Discours prononcé par le premier ministre, Monsieur René Lévesque, à Rimouski, le 15 septembre 1979

Je voudrais juste commenter rapidement les trois piliers du triangle de notre ami Jules Bélanger. Je veux bien qu’il me les mette sur le dos mais à une condition : c’est qu’il rappelle que pour les deux qui sont passés, ça demande pas mal de travail d’équipe et ça demande beaucoup de monde. Et puis pour le troisième, je veux bien faire ma part, mais on a besoin d’être extrêmement nombreux comme Québécois pour aller chercher la majorité qu’il nous faut au référendum. Et je pense qu’on est capable de le faire mais à une condition : c’est de se retrousser les manches tous ceux qui sont déjà convaincus, puis de se donner, s’il vous plaît en fonction de notre avenir à tous, le temps d’y penser, d’y penser un peu avec le coeur puis avec la tête, les deux vont être nécessaires pour prendre la décision. Mais c’est une décision tellement normale que je ne vois pas comment on pourrait la manquer.

Je voudrais parler de ça un peu sans abuser de votre patience pendant quelques minutes mais d’abord, je m’en voudrais de ne pas remercier les autorités municipales de Rimouski puis, tous les membres de la presse parce que c’était surtout une journée média. Aujourd’hui, à Rimouski, pendant que les militants du parti venus de tous les coins de l’Est du Québec étaient réunis en session de préparation, comme je le disais moi, de mon côté, on m’avait demandé de répéter un peu l’expérience mais en la multipliant, l’expérience habituelle de la rencontre avec la population par l’intermédiaire des moyens d’information. Et je dois remercier beaucoup tous ceux qui sont installés au téléphone par exemple, dans tous les coins à partir des Iles-de-la-Madeleine et de Gaspé jusqu’à Rivière-du-Loup, qui représentaient des postes de radio, les journaux, les postes de télévision et aussi nos amis de la presse nationale qui se sont donné la peine de nous suivre depuis trois jours parce que deux jours de suite, on a eu un caucus c’est-à-dire, une réunion de députés qui ne s’étaient pas vus depuis le printemps, depuis l’ajournement de l’Assemblée nationale et qui s’est tenue à Rivière-du-Loup.

On a surtout abordé trois choses et là justement, je remercie beaucoup Alain Marcoux d’avoir fait ce travail, toujours un tout petit peu ingrat, qui est de faire des bilans malgré qu’on n’ait pas à s’excuser de notre bilan jusqu’ici. Ce n’est pas parfait, mais on a vraiment travaillé comme des chiens depuis deux ans et demi, bientôt trois ans. Mais moi, je trouve qu’on m’a laissé la meilleure part c’est-à-dire, qu’est-ce qui s’en vient maintenant? Et c’est ça qu’on examinait au caucus pendant deux jours, Il s’en vient forcément d’abord des choses qui touchent à notre mandat de gouvernement c’est-à-dire, la session qui va reprendre à partir du mois d’octobre. Le Parlement va se réunir de nouveau jusqu’aux environs des Fêtes pour continuer le travail et puis, à l’intérieur de ce contexte les trois, quatre prochains mois, il y a aussi quelque chose d’extraordinairement important, à bien des points de vue décisifs, parce que ça va être une prise de température de notre capacité, de nous entendre sur des grands enjeux c’est-à-dire, les négociations dans le secteur public et para-public.

C’est vrai que et je le dis pour ceux qui pourraient être dans la salle, il peut y avoir des employés de la Société des Alcools qui ont un sacré problème actuellement. Il y a sûrement quelques fonctionnaires, il y en a partout, il doit y en avoir ici. Il y a peut-être des infirmiers ou des infirmières parce qu’après tout, vous êtes une ville hospitalière! Eux, ils font partie du groupe dont les conventions collectives ont expiré en 1978 c’est-à-dire, il y a déjà un an et plus, un an et quelques mois; ce n’est pas encore réglé. Je ne crois pas que la faute puisse être mise d’un côté ou de l’autre sauf que, à ce point de vue là, je dois admettre que, de notre côté, parfois on a traîné un peu. On n’était pas prêt.

On avait dit en 76, quand on est arrivé au pouvoir, pendant la campagne électorale, je me souviens d’un débat avec Monsieur Bourassa, non pas qu’on avait des recettes magiques, il n’y a pas de recettes magiques dans les affaires humaines comme celles-là, mais qu’on essaierait de faire deux choses comme fondement d’une nouvelle approche dans les relations dans ce domaine des négociations, d’essayer au maximum de ne pas cacher nos cartes, de mettre nos cartes sur la table avec autant de bonne foi que possible, puis aussi de nous préparer pour ne pas traîner. Je dois avouer qu’il y a eu un certain traînage par rapport à ceux dont les conventions sont déjà expirées depuis un an. C’était à peu près inévitable parce qu’il y avait beaucoup de choses à renouveler. Mais enfin, le fait qu’il y avait des contraintes, ce n’est pas une excuse. Je dois dire qu’on espère, si on met un peu d’eau dans notre vin des deux côtés, il en faut, ces cas-là puissent être réglés le plus rapidement possible. On a des indications que ça ne devrait pas être insurmontable comme difficulté à condition, encore une fois, que si l’on fait un peu de chemin, bien, qu’on le fasse des deux côtés.

Pour ce qui est du gros bloc du secteur public et para-public, là je crois qu’on a pas d’excuse à présenter. On a aussi à renouveler le processus; il s’agit maintenant de savoir bien ça, c’est énorme, si on va dire des dizaines de milliers de gens des hôpitaux, de l’enseignement. L’Hydro-Québec est aussi impliquée dans tout ça, même si ce n’est pas directement relié, leur convention collective a expiré au mois de juin de cette année c’est-à-dire, il y a à peine trois mois. Et malgré le fait que cette convention a expiré à la veille des vacances qui commençaient le 30 juin, on est déjà à table avec une grosse partie du travail d’approche qui est toujours nécessaire. On sait exactement quelles sont les règles du jeu et, en ce moment même, pendant les deux semaines qui passent, les deux ou trois semaines, il y a une accélération sur laquelle on s’est entendu de part et d’autre. Alors, touchons du bois parce qu’évidemment, je ne peux pas être prophète. Mais il y a une volonté de régler avant la fin de l’année qui a été exprimée, on essaie de prendre les moyens de le faire et on a bon espoir, à condition qu’on joue le jeu selon des règles de bonne foi et un minimum de confiance. Je sais bien qu’il y a toujours une certaine zone de méfiance quand c’est l’État employeur, comme on dit dans le jargon et, forcément, des dizaines de milliers de citoyens qui sont ses employés, il y a toujours une certaine zone de méfiance. Il y a aussi des souvenirs accumulés qu’il faut essayer de dissiper mais, encore une fois, c’est une énorme préoccupation très centrale pour les trois mois qui viennent mais si l’on met ce qu’il faut des deux côtés, on a des chances d’éviter la répétition des conflits absurdes qu’il y a eus dans le passé et qu’avant Noël, on pourrait avoir des règlements. Alors, touchons du bois!

On a parlé de ça au caucus assez longuement pour essayer de faire le point entre nous après les vacances. On va se tenir en équipe vis-à-vis des problèmes aussi cruciaux que celui que je viens d’évoquer. Et puis on a parlé également du travail de la session qui va venir parce que ce que donnait Alain comme bilan tout à l’heure, c’est évidemment un rapport d’étape; ce sera toujours un rapport d’étape. Vous savez les gouvernements ils arrivent, ils partent – on les remplace puis la société continue à évoluer, puis les problèmes ne sont jamais réglés de façon définitive. D’ailleurs, c’est pour ça que c’est souvent plus intéressant, à mon humble avis, d’être député que d’être ministre et là, je n’évoque rien du tout mais c’est souvent plus intéressant, plus satisfaisant au point de vue humain. Lorsqu’on est au niveau du conseil des ministres et de ses décisions sur les lois qu’il s’agit de brasser, de mijoter, de macérer jusqu’au moment où l’on peut aboutir à quelque chose, on a toujours ce sentiment, de toute façon, que tout ce qu’on va voir essentiellement, ce sera une amélioration sur le papier. C’est fondamental parce que c’est comme ça qu’une société civilisée communique, établit ses choses essentielles mais il reste que c’est froid le papier tandis que le député, on l’est tous, mais c’est lorsqu’on revient à ce niveau-là que je pense qu’on a la satisfaction humaine parce que chaque fois qu’on peut, par hasard, ou même qu’on peut plus que par hasard en travaillant assez fort aider à régler tel problème concret pour une famille, pour un projet qui va se réaliser et qu’on le voit dans le paysage apparaître, qu’on voit le soulagement d’une famille à qui on a pu donner un coup de main, là on a l’impression d’avoir réalisé quelque chose en plus de le sentir humainement. Alors, dans la session qui vient, notre travail de législateur qui se dirige vers le papier mais qui doit répondre plutôt aux grands ensembles, va avoir d’extraordinaires objectifs d’une extraordinaire importance encore cette foi-ci. Pendant une douzaine de semaines au maximum, ce n’est pas très long douze semaines, onze semaines en fait; à partir du 9 octobre, on a des choses aussi importantes à finaliser à l’Assemblée nationale à Québec, une nouvelle loi qui implique une simplification puis, en même temps, une coordination qui n’a jamais existé dans un domaine aussi fondamental que la santé et la sécurité des travailleurs du Québec. C’est en marche et il faut qu’avant Noël, cet instrument d’une société civilisée soit mis en place ; il ne sera pas parfait, mais qu’il soit mis en place, puis qu’il commence à fonctionner. Peut-être que vous ne le savez pas, dans le domaine du logement, je ne me souviens pas si ça fait 25 ou 30 ans, quelque part par là, qu’à toutes les fois que le Bon Dieu ramène le 31 décembre, croyez-le ou non c’est aussi fou que ça, il fallait passer une loi pour prolonger une loi provisoire sur la Régie du logement. Ça fait à peu près 25 ans que, chaque année, la loi provisoire redevient provisoire pour une autre année, quelque part avant le 31 décembre, parce que jamais on a voulu prendre, si vous voulez, le problème à bras-le-corps et puis dire pourrait-on trouver quelque chose qui aurait des chances d’être légitimement permanent de ce côté-là. Alors, ça c’est un travail qu’on doit faire cette année avant le 31 décembre. Aussi il est déjà engagé d’avoir une refonte de tout ce domaine du contrôle des loyers, si vous voulez, des relations entre propriétaires et locataires et d’essayer d’avoir, pour quelques années un horizon où, à tous les 31 décembre, on n’aurait pas la panique pour être sûr qu’on bouche le trou encore pendant une autre année provisoire.

Du côté de ce qu’a évoqué Alain Marcoux et qui correspond à l’un des engagements qu’il fallait prendre absolument en 76 c’est-à-dire, le soulagement des municipalités et puis des contribuables municipaux, la réforme de la fiscalité municipale a été faite. Seulement, pour qu’elle entre en vigueur, il va falloir aussi des morceaux de législation qui sont absolument essentiels parce qu’il faut que ça entre en vigueur le premier janvier. Alors ça, c’est un des gros devoirs que va avoir à remplir l’Assemblée nationale pendant ces onze semaines, de mettre en marche avec la législation nécessaire la réforme de la fiscalité municipale. Ca faisait dix ans qu’ils accumulaient des mémoires lorsqu’on est arrivé en 76, dont toutes les municipalités du Québec avaient un besoin absolument – c’était plus qu’urgent, c’était presque désespéré. Et, en même temps, je dois dire que ça devrait donner un soulagement aux contribuables. L’essentiel de cette réforme, en deux mots, c’est que ceux qui paient des taxes locales paieront désormais, sauf pour une toute petite partie, qui est importante, qu’on appelle les inadmissibles c’est-à-dire, ce qui dépasse le budget régulier, que l’impôt scolaire va disparaître. Autrement dit, on ne paiera plus de taxes scolaires ni les entreprises, ni les individus. Ce qui veut dire normalement que, sauf exception, il devrait y avoir un soulagement pendant un an ou deux au moins, dès le départ pour la plupart des contribuables locaux du Québec, parce qu’on ne voit pas de raison, dans la plupart des cas en tout cas, pour qu’une municipalité aille chercher tout le morceau de ce que le scolaire va évacuer. Autrement dit, si tu fais le total des deux puis que ça donne dix, parce qu’on payait les deux, il n’y a pas de raison, dans la plupart des cas, que le total nouveau à partir de 1980 ne soit pas quelque part autour de huit, ou de sept ou même de six. Il ne faut pas se faire d’illusions ; ce n’est pas la recette pour jusqu’à l’an 2000, quitte à ce qu’il aille chercher des tranches additionnelles pendant les années qui viennent. Mais il devrait y avoir pendant au moins une période relativement brève, mais qui est importante, un soulagement pour les contribuables municipaux.

Deuxièmement, il y a le crédit foncier qui est en vigueur déjà cette année et qui va donner un soulagement aussi au point de vue non seulement aux propriétaires mais aux locataires, ceux qui ont des revenus modestes pour leur aider à porter le fardeau local. C’était des engagements qu’on avait pris en 1976 et il va falloir les compter de façon à ce qu’ils deviennent opérationnels, si vous voulez, avant Noël.

En plus de ça, il y a une chose, il y a bien d’autres choses mais il y a une chose absolument fondamentale qu’il va falloir régler aussi dans ces onze semaines. D’ici quelque part en 80 ou 81, il y aura des élections. Or, la carte électorale c’est-à-dire, le découpage des comtés était déjà absurde et complètement injuste aussi en 1976. Parce que le principe fondamental d’une carte électorale le moindrement démocratique, c’est qu’il y ait une sorte d’égalité au moins relative entre des groupes d’électeurs qui sont représentés à l’échelle des comtés. Autrement dit, si vous avez un comté qui a un dixième, sauf de très rares exceptions, un dixième ou un cinquième de la population des autres et qui a la même représentation au Parlement, vous venez de débalancer un des fondements de la démocratie. Donc, il ne faut pas que la carte électorale devienne une caricature. Or, déjà en 1976, elle était une caricature parce qu’on n’avait pas osé, on n’avait pas voulu ou le Bon Dieu sait pourquoi, que le gouvernement qui nous a précédés n’avait pas voulu la corriger; ce qui fait que moi j’ai été élu, par exemple, par rapport à des gens qui ont été élus dans des comtés où il y a 15, 20 ou 25000 électeurs, dans un comté qui en avait 70000 et plus et ça se multiplie ces exemples-là.

Donc, d’ici la fin de l’année, pour que les gens dans tous les comtés, de tous les partis, aient le temps de s’ajuster à une nouvelle carte électorale qui est restée là sous forme de projet inachevé, il faut absolument pour le prouver, on a droit à cinq ans de mandat si ça parait nécessaire mais pas plus tard.

Donc, ce sont des choses qui doivent être faites à l’intérieur des onze semaines de travail parlementaire. C’est possible, mais on a besoin de ne pas trop perdre notre temps. Au point de vue économique, il y a des nouveaux instruments du côté des exportations et des investissements qui vont être, qu’il va falloir mettre en place et qui vont demander aussi au Parlement de fonctionner sur ces sujets-là. Et puis une chose qui, dans un horizon, je veux dire un horizon qui n’est pas si lointain, mais c’est vous autres qui allez l’aider je veux dire, les citoyens des régions du Québec, à venir au monde c’est-à-dire à se préciser cet horizon-là, il y a quelque chose qui est en germe dans une autre loi qu’il va falloir terminer aussi pendant ces onze semaines: c’est ce qu’on appelle la loi 125 dans la nomenclature jargon du Parlement et qui est la Loi sur l’aménagement, l’urbanisme et l’aménagement du territoire. Si on regarde cinq ans, dix ans en avant, il faut que ça commence à se faire tout de suite. C’est une des clés de l’avenir d’un grand territoire comme le Québec de population dispersée. Ça rejoint une des choses que disait Jules Bélanger tout à l’heure, que la Gaspésie a une identité. Par conséquent, quand on dit Gaspésie, on identifie une région. Il faudrait que les régions du Québec où doit se trouver la décentralisation parce que pour décentraliser des pouvoirs, des revenus, il faut tout de même avoir un contenant, savoir où l’on décentralise. Comment sont structurées les responsabilités qui vont accueillir ces responsabilités et ces revenus ? Il va falloir qu’il y ait cette définition et ce sont les citoyens et leurs représentants locaux qui vont, à condition que les clochers s’oublient un peu de façon à pouvoir, ça ne veut pas dire être abolis on sera toujours attaché à son coin – mais il ne faut pas que l’attachement à son coin empêche de voir à quel point les coins voisins dépendent les uns des autres et s’ils veulent se développer, ils doivent s’unir à beaucoup de points de vue pour travailler en commun. Pour ça, il faut définir des régions qui soient à l’échelle humaine, à l’échelle de l’expérience vécue. C’est pour ça que moi, je n’ai pas de misère à comprendre que les Gaspésiens et même je dirais qu’il y a peut-être plus qu’une région en Gaspésie si on regarde un peu plus loin que tout de suite. Je sais bien que Jules ne dira pas ça parce qu’il pense à Gaspé, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des pôles intermédiaires mais, en tout cas, on n’est pas rendu là. La seule chose que je veux dire, c’est ceci : une région, c’est l’endroit où l’ensemble des ressources immédiatement disponibles est capable d’être mis en commun de façon la plus rentable et qui correspond aussi à l’expérience vécue des gens. Ça ne doit pas dépasser ces limites-là; ça doit les atteindre par exemple. C’est le contenant qu’il nous faut pour l’avenir si on veut vraiment décentraliser, puis il va être nécessaire si on ne veut pas que la société se bureaucratise que continuent des pèlerinages complètement inutiles et souvent gaspilleux de temps et d’énergie il va falloir qu’on admette par étapes, la mentalité va s’y faire, que, il faut définir d’abord cette espèce d’habitat intermunicipal ou région à l’échelle de l’expérience réelle des gens dans laquelle ces gens pourront dire : « Ma région je la connais, c’est celle-là et non pas 01,02, 03 comme on dit souvent dans le jargon administratif. On va y arriver mais le point de départ essentiel s’appelle quand même, pour l’instant, cette loi 125 qui correspond à des projets qui avaient été élaborés il y a dix, douze, quinze ans et qui n’avaient jamais abouti.

Maintenant, quand on parle de tout ça, on parle d’une reprise en main. Dans chaque cas, il s’agit d’instruments ou d’étapes qui nous aident à prendre en mains nos affaires, C’est la même chose lorsqu’on parle du référendum qui a été le troisième grand sujet qu’on avait à discuter comme perspective très immédiate. Maintenant, ça l’air long huit ou neuf mois parce qu’il va venir à ce temps-là. D’un autre côté, quand on pense à l’importance de l’enjeu, c’est pas loin le référendum, dans huit ou neuf mois, Et qu’est-ce qu’il signifie fondamentalement le référendum? Il signifie la décision à l’échelle de tout le Québec qui correspond à la décision normale de n’importe quel niveau de la vie, quand vient le moment de la maturité. Un individu, à un moment donné, il faut qu’il se prenne en main dans la vie sinon il va faire un raté à moins qu’il ait des raisons physiques ou autres qui l’empêchent de le faire. Mais s’il est doué pour le faire et qu’il ne le fait pas, il devient un raté. Il va traîner au crochet de tout le monde. Ce que disait Alain Marcoux tout à l’heure ne devrait pas être une révélation mais c’est normal qu’on évolue plus ou moins rapidement. Quand Alain disait qu’on a arrêté de plus en plus de quêter des progrès, des développements ailleurs, que l’initiative nous tombe toujours du ciel ou on ne sait pas où, et puis qu’au contraire c’est à même nos projets, à même nos initiatives qu’on va développer, disons la région du Bas St-Laurent, d’abord et avant tout ce qui doit être stimulé, encadré, aidé par tous les moyens légitimes puis par toutes les ressources disponibles, par les gouvernements que vous avez élus, que ça surgisse de la base même de la population et toutes les compétences qu’elle a développées, puis tous les dons qui sont là.

C’est la même chose pour le Québec. Il vient un moment où l’on n’aurait plus d’excuse de ne pas s’occuper de nos affaires nous-mêmes d’abord et avant tout comme « maître chez nous ». Je reprends un terme que j’ai déjà employé, une expression qu’on employait dans les années 60, puis c’est tellement normal. Il vient un moment où, si on ne le fait pas, on risque de devenir un peu des ratés. Et lorsqu’on se pose des questions sur notre capacité d’arriver à une étape comme celle-là parce qu’on a été tellement habitué à penser que pour les grosses affaires, c’est un peu au-delà de nos forces, puis au-delà de nos capacités. Est-ce que vous avez vu ce qui est arrivé sur la Côte Nord il y a à peu près quoi, 72 heures officiellement? C’est gros ITT, c’est une des plus grandes entreprises multinationales, comme on les appelle aujourd’hui, du monde occidental, C’est énorme, c’est tout bourré d’experts sur la façon de fourrer le monde aussi mais enfin, d’experts de tout genre.

Pour parler comme nos amis américains, il y a une accumulation de  »know-how » là dedans, ça fait peur. Mais si vous êtes capables de trouver une somme de bêtises, mauvaises décisions, d’amateurisme comparable à ce que révèle déjà le dossier d’ITT, puis on est pas rendu au fond à part ça, mais on l’a déjà dans toute sa splendeur pour les grandes lignes, si vous êtes capables de trouver mieux que ça, bien vous avez fait des bonnes recherches.

Vous savez, nous faut-il des exemples jusqu’à l’an 2000 pour comprendre que sans exclure les autres de notre développement pourvu qu’ils nous respectent, pourvu aussi qu’on calcule convenablement au lieu de gaspiller des fonds publics comme on l’a fait dans « l’aventure balloune » de ITT qui maintenant vient de s’effondrer, puis on va être pris avec les morceaux, sans exclure donc les autres de notre développement, il n’est pas question de ça. Est-ce qu’on ne peut pas se rendre compte maintenant que personne, fondamentalement, et surtout avec le Québec qu’on a aujourd’hui, personne ne sera jamais aussi compétent de loin pour s’occuper, à condition d’avoir tous nos outils dans les mains, du développement du Québec comme un ensemble, puis dans toutes ces régions que nous autres, les Québécois.

Notre ami, Jules Bélanger, évoquait tout à l’heure, une étape contemporaine de cette prise de conscience au Québec qui était la question de l’eau, de l’électricité, tout ça en 1961 – 62. Hier soir, à Rivière-du-Loup ou plutôt hier après-midi, j’ai rencontré en cours de route un monsieur qui travaille dans une des institutions de la région et qui, très évidemment quand tu le vois, est un Québécois d’adoption et je lui ai demandé « quelle est votre origine? » Il me répondit : « je suis Égyptien ». Et ça m’a amené à évoquer avec lui des choses. Je lui racontai une partie des choses qu’il connaît mieux que moi puis l’autre partie que nous on a vécue plus que lui mais à quel point il peut y avoir des parallèles. Il vient d’Égypte. Autour de 1955-56, les Égyptiens à un moment donné ont décidé que sur leur territoire se passait quelque chose qu’ils étaient capables d’administrer aussi bien que n’importe qui et qui avait toujours été manipulé de l’extérieur. Ça s’appelle le Canal de Suez. Ça a donné l’occasion de toute une série de remous au Proche-Orient et ça continue à avoir des remous. Depuis ce temps là, d’ailleurs, toute une série d’effervescence, il y a même eu des opérations militaires autour de ça, mais une des clés de ce qui se passait à ce moment-là, je m’en souviendrai toujours, c’était toute une série d’esprits paternalistes qui avaient pris l’habitude de manipuler les Égyptiens comme ils voulaient, y compris les vieux pays européens qui faisaient de l’argent avec leur Canal de Suez, dont le refrain était: « Des gens comme ça, des Égyptiens, si jamais ils mettent la patte sur le Canal de Suez, ça ne marchera plus jamais, c’est fini, c’est foutu. Ils ne sont pas capables ». Ça leur a mis le feu, ils ont pris le Canal de Suez, puis depuis ce temps-là, avec les accidents de parcours qui peuvent se produire, il n’a jamais mieux fonctionné mais c’est l’Égypte qui en profite, ce qui est à peu près normal puisque ça part de chez elle. Et ils ont découvert qu’ils avaient la compétence nécessaire, et je rappelais au monsieur en lui disant : « Moi, j’ai vécu ça aussi en 1961, en 1962 en fait, dans la campagne qu’on a eue pour les compagnies d’électricité. On avait eu une assemblée un soir et j’étais libéral encore à ce moment-là, chacun a son passé et d’ailleurs le sourire avec lequel je le dis n’a rien d’amer. Ce sont de bons souvenirs. Au moins pendant une bonne partie de cette période, je pense qu’on a fait du travail convenable. C’était au moment où le parti libéral avançait par en avant plutôt qu’à reculons mais enfin, on en reparlera. Mais à la suite d’une de ces assemblées qui s’était déroulée dans un comté qui a sa valeur folklorique légendaire au Québec, le comté de Westmount, il y avait une petite réception et, à cette réception il y avait, je me souviens, une espèce d’armoire à glace qui avait pris un peu trop de scotch et qui par conséquent le rendait agressif. À un moment donné, parce qu’il était une armoire à glace, puis moi, vous m’avez vu, alors il m’avait poussé jusqu’au mur et il était là, le doigt pointé sur moi en disant: « Lévesque, how can people like you? » « Des gens comme toi ou comme vous autres, pensez que vous êtes capables « To run Shawinigan Water and Power ». Je lui répondis : « Toi, mon enfant de nanan, tu vas voir qu’on est capable ».

Si j’avais, c’est pas ça qu’il pensait, eu besoin, moi entre autres, d’une injection de détermination additionnelle, il venait de me la donner. Il ne le savait pas, mais c’est ça qui, d’un sens, rejoint ce que représente le référendum. C’était notre engagement suprême en 1976 de consulter les Québécois sans cacher nos couleurs c’est-à-dire, on aura toujours le droit de dire « oui » ou de dire « non » mais de consulter les Québécois en fonction d’une option pour laquelle on s’est battu depuis une douzaine d’années comme parti, pour laquelle toute notre action politique a été dirigée vers deux étapes : la première qui est pré-référendaire, c’était d’arriver au gouvernement, il faut passer par là, si on veut pouvoir déterminer au moins les échéances de la suite mais d’arriver au gouvernement de façon à pouvoir essayer, ça ne sera jamais parfait, mais il y a seulement des illusionnistes qui s’imaginent qu’on va atteindre la perfection, mais au moins essayer de se démontrer, comme jamais auparavant, qu’on était capable d’être efficace comme gouvernement. C’est important de se le montrer à nous-mêmes puis, il me semble qu’on est en train de le faire, qu’au niveau aussi bien des régions que de l’ensemble du Québec, on est capable d’être aussi compétent que n’importe qui. C’est une démonstration qu’il faut se faire partant de là, de se demander par un référendum donc, est-ce que c’est le moment maintenant de prendre cette décision. On a le temps d’y penser. Huit, neuf mois, comme je l’ai dit, c’est pas long mais c’est long assez. À Noël c’est-à-dire, juste avant les vacances de Noël, il y aura la question en Chambre; je ne pense pas que ça empêchera les partys du temps des Fêtes mais de façon à ce qu’on ait cette période de repos-là pour l’évaluer, la discuter, commencer, commencer jusqu’à un certain point le débat, chacun chez nous, chacun pour soi et puis ensuite, à la reprise des travaux au mois de février, au Parlement, il y aura le débat qui est prévu par la loi sur cette question, ce qui devrait permettre, avec la confusion habituelle des débats parlementaires, quand même de faire un certain éclairage. Et puis on aboutira comme ça à travers certaines étapes qui sont normales, qui ont leur côté technique mais qui ne sont pas plus compliquées que celles d’une élection ; on aboutira au jour du vote au printemps.

Le printemps, je l’ai dit, ça commence le 21 mars mais une chose certaine c’est que ça ne sera pas au début, au tout début du printemps, dans les dernières tempêtes de neige, puis les chemins qui ne sont pas dégelés, mais ce sera quelque part dans le printemps assez avancé pour que ça adonne, ce n’est pas un calcul illégitime, pour que ça corresponde un peu avec un climat de renouveau.

Et la clé du référendum, ce sera ce qu’on défend depuis tant d’années et qui nous paraît être la seule solution pour l’avenir prévisible, pour le problème dans lequel sont « poignés » ensemble le Québec et le reste du Canada c’est-à-dire, de laisser en commun les choses que la plupart des voisins civilisés du monde apprennent tant bien que mal à mettre en commun, nous, celles qui sont déjà là et qu’on doit laisser comme ça. C’est l’exemple du monde d’aujourd’hui, de les laisser en commun dans une association, c’est pour ça qu’on parle de prendre en main, chez nous, tout l’essentiel des affaires qui concernent notre développement, notre personnalité, notre façon de voir les choses, parce qu’à ce point de vue le régime actuel, c’est purement et simplement, tout le monde l’admet qu’il faut un changement, mais tu sais, c’est un peu comme la chanson: « On voudrait bien aller au ciel mais personne ne veut mourir » parce qu’on essaie de nous rendre peureux continuellement quand il s’agit de dépasser le rapiéçage.

Or, on a dépassé les possibilités de solution sous la forme de rapiéçage. Je ne sais pas si vous remarquez, il ne faut pas avoir de tête sur les épaules ou alors, pas voir ce qui se passe pour ne pas sentir à quel point peu à peu le régime fédéral tel qu’il est actuellement, pourrit littéralement et crée des problèmes, crée sans arrêt des distorsions, puis des tensions, accélère continuellement le gaspillage de l’énergie, le gaspillage de temps qui coûte cher à tout le monde mais qui coûte particulièrement cher en termes d’avenir à ce peuple différent. Ce n’est pas de sa faute, il est encore là, c’est nous autres ce peuple différent qui s’appelle le Québec. C’est pas un plaidoyer contre le fédéralisme qu’on doit faire. Le fédéralisme, c’est comme n’importe quoi, ce n’est pas un absolu. On était une colonie, on ne parlait pas de fédéralisme, ça nous a permis de commencer. On a été une colonie conquise, on a parlé de survivance, On a eu peu à peu le droit d’élire des députés sous un régime qui s’appelait l’Acte constitutionnel, si j’ai bonne mémoire et puis, à un moment donné, ils nous ont fourrés avec l’Ontario dans l’Acte d’union, Puis là, on est en train de s’empoisonner mutuellement, alors ça a sauté puis enfin, on a senti qu’il fallait que ça saute. On a donc remplacé ça par un système fédéral. Il n’y a pas d’absolu. Ca a été une étape. La vie est faite d’étapes, Et si ces dernières mènent à une croissance additionnelle qui, en même temps aident à corriger les défauts reconnus ou alors la désuétude dans laquelle est tombée ce qui a précédé, à ce moment-là, la vie est saine et elle s’appelle développement. On est rendu au point où le fédéralisme qui n’est ni bon, ni mauvais en soi, qui est une formule parmi d’autres du gouvernement en autant qu’on est concerné, il est dépassé. Tout le monde le dit et tout le monde est d’accord en théorie au moins, que le fédéralisme est dépassé tel qu’il est là actuellement. Après 112 ans, il a fait son temps. Tout le monde est pour une nouvelle entente. Même Monsieur Trudeau disait: « Il faut reprendre ça de fond en comble ». Monsieur Clark refuse de se prononcer actuellement parce que, écoutez, sa majorité est dans l’Ouest, puis, dans l’Ontario. S’il se prononçait sur quoi que ce soit, il verrait fondre sa majorité au soleil, parce que nous ne l’avons pas élu pour le Québec, on l’a élu pour la gang justement qui l’a élu c’est-à-dire, en dehors du Québec. Alors, il est coincé. Mais tout le monde admet fondamentalement que le régime a fait son temps.

Seulement, quelle sorte de nouvelle entente? C’est la première question qu’il faut se poser à moins qu’on veuille finir par devenir presque une population méprisable. Quelle sorte de nouvelle entente, il faut que je dise méprisable parce qu’il y a beaucoup de possibilités de mépris dans le contexte où nous sommes. Qui a créé cette crise du fédéralisme? C’est pas l’Ile du Prince-Edouard, c’est pas la Colombie-Britannique, c’est pas les territoires du Yukon. C’est sûrement pas l’Ontario car ce sont eux qui ont été profiteurs du régime – ils ne sont pas pressés que ça change – c’est nous autres les Québécois.

Ecoutez, quand j’étais journaliste, je partais pour l’autre côté. Duplessis venait d’être élu pour la première fois en 1936 et il parlait déjà d’autonomie. C’était la forme que prenait à cette époque-là la revendication du Québec. Lorsque je suis revenu après la guerre en 1945, Duplessis était revenu puis il avait repris son refrain normal et, à ce moment-là, ça s’appelait: « Rendez-moi mon butin ».

Puis ensuite, on est élu et, peu à peu le problème s’est accentué. C’est des gens qu’on a élus qui disaient ça. Donc, ils reflétaient quelque chose puis jamais on a défendu de le dire ; au contraire, quand ils ne le disaient pas assez, on les sacrait dehors, ou alors on les démissionnaires. Ensuite, après les longues années de Monsieur Duplessis qui n’avait pas lâché là-dessus et toute la pression maintenue la plupart du temps étaient dans le sens du « Maître chez nous ». Par la suite on avait élu, je ne pense pas qu’il se soit imposé de force, Daniel Johnson qui n’a pas duré longtemps, mais assez longtemps pour réclamer le retour des impôts et de parler d’Egalité ou d’Indépendance. Ensuite, je passe à travers rapidement, il y a eu les six ans de Monsieur Bourassa où ça a flanché à bien des points de vue mais où, quand même, en déguisant derrière des mots creux, la pression qui existait dans notre société en essayant de l’atténuer par des slogans, on a quand même parlé de souveraineté culturelle. Je me souviens que Bourassa avait adopté le mot « souveraineté » avec un adjectif qui était rassurant un peu. Tout ça, c’était la pression d’une société qui demande un changement mais qui n’est pas capable jusqu’à présent de se brancher sur le genre de changement qu’elle veut. Ce qui fait qu’il s’est développé dans tout le reste du Canada une expression qui finit par être méprisable, méprisante si on ne fait pas attention et qui est: « What does Quebec want? » Du rapiéçage? Ou bien quelque chose de nouveau? Or, fondamentalement, le consensus est fait là-dessus, au moins en théorie. Verbalement, il faut quelque chose de fondamental. Il faut une nouvelle entente, Ce que doit être la base de cette nouvelle entente…, est-ce que ça doit être un rapiéçage de la patente actuelle, c’est ça dont il faut sortir, ou bien si ça doit correspondre à la réalité qu’on est devenu deux sociétés.

Ce qu’on propose, nous, c’est de rejoindre une formule de nouvelle entente qui nous paraît correspondre à la dignité nécessaire à deux peuples. On a traduit ça dans un slogan, jusqu’à nouvel ordre, que vous connaissez bien : « D’Égal à Égal ». Il y a deux peuples. Ils sont tous les deux maintenant des sociétés modernes, capables de faire leur « job », capables de coopérer aussi mais à une condition, c’est que la volonté soit claire que, s’il s’agit de deux peuples, fondamentalement, il s’agit de deux sociétés égales. Il ne peut plus y avoir cette espèce de rapport malsain, tordu entre une minorité manipulée avec ses complexes d’infériorité dont il faut qu’elle se débarrasse, et une majorité manipulante, avec ses complexes de supériorité qui nous écœure. Il faut que ce soit « D’Égal à Égal »!

L’égalité, il y a des gens qui ne comprennent pas ça ou qui font semblant de ne pas comprendre. J’ai vu, par exemple, une dame respectable qui s’appelle Solange Chaput-Rolland qui, pour essayer de rationaliser une décision qui n’avait aucun rapport avec la logique jusqu’ici, pour autant qu’il y en avait une, de sa carrière, en décidant de devenir candidate libérale et de se faire une nouvelle fin de carrière, a décidé qu’une des raisons c’était, et ça lui paraissait fondamental tout à coup, que la notion d’égalité que véhicule le Parti québécois, ça ne sera jamais acceptable à son point de vue. C’est pourtant la même personne qui a participé à un rapport sur l’état du Canada qui s’appelle le « Rapport Pépin-Robarts » ça faisait partie de ça et dont l’un des fondements est la notion de dualisme et justement cette notion d’égalité entre deux sociétés. C’est curieux comme la politique fait évoluer rapidement des gens parfois.

Or, en fait, qu’est-ce qu’il y a qui dérange les gens dans l’égalité entre deux peuples? Même s’ils ne sont pas de la même taille, c’est fondamental. Est-ce que le Canada actuel avec 23 millions d’habitants, au point de vue juridique, au point de vue de la personnalité politique, n’est pas l’égal de 225 millions d’Américains? Je vous jure que si vous posez la question à des politiciens fédéraux ou même à Trudeau avec son nationalisme fédéral « Canadian », il répondrait « oui ». C’est sûr. On n’a pas à se faire marcher sur les pieds ; on est un pays souverain au Canada. Pourtant, on est dix fois moins nombreux que les Américains, ce qui veut dire qu’ils sont plus égaux que nous autres à bien des points de vue mais il reste que, fondamentalement, l’égalité existe. Et elle est la source de droits absolument équivalents. Alors, il y a trois fois plus de Canadiens anglais au Canada actuel? Mais qu’est-ce qui empêche qu’il y ait cette égalité et que cette égalité soit le fondement d’une nouvelle entente? Vous savez, ce n’est pas inventer le monde ça et pour être capable de concevoir ça puis d’y croire, quand on en a plein d’exemples sous les yeux à travers le monde, c’est vraiment là de céder aux vieux complexes d’infériorité dont il faut justement se guérir. Vous savez la première des associations dans le genre de celle dont on parle, dans le monde d’aujourd’hui, elle est venue, elle est apparue sur la carte en 1950 officiellement et s’appelle le « Benelux ». Benelux c’est Belgique, Nederland c’est-à-dire les Pays-Bas, et puis Luxembourg. Vous savez, le Luxembourg, il y a à peine un demi-million d’habitants bien comptés, Le Grand duché du Luxembourg, mais il est le partenaire égal au point de vue de tous les droits fondamentaux, puis au point de vue de sa capacité d’administrer sa maison lui-même dans cet ensemble-là. L’égal de la Belgique et des Pays-Bas qui ont à peu près vingt, vingt-cinq fois sa population puis ça n’a jamais créé de problèmes fondamentaux. La dignité de la personnalité de chacun dans ce domaine-là, c’est aussi fondamental que le fait qu’un gros homme qui pourrait t’écraser n’a pas plus de droits que le petit homme qui n’est pas obligé de se laisser écraser. Fondamentalement, ils ont des personnalités qui ont les mêmes droits.

C’est la même chose pour une personnalité collective et si on prétend qu’il va y avoir une nouvelle entente, ici, au nord des États-Unis, dans le contexte de la crise dans laquelle littéralement s’enfonce de plus en plus le système fédéral canadien, si on prétend qu’il va y avoir une nouvelle entente qui ne soit pas basée d’abord et avant tout sur cette égalité de deux personnalités qui ont les mêmes droits puis qui ont des racines, qui ont des traditions différentes mais qui peuvent également garder des choses en commun comme tous les voisins dans le monde d’aujourd’hui, si on prétend qu’une entente va se faire autrement, par conséquent, que. sur une base qui va correspondre à ce qu’on appelle « souveraineté-association », on se moque du monde, il n’y en aura pas d’entente et il n’y aura pas de solution au problème canadien. Mais on est au point où l’on peut l’avoir. À une condition, une seule et c’est ça le référendum. C’est que jamais on aura une entente de ce genre-là, jamais on n’aura un « new deal » comme ils ont dit déjà aux États-Unis. S’il n’y pas d’abord l’expression claire d’un désir, plus qu’un désir, d’une volonté dans ce sens-là, pour l’avenir, de la part de cette population moderne, adulte, qu’on est devenu et le prouver en répondant au référendum. Et ça, que le moment est arrivé de se donner ce mandat parce que si on ne se le donne pas, ce ne sont pas des politiciens démissionnaires, comme l’est devenu le parti libéral, qui vont aller chercher les changements nécessaires.

Vous savez, je parlais de Madame Solange Chaput-Rolland. Je ne parlerai pas longtemps de nouveau d’elle, sauf pour la citer, ce qui va nous amener au cas de Monsieur Claude Ryan, parce qu’il y a quelque chose d’extraordinairement fossoyeur de l’avenir dans l’attitude que développe actuellement le parti libéral provincial et tout ce qui grenouille, puis qui gravite autour. Et je vais prendre, si vous voulez, le point de départ d’une analyse de ça de Madame Solange Chaput-Rolland. Elle n’aime pas, comme bien d’autres, qu’on lui cite ce qu’on lui a déjà dit ou écrit mais il reste quand même qu’on l’a déjà dit: « Les écrits ça reste » et si ça se contredit trop souvent, c’est jusqu’à un certain point un jugement sur leurs auteurs. Ca a été publié dans « Relations » du mois de juin 1979, Ce n’est pas un texte ancien « Relations » du mois de juin 1979, par conséquent, au lendemain de la campagne fédérale qui a donné les résultats que nous savons, Et Madame Solange Chaput-Rolland faisait partie de la Commission Pépin-Robarts qui avait fait un rapport sur l’avenir, enfin ce qu’ils espéraient pouvoir présenter comme perspectives pour l’avenir. Et elle disait avec un grand soupir; « Tout au long de cette campagne fédérale, le silence le plus complet a régné sur le rapport de notre Commission. Est-il définitivement oublié? Je le crains, » Mais, quand même, elle entreprenait l’espoir ; je vous résume deux, trois paragraphes un peu filandreux dans lesquels elle entretenait l’espoir que, autour et surtout au lendemain du référendum, ce qu’ils avaient fait comme commission reviendrait en surface. Et là, elle écrivait ceci que je cite textuellement : « Si malgré la force que nous représentions dans cette grande commission, si en dépit d’une consultation pan-canadienne avec les grands experts, les constitutionnalistes, les fédéralistes des dix provinces nous avons échoué à changer le grand ordre fédéral, pourquoi imaginer que Claude Ryan, libéral partisan et Chef de l’Opposition d’une seule province et qui, de plus, est la province la plus discutée et la plus détestée du pays, pourra réussir à imposer ses propositions au gouvernement canadien, Pourquoi réussirait-il là où nous avons échoué? La question est troublante ».

C’est un phénomène bien connu celui qu’on appelle les sincérités successives. Mais des successions aussi rapides et aussi totalement contradictoires, j’en ai rarement vues, je dois l’avouer. Mais comme elle disait en terminant « la question est troublante » voyez-vous, c’est troublant puis ça se résume bien de la façon suivante; vous avez un chef libéral provincial qui va essayer de chercher, je résume, je pense de façon honnête ce qui a été annoncé ou appris depuis quelque temps, qui va essayer de trouver avec des fédéralistes incapables de s’entendre sur quelques changements substantiels que ce soit, le plus bas commun dénominateur pour l’avenir. Autrement dit, quelque chose qui soit incolore, inodore et sans saveur, de façon à ce qu’il ne soit pas trop obligé de se faire examiner là-dessus. Et ils vont s’en aller au référendum avec essentiellement une attitude négative qui va être statique, la continuité passive, paralysée, vous avez des affiches qui représentent très bien ça: « J’y suis, j’y reste », dans le sens jusqu’à faire des plaies de fauteuil, s’il le faut. Bien installés dans le statu quo !

C’est tellement ça que c’est devenu secondaire parce que si vous lisez ce qui semble se développer, à supposer qu’on puisse se fier, puis hélas, ça ressemble beaucoup à la trajectoire que suivent actuellement les libéraux provinciaux. Non seulement ça mais on va s’arranger en même temps qu’on va être négatif pour convaincre les Québécois qu’ils sont trop petits, qu’ils sont trop faibles, qu’ils ne sont pas prêts et, charitablement, le chef libéral provincial, vous avez peut-être vu ça il y a quelques jours, dit: « on pourra nous-mêmes penser peut-être à un référendum dans trois, cinq ou dix ans », parce que les Québécois ne seraient pas mûrs avant ça, je n’ai pas besoin de vous dire que trois, cinq ou dix ans, puis la semaine des quatre jeudis, ça se ressemble dangereusement.

Et après, à supposer qu’il réussirait à aplatir dans le statu quo, puis l’attitude négative qui bouche l’avenir, une majorité des Québécois. Après, le même personnage dit: « Moi, j’irai négocier les changements substantiels qui sont nécessaires ». C’est là que c’est troublant, parce que, on se serait arraché toutes les armes de négociation pour débloquer une situation qui n’a pas débloqué depuis le temps à Honoré Mercier existait au Québec, qui n’a pas débloqué sous Duplessis qui était pourtant un autonomiste féroce, qui n’a jamais débloqué sous Lesage qui avait sa force pendant des années, ni sous Johnson qui avait des convictions, ni sous Bourassa qui avait 102 députés. Qu’est-ce qu’il va y avoir de nouveau, sauf le défaitisme et la démission d’une attitude négative, Une personne qui dit: « Moi, je le ferai! »

Il voudrait bien le croire puis, au cas où il réussirait, je ferais un effort pour me placer par anticipation dans ce contexte triomphant où il voudrait nous placer après qu’il nous aurait fait démissionner. Je ne suis pas capable de me convaincre et on va travailler très fort pendant huit ou neuf mois, et je demande à tous ceux qui sont déjà convaincus de faire attention au danger que représente cette attitude-là, puis de travailler comme ils n’ont jamais travaillé. Pour la première fois, on a la chance de prendre une décision sur nos affaires; c’est jamais arrivé. Ça représente la continuité dans le changement qui est la règle de la vie, si la vie existe, elle est nécessairement faite de changements et à condition que les changements nous mènent par en avant et ça s’appelle la croissance au sens le plus noble et le plus réel du mot. On est à cette étape où il faut décider de notre croissance pour l’avenir, quelle sorte d’horizon on veut donner à nos enfants. Pour les jeunes générations qui sont déjà actives, quelle sorte de chantier on veut leur permettre d’ouvrir? Est-ce qu’on veut que ce soit des chantiers manipulés de l’extérieur ou bien que ce soit nos chantiers à nous? Est-ce qu’on veut que ce soit des lois qui, soient en porte-à-faux, puis qui se marchent sur les pieds entre deux niveaux de gouvernement, dont l’un qu’on ne contrôlera jamais, puis je ne sais pas si vous le savez, depuis les élections de mai 1979, ça va être de plus en plus vrai qu’on ne le contrôlera jamais. On va pouvoir de plus en plus se passer du Québec pour prendre des décisions pan-canadiennes. On en a déjà les retombées il y a quatorze millions qui ont déjà été coupés sans faire de bruit dans ce qu’on appelait: « Jeune Canada au travail ». Il y a un trou en plein coeur de Montréal qui devait s’appeler « La Place Guy Favreau », pour des bureaux fédéraux, qui a été mis en marche comme trou pour les élections fédérales. Depuis les élections fédérales, le trou est là puis il va être là longtemps parce qu’ils ne savent plus quoi faire avec.

Essentiellement, on existe de moins en moins, on est de plus en plus minoritaire dans ce contexte fédéral. Est-ce que c’est : « on veut affirmer dans un monde » ou est-ce ça qu’on veut pour l’avenir? Ou bien si tout simplement la majorité qu’on est, les petites comme les moyennes, comme les grandes majorités, une histoire continue, à condition qu’elles représentent des racines, un territoire qu’on peut reconnaître puis qui leur appartient, et on a tout ça. En plus, on a des dons maintenant, des compétences qui se développent. On a une base de ressources humaines et physiques qui nous placeraient au douzième ou au quatorzième rang de 150 peuples qui administrent leurs choses, leurs affaires dans le monde. Et on hésiterait? On est tellement prêt à faire cette étape-là, je l’ai dit souvent, c’est une image qui, quant à moi, est quelque chose qui fait peur en même temps que ça donne le goût de travailler.

On est tellement prêt et pour employer le mot à la mode: « On est tellement mûr » pour une décision comme ça dans un monde où à peu près tous ceux, souvent moins bien équipés que nous autres, qui avaient à la prendre l’ont prise et que si on ne la prend pas avant longtemps, on va monter en graine…

[QLVSQ19790915]

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