Mes chers amis,
Il me fait extrêmement plaisir de vous rencontrer à l’occasion de la première réunion du Comité consultatif des loisirs.
Je n’ai pas besoin d’insister sur la signification que prend, pour le ministère de l’Éducation et pour le gouvernement dont je fais partie, une initiative du genre. Elle correspond à un désir profond de donner toute l’importance voulue au phénomène du loisir dans notre société et de réaliser, en collaboration avec toutes les personnes intéressées à cette question, les efforts nécessaires en vue de réaliser une politique systématique de loisirs.
Avant que vous vous engagiez dans les travaux qui vous seront soumis, je voudrais vous dire comment le ministère de l’Éducation envisage l’organisation des loisirs, en indiquant dans quel sens nous voulons modifier et orienter la situation actuelle du loisir au Québec.
C’est maintenant un truisme de dire que le monde dans lequel nous vivons est en rapide transformation. Pour certains, le vingtième siècle est celui des inventions et des grandes découvertes, celui d’une expansion économique sans précédent, celui de la liberté, celui de l’acquisition de plus en plus généralisée d’un mode de vie décent; d’autres en voient la caractéristique majeure dans l’extension du loisir qui serait en voie d’instaurer un type nouveau de civilisation. Quel que soit, cependant, l’élément que l’on privilégie, ces phénomènes nouveaux ne sont pas sans poser à la culture, à l’éducation, à la vie économique, à l’organisation sociale des exigences dont l’ampleur ébranle leurs structures traditionnelles et les force à remettre en cause leurs modes d’être et leurs orientations. Des voies nouvelles sont cherchées selon une vision neuve, dans un monde neuf.
Notre monde contemporain est entré dans une phase d’expansion industrielle qui a d’abord permis une extension considérable des populations et, par la suite, a généralisé chez elles des comportements et une élévation des profits et, par la suite, des salaires qui, eux, ont rendu la consommation de biens économiques ou para-économiques accessibles en plus grande quantité à un plus grand nombre d’individus. Responsable pour une large part de cette hausse de la productivité, l’automation permet, avec son expansion, de prévoir des possibilités accrues de consommation; elle laisse également entrevoir une libération progressive du travail.
Le mouvement amorcé, des changements ne tardèrent pas à se faire sentir dans tous les domaines. L’échéance de l’entrée dans le monde du travail étant reculée, les populations peuvent accéder à une éducation plus poussée qui, autant sinon plus que le revenu, a provoqué un certain nivellement de classes et a permis la reformulation de l’organisation sociale en termes de démocratie et de participation.
Les bouleversements les plus profonds paraissent cependant s’être exercés dans le domaine de la culture au sein duquel le loisir semble aujourd’hui s’être réfugié tout entier. Considérée jusque là comme l’apanage exclusif d’une certaine élite, la culture a fait peau neuve, s’est démocratisée. Faisant référence au domaine du non-obligationnel, la culture correspond pour une part à une conception élargie du loisir qui consiste dans le temps dont l’homme peut disposer à sa guise et dans les activités auxquelles il peut se livrer pendant ce temps, une fois qu’il s’est libéré de ses obligations professionnelles et des impératifs de la vie courante. Pour trouver à s’exprimer, le loisir a puisé largement dans le bagage des formes humanistes de la culture et leur a ajouté des centres d’intérêts nouveaux.
Cependant, cette société d’abondance n’a pas été sans causer de sérieux problèmes, soit qu’une forte production ne trouve pas à s’écouler, soit qu’une grande consommation ne puisse être entièrement satisfaite. L’économie fut longtemps considérée comme le seul domaine à être touché par ces questions. Le problème se pose cependant dans des termes identiques en ce qui concerne le domaine culturel: la production d’activités culturelles est grande; la consommation l’est également. Jusqu’ à quel point l’offre trouve-t-elle à s’écouler? Jusqu’ à quel niveau cette offre répond-elle à la demande?
Au Québec, les problèmes de cet ordre sont nombreux. Les différentes possibilités culturelles sont peu ou mal exploitées. Ici, les activités physiques prennent le pas sur les intérêts artistiques et intellectuels, ou les ignorent complètement; l’accent est mis sur les activités pratiques ou d’ordre touristique au détriment des intérêts purement sociaux. Il est par ailleurs possible de constater de grandes disparités entre les centres urbains et les milieux ruraux. Alors que les besoins sont plus ou moins bien comblés dans les villes, les campagnes semblent reléguées au second plan et doivent se satisfaire de moyens de fortune. Un autre problème qui se pose est celui de la densité, de la disponibilité et de la répartition des équipements sur le territoire. De plus, tout travail dans le domaine du loisir se voit confronté à une carence grave en personnel de cadre, de formation et d’animation. Enfin, les structures en place répondent mal à une action qui se voudrait efficace dans ce domaine. Toutes ces constatations sur le loisir au Québec ne sont malheureusement pas corroborées par des recherches empiriques qui permettraient d’inventorier les ressources et de connaître les besoins et les insatisfactions de la population.
Dans le but d’ajuster l’offre à la demande et la demande à l’offre, les éléments de solutions doivent être recherchés dans un effort de développement planifié de façon à ce que le producteur et le consommateur québécois d’activités culturelles n’aient plus à subir, à brève ou longue échéance, les conséquences de l’improvisation. Il est facile de se payer de mots, de parler de démocratisation du loisir. Cet objectif ne deviendra jamais réalité si le gouvernement ne formule pas, dès maintenant, une politique cohérente axée sur le développement culturel. En collaboration avec les organismes et les ministères impliqués dans la question du loisir, avec la participation de la population, le gouvernement doit d’abord connaître les besoins des Québécois dans le but de les orienter ou d’en susciter d’autres, il doit ensuite effectuer la mise en place des moyens susceptibles d’y répondre.
Devant la situation qu’on vient de décrire sommairement, le gouvernement ne peut pas rester inactif: il doit agir de façon efficace dans le but de reconnaître et de faire respecter le droit de tous les Québécois à des loisirs qui les aideront à mieux s’intégrer à leur civilisation. Le gouvernement doit agir, mais non au hasard ni de n’importe quelle façon. En effet, pour répondre, de façon adéquate, non seulement aux besoins actuels et futurs en matière de loisirs, mais aussi aux besoins qui n’ont pas encore réussi à s’exprimer, la nécessité s’impose pour le gouvernement de planifier son action. Il lui faut d’abord utiliser au maximum les ressources dont il dispose actuellement dans le but d’investir là où les priorités le commandent. Cette action planifiée ne doit pas viser à minimiser, encore moins à détruire les réalisations antérieures; elle doit plutôt les seconder et tendre à coordonner leurs efforts dans le souci de rendre leur travail plus efficace qu’il ne l’a été à venir jusqu’ à maintenant.
Pour en arriver à une politique cohérente et planifiée dans le domaine du loisir, le gouvernement, répétons-le, doit d’abord connaître de façon exhaustive le réservoir des ressources en équipement et en personnel actuellement utilisées pour fins de loisirs dans le Québec. Il lui faut de plus parvenir à une connaissance objective des besoins de la population. Ce travail ne peut s’effectuer que par une entreprise concertée de recherche-inventaire. Par la suite, le gouvernement devra, à la lumière de ces données, déterminer des priorités qui lui permettront de combler les champs d’intérêts dans lesquels l’insatisfaction des besoins crée une situation d’urgence. Ce programme d’action devra tenir compte, il va sans dire, des potentialités financières et humaines du Québec.
S’il est acquis que le gouvernement veut et doit planifier son action, il ne veut ni ne peut le faire seul. Sans la participation de la population et des organismes de loisir à la recherche, à la programmation et à la formulation d’une politique cohérente, l’action gouvernementale risque de se faire dans le vide. Au niveau provincial, le premier pas vers cette participation vient d’être franchi: le comité consultatif, dont vous êtes les membres, est l’expression, la concrétisation de cet objectif. Nous espérons que ce comité favorisera le dialogue entre le gouvernement et l’ensemble des organismes provinciaux de loisirs. Nous espérons de plus que tous les organismes provinciaux en arriveront à coordonner leurs efforts afin de mieux desservir leur clientèle et de dialoguer plus efficacement avec le gouvernement par l’entremise de ce comité consultatif. Un autre geste dans le même sens a été posé mais cette fois à l’intérieur de l’administration gouvernementale.
En effet, un comité interministériel a été institué en vue de coordonner l’action de différents ministères et d’en arriver à une politique unifiée en tout ce qui touche le loisir.
Ces efforts de participation et de coordination au niveau provincial ne manqueront pas d’améliorer la situation. Cependant, l’action prise à ce niveau doit se rendre à la population sans quoi tous ces efforts demeureront vains. À cet effet, il importe de prévoir d’autres niveaux de participation et de coordination, soit à l’échelon local et à l’échelon régional.
Au niveau local nous avons déjà, un mouvement vers la coordination de toutes les forces sous l’égide de la municipalité. Il faudra certainement généraliser ce processus et favoriser, par une législation adéquate, l’organisation locale de tous les aspects du loisir à des prix abordables pour toute la population.
Seuls les organismes municipaux peuvent, de par leur statut juridique et financier, offrir à la population un service de loisir adéquat et permanent. Pour ce faire, ils devront tout d’abord prendre conscience de leurs responsabilités en ce domaine et travailler en étroite collaboration avec les organismes privés et les commissions scolaires qui, dans bien des cas, pourront apporter beaucoup dans la mise à exécution des services de loisir.
Cependant, pour accomplir leur tâche de façon efficace, les organismes municipaux devront d’abord comprendre la nécessité de penser leur action de façon rationnelle et globale et, par la suite, d’en arriver à une action planifiée dans le domaine de l’organisation du loisir. Pour ce faire, ils devront inventorier les ressources dont ils disposent et se fixer des objectifs à court et à long termes. Ils devront de plus mettre sur pied des mécanismes de participation qui permettront à toutes les couches de la population d’exercer une influence sur les prises de décisions à l’occasion de l’élaboration et de l’exécution des plans.
Une autre démarche est dès maintenant à prévoir dans l’élaboration de la structure. En effet, avec l’implantation de l’idée de planification au niveau local, on constatera de plus en plus la nécessité d’un niveau d’organisation plus élevé que celui de la simple municipalité comme unité de base de l’organisation du loisir. De plus en plus s’imposera la nécessité d’une collaboration inter-municipale, la nécessité de créer des « zones » de développement qui permettront d’offrir aux populations de plusieurs municipalités des services de plus grande envergure. L’unité de base ne consistera plus nécessairement dans la municipalité, mais dans le pôle, qui, lui, exercera son influence sur la zone. Le territoire d’une région se verra alors organisé en fonction de pôles primaires et secondaires entre lesquels seront distribués les équipements et les activités de loisir.
Au niveau régional, cependant, pour effectuer le passage du processus de planification municipale à la démarche de « zonage », nous croyons en la nécessité d’une action à un autre niveau, celui de la région. Depuis quelque temps déjà, plusieurs ministères et en particulier le ministère de l’Éducation, favorisent la régionalisation de leurs services par souci de décentralisation et de déconcentration. Dans le même sens, nous croyons que l’organisation des loisirs gagnerait à être planifiée et structurée au niveau régional.
La structure du niveau régional est beaucoup plus difficile à définir que celle du niveau local ou provincial parce que le processus de régionalisation y est encore à l’état de projet. Excepté les quelques réalisations entreprises dans le cadre du diocèse par les fédérations de loisirs, ce niveau est presque inexistant. Il est cependant ressenti comme un besoin aux niveaux local et provincial.
On a d’abord constaté au niveau local, un besoin d’animation qui amènerait les municipalités à exercer une action dans le domaine du loisir. On a réalisé également la nécessité d’un organisme supérieur qui coordonnerait les efforts des municipalités en vue de les amener à se doter d’équipement collectif qu’elles ne pourraient individuellement se permettre (aréna, stades, terrains de sports); il en serait de même pour certains services techniques.
La notion de centralisation ou de concentration des efforts pourrait caractériser ces besoins exprimés au niveau local. Quant au niveau provincial, le besoin d’une organisation régionale répond plutôt à un souci de décentralisation. En effet, l’action de la plupart des organismes provinciaux de loisirs doit, dans la situation actuelle, traiter directement avec le niveau local. A cause du manque d’organisation au niveau régional, les organismes provinciaux, qu’ils soient publics ou privés, éprouvent tellement de difficultés à rejoindre toutes les parties du territoire que leur action doit souvent se limiter à leur entourage immédiat, les grands centres. En conséquence et sans que soit remise en cause la nécessité d’une organisation bien structurée au niveau du Québec, une décentralisation des pouvoirs de cette dernière au profit d’une organisation régionale s’impose dans un souci d’efficacité.
Notons d’abord que la régionalisation est un processus qui englobe tous les domaines économiques, sociaux et culturels. L’organisation du loisir à ce niveau devra donc se situer dans un contexte global. De plus, le processus de régionalisation implique celui de planification qui, de par sa nature, doit tenir compte de tous les champs d’activité. La planification du loisir devra donc s’effectuer dans une optique qui ne néglige aucun des phénomènes économiques et sociaux. À partir de ces constatations, soulignons quelques-unes des fonctions que serait appelée à remplir l’organisation régionale.
Évidemment, la première fonction d’une organisation régionale de loisir serait de planifier son action en relation avec les niveaux provincial et local. Concrètement, l’effort de planification conduirait les organismes régionaux à entreprendre des recherches qui leur permettraient d’acquérir une vue d’ensemble de leur région et, par la suite, de se fixer des objectifs qu’ils tenteraient de réaliser dans un plan à court et à long termes. Le plan devrait donc tenir compte du financement, de la formation, de l’équipement et des activités de loisir.
Une deuxième fonction serait la coordination. L’idée de coordination est directement impliquée par celle de planification. Pour planifier, en effet, il faut que les divers agents qui sont susceptibles d’exercer une influence quelconque dans l’élaboration du plan, en arrivent à un certain accord sur les objectifs et sur les modalités de leur mise en application.
Une troisième fonction serait l’animation. Cette fonction se rattache aux deux précédentes. En effet, l’animation rend possible l’expression des problèmes des organismes locaux. Elle permet à ces organismes de participer étroitement à la planification et, inversement, intensifie le processus d’acceptation
des objectifs de la planification.
Comme quatrième fonction, l’organisation régionale de loisir est appelée à remplir différents types de services. Plusieurs services techniques essentiels à l’organisation municipale leur sont présentement inaccessibles à cause de leur coût trop élevé. On pourrait citer la formation de moniteurs, l’assistance en techniques récréatives, l’implantation d’un bureau d’urbaniste-conseil, l’organisation d’activités de loisir sur un plan inter-municipal.
Une cinquième fonction serait l’exécution. La mise en exécution des recommandations du plan relèverait, en majeure partie, de l’unité locale, quoique des tâches spécifiques comme la création de parcs régionaux ou l’organisation d’activités inter-municipales devraient être assurées par l’organisme régional.
Ces cinq fonctions, de caractère général, en impliquent une multitude d’autres qui, tels l’administration et le financement, nécessitent la mise en place d’agents responsables à part entière de l’exécution de ces fonctions ou, tout au moins, participants.Ces constatations nous conduisent maintenant à traiter des agents territoriaux et de la répartition de leurs tâches.
Les agents au niveau régional: Dans l’optique de la régionalisation, la planification devra se développer parallèlement au niveau provincial et régional. Il est en effet impossible de planifier à un seul niveau, sans tenir compte du niveau supérieur qu’est l’État.
Il y aura en effet une planification globale dont chaque région devra tenir compte. En second lieu, la planification qui pourra s’élaborer au niveau régional dans le domaine du loisir devra aussi prendre en considération les autres secteurs d’activités économiques et sociales. Par exemple, dans l’éventualité d’un plan régional, certaines priorités seront établies. L’activité de loisir en sera partie intégrante et ne pourra se développer de façon autonome.
En troisième lieu, la coordination telle que définie plus haut exige une intervention plus ou moins intense d’un agent qui a un pouvoir plus élevé que les autres agents impliqués. On pourrait faire ici une analogie avec l’intervention de la municipalité dans la coordination des activités au niveau local.
A partir de ces considérations, nous croyons que l’État est le seul agent qui ait l’information et les ressources pour accomplir une telle fonction de planification. Seul un organisme étatique peut faire un plan pour tout le Québec et peut tenir compte de toutes les dimensions du problème de la planification. Il en est ainsi pour la fonction de coordination. Pour initier le type d’action que nous venons de définir, le gouvernement nommera prochainement des conseillers techniques en loisir dans les nouveaux bureaux interrégionaux du ministère.
Pour assurer la participation aux fonctions de planification et de coordination, nous voyons la nécessité d’un organisme régional de loisir qui soit représentatif de la population et des organismes locaux. Si la responsabilité de la planification est une fonction étatique, elle ne lui est cependant pas exclusivement réservée. Le plan devra se faire avec la participation d’un organisme représentatif des corps intéressés de la région. Cet organisme devra être composé des représentants des corps publics et privés impliqués dans l’organisation du loisir. Les organismes privés provinciaux de loisirs pourraient également utiliser cette structure pour décentraliser leur action.
Nous avons voulu, tout au long de cet exposé, vous brosser le tableau de la situation générale du loisir au Québec, et vous indiquer dans quel sens nous voulons modifier et orienter cette situation de façon à ce que tous les citoyens du Québec puissent accéder à des formes valables de loisir. Nous comptons sur un organisme comme le vôtre pour faire connaître au Bureau des loisirs et des sports les besoins de la population, pour influencer l’orientation des politiques du Bureau et les interpréter auprès de la population. Nous souhaitons surtout que, dans les comités de travail que vous formerez éventuellement, vous nous fassiez part des divers problèmes du loisir au Québec et qu’ensemble nous en cherchions les solutions les plus valables.
Je tiens à terminer en vous remerciant bien sincèrement d’avoir voulu engager le dialogue avec nous et d’accepter de nous aider à bâtir une politique du loisir qui deviendra, j’en suis sûr, un instrument d’épanouissement pour la population du Québec.