Bonsoir,
Je voudrais remercier Radio-Québec, au départ, pour l’offre qu’ils nous ont faite, au parti ministériel comme au parti de l’opposition, de vous rejoindre directement comme ça, pendant quelques émissions.
Alors, maintenant je ne vous surprendrai probablement pas en vous apprenant qu’on va parler encore une fois de budget. C’est-à-dire de ce nouveau budget du Québec, qui doit filer jusqu’au 31 mars de l’an prochain, 31 mars 1983 pendant 12 mois. Bien sûr, ce n’est pas le plus inédit des sujets depuis une semaine, mais vu que c’est pour 12 mois quand même, et que ça affecte tout le monde d’une façon ou de l’autre, je pense qu’il n’est pas mauvais d’essayer de voir clair, quelques fois, dans ce sujet. C’est assez compliqué.
Il était attendu, le budget, avec pas mal d’appréhension, je pense que vous vous en souvenez, vous avez vu ça. Il a été accueilli, finalement, dans certains cas avec soulagement, chez d’autres avec déception. Et de toute façon, sans provoquer dans l’ensemble de la population – je ne veux pas dire qu’il n’y a pas des exceptions, vous allez voir mais sans provoquer dans l’ensemble, des réactions qu’on pourrait qualifier de délirantes. D’autant plus que cette année, on avait eu amplement le temps de le voir venir le budget. L’an dernier, en 1981, on se souviendra peut-être qu’il était présenté au tout début de mars, c’est-à-dire plus tôt que d’habitude, en fait, bien avant la date habituelle. Et ça, c’était en vue de ne rien cacher de ce qu’on savait, avant d’entrer en campagne électorale. Ce qu’on savait, hélas, on ne pouvait pas – pas plus que personne – deviner jusqu’où ça irait. Mais ce qu’on savait déjà, c’est que la situation économique était plutôt inquiétante, déjà l’an dernier, au printemps. Et que par conséquent il fallait entrer dans une certaine période d’austérité et c’est là qu’il y a eu des coupures, des contraintes budgétaires, que tout le monde a appelé des coupures. En fait, il y en a eu pour 800 millions $ dans le budget de l’an dernier. Et malgré ça, comme la situation a continué à empirer, à l’automne – et ça , sûrement vous ne l’avez pas oublié – en novembre, il y a eu un budget supplémentaire où on s’est vus forcés d’aller chercher des taxes, surtout sur l’essence, pour plusieurs centaines de millions, afin de terminer cette année, sans trop de risques pour l’équilibre financier, et pour les crédits de l’État québécois – parce que si on compromet le crédit de l’Etat, bien, on n’est pas avancé, personne.
Alors, après ça, il y a eu l’hiver, et ce printemps-ci de 1982. Et là, ça s’est dégradé encore davantage. Alors, cette fois-ci, au lieu de se précipiter, bien, on a attendu le plus longtemps possible, jusqu’à la fin de mai, il y a quelques jours. C’est-à-dire, cette fois, le budget le plus tardif qu’on n’ait jamais vu. Pourquoi? La raison est bien simple. C’est qu’on nageait dans une foule d’incertitudes jusqu’à tout récemment. Mais au milieu de ces incertitudes, on pouvait quand même entretenir quelques vagues espoirs, tel que ça s’améliore, ou du moins que ça commence un peu à s’améliorer, peut-être que les taux d’intérêt meurtriers allaient commencer à diminuer un peu. Et à force de subir ce remède qui risque à la longue de tuer tous les malades, bien peut-être, au moins, l’inflation – parce que c’est elle qu’on est censé combattre – l’inflation allait-elle baisser un peu substantiellement? Parce que vous savez, quand on est un État provincial, c’est-à-dire qu’on n’a pas les grands instruments des États souverains, on est un peu comme tout un chacun, nous autres au gouvernement, c’est-à-dire quand il s’agit d’acheter des choses, des services et des biens, l’inflation, c’est-à-dire la montée des prix, ça affecte le budget. Et puis, pour tous les emprunts, je n’ai pas besoin de vous dire que les taux d’intérêts, ça nous cogne aussi. Seulement, malheureusement, on a eu beau attendre, ça ne s’est pas amélioré.
Et pour illustrer un peu, si vous voulez, la gravité, et en même temps l’ampleur internationale de la crise à laquelle il faut faire face, et bien, j’ai pris les derniers indicateurs – comme on dit dans le jargon – à propos des trois pays qui sont probablement ceux que nous connaissons le mieux, et qui, en plus, ont le plus de relations avec nous. Le Canada bien sûr, la France qui est à peu près la médiane de l’immense marché commun européen, la communauté économique européenne et qui a d’ailleurs une politique différente des autres, et les États-Unis, qui sont notre voisin et le moteur de toute l’économie occidentale.
Alors, les trois indicateurs les plus récents: taux d’intérêt, inflation et chômage, c’est-à-dire le désastre humain qui est causé par la dislocation économique que les deux premiers facteurs peuvent infliger. On n’a jamais rien vu comme ça. Ce que vous avez, aux États-Unis, comme taux d’intérêt actuellement, c’est 16,5%. C’est-à-dire, 16% en réalité, parce que plus récemment, ça a baissé autour de 16%. Evidemment, le taux à court terme est différent, mais enfin, ça c’est le taux le plus courant: 16%. En France, en plein milieu de ce qu’on peut appeler l’écart à l’intérieur du marché commun, c’est 16,5%, les taux d’intérêt courants. Et chez nous, on est les champions encore à peu près du monde occidental: 17% en ce moment. À court terme, c’est même 2% de plus qu’aux États-Unis; là, c’est seulement 1%.
Pour ce qui est de l’inflation, les Américains ont réussi à la baisser, grâce à toutes les contraintes et à un effort qui a été plus consistant que celui des autres pays, ils ont réussi à baisser leur taux d’inflation à 7%. Mais pour ce qui est de la France et du Canada, bien, en France c’est 14,1% en ce moment; et un peu plus, un peu moins, c’est un peu comme ça partout dans la communauté européenne. Et puis, au Canada, on a eu 12,5% l’an dernier, et on espère que ça baissera en bas de ça, mais le plus récent chiffre était autour de 11,3%. C’est guère mieux que c’était, puis, on touche du bois et on attend. Maintenant, le résultat évidemment, les contraintes que ça impose à l’économie, de la cassure internationale que ça inflige à l’économie, bien, c’est le taux de chômage. Et le taux de chômage aux États-Unis il est à 9,4%, c’est sans précédent, le taux de chômage actuel. En France, il est à 8,7% au plus récent résultat, c’est sans précédent. Et puis, au Canada, il est à 9,6%.
Et tout ça, comme résultat de cette catastrophe économique, c’est à peu près les pires chiffres qu’on ait vu de mémoire d’homme, depuis une cinquantaine d’années.
Alors, évidemment, je n’ai pas besoin de vous dire que tout ça, ça nous affecte directement, sans arrêt, nous autres aussi au Québec. Les prix d’intérêts, qui cassent les reins des entreprises, l’inflation qui persiste, en grugeant tout le monde. Ca, comme province on n’y peut rien. À Québec, on n’y peut rien. Et l’effet catastrophique de tout ça, qui est le chômage, bien, il augmente chez-nous en conséquence aussi: il compile à peu près à 13% en ce moment, ce n’est pas un cadeau, c’est même pire que tout ce qu’on avait vu dans le passé. Mais c’est moins que dans les Maritimes, mais c’est plus qu’en Ontario et plus que dans l’Ouest du Canada. Et ça, c’est conforme à cette damnée tradition du fédéralisme canadien, tel qu’il a été vécu, c’est-à-dire qu’on s’est toujours plus occupé du développement à l’ouest de l’Outaouais qu’à l’est, là où nous sommes, et les Maritimes aussi. C’est pour ça d’ailleurs qu’il y a cet élément de compensation, qui est une sorte de minimum de correctif, qu’on appelle les paiements de transferts du Fédéral. C’est-à-dire ces montants, qui viennent chaque année combler, en partie mais en partie seulement, ces écarts de rendement que les politiques fédérales, elles-mêmes au cours des années, ont contribué à creuser, entre les provinces et les régions du Canada. Or, ça aussi jusqu’à tout récemment, ça faisait partie des incertitudes de cette année, et même des derniers mois.
Ces accords fiscaux, comme on les appelle – parce que ce ne sont pas des accords véritablement, on peut discuter, on peut parler, mais finalement, la décision appartient seulement au Fédéral, c’est lui qui décide, bon – ces accords fiscaux, en tout cas, ils sont renouvelés normalement à tous les 5 ans. Et cette année, 1982, était justement l’année du renouvellement. Alors, on avait été avertis d’avance qu’Ottawa avait l’intention de se débarrasser d’une partie de son propre déficit sur le dos des provinces, en réduisant ses paiements de transferts. Mais on ne savait pas à quel point. Ça a pris du temps avant de le savoir.
L’incertitude a traîné pendant des mois. Alors, ce qu’on savait déjà il y a quelques mois, on avait fait ce dessin pour la conférence économique qui a eu lieu à Ottawa, qu’on appelle la conférence des Premiers ministres. Et bien, ce dessin-là prévoyait – et entre nous, le dessin est encore valable – il prévoyait des recettes fédérales – les deux colonnes, ce sont les deux années 1981 – 82 1982 – 83 – que les recettes fédérales augmenteraient à peu près de la même façon: 19,5% chaque année. Seulement que les dépenses du Fédéral, à part les paiements de transferts aux provinces, ça diminuerait pour cette année de 13,5%, contrairement à une augmentation de 18%. Autrement dit, ça augmenterait de seulement 13,5%, au lieu de 18 l’an dernier, Pourquoi ça augmenterait moins ? Parce que les paiements de transferts aux provinces, eux, ils baisseraient d’une augmentation annuelle d’à peu près 8 ou 9%, à 0. Finalement, ce n’est pas tout à fait zéro, parce que ça a pris du temps avant que tout ça soit réglé, c’est pas tout à fait zéro que les provinces ont eu, mais ont eu infiniment moins que ce que à quoi elles pouvaient s’attendre si on avait continué avec le régime qu’on avait depuis 5 ans.
En fait, pour le Québec, ça c’est 530 millions de $ de moins dans le budget de cette année. Alors, ce que ça nous donne comme tableau, c’est ceci.
En plus de la crise économique, qui forcément fait augmenter le chômage, qui fait baisser les revenus par voie de conséquence, qui fait augmenter en même temps le coût de l’aide sociale, en plus de tout ça, il a fallu subir cette ponction au Québec, de quelques 530 millions $ de moins, en paiements de transferts. C’est-à-dire, une ponction plus grave au Québec que pour n’importe quelle autre province, ce qui est parfaitement injuste, mais, comme c’est une décision qui est prise au Fédéral seulement, il faut l’avaler ! Ce qui fait que cette année budgétaire est encore plus serrée cette fois-ci que l’an dernier. En fait, c’est la plus serrée qu’on n’ait jamais vue de mémoire d’homme. Donc, encore une fois, premièrement, il a fallu couper, il faut couper plusieurs centaines de millions, cette année encore, dans les dépenses. Des dépenses qu’on pouvait se permettre dans le passé, mais que désormais il faut réduire. Et en même temps, on doit augmenter aussi le prix de certains services, afin de réduire le déficit. Parce que depuis longtemps, les prix de ces services étaient très loin du coûtant. Autrement dit, c’était subventionné, indirectement.
Et en voici, parmi les plus intéressants, trois exemples, pour illustrer ce que ça représente. Parce que ces exemples nous permettent de voir en même temps, que même si c’est dur ce qui arrive, des compressions par ci, des augmentations par là, ça nous laisse quand même dans une situation, la plupart du temps ici au Québec, qui est encore privilégiée par rapport à d’autres dans le reste du Canada. C’est-à-dire aussi – il faut y penser – que sans doute, certains de nos programmes et services étaient allés trop loin trop vite, par rapport à nos moyens. Ainsi, il y a deux semaines à peu près, on devait annoncer une réduction du nombre de médicaments couverts – c’est-à-dire gratuits – pour les personnes âgées et les bénéficiaires de l’aide sociale. Soit dit en passant, il y a seulement 3 provinces à part le Québec, 3 sur 10 – 4 sur 10 avec le Québec – la Nouvelle-Ecosse, l’Ile-du-Prince-Edouard et l’Ontario, qui couvrent à 100% ce que ça coûte, ces médicaments. Partout ailleurs on charge une forme quelconque de frais modérateurs. Nous, on n’a pas ajouté de frais modérateurs, mais on s’est sentis obligés d’enlever de la liste, récemment, des médicaments qui n’exigent pas d’ordonnance, qui ne sont couverts à peu près nulle part ailleurs au Canada, sauf quelques rares exceptions, et par conséquent, ça nous a donné une liste de médicaments couverts qui comporte quelques centaines de médicaments de moins qu’auparavant. Seulement, regardez ce que ça donne comme comparaison avec ce qui se passe ailleurs.
Les médicaments couverts en Ontario, aujourd’hui, il y en a 1316. En Saskatchewan, qui a été le plus longtemps un peu la province considérée la plus progressive de l’Ouest canadien, il y en a seulement 982. Et au Québec, en dépit des réductions toutes récentes, il en reste sur la liste 1669.
Et toute récente elle aussi, il y a une autre réduction partielle de services qu’il a fallu faire, c’est celle qui affecte les soins dentaires qui sont gratuits pour les enfants, jusqu’à tel âge. On a principalement décidé de limiter la fréquence de certains actes, qui était devenue absolument excessive, qui était en train de devenir ruineuse. Et puis aussi, en même temps, on va transférer les soins préventifs, qu’on peut appeler en quelque sorte une éducation dentaire, on va transférer ça vers le réseau public, plutôt que dans les cabinets privés des dentistes. Parce que comme ça, ce sera beaucoup plus accessible pour tous les enfants. Bon. Mais cela étant dit, le plus important qu’il faut souligner, c’est ceci : à part le Québec, ces soins dentaires gratuits pour les enfants, universellement accessibles, à part le Québec, il y a deux provinces seulement au Canada, qui se sont permis de tels programmes: c’est la Nouvelle-Ecosse et la Saskatchewan. Donc, 3 sur 10.
Maintenant, dans les augmentations du prix des services, il y a un exemple tout récent lui aussi, et qui a créé une certaine effervescence pendant quelques jours, dans quelques régions en tout cas, et c’est à propos des autoroutes. Ca fait depuis 1958, sauf des baisses – pas des hausses – des baisses aux heures de pointe, mais ça fait depuis 1958 qu’en gros, c’est 0,25$ partout à chaque poste de péage. Maintenant ça va être doublé, c’est-à-dire qu’en Estrie par exemple, l’autoroute de l’Estrie, ça passe de 1,25$ à 2,50$. Maintenant, comparons un peu avec ce qui se passe chez nos voisins, qui ne sont pas plus pauvres que nous, aux États-Unis: la moins chère des autoroutes, le New-York Throughway, actuellement, traduit en dollars canadiens, pour le même kilométrage, c’est 3 $ à peu près, d’après les derniers renseignements qu’on m’a fournis. Et à l’autre extrême, la plus chère aux États-Unis, c’est en Pennsylvanie, le Turn Pike de Pennsylvanie, à 19 $ en argent canadien, et également, le même kilométrage. Alors, comparez avec l’Estrie, où ce sera maintenant 2,50$. Première hausse depuis 1958. C’est peut-être pas mauvais de se rappeler aussi que pour le transport en commun, pendant ces mêmes années, de 1958 à 1982, il y a eu une augmentation, pour les gens qui prennent le transport en commun, de 400%. Pas 100%, 400%.
Alors, voilà 3 exemples, parmi bien d’autres, bien sur, de ces compressions qu’il a fallu s’infliger pour casser les dépenses encore une fois, encore cette année de plusieurs centaines de millions. Mais malgré ça, lorsqu’est venu le moment de finaliser certaines décisions budgétaires, et bien, on était encore devant une très grosse impasse, c’est-à-dire un trou, comme on dit le plus couramment, un trou entre les dépenses auxquelles il faut faire face et les revenus, pour réussir à combler ces dépenses. Et ce trou, c’était 900 millions $. Bon, c’est couramment 900 millions $ qu’il faut aller chercher pendant cette année budgétaire, de plus que ce sur quoi on peut compter normalement. Alors, il y a des gens qui ont la réponse facile: empruntez donc davantage. Sauf une chose, c’est que ça comprend déjà, ce 900 millions $ de trou, à peu près 2 milliards $ d’emprunts nets; les gens parlent presque toujours du déficit, c’est 3 milliards $ à peu près, mais on enlève les remboursements, etc; et les besoins nets sur les marchés des emprunts, c’est 2 milliards $, et plus ou moins 2 milliards $, c’est la limite qu’on peut se permettre si on veut maintenir le crédit du Québec. Parce que le marché de l’argent, il n’est pas inépuisable et le crédit non plus. Et c’est à peu près ça qu’en prudence, la prudence minimale, on ne peut pas dépasser. Alors, il y a des gens qui disent : eh bien, taxez! surtout, taxez les gros revenus! parce qu’après tout, donnez-leur la claque, à condition de protéger un peu les plus bas revenus. Bien, taxer, vous savez, sur les gros impôts, les impôts sur les corporations, les impôts sur le revenu personnel, déjà au Québec, les entreprises, si on se compare à l’Ontario comme d’habitude, les entreprises paient 15% de plus à peu près, en ce moment, déjà. Et pour ce qui est des particuliers, en moyenne, c’est à peu près 13% de plus cette année. Alors, évidemment, il n’y a pas moyen d’aller beaucoup plus loin. Et il y a des gens qui disent, je le répète: allez donc chercher ça dans les gros revenus! Bien, justement, c’est ce qu’on a fait. Et ce qu’on a fait, martyrs, si je peux dire, depuis 4 ou 5 ans.
Regardez ce qui arrive. On a augmenté l’impôt terriblement, massivement, du côté des hauts revenus, pour pouvoir à l’autre bout de l’échelle les diminuer un peu.
Ce qui fait que si on compare pour une personne mariée avec 2 enfants – la soit disant famille classique – à un revenu de 15000 $ par année au Québec, et tout compris, en tenant compte des allocations familiales, des différences entre les comptabilités dans les provinces: 549 $ pour 15000 $ de revenus, d’impôt provincial. En Ontario: le double: 1061$ pour des revenus donc, qui sont à peu près moyens, ou la moyenne industrielle.
Si vous arrivez, et ça va comme ça jusqu’autour de 20 ou 25000 $, où le Québec a baissé les impôts pour les moyens et les petits revenus, les revenus petitement moyens aussi, si on veut. Seulement, on s’est repris – il le fallait bien – du côté des hauts revenus. Alors, au Québec, quand vous arrivez à 50000 $, évidemment, c’est presque 8000 $ d’impôts, contre 5200 $ en Ontario, et à l’avenant dans les autres provinces jusqu’en Colombie-Britannique. Et quelqu’un qui frappe 100000 $, bien ! lui y goûte, parce qu’au Québec, c’est 20600 $, presque 21000 $, alors que c’est 13000 $ seulement en Ontario, 14000 $, 10000 $, 12000 $ dans le reste du pays. Autrement dit, et ça nous paraissait socialement la meilleure chose à faire, depuis 4 ou 5 ans, on a augmenté les hauts revenus au point de vue de l’impôt, pour donner une chance aux revenus modestes, surtout les revenus familiaux. On ne peut guère aller plus loin du côté de la taxation!
Alors, il fallait quand même faire un budget. Alors, qu’est-ce qu’on a fait? On s’est dit ceci: puisqu’on est rendus là, il va falloir quand même en finalisant nos décisions budgétaires, trouver le moyen de combler, et même de se donner une petite marge de manœuvre pour faire quelque chose du côté économique, combler cet écart. Bon. Alors, comment on s’y est pris, le mieux possible – enfin, je n’ai pas vu de recette magique pour faire beaucoup mieux, mais ça veut pas dire que c’est parfait, loin de là. On s’y est pris comme ceci. Enlevons – ça on le sait déjà – et prenons le budget: on ne peut pas aller plus loin dans les emprunts, on l’a déjà dit, il y a ça à combler. Alors, dans le budget, on s’est quand même résigné à taxer quelque peu. On a taxé de 1% de plus la taxe de vente, en se disant qu’après tout, la nourriture, et maintenant les meubles, la chaussure, le vêtement, et puis aussi le poêle et le frigidaire plus récemment, c’est-à-dire les choses qui sont vraiment les plus essentielles, sont détaxées. Sur le reste, ça ne paraît pas inéquitable, 1% de taxe pendant un an. Et puis, cette cible, ces victimes classiques de tous les ministres des finances les années serrées: l’alcool et le tabac. Et tout ça, pour une année, ça va donner, jusqu’au 31 mars prochain, ça va donner en tout à peu près 250 millions $.
Et puis, deuxièmement, après les taxes, il a fallu faire le gel des cadres. Dans les cadres, j’entre tout ce qui est comme les sous-ministres, les sous-ministres adjoints, leur équivalent dans le secteur de l’Education, le secteur de la Santé. On demande un effort aussi, on espère qu’ils vont admettre, qu’ils peuvent le consentir à partir du premier juillet comme les autres, aux professionnels de la santé, surtout les médecins. Et puis, inutile de vous dire que les parlementaires vont être » gelés » aussi à partir du premier juillet. Et puis, tout ça, cadres etc. si vous voulez, à partir du premier juillet jusqu’au 31 mars, c’est à peu près 120 millions $.
Et puis finalement, ce qui a été le plus discuté bien sûr, c’est la récupération salariale. Pourquoi cette récupération salariale? C’est-à-dire chez les quelques centaines de milliers de syndiqués du secteur public et parapublic, d’aller récupérer quelque chose comme 521 millions $. Bon. Pourquoi? Parce que d’abord il faut dire une chose, c’est qu’il ne s’agit pas de blâmer, de dire que la crise c’est la faute des gens du secteur public et parapublic. Tout le monde a signé de bonne foi des conventions collectives en 1979, au moment où à part les sorciers, il n’y a personne qui pouvait savoir que ça allait se dégrader à ce point-là. Et on les a signées d’une façon qui était responsable, à notre avis, avec la confiance qu’on pouvait avoir à ce moment là. Voyez-vous, quand on est arrivés en 1978-79 à la négociation, les anciennes conventions qui allaient expirer et qui avaient été signées par nos prédécesseurs, faisaient 167 de plus de rémunération moyenne dans les secteurs public et parapublic que le secteur privé. Et pas le secteur privé le plus modeste. C’est toujours comparé, quand c’est comparable, avec des grandes entreprises du secteur privé, celles qui ont quelques centaines d’employés en général, et qui ont des syndicats solides; donc, ils se défendent bien, les employés. Malgré ça, on était devant 16,3% d’écart entre le secteur privé le mieux traité et secteur public: c’était trop. La négociation a permis de le ramener ça à 13,3% quand même, ce qui était un certain rattrapage. Et ça a même descendu à 10% tant que ça allait bien au point de vue économique, les gens du secteur privé augmentaient leurs salaires, obtenaient des meilleurs contrats et par conséquent l’écart diminuait. Et on voit ça ici, à 10% de différence.
Et puis là, l’économie a cassé en 1981. Les entreprises se sont mises à fermer ou à mettre des gens à pied, les profits ont diminués. Ce qui fait qu’à cause des conventions dans le secteur public, l’écart a recommencé à remonter. Il s’est rendu à 11.8, et si on changeait rien, il serait à 13%, l’écart entre le public et le privé. Bien, il faut changer quelque chose.
Il faut ramener ça en moyenne, c’est ce qu’on va faire d’ici le 31 mars prochain à quelque chose comme 4,5% ou 5% de différence. Comment on va le faire ? Comme ceci. Et c’est pas facile. Enfin, ça aurait pu être plus facile si on avait accepté de négocier de part et d’autre. Mais comme il n’y a pas eu d’acceptation, il peut y en avoir une encore, on est ouvert à la négociation au gouvernement, demain, après-demain si on veut, pour faire ça d’une façon moins brutale; il y a moyen de faire ça, ça été offert il y a quelques semaines.
Mais comme l’offre n’a pas été acceptée, et bien, nous on est obligé de décider. Alors ça donne quand même ceci. Vous savez au moment où il y a dans les entreprises des gens, un peu partout, qui sont obligés d’accepter un gel des salaires pendant un an, même deux ans, parfois des baisses de revenus. Bien ce que ça donne, c’est quand même ceci.
Vous partez, ici, la première colonne, et ça c’est pour un revenu minimum dans le secteur public, qui est à peu près 13000 $. Vous partez d’un salaire – à la fin de juin, à la fin de ce mois-ci – qui sera à 13150 $. Les conventions vont grimper ça d’un coup à 14629 $. Ce n’est pas acceptable quant à nous. Ce qui veut dire qu’on va récupérer une bonne partie de ça donc il va y avoir une baisse pendant trois mois, à partir du premier janvier jusqu’au 31 mars. Seulement rendu au premier avril, il y aura un rajustement qui va faire qu’il y aura quand même eu une augmentation de plus que 1000 $ pour celui ou celle qui a 13150 $ de salaire, qui passe de 13150 $, au bout d’un an, avec ses hauts et ses bas, à 14683 $, c’est-à-dire une augmentation de plus que 11%. C’est plus que raisonnable dans le contexte actuel. Pour quelqu’un qui est au milieu de l’échelle du secteur public et parapublic, autour de 22000 $ – 21900 $ quelque chose – c’est un peu le même phénomène qui se produit: 21916$ au départ, à la fin du mois de juin, bientôt, il grimperait à 24000 $ selon les conventions, tout de suite au premier juillet. Seulement, on sera obligé de rabaisser ça, pendant 3 mois, à 19000 $, pour rétablir ça à 23194 $, c’est-à-dire quand même, presque 6% d’augmentation. Et finalement, ceux qui sont à 38000 $ en montant, bien, c’est zéro. Quelques fois l’opération, le résultat net, c’est zéro, parce que là, il y a un gel qui doit être complet à notre humble avis.
Evidemment, comme je l’ai dit, il y a moyen d’améliorer ça. C’est ce qu’on a offert, c’est-à-dire que plutôt que ce soit brutalement fait en 3 mois, entre le premier janvier et le 31 mars de l’an prochain, qu’on puisse graduer ça, de façon à protéger tout le long du chemin les plus petits revenus, au lieu de les rattraper seulement à la fin, et puis, évidemment, d’étaler, si vous voulez, sur 9 mois au lieu de 3 mois, la récupération. Inutile de dire que ça, ça a fait hurler un peu. Pourquoi on a décidé de faire ça? Pourquoi on s’est sentis obligés? Bien, ce n’est pas la faute, encore une fois, des syndiqués du secteur public et parapublic, s’il y a une crise budgétaire. Absolument pas. Parce que tout le monde a signé en 1979, non seulement tout le monde était de bonne foi, mais on avait confiance que ça n’irait pas au-delà de nos moyens. Seulement, ce qui est arrivé, c’est que ça ne peut plus durer, parce qu’il y a eu cette cassure de l’économie, et on ne peut pas demander, avec l’effort qu’ils font déjà, à l’ensemble de nos concitoyens qui sont dans le secteur privé, qui y goûtent actuellement, d’accepter d’augmenter les impôts de quelques 500 millions $, de trop par rapport au contexte actuel. Alors, encore une fois, ce n’est pas la faute des syndiqués. Il y a eu une sorte d’escalade, depuis une vingtaine d’années, dans le secteur public et parapublic; au début, c’était du rattrapage, il y a eu de l’exploitation pendant des années, des enseignants, des gens qui sont dans les hôpitaux. Mais, sur l’air d’aller, pour ainsi dire, on a dépassé le rattrapage et ça a fini par donner des résultats qui sont ces écarts, absolument inacceptables en ce moment, et je suis sûr que la plupart des employés de l’Etat comprennent ce qui se passe, qu’ils comprennent la nécessité de consentir eux aussi leur part – pas plus – mais pendant un certain temps, l’effort qu’il faut faire tout le monde.
D’autant plus que si on regarde ça sur 9 mois, 9 mois seulement, et que ça finit par une augmentation raisonnable, pour la plupart de ceux qui ont le salaire minimum ou le salaire moyen dans le secteur public, bien, il me semble que ce n’est pas demander excessivement comme contribution à l’effort collectif. D’autant plus que si on veut, on peut arranger ça autrement, si on accepte, de part et d’autre, de rouvrir les conventions, d’étaler ces choses-là sur 9 mois ou sur 8 mois, au lieu des 3 mois brutaux du début de 1983. On peut négocier des aménagements. On ne peut pas négocier sur la somme, elle n’est pas négociable cette année, elle ne peut pas être négociable; l’aménagement, oui. Et c’est pour ça que pour la nième fois, au nom du gouvernement, je répète ce soir qu’on pourrait se mettre à table demain, tout de suite, après-demain, et essayer d’étaler ça d’une façon plus vivable, si vous voulez. Et peut-être trouver entre nous une meilleure façon de faire les choses. Et voilà, comment, tant bien que mal, de la manière qui paraissait la moins mauvaise possible – je ne dirai pas la meilleure – on a fini par mettre au point ce budget de 1982-83.
Et j’aimerais, bien sûr ça ne fait pas plaisir à tout le monde, il y a des choses là-dedans qui sont très dures à prendre; c’est toujours pareil: on est prêt à couper pour les autres, mais difficilement quand ça s’applique à nous – il reste quand même – et si j’avais le temps, je vous parlerais un peu des efforts qu’on a réussi à faire malgré tout; on aura l’occasion d’en parler d’ici quelques jours, il reste quand même à l’intérieur de ça à la fois pas mal une bonne confiance, une certitude même, qu’on va passer à travers au point de vue de l’équilibre de l’État québécois. Et en même temps, qu’on peut faire des efforts, et des efforts marquants, pour la stimulation économique, et ça, ce sera d’ici quelques jours. Seulement, tout ça, comme jamais auparavant, ça dépend de nous maintenant.
[QLVSQ19820531]