Discours du trône, Québec, 8 mars 1988

Robert Bourassa, 1970-1976 et 1985-1994

Mesdames et Messieurs de l’Assemblée nationale,

En inaugurant les travaux de cette deuxième session de la 33e Législature, je me dois tout d’abord de rappeler à votre mémoire le souvenir d’un illustre Québécois, prématurément disparu, Monsieur René Lévesque. Élu à l’Assemblée nationale avec l’équipe du premier ministre Jean Lesage et, par la suite, fondateur du Parti québécois, Monsieur René Lévesque a été pendant plus de 25 années, dont 9 à titre de premier ministre du Québec, l’un des artisans de la naissance et de l’affirmation du Québec moderne. Le Québec tout entier lui a rendu un hommage ému et reconnaissant pour son respect des institutions et son attachement aux valeurs démocratiques de notre société et pour cette idée haute, noble et généreuse qu’il a toujours eue à l’égard du Québec et du peuple québécois.

L’ouverture des travaux de la présente session coïncide avec la Journée internationale de la femme. Vous commencerez d’ailleurs la session par un débat sur la condition féminine, témoignant ainsi de l’intérêt soutenu de la société québécoise pour les droits de la femme et sa volonté de la voir occuper de façon équitable la place qui lui revient.

The opening of this Session coincides with the International Women’s Day. The fact that you are opening this Session with a debate on the status of women testifies to the continuing concern of all levels of society in Québec for the promotion of women’s rights and for women’s atteinment of their rightful place.

Mesdames et messieurs, je voudrais m’associer aux vœux qui ont été déjà adressés au nouveau chef de l’Opposition officielle, le député de Joliette, Monsieur Guy Chevrette, dont votre Assemblée connaît l’expérience et le dévouement et aussi dire, une nouvelle fois, toute l’amitié et la gratitude du peuple québécois à Monsieur Pierre-Marc Johnson pour toutes les années qu’il a consacrées au service du Québec.

Mesdames et messieurs de l’Assemblée nationale, le Québec peut avoir l’ambition d’être, au sein du Canada, une société distincte, fière de son identité culturelle et linguistique particulière, mais encore, il peut avoir cette distinction additionnelle d’être le coin du pays où le développement économique et le progrès social et humain comptent parmi les plus élevés au monde.

Mesdames et messieurs de l’Assemblée nationale, je vous informe aujourd’hui des orientations législatives et parlementaires que le gouvernement soumettra à votre intention au cours de la session. A l’échelle internationale, le Québec existe, c’est une société maintenant largement ouverte sur le monde. Des hommes et des femmes d’ici, beaucoup de jeunes, œuvrent de plus en plus à l’étranger. Nos entreprises sont à l’affût de nouveaux marchés et de nouvelles technologies; nos artistes, nos créateurs et nos chercheurs témoignent à l’échelle du monde de la vitalité de la société québécoise. Aussi, le gouvernement croit le moment venu de beaucoup mieux planifier, organiser et diriger l’action extérieure du Québec autant dans sa dimension proprement politique que dans, celle des échanges d’ordre économique, social et culturel.

Le développement des programmes de coopération, le renforcement de l’aide aux entreprises cherchant à conquérir de nouveaux marchés, ainsi que la recherche d’investissements à l’étranger et la consolidation et l’élargissement de nos rapports, en particulier avec la France et le monde francophone, tels seront les principaux objectifs du nouveau ministère des Affaires internationales.

Le présent Secrétariat aux affaires canadiennes continuera d’être attaché au ministère du conseil exécutif. Le gouvernement va cependant vous inviter à donner à ce secrétariat des responsabilités plus précises relatives au suivi de l’impact de certaines politiques fédérales sur le Québec, à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux du Québec et au renforcement du rôle du Québec en tant que partenaire économique majeur de la Fédération canadienne.

Fort des résultats concrets déjà obtenus au niveau du taux de croissance de l’économie, des investissements et de la création d’emplois, le gouvernement demandera à l’Assemblée nationale d’approuver les grandes lignes de force de sa politique économique, soit une collaboration positive et créatrice avec le gouvernement canadien, la reconnaissance du rôle capital de l’entreprise privée et des petites et moyennes entreprises et le maintien d’un climat sain aux relations du travail.

Le gouvernement demandera à l’Assemblée nationale de poursuivre ses efforts au titre de la rigueur administrative et financière de l’État, sur la base des principes suivants : le maintien d’un taux de croissance des dépenses budgétaires inférieur à l’augmentation en valeur de l’économie, la réduction du déficit jusqu’au niveau des dépenses en capital en vue d’éliminer le financement par emprunt des dépenses courantes et le raffermissement de la marge de manœuvre financière de l’État pour satisfaire aux nouveaux besoins et permettre à l’État de faire face aux aléas de la conjoncture.

Également, le gouvernement indique à cette Assemblée que vous aurez à compléter la réforme fiscale. Vous aurez également à participer à l’effort de transparence, de simplification et d’humanisation des pratiques et procédures du ministère du Revenu.

Le gouvernement déposera devant l’Assemblée nationale une nouvelle politique énergétique pour le Québec. Les objectifs de cette politique seront ceux du renforcement de la sécurité de nos approvisionnements, de la stimulation de la concurrence entre différentes formes d’énergie et de la maximisation de la rentabilité économique du potentiel énergétique et ceci en termes de revenu, de création d’emplois et de développement régional. Cette politique précisera également la façon dont le Québec entend maintenir un juste équilibre entre le développement énergétique et la protection de l’environnement et le respect des droits autochtones.

Le gouvernement saisira l’Assemblée nationale d’un plan d’action majeur en faveur des régions qui comportera plusieurs volets visant à favoriser l’entrepreneurship local et régional, entre autres dans le domaine technologique: cette véritable politique de modulation des programmes gouvernementaux en conformité avec les caractéristiques propres à chacune des régions. Le gouvernement va étendre par ailleurs à l’échelle de tout le territoire québécois la pratique de la conclusion avec les régions d’une entente-cadre de développement pour mieux sceller l’association du gouvernement et des intervenants des régions. Cette nouvelle politique de développement régional va également comporter des éléments spécifiques pour Montréal et Québec.

Dans le domaine du transport, l’Assemblée nationale sera appelée à étudier la question cruciale de la révision du plan de transport de la région métropolitaine de Montréal. Vous aurez également à adopter des projets de loi concernant la publicité le long des routes et le régime d’indemnisation de l’assurance automobile. La question du camionnage en vrac retiendra également votre attention.

Avec les producteurs agricoles, le gouvernement suivra évidemment de très près le dossier de la libéralisation des échanges. Le gouvernement proposera par ailleurs à cette Assemblée une nouvelle politique de conservation des sols ainsi qu’un ambitieux programme de gestion des résidus agricoles nécessaires à l’assainissement des eaux en milieu rural. De nouvelles mesures seront présentées à cette Assemblée pour protéger le droit de produire des agriculteurs ainsi que pour garantir le paiement des sommes dues par les acheteurs. Après consultation avec les milieux concernés, le gouvernement vous proposera d’améliorer les mécanismes actuels des plans conjoints. Également, vous serez invités à confier de nouveaux mandats à la Société québécoise d’initiatives agro-alimentaires. Enfin, le gouvernement s’assurera d’une première participation québécoise au régime tripartite de stabilisation du gouvernement fédéral.

Des amendements à la Loi sur les forêts et des moyens en vue d’améliorer la voirie forestière vous seront également soumis.

Le gouvernement invitera l’Assemblée nationale à poursuivre son travail dans le domaine des institutions financières, en particulier en ce qui concerne le décloisonnement de l’activité des intermédiaires et l’encadrement des holdings. D’importants amendements à la Loi sur les valeurs mobilières et à la Loi sur les assurances vous seront également proposés. Enfin, l’Assemblée nationale sera appelée à adopter une loi-cadre concernant les caisses d’épargne et de crédit.

Un plan d’action d’envergure dans le domaine du développement technologique vous sera soumis et sera suivi de la tenue d’un sommet de la science et de la technologie. Ce plan d’action consacrera le rôle dominant du secteur privé et il sera l’occasion d’un élargissement considérable des programmes d’aide et de soutien au développement technologique.

An important plan of action in the field of science and technology will be submitted to you, and will be followed by a summit on science and technology. The plan of action will sanction the pre-eminent role of the private sector and it will be the opportunity for a considerable broadening of aid and support programs for technical development.

La reconnaissance de la valeur des administrations régionales et municipales, le financement des services municipaux et le fardeau fiscal des contribuables sont des questions importantes. Au terme des discussions présentement en cours l’Assemblée nationale sera appelée à étudier les mesures correctives qui s’imposent. Des projets de loi vous seront également soumis relativement à la rémunération des élus municipaux et à la poursuite de la refonte des lois municipales.

Dans la foulée des initiatives déjà prises, le gouvernement vous soumettra les grandes orientation d’une politique d’habitation déterminant la place des intervenants privés et du gouvernement marquant une préoccupation prioritaire pour la famille et les plus démunis.

Tout le Québec est maintenant engagé résolument à préserver et à développer la qualité de son environnement. L’Assemblée nationale va, à cet égard, être associée à d’importantes mesures, surtout d’ordre réglementaire, financier, et technique, en particulier dans le domaine des pluies acides et dans celui de la gestion des déchets, des sols contaminés, des réserves écologiques, des espèces menacées et de l’assainissement des eaux.

La pollution agricole déjà évoquée et la pollution industrielle feront l’objet de deux vastes programmes que le gouvernement compte soumettre à votre attention.

Une nouvelle politique des activités de plein air vous sera soumise et vous serez appelés à réviser les pouvoirs de la Régie de la sécurité dans les sports. Au cours de la session aura lieu le Sommet sur l’utilisation de la faune et un projet de loi vous sera proposé relativement à la protection des habitats fauniques et de certaines espèces fauniques.

Alors qu’entrera en vigueur la Loi sur les mines, le gouvernement vous demandera d’étudier des mesures qui permettront la relance de la prospection et de l’exploration minière et l’amélioration de la productivité de l’industrie minérale, en particulier en matière de recherche.

Dans le domaine du tourisme, le gouvernement vous proposera de prendre de nouvelles dispositions relatives à la mise en valeur du potentiel touristique des régions et des efforts additionnels seront consacrés au marketing.

L’accessibilité et la démocratisation de l’éducation demeurent des choses toujours aussi importantes. L’Assemblée nationale sera toutefois appelée à privilégier la formation des jeunes et les services offerts à tous les niveaux.

Vous aurez à revoir les formules de financement du niveau post-secondaire, à maintenir une place significative aux établissements privés et à favoriser l’accès des adultes au savoir.

Cette Assemblée aura à adopter deux importants projets de loi, l’un sur l’instruction publique, l’autre sur les élections scolaires. Des mesures vous seront proposées en vue d’améliorer l’enseignement de la langue seconde, des mathématiques et des sciences, de doter les analphabètes et les clientèles défavorisées d’une formation de base, d’améliorer les équipements pédagogiques et d’aider les élèves en difficulté d’adaptation.

Vous aurez également à vous pencher sur la réforme de l’aide financière aux étudiants et sur l’amélioration du taux de fréquentation collégiale et universitaire.

Le gouvernement soumettra à l’Assemblée nationale un important plan de développement en matière de culture scientifique. Par ailleurs, les fonds de formation de chercheurs et l’aide à la recherche seront accrus. En plus de poursuivre sa politique de formation professionnelle des jeunes, le gouvernement vous proposera, enfin, une nouvelle politique d’adaptation de la main- d’œuvre pour permettre aux travailleurs de faire face aux changements actuels: cette politique comportera, entre autres, des volets spécifiques pour l’est de Montréal, les travailleurs âgées et le contexte du libre-échange.

Dans le domaine social, le gouvernement invite l’Assemblée nationale, en particulier, à articuler son action autour des trois axes prioritaires: le soutien à la famille, le renforcement de la protection sociale et l’amélioration des services de santé et des services sociaux.

Des mesures spécifiques significatives de l’intérêt du gouvernement pour la famille vous seront alors proposées.

La réforme de l’aide sociale axée sur la réinsertion au marché du travail des personnes aptes au travail et sur l’élimination de la discrimination en raison de l’âge des bénéficiaires se concrétisera par la présentation d’un projet de loi élaboré à la lumière des travaux de la commission parlementaire des affaires sociales.

Le gouvernement soumettra en outre à votre attention une révision du rôle de l’Office des personnes handicapées et un programme de développement des services à domicile, de manière à mieux aider les personnes handicapées.

Les personnes âgées désireuses de demeurer autonomes et de continuer de vivre dans leur milieu verront leur aide accrue, et le gouvernement vous proposera également de mettre de nouvelles ressources de manière à renforcer notre présent réseau de centres d’accueil et d’hébergement.

A la suite de la publication du rapport Harnois et des travaux de la commission parlementaire, l’Assemblée nationale sera appelée à doter le Québec d’une politique humaine et généreuse en matière de santé mentale, axée sur la désinstitutionnalisation, la réinsertion sociale et le développement des mesures de soutien et de support.

Le domaine de la condition féminine demeure toujours aussi prioritaire. Dans la réalisation des éléments du plan d’action à cet égard, le gouvernement vous demandera d’étudier un avant-projet de loi pour assurer une meilleure équité économique entre les conjoints. Un important programme de services de garde vous sera aussi soumis.

Un projet de loi vous sera également présenté pour faciliter la perception des pensions alimentaires. Le gouvernement continuera de développer les mesures déjà prises au titre de l’accès à l’égalité et de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales. Vous serez également appelés à adopter des éléments prioritaires d’une politique de sécurité du revenu, en particulier pour les femmes les plus démunies, les femmes au foyer et les femmes à la retraite.

Vous aurez enfin à étudier de nouvelles mesures contre la violence conjugale.

De nouveaux moyens seront mis à la disposition de la Protection de la jeunesse, dont la loi sera d’ailleurs modifiée relativement au problème de preuve applicable en matière d’abus sexuels sur les enfants. Un projet de loi vous sera également soumis pour mieux connaître les droits des victimes d’actes criminels.

La portée de la Loi sur la protection du consommateur sera étendue au domaine immobilier, en conformité avec les dispositions de la Loi sur le bâtiment.

La Loi sur la curatelle publique sera modifiée pour améliorer la situation des personnes concernées.

Au cours des deux dernières années, des sommes additionnelles très considérables ont été investies dans le secteur hospitalier et, d’une façon spécifique, en ce qui concerne la mise en œuvre d’un programme triennal de redressement de la situation des services d’urgence.

Par ailleurs, le rapport de la commission Rochon a été rendu public et, au terme d’un processus nécessaire de consultation et d’évaluation de ce rapport, l’Assemblée nationale aura à donner suite à plusieurs importantes recommandations de cette commission en vue de consolider et de développer les services de santé et les services sociaux.

In another field, the Rochon Commission report has been made public. Once the reports has been thoroughly examined and assessed, the National Assembly will be asked to give effect to several important recommendations the Commission has made with a view to the consolidation and development of health and social services.

Vous aurez également à suivre de près la réforme des services ambulanciers et des mesures vous seront proposées pour combler la pénurie de la main-d’œuvre infirmière.

Une société se distingue par le dynamisme et l’originalité de sa culture. Des mesures vous seront soumises pour mieux soutenir les grands secteurs de l’activité culturelle, dont les bibliothèques publiques, le marché de l’art, les équipements culturels et les arts d’interprétation.

Vous serez également appelés à réviser la Loi sur les biens culturels en vue de mettre en œuvre un nouvelle politique en matière de protection du patrimoine. Des mesures vous seront soumises pour mieux soutenir, en collaboration avec le secteur privé, l’industrie cinématographique. Des projets de loi vous seront présentés pour intégrer l’Institut québécois de recherche sur la culture au réseau universitaire et pour établir un statut juridique distinct pour la Bibliothèque nationale.

Vous serez appelés à étendre la définition du statut de l’artiste aux secteurs des arts visuels, des métiers d’art et des écrivains et à considérer le régime fiscal des artistes.

Le gouvernement demandera à l’Assemblée nationale de créer la Régie des télécommunications afin de consolider la juridiction québécoise en la matière, et la Régie des services publics sera ainsi remplacée. L’Assemblée nationale procédera également à la révision de la loi sur l’accès à l’information et la Loi sur le ministère des Communications.

Le gouvernement proposera à cette Assemblée d’étudier les éléments d’un vigoureux plan de redressement et de consolidation du français langue maternelle dans les écoles primaires et secondaires.

Le gouvernement, par ailleurs, demandera à l’Assemblée nationale d’étudier, après consultation, de nouvelles dispositions relatives au renforcement de l’usage du français en milieu de travail et il y aura aussi, à la suite du jugement de la Cour suprême, la question de l’affichage public de la publicité commerciale.

Le gouvernement va soumettre à l’attention de cette Assemblée un important énoncé de politique en matière d’immigration qui prendra en compte, entre autres, l’impératif absolu de l’intégration des immigrants à la majorité francophone et l’amélioration des relations interculturelles.

Le gouvernement informe l’Assemblée qu’il poursuit présentement l’étude de la façon dont l’État devrait se structurer pour garantir le maximum d’efficacité à son action relativement au problème démographique, entre autres, dans ses dimension natalité, immigration et famille.

L’Assemblée nationale aura à adopter des amendements à la Loi électorale de nature à faciliter le droit de vote.

Tout en poursuivant les efforts d’une meilleure gestion des approvisionnements et services, le gouvernement vous invitera à vous pencher sur une nouvelle politique de régionalisation des processus d’adjudication des contrats gouvernementaux.

Des projets de loi seront présentés à votre Assemblée pour unifier les cours de justice, pour rationaliser les tribunaux administratifs et pour réformer le régime des cours municipales et le système des huissiers. Vous aurez enfin à poursuivre la réforme du Code civil.

En terminant l’énoncé des orientations législatives et parlementaires du gouvernement, je vous souhaite, messieurs et mesdames de l’Assemblée nationale, bon travail! J’ose espérer que tous, libéraux, péquistes, indépendant, vous travaillerez dans la plus grande harmonie possible pour le mieux-être de tous les Québécois et Québécoises.

Le Président: Nous allons suspendre les travaux quelques instants, afin de permettre au sergent d’armes de réintégrer l’Assemblée.

Le Président: À l’ordre, s’il vous plaît! Que tous et chacun regagnent leur siège!

Tel que le prévoit le règlement de l’Assemblée nationale, je vais maintenant céder la parole à Monsieur le premier ministre du Québec pour son discours d’ouverture de la deuxième session de la trente-troisième Législature. Monsieur le premier ministre. Monsieur Robert Bourassa.

M. Bourassa: Monsieur le Président, on comprendra que je veuille, en tout premier lieu, souligner cette Journée internationale de la femme et réitérer à quel point cette Assemblée constitue un lieu privilégié pour ce faire, puisqu’elle compte présentement le plus grand nombre de femmes parlementaires de son histoire.

Je suis particulièrement heureux, Monsieur le Président, que les députés des deux côtés de cette Chambre aient accepté de tenir aujourd’hui un débat sur une importante question d’avenir. En effet, ce long, patient et ardu combat des femmes est au cœur de l’évolution de notre société puisque l’égalité qu’elles revendiquent à juste titre en est la pierre d’assise.

Je tiens également à faire remarquer que notre gouvernement a, depuis le début de son mandat, nommé plusieurs femmes au sein de postes décisionnels des secteurs public et parapublic et qu’il entend continuer dans cette voie tout comme il entend respecter les engagements qu’il a pris pour faire de l’égalité des femmes et des hommes une réalité durable.

Je sais, Monsieur le Président, qu’il reste encore beaucoup à faire et que les interventions gouvernementales ne pourront à elles seules tout régler, mais nous avons la ferme intention de poursuivre avec détermination la réalisation de cet objectif d’égalité.

À la suite de l’énoncé par le lieutenant-gouverneur des intentions législatives, je voudrais, cet après-midi, traiter particulièrement de quelques priorités liées à l’avenir du Québec, notamment pour ce qui a trait à sa stabilité politique, à son progrès économique, en regard notamment du traité de libre-échange, à la question de l’énergie, où j’aurai une annonce très importante à faire, et à son développement socioculturel.

Bref, où allons-nous? Où allons-nous comme société, à la lumière des défis qui confrontent nos sociétés contemporaines?

En traitant de stabilité politique pour le Québec, comme pour le Canada, on ne peut que souligner l’importance de ratifier l’accord du lac Meech. Lors du référendum de 1980, le Québec a signifié au reste du Canada ce qu’il attendait de ses partenaires, c’est-à-dire participer à un Canada renouvelé. Depuis des décennies, on entendait partout au Canada anglais: « What does Québec want ? » Eh bien, nous, une fois au pouvoir, en respectant notre programme pour lequel nous avions été élus. Maîtriser l’avenir, nous avons fait des propositions constitutionnelles qui représentaient les demandes du Québec. On doit constater que ces propositions, comme on le sait, ont été acceptées par tous les partenaires de la Confédération.

On doit aussi noter, en premier lieu, que neuf mois se sont écoulés depuis cet accord constitutionnel sans qu’aucune erreur n’ait été relevée. On sait que, de tous ceux qui ont témoigné à différentes commissions parlementaires, que ce soit à Ottawa ou dans d’autres provinces, plusieurs ont signalé jusqu’à quel point cette entente était une grande réussite pour l’unité canadienne. elle n’est pas parfaite, évidemment, mais après 25 années d’affrontements, de négociations et de discussions, elle représente un progrès indéniable pour la stabilité politique de notre pays. L’accord comporte, de plus, un gain net pour l’ensemble des partenaires canadiens. Il garantit notamment une meilleure concertation entre Ottawa et les provinces, tout en civilisant les rapports internes au sein de la Fédération canadienne. C’est clair qu’une réouverture de l’accord ne garantit d’aucune façon que les acquis actuels seraient intouchés.

On sait que, jusqu’à la ratification de cet accord, toute réforme constitutionnelle est bloquée au Canada. Il est impensable politiquement qu’on puisse entreprendre de réformer, de modifier la constitution du pays sans que le Québec puisse être un partenaire. Tout ce qu’on peut souhaiter, c’est cette adoption de l’accord du lac Meech par tous les partenaires. Et plus vite l’accord sera adopté, plus il sera possible d’entreprendre cette deuxième ronde de négociations. La ratification de l’accord permettra au pays de débloquer cette impasse constitutionnelle découlant de l’exclusion politique du Québec et de reprendre la vie normale. Le Canada a déjà attendu cinq ans et il est clair, il est évident que si nous ne faisons pas cette ratification, nous aurons une nouvelle impasse avec très très peu de chance de pouvoir la dénouer au cours des prochaines années. Le renforcement de la fédération, c’est l’objectif qui nous unit et nous devons tous ensemble nous assurer de l’atteindre.

En mettant en relief l’importance de la stabilité politique, nous voulons aussi favoriser, puisque les deux sont intimement liés, le progrès économique de Québec. On connaît le bilan: Le taux de croissance des nouveaux emplois pour le Québec – pour donner simplement quelques chiffres très rapidement – a été de 3,5% en 1987, dépassant nettement celui du Canada, 2,8%, et également celui de l’Ontario qui était de 3,3%. Depuis deux ans, les objectifs du gouvernement en matière de création d’emplois ont non seulement été atteints mais dépassés.

Nous avons présentement une situation encourageante pour l’avenir. La création d’emplois pour 1988 a très bien commencé, avec une création de 122 000 emplois de janvier 1987 à janvier 1988. Nous pouvons également espérer une stabilisation du taux de l’inflation, notamment, avec un taux de change plus favorable au dollar canadien. Nous avons déjà fait des propositions pour qu’on puisse stabiliser le taux de change à un niveau de 0,80 dollars ou inférieur à 0,80 dollars parce que, déjà cela constitue, par rapport à une quinzaine de mois, une augmentation de 10% et comme l’ensemble des Canadiens et des Québécois consomment 35% de biens qui viennent de l’extérieur, ceci contribuera substantiellement à stabiliser le taux de l’inflation.

Également, la baisse internationale du prix du pétrole favorisera une réduction de la hausse des prix, il y a aussi cette attitude très responsable de l’ensemble des travailleurs du Canada et du Québec pour ce qui a trait à l’augmentation des niveaux de salaires.

Donc, si nous voulons examiner l’avenir économique au cours des prochaines années, on doit constater et conclure que nous nous orientations vers une activité économique fort acceptable et des taux d’intérêt qui seront très probablement stables et qui pourraient même baisser.

Il y a aussi lieu de constater que l’économie américaine maintient un dynamisme qui est encourageant pour l’économie canadienne et l’économie québécoise, étant donné que nous exportons, comme vous le savez, 20% de la production québécoise aux États-Unis.

Il y a aussi le développement de tous ces marchés européens et asiatiques. Si le taux de change du dollar canadien est favorable par rapport au dollar américain, s’est accru, par ailleurs, vis-à-vis des autres continents, les autres marchés qui existent, nous avons un avantage pour exporter et nous pourrons le développer. Nous pourrons tenir compte également, dans nos politiques économiques, du marché économique européen qui devrait commencer en 1992.

L’objectif du gouvernement, on le sait, on l’a répété, est de réduire le poids du service de la dette. Nous avons là aussi, comme dans le domaine des emplois, des résultats très intéressants. Par exemple, pour l’année 1987-1988, nous avons des excédents budgétaires de 450 000 000 dollars et ceci nous permet sûrement de préparer la prochaine année financière avec un déficit qui sera inférieurs à 20 000 000 000 dollars.

Monsieur le Président, si nous mettons tellement l’accent sur cette réduction du déficit et du service de la dette, c’est qu’elle nous permet d’établir des réductions d’impôt, nous avons une plus grande croissance économique. Nous voulons comme gouvernement – et après deux ans, je crois qu’on peut être fiers de nos résultats – briser ce cercle infernal d’une augmentation de la dette qui force à une augmentation des impôts et, par la suite, à une nouvelle augmentation de la dette. Je crois qu’on peut dire que, comme gouvernement, nous avons maintenant réussi à briser ce cercle vicieux touchant les dettes, les impôts et l’augmentation du service de la dette.

Il y a évidemment aussi, comme autre facteur de croissance économique, toute cette promotion des investissements étrangers où le gouvernement s’est révélé très actif. Un élément vital pour l’avenir économique du Québec a trait, comme vous le savez, au traité de libre-échange qui est un point tournant dans l’histoire économique du Québec et du Canada. Si l’accord du lac Meech est fondamental pour la stabilité politique du Canada et du Québec, le traité de libre-échange est, lui aussi, vital pour notre avenir économique. Le but de ce traité, comme vous le savez, est de maintenir et d’améliorer l’accès du Québec au marché américain, marché très important pour nos exportations.

Le Québec, on le sait, a négocié avec beaucoup de vigilance. Plusieurs conditions et propositions ont été faites. Conditions de l’appui du Québec: respect intégral de ses compétences législatives, respect intégral de ses lois, programmes et politiques dans les domaines de la politique sociale, des communications, de la langue et de la culture, maintien de la marge de manœuvre nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de développement de son économie dans toutes les régions – on sait que nous pourrons continuer, en vertu de cette entente du libre-échange, de développer, de pratiquer et d’accroître nos politiques de développement régional – obtention de périodes de transition et mise sur pied de programmes d’assistance pour les entreprises et les travailleurs dans les secteurs les moins concurrentiels mise en place d’un mécanisme de règlement des différends auquel seront associées les provinces, maintien d’un statut spécial pour l’agriculture et les pêcheries.

L’accord comporte suffisamment de gains importants pour le Québec et le Canada dans son ensemble pour mériter l’appui du gouvernement du Québec. À cet égard, le gouvernement avait aussi obtenu le respect d’exigences spécifiques au cours des négociations, comme l’inclusion de l’article 15 des accords du GATT pour donner une plus grande protection aux agriculteurs. Le système de soutien aux agriculteurs, notamment les agences de gestion et de l’offre et les plans de stabilisation, est donc maintenu.

Le Québec, bref, a donné son accord à cette entente de libre-échange afin de rendre son économie plus moderne, plus efficace et plus productive et, avec cet accord, le Québec peut être plus confiant vis-à-vis de son avenir économique en raison de plusieurs facteurs. Il peut faire confiance à cette concurrence accrue pour lui parce qu’il a des richesses naturelles abondantes parce qu’il a un développement de l’innovation technologique particulièrement rapide.

Monsieur le Président, l’idée force qui supporte tous ces avantages: comment se fait-il que nous, nous puissions profiter tellement de cette richesse hydroélectrique en exportant des surplus dont nous n’avons pas besoin ? Cette idée repose tout simplement sur le concept du devancement du développement de ressources renouvelables. Donc, comme nous devançons, il n’est pas question de construire des barrages pour des fins uniquement extérieures, nous ne faisons qu’avancer la construction qui, de toute manière, serait nécessaire pour faire face aux besoins internes et comme il s’agit de richesses renouvelables, éternellement renouvelables, plus nous retardons ce devancement, plus nous gaspillons une richesse collective qui pourrait tellement aider à satisfaire des besoins du Québec.

C’est une idée, Monsieur le Président, que je défends avec acharnement depuis plusieurs années. Le fait de pouvoir permettre à cette richesse du Québec de profiter à la collectivité québécoise était pour moi une forme concrète de patriotisme. J’ai eu l’occasion, dans plusieurs volumes, d’expliciter les avantages de cette question. J’ai toujours souhaité le moment où on pourrait relancer ces travaux, notamment en profitant des marchés d’exportation. Eh bien, Monsieur le Président, ce moment est arrivé et c’est avec beaucoup de fierté et avec une profonde joie que j’annonce à l’Assemblée nationale le début des travaux de la phase 2 avec un développement très important de 7 500 000 000 dollars et quelque 40 000 nouveaux emplois ou personnes-années.

On comprendra, Monsieur le Président, que faire cette annonce, pour moi, aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, constitue l’un des meilleurs moments de ma carrière politique. Si nous examinons quelques secondes les raisons qui peuvent me permettre de faire cette annonce aujourd’hui, elles sont évidemment liées aux contrats que nous avons signés pour quelque 2500 mégawatts, on comprend facilement, avec des exportations qui nous donnent 40 000 000 000 dollars, le lien qui existe avec ces contrats ou ces ententes qui seront ratifiés, vraisemblablement, dans deux cas, d’ici à quelques mois, et ces nouvelles constructions. On sait que ces contrats vont rapporter des revenus jusqu’en l’an 2029, donc au cours des 30 prochaines années. Il y en aura d’autres qui suivront, Monsieur le Président.

Puisque ces contrats vont produire des revenus pour les 30 prochaines années, j’ai déjà dit que ce sont essentiellement et surtout les jeunes d’aujourd’hui qui pourront profiter de cette augmentation de la richesse collective. À la construction de ces trois centrales s’ajoutera une construction de ligne de transport, en plus de l’impact dans plusieurs régions. Par exemple, les fabricants de turbines dans les régions du Québec pourront profiter de ces développements hydroélectriques. On peut ajouter, à la lumière de ce qui est déjà connu, qu’il y a d’autres négociations en cours qui paraissent très prometteuses et nous espérons vivement pouvoir faire des annonces similaires au cours des prochains mois ou des prochaines années.

Il n’y a pas de doute que cette annonce que je viens de communiquer à l’Assemblée nationale et à l’ensemble de la population est une raison de plus pour nous donner confiance dans l’avenir économique du Québec. Également, tout cela se fera en pleine conformité avec les exigences gouvernementales en matière de protection de l’environnement. C’est logique, puisque la qualité de l’environnement, je l’ai mentionné depuis plusieurs semaines, est devenue une grande priorité du gouvernement.

Dans cette question de l’environnement, on a aussi un impact économique indéniable. Dans cette question, le gouvernement privilégie une approche intégrée. Ainsi, concernant l’assainissement des eaux, nous pourrons coordonner les trois volets: urbain, agricole et industriel. Du côté urbain, nous investirons encore 3 500 000 000 dollars d’ici à dix ans, pour un programme total de 6 000 000 000 dollars. Du côté agricole, nous investirons près de 400 000 000 dollars d’ici à dix ans, 148 000 000 dollars de la part des agriculteurs et 8 000 emplois seront générés dans toutes les régions. Du côté industriel, nous comptons bientôt adopter une nouvelle politique d’assainissement industriel, ce qu’on appelle l’approche intégrée eau-air-sol, une première en Amérique du Nord, qui sera mise en place dès cette année. Ainsi, d’ici à dix ans, nous voulons redonner à la population l’usage de nos cours d’eau, notamment le fleuve Saint-Laurent, améliorer et garantir la qualité de nos sources d’approvisionnement en eau potable.

Il y a aussi, dans ce secteur de l’environnement, du développement de l’environnement, un autre secteur d’importance: la récupération par le recyclage. Ainsi, la récupération du papier conserve la ressource forestière. Deux multinationales considèrent maintenant l’implantation d’une usine de recyclage de papier où elles vont investir des sommes importantes. De plus, le programme éducatif que nous avons lancé dans les écoles en 1986, en coopération avec plusieurs intervenants, pour sensibiliser les jeunes au recyclage, impliquera, l’an prochain, 75 000 étudiants au Québec.

La qualité de vie est évidemment inséparable, dans cette question d’environnement ou de développement économique, de développement social et des soins de la santé, comme nous l’avons entendu il y a quelques instants. Des efforts énormes ont été faits et se poursuivront. En regard de l’avenir du Québec pour son progrès culturel, ceci demeure un objectif fondamental que nous voulons pleinement assumer, que ce soit avec des politiques d’immigration dont nous avons déjà parlé, que ce soit dans la question de la langue, de la protection de la langue; on connaît les trois facteurs qui vont guider le gouvernement dans sa politique définitive, c’est-à-dire l’avenir de la collectivité francophone, le respect des libertés individuelles et la paix sociale.

Je me permettrai, Monsieur le Président, de noter au passage une déclaration d’une personne très respectable de cette Chambre, dont Son Excellence le lieutenant-gouverneur a fait l’éloge il y a quelques instants, et qui mentionnait la loi de la Californie pour ce qui a trait à l’affichage unilingue. Je lui demanderais ou je souhaiterais, de toute manière, qu’il y ait une personne charitable au sein de l’Opposition qui puisse mieux informer le chef de l’Opposition puisqu’il n’y a pas de telles restrictions dans la loi de la Californie, ni dans celle de la Suisse, ni dans celle de la Belgique. Mais nous aurons sûrement l’occasion de discuter de cette question avec l’Opposition.

Je terminerai, Monsieur le Président, par quelques mots sur un problème qui remet en cause directement l’avenir du Québec francophone, c’est-à-dire la démographie. l’État a sûrement sa responsabilité dans cette question. On sait que, durant les siècles, c’est le dynamisme familial qui nous a permis d’avoir une place dans l’histoire des peuples et si nous voulons regarder l’avenir avec confiance, nous devons retrouver ce dynamisme familial. Nous avons connu une diminution radicale des naissances au cours des trente dernières années. On connaît l’évolution du taux de fécondité: 3,9% en 1956 et 1,4% en 1986. Or, des moyens existent pour diminuer ce déficit démographique: une politique d’immigration dont a parlé et une politique familiale.

Depuis deux ans, le gouvernement a fait des efforts en ce sens dont, entre autres, l’amélioration des services de garde à l’enfance, ajustement au régime d’imposition des familles à faible revenu, aucun impôt à payer pour les familles de deux enfants et plus gagnant moins de 21 000 dollars, adoption récente de l’énoncé des orientations et de la dynamique administrative pour une politique familiale, dépôt du projet de loi 94 sur la création d’un conseil de la famille. Il y a aussi des mesures qui doivent être prises: aide financière aux familles, consolidation et augmentation de cette aide financière par le biais de divers programmes. Lors du prochain budget, il y aura des mesures concrètes et importantes pour ce soutien à la famille: rendre plus compatibles les conditions de travail et les responsabilités parentales, après consultation du monde patronal; revoir la Loi sur les normes du travail en ce qui a trait notamment au congé parental non rémunéré avec garantie d’emploi; aménager le temps de travail, développer des garderies en milieu de travail et en milieu scolaire; assurer à chaque famille l’accès à un logement adéquat par la mise en place de programmes pour améliorer la sécurité financière et la stabilité du milieu familial par un programme d’accès à propriété.

Voilà donc, Monsieur le Président, quelques-uns des objectifs qui nous paraissent essentiels au progrès de notre société. Je suis convaincu qu’en les réalisant, le Québec deviendra une société plus juste, plus prospère et plus dynamique. Merci, Monsieur le Président.

[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]

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