Discours prononcé par Monsieur René Lévesque, premier ministre du Québec, à l’Assemblée générale annuelle du conseil interprofessionnel du Québec, le vendredi 4 mai 1979, à l’hôtel Reine-Élisabeth

Depuis sa naissance jusqu’à son dernier exploit autour du 12 avril, ce qu’on a fait à deux le 12 avril, ce n’est pas une fin c’est supposé être un début. Mais beaucoup plus grave, il reste une erreur de fait, un peu compromettante pour moi, si vous ne la rectifiez pas, il donne l’impression que j’ai toujours été quelque part, sur les premières banquettes au parlement, depuis le temps immémorial que j’y suis rentré pour la première fois, il a oublié que de 1966 après la défaite du gouvernement de Monsieur Lesage dont je faisais parti, jusqu’en 1970 alors que le comité de discipline des électeurs m’a mis à la porte pendant 6 ans, j’ai été député solitaire et très très « back-bencher » pendant 4 ans, back-bencher, puis tout seul. Maintenant je voudrais tout de suite commencer par ma déclaration probablement la plus importante et celle à propos de laquelle je m’attends à des applaudissements nourris parce que j’ai vu tout à l’heure que ça commençait déjà à balancer au son de la musique, je sais que vous attendez qu’elle revienne et ma déclaration est, que je ne serai pas trop long, je vais même essayer d’être le plus bref possible.

Je voudrais d’abord, me joindre à ceux qui dans un petit salon tout à l’heure, puis ensuite à vous tous, trop brièvement qui avez eu l’occasion de le faire, me joindre à tous ceux qui ont félicité vos pionniers, parce que vous êtes encore un organisme jeune qui a ses pionniers à commencer par le président fondateur, Monsieur Jules Deschênes, et en finissant par votre président réélu pour la troisième fois, Monsieur Cossette et tous les autres qui depuis 15 ans ont entretenu votre conseil et l’ont développé d’une façon, je pense qu’une assistance comme ce soir montre jusqu’à quel point cela a été réussi. Et justement ça m’amène à vous féliciter parce qu’il suffit de voir la salle pour avoir l’impression qu’il y a encore et peut être plus que jamais des promesses de vitalité, il y a sûrement beaucoup d’entrain en tout cas dans cette première conférence annuelle que vous tenez et je pense comme vous tous que ce soit la première d’une longue série, parce qu’il faut suivre ses affaires à notre époque. Une des meilleures façons de suivre ces affaires, c’est quand même de se réunir périodiquement pour examiner la situation et de voir si on avance, si on recule, si on fait face, convenablement aux difficultés et surtout à tous les défis de notre époque, car c’est vrai, peut-être plus pour vous autres, ce qu’on appelle globalement les professionnels au moins en tout cas que n’importe quel autre secteur de la société. On est dans un monde de changement et dans ce monde-là nous autres aussi au Québec, on est une société de changements. Des changements rapides qui parfois donnent le vertige. On est dans un monde d’exigences, de compétences, d’expertises, je dirais aussi de plus en plus d’exigences et de désintéressement social. On est également dans un monde d’aspirations humaines, individuelles et collectives qui sont toujours plus pressantes et qui s’adressent en particulier à des milieux comme celui que vous représentez chez nous comme ailleurs.

Toutes les retombées, tous les effets de ce changement au coeur duquel se trouvent l’explosion des connaissances, l’explosion des techniques, que tous les uns et les autres de façon extraordinairement diversifiés, vous pratiquez, vous représentez, les effets de ces exigences de compétence qui sont de plus en plus difficiles à rencontrer, cette pression de ces espoirs, de ces aspirations, il n’y a pas de secteur de la société, je crois qui n’y ait eu à les affronter à s’y ajuster et c’est loin d’être fini, puisque peut-être que ça ne finira jamais. Autant que cet ensemble professionnel que vous résumez dans cette salle, c’est à tel point d’ailleurs, cette espèce de pression constante de l’évolution de la société que forcément vous ressentez, qu’il y a quelques temps lors d’une rencontre avec votre président, Monsieur Cossette, me disait, certaines inquiétudes que lui et vous et tous ceux qui s’occupent activement de votre organisme ressentaient. Je l’écoutais et j’avais presque l’impression que c’était des inquiétudes existentielles vis-à-vis du rôle que doit jouer ce conseil interprofessionnel que vous avez constitué il y a de cela une quinzaine d’années. Evidemment, je ne suis pas venu vous dire que l’avenir va être un nid de roses et que tout va se régler tout seul, pas plus pour vous d’ailleurs que pour personne, aussi loin que l’on peut voir en avant c’est évident que l’avenir va continuer d’être changeant, d’être exigeant, d’être stressant aussi très souvent. Mais également il faut dire que pour ceux qui sont équipés, qui auront l’épine dorsale et les connaissances qu’il faut pour l’affronter pour le harnacher cet avenir-là, moi je crois qu’il est potentiellement, peut être chez nous plus que dans bien d’autres coins du monde, potentiellement plus prometteur, et plus fécond qu’à aucune autre époque qu’on ait vu dans le passé, il y a cette double perspective donc, qui est celle des difficultés et celle des promesses et je pense qu’il n’y a pas de secteurs dans aucune société plus stratégique, plus centrale que celui qu’on appelle globalement, le monde professionnel qui est à faire face avec succès, il faut l’espérer de tout coeur à cette double perspective parce qu’avec les 140000 membres actuels de vos 38 professions actuelles et d’ailleurs j’ai appris tout à l’heure que j’avais bien fait de mettre actuelles, j’ai mis ça à la dernière minute dans mes notes, parce que j’ai appris tout à l’heure en lisant le communiqué que vous êtes déjà rendus à 39 depuis que je lisais mes notes hier et en lisant votre communiqué, j’ai vu que vous aviez grimpé de 140000 à 145000 dans le temps de le dire aussi.

Alors ces 145000, 39 professions ou un petit peu plus, à toutes celles et à tous ceux qui s’ajouteront dans les secteurs aussi cruciaux et aussi diversifiés en même temps que le droit, la santé, l’administration, les affaires, le génie, la technologie, et cette gamme sans cesse plus diversifiée qu’on englobe dans les relations humaines, c’est vous autres ensemble qui constituez votre réservoir québécois, tout le monde l’admettra des compétences et des services les plus essentiels de tous et par conséquent le principal facteur d’évolution réussie pour le Québec au niveau de ses ressources humaines. Déjà à Montebello et je voudrais en profiter pour remercier le Conseil, son président et ses collègues qui l’ont accompagné à ce sommet socio-économique, cette conférence annuelle que l’on a instituée depuis un couple d’années, déjà, donc à cette rencontre de Montebello, votre président aujourd’hui réélu soulignait par exemple le fait que les petites et moyennes entreprises, cela a l’air d’être pas grand chose quand on prend seulement l’expression superficiellement, mais en fait c’est l’épine dorsale du développement de la plupart de nos régions et c’est là, ce n’est pas dans les grandes entreprises multinationales qui sont importantes, qui sont comme des montagnes dans la plaine mais il faut beaucoup de collines dans la plaine aussi pour activer et pour équilibrer le développement d’une société.

Dans le secteur des petites et moyennes entreprises et pas seulement chez nous, en Europe aussi, j’ai eu l’occasion d’en parler avec des confrères, rapidement au cours d’un voyage qui était plutôt un voyage de détente, quand même je ne peux pas empêcher par accident d’en rencontrer un ou deux au coin de la rue. J’avais l’occasion d’en parler avec des collègues européens, les Américains vous diront la même chose, que des grandes machines économiques comme celles de la France, de l’Allemagne ou des États-Unis, c’est la même chose qu’ici peut-être même davantage, que plus de la moitié des emplois, souvent 60% des emplois et souvent des emplois les plus imaginatifs, parce que c’est là que la nouveauté a aussi des chances de venir au monde plus facilement, viennent des petites et moyennes entreprises et votre président nous soulignait déjà à Montebello, je pense que vous avez repris cette idée sous forme de résolutions ou de voeux au cours de votre assemblée générale aujourd’hui, qui est que l’ensemble, ce réservoir de compétences, de potentiel d’encadrement que vous représentez dans le monde interprofessionnel qui est ici qui devrait être mieux encouragé, mieux appuyé de façon à pouvoir aller encadrer le développement des petites et moyennes entreprises et surtout au niveau de la diversité de nos régions au Québec. Ils en ont terriblement besoin, je dois dire d’ailleurs, je pense que Monsieur Cossette le sait, la plupart d’entre vous qui suivez ces choses-là aussi, que déjà certaines mesures ont été amorcées pour donner un coup de main au secteur des petites et moyennes entreprises justement pour faciliter l’encadrement professionnel dont ils ont si souvent besoin. C’est juste un exemple de l’indispensabilité de ces compétences diverses que vous représentez dans n’importe quelle société moderne et très singulièrement chez nous pour les années qui passent. Maintenant c’est évident que cette indispensabilité qui est la vôtre s’accompagne de contraintes dont la principale a toujours été, demeure et sera probablement de plus en plus, l’excellence. On peut dire que dans le monde où on est, maintenant, on est condamné à l’excellence, on y est sûrement condamné collectivement, on peut toujours avoir des gens individuellement, un groupe par-ci, un groupe par-là qui va se négliger ou alors comme on dit couramment qui va se laisser aller mais une chose certaine, collectivement, comme société on est condamné à l’excellence et au coeur de cette société vous avez un rôle à jouer. Jusqu’à un certain point, on peut dire heureusement que le besoin ou la fonction comme on dit crée l’organe parce qu’on a l’impression en dépit de beaucoup de négligences, en dépit de beaucoup de critiques, de chiquage de guenilles qu’on peut faire à l’occasion que, dans l’ensemble, cette idée de l’excellence qui nous ramène un peu à l’idée de la belle ouvrage dont parlaient nos grands-parents cette idée de l’excellence, de l’efficacité, du fini est quelque chose qui de plus en plus semble revenir à la mode dans beaucoup de coins du Québec. J’ai eu trois occasions d’être fier de quelque chose de ce genre-là depuis deux jours, ce n’est pas tout le temps que cela arrive mais enfin quand même cela a été la chance que j’ai eu. Hier, par exemple, j’étais au lancement d’un livre qui par un aspect, pour la première fois, nous donne un aspect extrêmement important de tout ce que représentent nos racines.

Hier, j’assistais au lancement d’un livre, il y en a jamais eu de pareil, il s’intitule « Québec trois siècles d’architecture » et à partir des choses graphiques qui commencent par des petits plans de la première habitation de Champlain autour de 1608, en passant par des esquisses, ensuite par des photos ou des tableaux, en venant jusqu’à aujourd’hui on voit dans la pierre ce que c’est l’important ; à la fois l’ancienneté et la vitalité de nos racines parce que c’est de la pierre qui a été habituée et puis qu’il l’est encore et cela a été fait par trois personnes qui sont de trois disciplines et du travail interprofessionnel de trois des disciplines qu’on a développées chez nous: la vieille discipline d’architecture, du graphisme et forcément journalistique. Ils nous donnent pour la première fois, une chose dont on peut être fier dans ce domaine très spécifique: la fierté de nos racines.

Puis deux heures après, je rencontrais pour leur dixième anniversaire, les membres de l’équipe de direction de l’Université du Québec. Cela fait dix ans qu’elle existe, elle a eu plein de problèmes, ici à Montréal, on a toujours eu l’impression qu’ils étaient plus souvent dans la rue que dans les salles de cours et pourtant ce n’est pas vraiment ça. Tout compris après dix ans, il y a une maturité qui se développe et une maturité jeune, dans laquelle se trouve par exemple, sous la forme d’instituts de recherche, une extraordinaire vocation qui se développe avec des résultats concrets là, que ce soit dans le bas du fleuve, en Mauricie, à Montréal de ce côté-là beaucoup plus global, évidemment, c’est la métropole, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, partout accrochés aux ressources du milieu, leur comité de planification qui est interdisciplinaire discutait des perspectives des trois prochaines années et on avait l’impression que dix ans ce n’était pas un aboutissement du tout, ça ne doit pas l’être non plus, c’était un début, qu’il y a plein de choses à faire.

Et puis finalement, cet après-midi en montant de Québec, je suis arrêté à Cap-de-la Madeleine pour inaugurer une usine, qui n’est plus pilote et qui va produire à partir de maintenant des milliers de tonnes d’un produit qu’on importait d’Angleterre et des États-Unis qui était basé sur notre amiante. L’amiante brut qu’on envoie se faire transformer ailleurs alors là il s’agit tout simplement d’amiante qui avec des combinaisons qui seraient trop compliquées à expliquer, pour moi en tout cas. Il y a de la chimie là-dedans, il y a tout ce que vous voudrez, mais ça finit par aboutir à du linoléum et ça je pense qu’il y a des dames dans la salle qui comprennent l’implication de ça, c’est tellement vous autres le vrai patron de cette industrie, qu’au Salon de la Femme, il y a toute une section où il y a du linoléum qu’ils sont en train de tester, ils le font le test avec vos souliers et vos talons, ils sont en train de tester et qui est Lupel-Amiante, si j’ai bonne mémoire l’usine pilote du linoléum enduit d’amiante qui est une nouvelle formule au Québec mais qu’on faisait venir d’Angleterre et des États-Unis et pour la première fois est produit ici et c’est une conjonction de talents professionnels avec évidemment du marketing, des hommes d’affaires qui ont mis ça au point et dans chacun des cas.

Le livre dont j’ai parlé, l’Université du Québec, pendant les deux heures que j’ai passées avec eux et ce groupe de Lupel-Amiante; dans chacun des cas j’ai eu l’impression justement que c’était du beau travail. C’était le reflet d’une compétence non seulement contemporaine mais d’une compétence exigeante soucieuse du détail. On a eu une période presque de décadence il y a quinze, vingt, vingt-cinq ans où j’avais l’impression que le détail ne comptait plus. Il y a quelque chose qui compte dans un produit et dans un service, c’est le détail. Si le produit, c’est de la belle ouvrage, quand on parlait de faire de la belle ouvrage, c’était jusqu’à la dernière fioriture, jusqu’au dernier fion, on dirait que quelque chose comme ça est en train de revenir, c’est tout ça qui est l’excellence à laquelle on est condamné. Les exemples comme ceux que j’ai pu vivre en deux jours ça donne l’impression que c’est plus fréquemment que ça arrive maintenant, ce goût de l’excellence, et s’il y en a qui doivent être concernés par cet esprit, c’est bien l’ensemble des professions que vous êtes ici dans cette salle.

A ce défi fondamental, qui va rester permanent tout le temps, s’ajoute aussi avec plus d’évidence que jamais celui de réconcilier la liberté avec la responsabilité, il va sans dire que la liberté pour un professionnel digne de ce nom dans l’exercice de son jugement, de son action professionnelle, c’est aussi essentiel que l’air dans lequel il doit fonctionner. Ce n’est pas pour rien qu’on a parlé traditionnellement des professions libérales. Je pense que Monsieur le juge en chef sera d’accord avec moi pour dire que ce n’était pas une étiquette partisane libérale dans ce cas-là, mais que bien au-delà de ces notions éphémères ça réfère à cette chose fondamentale qui est la liberté même, l’ensemble des libertés essentielles : la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté d’action et qui dans le cas des professionnels qui ont une responsabilité fondamentale du service aux citoyens, cette liberté doit être la plus complète et la plus large possible, vous en avez besoin pour vous épanouir et pour produire à l’aise.
Dans l’ensemble, et je voudrais le souligner, ceux et celles qui acquièrent le plus facilement et le plus pleinement toutes les dimensions de la liberté dans la société, quand bien même que ce sera seulement pour une raison, c’est que vous avez plus de savoir que la moyenne, savoir scientifique, savoir technique, savoir d’exécution et avec ce savoir vous avez également dans l’ensemble beaucoup plus que la moyenne des revenus qui viennent rapidement dans la vie. Cela est à la fois une source de pouvoir puis une source de liberté mais c’est également la responsabilité quand on est parmi ceux qui dans l’ensemble ont plus de capacité de choix, de cette autonomie de décision qui est l’essentiel de la liberté et en même temps ce pouvoir additionnel qui est d’avoir quand même plus de facilités de gagner le pain que les autres qui vous entourent. Bien il est évident qu’il y a une responsabilité qui s’accroche à ça, on pourrait prendre la vieille expression qui n’est plus à la mode mais qui mérite parfois de revenir en surface : « la responsabilité individuelle, sociale, de plus en plus, fait partie de notre devoir d’état ». Même en se contentant de faire strictement comme individu son travail professionnel le mieux possible, sans se dépasser son champ d’action, sans aller plus loin, sans s’impliquer dans la société autrement que par son travail chacun d’entre vous exerce déjà, inévitablement, une responsabilité essentielle qui est celle qu’on a contre la maladie, contre l’injustice, contre l’ignorance, contre le manque d’organisation, contre les erreurs de conception cela fait partie pour chacun d’entre vous dans chacune des disciplines, de votre devoir d’état.

Mais si on s’implique en équipe et de plus en plus, le monde marche en équipe, ce monde d’ailleurs qu’on appelle interdisciplinaire peut démultiplier comme jamais auparavant toute la force libératrice de ce savoir savoir que vous avez de ce « know-how » comme on dit, de cette capacité d’analyse critique, d’innovations, d’organisations et Dieu sait qu’on a besoin de tout ça, tout de suite et pour les années qui viennent. Au fond, c’est un des éléments de cette conscience sociale qui je crois, va être exigé par la société du vrai professionnel. Le genre de conscience sociale qui commande par exemple, d’être généreux intellectuellement, c’est-à-dire d’accepter de partager le savoir, de le rendre accessible et non pas de se réfugier dans le jargon spécialisé, vous savez des fois il y a des gens qui se cantonnent dans leur jargon professionnel à un point où on dirait que leur client, leur patient soit devant eux comme devant le sorcier d’autrefois, comme si leur discipline était de la magie noire, il faut faire attention à ça.

Je crois de toute façon qu’il y en a de très peu qui se reconnaissent dans la salle ! Donc ce n’est pas un danger imminent ! Donc, on n’est plus à l’époque des sorciers, mais il y a un danger dans la compartimentation et dans l’ultra-spécialisation. Si on ne fait pas attention, on peut avoir la tentation de revenir à une espèce de sorcellerie. À propos d’accessibilité, justement je n’ai pas besoin de vous dire que ça implique aussi la conscience sociale qui va exiger qu’on se préoccupe pas seulement en belles déclarations, qu’on se préoccupe mieux que jamais du prix des services et aussi de la répartition des services. Il y a des régions où certaines de vos professions les plus essentielles sont quasiment complètement absentes, invisibles et pourtant on en a un besoin absolu et on n’a pas l’impression que la perception de ces besoins s’est rendue jusqu’à certains de vos organismes professionnels d’une façon qui nous prouve qu’on n’a pas besoin d’intervenir parce qu’il y a des besoins urgents, ça ne vient pas spontanément de la conscience professionnelle, il va falloir que ça vienne, et c’est pour ça que j’ajoute ceci, c’est que tout ce que je viens de dire et que je pense, est presque la vérité de La Palice pour le monde d’aujourd’hui, pour l’essentiel s’est laissé et il faut que ce soit laissé autant qu’il est humainement possible, à votre propre initiative ; à celle des corporations et de plus en plus des syndicats et aussi à des organismes de regroupement et de concertation comme ce Conseil Interprofessionnel qui m’a fait l’honneur de m’inviter ce soir. Cette autonomie fondamentale qu’il faut conserver à vos professions et cette autogestion, je pense que le terme a été mentionné tout à l’heure, cela devrait être inutile de le dire parce qu’il y a toujours des esprits soupçonneux. Je profite simplement de 1’occasion pour vous affirmer qu’il n’est pas question ni de réduire, ni encore moins d’étouffer d’aucune façon cette autonomie. Toute espèce d’étatisation professionnelle, toute espèce d’encarcannement systématiquement bureaucratisé, m’apparaîtrait non pas une injustice mais une absurdité, ce qui est parfois plus grave. Alors vous n’avez pas à vous inquiéter du gouvernement actuel, d’aucune façon en ce qui concerne l’essentiel des libertés professionnelles dont vous jouissez.

D’autre part, et là je ne vais pas dire le contraire, mais je pense que vous admettrez tous qu’on est dans un monde qui ne peut pas se passer d’une certaine réglementation, il y a quelques années, à la suite de commission d’enquête, à laquelle vos propres professions ont participé, il a fallu établir des choses comme : le code des professions, qui sera jamais parfait, il n’y a aucun code qui n’est jamais parfait, on ne les revise pas assez souvent d’ailleurs, et établir, avec une très large autonomie, cet organisme qu’on appelle l’Office des Professions avec lequel je sais à quel point sont fécondes et coopératives les relations de votre conseil. Bien sûr, il y a encore de la place pour de l’amélioration mais….

Monsieur le Président de l’Office, qui est ici avec nous, témoigne de vos bonnes relations. Moi en fait, d’après certaines rumeurs complètement injustifiées, je suis très surpris de le voir ici mais en tout cas. Mais de façon générale, cet examen qui a été fait dans les années 1960-70 et qui a aboutit aussi bien à la création de votre conseil qui était là quand même pour répondre à une certaine inquiétude, à certains dangers d’incohérence, de même qu’ensuite est venu le code avec les amendements qui sont toujours requis et puis l’office avec son autonomie.

Foncièrement, le rôle que vous avez, est celui d’un service public avec tout ce que ça peut exiger de souci d’éthique et d’un certain désintéressement fondamental dans l’action et, par ailleurs comme tout autre groupe humain, c’est aussi légitime pour vous que pour les autres, il y a en même temps la défense des intérêts légitimes mais entre la défense des intérêts et le service public, il y a parfois des zones grises, il y a même parfois des contradictions et il faut qu’il puisse y avoir, quand les intérêts sont en jeu, une certaine protection, une certaine armature de règlements. Certains éléments qu’on peut appeler les chiens de garde de l’intérêt commun, pourvu encore une fois que ça ne vienne pas étouffer et brimer les libertés essentielles.

Il y a aussi des cas, il faut bien l’admettre, où l’intervention, j’aime mieux dire la participation comme moteur de l’État, est nécessaire dans nos sociétés. Cela n’a pas commencé hier et cela ne cessera pas demain, ces interventions ou ses participations au départ en tout cas, arrivent à se heurter ou à sembler heurter en tout cas pendant les intérêts de telle ou telle catégorie professionnelle. Je me souviens, au moment où l’assurance-santé, que j’aime mieux appeler ainsi plutôt que l’assurance-maladie en fonction de la vieille tradition chinoise qui disait: « tant que ton médecin te garde en santé, tu le paies, si tu es malade, tu le tues ». Quand l’assurance-santé est arrivée, c’est évident que les médecins corporativement puis individuellement étaient méfiants. On sentait quelque chose comme une sorte de statut traditionnel qui avait quelque chose de sacré, être diminué, être contraint par un nouveau régime comme celui-là. Et beaucoup plus récemment quand est venu l’assurance-automobile, je me souviens de la pluie qui nous est arrivé de tout bord, tout côté, aussi bien des courtiers que des compagnies d’assurance, des avocats du barreau etc … Monsieur Bergeron doit s’en souvenir. C’est normal, parce que c’est vrai que ça donnait cette impression et que concrètement, pendant un certain temps, cela heurtait les positions établies, certaines zones d’autonomie d’action et d’exclusivité d’action presque de souveraineté d’action. L’immense majorité des représentants officiels des professions acceptent cette idée de la participation et plus que jamais, cette idée du rôle que doit assumer l’État. On ne peut pas le faire autrement parce que notre société exige la reconnaissance de droits nouveaux.

Il y a quelques années, on n’avait pas l’école publique et souvent je surprends les gens, surtout les générations moins ancienne que la mienne, quand je leur rappelle des choses comme ça. Savez-vous que jusqu’en 1943-44, pendant la guerre, au Québec, l’école primaire et je ne parle pas de l’Université, l’école primaire n’était pas gratuite, ni obligatoire. C’est un exemple qui n’est pas si loin, les années 40, il y a des gens qui se sont battus contre l’introduction de l’école publique obligatoire à cause du droit des parents de garder leurs enfants ignorants et pourquoi paieraient-ils une taxe scolaire? Il y a des gens qui partant de là, ont philosophé sur cette notion absolument absurde de la liberté qui est « la liberté de crever », de crever joyeusement!

Donc, c’est un cas qui n’est pas tellement loin mais qui nous semble presque médiéval. La société en évoluant crée des droits nouveaux. Evidemment avec la télévision, la commercialisation, on confond souvent des appétits, ou la mode, avec les besoins. Mais des droits, ce n’est pas pareil, le droit à l’éducation, à la santé, enfin des minimum vitaux comme ça, c’est autre chose et c’est pour ça que l’état est appelé à intervenir.

Dans la production de biens et de services essentiels, on ne pouvait pas faire autrement. L’Etat est appelé par exemple, à assurer, à intervenir dans un domaine qui est devenu de plus en plus essentiel, celui de la protection du consommateur et c’est comme ça que sont venus au monde : l’aide juridique, l’assurance-maladie, l’assurance-automobile, les frais dentaires, une partie des médicaments, la protection du consommateur. Ceux qui s’opposent créent de la confusion. Mais ce qui est frappant, c’est que lorsque ces mesures sont prises, je plains celui qui voudrait retourner en arrière, une fois que les gens les ont connues dans la pratique. Il se ferait littéralement lapider, on ne peut pas arrêter ce genre de changements, on ne peut pas bloquer le courant de 1’évolution, quand il est sain et qu’il mène à quelque chose qui mérite vraiment de s’appeler le « progrès ».

Maintenant, dans cette espèce d’incroyable mélange, de changements, d’interventions inévitables d’un minimum vital de réglementation, autant qu’il est humainement possible, c’est à vous d’abord avec vos associations, vos corporations et de plus en plus vos syndicats et ce conseil interprofessionnel qui vous réunit tous à condition que vous le souteniez et que vous le gardiez vivant; c’est à cet ensemble qui est le vôtre, qu’appartient et que doit appartenir le souci, la défense de votre autogestion qui, je le sais est extrêmement importante mais à condition de l’assumer et de l’assumer responsablement par rapport au besoin de vos concitoyens. De même que la santé, le progrès puis tout l’avenir de vos professions, si vous ne le faites pas je ne pense pas que personne pourrait le faire à votre place et là-dedans le rôle de votre conseil, il me semble, il est encore relativement nouveau, mais sûrement, il doit être aussi très souvent énervant, harassant parce que vous êtes le lieu de rencontre de beaucoup de différends, de beaucoup de griefs, parce qu’il y a tellement de développements diversifiés qui se font dans vos domaines.

Par exemple, est-ce que les chiropraticiens ont le droit oui ou non de faire de la radiologie? Ou bien si cela doit être seulement le radiologiste. Je prends des cas que j’ai vus récemment. Le diplôme de l’Ecole de Technologie Supérieure est-il égal ou inférieur à celui de l’Ordre des Ingénieurs? Y-a-t-il moyen de marier ça quelque part, de façon à définir des titres qui puissent être partagés équitablement.
Dans cet ensemble de défis et dans un monde de changements, le conflit est un aspect de la vie, parce que lorsqu’il y a beaucoup de développements, forcément cela dérangent les positions acquises. Et les positions acquises se défendent et pourtant il faut trouver le moyen de vivre ensemble, il faut trouver le moyen de combiner puis de complémentariser. Alors ce n’est pas évidemment demain que le grand nombre de ces ordres professionnels qui sont regroupés dans votre conseil, va cesser de connaître des conflits de juridiction puis d’entendre des griefs, d’avoir des différends, d’essayer de régler et de rechercher autant que possible des solutions parce que son rôle essentiel, si j’ai bien compris l’article 19 du code des professions, est d’étudier les problèmes des professions, de leur faire des recommandations, de jouer un rôle de médiateur et de coordonnateur quand s’est requis et inviter les corporations et les groupes qui exercent des entreprises connexes à essayer de se mettre ensemble pour régler leurs problèmes.

Cela doit être décourageant souvent parce que les échos que j’ai parfois quand les dossiers nous arrivent c’est que cela a bloqué. Blocage sur des mots, sur des définitions, sur des aspects de positions acquises qui pourtant doivent évoluer, mais on est toujours un peu pareil, on fige très facilement dans ce que l’on peut appeler « les droits acquis », même quand les droits acquis sont en fait dépassés en partie au moins, et tout ça le conseil doit y faire face et je voudrais souligner avant de terminer à quel point moi j’y crois. Vous avez aussi un rôle de conseiller pour le gouvernement. Je sais que c’est le rôle primordial qu’on a donné à l’Office des professions, celui d’être conseiller du gouvernement, de l’Etat si vous voulez dans le rôle officiel mais votre conseil a ce rôle aussi complémentairement, parce que souvent vous avez accès beaucoup plus directement entre vous, parce que le conseil est plus entre vous qu’avec le seul Office et quand on peut avoir les résonances des deux, moi je crois que ça peut être extraordinairement important pour nous éclairer quand il s’agit d’essayer de régler des problèmes comme on est souvent obligé de le faire par voie législative.

Je vais vous donner un exemple très simple du pain qu’on a sur la planche présentement ce mois-ci. C’est un bon pain, s’il est bien fait, bien pétri, ça concerne les problèmes du consommateur que j’évoquais. Tout le monde sait que depuis quelques mois, depuis la dernière session, dans le domaine des biens et des produits il y a un nouveau code de protection des consommateurs, une refonte complète, on peut dire un nouveau code. Et vous autres en particulier, vous savez sûrement qu’on s’attend à ce que l’Office des professions nous suggère dans le proche avenir, de nouvelles mesures qui nous permettraient d’assurer aussi une bonne protection à tout le vaste domaine des services que vous représentez c’est-à-dire améliorer la protection de ce côté, parce que cela va être exigé, cela l’est déjà et la pression est là par la société. L’éclairage que donne le nouveau code de protection du consommateur du côté concret a très bien illustré dans bien des domaines les carences qu’il s’agit de corriger, je pense que les représentants de vos diverses professions en sont très conscients. Inutile de dire qu’on attend vos opinions, vous allez être et vous êtes déjà consultés et je vous le dis simplement. On vous consulte, on vous demande, je sais que souvent on a l’impression que la consultation se fait difficilement car la machine d’administration publique n’est pas rapide, très souvent il y a des maquis dans lequel on se perd mais il reste que politiquement on attend les résultats de ce que vous pouvez nous donner comme conseil par le truchement de votre conseil interprofessionnel parce que c’est le canal qui nous paraît le plus indiqué et tout ça brassé ensemble devrait nous permettre pour la prochaine session qui vient dans un certain nombre de mois, de faire les amendements et les additions les plus indiqués dans l’intérêt du consommateur, et sans brimer les intérêts, les vrais intérêts légitimes des professions qui permettraient encore d’améliorer notre performance collective.

C’est un exemple d’actualité parmi beaucoup d’autres que je pourrais citer de ce que l’ensemble de vos concitoyens à commencer par votre serviteur attend, du monde professionnel. Pour revenir au début, ça passe très simplement par certaines vertus cardinales de toujours, la compétence, le souci d’excellence, un sens aussi aigu que possible du service public, en même temps la défense farouche de cet intérêt fondamental qu’est la liberté professionnelle, ça passe aussi par de plus en plus d’ouverture d’esprit les uns vis-à-vis des autres à l’intérieur de votre secteur pour essayer de décompartimenter un peu, de briser autant que possible les petits murs souvent extraordinairement égoïstes, qui empêchent des compléments essentiels de se développer convenablement, puis de vous aider en fait à enrichir la société. Vous savez le mot-clé, je pense, de notre époque, c’est le mot inter. Quand on parle d’indépendance, partout dans le monde au niveau politique on est complètement à côté de la trace, et on est complètement en dehors de la réalité si on ne pense pas en même temps « interdépendance ». Il n’y a pas plus d’un pays au monde, même les plus grands, qui est capable de travailler tout seul, capable de se suffire à lui-même et, de plus en plus, quand parle profession, si on ne parle pas d’interprofessionnel, on ne parle pas de grand chose en tout cas, on ne parle pas de quelque chose qui va bien loin pour le développement collectif. Il semble que cette ouverture d’esprit, autant que possible, cette abolition ou en tout cas cette diminution des compartiments trop étroits fait partie des perspectives d’avenir qu’on a besoin d’entretenir puis de développer, et plus globalement, il est évident que le souci de la santé et du progrès de toute la société qui compte sur vous est une chose à propos de laquelle pas un citoyen désormais, pourra éviter d’avoir sur vous un oeil qui est forcément un oeil critique, ce regard critique auquel vous êtes exposés parce que vous êtes forcément en plein coeur des préoccupations de la société, ce regard critique c’est de vous seul qu’il dépend que ça devienne un regard admiratif. Vous n’avez qu’à regarder les sondages à écouter autour de vous, vous avez déjà un extraordinaire bagage d’estime de la part de vos concitoyens. Je peux vous dire que des gars comme moi, on vous envie par exemple, avez-vous vu les sondages sur les politiciens… Les sondages, l’expérience de tous les jours nous disent clairement que dans l’ensemble, mais quand même globalement, l’image est là, dans l’ensemble, vous avez déjà très fortement une estime de l’opinion et vous l’avez dès le départ et, entre nous, ça c’est le meilleur départ et une position légèrement plus solide que celle de ceux qui exercent comme votre serviteur la profession, éminemment provisoire d’ailleurs, qu’est la politique. Alors tout ce que je vous demande dans l’avenir c’est de ne pas perdre cette estime dont vous jouissez déjà et puis de mériter par vos efforts, puis par votre souci et votre conscience sociale et professionnelle de transformer ça en admiration parce qu’il n’y a rien de plus stimulant que ça.

Merci beaucoup!

[QLVSQ19790504]

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