements ont de plus en plus tendance à encourager ou à maintenir la croissance économique par diverses mesures axées sur le développement régional. Celles-ci sont utilisées en plus des techniques bien connues de la politique fiscale ou de la politique monétaire. Le plus souvent, elles ont pour objectif la mise en valeur de territoires qui, pour certaines causes qu’il est possible et souhaitable de corriger, peuvent ne pas être touchés par le progrès général même lorsque celui-ci imprime un dynamisme marqué à l’économie dans son ensemble. En ce sens, les politiques régionales font partie des instruments de lutte contre la pauvreté. Toutefois, d’une façon plus générale, elles constituent des moyens d’action propres à favoriser la croissance économique équilibrée que recherche toute société moderne. Pour être efficaces, de telles politiques doivent satisfaire à trois conditions: elles doivent d’abord être adaptées aux besoins spécifiques de ces régions; elles doivent ensuite être appliquées par le gouvernement qui est le plus en mesure de s’acquitter de cette tâche importante; elles doivent enfin tenir compte de l’ensemble de la politique économique et sociale du gouvernement de la province où sont situées ces régions.
L’adaptation des instruments d’action aux besoins régionaux québécois nous semble difficile à réaliser au niveau du gouvernement central. À lui seul, le Québec est plus étendu que tous les pays européens, sauf un, et les ressources de son territoire varient considérablement d’une région à l’autre. Lorsque le gouvernement fédéral élabore des mesures régionales, quels que soient les mérites intrinsèques de celles-ci, elles risquent fort d’être fondées sur des critères dont la plus grande vertu sera souvent d’être applicables sans exception et sans discrimination à toutes les provinces du pays. Nous comprenons très bien les motifs qui guident les décisions du gouvernement du Canada dans de tees cas, mais nous doutons de l’efficacité des mesures qui en découlent. Certaines peuvent même parfois favoriser davantage les régions déjà développées au détriment des régions périphériques. Le gouvernement du Québec contrôle à peu près toutes les données sur lesquelles repose concrètement toute politique régionale: aménagement des ressources, institutions municipales, voirie, etc. Par ailleurs, pour des raisons administratives et sociologiques, il est plus près de sa population que le gouvernement du Canada. C’est donc dire que le gouvernement du Québec et les organismes qu’il peut susciter sont beaucoup mieux en mesure que le gouvernement central de mettre en oeuvre une politique régionale vraiment efficace. Quant aux objectifs du Québec, ils sont connus. Tout en admettant l’interdépendance économique des régions, des provinces et des pays qui caractérise le monde actuel, nous nous efforçons, par tous les moyens dont nous disposons, y compris le levier qu’est pour nous le secteur public, de faire prendre à notre population, directement ou indirectement, une part active à la mise en valeur de son territoire. Cette participation, en raison de multiples facteurs, a trop fait défaut dans le de l’objectif précédent, le gouvernement du Québec désire augmenter le niveau de vie de ses citoyens en combattant, entre autres, l’inégalité passé. Nous avons entrepris de remédier à une telle situation. En plus régionale. À ce propos, il est animé du même souci que les autres gouvernements. Nous ne pouvons cependant pas agir en vase clos et faire abstraction tant des décisions économiques des autres gouvernements que des facteurs extérieurs hors du contrôle du nôtre. C’ est pourquoi il nous semble évident qu’une politique régionale pour le Québec, tout en étant conçue essentiellement en fonction de nos besoins, doit, dans la mesure du possible et sans détriment aux objectifs fondamentaux de notre population, tenir compte de ceux du reste du pays. Là encore notre attitude se fonde sur un souci d’efficacité.
D’ici quelques mois, nous croyons pouvoir rendre publique une politique régionale cohérente sur laquelle nous travaillons depuis quelque temps. En effet, notre politique économique vient en quelque sorte d’entrer dans une seconde phase. Au cours de la première, nous avons commencé à doter la population du Québec des instruments qui lui étaient nécessaires: Société générale de financement, nationalisation de l’électricité, caisse de dépôts, etc. Nous allons continuer dans cette voie, mais nous ajouterons désormais une dimension nouvelle à notre action: l’action régionale. C’est à sa détermination que notre Conseil d’orientation économique s’est, entre autres, employé au cours des derniers mois, en collaboration étroite avec les ministères intéressés. Il existe une politique fédérale portant sur les régions dites » désignées « , mais nous entretenons des réserves sérieuses sur son efficacité réelle, malgré les améliorations que l’on compte y apporter. Ainsi, nous croyons que l’utilisation des stimulants fiscaux ou autres dans certaines régions désignées ne justifie pas pour autant l’appellation de » politique régionale « . Tout au plus s’agit-t-il à notre avis, de mesures très partielles qui, même si elles peuvent être utiles, sont loin de répondre à l’attente de ceux qui pensent à mettre rationnellement en valeur des territoires selon leur vocation économique particulière, et compte tenu des besoins et des aspirations de la population qui y vit. La portée limitée des mesures envisagées par le gouvernement fédéral s’explique, en bonne partie, justement par l’impossibilité dans laquelle il se trouve de se servir de moyens d’action qui appartiennent aux provinces. Pour le moment toutefois et pendant que se précisent les mesures que le Québec prépare, soit pendant un an, nous collaborerons à l’application de celles que le gouvernement fédéral propose de mettre de l’avant. Au cours de cette année, nous accepterons que les dispositions présentement proposées soient maintenues jusqu’à leur terme normal pour les entreprises qui s’en seront prévalues entre le moment de leur mise en oeuvre et celui où nous entreprendrons l’application de notre propre politique, dans la mesure évidemment où cette politique différera des propositions fédérales actuelles. Dès qu’il sera en mesure de le faire, le gouvernement du Québec déterminera donc lui-même, à partir de critères qui lui sont propres, les zones où il désire appliquer une politique de » régions désignées » ou toute autre technique de mise en valeur du territoire ou de lutte contre le chômage.
Ces décisions pourront ensuite être discutées avec des représentants fédéraux de façon à les compléter ou à les préciser. Nous tenons cependant à ce que les subventions ou la taxation différentielle que le gouvernement fédéral a jusqu’à maintenant appliquées en vertu de sa politique de » régions désignées » ou qu’il l’intention d’appliquer dans les provinces qui souscrivent aux nouvelles propositions fédérales, soient disponibles au Québec, même si à l’avenir nous désignons nous-mêmes les régions à être touchées par une telle politique. Nous comprenons évidemment que certains problèmes techniques se poseront à ce sujet et nous serons prêts à en discuter, en temps opportun, avec les représentants fédéraux. Si le gouvernement fédéral adoptait une attitude contraire à celle sur laquelle nous venons d’insister, il refuserait en somme aux provinces l’usage de moyens d’action régionale, les empêchant ainsi, du moins en partie, de jouer à ce propos le rôle qui leur revient. De la sorte, nous serions amenés à remettre en question beaucoup plus que la répartition actuelle des sources de revenus entre les gouvernements au Canada: nous aurions, en effet, un motif de plus de nous interroger sérieusement sur le degré de contrôle que devraient respectivement exercer le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux quant à l’impôt sur les profits des sociétés. L’étude de ce sujet entre d’ailleurs dans le mandat du Comité du régime fiscal, dont nous ne voulons pas préjuger des conclusions. Nous sommes également en voie d’édifier les structures administratives qui seront nécessaires à l’application de notre politique régionale. Nous considérons qu’il serait dorénavant normal que toute action fédérale au niveau des régions québécoises s’effectue par l’entremise de ces structures, après que le Québec aura donné son assentiment aux objectifs poursuivis et aux moyens utilisés. Autrement, il y a risque que des politiques s’inspirant d’hypothèses différentes s’annulent mutuellement. Puisque, en définitive, nous recherchons tous la même fin -l’amélioration du niveau de vie de nos concitoyens – il n’y a pas de raison pour que l’on n’arrive pas à une entente sur ces questions. Après tout, notre intention n’est pas de nous opposer passivement et négativement à une action fédérale, qui en elle-même peut rendre des services, mais d’associer, par l’entremise de notre gouvernement, les politiques régionales québécoises aux politiques économiques d’un autre ordre que le gouvernement fédéral est mieux placé pour mettre en oeuvre. Dans le domaine des politiques régionales, comme dans bien d’autres, il importe de ne pas créer des services dont l’existence même est un défi à la constitution et de s’en tenir à la règle qui rejette la dualité des instances pour des raisons d’efficacité administrative. La politique de la main-d’oeuvre et de l’emploi En principe, toute mesure qui facilite au travailleur sans emploi sa réintégration dans le marché du travail ne peut qu’être encouragée par tous ceux qui en voient les avantages économiques, sociaux et humains; son application pratique peut toutefois présenter des difficultés qu’on ne perçoit pas toujours au premier abord. Le gouvernement fédéral a rendu public, le 19 mai dernier, un programme d’assistance financière au bénéfice des travail leurs sans emploi. En vertu de ce programme, on consentira des prêts et des allocations de déplacement et d’établissement aux travailleurs en chômage depuis quatre mois, à la condition qu’ils aient suivi un programme de formation (cours aux chômeurs). Le programme sera administré par le service national de placement. La politique visant à faciliter la mobilité de la main-d’oeuvre est une des mesures qui entrent dans le cadre d’une politique fédérale de la main-d’oeuvre et de l’emploi. En effet, déjà il existe des mesures visant à la formation professionnelle des travailleurs, à la lutte aux effets néfastes que peut engendrer l’automatisation, à la mobilité des travailleurs spécialisés et à la collaboration patronale ouvrière. Le nouveau programme s’intègre dans cette politique générale en s’appuyant sur des mécanismes et des organismes fédéraux.
Il est bon incidemment de faire remarquer que la nouvelle proposition du gouvernement fédéral ressemble à une mesure qui avait été préconisée et appliquée par la Société de reclassement des travailleurs de l’amiante, société formée au moment de la fermeture de mines à Thetford et à laquelle ont étroitement collaboré les ministères québécois du Travail, des Richesses naturelles, de la Famille et du Bien-être social et de l’Éducation. Cette expérience a pleinement réussi et inspire actuellement les efforts de ceux qui, au Québec, mettent sur pied les instruments qui nous manquent encore dans ce domaine. Le gouvernement du Canada entre dans ce champ avec évidemment l’appui massif des moyens dont il dispose toujours. L’initiative fédérale pose donc au niveau des relations fédérales-provinciales toute la question désormais si importante pour nous au Québec de la politique de la main-d’oeuvre et de l’emploi. C’est Ici un domaine dans lequel le Québec n’a pas encore eu l’occasion d’entreprendre l’action économique et administrative qu’il a réussi à appliquer dans d’autres secteurs d’action. Cependant, comme c’est le cas pour le développement régional, nous comptons bien mettre au point la politique de la main-d’oeuvre et de l’emploi à laquelle nous travaillons présentement et qui nous permettra de mieux satisfaire à nos besoins propres, grâce à une meilleure orientation de l’économie du Québec. Dans cette perspective, la politique de l’emploi tout comme celle du développement régional se révèle un des instruments d’une planification économique efficace. Quoi qu’il en soit, ces deux instruments font partie de ceux sur lesquels le gouvernement des provinces ont juridiction.
Pour sa part, le Québec a certes l’intention, en temps opportun, de les utiliser pleinement.
On comprend que, si le gouvernement fédéral en venait à détenir tous les moyens et les mécanismes relatifs à la main d’oeuvre, qu’il s’agisse de sa mobilité, de sa formation ou de son affectation, il pourrait fausser sérieusement les objectifs économiques que les provinces se sont fixés. Ainsi, il suffirait qu’en termes nationaux il soit bon de développer une région déjà fortement industrialisée pour que la mobilité géographique des travailleurs soit favorisée vers ce pôle d’attraction et pour que l’industrie soit, encore plus qu’elle ne l’est maintenant, portée à localiser là ses entreprises puisque la main-d’oeuvre la plus qualifiée sera orientée vers ce centre. Une telle politique contrecarrerait alors les efforts de décentralisation industrielle.
Il s’écoulera évidemment un délai avant que la politique québécoise de l’emploi puisse être mise en oeuvre. Certaines des études à ce sujet ne sont pas terminées. D’autres travaux cependant le sont, particulièrement dans le domaine du chômage saisonnier.
Au fur et à mesure que le Québec exercera ses responsabilités en matière de main-d’oeuvre et d’emploi, il deviendra nécessaire, non seulement d’apporter des modifications substantielles aux mesures fédérales déjà en vigueur, mais d’instituer entre les structures administratives québécoises qui pourront être créées et les structures fédérales actuelles un degré étendu de collaboration. Ainsi, il faudra, avec le temps, réévaluer en fonction de la politique de main d’oeuvre du Québec les programmes conjoints de formation professionnelle auxquels le Québec continue d’adhérer. Il devra très probablement en être de même du fonctionnement du service national de placement.
Nous voulons tout de même, dès maintenant, signaler certains dangers possibles de la politique de mobilité des travailleurs sans emploi mise de l’avant par le gouvernement fédéral. Celle-ci semble reposer sur le postulat que le Canada devrait constituer un seul marché du travail. La dimension même de notre pays, les différences régionales qu’on peut constater en le parcourant démentent le bien-fondé d’un tel postulat. Mais il y a en outre, pour le Québec, des facteurs de nature culturelle et sociale qui désignent notre province comme un marché du travail ayant un caractère propre. À titre d’exemple, soulignons le fait qu’il est difficile d’obtenir une mobilité des travailleurs spécialisés qui soit favorable au Québec quand ces travailleurs sont de langue anglaise; d’autre part, les travailleurs non-spécialisés du Québec se rendent difficilement dans les autres provinces. Ainsi, dans un système qui favorise la mobilité et dans un ensemble de circonstances où certains pôles d’attraction se situent à l’extérieur de son territoire, le Québec risque de perdre constamment de la main-d’oeuvre spécialisée et de voir croître l’importance relative de sa main-d’oeuvre non qualifiée. D’ailleurs, quand même on mettrait sur pied le meilleur système destiné à favoriser la mobilité de la main-d’oeuvre à travers le pays, il reste que pour le citoyen de langue française l’obstacle fondamental à son déplacement du Québec vers d’autres provinces est la difficulté, en certains cas insurmontable, qu’il éprouve de faire instruire ses enfants dans sa propre langue. Tant que cette barrière n’aura pas été éliminée, il semble bien illusoire, du moins en ce qui concerne les citoyens de langue française du Québec, de parler de mobilité de main-d’oeuvre d’une province à l’autre et de dresser des plans à cet effet. Comme, de plus, le gouvernement fédéral semble vouloir instaurer une politique de mobilité à l’échelle du pays, il se peut qu’il contribue ainsi à accroître les charges sociales du gouvernement du Québec tout en risquant de le priver, du moins dans plusieurs régions, d’une main-d’oeuvre spécialisée. En effet, les chômeurs qui doivent actuellement bénéficier de l’assistance sociale sont justement, en bonne partie, ceux qui ont le moins de chance d’être aidés parce qu’ils auront de la difficulté à satisfaire aux conditions imposées pour bénéficier du programme fédéral . Quant à ceux qui répondent à ces conditions, on facilite leur déplacement. D’une part, le Québec est donc condamné à soutenir les gens qui ont besoin d’une plus grande attention pour réintégrer le marché du travail et, d’autre part, il risque de perdre ceux qui sont plus facilement récupérables.
L’opinion que nous émettons ici sur la politique fédérale de mobilité des travailleurs sans emploi pourra être révisée à la lumière de l’expérience et ne constitue pas un jugement définitif. Elle vise surtout à attirer l’attention sur certains dangers et sur le cas particulier du Québec en cette matière. D’une façon plus immédiate, toutefois, le Québec insiste pour que les renseignements statistiques et autres du service national de placement soient mis à la disposition de notre ministère du Travail. Celui-ci, à cause de son influence possible sur le marché du travail québécois, a, de fait, un rôle à jouer dans l’orientation et le placement des travailleurs sans emploi. C’est pour cette raison que, de concert avec d’autres organismes provinciaux, il se consacre présentement à l’élaboration d’une politique de main-d’oeuvre qu’il veut fonder sur une connaissance exacte de la réalité socio-économique du Québec. L’analyse des renseignements statistiques du service national de placement faciliterait cette connaissance et éviterait à notre ministère du Travail d’entreprendre la recherche de données que le gouvernement fédéral possède déjà. Le Québec fournit d’ailleurs depuis longtemps déjà au gouvernement fédéral, pour fins de comparaison interprovinciale, une abondante documentation d’ordre statistique. Dans le domaine de la lutte au chômage, où la collaboration des deux secteurs de gouvernement est essentielle, ne serait-il pas de mise que nous soient transmis, et de façon détaillée, les renseignements déjà recueillis sur le marché québécois du travail ? Il serait regrettable et difficilement excusable que des personnes soient privées d’un emploi parce que l’échange de renseignements aura été insuffisant entre des organismes fédéraux et provinciaux. Le Québec croit aussi que, en ce qui le concerne, les mesures annoncées le 19 mai – soit les prêts et allocations de déplacement et d’établissement ne devraient être administrées par le gouvernement fédéral que d’une façon essentiellement provisoire, c’est-à-dire juste le temps qu’il faudra pour que soit mis sur pied le service de reclassement de la main-d’oeuvre qui est prévu au ministère québécois du Travail. Après quoi, cette responsabilité devrait revenir sans délai au gouvernement auquel elle appartient, accompagnée de la compensation fiscale requise pour l’exercer convenablement.
Le régime canadien d’assistance publique. Trois principes fondamentaux guident le Québec en matière de sécurité sociale. Il estime d’ abord que la conception des diverses mesures de sécurité sociale et leur administration doivent être l’expression d’une véritable politique familiale. Il voit ensuite, dans la sécurité sociale, un domaine de compétence provinciale, et cela pour des raisons à la fois constitutionnelles, culturelles et pratiques. Tout en exerçant sa compétence propre dans ce domaine, il croit cependant nécessaire que le niveau des bénéfices découlant de l’application de ses diverses mesures de sécurité sociale soit au moins comparable à celui qui prévaut dans l’ensemble du pays et même plus élevé dans la mesure du possible, si les besoins de ses citoyens l’exigent.
À la lumière de ces principes, le gouvernement du Québec, après avoir comblé certaines lacunes évidentes et après avoir créé un ministère de la Famille et du Bien-être social, a entrepris de réorienter son régime d’assistance sociale. Pour ce faire, il a procédé à une vaste étude critique des mesures d’assistance et de leur administration. À l’heure actuelle, il s’inspire de très près des conclusions de cette étude en mettant simultanément de l’avant une conception familiale de l’assistance sociale, une réorganisation administrative, une politique de réadaptation des personnes et des familles assistées et l’usage systématique d’expériences pilotes, notamment en ce qui concerne le reclassement et la réhabilitation des bénéficiaires de l’assistance sociale. Nous sommes loin d’avoir terminé la tâche entreprise. De fait, dans plusieurs secteurs elle n’est qu’amorcée car, en matière d’assistance sociale, les changements doivent tenir compte d’interrelations complexes entre l’action des agents de la vie économique et celle de l’État.
Afin d’exercer pleinement sa compétence, le Québec, on le sait, s’est retiré contre compensation fiscale de plusieurs programmes conjoints. C’est notamment le cas des programmes touchant les invalides, les aveugles, les personnes de 65 à 69 ans inclusivement et d’une partie de l’assistance-chômage. Nous sommes présentement dans une période de transition qui devra se terminer au plus tard en 1970. Ces quatre mesures d’assistance sociale feront partie de la loi unique de sécurité sociale que le ministre fédéral de la Santé nationale et du bien-être social a proposée aux provinces lors de la conférence ministérielle des 8 et 9 avril derniers. À ce sujet certaines remarques s’imposent. Le gouvernement du Québec désire lui aussi, comme il en a d’ailleurs le premier manifesté publiquement l’intention depuis plusieurs mois, regrouper en une loi unique les éléments constituants de son régime d’assistance sociale. Pour cette raison, il ne peut qu’être d’accord avec la position de principe fédérale. De la même façon, il considère que l’établissement des taux d’assistance en fonction des besoins est un pas en avant dans l’amélioration de l’assistance sociale au Canada. Cependant, les mesures d’assistance sociale que le gouvernement fédéral propose de grouper sont justement celles pour lesquelles nous avons exercé notre droit d’option. Il s’ensuit donc que le Québec, tout en souscrivant au principe mis de l’avant par le gouvernement central, l’appliquera lui-même et à l’extérieur de tout programme conjoint. Nous avons d’ailleurs pu constater que le ministre fédéral concerné a prévu le cas. Ceci dit, il n’en reste pas moins, même si le principe administratif du regroupement des lois sociales nous apparais recommandable, qu’une différence importante d’orientation peut marquer au Québec la restructuration et l’agencement des diverses mesures sociales dont nous sommes responsables. Comme on le sait, le gouvernement du
Québec vise, pour mieux l’adapter aux besoins de sa population, à imprimer à l’assistance sociale une orientation nettement familiale. Cette orientation pourra à la longue, si plusieurs ou toutes les provinces du pays en adoptent une autre, nous amener à élaborer un régime d’assistance sociale qui tendra graduellement à se distinguer, dans sa conception et son administration, du régime en vigueur ailleurs. Il ne s’ensuit pas pour autant que nous instituerons nécessairement un ensemble de mesures sociales nouvelles absolument étrangères à toutes celles qui peuvent exister au pays. Nous croyons plutôt, compte tenu de l’interrelation qui prévaut entre les provinces canadiennes, qu’elles seront comparables, sans être nécessairement identiques. Il convient également d’ajouter que, même en exerçant notre droit d’option, notre participation active aux conférences fédérales-provinciales sur la sécurité sociale se continuera. Il est en effet toujours utile d’échanger des vues et de comparer des expériences. Afin d’assouplir le système des programmes à frais partagés et d’améliorer l’administration de la sécurité sociale et la qualité du personnel préposé à cette fonction, le gouvernement fédéral propose, dans le premier cas, d’instituer l’examen conjoint des pro grammes et des régimes administratifs et, dans le second, de participer avec les provinces au paiement du salaire de certains fonctionnaires nommés à des charges précises, particulièrement dans le domaine de la réadaptation sociale. Le Québec admet le bien-fondé des préoccupations du gouvernement fédéral sur ces questions, mais nous ne sommes pas disposés à voir ce gouvernement entrer dans un secteur dont il est présentement absent chez nous, surtout à un moment où nous nous efforçons de reprendre en mains les responsabilités constitutionnelles et sociales qui nous appartiennent. Les motifs qui ont fait que le Québec se retire des programmes conjoints valent aussi pour l’examen qui est proposé: nous ne pouvons accepter une telle procédure puisqu’en définitive elle reconnaîtrait de fait au gouvernement central un droit de regard sur des mesures d’assistance que nous considérons relever de notre propre compétence. Nous voyons donc mai pourquoi il serait nécessaire que le Québec soumette ses programmes administratifs à l’approbation du gouvernement fédéral. Nous ne voyons pas non plus comment nous pourrions permettre à ce même gouvernement de défrayer une partie du salaire de nos fonctionnaires. On pourrait peut-être, de la sorte, amoindrir la rigidité des conventions qui ont prévalu jusqu’à maintenant dans l’administration des programmes d’assistance par catégories, mais on tomberait dans un régime de surveillance administrative, directe ou indirecte, tout aussi inacceptable que la rigidité à laquelle on désire mettre fin. Le gouvernement fédéral mettra à la disposition des provinces désireuses d’accepter le régime proposé des sommes additionnelles que le Québec ne peut accepter de recevoir à de telles conditions. Par ailleurs, nous estimons qu’il serait injuste de priver le Québec des sommes que l’on offre ainsi aux autres provinces. Il faudra donc, dans ce cas comme dans les autres, trouver un mode de compensation. Cette compensation devra cependant être appuyée sur autre chose que l’identité des normes administratives et des objectifs fixés. Ces normes et ces objectifs peuvent être, par moments, les mêmes, mais nous ne pouvons nous engager à les conserver identiques. Le Québec est, autant que n’importe quelle province, persuadé qu’il importe d’améliorer constamment les services de bien-être et de disposer d’un personnel compétent. Au cours des dernières années, nous croyons l’avoir démontré et nous avons bien l’intention de continuer dans cette voie. Si ce genre de preuves ne suffit pas pour justifier le versement au Québec de sommes qui lui seraient disponibles s’il acceptait de se conformer aux normes fédérales, on peut trouver d’autres bases de compensation: le rapport de l’auditeur du Québec, par exemple, le texte de nos lois ou bien encore l’étude de l’accroissement de nos dépenses administratives. Il s’agit évidemment la de méthodes nouvelles, peut-être jamais utilisées antérieurement. Nous entrons cependant dans une ère où le gouvernement central devra de plus en plus laisser, contre compensation, le champ libre aux gouvernements provinciaux, surtout dans les domaines qu’ils sont mieux en mesure que lui d’occuper et qui relèvent de leur juridiction. Si d’une part le Québec est prêt à collaborer avec les autres provinces et le gouvernement central, tant dans le domaine social que dans les autres, et même si à l’occasion il adopte des normes et des pratiques administratives communes, il refuse que ces normes et pratiques servent, à toutes fins utiles, de fondement à de nouvelles subventions conditionnelles. Si nous avons voulu, dans les domaines qui relèvent de notre juridiction, mettre un terme au régime des programmes conjoints, en toute logique nous ne pouvons envisager de le rétablir sous une autre forme. En somme, puisqu’il doit y exister une certaine collaboration entre les deux secteurs de gouvernement, nous sommes prêts à la fournir, mais pas d’une façon qui équivaudrait à reconnaître au gouvernement du Canada un droit ou des privilèges qu’il n’a pas. Nous croyons plutôt que des rencontres fédérales-provinciales et des discussions interprovinciales suffisent pour maintenir entre les diverses mesures de sécurité sociale du pays l’harmonie voulue.
Les services de santé
Il ne fait aucun doute qu’à l’heure actuelle les citoyens du pays ressentent de plus en plus le besoin d’être mieux protégés contre les risques financiers de la maladie. Déjà l’assurance-hospitalisation, et d’autres mesures dans le domaine de l’hygiène publique, ont constitué un premier pas dans cette voie, mais on connaît maintenant les limitations inhérentes à des programmes de ce genre. On retrouve des limitations similaires dans les plans privés d’assurance-santé. Le gouvernement du Québec a formé, il y a quelques mois, un groupe d’étude qui a pour mandat de réunir et d’analyser toute la documentation voulue sur l’assurance-maladie, habituellement appelée assurance-santé. Cette documentation sera soumise à un comité conjoint du Conseil législatif et de l’Assemblée législative qui commencera ses travaux au cours de la prochaine session de la Législature québécoise. Ce comité conjoint fera ensuite ses recommandations. Si nous avons pris cette initiative, c’est que nous avons l’intention bien ferme de doter nos citoyens d’un régime complet d’assurance-maladie, sous la juridiction du Québec lui-même et adapté à ses besoins. Nous tiendrons notre programme d’assurance-maladie à l’extérieur, le cas échéant, de tout programme conjoint fédéral-provincial. Nous voulons ainsi nous conformer à notre politique générale d’option dans les domaines qui relèvent de notre compétence et où nous croyons être en mesure d’agir plus efficacement que le gouvernement central. Pour arriver à déterminer le programme d’assurance-maladie qui conviendra au Québec, nous tiendrons évidemment compte des études déjà faites et des expériences vécues ailleurs, de même que du rapport de la Commission royale sur les services de santé.
La décision du Québec en cette matière est fondée sur l’acceptation de nos responsabilités envers nos citoyens et sur l’exercice nécessaire de nos droits. Elle n’a à aucun moment été guidée par un désir quelconque d’isolement. Elle est encore moins fondée sur une stratégie dont le but serait d’amener chaque province à établir un programme entièrement différent de celui des autres provinces, de sorte que les intérêts particuliers redoutant l’assurance-maladie auraient beau jeu, en opposant les provinces les unes aux autres, pour retarder ou même empêcher l’avènement d’une telle mesure au Canada. En d’autres termes, nous croyons que l’exercice de la compétence provinciale en cette matière ne doit pas constituer un obstacle à l’établissement, dans les provinces du pays et selon des modes administratifs qui conviennent à chacune, d’un programme d’assurance-santé aussi complet que possible. Notre but n’est pas, en nous exprimant de la sorte, d’indiquer aux autres provinces la route à suivre, mais tout simplement de faire écho à ce qui nous semble être l’expression presque unanime de la volonté des citoyens, tant ceux du Québec que ceux qui vivent ailleurs au pays. L’assurance-maladie est en effet peut-être un des sujets sur lesquels les Canadiens en général, quelle que soit leur origine ethnique, s’entendent le mieux.
Cela nous amène à parler du rôle que peut jouer le gouvernement fédéral relativement à l’assurance-maladie. Disons tout de suite que la compétence constitutionnelle en cette matière appartient à l’autorité provinciale. Il peut évidemment arriver que des provinces, pour des raisons qui leur sont propres et que nous respectons, préfèrent se reposer sur le gouvernement fédéral soit en s’inspirant de normes établies par ce gouvernement, soit en participant à un programme à frais partagés. On sait maintenant que le Québec n’a pas l’intention de procéder de cette façon. Le gouvernement fédéral peut toutefois faciliter aux provinces l’exercice de leurs pouvoirs constitutionnels, par exemple en corrigeant la répartition actuelle des sources de revenus au Canada. Ainsi, uniquement pour fins de discussion, disons qu’il pourrait libérer un certain nombre de points d’impôt sur le revenu des particuliers ou sur les profits des sociétés en faveur des provinces désireuses d’établir chez elles un programme complet d’assurance-maladie. Nous ignorons, pour le moment, quelle serait la dimension de l’abattement fiscal en question, mais il pourrait fort bien représenter une partie du coût par province, disons la moitié, d’un programme d’assurance-maladie prévoyant les mêmes services que celui qui a été suggéré par la Commission royale d’enquête sur les services de santé.
Si nous utilisons la recommandation de la Commission royale dans notre exemple, c’est qu’il s’agit là d’un programme comprenant un groupe de services que les citoyens du pays semblent désirer à l’heure actuelle. Cela toutefois n’exclut pas qu’on choisisse une autre base de calcul.
Il serait entendu qu’en vertu d’un tel système de compensation fiscale, le gouvernement fédéral n’aurait pas à déterminer lui-même les normes administratives devant régir l’assurance-maladie, ni les services fournis, ni le mode de financement supplémentaire à être adopté par les provinces. L’abattement fiscal auquel nous référons ici serait consacré à l’assurance-maladie et deviendrait ainsi la contribution du gouvernement central à l’établissement de ce programme au Canada.
Ce programme serait mis sur pied par les provinces qui croient pouvoir accepter cette responsabilité et fonctionnerait selon des normes déterminées par elles. On aura remarqué, dans ce qui précède, que, sauf notre désir d’instituer un programme provincial d’assurance-maladie au Québec, nos suggestions n’ont rien de définitif. Elles indiquent plutôt l’esprit qui nous guide en cette matière et doivent être tenues pour une contribution à la discussion dont l’assurance-maladie au Canada devra faire l’objet au cours des mois qui viennent. Par ailleurs, comme nous l’avons signalé au début de ce mémoire, i l est essentiel d’attendre le résultat des travaux du Comité du régime fiscal avant de s’engager dans une direction aussi précise que le financement d’un régime complet d’assurance-maladie. Dans le même ordre d’idées, nous comprenons que la suggestion du ministre fédéral de la Santé et du Bien-être social d’ajouter comme frais partageables entre les provinces et le gouvernement fédéral, le coût des soins médicaux aux indigents qui reçoivent des prestations en vertu des programmes d’assistance-chômage et d’assistance publique, est un palliatif d’ordre temporaire qui sera en fin de compte modifié par l’avènement proposé d’un régime général d’assurance-maladie. Nous tenons cependant à ce que cette décision ne prenne pas l’allure d’un précédent dont on voudra s’inspirer au moment de l’établissement de l’assurance -maladie elle-même. Ceci bien établi, le Québec est d’accord pour que le coût des soins médicaux fassent dorénavant partie de l’assistance-chômage et de l’assistance publique; cela ne modifie en rien son attitude quant à la formule d’option contre compensation fiscale. En d’autres termes, la part fédérale des frais additionnels d’assistance-chômage et d’assistance publique applicable au paiement des soins médicaux pour les indigents se traduira par une addition à la compensation fiscale dont doit bénéficier le Québec. Le respect de la législation provinciale. La saine pratique du fédéralisme exige que chaque gouvernement respecte la compétence des autres autorités législatives. Mais à une époque où l’interdépendance est aussi marquée qu’aujourd’hui, le respect des compétences réciproques Ce n’est pas la seule condition de l’harmonie entre les gouvernements. Ainsi, même lorsqu’il légifère dans les domaines de sa compétence propre, chaque gouvernement doit se préoccuper des répercussions de ses décisions sur les projets des autres et sur la bonne marche des affaires générales du pays. Ce n’est pas, croyons-nous, simplement parce qu’un gouvernement a juridiquement autorité dans un domaine, qu’il peut y faire tout ce qui lui con vient. L’efficacité administrative et la recherche de solutions réelles exigent plutôt qu’il veille à ce que ses actions s’harmonisent avec celles des autres autorités législatives, sans porter atteinte à leurs droits et privilèges. Bref, la légalité d’un geste ne doit pas être le seul guide à l’action; il importe aussi de réfléchir sur l’opportunité et les répercussions de ce geste. À ce propos, le gouvernement du Québec croit qu’il est grand temps de mettre fin à la tendance du gouvernement fédéral de faire un usage excessif de ce qu’on appelle le » pouvoir ancillaire » pour envahir des domaines qui relèvent normalement de la compétence des provinces. On arrive ainsi à créer artificiellement de prétendues « zones grises » où un semblant de droit vient essayer de masquer une intrusion du pouvoir central dans des matières qui doivent relever exclusivement des provinces. Que ce soit par la création de ministères ou autres organismes dans des domaines qui, comme les forêts ou les richesses naturelles, ne dépendent que des provinces, ou que ce soit par l’adoption de mesures législatives sur des sujets qui, comme les conditions de travail, sont généralement du ressort provincial, on aboutit toujours à une duplication des normes et des contrôles administratifs. On aboutit surtout à une situation où le gouvernement fédéral, même si ses pouvoirs sont limités, est en mesure de battre la marche, de donner le ton aux provinces e± même d’engager celles-ci à des dépenses qui viennent détruire l’ordre de priorités qu’elles s’étaient fixées. En un mot, le gouvernement fédéral réussit de cette façon à prendre l’initiative même dans des domaines qui normalement ne sont pas de son ressort. Le gouvernement du Québec croit qu’au lieu de tendre à créer de nouvelles » zones grises « , on doit au contraire chercher à faire disparaître celles qui existent déjà. Nous nous opposons, en tout cas, à ce que des lois fédérales viennent prendre la place de lois provinciales, sous quelque prétexte que ce soit. Nous croyons qu’il nous faut établir clairement comme une des règles fonda mentales de notre fédéralisme que les pouvoirs exceptionnels du Parlement fédéral doivent rester des pouvoirs d’exception, dont l’usage doit être limité à des cas particuliers. Nous n’avons pas objection à ce que, dans certains cas très spéciaux, à être définis comme tels d’un commun accord, des lois fédérales viennent compléter une réglementation provinciale qui ne réussirait pas à rejoindre certaines personnes ou situations. Ainsi, il n’est que normal que la Loi de l’indemnisation des employés de l’État viennent assujettir les employés fédéraux aux lois provinciales sur les accidents du travail et que la Loi sur le transport par véhicule à moteur vienne obliger les entreprises de camionnage interprovincial à se soumettre aux régies provinciales du transport routier. Mais il est nécessaire que de telles lois restent essentiellement complémentaires et ne viennent pas se substituer aux lois des provinces. Ce n’est pas parce que certaines activités comme, par exemple, le commerce bancaire et celui du grain, sont assujetties à une règlementation fédérale que les banques et les meuneries doivent être à l’abri des lois provinciales sur les relations ou les conditions de travail. Les provinces ont pleine compétence pour régir les relations juridiques de toutes les entreprises privées établies sur leur territoire, et cette compétence doit être intégralement respectée par le gouvernement central. Du moins, il doit en être ainsi au Québec. Si d’autres provinces n’ont pas objection à un usage élargi des pouvoirs fédéraux, il doit être bien clair que, dans l’exercice de ce pouvoir élargi, le Québec entend être excepté. Chez nous, toutes les entreprises privées qui font affaires dans notre province doivent se soumettre à nos lois.
Pour ce qui est de l’avenir, nous voulons que le principe qui vient d’être énoncé soit respecté intégralement. Il doit en être ainsi, en particulier, quant à la surveillance des régimes de retraite. À ce propos, le gouvernement central a récemment annoncé son intention d’intervenir dans ce domaine tout simplement pour adopter les normes uniformes élaborées par les provinces les plus populeuses et les faire administrer – du moins, il faut le supposer par les organismes provinciaux. Voilà, en fait, un cas typique. Le gouvernement fédéral vise par là à régir les termes d’un contrat de nature privée qui relève clairement de la propriété et du droit civil. Il s’agit, de plus, d’une matière où les provinces ont collaboré pour adopter des normes uniformes. Dans cette perspective, il serait inconcevable que le gouvernement central vienne créer une duplication administrative que les provinces s’entendent pour éliminer. C’est là, croyons-nous, une législation qui serait inutile, qui limiterait sans raison: L’application normale des lois provinciales et saperait à sa base le concept de la coopération interprovinciale. Le Québec trouverait vraiment étrange que le gouvernement fédéral qui, dans le passé, s’est servi du prétexte de la multiplicité des normes provinciales pour justifier son intervention, se serve maintenant de l’uniformité que les provinces sont à réaliser pour intervenir encore plus facilement. La coopération interprovinciale dans les domaines du ressort provincial doit rendre superflue l’intervention du gouvernement central et non pas la faciliter. Quant au double emploi résultant au Québec de l’existence de certaines lois fédérales et d’organismes fédéraux déjà en place, nous sommes à en faire l’analyse et nous aurons des recommandations à présenter en temps et lieu.
L’exploration minière en bordure des côtes
La question de l’exploration minière en bordure des côtes a déjà été abordée lors de notre dernière conférence. Toutes les provinces intéressées furent alors d’opinion que cette question devait être réglée par voie de négociation. Toutes ces provinces s’opposèrent fermement à ce que la Cour suprême du Canada soit saisie du litige ainsi que le proposait le gouvernement fédéral. À notre dernière conférence, il y avait donc désaccord non seulement sur le fond du problème mais aussi sur la façon de le régler. Dans les circonstances, nous croyions que le premier pas à faire était de nous entendre sur la procédure et que, dans l’intervalle, chaque partie devait respecter le statu quo. Au lieu de cela, le gouvernement fédéral a voulu profiter de sa position privilégiée vis-à-vis de la Cour Suprême pour imposer
sa propre procédure. Il a même voulu, en ce qui concerne notre province, faire un coup de force en accordant pour la première fois un permis d’exploration dans cette partie du golfe St-Laurent qui appartient au Québec. Cette façon de procéder qui, à notre sens, est absolument injustifiable et inacceptable, risque de saper la confiance que l’on pouvait avoir dans les conférences des Premiers ministres et de détruire l’édifice délicat de la consultation intergouvernementale. Elle risque, en plus, de mettre notre Cour de dernier ressort dans une situation difficile et de susciter une controverse sur son rôle et son fonctionnement. Selon nous, la question dont on prétend faire un litige judiciaire est essentiellement de nature politique. En effet, il s’agit de savoir si l’on va soustraire à la règle générale du droit des provinces aux richesses naturelles celles que renferme le lit de la mer en bordure des côtes. Aux yeux du peuple québécois, il importe peu que d’après d’anciennes conceptions la limite du territoire s’arrête ici ou Ici en bordure de la mer. Dans la solution de ce problème on doit, en fait, se fonder sur les possibilités de la technologie moderne. Le Québec n’est donc pas prêt à accepter que cette question soit tranchée par l’autorité judiciaire. Il s’agit d’une question qui doit se régler par négociation politique. Nous déplorons que, sur une question aussi importante, on fasse si peu de cas de la consultation entre gouvernements. Nous demandons donc instamment au gouvernement fédéral de retirer le renvoi qu’il a soumis à la Cour suprême dans le cas de la Colombie-Britannique et de révoquer le permis qu’il a accordé dans le golfe St-Laurent. Nous demandons que les choses soient remises dans l’état où elles étaient à la fin de notre dernière conférence et qu’elles restent dans cet état jusqu’ à ce qu’une entente intervienne sur la façon de régler le conflit.
La lutte contre le crime organisé et la réhabilitation des prisonniers Pour ce qui est de la lutte contre le crime organisé, le Québec n’a aucune hésitation à assurer cette conférence de sa pleine et entière coopération. Nous sommes non seulement prêts à recevoir favorablement toute suggestion qui pourrait provenir de l’un ou l’autre gouvernement et à participer activement à toute action qui pourrait être décidée en commun, mais nous croyons encore qu’il y aurait lieu de mettre sur pied un organisme fédéral-provincial qui soit un véritable centre d’information en même temps que de coordination de l’action policière. Si, d’autre part, le Québec a demandé qu’on inscrive à l’ordre du jour la question de la réhabilitation des prisonniers, c’est surtout pour attirer l’attention sur le fait que toute action fructueuse dans ce domaine exigera une collaboration étroite entre le gouvernement fédéral et les provinces. Le ministre de la justice au Canada a annoncé récemment la formation d’un comité d’étude sur cette question: ce n’est pas la première fois qu’un tel comité est formé. 11 y a moins de dix ans, le gouvernement du Canada recevait le Rapport Fauteux dont une des principales conclusions était que rien ne pouvait se faire dans ce domaine sans une étroite collaboration entre les deux ordres de gouvernement . Malheureusement trop peu de choses ont changé depuis la publication de ce rapport et pas assez d’efforts ont été faits pour réaliser cette coopération intergouvernementale. Nous pouvons, à la limite, comprendre que, pour aller au plus vite et pour éviter certaines complications administratives, le gouvernement fédéral ait décidé seul la formation d’un comité d’étude en la matière, mais nous insistons sur le fait que, pour réussir dans sa tâche, ce comité devra non seulement tenir compte de la compétence des provinces dans ce domaine, mais aussi recevoir la collaboration des organismes provinciaux intéressés. Le Québec n’entend pas renoncer à sa responsabilité envers ceux qui, pour quelque raison que ce soit, ont dû être mis temporairement à l’écart de la société. Nous sommes prêts à collaborer avec le gouvernement fédéral à un renouveau depuis trop longtemps attendu dans le domaine de la réhabilitation des prisonniers, mais nous voulons souligner que toute politique qui serait élaborée sans notre participation risquerait fort de rester lettre morte, au grand détriment de tous ceux qui sont les victimes du système actuel.
La protection de la faune
Le problème de la protection de la faune a été étudié lors de la dernière réunion du Conseil canadien des ministres des ressources.
Nous sommes d’avis que l’aménagement de la faune doit faire partie de l’aménagement polyvalent de la forêt. D’une part, le Québec n’entend pas transférer au gouvernement fédéral la juridiction qu’il possède sur la faune terrestre et continuera d’administrer l’aménagement de la faune marine. D’autre part, la recherche qu’il faut entreprendre dans le domaine de la faune devrait s’inscrire dans un plan d’utilisation multiple des ressources. Par conséquent toute action de coordination sur le plan canadien en ce domaine devrait se rattacher à la loi ARDA plutôt qu’à une législation nouvelle.
Pourvu que ces conditions soient remplies, le Québec est prêt à participer à une coordination des efforts à l’échelle canadienne.
Dispositions relatives à la liaison et au secrétariat permanent fédéral-provincial La position du Québec telle qu’exprimée aux conférences fédérales-provinciales de juillet 1960, de novembre 1963 et de mars 1964 sur la question de la coopération et la consultation intergouvernementale reste inchangée quant à l’urgence qu’il y a de mettre sur pied des organismes permanents de liaison, de coordination, de collaboration et de recherche ou encore d’adapter à cette fin certaines des structures administratives déjà existantes dans le domaine des relations intergouvernementales au Canada. Le Québec insiste, cependant, sur le caractère global qu’il importe de conférer à ces mécanismes: ils ne devraient pas se limiter à un aspect ou l’autre de ces relations, mais les englober dans leur ensemble. Malgré l’insistance avec laquelle il a toujours soutenu ses positions, le Québec est cependant prêt à recommander d cette conférence d’attendre, à ce sujet, les conclusions des travaux du Comité du régime fiscal. Toute cette question entre précisément dans le cadre du mandat qui lui a été confié en mars 1964 et fait actuellement l’objet d’une étude approfondie. À notre avis, le Comité devrait réfléchir sur l’expérience acquise par les provinces dans les nombreux domaines où elles ont coopéré, expérience qui pourrait s’avérer extrêmement profitable et utile dans le travail de création qui s’impose maintenant.
[QLESG19650906]
[MESSAGE DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION DE LA FETE DU TRAVAIL 1965]
Les travailleurs du Québec représentent à la fois la raison d’être de la société québécoise et l’outil humain qui améliore quotidiennement la société que nous formons. C’est une grande joie pour moi que de transmettre mes meilleurs voeux à mes compatriotes du Québec à l’occasion de la Fête du Travail.
Cette fête concerne tous ceux qui par leur activité quotidienne contribuent à faire un Québec meilleure Il y a lieu de signaler aujourd’hui l’importance de cette fête, tant au point de vue de la fraternité ouvrière que de la fraternité humaine. L’homme de l’Abitibi, de Montréal ou de Manicouagan reprend son souffle pour préparer de nouveaux efforts dans l’édification de la société de demain. Le gouvernement du Québec seconde la persévérance du travailleur québécois en appliquant une politique de la main d’oeuvre et de l’emploi qui assure sécurité et justice.
Le Québec a eu à peine l’occasion d’entreprendre l’action économique et administrative en matière de main-d’oeuvre et d’emploi qu’il a réussi à appliquer dans d’autres secteurs. Toutefois, comme dans le cas de l’expansion régionale, nous sommes à mettre au point une politique de la main-d’oeuvre et de l’emploi qui, grâce à une orientation améliorée de l’économie, nous permettra de satisfaire aux exigences locales tout en se révélant elle aussi un instrument de planification économique efficace. En pratique, il s’agit pour le gouvernement du Québec d’offrir aux travailleurs les moyens de bien vivre dans un pays leur mesure. C’est la tâche du gouvernement, en collaboration avec l’industrie et les associations de travailleurs, de construire l’organisation qui nous manque dans certains secteurs. En principe, toute mesure qui facilite au travailleur sans emploi sa réintégration au marché du travail ne peut qu’être encouragée par tous ceux qui en voient les avantages économiques, sociaux et humains; son application pratique peut toutefois présenter des difficultés qu’on ne perçoit pas toujours au premier abord.
Ainsi, les responsabilités provinciales en matière de reclassement, de mobilité et de placement des travailleurs obligeront le gouvernement fédéral à reconnaître que le Québec se doit de prendre les mesures nécessaires pour atteindre ses propres objectifs économiques. Il se produira inévitablement un délai avant que la politique québécoise de l’emploi puisse être complètement appliquée. Certaines études ne sont pas encore terminées; mais il en est d’autres, de première importance, qui sont à ce point avancées, notamment dans le domaine du chômage saisonnier, qu’elles nous permettent une action immédiate. Au fur et à mesure que le Québec exercera ses responsabilités en matière de main-d’oeuvre et d’emploi, comme sa compétence constitutionnelle l’y autorise, il deviendra nécessaire, non seulement d’apporter des modifications substantielles aux mesures fédérales déjà en vigueur, mais encore d’assurer entre les structures administratives québécoises qui pourront être créées et les structures fédérales actuelles la plus grande collaboration possible. Ainsi, il faudra, avec le temps, réévaluer en fonction de la politique de main-d’oeuvre du Québec les programmes conjoints de formation professionnelle auxquels le Québec continue d’adhérer. Il devra très probablement en être de même du fonctionnement du Service national de placement.
A l’occasion de la Fête du Travail de 1965, le gouvernement du Québec veut rappeler aux travailleurs qu’il fait tout en son pouvoir pour leur assurer un milieu propice à leur plein épanouissement. D’ailleurs, c’est là le vrai rôle et le devoir d’un gouvernement éclairé.
[QLESG19650908]
[Banquet du Mérite agricole et du À publier après 7 tires. Mérite du défricheur
Québec, le 8 septembre 1965 Le 8 septembre 1965. Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]
On s’est souvent moqué en France des discours que les hommes politiques prononcent dans les comices agricoles, c’est-à-dire dans des fêtes analogues à celle à laquelle nous participons aujourd’hui. En effet, on profite trop souvent de ces circonstances pour se lancer dans des considérations sentimentales ou pour vanter, avec des trémolos dans la voix, l’importance de l’agriculture aussi bien que la noblesse de ceux qui s’y livrent.
Je voudrais aujourd’hui éviter ce danger car il me semble qu’à notre époque c’est avec réalisme qu’il faut aborder les problèmes de l’agriculture comme d’ailleurs tous les autres problèmes auxquels le gouvernement doit faire face.
Je pense que c’est ce réalisme, que le gouvernement que je dirige s’efforce de manifester dans tous les domaines, et particulièrement dans celui de l’agriculture, que vous avez voulu reconnaître en m’accordant le titre de Commandeur honoraire de l’ordre du Mérite agricole de la province de Québec. C’est avec joie et fierté que je viens de recevoir la décoration qui en est le symbole, et je tiens à remercier de sa délicate attention le ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, qui est en même temps le grand Commandeur de l’ordre, mon collègue et ami, M. Alcide Courcy.
A mes côtés, on a aussi décoré de véritables agriculteurs qui sont évidemment plus que moi des travailleurs du sol. Ces décorations de l’ordre du Mérite agricole et de l’ordre du Mérite du Défricheur non seulement soulignent l’importance de la classe agricole dans une société en voie de transformation, mais elles rappellent aussi que l’agriculture n’est plus une occupation traditionnelle et routinière et que pour y réussir, il faut être méthodique, travailleur, renseigné et moderne.
L’ordre du Mérite agricole a été créé dans notre Province à la fin du siècle dernier, à une époque où l’agriculture offrait avec celle d’aujourd’hui quelque analogie, mais aussi de profondes différences. Aux environs de 1890, on parlait, comme en 1965, du malaise agricole et, très souvent, on attribuait ce malaise à des méthodes défectueuses de production.
Il serait facile d’en trouver de nombreux témoignages dans la presse de l’époque, et on m’a signalé qu’en 1895, lors d’un congrès tenu sous les auspices de la Société d’industrie laitière du Québec, le président de cet organisme, l’abbé Montmigny, déclarait que: « Les adversaires de l’agriculture sont la routine, la mauvaise culture, la négligence à observer les règles de la production économique des aliments nécessaires à la vie et, plus spécialement, les défauts qui, dans la fabrication du beurre et du fromage, peuvent nous empêcher de retirer de cette industrie laitière le bénéfice qu’elle comporte. »
Il serait sans doute facile de montrer que ces « adversaires » de l’agriculture existent toujours, mais ce n’est pas en déclarant que les problèmes n’ont pas changé qu’on les règle et qu’on peut se consoler. De plus, le problème agricole de 1965 dans le Québec, comme ailleurs, se présente sous des aspects beaucoup plus nombreux et complexes qu’il y a soixante-dix ans. En effet, la société elle-même s’est transformée; elle s’est industrialisée et elle s’est urbanisée. L’agriculture strictement familiale, dont on vantait le caractère idyllique, est devenue pratiquement impossible et il faut avoir recours pour réussir sur la terre à des méthodes coopératives et parfois même quasi industrielles. Votre gouvernement, je dis bien votre gouvernement car il veut être celui des agriculteurs aussi bien que des autres classes de la société, a voulu que l’année 1965 soit l’année de l’agriculture au Québec. Il a reconnu que la classe agricole traverse une période critique, à laquelle il faut faire face par des mesures d’urgence. En cela nous suivons l’exemple d’autres gouvernements dans le monde entier, car il faut bien le rappeler, même si c’est une maigre consolation, les difficultés que connaissent les agriculteurs du Québec sont analogues à celles qu’on observe dans bien d’autres pays.
Dès 1960, le gouvernement que je dirige chercha des solutions à nos problèmes agricoles, mais c’est en 1965 que nous avons entrepris une offensive qui, je l’espère, nous apportera enfin la victoire. Nous devons avoir recours à deux sortes de mesures: des mesures d’urgence, et nous en avons adopté plusieurs depuis cinq ans, mais nous devons aussi concevoir une politique agricole plus générale dont les effets moins immédiats seront plus durables. C’est ainsi que nous avons continué à pratiquer le prêt agricole et, à la dernière session, nous avons fait voter une somme additionnelle de $ 20000000 pour l’Office du crédit agricole.
Nous croyons cependant qu’une politique globale est avant tout nécessaire et c’est pourquoi, le 25 mars dernier, le ministre de l’Agriculture déposait a
l’Assemblée législative cette brochure verte que, malgré sa couleur, nous appelons un livre blanc, d’après le langage parlementaire, livre blanc intitulé L’Agriculture au Québec: 1965. Ce document, dont vous pouvez, soit dit en passant pour y faire de la publicité, vous procurer gratuitement un exemplaire auprès de l’agronome de votre comté, avait pour but, selon les mots mêmes de son introduction « de situer, à l’intérieur de la politique agricole du gouvernement, les mesures proposées pour l’année 1965-66 en vue d’apporter aux agriculteurs une aide immédiate, massive. » La brochure offre aussi « des explications sur la situation de l’agriculture dans le monde et dans le Québec ».
Tous les projets prévus pour l’année en cours ont été mis en oeuvre: de nouvelles subventions ont été accordées au transport; une aide financière massive a été offerte à diverses productions animales et des amendements importants sont venus rendre plus efficace des lois existantes. Enfin, une enquête royale sur l’agriculture au Québec a été instituée et les enquêteurs sont déjà à l’oeuvre.
Subventions au transport
Je me permettrai d’entrer dans quelques détails des nombreuses mesures que nous avons prises pour vous rappeler d’abord que des subventions de transport ont été accordées dans trois secteurs différents: celui des engrais chimiques, celui des semences et celui du bétail.
La subvention pour le transport des engrais chimiques varie de $1 à $12 la tonne, selon l’éloignement des acheteurs de centres de distribution. Elle a pour but d’uniformiser dans tout le Québec le coût des fertilisants si importants pour une bonne production.
Par l’aide à l’achat et au transport des grains de semences et par l’aide à l’achat de graines fouragères, le gouvernement réduira le prix que doivent verser les cultivateurs pour les obtenir et il contribuera ainsi à accroître le rendement des céréales dans le Québec.
Nous avons modifié l’aide au transport du bétail en élargissant le territoire des zones où se pratiquait cette aide et en augmentant les subventions dans la zone 4, c’est-à-dire dans les circonscriptions de Matane, Matapédia et Rimouski.
Ces mesures ont exigé une augmentation budgétaire de $ 1000000 pour l’année fiscale 1965-66 et elles permettront certainement aux cultivateurs d’abaisser le coût de la culture et de la mise en marché des produits dont ils tirent une bonne partie de leurs revenus.
Subventions d’urgence aux productions animales
La politique que le gouvernement a instaurée, à l’occasion de l’année de l’agriculture, pour assurer aux cultivateurs des revenus plus convenables a inspiré, au cours de la session de 1965, quatre lois qui ont mis à leur disposition une somme additionnelle de $ 15000000.
En vertu du bill 22, la Loi pour augmenter le revenu des producteurs de lait de fabrication, le gouvernement est appelé à verser des subventions représentant une hausse de prix à la ferme de 35¢ le 100 livres au cours de la période d’hiver et de 17.5¢ le 100 livres durant la période d’été. On peut, grâce à cette loi, aider à la production laitière jusqu’à concurrence de 151,400 livres de lait par ferme. Cette mesure, qui favorise surtout le producteur laitier moyen, haussera annuellement de $10000000s le revenu des quelque 57000 cultivateurs qui en bénéficieront.
Le bill 23, Loi pour améliorer la qualité du lait destiné à la fabrication accorde une subvention maximum de $500 au producteur pour l’aider à construire une laiterie de ferme, ou une subvention maximum de $400 à celui qui, possédant déjà une laiterie convenable, fait l’acquisition d’un appareil refroidisseur. On a prévu que 8000 producteurs profiteront annuellement de cette loi. Au total, les mesures d’urgence qu’appliquent les bills 22 et 23 se traduiront pour les producteurs de lait de fabrication, en 1965-66, par une aide financière s’élevant à $l4000000s. Le gouvernement a considéré que ce secteur très important de l’industrie laitière était dans une situation économique vraiment critique et qu’il était urgent de lui venir en aide.
L’année de l’agriculture a aussi apporté un encouragement aux éleveurs de porcs et de moutons par l’adoption des bills 4 et 25. Les subventions aux productions animales qu’instituent les quatre lois que je viens de mentionner sont, je le répète des mesures d’urgence. Elles sont donc temporaires et logiquement, elles devront prendre fin quand on aura réussi sur un plan national en vertu de politiques globales et permanentes, à corriger la situation critique actuelle. Nous ne pouvons, en effet, établir chez nous une agriculture artificielle et incapable de subir la concurrence.
Lois améliorées
En même temps que ces mesures d’urgence, le gouvernement en a adopté d’autres qui sont des mesures législatives de base, et qui constituent des éléments de solution à long terme aux problèmes de la mise en marché et de la consolidation des fermes. Cinq lois ont été adoptées à ces fins.
La Loi des marchés agricoles, déjà considérablement améliorée en 1963 par le bill 13, l’a été de nouveau cette année, grâce aux amendements que lui a apportés le bill 46. Ces amendements ont pour but de faciliter le travail de la Régie des marchés agricoles, de protéger les plans conjoints, d’appuyer les Offices de producteurs et d’accorder une reconnaissance accrue au syndicalisme agricole.
Grâce aux amendements apportés à la Loi des produits laitiers par le bill 46, la Régie des marchés agricoles pourra exercer un meilleur contrôle sur la fabrication et la mise en marché des produits laitiers.
D’autre part, la Loi de l’amélioration des fermes, par suite des amendements du bill 27, mettra à la disposition des agriculteurs du Québec un crédit accru à court et à moyen termes. En effet, les deux montants maximums de la loi originale, soit $3000 et $ 4000 pourront être fondus en un seul montant s’élevant à $7000 par emprunteur; les agriculteurs solvables pourront obtenir, s’ils le désirent, le montant maximum du prêt prévu dans la loi amendée, soit uniquement pour fins d’amélioration des fermes, soit uniquement pour fins de leur organisation.
Le Livre blanc soulignait qu’un effort intense s’impose dans le domaine de la consolidation des fermes afin que les agriculteurs voient augmenter leur revenu net. Dans de nombreux cas, la consolidation des fermes exige l’accroissement de leur superficie C’est pourquoi le gouvernement a facilité, cette année, l’acquisition des terres libres en vertu d’un amendement à la Loi du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation. Cette loi a été rendue plus efficace et plus réaliste: le prix maximum auquel l’État peut acquérir une terre libre a été porté de $4000 a $6000. De plus, toute restriction quant à la relation qui devait exister entre le prix d’achat et l’évaluation municipale a été supprimée.
La cidrerie
Aux subventions d’urgence à la production ainsi qu’aux améliorations apportées aux lois déjà citées, s’ajoute une mesure attendue depuis longtemps: la légalisation de la fabrication et de la vente des cidres et des vins de pomme. Le gouvernement a fait amender la Loi de la Régie des alcools du Québec pour que la Régie puisse établir et administrer une cidrerie dont elle vendra elle-même les produits. La Régie pourra également permettre la fabrication du cidre par d’autres personnes, à condition que ces dernières se soumettent à la réglementation qu’établira le Lieutenant-Gouverneur en conseil. Elle sera le seul acheteur et distributeur des cidres forts dans la Province. Les cidres légers pourront être vendus par tous ceux qui, actuellement, peuvent faire le commerce de la bière.
L’intervention du gouvernement dans ce domaine apporte une solution réaliste à un problème vieux de plusieurs années„ Cependant, comme le cidre et les vins de pomme ne sont que deux des multiples produits qu’on peut obtenir de la pomme, la légalisation de leur fabrication et de leur vente n’est qu’une solution partielle au problème de l’écoulement des pommes, surtout celles de moindre qualité. Elle créera toutefois un débouché important qui contribuera à stabiliser le revenu des pomiculteurs. Indemnisation des agriculteurs sinistrés
Les agriculteurs savent depuis longtemps qu’ils ont dans la nature une amie et souvent une ennemie contre laquelle ils peuvent difficilement agir. Le gouvernement est un peu dans la même situation et il faut bien admettre que la nature n’a pas toujours collaboré avec nous pour faire de 1965 l’année de l’agriculture. Une intense sécheresse a sévi au printemps et au début de l’été dans certaines régions du Québec. Le gouvernement a cru de son devoir d’intervenir et son action s’est avérée essentielle.
Les indemnités aux victimes de la sécheresse de 1965 pourront s’élever à $5000000, la participation du gouvernement fédéral étant de 50%, et ce pour les 15 comtés de la région de Montréal qui sont déjà désignés. Cependant, l’accord fédéral-provincial à ce sujet prévoit que d’autres comtés s’ajouteront a la liste si la situation l’exige. En outre, Québec a déjà voté $2000000 aux victimes des caprices de la nature en 1964, somme à laquelle est venue s’ajouter récemment une aide supplémentaire de $1000000 aux agriculteurs du Lac Saint-Jean et du Nord-Ouest dont les récoltes ont gravement souffert d’un excès de pluie l’an dernier.
Le gouvernement espère que ce programme d’assistance aux agriculteurs « sinistrés » pourra, dès que les études en cours auront été complétées, être remplacé par un plan d’assurance-récolte comportant la participation de l’État et des agriculteurs, mais ce n’est pas chose facile, croyez-m’en, lorsqu’il s’agit d’une production aussi diversifiée que la nôtre. Enseignement professionnel agricole et gestion de ferme.
Je dois encore signaler deux interventions gouvernementales de 1965 qui pourront avoir sur l’avenir de l’agriculture une influence à long terme. Il s’agit tout d’abord du transfert au ministère de l’Éducation des écoles moyennes et régionales d’agriculture du Québec, ainsi que du personnel préposé à leur administration Par suite de cette décision, l’enseignement professionnel agricole s’intégrera à l’enseignement des écoles secondaires polyvalentes. Dorénavant, les jeunes agriculteurs pourront bénéficier d’un enseignement professionnel de même qualité et de même niveau que celui des candidats aux disciplines à caractère industriel ou commercial.
Le ministère de l’Agriculture et de la Colonisation a aussi jeté les bases, en 1965, d’un service de gestion de ferme. Au fur et à mesure que l’organisation de ce service se développera, les agriculteurs du Québec pourront bénéficier, en nombre toujours plus considérable, des directives dont ils éprouvent un si grand besoin: directives quant au choix et à la combinaison des productions agricoles les plus rentables, et directives quant à la meilleure utilisation possible du sol, de la main-d’oeuvre, des ma chines et des capitaux.
Le gouvernement se penche ainsi sur l’aspect le plus important, le plus vital du problème agricole: le perfectionnement des agriculteurs dans ce que je ne crains pas d’appeler leur profession.
L’enquête royale
Notre offensive de 1965 en faveur de l’agriculture a été couronnée par la création, à la fin de juillet, d’une Com mission royale d’enquête qui, selon les termes mêmes de son mandat doit étudier « les moyens à prendre pour que la production agricole rapporte aux agriculteurs un revenu équilibré par rapport à celui des autres classes de la société ». En réalité, c’est une enquête sur tous les problèmes de l’agriculture dans le Québec. Cette Commission, dont la création avait été annoncée à l’Assemblée législative lors de la présentation du Livre blanc, est formée de sept membres d’une grande compétence, représentant diverses disciplines dont l’agriculture moderne doit s’inspirer. On y trouve des universitaires distingués, versés en agriculture et dans les sciences de l’homme, mais il est bon de noter que nous avons voulu y nommer des agriculteurs authentiques comme Me Ernest-A. Dugas, cultivateur de Saint-Jean l’Évangéliste, comté de Bonaventure, détenteur de la Médaille d’or du Mérite agricole de 1959, et comme M. Gordon-C. Thompson, bachelier en sciences agricoles de Mc Gill, exploitant agricole, d’Abbottsford, comté de Rouville, et directeur de la [Quebec Farmer’s Association].
On s’est moqué trop facilement dans certains milieux des commissions royales d’enquête et-on a prétendu que c’était un moyen pour les gouvernements d’éviter de faire face à leurs responsabilités. On a formulé des remarques de ce genre à l’occasion de la création de la Commission d’enquête sur l’agriculture, mais les commissions n’en ont pas moins accompli au Canada, et dans notre province, un travail sérieux et efficace.
Pour vous montrer que les Commissions d’enquête sont depuis longtemps l’objet d’inoffensives attaques, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse et de rappeler la blague d’un universitaire canadien-anglais qui, il y a plusieurs années, disait ceci, et je traduis largement le texte original: « La profession de foi d’un Anglais, un Anglais d’Angleterre, est: « comme il était au commencement, comme il est maintenant et comme il sera dans les siècles et les siècles, Ainsi soit-il ». Les Américains, eux, disent: « Comme il était au commencement, comme il est maintenant, et [by gosh], ça va changer ». Quant aux Canadiens, nous nous exprimerions ainsi: « Comme il était au commencement, comme il est maintenant, et s’il faut opérer quelque changement, nous créerons une commission royale d’enquête pour qu’elle nous dise ce que nous devons faire ».
La blague n’est pas trop cruelle, car après tout, l’utilisation des commissions royales d’enquête permet au gouvernement d’obtenir des renseignements d’une façon objective et scientifique en dehors de toute préoccupation politique. Des solutions fécondes sont suggérées et il est bien difficile pour un gouvernement de ne pas les adopter. La situation de l’agriculture dans notre province est complexe et, pour des raisons constitutionnelles, certaines solutions, surtout celles qui dépendent du commerce extérieur, ne relèvent pas de notre juridiction
Il reste tout de même à l’activité du gouvernement provincial un vaste domaine. Nous avons besoin de dresser de l’agriculture du Québec un tableau complet que nous fournira la Commission d’enquête. Par sa composition et par les pouvoirs étendus qui lui ont été conférés, la Commission pourra se pencher sur tous les aspects du problème agricole. Elle a toute liberté d’agir et j’espère que les cultivateurs de la province, les organismes dont ils font partie, prépareront des mémoires sérieux, constructifs et parfois même révolutionnaires.
La Commission devra présenter son rapport final au plus tard le 31 mars 1967. Mais entre temps, elle pourra fournir au gouvernement des rapports préliminaires sur des sujets qu’elle jugera prioritaires ou sur certains problèmes dont la solution lui parait urgente.
Nous comptons énormément sur le travail, sur les conclusions et sur les recommandations de cette Commission pour stabiliser l’industrie agricole et pour permettre à tous nos cultivateurs d’obtenir le standard de vie que leur méritent leurs sacrifices et leurs labeurs.
La situation de l’agriculture dans le Québec est sérieuse, mais elle n’est pas désespérée. Le gouvernement y fait face par des mesures d’urgence, mais surtout il se prépare à mettre en vigueur les mesures à long terme que lui suggéreront des enquêteurs compétents et indépendants. C’est une façon réaliste d’envisager les problèmes et c’est celle que doit adopter un gouvernement moderne, car le temps n’est plus aux improvisations et aux remèdes temporaires.
[QLESG19650919]
[Banquet – Association culturelle À publier après 7:30 P.M. Franco-Canadienne de la Saskatchewan Saskatoon – Le 19 septembre 1965 Le 19 septembre 1965 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre du
Québec.]
Beaucoup de Canadiens d’expression anglaise se demandent comment se justifie et s’explique l’intérêt du Québec envers les communautés canadiennes-françaises des autres provinces. Il leur semble un peu étonnant qu’une des dix province du pays – le Québec – se soit en quelque sorte donné une mission dont l’accomplissement même suppose une action que l’on peut qualifier d’extra-territoriale. Car, se disent-ils, en s’intéressant aux minorités canadiennes-françaises des autres provinces, le Québec en vient nécessairement à porter un jugement sur la situation interne de ces provinces et, de là, à entreprendre une action qui risque de porter atteinte à leur autonomie et que la constitution du Canada n’a pas prévue.
J’ai pensé qu’il convenait, au cours de ma tournée dans l’Ouest canadien, de m’arrêter à ce problème. Je crois nécessaire de dissiper certains malentendus possibles. Je crois surtout utile de montrer que la position du Québec en cette matière est non seulement très facile à expliquer, mais qu’elle est au surplus tout à fait normale et naturelle, compte tenu de la situation particulière du Québec dans le Canada. Je tiens également à souligner que notre position n’a rien de raciste ou de dogmatique; elle découle au contraire d’un souci de réalisme que partagerait probablement’ tout autre peuple se trouvant à notre place. J’ai souvent parlé d’un fait d’importance capitale sur lequel je veux revenir maintenant car, entre autres choses, il rend parfaitement compte de notre attitude par rapport aux minorités canadiennes-françaises des autres provinces. Qu’on le veuille ou non, le Québec est, au Canada, le point d’appui du Canada français et, en Amérique du Nord, l’expression d’une des plus grandes cultures du monde, la culture française. Je m’empresse tout de suite de dire que nous ne prétendons pas être les seuls, sur le continent nord américain, à vitre la culture française; on ne doit pas en effet perdre de vue le rayonnement de pays comme la France ou celui des autres nations qui, comme le Québec, sont issus de cette culture ou y participent. Chose certaine cependant, le rayonnement de la culture française en Amérique du nord ne serait pas aussi marqué si nous n’étions pas en quelque sorte un peuple témoin de cette culture.
Pour ce qui est du Canada lui-même, les faits sont plus évidents. D’une part, le Québec possède un large degré d’autonomie, sa population est en grande majorité d’expression française, elle est animée d’un degré de dynamisme dont on retrouve peu d’exemples dans le passe et elle a entrepris de s’épanouir d’une façon que rien, il y a dix ans, ne laissait prévoir. D’autre part, d’après la langue maternelle, des minorités canadiennes-françaises assez importantes existent dans à peu près toutes les provinces du pays; dans certains cas, elles forment, comme au Nouveau-Brunswick 36% de la population totale de la province alors qu’en Ontario elles atteignent environ 7%, à peu près la même proportion qu’au Manitoba et que dans l’Île-du-Prince-Edouard. Dans les autres provinces, la proportion est moins considérable mais elle demeure significative en ce sens que les minorités canadiennes-françaises qui y vivent sont des ramifications à travers le pays de la communauté linguistique et culturelle dont le groupe le plus fort et le plus structuré point qu’il forme une véritable société – se trouve au Québec. Dans presque tous les cas, ces groupements forment des communautés géographiquement concentrées.
Pour comprendre l’intérêt du Québec envers les minorités d’expression française et surtout pour saisir comment il en est, démographiquement, le point d’appui, il faut voir lek Canada de façon horizontale et non verticale. Je m’explique. On nous dit parfois, ou bien on nous laisse entendre, que le Québec n’est qu’une des dix provinces du Canada et qu’il n’a pas à se préoccuper de ce qui se passe sur le territoire des autres provinces qui ont aussi leur autonomie. On nie donc par là que le Québec soit le point d’appui du Canada français puisqu’on ne voit pas comment une des dix parties juridiquement égales du Canada, sous le prétexte qu’elle serait en majorité de langue française, aurait à se sentir sinon responsable de la situation qui est faite aux minorités françaises ailleurs dans d’autres provinces juridiquement distinctes du Québec, du moins vitalement intéressée par cette situation. C’est là une vue verticale et statique de la réalité.
Il s’agit plutôt de déterminer quel est le facteur qui caractérise davantage notre pays: est-ce le sectionnement politique du Canada en dix provinces ou la présence, sur un même vaste territoire, des deux peuples qui ont fondé ce pays ?
Le Québec est d’avis que le second facteur est .celui qui doit vraiment compter. Ceux qui s’en tiennent au .premier et qui, de là, en déduisent que chaque province comme entité politique autonome dans plusieurs domaines peut se comporter comme il lui convient par rapport aux minorités de langue française ou anglaise, oublient le rôle historique de l’élément francophone au Canada. De plus, ils fondent leur décision sur une situation politique qui n’a rien de permanent, soit la divisiez actuelle du pays en dix provinces, une à majorité française et, les neuf autres à majorité anglaise. Cette situation aurait pu ou pourrait être tout à fait différente.
Ainsi, le Québec compte 5500000 de citoyens, dont 800000 environ sont de langue anglaise. I1 est la province la plus peuplée après l’Ontario et il renferme une population correspondant à 80% de celle des huit autres provinces à majorité anglaise, prises ensemble. Pourtant le Québec n’est qu’une province. Si on le subdivisait, il ne serait pas impossible de créer, à même le Québec, trois, quatre ou cinq provinces nouvelles où les minorités de langue anglaise seraient relativement moindres que les minorités de langue française de plusieurs des autres provinces du pays. Voilà qui modifierait complètement l’image du Canada! Le Québec n’a évidemment pas l’intention de se morceler en plusieurs nouveaux territoires politiques, mais j’utilise cet exemple pour démontrer combien il est artificiel de déterminer le sort de minorités en fonction de la population totale d’une province donnée, sans tenir compte du fait que ces minorités sont le prolongement de majorités.
La situation imaginaire que je décris peut vous surprendre mais elle est aussi plausible que celle dans laquelle nous vivons présentement. J’ai seulement voulu en dégager les conséquences sur la répartition des minorités au pays et montrer combien la vue verticale du Canada – c’est-à-dire le Canada considéré comme un assemblage de dix provinces – est artificielle. Elle tient en partie à des facteurs accidentels et résulte en une situation qui, depuis que le Canada existe, n’a jamais été stable d’une génération à l’autre.
Cette perception du Canada comme agglomération d’un certain nombre de provinces étanches rend difficile la découverte de solutions à nos problèmes présents. Elle nous enferme dans un cadre qui risque de nous faire perdre de vue la question fondamentale: comment garantir la coexistence dynamique au Canada de la société française et de la société anglaise ?
C’est pourquoi le Québec croit à une vue horizontale de notre pays. Pour lui, c’est le fait d’appartenir à un des deux peuples fondateurs du pays qui doit justifier le respect des droits des minorités et non l’importance numérique relative de ces minorités par rapport à la population totale d’une province donnée. Qu’il y ait, au Canada, cinq, dix, quinze ou même vingt provinces ne change rien à cette exigence de notre mode de vie démocratique selon laquelle ceux qui ont fondé le Canada, qu’ils soient d’origine française ou britannique, doivent jouir de leurs droits fondamentaux individuels et collectifs où qu’ils se trouvent dans ce pays.
Il importe donc de voir le Canada non pas comme un assemblage de dix territoires distincts, mais comme le résultat d’une entreprise commune des deux groupes ethniques principaux: le groupe français d’abord, le groupe anglais ensuite. S’il se trouve au Québec une minorité de langue anglaise, extension sur notre territoire de la majorité de langue anglaise du reste du pays, de la même façon il existe dans les autres provinces des minorités de langue française, qui sont à leur tour l’extension sur ces territoires de la majorité francophone du Québec. Le Canada est donc formé de deux majorités distribuées géographiquement de façon inégale. Et c’est cette distribution inégale qui permettra à chaque majorité de s’épanouir pleinement car chacune peut ainsi, la majorité française au Québec et la majorité anglaise dans les autres provinces, se donner les institutions économiques, sociales et politiques qui conviennent le mieux à ses aspirations. Dans cette perspective, on comprend donc pourquoi nous avons raison de dire que le Québec est le point d’appui du Canada français. C’est la configuration géographique et démo graphique de notre pays qui l’a voulu de cette façon. Il ne s’agit donc pas là d’un vain désir ou d’un souhait théorique du Québec. En prenant conscience de ce fait, nous ne faisons que percevoir une réalité. En jouant le rôle que cette réalité suppose pour le Québec, nous ne faisons qu’accepter nos responsabilités.
Reste, me dira-t-on, le cas des autres minorités, particulièrement importantes dans l’ouest du Canada, parfois numériquement plus importantes dans une province donnée que le groupement canadien-français.
Je n’ignore pas cette réalité et j’y ai souvent réfléchi. Je ne me sens pas autant en mesure de me prononcer sur leur situation que sur celle de l’élément français, mais j’ai tout de même à ce sujet une idée dont j’aimerais vous faire part. Il s’agit beaucoup plus cependant d’une réflexion que d’une suggestion.
On dit souvent que notre pays est une mosaïque d’éléments divers. Si ceux qui utilisent cette image veulent dire que les couleurs apportées par le groupement français doivent s’intégrer dans le .reste de telle sorte qu’elles se fusionnent dans l’ensemble, je I ne suis pas d’accord. Mais si l’on reprend l’image mosaïque canadienne en l’interprétant plus littéralement, c’est-à-dire en acceptant que les éléments divers qui composent notre pays puissent conserver leur entité propre, quitte cependant à participer à la réalisation des mêmes objectifs généraux, il n’y a plus d’objection de principe non seulement à ce que toutes les minorités du pays assez nombreuses pour former des communautés viables voient leur culture propre acceptée dans ce pays, mais qu’elles puissent même elles aussi jouir des moyens voulus pour lui permettre de s’épanouir.
Par « communautés viables » j’entends ces groupes qui non seulement ont une certaine importance numérique, mais désirent survivre culturellement et s’épanouir comme communautés ethniques. Je pense à ces groupes qui, comme les Canadiens français le font depuis des générations, effectueraient les démarches et prendraient les moyens voulus pour conserver leur entité propre, avec tous les efforts, les difficultés et parfois même les déceptions qu’une telle décision suppose. En d’autres termes, je n’ai personnellement aucune objection à ce que les minorités de l’Ouest canadien qui ne sont pas d’origine française se voient reconnaître en pratique des droits comme ceux qui sont réclamés par les minorités françaises, mais à la condition, il me semble, qu’elles adoptent la même attitude que les Canadiens français par rapport à la sauvegarde de leur propre culture. Il existe probablement des groupements ethniques d’origine autre qu’anglaise ou française dont la majorité des membres ont implicitement ou explicitement accepté de s’intégrer au milieu. À moins que d’un commun accord et de façon bien claire ces groupements indiquent par des gestes précis leur volonté bien ferme de n’être pas assimilés, il serait faux de prétendre, comme certains Canadiens de langue anglaise semblent le croire, qu’il est nécessaire d’accorder automatiquement à toutes les minorités ethniques qu’elles quelles soient tous les droits qui seraient enfin reconnus à la communauté canadienne-française. Je mentionne cet argument car il sert souvent contre les justes revendications des Canadiens français. On veut essayer par là de nous faire croire que, même si nos demandes sont tout à fait légitimes, il existe malheureusement des obstacles insurmontables à leur satisfaction. On suppose en effet, et souvent sans preuve, que toutes les minorités ethniques se comportent ou se comporteraient, surtout par rapport au maintien de leur langue, comme les Canadiens français le font depuis des générations et comme ils continueront toujours de le faire. Si tel est le cas, je, serais le premier, comme je l’ai dit il y a un instant, à recommander qu’il y ait place dans notre pays pour d’autres cultures que la culture anglaise et la culture française. Si tel n’est pas le cas, on devrait alors cesser d’utiliser l’argument que j’ai relevé, car il ne porte pas.
Il demeure enfin – et je n’oublie pas non plus ce fait – que les personnes qui sont venues s’établir au pays au siècle dernier et qui continuent de venir savaient, en quittant leur pays, qu’elles trouveraient ici des cultures déjà établies, auxquelles il leur serait difficile de ne pas s’intégrer. Peut-être ont-elles même accepté au départ cette assimilation. De toute façon, leur cas est, sensiblement différent de celui des Canadiens français qui, en plus de faire partie d’un des deux peuples fondateurs de notre pays, se sont toujours efforcés de ne jamais être assimilés au groupement d’expression anglaise. Ainsi, lorsque je parle de la situation des minorités francophones, je parle de la situation des citoyens du pays qui n’ont pas toujours, ni même souvent, la possibilité de s’affirmer et de vivre leur culture comme il conviendrait après tout aux descendants de ceux qui ont découvert et, les premiers, développé ce pays.
Le fait qu’en 1760 le Canada soit devenu une colonie britannique après avoir été une possession française ne change rien à ma façon de voir les choses, ni, de fait, à la façon dont le Québec conçoit sa place dans ce pays. Dans les années qui ont suivi 1760, il n’y a pas eu en•réalité d’assimilation du Canada français par les nouveaux arrivants, quels qu’aient été les motifs de ces derniers. Au contraire, bien vite après 1760, on a trouvé des accommodements pour que les français établis au Canada conservent leurs institutions et leur culture. Ces accommodements, par
la suite, ont été inscrits dans des textes de loi auxquels adhérèrent alors les deux groupes ethniques. Puis ce fut l’acte confédératif de 1867. Pendant toutes les années qui ont précédé cette date, l’égalité des deux groupements finit par être officiellement reconnue dans des textes qui font loi et tous les historiens de l’époque témoignent que les Canadiens de langue française n’ont jamais eu l’intention de se laisser assimiler. Les deux peuples devinrent ainsi partenaires égaux dans l’édification d’un pays nouveau. La reconnaissance officielle des droits des Canadiens français n’a cependant pas toujours donné lieu à une reconnaissance de fait de ces droits. Aujourd’hui alors que le Québec, comme point d’appui du Canada français, a pris conscience de lui-même d’une façon qui n’a pas de précédent, il mesure mieux la différence qu’il y a entre ces textes officiels et leur pratique quotidienne et perçoit mieux les déficiences de ces textes par rapport à la dimension nouvelle qu’il veut assumer.
De cette perception plus aigue des faits, il est résulté pour le Canada français et pour le Québec qui en est le point d’appui, le désir d’une nouvelle définition de lui même. C’est ainsi qu’il a été amené à remettre en question la place qu’il occupait traditionnellement dans la confédération canadienne et à comprendre qu’il avait une responsabilité envers les minorités françaises des autres provinces. Il a donc entrepris une action à la fois interne et externe.
Son action interne a porté notamment sur la modernisation de ses institutions gouvernementales, et sur la création d’instruments économiques nouveaux. Ce mouvement est connu, dans le reste du Canada et même dans plusieurs pays, sous l’expression de « la révolution tranquille ».
Par son action externe, il vise à déterminer les nouvelles conditions de sa participation à la vie canadienne. C’est de cette façon qu’il a commencé à jouer le rôle actif qu’on lui connaît maintenant, par exemple, au sein des organismes fédéraux-provinciaux. Ce nouveau rôle, par la remise en question qu’il entraîne, a modifié un équilibre que le Québec trouvait insatisfaisant; il a provoqué cette période de transition que nous vivons maintenant et dont certains, à l’extérieur du Québec, s’inquiètent car ils n’en comprennent pas toujours le sens et surtout la portée.
C’est en tenant compte de ces nouveaux facteurs qu’on doit comprendre l’intérêt du Québec envers les minorités franco phones des autres provinces. Car, à ce sujet, nos préoccupations sont bien nettes aujourd’hui. Nous ne pouvons accepter qu’à toute fin pratique le Canada français ne dépasse pas les frontières du Québec. Dans le rôle élargi que le Québec veut désormais jouer au Canada, l’épanouissement global du Canada français dans son ensemble apparaît comme un de nos objectifs essentiels.
Nous construisons actuellement un Québec fort. C’est là un élément indispensable de notre action car c’est par un Québec fort et sûr de lui-même que le Canada français pourra se réaliser efficacement. Dans la mesure de nos moyens, nous sommes, de plus, prêts à accorder notre appui et notre collaboration à ceux qui sont d’accord avec nous pour édifier un Canada où le citoyen d’expression française pourra jouir à travers le pays de droits comparables à ceux qu’a toujours connu la minorité de langue anglaise qui vit au Québec. Il est bien évident que le Québec ne peut orienter toutes ses politiques en fonction des minorités françaises des autres provinces. Mais parmi les décisions qu’il prend certaines .peuvent viser l’amélioration du sort de ceux d’entre nous qui vivent à l’extérieur du Québec. Ainsi, sans compter le témoignage vivant de tolérances et d’égalité de droits que nous croyons donner dans notre comportement par rapport aux québécois d’expression anglaise, nous prenons des mesures pour faciliter l’épanouissement de cette partie du Canada français qui, plongeant ses racines dans le Québec, se ramifie dans le reste du Canada. Ces mesures demeurent cependant bien modestes à côté des gestes que peuvent poser les autres provinces. Car, c’est aussi sur elles que le Canada français doit compter. Comme premier ministre du Québec, je leur demande, au nom du Canada français, et dans l’intérêt de l’avenir et de l’unité de notre pays, de collaborer avec nous, mais à leur manière, pour assurer dans les faits l’égalité de droits et de chances que l’élément français de notre pays a raison d’attendre des institutions politiques, économiques et sociales du Canada. Il ne s’agit pas là d’une tâche facile, mais bien d’un défi. Je dirais même que ce défi est aussi grand que celui qu’ont commencé de relever nos prédécesseurs au Canada lorsqu’ils ont résolu de construire un pays nouveau, en dépit de la géographie, du climat et de toutes nos différences. J’ai toujours pensé qu’il était dangereux de masquer les difficultés réelles par des déclarations solennelles sans lendemain. J’aurais pu aujourd’hui vous parler de la grandeur de notre pays et du rôle que le Québec peut y jouer en des termes qui eussent voilé considérablement les problèmes auxquels nous ne pouvons pourtant échapper. Peut-être en auriez-vous retiré un sentiment de sécurité, mais il se serait agi d’une sécurité illusoire.
Je crois maintenant que vous savez pourquoi le Québec considère être le point d’appui du Canada français. Je pense aussi avoir présenté le problème des minorités françaises dans une perspective peut-être nouvelle pour beaucoup d’entre vous. J’ai sincèrement l’impression qu’on ne peut vraiment comprendre toute cette question d’un point de vue moins élevé. Car toute autre perspective nierait que le Canada est et doit être le résultat de l’action combinée de l’élément français et de l’élément anglais.
Tout le Canada en serait appauvri et le Québec ne pourrait jouer le rôle qu’il se doit – et qu’il doit au Canada tout entier – de remplir.
[QLESG19650922]
[Çanadian Club Çalgary L’honorable Jean Lesage le 22 septenbre 1965.Premier ministre du Québec]
On dit qu’il se produit actuellement, dans la province de Québec, une révolution qu’on a qualifiée de tranquille. D’un bout à l’autre de notre pays, on voit que le Québec évolue, et qu’il évolue plus rapidement peut-être qu’aucune des neuf autres provinces à aucun moment de leur histoire. Il se trouve même certains de nos compatriotes de l’extérieur, et même de l’intérieur du Québec, que la rapidité du changement étonne, tellement ils étaient habitués à voir notre Province comme le pays du maintien des traditions et de la conservation des valeurs acquises.
Il arrive souvent qu’on attribue au gouvernement du Québec tout le crédit de cette évolution positive. Cela n’est pas entièrement exact car, si le gouvernement, dans les secteurs qui relèvent de sa juridiction immédiate, peut mettre de l’avant une politique de renouveau économique et social, il ne faut jamais oublier qu’il le fait, en réalité, à la demande du peuple de la Province. Ainsi, le grand responsable de la « révolution tranquille » dont j’ai parlé il y a un instant, c’est la population québécoise. Le gouvernement n’est que l’agent, mandaté par le peuple, à qui l’on a confié la tâche d’appliquer au Québec une véritable politique de grandeur nationale.
Depuis cinq ans, en effet, le gouvernement que j’ai l’honneur de représenter, s’efforce de traduire dans les faits les désirs qu’exprimait notre population depuis plusieurs années. Nous avons écouté la voix des citoyens telle qu’elle se faisait entendre par l’entremise des groupes auxquels ils appartenaient et nous avons essayé de correspondre, dans la mesure du possible, aux souhaits qu’elle exprimait.
O Ce qui nous encourage aujourd’hui, c’est notre certitude d’avoir répondu à ses espoirs et d’avoir ainsi rendu possible, dans le petit monde qu’est pour nous le Québec, le mouvement de pensée et d’action dont on commence déjà à percevoir les effets. Nous l’avons rendu possible parce que la population avait indiqué la voie qu’elle entendait suivre.
Déjà, nous avons accompli beaucoup de progrès car la « belle province » ne correspond plus désormais – et de loin – à l’image qu’on s’en faisait il y a encore peu d’années. Nous sommes à construire une nouvelle société. Nous sentons partout une évolution qui prouve que nos positions commencent à être perçues, même si elles ne sont pas encore toujours comprises et surtout acceptées.
Souvent, j’ai dit ce que le Québec, comme point d’appui du groupement canadien d’expression française, désire. Nous voulons l’égalité des deux groupes ethniques qui ont fondé ce pays : nous voulons nous affirmer de la façon qui convient à notre culture et à nos aspirations, nous voulons dans le Canada de l’avenir, un statut qui respecte nos caractères particuliers. Pour ce faire, il n’est pas nécessaire de détruire le Canada, mais il sera indispensable de lui donner un autre sens et même de nouvelles institutions.
Il n’en reste pas moins qu’un des groupes fondateurs du Canada, le groupe d’expression française, s’identifie surtout au Québec bien qu’il ait contribué à créer le Canada. Pourtant, sauf une petite minorité, il n’a pas l’intention de quitter les cadres de ce pays, mais, pour corriger quelque peu la situation dont je parle, il tient fermement à ce que le bilinguisme soit pratiqué au moins dans tous les services du gouvernement central.
Il veut également que, dans les autres provinces du pays, les minorités françaises soient traitées au moins aussi justement que le sont les minorités anglaises au Québec. À ce propos, il me fait plaisir, chaque fois que j’en ai l’occasion, de rendre hommage au progrès marquant que l’on constate à ce sujet ici et là, au Canada.
Les Québécois croient aussi que l’image internationale du Canada devrait constamment et partout dans le monde refléter la présence ici de Canadiens d’origine française et d’origine anglaise. Ceci dit, la question fondamentale demeure la suivante:dans le Canada de l’avenir, comment réussirons-nous tous ensemble à faire au Canada de langue française, et plus particulièrement au Québec qui en est en quelque sorte la mère-patrie, la place qui doit lui revenir et comment jouera-t-il le rôle qui doit être le sien comme l’un des collaborateurs initiaux à cette entreprise un peu hasardeuse, mais enthousiasmante que fut l’institution du Canada? À cette question, plusieurs réponses sont possibles.
Le Canada de l’avenir peut, comme c’est le cas présentement, comporter dix provinces; il n’est pas impossible que ce nombre soit réduit, à la suite du regroupement de quelques provinces actuelles, mais je ne saurais me prononcer là-dessus. Dans l’une ou l’autre de ces situations futures, le Québec, comme entité distincte, aura une place à occuper. Quelle sera cette place?
On pense d’abord à un Canada où toutes les provinces du pays, dix ou moins selon la configuration politique future de notre pays, auront chacune plus d’autonomie que ce n’est le cas présentement, chacune s’acquittant pleinement de ses responsabilités constitutionnelles en supposant que toutes les provinces du pays ne désirent pas cet élargissement de leurs tâches administratives, certaines d’entre elles voudront quand même obtenir les responsabilités accrues qu’elles se jugeront aptes à tout les cas, c’est dans cette direction que le Québec s’est engagé. Dans cette perspective, toutes les provinces n’auraient pas le même régime administratif et les ententes qui interviendraient entre elles et le gouvernement fédéral ne seraient pas nécessairement identiques d’une province à l’autre, mais mieux adaptées à leurs besoins propres. Cela n’exclurait pas automatiquement toute unité d’action de la part dos provinces, mais dorénavant la coordination entre elles proviendrait d’un choix librement consenti par elles et serait atteinte par leur collaboration consciente et active.
Ou bien encore, à cause de sa situation particulière de province de culture et de langue différente, le Québec peut désirer exercer des responsabilités auxquelles les autres provinces seraient indifférentes; ce cas s’est d’ailleurs déjà présenté.
Dans ces conditions, le Québec finirait à la longue par vivre selon un régime particulier, sans que, pour cette raison, notre régime confédératif soit menacé dans son essence. Il ne faudrait pas croire qu’il s’agirait là d’un régime privilégié où nous nous ferions accorder par la négociation des pouvoirs, des responsabilités ou des avantages que nous n’avons pas encore et que l’on refuserait aux autres provinces. Il n’en est pas ici question, quoiqu’il ne serait ni sage ni pratique de s’opposer en principe et d’avance à ce que des arrangements particuliers puissent intervenir entre une ou quelques provinces et le gouvernement fédéral sur des sujets qui ne touchent que cette province ou ce groupe de provinces. De tels arrangements, d’ordre financier par exemple, existent déjà envers les provinces de l’Atlantique. Dans tout régime fédéral, dans toute constitution on doit préserver un élément suffisant de flexibilité afin que toutes les parties constituantes du pays ne soient pas forcées, surtout lorsqu’elles diffèrent les unes des autres, d’entrer dans un même moule. J’ai mentionné toutes les possibilités qui précèdent, sans les commenter en détail, d’abord parce que je vous dirai franchement que, bien que j’aie certaines préférences, j’ignore celle qui prévaudra et ensuite parce que je voudrais laisser aux Canadiens d’expression anglaise – nos partenaires dans l’institution de ce pays – le soin d’y réfléchir au cours des semaines et des mois qui viennent. C’est d’ailleurs ce que font présentement plusieurs groupes de travail au pays: la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le Comité parlementaire québécois sur la constitution et, dans un contexte différent, le Comité fédéral-provincial sur le régime fiscal.
Pour vivre, la Confédération canadienne doit se développer. Pour se développer, elle doit savoir combiner les conditions d’une époque donnée aux réalités sur lesquelles elle repose et à l’esprit immuable dont elle est animée.
Le Canada a réussi à surmonter les forces centrifuges qui le tiraillent et qui s’appuient sur notre histoire, notre géographie et notre économie pour empêcher notre unité. Le coup de maître de la Confédération fut de réconcilier ces différences et ces forces opposées. Cette adaptation continuelle à la réalité sera toujours la raison d’être de la Confédération canadienne. Le problème fondamental ne change pas. Ce sont les solutions qui changent selon les demandes de l’heure et les besoins du moment. Loin de nous conduire au pessimisme, une telle perspective doit au contraire soulever notre enthousiasme. Une phase de l’histoire de notre pays est en quelque sorte terminée; une autre commence où nous aurons à construire le Canada sur des bases nouvelles. Le Québec fait valoir un point de vue qui en lui-même n’est pas nouveau, mais il le présente avec plus de force et de cohérence que jamais auparavant. Cette nouvelle phase de notre histoire, si elle doit réussir, aura obligatoirement à tenir compte de ce facteur.
Je crois que nous ne résoudrons pas nos problèmes en cherchant des solutions qui divisent à une époque où partout des efforts sont faits pour chercher les raisons d’unir qui sont économiques, politiques ou tout simplement humaines. Nous devons envisager les changements de demain dans le contexte d’une situation mondiale où on procède à une remise en question des valeurs humaines. Demain, les communications et les besoins auront rapproché comme jamais auparavant les hommes de toutes langues, races ou religions. Peut-être même l’exploration du cosmos laisse-t-elle présager un avenir heureux pour l’humanité, car du haut d’uni plateforme sur le chemin de la lune les hommes auront d’eux-mêmes une vue extraterrestre qui leur donnera une nouvelle perspective et une nouvelle humilité.
Nous cherchons tous dis solutions qui soient réalistes et originales. Comme je l’ai déjà dit à maintes reprises, je me considère comme quelqu’un obligé de rechercher dis solutions qui sont peut-être radicales, mais toujours par des moyens qui soient modérés. Ceux que trouble l’idée d’une Confédération qui aurait à céder aux pressions venant du Québec devraient avoir la patience, le courage et la force nécessaires à la conquête de sommets plus élevés, ceux de l’unité dans la diversité d’une vigueur nationale commune doublée de la possibilité pour nous, Québécois, de nous épanouir selon nos aspirations et nos traditions.
S’il est une leçon à tirer de notre histoire politique canadienne, histoire immensément changeante et variée, c’est qu’avec une imagination créatrice on peut trouver plus qu’une solution à des problèmes qui dans l’abstrait semblaient insolubles. Je crois qu’aujourd’hui cette imagination créatrice est en effervescence et qu’elle nous fournira bientôt les solutions qui feront que les générations à venir pourront un jour se pencher sur notre expérience comme une source d’inspiration pour le futur.
[QLESG19650923]
[ Canadian Club Victoria 23 septembre 1965 L’honorable Jean Lesage Premier ministre du Québec]
La plupart des citoyens canadiens s’interrogent aujourd’hui sur le même problème: l’avenir immédiat de leur pays. Je sais qu’on a fréquemment l’habitude de parler en termes encourageants des perspectives de progrès du Canada. Et -il faut le reconnaître l’abondance de nos richesses naturelles, la dimension de notre pays, le dynamisme de notre population justifient en brande partie l’optimisme de ces prévisions. Mais, depuis un certain temps, il existe chez nous un facteur nouveau susceptible de les modifier quelque peu. Tous n’en sont pas également conscients, et c’est là ce qui est regrettable. Ce facteur est extrêmement complexe, mais il peut se définir de façon approximative en une simple phrase: il semble qu’un bon nombre des Canadiens de langue française ne se sentent pas’ vraiment chez eux dans la Confédération canadienne.
Un tel sentiment ne date évidemment pas d’hier; il est pré sent dans l’histoire des cent dernières années. Ce qui est plus récent toutefois, c’est la prise de conscience qui vient de se faire jour dans le Canada français, et particulièrement dans le Québec, du rôle qui devrait dorénavant, dans notre pays, revenir aux Canadiens d’expression française.
A mon avis, la leçon fondamentale qu’on peut tirer de l’histoire de la Confédération, c’est l’effort sincère et honnête qui a été fait pour réunir deux nations dans les cadres d’une sphère d’action commune et une large mesure d’autonomie provinciale dans tous les domaines vitaux pour lesquels cette autonomie était indispensable.
Qu’est-il advenu de cette entente politique implicite de 1867? D’une certaine manière, il y eut dès le début des succès et des difficultés. Quel qu’aient été les temps forts et les temps faibles de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, il est clair qu’il s’agissait là d’un compromis difficile et nécessaire où un gouvernement fédéral solide devait être contrebalancé par un pouvoir provincial véritable.
Mais en 1867 un gouvernement régional ou provincial n’était pas encore, du seul fait de son existence, un levier puissant. Le Québec, comme les autres provinces, ne possédait alors qu’une administration inadéquate, que des ressources financières limitées, que des programmes d’éducation et de bien-être bien modestes, et à peu près pas de possibilités d’intervenir dans la vie économique.
Malgré cela, aucune province n’a jamais accepté d’être considérée comme un instrument subordonné au bon vouloir du gouvernement central et l’opinion publique canadienne s’est toujours fortement opposée à toute action fédérale qui aurait pu détruire d’une façon permanente toute possibilité d’une véritable autonomie ‘provinciale. Cette résistance fondamentale à tout désir de suprématie de la part du gouvernement confirmée par l’interprétation que, les tribunaux ont donnée à la constitution, est: venue le statut entre les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que l’intégrité de leurs pouvoirs respectifs. Puis vinrent deux grands événements qui bouleversèrent de nouveau nos cadres politiques et constitutionnels: la grande dépression des années 1930 suivie de la guerre et de l’après-guerre des années 1940 et 1950. Ces deux événements rendirent nécessaire l’élaboration de vastes programmes à l’échelle fédérale. Les provinces étaient alors incapables de faire face au chômage et le gouvernement fédéral eut à se charger de plusieurs fardeaux qui normalement revenaient aux provinces. De même la dernière guerre exigea la présence d’un gouvernement hautement centralisé, ayant accès à. toutes les ressources du pays et ayant à sa disposition un fonctionnarisme hautement qualifié – phénomène qui se prolongea dans l’après-guerre pour la conduite de l’économie canadienne. Ainsi, quelque temps après la guerre, nous nous sommes trouvés en face d’un appareil fédéral et d’un intérêt fédéral pour les questions locales dont les proportions étaient telles qu’il devenait difficile d’y mettre des limites.
C’est alors que de nouvelles réalités économiques et politiques vinrent remettre en question cette longue évolution vers une centralisation toujours plus poussée. Ces réalités concernaient certains développements imprévus de l’économie .canadienne, l’organisation de la vie politique des provinces, les nouvelles demandes de la population en matière de bien-être et surtout, au Québec, les changements fondamentaux dans l’ordre social et les pressions qui en étaient la conséquence.
Au plan économique, le Canada vivait l’expérience à la fois fascinante et troublante du chômage au milieu de la prospérité et de la pauvreté régionale au milieu d’un mouvement rapide de développement expérience qui semblait vouloir devenir permanente. Malheureusement une très large part de cette pauvreté et de ce chômage était localisée dans la province de Québec et dans les provinces de l’Atlantique. La politique économique ordinaire et la politique monétaire et fiscale semblaient incapables de gagner la guerre contre le chômage et le sous-développement régional.
Au même moment, les besoins provinciaux prenaient partout une importance considérable. Des changements d’ordre démographique ou technologique exigèrent que les provinces et les municipalités adoptent une attitude radicalement nouvelle envers l’éducation et la formation professionnelle. Il est vrai qu’une certaine assistance financière de la part du gouvernement fédéral était disponible, mais le fardeau principal retombait sur les épaules des provinces. De plus, il fallait ajouter à ces problèmes d’ordre éducationnel et démographique les problèmes du développement rural et ceux de l’expansion urbaine.
A ce sujet, la position du Québec est bien connue. Tout en n’ignorant pas que la constitution actuelle est loin d’être parfaite, il y a au moins une chose possible à brève échéance. Qu’on laisse aux provinces, du moins à celles qui le veulent – et c’est le cas du Québec – le soin d’occuper les champs d’action que la Constitution leur reconnaît et, en conséquence, qu’on leur accorde les moyens fiscaux d’assumer adéquatement leurs nouvelles responsabilités.
Le Québec ne veut pas, par son attitude en matière fiscale ou autre, mettre le gouvernement fédéral dans une situation où il lui serait impossible de prendre une décision. Le Québec ne veut même pas ralentir l’élaboration des politiques strictement fédérales. Nous demandons seulement que les décisions et les politiques du gouvernement du Québec ne soient pas nécessairement identiques à celles des gouvernements des autres provinces. Quand on nourrit le mythe de l’uniformité, on prive automatiquement les gouvernements provinciaux de toute velléité d’action ordonnée en fonction des besoins et des aspirations de leurs populations.
Le gouvernement central ne touche pas les domaines où nous nous sentons capables d’agir à notre guise parce que nous sommes équipés pour le faire, et surtout parce que nous connaissons mieux que lui les besoins de notre population.
Nous comprenons que le gouvernement fédéral recherche à la fois l’uniformité administrative et l’uniformité des services fournis à la population à la grandeur du pays. Je répondrai à cela que le souci de l’uniformité administrative ne peut pas justifier la centralisation et les décisions unilatérales et que l’uniformité des services peut être atteinte par la collaboration des provinces entre elles. En effet, dans la mesure où il y a, de façon générale, correspondance entre les services offerts d’une province à l’autre, la recherche de l’uniformité devient une forme de perfectionnisme administratif dont un des résultats les plus évidents est de renfermer l’action des provinces à l’intérieur de structures et de méthodes rigides et stérilisantes et de créer, à toutes fins utiles, un état unitaire. Le Québec ne tient pas à ce genre d’uniformité car, dès que l’on accepte que notre communauté nationale a le droit de s’épanouir comme elle l’entend et il me semble que cela est accepté dans la Confédération canadienne. En réalité, le problème auquel le Canada fait face à l’heure actuelle a deux aspects qui, bien que distincts, s’entremêlent dans leurs causes et leurs solutions. Il y a d’abord le problème de la dualité canadienne: comment faire en sorte que le Canadien de langue française soit, individuellement et collectivement, mis sur un pied d’égalité avec le Canadien de langue anglaise. Il y a ensuite le problème du fédéralisme canadien dont je viens de parler: comment adapter les structures fortement centralisées que nous ont laissées la crise économique et la deuxième grande guerre à la diversité et à l’immensité du Canada.
Au centre de ces deux problèmes et pour ainsi dire, à leur point de rencontre, il y a le Québec, un Québec dont, l’enjeu est beaucoup plus considérable que celui d’aucune autre province, puisqu’il s’agit du maintien et du progrès du groupe canadien-français. Comme le Québec est la seule province du pays où les Canadiens d’expression française forment la majorité de la population, il est inévitable qua notre action ait une influence sur l’évolution du Canada français tout entier et, de là, sur celle de tout notre pays. Vous ne devez donc pas vous surprendre du souci que le gouvernement du Québec nourrit traditionnellement envers tous ceux qui, au Canada, sont de langue française. Cette préoccupation explique d’ailleurs pourquoi certains parlent souvent du Québec comme étant le point d’appui du Canada français. Il est bien entendu que le gouvernement fédéral est le gouvernement de tous les Canadiens, mais sociologiquement on se rend bien compte que la population canadienne-française du Québec se sent davantage près du gouvernement: de sa province que de celui du Canada. Les Canadiens français des autres provinces ne sont pas non plus indifférents à qui se passe chez nous en raison de l’affinité créée par la langue.
Il ne s’agit pas là pour les Québécois de provincialisme étroit; on doit plutôt y voir la conséquence évidente de l’insuccès relatif de notre régime politique actuel qui fait que le Canadien français du Québec se sent vraiment chez lui seulement au Québec. Ce n’est pas là une supposition de ma part: c’est un fait. Je ne serais pas honnête si je vous le cachais; je ne serais pas réaliste si je l’oubliais.
Voilà un aspect de la réalité canadienne dont, à mon sens, on devra tenir compte dans l’élaboration de la confédération d’un type nouveau que souhaite aujourd’hui le Canada français.
Ce n’est pas le temps de discuter les changements qui seront nécessaires dans la constitution canadienne de demain, changements qui refléteront nécessairement le présent dialogue et l’expérience politique en cours.
Plusieurs études sont sur le chantier,-soit au sein de commissions royales ou de comités législatifs provinciaux ou fédéraux, soit ailleurs, études qui commencent à donner une nouvelle couleur à notre compréhension des éléments essentiels d’une nouvelle constitution canadienne. Vous comprendrez donc pourquoi il me faut parler avec précaution, voire même avec humilité, d’une si grande entreprise qui, en fait, est encore au stade de l’étude. Toutefois le problème a déjà été suffisamment discuté pour que tous comprennent qu’il y a au moins deux choses que les Canadiens français, dans une très grande majorité, demandent à notre confédération. La première est un statut pour le Canadien de langue française qui soit égal en tous points à celui du Canadien de langue anglaise. Dans l’avenir immédiat, cela veut dire que le français doit être une langue de travail dans l’administration fédérale et que le français doit être une langue d’enseignement pour les minorités françaises hors du Québec. La seconde demande est celle d’une décentralisation véritable des pouvoirs, des ressources et des centres de décision. Québec, je l’ai déjà dit souvent, croit à l’harmonie qui résulte de la consultation et de la discussion entre égaux, et non à celle qui viendrait d’une uniformité imposée par un gouvernement central tout puissant. À l’heure actuelle, nous croyons que nos structures politiques sont assez flexibles pour s’adapter aux circonstances présentes et pour permettre une concentration entre les mains du gouvernement québécois de tous les moyens nécessaires au développement d’une nation canadienne-française. Ces structures politiques, basées sur des assises historiques, géographiques et économiques, sont suffisamment solides pour assurer la permanence d’un pays s’étendant d’un océan à l’autre et, en môme temps, pour permettre au Québec de servir de point d’appui au Canada français.
J’admets que nos positions, parce qu’elles sont fermes et parce qu’elles reflètent la volonté unanime de tout un peuple, peuvent en surprendre plusieurs, car ils y perçoivent le symptôme d’un malaise profond. J’admets aussi qu’en faisant valoir nos vues nous forçons beaucoup de nos compatriotes à réévaluer un équilibre qu’ils croyaient de bonne foi être stabilisé et définitif.
Je demeure quand même confiant car il existe une bonne volonté évidente chez un nombre de plus en plus grand de nos compatriotes de langue anglaise. Nous comptons sur eux pour rechercher, avec nous, les solutions concrètes que les problèmes actuels réclament. À leur tour ils peuvent se fier à nous pour collaborer avec eux dans cet effort devenu vital.
Cependant, on doit toujours se rappeler que c’est en étant davantage eux-mêmes que les Canadiens français peuvent devenir de meilleurs citoyens canadiens. C’est leur façon à eux de participer activement à l’édification du Canada de demain.
[QLESG19650927]
[Alliance française de Vancouver À publier après 7:00 P.M. L’honorable Jean Lesa;e 27 septembre 1965 Premier ministre du Québec
LES GRANDS PROBLENES CANADIENS ACTUELS
ET LES ASPIRATIONS DU QUEBEC]
L’effort d’affirmation du Québec actuel s’exerce dans un cadre politique qui, en conservant ses caractéristiques essentielles, évolue graduellement vers une plus grande souplesse, susceptible à nos yeux de satisfaire davantage les aspirations du groupe de langue française.
Constitutionnellement, le Canada est régi par un système de gouvernement de type fédératif. Le partage des compétences entre l’État fédéral et les États provinciaux a été déterminé par une loi du Parlement britannique, le British North America Act, édicté en 1867, à l’intention des quatre premières provinces. À celles-ci, sont venues se joindre au cours du dernier siècle six autres états provinciaux. Le principe fédératif attribuait des pouvoirs distincts à deux ordres de gouvernement, chaque gouvernement demeurant également souverain dans les limites de sa compétence, telle que déterminée par la constitution. À cette époque, les Canadiens français constituaient environ 30% de la population du pays. Cette proportion s’est à peu près maintenue depuis. C’est donc dire que le Canada français, dont à peu près 85% des éléments habitent le Québec, où ils représentent plus de 4/5 de la population, ne constitue pas une minorité ethnique en voie d’assimilation, mais bien une des données fondamentales et permanentes du contexte politique canadien. Le voisinage des États-Unis, où l’on retrouve une puissance de culture anglo-saxonne s’appuyant sur quelque 195000000 d’habitants influence forcément cette situation, mais il ne saurait à lui seul faire perdre de vue la constante de cette proportion.
Notre constitution, comme il était normal de s’y attendre, a subi au cours du siècle dernier les pressions d’un milieu politique en pleine croissance à l’échelle du continent. Cette pression se poursuit présentement. On peut cependant grouper en deux catégories les principaux problèmes qui peuvent avoir une portée constitutionnelle.
Le problème fiscal et celui de la répartition des compétences législatives. Le problème découlant de la présence de deux cultures au Canada. Les hommes politiques canadiens ont déjà établi certains mécanismes clans le but de résoudre ces problèmes. L’avenir de la fédération est intimement lié aux solutions qu’on apportera à ces deux questions.
En attribuant au gouvernement central le droit de prélever des impôts par tout mode de taxation, et en confiant aux provinces celui de percevoir des impôts directs pour des fins provinciales, la constitution voulait donner à chaque ordre de gouvernement les moyens dont il pouvait disposer à cette époque pour faire face à ses responsabilités.
Le risque que le partage de l’impôt devienne l’objet de controverses entre les deux ordres de gouvernement était alors minime. Le prélèvement des impôts directs se limitait à l’époque à des droits de permis et l’impôt sur le revenu personnel et sur les bénéfices des sociétés n’existait pratiquement pas encore. De nos jours pourtant, l’imposition directe fournit à l’État des revenus imposants et est devenue un mécanisme’ efficace dans l’orientation globale des activités économiques.
Les compétences attribuées aux États provinciaux au moment de la confédération n’avaient pas encore fait l’objet d’une activité étatique considérable. Il n’en est plus de même aujourd’hui, notamment dans le domaine de la sécurité sociale, de l’éducation et de la croissance économique.
Après la deuxième guerre mondiale, le gouvernement central profita du rôle plus important qu’il avait alors assumé pour instaures’, au Canada une politique générale de sécurité sociale. Pour y arriver, il fit modifier la constitution pour étendre sa compétence à l’assurance-chômage, aux pensions pour les personnes âgées et il mit sur pied plusieurs programmes fédéraux-provinciaux à frais partagés pour encourager le développement économique et social. Cette politique comportait certes des avantages à courte échéance, mais elle ne pouvait à long terme convenir au Québec. À nos yeux, elle aurait, à long terme, fini par subordonner les gouvernements provinciaux au gouvernement fédéral dans des matières relevant pourtant de leur compétence constitutionnelle. Elle aurait de plus entraîné une centralisation administrative considérable entre les mains du gouvernement fédéral.
Récemment, le Québec se retirait de la plupart des programmes à frais partagés et bénéficiait, après négociation, d’une compensation fiscale et financière équivalant à l’allocation fédérale que sa population aurait reçue en vertu de ces programmes. Bien que les autres provinces continuent de participer aux programmes à frais partagés, environ les deux tiers des dépenses gouvernementales pour les biens et les services au Canada sont aujourd’hui effectués par les gouvernements provinciaux et municipaux. Cet accroissement des dépenses publiques provinciales et municipales démontre clairement la dimension nouvelle des besoins des provinces canadiennes et, à mon sens, prouve qu’il est devenu nécessaire et urgent pour elles de disposer de revenus supérieurs. C’est à cette condition qu’elles pourront vraiment s’acquitter de leurs responsabilités. Rappelons-nous que les critères auxquels eurent recours les auteurs de la fédération pour répartir les compétences entre les deux ordres de gouvernement correspondaient à la conception de l’État qui avait cours à l’époque et à certaines exigences particulières de la politique d’alors. Il est indéniable cependant que si, pour résoudre les nombreux problèmes auxquels le Canada doit faire face aujourd’hui, les habitants des provinces à majorité anglophone sont souvent enclins à renforcer la compétence du gouvernement fédéral, les Québécois par contre sont tout naturellement portés à se tourner vers le gouvernement du Québec, surtout lorsque ces problèmes ont des incidences particulièrement marquées sur la vie des personnes, comme l’éducation, l’épanouissement de la culture, la sécurité sociale, le développement économique et l’aménagement du territoire.
Le Québec est actuellement engagé dans un processus au ternie duquel ses responsabilités seront certes plus étendues qu’elles ne le sont maintenant. Personne ne sait ce que sera le visage politique du Canada de demain, mais il n’est pas du tout exclu, au contraire, que le Québec y jouisse, par rapport aux autres provinces, d’un statut différent, bien que non privilégié. En tout cas, l’évolution actuelle du régime administratif de notre pays nous dirige nettement dans ce sens. Nous y gagnerons la souplesse d’adaptation que nous recherchons et nous construirons, pour le Québec, un mode de vie politique, si je peux dire, qui est plus conforme à nos aspirations propres.
Le problème découlant de la présence de deux cultures au Canada
Au Canada, il y a donc d’une part une série de problèmes que l’on retrouve en quelque sorte normalement dans tout système fédéral. Il s’agit, comme je viens de le dire, de la répartition des pouvoirs entre les secteurs de gouvernement, de l’allocation des ressources fiscales et de diverses questions administratives. D’autre part, il est essentiel de se rappeler qu’il existe aussi un problème découlant de la présence de deux cultures au Canada. Comme le Québec est le point d’appui d’une de ces deux cultures, il est clair que dans cette perspective notre situation se trouve différente de celle des autres provinces.
Aujourd’hui, tout comme par le passé, le Canada français cherche à affirmer sa culture et à la vivre. Il y met peut-être plus d’insistance que jamais auparavant, mais les points de vue qu’il exprime demeurent essentiellement positifs. En insistant sur le caractère biculturel de leur pays, les Canadiens d’expression française ne visent nullement à l’affaiblir, mais veulent démontrer que la coexistence et l’acceptation des deux cultures sont, pour le Canada, des facteurs de dynamisme et de puissance. À cause de la vigueur qu’if a pu mettre à préconiser la nécessité de cette acceptation réciproque, le gouvernement du Québec a pu; à l’occasion, adopter des attitudes que certains ont mal interprétées. On a même pu croire y déceler une volonté de domination; ce qui, comme vous l’imaginez facilement, n’a absolument aucun fondement. Nos attitudes ne procèdent évidemment pas d’une conception dogmatique de notre avenir collectif, mais bien plutôt d’une politique dynamique, que nous croyons juste et réaliste, et qui découle de notre adhésion aux principes démocratiques. C’est par respect de la démocratie que notre gouvernement entend assumer une politique qui corresponde aux voeux clairement exprimés de l’ensemble de la population québécoise.
La renaissance québécoise présente entraînera-t-elle des conséquences importantes pour l’évolution constitutionnelle du Canada? Comme je l’ai dit, il y a un instant, c’est possible; et j’ajouterais même probable. Le Québec édifie présentement une société nouvelle.
Les données clé l’équation canadienne s’en trouveront nécessairement changées. Jusqu’ici, sauf exception, nos compatriotes anglo-canadiens se sont plutôt contentés d’observer ce qui se passait; longtemps même, ils y ont été tout à fait indifférents. Aujourd’hui, leur attitude évolue. Demain, ils s’adapteront sans doute à cette nouvelle situation, en y décelant un apport original à la personnalité canadienne, permettant de distinguer celle-ci davantage de son puissant voisin, les États-Unis.
La personnalité collective des Québécois demeure un phénomène complexe, encore tiraillé par plusieurs influences, mais l’on peut déjà discerner, les lignes maîtresses autour desquelles ont commencé à se fixer les traits particuliers de leur caractère.
Notre petit peuple est de langue et de culture française et il entend mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour affirmer son identité culturelle; il est régi par des institutions politiques britanniques et il vit dans un contexte économique et géographique qui le soumet à un mode de vie américain. Ainsi, il évolue au carrefour de trois grandes civilisations dont il sait à l’occasion s’inspirer pour promouvoir son propre épanouissement. Conscient des valeurs de civilisation qu’il partage avec l’ensemble de la communauté occidentale, le Québécois est déterminé avant tout à demeurer fidèle à lui-même, en assumant pleinement sa propre personnalité, dans cette mise en valeur qu’il vient d’entreprendre après deux siècles d’isolement, de repli sur soi et de fatalisme. Il évalue objectivement les moyens dont il dispose pour mener à bonne fin cette entreprise, mais ceci ne l’empêche pas de demeurer persuadé que l’immobilité politique est impossible et que force lui est d’avancer sans essayer de rétrograder vers un passé qu’il a longtemps idéalisé, mais qui s’évanouirait aussitôt s’il prétendait le saisir.
Les Canadiens français sont présents dans cet univers américain où l’histoire des grandes civilisations occidentales recommence; tout comme l’anglais, l’espagnol et le portugais, le français y sert quotidiennement à l’élaboration de la pensée de plusieurs millions d’hommes. En somme, si notre existence a pu longtemps apparaître à plusieurs comme un folklore, un vestige d’un passé à jamais révolu, notre présence agissante veut réaliser aujourd’hui une civilisation originale d’expression française, édifiant en terre d’Amérique une cité nouvelle, qui y fera du Québec et, dans une certaine mesure, du Canada, un foyer de rayonnement de cette civilisation.
[QLESG19650928]
[University.of British Columbia
L’honorable Jean Lesage À 1publier après 12 h 45 P.M. Premier ministre du Québec Le 28 septembre 1965
COMMENT CA VA AU QUÉBEC]
Quand un ami vient nous visiter, la première question c’est toujours: Et comment ça va chez vous? Sans doute, mes amis, avez vous cette question sur le bout de la langue.
Comment ça va au Québec?
Au Québec en fait, tout bouge, tout change. Un vieux dicton dit qu’au pays du Québec rien, jamais, ne doit changer. Mais cette fois, l’adage a menti: chez nous, tout est en train de changer. Québec est pris d’une fièvre de vivre.
Sans doute, c’est dans un nombre infini de facteurs que se trouvent l’explication et la preuve de ce changement qui, fondamentalement, je vous en assure, mes amis, est un élan enthousiaste et un désir de grandeur dont le Canada tout entier bénéficiera. En effet, la population du Québec fait à l’heure actuelle un effort immense pour s’adapter aux conditions sociales et économiques qui, dans l’espace d’une génération, ont bouleversé sa manière traditionnelle de vivre. Pour ne mentionner qu’un de ces multiples facteurs: le Québec rural est devenu le Québec industriel, avec tout ce qu’un changement aussi radical veut dire en termes de réorientation sociologique et de rajustement humain.
Les expériences humaines ont ceci de particulier, par rapport aux expériences courantes dans les sciences physiques, qu’on n’en connaît pas toujours parfaitement le point de départ, qu’on en contrôle plus difficilement la marche et qu’on en ignore souvent le résultat.
Dans le cas du Québec, je pense bien que le point de départ est assez connu. Les historiens et les sociologues, avec le recul du temps, pourront dans quelques années nous expliquer encore mieux que nous sommes aujourd’hui en mesure de le faire en vertu de quelles influences précises la période de notre histoire qui commente: vers 1960 a été caractérisée par un élan, par un mouvement comme il ne s’en trouve presque aucun exemple dans notre passé. Tout de même, il est déjà possible, à l’heure actuelle, d’énumérer certains des facteurs à l’origine de ce mouvement. Je pense, par exemple, à des réformes politiques, à un désir d’affirmation latent depuis des générations qui a soudainement trouvé un moyen d’expression, a une prise de conscience non seulement de la force économique que le Québec français représente niais aussi et surtout de celle qu’il lui paraît possible d’obtenir. Toits ces facteurs jouent les uns sur les autres, se transforment mutuellement, et deviennent ainsi des points de départ nouveaux.
Il importe cependant de retenir – et cela, à mon sens, explique plus logiquement la période actuelle – que toutes ces causes, et bien d’autres, ont agi. à peu près en même temps. Des réformes d’ordre politique, il s’en est produit auparavant dans noire histoire. On peut retracer un désir d’affirmation dans toutes les générations qui nous ont précédés. La recherche du la puissance économique n’est pas non plus un objectif nouveau. Dans le passé, nous avons à peu près toujours consacré nos énergies à l’une ou l’autre de ces préoccupations, mais jamais toutes ensemble. Point n’est besoin de chercher longtemps pour trouver le sens du dynamisme actuel de notre peuple. Il veut utiliser les valeurs qui se développent par 1’éducation et la culture et qui suscitent le progrès tous les secteurs de son économie.
On sait qu’il lui a d’abord fallu, pour cela, mettre un terme radical à une certaine forme d’immobilisme que les circonstances avaient fini par lui imposer. C’est dans cette immobilisme temporaire que d’aucuns croyaient voir le vrai visage du Québec; à ce propos, ils se sont trompés mais ils n’ont pas tous encore complètement accepté le nouvel état d’esprit qui règne chez nous. Nous sommes convaincus qu’ils y arriveront avec le temps, surtout lorsqu’ils verront dans quelles réserves d’énergie notre peuple peut puiser.
Ensuite, le Québec a commencé à se poser des questions. Il s’est interrogé sur tous les sujets à la fois et, à l’heure présente, il a entrepris d’apporter des solutions aux problèmes qu’il a découverts. Plusieurs de ces solutions ont parfaitement convenu aux difficultés qu’elles visaient à résoudre; d’autres se sont révélées incomplètes. Ces dernières ont été révisées ou le seront dés que possible. Parfois, on a cru percevoir des hésitations et même des timidités. Tout cela, cependant, n’est que normal. Je dirais même que cela est rassurant. S’il fallait en effet qu’à un type d’immobilisme en succède un autre, nos espoirs dans le Québec d’aujourd’hui n’auraient que peu de raisons d’être.
Depuis 1960 donc, nous agissons dans tous les domaines à la fois, les citoyens s’appuyant sur leur gouvernement, et celui-ci trouvant son inspiration dans la conscience politique des citoyens et dans leur dynamisme naturel. C’est donc le caractère global de l’évolution actuelle qui doit retenir notre attention. C’est grâce à lui que tout le reste devient logique; c’est par lui que tout le reste semble possible; c’est pour lui que tout le reste apparaît souhaitable.
Et qu’est-ce que « tout le reste »?
« Tout le reste » est une nouvelle définition de nous-mêmes, une nouvelle définition du Québec, par rapport à laquelle les grandes politiques que le gouvernement a mises de l’avant prennent figure de moyens orientés vers une fin unique. Il y a évidemment des objectifs à courte échéance, mais ils seront atteints par la recherche même, de cette fin. Ainsi, il est clair que notre action économique vise avant tout à une amélioration du niveau de vie de nos citoyens, mais. elle est aussi un des éléments de notre définition comme peuple.
Il en est de même du domaine de l’éducation, de la culture, de l’administration publique, du bien-être social, et que sais-je encore?
Au plan culturel, l’objectif principal de la population du Québec est d’enrichir et de répandre la culture canadienne-française, tout en garantissant les droits des minorités qui vivent parmi elle et dont elle apprécie l’apport. Le Québec désire que cette culture s’épanouisse de telle manière qu’elle rayonne à travers tout le Canada. Les Canadiens français croient qu’à ce titre ils ont une contribution importante à faire au Canada, ne serait-ce que comme un obstacle à l’envahissement culturel américain. Les citoyens du Québec ne désirent imposer cette contribution à personne, ils désirent plutôt l’offrir eu reste du pays dans l’espoir sincère qu’elle sera acceptée de manière à ce que les deux principales cultures canadiennes s’intègrent dans l’harmonie.
Cette attitude en matière de culture est semblable à celle qui prévaut, au plan politique, en matière de fédéralisme canadien. La population (1e Québec ne conçoit pas la souveraineté provinciale comme un concept qui. serait incompatible avec le progrès. Elle y voit plutôt une réalité vivante, un principe qui a trouvé son plein développement dans des institutions et des mesures destinées à promouvoir son humanité et son apport spirituel. Bref, celui-ci croît que toute souveraineté qui n’est pas utilisée ou qui est divisée contre elle-même ne peut survivre longtemps. Elle croît aussi que toute souveraineté doit s’appuyer sur des bases solides et exige une constante coopération entre les divers gouvernements dont les destins sont liés par des liens économiques indénouables.
Tout cela vise à démontrer que le patriotisme canadien français, loin d’avoir diminué, est devenu plus intense et plus large. Il est plus intense parce qu’il n’est plus fondé sur des motifs purement sentimentaux; il est plus large parce qu’il dépasse les frontières du Québec et embrasse la nation canadienne dans son entier.
Toutefois, notre population ne veut pas seulement se préparer pour elle-même un avenir meilleur – ce qui serait en soi un objectif très louable – mais elle veut également asseoir sur des bases plus solides encore la survivance du groupe ethnique canadien d’expression française. De fait, le terme « survivance » n’est pas tout à fait exact. Il ne nous suffit plus en effet de survivre; le peuple du Québec désire maintenant s’affirmer, mais il n’a jamais pensé à le faire au détriment des Canadiens d’autres langues ou d’autres religions. Il croit tout simplement qu’il a un rôle indispensable à jouer dans notre pays et il est prêt à s’acquitter des obligations que ce rôle lui impose. Or sa première obligation à ce propos n’est elle pas justement pour lui-même d’être lui-même, c’est-à-dire de se réaliser tant dans ses aspirations légitimes de peuple adulte, que dans la mise en valeur de ses ressources humaines et physiques?
On peut se demander ce que sera le Québec de demain, mais personne ne peut le dire avec certitude. Des facteurs nouveaux interviennent et notre population se découvre des forces qu’elle ne soupçonnait pas. Elle comprend aussi la place qu!elle doit occuper dans la Confédération canadienne et voit comment elle peut réussir à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Le Québec n’est plus maintenant exclusivement tourné vers le passé. S’il continue à respecter les valeurs qu’il a reçues en héritage, s’il tient à sauvegarder ses caractéristiques propres, il se tourne aussi vers l’avenir. Il entrevoit avec espoir cet avenir qui s’offre à lui car il sait que c’est d’abord à lui qu’il appartient de le préparer. Il se donne présentement les moyens d’action qui lui manquent encore et il améliore ceux dont il dispose déjà. La tâche qui l’attend sera difficile, mais il est convaincu qu’il l’accomplira avec succès en respectant les droits de chaque individu, de chaque groupe, et en assurant, dans notre pays, les responsabilités qui reviennent à une nation dynamique, agissante et consciente de sa force réelle.
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Sans avoir conduit d’enquête d’opinion publique à ce sujet, .j’ai nettement l’impression qu’un bon nombre de Canadiens de langue anglaise commencent à trouver que, si les Canadiens français font souvent allusion à leur désir de réformes, les réformes voulues demeurent par contre bien imprécises. En d’autres termes, nous n’avons pas encore pu, selon nos compatriotes, répondre de façon satisfaisante à une question qui leur paraît fondamentale et qui est la suivante: que veut le Québec?
Derrière l’impatience, parfois amicale, parfois exaspérée, que cache le souhait implicite d’une sorte de liste où le Québec aurait énuméré ses doléances et ses demandes en noir et blanc, se blottit parfois un autre souhait, moins facile à exprimer, mais néanmoins présent.
Certains Canadiens de langue anglaise ont le sentiment que si nos demandes étaient clairement indiquées les unes après les autres avec toutes les réformes constitutionnelles qu’elles supposeraient, ils pourraient les étudier, donner suite à celles pour lesquelles il nous serait possible d’obtenir satisfaction et exprimer leur regret de ne pouvoir se rendre aux autres. Et, cela fait, le cours normal de la vie canadienne reprendrait. L’imprécision actuelle serait disparue et le Canada pourrait désormais s’occuper de choses sérieuses.
Avant d’aller plus loin, je reconnais naturellement que j’ai, en la simplifiant à l’extrême, quelque peu caricaturé la perspective dans laquelle se placent certains de ceux qui sont impatients de connaître nos positions précises. J’ai réuni en un seul paragraphe plusieurs réactions possibles. Je l’ai fait à dessein car je veux, en les commentant, tenir en même temps compte des points de vue de tout genre que nous pouvons facilement deviner chez un bon nombre de compatriotes de langue anglaise. Ces points de vue ont quand même entre eux un dénominateur commun; c’est pourquoi je les ai groupés car ils sont en quelque sorte de la même famille. Ils proviennent tous en effet de l’impression que les problèmes présentement posés par le Québec sont au fond relativement simples et de nature temporaire. Or, il n’en est pas du tout ainsi.
Dans le paragraphe où j’ai résumé en quelques phrases l’opinion implicite ou explicite de certains groupes de Canadiens anglais, quatre idées apparaissent que j’aimerais maintenant commenter. Ces idées, qui suggèrent plutôt des étapes dans la présentation et la discussion du point de vue du Québec, sont: la fabrication d’une liste claire et nette de nos demandes; des réformes constitutionnelles que nous désirons, la soumission de ces demandes au Canada anglais et le jugement rendu par celui-ci à leur sujet, la reprise ultérieure du cours normal de la vie canadienne et le retour aux choses sérieuses.
Je dois d’abord dire qu’il nous est difficile à l’heure -actuelle de fabriquer une sorte de liste précise où seraient énumérées dans une suite logique les demandes que nous aurions à formuler, de même que les changements qu’il faudrait, selon nous, apporter à la constitution. L’édification d’un pays comme le Canada ne ressemble en rien à la construction d’un immeuble, où, une fois les plans et devis préparés, il est facile de dresser une commande des matériaux nécessaires. Dans le cas du Canada de demain, nous n’avons pas encore, loin de là, arrêté le plan de l’édifice à construire. Deux résidents principaux, le Canada anglais et le Canada français, auront à l’habiter. Ils doivent d’abord, ensemble, déterminer le style et les dimensions de leur habitation commune. Nous venons d’entreprendre cette étape; le temps n’est pas encore venu de commander les matériaux, bien que pour notre part nous ayons déjà des idées à ce propos. Il m’est souvent arrivé d’en énoncer quelques-unes. Si dans le domaine de la vie purement matérielle on est souvent en mesure de dresser rapidement une liste des objets désirés, il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit de déterminer le mode de coexistence de deux peuples adultes. Il importe d’abord que les deux peuples sachent l’un de l’autre ce qu’ils sont réellement, comment ils se voient mutuellement, quelles sont leurs aspirations réciproques. Nous n’avons pas au Canada terminé cet échange de renseignements si l’on peut dire. Le Canada français d’un côté se réveille à lui-même, prend conscience de ses forces et de ses problèmes, voit le Québec sous un jour nouveau. De l’autre côté, le Canada anglophone apprend qu’une réalité nouvelle, possiblement inattendue, se dessine, dont il tente d’établir le sens et la portée. Pendant que ce processus de maturation se poursuit, les positions se précisent. Un jour, elles pourront être traduites en termes constitutionnels. Si nous sautions immédiatement, aujourd’hui, à cette étape, nous formulerions un cadre constitutionnel qui, tout en étant probablement très logique, risquerait de s’avérer insatisfaisant dès qu’il commencerait à fonctionner. Le Québec d’aujourd’hui est en voie de se redéfinir; il anticiperait donc s’il arrêtait dès maintenant des positions constitutionnelles nettes et surtout définitives.
Tout cela ne signifie pas qu’il ignore où il va et qu’il est à la merci de n’importe quelle sorte d’humeur politique en constant changement. Les grandes lignes de la nouvelle définition de lui-même qu’il se donnera sont déjà connues. Nous voulons d’abord faire connaître et accepter ces grandes lignes. C’est pourquoi, comme Premier ministre du Québec, j’en parle si fréquemment; c’est pourquoi, comme maintenant, je viens si souvent m’adresser à des auditoires anglo-canadiens.
Le Québec se considère comme le point d’appui du Canada français, lequel a lui-même tous les caractères d’une véritable société: sa langue, sa culture, ses liens avec la communauté de langue française du monde, ses institutions économiques, sociales et politiques dynamisme, son désir de survivre et surtout de s’épanouir. Cependant, après avoir décrit ainsi les aspirations du Québec d’aujourd’hui, nous découvrons que les possibilités constitutionnelles s’offrant à lui sont multiples. Et chacune de ces possibilités comporte ses difficultés pratiques qu’il faut toutes examiner avec soin. Je ne voudrais pas exagérer, mais la tâche constitutionnelle qui sera l’aboutissement en quelque sorte technique de notre prise de conscience réciproque demandera probablement plus d’imagination que celle dont se sont acquittés nos prédécesseurs en 1867. Elle demandera plus d’imagination car, contrairement à ce qu’on croit habituellement, il nous sera peu pratique de nous servir de l’expérience d’autres pays qui se seraient trouvés dans une situation similaire à la nôtre. Il n’existe, ni n’a probablement existé aucun pays dans ce cas. Nous devrons donc créer de toutes pièces.
Au Québec, des personnes, spécialistes ou simples citoyens, s’emploient à formuler des hypothèses constitutionnelles. Tranquillement, en même temps que notre nouvelle définition de nous-mêmes prend corps, un consensus est en train de s’élaborer. L’opinion publique se cristallise graduellement autour de certaines notions. Ainsi, bien des réformes constitutionnelles nous sont proposées touchant, par exemple, la Cour suprême, le statut du lieutenant-gouverneur, la fiscalité, les relations du Québec avec les autres pays, la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces, et que sais-je encore? Mais comme toutes ces propositions dépendent, dans leur nature et leur forme, de la nouvelle définition du Québec, il me semble prématuré d’aller plus loin avant que le Canada anglais et le Canada français s’entendent d’abord sur celle-ci. Franchissons donc la première étape. Cela fait, la deuxième ne nous entraînera pas dans l’imbroglio auquel elle nous condamnerait si nous y entrions tout de suite en nous inspirant de thèses qui nous apparaîtraient peut être de prime abord inconciliables.
Comme je l’ai mentionné au début de cette causerie, certains Canadiens de langue anglaise souhaiteraient que, une fois complétée, la liste de nos demandes leur soit ensuite soumise pour examen.
Même si je crois avoir montré qu’il serait prématuré de dresser la liste en question, je dois m’arrêter à l’idée de soumettre nos demandes au Canada anglais, comme on le ferait d’une liste de doléances à un puissant monarque. J’imagine qu’il doit être assez difficile de trouver une procédure qui indisposerait davantage le Canada français que celle-ci c’est-à-dire l’idée même de soumettre, pour jugement et acceptation ou rejet, nos positions à un autre groupe. Il y aurait dans ce geste une contradiction flagrante avec un des objectifs auxquels nous tenons le plus, celui de l’égalité dans les faits du Canada anglais et du Canada français. Déjà chez nous des gens n’admettent pas qu’aux conférences fédérales-provinciales, par exemple, le Québec, point d’appui du Canada français, n’ait droit qu’à une seule voix sur onze. On comprend dès lors qu’il ne peut être question pour nous de préparer bien humblement une sorte de livre de requêtes qui serait proposée à la bonne attention dur reste du Canada afin qu’il se prononce à leur sujet. Si nous sommes prêts à entreprendre et à poursuivre le dialogue, comme je le fais au cours de ma tournée des provinces de l’ouest, nous ne sommes nullement disposés à plaider une cause devant des juges tout puissants et supérieurs qui auraient à se prononcer d’autorité sur son bien-fondé. Nous voulons échanger des points de vue; nous ne voulons pas nous voir imposer un jugement.
Ce qui nous peine davantage, c’est que l’attitude dont je parle nous vient parfois des gens que nous croyions les mieux disposés à notre égard. De fait, ils le sont, mais d’une façon paternaliste.
Nous admettons fort bien qu’il appartient d’abord à celui qui croit inacceptable la situation dans laquelle il se trouve de protester, de le faire savoir, de suggérer des remèdes. C’est précisément ainsi que nous nous comportons. Nous croyons de la sorte prendre les responsabilités qui nous reviennent. Comme nous faisons partie du même pays que les Canadiens de langue anglaise et que, pour l’avenir de ce pays, les positions que nous exprimons ont une grande importance, nous sommes d’avis que la responsabilité des Canadiens de langue anglaise est d’engager le dialogue avec nous. Il ne s’agit pas d’en revenir au vieux concept de « bonne entente » en vertu duquel l’entente entre les deux principaux groupes ethniques existait dans la mesure où le Canada français acceptait passivement la situation qui lui avais toujours été faite (et dont d’ailleurs il était lui-même en partie la cause). La bonne entente qui devrait exister à l’avenir découlera, entre, autres, du respect mutuel des différence et de l’adaptation de nos structures politiques aux conditions nouvelles qui auront été suscitées au Canada.
Car, n’en doutons pas, nous vivrons dans un Canada d’un type nouveau. Il est donc faux de s’imaginer, comme certains le font, qu’une fois les difficultés actuelles surmontées, le statu quo antérieur reprendra son existence momentanément suspendue. Déjà, à l’heure actuelle, le Canada n’est plus ce qu’il était il y a cinq ou dix ans. Le mouvement qui anime le Canada français est trop profond, il plonge ses racines trop loin dans notre histoire pour qu’il s’évanouisse après quelques réformes de structure plus apparentes que réelles. Si, comme je l’ai dit, nous sommes à nous redéfinir, nous le faisons en vue d’orienter notre avenir mieux que ne le fut notre passé.
Je voudrais ici insister fortement sur une idée que je trouve capitale. Lorsque je dis que nous vivrons dans un Canada de type nouveau, il importe que les Canadiens de langui anglaise comprennent la nature éminemment positive de nos objectifs. Nous aurons vraisemblablement à changer tous ensemble le cadre dans lequel nous vivons, mais il n’est jamais entré dans nos projets de bousculer les institutions canadiennes pour le plaisir de le faire. Au contraire nous visons à réaliser, en collaboration avec vous, un pays qui sera d’autant plus fort que les Canadiens de langue française s’y sentiront chez eux, qu’ils y verront leurs droits respectés de l’est à l’ouest, que le Québec y aura acquis un statut qui permettra son épanouissement harmonieux.
On me répondra que c’est là un but ambitieux, que toutes sortes de difficultés pratiques devront être surmontées, que notre horizon est trop large, que nous posons des problèmes fondamentaux que peu de pays ont réussi à résoudre et que la vie en société se nourrit non pas de réaménagements globaux mais d’accomodements quotidiens et de compromis. Il y a du vrai dans toutes ces opinions, mais on ne doit pas perdre de vue que la prise de conscience du Québec actuel est globale et sans précédent. Les objectifs qui en découlent pour nous nous apparaissent plus réalistes que tous ceux que nous nous sommes fixés auparavant car, pour la première fois, ils attaquent à leur base même des malentendus et des imprécisions qui durent, pour plusieurs d’entre eux, depuis 1867. Les solutions qui en résulteront, sans être elles-mêmes de portée éternelle, pourront nous donner un équilibre entre le Canada anglais et le Canada français plus satisfaisant que tous les accomodements temporaires et le; compromis vacillants que nous élaborerions autrement.
Chaque pays, à un moment ou l’autre de son histoire, doit repenser ses structures en fonction d’éléments nouveaux. Ceux qui hésitent à le faire vivent sur des contradictions et s’appuient sur des souvenirs plutôt que sur la réalité. Au Canada, il y a un élément nouveau. Cet élément nouveau, je l’ai souvent répété, est la prise de conscience du Québec et, de là, du Canada français. Beaucoup de Canadiens de langue anglaise sont victimes inconscientes d’une illusion attrayante. Ils ont tendance, et j’en ai parlé au début de cette causerie, à croire que toutes les discussions actuelles sur l’avenir du Québec, sur les formes futures de la confédération canadienne sont une sorte d’intermède inutile dans le cours normal de l’activité de notre pays. Nous serions, d’après eux, plus ou moins occupés à perdre notre temps et à orienter nos efforts dans des directions stériles. Pour eux, nous devrions tous au Canada consacrer notre énergie à la solution de problèmes comme l’éducation, le chômage, l’habitats insalubre, la croissance industrielle, la concurrence des autres pays ou le maintien de la paix mondiale.
Disons tout de suite que je suis d’accord avec eux pour reconnaître la gravité des problèmes auxquels ils aimeraient que nous accordions notre attention exclusive. La preuve en est qu’au Québec même, centre pour ainsi dire des discussions de nature politique ou constitutionnelle, nous avons exercé la plus grande partie de nos efforts à la réalisation d’objectifs socio-économiques. Et nous n’avons pas fini. Il doit, à notre avis, en être de même pour l’ensemble du Canada.
Toutefois, nous devons éviter de tomber dans un pragmatisme borné. Nous ne pouvons commettre l’erreur de retarder la solution de problèmes politiques sous le prétexte fallacieux qu’il en résulterait un détournement d’énergies vers des fins moins immédiatement tangibles. Nous vivons dans une société assez évoluée pour qu’il nous soit possible de nous attaquer courageusement à toutes les difficultés qui réclament notre attention. Or, les relations qui doivent exister entre le Canada d’expression anglaise et le Canada français sont assez lourdes de conséquences pour mériter notre réflexion commune. Elles sont en effet à la base même de la vie canadienne et, à leur façon, conditionnent notre succès dans les tâches économiques ou industrielles communes.
D’autres Canadiens de langue anglaise ont l’impression que les problèmes politiques actuels du Canada, ayant été en bonne partie suscités par les positions du Québec, ne les touchent que de façon bien secondaire. Ils y voient l’exportation, à travers le pays, de difficultés purement québécoises dont ils auraient fort bien pu se passer et qui, pour cette raison, ne réclament pas leur attention. Ce sont là en somme des indifférents.
Ils ont tort de croire qu’il s’agit de problèmes purement québécois. Toute tendance nouvelle dans la confédération, qu’elle soit l’oeuvre du Canada anglais ou du Canada français, devient, parce qu’elle touche notre régime politique lui-même, un problème d’intérêt canadien que tout citoyen de ce pays devrait étudier pour le comprendre et participer à sa solution. Nous ne pouvons, ni au Canada, ni ailleurs vivre en vase clos. Si, comme on, le dit souvent, les frontières perdent graduellement, dans notre monde moderne, l’imperméabilité qu’elles ont déjà eue, il en est davantage ainsi dans notre propre pays où il n’existe pas de telles frontières. Nous vivons actuellement une période de transition. Pour qu’elle aboutisse au succès, il importe que nous la vivions ensemble.
Au cours de cette causerie, je me suis surtout appliqué à vous présenter non pas une énumération de nos problèmes, de nos objectifs ou des moyens à utiliser pour les atteindre, mais plutôt une analyse, bien superficielle et je le regrette, de certaines réactions à l’égard de ces problèmes, de ces objectifs et de ces moyens, réactions que nous rencontrons parfois chez nos compatriotes du Canada anglais. J’ai peut-être été, par moment volontairement injuste. On court toujours ce risque en consacrant quelques minutes à des sujets qui mériteraient des heures de notre attention. Croyez bien que, pour ma part, je suis venu vous adresser la parole afin d’accroître la compréhension du Canada français par le Canada de langue anglaise. Une façon d’y arriver, mais ce n’est pas la seule évidemment, était justement qu’un Canadien de langue française présente son point de vue sur certaines opinions canadiennes-anglaises. Je ne prétends pas que nous ayons au Québec une connaissance parfaite du reste du Canada. Mais les faits nous ont forcés à entreprendre avant vous une réflexion en profondeur sur les déficiences du régime fédératif canadien actuel. Cette réflexion, née de nos propres préoccupations, touche autant nos institutions politiques que les réactions du Canada d’expression anglaise à nos critiques de ces institutions. Souvent nous nous mettons à votre place pour essayer de comprendre vos propres sentiments et pour voir comment vous nous percevez. C’est la une technique qui n’est pas nécessairement infaillible. Elle a tout de même l’avantage de nous inciter à voir nos problèmes avec d’autres yeux et peut être à nous donner plus d’objectivité.
J’aimerais, en terminant, vous convier à faire de même. Essayez de percevoir le Canada actuel avec des yeux de Québécois de langue française. Si vous n’apprenez rien de précis de cet exercice, il vous restera au moins une impression générale, une intuition peut-être.
Souvent, dans la vie des peuples, l’intuition, tout autant que la présentation objective de faits et de principes, facilite le dialogue et permet la coopération. Car une telle intuition s’accompagne souvent de compréhension et de sympathie.
[QLESG19651018]
[Inauguration nouvelle usine Les Tissus Richelieu Limitée Saint-Jean, Qué. -Le 18 octobre 1965 Honorable Jean Lesage, Premier ministre]
Comme vous le savez, je reviens d’une tournée dans l’Ouest canadien. L’occasion m’a été donnée, au cours de cette tournée, de visiter les principaux centres du pays, de Toronto à Victoria, et de constater sur place les progrès qui s’accomplissent dans tous les domaines. S’il est vrai que le Canada se développe rapidement,’ je ne crains pas d’affirmer que c’est le Québec qui grandit ai rythme le plus accéléré. Comment ne serais-je pas très fier et très heureux de la place prépondérante que le Québec est en voie d’occuper dans l’économie canadienne.
Oui, le Québec se développe au pas de course. J’en veux comme preuve les industries nouvelles qui s’implantent chez nous: la raffinerie de pétrole Irving à Saint-Romuald, dans la région du Québec métropolitain; les usines de Domtar à Mattagami; de Bathurst Paper à New Richmond; celle de carton ondulé de la Canadian International Paper à Matane et sa nouvelle scierie de Causapscal, en Gaspésie; la fabrique de pneus Firestone, à Joliette; l’usine de silicium de Chicoutimi; le système de transmission et de distribution de gaz naturel dans le district de Rouyn-Noranda, pour ne mentionner que les investissements les plus importants. Il faut rappeler également que, depuis quelques mois, j’ai eu personnellement l’occasion d’inaugurer plusieurs entreprises d’envergure, de caractère public ou privé: l’usine de pâte Kraft de la Compagnie Consolidated Paper à Portage-du-Fort, dans la région supérieure de l’Outaouais; l’usine de bouletage et les facilités connexes de Arnaud Pellets à Pointe-Noire, sur la Côte Nord; le pont de l’Île-aux-Tourtres sur le tronçon de la route transcanadienne qui reliera Montréal à l’Ontario; l’autoroute des Cantons-de-l’Est qui s’intègre au complexe routier actuel et futur de votre région. Je sais que j’en oublie, mais je dois signaler que, la semaine dernière, j’avais l’honneur de participer à la mise en marche officielle de la fabrique d’automobiles de General Motors, à SteThérèse.
Aujourd’hui, nous procédons à l’inauguration de la nouvelle usine des Tissus Richelieu Limitée dont j’avais moi-même annoncé la construction en avril 1964. C’est donc dire que les promoteurs de cette entreprise – et cela est bien à l’image du Québec moderne n’ont mis que dix-huit mois pour réaliser leur oeuvre. Ils méritent de chaleureuses félicitations, et je m’en voudrais de ne pas leur dire publiquement combien la population est fière et heureuse de cette nouvelle industrie québécoise qui est une autre manifestation de la volonté du Québec d’occuper une place prépondérante dans le monde industriel moderne.
La compagnie Dominion Textile, qui est l’initiative de cette nouvelle usine québécoise, a droit d’être félicitée également pour avoir su respecter le caractère ethnique de notre population en donnant un nom français: Les Tissus Richelieu Limitée, à cette filature qui est la plus moderne sur le continent nord-américain.
[You may have noted that I have just used the phrase « new industry » for Quebec. To many of us this may seem
strange -for the manufacture of textiles has been part of the economic life and history of Quebec as far back as the days of Intendant Jean Talon.
.a./2
The « newness » of which I speak is visible around you. This plant – with its streamlined, modern design, its up-te-date equipment, and its latest technological programming matches thee industrial « newness » which our entire province is desplaying to the world in thèse times. It is industry expressed in terms of today. And as
all of us know in this age of exploding technology, industry of all types – in all countries – is passing through what has become a new and record-breaking phase of competitiveness.
No longer can a nation or a region or a community sit quietly back providing work for its citizens by producing its traditional old products in traditional old ways. From every side corne new products or new adaptations of traditional products sprouting from the laboratories of scientists.
From the planning rooms of engineers and electronic specialists corne a steady stream of invention in machines and in manufacturing techniques that help men and women to make more and better use of the huge industriai tools with which they earn their living. And on all sides, there are new and growing nations suddenly aware of the possibilities of scientific industrial production — possibilities that offer them the opportunity to advance their own economic well-being, their own standards of living,
Add -thèse together and we in the free world, we on the North-American continent, we here in Quebec, are faced with the double prospect – both encouraging and threatening – of a new industriel world that off ers such great promise for our own economic progress, but, at the saure time, presents the challenge of competitiveness in world trade which forces us to keep up-tothe minute in every respect – if we are to meet this competition, to keep our industries humming and to provide work and earnings for our present population and the thousands and thousands of the new generation which are coming out of schools, collèges, universities, and technical institutes each year, seeking the chance to earn the healthy living they are entitled to.]
Alors que nous savons tous que l’industrie québécoise doit être moderne et concurrentielle, je me demande si la pensée traditionnelle à l’égard de la production textile, l’une de nos plus anciennes entreprises, ne nous porte pas à oublier les progrès qui ont été accomplis dans ce domaine. La réponse est ici, devant nos yeux. Et ce qui me frappe particulièrement aujourd’hui, en admirant ce merveilleux complexe industriel que présente la filature des Tissus Richelieu, c’est que l’industrie textile du Québec a su multiplier les progrès technologiques de façon soutenue et rapide. Comme c’est le cas pour le Québec moderne, on a voulu bâtir aujourd’hui en fonction de demain. Telle est la nouvelle industrie textile qui s’offre à notre regard. C’est celle que l’on trouve également à la nouvelle usine Domil de Sherbrooke, à la vaste fabrique présentement en construction à Saint-Thimothée, et dans d’autres filatures de la région. Ces nouvelles usines et les vastes programmes de rénovation – comme dans les installations de Magog, Sherbrooke et Montmorency – découlent d’une philosophie qui, depuis quelques années, inspire l’industrialisation du Québec et selon laquelle nous ne saurions demeurer stationnaires. Nous vivons dans un univers de concurrence acharnée; si nous voulons vivre et progresser, il nous faut en même temps agir tout de suite et préparer l’avenir.
Est-il besoin d’ajouter que cette philosophie s’appuie sur trois éléments essentiels. Elle requiert une compétence industrielle (le fameux « know-how » que nous avons considéré trop longtemps comme étant du domaine exclusif de nos concitoyens de langue anglaise), elle commande des investissements imposants et, surtout, elle exige une audace courageuse et un sens aigu du risque calculé.
L’usine que nous inaugurons aujourd’hui représente, à elle seule, des immobilisations de $ 12500000. Il y a seulement quelques mois, cette société a annoncé un programme
planifié de deux ans impliquant des mises de fonds additionnelles de $37500000, dont la plus grande partie à être dépensée dans le Québec. Cet effort très appréciable vise à maintenir bien vivante et alerte un type d’industrie moderne qui est capable de produire et de vendre des marchandises de qualité tout en assurant un gagne-pain à sa main-d’oeuvre et des bénéfices à ceux qui risquent leurs épargnes dans une telle entreprise.
On conviendra que cette nouvelle usine et celles qui sont en construction ailleurs dans la province constituent un éloquent témoignage de confiance dans l’avenir industriel du Québec. En retour, l’industrie textile – qui est devenue chez nous une tradition comme dans beaucoup d’autres pays industriels – peut être assurée que la population et le gouvernement du Québec se réjouissent de sa modernisation et apprécient à sa juste valeur l’importance qu’elle occupe dans le renouveau industriel de notre province. C’est par de semblables efforts de renouvellement technologique que certaines industries traditionnelles du Québec seront en mesure de faire face avec succès à la concurrence internationale et d’étendre leurs marchés.
Le gouvernement que je dirige, et particulièrement le ministère de l’industrie et du Commerce et celui des Affaires municipales ont été heureux de coopérer avec les représentants de la ville de Saint-Jean et ceux des Tissus Richelieu pour créer le genre de progrès industriel dont nous sommes aujourd’hui les témoins. Il est un autre aspect de cette manifestation qui me rend particulièrement heureux. C’est un fait reconnu que pour accroître le potentiel industriel du Québec, il faut décentraliser davantage les grandes industries. La ville de Saint-Jean n’est pas très éloignée de la grande métropole, mais elle est située dans une région, qui, depuis quelques années, a souffert de ce genre de chômage qui incite plusieurs de ses citoyens, particulièrement les jeunes, à quitter la région par suite du manque d’emplois. Il faut se réjouir de ce que cette nouvelle usine ait déjà fourni à elle seule quelque 350 emplois à la population locale, et que d’autres industries viennent a sa suite s’établir dans Saint-Jean. Il est un fait remarquable, caractéristique de l’industrie textile: c’est que pour elle la décentralisation n’a rien d’une innovation. Un grand nombre d’usines textiles sont réparties dans des villes moyennes et petites, sises loin des grandes régions métropolitaines. L’industrie textile s’impose comme un facteur économique viable et valable dans la vie de l’ensemble de la province. Une telle industrie déjà décentralisée – qui démontre qu’elle peut construire et opérer des usines modernes et rentables dans une multitude de localités – constitue un excellent élément de l’effort que déploie le gouvernement que je dirige pour étendre à toutes nos régions les avantages de l’industrialisation.
[QLESG19651021]
[Inauguration de la Place Victoria À publier après 7:00 p.m. MONTREAL le 21 octobre 1965 Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec]
C’est avec le plus grand plaisir que j’ai assisté cet après-midi à l’inauguration du nouvel immeuble de la Bourse, la Place Victoria. Ce nouvel immeuble symbolise, à mon sens, la vitalité que le secteur privé de notre économie ne cesse de manifester. Depuis quelques années, on a parfois voulu opposer les objectifs économiques que le gouvernement du Québec poursuivait et ceux des intérêts privés, qui ont joué un rôle si important dans le développement de cette province. À plusieurs reprises, j’ai souligné qu’une telle opposition ne pouvait pas et ne devait pas exister. En fait, ce que le gouvernement du Québec a entrepris depuis quelque temps doit normalement permettre de donner à notre économie un cadre et une impulsion crue les entreprises envisageront comme une nouvelle incitation à se développer et à s’étendre. D’ailleurs, traiter séparément de l’organisation du secteur privé et de celle du secteur public, c’est déjà risquer de provoquer une incompréhension dommageable et parfaitement inutile. En effet, les grandes économies modernes ne sont pas efficaces parce que toutes les décisions importantes sont concentrées entre les mains d’intérêts privés et elles ne sont pas efficaces non plus lorsqu’on cherche à concentrer ces décisions entre les mains de l’État.
C’est par la liaison, l’harmonisation et l’équilibre des décisions émanant de ces deux grands secteurs de notre économie que nous pouvons espérer construire une société où le plein emploi s’accompagnera d’une amélioration régulière du niveau de vie.
Depuis cinq ans, le gouvernement du Québec a amorcé un certain nombre de transformations économiques profondes. Pour en comprendre la portée et le rôle, il faut remonter un peu en arrière. On se souviendra qu’au moment où nous nous sommes engagés dans la voie actuelle, l’économie du Québec comme l’économie canadienne tout entière, sortaient péniblement d’une sérieuse récession. De 1957 à 1961, le revenu réel par tête au Canada a fléchi, alors que dans tous les autres pays industriels du monde, l’expansion continuait. Après l’extraordinaire croissance qui avait caractérisé l’après-guerre, le réveil était brutal.
En même temps, apparaissaient des problèmes d’aménagement régional que la prospérité ambiante avait longtemps masqués. Le chômage, en particulier, atteignait, dans certaines régions, des niveaux inacceptables et entraînait ainsi des dépenses de plus en plus lourdes pour les autorités publiques.
Il faut comprendre toutes les implications de cette situation pour apprécier l’urgence des décisions que le gouvernement du Québec a prises. Un certain nombre de politiques s’imposait et il n’était pas question d’attendre une génération ou deux pour y faire face. Néanmoins, il est apparu très vite que de telles politiques exigeaient la mise en place d’un certain nombre de leviers et d’instruments. Pendant quatre ans, le gouvernement s’est livré à cette tâche. La nationalisation des compagnies d’hydro-électricité a pu jeter les bases d’une politique rationnelle de l’énergie.
En créant la S.G.F., on a amorcé un certain nombre de transformations dans le domaine industriel et en particulier, on a cherché à faciliter la constitution d’unités de production plus grandes et plus efficaces. Le projet de sidérurgie permettra de combler une carence de la structure industrielle du Québec dont les conséquences avaient été sérieuses jusqu’à maintenant sur le développement de ce que, dans le sens le plus large, on peut appeler les industries mécaniques. En mettant au point une société d’exploration minière, le gouvernement du Québec va permettre d’activer et de diversifier la prospection et l’exploitation d’un des secteurs essentiels de nos richesses naturelles. En établissant la Régie des Rentes et la Caisse de Dépôts et Placements, le gouvernement dotera la province d’un réservoir considérable de capitaux, essentiels au financement non seulement de ses activités propres, mais aussi à celui des collectivités locales et du secteur industriel lui-même. Il faudrait en outre, pour avoir une idée juste des transformations qui se sont produites, tenir compte de toute une série d’expériences qui ont été faites dans d’autres domaines de l’activité gouvernementale: le reclassement de la main-d’oeuvre, par exemple, inauguré brillamment par l’expérience de Thetford Mines, ou bien encore, le regroupement des autorités locales, déjà fort avancé dans le cas des commissions scolaires et qui se dessine maintenant au niveau des municipalités. De même faudrait-il retracer l’amélioration appréciable de la coordination entre les services de l’État qui est un des problèmes les plus aigus des grandes administrations à notre époque et sans laquelle une politique économique et sociale active est terriblement difficile à soutenir. Néanmoins, ce n’est pas en forgeant des instruments aussi puissants soient-ils que l’on trace une telle politique. Il faut dégager certains objectifs, s’assurer qu’ils peuvent être atteints dans des délais raisonnables, puis mettre en branle tous les rouages dont le gouvernement dispose de façon à ce que ces objectifs soient atteints. Plusieurs de ces objectifs commencent à apparaître clairement. En premier lieu, il est devenu nécessaire de réorienter l’enseignement dans le Québec. Il faut, en particulier, que d’ici peu d’années, le marché du travail puisse être convenablement approvisionné en techniciens de toutes sortes et de tous les niveaux. Il est impensable que cette plaie qu’a été le chômage pendant si longtemps dans le Québec, puisse jamais disparaître si le degré de scolarisation et la préparation au travail ne sont pas considérés comme des objectifs prioritaires. Dans ce sens, l’enseignement technique et professionnel est appelé ` jouer un rôle de premier ordre au cours des années à venir.
En second lieu, il convient d’améliorer la nature et les modalités de tout le système de protection qu’un État moderne accorde à ses citoyens. Nous approchons rapidement d’une nouvelle ère où la sécurité de l’individu par rapport aux aléas de la vie et son degré d’adaptation exigent l’organisation de services qualitatifs, de réhabilitation – par exemple, ou de reclassement. Le troisième objectif a trait à la structure industrielle du Québec. Il faut, en somme, que l’on facilite le développement et, le cas échéant, l’apparition d’activités économiques qui soient en même temps celles qui engendrent les revenus les plus élevés et celles qui attirent à longue échéance une main-d’oeuvre importante. Il fut un temps où l’on croyait que les intérêts privés se concentreraient d’eux-mêmes dans de telles activités; on se rend compte de nos jours que cela n’est fait qu’en partie et que la croissance industrielle ne peut pas se passer de politiques intelligentes.
Enfin, un quatrième objectif a trait au développement régional. Depuis quelque temps, nous avons vu, au Canada, le gouvernement fédéral aussi bien que les gouvernements provinciaux, prendre une foule d’initiatives dans ce domaine; mais il n’y a pas eu de plan directeur pour associer toutes ces mesures. Cela est peut-être inévitable. L’aménagement d’une région exige la collaboration d’un très grand nombre de ministères et d’agences. Une telle collaboration est déjà difficile à établir à l’intérieur d’un seul gouvernement. Espérer qu’elle s’établisse entre plusieurs agents de deux niveaux de gouvernement ou même de trois, si l’on inclut le niveau municipal, est sûrement trop demander. C’est la raison pour laquelle le gouvernement du Québec a annoncé à la conférence fédérale-provinciale de juillet dernier qu’il préparerait lui-même un programme de réaménagement régional d’ici un an et qu’il en prendrait la responsabilité.
Cette tâche est urgente. Une région qui ne se développe pas convenablement et qui est marquée par un sous-emploi chronique, qui ne participe pas, en somme, aux grands mouvements de l’économie nationale est une région qui, pour le Trésor public, est terriblement coûteuse. Dans ce sens, le développement régional n’est pas seulement une mesure d’ordre social. C’est aussi une mesure d’efficacité économique. Un pays qui pourrait se vanter d’avoir un secteur privé hautement rentable mais qui serait aussi forcé d’utiliser des ressources publiques considérables pour se courir une partie de sa population, aurait finalement une économie totale bien peu efficace. La fiscalité y serait lourde et les intérêts privés y trouveraient sans doute moins d’incitations à y investir.
Telles sont, en définitive, les grandes voies dans lesquelles nous nous engageons. Ce sont les voies qui mènent non pas seulement à la prospérité de cette province, mais à la stabilité de la société qui la compose.
[Te understand correctly thèse policies and their meaning, one must set in parallel the attitudes that the Quebec
government maintains towards business. Now that it is in a position te carry out its responsibilities towards the economy as a whole, now that it has the necessary tools to fullfil its task, the government also recognizes that private business must be called upon te develop as many sectors of economic activity and as many ventures as possible. And te that purpose, restrictive policies towards business are net only uncalled for, they can only lead to a reduction in the growth of the economy.
It is quite impossible, in our days, te expect a government te feel no responsibility whatever towards the chape and the rate of growth. There are two ways it can carry thèse responsibilities. On the one hand, it can try te regulate private business by all sorts of legislative or administrative measures. In too many countries we have seen this sort of policy stifling business, increasing its costs, helping its administration te become more ponderous and less efficient. On the other hand, the government can try to organize the required instruments through which it can reach its goals and do the joh it has te do. Under such conditions, a government does net have te be restrictive towards business. On the contrary, it must understand and make clear that the more is invested and carried out by business, the better it is for the economy as a whole. Whatever new investments can be developed become valuable addition, that should not be hampered or oriented by too many controls or regulations, so as to bring them in fine with national objectives.
The government of Quebec has embarked upon the second course. While it does believe that the goals it has set for itself must be reached, it has also found the means to avoid applying extensive pressures to business, a not uncommon temptation in the western woorld of to-day.
Over the last three years, we have, on certain occasions, offered to business a partnership in new ventures. The remarquable success of the General Investment Corporation is witness that this kind’of cooperation is workable. But cooperation cannot be imposed. There may possibly be other similar attempts; it should at the outset be quite clear that, while there may be a wide field available for links between the private and the public sector, the former cannot be forced to participate in what it does not consider to be compatible with its main interests. The principles that are implied in what I have stated, until now, are relevant to appraise our position towards foreign capital. For many years, our country has been financed by external sources to an extent quite unknown in other western industrialized countries. As the influx of capital was increasing, it has raised among important segments of public opinion as well as among a number of our political figures, some strong misgivings.
Thus foreign capital has been presented both as a guarantee of prosperity and as a threat to national sovereignty; as the assurance of rapid technological change and as the first phase of a new form of colonialism.
At a time when governments in Canada felt strong responsibilities towards the stabilization of the economy, but few responsibilities towards its growth, emotional
reactions and for biddings were to be expected. After ail, some Canadians felt and still feel vulberable in a way that possibly they cannot define with precision but that is nonetheless real. However, in view of the policies conducted in Quebec at the present time, considering the levers that the authorities now have at their disposai to achieve a few essential objectives, it is obvious that we cannot in any way feel threathened by the influx of foreign capital and that, on the contrary, we consider it as a highly useful addition to the projects that Canadian private business and the public sector are each in their own fields, trying to achieve. There is no doubt that public opinion in Quebec, and particularly French Canadian opinion, reflect this attitude. There may have been a time when French Canadians felt on the verge of being submerged in capital flows over which they had no influence. And we have witnessed in the past strong emotional reactions that were the expression of this fear.
By helping to widen the access of French Canadians to major financial and industrial decisions, by offering to the French Canadian community some essential economic and social instruments, we are correcting the situation, and the population of Quebec is less and less preoccupied by the consequences of foreign investment. Thus, gradually, sober and more rational attitudes develop towards the remarquable benefits that the economy of Quebec draws and will go on drawing for a long time from foreign capital, techniques, and know
how. Obviously, we are interested in obtaining as much of these benefits from as many countries as possible. This attitude should not be considered as a reaction against what has been, until recently, our principal source of capital and techniques, that is against the U.S. We are not interested in reducing for any one the inducements to invest in our province. Discrimination against certain sources of capital have been tried elsewhere and have failed. At least as far as Quebec is concerned, the lesson has
been well taken.]
[QLESG19651112]
[Inauguration du Centre de Réadaptation À publier après 5h,00 p.m. Québec, le 12 novembre 1965 Hon, Jean Lesage, Premier Ministre]
L’événement auquel nous participons présentement est une manifestation du dynamisme et du progrès extraordinaire dont toute l’activité du Québec est empreinte ces temps-Ci. Le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger s’est toujours appliqué et s’applique chaque jour davantage à créer un climat propre à favoriser l’épanouissement de la vie économique, culturelle et sociale de toute la communauté québécoise.
Non seulement nous voulons ce climat dont bénéficient
les institutions privées et les individus, mais il est également de notre devoir, par l’activité des ministères et des organismes paragouvernementaux, d’améliorer constamment le sort de toute la population.
Notre population est, en très grande majorité, composée de salariés qui, pour une bonne part, bénéficient de la loi des accidents du travail.
Ces dernières années, nous avons considérablement élargi le champ d’application de cette loi. En effet, nous avons fait en sorte que tous les employés d’hôpitaux du Québec puissent se prévaloir de ses avantages, le cas échéant. Il en a été de même pour tous les travailleurs dont les industries étaient soustraites à l’application de la loi, en raison du nombre restreint de leurs employés. Plus récemment, nous avons posé le même geste pour tous les salariés du gouvernement du Québec et de ses divers organismes, de même que pour tous les salariés des municipalités et des commissions scolaires.
Sur le plan économique et sur le plan social, la loi des accidents du travail joue sûrement un très grand rôle. Pour l’ouvrier, un accident du travail, le moindrement sérieux, est une dure épreuve physique et morale, mais ce n’est plus la faillite, la misère ou la mendicité. L’ouvrier accidenté n’a pas un sou à payer pour tous les soins médicaux, chirurgicaux et hospitaliers que nécessite son état. Les trois-quarts de son salaire lui sont payés en compensation aussi longtemps que son accident le rend incapable de travailler. S’il subsiste une incapacité permanente, il y a compensation proportionnée à la perte d’intégrité physique. Toutes ces sommes insaisissables sont aussi exemptes d’impôts ! Aux réalisations de cette politique humanitaire vient maintenant s’ajouter le magnifique Centre de réadaptation que nous inaugurons aujourd’hui. Immeuble spacieux, ultra-moderne, muni d’un équipement dernier cri et administré par un personnel hautement qualifié, cette
institution vient compléter ce qu’il est convenu d’appeler la réparation des accidents du travail. À compter de maintenant, et pour de nombreuses années, c’est chez nous à Québec que se trouve ce qu’il y a de plus moderne et de plus complet en ce domaine,
La Commission des accidents du travail a compris que pour réparer le plus humainement possible les accidents il faut faire plus que verser des compensations de salaire et des indemnités, si généreuses soient-elles. La Commission des accidents du travail a fait construire ce Centre de réadaptation dans le dessein de mettre à la disposition des accidentés cette spécialité merveilleuse et relativement récente qu’est la médecine physique. On veut ainsi réduire le plus possible les limitations physiques qui découlent des accidents et faire en sorte que l’ouvrier blessé redevienne productif, qu’il puisse de nouveau gagner convenablement sa vie et celle des siens. Et pour que les ouvriers accidentés retournent à leur emploi ou à un nouvel emploi, on va non seulement faire en sorte qu’ils bénéficient d’une récupération maximum, mais encore on va compenser les inconvénients de l’incapacité résiduelle par la mise en valeur d’aptitudes latentes que les intéressés ne soupçonnaient peut-être même pas.
En effet, non seulement les ouvriers trouveront-ils ici des physiâtres, des physiothérapeutes et des moniteurs en rééducation physique, mais aussi une équipe composée d’un psychologue, d’un conseiller en orientation et d’une dizaine d’officiers de placement. Les accidents du travail tout comme les accidents de la route et les autres tragédies du genre sont des épreuves graves tant pour les victimes que pour toute la communauté. Je le rappelle pour ne pas m’accuser moi-même d’esquisser le paradoxe que dorénavant un accident du travail deviendrait une bonne affaire. Non, loin de là! Cependant, grâce à ce Centre de réadaptation et à l’initiative de la Commission des accidents du travail, certains accidents nous forceront d’inventorier toutes les aptitudes de l’ouvrier et de réorienter celui-ci avant de le remettre sur le
marché du travail. C’est alors que, le retrouvant dans un domaine plus approprié à sa personnalité, un domaine où il sera plus productif, où il s’épanouira davantage, on pourra raisonnablement se bercer de l’espoir qu’il est peut-être plus heureux qu’auparavant. C’est une consolation qui n’est pas toujours assurée mais dont la recherche idéale prouve que la science n’est jamais si noble que lorsqu’elle se met au service de l’humanitarisme, qu’elle a pitié non seulement du corps de l’homme mais aussi de son âme.
Comme nous sommes loin du concept d’une époque maintenant révolue où la société croyait avoir été très généreuse en versant un dédommagement monétaire quelconque à l’ouvrier accidenté, tout en l’abandonnant à lui-même avec son infirmité et tout son problème moral, psychologique et économique. L’inauguration de ce Centre permet à chacun de nous d’être les heureux témoins du tout début d’une ère nouvelle plus rationnelle et surtout plus humaine dans le domaine de la réparation des accidents du travail. Je déclare donc officiellement ouvert ce Centre de Réadaptation où les travailleurs et les employeurs du Québec n’auront sûrement rien à envier à ce qui se
fait ailleurs.
[QLESG19651114]
[Sorel, dimanche 14 novembre 1965 A publier après 7 h. P.M. Honorable Jean Lesage, Premier ministre]
C’est un lieu commun, aujourd’hui, que de parler de la transformation économique et sociale qui s’opère dans le Québec depuis quelques années.
Cette transformation dans le mode de penser des citoyens du Québec, cette prise de conscience collective de notre population a fait réaliser à tous les Québécois les immenses possibilités de développement économique et social qui s’offraient à eux. Le Québec, et les Canadiens d’expression française en particulier, se sont libérés de leurs complexes, se sont dégagés des mythes traditionnels qui les empêchaient de s’épanouir pleinement. Sans vouloir s’accaparer tout le mérite de cette transformation, je crois que le gouvernement que je dirige n’a pas été étranger à l’épanouissement de cette vigueur nouvelle du Québec Nous n’avons pas ménagé nos efforts, veuillez m’en croire. Depuis 1960 des centaines et des centaines de projets nouveaux ont été mis de l’avant ou réalisés en coopération avec le gouvernement du Québec.
Tout en respectant les intérêts privés et en sollicitant leur appui, nous avons cru que le rôle de l’État ne devait plus se restreindre à celui d’un arbitre qui regarde se dérouler la joute de la concurrence. Au contraire, nous avons voulu que le Gouvernement participe au jeu et rétablisse, lorsque le bien commun l’exige, un équilibre des forces mieux approprié au but même de l’activité économique, soit le bien-être du consommateurs Nous pouvons dire que notre collaboration au développement économique du Québec s’est effectuée à partir d’un triple palier. D’abord, nous avons voulu doter l’État du Québec d’un organisme susceptible de conseiller le gouvernement dans le choix de ses politiques de développement économique à long terme. C’est dans ce but que nous avons créé le Conseil d’Orientation économique. Simultanément, nous avons voulu donner au ministère de l’Industrie et du Commerce des services adéquats, capables de fournir aux investisseurs l’aide et les renseignements qui leur sont nécessaires à l’évaluation du contexte économique québécois. En somme, nous avons voulu que le ministère de l’Industrie et du
Commerce agisse comme un véritable promoteur industriel au niveau de la province.
3) Parallèlement au Conseil d’Orientation économique et à la restructuration du ministère de l’Industrie et du Commerce, le gouvernement a décidé de participer conjointement avec les intérêts privés, au développement industriel québécois et c’est dans ce but que nous avons mis sur pied la Société Générale de Financement.
Les efforts que nous avons déployés à partir de ce triple palier coïncident avec les buts du gouvernement libéral de pousser une action directe et soutenue pour
assurer une croissance économique harmonieuse correspondant à des objectifs à long, moyen et court termes.
Les efforts conjugués des divers ministères, et en particulier celui de l’Industrie et du Commerce, joints à ceux du Conseil d’Orientation économique et de la Société Générale de Financement ont fait en sorte que du premier janvier 1961 au premier juillet 1965, 2835 nouvelles industries ont été mises sur pied dans le Québec. La revue de l’emploi publiée par le ministère de l’Industrie et du Commerce ces jours derniers nous montrait que 81000 nouveaux emplois avaient été créés au cours des neuf premiers mois de 1965, comparativement au niveau d’emploi pour la même période en 1964.
Non seulement l’économie québécoise a-t-elle absorbé les dizaines de milliers de nouveaux venus sur le marché du travail mais son essor a permis une diminution sensible du chômage.
C’est un essor fantastique pour le Québec. Toutefois cet essor, il n’aurait certes pas été possible si, à l’initiative gouvernementale ne s’était pas greffé ce support loyal et soutenu que nous avons reçu de la population québécoise. Nous décelons un désir manifeste de chaque citoyen, qu’il soit ouvrier, cultivateur, professionnel, industriel ou commerçant, de voir le Québec s’affirmer de plus en plus comme une puissance industrielle et atteindre la véritable stature de l’État moderne. Un Québec moderne ne peut pas se concevoir sans qu’il y ait une participation active et une contribution positive de chacune de ses régions au développement économique global.
La région de Sorel qui constitue un pôle naturel d’attraction au point de vue économique et commercial n’a pas été étrangère à l’essor que connaît le Québec. Depuis 1960 votre région a bénéficié de l’établissement de plusieurs entreprises et pour n’en nommer que quelques-unes, je soulignerai les investissements importants de: Atlas Steel Company Limited, Tioxide du Canada Limitée, Shawinigan Engineering Company Limited.
Comment pourrais-je passer sous silence l’importante transaction effectuée par la Société Générale de Financement concernant le groupement de Marine Industries, de Volcano et de Forano.
Voilà trois importantes compagnies contrôlées par des capitaux québécois qui dans un esprit de solidarité et motivées par un souci d’efficacité ont groupé leur potentiel humain et financier sous la grande tente de la Société Générale de Financement. Permettez-moi de rendre hommage à ces industriels québécois: les Simard, les Girouard et les Forand qui à un tournant historique de la vie de leur entreprise familiale respective ont décidé, plutôt que de vendre à des capitaux étrangers, ou de continuer à faire cavalier seul, ont décidé dis-je de poursuivre leur activité à l’intérieur d’un complexe industriel plus vaste, contrôlé par des capitaux québécois. Nous pouvons dire maintenant que, grâce à la fusion de ces compagnies sous l’égide de la Société Générale de Financement et à la participation de cette dernière au développement de la sidérurgie, c’est tout un secteur de notre industrie primaire et secondaire qui est sous l’influence certaine des citoyens de cette province soit directement comme actionnaires ou indirectement par l’entremise de la participation financière du gouvernement à la Société Générale de Financement.
La région de Sorel qui tonnait déjà un essor remarquable n’a pas été longue à bénéficier de cette fusion des trois entreprises plus haut citées. En effet, Marine Industries annonçait qu’elle allait entreprendre la fabrication de turbines et d’alternateurs hydrauliques dont l’Hydro-Québec a besoin pour ses barrages de la Manicouagan. Le nouvel atelier qui sera appelé à construire ces turbines nécessitera des investissements de l’ordre de $ 2500000 et fournira du travail à plus de trois cents personnes.
Tous ces développements économiques et industriels nécessitent et présupposent une infrastructure socio-économique adaptée aux besoins d’une société industrielle en plein essor. Le gouvernement que je dirige n’a pas ménagé ses efforts afin de faire en sorte que toutes les régions du Québec, y compris celle de Sorel bénéficient de ce climat favorable au développement industriel.
C’est dans ce but que le gouvernement du Québec a décidé de doter la région de Sorel d’un institut de technologie d’une capacité pédagogique de 700 élèves. L’Institut technologique de Tracy complète, dans son ensemble régional, l’enseignement donné à l’école des métiers de Sorel et préparera conjointement avec l’Institut de technologie de Trois-Rivières, des techniciens spécialisés en métallurgie. De plus, le gouvernement du Québec a octroyé, en collaboration avec le gouvernement fédéral, un montant de $1500000, pour la construction à Tracy d’un centre d’apprentissage des métiers de la construction. Ce centre d’apprentissage qui desservira les comtés de Richelieu et de Verchères pourra accommoder une centaine d’étudiants aux cours réguliers et servira également aux ouvriers en construction qui veulent se perfectionner par des cours du soir.
Toujours pour faciliter un climat plus favorable au développement économique, nous avons décidé la construction sur le Richelieu d’un pont devant relier Sorel et Tracy. Il s’agit là de travaux de grande envergure au coût approximatif de plus de $7000000. Il faut aussi songer au réseau routier de la région économique. Un pont sur la rivière Yamaska entre les municipalités de St-Aimé et de StMarcel dans le comté de Richelieu permettra l’amélioration du réseau routier reliant les villes d’Yamaska et de St-Hyacinthe
et favorisera les communications entre Sorel, Drummondville et St-Hyacinthe.
La région de Sorel connaît actuellement une croissance démographique assez rapide. Cette croissance démographique est particulièrement attribuable à l’implantation d’industries nouvelles et à l’expansion des industries déjà existantes. Par suite de cette augmentation de la population, le gouvernement du Québec a décidé d’accorder une subvention pour la construction d’une école d’infirmières. Il faudra aussi éventuellement permettre l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu de Sorel.
Plusieurs autres travaux sont actuellement en cours dans la région et dans l’ensemble du comté et d’autres projets sont à l’étude tels par exemple la voie rapide Montréal-Sorel et la construction d’un centre culturel à Sorel et un autre à Tracy, en vertu de la loi de la célébration du centenaire de la Confédération. Comme vous pouvez le constater, ça bouge au Québec et la région de Sorel, grâce à la collaboration de son député, mon collègue et ami l’honorable Gérard Cournoyer, et au dynamisme des dirigeants des divers conseils municipaux, la région de Sorel dis-je, participe pleinement au développement économique que connaît notre province et vous pouvez envisager l’avenir avec confiance.
[QLESG19651119]
[Ouverture Congrès Fédération Libérale du Québec Vendredi, 19 novembre 1965 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre
A publier après 9h. P.M.]
Au début de mes remarques, je voudrais souligner un événement qui fut pour notre province et notre parti d’une importance capitale. En effet, nous sommes à quelques jours seulement du 14 novembre, date du troisième anniversaire d’une des victoires électorales de notre partie Pour nous libéraux, le 14 novembre c’est donc le souvenir d’une victoire éclatante, souvenir d’autant plus cher que dans
cette lutte électorale nous y avions mis le meilleur de nous-mêmes.
Cette victoire de notre parti était aussi importante parce que le peuple du Québec, en nous appuyant, avait décidé de prendre en main le contrôle de l’exploitation et de la distribution de l’électricité au Québec. Cette décision de l’électorat québécois marquait une fois de plus son désir de voir son gouvernement orienter d’une façon rationnelle et harmonieuse le développement économique de la province.
Vous vous rappelez notre slogan de 1962: « Maîtres chez nous ». Ce slogan, ce leitmotiv ne constituait-il pas en lui même tout un programme ? Ne signalait-il pas le but véritable vers lequel tendent les libéraux du Québec? « Maîtres chez nous » n’est ce pas pour nous libéraux l’étoile qui a guidé nos efforts depuis la fondation de la Fédération et plus particulièrement depuis 1958 où tous ensemble nous entreprenions cette marche vers la victoire ? Enfin, « Maîtres chez nous » n’est-ce pas le moteur, l’âme, l’essence même de ce que l’on est convenu d’appeler aujourd’hui la « Révolution tranquille » du Québec ? « Maîtres chez nous » concrétise en quelque sorte les aspirations les plus profondes des libéraux et de toute notre population.
Mes amis, ce troisième anniversaire de notre victoire de novembre 1962 doit constituer pour nous un encouragement à poursuivre l’oeuvre de rénovation que nous avons entreprise. Le peuple du Québec nous appuie et ce soutien constitue notre plus grande
récompense et le meilleur encouragement que notre parti puisse désirera.
A la séance d’ouverture de chaque congrès plénier du parti, je me suis toujours fait un devoir de respecter l’engagement d’honneur que j’ai pris, le 9 septembre 1958, de rendre compte de mon mandat aux États généraux de mon parti et de demander aux délégués réunis en congrès un vote de confiance. C’est avec fierté et satisfaction que je me présente aujourd’hui devant vous. J’ai l’impression que depuis notre dernier congrès, le parti que je dirige et le gouvernement qui est issu de ce parti ont à leur crédit des réalisations de nature à stimuler la fierté des libéraux et à accroître la confiance des Québécois dans leur gouvernement.
Puis-je, sans trop de présomption, oser dire que mes activités au cours de la présente année ont été nombreuses et variées? Les journaux vous les ont relatées en détail.
Toutefois, permettez moi de vous dire qu’une des tâches qu’il m’a été donné d’accomplir au cours de la présente année est particulièrement vivante dans ma mémoire. Vous avez sans doute deviné que je veux parler de la tournée que j’ai effectuée dans l’Ouest canadien et dans l’Ontario.
Ce voyage m’a donné l’occasion de vivre une expérience des plus enrichissante. J’ai vécu pendant près de trois semaines et d’une
façon intense les problèmes, les difficultés et les espoirs de la Confédération canadienne.
Vous dire que certaines de mes idées sur le Canada et surtout sur la rapidité de l’évolution constitutionnelle canadienne ont changé, je le pourrais. Cette expérience me force à m’interroger sur la situation présente et à me demander si nous sommes prêts à envisager une évolution constitutionnelle rapide. Canadiens d’expression anglaise et Canadiens d’expression française se connaissent-ils suffisamment? Sont-ils suffisamment sensibilisés aux problèmes et aux aspirations de leurs groupes ethniques respectifs? Nous du Québec, nous entendons-nous suffisamment sur nos aspirations pour nous asseoir autour d’une table de conférence et rédiger un texte constitutionnel qui réponde à nos désirs? Si, à la limite, nous du Québec, étions suffisamment préparés à dire a la majorité d’expression anglaise ce que la majorité d’expression française désire, à fournir a la majorité de langue anglaise la liste détaillée qui apporterait une réponse au fameux: [« What does Quebec want? »], à ce moment, la mentalité des Canadiens de langue anglaise serait-elle suffisamment préparée à accepter nos revendications? Parmi les choses que le Québec veut, il y a justement celle qu’on ne lui pose plus cette question empreinte de condescendance que je veux qualifier de l’adjectif anglais [« patronizing ». Furthermore, we in Québec are living through a period of readjustment and sweeping change; I dare say there is no institution which has escaped our searching re-examination. In a way, we are experiencing a « Renaissance » of our own. We want to take a fresh look at Confederation and make it so that our two majorities will join forces to build a new Canada in which the rights of each will be fully respected. The
course taken by Canadian Confederation until now has led to a vertical view of Canada; the vertical view assumes that our country owes its being to a union of ten provinces under a strong central government, an arrangement which lends itself to dialogue between eleven governments, rather than between the two founding groupe.
This vertical approach to Confederation received great encouragement from the distressingly negative attitude adopted by the Québec Government during the post-war years. During that period, instead of asserting the rights of Canada’s French-speaking majority, the National Union party was content to sulk and veto every proposal from Ottawa, without making the effort that we have made to offer solutions more satisfactory than the original federal poli
cieso Sulking, as everyone knows, is a mark of immaturity and an open invitation to the other fellow to dismiss you lightly!]
Devant cette situation, que devons-nous faire? Dialoguer, favoriser les échanges de points de vue, réfléchir, en définitive viser par tous les moyens à ce que les Canadiens d’expression française et les Canadiens d’expression anglaise puissent se mieux connaître. De cette connaissance mutuelle se dégageront les grands principes de base que les deux majorités accepteraient et qui pourraient inspirer la rédaction d’une nouvelle constitution. Combien de temps tout cela prendra-t-il? Je l’ignore. Chose certaine, c’est que le Québec devra toujours garder à l’esprit deux choses: d’abord le contexte économique nord américain dans lequel il sera obligé d’évoluer, peu importe le mot à mot du texte constitutionnel qui le régira, et ensuite le fait qu’il est, à l’intérieur de la Confédération canadienne, le point d’appui du Canada français tout entier. Déjà, de notre propre réflexion, certaines idées maîtresses commencent à se dégager: Une proportion de plus en plus considérable de nos concitoyens croient que le Québec devra en fin de compte jouir d’un statut particulier à l’intérieur de la Confédération: celui d’une majorité dans une majorité Et, je pense ici au pittoresque expressif des mots anglais: [« Builtin »]. Nous sommes [« built-in »] dans un continent anglo-saxon. Nous y sommes un phénomène permanent.
Une telle Confédération renouvelée devra garantir à nos minorités françaises à travers le Canada le respect de droits égaux à ceux qui sont accordés à la minorité anglaise du Québec.
L’unité canadienne doit être fondée sur une diversité permettant l’épanouissement de la langue et de la culture des deux majorités et respectant la culture des nombreux groupes ethniques qui habitent ce pays.
Pour d’aucuns, ces idées maîtresses symbolisent des conditions, vitales pour le groupement de langue française, conditions sans lesquelles il lui serait illusoire de chercher à vivre et à s’affirmer au Canada. Pourtant, même si l’on commence à voir plus clair dans tout le problème constitutionnel, je ne crois pas que l’on ait encore trouvé les mots, les phrases, les points et les virgules qui nous permettraient d’entreprendre, autour d’une table de conférence, la tâche ardue d’écrire une nouvelle Constitution consacrant nos aspirations.
Le chemin à parcourir pour atteindre ce but sera difficile et les solutions acceptables de part et d’autre ne pourront pas être dictées par la démagogie. Il nous faudra de la patience, de la prudence et, par dessus tout, beaucoup de fermeté et de compétence. Comme je l’ai souvent dit, demeurons fermes dans nos revendications, mais de grâce que notre impatience ne soit pas la cause d’une rupture définitive D’un autre côté, méfions-nous d’une certaine complaisance qui serait la cause de retards indus à la solution de nos problèmes constitutionnels.
Notre victoire (et seuls les exploiteurs professionnels du désordre me chicaneront sur ce terme), elle se bâtit jour après jour. Après chaque gain que l’on réussit à obtenir, il nous faut poser des crans d’arrêt inamovibles qui nous permettent d’éviter les retours en arrière, qui nous servent également de point d’appui pour des étapes additionnelles, et qui sont, si vous me permettez une comparaison tout à fait de notre époque, les divers étages d’une fusée qui sera placée en orbite.
Il faut en somme nous assurer que ce que nous avons gagné de haute lutte ne nous sera pas ravi le lendemain. Une élémentaire prudence nous dicte cette stratégie; notre désir de réussir nous engage à l’adopter.
Notre action législative au cours de la dernière session a été l’une des plus importantes depuis notre accession à la tête du gouvernement québécois, le 22 juin 1960. J’oserais dire que les lois qui ont été adoptées entre le mois de janvier et le mois d’août 1965 ont marqué un des tournants les plus importants que l’économie du Québec ait connus depuis la Confédération. Une rapide énumération des lois qui ont été adoptées nous l’indique d’ailleurs clairement: Le Régime de rentes, la Caisse de dépôt et placement, SOQUEM, la création du ministère de la Justice, le nouveau Code de procédure, l’adoption d’une nouvelle carte électorale et les amendements importants à la Loi électorale, voilà en vrac un court résumé des décisions législatives les plus importantes qui ont été prises. Je crois qu’au point de vue économique les deux premières lois que je viens d’énumérer sont de nature bien spéciale.
La Caisse de dépôt et placement est appelée à devenir l’instrument financier le plus important et le plus puissant que l’on ait eu jusqu’ici au Québec. Alimentée initialement par les dépôts de la Régie des Rentes, la Caisse doit atteindre un actif de 2.6 milliards de dollars en 1976 et de plus de 4 milliards d’ici vingt ans. En somme, une partie considérable de l’épargne des résidents du Québec va être accumulée par un organisme gouvernementale Dans ces conditions, la Caisse de dépôt et placement doit être orientée de façon à servir le plus efficacement possible les intérêts de ceux qui seront appelés à y déposer une fraction de leurs revenus. À cet égard, les intérêts de la population du Québec sont multiples. Il faut indiscutablement assurer aux dépôts la sécurité que l’on est en droit d’attendre d’un organisme convenablement géré. Il faut en particulier protéger les sommes accumulées contre l’érosion de la hausse des prix, contre l’inflation, – que le Canada, pas plus que les autres pays du monde, n’a pu éviter complètement. C’est pourquoi la Caisse de dépôt et de placement prévoit la possibilité d’investir une fraction appréciable de son actif dans d’autres titres que ceux qui ont une valeur fixe.
Les intérêts des Québécois ne s’arrêtent pas, après tout, à la sécurité des sommes qu’ils mettent de côté pour assurer leur retraite. Des fonds aussi considérables doivent servir au développement global du Québec de façon à ce que les objectifs économiques et sociaux de notre population puissent être atteints rapidement et avec la plus grande efficacité possible. En somme, la Caisse ne doit pas seulement être envisagée comme un fonds de placement au même titre que tous les autres, mais bien plutôt comme un instrument de croissance économique, comme le levier le plus puissant que notre province ait jamais eu. Cette accumulation d’une partie de l’épargne des Québécois dans la Caisse de Dépôt sera, par le paiement des rentes de retraite et des autres prestations prévues, redistribuée en partie dans l’économie québécoise servant ainsi d’élément régulateur du pouvoir d’achat des citoyens du Québec toute leur vie durant. Un pouvoir d’achat accru chez ceux qui ne produisent plus signifie une activité économique plus intense et plus stable sur une longue période. D’autre part, le régime de rentes que nous avons mis sur pied donne à chaque citoyen la possibilité d’envisager une retraite sereine, dégagée des soucis qu’occasionne à plus d’un titre une situation financière précaire.
Cependant en établissant au Québec un Régime de Rentes, il ne fallait quand même pas oublier les plans de retraite existants qui seront en quelque sorte superposés au plan de base que nous venons d’adopter. À cet effet la Législature a voté la loi des régimes supplémentaires de rentes dont les objectifs sont:
Améliorer les mesures de protection en vue de la retraite des travailleurs;
Augmenter la mobilité de la main-d’oeuvre en favorisant le transfert des régimes privés de pension;
Faciliter l’embauchage des travailleurs plus âgés;
Protéger les droits acquis des participants aux régimes de retraite qui seront modifiés par suite de l’établissement du Régime de rentes du Québec.
Avec l’adoption de cette loi concernant le régime supplémentaire de rentes, je crois que nous pouvons dire que l’établissement au Québec d’un Régime de rentes est un pas de plus vers la réalisation d’un plan de sécurité sociale complet à tous les niveaux.
J’aime à vous souligner que l’adoption de la loi qui mettait en force un Régime de Rentes au Québec concrétisait un autre point de notre programme électoral de 1960 lequel se lisait comme suit: « Un fonds général de retraite devra être constitué, fonds auquel contribueront les employeurs et les salariés. Ce fonds ne supprimera pas les fonds existants, mais viendra soit les compléter, soit garantir à un employé qui quitte son emploi la continuation de son fonds de pension dans le nouvel emploi qu’il occupera. » Comme vous voyez, le Parti libéral ne se guérit pas de la manie de tenir scrupuleusement ses promesses! Il lui arrive même de tenir les promesses des partis qui ont violé les leurs. Exemple, la nationalisation de l’électricité!
Parmi les autres initiatives gouvernementales qui s’insèrent dans le programme d’ensemble que nous sommes en train de réaliser, il faut souligner la décision qui a été prise de créer une aciérie à Bécancour. Cette décision revêt une triple importance: d’abord elle permettra au Québec de traiter sur place son minerai de fer, deuxièmement, l’installation à Bécancour de la sidérurgie concrétise nos objectifs de décentralisation économique. Enfin, cette réalisation va nous remplir de confiance en nous-mêmes du point de vue de l’industrie lourdes J’espère que vous ne m’accuserez pas d’administrer la Province avec des jeux de mots, si je me permets le premier calembour qui aura été fait depuis six ans dans le bureau que j’occupe: ce complexe sidérurgique va nous décomplexer!
Une importante législation qui a été adoptée au cours de la dernière session est celle de la révision de la loi des mines et surtout la création de la Société québécoise d’Exploitation minière mieux connue sous le nom de SOQUEM. Cette nouvelle initiative gouvernementale permettra à l’État du Québec de participer à l’exploration de son territoire minier tout en lui offrant les perspectives d’une action directe ou conjointe dans l’exploitation des gisements qui seront jugés les plus rentables. SOQUEM nécessitera des investissements annuels initiaux de la seule part du Gouvernement de l’ordre de $1500000. Elle procédera à un inventaire complet du sous-sol québécois afin de connaître exactement l’ensemble de nos possibilités minières Sans diminuer l’importance des autres législations qui ont été adoptées: tels le nouveau code de procédure, la nouvelle carte électorale et les amendements apportés à la loi électorale, la création du ministère de la Justice dont les effets bénéfiques n’ont pas tardé à s’imposer, grâce à l’habileté de notre ministre de la Justice, l’honorable Claude Wagner dont la conscience exceptionnelle promet,croyez-en ma prédiction facile, de grandes satisfactions à ceux qui ont faim et soif d’honnêteté, sans diminuer l’importance de ces lois, dis-je, je voudrais m’attarder un peu sur une décision gouvernementale qui a été prise le 27 juillet dernier lorsque par un arrêté du Conseil nous avons formé une Commission Royale d’Enquête sur l’Agriculture au Québec
Cette décision gouvernementale faisait suite à une demande expresse du dernier congrès de la Fédération libérale du Québec qui suggérait au gouvernement la formation d’une telle commission, À la suite de la Fédération libérale du Québec, l’Union catholique des
Cultivateurs nous avait adressé une demande similaire.
Ici, permettez-moi de rendre hommage à la Commission politique de la Fédération et en particulier à son dévoué président M. Réal Therrien qui, à la suite de nombreuses sessions d’étude, soumettait au Conseil des ministres un rapport complet et détaillé sur ce que devait être le mandat de la Commission Royale d’Enquête sur l’Agriculture.
D’ailleurs, je dois dire que le rapport de la Commission politique nous a fortement influencés dans l’établissement du mandat de la commission. Si vous relisez attentivement l’arrêté du Conseil numéro 1422, vous vous rendrez vite compte qu’en des termes plus concis, nous avons intégré dans le mandat de la commission plusieurs des recommandations que nous avait faites la commission politique.
La Commission Royale d’Enquête sur l’Agriculture a également suivi de quelques mois la parution du fameux livra blanc publié par le Ministère de l’Agriculture et de la Colonisation. Le Livre blanc sur l’Agriculture soulignait d’abord la complexité et l’universalité du problème agricole dans le monde. D’autre part, ce document énumérait l’ensemble des politiques agricoles que le gouvernement du Québec devait adopter en vue d’apporter des remèdes a court et à moyen termes aux besoins pressants des agriculteurs québécois.
Qu’il me soit permis de passer rapidement sur cet important sujet étant donné que je consacrerai la presque totalité de mon discours de clôture du présent congrès à l’agriculture et à l’économie du milieu rural en général. Je m’en voudrais cependant de ne pas souligner que les efforts du ministère de l’Agriculture et en particulier ceux de son titulaire, mon collègue l’honorable Alcide Courcy, ont été très bien secondés par les nombreuses sessions d’étude que la Fédération libérale du Québec a tenues dans les diverses régions de la province au cours de la présente année. Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’oeil rapide sur le volumineux cahier des résolutions qui seront soumises à l’étude de ce congrès pour se rendre compte que les dirigeants de la Fédération et en particulier ceux de la commission politique ont réellement pris au sérieux l’étude du thème du congres de cette année: « L’économie rurale dans un Québec moderne ».
En terminant, je voudrais vous remercier tous, collaborateurs essentiels que vous êtes, de l’appui sans réserve que vous m’avez donné au cours de la dernière année Je veux remercier l’exécutif de la Fédération de son magnifique travail – je remercie d’une façon spéciale mon ami de toujours le Dr. Lapierre dont le dévouement et la diplomatie sont tellement appréciés par tous les libéraux. De notre côté, les membres du Conseil des ministres et les députés libéraux, nous avons été heureux de collaborer aux travaux de l’exécutif de notre fédération ainsi qu’au succès des congrès régionaux dont, il y a quelques instants, notre président a parlé.
L’encouragement que vous me donnez me permet de poursuivre sans relâche le travail que j’ai à accomplir comme chef de parti et comme chef de gouvernement. Certes, notre parti compte à son crédit, depuis 1960, des réalisations de grande envergure.
Cependant, ce qui reste à faire est encore immense et plus que jamais le chef de votre parti a besoin de votre support, de votre collaboration, de vos suggestions, du meilleur de votre pensée sociale éclairée par la générosité d’un coeur libéral.
Si votre collaboration et votre appui me sont assurés, comme je le crois, et comme en témoignent les nombreuses lettres qui affluent à mon bureau, nous pourrons tous ensemble oeuvrer dans le sens du progrès économique et social de notre Québec, dans le sens du respect de la personne humaine, dans le sens des libertés fondamentales des citoyens, nous pourrons, pour tout résumer en un mot qui prouve que nous avons pensé juste et travaillé honnêtement, nous pourrons poursuivre en ligne droite la route où nous nous sommes ensemble mis en marche en 1960!
[QLESG19651120]
[Canadian Italian Business À publier après .7h,30 P.M. Professional Men’s Association Montréal, 20 novembre 1965
Hon, Jean Lesage, Premier Ministre.]
A mon retour d’Italie, il convenait que ce fût par votre intermédiaire que je renoue avec l’importante communauté italienne de Montréal
Comme vous le savez, je suis allé à Milan pour inaugurer, avec mon collègue le Ministre de l’Industrie et du Commerce, le bureau du Québec, qui est destiné à favoriser l’accroissement des échanges entre l’Italie et notre province. Dans la mesure où de tels échanges sont facilités par l’amitié existant entre les peuples, il n’y a pas de doute que l’optimisme est justifié quand on pense à l’avenir des relations entre l’Italie et le Québec.
Les liens entre nos populations sont en effet très cordiaux. Des milliers de Québécois prennent chaque année le chemin de Rome et de toute l’Italie, tandis que de nombreux Italiens font chaque année du Québec leur nouvelle patrie. Le mouvement des hommes d’un territoire à l’autre est considérable et les profits qui en découlent de part et d’autre sont inestimables. L’horizon Québec-Italie est sans nuage et l’amitié des deux peuples semble assise sur des •fondements inébranlables.
Mais il faut bien admettre que les relations économiques entre deux peuples obéissent également à d’autres facteurs, dont l’un des plus importants est la conscience que l’un et l’autre possèdent de leurs possibilités d’échanges dans les domaines commerciaux et financiers.
L’image que se font généralement les Québécois de l’Italie leur est fournie avant tout par la publicité ou l’expérience touristiques. On a dit et répété que l’Italie est le paradis du tourisme. Il est peu de pays, en effet, qui réunissent en si peu d’espace tant de richesses artistiques, tant de sites émouvants.
Il y a d’abord Rome qui, par son prestige millénaire, brille sur l’univers entier. Cette ville, dont les nobles façades reflètent la grandeur d’âme, renferme plus de monuments que n’importe quelle autre ville du monde. L’historien y trouve un instrument unique de connaissance et l’artiste une source inépuisable d’inspiration.
Puis, il y a Florence, que certains préfèrent à Rome. Florence est la mère de l’Europe moderne. Elle a conservé, à côté d’édifices et de places qui évoquent la splendeur de son passé, une atmosphère d’élégance, de quiétude et de douceur qu’on ne retrouve sans doute nulle part. Florence est un asile pour les poètes, les artistes et tous ceux qui, en ce siècle agité, cherchent la sérénité, et la paix. D’ailleurs, cette ville est le coeur d’une contrée, la Toscane, qui est un modèle d’harmonie et de sobriété, où a germé la pensée généreuse de l’un des plus grands saints de la chrétienté, François d’Assise.
Il y a Rome. Il y a Florence et la Toscanes Mais il y a aussi d’autres villes et d’autres régions en Italie, où le visiteur aime à s’arrêter et à jouir des paysages lumineux dont la Méditerranée s’entoure depuis les âges les plus reculés. Je songe principalement à Venise, porte de l’Orient; à Naples et à la côte almafitaine; au sud de l’Italie, d’où nous sont venus tant de valeureux concitoyens; à la Sicile, vieille terre de culture où j’ai passé l’automne dernier une semaine inoubliable. Je ne puis évidemment prolonger cette énumération qui, pour être complète, devrait faire l’objet d’une longue causerie. Mais, je m’en voudrais de ne pas rappeler que, derrière ces villes et ces sites, il y a un passé glorieux, dont est née l’Europe moderne, et qui a façonné tout l’Occident.
Ce que le monde doit à l’Italie est inappréciable. Si d’Annunzio a pu s’écrier: « Europe, sans toi le monde serait seul », on peut lui rendre la politesse en ajoutant: Italie, sans toi, ni l’Europe ni le monde ne seraient ce qu’ils sont. Rome a donné à la chrétienté latine son visage et sa pensée. Florence a donné à l’Europe la culture dont celle-ci ne cesse d’alimenter l’univers. Venise et Gênes ont été à l’origine d’échanges et de découvertes qui ont largement profité à la civilisation.
La peinture et la musique, l’architecture et la sculpture ont atteint en Italie des sommets inégalés. Le patrimoine italien est devenu celui du monde entier. En foulant chaque année le sol de l’Italie, c’est un retour aux sources qu’effectuent les millions d’étrangers venus de tous les coins de l’univers. En un mot, tout Occidental, voire tout être humain qui a la conscience du passé sait qu’une partie de lui-même a été jadis conçue en Italie et qu’il la transmet lui-même en transmettant la vie. Pourtant lors du voyage que j’ai fait récemment en Italie, je ne me suis arrêté dans aucune des villes dont je viens de parler; je n’ai visité aucun des sites ni aucun des monuments que je viens de célébrer. C’est une autre Italie que je suis allé revoir, une Italie qui est loin d’être suffisamment connue au Québec; l’Italie économique dont le coeur est Milan. Oh! à propos, je vais mettre à rude épreuve votre amour de l’italien en vous disant deux mots dans cette langue. Je suis revenu de Milan avec un message particulier à votre intention [« Un vostro amico, il direttore dell’ufficio di Quebec a Milano Signor
Ettore Lanfranco mi incarica di salutarvi e si augura di ricevere una missione di vostri domini d’affari alla prossima fiera di Milano.]
On a beaucoup parlé du miracle allemand, puis du miracle français. Je voudrais vous exprimer, ce soir, l’admiration que j’éprouve pour l’essor de l’Italie. Votre terre d’origine a cessé d’être le parent pauvre de l’Europe occidentale. Dans le triangle constitué par les villes de Milan, Gênes et Turin se situe l’un des complexes industriels les plus puissants du monde. C’est là qu’avoisinent des industries sidérurgiques, mécaniques, chimiques, électriques et textiles faisant vivre des centaines de milliers d’ouvriers, dont la production contribue, par sa qualité, au bon renom de l’Italie à travers le monde. À Turin, la seule entreprise FIAT comptait, l’an dernier, plus de 125000 employés. On cornait mal à l’étranger, surtout en Amérique du Nord, la prospérité dont jouit l’Italie et l’importance de son expansion industrielle. Au cours de la dernière décennie, l’économie italienne a progressé à une allure vertigineuse. Jamais les Italiens n’ont consommé autant de biens, créé autant d’industries, effectué autant de travaux publics, développé autant de régions traditionnellement stagnantes.
L’écart séculaire entre le nord et le sud du pays est en train d’être comblé. L’on prévoit qu’il n’y aura plus de chômeurs en Italie dans une dizaine d’années. Bien entendu, le gouvernement italien a joué un rôle décisif dans l’avancement économique de l’Italie. Ainsi, grâce à la réforme agraire, à. [La Cassa del Mezzogiorno] et à certaines mesures fiscales, le Midi sous-développé connaît depuis une décennie une ère de progrès qui laisse entrevoir le jour, relativement peu lointain, où l’Italie sera délivrée du paupérisme. J’ai été particulièrement intéressé par le plan quinquennal préparé par le ministère des Finances d’Italie. Ce plan, qui vise dans l’ensemble à supprimer les écarts de production et de standard de vie entre le Midi et le reste du pays, cherche également à réduire la disparité de revenu entre les secteurs agricoles et non agricoles de l’Italie. Ce souci du gouvernement italien d’améliorer le sort des agriculteurs rencontre l’une des préoccupations majeures de mon gouvernement, qui veut doubler, d’ici 1975, le nombre des fermes rentables dans le Québec.
Le gouvernement de l’Italie démocratique n’a pas craint de s’engager dans la voie de la planification économique, qui est l’un des points essentiels de notre politique gouvernementale au
Québec. D’une part, il a évité d’exercer toute pression sur les entreprises privées dans le dessein d’orienter leurs activités; d’autre part, il a contribué, comme nous le faisons nous mêmes, à stimuler la production industrielle en y consacrant une partie de ses ressources financières.
Les résultats de cette heureuse intervention du gouvernement dans le secteur économique sont manifestes. Le progrès dont l’Italie donne l’exemple depuis une quinzaine d’années a abouti récemment à placer ce pays au rang des premières puissances commerciales du monde. Depuis cette année, l’Italie dépasse même le Canada en ce qui concerne la valeur de son commerce extérieur.
La présence de l’Italie sur les marchés internationaux est maintenant une puissante réalité. Parallèlement à l’effort qu’elle poursuit dans les pays en voie de développement, l’Italie investit des capitaux dans les pays déjà industrialisés. Au Québec, les placements italiens prennent de l’importance. Je voudrais rappeler ici que la Place Victoria, dont Montréal est déjà si fière, est due à des investissements essentiellement italiens.
Nous sommes très intéressés au Québec à recevoir des capitaux italiens. À côté des Québécois d’origine italienne qui contribuent à notre prospérité dans les divers secteurs de la vie économique, nous souhaitons la présence de placements italiens en quantité toujours croissante. Nous ne craignons pas les investissements européens; au contraire, nous les recherchons. Le Québec pourrait devenir pour les Italiens une terre de prédilection en Amérique du Nord. Nos deux peuples sont unis par de nombreuses et profondes affinités. L’ambiance familiale et sociale du milieu québécois offre plus d’un trait commun avec celle de l’Italie traditionnelle. Notre législation s’inspire de principes juridiques et philosophiques dont la source première est Rome. Nulle autre région de l’Amérique du Nord ne présente autant d’avantages à l’immigration italienne que le Québec.
C’est là que le dépaysement est le moins grand; c’est là que l’intégration culturelle est la plus facile. Je serai le premier à reconnaître que le Québec n’a pas toujours apprécié à sa juste valeur l’apport des immigrants. Il y a de cela plusieurs explications, dont certaines remontent aux événements survenus il y a deux siècles sur notre territoire et qui ont laissé des traces profondes dans l’âme de notre peuple. Mais nous sommes bien décidés aujourd’hui à opérer le déblocage complet de notre population et à l’orienter d’une façon irréversible vers un avenir neuf et prometteur.
En ce qui concerne l’intégration des Néo-québécois, nous sommes déjà à l’oeuvre. Le ministère des Affaires culturel les s’est saisi du problème et divers ministères lui prêtent leur concours dans la mise en oeuvre d’une politique visant à faire des Néo-québécois des citoyens à part entière. Les résultats de cette initiative ne devraient pas tarder à se manifester.
[Carissimi concittadini, voi svolgete un ruolo molto importante nella nostra vita economica e culturale. Questa sera colgo l’occasione per ringraziarvi della vostra attivita a favore dello sviluppo della nostra
Provinciao Il mio governo vuole essere alla stregua della fiducia che avete dimostrato verso il Québec e che ha reso possibile lo svolgimento di vari settori della nostra vita collettivao Carissimi concittadini, tante grazie per il vostro invito ed arrivederci !]
[QLESG19651127]
[Le Collège des Pharmaciens de la À publier après 9ho P.M. Province de Québec
Montréal, le 27 novembre 1965 Hon, Jean Lesage, Premier ministre]
Le diplôme que vous me décernez aujourd’hui et qui atteste mon inscription parmi les membres d’honneur du Collège des pharmaciens constitue pour moi un témoignage qui me touche vivement. Vous savez l’intérêt que j’ai toujours montré à l’endroit de tout ce qui peut soulager la misère humaine ou assurer une plus grande mesure de bien-être à l’ensemble de la population. Alors que le gouvernement actuel a décidé de prendre, au cours des prochains mois, les mesures nécessaires en vue de l’établissement d’un régime d’assurance-maladie, vous comprendrez que le témoignage d’une profession comme la vôtre, arsenal de la vaste armée qui lutte contre la maladie, est un encouragement très précieux.
L’assurance-maladie est une question à la fois complexe et délicate Pour cette raison, j’annonçais au mois de mars dernier la formation d’un comité de recherches auquel nous avons confié le mandat de compiler sur la question une documentation complète qui sera remise à un Comité conjoint de l’Assemblée législative et du Conseil législatif dont je proposerai la formation dès le début de la prochaine session. Donc le premier comité est composé de recherchistes, de documentalistes, mais le comité conjoint, grâce à ces travaux préliminaires, sera en mesure d’effectuer une étude approfondie de la question, et (j’insiste sur le point suivant que j’ai répété plusieurs fois mais que certaines personnes n’ont pas saisi), il permettra en outre à toutes les personnes et organismes intéressés de soumettre leurs opinions. C’est à ce Comité formé de législateurs que reviendra la tâche de formuler des recommandations au Gouvernement.
Depuis le printemps dernier, l’assurance-maladie a fait l’objet d’un débat soutenu sur la place publique. Le récent Congrès des Affaires québécoises, organisé par les étudiants de l’Université Laval, a permis en quelque sorte de faire ressortir la conclusion de ce débat. Je ne crois pas qu’il existe dans tout le Canada un seul fossile qui puisse contester la nécessité d’un régime d’assurance-maladie. Il faut donc maintenant passer à l’étude des modalités.
Devant une question si complexe, le gouvernement devait cependant déterminer si toute la population du Québec devait attendre la mise au point du régime général d’assurance-maladie ou bien s’il n’était pas nécessaire de procéder plus rapidement pour certains groupes particuliers.
Le nouveau ministre de la Famille et du Bien-être social, l’honorable René Lévesque, confirmait à l’occasion même de ce Congrès des Affaires québécoises notre décision. Nous nous proposons d’établir un régime de soins médicaux pour les personnes défavorisées dès le printemps de 1966. Cette mesure ajoutée à l’assurance-hospitalisation et aux mesures existantes relatives aux médicaments pour les personnes défavorisées, nous permettra en quelque sorte de faire le pont jusqu’à ce que le régime général d’assurance-maladie soit établi.
Ces développements, comme toutes les mesures de sécurité sociale que nous avons mises de l’avant depuis 1960 à partir de l’assurance-hospitalisation jusqu’à la mise en vigueur du régime de rentes du Québec le premier janvier prochain, donneront fort probablement l’occasion à plusieurs de dire encore une fois que le gouvernement glisse vers d’autres mesures socialistes. Eh bien, je rejette ce raisonnement vraiment trop facile et trop commode pour les réactionnaires ennemis du progrès, qui consiste à coller l’étiquette « socialiste », à tout ce qui contribue à l’épanouissement de notre population.
En toute justice, est-ce que l’action du gouvernement dans le domaine de l’éducation, du travail, de la santé, de la sécurité sociale n’a pas été le principal facteur de l’évolution rapide que connaît aujourd’hui le Québec? Désire-t-on plutôt retourner à l’époque où la hantise de la dépression économique torturait tous les esprits, où le chômage chronique était le destin fatal du monde du travail, où l’éducation était le lot d’un petit groupe favorisé, où la maladie signifiait pour les personnes qu’elle frappait dés difficultés financières insurmontables en plus de toutes les souffrances physiques et morales qu’elle traîne à sa suite? La réponse, à mon avis, est claire: personne ne désire réellement le retour à une période où l’homme n’était pas le frère de l’homme, où chacun s’efforçait de tirer son épingle du jeu et où le gouvernement, veilleur de nuit, se contentait de maintenir l’ordre pour que les privilégiés jouissent d’une bonne digestion.
Le mouvement rapide de la population vers les centres urbains et l’industrialisation ont comme conséquence que l’homme se trouve seul devant tous les risques. Une législation à caractère social adaptée aux besoins de la société entière et aussi à ses ressources constitue la seule solution possible.
Et cela m’amène à poser la question: jusqu’où doit aller l’action du gouvernement dans le domaine particulier de l’assurance-maladie? Mon intention n’est évidemment pas d’apporter à ce moment-ci une réponse définitive à cette question. Du reste, non seulement je n’ai pas en politique le livre du maître, mais je me méfie de ceux qui copient les réponses sans comprendre les problèmes! J’aime mieux, sans préjugés, chercher les faits, les grouper sans idée préconçue en les éclairant du désir d’être juste et humain.
J’aimerais cependant vous soumettre certaines réflexions qui laissent voir comment cette question, simple en apparence, est complexe en réalité et sous quel éclairage nous devons tous rechercher les éléments de la solution. Un examen sommaire des possibilités dans le domaine de la santé nous aide à nous rendre compte de l’illogisme qu’il peut y avoir à vouloir trop faire ou à vouloir agir trop rapidement. Trop faire n’est pas nécessairement plus désirable que faire trop peu.
En effet, supposons un instant que le gouvernement décide de n’intervenir en aucune façon dans le domaine de la santé, même dans des questions qui ont une dimension publique comme la prévention, le contrôle des maladies contagieuses, le contrôle des aliments, le traitement des affections mentales chroniques, etc. Dans une société urbanisée et industrialisée comme la nôtre, l’on peut imaginer la catastrophe qui résulterait d’une telle décision.
A l’autre extrême maintenant, supposons que le gouvernement décide de consacrer une part trop grande de ses ressources au domaine de la santé. Cela, par exemple, pourrait se produire si la population était continuellement soumise à des examens de dépistage des maladies, si la moindre affection donnait lieu à une foule d’examens des plus minutieux, si les séjours à l’hôpital étaient prolongés au maximum, etc. En fait, il est facilement possible de conclure qu’un tel état de choses pourrait mener à un engloutissement des ressources disponibles qui serait au détriment de notre société; sans compter que, comme le fameux docteur Knock de Jules Romains, nous mettrions toute la population au lit, puisque selon ce spécialiste excessif, « les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent! »
Il résulterait inévitablement de ce déséquilibre des inconvénients dans d’autres domaines essentiels tels que celui de l’éducation, de la modernisation de l’agriculture, du développement économique, de la recherche scientifique et médicale, de la construction des routes, etc. Ce n’est pas à un auditoire de pharmaciens que j’aurai besoin d’expliquer la nécessité rigoureuses des balances précises mais, en somme, entre les deux extrêmes que j’ai mentionnés, il existe un point critique où les ressources affectées à la santé déterminent le niveau maximum de bien-être de la société compte tenu des désirs et des besoins de la même société pour d’autres biens et services essentiels C’est ce point critique que nous devons essayer de définir. Une fois ce jugement établi, l’État en collaboration avec toutes les personnes et tous les organismes qui oeuvrent dans le domaine de la santé doit alors viser l’objectif qu’il a fixé.
La décision du gouvernement, annoncée récemment par le nouveau ministre de la Santé, l’honorable Eric Kierans, de suspendre pour quelques semaines les choix prioritaires quant aux investissements dans les hôpitaux, souligne bien l’existence du problème. Il est en effet nécessaire de faire périodiquement le point et d’évaluer comment les circonstances nouvelles peuvent modifier les plans à long terme et finalement de décider comment nos ressources toujours limitées peuvent être utilisées avec le maximum d’efficacité.
Il faut aussi songer à établir en plus des priorités dans les divers types de soins, les modes de financement qui devront être utilisés, les mécanismes de consultation et de collaboration, les modes de contrôle des abus toujours possibles, et à résoudre combien d’autres problèmes.
Devant la complexité de toutes ces questions, la préparation de la législation ne pouvait être réalisée par les moyens ordinaires. C’est pourquoi nous avons décidé de la confier à un Comité de législateurs. Les séances publiques de ce comité permettront à tous les organismes et personnes intéressés de faire entendre leurs vues et opinions. Le gouvernement et le Parlement devront naturellement assumer leur responsabilité qui dans notre système démocratique consiste à prendre les décisions ultimes et à tracer les lignes des politiques qu’entend se donner notre société. Une fois la politique établie dans le domaine de l’assurance-maladie, il nous faudra alors nous préoccuper de la mettre en application le plus efficacement possible. À mon avis, il sera alors essentiel de voir se réaliser les offres de collaboration qui nous sont parvenues des divers secteurs du domaine de la santé.
Déjà, le 5 novembre dernier, Monsieur le Président, vous déclariez à la presse que le Collège des pharmaciens se propose de présenter un mémoire au Comité conjoint pour exposer son opinion sur le rôle que le pharmacien peut et doit jouer dans le futur régime d’assurance-santé. Je profite de l’occasion pour demander à tous les autres organismes intéressés de suivre en cela l’exemple du Collège des pharmaciens et je les invite à se présenter devant le Comité conjoint dont je proposerai la formation tout au début de la prochaine session. Et j’ajoute ici que cette invitation s’adresse aussi à tous les organismes bénévoles qui, bien qu’ils oeuvrent souvent dans l’ombre, n’en sont pas moins essentiels. Leur action profondément humaine sera toujours nécessaire car il ne faudrait pas imaginer que l’assurance-maladie pourra résoudre tous les problèmes.
Le défi qui se pose au gouvernement et à tous ceux qui font la guerre à la maladie et à la misère, doit être relevée Le gouvernement entend faire son devoir, il compte sur la collaboration de tous et, dans ce domaine comme dans bien d’autres, donnera au peuple québécois le rang qu’il doit occuper parmi les nations évoluées. Le Québec, plus jaloux encore de sa grandeur morale que de toutes les autres grandeurs, ne s’interdit aucun rêve généreux: surtout celui qui satisfait à l’humanitarisme, à la charité, à la fraternité des hommes, c’est-à-dire à la justice du coeur.
[QLESG19651128]
[Dîner-bénéfice de la Fédération libérale À publier après 9 h, P.M, du Québec Montréal, dimanche 28 novembre 1965 Hono Jean Lesage, Premier ministre] Nous voici réunis pour un autre dîner-bénéfice de la Fédération libérale du Québec. Je n’ai pas à vous dire les raisons qui justifient les réunions de ce genre. Elles sont bien connues. D’ailleurs, depuis que ces rencontres ont lieu alternativement à Montréal et à Québec, j’ai tenu chaque fois à en souligner toute l’importance. Qu’il me suffise ce soir de rappeler que les dîners-bénéfice de la Fédération constituent l’un des moyens peut-être les plus efficaces d’assurer le financement démocratique de notre partie Cette façon de recueillir des fonds a permis à notre Fédération d’assumer rapidement l’entière responsabilité d’un nombre toujours croissant d’organismes permanents et d’activités régulières du parti dont j’ai l’honneur d’être le chef. Je pense, par exemple, à nos secrétariats de Montréal et de Québec, au journal « La Réforme », aux congrès de toutes sortes, ainsi qu’à une large tranche de notre publicité libérale.
Grâce à la réponse enthousiaste et généreuse que reçoit toujours de votre part l’appel de la Fédération, celle-ci est en mesure d’assurer son auto-financement de façon absolument démocratique. C’est donc dire qu’un pas très important a été franchi, au niveau de notre parti, dans la recherche d’une solution réaliste au problème que pose la source des fonds indispensables à l’action politique. Le gouvernement que je dirige a lui aussi fait sa part. Une nouvelle loi électorale, qui limite les dépenses et place tous les candidats et les partis « bona fide » sur un pied d’égalité, a été votée dès 1963° Nous aurions pu attendre d’avoir fait l’expérience d’une élection générale avant d’apporter certaines modifications à cette loi nouvelle qui prévoit également le remboursement par l’État d’une partie des dépenses permises. Toutefois, les six élections partielles qui ont eu lieu depuis 1963 – six élections qui ont été autant de victoires libérales – nous ont convaincus qu’il était dans l’intérêt général d’augmenter la partie remboursable par l’État des dépenses autorisées par la loi. Nous n’avons pas hésité à le faire même si les amendements qui ont été votés à la dernière session vont, en pratique, favoriser davantage les partis d’opposition que celui qui est au pouvoir.
On s’imagine bien cependant que l’auto-financement de la Fédération d’une part, et le remboursement par l’État de la plus large tranche des dépenses permises d’autre part, ne règlent pas entièrement le problème des fonds électoraux. Même si les dispositions de la nouvelle loi électorale réduisent sensiblement les obligations financières des partis « bona fide », ceux-ci n’en conservent pas moins certaines responsabilités vis-à-vis de leurs candidats et de la population en général, ne serait-ce que celle d’informer les électeurs du programme sur lequel ils entendent se faire élire.
[I spoke at some length on this aspect of the problem in the talk I gave et the benefit dinner held in Quebec last May, which I had entitled: « Cartes sur table »] As the text of that particular talk has been widely broadcast, I do not think it necessary to dwell upon it. I will simply remind
you of the more important rules which should be followed by anyone wishing to contribute to the Quebec Liberal Party to help it continue its beneficial work0 First of all: Apart from money obtained from open and public canvassing, such as tickets for benefit dinners and subscriptions for the TV séries: « Québec en marche », all other contributions should be made by instruments payable to the order of « The Royal Trust Company » or « The Montréal Trust Company ». Secondly: Contributions in cash are forbidden.
Thirdly: The only persons authorized to receive con tributions during the period between élections are the Financial Secretary, Mr. Roger Létourneau, of Québec, and his assistants, Messrs. René Hébert and Peter Thomson, of Montreala
Fourthly: At élection time, convassers may be appointed by the Financial Secretary who will provide them with identification papers to this effect, valid only during the period concerned.
It is well understood that it is strictly forbidden to accept at all times conditional contributions, or contributions made for the purpose of obtaining contracts from the government or with one of its branches or a Crown Corporation.]
Le Parti Libéral du Québec peut se féliciter avec raison d’avoir été le premier, et d’être apparemment encore le seul à avoir démocratisé son financement dans une si large mesure. Si l’on ajoute à cela la bonne volonté témoignée par le gouvernement dans la refonte de la loi électorale, on peut dire avec fierté que les libéraux ont fait plus en cinq ans pour assainir le climat politique dans notre province que tous ceux qui les ont précédés au pouvoir. C’est une réalisation dont le mérite revient d’abord et avant tout aux militants libéraux – à ceux qui ont édifié notre programme et ont convaincu le peuple de la nécessité de son application à ceux qui; ayant été élus au Parlement de Québec, se sont empressés de traduire dans les lois les engagements que notre parti avait pris envers les électeurs à ceux également qui, par leur action au sein de la Fédération, permettent que le parti renouvelle constamment sa pensée et son cadre, et poursuive avec toujours la même vigueur son oeuvre de démocratisation politique. Lorsqu’on parle du financement démocratique de notre parti, on ne saurait passer sous silence le magnifique travail que la Commission de finance a pu accomplir grâce à votre collaboration si généreuse. Au nom du parti, je vous en remercie bien sincèrement et j’offre mes félicitations chaleureuses au trésorier Jean Morin et à ses dévoués collaborateurs pour le succès toujours aussi magnifique que connaît leur heureuse initiative. La semaine dernière à Québec nous avons célébré, lors du congrès général de la Fédération, le troisième anniversaire de notre réélection. Le 14 novembre 1962 est une date qui demeurera dans l’histoire politique de notre province Elle symbolisera toujours la réalisation d’un rêve vieux de plus de vingt-cinq ans: l’intégration de notre réseau électrique par la nationalisation des compagnies privées d’électricité, que nous avons pu accomplir en quelque six mois seulement Il s’agissait là d’un mandat bien déterminé, bien précis qui venait compléter en quelque sorte celui que la population nous avait confié le 22 juin 1960 et que je résume en une devise qui est mon tonique quotidien: »Faire du Québec un État moderne ».
Il suffit d’un regard autour de soi pour constater l’ampleur des transformations dans notre province depuis cinq ans. Elles auraient suivi un rythme d’évolution beaucoup plus lent plusieurs d’entre elles ne se seraient même jamais produites sans l’action dynamique du gouvernement. S’il est survenu chez nous un changement de vie, c’est parce que le gouvernement a su purifier le climat vicié dans lequel notre population était maintenue de force par nos prédécesseurs. C’est aussi parce que le gouvernement a su faire preuve d’initiative et n’a pas craint de prêcher par l’exemple.
Ainsi, grâce aux efforts conjugués de divers ministères, et en particulier de l’Industrie et du Commerce, joints à ceux du Conseil d’Orientation économique et de la Société Générale de Financement, 2835 nouvelles industries ont été mises sur pied dans le Québec du premier janvier 1961 au premier juillet 1965. La revue de l’emploi publiée récemment par le ministère de l’Industrie et du Commerce nous montrait que 81000 nouveaux emplois avaient été créés au cours des neuf premiers mois de 1965, comparativement au niveau d’emploi pour la même période en 19640 Non seulement l’économie québécoise a-t-elle absorbé les dizaines de milliers de nouveaux venus sur le marché du travail, mais son élan a permis une diminution sensible du chômage.
C’est un essor extraordinaire et gigantesque pour le Québec, mais il n’aurait certes pas été possible si, à l’initiative gouvernementale ne s’était pas greffé ce support loyal et soutenu que nous avons reçu de la population québécoise Nous décelons un désir manifeste de chaque citoyen, qu’il soit ouvrier, cultivateur, professionnel, industriel ou commerçant, de voir le Québec s’affirmer de plus en plus comme une puissance industrielle et atteindre la véritable stature de l’État moderne. Jamais le Québec n’a connu une période aussi exaltante que celle que nous vivons depuis cinq ans. Partout règnent la confiance, l’optimisme et la volonté de s’affirmer. Un nationalisme généreux, par les garanties qu’il offre contre un racisme dépassé et desséché obtient l’adhésion de ceux-là mêmes qui seraient ses adversaires dans des climats politiques sans élévation de vues. L’esprit d’entreprise et l’action énergique du gouvernement de la province ont contribué pour beaucoup au renouveau qui se manifeste dans tous les milieux. Face aux responsabilités qui nous incombaient, nous avons amorcé les programmes et les mesures économiques propres à développer l’infrastructure d’un Québec moderne. L’éducation, la sécurité sociale, la réforme de la fonction publique, le retrait des programmes conjoints, le développement régional et le renouveau industriel sont autant de réalisations qui accélèrent le processus d’affirmation du Québec de façon positive, pratique et réaliste.
Il serait trop long d’énumérer ici toutes les lois que nous avons fait voter par la législature au cours des cinq dernières années. La simple compilation des titres représente, à elle seule, un document de plus de cinquante pages.
En fait, depuis un peu plus de cinq ans, le gouvernement du Québec s’est attaqué à une multitude de problèmes, les uns anciens, les autres nouveaux Il réforme sa fonction publique et ses cadres administratifs, il modernise ses lois agricoles et ouvrières, il donne une impulsion sans précédent à l’action de l’État dans le domaine économique, il refond entièrement son système d’enseignement, il introduit une orientation familiale dans son régime de sécurité sociale, il adopte une attitude dynamique en matière de relations fédérales-provinciales, et Dieu sait quoi encore En somme, le Québec a pris une dimension nouvelle et s’est fixé des objectifs audacieux.
Je suis le premier à reconnaître que la tâche entreprise est loin d’être terminée. J’admets également qu’une évolution rapide a été accompagnée de difficultés de toutes sortes. Je sais aussi que nous sommes moins avancés dans certaines directions que dans d’autres.
Il y a tout de même une chose à retenir de l’évolution récente de notre province. Le Québec, en effet, a désormais résolu de s’affirmer partout ou il peut être présent. À cette fin, comme je viens de le dire, il se fixe des objectifs et façonne les instruments qui peuvent lui permettre de les réaliser. Il n’hésite pas à comparer ses expériences a celles des autres et à emprunter des autres les idées qui peuvent lui être utiles. Notre horizon est beaucoup plus étendu qu’il ne le fut jamais.
Dans le domaine de l’action sociale proprement dite, la même attitude prévaut. Il nous reste là des lacunes importantes à combler; nous ne pouvions pas tout faire en même temps. Le temps nous a semblé venu, il y a plusieurs mois, non seulement de repenser notre régime de sécurité sociale, processus qui avait débuté il y a plus de deux ans et dont le gouvernement fédéral a su lui-même s’inspirer dans la mise au point du régime canadien d’assistance publique, mais aussi de nous donner une politique de développement régional. Simultanément, tout en nous intéressant de près à l’assurance-santé, nous avons commencé l’élaboration d’une politique de l’emploi fondé sur le reclassement de la main d’oeuvre. Grâce à la collaboration d’étudiants, nous avons aussi expérimenté une forme d’action sociale dont nous pourrons probablement nous inspirer; dans le même ordre d’idées, nous allons également profiter de l’expérience des animateurs sociaux du Bureau d’aménagement de l’est du Québec. Comme je le déclarais lors de la conférence fédérale provinciale de juillet dernier, la plupart de ces politiques nouvelles seront au point d’ici l’été prochain. En somme, nous poursuivons présentement l’élaboration de plusieurs mesures qui feront toutes partie d’une politique globale de développement économique et social.
On pourra se demander pourquoi une telle politique n’a pas été mise au point avant aujourd’hui. La réponse est bien simple. Nous avons cru qu’il importait tout d’abord, comme étape première, de mettre l’accent sur les instruments d’action qui manquaient encore à la structure économico industrielle du Québec. De la sorte, nous attaquions nos problèmes à leur racine. C’est de ce souci que provient notre Société générale de financement, la nationalisation de l’électricité, la Caisse de dépôt et placement, la Société québécoise d’exploration minière, la sidérurgie, etc. Là était notre priorité. Nous y avons consacré pendant quelques années, le plus clair de nos énergies, en même temps que nous jetions les bases d’un fonctionnarisme qualifié et dynamique. Dorénavant, pendant que certaines de nos nouvelles institutions commencent à donner des fruits ou que les autres se préparent à agir, nous pouvons accorder à nos politiques socio-économiques l’attention qu’elles méritent. Ce champ d’action est devenu une nouvelle priorité.
En 1960, la population nous avait donné le mandat de refaire à neuf la province. C’est un véritable changement de vie que nous avons su opérer en si peu de temps. N’allons pas nous arrêter en si bonne route. Sachons conserver la confiance de la population en lui exposant franchement les politiques que nous savons les plus aptes à assurer la complète réalisation de notre nouvelle société québécoise. En d’autres mots, disons clairement ce que veut ce que peut le Parti libéral du Québec et quelle société il veut établir. Évidemment, nous ne partons pas à zéro. La législation qui a été votée et les innovations qui ont été introduites dans l’administration de la chose publique sont acquises. Elles ne manqueront pas non plus d’avoir leurs prolongements. En ce sens, le gouvernement qui est l’initiateur du renouveau québécois est en mesure de savoir mieux que quiconque les entreprises qui ont besoin d’être complétées et celles qui en appellent impérieusement de nouvelles. Toutefois, il appartient au parti tout autant qu’au gouvernement de penser l’avenir et de définir la forme que doit prendre le Québec moderne.
La Fédération libérale du Québec est sûrement la mieux équipée pour entreprendre avec succès une tâche d’une telle envergure. La forme pyramidale de sa structure et l’étendue de son cadre lui permettent de plonger profondément ses racines dans le peuple. Elle en connaît parfaitement bien les besoins et les aspirations.
Elle peut également percevoir à quel rythme d’accélération doit se poursuivre l’évolution de manière à assurer la pleine participation de toute la population. C’est parce que la Fédération s’est faite la conscience du peuple qu’il nous a été possible de vaincre en 1960. C’est dans la mesure où la Fédération personnifiera vraiment la nouvelle société qui prend forme chez nous que nous serons capables de bâtir l’État moderne que veut être le Québec.
Les militants libéraux doivent se mettre immédiatement au travail. Je pense particulièrement à la Commission politique de la Fédération dont l’attribution principale est justement l’élaboration du programme du parti. Je sais que le président et les membres de cette commission sont déjà à l’oeuvre. Je ne doute pas que le résultat de leurs travaux permettra de rédiger un manifeste électoral aussi dynamique et constructif que ceux que le parti a publiés en 1960 et en 1962. N’oublions pas que nous avons à réussir simultanément trois types d’initiatives: celles qui relèvent de l’action économique, celles qui appartiennent à l’action sociale et celles qui se greffent à l’action politique.
Notre action économique est en bonne voie de réalisation. Le gouvernement a, au cours des cinq dernières années, commencé à équilibrer l’infrastructure économique de la province par l’établissement d’institutions nouvelles et par une série d’investissements de toute nature. Une telle entreprise devra maintenant se régionaliser, c’est-à-dire s’appuyer sur des pôles de croissance situés ici et là sur le territoire du Québec.
Nous devons aussi, comme seconde tâche, mettre l’accent sur l’humain – grâce à une réorientation de toutes nos politiques sociales, tant dans le domaine du bien-être que dans celui de la santé, du travail, de l’éducation.
Nous devons enfin maintenir sans lassitude la volonté d’affirmation du Québec, grâce à laquelle nous poursuivrons notre principale tâche d’ordre politique par rapport au reste du Canada. Dans ce domaine, nos problèmes sont loin d’être tous résolus. Nous avons déjà connu beaucoup de succès. Nous ne devons pas aujourd’hui dormir sur nos lauriers, ni permettre à nos compatriotes des autres provinces de penser que nos aspirations sont satisfaites. Dans tous ces domaines, nous avons raison d’être fiers de ce que nous avons accompli jusqu’ici. Ce n’est toutefois que le commencement. Il reste encore beaucoup à faire. Déterminer de quelle manière doit être poursuivie l’oeuvre si magnifiquement commencée est une entreprise exaltante qui nous procurera, j’en suis sûr, une fierté encore plus grande.
En 1960, c’était le temps que ça change. Effectivement, tout a changé au Québec en cinq ans: nous devenons rapidement maîtres chez nous dans des domaines de plus en plus nombreux. Il faut que ça continue.
Le Québec est en marche, battons la marche!
[QLESG19651129]
[Inauguration 735 KV`’ À publier après 1 ho30 aom. Montréal, 29 novembre 1965
Hona Jean Lesage, Premier ministre]
Il y a environ quatre-vingts ans, l’industrie électrique s’essayait à faire ses premiers pas incertains vers une révolution qui devait changer le mode de vie de toute l’humanité. Au cours de quelques années écoulées depuis cette époque, l’enfant timide est devenu un homme et l’industrie s’est développée au point que la possession de ressources électriques est devenue la mesure moderne de la richesse d’un pays. Ici au Québec, je suis heureux de pouvoir le dire, la nature nous a dotés d’abondantes ressources hydroélectriques.
J’ai dit que l’électricité avait changé notre mode de vie, mais ce changement même a forcé l’industrie électrique à se modifier et à grandir à un rythme incroyable. Nous demandons de plus en plus à cet élément magique qui accomplit notre travail, nous vêt,’ nous éclaire, chauffe ou rafraîchit nos maisons selon nos désirs, cuit nos aliments et nous apporte des divertissements. Il dirige notre transport, nous donne instantanément la communication avec les coins les plus éloignés de la terre et même jusque dans les sphères spatiales.
Nos exigences sont telles que les ingénieurs doivent constamment chercher de nouveaux moyens d’y répondre. Dès les premiers jours de l’industrie, les ingénieurs du Québec se sont classés parmi les chefs, implantant de nouvelles idées et de nouvelles techniques. Aujourd’hui, nous venons inaugurer la dernière création de nos ingénieurs pionniers, une oeuvre nouvelle qui est une première mondiale pour la province de Québec. L’usage toujours croissant que nous faisons de l’électricité oblige l’Hydro-Québec à doubler tous les dix ans sa puissance installée La première centrale construite à Montréal sur la rue Dowd en 1878, éclairait 470 lampes à l’aide de cinq générateurs. Aujourd’hui, la plus grande centrale hydroélectrique du Canada, Beauharnois, est en mesure d’éclairer 30000000 de ces lampes, mais ne fournit qu’une fraction de l’énergie dont a besoin Montréal. Et Montréal n’est qu’un des centres de consommation.
A travers la province, l’industrie et le commerce grandissent rapidement et les foyers utilisent de jour en jour de plus en plus d’électricité. Pour répondre à leurs besoins, l’Hydro-Québec exploite 62 centrales d’une puissance installée totale de plus de 7000000 de kilowatts. Mais tout cela doit être doublé en dix ans et les aménagements deviennent de plus en plus éloignés et de plus en plus considérables. Une seule turbine dans certaines des nouvelles centrales de l’Hydro-Québec est plus puissante que toute l’installation génératrice de la province au commencement de la première guerre mondiale
Dans le grand aménagement Manicouagan-Outardes, qui fait partie du programme d’expansion de l’Hydro-Québec, sept centrales ajouterons a la puissance installée plus de 505000000 de kilowatts.
Les centrales hydroélectriques, cependant, sont comme les villes, elles ont besoin de routes par où faire passer leur produit. Comme dans les cités modernes, la circulation a atteint une telle ampleur qu’il faut de grandes autoroutes pour répondre aux besoins. Dans le monde entier, les ingénieurs se sont toujours préoccupés des problèmes que constitue le transport des vastes quantités d’électricité requises par la vie moderne. Le Québec a maintes fois battu la marche en établissant des précédents: le premier transport entre Shawinigan et Montréal, une merveille mondiale à l’époque; les lignes de transport à 300000 volts de Bersimis, et plusieurs autres; et maintenant nous avons une grande artère sur laquelle les yeux des ingénieurs du monde entier sont fixés, ce système de transport à 735000 volts qui est sans précédent dans l’industrie. Conçu et planifié par les ingénieurs de l’Hydro-Québec, construit en un temps record, le système de transport de l’énergie provenant de l’aménagement Manicouagan-Outardes est le plus récent apport du Québec à la technique et au génie modernes. Cette ligne que nous inaugurons aujourd’hui est la première d’un trio qui transportera l’énergie des centrales implantées dans la solitude de la Côte Nord jusqu’aux foyers et aux usines du Québec. C’est le signe avant-coureur de triomphes encore à venir à mesure que nous nous enfoncerons plus loin dans la forêt à la recherche de l’énergie emmagasinée dans les rivières se jetant dans la Baie James, la Baie d’Hudson, la baie d’Ungava et le Golfe du St-Laurent,
Nous ne craindrons sûrement pas pour l’avenir de notre économie tant que nous aurons des hommes capables de concevoir des oeuvres de l’envergure de cette ligne et des aménagements qu’elle dessert; ils assureront certainement au Québec une place de premier rang dans l’utilisation de l’électricité qui est, en somme, l’influx vital de notre économie.
Toutes mes félicitations à vous, M. Lessard, à vos collègues de la Commission, à vos ingénieurs et à tous ceux qui ont collaboré à l’érection de cette première ligne de transport commercial à 735000 volts au monde, que je dédie maintenant au service de l’homme.
[QLESG19651210]
Je voudrais saisir l’occasion de la présente conférence pour exposer encore une .fois, afin qu’il n’y ait pas de confusion, la position du Québec à l’endroit des programmes conjoints ou de tout autre transfert conditionnel.
Ce genre de programme, d’après nous, porte atteinte à l’autonomie budgétaire des provinces, Pour cette raison, il ne nous a jamais paru souhaitable d’y recourir dans les domaines Qui relèvent de la juridiction des provinces.
Au contraire, la redistribution des champs fiscaux complétée par les paiements de péréquation, ne préjuge pas de l’utilisation des budgets provinciaux. Devant les besoins de plus en plus importants auxquels les gouvernements des provinces ont et auront à faire face pour s’acquitter de leurs responsabilités normales et c’est particulièrement le cas du Québec – nous voulons obtenir un partage plus équitable des ressources entre le gouvernement fédéral et celui des provinces.
Si cependant les autres provinces, pour diverses raisons, tiennent quand même à l’instauration de nouveaux programmes conjoints ou à une amélioration substantielle de ceux qui existent déjà, le Québec n’a pas l’intention de s’opposer à leurs projets.
Nous sommes d’avis qu’elles sont libres de prendre l’attitude qu’elles croient convenir à leur situation propre. Mais nous voulons souligner qu’advenant l’instauration de programmes conjoints autres que ceux qui ont déjà été officiellement agréés, ‘ou encore le renouvellement et l’élargissement de programmes existants, ou l’instauration de nouveaux transferts conditionnels, le Québec, fidèle à l’esprit de la politique qu’il a maintes fois réitérée à ce sujet, demandera l’équivalence fiscale inconditionnelle. Nous devrons en effet agir ainsi car une accumulation de programmes conjoints aurait pour conséquence ultime de réduire notre autonomie budgétaire à un point où elle ne serait plus que théorique, ce qui nous est absolument inacceptable.
D’ailleurs, les projections de dépenses et revenus déjà disponibles pour les divers gouvernements du pays indiquent qu’avant de nous engager plus avant dans l’élaboration de nouveaux programmes conjoints, nous devrions tout d’abord combler, au moyen d’une nouvelle répartition des champs fiscaux, l’écart prévu entre les ressources des gouvernements provinciaux et leurs engagements. Dans les circonstances, peut-être y aurait-il lieu de sus pendre pour le moment l’institution de tout nouveau programme conjoint ou de transferts conditionnels sauf ceux sur lesquels il y a déjà entente, comme l’assurance-santé. De toute façon, il nous semble qu’il y aurait lieu de nous interroger sur ce point, d’autant plus qu’il entre dans les tâches confiées au Comité du régime fiscal de repenser tous les modes de collaboration fédérale-provinciale, y compris celui des transferts entre gouvernement.
[QLESG19651214]
[A publier après 8h00 F.m. le 14 décembre 1965 Chambre de Commerce de Ste-Foy Le mardi 14 décembre 1965, L’honorable Jean Lesage Premier ministre du Québec] Chez beaucoup de nos citoyens préoccupés de l’avenir du Québec et du Canada, on remarque l’une ou l’autre des deux attitudes suivantes. Certains, plus impatients, se demandent dans quelle mesure les Canadiens des autres provinces finiront par comprendre et accepter le Québec actuel. D’autres, plus hésitants devant les réactions du reste du pays craignent que nous soyons allés trop loin dans l’expression de nos aspirations et que, de la sorte, nous ayons effrayé ceux de nos compatriotes qui étaient au départ disposés à nous écouter.
Si ces deux attitudes existent chez nous – et on peut en avoir des preuves en feuilletant nos journaux quotidiens – c’est que, au fond, les Québécois de langue française se posent maintenant, plus que jamais auparavant, une question bien simple, mais fondamentale: « Comment réagit le reste du Canada aux positions du Québec ? »
Ces derniers temps, des voix autorisées de certaines provinces de langue anglaise ont fait connaître leur point de vue non pas directement sur les aspirations du Québec, mais sur la répartition des pouvoirs qui devrait, selon eux, exister au Canada entre les provinces et le gouvernement central. Toutes se sont exprimées dans le même sens: elles désirent l’avènement d’un gouvernement fédéral fort, elles n’ont pas d’objection à la centralisation des pouvoirs à Ottawa et elles laissent entendre clairement que les demandes des provinces finiront par éroder le gouvernement central à un point tel que si la tendance actuelle se poursuit, celui-ci se trouvera en fin de compte dépourvu de moyens d’action.
Bien des citoyens du Québec, ceux qui sont impatients comme ceux qui sont inquiets, ont vu, dans de telles paroles, le symptôme d’une sorte de durcissement du Canada anglais envers le Québec. Cela est peut-être partiellement vrai, mais il ne faut pas ici se contenter d’une analyse superficielle et forcément trompeuse. ?n réalité, je crois plutôt que nous assistons présentement à une prise de conscience de la Fart du Canada anglais. J’aimerais aujourd’hui essayer de la définir.
Demandons-nous d’abord comment depuis quatre ou cinq ans, le Canada anglais a interprété les diverses manifestations de ce qu’il a appelé la « révolution tranquille ». Un bon nombre de Canadiens des autres provinces et même du gouvernement fédéral ont d’abord été un peu surpris de la fermeté de nos positions, surtout lors des conférences fédérales-provinciales. Ils se sont cependant vite rassurés en attribuant
nos nouvelles politiques au désir, d’ailleurs partagé par plusieurs autres provinces, sinon toutes, d’en arriver, au Canada, à une décentralisation de l’administration fédérale qui ferait contrepoids à la centralisation des années de la guerre et de l’après-guerre.
Comme, ultérieurement, ces positions ont toujours été maintenues plus fermement par nous que par les autres provinces, ces mêmes compatriotes se sont dit que le Québec, étant fortement en retard sur le reste du pays, était pour cette raison bien excusable de brûler les étapes, même s’il bousculait un peu le gouvernement fédéral. On se rassurait – et j’utilise le mot rassurer à dessein car il me semble bien décrire la préoccupation de ceux qui n’étaient pas indifférents envers nous – on se rassurait, dis-je, en se disant qu’une fois ce retard rattrapé, nous réintégrerions le domicile conjugal, c’est-à-dire le cadre normal d’une confédération de type traditionnel. On avait, croyait-on, d’autant plus raison de ne pas s’inquiéter outre mesure du mouvement qui nous animait qu’on savait que le gouvernement du Québec avait entrepris de mener à bonne fin quantités de réformes, dont certaines visaient à augmenter le niveau moyen d’instruction. On se disait que si les Québécois étaient plus instruits, ils perdraient vite ce sentiment nationaliste qui les avait toujours caractérisés. Surtout, espérait-on, ils ne seraient désormais plus repliés sur eux-mêmes comme cela avait été le cas pendant des générations précédentes. En conséquence, la vieille méfiance envers le gouvernement central s’atténuerait graduellement pour faire place à une intégration lucide au grand tout canadien.
Mais, avec le temps, nos positions demeuraient les mêmes; aussi fermes et claires, sinon davantage, qu’auparavant. Le gouvernement fédéral, en réponse à ces positions, posait certains gestes importants: élargissement des champs fiscaux provinciaux, retrait des programmes conjoints, etc. Par ailleurs, le Québec mettait sur pied sa propre caisse de retraite. Je pourrais ajouter d’autres exemples. Légèrement troublés par notre persistance, malgré ces progrès indéniables, nos concitoyens des autres provinces crurent alors que nous étions animés de motifs d’ordre politique suscités par un regain du nationalisme au Québec. Ils interprétèrent le maintien de nos positions comme la manifestation d’une impatience qui, comme toutes celles qui l’avaient précédée, serait en définitive d’une durée limitée.
Or, aujourd’hui, quatre ou cinq ans après le début du processus actuel, ils se rendent compte – et ils sont de plus en plus nombreux à le faire – que la raison d’être profonde de nos positions n’est pas seulement un désir de décentralisation administrative, un moyen de combler nos retards ou une bouffée passagère de nationalisme. Ils se rendent compte que nos opinions, nos gestes, nos politiques, et cela depuis le début, sont dictés par une volonté d’affirmation, un élan vital dont le dynamisme est comparable seulement à l’obstination de nos ancêtres qui, après 1760, ont décidé de survivre malgré leur défaite, malgré leur entourage, malgré leur pauvreté. Et la fermeté dont nous faisons preuve aujourd’hui, la constance de nos objectifs, notre assurance nouvelle, notre force politique même étonnent le reste du Canada qui, pendant des générations, s’était habitué à un Québec où rien n’avait changé.
Voici donc que le reste du Canada commence à comprendre nos véritables raisons d’agir. Cela peut vous sembler surprenant alors que vous, du Québec, nous entendez, mes collègues et moi, faire allusion, depuis des années à la nature du mouvement qui se produit chez nous. Nous n’avons jamais rien caché à personne et je me souviens que, dès 1961, j’acceptais un bon nombre d’invitations à rencontrer des compatriotes des autres provinces justement pour leur exposer le sens de l’évolution du Québec actuel. Si je me suis décidé, il y a plusieurs mois, à effectuer une tournée de l’Ouest canadien, c’est que j’avais le sentiment bien net que, malgré tout, on nous comprenait, insuffisamment. Pour être plus précis encore, j’avais l’impression qu’un malentendu profond était en train de prendre corps. Le reste du Canada savait que le Québec moderne se transformait à une allure accélérée, mais il risquait d’ignorer les causes réelles de ce changement. Il fallait les lui exposer, et j’ai cru bon de le faire moi-même. Autrement, le fossé entre le groupe d’expression française et le groupe d’expression anglaise se serait élargi au point où, dans le même pays, nous serions devenus étrangers l’un à l’autre. Les opinions exprimées ces derniers temps par des chefs de file du Canada anglais n’ont rien de renversant. Comme premier ministre du Québec, je désirais qu’un jour ou l’autre le Canada anglais décide de prendre parti sur les problèmes et le nouvel équilibre suscités, au plan canadien, par l’évolution récente du Québec. Je commençais même à trouver que cette prise de position se faisait attendre et je craignais, comme bien d’autres, que le reste du Canada ne fût obstinément indifférent envers nous. Dans cette perspective, les quelques personnes autorisées qui viennent de s’exprimer montrent qu’en réalité il s’est enfin produit un embryon de réponse de la part du Canada anglais. Je préfère de beaucoup cette situation à une indifférence qui aurait neutralisé, avant même qu’elle ne prenne forme, toute possibilité de dialogue. Ma tournée dans l’Ouest canadien avait pour but, comme je l’ai dit, d’expliquer le Québec au reste du Canada et aussi de provoquer chez celui-ci une prise de conscience. Je n’attribuerai pas à mes seuls efforts les prises de position qu’on connaît maintenant, mais je suis vraiment heureux de voir que celles-ci sont enfin dans le domaine public.
Des gens se sont montrés un peu déçus de constater que les opinions avancées par ces représentants du Canada anglais ne cadraient pas avec celles que le Québec a l’habitude de faire valoir. On s’attendait en effet plus ou moins à ce que l’action que nous avons entreprise au Québec depuis cinq ans en matière fédérale- provinciale ait comme résultat de créer un front commun des provinces contre la centralisation des pouvoirs à Ottawa. Aujourd’hui ces mens s’aperçoivent que plusieurs autres provinces du pays paraissent tenir beaucoup moins que le Québec à la décentralisation de ces pouvoirs. Ils en concluent que nous avons probablement fait fausse route et que nous n’avons certainement pas réussi à convaincre les autres provinces d’agir dans le même sens que nous.
En réalité, le Québec n’essaie pas de créer ce fameux front commun contre Ottawa. C’est une légende de la période négative de notre récente histoire politique. Nous ne voulons pas forcer ni même inciter les autres provinces à agir nécessairement comme nous. Bien que dans plusieurs domaines nos problèmes soient similaires à ceux que l’on peut retrouver n’importe où au Canada, il n’en reste pas moins, pour reprendre une vieille expression, que le Québec n’est pas une province comme les autres. J’ai déjà dit à maintes reprises que le fait même que notre province soit en majorité d’expression française et que sa culture soit différente de celle de la population des autres provinces du pays donne au Québec son caractère de point d’appui du Canada français.
Il s’agit là d’un fait sociologique et historique, non d’une vue de l’esprit ou l’expression d’un désir qui se prend pour une réalité. L’existence même de ce fait donne inévitablement au Québec des aspirations, des objectifs et des comportements qui ne peuvent être partagés par aucune des autres provinces du pays. Ainsi, l’immense majorité des Québécois se sentent beaucoup plus près du gouvernement du Québec que de celui d’Ottawa. Pourquoi? Parce qu’ils ont l’impression que le gouvernement du Québec plus que celui d’Ottawa est une émanation de leur personnalité profonde. Il n’y a pas, par exemple, à Québec, l’obstacle de la langue et de la mentalité auquel les Canadiens de langue française se heurtent si fréquemment à Ottawa. Or, le sentiment de proximité du gouvernement provincial et d’éloignement du gouvernement fédéral est loin d’exister, dans les autres provinces, d’une façon aussi marquée que chez nous. En conséquence, les Québécois trouvent tout à fait normal de confier à leur gouvernement provincial des responsabilités que les citoyens des autres provinces songent normalement à attribuer au gouvernement central. Ou bien encore, il vient naturellement à l’esprit des Québécois de rapatrier au gouvernement du Québec des responsabilités que le gouvernement fédéral a assumées dans le passé. Une telle tendance existe beaucoup moins dans les autres provinces.
Pour toutes ces raisons, nous avions et nous avons encore des motifs à la fois administratifs et culturels de réclamer une décentralisation des pouvoirs au Canada. Dans les autres provinces, le motif culturel étant absent, on peut plus facilement que nous trouver encore aujourd’hui des accommodements qui, tout en décentralisant l’administration jusqu’à un certain point, laissent quand même à peu près intacts à Ottawa les centres de décision. En ce qui nous concerne, il est souvent essentiel que les centres de décision soient déplacés en même temps que l’est l’administration elle-même.
En outre, les Québécois ont presque toujours manifesté beaucoup plus d’intérêt que les Canadiens des autres provinces envers la constitution. Était-ce parce qu’il y avait chez nous un respect plus grand envers les lois ? Pas nécessairement. On doit plutôt attribuer notre recours fréquent au texte de notre constitution à ce que celle-ci prenait figure de rempart contre les velléités centralisatrices du gouvernement fédéral. Pour nous, la constitution était une protection contre le danger constant d’assimilation. Le fait que les Québécois l’aient souvent invoquée au cours de leur histoire provient davantage du nationalisme traditionnel de notre population que de la formation juridique d’une partie de nos hommes politiques.
Je ne veux pas, par ce que je viens de dire, vous démontrer que le Québec n’est pas une province comme les autres. Cela vous le savez déjà. Je veux seulement vous souligner que si, à l’occasion, nos positions ont été les mêmes que celles des autres provinces, il était au fond inévitable qu’à d’autres moments elles s’en distinguent. Si l’on constate à l’heure actuelle des divergences entre les aspirations du Québec et celles du reste du pays, il est important de savoir que celles-ci proviennent moins d’un durcissement à notre endroit que d’un début de compréhension du phénomène selon lequel le Québec pourra prendre, au Canada, une orientation qui le distinguera de plus en plus des autres provinces du pays.
Je viens de mentionner quelques-unes des raisons d’arrière-plan qui montrent qu’un tel aboutissement est fort plausible. Il y en a d’autres, plus immédiats, si je puis dire. Ainsi, la semaine dernière à Ottawa, au sein du comité du régime fiscal, nous avons entrepris une série de négociations capitales pour nous. Nous aurons à déterminer non seulement, ce qui est déjà d’une importance considérable, la répartition des champs de taxation pour la période 1967-72, mais également les modes de collaboration fédérale-provinciale en matière de politique économique et de programmes conjoints. Au cours de ces négociations le Québec maintiendra les attitudes qu’il a déjà fait valoir. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait, vendredi dernier.
Pour répondre aux voeux de notre population, nous chercherons à obtenir tous les pouvoirs nécessaires à notre affirmation économique, sociale et politique. C’est là un objectif logique sain et positif. Dans la mesure où d’autres provinces, pour des raisons tout à fait acceptables, n’ont pas besoin de se fixer le même objectif, et il semble bien que ce sera le cas – le Québec verra, par rapport à elles, son statut se différencier davantage.
Cette orientation du Québec mettrait-elle en danger, comme certains se l’imaginent, l’avenir même du Canada ?
Avant de répondre à cette question, voyons très brièvement de quels moyens d’action le Québec dispose. Il peut agir par le truchement du gouvernement fédéral ou par celui du gouvernement du Québec lui-même. Jusqu’à maintenant, il semble bien que, sans exclure totalement la première méthode, notre population est davantage portée, pour les raisons sociologiques et historiques dont j’ai parlé il y a un instant, à se servir du gouvernement du Québec pour atteindre ses objectifs. Je ne vois rien qui puisse laisser prévoir un renversement de cette tendance. Au contraire.
C’est donc dire que, de plus en plus, le Québec se dirige, par la force des choses, vers un statut particulier qui tiendra compte à la fois des caractéristiques propres de sa population et du rôle plus étendu que cette population veut confier à son gouvernement. En quoi consisterait ce statut particulier ? Bien peu de gens peuvent déjà le dire avec précision. Cependant, lors de ma tournée de l’Ouest canadien, j’avais tenté d’esquisser, à Vancouver en particulier, ce qu’il pourrait être. On peut supposer par exemple que le Québec administrerait lui-même, sans intervention fédérale, tous les programmes de sécurité sociale qui touchent ses citoyens. Il aurait, sans intervention fédérale, la complète responsabilité de la mise en valeur de ses propres ressources. Il est vrai que, dans la plupart des cas en ces matières, il possède déjà cette juridiction en vertu de la constitution actuelle. On n’ignore pas cependant que cette compétence est souvent théorique à cause des multiples programmes conjoints. C’est pour cette raison d’ailleurs que le Québec se retire graduellement de ces programmes contre compensation fiscale. À ce titre, nous sommes déjà en voie, en vertu des accommodements dont je parlais il y a un instant, d’instituer pour le Québec un embryon de statut particulier, plus précisément un régime administratif spécial. Cette évolution cependant n’exclurait pas une plus grande participation des Québécois aux affaires du pays.
J’avais ajouté que, dans d’autres domaines, les pouvoirs du Québec pourraient être plus étendus qu’ils ne le sont main tenant, comme par exemple dans le domaine des relations avec d’autres pays. J’ai dit aussi qu’il fallait penser que des réformes devraient être apportées à certaines institutions fédérales. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne la Cour Suprême et l’administration fédérale en général. Je m’étais demandé pourquoi nous n’aurions pas au Canada un gouvernement fédéral et une administration centrale bilingue et en quelque sorte plus hospitaliers pour les Canadiens de langue française, ce gouvernement exerçant des fonctions d’intérêt général pour l’avantage de tout le pays, et au Québec un gouvernement qui, pour des raisons historiques et démographiques, se verrait confier, en plus de toutes les responsabilités qui doivent à notre époque normalement appartenir à un gouvernement provincial, la tâche plus particulière d’être l’instrument de l’affirmation de la communauté francophone.
Et je reviens à la question que je posais il y a un instant: L’obtention par le Québec d’un statut particulier menacerait-elle l’avenir du Canada ?
Une telle évolution modifierait sans doute la physionomie constitutionnelle du Canada que nous connaissons actuelle ment. Si tout changement au statu quo constitutionnel est une menace pour le Canada, alors je comprends que certains craignent profondément les résultats du mouvement qui se manifeste au Québec. Mais a-t-on vraiment raison d’adopter un point de vue aussi étroit ? On sait que le régime politique du Canada est flexible et qu’il saura en fin de compte satisfaire les aspirations du Québec. L’avènement d’un statut particulier devrait, si tel est bien le cas, se produire sans déséquilibre regrettable. Je dirais même davantage: ce pourrait être grâce à l’obtention par le Québec d’un statut particulier que le Canada survivra réellement. Car il est inutile de penser que l’on réussira à contenir le Québec moderne à l’intérieur d’un cadre administratif, politique ou constitutionnel où il se sentirait freiné dans son effort d’affirmation et d’épanouissement. N’oublions jamais ceci: une collectivité réagit un peu comme une personne. Lorsqu’une personne sent qu’une autre, même avec la meilleure volonté du monde, tente directement ou indirecte ment de la retenir dans certains domaines où elle croit être en mesure de prendre elle-même ses décisions, elle est normalement moins bien disposée envers cette autre personne qu’elle ne le serait dans le cas d’une véritable égalité. À l’heure actuelle, la collectivité canadienne-française, symbolisée par le Québec, n’a pas ce sentissent d’égalité grâce auquel une collaboration franche et entière pourrait exister au Canada. Il se pourrait que la reconnaissance d’un statut particulier pour le Québec vienne corriger cette situation et provoquer, entre les deux grands groupes ethniques, un rapprochement qui ne serait humiliant pour personne.
J’aimerais, en terminant, me servir d’une image un peu éloignée du sujet dont je traite maintenant. Lorsqu’on veut savoir si un compas est assez solide, on ne se demande pas si à leur extrémité ses deux branches sont trop ou pas assez éloignées l’une de l’autre. On regarde, si la charnière tient les deux branches avec assez de force. De la même façon, on maintiendra un Canada uni, non pas en soulignant les différences culturelles qui existent entre nos deux principaux groupes ethniques, mais en s’assurant que ces deux groupes trouvent une base commune à partir de laquelle chacun peut s’épanouir librement, en respectant, en comprenant et en acceptant la culture de l’autre. Cette base, elle existe déjà au Canada. Les Canadiens de langue française et les Canadiens de langue anglaise ont des idéals communs et partagent certaines valeurs communes.
Ils ne sont cependant pas identiques et ne le seront jamais. Le Québec, comme point d’appui du Canada français, demande aujourd’hui qu’on lui reconnaisse, dans les faits, le droit d’être différent. En agissant ainsi, nous modifierons certainement un ordre de choses qui dure depuis déjà une centaine d’années. C’est cet ordre de choses que nous menaçons, ce n’est pas le Canada lui-même. -Au contraire, c’est celui-ci que nous rendons plus grand en l’aidant à atteindre les dimensions de l’idéal qui e présidé à la naissance de la Confédération.
[QLESG19660117]
[DECLARATION DE L’HONORABLE JEAN LESAGE
PREMIER MINISTRE CONCERNANT L’EXPANSION DE QUEBEC IRON & TITANIUM CORPORATION]
J’ai, à plusieurs reprises, prôné la transformation au Québec même de nos richesses naturelles. L’industrie secondaire était à coup sûr beaucoup trop rare chez nous. En souhaitant la voir s’établir ici sur une plus vaste échelle, nous songions avant tout à l’effet désirable que cela aurait notamment sur le niveau de l’emploi. Les quelque 2835 nouvelles industries établies dans le Québec depuis cinq ans nous ont donné la preuve que nous avions raison, même si elles ne sont pas toutes de type secondaire.
Aussi suis-je aujourd’hui particulièrement heureux d’annoncer que Quebec Iron and Titanium Corporation a décidé de mettre en oeuvre le programme d’expansion que cette société avait envisagé il y a plusieurs mois pour ses établissements de Sorel. Il s’agit entre autres de la construction d’un nouveau four – le neuvième du complexe -et de l’amélioration des fours actuels en vue d’en accroître la productivité. Cette expansion se fera au coût de $13500000.
Le nouveau four aura une capacité de production supérieure de 50’% à celle des fours qui fonctionnent déjà. De plus, la capacité de transformation de deux des fours déjà existants va passer de 24000 à 45000 KVA, Ces changements auront pour effet immédiat d’augmenter de 20 % la production totale de l’usine en 1967. Cet accroissement dans la production permettra à la compagnie de faire passer sa contribution annuelle, aussi bien directe qu’indirecte, au commerce d’exportation, de $50000000 à environ $60000000.
D’autre part, il convient de souligner que la Q.I.T. termine actuellement la construction d’un centre de recherches de $2000000, situé également à Sorel. Cette société a toujours porté un intérêt particulier aux travaux de recherches et de perfectionnement au Canada, mais à cause de l’exiguïté de ses locaux, il lui a fallu jusqu’à présent confier une partie de ce travail aux laboratoires situés dans la région de Montréal. Il lui sera donc maintenant possible de consolider et d’intensifier ses programmes de recherches. Ces programmes porteront sur la mise au point de nouveaux produits, ainsi que sur les applications nouvelles qu’on peut donner aux produits déjà existants. L’industrie canadienne du titane compte principalement sur l’extraction, par Quebec Iron and Titanium Corporation, de l’ilménite du Lac Allard pour sa production de scorie de bioxyde de titane Ce gisement, considéré comme le plus important du genre dans le monde libre, est situé à 27 milles de Havre St-Pierre, à l’est de Sept-Îles. Pour l’année courante, l’on prévoit une extraction de 1200000 tonnes fortes soit 1000000 de tonnes après le premier traitement; ce qui donnera 475000 tonnes de scorie de titane et 330000 tonies de fer. J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que c’est un fonctionnaire du ministère des mines du Québec, le Dr. J.-A. Retty, qui a été le premier à relever des traces de minerai d’ilménite dans cette région. L’exploitation minière débuta en 1950 l’usine de Sorel recevait alors 101000 tonnes de minerai. Compte tenu des fluctuations occasionnées par les besoins de la clientèle, cette production n’a cessé d’augmenter.
Durant les seize dernières années, la mine à ciel ouvert de cette compagnie a fourni 10000000 de tonnes de minerai d’ilménite (fer titane), à son usine d’affinage à Sorel où ce minerai est ensuite traité pour en obtenir de la scorie ou bioxyde de titane, ainsi que diverses fontes d’excellente qualité « Sorelmétal ».
En plus d’avoir contribué à placer le Canada au deuxième rang des producteurs de concentrés d’ilménite, la production de Québec Iron and Titanium Corporation est en outre à l’origine du procédé de recouvrement du fer à partir de l’ilménite.
Québec Iron and Titanium Corporation affine et traite deux produits principaux, à savoir: une scorie de bioxyde de titane et un groupe de fontes spéciales appelé « Sorelmétal » La scorie de titane est vendue principalement aux manufacturiers de pigments blancs utilisant l’acide sulfurique dans leur procédé.
La scorie soreloise trouve aussi un marché dans la production de ferro-titane et dans les revêtements d’électrodes à souder.
En résumé, grâce à la compétence des diplômés des universités du Québec, et au prix de grands efforts et à des investissements de l’ordre de $75000000, Q.I.T. a installé dans notre Province une industrie métallurgique intégrée qui constitue un réel apport à toute notre économie.
[QLESG19660212]
[MESSAGE DU PREMIER MINISTRE À L’OCCASION DE LA SEMAINE NATIONALE DE L’1fFCTRICITE
TENUE DU 6 AU 12 FEVRIER 19660]
« L’Électricité, c’est toute la différence ». Voilà le slogan choisi cette année pour la Semaine nationale de l’électricité qui aura lieu du 6 au 12 février.
En effet, l’électricité revêt chez nous, dans la Belle Province, un caractère véritablement providentiel. À cause de l’électricité, nos perspectives d’avenir sont extrêmement encourageantes.
Nous continuerons cette année la construction du réseau de transport à 735000 volts, réseau dont la première ligne a établi l’automne dernier un record mondial. Nous continuerons également l’aménagement du complexe Manicouagan-Aux-Outardes dont non seulement nous avons toutes les raisons d’être fiers, mais grâce auquel nous doublerons, à peu près, notre production actuelle.
L’électricité chez nous se vend à des taux qui comptent parmi les plus bas au monde, et l’abondance que nous en avons multiplie les industries, augmente notre productivité, développe notre économie.
Au cours de la Semaine nationale de l’électricité, qui débute officiellement demain, le 6 février, les fabricants, vendeurs et distributeurs d’appareils électriques se feront entendre ou voir par la presse, la radio et la télévision. En les écoutant, rappelons-nous le privilège que nous avons, nous du Québec, de jouir d’un niveau de vie particulièrement élevé. Rappelons-nous que notre progrès s’appuie solidement sur cette réalité moderne et si puissante: l’électricité.
[QLESG19660214]
[L’honorable Jean Lesa~e, Premier ministre du Québec
39th Annual Fellowship Dinner Brotherhood of Temple Emanu-el Montréal, 14 février 1966
Vous avez peut-être entendu, à maintes reprises, des hommes politiques ou des commentateurs dire qu’une société nouvelle était en train de naître au Québec. Vous avez probablement cru qu’il s’agissait là d’un slogan, ou d’une idée simplifiée à l’extrême.
En réalité, la population du Québec vit, depuis cinq ans, une des expériences les plus passionnantes qui soient. Le milieu dans lequel nous étions habitués à vivre change sous nos yeux. Je ne veux pas seulement dire que l’on construit de nouveaux immeubles, qu’on étend nos villes, qu’on trace de nouvelles routes, qu’on établit de nouvelles industries.
Je vois plutôt des changements encore plus profonds que ceux-là car c’est toute notre échelle de valeurs sociales qui prend un autre sens. Nous assistons à un nouveau départ de l’ensemble du Québec, à l’expression d’un dynamisme jamais constaté encore. Et ce dynamisme se nourrit de lui-même, car il est aussi marqué aujourd’hui qu’il y a trois ans, alors qu’il était déjà à cette époque aussi soutenu qu’au moment même où il a commencé à se manifester.
Il ne s’agit pourtant pas d’un bouleversement sans but, d’un besoin de remuer, d’une sorte de nervosité collective sans objet. Au contraire. Dans son élan, le Québec moderne tend vers une direction bien déterminée qu’il n’est pas toujours facile de saisir ou de décrire, car elle a de multiples aspects. Les citoyens du Québec, particulièrement ceux de langue française, ont conscience de construire eux-mêmes quelque chose de neuf; ils ont devant eux, comme on dit dans la conversation courante, -`des choses à faire » et ils en tirent à la fois des motifs d’action et des motifs de fierté. Car plusieurs des gestes que nous posons au Québec sont originaux en ce sens qu’ils ne sont copiés de nulle part ailleurs. Bien entendu, nous tenons à savoir comment d’autres peuples ont pu résoudre des problèmes similaires à ceux auxquels nous faisons face; nous tenons aussi, dans la mesure du possible, à nous inspirer de leurs expériences. Mais nous savons, avant même de commencer à agir, que nous devons inventer, créer. Cette démarche de tout un peuple non pas vers l’inconnu, mais vers l’innovation, comporte un élément de fascination qui secoue les énergies et fait naître les idées.
Quand je me suis rendu en Israël, il y a quelques mois, j’ai été témoin – pendant seulement quelques heures, malheureusement -d’un dynamisme général, d’une volonté d’affirmation qui me faisait songer à ce que l’on constate au Québec même. Il y a évidemment d’immenses différences de traditions, de culture, de langue, d’économie, de géographie, mais, sur le plan humain, on voit des similitudes frappantes. Ainsi, en Israël comme au Québec, on recherche un équilibre et l’on trace graduellement les cadres sociaux et économiques d’une communauté en plein épanouissement. Là comme ici, on constate des problèmes de croissance, des déséquilibres passagers et même des contradictions. Là comme ici, on trouve un peuple d’esprit jeune moins préoccupé par les faits et gestes de son passé que par les perspectives d’avenir qu’il s’ouvre à lui-même.
Des expériences comme celles que vivent Israël et le Québec ont été assez peu fréquentes au cours de l’Histoire. Et celles qu’on a entreprises à un moment ou l’autre n’ont pas toutes connu le succès. En Israël et au Québec, chaque jour qui passe renforce cependant la nouvelle société qui s’édifie et laisse derrière lui les risques d’échec.
Quand le visage du Québec a commencé à se transformer, il s’en est trouvé beaucoup, tant chez nous qu’ailleurs au Canada, pour conclure d’avance qu’il s’agissait là seulement d’un sursaut passager qui ne saurait vaincre certaines attitudes conservatrices et réactionnaires traditionnelles. Ils se rendent bien compte aujourd’hui que leurs prévisions étaient fondées sur une fausse interprétation de la réalité culturelle québécoise. Notre peuple a su trouver chez lui, et par lui-même, la vitalité et l’esprit d’initiative nécessaires à l’oeuvre qu’il entreprenait. Aujourd’hui, le Québec est en voie de devenir un état moderne et, si sa tâche n’est pas encore complétée, les bases de la société nouvelle qu’il façonne sont bien solides.
Pour comprendre le chemin parcouru depuis seulement quelques années, il suffit de penser au Québec des années 40 ou 50, il suffit de se souvenir combien, à cette époque, le Québec, sans être replié sur lui-même était loin d’avoir un horizon aussi étendu qu’aujourd’hui. Évidemment, depuis 10 ou 20 ans, tous les peuples du monde ont évolué, mais le nôtre plus encore que les autres. Personne alors n’aurait pu s’imaginer que la population québécoise finirait, comme les populations des pays qui sont a la fine pointe de la civilisation, par se préoccuper et même se passionner pour des questions comme la paix mondiale, l’égalité des races, les droits de l’homme. Je ne dis pas que chaque citoyen du Québec pense constamment à ces sujets. Je me rends bien compte cependant que ceux-ci ne sont plus seulement réservés à un petit pourcentage d’intellectuels, mais qu’ils intéressent un nombre de plus en plus grand de personnes et cela, dans toutes les classes.
Nos citoyens, comme jamais auparavant, apprennent à vivre la démocratie. Ils acceptent les responsabilités nouvelles qui leur échoient et s’en acquittent avec empressement. Ils veulent que le gouvernement et les administrations publiques leur rendent des comptes. Ils analysent le fonctionnement de nos institutions, font des suggestions, en somme, font preuve d’une opinion publique éclairée et exigeante soit comme individus, soit comme membres de groupes intermédiaires. Toute cette évolution ne se produit pas sans heurt, et c’est normal. À une société où quelques individus prétendaient traditionnellement parler pour tous les autres, succède une société où d’autres individus viennent exprimer des opinions de groupes qu’on n’avait pas encore appris à entendre, encore moins à écouter.
Dans une véritable démocratie, les solutions des problèmes créés par une croissance économique ou sociale rapide ne sont pas l’apanage exclusif d’une poignée de dirigeants. Ils sont non seulement vécus, mais compris et mesurés par l’ensemble de la population et par les groupes dont ils font partie.
Ceux-ci font leurs suggestions et voient comment elles sont reçues. En somme, dans une démocratie comme celle que nous voulons pour le Québec, la passivité n’a plus de place, les institutions sont redéfinies chaque fois que c’est nécessaire, les habitudes acquises sont remises en question chaque fois qu’elles ne semblent plus concorder avec la réalité.
L’évolution du Québec fait surgir des problèmes ardus, mais je crois qu’elle est facilitée et plus rapide du fait que notre population est relativement homogène et qu’elle tend, en général, vers les mêmes objectifs. Il n’y a pas non plus d’opposition fondamentale et massive à la sorte de « révolution tranquille » que nous vivons actuellement. Bien sûr, on peut identifier des îlots de résistance, mais je ne pense pas qu’on soit en mesure de déceler chez nous quelque danger réel de retour en arrière. Tous n’avancent peut-être pas vers l’avenir à la même vitesse, mais tous avancent.
Souvent, on nous pose la question: « Vers quoi vous dirigez-vous? » On nous demande aussi: « Que sera le Québec de demain? »
La société québécoise de l’avenir, personne ne la connaît encore, mais tout le monde peut l’imaginer tout simplement à partir de ce dont nous sommes témoins présentement. Nous construisons en effet aujourd’hui le monde dans lequel nous aurons demain à vivre. Notre comportement actuel livre à ce titre des indices valables sur la société que nous préparons.
En m’entendant m’exprimer ainsi, d’aucuns seront peut-être troublés car ils penseront tout de suite à certaines manifestations exagérées que les journaux leur ont rapportées ou encore à certains propos qui, dégagés de leur contexte, prennent une allure de menace. Mais ce ne sont là en vérité que de petites crêtes sur une vague plus puissante et aussi plus positive. C’est ce mouvement en profondeur qu’il faut comprendre pour voir se dessiner le visage de la société québécoise de demain.
Or, ce mouvement – et il est essentiel de toujours s’en souvenir – n’est dirigé contre personne. Il découle de la volonté bien arrêtée des Canadiens d’expression française de prendre la place qui leur revient, mais n’est nullement influencé par quelque velléité raciste que ce soit. Ce phénomène surprend d’ailleurs plusieurs observateurs étrangers qui se seraient normalement attendus à ce que la prise de conscience du peuple québécois, en majorité de langue française, dégénère facilement en une sorte d’intolérance religieuse ou raciale. Pourtant, il n’en est rien.
Nous assistons plutôt à un phénomène contraire. Nombreux sont ceux qui reconnaissent qu’aujourd’hui la liberté, sous toutes ses formes, est plus que jamais pratiquée au Québec. La tolérance envers les citoyens d’autres langues ou d’autres religions a succédé non pas à l’intolérance, qui n’a jamais été très marquée, mais à la crainte et à la méfiance qui, pendant des générations, ont caractérisé les relations entre les Québécois de langue française et ceux d’autres langues et d’autres cultures. À mesure que les premiers sont devenus plus sûrs d’eux-mêmes, ils ont davantage accepté les seconds; ils n’ont jamais entrepris de les reléguer au rang de citoyens de seconde zone par une sorte d’esprit de vengeance ou en recherchant une sorte de compensation morbide. Et rien ne laisse croire aujourd’hui que cette tendance initiale de l’effort d’affirmation des Québécois de langue française soit à la veille de se démentir.
Est-ce à dire que ceux-ci ne tiennent pas tellement, après tout, à conserver leur langue et leur culture, à les mettre en valeur et à jouer le rôle économique qui peut être le leur? Pas du tout. Ils ne croient cependant pas que l’on puisse améliorer une situation, ou corriger des injustices, en créant d’autres injustices. Ils s’attendent également a ce qu’on comprenne leur motivation et à ce qu’on ne s’y~oppose pas dans le seul dessein de conserver avec entêtement des privilèges acquis qui ne se justifient plus. Ils ont aussi confiance dans leur instrument collectif qu’est le gouvernement du Québec et dans les ressources humaines qui, chez nous, sont encore loin d’avoir été toutes exploitées comme il se devrait. Pour cette raison, ils comptent beaucoup sur une scolarisation accrue et appuient l’effort de leur gouvernement dans le domaine de l’éducation. Ils veulent également d’un gouvernement fort à Québec qui, en exerçant pleinement toutes ses responsabilités constitutionnelles, fournira à l’ensemble de la population le cadre politique au sein duquel elle pourra donner suite à sa volonté d’affirmation a son avantage, mais sans détriment pour qui que ce soit.
Pour faire face aux besoins de toutes sortes qui se manifestent, le gouvernement a été obligé d’accélérer son entrée dans plusieurs domaines nouveaux. Il a dû s’intéresser à bien des aspects de la vie économique et sociale qui, jusqu’alors, relevaient plus directement de l’initiative privée. Cet élargissement des fonctions du gouvernement ne doit cependant pas résulter en un écrasement de la personne humaine par l’appareil étatique. Ce risque, nous voulons l’éviter et nous faisons notre possible en ce sens.
Nous sommes guidés par le même principe lorsque nous nous efforçons d’établir une saine répartition des tâches entre les secteurs de gouvernement au pays. Une des raisons – ce n’est pas la seule évidemment justifiant nos positions quant à la décentralisation du gouvernement fédéral vers le gouvernement du Québec est notre souci de la personne humaine. Celui-ci s’allie à notre désir ferme de sauvegarder les caractéristiques culturelles de notre peuple en lui fournissant toutes les conditions d’épanouissement voulues. Nous croyons que notre gouvernement est plus prés de la population du Québec que n’importe quel gouvernement au Canada. Nous sommes d’avis que si nous remettions au gouvernement central des pouvoirs provinciaux de plus en plus nombreux, nous faciliterions la naissance d’une énorme machine administrative, distante et probablement incapable de satisfaire adéquatement les besoins de toutes sortes d’une population canadienne dont l’origine, les caractéristiques et les aspirations ne sont pas toujours les mêmes selon qu’il s’agit de la population de langue française ou de la population de langue anglaise. En somme, les raisons culturelles particulières que nous avons d’agir comme nous le faisons au Canada sont confirmées et appuyées par des motifs qui nous sembleraient généralement valables dans tous les pays du monde où, pour des causes d’ordre économique ou social, l’administration publique est appelée à prendre de l’ampleur.
A cette tendance vers une accentuation du rôle de l’État, nous devons donc non pas opposer, mais ajouter une autre tendance: le respect, en toutes circonstances, de l’être humain quelles que soient sa culture, sa religion, sa classe sociale.
Je ne prétends pas que la nouvelle société que le Québec est à construire sera le prototype de la société parfaite, Celle-ci, les hommes ne réussiront peut-être jamais à l’édifier. Mais, tous doivent la rechercher. C’est ce que nous tentons de faire au Québec. Bien sûr, il y a une marge considérable entre l’idéal et la réalité. Ce qui doit peut-être nous rassurer cependant c’est que, vraiment et comme jamais auparavant, la population du Québec, son gouvernement en tête, pose des gestes concrets vers un tel idéal. Nous avons une chance inouïe: celle de vivre dans un milieu qui soit à la fois jeune, dynamique et doté d’un immense territoire où il nous est possible d’entreprendre tellement de choses nouvelles sans avoir à en détruire beaucoup d’anciennes. Cette chance, nous avons voulu la saisir. Elle ne reviendra peut-être jamais, car on ne peut pas, ne serait-ce qu’une fois par génération, réunir facilement des conditions d’action aussi favorables que celles qui existent aujourd’hui.
Il ne faut pas craindre ce qui se passe présentement au Québec. Il faut plutôt s’en réjouir. Au fond, n’y a-t-il rien qui puisse davantage soulever l’enthousiasme que le spectacle de tout un peuple qui, unanimement et peut-être même obstinément vise à réaliser des objectifs d’ordre, de justice et d’affirmation collective auxquels souscrirait n’importe quel autre peuple adulte du inonde? Et cet effort commun, dans le cas du Québec, est essentiellement affirmatif. Comme je l’ai dit, il n’est dirigé contre personne.
Si la force motrice sociale actuelle chez nous est évidemment et je pourrais dire normalement – la population de langue française, il ne s’ensuit pas que les autres groupes ethniques doivent se désintéresser du mouvement dont ils sont témoins. Ils doivent encore moins le combattre. Ils doivent au contraire l’appuyer. Nous cherchons à occuper la place qui nous revient au Canada; nous nous sommes également donné un élan vers l’avenir qui mobilise toutes nos énergies et qui transforme le Québec. Mais le Québec de l’avenir ne sera ni fermé, ni replié sur lui-même, ni limité dans ses horizons. Il fera une place à tous ceux qui, sans être nécessairement membres de la communauté de langue française, sauront comprendre celle-ci, sauront la seconder, sauront collaborer avec elle.
Cette place est maintenant disponible. Au cours des mois et des années qui viennent, tous les citoyens québécois qui ne sont pas de langue française seront appelés à l’occuper. Elle leur est offerte. Avec l’esprit de compréhension qui se manifeste aujourd’hui chez la grande majorité d’entre eux, je suis certain qu’ils accepteront de se joindre activement à nous pour mener à bien cet objectif qui résume tous les autres: l’édification au Québec d’une société nouvelle, animée d’un esprit profondément démocratique et fondée sur le respect de l’être humain.
[QLESG19660220]
[A publier après lh. p.m.Congrès de la Fédération des Étudiants libéraux Montréal, le 20 février 1566 Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec]
Il est bien agréable pour un chef de gouvernement de se retrouver en compagnie de la jeunesse de son parti et d’avoir ainsi l’occasion de se retremper à cette source vive de l’idéal, de l’enthousiasme et de l’intrépidité dans l’action que constitue le milieu étudiant universitaire.
Il n’y a pas si longtemps il me semble, – le temps passe si vite – j’étais moi-même dans cette catégorie des 18 à 25 ans et je me rappelle fort bien toute l’ardeur et toute la vivacité que nous mettions dans nos luttes pour défendre ce qui étaient les priorités du temps. C’était la lutte collective pour sortir le pays de la crise économique, et la lutte familiale et individuelle pour manger, se vêtir, étudier, puis se trouver du travail ou des clients.
Certes, l’importance numérique des associations et groupements de jeunesse de même que les moyens de communications qui existent entre ces mouvements se sont accrus, je dirais même qu’ils ont été créés, au cours des vingt-cinq ou trente dernières années. Toutefois, je crois que la jeunesse en général et c’est heureux qu’il en soit ainsi, a toujours été caractérisée par la vigueur de sa pensée et de son action: que ce soit du côté social ou économique – du côté patriotique ou politique. En fait, c’est à travers cette vigueur, cette conviction qu’ils mettent à réaliser leurs objectifs que les jeunes Québécois, comme ceux des autres pays du monde, font leur apprentissage de la vie et qu’ils s’intègrent à la société à laquelle ils désirent appartenir d’une façon pleine et entière.
Mais qu’est-ce donc que s’intégrer à une société?
Que faut-il faire pour participer à son développement et en influencer le devenir ? C’est sans doute la question que vous vous posiez en choisissant pour thème de vos assises: « L’étudiant libéral au Québec ».
En vous interrogeant sur le rôle de l’étudiant libéral au Québec, votre question intéresse la jeunesse tout entière. En fait, l’étudiant d’aujourd’hui n’émane-t-il pas de toutes les classes de la société ? Poser le problème du rôle de l’étudiant au Québec, c’est, en pratique, poser le problème du rôle du jeune ouvrier, du jeune cultivateur, du jeune commerçant et du jeune professionnel dont le souci est d’abord de parfaire ses connaissances afin de pouvoir répondre aux exigences d’un monde dominé de plus en plus par la science, la technologie et la culture.
L’étudiant du niveau universitaire et collégial vit au Québec une période d’adaptation résultant des changements importants suscités par la mise en oeuvre des recommandations du rapport Parent. Ces bouleversements, cette nouvelle orientation de tout le système d’éducation au Québec s’insèrent à toute la réalité québécoise.
Dans des locaux mieux équipés qu’autrefois, l’étudiant de tous les niveaux a à sa disposition des professeurs compétents et dévoués. Ceux-ci doivent également s’adapter à ce nouvel esprit démocratique qui s’implante petit à petit dans la province et qui ne peut pas s’épanouir sans remous.
Les professeurs et les étudiants, conscients du rôle qu’ils ont à jouer dans la société, se sont également donné des structures capables de les faire participer individuellement et collectivement à l’évolution idéologique du Québec moderne. Ces structures, ces mouvements de jeunesse, ces associations font que les professeurs et les étudiants d’aujourd’hui peuvent envisager la possibilité de prendre part d’une façon collective à la discussion des sujets qui préoccupent tous les citoyens Ces conditions nouvelles dans lesquelles évoluent parents, professeurs et étudiants imposent à chacun une maturité, un sens de la responsabilité de plus en plus grand. L’étudiant – nouveau citoyen à part entière doit être renseigné sur tout ce qui se passe autour de lui. Il doit connaître et s’efforcer de comprendre le climat social dans lequel il vit et surtout être bien conscient de la portée des actes qu’il pose individuellement et collectivement par l’intermédiaire de ses associations. À ce sujet, j’ai reçu à mon bureau une multitude de lettres de différents milieux étudiants de la province, condamnant l’attitude de certains étudiants et professeurs qui ont recours à la grève pour obtenir gain de cause. Vous me permettrez bien de vous lire un passage d’une de ces lettres. Mon correspondant me disait ceci: « Si on est d’accord pour considérer l’éducation comme une priorité, il me semble illogique de permettre le déclenchement ou la poursuite des différentes grèves de professeurs ou d’étudiants.
C’est une bonne chose que de vouloir se conformer aux faits sociaux et être dans le vent, mais il n’en reste pas moins qu’il y a une limite à tout. La population de l’État du Québec verrait d’un très bon oeil votre intervention visant à restreindre l’usage de ce moyen, c’est-à-dire le droit de grève, pour les deux catégories mentionnées ci-dessus. »
En fait, mon correspondant demandait que le droit de grève soit enlevé aux professeurs et aux étudiants. Comme je vous le soulignais un peu plus haut, j’ai reçu plusieurs lettres de ce genre et je comprends facilement les réactions de mes correspondants. Toutefois, il faut bien comprendre qu’au cours des six dernières années il s’est opéré une évolution considérable au Québec Loin d’être étranger à cette évolution, le gouvernement libéral l’a favorisée en mettant sur pied des structures nouvelles, en insufflant à l’administration provinciale un esprit complètement rajeuni et en faisant appel à tous les éléments les plus progressistes pour mener à bien les changements que nous voulions voir s’opérer chez nous. L’adaptation des citoyens, des corps intermédiaires, des associations de professeurs et d’étudiants à ce nouvel esprit démocratique que nous voulons voir s’implanter dans la province nécessite une période d’apprentissage qui cause inévitablement des secousses parfois assez brusques. Certes les grèves trop fréquentes dans le domaine de l’enseignement peuvent porter un préjudice considérable tant aux professeurs et aux étudiants qu’aux parents eux mêmes. Toutefois, j’ai confiance dans la démocratie et je suis persuadé que lorsque les associations syndicales et patronales auront appris à dialoguer, lorsque les nouveaux rouages auront été rodés par l’expérience, la situation se rétablira sur la base solide de la maturité:
Il faut apprendre jeune à oeuvrer dans les cadres des structures démocratiques, Vous avez vos associations universitaires et collégiales, il faut que vous en joigniez les rangs et que vous participiez non seulement aux activités sociales et sportives, mais aussi aux prises de positions collectives de votre milieu C’est le devoir de chacun de faire valoir son point de vue. Il ne faudrait pas que l’inertie d’un trop grand nombre soit la cause d’une orientation idéologique qui ne corresponde pas dans la réalité aux désirs véritables de la majorité des étudiants. Participer aux développements de son milieu, réaliser pleinement ses ambitions scientifiques et culturelles, dialoguer avec les jeunes des autres sphères de l’activité québécoise, n’est-ce pas là pour l’étudiant une façon éminemment pratique de s’intégrer à la société à laquelle il appartient et dont il désire influencer le devenir dans le sens de ses aspirations. En vue d’aider les étudiants universitaires à mieux saisir la réalité sociale du Québec, le gouvernement, à la suite de représentations qui lui ont été faites par l’Association Générale des étudiants de l’Université de Montréal, a mis sur pied un comité interministériel dont la responsabilité a été de tracer, en collaboration avec des représentants des étudiants, les grandes lignes d’un projet d’action sociale étudiante en milieu urbain, rural et syndical. Un budget de cinquante mille dollars fut affecté à ce comité et, au cours de l’été dernier, quarante-sept étudiants des universités de Montréal, de Québec et de Sherbrooke se sont vus offrir l’occasion de mettre leur dévouement et leurs connaissances au service des populations de différentes régions de la province. L’expérience de 1965 mérite d’être continuée, Les résultats de l’été dernier ont été concrets dans leur ensemble et ils ont même dépassé ce que l’on avait espéré obtenir tout d’abord, surtout si l’on tient compte de la brève période de préparation et des moyens limités dont disposait le comité.
Toutefois, nous maintenons qu’il faut assurer à ces étudiants des structures de travail et une direction technique appropriée aux circonstances. Il faut que des spécialistes en animation sociale et en organisation communautaire puissent assigner à chacun des tâches déterminées et des objectifs précis à atteindre, et cela suivant les aptitudes, la formation académique et les aspirations de chacun des participants à cette action sociale. Il faut bien comprendre que le Gouvernement du Québec entend laisser le plus de latitude possible aux travailleurs sociaux étudiants. Toutefois, il faut que l’action sociale étudiante s’intègre dans l’ensemble des objectifs établis par les différents ministères à caractère social. Soyez assurés que tant et aussi
longtemps que les étudiants voudront collaborer d’une façon franche et désintéressée, le gouvernement fera tout en son pouvoir pour les aider, durant leurs études, à servir la population et ainsi à se mieux préparer aux responsabilités qui les attendent au sortir de l’université.
L’action sociale étudiante auprès des populations défavorisées est un excellent moyen pour les universitaires de prendre contact avec les réalités de la vie. Toutefois, cette action sociale étudiante devrait également s’effectuer sur les campus universitaires eux-mêmes ainsi que dans les collèges classiques et les écoles techniques La jeunesse de notre province prend des proportions numériques importantes par rapport à la population totale Les prévisions de la population du Québec pour 1971, suivant un taux de fécondité moyenne et un taux de migration moyenne, sont établies à environ 6630000 De ce nombre, 3440000 auront moins de 24 ans et 1200000 de nos citoyens seront âgés de 15 à 24 ans.
Si l’on considère le rôle important que joue la jeunesse au sein de la population d’une part, et si l’on analyse les résultats publiés dans l’enquête sociologique effectuée par les professeurs Marcel Rioux et Robert Sévigny d’autre part, et intitulée: « Les nouveaux citoyens », on se rend compte que les jeunes de 18 à 21 ans ne se préoccupent guère du rôle qu’ils ont à jouer en tant que participant à leur milieu étudiant et aussi en tant que membres de la société québécoise et canadienne. On a déjà dit que tout ce que le diable désire, c’est l’inertie des honnêtes gens. Chaque génération a ses décadents, ses indifférents, ses désabusés qui croient avoir inventé le dilettantisme et qui soutiennent que l’homme doit se contenter de fumer sa pipe sur son balcon en regardant le défilé de la vie et en attendant que les problèmes se règlent tout seuls. Tirer son épingle du jeu est une philosophie de sclérosé, d’encroûté: cela est indigne de l’ouvrier de l’idéal que doit être l’étudiant et cela est indigne de l’adulte qui doit tâcher de demeurer, à ce point de vue, un éternel étudiant
En fait, plus de 64 % de nos jeunes citoyens considèrent leur participation à des associations de jeunesse et à la politique provinciale et fédérale comme étant dans le dernier groupe de leurs préoccupations. Seulement 50% des 18-21 considèrent leur participation à leurs associations et aux mouvements de jeunesse comme étant de première importance. Ce pourcentage diminue à 46% pour la politique provinciale et à 18% pour la politique fédérale Ces résultats sont pour le moins inquiétants Est-ce à dire que les prises de position en milieu étudiant et dans les mouvements de jeunesse sont confiées à un nombre aussi restreint que 54%? Est-ce à dire que seulement 46% de nos jeunes de 18 à 21 ans s’intéressent à la politique provinciale alors qu’à en croire les nouvelles qui émanent des milieux d’information des mouvements de jeunesse, la politique provinciale semble occuper une place beaucoup plus considérable ? Je crois que si l’action étudiante en milieu défavorisé est importante il y a tout lieu de
croire qu’il y a beaucoup à faire auprès des étudiants eux-mêmes, pour les sensibiliser davantage à leur devoir et à leurs obligations en tant que membres d’un secteur important de la société et, a tout dire, en tant que membres de la société tout entière.
C’est sans doute un des buts que vous poursuivez, vous étudiants libéraux, en vous occupant de politique, Vous constituez, ou du moins c’est votre devoir de constituer sur les campus universitaires un groupe de jeunes dont la tâche est de sensibiliser la population étudiante à ce rôle nouveau qui échoit aux Nouveaux Citoyens, c’est-à-dire à ceux des 18-21 qui auront maintenant le droit de vote lors de l’élection des dirigeants du Québec.
Action sociale étudiante, et politique sociale – voilà bien deux champs d’activités qui se complètent et qui doivent s’intégrer pour assurer un niveau de vie plus favorable à toutes les classes de notre population. Surtout à celles qui sont affectées par la maladie, le chômage ou le déclin de certaines occupations ou métiers qui ne cadrent plus avec l’évolution technologique
Depuis quelques années le Québec s’est fixé de nouveaux objectifs. Rattrapant ses retards économiques, il veut se donner les cadres et les attributs d’une société moderne, développer lui-même son économie et assurer à sa population qui est jeune un avenir prometteur. L’amélioration des conditions sociales est donc l’une de nos préoccupations majeures: c’est là une question aussi bien d’humanité que de rentabilité économique.
L’économie moderne caractérisée par l’usage massif de la technologie, par la production en série, par la division extrêmement poussée du travail, laisse l’individu éprouvé dans une situation telle qu’il ne peut plus lutter seul dans une société marquée par la dépersonnalisation de ses grands ensembles Dans une telle situation, il n’est plus rentable pour un peuple de se contenter des mesures d’assistance traditionnelles qui étaient plutôt passives et représentaient en quelque sorte une extension publique de la notion de la charité privée.
La politique sociale du gouvernement doit donc être intégrée et s’orienter vers la prévention et la réhabilitation -c’est-à-dire s’attaquer aux causes de la dépendance sociale autant qu’à ses effets. La politique sociale du gouvernement doit reconnaître que le citoyen économiquement faible a un droit à la satisfaction de ses besoins essentiels et à ceux de sa famille. La politique sociale du Gouvernement doit être axée sur la famille, cellule de base de la société, et lui aider à remplir les responsabilités découlant de l’accroissement de ses charges. Enfin la politique sociale du Gouvernement doit avoir un caractère communautaire en ce sens qu’elle a la responsabilité d’assurer un développement harmonieux de chacune des communautés à l’échelle de la localité ou de la région.
Pour être en mesure de s’acquitter consciencieusement de ses obligations sociales, le gouvernement du Québec croit de son devoir d’utiliser en totalité toute la juridiction qui lui est confiée par la constitution canadienne Le gouvernement du Québec est disposé à dialoguer avec les autorités fédérales mais il faudra de toute nécessité qu’il ait l’autorité complète d’orienter ses législations et ses politiques sociales selon les impératifs qui lui sont propres. En d’autres termes, le Québec ne pourra se contenter d’une situation de type transitoire que dans la mesure ou celle-ci lui laissera assez de latitude pour mettre en oeuvre sa propre politique sociale.
[What, exactly, are these tools that we want to use to ensure this sharing of the wealth in accordante with the principles of distributive justice ‘ Our first tool could be family and schooling allowances., We want to apply a system of family and schooling allowances which will be really adapted to the needs of large familieso It seems obvious to us that the allowances should be scaled according to the ages of the children in order to take into consideration the increase in costs as the children grow up. There is no necessity to emphasize that scaling these allowances is obviously one of the surest ways of solving this imperative problem which is to give our young people the best possible education.
The second tool that the government intends to use to establish an integrated social policy is financial assistance., In
its social legislation and in the regulations governing its application the government will explicitly recognize the principle under which every individual in society is entitled to receive assistance from the state regardless of the cause of his need, We want to establish a system of medical and surgical care for the needy within this context.
Thirdly: an integrated social policy should not only include measures covering security and assistance, but also an enti rety of social services„ It is not sufficient to give money to the needy they must also be provided with services that can help them to readapt themselves more easily and more quickly! What must be achieved is a total mobilisation of health, education and employment
services plus private undertakings which must be organized in order to be able to help all those citizens who are in need and. aiso to solve the real causes of the problem.]
Finalement, afin d’humaniser davantage l’aide gouvernementale, le gouvernement du Québec a approuvé un système de régions, de centres et de sous-centres au niveau desquels seront établis entre autres des bureaux régionaux dont une des responsabilités sera de voir à la mise en oeuvre de toutes les politiques sociales du gouvernement. J’aurais aimé pouvoir vous entretenir plus longuement des buts que poursuit le Gouvernement en mettant en application un système de régions administratives au Québec. Le temps me manque. Qu’il me suffise de vous dire qu’au point de vue social la décentralisation administrative au niveau régional est une condition « sine qua non » pour que l’action sociale de l’État soit efficace, coordonnée et réellement intégrée. La population du Québec est dispersée sur un territoire immense et il est impossible de fournir aux Québécois des services sociaux à caractères humains s’ils n’ont pas sur place ou à très courte distance une aide fournie par des personnes compétentes et disponibles
Voilà donc le message que je voulais vous livrer à l’occasion de votre congrès annuel. Je désire vous remercier pour tout le dévouement que vous apportez à la cause de votre parti, la cause du parti libéral du Québec.
Le thème que vous aviez choisi vous aura certainement fourni l’occasion d’effectuer une prise de conscience sur le rôle que doit jouer l’étudiant, – l’étudiant libéral au Québec. Les responsabilités de la jeunesse québécoise sont considérables en ce moment où tout est remis en question. Une chose est certaine; c’est que le Québec compte sur sa jeunesse, le parti libéral compte sur vous pour entreprendre ce que j’appelle sa deuxième étape vers son affirmation économique, culturelle et sociale.
[QLESG19660302]
[Dîner-causerie – Club de Réforme À publier après 8h3OP.M. Québec, le 2 mars 1966
L’honorable Jean Lesage, Premier ministre]
Si nous nous arrêtons à jeter notre regard sur le chemin parcouru par le Québec au cours des six dernières années, nous nous rendons rapidement compte que la transformation qui s’est opérée chez nous a été considérable Notre population, qui avait été tenue sous le joug de l’autoritarisme pendant seize ans, avait soif de justice et de liberté. En 1960, elle rompait les liens qui la maintenait dans l’ignorance de la chose publique et la servitude de la dictature pour s’orienter vers les voies nouvelles que lui traçait le Parti libéral du Québec
Cette orientation nouvelle que nous offrions à la population, notre parti l’avait clairement définie dans son manifeste électoral de 1960. Ce que nous voulions avant tout, c’était que la société québécoise puisse, en collaboration avec son gouvernement, se développer et s’épanouir suivant ses caractéristiques propres.
Pour ce faire, le Parti libéral se proposait de rétablir au Québec les droits et les libertés parlementaires, de mettre de l’ordre dans l’administration de la chose publique, d’assurer l’égalité des citoyens devant la loi, d’organiser la vie nationale et économique, favoriser le bien-être de la population et occuper activement tous les champs de ses droits constitutionnels. En fait, devant l’ampleur du travail qui nous attendait, il nous fallait prendre les bouchées doubles, À tour de rôle, nous avons mis l’éclairage sur la solution des problèmes que nous croyions être les plus urgents à résoudre. Ce fut d’abord l’éducation qui nous paraissait le problème crucial de l’heure. Il fallait mettre tout en oeuvre pour faciliter au Québec l’accès à la science et à la culture. Nous étions convaincus que notre avenir reposait avant tout sur le niveau d’éducation de notre jeunesse. Afin que nos efforts répondent réellement aux aspirations de notre population, nous mettions sur pied une commission royale d’enquête dont la responsabilité était de conseiller le gouvernement dans la réorganisation de notre système d’enseignement.
Simultanément aux efforts que nous faisions porter sur l’éducation, nous mettions en vigueur un système d’assurance-hospitalisation, première étape vers l’établissement d’un régime complet de soins médicaux et hospitaliers gratuits pour tous les citoyens du Québec. Au fur et à mesure que les lois étaient votées et que les structures administratives étaient mises sur pied pour distribuer à la population les services prévus par la législation, nos priorités se déplaçaient vers d’autres secteurs presque tous aussi urgents les uns que les autres.
La situation économique du Québec était précaire, le chômage était considérable, nous accusions un retard marqué sur plu sieurs provinces canadiennes, surtout en ce qui regarde le développement de notre industrie et de nos richesses naturelles Ce que nous voulions avant tout, ce n’était pas appliquer des cataplasmes sur des jambes de bois, non, c’était de trouver des solutions en profondeur, des solutions dont l’efficacité serait suffisante pour donner des résultats à court terme, à moyen terme et surtout à long terme C’est ainsi que successivement nous mettions en place les outils qui devaient façonner notre développement économique. Ces outils, vous les connaissez tous et vous me permettrez d’en faire une brève énumération: La S.G.F, le Conseil d’orientation économique, une Hydro-Québec plus puissante, la SOQUEM, Sidbec, la Caisse de dépôt et placement, et j’en passe. Nous nous apprêtons à créer le conseil de la recherche scientifique et le Centre de recherche industrielle. Toutes ces démarches dont certaines auraient pu être interprétées comme étant une ingérence de l’État dans les affaires économiques se sont accompagnées d’un accroissement important des investissements privés. En somme, les industriels, loin de craindre les initiatives de l’état, ont voulu apporter leur collaboration à notre développement économique. Les initiatives privées jointes à la vigueur des politiques économiques du gouvernement, ont fait en sorte que le Québec s’est développé à un rythme accéléré au cours des cinq dernières années.
Le produit national brut québécois est passé de $ 9335000000, en 1960 à $ 13400000000.: en 1965 – le taux de chômage de la main-d’oeuvre de 9.,2% qu’il était en 1960 est baissé à 5.6% en 1965. 2835 nouvelles industries se sont installées au Québec entre 1960 et 1965 et le revenu personnel global annuel des Québécois durant la même période est passé de $ 6700000000 à $ 9600000000. C’est un développement extraordinaire pour le Québec, surtout si l’on considère la situation dans laquelle l’Union Nationale avait laissé la Province en 1960 et, d’autre part, le court laps de temps que nous avons eu pour mettre en place les politiques absolument nécessaires à notre développement économique. Si beaucoup de choses ont été réalisées depuis 1960, il reste encore énormément à faire. Nos priorités continuent à se déplacer au fur et à mesure que nos moyens financiers et notre capital humain nous permettent de passer à d’autres étapes de notre programme. Au fait, qu’est-ce qu’une priorité pour un gouvernement ? Personnellement, je conçois qu’une priorité c’est ce qui constitue l’objet de la concentration des efforts vers la recherche d’une solution à un problème donné – quelle que soit son envergure. D’un autre côté, lorsque les législations sont votées et que les structures administratives en vue de l’application des solutions suggérées sont mises en place, je dois dire que la priorité s’estompe. D’objectif à atteindre qu’elle était au départ, cette priorité passe au domaine des réalisations du gouvernement et devient une préoccupation administrative, préoccupation plus ou moins grande et pressante suivant que la mise en application de la solution proposée est plus ou moins longue et difficile à réaliser en pratique.
Je dirais, par exemple, que l’éducation demeure la principale préoccupation du gouvernement actuel, mais elle ne constitue plus une priorité au même sens que l’aménagement régional, la mise en oeuvre d’une véritable politique sociale intégrée, l’application à une politique d’éducation des adultes et de reclassement de la main-d’oeuvre rigoureusement appropriée à nos besoins.
Priorités, préoccupations, ces mots ne constituent que des nuances assez subtiles pour traduire en définitive notre désir de tout mettre en oeuvre pour assurer le mieux être de tous les citoyens. D’ailleurs, vous avez vous-mêmes, à l’occasion des congrès de notre Fédération libérale, participé à l’élaboration des solutions que nous avons appliquées depuis quelques années. En fait, depuis 1960, le Québec s’est fixé de nouveaux objectifs et, rattrapant ses retards économiques, il veut se donner les cadres et les attributs d’une société à la page, développer lui-même son économie et assurer à sa population qui est jeune un avenir prometteur. Tout cela se résume en peu de mots, il s’agit de faire du Québec un État moderne, un État économiquement fort, socialement juste, où la population pourra jouir d’un niveau de science et de culture susceptible d’accroître l’efficacité du fonctionnement de ses structures économiques, sociales et culturelles.
L’économie contemporaine qui se caractérise par un emploi massif de la technologie, par une production de masse, par la spécialisation des tâches et la division du travail, laisse l’individu éprouvé dans une situation telle qu’il ne peut plus lutter seul pour se conserver un niveau de vie digne de l’être humain.
Il est maintenant reconnu que l’État a le devoir strict, en vertu des principes de la justice distributive, d’aider les individus et les familles à satisfaire convenablement leurs besoins essentiels C’est même à la façon dont elle remplissent ce devoir qu’on évalue couramment le degré de vraie civilisation de nos sociétés occidentales.
La politique sociale du gouvernement doit reconnaître que le citoyen économiquement faible a droit à la satisfaction de ses besoins essentiels et à ceux de sa famille. Nous devons donc d’abord tenter de soulager la misère humaine sous toutes ses formes; deuxièmement, assurer par des politiques sociales appropriées des revenus d’appoint à ceux qui ont des charges familiales plus considérables; troisièmement, favoriser le progrès économique des régions sous-développées et assurer le reclassement de la main-d’oeuvre en chômage à cause de l’automatisation des procédés de production ou encore de l’abandon de certaines activités économiques.
En somme, nos objectifs doivent s’attaquer à la fois aux conséquences et aux causes de la dépendance sociale. Dans une société industrielle évoluée, il n’est plus rentable de se contenter des mesures d’assistance traditionnelles qui ressemblent beaucoup plus à du paternalisme ou de la condescendance qu’à une véritable politique sociale intégrée orientée vers la prévention et la réadaptation, c’est-à-dire une politique qui s’attaque aux causes de la dépendance sociale autant qu’à ses effets. Pour réaliser cet objectif, la politique sociale du gouvernement doit être unifiée, c’est-à-dire que tous les ministères qui de près ou de loin s’intéressent au redressement économique et au soulagement de la misère humaine doivent améliorer leurs politiques afin d’atteindre ce but commun que nous recherchons, le mieux-être de tous nos citoyens, C’est ce que nous appelons une politique intégrée orientée vers la prévention et la réadaptation Pour réaliser ces objectifs, le gouvernement du Québec aura besoin d’exercer entièrement les pouvoirs qui sont de sa compétence d’après la constitution canadienne.. Notre gouvernement continuera le dialogue avec les autorités fédérales, il maintiendra les échanges de vues, mais une chose est certaine, c’est que le Québec orientera lui-même ses politiques sociales selon les impératifs qui lui sont propres. Nous nous contenterons de situations de type transitoire seulement si ces dernières nous laissent assez de latitude pour mettre en oeuvre notre propre programme de sécurité sociale. Nous voulons nous acquitter nous-mêmes des responsabilités dans les domaines qui relèvent de notre compétence.
De quelle façon allons-nous atteindre les buts que nous poursuivons ? Je dois dire que notre action partira de quatre prémisses bien déterminées: Mettre en oeuvre une véritable politique de main-d’oeuvre; Réaliser un aménagement régional plus productif; Réajuster nos mesures sociale et élaborer les éléments d’une politique de revenus mieux appropriés aux besoins de la famille et de l’individu.
[1 – POLITIQUE DE MAIN-D’ŒUVRE]
La rapide évolution qui se produit dans la province exige de la part des industries une adaptation constante aux exigences nouvelles de la production et de la mise en marché. Cela amène nos entreprises soit à se grouper, soit à moderniser leur équipement ou encore à recourir à l’automatisation pour augmenter leur production et leur productivité. Ces changements techniques ont des répercussions directes sur la main-d’oeuvre. Il appartient au gouvernement de fournir à cette main-d’oeuvre, actuellement engagée sur le marché du travail ou à celle qui y arrive chaque année, des possibilités d’entraînement et de réentraînement considérables. À la suite du rapport du Comité d’enquête sur l’enseignement technique et de celui de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, un programme de développement de l’enseignement technique a été arrêté, programme unique au Canada et qui même à l’échelle internationale est exceptionnellement avancé. Ce programme qui sera assez coûteux représente une des assises fondamentales de la modernisation de notre économie. Parallèlement à l’aide que nous voulons accorder à la formation technique de nos jeunes, nous voulons également mettre au point des formules de recyclage de la main-d’œuvre qui est déplacée à cause de l’automatisation ou encore à la suite de la fermeture de certaines entreprises. En définitive, nous pouvons dire que l’enseignement technique aura des résultats long terme tandis que le recyclage de la main-d’oeuvre sera rentable à très court terme. Je n’en veux pour preuve que l’excellent résultat obtenu par le Comité de reclassement des travailleurs du ministère du Travail à l’occasion des mises à pieds massives des mines de Thetford Mines, de la Canadian Malartic, de Bevcon Mines et de East Sullivan Mine.
[2 – AMENAGEMFNT RÉGIONAL PLUS PRODUCTIF]
La vie économique et sociale du Québec ne sera. Assise sur des bases solides que lorsque la prospérité aura atteint toutes les régions de la province. Pour ce faire, le gouvernement à l’intention d’élaborer une politique de développement régional approprié aux ressources matérielles et humaines réparties surtout le territoire. Il semble de plus en plus certain que l’objectif à long terme consiste à favoriser la transformation de l’économie régionale d’agricole et d’artisanale qu’elle était en une économie établie à partir d’une centralisation industrielle plus ou moins dense devant servir de pôle d’attraction au développement économique de cette région.
Croyez-moi, la décentralisation industrielle est illusoire si elle ne s’effectue pas à partir de concentrations régionales assez importantes. Seule, ce que les spécialistes appellent la formation de régions polarisées permettra les investissements infrastructuraux favorisant un développement économique d’envergure. Une première étape est actuellement réalisée. C’est celle qui consistait à subdiviser la province en régions administratives et économiques correspondant à des données scientifiques éprouvées. J’ai eu l’honneur d’annoncer cette décision importante au cours d’une conférence de presse il y a quelques semaines. Si la région de Montréal demeure au point de vue économique la région la plus importante de la province, je ne puis approuver les allégués de certaines personnes qui croient que la politique gouvernementale devrait s’attacher d’abord accentuer cette concentration économique dans la région montréalaise pour assurer une meilleure utilisation de nos richesses matérielles et humaines. Je crois plutôt qu’un développement économique effectué à partir de pôles d’attraction régionaux est la seule façon d’assurer un équilibre économique et social dans ce Québec que nous voulons prospère et dynamique.
[3 – MESURES D’ASSISTANCE SOCIALE]
Dans ce domaine, nous nous devons de réorganiser les politiques d’assistance sociale éparpillées un peu partout dans les différents services gouvernementaux La politique sociale du gouvernement ne doit pas être la cause qui engendre et nourrit la dépendance sociale. Au contraire, l’assistance gouvernementale doit devenir un instrument positif de réhabilitation sociale et humaine en se conjuguant à une aide sous forme de services personnels et communautaires adaptés aux besoins de la personne et de la famille. L’aide gouvernementale doit être effectuée dans le dessin de conserver à l’individu sa fierté humaine et de donner aux assistés sociaux la chance de se reclasser le plus rapidement possible dans le circuit productif.
[4 – POLITIQUE DE REVENUS]
Si les objectifs que nous voulons réaliser par notre politique de main-d’oeuvre, d’aménagement régional et de mesures d’assistance sociale atteignent leurs fins, il restera quand même à l’État l’obligation d’assurer une redistribution des revenus.
C’est pourquoi nous désirons pousser davantage l’organisation de la sécurité sociale de façon à instituer un véritable régime de prévention grâce à un revenu convenable. Il faut en particulier songer à mettre au point une politique de compensation des charges familiales qui permette, au moment où celles-ci s’accroissent, de transférer à la famille des ressources additionnelles.
L’outil que nous voulons utiliser pour atteindre ce but peut se subdiviser en trois branches: d’abord les allocations familiales, puis les allocations scolaires, et enfin une réorganisation de l’assistance-vieillesse. Le but que nous poursuivons est de mettre en application un système d’allocations familiales qui soit réellement adapté aux besoins des familles. Il semble tout indiqué de calibrer le taux des allocations selon l’âge des enfants afin de tenir compte de l’augmentation des charges à mesure que les enfants grandissent. Une telle gradation, est-il besoin de le souligner, apparaît comme l’un des plus sûrs moyens de répondre à cet impératif absolu qu’est la scolarisation sans cesse plus poussée des jeunes. Comme première étape, nous suggérons que le taux des allocations pour les étudiants de 16 et 17 ans soit établi à $ 20.00 par mois et que ces allocations soient étendues aux étudiants de 18 anse De plus, nous croyons que l’allocation des enfants de 13 à 15 ans, qui dans la famille sont au rang trois et plus, devrait être doublée à $ 16.00 par moise Pour ce qui est des allocations du système actuel d’allocations familiales fédéral, nous suggérons qu’il devrait être modifié de façon à éliminer progressivement les allocations des enfants de premier rang selon des modalités à établir. Les sommes ainsi économisées pourraient être employées à l’accroissement des allocations pour les enfants de rang trois et plus afin de favoriser davantage les familles dont les charges sont de plus en plus lourdes.
Comme supplément à cette politique d’allocations familiales et scolaires, il est de notre intention de regrouper les di verses mesures d’assistance vieillesse de façon à maintenir à un niveau correspondant aux besoins des retraités et des citoyens plus âgés les revenus d’appoint qui sont versés à cette classe de la société.
Dans cette perspective, le gouvernement du Québec est à mettre à point une nouvelle politique de sécurité sociale qui implique non seulement une réorganisation des programmes qu’il administre à l’heure actuelle, mais aussi la récupération éventuelle des programmes fédéraux qui n’auront leur pleine efficacité qu’une fois imbriqués et au moins repensés dans un tout bien coordonné et bien ajusté aux exigences du groupe humain auquel ils s’adressent. Une telle action est d’ailleurs requise par la nécessité évidente de considérer les mesures sociales comme partie intégrante de notre politique d’ensemble de développement économique et social.
Comme vous pouvez le constater, quand je dis qu’il reste beaucoup à faire dans la province de Québec, je n’exagère rien. Les tâches à accomplir nécessitent de plus en plus de compétence, de dévouement et de collaboration, de ceux qui ont la responsabilité du pouvoir, de ceux qui les soutiennent à fond, les militants libéraux et de la population en général. Vous comprendrez facilement que la réalisation de tels objectifs demande de la part de tous les membres du Cabinet et de celui qui vous parle des journées de travail bien remplies En ce qui me concerne, je dois dire que c’est dans la satisfaction du devoir accompli et dans le support moral que je reçois à l’occasion de rencontres comme celle de ce soir que je puise l’énergie qui me permet de poursuivre les objectifs que tous ensemble nous avons tracés. Dans une première étape dont les points majeurs étaient compris dans nos programmes électoraux de 1960 et 1962, nous avons mis en place les instruments de notre développement économique et jeté les bases d’une administration saine et efficace.
Dans cette deuxième étape, nous voulons entreprendre plus que ce qu’on a appelé la « lutte contre la pauvreté » en effet, il est plus juste de dire que nous donnons la priorité à la lutte pour la justice sociale dans le cadre d’une politique économique et sociale intégrée répondant aux objectifs et aux aspirations des citoyens du Québec.
[QLESG19660312]
[Chambre de Commerce des Jeunes À publier après 8h.30 p.m.. du district de Montréal Montréal – le 12 mars 1966
Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]
Il y a deux ou trois ans, on pouvait lire dans plusieurs des grands journaux et des grands magazines du Canada, des États-Unis et même de l’Europe des articles qui, fréquemment, traitaient de ce qu’on a alors commencé à appeler « la révolution tranquille ». On s’en tenait surtout aux aspects les plus spectaculaires du changement qui se manifestait au Québec, et on approfondissait assez peu la nature de ce changement ou de ses causes. Aujourd’hui, l’intérêt envers le Québec demeure, mais il va sous la surface. On essaie maintenant de comprendre pourquoi le Québec évolue comme il le fait présentement. On se demande pourquoi ce mouvement se produit maintenant et pourquoi on n’en a pas été témoin avant On s’interroge sur la durée prévisible du dynamisme dont nous donnons quotidiennement des preuves. Souvent on s’étonne même de la continuation au cours des années d’un phénomène qu’on avait cru essentiellement éphémère Et l’on cherche des raisons, des explications. On fait des extrapolations et l’on essaie de voir ce que sera le Québec de l’avenir. Ce sont tous là des sujets qui intéressent au plus haut point l’homme public. Il se pose les mêmes questions et essaie d’y apporter des réponses. Il le fait cependant moins – et c’est normal – en vue d’une connaissance théorique, que pour réussir à bien établir les problèmes qu’il aura à résoudre. Il veut comprendre la réalité non seulement pour l’expliquer, mais pour agir sur elle dans la mesure de ses moyens et des responsabilités qu’on lui confie. Quand on sait d’où on vient, quand on connaît les influences qui agissent sur nous, il est plus facile de voir où on peut aller, où on doit aller et comment s’y vendre. L’évolution actuelle du Québec s’explique, à mon sens, par l’action simultanée de plusieurs facteurs qui n’ont jamais, dans le passé, agi ensemble. Un de ces facteurs existe depuis les débuts de notre histoire; les autres, je crois, sont récents.
Le peuple canadien-français du Québec forme une société dans le sens le plus complet du terme. Il constitue un groupe humain homogène, de la même origine, marqué par la même histoire, orienté vers les mêmes objectifs généraux et possédant ses propres institutions. En somme, notre peuple jouit d’une communauté de langue, d’origine, d’histoire et d’aspirations. Et cette communauté a commencé à exister avant que ne prenne naissance la confédération canadienne elle-même.
Il n’y a pas, de la même manière qu’il existe une société québécoise, de société ontarienne ou de société albertaine. Chaque province du Canada a certes ses traits particuliers: aucune n’est identique aux autres. Aucune cependant n’est aussi différente de toutes les autres que le Québec Ceux qui ne voient, dans les attitudes actuelles du Québec, qu’une manifestation d’esprit de clocher se trompent sur le sens de nos gestes et ne comprennent surtout pas les caractéristiques humaines fondamentales du Québec.
En insistant sur le fait que le peuple canadien-français du Québec forme une « société », je tiens seulement compte d’une réalité évidente et je n’invente rien. Je ne fais que dégager un phénomène qui nous influence depuis toujours et dont se rend vite compte tout observateur de l’extérieure
Ce caractère de « société » que l’on retrouve dans le Québec est le premier facteur dont je veux parler. Il est probable ment l’élément le plus important à connaître pour bien se pénétrer de ce qui se passe chez nous aujourd’hui. Sans lui, tous les autres facteurs ne joueraient pas de la même façon. Ces derniers ne sont pas aussi immédiatement évidents, mais leur présence est déterminante.
Non seulement, comme je le disais il y a un instant, le peuple du Québec dans son ensemble possède-t-il les mêmes aspirations fondamentales, mais il a acquis une nouvelle conception de ses objectifs traditionnels et il en a fait de nouveaux objectifs qui à leur tour constituent une sorte de commun dénominateur. Je dis qu’il s’agit d’objectifs nouveaux car s’ils existaient de façon latente auparavant, ils sont maintenant vus sous une lumière différente et revêtent un attrait d’autant plus grand Je dis qu’ils constituent une sorte de commun dénominateur car ils ne sont pas seulement les buts d’une petite élite aristocratique mais bien ceux de l’ensemble de notre population qui y souscrit entièrement
Essentiellement, notre peuple a toujours recherché deux choses: un niveau de vie comparable à celui des nations développées, et un épanouissement culturel qui lui permette d’être lui-même, dans le respect de sa langue, de sa culture et de ses institutions propres. Je reconnais qu’on pourrait en dire autant de toutes les nations du monde. Cependant, et c’est ce qui est nouveau chez nous, ces deux objectifs, l’affirmation économique et l’épanouissement culturel, apparaissent maintenant comme intimement liés. Personne ne croit plus qu’il soit nécessaire de sacrifier l’un pour obtenir l’autre. Pendant longtemps, on a opposé l’épanouissement culturel à l’affirmation économique, comme si l’un devait se faire au détriment de l’autre. On laissait entendre que les cheminées d’usines ou les entreprises financières nous feraient perdre nos caractéristiques culturelles, ou bien encore que le maintien de notre langue, de notre foi et de notre culture devait, de par la « volonté divine », prendre le pas sur des préoccupations matérialistes comme l’activité économique ou financière. Ce faux dilemme est maintenant écarté. Sophistes sincères, mais sophistes quand même, ceux qui l’avaient inventé avaient confondu « volonté divine » avec « mythologie » collectives Les conflits que créait cette confusion n’ont plus aujourd’hui de prise. Toute une énergie nouvelle se trouve ainsi dégagée car elle n’a plus, devant elle, les obstacles psychologiques que nous dressions de génération en génération. En brisant ce faux dilemme, nous n’avons pas, comme certains aiment à le dire, rompu avec les valeurs du passé nous avons plutôt noué connaissance avec celles de l’avenir. Nous croyons avoir été plus fidèles à nous-mêmes en voulant maîtriser les éléments qui agissent sur nous qu’en continuant de nous laisser séduire ou bercer par une sorte de rationalisation stérilisante de notre état traditionnel d’infériorité économique et de notre statu quo culturel
A la contemplation résignée de notre impuissance, nous avons substitué une volonté d’affirmation qui est sans précédent dans notre histoire. On dit souvent que les Canadiens français font, depuis deux cents ans, le même rêve. On sait qu’en psychologie le rêve qui revient sans cesse est particulièrement symptomatique et révélateur. Aujourd’hui, ce rêve est en voie de devenir une réalité. Bien entendu, il ne se concrétisera pas du jour au lendemain. Il n’aura pas non plus ce caractère idéal, absolu et idyllique qu’entrevoyaient les générations qui nous ont précédés. Il se réalisera plutôt dans l’ordre, la paix et la justice, dans le respect des droits de tous et avec l’apport de chacun. Mais jamais auparavant nous n’avons manifesté l’esprit de décision, d’innovation et d’affirmation qui marque aujourd’hui notre communauté, ou plutôt, je devrais dire notre société.
Vous croirez peut-être que je simplifie et que j’exagère. Il est bien possible que je simplifie, mais c’est inévitable. Cependant, je n’exagère rien. Il y a aujourd’hui chez nous une volonté collective, axée sur des objectifs précis que nous rechercherions vainement dans tous nos manuels d’histoire.
Je n’en veux personnellement pour preuve que ce souci, chez notre population, d’utiliser des moyens d’action vraiment efficaces pour atteindre ses objectifs. Certains ont vu, dans cette préoccupation, l’infiltration dans notre société de je ne sais quel pragmatisme étranger à notre milieu, pragmatisme que me reprochent des gens très près de moi qui siègent en face de moi comme question de fait. Je crois qu’on se méprend sérieusement si l’on pense que nous pouvons atteindre les objectifs auxquels nous songeons depuis des décennies autrement qu’en agissant sur la réalité qui nous entoure. En d’autres termes, nous devons améliorer les moyens matériels que nous avons déjà à notre disposition; nous devons sans hésitation en créer de nouveaux là où il nous en manque. Il ne servirait vraiment pas à grand chose de nous contenter d’énoncer nos droits quels qu’ils soient Nous l’avons fait pendant trop long temps, par des déclarations patriotardes ou sentimentales, pour ne pas savoir combien peu d’effet elles ont eu, J’admets qu’il est nécessaire de défendre nos droits Cependant, dans le monde où nous vivons – et je ne parle pas seulement du monde canadien, mais de l’ensemble nord-américain – la meilleure façon de défendre nos droits est moins d’en parler que de poser les gestes voulus, On peut regretter qu’il n’en soit pas autrement, mais à moins de nous transporter en bloc sur une autre planète sur je ne sais quel tapis magique, nous devons accepter de résoudre les problèmes que nous avons dans le monde où nous sommes et non pas chercher à contourner les difficultés que nous aimerions combattre dans un monde où nous rêverions de vivre
Un dernier facteur – mais non un des moindres – est la participation active du gouvernement du Québec à l’œuvre qu’a entreprise notre peuple Il faut reconnaître aujourd’hui l’apport que représente le levier collectif qu’est le gouvernement. Je ne veux pas ici me lancer dans une discussion politique. Je désire seulement, et bien objectivement, souligner que jamais dans le passé, malgré toutes les déclarations officielles à l’effet contraire, le gouvernement du Québec n’a accepté consciemment, comme il le fait aujourd’hui, de jouer un rôle aussi vital. Souvent, quelques-uns des facteurs que j’ai mentionnés, commençaient à se manifester. Mais le gouvernement était le premier à indiquer qu’il ne fallait ni aller trop vite, ni aller trop loin. « Sois sage, ô mon peuple », avait l’air de dire constamment ce [« Big Brother »], « Ne te fais remarquer que par ta soumission ». Le gouvernement servait alors de frein à un élan en puissance, plutôt que de guide à un mouvement. Ce rôle de guide, le gouvernement le joue aujourd’hui. C’est peut-être la première fois que cela se produit de façon aussi consciente et il vaut la peine de le remarquera Combien d’entre vous se sont déjà dit: « Ce qui frappe actuellement c’est que le gouvernement du Québec lui-même va de l’avant »? Ceux qui éprouvent le besoin de faire une telle réflexion démontrent, par cette réflexion elle-même, qu’il s’agit là d’un phénomène nouveau chez nous. Pendant des années, la machine gouvernementale a été le roc sur lequel se sont brisés bien des espoirs. Aujourd’hui, au contraire, c’est là que certains espoirs naissent. Il y a là tout un monde de différence et, vous comprendrez que, comme chef de ce gouvernement, je ne peux m’empêcher d’y faire allusion.
En somme, certains facteurs exercent actuellement ensemble leur influence sur le Québec. Ils n’ont jamais été réunis de cette façon auparavant car si notre peuple a toujours constitué une société, il lui manquait ou bien une perception réaliste de ses objectifs naturels, ou bien une volonté agissante d’affirmation, ou bien un souci quotidien de l’efficacité, ou bien un gouvernement pour jouer pleinement son rôle de levier ou même plusieurs de ces facteurs à la fois. Aujourd’hui, ils sont tous simultanément présents. Une telle combinaison – il ne faut pas s’en étonner -fournit un dynamisme extraordinaire à l’évolution actuelle du Québec. Elle montre aussi combien se font illusion ceux qui croient que le mouvement actuel n’est qu’une bouffée éphémère ou accidentelle de nationalisme verbal. Le mouvement qui nous anime est donc profond. Il est même irrésistible dans la mesure, comme c’est le cas maintenant, où il reçoit l’appui de toute notre population.
Je pense qu’on peut rendre compte de tout ce qui se passe au Québec et détruire bien des contradictions beaucoup plus apparentes que réelles si l’on se réfère à l’action concurrente des divers facteurs que j’ai mentionnés Pour être entièrement réaliste, il ne suffit cependant pas d’expliquer, comme je viens de le faire, pourquoi les choses se déroulent comme elles le font présentement Il faut aussi poser clairement les problèmes que nous avons encore à résoudre. Ceux-ci sont nombreux et je n’ai pas l’intention de les passer tous en revue. Je veux seulement m’arrêter brièvement à quelques-uns d’entre eux. Je crois que la population du Québec, qui aspire à un mode de vie démocratique, a le droit d’être informée de ces problèmes et le devoir de participer à leur solution.
Notre première difficulté est de bien nous faire comprendre, Je ne veux pas seulement dire qu’il est essentiel que le gouvernement fédéral saisisse nos points de vue, mais aussi et surtout que partout au Canada et dans les autres pays on ait une image de nous qui soit conforme à la réalité. Autrement, tous les malentendus sont possibles et les vieux clichés continuent de hanter les conversations. Aujourd’hui, par exemple, on ne peut plus vraiment juger d’une situation en fonction seulement de la gauche ou de la droite, du séparatisme ou du fédéralisme Les mots ne comptent pas tellement – ce qui importe c’est de s’employer à corriger, le cas échéant, l’idée erronée qu’on peut se faire de nous en substituant aux qualificatifs périmés des notions plus exactes Cette tâche n’appartient pas seulement aux ministres du gouvernement du Québec; chaque citoyen québécois qui entre en contact avec des Canadiens des autres provinces ou avec des ressortissants d’autres pays a en quelque sorte, à ce sujet, un rôle d’ambassadeur.
Si, d’un côté, les autres doivent comprendre qui nous sommes vraiment, nous devons nous-mêmes nous habituer à l’évolution qui se produit dans nos propres institutions, par exemple dans notre gouvernement lui-même. En effet, un des aspects les plus remarquables, mais peut-être le moins remarqué, de notre « révolution tranquille » est le fait que notre gouvernement soit devenu un instrument au service de notre collectivité tout entière. Pendant des décennies, chaque ministère a plus ou moins joué le rôle d’une officine gouvernementale à la remorque ou à la défense d’intérêts particuliers. Aujourd’hui au contraire, chaque ministère s’efforce, dans un secteur d’activités donné, de servir toute la population non pas contre les intérêts particuliers, mais au delà de ceux-ci. Cette tendance est de plus en plus marquée, mais elle n’est pas encore acceptée partout Nous devons être vigilants à cet égard et maintenir cette attitude positive car elle est une des conditions essentielles à l’avènement d’une réelle démocratie.
Notre concept traditionnel de démocratie est lui-même en train d’évoluer. Nous ne vivons plus dans un monde où l’individu était, seul, face à l’État. Plus précisément, la démocratie ne peut plus aujourd’hui s’axer seulement sur l’individu. L’émergence, dans notre société, de corps intermédiaires actifs change les perspectives de l’exercice du pouvoir. Les personnes s’expriment maintenant à travers les associations et les organismes dont elles font partie. La démocratie politique se manifeste autant au niveau du gouvernement lui-même qu’à celui des groupes qui peuvent influencer les politiques du gouvernement. Il en découle une responsabilité que plusieurs citoyens n’attendaient pas et que tous ne comprennent pas encore Le groupe ne doit plus être le perroquet inconscient et docile d’intérêts particuliers qui réussissent à le manipuler; il ne peut pas non plus se contenter d’agir comme instrument irresponsable de pression sur le gouvernement. Les corps intermédiaires ont acquis une force inattendue; ils ont le devoir d’apprendre à s’en servir avec réalisme, sans la gaspiller, sans la perdre dans des sentiers stériles. Pour résumer ma pensée, je dirais que nous avons dépassé la période du trop facile « attendu que » pour entrer dans celle, plus difficile, du mémoire documenté, sérieux et utile.
Je m’en suis tenu à quelques problèmes de notre vie politique. Évidemment, il y en a tellement d’autres de nature économique, sociale ou constitutionnelle. J’ai eu l’occasion d’en parler en d’autres circonstances et je sais que j’y reviendrai. Il m’a toutefois paru important d’attirer votre attention sur des questions auxquelles on pense assez rarement. Je vous en parle à vous, qui appartenez à un mouvement de jeunes, non pas parce que je veux vous faire croire que vous réussirez vous-mêmes à résoudre ce genre de difficultés par votre seule bonne volonté, mais parce que, comme toute la jeunesse québécoise, vous voulez collaborer à leur solution.
Aujourd’hui – et je vous convie à cette grande tâche – nous édifions au Québec une société nouvelle. L’entreprise est loin d’être aisée, mais nous avons comme jamais auparavant, toutes les chances de succès de notre côté. Il nous suffit, non pas de les saisir – c’est déjà fait – mais de les développer.
De cette façon, le Québec finira par se donner tous les outils nécessaires pour assumer, au Canada, une place nouvelle qui rendra possible la satisfaction des aspirations de sa population en même temps qu’elle fournira au pays tout entier l’apport d’une société qui ne demande pas mieux que de collaborer aux tâches communes dans le respect entier de ses droits et de ceux des autres.
[QLESG19660325]
[Chambre de Commerce de la Région À publier après 8h, p.m. Lakeshore – Pointe Claire For release upon delivery. Vendredi, 25 mars 1966
L’honorable Jean Lesage, Premier’ ministre]
[When your representative in the House asked me to accept your kind invitation to address you tonight, she used as one of her arguments that, according to her, I had never officially addressed a local organization in her constituency… She did not need to use any specific argument as I was going to accept anyway: I find it an almost impossible venture to refuse anything to Mrs. Casgrain. My minister of Roads and myself, for instance, keep realizing budget after budget that somehow or other the allocation of funds for the county of Jacques Cartier always reach very impressive figures.
Referring back to Mrs. Casgrain’s argument, when she wanted to convince me to accept your invitation, may I point out that I could easily have answered that the riding of Jacques Cartier is one I have visited most frequently in recent years: I must have attended a good do zen of inaugurations of new buildings in this constituency. Industry is to such an extent mushrooming that your area is well in the process of becoming Montreal’s own golden belt as well as one of the most attractive residential communities on
the island.
Which brings me to speak to you, members of a Chamber of Commerce, of the tremendous economic and social impact of that magnificent section of the Trans-Canadienne and the approaches to the Mercier Bridge (the south west end portion of the island).
I can safely say that the investment of the Government in the Trans-Canada Highway extending from Ste-Anne-de-Bellevue to Côte de Liesse and including the Mercier Bridge approaches has been more than justified by its social and economic impact, not only
in the riding of Jacques Cartier as it stood before last year’s redistribution but on the island and even on La Belle Province. The portion of the Trans-Canada Highway which I just described necessitated an investment of over $27000000 and if we include the Île aux-Tourtres Bridge and the interchange access road to Mercier Bridge the global investment adds up to more than $59000000. Need I remind you that the plans for the TransCanada Highway were changed by the Quebec Government from a four lane to a six lane divided highway. The additional cost was borne by our Government.
The new access road to Mercier Bridge will have a profound influence on the LaSalle, St-Pierre and Lachine industrial structure The diversion of traffic flow from Lafleur avenue accelerates the transport of finished products, thus reducing inventories of market oriented firms using extensive road transport.
The diversified pool of manpower from the Montreal area now has easier access to the LaSalle industries.
The interchange in Dorval coupled with the widening and relocation of Côte de Liesse as well as the construction of overpasses will give the Metropolitan Boulevard a new dimension while relieving the congestion on local roads in this City. As an illustration may I point out that the commercial and industrial
assesment grew from 23% in 1960 to 33% in 1965
The Pointe Claire industrial core at the present time is much the saure as in Dorval with more emphasis however on warehousing and distribution centers.
Eighteen firms located in Pointe Claire between 1956 and 1960. Between 1961, the starting date of the Trans-Canada Highway construction, and 1965, 51 new plants were built.
The commercial and industriel assessment in this city grew from 20% in 1962 to 33% in 1965, thus showing an important increasee The Trans-Canada Highway has already a positive effect on Dorval and Pointe Claire. This impact is moving westward on the Island and the other communities will witness the saure effects in the near future.
The positive effect of the Trans-Canada Highway is
moving westward toward Beaconsfield, Baie d’Urfé, Ste-Anne-de Bellevue and the north shore municipalitieso Ail these cities adjacent to the new freeway are planning industrial parks to take full advantage of the new opportunities createdo
The Trans-Canada Highway canalizes the industrial activity in the interior of the Island and orients the peripheral land towards a residential use.
I wish to talk now about the Quebec official road signs system: a highly controversial subject in some quarterso There are 177 road signs of which 110 are symbolic and easily understood by anyone whatever his maternal tongue may be; 58 are bilingual, 9 are unilingual French. Of these vine, four represent the cardinal points which are written and sound like
English. The others describe areas and geographic areas which should not be trarislated be they french or english
The purpose of the symbplic sign system is obvious and its advantages are well recognized in Europe and in the worldo
Symbol singning is being developed as rapidly as possible in this Province. Where important directions cannot be given symbolically or in two languages, then we use the language of the majority in the Province. May I assure you however that our search for symbols, the highway esperanto of the future, is continuing.
Montreal is not only the Canadian metropolis but it has been put on the map of internationally known and visited capitals of the world by its bi-cultural characteristics, its economic power and the coming EXPO ’67. Montreal is the area
of the Province most in need of a road sign system that is standardized throughout the world and understood by every visitor. You, of the West end, are living in this areao It is no longer your own life in your own town. You must realize that you are part of the metropolis of Canada which is cosmopolitan and formed mainly by two ethnic groupso À metropolis which is the second largest French-speaking city of the entire world„
When my Government came into power in 1960, we set out to promote the economic development of the Province. In order to meet the normal needs of the Canadian metropolis, we have devoted tremendous energies and invested considerable amounts of money on the Island of Montreal. With the advent of Expo ’67, we have spared
no effort and no energy in insuring that the island would be up to World Exhibitions standards, bearing in mind that Expo ’67 will promote economic development of Quebec and Canada as a wholeo
We have assumed the cost of construction of highways and overpasses. We have attempted and indeed we have succeeded in developing on and around the island one of the most modern road complexes in this country With the advent of Expo ’67, Montreal is encreasing its prestige as an internationally known city. The economic deve lopment of the island is not only serving the cause of Montreal and the Province but also serving the cause of Canada
1967 will be the year of Confederationa It will be
a year of soul searching and of examination of the destiny of Canada. With the development of the Metropolis, with the advent of Expo and the influx of visitors from all over the world, it is in Montreal, in the heart of the country, that Canadians will, I hope, acquire a new sense of what the real meaning of Canadian citizenship should be in this city which will become the meeting place of our nation.] Je viens de vous parler du renouveau du Québec. N’est-il pas vrai qu’il s’illustre avec un relief particulièrement saisissant ici même dans cette région que vous habitez et dans laquelle vous exercez vos professions ?
Voyez la route transcanadienne et sa jonction avec l’autoroute du Nord, voyez les approches du pont Mercier et les autres travaux de Voirie. Depuis une couple d’années, le visiteur de passage dans votre partie de l’île de Montréal doit avoir l’impression de traverser un immense chantier.
En plus de nombreuses réalisations de voies routières, de ce grandiose éventail de routes et d’autoroutes – (et dans une certaine mesure, devrais-je dire, à cause même de ces travaux) – de nouvelles entreprises sont attirées dans chacune de vos villes.
La poussée industrielle se fait déjà sentir à LaSalle, Lachine, Dorval et Pointe-Claire; elle gagnera vers l’ouest pourvu que l’on sache s’y préparer Le temps d’une conception régionale de l’urbanisme est venu chez vous: dans la mesure où l’on saura allier les exigences des parcs industriels et les besoins des zones résidentielles, le progrès de votre partie de l’île ne peut manquer de s’accentuer très rapidement.
Soutenu d’un côté par un réseau routier exceptionnellement favorable, appuyé de l’autre par l’esprit d’entreprise dont l’Exposition Universelle de 1967 n’est qu’une illustration, vos initiatives de développement communautaire sont promises à un bel avenir.
Le vent est dans les voiles. Et il en est ainsi pour tout le territoire qui est l’héritage commun des Québécois, qu’ils soient de langue française ou de langue anglaise.
Au stade d’évolution que la province a maintenant atteint, il est devenu notoire à l’échelle du pays et du continent -je dirais même du monde occidental que le Québec est en train de réussir une montée économique et sociale dont on n’osait pas même rêver voici peu d’années encore. Certes les problèmes demeurent à la fois nombreux et sérieux, mais l’essor représente aujourd’hui un acquis définitif. Nos concitoyens ont fait la preuve à la fois de leur potentiel et de leur dynamisme. J’ai la fierté de dire que le gouvernement s’est montré d’avant-garde, qu’il s’est révélé en plusieurs domaines l’initiateur hardi du renouveau dont profite toute la population.
[As members of the Chambers of Commerce of the west end of the
island of Montreal you are vitally concerned with all aspects of the economic development of the province. But as citizens, tax-payers and the fathers of thousands of children growing up in a new Quebec –and here I am addressing myself particularly to my English-language listeners who represent the majority of this audience — you have often pondered the causes and consequences of Quebec’s quiet revolution as it affects your family, your neighbour hood and your community.
How many of you, have been witnessing the sometimes
awesome spectacle of a Quebec on the move and considered this social and economic upheaval as something outside your immediate concern ? Yet, are you not, for the most part, Quebeckers residents of the Province of Quebec, and I repeat and I insist -Quebeckers!
Do you think for a moment that La Belle Province could be what it is today without the contribution of the English language population ? In other words, do you think Quebec
could be Quebec without you ?
Just as many ethnic groups have grafted themselves
to the two main groups that founded and settled Canada to form the fabric of our country as it now stands, so the English-language population forms part and parcel of the Quebec of 1966 But all too often, even English speaking citizens tend to consider themselves as outsiders Too little has been said about the thousands of English speaking compatriots whose roots are buried deep in the history of Quebec or the many thousands who, more recently, have chosen to settle in this Province.
Here in the west end of the island of Montreal you represent a large segment of what has become known as the stronghold of English speaking Canadians in this Province. !ou are a definite force, but a force that sometimes gives the impression of not having found its way in the sociopolitical and economic context of a Quebec on the move°
It is natural that after a prolonged era of political and administrative complacency — that you should have been taken
by surprise by this sudden ground swell of public action, this rather startling re-awakening of a people that is on the marcho
It is normal that you should have asked questions Some have worried; others buried their heads in the sands; still others ran for the ramparts and adopted the hostile attitude of combatants — as if a civil war was imminent.
I agree that some recent events in Quebec have been disquietening. I agree that you have had good reason to ask questions about the quiet revolution. We ourselves are asking them everyday. No one knows ail the answers..
But don’t you think that the time may have corne to try to compile and analyse many of the answers you have received to the questions you have been asking since 1960?
Don’t you think that we have reached the stage when full and active cooperation can be expected from all Quebeckers, regardless of language, — not a cooperation based on the terms of an impatient minority but an honest collaboration with a majority that has proven without question that it has respected and intends to continue to respect the rights of a fine and proud minoritye
What I am trying to express to you now is the uncomfortable feeling of many of us in Quebec that
too many of our English speaking fellow citizens are still outside the fold and not participating fully in the renaissance of La Belle Province.
Oh, I-know that the accent of late seems to be on Quebeco We have been accused of thinking too much in terms of this province and not enough in terms of Canada as a whalee Again, I can understand this attitude.
But what I cannot understand is that so many Canadians (and unfortunately, many English-speaking residents of Quebec as well) seem to think that every constructive social and economic breakthrough on our part is a step Gloser to secessione To even think this way is to given ample proof that one does not fully understand what is going on in Quebec today.
How natural, how normal it is for Quebeckers to think more in terms on their Province than of Canada, or NATO or the United Nations! But because we are so engrossed in what is happening in our Province today does not mean we are lesser Canadians or that we have turned our back on our fellow countrymene
French canadians are busy re-building their own bouse, For more years than I can remember, Canadians have said -and some have taken pleasure in repeating — that Quebec was 50 years behind the times, And it was partly trueo
Then it happened. The spirit of our people — too long subdued –suddenly awakened, took fire and (if I may use mixed metaphors, mixed but expressive) like a cleansing inferno, literally engulfed the Province.
I am proud to say that my government can take credit for a large share of the socio-economic renaissance that has marked this Province since 1960., But I am quick to add that the upsurge we are witnessing today originated in the people of Quebec who, since 1960 have felt qushing up from its institutions, its men, its women, its very soil, a wave of enthusiasm coupled with a determination to break the shackles of the past and sweep away the cobwebs of previous administrations
Quebec on the move is a people on the move, a people that refuse to sit back as idle spectators but want to be part of these exciting and fruitful years.
In six years, Quebec has accomplished what others have claimed it would take 50 years to do.
In six years, we have plunged into new and daring social and economic adventures that have won us the respect, attention and, for a great part, the admiration of every other province in the country.
In less than six years we have opened the doors of emancipation to all groups of our society who now have a voice in the shaping of their destiny, a voice that sometimes growls but more often than not continues to shout its encouragement.
In six years, Quebec has seen the coming of age of
a new society., I give you, in a quick and incomplete breakdown: the creation of a General investment
Corporation designed to assist and develop our own industries — the Quebec Pension Plan –the charter of the Quebec mining
Exploration Company — the Quebec Deposit and Investment Fund –the act respecting the legal capacity of women -the reorganization of the Provincial Police -the Royal Commission of Inquiry on Education — the nationalization of our Hydro-electric companies — the Labour Code — the Hospital Insurance Act (and the soon to be established Medical Insurance Act) — the Quebec Economic Advisory Council — the General Investment corporation the highway victims indemnity Act — the establishment of the
Department of Education, the Departments of Federalprovincial affaires, of Revenue, Natural Resources, Cultural Affairs, Justice, Family and Social Welfare, Tourism, Game and Fisheries a daring highway policy , an overall;social assistance place and I am only giving a few samples of the most important legislation passed by your Legislature during the past 6 years0
And some people wonder why, for the time being, Quebeckers tend to think more in ternis of Quebec, seem to be more involved with Quebec problems than with those of Canada as a whole?
The people of Quebec have always been and they remain loyal Canadians0 This is an irrefutable fact.
The people of Quebec, at the present time, are more Quebecoriented than ever before.. This also is an irrefutable facto
But that this sense of dedication to a cause that
is their own – that this intensive participation in the affaires of their Province should be interpreted as evidence that French Canadians are turning their back on Canada and brandishing the flag of a narrow-minded nationalism is a flagrant misrepresentation of the facts.
And this, unfortunately, is one of the great problems we have to contend with; the misrepresentation, the misinterpretation and the misunderstanding of what is going on in Quebec todayo
As a French Canadian and as Head of the Government
of Quebec, I toured Western Canada with the firm intention of acquainting my fellow Canadians with the problems we are facing in this Province and to try to explain the nature of the solutions we have adopted. While, undeniably, many responsible people have understood my message, I came back saddened by the realization that there are still a number of Canadians who are not aware of the problems we are facing and, sadder still, have not been able to grasp the significance of the action of a people attempting to gain control of its destiny0
My message to you is a reminder and a challenge; Blood is thicker than water0 Much of the responsibility for the task of interpreting Quebec to the rest of Canada falls on the shoulders of the leaders of the English-speaking community in this Province.
I dare say that you can no longer remain silent0 To do so is to short-change your fellow-Canadians, those who have the right to know and those who wish to be understood.
I have fully realized it during my western tour last fall„ I have been astounded at the lack of comprehension what is going on in the Province.
For Quebec does not need to be defended beyond its borders: it wants to be understood., And who but the Englishspeaking Quebeckers who are masters of their own destiny within the French community can best play that role ?
Of course, you have a wide choice. You can be passive or active. You can be negative or positive. You can undermine your Province or you can give it your enthusiastic support
Some have chosen to be passive They do not want to be involved in a business which they do not consider to be their own.. They consider themselves foreigners in their own Province. They wait. They worry. They do not talk or acto Others are negative. They are the fault-finderso
They have closed their eyes to the amazing development of this Province — their Province –they refuse to see the miracle of
rejuvenation that is stirring through the oncesleeping giant that is Quebec — their Quebec. The growling cernent-mixers in Manicouagan, the pounding pile-drivers probing the earth for new bridges, new buildings, new roadways, in all parts of the province, including this constituency, unfortunately all this is just noise to their ears. They will not see they will not hear. To them, « the French are taking over the Province » and the tragedy is complete.
Finally, we find those — very small in number, fortunately – who are actively engaged in deriding and destroying any thing that is « made in Quebec »a Disturbed by the winds of change, they refuse to look at and accept the facts of life. In revenge, like ardent misled firebrands among my own French-Canadian compatriots, they sow the seeds of discontent, of distrust and hatred. They are fighting a rearguard battle, hoping against hope that the quiet revolution, the emancipation of Quebec is nothing but a bad dream. And they plot, they revile or they write books –anonymouslyo The tragedy of the situation is that the vast majority of English-speaking citizens of Quebec are not passive or negative or fighting against the Quebec revolution, I am convinced that the vast majority of the citizens of this Province who are not of French language understand what is going on. À great number are beginning to realize that the Quebec revolution, is their revolution and it is with pride and respect that they are contributing to our new way of life.
Even more, there are leaders in the English-speaking community who have crossed our frontiers into Ontario, the Maritimes and the Western provinces to relay this message.. They have shown courage and intellectual honesty. They could well have added to the fuel of vengeance, to the venon that some are prone to pour on Quebec: they refused. They spoke, not as interpreters of Quebec they spoke as
Québeckerso
Madam, gentlemen, as businesspeople, you are called upon to traval the width and breadth of our country. You also, can relay the message that Canadians are awaiting to hear. Ail I ask of you is the saine intellectual honesty that has characterized the approach of saine of your fellowcountrymen who made themselves understood, not because they preached, but merely by because they expressed their pride in their Province, their pride in its many sound accom plishments, their pride in the fact that they too were part of the quiet revolution].
[QLESG19660401]
[CONFERENCE DE PRESSE Vendredi, le ler avril 1966 DECLARATION DU PREMIER MINISTRE
CONCERNANT LA CONSTRUCTION D’ELEVATEURS À GRAIN À PORT CARTIER] La région de la Côte Nord – l’une des dix régions apparaissant sur la nouvelle carte économique et administrative du Québec est souvent considérée comme un pays minier par excellence, avec ses installations gigantesques, avec la croissance vertigineuse de sa production et par l’importance de la main-d’oeuvre employée dans ce champ d’activités.
Cependant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit vite que l’économie de la région est beaucoup plus diversifiée. Ainsi, depuis quelques années, la population active dans les secteurs forestier, minier et manufacturier est à peu prés égale. Par contre, le secteur tertiaire y est nettement prédominant, avec plus de la moitié des effectifs.
Et l’on sait que dans les pays modernes, la présence d’un secteur tertiaire fort est l’un des signes d’une très grande croissance économique. Aux États-Unis, par exemple, 60 % environ de la population active travaille dans la construction, le commerce, les transports, les communications, les services, l’administration et ainsi de suite.
Mais toutes ces activités économiques n’existeraient pas si elles ne s’appuyaient sur l’industrie primaire, comme les forêts et les mines, et sur l’industrie manufacturière. Dans la région de la Côte Nord, la société Québec Cartier Mining est justement l’un de ces piliers essentiels sur lequel repose toute la structure économique régionale. À Gagnon et à. Port-Cartier, la compagnie a créé de toute pièce un grand complexe industriel comprenant une vaste mine à ciel ouvert, une immense usine de concentration, une usine de production d’énergie hydroélectrique, deux villes modernes et coquettes, un chemin de fer de 191 milles reliant la mine au golfe, et enfin, un port de mer.
Question de fait, ce port est l’un des plus profonds. Avec Canada, et à ce chapitre, il vient au premier rang au Québec. Avec ses 50 pieds à marée basse, il peut accommoder les plus gros navires de transport utilisés de nos jours, par exemple, ceux qui ont une longueur de 1000 pieds et qui ont un jaugeage de 100000 tonnes. Le port a été creusé dans le roc, afin d’éviter les frais périodiques de dragage. Il est gardé libre de glace à l’année longue par un système de bulles d’air comprimé installé au fond du port. Dans les deux bassins d’ancrage, il y a quatre quais d’une longueur totale de 3,980 pieds. En raison de ses qualités physiques et de ses avantages économiques, Port-Cartier constituait un choix naturel et le site idéal pour la construction immédiate d’élévateurs à céréales. C’est pour quoi la société Louis Dreyfus, qui compte parmi les plus grands commerçants internationaux de céréales, s’est intéressée aux installations portuaires de Port-Cartier.
Louis Dreyfus Corporation est membre du groupe de la société française qui a été fondée en 1851, et dont les ramifications s’étendent travers le monde entier. À New-York, la compagnie est en opération depuis 1905 et elle possède des sous-bureaux dans plusieurs villes américaines de même qu’il Vancouver et à Winnipeg.
A la suite de l’accord intervenu entre les sociétés Québec Cartier Mining et Louis Dreyfus Corporation, celle-ci commencera incessamment la construction d’un élévateur à céréales qui nécessitera des investissements de l’ordre de $14000000. De conception moderne, cet élévateur aura une capacité initiale de 10000000 de boisseaux, avec une manutention annuelle de 100000000 de boisseaux, ce qui veut dire à toutes fins pratiques, que le chiffre d’affaires de la compagnie atteindra les $200000000 par année.
Au début des opérations, c’est-à-dire lorsque commencera la saison de navigation de 1968, la main-d’oeuvre permanente sera de 125 personnes environ.
En plus de l’importance du projet en regard de Port-Cartier et de sa région – car il s’agit d’un cas typique de décentralisation économique -l’installation de Louis Dreyfus Corporation dans le Québec signifie que la présence de notre province dans le commerce international des céréales sera définitivement consacrée.
Quant à la circulation accrue qu’entraîneront nécessairement les nouvelles opérations de la Compagnie sur le St-Laurent, on peut dire qu’elle aura des effets d’entraînement sur l’ensemble de l’économie québécoise et canadienne.
Au nombre des facteurs qui ont contribué au succès des pour parlers, il me fait plaisir de noter la participation active du ministère de l’Industrie et du Commerce du Québec, par le truchement de sa direction du Commerce (division des commerces et services).
En guise de conclusion, je désire féliciter et remercier les responsables de cette importante initiative et je leur souhaite le plus grand succès à eux, de même qu’à tous ceux qui sont en train de façonner l’avenir économique de la Côte Nord.
[QLESG19660429]
[Ukrainian Canadian Professionnal À publier après 9h. P.H. and Businessmen’s Association
Montréal – le 29 avril 1966
Hon. Jean Le sage, Premier ministre]
L’expression « révolution tranquille », dont on se sert fréquemment pour caractériser les changements qui se produisent depuis cinq ou six ans au Québec, n’a pas été inventée par des québécois. Elle a d’abord été utilisée, si je me souviens bien, par des journalistes de langue anglaise, et reprise à l’étranger. Ces journalistes voulaient, à l’intention de leurs lecteurs, résumer en une expression imagée et brève le dynamisme et l’esprit d’initiative que manifestait soudainement tout le peuple du Québec.
Ils ont à dessein imaginé une formule apparemment contradictoire, où l’idée de révolution voisine celle de calme. De fait, un des aspects les plus originaux et les plus surprenants du Québec moderne est que la nature pourtant révolutionnaire du mouvement dont nous sommes ici témoins n’engendre pas la violence, pas plus qu’elle n’en découle. Il y a bien eu quelques gestes isolés et peu nombreux de la part d’un groupe infime d’extrémistes; ces gestes ne se reliaient cependant en rien à notre « révolution tranquille » et n’en ont pas influencé le cours. Ils ont d’ailleurs été réprouvés par toute notre population.
Je connais peu de pays au monde où la vaste remise en question qui dure au Québec depuis plus de cinq ans pourrait s’accomplir sans bouleversements, sans désordres de toutes sortes. Rien de tel n’est arrivé au Québec. Dieu sait cependant que tous les domaines de l’activité humaine ont été touchés, qu’ils le sont et le seront encore car notre « révolution tranquille » n’est pas terminée. Elle s’engage à peine dans une deuxième étape.
Nous avons commencé à transformer notre administration publique pour en faire un outil efficace et compétent. Nous avons commencé à doter nos citoyens d’un système d’éducation qui rendra les nôtres aptes à assumer toutes les responsabilités suscitées par notre monde moderne. Nous avons commencé à construire un régime de sécurité sociale plus humain et plus juste. Nous avons commencé à confier à notre gouvernement les tâches économiques dont il ne pouvait ni ne devait se désintéresser. Nous avons commencé à exploiter nos ressources d’une façon plus ordonnée. Nous avons aussi commencé à faire jouer au Québec le rôle qui lui revient non seulement comme point d’appui du Canada français, mais comme membre actif et conscient de l’entité canadienne.
Je pourrais continuer encore longtemps à énumérer les changements dont le Québec a été à la fois l’agent, le témoin et le sujet depuis plus de cinq ans. Nous avons travaillé sur tous les plans à la fois. Certains nous ont même reproché de trop entreprendre, de vouloir faire trop de choses en même temps. C’est pourtant là ‘la caractéristique fondamentale d’une révolution, celle d’être un changement global, brusque, soudain. Nous avons voulu, au Québec, atteindre nos problèmes à leurs racines; nous n’avons pas voulu nous contenter d’en corriger tant bien que mal les effets.
Pour réussir, nous avons dû mettre fin à certains privilèges, nous avons dû placer l’intérêt général au dessus des intérêts particuliers, nous avons dû remplacer un équilibre antérieur auquel beaucoup se plaisaient par un nouvel équilibre auquel certains ne sont pas encore habitués. Des classes sociales nouvelles ont surgi, d’autres ont vu leur prestige traditionnel s’amoindrir. Des initiatives économiques originales ont vu le jour, les relations entre le secteur public et le secteur privé ont été modifiées à l’avantage de chacun, croyons-nous. Nous avons expérimenté sur plusieurs plans et nous avons mis de l’avant des conceptions auxquelles d’aucuns considéraient le Québec comme irrémédiablement réfractaire. Cependant l’oeuvre que nous avons commencé à accomplir et les succès que nous avons remportés jusqu’à aujourd’hui nous autorisent aux plus rands espoirs. À l’impression traditionnelle chez nous qu’à peu près tout était impossible a succédé celle qu’à peu près rien ne l’est.
[As I said a moment ago, such sweeping changes in such a short space of time could easily have caused serious, wid’e spread disorder. Admittedly, there has been some friction and difficulty, but at no time –and that’ includes the present –have we witnessed anything other than the normal unrest.which goes with any period of transition. It is also t.rue that.new problems have arisen,:.but , they were expected. Thus, we knew very well that,:with our action in the sphere of federal-provincial relations, Québec’s former inertia would give place to a new creative approach leading to the gradual but determined takeover of our rightful fields of competence and, further, to a redefinition of the respective roles of the Government of Quebec and of Canada.
Much the same thing has occurred in the government labour relations field. In giving the right to organize and strike to its own employees and to employees of other enterprises formerly closed to labour unions, the government accepted the full consequences of its decision; to take any other attitude would have been illogical or unrealistic.
However — this bears repeating — there has been none of the disorder evident in some other countries which have gone through much less’extensive changes than our own. In other words, to come back to the term « quiet revolution », I would say Chat our « revolution » has been in progress for about six years, but has lost none of the rational temper which has characterized it from the beginning. As a people, we have succeeded in giving free rein to our dynamism without becoming reckless or headstrong, asserting ourselves without showing arrogance, exercising our rights without prejudicing the rights of others. In a word, what we have accomplished so far is something of a masterstroke: we have begun taking all the steps necessary to build a new, strong society, and have done so without loss of order or justice.
How is it possible for Québec to have a thoroughgoing revolution and at the same time avoid the unfortunate excesses which usually accompany transformations of this kind?
For some people, the answer is easy: they will simply claim that there is no revolution in Québec, but merely rapid evolution. This is the sort of over-simplification which leads nowhere, because it fails to explain the lack of
upheavals which rapid evolution is also likely to cause. This is obviously pot the answer.
Future historians and sociologists will provide a more accurate picture of what is taking place, but I personally believe that two factors explain why our revolution is so « quiet »: undivided popular support for Québec’s current transformation and the realistic goals we have set for ourselves.]
Sans faire d’enquête d’opinion publique, on peut facilement se rendre compte que, dans son ensemble, notre population appuie entièrement l’effort de rénovation auquel le gouvernement s’est attaqué. Bien peu de gens souhaiteraient aujourd’hui retourner à une dizaine ou une quinzaine d’années en arrière. Tous les changements qui s’effectuent à l’heure actuelle correspondent en fait à une volonté de réforme qui, dans certains cas, date d’il y a plusieurs années. Entre 1950 et 1960, chacune des classes de notre société avait commencé à mettre en doute le fonctionnement et l’efficacité de certaines de nos institutions. Ainsi, la classe ouvrière demandait une révision de nos lois du travail. Nos éducateurs et nos étudiants désiraient que l’éducation soit accessible à tous. Les familles du Québec voulaient que soit reconnu le droit à une sécurité sociale fondée sur les besoins réels. Nos cultivateurs demandaient l’adoption d’une politique agricole adaptée aux exigences de l’économie moderne. Dans le domaine de l’administration publique, nos citoyens réclamaient une plus grande efficacité. Tout le monde s’entendait également pour que l’État joue un rôle plus dynamique dans le secteur économique. Enfin, pour abréger cette liste, tous souhaitaient que, dans ses relations avec le gouvernement fédéral, le Québec mette de l’avant des idées positives et originales.
Notre tâche était claire: nous avions à construire un Québec d’un tout nouveau genre, un État moderne, possédant les moyens voulus pour faire face aux défis qui se posent aux sociétés en pleine croissance. Dans cette perspective, le devoir du gouvernement était double: accepter la responsabilité que voulaient lui confier toutes les couches de notre population et guider celle-ci dans le choix des moyens d’action. C’est ce que nous tentons de faire depuis que, en 1960, les citoyens du Québec nous ont une première fois confié l’administration de la chose publique. Et c’est dans la direction où nous nous sommes alors engagés que nous avons aujourd’hui et pour l’avenir, l’intention bien arrêtée de poursuivre avec autant de vigueur qu’auparavant l’oeuvre commencée. De la sorte – et avec toute la sincérité et la bonne volonté que nous pouvons y mettre – nous croyons être à la hauteur , comme gouvernement, de ce qu’on attend de nous.
Nous ne prétendons pas ne pas avoir commis d’erreurs, Nous ne prétendons pas avoir toujours eu raison dans le choix des solutions aux problèmes qui se présentaient à nous. Nous avons cependant l’impression de ne jamais avoir failli au mandat général que nous avons accepté de remplir. En définitive, c’est ce qui compte.
Les divergences de vues que l’on peut à l’heure actuelle remarquer au Québec entre le gouvernement et tel ou tel groupe de citoyens sont normales en démocratie; c’est l’unanimité absolue en tout qui serait à craindre. Dans une société en pleine évolution comme la nôtre, la libre expression de l’opinion publique contribue au maintien du dynamisme initial. Il convient toutefois de se rappeler que, non seulement à l’heure actuelle mais au cours des années qui viennent de s’écouler, les échanges de vues et les discussions entre le gouvernement et les divers groupes de citoyens portent et ont toujours porté sur les moyens à prendre pour mener à bonne fin notre révolution tranquille, et non sur l’opportunité elle-même de cette révolution tranquille. Personne ne met celle-ci en doute.
Plus précisément, il ne s’est à aucun moment levé de mouvement structuré et cohérent se donnant comme raison d’être un retour en arrière. Même si elles n’avancent pas toutes à la même vitesse, toutes les classes de notre société vont de l’avant. Elles sont toutes orientées vers l’avenir. Certains des nôtres voudraient que nous allions plus vite, d’autres que nous allions moins vite, mais personne ne souhaite que nous arrêtions.
[The feature which distinguishes present-day Québec from the Québec we once knew — and had finally grown accustomed to – is the concrete action now being taken to reach two inseparable goals at once: the highest possible standard of living for our population and national self-assertion for our people.
On the individuel or personal level, we, as citizens, consider it imperative to obtain the highest possible standard of living for each and every Québecer. In this respect, we are no different from anyone else, since this is a goal shared by all human beings. IUe subscribe to the universel belief that man is truly free only if he can satisfy his basic needs and if society guarantees reasonable security for both himself and his family, regardless of language, sex, function or religion. This is an aspiration based on respect for social justice without which there can be no real democracy. Today’s Québecer therefore does not want to do anything nor go into any venture likely to curtail the freedom which a decent standard of living assures him. This attitude results not only from the perfectly legitimate desire to live as comfortably as possible, but also from the knowledge that a French-speaking Québecer without resources is in a poor position to defend his culture, enable it to develop fully and disseminate it. Seen in this light, the highest possible standard of living is just as essential a factor in national self-assertion as any other course of action, if not more so. In other words, the fact that Québecers are working to
improve their standard of living does not mean they have become outright materialists; it simply means they have a clearer understanding than ever before of the conditions for truly effective cultural development.
At the collective level, national self-assertion is the
objective of modern Québec. To have this aim in focus, it must be remembered that French-speaking Québecers constitute a genuine society on this continent, a society which has its history, its eocioeconomic institutions, its communication media; a society which no longer fears for its survival and which now wants to take every possible constructiv.e measure to assert itself in all walks of life. Just as a decent standard of living is a normal ambition in any human being, so is self-assertion according to its own characteristics, culture and traditions the legitimate aspiration of any organized society. No-one should wonder, as do some people I have met, at the attitude shown by French-speaking Québecers. Considering that our society is beginning to feel its feet, that it believes an individual can live as a Canadian of French expression and live well at the same time, that the means of action this society is gradually giving itself enable it to draw Gloser to the fulfilment of its aspirations, any attitude other than the one now prevailing would be incomprehensible.
In our modern world, tangible values – so to speak increasingly tend to surpass other human values, however precious these may be. Nonetheless, our society is convinced that there not only should be, but there must be room in this world for certain cultural values. Language is one, and we cherish ours both as an
heritage from our ancestors on this continent and for the civilization it represents, which we admire and want to keep as a source of intellectual nourishment. Our behaviour should not be interpreted as an attempt to slow the march of history; on the contrary, I believe that we are projecting ourselves into the future because, in the world of tomorrow which we all dream of, the enriching diversity of cultures will be a rewarding aspiration. Nor are we trying to perpetuate with Europe a dependence which no longer really exists; we only wish to be ourselves in all endeavours without, however, infringing the inalienable rights of English-speaking Québecers.
The attitude we are showing explains why most Québecers of French extraction readily understand the aspirations of other Canadians belonging to different ethnic groups. Although English and French are the only two official languages in our country it is nonetheless true that when other cultures are shared by a sufficient number of Canadians, the nation’s heritage is that much richer. For this reason, other cultures are worth promoting, at any rate when their members show, in this respect, the saure determination as French Canadians. It is not up to Québecers to show these groups the way to take, but they certainly can express their sympathetic understanding.
Our two objectives – high standard of living and national self-assertion – would likely remain in the abstract if, having set our sight, we failed to take the means required to reach our goal. As you know, most of our present policies are specifically intended to provide our society with these means of action, be they economic, social, political or cultural. This practicai outlook is one of the new characteristics of our behaviour: not only do we know what we want, we also know how to fulfil our aspirations.]
Les objectifs que nous nous sommes fixés mettent ils le Canada en danger ? Voilà la question que beaucoup de nos compatriotes se posent à l’heure actuelle. Je veux, en terminant, y répondre brièvement.
Nous croyons bien sincèrement que nos aspirations légitimes peuvent et doivent être satisfaites dans une confédération canadienne dont l’esprit aura été renouvelé et qui dorénavant tiendra compte dans les faits de l’existence, du dynamisme et du caractère particulier de notre société. Nous croyons qu’il y a place, au Canada, pour un Québec fort, plus fort que jamais. Nous estimons évidemment que des ajustements seront nécessaires mais nous croyons que de tels ajustements sont possibles. Ainsi, pour exercer ses responsabilités de plus en plus grandes, le Québec aura besoin de ressources plus abondantes. Comme je l’ai dit dans mon dernier discours du budget, cet accroissement de ressources nous semble être, pour l’immédiat, l’ajustement le plus important. Il nous faudra aussi songer à établir, entre les divers gouvernements du pays, des mécanismes de coordination et de consultation qui soient suffisamment bien structurés pour répondre aux exigences nouvelles que pose l’action concertée de gouvernements interdépendants. Car nous ne croyons pas à l’efficacité d’une action isolée ou désordonnée.
En réalité, si le Québec moderne est plus que jamais sûr de lui et disposé à agir, si le Québec moderne s’est résolument engagé dans la voie de l’affirmation nationale, il est également persuadé que le monde de l’avenir sera fondé non sur une indépendance illusoire ou une dépendance humiliante, mais sur l’interdépendance harmonieuse des continents, des nations, des peuples et des régions. Nous ne voulons en rien retarder un tel aboutissement. Au contraire, nous l’acceptons d’avance sachant que l’interdépendance, telle que nous la voyons, suppose l’épanouissement des valeurs culturelles des peuples et des nations. Dans quelques années d’ici, on se rendra probablement compte que, par son action et ses attitudes actuelles, le Québec aura imprimé un nouveau mouvement à l’ensemble de notre pays et qu’il lui aura ouvert de nouveaux horizons. Déjà les premiers signes d’une telle évolution commencent à paraître. Ceux-ci justifient déjà notre espoir et notre confiance: l’espoir que le Québec nouveau sera de mieux en mieux compris et accepté tel qu’il est, la confiance que notre avenir commun sera fondé sur le respect intégral des droits et des aspirations du Canada français, dont le Québec est le point d’appui.