Le gouvernement a rendu publics aujourd’hui, en les déposant d’abord à l’Assemblée nationale, les comptes économiques du Québec pour les quinze années de la période qui s’étend de 1961 à 1975.
Je n’ai pas besoin d’insister sur l’importance de ces statistiques que tous les économistes s’entendent pour considérer comme la source la plus complète de renseignements chiffrés sur la structure et l’évolution d’une économie. D’ailleurs, le Canada possède de tels comptes économiques depuis les années cinquante, avec des données qui remontent jusqu’en 1926.
Si, jusqu’à maintenant, nous n’avons pu compter sur de telles statistiques, malgré leur caractère essentiel pour comprendre ce qui se passe chez nous, c’est évidemment parce que la statistique économique a longtemps été considérée comme l’apanage exclusif d’Ottawa, mais c’est aussi parce que ces comptes économiques comprennent nécessairement des tableaux sur la balance extérieure courante du Québec et sur les surplus ou les déficits réalisés au Québec par le gouvernement fédéral – et qu’on a toujours eu peur de rendre publiques de telles statistiques.
En effet, de tels tableaux permettent de déterminer précisément si le Québec sort gagnant ou perdant de ses rapports avec le reste du Canada. C’est sur. cet aspect particulier que je voudrais insister aujourd’hui, même si les comptes économiques peuvent être analysés à beaucoup d’autres points de vue, et même si l’appartenance ou non du Québec à la Confédération canadienne dépend de beaucoup d’autres facteurs que le strict point de vue économique.
La première constatation qui saute aux yeux en regardant ces statistiques, c’est que l’existence même d’un gouvernement fédéral, qui vient taxer les Québécois en échange de services fédéraux, a coûté au Québec, en quinze ans, la jolie somme de $ 4 300 000 000. Ajusté pour tenir compte de l’inflation et calculé en dollars de 1975, ce déficit s’élève à $ 8 600 000 000, soit plus de $ 500 000 000 par année.
En d’autres mots, le gouvernement fédéral a exercé, en moyenne, une ponction sur l’économie du Québec de l’ordre d’un demi milliard par année, et il s’en est servi pour financer des dépenses à l’extérieur du Québec.
Évidemment, ce « manque à dépenser » chronique a eu un effet catastrophique sur l’économie québécoise. Ceux qui s’interrogent sur les causes de la croissance relativement lente de l’économie du Québec trouveront là l’une des réponses principales à leurs questions. Face à une politique fédérale aussi systématiquement déflationniste, il est surprenant que le Québec ait réussi à accroître sa richesse et sa population, alors que la politique fiscale du gouvernement fédéral a continuellement ralenti, chez nous, la création d’emplois. Seul un endettement massif du gouvernement du Québec au cours des quinze dernières années a permis d’éviter le pire.
Il est vrai qu’en 1974 et 1975, l’administration fédérale a dépensé plus au Québec qu’elle n’y a perçu de revenus. Il s’agit malheureusement d’un phénomène temporaire dû uniquement aux subventions fédérales reliées au pétrole importé et au déficit global du gouvernement canadien pour l’ensemble du Canada. Il serait à souhaiter que cette situation se continue dans l’avenir, afin de corriger les lacunes du passé, mais nous ne devons pas nous faire trop d’illusions à ce sujet, compte tenu de la disparition prochaine des subventions au pétrole et du plafonnement de certains programmes de transferts comme l’assurance-chômage ou la péréquation qui profitent au Québec.
L’autre élément central qui émerge des comptes économiques que nous publions aujourd’hui, c’est le balance des paiements du Québec. Les ponctions fédérales au Québec, dont nous venons de parler, se reflètent évidemment d’une façon très claire dans la balance des paiements du Québec. Le Québec a été en effet un exportateur net de capitaux de 1961 à 1975, puisqu’il a réalisé des excédents au compte courant avec l’extérieur de l’ordre de $ 4 300 000 000 en dollars courants, ou de $ 8 700 000 000 en dollars de 1975, soit sensiblement des montants identiques aux excédents versés au gouvernement fédéral.
Quand on constate que le Canada dans son ensemble a réalisé au cours de la même période des déficits extérieurs de l’ordre de $ 14 100 000 000, nous en arrivons à la conclusion irréfutable que le Québec a financé au cours des derniers quinze ans une partie importante des déficits extérieurs des autres provinces du Canada.
En d’autres mots, une partie importante de l’épargne des Québécois a été exportée, par le truchement du gouvernement fédéral, pour financer le développement des autres provinces.
Il sera très intéressant, dans les années à venir, de suivre l’évolution de ces statistiques. Il sera surtout intéressant de comparer les comptes économiques du Québec avec ceux des autres provinces lorsque ceux-ci seront publiés. Car il s’agit de chiffres qui ont été compilés conjointement par le gouvernement fédéral et les provinces, et qui seront disponibles pour toutes les provinces. On pourra voir alors qui a bénéficié de l’épargne des Québécois. Et on. pourra peut-être expliquer pourquoi certaines provinces se sont développées plus vite que d’autres.
[QLVSQ19770325]