Discours du premier ministre, Monsieur René Lévesque, au Congrès des hebdos régionaux, à Pointe-au-Pic, le 8 juin 1978

Monsieur le Président,
Mes chers amis,

En vous remerciant de cette présentation trop généreuse dont j’ai été gratifié, permettez-moi de dire, à propos des éditoriaux dont il a été fait mention, que je suis particulièrement fier, comme ancien collègue, comme une espèce de membre non en règle de la profession, d’avoir été toute ma vie, d’abord et avant tout, non pas un éditorialiste, parce qu’on risque d’y devenir dangereusement parfois pontifical, mais d’abord et avant tout un reporter.

Peut-être y reviendrai-je un jour d’ailleurs, et cela me rajeunit singulièrement, et sans doute dangereusement aussi: il ne faut pas se faire d’illusion. Mais quand je suis arrivé tout à l’heure, parmi les premières personnes que j’ai rencontrées, il y avait l’animateur du Courrier de Saint-Hyacinthe et celui du Nouveau Clairon et cela me rappelait des souvenirs, même si ce ne sont pas des souvenirs qui vont passer à l’histoire. Mais enfin mes premières écritures dans les « gazettes », comme on disait autrefois, c’était dans un journal qui s’appelait le Clairon de Saint-Hyacinthe.

A un moment donné, n’étant pas sûr qu’il faisait assez de bruit comme clairon, il s’est appelé le Haut-Parleur de Saint-Hyacinthe. Finalement, et parce que, après avoir été le haut-parleur, tu ne peux pas aller plus loin, alors il a disparu. Il a perdu la voix, ça arrive à tout le monde par-ci, par-là. Mais, finalement, il a ressuscité. J’ai demandé d’ailleurs qu’on m’en envoie, si possible, un exemplaire, parce que ça rappelle des souvenirs de cette époque héroïque.

Oui, c’était la fin d’une sorte d’époque héroïque pour les hebdos. Je me souviens, je faisais la chronique du cinéma, du théâtre et, à l’occasion, des livres, quand il en paraissait: les éditions n’étaient pas aussi florissantes qu’aujourd’hui. C’était l’époque où Monsieur Duplessis, traitait les gens comme nous de « joueurs de piano ». Je lis dans mes notes: « Pendant plusieurs décennies, les hebdomadaires représentaient simplement un complément idéal pour tous les imprimeurs qui avaient besoin de boucher les trous le jeudi et le vendredi ». C’est vrai. C’était la belle époque du carnet social, les tirages étaient modestes, ils étaient même microscopiques, mais les hebdos, quand même, et jusqu’aux années 1950, établissaient déjà un lien au sein d’une société en net devenir.

C’était également l’ère de la composition au plomb, des tonnes de « galets » qui traînaient déjà dans les ateliers. Mais quand les années 1950 sont arrivées, il y a eu en même temps l’arrivée de l’offset sur le marché, et là, la presse hebdomadaire s’est lancée courageusement dans une grande opération de modernisation technique d’abord, qui devait la sauver tout en permettant aux imprimeries d’atteindre de nouveaux sommets. Rapidement, on a relégué aux oubliettes les bonnes vieilles linotypes, la fondeuse à plomb, le zinc, la fameuse « morgue » aussi. Et en même temps, la société québécoise entrait dans la période de la révolution tranquille et connaissait le phénomène de l’urbanisation. Autrement dit, nous avons tous été emportés par le changement qui a aussi permis aux hebdos de vivre et peu à peu de former des salles de rédactions. Il n’y en avait, il n’y en a pas encore partout, et on tâchait comme on pouvait de former des salles et d’atteindre des tirages intéressants. On a dû y parvenir puisque j’ai trouvé qu’il y avait un certain air de prospérité parmi ceux d’entre vous que j’ai rencontrés et puisque ces tirages font preuve aujourd’hui de solidité. On nous dit pourtant qu’aujourd’hui la presse hebdomadaire est à un carrefour. Sans doute, et je ne sais pas si, à ce carrefour, on va pouvoir trouver la bonne direction. En fait il faut se débrouiller là-dedans le mieux qu’on peut et essayer de maximiser les résultats positifs, d’abord parce que, depuis 25 ans, il y a eu la télévision.

Il est assez extraordinaire de penser que ça fait à peine un quart de siècle et que beaucoup de ceux qui sont dans cette salle ont été élevés avec la télévision. À quel point cela a changé le monde, je pense qu’on n’a pas encore commencé à l’évaluer, et d’ailleurs, par-dessus la télévision sont venus les satellites, par-dessus les satellites, cette espèce d’expansion invraisemblable du câble et de la câblo-distribution, tout ça s’ajoutant au cinéma qui existait, à la bonne vieille radio, à l’écrit qui est là depuis Gutenberg et qui, contrairement à ce qu’on raconte parfois, ne disparaîtra pas. Bref, nous sommes dans une époque où la loi, la seule loi qui semble stable, est celle du changement. Et dans ce changement, certains phénomènes sont devenus très perceptibles, créant même une émotion durable, comme par exemple la concentration, un mot décrivant une chose que l’on évalue parfois d’une façon subjective. Où doit-on en fixer les limites? La concentration des patrons et des propriétaires, c’est grave. Et la concentration syndicale, ça peut être grave aussi. En tout cas, le problème est là et on y fait face.

Il y a également le poids, qui est devenu de plus en plus décisif, lourd, déterminant, de la publicité, compte tenu de la nécessité du support publicitaire. Je ne parle pas de propriété publique, car dans ce domaine de la propriété publique, la publicité doit être la plus réduite possible. Moi, comme ancien journaliste n’ayant pas oublié le métier, je vous avoue que, par rapport à une société qui commencerait le moindrement à être saturée par l’information publique ou l’organisation des idées publiques, j’aimerais autant vivre ailleurs. Il y a donc forcément cette invasion devenue de plus en plus nécessaire d’un support publicitaire que tout le monde s’arrache. Ce qui a créé des problèmes, à la fois techniques et économiques, très complexes.

Seulement il y a une chose qui est simple et qui n’a pas changé depuis que l’imprimerie a été inventée, et même depuis que l’homme a appris à parler et à s’adresser aux autres. Le mot communiquer, dans tous les sens. Le fait que communiquer, c’est rejoindre les autres. Rejoindre les autres avec l’information, avec des idées, avec des opinions. Avec le divertissement aussi, ou les mots croisés, ou bien la page des programmes de télévision. Ça a toujours été vrai mais ça a pris un poids terrible à notre époque. L’information, c’est quelque chose qui nous permet de respirer, quelque chose de démocratique et qui donne le pouvoir de ne pas se faire charrier ni manipuler par une espèce de « Big Brother » qui contrôlerait tout. Il faut que la circulation de l’information et des idées demeure essentiellement quelque chose de libre.
Etre informé, c’est évidemment relatif: on peut être plus ou moins informé, on peut l’être trop à un moment donné et se retrouver « mêlé » à force d’information. Mais, de toutes façons, être informé, c’est être libre, et à notre époque en particulier. C’est une excellente définition de la liberté car quelqu’un qui n’est pas informé, qui n’a pas le minimum vital d’information, est un esclave. Il se fait manipuler par la presse, par la propagande, par n’importe qui, n’importe quand et n’importe comment. C’est la version moderne de ce qu’était l’esclave de l’antiquité. Ses chaînes sont invisibles, les chaînes du manque de connaissance des faits et de la réalité qui l’affectent. Ce qui souligne clairement, il me semble, l’importance vitale d’un métier comme le vôtre.

Cependant ce métier a le droit d’être rentable, d’autant plus qu’il est terriblement coûteux : la radio coûte cher à acheter et à faire fonctionner, la télévision encore plus et, dans les deux cas, il fallait être quasiment du bon bord pour avoir le droit d’avoir un permis. Quand c’était les « bleus » qui étaient au pouvoir, c’était les bleus qui avaient les permis de télévision ou de radio et quand c’était les rouges… C’est comme ça que se sont bâtis les réseaux. C’était la tradition et c’était fou comme ça. Remarquez que ça n’a pas donné nécessairement de plus mauvais résultats que s’il y avait eu des soumissions publiques, mais c’était ça. Le Canal 10 est venu au monde avec des « bleus » à Montréal, parce que c’était les « bleus » qui étaient au pouvoir. Dans le temps de Diefenbaker, c’était comme ça et on n’y peut rien. Ce qui ne veut pas dire que, à cause de l’évolution et du développement, ce n’est pas devenu aussi respectable que n’importe quel autre moyen d’information, mais ça impliquait à la fois de l’influence et de l’argent, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

Je n’ai pas besoin de vous faire de dessin en ce qui concerne les quotidiens, devenus maintenant des entreprises que seuls, quasiment, des groupes d’intérêts économiques importants peuvent se payer. Même nos amis les journaux anglais de Montréal, qui étaient naguère, il n’y a pas si longtemps encore, des entreprises avec des liens locaux, régionaux, des liens de familles au départ, sont devenus, la famille ayant épuisé ses moyens ou ses énergies, des chaînes de journaux possédées par des grands intérêts financiers, comme les Financial Post Publications, par exemple, et si j’ai bonne mémoire. Du côté français, la même chose, d’une façon, est arrivée pour les quotidiens. Devenus des choses énormes, pour eux, la liberté, au départ, voulait dire d’avoir les moyens matériels de la liberté d’expression. Car il y a le poids de la nécessité économique qui fait que ni radio, ni télévision, ni câble, ni évidemment les satellites, parce que ça dépasse les moyens de n’importe quelle bourse, ni évidemment les quotidiens non plus, ne peuvent être libres au sens où on n’est pas prémuni dans leur cas contre le danger que ce soit trop contrôlé et, à la limite, que ça devienne des monopoles. Des monopoles dans le domaine des idées, de l’information, ça serait le poison total. Et face à ça, dans une société démocratique, et très spécifiquement chez nous au Québec, vous représentez sans doute, même si vous n’y pensez pas tous les jours, un des remparts des plus puissants de la liberté. À cause de votre très grande diversité et de votre mobilité, et si l’on prend le mot liberté dans son sens véritable de libre circulation et de diversité nécessaires, vous pouvez, vous, collectivement, être un des remparts les plus importants de cette liberté, surtout si vous avez un souci croissant de la qualité du contenu, alors même que, finalement, le contenu fait la rentabilité, si on y pense.

Evidemment, la présence des hebdos n’a pas diminué tellement le côté dramatique, le côté étouffant à la longue, des conflits qui s’éternisent ou se sont éternisés pendant des mois, à « La Presse », à « Montréal-Matin », ou au « Soleil ». Il est évident que le fait que vous soyez là n’empêchait pas ces conflits-là d’être terriblement graves parce que nous avons seulement 14 quotidiens au Québec du côté francophone. Si on tient compte du « Droit » d’Ottawa, il en reste 11, et quand les trois manquants qui sont les trois principaux au point de vue du tirage, au point de vue de l’expansion régionale et inter-régionale, sont paralysés pendant tant de temps, c’est sûr que les gens le ressentent. Mais moi, comme d’autres, je me sentais un peu rassuré en pensant qu’il y avait quelque 200 hebdos qui, pendant tout ce temps-là, chaque semaine, continuait à distribuer quelque 1200000 exemplaires, semaine après semaine dans chaque région. Ce n’était pas complet, mais c’est extraordinaire ce que, du côté de l’écrit, ça donnait quand même l’impression que, à condition de ne pas regarder seulement les manchettes des grandes villes, l’information n’était pas tarie mais au contraire très présente. Ça ne signifie pas du tout qu’on n’a pas besoin des quotidiens. Au contraire, il en faudrait davantage puisque, sur les 14 qu’on a quand ils publient, il y en a 8 qui sont concentrés sur Montréal et Québec, et les autres à Sherbrooke et dans 5 agglomérations du Québec.

Si on regarde n’importe où ailleurs dans le monde où on a une préoccupation de l’information, je pense qu’on s’aperçoit à quel point on a du chemin à faire et des retards à rattraper. On est très loin, par exemple, derrière l’Ontario. On est encore plus loin derrière des petits pays d’Europe qui ont 4 à 5 millions d’habitants et des douzaines de quotidiens reliés à chacune de leurs régions. Or je pense que, compte tenu de l’évolution depuis les années 50 du développement dans le secteur que vous représentez, il suffirait d’un noyau quelque part qui se décide dans ce sens à un moment donné. Il y a des Italiens qui ont décidé de lancer un quotidien à Montréal l’autre jour. Je ne sais pas s’il va vivre, mais j’ai trouvé cela assez extraordinaire. Il suffirait qu’on fasse la preuve qu’il est possible d’avoir au moins un quotidien de plus dans chacune de nos grandes régions au Québec, et je vous jure que ça serait loin d’être excessif.

Sans doute, il y a des gens qui ont un peu peur en partant et qui disent : »Oui, mais regardez les statistiques. Il y a à peine 35%, un Québécois sur trois, qui lit des journaux ». C’est probablement vrai et c’est déplorable aussi. Seulement il y a un vieux proverbe qu’on peut renverser et qui deviendrait vrai pour n’importe quel groupe de gens décidés : ce n’est pas le besoin qui crée l’organe, c’est l’organe qui créerait le besoin. Je suis prêt à parier avec vous que ce serait vrai. Il ne faut pas se bercer d’illusions, mais je me souviens du temps où je faisais une émission de télévision qui s’appelait « Point de mire ». Il arrive qu’on en parle encore quelquefois. C’était la première fois qu’on faisait quelque chose du genre. C’est arrivé comme ça, je n’ai pas de mérite: c’est simplement que quelqu’un a eu l’audace d’essayer cette formule-là et me l’a proposée. C’était la première fois – c’était dans le milieu des années 50, encore au début de la télévision qu’on osait faire une émission de pure information et concentrée, pas une salade de variétés comme un bulletin de nouvelles à toutes les 30 secondes. C’était une demi-heure, et parfois une heure, purement concentrée sur un sujet, illustré le mieux possible et animé le plus possible, mais uniquement sur un sujet. Or, ce qui m’avait frappé, c’était de sortir du studio et, une heure ou deux heures après, de rencontrer un chauffeur de taxi, quelqu’un au coin de la rue, ou dans un restaurant qui commençait à discuter du sujet avec grand intérêt. Ce qui veut dire que si on essaie de rejoindre les gens dans leur curiosité et leur intelligence, et pas nécessairement dans cette espèce de côté snob du jargon spécialisé qui est une des plaies de notre époque, on rejoint l’intérêt des gens. Pour vous, qui êtes en plein coeur de l’actualité comme nous à ce moment-là, il suffit d’essayer de trouver quelle est la dimension qui va rejoindre l’intérêt des gens. D’autant plus que l’écrit ne disparaîtra pas. C’est bien beau, les histoires de MacLuhan et les théories qui disent qu’avant longtemps tout va marcher par son et par image. D’abord il y a la loi du pendule. Rendu à un extrême un moment donné, on revient à l’autre et ça finit par se stabiliser quelque part. Mais aussi il y a une conscience qui se répand du fait que le son et l’image, on peut finir par en être saturé, abruti même, si on en abuse. Ça ne rentre plus par les yeux ni par les oreilles et on est obligé de commencer à sélectionner, et beaucoup de gens de la nouvelle génération vont le faire de plus en plus. Ils y seront forcés parce que notre époque est extraordinaire au point de vue du nombre de curiosités nouvelles, d’intérêts nouveaux, d’inquiétudes nouvelles qu’en 20 ou 25 ans la société a apporté à peu près à tout le monde; de l’économie jusqu’à l’écologie en passant par ce qui arrive à l’école (on ne sait plus s’ils apprennent quelque chose ou s’ils n’apprennent rien), par la santé, par l’aménagement du territoire, l’évolution dans tous les domaines, le choix des professions.

Il y a vingt ou trente ans, il y avait peut-être une centaine de diplômés, aujourd’hui on en a 10000 et ils ne savent plus dans quelle direction s’orienter. Dans cette diversité, la société est devenue extraordinairement difficile même au point de vue des choix les plus fondamentaux, au point de vue de tout ce qui est politique, mais politique au sens le plus large du mot: l’administration de la Cité. Or ce sont là des domaines que le son et l’image, qui passent vite, dramatiquement, dans un bulletin de nouvelles, dans un forum, ne sont pas capables de fixer de façon à ce qu’on puisse faire là-dessus un minimum de réflexion et d’analyse. Rien, en tout cas dans un avenir prévisible, ne sera capable de remplacer l’écrit, que l’on peut mettre dans sa poche, apporter, pour y repenser. Le reste, ça passe et ça, ça reste. Moi, je sais bien que, dans le métier que je fais maintenant, je ne peux pas écouter très souvent les émissions de télévision parce que les horaires ne correspondent pas avec les miens. La radio, quelquefois, mais très rarement. Alors j’ai un besoin vital de pouvoir lire ce qui se passe et de me faire une idée à même l’écrit. Et je ne dois pas être le seul dans ce cas. Il faut faire un effort constant et constamment renouvelé. Et ce qui est à la fois fascinant et fatigant dans un métier comme celui de journaliste, c’est aussi cet effort renouvelé tout le temps, c’est le recyclage constant. Mais les journalistes, comme profession écrite, ne sont pas en train de voir la fin de leur histoire, ils commencent à peine à jouer le rôle plus central qui ait jamais existé pour cette profession-là, et justement parce que la société est devenue de plus en plus compliquée.

Comme dans l’univers, où on assiste, de cette poussière qu’est la terre, à une explosion constante, la société est faite de compartiments de plus en plus étroits, de plus en plus loin des uns des autres. Où sont les interprètes? Les gens de la politique? Ils doivent essayer mais n’y parviennent pas tout le temps parce qu’il y a trop de feux, trop d’urgences tous les jours, alors que le métier de journaliste est peut-être le seul qui peut à peu près essayer d’être l’interprète de tous ces compartiments qui se parlent à peine, qui se comprennent de moins en moins, parce que chaque compartiment a en plus son jargon, qui fait son identité jusqu’à un certain point, ou son statut social. Le lien, c’est quand même l’information et c’est ça, la noblesse et en même temps l’exigence du métier du journaliste. Ça exige plus que jamais de ceux qui veulent le faire.

Parfois c’est inquiétant parce qu’il y a une espèce de tendance, là comme ailleurs, au moindre effort, à la facilité, qui fait partie de notre époque mais ça exige plus que jamais la compétence professionnelle, avec à la base l’instrument essentiel de la langue, instrument de précision sans lequel on ne dit pas ce que l’on a à dire. Et, comme disait le président tout à l’heure dans sa présentation, c’est aussi l’honnêteté. L’objectivité, on n’en parle pas parce qu’il y a toujours un choix et que, par définition, un choix, ce n’est pas objectif, il faut choisir, on ne peut pas tout dire. Mais, au moins, que le choix soit honnête.

Et aussi ça exige et ça, on a toujours, surtout quand on vient du métier, un certain mouvement de tremblement parce que c’est quand même délicat et glissant ; en plus de tout le reste dont je viens de parler, ça exige que l’Etat joue un rôle, et qu’il fasse très attention à la façon dont il le joue.
Dans ce domaine essentiel qu’est la formation professionnelle, on a essayé modestement depuis une couple d’années de jouer un rôle, le ministère des Communications servant d’instrument pour aider à faire fonctionner des cliniques de formation à base régionale. C’est un rôle qui n’est pas discutable et qu’on pourrait accentuer sans arrêt parce qu’il y aura toujours des besoins de ce côté-là. Une autre chose: les données, qu’on appelle en anglais « data », une bande de données qu’on n’avait pas et qu’il a fallu constituer. Il a fallu ramasser, « rapailler » tant bien que mal, à la Canadian Press, qui est plutôt Pan Canadienne, ou dans des instruments américains ou nord-américains, des données dont on avait besoin pour mettre en ordre le peu de connaissances qui avait été concentré au Québec. Et c’est seulement le gouvernement qui pouvait le faire. On va en avoir un tableau de plus en plus complet et de plus en plus détaillé. Et il y a des projets que vous allez trouver évoqués dans le Livre Blanc qui vient d’être publié sur la culture, parce que les communications, c’est une partie de la culture. Je vais vous citer ce grand économiste, très à la mode, qui s’appelle Galbraith et que j’ai vu d’ailleurs récemment à Boston parce qu’il est en semi-retraite et est devenu une sorte de patriarche de l’économie. C’est un humoriste en même temps. Dans « Week End Magazine » en 1967, au moment du centenaire du système fédéral, on avait commandé à Galbraith, citoyen du monde et américain aujourd’hui de citoyenneté, ambassadeur de Kennedy aux Indes, un des rares économistes qui écrit une langue que tout le monde comprend, né et élevé en Ontario dans un collège semi-agricole de Guelph, en 1967 on lui a commandé un article dont le thème était: « Qu’est-ce qui serait le plus essentiel, le plus nécessaire, pour que le Canada fédéral vive un deuxième centenaire? » Il n’a pas répondu sur l’économie, qui est sa spécialité.

Il a dit: <"If Canada wants to live another hundred years,> la première chose, la seule qui est essentielle, c’est qu’il garde son identité culturelle par le contrôle des communications et des moyens de véhiculer l’information, les opinions, etc… Que le Canada garde le contrôle de ces moyens. S’il perd ça, il est fini. S’il garde ça, il connaîtra toutes sortes d’épreuves, mais il va vivre encore cent ans. » Et quand je lui en ai parlé du point de vue du Québec, il m’a dit dans un coin: « Tu as raison, c’est encore plus vrai a fortiori pour vous autres. Avant que le problème économique conditionne votre existence, l’important est que vous en ayez une existence, et une identité. » Il y a un autre projet qui concerne le coup de main que l’Etat devrait donner du côté de la distribution. C’est un des pires problèmes qui confrontent le métier de la presse écrite. En France, ils ont des messageries, dans d’autres pays d’Europe ils ont quelque chose d’équivalent et tout le monde a le droit d’embarquer. C’est le véhicule de distribution qui met à la portée de ceux, individus, groupes, partis, mouvements, qui veulent publier légitimement quelque chose, la possibilité de rejoindre leur public. C’est un domaine névralgique où l’Etat devrait donner un solide coup de main et de façon permanente.

Il a aussi été question d’une agence de presse québécoise qui permettrait de collecter dans le milieu ce qui paraît essentiel pour élargir notre éclairage, élargir notre butin si vous voulez, parce qu’on est dans le monde et non une petite planète séparée. On attend un rapport sur cette question et je suis loin d’être sûr que le projet soit mûr mais, au point de vue de la solidité de nos instruments, ça peut devenir nécessaire. Cependant il y a une chose plus importante dans l’immédiat pour nous : c’est de démêler l’information gouvernementale, qui a toujours été un fouillis. On fait un effort et je pense qu’il va améliorer les choses avant longtemps. Mais il y a quelqu’un du métier à qui je demandais son opinion sur ce projet d’Agence. Il m’a dit: « Pour l’amour du ciel, arrêtez donc de penser à une Agence de presse. Vous avez à peu près l’équivalent de trois agences de presse qui traînent sur toutes les tablettes du gouvernement, dans tous les ministères, sous la forme de secteurs de l’information et vous n’êtes même pas capables de faire de l’information convenable comme gouvernement ». On a donc encore du chemin à faire, mais on a au moins conscience du problème.

Et il y aussi la publicité gouvernementale, la publicité de l’Etat. Dans le passé, il y a eu une tradition arbitraire, de discrimination, basée sur les petits amis, basée aussi sur le moindre effort, qui a fait que cette publicité n’allait, par facilité, que vers les quotidiens. En un an et demi, si on n’a pas tout corrigé, on a fait un effort qui commence à donner des résultats, et qui doit continuer à en donner parce que c’est un des domaines où on n’a pas le droit, justement, de rester dans cette espèce de discrétion pseudo-princière qui a toujours présidé à la distribution de millions essentiels à la santé de l’information. Le support de la publicité, soit ! à condition qu’il soit distribué correctement et en fonction des besoins de la population. On a donc commencé par établir un système de soumission, qui fonctionne maintenant, du côté des agences, de façon à ce que ce ne soit pas toujours les mêmes qui s’engraissent et que ça maintienne une stimulation. C’est beaucoup plus sain et de toutes façons, c’est la seule manière d’employer les fonds publics.

On a aussi commencé à réorganiser cette espèce de jungle où les contrats, c’était l’argent au plus fort la poche, et où votre secteur spécifique avait été bêtement négligé. Le secteur des hebdos était victime d’une négligence absurde, à cause des tirages, à cause du fait de ces racines locales ou régionales qui font que la population est là et que, si on veut la rejoindre, il faut la rejoindre là. Mon collègue O’Neill, des Communications, a donc commencé d’établir un plancher minimum de 5% des budgets qui irait vers la presse régionale ou la presse hebdomadaire régionale. Les 5%, c’est purement caricatural et il s’agit d’intensifier, à condition qu’on sache comment on emploie les budgets, les efforts de ce côté-là. C’est très récent et le dernier exemple de ce qui se passe est celui du programme OSE, que vous avez dû voir à la télévision. Il s’agit du programme de maintien et de stimulation de l’emploi, qui a des volets pour plusieurs secteurs de l’économie et représente 250 millions d’ici un autre 12 mois, d’investissement direct tant pour les entreprises que pour des municipalités selon les cas. Dans le budget de publicité
écrite, pour la première fois je pense , on a fait un départage complètement nouveau et sur le budget, ça équivaut à 67,000 $. Ce n’est pas un énorme budget mais c’est un départ, parce que c’est un programme important. Si on veut rejoindre les gens, les intéressés, il faut que ce soit là où ils vivent, pas uniquement dans les grandes salles de rédaction de Montréal ou les grands bureaux de perception d’annonces de Montréal. Alors on s’en va dans cette direction et je ne vous le dis pas pour vous faire plaisir mais on le fait parce que vous représentez un secteur vital et que cela nous paraît être l’endroit où il faut mettre un accent qui n’avait jamais été mis avant. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’on compte sur vous aussi pour nous indiquer d’autres moyens, s’il en existe légitimement, qu’on doit employer et, le cas échéant pour ne pas vous gêner pour nous harceler.

Et puisque je vous demande vos suggestions, je vais de mon côté me permettre très simplement de vous en faire deux, concrètes, honnêtes, pas objectives parce qu’on n’est jamais objectif. L’une est économique et l’autre est politique. La suggestion économique, c’est celle-ci. Je vous parlais du programme OSE. Dans les difficultés économiques dont tous les pays occidentaux , de ce temps-ci, sont affligés, chacun doit tirer son épingle du jeu. Or la meilleure façon, d’abord et avant tout, de tirer son épingle du jeu, c’est d’être conscient qu’il n’y a personne, fondamentalement, qui va nous faire cadeau de notre progrès. « Aide-toi et le ciel t’aidera », les sages font les proverbes, les sots les répètent, en tous cas, je suis prêt à prendre le risque… C’est vrai fondamentalement et on a tout ce qu’il faut pour s’aider à condition qu’on se rende compte qu’on doit le faire économiquement. Le programme OSE, il est sous-tendu aussi par une politique d’achat. Il faudrait qu’un jour on arrête d’en parler et qu’on la pratique, cette politique d’achat. Les employeurs, dans vos régions, ils vont l’acheter, votre journal, s’ils sont capables d’employer du monde. Ils vont mettre de l’annonce dans votre hebdo. Ils vont publiciser le produit qu’ils font à Montmagny, à Trois-Rivières, partout dans le Québec, de Gatineau jusqu’à Gaspé et de l’Abitibi jusqu’à Sherbrooke ou jusqu’à la frontière américaine. Partout. Et on serait parmi les derniers « quétaines » de l’humanité si on ne comprenait pas cela. Les Américains l’ont compris, il y a une loi aux États-Unis qui s’appelle « The Buy American Act » et ils n’ont pas demandé la permission et ils ne se sont pas excusés pour faire ça. Vous l’avez compris comme d’autres l’ont compris. Il vient un moment où ça rentre dans les moeurs et où on n’a plus besoin de le proclamer lorsqu’enfin c’est rentré dans nos habitudes. Si les entreprises de chez nous doivent continuer, il faut qu’on achète leur produit. Si leur qualité n’est pas tout-à-fait correcte, il faut qu’on leur dise. Si leur prix n’est pas tout-à-fait correct, il faut se donner un coup de main et voir si ce n’est pas en augmentant le volume que le prix va avoir une chance de baisser.

Un jour ou l’autre, il y en a de plus en plus qui sont capables de pénétrer des marchés à l’extérieur mais à la condition qu’ils ne se sentent pas boycottés sur le marché de chez nous. Chaque fois qu’on y pense, on maintient de l’emploi. Chaque fois qu’on y pense, on aide à créer de l’emploi. De la même façon, si les gens oublient vos journaux et cessent de les acheter, et s’il y a des gens qui disent: ils ne « véhiculent » pas assez, j’arrête d’acheter de l’annonce, vous n’existez plus et c’est la même chose pour les autres. Il y a un minimum de solidarité là-dedans et ça, c’est la suggestion économique. C’est comme l’oeuf de Christophe Colomb. Il y a une solidarité essentielle dans une société et dans l’économie, ça joue autant qu’ailleurs, sinon plus. Si on n’apprend pas cette leçon, on aura beau continuer à dire dans tous les coins: il faut telle loi, ou il faut littéralement prendre des millions pour aider les entreprises, etc., ça sera toujours la respiration artificielle jusqu’à un certain point, si on n’a pas nous-mêmes fondamentalement compris que le support de mon économie, c’est d’abord moi-même, ce n’est pas les autres à ma place.

J’ai dit que j’avais une deuxième suggestion au point de vue politique. C’est très simple. Chacun de nous a ses appartenances, même si ça commence à se polariser un peu. Mais il reste quand même qu’on est tous pris dans une même société. On est tous des Québécois. Or là, on est à un carrefour et il fallait bien qu’on y arrive depuis le temps que tout le monde disait: mais qu’est-ce qu’ils veulent, « What does Quebec want », etc… Pour la première fois, non seulement on va avoir besoin de décider, mais c’est nous qui allons avoir besoin de décider tout seuls. Comme des gens qui sont devenus des grands garçons, on ne se fera plus parachuter des décisions par n’importe qui de l’extérieur, on prendra la décision qu’on voudra, mais ça va être la décision la plus importante depuis que Champlain a fondé Québec, parce qu’on a toujours été la colonie de tout le monde. Pour la première fois, c’est nous qui allons décider tout seuls.
J’avertis ceux qui n’aiment pas que ça que, tant pis pour eux, ça va être cinq minutes maximum pendant lesquelles, avant de terminer, je vais faire mon refrain partisan, parce que, même si je le voulais, je ne serais pas capable de m’empêcher de le faire. On a cette décision à prendre et, comme tous ceux qui ont été colonisés depuis leur arrière-arrière grand-père, on va nous traiter comme des coloniaux. En tout cas, on risque sans cesse de nous traiter comme des coloniaux, des colonisés, c’est-à-dire à la fois par la peur, par l’estomac et par le mépris. C’est à peu près les trois choses les plus classiques qui ont servi partout dans le monde à empêcher les gens de se décider quand ils avaient l’occasion de le faire. C’est un instrument difficile, comme quelqu’un qui apprend un nouveau métier. C’est difficile à manoeuvrer, la responsabilité, quand on ne l’a jamais connue. Collectivement on ne l’a jamais eue, alors il est normal qu’on essaie de nous empêcher de mettre la main sur cet instrument. Donc on essaie la peur, on essaie l’estomac (tu vas crever de faim si tu fais ça) et on essaie forcément aussi le mépris, compte tenu que ce qu’il y a de terrible dans le mépris, c’est qu’il vient souvent de l’intérieur de nous-mêmes. Exemple classique de la peur : on est trop petit pour faire quoi que ce soit. Rien que 6 millions, c’est trop petit. On oublie de dire que 4 millions de Danois sont plus riches que nous, qu’ils sont un pays depuis un grand bout de temps et on oublie de dire que la Norvège a 4 millions d’habitants. Entre nous, on entre dans une épicerie et on trouve du hareng et toutes sortes de produits norvégiens. On trouve des Norvégiens dans bien des coins où nous, nous n’avons jamais pensé pénétrer, même chez nous. Ils sont seulement 4 millions mais eux, ils s’appartiennent. Ils n’ont pas eu, dans le testament d’Adam et Eve, un génie que nous n’aurions pas eu. C’est simplement qu’ayant eu à s’assumer, à prendre leurs responsabilités, il a fallu qu’ils se débrouillent, au point que, sur n’importe quelle échelle de la qualité de la vie et la rentabilité d’une société, ils sont en avant de nous. Alors on nous fait peur, on nous dit que nous sommes trop petits. Il y a même des gens qui veulent nous rapetisser encore. Hier, un personnage du fédéral disait, ils sont un peu excédés de ce temps-là et il y a certains de leurs mauvais coups qui ont mal tourné, ils sont de mauvaise humeur et les sondages ne sont pas toujours très bons, on n’y peut rien, mais ça crée leur morosité, il y a le dénommé André Ouellet qui est allé dire quelque part dans l’Ouest: « Ne faites pas de front commun avec le Québec. Même si le Québec a raison, méfiez-vous parce que c’est une bande de saboteurs, etc. Et là, il a commencé à déblatérer en disant en plus : « Pourquoi ils ne font pas disparaître leur ministère des Affaires intergouvernementales, qui devrait être purement et simplement un petit bureau dans les ambassades du Canada? » Autrement dit, on n’a pas le droit de parler aux autres, on est un peuple, mais nous devrions faire disparaître ces gens qui nous représentent ici et là, à l’étranger. C’est assez curieux, parce que, en plus d’être organisateur politique, ce qui est son droit, Monsieur Ouellet est également ministre des Affaires urbaines. Et c’est assez curieux qu’il parle de faire disparaître un ministère du Québec qui est un ministère de communication avec le monde, et qu’il en parle assis le derrière dans le fauteuil des Affaires urbaines, c’est-à-dire du ministère le plus inutile, le plus encombrant, le plus chinois et le plus contraire à tout fédéralisme qui ait jamais été inventé à Ottawa. C’est le gars qui voit vraiment la paille microscopique dans l’oeil du voisin et qui ne voit pas la poutre dont le sien est encombré depuis qu’il a été nommé là. Ces gens-là veulent toujours qu’on soit plus petit, et plus on serait rapetissé et ratatiné, plus il y aurait de chances qu’on demeure indéfiniment la colonie intérieure qu’on a toujours été.

Et puis il y a l’argument de l’estomac parce que, si on ose se décider, on va être boycotté, on n’aura plus de « jobs », on ne pourra plus gagner notre vie. Les Américains n’achèteront plus les pâtes et papiers du Québec parce que, si ce sont des pâtes et papiers qui ne sont plus marqués « provincial », le papier ne sera plus bon. Ils ne viendront plus chercher le minerai de fer au Québec parce que du minerai de fer, qui deviendrait national, serait sûrement taré et il ne pourrait plus faire du bon acier. C’est fou comme ça et pourtant ce sont des choses qu’on essaie de rentrer dans la tête du monde. Or il y a même des gens à Toronto, Abraham Rotstein, qui n’est pas membre de notre parti et qui est un économiste solide, qui a dit, en ce qui concerne l’association: je vais faire le calcul. Combien y a-t-il de « jobs » en Ontario, directement, qui disparaîtraient, qui s’effondreraient, si le Québec n’était plus là? Autour de 120, 130000 en partant, sans compter les « jobs » indirects. Je parlais avec des gens de grandes compagnies (après tout, dans la fonction que j’ai maintenant, il faut bien que ça m’arrive assez régulièrement, mais c’est instructif). Je parlais avec des gens de grandes compagnies – quand ils parlent en privé, ce n’est pas toujours la même chose qu’on entend en public, qui disaient par exemple que, dans certains secteurs hautement spécialisés et hautement fragiles, il faut beaucoup de capital. Et quand on a beaucoup de capital, il faut du rendement, il faut la haute intensité de main d’oeuvre, de capital, d’équipement, de renouvellement, etc… Il y a beaucoup de ces secteurs-là qui, au Canada, dépendent à 30 ou 35% du Québec. Rotstein a calculé à partir de là quelque 120 ou 130000 emplois directs, d’ailleurs parmi les mieux payés, qui dépendent strictement du Québec. Qu’un accès de mauvaise humeur leur fasse dire tout à coup: « Nous n’achetons plus du Québec, on peut les remplacer demain matin », et ils perdent 120000 ou 130000 jobs le lendemain matin. L’association, c’est ça. Mais l’argument à l’estomac, c’est l’argument du genre « petit nain québécois qui va mourir de faim »…

C’est à l’usage des colonisés. C’est pour empêcher une décision très simple née de la constatation que le développement dont nous avons besoin, c’est nous qui allons le faire et que, si on ne le fait pas nous-mêmes, il n’y a personne qui va le faire à notre place. Ou ça va toujours être fait de travers, ce qui est le cas dans beaucoup de nos secteurs.

Et finalement il y a l’argument du mépris, le pire, le plus sournois parce qu’il vient souvent de chez nous. Par exemple, il y a de nos adversaires qui s’en vont véhiculant ici et là, dans le Québec, que la liberté du peuple québécois voudrait dire, peut-être, un danger pour les libertés des citoyens. Et, ça veut dire quoi, quand on gratte un peu? Je le dirais en trois langues si je pouvais le dire en plus que deux, ça veut dire ceci: essayer de faire croire au Québécois que, si jamais il devenait libre, comme tout le monde le devient de plus en plus collectivement dans le monde, il ne serait pas assez adulte, il ne serait pas assez civilisé pour respecter les droits des individus, les droits des autres. On n’est pas parfait, on le sait, et il faut faire attention à tous nos défauts, y compris aux dangers qu’on peut courir en cours de route. Mais est-ce qu’on a des leçons à recevoir de certains de nos enseignants de la civilisation ici même en Amérique du Nord? Qu’on regarde par exemple la Loi 101, comme la Loi 22 que nos prédécesseurs libéraux avaient passée, au point de vue de la langue. Qu’on regarde quel est l’état de la minorité anglophone au Québec, état de solidité, d’équipement sur-développé, sur lequel elle peut compter de l’école à l’université, et du Star à la Gazette en passant par Channel 12 et Channel 6, et tout le reste, et qu’on compare avec ce qui a été accordé, ce qui a été toléré à nos minorités francophones, ou ce qui en existe encore dans le reste du pays, et après ça qu’on vienne nous faire des leçons sur la liberté et la façon de respecter les droits des autres.

J’arrête mon plaidoyer sur ces trois arguments qu’on va retrouver le long du chemin: la peur, l’estomac et fondamentalement, sournoisement, le mépris qui essaie de miner le respect qu’on peut avoir de nous-mêmes. Je ne vais pas vous demander quelque chose de partisan, mais je reviens à ce que j’avais à dire: vous êtes présents partout, dans toutes les régions. Votre vocation essentielle, c’est d’être le véhicule de l’information, des idées, du divertissement, aussi mais des choses importantes que les citoyens doivent savoir. Vous êtes un instrument de communication. D’ici peu de temps, il va y avoir un référendum. Pour la première fois depuis que le Québec existe, on va avoir à choisir. Tant qu’on se fera manipuler par toutes sortes d’influences extérieures, ça va continuer. Mais on va avoir quand même à essayer de faire un choix adulte et réfléchi, un choix qui ne soit pas conditionné par la peur ni par un creux artificiel dans l’estomac, ni par les arguments du mépris. Autant que possible, que l’esprit et le coeur travaillent, et pas uniquement les choses les plus basses.

A ce point de vue-là, il me semble que vous pouvez faire une contribution extraordinaire. D’ici quelque temps, à l’automne, à la fin de l’année, qu’est-ce qui vous empêcherait d’ouvrir vos colonnes régulièrement, semaine après semaine, également à ceux qui soutiennent notre option et à ceux qui la combattent? Il n’y aura jamais eu de débat plus important dans toute notre histoire. C’est en fait le débat central de notre histoire qui s’amorce. Vous êtes placés dans toutes les régions, ça serait très rentable et ça va devenir de plus en plus passionnément intéressant. Vous éditorialiserez tant que vous voudrez de la façon que vous voulez, ça c’est votre droit le plus sacré, mais que vos colonnes soient ouvertes également que vous agissiez non pas comme des petits partisans manipulés ni de notre bord ni d’aucun bord, mais comme des citoyens responsables et conscients de l’importance de l’instrument que vous détenez. Je pense que, si je le dis de notre côté, ça va être vrai pour les autres: je vous jure que vous ne manquerez pas de matériel, et je pense qu’à ce moment-là, je vous suggère une chose très simple, fondamentalement, très facile et qui serait aussi une participation extraordinairement utile, jusqu’à un certain point indispensable même, au débat le plus important et le plus déterminant de toute notre histoire.

Merci beaucoup.

[QLVSQ19780608]

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