Monsieur le président du colloque, monsieur Morissette,
Mes chers collègues, monsieur Landry, monsieur Clair,
que vous avez eu l’occasion, l’un et l’autre, je crois, de rencontrer au cours de ce colloque
Mes chers collègues du gouvernement – qui sont éparpillés un peu partout dans la salle
Et mes chers collègues de l’Assemblée nationale,
Honorable Ministre fédéral des Transports, – moi je suis « très honorable » depuis que monsieur Morissette m’a présenté… J’espère que vous ne me dénoncerez pas à Ottawa, parce que ça c’est réservé à Trudeau.
Messieurs les présidents du Conseil d’administration des Ports de Québec et de Montréal,
Monsieur le Consul général des États-Unis, monsieur Jaeger, I am sorry, I came to you late
Et j’aperçois juste devant moi cet autre diplomate intime pour nous à Québec, notre ami monsieur le Consul général de France,
Enfin, Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux que vous soyez venus si nombreux de tous les points de ce grand ensemble du Saint-Laurent et des Grands Lacs et à partir de tous les secteurs d’activité qui s’y déploient et qui continuent de se développer, acceptant ainsi de vous réunir à Québec, en réponse à notre invitation, pour tenter de dégager une vue d’ensemble de ces problèmes et de ces perspectives qui flottent au-dessus, puis autour de cette incomparable voie de transport et d’échange qui perce tout notre continent jusqu’en son cœur. Et je voudrais saluer aussi très chaleureusement, parce qu’on peut le dire: c’est presque des intéressés à présent – monsieur le Maire de Gand, monsieur De Paepe, vient de le souligner au nom de ses collègues qu’on peut appeler la délégation belge, je voudrais saluer aussi très chaleureusement cette remarquable collection de représentants des grandes cités portuaires européennes, Anvers et Gand, Rotterdam, m’a-t-on dit, Le Havre aussi, et aussi des visiteurs ou participants qui sont venus d’aussi loin que le Japon et aussi d’Allemagne, d’Italie, de Grèce, qui ont contribué très puissamment, c’est sûr, au succès de ce colloque.
[…]
La beauté naturelle du Saint-Laurent, qui s’étale juste à côté de nous, sa majesté, qui en font un plan d’eau unique au monde, sont évidemment les premières choses qui sautent aux yeux du profane. Mais ce grand fleuve que notre chanson populaire célèbre depuis toujours, ce grand fleuve n’a pas que cet attrait esthétique, si prenant soit-il, mais c’est aussi une beauté qui va jusqu’en profondeur et sous laquelle repose tout un réseau complexe de réalités historiques, démographiques, politiques et commerciales.
Le Saint-Laurent a été la principale porte d’entrée du continent américain à partir de l’Europe et il maintient largement ce caractère. Aujourd’hui, – et moi ça me fascine chaque fois que je vois ça, que je le regarde sur la carte, en plus une carte admirablement préparée qu’on a faite pour le colloque aujourd’hui, il y a une voie navigable de l’Atlantique jusqu’à la tête du lac Supérieur, 3840 kilomètres, c’est-à-dire une distance égale à celle qui sépare Halifax de Plymouth, en Angleterre, et c’est la plus grande voie, me dit-on, la plus grande voie navigable au monde pour les océaniques et aussi bien pour la batellerie intérieure. Et si vous conjuguez ça avec les Grands Lacs, évidemment ils sont à la tête du système, tout ça traverse deux pays, deux provinces et plusieurs Etats et, politiquement aussi bien que commercialement bien sûr, il y a là une vocation internationale évidente. Et avec ce que je viens de dire, je ne vous apprends rien du tout à aucun d’entre vous, mais je voulais simplement vous démontrer que moi aussi j’en étais conscient un peu.
Maintenant, si vous le permettez, là je vais vous parler un peu plus précisément de ce que ce fleuve représente pour nous, les Québécois, et tout spécialement depuis nos origines, pour le Québec français. Nos ancêtres étaient très souvent issus des côtes françaises; ils étaient des navigateurs. Il y avait même un peu de sang de corsaires parmi eux à l’occasion, et l’exploration des voies navigables d’Amérique du Nord par les premiers habitants du Canada est quelque chose qui est demeuré légendaire, que ce soit Marquette et Joliette sur le Mississipi, que ce soit La Salle, le premier en Louisiane…. Seulement, la prise de possession du Canada par l’Angleterre, à partir de 1760, a brisé cette tendance. Le Saint-Laurent est devenu, pour nous, longtemps, comme dit le géographe Jean-Claude Lasserre de l’Université de Montréal, en quelque sorte une sorte de « mer intérieure », c’est-à-dire une voie d’eau qui ponctuait les rapprochements, les distances entre les deux rives, mais dans l’esprit des gens, ça ne représentait plus du tout comme jadis un lien avec l’extérieur, une ouverture sur le monde. On a été confiné à la vallée du Saint-Laurent et Québec était réduit le plus souvent à regarder passer sur le fleuve les bateaux des autres. Un historien de chez nous, bien connu, enfin je n’apprends rien aux Québécois, Lionel Groulx, a décrit ce double héritage des Québécois par rapport au fleuve, cette contradiction entre la voie d’eau à portée continentale et internationale et d’autre part la vie sédentaire collée sur le rivage. Il a appelé ça « le duel de la terre et de l’eau », c’est-à-dire la terre qui enracine et qui retient et l’eau qui ensorcelle et qui entraîne. Seulement, pendant longtemps, l’eau avait beau ensorceler, elle ne pouvait pas entraîner; on se sentait impuissant.
Mais l’ouverture au monde que les Québécois vivent de plus en plus intensément depuis une génération, inévitablement, là comme dans bien d’autres domaines, devait nous mener à renouveler notre façon de voir le Saint-Laurent.
Vous avez dû vous en parler pendant les échanges des deux derniers jours, la flambée des prix du pétrole et ce qui se passe, comme je viens de le dire, au Proche-Orient, en ce moment, n’est pas particulièrement un horizon qui est éclairci pour un avenir indéterminé. En ce moment c’est de jour en jour, de mois en mois, qu’on ne sait pas ce qui va se passer. Cette flambée dans le domaine de l’énergie a rendu le transport maritime, – c’est un avantage extraordinaire – encore plus attrayant qu’il ne l’a jamais été. On m’a donné des chiffres, vous les connaissez mieux que moi probablement, des chiffres qui disent ceci: que la consommation d’un gallon de combustible – on n’est pas encore très très habitué au système métrique, alors on a donné le gallon, mais on s’habitue, Monsieur le Consul de France – on va y arriver, litre par litre, on va y arriver – fournit 10 tonnes/mille (10 tonnes par fret) par avion, 54 par camion, c’est déjà plus efficace, 193 par chemin de fer, à condition bien sûr que le chemin continue à circuler, enfin.
Et tenez-vous bien, pour ceux qui ne le savent pas, entre 247 et 1050 tonnes/mille par bateau. Seulement il ne faut pas l’oublier en même temps, le système dont nous parlons, le nôtre, le système Saint-Laurent-Grands Lacs que nous partageons avec nos voisins, n’est pas la seule voie navigable majeure du continent et on subit, notamment, la concurrence des ports de l’Atlantique et du Mississipi.
Alors, on est donc dans une sorte de tournant que l’énergie, en particulier, a amené, qu’on le veuille ou non, on est devant ça, une sorte de tournant qui est plein à la fois d’avantages évidents mais aussi de grands défis.
Il me semble donc évident que si nous voulons réussir un renforcement de l’ensemble du système du Saint-Laurent et des Grands Lacs pour mettre en valeur simultanément toutes ses composantes par un seul effort de marketing, comme le suggère Monsieur Failor, le directeur du port de Toledo, Ohio, qui était un autre de vos conférenciers, il faut que chacune des composantes soit elle-même forte et saine. C’est un vieux principe qui veut qu’une chaîne ne peut pas être plus forte que le plus faible de ses maillons.
D’ailleurs, je suis absolument sûr de trouver une oreille grande ouverte et remplie de compréhension chez cet éminent Québécois qu’est l’honorable ministre des Transports fédéral qui a été, on s’en souvient, dans les Bois Francs, un des grands champions d’une certaine décentralisation, de la régionalisation. On ne l’a pas oublié. On espère que lui aussi s’en souviendra un de ces jours… Et si on me permet de mettre l’accent un peu, quelques instants, sur l’organisation administrative des ports du côté canadien – notre gouvernement au Québec est d’accord en cela avec les milieux d’affaires et particulièrement l’organisme conjoint de la Chambre de Commerce et du Board of Trade de Montréal, le COPEM, comme on l’appelle (Comité de promotion économique de Montréal) – nous donc, avec eux, jugeons que les ports, Montréal en particulier, c’est vrai pour Québec, c’est vrai pour Sept-Iles, ne jouissent pas en ce moment de l’autonomie qui leur serait indispensable pour se développer comme ils le pourraient. C’est généralement reconnu, ce n’est pas un blâme, c’est inévitable que le Canada au niveau fédéral ait fait plus de place dans ses politiques maritimes à la réglementation de la navigation qu’au développement et à la promotion des ports, et j’ai dit c’est compréhensible, puisque l’administration centrale, et assez hautement centralisée, tend à mettre sur le même pied tous les éléments qui dépendent d’elle et ça finit par faire une homogénéisation administrative qui n’est pas féconde alors que dans la réalité, les intérêts des ports canadiens, il ne faut pas se boucher les yeux, sont parfois en conflit, parfois en très nette contradiction. C’est le cas, par exemple, du port d’Halifax, que vous voyez là, et on voit pourquoi, sur le bord de l’Atlantique, et bien sûr du port de Montréal ou de certains autres ports de l’ensemble du Saint-Laurent et des Grands Lacs.
Essayons d’imaginer juste un instant que tous les producteurs d’automobiles, par exemple, et on sait ce qui leur arrive par le temps qui court, imaginez ce que ça serait s’ils relevaient tous d’une même autorité administrative et quelle serait l’incitation de cette autorité à encourager un modèle plutôt que l’autre ou à provoquer l’émulation entre les usines. On aboutirait à l’indifférence, à l’inertie, à l’absence d’innovation et, par conséquent, à un certain arrêt ou une stagnation dans la croissance. C’est un peu le sort qui peut guetter les ports du Canada, notamment ceux du réseau du Saint-Laurent et des Grands Lacs si on n’y prend pas garde pendant que c’est le temps, avant qu’il ne soit trop tard. La nécessité de décentraliser l’administration des ports au Canada a été soulignée par le COPEM, ici au Québec, à Montréal en particulier, aussi bien que par le « Task Force » dont j’ai parlé tout à l’heure, qui a travaillé en Ontario. Les formules suggérées peuvent varier selon les sources, mais le thème est le même: décentralisons pour l’amour du bon Dieu! Moi je me souviens comme d’un rêve éblouissant et je le dis – ça doit être vrai ailleurs – je le dis non pas pour faire une fleur à nos amis de Belgique ou de Flandre, parce que c’était en un pays flamand que j’ai vu ça, mais je me souviens comme d’un rêve éblouissant d’une visite qu’on a faite, monsieur Landry et moi, il y a une couple d’années, dans le port d’Anvers, une sorte de visite organisée pour qu’on ait une chance de voir tout ce que ça représentait, mais ce qui m’a surtout frappé, je pense, c’est que ce port, qui est le deuxième au monde, je pense, après Rotterdam – cet immense port aussi incroyablement diversifié qu’on peut trouver toutes les routes de la mer et les routes du monde sont ouvertes et aboutissent aussi, autour d’Anvers, de Rotterdam et de ports comme ça, or, ce grand port, d’un dynamisme extraordinaire, est non seulement une partie intégrante de la ville d’Anvers, un quartier de la ville d’Anvers, mais il y a même un échevin du port – comme on dit encore chez nos amis belges – qui a été élu au Conseil municipal pour participer au niveau de l’administration locale directement à l’administration portuaire. Il y a quelqu’un qui disait, je pense, pendant le colloque, « the impetus has to come from the ports themselves« . Bien, à Anvers, je crois que c’est vrai aussi à Rotterdam, on a réalisé ça. C’est partie intégrante du tissu de la ville, c’est la fierté et puis c’est l’initiative des citoyens d’Anvers et, évidemment, avec le soutien d’un gouvernement, bien sûr, mais qui font que, sans arrêt, il y a une sorte de concours d’excellence au point de vue des services, au point de vue de l’efficacité.
On n’attend pas, au Québec, que le gouvernement canadien accepte d’émanciper nos ports pour apporter notre soutien au développement du Saint-Laurent, notre collaboration aussi à nos partenaires des Grands Lacs, mais on dit avec le plus d’insistance possible que c’est vraiment un des éléments du progrès qu’aucune chicane idéologique, pour employer un grand mot, ne devrait empêcher de réaliser.
Ce colloque que nous avons organisé témoigne de notre intérêt renouvelé pour ce fleuve qui a servi d’épine dorsale au développement de notre territoire, qui est un élément central de notre histoire mais qui est aussi une porte constamment ouverte sur nos voisins du sud et de l’ouest en même temps que sur l’Europe. Donc, il s’agit d’une chose qui, pour nous, est vitalement québécoise en même temps qu’intrinsèquement internationale.
Nous envisageons présentement divers moyens de mieux articuler la présence québécoise dans le système, des moyens qui tiennent compte à la fois des limites de nos juridictions – jusqu’à nouvel ordre en tout cas – et de l’urgence de nos intérêts. Et nous voulons que nos partenaires du côté américain des Grands Lacs, aussi bien que nos voisins ontariens, puissent trouver au Québec un interlocuteur permanent. Et justement nous attendions beaucoup de ce colloque pour lequel vous avez bien voulu accepter notre invitation et dont l’un des objectifs à nos yeux était de nous aider à préciser notre compréhension des choses et la forme que pourra prendre notre participation dans le développement du système. Et je dois vous dire que nous n’avons pas été déçus et mes collègues me l’ont dit, Monsieur Morissette, d’autres me l’ont dit, et nous vous sommes extrêmement reconnaissants pour votre apport. Nous sommes persuadés aussi que les suites de ce colloque seront telles que dans l’avenir, même prochain, nos voisins et partenaires de cette grande voie navigable ne seront pas déçus de nous, les Québécois, non plus.
Merci.
[QLVSQ19820606]