Mesdames et messieurs de l’Assemblée nationale,
Il y a moins de deux semaines, je mettais fin à la troisième session de la trente-deuxième Législature. J’ouvre aujourd’hui la quatrième. On ne saurait mieux mettre en évidence le fait qu’au cours des dernières années le travail de l’Assemblée nationale et de ses commissions est devenu permanent et s’étend maintenant tout au long de l’année. Il est bien révolu le temps où votre Assemblée ne siégeait que quelques mois l’an et où les parlementaires pouvaient se permettre de cumuler à la fois leurs devoirs de législateurs et d’autres fonctions rémunératrices. Être député, c’est maintenant un travail à temps plein. C’est également un travail des plus exigeants, surtout en ces années difficiles où l’on se tourne de plus en plus fréquemment vers l’Assemblée nationale pour dégager les consensus sociaux, arbitrer les conflits et fixer les priorités sociales. Car, avec la télédiffusion de vos travaux, votre Assemblée et ses commissions sont devenues un forum de discussion exceptionnel qui, par la magie de la communication électronique, permet à l’ensemble de notre société de participer aux grands débats publics.
Ceci m’amène à souligner que 1983 a été désignée comme l’Année internationale des communications. Le Québec ne doit pas manquer ce rendez-vous. En effet, le monde encore largement inexploré des communications, c’est le monde de demain. Secteur de pointe de la nouvelle technologie, faisant appel aussi bien à l’imagination qu’au savoir scientifique, porteur de développement économique autant que de transformations sociales, le domaine des communications est l’un des objectifs prioritaires du virage technologique que doit prendre le Québec. Je souhaite que tous vos compatriotes en soient bien conscients et qu’ils sachent trouver les moyens de s’adapter à ces réalités nouvelles.
Vous venez, il y a quelques minutes à peine, de vous choisir un nouveau président. Vous l’avez fait à l’unanimité comme c’est la coutume. Je félicite le député de Taschereau que vous avez choisi et je lui souhaite de présider vos travaux avec sagesse et impartialité, comme j’espère que vous accepterez sa présidence avec le respect qu’exigent aussi bien le règlement que la bonne marche de vos travaux.
Car il est essentiel au bien-être de la nation que votre Assemblée accomplisse sa tâche éminente de manière digne et exemplaire. C’est mon voue le plus cher qu’il en soit ainsi tout au cours de cette nouvelle session.
Le Président: Veuillez vous asseoir. M. Le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon):
Monsieur Le Président, il suffit, je crois, d’avoir l’œil et l’esprit ouverts pour voir qu’aujourd’hui nous sommes clairement au début d’un temps nouveau, au sens plein de l’expression. La chanson qui est si souvent annonciatrice l’affirmait déjà, à sa façon, il y a quelques années, mais la crise n’avait pas encore dessillé les yeux. C’est toujours après coup, d’ailleurs, que les poètes finissent par avoir raison. Maintenant, en tout cas, le doute n’est plus guère possible. Pourquoi les sociétés sont-elles si évidemment désemparées en ce moment? Parce qu’on se trouve de moins en moins amarré au monde d’hier, dans une dérive où on pressent aussi que ce sera encore autre chose quand on aboutira au monde de demain.
C’est un de ces moments dans la vie, la vie des sociétés comme celle des personnes, où tout peut sembler à la fois possible et impossible. En fin de compte, ce sera, comme cela l’est toujours, une question de choix, une question d’audace et une question de vitalité.
Comme l’économiste brésilien Celso Furtado l’écrivait le mois dernier dans un des grands journaux du monde, Le Monde Diplomatique : « C’est dans des moments comme celui-ci – où l’histoire ne semble pas avoir un but – que les options effectives s’ouvrent aux peuples et aux hommes. Car ce sont des moments où le poids du passé pèse moins sur l’avenir. »
La crise, que tous considéraient encore récemment comme un simple accident de conjoncture, comporte en effet des dimensions structurelles importantes, et ses effets, par conséquent, paraissent devoir être plus graves, durer plus longtemps et aller plus loin qu’on ne l’avait prévu. Que nous assistions ou non à cette « mutation » profonde de la société qu’on évoque souvent, il nous faut donc au minimum parler de changement avec un grand « C » et procéder à une révision substantielle de nos concepts, de nos habitudes et de nos comportements individuels et collectifs. C’est pourquoi l’Assemblée nationale sera appelée d’abord et avant tout, au cours de cette session, à parler changements, à agir changements aussi, et le gouvernement souhaite que l’ensemble de la population participe comme jamais à ce débat parce que l’avenir du Québec repose sur notre aptitude à définir les orientations nécessaires, à les assurer et à en conserver la maîtrise, de façon à nous donner une position concurrentielle dans ce qu’il est convenu maintenant d’appeler le monde de l’après-crise et que les prévisionnistes – je voyais cela encore aujourd’hui; espérons qu’ils ont enfin raison prétendent maintenant apercevoir clairement à l’horizon.
Quoi qu’il en soit, le changement est déjà là, partout, irrésistible. Il touche et il appartient à tout le monde. Pour ce qui est de l’ensemble, c’est au premier chef l’affaire de l’État. Celui-ci doit en effet prendre les devants dans cette indispensable adaptation. Pour cela, il lui faut réévaluer ses rôles, ses modes de fonctionnement toutes ses manières de faire en fonction des besoins nouveaux. Pour cela, il faut également centrer les actions de l’État plus que jamais sur l’essentiel, sur les priorités – un mot dont on abuse parfois – dans le sens le plus concret du terme.
Cette « machine » administrative que nous avons construite à la faveur d’un contexte de prospérité et aussi parce qu’il nous fallait d’abord effectuer un rattrapage par rapport aux autres sociétés industrialisées, il ne fait pas de doute que cette machine doit poursuivre et amplifier sa cure d’amaigrissement qui est en cours. Ainsi, le gouvernement proposera, au cours de la session qui commence, la disparition de deux ministères: soit celui de la Fonction publique et celui des Travaux publics et de l’Approvisionnement. Le premier sera remplacé par un organisme conseil auprès des ministères et organismes, et le second, Travaux publics et Approvisionnement, sera transformé en une société publique chargée d’administrer les actifs immobiliers du gouvernement. Tout en permettant d’atteindre les objectifs d’efficacité et de rendement, ces transformations auront pour effet de réorienter des énergies vers des préoccupations qui correspondent à des exigences nouvelles.
Des organismes sont également destinés à disparaître, d’autres à être fusionnés. C’est le cas par exemple du Conseil de planification et de développement du Québec, le CPDQ, et de la Société de développement de la Baie-James, qui seront abolis prochainement.
Enfin, comme on le sait, l’application des lois électorales et de celles sur le financement des partis politiques relève désormais d’un seul organisme. D’autres gestes du même ordre sont étudiés en ce moment et seront décidés dans les mois qui viennent.
Par ailleurs, certaines réformes en préparation impliqueront un réaménagement des responsabilités gouvernementales et un assouplissement du rôle de l’État. Ainsi, le projet de loi sur la restructuration scolaire qui sera déposé à l’Assemblée nationale avant l’ajournement d’été aura pour effet de recentrer le ministère de l’Éducation sur sa propre mission en le délestant d’une foule de fonctions de suppléance qu’il a assumées jusqu’ici et que peuvent désormais exercer mieux que lui les instances décentralisées et les communautés de base.
l’État doit également manifester une plus grande faculté d’adaptation aux défis nouveaux et introduire plus de souplesse dans son fonctionnement, notamment en responsabilisant davantage ses employés, à quelque niveau que ce soit.
Une commission parlementaire spéciale, instituée à l’automne de 1981, a clairement fait ressortir la nécessité de ce type de transformation et les travaux, les recherches et les consultations qui ont été menées depuis lors ont abouti à des conclusions analogues. Le gouvernement proposera donc des modifications importantes à la Loi sur la Fonction publique, prévoyant entre autres une large délégation de pouvoirs détenus jusqu’ici par les organismes centraux en même temps qu’on réduira la réglementation en matière de gestion des ressources humaines.
Afin de compléter cet effort pour améliorer la qualité de l’administration publique, nous comptons pouvoir enfin soumettre à l’étude des parlementaires une loi spécifique qui définira de façon précise les fonctions et les pouvoirs du Vérificateur général.
Ainsi dégraissé, si j’ose dire, et poussé systématiquement vers de meilleures performances, l’État doit également se rappeler, et comme jamais, qu’il est là d’abord et avant tout pour servir les gens, à commencer par les plus humbles et les plus démunis. L’inventaire effectué depuis quelques mois par le ministre délégué aux Relations avec les citoyens nous a permis de constater – c’est le moins que je puisse dire – qu’il reste beaucoup à faire si on veut réaliser ce rapprochement essentiel de serviteur à servis, ce rapprochement essentiel entre l’appareil administratif et la population. C’est pourquoi tous les ministères et organismes devront préparer concrètement, d’ici l’automne, un plan précis d’amélioration de la qualité de leurs services. Partout, cette responsabilité relèvera dorénavant du sous-ministre en titre ou du dirigeant d’organisme, ou d’un adjoint immédiat. Le programme d’identification des fonctionnaires sera renforcé et le ministère des Communications organisera de son côté des tables de concertation afin de permettre aux fonctionnaires œuvrant en région de mieux jouer leur rôle et surtout d’éviter aux individus des démarches inutiles.
Le ministère du Revenu proposera pour sa part des mesures précises visant à améliorer les recours des contribuables, ceux en particulier qui ont avec le ministère des différends dont il faut au plus tôt simplifier et accélérer le règlement.
De plus, à la suite des travaux de la commission parlementaire sur la législation déléguée et pour répondre aux plaintes nombreuses que suscite un manque général d’information sur ces textes réglementaires, le ministre de la Justice déposera à l’automne un projet de loi fixant un cadre juridique unique et clair au processus d’élaboration et d’adoption des règlements, en ce qui touche notamment leur entrée en vigueur et la publicité qu’on doit leur faire.
Enfin, le projet de loi modifiant le Code de procédure civile, qui, lui, sera déposé au printemps, comportera diverses dispositions qui s’inscrivent dans cette démarche d’humanisation des comportements administratifs.
On ne peut parler sérieusement de transformation des rôles et des modes de fonctionnement de l’État sans faire référence à la régionalisation et à la décentralisation. Nous entendons poursuivre dans cette voie. Les régions sont en effet bien mieux placées que l’appareil central du gouvernement pour gérer efficacement certaines activités et aussi pour mettre en œuvre une foule de projets.
C’est ainsi que, à l’instar du ministère de l’Éducation, que j’évoquais il y a quelques instants, le ministère des Affaires culturelles régionalisera quant à lui son organisation à partir du 1er avril, dans le but de faire jouer davantage à l’État sa mission propre de promotion de la culture et de laisser à d’autres le soin de la gérer.
D’autre part, le gouvernement a décidé de convoquer le monde municipal à des assises sur toute cette question de la décentralisation. Il ne s’agit pas à cet égard de brûler les étapes. Mais tout en respectant la volonté des élus municipaux et le rythme auquel ils pourraient éventuellement accepter de nouvelles responsabilités, il y a certes lieu de leur conférer, dans certains secteurs d’activité, des pouvoirs largement accrus sur des services ou des équipements qui sont présentement administrés par le gouvernement.
Là comme ailleurs, là comme devant la plupart des défis que nous avons à relever, il s’agit tout bonnement – pour employer l’expression à la mode – de se concerter, c’est-à-dire de s’entendre pour agir ensemble, de bonne foi, à partir des faits et en répartissant la tâche de façon que chacun puisse s’il le veut, s’il en a les moyens, y mettre du sien.
Au fond, c’est un exercice qui est vieux comme le monde, qui vient des corvées de nos ancêtres et qui se pratique encore aujourd’hui sans qu’on emploie des mots savants. C’est un exercice qui est vieux comme le monde, mais que le contexte actuel nous commande de réapprendre d’urgence et en l’adaptant à toute la complexité des problèmes socio-économiques auxquels il faut bien faire face. Nous avons fait ces dernières années un bout de chemin dans ce sens. Il y a eu des résultats concrets. Il n’est pas question de laisser tomber. A court terme, nous miserons donc sur cet ensemble substantiel de conférences régionales d’une part, et d’autre part de tables de travail sectorielles touchant plus directement les secteurs de l’économie qui sont d’ailleurs en train de s’organiser. Dans certains cas l’organisation, la préparation est très avancée.
Sur un autre plan – un plan d’ensemble – ainsi que je l’ai annoncé au sortir de la réunion spéciale du Conseil des ministres il y a dix jours, j’ai invité des représentants du monde patronal et des organisations syndicales du secteur privé à une rencontre de travail à huis clos, destinée à discuter d’abord du plan d’action rendu public à cette occasion – il y a une dizaine de jours – et à faire aussi le tour des grandes questions de l’heure et ce, avant que les paramètres du budget ne soient fixés de façon définitive. C’est bien sûr un essai, si j’ose dire, une sorte de rendez-vous pilote, dont j’espère vivement qu’il sera à la fois productif et satisfaisant pour tous les intéressés. Si tel est le cas, le gouvernement est disposé à poursuivre l’expérience suivant un calendrier qui restera à fixer entre nous.
Je parlais des grandes questions de l’heure. Ces grandes questions de l’heure, c’est évidemment sur le plan économique qu’elles se posent avec l’insistance la plus obsédante, et que là encore elles commandent le changement dans les priorités, dans les attitudes, dans les comportements. Ce virage, le gouvernement est déterminé à s’y engager à fond. Les orientations très concrètes que nous avons définies et que je vais décrire sont toutes dirigées vers deux objectifs fondamentaux: la croissance de l’emploi et la croissance des investissements, la deuxième fournissant de toute évidence un support essentiel à la première.
On sait trop, hélas! que depuis le fatidique mois de septembre 1981, il y a un an et demi, le nombre des chômeurs est passé de 300 000 à 430 000, l’économie s’étant alors effondrée sous la pression soutenue des taux d’intérêt les plus élevés du monde occidental. Malgré tout, le Québec qui comptait à ce moment-là, fin 1981, 36% des chômeurs canadiens n’en compte aujourd’hui que 29%. Sauf erreur, c’est le meilleur taux comparatif qu’on ait jamais enregistré, ce qui ne console personne mais qui, enfin peut-être, permet d’y voir, au moins pour une part, le résultat des mesures qu’on a prises ici sans tarder, à la suite du refus du fédéral – on s’en souviendra – de soutenir les entreprises en février 1982.
Quoi qu’il en soit, l’ampleur de la crise nous aura donné – je dirais même nous aura surtout donné – une dramatique démonstration de la fragilité de notre économie. Des centaines de petites et moyennes entreprises ont littéralement craqué dans la tempête. Plusieurs autres se sont vu ébranlées au point d’avoir à retarder indéfiniment tout projet d’expansion et de modernisation. Cela maintient à nouveau sans pourtant oublier le moyen terme auquel je reviendrai tout-à-l’heure – jusqu’à nouvel ordre, l’obligation de parer au plus pressé.
D’abord, pour continuer de faire face aux urgences, le programme spécial d’aide aux PME en difficulté sera prolongé. Après avoir contribué à protéger plus de 25 000 emplois manufacturiers en 1982, ce programme permettra à quelques centaines d’autres entreprises de continuer leurs activités de production jusqu’à ce que la reprise de la demande qui, semble-t-il, pourrait s’amorcer très bientôt, les remette pour de bon sur le chemin de la croissance.
Je voudrais répéter ici également la déclaration du ministre des Finances précisant qu’il n’y aura pas cette année de nouvelle taxe sur la masse salariale des entreprises. Et on va faire tous les efforts possibles, au contraire, pour atténuer le poids de la fiscalité. À cet égard, lorsque le Parti québécois a été porté au pouvoir, je me permets de le rappeler, le fardeau fiscal des Québécois était globalement supérieur de près de 15% à celui des Ontariens. Cette situation, d’ailleurs, je m’empresse de l’ajouter, n’était pas nouvelle puisque, il n’est pas inutile de le rappeler, elle datait des années soixante. De 1977 à 1980, nous avions pourtant réussi à réduire l’écart de 15% à environ 7%. L’an dernier, la crise économique, les coupures fédérales et la volonté que nous avions, que nous devions avoir, de maintenir le déficit dans des limites acceptables ont reporté cet écart à 14%. L’un des tout premiers objectifs du gouvernement est de le réduire à nouveau dès que les conditions le permettront, puisque, en particulier, notre position concurrentielle sur les marchés dépend très largement de ce facteur.
Nous entendons de plus adopter, au cours de cette session, des mesures en vue de consolider et de renforcer la structure financière de nos entreprises dont la vulnérabilité, dans presque tous les cas, provient essentiellement du niveau d’endettement disproportionné par rapport aux mises de fonds des actionnaires. Il s’agira très concrètement d’inciter nos concitoyens et toute la population qui le peut à investir davantage de ce côté.
Ces mesures iront de l’incitation fiscale à un accès plus facile au marché boursier sans oublier des initiatives qu’il faut étudier très sérieusement et dont on espère que, dans l’ordre, elles puissent se multiplier, comme ce projet d’un fonds de solidarité qui a été mis au point par la F.T.Q. Sans négliger, non plus, dans la même veine, ces formules de participation des travailleurs à la propriété des entreprises qui reviennent de plus en plus souvent dans l’actualité.
On constate, en effet, qu’une foule d’esprits, naguère imperméables ou réfractaires à ce genre de formule, y voient aujourd’hui une avenue prometteuse tant pour le travailleur que pour le dirigeant d’entreprise. Le gouvernement croit, pour sa part, que tous les espoirs sont permis dans ce domaine à condition de ne rien forcer, bien sûr, de ne pas créer de carcans inutiles, et d’attendre évidemment que l’accord soit réellement voulu et solide entre les parties.
Nous entendons donc offrir tout l’appui nécessaire au développement de telles expériences de participation. Plus précisément, une équipe légère sera mise sur pied qui agira comme structure d’accueil et fournira toute l’expertise financière et technique qui est disponible au ministère de l’industrie, du Commerce et du Tourisme.
Une autre série de mesures, qui s’inscrivent à l’intérieur d’orientations permanentes mais qui visent aussi dans l’immédiat à réduire les effets de la crise, seront mises en œuvre dès cette année.
La première de ces mesures, le partage de l’emploi, pourrait, sans exiger de gros déboursés, augmenter rapidement les possibilités d’embauche tout en répondant aux aspirations de nombreux travailleurs et travailleuses. En effet, le travail à mi-temps n’est plus associé automatiquement au « cheap labour », comme on disait couramment. Beaucoup de gens souhaitent, pour diverses raisons, ce genre d’accommodement: étudiants de tous âges, couples ayant choisi de se consacrer davantage à leurs enfants, personnes âgées, etc. Or, au Québec, 11% seulement de la main-d’œuvre active travaille à temps partiel contre 15% chez nos voisins ontariens.
Confrontés à la perspective d’un niveau élevé de chômage qui risque de subsister assez longtemps, nous ne devons pas hésiter à recourir à cette formule novatrice qui permet aux travailleurs et aux employeurs de choisir, sans contrainte, de partager des tâches et des responsabilités avec ceux que la situation a réduits à l’inactivité. Le Comité ministériel permanent du développement social aura le mandat, par conséquent, de mettre au point un plan d’action qui rendra ce partage de l’emploi accessible à tous ceux et celles qui veulent en profiter. Les conditions de travail, les avantages sociaux, devront être équivalents à ceux des travailleurs à temps plein, et les salaires, proportionnels aux heures travaillées.
Par ailleurs, il est souvent pénible, pour des personnes qui ont pris de l’âge, de mener une vie de travail à temps plein jusqu’au moment traditionnel de la retraite, alors qu’en même temps, des dizaines de milliers de jeunes sans emploi se retrouvent dans le désarroi le plus complet. Nous entendons donc ouvrir la porte également à la retraite anticipée à partir de 60 ans, en modifiant les lois pertinentes et surtout, certains règlements du Régime de rentes du Québec. De même, une pleine rente d’invalidité sera assurée de 60 à 64 ans aux travailleurs qui, usés par la tâche, ne sont plus en mesure d’accomplir leurs fonctions habituelles.
Ces deux mesures – partage de l’emploi et retraite anticipée – devraient permettre de dégager un nombre considérable d’emplois qu’il est toutefois, pour des raisons évidentes, impossible de chiffrer à l’avance. Elles faisaient d’ailleurs partie – ces deux mesures – du plan d’action général que nous rendions public récemment, tout axé lui aussi sur l’emploi et l’investissement, et dont j’ai déjà évoqué d’autres éléments. Je rappelle brièvement que ce plan vise aussi à devancer et accélérer sans délai des investissements publics pour un total de 450 000 000 dollars dans les équipements de distribution électrique, l’assainissement des eaux, le transport en commun et les chantiers navals. Ces investissements auront des incidences sur la plupart des régions du Québec.
D’autre part, dans le secteur vital de l’agro-alimentaire, un nouveau programme triennal continuera à nous rapprocher – on l’a fait très rapidement depuis quelques années – de l’objectif d’autosuffisance agricole. Il s’agira, cette fois, d’investissements de 60 000 000 dollars, amenant la création de plus de 2 000 emplois, qui démarreront cette année en vue d’intensifier le développement de la production céréalière et l’amélioration des fourrages.
En ce qui concerne les pêches maritimes, en revanche, nous revenons de plus loin. Pour pouvoir profiter pleinement de la nouvelle zone des 200 milles, il nous faut restructurer littéralement notre industrie, en mettant comme jamais – c’est la seule chose qui peut permettre de s’installer et de rester sur les marchés – l’accent sur la qualité de nos produits. Ä cet égard, l’achat par des intérêts québécois, avec l’aide de SOQUIA, d’un deuxième crevettier et surtout la mise en place de plusieurs usines répondant aux nouvelles normes de salubrité sont un gage de développement pour l’avenir même si la conjoncture immédiate, forcément, reste difficile.
Je rappelle également que le plan d’action comporte des mesures comme cette réduction temporaire de tarifs pour les projets industriels à forte consommation d’électricité qui nous permet déjà d’escompter plus de 2 000 000 000 dollars d’investissements nouveaux, dont 750 000 000 dollars sont déjà en marche sur la Côte-Nord, à Baie-Comeau.
Puis, enfin, on a prévu des crédits additionnels de 250 000 000 dollars qui auront dans certains cas un effet multiplicateur important, tout en servant essentiellement à une création directe d’emplois que la conjoncture explique et justifie.
Si vous voulez, maintenant, nous allons nous tourner vers le proche avenir et ses exigences les plus impératives, c’est-à-dire vers des gestes dont le rendement n’est pas nécessairement immédiat, mais qui n’en sont pas moins absolument indispensables. D’ailleurs, il n’est pas du tout exclu que, si on les pose, ces gestes, et qu’on les pousse avec assez de vigueur, ils puissent avoir des retombées bien plus rapides qu’on ne s’y attendrait au départ.
J’évoquerai surtout ces deux piliers essentiels sur lesquels, pour le Québec comme pour toutes les autres sociétés industrielles, repose désormais – et je crois qu’il n’est pas excessif de dire cela – tout l’avenir économique, à savoir: la meilleure occupation possible des marchés, à l’interne comme à l’extérieur, et une recherche inlassable d’excellence scientifique et technologique.
C’est parce qu’elle est d’une telle urgence que cette double préoccupation occupe une place centrale dans le programme que nous nous sommes fixé pour les douze prochains mois.
Commençons d’abord par une vérité de La Palice: pour augmenter la production et l’emploi, il faut d’abord augmenter nos ventes. Le Québec écoule en effet 40% de sa production totale à l’extérieur de ses frontières. C’est cette considération, jointe à l’âpreté de la concurrence en contexte de crise, qui a déterminé la création du ministère du Commerce extérieur. Celui-ci a donc un rôle considérable à jouer dans la relance économique et nous lui donnerons les outils nécessaires pour le remplir. Bien qu’il soit opérationnel, comme on dit, depuis moins de trois mois, ce ministère a déjà commencé à faire ses preuves par sa rapidité et sa disponibilité auprès de nos entreprises qui sont déjà ou potentiellement exportatrices.
L’appui à ces entreprises est appelé à s’intensifier encore substantiellement cette année. Le programme d’aide à l’exportation connu sous le nom d’Apex « F » – un nom plutôt barbare mais derrière lequel se cache pas mal d’efficience – bénéficiera d’importants crédits. Nous comptons par ailleurs développer l’offre par la formation de consortiums, par la création d’un réseau d’agents manufacturiers et par un appui à la formation de cercles québécois d’exportation de façon que l’idée soit sans cesse dans le paysage et qu’on l’absorbe définitivement.
Le Québec sera aussi en mesure de participer au financement des activités internationales de ses firmes de biens et services. Dans les pays du tiers monde en particulier, nos exportateurs seront mieux armés pour affronter leurs concurrents parce qu’il y a un côté jungle dans ce qui se passe en ce moment, je pense que tout le monde le sait, du côté des échanges internationaux – et seront aussi mieux armés pour contribuer au développement économique de ces nations.
Là-dessus, je m’empresse de le dire, le gouvernement n’a pas l’intention de se substituer aux entreprises; il veut simplement donner tout l’appui possible aux gens qui font leur effort. Et il y aura également un support accru à l’extérieur. Nous développerons des formules de vente de nos produits sur les marchés étrangers qui compléteront le travail des représentations officielles du Québec qui sont déjà en place, comme de celles qui viendront s’y ajouter.
Un des segments les plus prometteurs de notre commerce international, c’ est celui des exportations énergétiques, auquel nous entendons au cours de cette session ouvrir de nouvelles perspectives d’expansion.
On proposera un projet de loi sur ce point. Des modifications seront ainsi apportées à la Loi sur l’Hydro-Québec et à celle qu’on appelle la Loi sur l’exportation de l’énergie électrique, afin de mieux refléter l’importance majeure que prendra dorénavant la mise en marché de notre électricité.
Cette orientation nouvelle est rendue nécessaire par le fait que, pour la première fois de son histoire, la capacité de production d’Hydro-Québec dépasse largement la demande de ses marchés traditionnels et que cela promet de durer encore un bon nombre d’années. La prospection de nouveaux marchés est déjà sérieusement amorcée puisque, au cours des derniers mois, Hydro-Québec a signé des ententes de fourniture de courant avec le Nouveau-Brunswick, I’Ontario et l’État de New York. Et, il y a à peine deux jours, chacun le sait, de nouvelles ententes extrêmement importantes et encore plus prometteuses sont intervenues avec les États de la Nouvelle-Angleterre.
Ces nouvelles perspectives énergétiques seront d’ailleurs l’objet, dans les jours qui viennent, d’un examen approfondi à la commission permanente de l’énergie et des ressources, où l’on se penchera notamment sur l’utilisation de l’électricité à des fins de développement industriel.
Cela dit, si 40% de notre marché est ainsi de par le monde, 60% de ce que nous fabriquons doit être consommé ici même au Québec. Le gouvernement entend, par conséquent, renforcer et élargir l’accès des produits québécois à ce marché intérieur. Tout en évitant les écueils protectionnistes et en persistant dans nos efforts de pénétration à l’étranger, il faut bien se rendre compte que nous sommes loin d’occuper toute la place que devraient nous assurer notre propre consommation et notre propre activité de production. Ces efforts pour occuper au maximum notre marché s’articuleront autour de quatre éléments.
Premièrement, par une application rigoureuse de notre politique d’achat, des mesures spécifiques seront mises en place afin de maximiser les retombées économiques de nos programmes de dépenses publiques. Ce sera particulièrement le cas pour les projets d’accélération du programme d’épuration des eaux et de l’air aussi, pour les achats effectués en vue de l’implantation rapide d’ordinateurs dans les écoles, pour les montants consacrés par Hydro-Québec à la modernisation de son réseau de distribution, ainsi que les investissements prévus dans le secteur du transport en commun.
En second lieu, nous verrons à canaliser vers les entreprises québécoises de biens d’équipements le plus possible de retombées des grands projets d’investissements privés qui sont en voie ou sur le point d’être réalisés. C’est le Bureau des grands projets qui se chargera d’arrimer acheteurs et fournisseurs afin de donner à nos entreprises l’occasion d’obtenir leur part dans ces grands projets privés: aluminerie, modernisation ou construction d’usines de pâtes et papiers, pipeline, etc.
Troisième cible de cette offensive interne: les produits de consommation courante. Les grands réseaux de distribution, et particulièrement les grands magasins à succursales, seront invités, par l’intermédiaire du ministère de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme, à mieux faire connaître aux entreprises québécoises les produits qu’ils achètent à l’étranger. Là-dessus, inutile d’ajouter qu’une vigilance accrue des consommateurs que nous sommes tous aiderait grandement à établir une meilleure adéquation entre la demande de produits et nos propres possibilités d’en fournir sans cesse davantage.
Enfin, quatrièmement, la grande entreprise industrielle déjà établie au Québec sera invitée, elle aussi, à augmenter substantiellement la part de nos PME dans ses contrats de sous-traitance. Un premier événement bientôt regroupera notamment les multinationales du transport: General Motors; Bombardier et Kenworth. Ce salon spécialisé de sous-traitance permettra à des dizaines de PME et probablement à bien davantage de mieux connaître les besoins concrets de ces très gros acheteurs.
Ce n’est pas s’éloigner du sujet que de souligner que le tourisme est, lui aussi, un secteur interne où le volume du marché dépend, en définitive, de l’efficacité du marketing comme on dit, et de la qualité du produit.
Nos campagnes publicitaires de l’an dernier ont sans doute eu un impact significatif – en tout cas y ont contribué puisque le Québec, croyez-le ou non, a été une des seules destinations touristiques canadiennes à ne pas subir les effets de la crise économique quant au nombre de visiteurs du dehors. Or, bientôt, la venue des grands voiliers commémorant le 450e anniversaire de la découverte de la Nouvelle-France par Jacques Cartier constituera une chance exceptionnelle pour nous. En raison du caractère mondial de l’événement, on lui accordera, bien sûr, tout l’appui logistique et financier nécessaire. La région de Québec y trouvera l’occasion de s’affirmer, et peut-être pour de bon, comme une étape majeure sur les grands circuits touristiques internationaux.
D’autre part, afin de mieux développer notre produit touristique, la Loi du crédit touristique sera modifiée, substantiellement élargie en fait, pour couvrir non seulement l’aide financière à l’hébergement, mais également ces activités et ces événements qui, sur le plan régional surtout, ont acquis et ont mérité leur permanence.
Dans bien des cas, il s’agit d’activités artistiques qui attirent beaucoup de monde dans beaucoup de régions de plus en plus, y compris beaucoup de touristes et auxquels un programme particulier viendra bientôt s’intéresser. N’oublions pas, d’ailleurs, que la consommation culturelle, si on peut se permettre l’expression, occupe une place très importante dans l’économie. En raison de sa « différence » et du dynamisme de ses créateurs, le Québec produit bien davantage déjà et importe moins dans ce domaine que le reste du Canada. Pour maintenir et pour accentuer cet avantage, on augmentera donc les stimulants qui s’adressent aux industries culturelles et on injectera en particulier des sommes importantes dans le développement du cinéma, car tout cet ensemble, c’est un secteur qui peut, souvent à meilleur compte, créer autant sinon plus d’emplois que n’importe quel autre.
Revenons maintenant à ce second pilier essentiel du développement, l’excellence scientifique et technologique.
L’action doit s’y concentrer d’abord sur ces secteurs qu’on dit couramment « porteurs d’avenir », parce qu’ils sont tout simplement susceptibles de connaître une croissance supérieure à la moyenne. De ceux-ci, sans exclure d’autres efforts pour augmenter nos potentiels, le gouvernement entend donner la plus immédiate priorité à l’informatique et aux biotechnologies. Et il verra en même temps à orienter ce virage de façon à stimuler la formation des jeunes qui auront bientôt à s’employer dans ces domaines proprement révolutionnaires.
Avec l’étroite collaboration de plusieurs ministères, on verra, dans les plus brefs délais, à répondre aux besoins les plus pressants en matière d’informatisation pour 1983, soit la bureautique et l’introduction de l’ordinateur comme outil d’enseignement. Plus de 40 000 mini-ordinateurs seront implantés dans les écoles d’ici cinq ans, dont 7 000 en 1983-1984. Ce plan contribuera du même coup au développement de l’industrie québécoise de l’informatique dans la fabrication de matériel, qu’on appelle en anglais le « hardware », et aussi dans la mise au point de logiciels. Tout en préparant les jeunes à maîtriser l’avenir, ce programme aura donc des retombées économiques non négligeables. Une table de concertation sectorielle sera également mise sur pied avec les milieux concernés pour planifier le développement de ce secteur stratégique.
Dans les biotechnologies, d’autre part, on est en marche depuis octobre dernier. La SGF a déjà assuré un premier investissement dans ce domaine par une nouvelle filiale du nom de Biomega. L’implantation de ce plan triennal publié en octobre dernier sera fortement accélérée en 1983. Les équipes de recherche existantes seront dotées de moyens accrus et un nouveau programme de bourses de maîtrise et de doctorat sera disponible dès septembre prochain. De plus, parallèlement aux démarches visant à regrouper dans une nouvelle entreprise la majorité des chercheurs de la compagnie Ayerst, dont on a beaucoup entendu parler depuis quelque temps, une autre société de recherche sera chargée d’identifier les découvertes les plus susceptibles d’être commercialisées.
De façon à assurer la cohérence de ses actions gouvernementales dans des domaines aussi prioritaires, le gouvernement soumettra, dès ce printemps, à l’Assemblée nationale, une loi-cadre sur la recherche scientifique et la technologie. Cette loi définira les rôles respectifs des divers outils gouvernementaux, précisera le mandat de coordination du ministre délégué à la Science et à la Technologie et renforcera largement ses moyens d’action.
Diverses mesures viendront également stimuler les efforts en matière de recherche industrielle et une enveloppe « science et technologie » assez substantielle dès le départ, sera spécifiquement prévue aux livres des crédits, au budget des dépenses. Enfin, deux initiatives importantes seront entreprises dans les mois qui viennent. Un centre de diffusion des technologies des productions automatisées sera inauguré en collaboration avec le secteur privé. Plus d’une dizaine de millions de dollars seront engagés également dans l’industrie de la fabrication de matériel de transport en commun, pour faire avancer la technologie du métro sur rails, qui présente des perspectives qui peuvent nous être très utiles chez nous, dans des cas qu’on connaît bien, mais qui présente des perspectives très intéressantes de vente à l’étranger et, par conséquent, aussi de sous-traitance pour les entreprises québécoises.
Dans le domaine énergétique aussi, de nouvelles technologies seront encouragées vigoureusement, en particulier dans le secteur du méthanol, où les travaux doivent débuter très bientôt, et dans le secteur de l’hydrogène liquide où le Québec, sauf erreur, est parmi les quelques rares endroits au monde où la recherche est à la pointe.
Du côté des communications, les principaux agents de l’industrie étudieront incessamment avec le gouvernement des mesures concrètes pour réaliser, là aussi, ce virage technologique. Avant la fin de 1983, le gouvernement adoptera une politique nationale des communications à partir des principaux engagements qui seront contractés lors du sommet des communications qui est prévu pour octobre prochain. Cette politique, conçue pour les cinq prochaines années, nous engagera au cœur de la mutation informatique, notamment en matières de câblodistribution, de télécommunications, de télématique et de logiciels. Le gouvernement s’associera aux entreprises pour identifier des créneaux, pour orienter les efforts de recherche et de développement, pour utiliser au maximum la politique d’achat et le marché public, et favoriser l’exportation des produits et services québécois qui auront été retenus.
Et tout cela, qui donne un peu le vertige, n’est qu’un aperçu de ce qui sera forcément une véritable révolution. Le nouvel environnement économique qui en sortira commencera déjà à exiger, sur le plan des ressources humaines, des adaptations radicales et des changements rapides dans le domaine de l’éducation.
Pour ce qui a trait à la formation professionnelle des jeunes, une longue consultation a permis de dégager des orientations nouvelles. Ainsi, on visera à renforcer la formation générale de base, qui est peut-être plus essentielle que jamais aujourd’hui, dans ce monde d’hyperspécialisation, et on visera à y intégrer aussi les nouvelles technologies. Ces choix fondamentaux exigent une révision de la carte des options professionnelles, une modernisation de nos équipements scolaires, des stages en entreprise pour les maîtres comme pour les élèves et une concertation plus étroite que jamais, la plus étroite possible, entre le monde scolaire et le monde du travail. Le gouvernement entend procéder à cette mise en place dès la prochaine année scolaire.
Au niveau collégial, cet effort se traduira en outre par la création de centres spécialisés qui s’adonneront à la recherche appliquée et travailleront de concert avec les entreprises.
Pour donner suite au rapport de la commission Jean, la formation professionnelle des adultes connaîtra également des réformes qui viseront, en particulier, à donner aux femmes de meilleures chances d’en profiter. Au nombre des impacts les plus spectaculaires et les plus prévisibles à court terme de la mutation actuelle, il faut envisager, en effet, des bouleversements sans précédent de la structure et du niveau des emplois. Tous les observateurs s’entendent pour dire que le secteur des services sera, en fait, est déjà le plus touché et plus vite que tous les autres. Dans les bureaux, par exemple, les banques, le commerce, une foule d’emplois vont être éliminés, de nouveaux types d’emplois apparaîtront et d’autres subiront des changements substantiels.
La main-d’œuvre féminine sera donc la première et la plus profondément atteinte puisqu’elle constitue plus de 80% des employés de ce secteur. Jouissant de peu de protection, souvent même d’aucune sécurité d’emploi, elle est particulièrement vulnérable à de tels changements. Aussi, l’accès à des programmes de formation, de perfectionnement et de recyclage adaptés à leur situation est-il une question cruciale pour les femmes. Il va falloir veiller rigoureusement à ce qu’elles ne fassent pas, à elles seules, les frais d’un virage technologique débridé qui risquerait de les marginaliser d’une façon quasi irréversible.
Par ailleurs, ce même virage technologique offre à l’école des possibilités inédites dont nous devons tirer avantage tout de suite. Dès les prochaines semaines débutera donc la réalisation d’un virage scolaire, cette fois, qui intégrera la formation des enseignants, la production et l’achat de logiciels, l’acquisition des micro-ordinateurs, que j’ai déjà mentionnée, et le développement absolument indispensable de programmes de formation dans les semaines qui viennent.
En terminant ces propos sur l’économie, celle qu’il faut nous donner pour demain comme celle qu’il faut relancer aujourd’hui, je voudrais simplement souligner que tous les efforts d’un gouvernement ne pourront jamais, à eux seuls, contrer les effets de la crise ni réduire de façon instantanée le niveau du chômage. La relance, c’est l’affaire de tous. De tous les secteurs comme de tous les citoyens qui ont la capacité et les moyens et qui doivent y ajouter le goût d’y participer. Si nous n’avons pas appris cela de la crise, nous n’avons rien appris.
De tout ce que j’ai évoqué jusqu’ici se dégage une énorme implication: c’est qu’il va falloir aussi changer comme société. Tout en préservant en nous ces qualités qui nous ont permis de survivre, d’abord, puis de nous affirmer de plus en plus comme une nation moderne, une société moderne, il nous faut modifier certains comportements, bien sûr, et même ajuster nos façons de penser et de faire aux défis de l’avenir.
Il nous faudra notamment réapprendre à faire des choix. Je dis bien réapprendre parce que nos parents, les générations qui nous ont précédés, ont bien connu cette nécessité. Mais comme nous avons vécu plus de 20 ans sans avoir vraiment, ou plutôt en ayant l’illusion de ne plus avoir à y penser, cette notion ancienne va devoir nous redevenir familière.
Par exemple, c’est une des responsabilités premières de l’État que d’assurer à l’ensemble des citoyens la répartition la plus équitable possible des ressources et des services dont nous disposons. Or, il est clair que l’évolution de la société tout autant que la crise et ses effets nous forcent à remettre en question certains mécanismes de partage et à définir un nouveau mode de distribution plus conforme aux réalités nouvelles et surtout mieux centré sur les vrais besoins.
Ainsi, le taux de chômage que connaît le Québec actuellement nous oblige à accorder une priorité évidente à ces jeunes de moins de 30 ans qui n’ont pour vivre qu’une dérisoire prestation d’aide sociale. Le gouvernement a déjà annoncé un plan d’action destiné à venir en aide surtout aux moins de 25 ans. C’est ainsi que certains pourront retourner aux études ou se requalifier au plan professionnel; d’autres se verront faciliter l’accès aux divers programmes d’emploi existants, d’autres enfin auront l’occasion, s’ils le veulent, de passer quelque temps au service de leur milieu de vie tout en bénéficiant le cas échéant d’une allocation additionnelle. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes verront ainsi leurs conditions de vie et leurs chances améliorées substantiellement dans beaucoup de cas, nous l’espérons, et du moins quelque peu dans tous les cas.
Restent tous ceux et celles qui ont entre 25 et 30 ans, et qui n’ont pour vivre que 144 dollars par mois. Cela a été conçu à une époque où, compte tenu de la situation économique, il fallait inciter au maximum les jeunes bénéficiaires de l’aide sociale à retourner le plus vite possible sur le marché du travail, mais le système devient inéquitable quand l’offre d’emploi ne répond qu’aussi faiblement qu’elle le fait en ce moment à la demande. C’est pourquoi le gouvernement entend modifier ce régime de manière à permettre à ces personnes d’améliorer quelque peu leur situation personnelle. Le ministre de la Main-d’Oeuvre et de la Sécurité du revenu annoncera le mois prochain les correctifs qui seront apportés.
Est-il besoin d’ajouter, d’autre part, qu’il y a encore des aspects cruellement mesquins à la situation qui est faite à trop de personnes âgées?
Dans le cadre de cette importante réforme du Régime de rentes que j’évoquais à propos de la retraite à 60 ans, le gouvernement proposera de hausser la rente mensuelle des conjoints survivants âgés de 55 à 64 ans, une mesure qui devrait toucher environ 40 000 personnes dont 95% sont des femmes. Dans la même foulée, on fera disparaître la clause franchement discriminatoire qui entraîne la cessation de la rente en cas de remariage.
Par ailleurs, un document de consultation relatif à la revalorisation d’ensemble du régime des rentes de même qu’à son financement sera soumis sous peu aux principaux groupes que la question doit intéresser. Ce document proposera également une réforme des régimes supplémentaires de rentes, notamment en vue de les rendre enfin transférables.
Et sur un autre sujet qui concerne également les personnes âgées, il nous faut songer à des rajustements de manière à rejoindre ceux et celles, dans tous les secteurs, qui en ont le plus besoin. C’est pourquoi le ministre de l’Habitation et de la Protection du consommateur proposera des Logirente d’allocation-logement qui est présentement ouvert aux seules personnes de plus de 65 ans.
Ces mesures dont je viens de parler, il faut bien comprendre cependant qu’elles ne pourront augmenter les charges financières de l’État – elles ont été conçues de façon à ne pas le faire, ce qui n’enlève rien de leur utilité, Dieu sait – ni remettre en question la priorité fondamentale accordée à la relance économique. Elles nécessiteront également des remises en question, tout au moins partielles, des mécanismes de fonctionnement de divers programmes dont le caractère essentiel ou dont l’efficacité réelle est devenue moins évidente que par le passé.
Ces derniers temps, on a abondamment parlé aussi de la notion des droits acquis, dont certains font encore un absolu, et on s’est interrogé sur la préséance de certains droits sur d’autres. On a de plus cherché à concilier les notions de droit et de devoir des citoyens.
Ce débat est loin d’être terminé – le sera-t-il jamais? – mais il nous faudra au minimum convenir qu’il y a peu de place actuellement pour les absolus auxquels d’aucuns voudraient encore se raccrocher. L’on a vu à quel point un exercice abusif de certains droits peut conduire à brimer d’autres droits qui sont tout aussi essentiels.
Il est quand même une chose sur laquelle tous s’entendent ces années-ci, c’est la priorité qu’il nous faut accorder à ce droit au travail dont la crise a rendu l’exercice impossible pour une multitude d’entre nous. J’ai expliqué plus tôt quels types d’actions et de mesures seront privilégiés par le gouvernement pour réaliser l’objectif, que nous ne pouvons pas ne pas partager, de faire de ce droit au travail une réalité vécue, le plus vite possible, par tous nos concitoyens. Et c’est dans ce contexte qu’il faudra, en particulier, replacer constamment certaines législations dont l’Assemblée nationale sera saisie dans les mois qui viennent.
Le Code du travail, pour sa part, n’est plus adapté au contexte dans lequel nous vivons et a besoin d’être amendé, et probablement même refondu. Dans un premier temps, c’est-à-dire avant l’été, en consultation avec les parties concernées, le ministre du Travail présentera les modifications les plus pressantes. Pour le reste, le gouvernement entend procéder avec prudence et avec réalisme de façon que le résultat final – parce qu’il s’agit de quelque chose de très important, de très central soit le fruit du consensus le plus large possible.
Par ailleurs, le gouvernement employeur et les employés du secteur public doivent à l’évidence mettre au point, en matière de négociations de conventions collectives, de nouvelles règles du jeu qui reposent sur des bases plus solides et plus transparentes. La société québécoise, on l’a dit mainte fois, mais il faut que ce soit la dernière fois qu’on ait à le dire, ne peut plus se permettre ces affrontements à répétition, stériles, coûteux et qui, en définitive, n’apportent vraiment rien à personne. L’histoire des négociations du secteur public depuis plus de quinze ans le démontre surabondamment. Pour sortir de ce cercle vicieux, le gouvernement entend proposer, dans les meilleurs délais, la mise sur pied d’un groupe d’enquête, parlementaire ou autre, doté de moyens adéquats et qui, dans un laps de temps raisonnable, rencontrera tous les intéressés et formulera les recommandations susceptibles de renouveler le régime de négociation dans le secteur public.
En matière de réparation des lésions professionnelles, nous proposerons, d’autre part, en accord avec les partenaires dans ce domaine, de mettre à jour les modes d’indemnisation de manière à le rendre compatibles avec les autres régimes publics qui sont en vigueur.
S’il est par ailleurs un coin de la société où les droits et devoirs des uns et des autres sont difficiles à établir de façon étanche, c’est bien celui de la protection de la jeunesse. Le volumineux rapport de la commission parlementaire qui a été chargée d’étudier l’application de la loi actuelle démontre, de façon éloquente à la fois la complexité et le caractère délicat des choix qu’on doit faire en ces matières. Il est clair néanmoins qu’en cours d’année, le gouvernement aura à tenir compte concrètement des plus évidentes de ces constatations.
De plus, le ministre de la Justice poursuivra bien sûr cette tâche monumentale qu’est la réforme de notre Code civil. Les travaux qui seront complétés au cours de cette session porteront essentiellement sur les chapitres concernant les personnes, les biens et successions.
Quant à la refonte de la Loi sur les coroners, depuis longtemps attendue, on m’assure qu’elle sera complétée au cours de la présente année.
La cellule familiale, de son côté, n’a cessé d’évoluer rapidement depuis une décennie. La notion même de famille recouvre maintenant une très grande variété de situations dont certaines sont nettement dramatiques. Conscient de ces réalités nouvelles de plus en plus complexes et difficiles à cerner elles aussi, le gouvernement soumettra dans les mois qui viennent aux familles québécoises, pour consultation, un projet de politique de la famille qui proposera des orientations sur tout un éventail de préoccupations, entre autres, les services à la famille, l’aide financière, la fiscalité, le congé parental et le logement. Une attention particulière sera accordée aux familles monoparentales dont la situation est souvent si difficile sur tous les plans en même temps.
Modification également de la réalité scolaire. Le débat qu’a suscité la parution du livre blanc sur la restructuration a fait ressortir, même si tous ne s’entendent pas sur les modalités, la nécessité d’impliquer bien davantage les parents dans la détermination des choix et dans l’administration de la chose scolaire. Aussi le projet de loi, qui sera présenté d’ici l’ajournement d’été, contiendra des mesures destinées à répondre à ce désir de plus en plus insistant un peu partout des parents.
Le ministre de l’Éducation annoncera par ailleurs d’ici quelques jours les amendements substantiels qu’il apportera à son projet initial de façon à tenir compte des résultats de la consultation entreprise depuis l’automne dernier. Dans la même veine, bénéficiant là aussi de consultations qui, elles, se sont étendues sur deux ans, le gouvernement adoptera le règlement sur le régime pédagogique du collégial. Ce règlement, en effet, contiendra un assouplissement de plusieurs dispositions actuelles et un renforcement des responsabilités locales en matière d’organisation des études.
Dans cette responsabilité des services éducatifs, qui après tout leur sont destinés, les étudiants aussi doivent être partie prenante, cela tombe sous le sens. Par conséquent, le règlement sur les études collégiales affirmera et dégagera les droits et les responsabilités des élèves. Mais il faut aller plus loin et faire en sorte qu’étudiants et étudiantes puissent s’associer et s’organiser pour mieux faire entendre leur voix dans les établissements d’enseignement, comme aussi, dans la société en général. C’est pourquoi le gouvernement prendra les dispositions nécessaires pour établir des conditions de reconnaissance des associations étudiantes et aussi des conditions de perception des cotisations de leurs membres et de gestion des services appelés à leur appartenir.
Enfin, si brièvement que ce soit, il faut aussi parler de changement sur le plan strictement politique.
Notons d’abord que nos institutions existantes sont pour ainsi dire en pleine cure de rajeunissement, de même que leur mode de fonctionnement. La nouvelle loi de l’Assemblée nationale, surtout lorsqu’on aura complété les divers éléments de réforme qui sont censés en découler, ce qu’évoquait notre nouveau président dès son entrée en fonction, devrait permettre aux parlementaires de mieux jouer ici même et de valoriser aussi sur tous les plans le rôle essentiel que l’électorat leur a confié.
Maintenant, il faut aller plus loin de façon à garantir aux citoyens que la volonté qu’ils expriment au moment d’une élection sera respectée désormais de façon plus rigoureuse, lorsqu’il s’agira de déterminer la composition même de l’Assemblée nationale. Nous avons déjà, de ce côté-ci de la Chambre, endossé le principe de cette réforme du mode de scrutin. Il s’agit maintenant de s’entendre sur la meilleure façon de la mettre en pratique. Comme les avis demeurent hautement partagés – alors que c’est là un sujet où le consensus est particulièrement souhaitable – et aussi pour que les citoyens eux-mêmes, qui sont les vrais détenteurs du pouvoir, aient l’occasion et le temps d’en discuter, la question sera soumise à une commission parlementaire spéciale dont le mandat sera de procéder, bien sûr, à une évaluation du mode de scrutin actuel et d’étudier les diverses formules qui pourraient servir à le modifier ou à le remplacer.
D’autre part, nous venons tout récemment, à la demande expresse des premiers intéressés, de prendre part à la conférence constitutionnelle qui s’est tenue à Ottawa sur les droits des autochtones.
La participation des nations amérindiennes et inuites du Québec s’est faite à la fois à partir des sièges réservés aux associations qui les représentent au considérable qu’ils ont obtenue à l’intérieur de la délégation québécoise. Ainsi, les autochtones du Québec pouvaient – ils ont su le faire en toute liberté, fièrement et dignement – concrétiser leur double appartenance au Québec et à leur propre nationalité.
Au nom du gouvernement, j’ai pris l’engagement solennel que, dans la mesure évidemment où ils continueront de le vouloir ainsi, nous allions nous associer jusqu’au bout au processus qui vient de s’engager dans tout le Canada pour définir leurs droits, sans pourtant que cela puisse être interprété de quelque façon que ce soit comme une acceptation par le Québec du « Canada Bill » dans l’état où il est présentement. Les engagements écrits que nous prendrons, le cas échéant, nous les prendrons avec les seuls autochtones du Québec.
Quant au dialogue que nous avons entrepris avec eux de notre côté, il va se poursuivre et même s’accélérer en vue de déterminer le plus clairement, le plus formellement possible les droits qu’ont ici au Québec, les descendants des premiers habitants de ce pays. Comme on sait, ils nous ont fait part, par l’intermédiaire de leur coalition, de leurs besoins fondamentaux, qu’ils les voient dans les domaines politique, économique, culturel et administratif et nous leur avons déjà soumis nos propres réactions.
Je n’entrerai pas dans le détail aujourd’hui. D’ailleurs, il leur sera fourni l’occasion, s’ils le désirent, de se faire entendre directement par les membres de l’Assemblée nationale par l’intermédiaire d’une commission convoquée spécialement à cette fin. Déjà, nous pouvons déduire de nos rencontres avec eux, de leurs déclarations publiques et de notre propre expérience de peuple minoritaire qui cherche depuis toujours à se faire reconnaître son droit au développement de son identité propre, qu’ils entendent exercer au maximum le droit de gouverner leurs communautés de la façon la plus autonome possible; qu’ils veulent, grâce à des institutions qui soient bien à eux, assurer leur épanouissement dans la continuité de leurs traditions, la sauvegarde et le développement de leur identité, et parer au danger d’assimilation insidieuse qui les menace constamment; naturellement, qu’ils requièrent aussi une assise économique sur laquelle ils pourront compter pour sortir de leur état de dépendance chronique et asseoir une certaine autosuffisance.
Le Québec est ouvert à tout cela. L’entente de la Baie-James est là pour le prouver. Dans la mesure où nous pourrons conclure avec eux d’autres ententes et les concrétiser dans des lois, des ententes qui ne pourront pas être modifiées sans leur assurer un statut qui aura, à la fois, la sécurité et la flexibilité qu’appelle, de toute évidence, l’évolution historique. Ce changement qu’appelle l’évolution, et dont il a été question tout au long de ce discours, apparaît plus que jamais nécessaire, finalement, en ce qui concerne le régime politique.
Notre parti et le gouvernement qui en est issu ont toujours été inspirés, et continuent de l’être, par la conviction que c’est en accroissant le plus possible le champ de la responsabilité collective des Québécois et leur marge de contrôle sur leurs destinées qu’il nous sera possible d’atteindre plus de maturité et plus de justice.
Et puis la crise est venue, depuis deux ans, jeter une lumière crue, extrêmement crue, sur les entraves à notre croissance qui nous sont indûment imposées de l’extérieur – on en a même des exemples dans les journaux d’aujourd’hui et c’est semaine après semaine, c’est courant – sur ces entraves, donc, à notre croissance qui nous sont indûment imposées de l’extérieur, en même temps que sur les aberrations, il faut bien l’admettre, qui minent notre société au-dedans.
C’est donc moins en fonction du passé qu’en pensant à l’avenir qu’il nous faut miser sur le vrai changement constitutionnel qui seul, peut nous permettre d’entrer pour de bon dans la grande foule, sans cesse croissante en nombre, des nations libres et modernes. Nos inquiétudes courantes ne doivent pas masquer le regard qu’il nous faut porter sur ce qui nous attend à moyen terme. On ne peut rien bâtir de solide ni durable si l’on n’est pas maître de son destin dans l’interdépendance qui s’est développée dans le monde mais, d’abord et avant tout, maître des décisions qui nous concernent directement.
On a souvent eu peur du changement. Combien de gens ont été payés pour propager cette peur du changement parce qu’il était porteur d’insécurité, d’inconnu et de risque. Pourtant, la crise actuelle nous démontre de façon particulièrement éloquente, que seuls ceux qui prennent résolument partie pour le changement vont pouvoir en sortir en bon état, en tout cas sûrement en meilleur état que d’autres.
La sécurité est une notion extrêmement relative par les temps qui courent. En tout cas, ce n’est pas en faisant du surplace que nous allons tirer notre épingle du jeu. C’est en allant de l’avant, en surmontant nos vieilles peurs et en apprenant mieux que jamais à avoir confiance en nous-mêmes. Voilà, en tout cas, le ton que nous emploierons de notre mieux lors du prochain rendez-vous électoral au cœur duquel je réaffirme notre intention de placer la question nationale.
Je remercie du fond du cœur l’Opposition – c’est la deuxième unanimité aujourd’hui – pour ses applaudissements chaleureux. Je crois y percevoir quelque chose de sous-entendu mais il ne faudrait pas oublier qu’on a déjà vu de ces confiances terriblement prématurées.
Ce que nous dirons de la question nationale, c’est que la voie de la lucidité et du réalisme passe par l’indépendance, que c’est elle, pour nous, comme pour tant d’autres peuples, le moteur et le garant du progrès individuel et collectif.
Nous dirons que nous sommes dans un monde en rapide, profonde et même brutale mutation, où les fondements de l’économie traditionnelle sont remis en cause, où la révolution technique et scientifique est porteuse d’autant de promesses que de périls. Comment imaginer que les vieilles structures politiques et constitutionnelles puissent être adaptées à de pareils changements, répondre aux questions dramatiques qui sont posées à chacun comme à tous? Est-ce de ce régime qu’on peut attendre le salut financier, technologique, intellectuel et social? C’est au contraire l’obstacle permanent, la porte bien verrouillée et qu’on cherche encore à verrouiller davantage pour fermer l’avenir. Il faut faire sauter ce verrou pour que le Québec, et sa jeunesse surtout, puisse enfin prendre son avenir à pleine main, se le donner en le bâtissant.
Bref, cela garde toute son importance, mais il ne s’agit plus seulement de fidélité aux origines, d’affirmation d’identité, d’affranchissement national, mais au moins autant de prises en main, de vraie sécurité, et d’utilisation maximale des ressources. Il s’agit de concilier enfin les besoins de sécurité et de prospérité avec les aspirations à la liberté, à la dignité et à la pleine maîtrise de notre avenir.
[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]