[(Quatorze heures cinq minutes)]
[M. Lévesque:] …qui peut servir de déclaration sur un sujet qui est quand même préoccupant et qui a occupé les manchettes pendant quelques jours ces derniers temps. Je souhaite dabord à ceux d’entre vous qui sont ici davoir pris des bonnes vacances. Je souhaite des bonnes vacances à ceux qui manquent. J’entre dans ce sujet là qui, quant à nous, est d’une extrême importance pour les intérêts du Québec c’est le jugement de la Cour suprême en ce qui concerne la loi 101.
Hier, le Conseil des ministres a pris connaissance d’un premier rapport du ministère de la Justice et du ministère de l’Éducation qui, évidemment, sont tous les deux concernés. D’ailleurs, M. Johnson, comme ministre des Affaires intergouvernementales, a déjà donné une première réaction là dessus. Donc, hier, on a pris connaissance, comme Conseil des ministres, de ce jugement de la Cour suprême au sujet de la loi 101. Voici brièvement où nous en sommes après cet examen forcément préliminaire de la situation.
Est ce que j’ai besoin de dire, d’abord, que ce jugement démontre à quel point nous avions raison en novembre 1981 – Dieu sait que ce n’est pas pour s’en réjouir que je le dis – de dénoncer le Canada Bill, cette charte des droits profondément tarée qui a été imposée au Québec sans son consentement et sans aucun mandat démocratique de la population. On en voit maintenant le résultat. Nous sommes bel et bien dépouillés de pouvoirs essentiels sur l’accès à l’école, pouvoirs qui, dès l’origine du régime fédéral et tout le long du chemin, ont été considérés comme des instruments vitaux pour la protection du caractère français de la société québécoise. Sournoisement et, d’ailleurs, bien sûr, sans qu’ils s’en soient vantés, telle était d’ailleurs la seule intention fondamentale des auteurs de ce coup de force constitutionnel, c’est-à-dire l’affaiblissement du Québec français.
Maintenant, au plan pratique, parceque le jugement est là, il est très compliqué d’ajuster le texte de cet article 23 du Canada Bill – parceque c’est cela le coeur du sujet, cet article dont le tribunal vient de proclamer la prépondérance – avec les autres dispositions de la loi 101 qui, elles, sont demeurées valides. De toute évidence, d’ailleurs, les rédacteurs du projet fédéral non seulement n’ont pas tenu compte de la loi 101, mais ils n’ont absolument pas prévu la complexité des situations qui pourraient nous plonger en plein maquis juridique, constitutionnel et administratif, bien sûr.
Il faut donc examiner aussi rapidement que possible – c’est en train de se faire; c’est une décision qui a été prise hier, mais il faut absolument démêler cela – la façon dont on peut donner suite au jugement, sur le fond, tout en éliminant autant que possible les risques de confusion et aussi et surtout les tentations de gestes abusifs qui ne serviraient qu’à raviver de vieilles plaies et à recréer un climat d’affrontement dont on s’était débarrassé depuis quelques années.
Pour la première fois depuis très longtemps, en effet, on pouvait parler, je pense, jusqu’à un certain point, de paix linguistique au Québec. Autant que faire se pourra, il va falloir tâcher d’en préserver l’essentiel, mais ce ne sera pas facile et c’est très complexe. Et cela vient souligner à nouveau à quel point une situation de dépendance forcera toujours un peuple minoritaire à vivre difficilement et, plus souvent qu’à son tour aussi, dangereusement.
L’essentiel, c’est que cela confirme, bien sûr, que des pouvoirs essentiels au Québec ont été non seulement érodés, mais, dans certains cas, ont été abolis par le Canada Bill de M. Trudeau et compagnie. Deuxièmement, puisqu’il y a un jugement de la Cour suprême et qu’on vit dans une société, forcément, qui respecte les tribunaux, surtout les tribunaux de dernières instances, il faut trouver le moyen d’appliquer l’essentiel, c’est-à-dire la clause Canada, de ce jugement, mais d’éviter que cela dégénère en abus invraisemblables, et on sait qu’il y a des tentations dans certains esprits qui voudraient tout simplement revenir à ce qu’on appelait autrefois le [« free choice »] dans le domaine scolaire, au Québec. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que, pendant les années soixante, cette histoire de [« free choice »] avait créé une espèce de situation daffrontement permanent au Québec, et c’est cela qu’il s’agit déviter. On travaille là-dessus en ce moment.
[M. Girard: Est ce qu’on peut vous questionner là-dessus?]
[M. Lévesque:] Oui, si vous voulez, en tenant compte du fait que cela va prendre encore à peu près une semaine ou dix jours avant qu’on puisse voir exactement comment baliser la suite.
[M. Girard: D’accord, en tenant compte de cela. C’est simplement une phrase que vous avez prononcée. Vous avez dit: Il faut trouver le moyen dadapter la clause Canada, mais pas retomber dans le maquis et le « free choice » dauparavant. Est ce que cela veut dire que la clause Canada, en vertu du jugement de la Cour suprême, va s’appliquer dans les écoles du Québec, une fois que vous en aurez trouvé les modalités, à partir de septembre prochain?]
[M. Lévesque:] Bien oui. Normalement, il ne faut pas qu’on tombe dans une espèce de maquis. La clause Canada, cela veut dire quoi, en gros, en termes de profane? Cela veut dire que des enfants dont au moins un des parents a fait ses études en anglais au Canada – avant on disait: En anglais au Québec, la clause Canada élargit cela à l’échelle du Canada – ont le droit d’aller à l’école anglaise. En gros, c’est cela. À remarquer que, sur le fond, il n’y a pas une énorme discussion à tenir là-dessus. C’était déjà dans la loi 101 sous une forme conditionnelle, la réciprocité. Ce qui me paraît, encore aujourd’hui, beaucoup plus sain que ce qu’on nous a imposé. Ce qu’on a pu, par exemple, élargir la clause Canada, si vous voulez, spécifiquement au Nouveau-Brunswick, parceque le Nouveau-Brunswick a fait un effort depuis un bon nombre d’années pour donner l’essentiel en tout cas des institutions qui sont requises dans le domaine scolaire par la minorité francophone, les Acadiens au Nouveau-Brunswick. Il y a des progrès qui ont été faits dans d’autres provinces et l’idée de réciprocité, c’est-à-dire d’efforts équivalents de part et dautre nous paraissait très saine et était reliée à la clause Canada. Donc sur le fond, ce n’est pas une objection de principe à la clause Canada.
Seulement, quand on parle d’abus possibles, supposons… quand l’article en question du Canada Bill, l’article 23, parle, je pense, denfants ou de gens qui reçoivent ou ont reçu l’enseignement en anglais, supposons quelqu’un qui envoie son enfant pendant trois semaines ou un mois ou six mois, je ne sais pas moi, à Ottawa à partir de l’Outaouais et qui commencerait à zigonner de cette façon, il y a des choses comme celles là qu’il faut baliser sinon on pourrait retomber dans une espèce de maquis invraisemblable et créer de nouveau le genre de climat empoisonné qu’on a déjà connu et dont on était sorti. Je pense que cela illustre un peu l’essentiel.
[Mme Lafontaine: C’est juste pour que ce soit très clair. C’est encore pour revenir sur cette situation, M. Lévesque. Est ce que cela confirme le fait que vous vous pliez entièrement au jugement de la Cour suprême ou si vous ne trouverez pas une forme de résistance quelconque dans votre recherche?]
[M. Lévesque:] Pour l’instant, la chose que je dois vous dire c’est qu’on s’en va vers le mois de septembre et la clause Canada honnête, c’est-à-dire la clause Canada telle que définie, est facile à comprendre. Il nous semble qu’il serait logique qu’elle soit appliquée à partir du mois de septembre, c’est-à-dire pendant l’année scolaire qui vient. Maintenant, je vous le répète de nouveau, ce qu’il faut essayer d’éviter par tous les moyens possibles et dans l’intérêt de tout le monde à part cela, c’est que de là viennent des interprétations abusives et des tentations d’essayer de tirer la couverte à un point qui nous ramènerait des situations absolument impossibles et inacceptables.
[M. Tourangeau: M. Le Cours.
M. Le Cours: M. Lévesque, le ministre Johnson avait parlé, tout de suite après le jugement, dune éventuelle riposte politique du Québec au jugement, alors que 1à vous semblez plutôt préconiser de s’y plier en limitant les dégâts le plus possible. Est ce que c’est un changement d’attitude ou si on doit attendre un peu plus tard une riposte politique réellement?]
[M. Lévesque:] Il y a une chose qu’il faut dire tout de suite: c’est pour essayer de maintenir un minimum de climat de paix à la fois, si vous voulez, scolaire et sociale. La rentrée de septembre qui vient avec le jugement qui vient de sortir en plein été, fait qu’on ne voit pas très bien comment… On ne fait pas de politique avec la Cour suprême. La Cour suprême, dans son jugement, ne fait que tirer les conclusions logiques de l’article 23, les paragraphes de l’article 23, de ce qu’on appelle la constitution canadienne renouvelée. La Cour suprême fait son travail de tribunal de dernière instance. Comme on est à quelques semaines seulement de la rentrée des classes, on ne voit pas très bien pourquoi on devrait créer une sorte de maison de fous autour de cela. Sur le fond de la question, la clause Canada, je pense que l’ensemble des gens sont daccord que c’est logique. On l’était nous autres mêmes. Il ne faut pas non plus charrier.
Les réponses politiques à cette situation, cela fait partie des choses qu’on étudie en ce moment, mais cela ne s’improvise pas comme cela.
[M. Le Cours: Cela pourrait être dans le message inaugural ou seulement dans la prochaine campagne électorale?]
[M. Lévesque:] Pour l’instant, ce que je peux vous dire, c’est que la semaine prochaine, on a deux jours – écoutez, c’est selon une certaine sorte de tradition qu’on a établie qui nous paraît très saine aussi, que tout le monde se rencontre – de caucus, de réunion de tous les députés du parti. Ensuite, avant la fin du mois, il y a aura aussi une couple de jours de réunion de l’exécutif du parti, comme c’est normal; c’est la tradition. Finalement, une couple de jours de Conseil des ministres, en dehors de la routine, de façon à voir clair dans l’ensemble des problèmes qui se posent, des projets qu’on peut avoir. Tout cela en vue de la rentrée de l’automne, à partir de septembre. Le long du chemin, tout cela sera discuté. Cela et bien d’autres choses.
[M. Tourangeadn Mme Tellier.
Mme Tellier. Je change de sujet. Pour revenir au caucus, justement… M. Tourangeau: Sur le même sujet avant, M. Girard. Mme Telller: Oui.
-M. Girard: M. le premier ministre, je ne voudrais pas remonter à Mathusalem, mais je pense que ce qui viént de se passer là c’est assez important pour qu’on fasse un petit retour sur le passé où le Québec avait toujours maintenu que la Cour suprême il ne l’accepterait pas comme tribunal constitutionnel de dernière instance.]
[M. L¢vesque:] À partir du moment où il y a une constitution…
[M. Girard: C’est cela que je veux rafra1chir avec vous.]
[M. Lévesque:] … et que nous n’acceptons pas, il y a une sorte d’ambigu’ïté inévitable dans une situation comme celle là. Vous avez des gens, par exemple, comme M. Garneau qui s’en va et qui se promène en parlant de droit de veto; cela s’improvise facilement en
campagne électorale, ces histoires là. Il y a M. Mulroney qui, au cours de certaines interventions, assez remarquables d’ailleurs, a parlé de la possibilité pour le Québec un jour de signer avec honneur et enthousiasme l’éventuelle constitution qu’on pourrait accepter.
Mais vous savez très bien que telle qu’elle a été imposée au Québec, sans son consentement, sans aucun mandat, cette constitution, quant à nous, est tarée, viciée. Elle n’est pas acceptable, sauf à certaines conditions – qui n’ont jamais été satisfaites, d’ailleurs – qui se trouvent dans deux résolutions adoptées à l’Assemblée nationale, l’une par les deux partis – en tout cas, avec très peu d’opposition – en octobre 1981; une autre le mois suivant, à la fin de novembre 1981 où, cette fois, les libéraux n’étaient pas avec nous. Mais, si vous regardez l’ensemble de ce que cela représente: 2 octobre 1981 à l’Assemblée nationale et fin novembre, il est évident que les conditions auxquelles avec honneur, sinon avec enthousiasme, le Québec pourrait se rallier à des amendements constitutionnels, à une nouvelle forme de charte des droits aussi, sont clairement exprimées. Le jour où on les rejoindra, je pense bien que le Québec, normalement, conformément à ce que l’Assemblée nationale a voté, pourrait accepter. Mais tant que ce n’est pas fait, on ne peut pas l’accepter.
Cela étant dit, il y a un jugement de la Cour suprême. On est encore dans un régime fédéral et le tribunal de dernière instance, c’est la Cour suprême. Il faut tout de même commencer par tenir compte de ce jugement. On n’y peut rien.
[M. Tourangeau: Mme Thellier.
Mme Thellier. ‘Oui•. Je veux parler, précisément, des déclarations de M. Mulroney et de M. Turner lors de la campagne électorale. Est ce qu’il y a, quand même, à vos yeux, une grande différence dans les positions des deux chefs de parti? Il y a d’un côté, M. Turner, qui doute un peu de la légitimité du gouvernement du Parti québécois, puisqu’il ne veut pas négocier avec un gouvernement élu par la population, et M. Mulroney, qui fait des déclarations qualifiées de nationalistes. Comment évaluez vous cela pour l’électorat québécois?]
[M. Lévesque:] Je pense bien que c’est à l’usage qu’on verra. On sait à quel point les campagnes électorales, surtout au moment où il y a un certain vent de panique qui souffle dans certains camps – je n’ai pas à m’en mêler, mais j’écoute les nouvelles, je lis les journaux et je suis cela comme tout le monde – il est assez évident que cela puisse porter à toutes sortes de déclarations, etc. On a dit qu’on jouerait en bas de la ceinture à partir de maintenant dans certains cas. À partir de là, il faut en prendre et en laisser.
Ce qui m’a frappé dans le cas de M. Turner en ce qui concerne le gouvernement du Québec, cela, franchement, je lui laisse la responsabilité de paroles aussi irresponsables. Cela a dû lui échapper, parceque ce n’est à aucun politicien fédéral, pas plus lui qu’un autre, de décider qui vont être les interlocuteurs québécois du gouvernement fédéral; cela appartient aux citoyens du Québec et c’est à eux de choisir. Le gouvernement actuel qui a été élu tout à fait normalement et légitimement, sauf erreur, en 1981, c’est l’interlocuteur de n’importe quel gouvernement fédéral, quel qu’il soit après le 4 septembre. Pour ce qui est des propos que les uns et les autres ont tenus en ce qui concerne le Québec, j’aime mieux tenir compte de la partie positive et, sans encore une fois m’en mêler, je dois souligner – comme, je pense, tout le monde l’aura noté – que le discours de M. Mulroney à Sept-Îles, lundi, donnait l’impression d’une ouverture très remarquable dans le sens d’un éventuel abandon de la centralisation forcenée qui règne à Ottawa depuis une vingtaine dannées. Une centralisation, d’ailleurs, qui, sur tous les plans, aussi bien économique que constitutionnel, a donné des résultats proprement catastrophiques pour le Canada dans son ensemble. Je me dis qu’au moins dans les paroles de ce discours, il y a une ouverture assez remarquable. Maintenant, pourvou que ça « doure », comme le disait la mère de Napoléon, parcequ’ on est en campagne électorale. On verra la suite; c’est à l’usage qu’on verra ce que cela donnera. C’est ce que j’ai trouvé, pour l’instant, sans avoir suivi tout le détail de la campagne, dans un contexte fédéral, le plus exemplaire comme perspective davenir. J’espère que tous les partis se rallieront à ce genre de perspective, parceque c’est le Canada, quoi!
[
M. Tourangeaux M. Rivest.
M. Rivesta M. Lévesque, vous avez noté un esprit d’ouverture dans le discours de M. Mulroney, mais pendant ce temps il y a le Parti nationaliste qui fait campagne à Ottawa.]
[M. Lévesque:] Oui.
[M. Rivest: Je voudrais savoir jusqu’à quel point les appuis du Parti québécois au Parti nationaliste seront concrets durant cette campagne électorale.]
[M. Lévesque:] Pardon?
[M. Rivest: Seront concrets. Je veux savoir s’il y a de l’argent impliqué…]
[M. Lévesque:] Non. De l’argent, non, parceque c’est un parti distinct. Ce n’est quand même pas le Parti québécois et c’est à eux de se financer. Il est évident que tous les membres individuels de quelque parti que ce soit, à commencer par le Parti québécois, ce qui est normal, peuvent faire leur effort et les aider à se financer.
Ce que je dois dire, qui répète pour l’essentiel ce que l’avais dit il y a quelque semaines déjà, c’est qu’en tant que tel le gouvernement ne s’en mêle pas et ne s’en mêlera pas. Le parti dans ses instances, dans ses organisations, c’est entendu, n’a à donner d’appui à aucun des partis traditionnels de la politique fédéral. Mais, à la suite des préférences du congrès du mois de juin, il est évident que c’est le droit de certaines instances, par exemple des organisations de comté, de s’occuper, si elles le veulent, du Parti nationaliste. Bien sûr, et c’est toujours vrai partout, c’est le droit aussi des membres individuels.
A partir de là, je pense que les choses se déroulent normalement. Il faut tout de même souligner une chose, c’est qu’il ne faudrait pas voir beaucoup d’énormes significations dans les résultats quels qu’ils soient, parcequ’ une campagne précipitée en plein été pour un parti dont l’organisation était quelque peu rudimentaire, forcément, c’est un test qu’on peut dire un peu prématuré.
[M. Rivest: Lorsque, par exemple, M. Richard, votre ministre des Affaires culturelles, évoque presque avec certitude la possibilité de voter conservateur et dappuyer le Parti conservateur, qu’est ce que cela vous fait?]
[M. Lévesque:] Je pense que, ce que je dois dire, pour être très franc, c’est que le vote des partisans de notre gouvernement, enfin des membres du Parti québécois ou des sympathisants, va nécessairement être plutôt dispersé. Ce n’est pas nouveau. Il va y en avoir, j’espère, un certain nombre, parceque c’est une option très légitime, pour le Parti nationaliste – encore une fois, sans trop se faire d’illusions. Il va sûrement y en avoir avec le Parti conservateur. Probablement qu’il y a des gens qui appuieront aussi certains candidats du NPD. La seule chose qui me paraît – là, je peux me tromper – plutôt exclue, si on tient compte de ce qu’a coûté dhégémonie depuis 20 ans, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de nos membres, de nos sympathisants qui s’en aillent chez les rouges. Je pense que ce n’est pas un mystère.
[M. Tourangeau: Avez vous des questions, M. Saint-Laurent?
M. Saint-Laurent: Oui, M. Lévesque, je voulais vous demander si vous avez une préference à ce niveau, si c’est le Parti nationaliste, le Parti conservateur ou le Parti libéral.]
[M. Lévesque:] Non, je pense que je vais faire comme tout citoyen a le droit de faire: je vais prendre ma décision en ce qui concerne l’exercice de mon droit d’électeur, et je ferai cela dans le secret du bureau de scrutin, comme c’est normal.
[M. Saint-Laurent: Avez vous l’intention de voter?]
[M. Lévesque:] Probablement, oui. Après tout, on paie des taxes assez remarquablement; on paie un énorme déficit dans ce régime fédéral auquel on appartient toujours. Je pense qu’il serait assez logique que moi comme dautres, je signifie le genre de choix que je pourrai faire, après beaucoup de réflexion, le 4 septembre.
[M. Tourangeau: M. Rhéaume.
M. Rhéaune: M. Lévesque, je voudrais poursiire un peu sur le sujet. Je pense qu’on ne vous demande pas de vois promener main dans la main avec M. Mulroney, comme votre homologue ontarien, M. Davis, le fait. Mais il n’en demeure pas moins que, comme il y a plusieurs organisateurs péquistes qui se sont commis publiquement envers des candidats conservateurs, dans la mesure où, effectivement, vous semblez espérer ou souhaiter que l’hégémonie libérale prenne fin au Québec, ce qu’on en tirer comme compréhension, c’est que vous seriez bien davantage daccord avec un gouvernement conservateur que libéral.]
[M. Lévesque:] Non, je n’ai pas à prendre partie de ce côté là. Je dis simplement que certaines ouvertures, encore une fois verbales, jusqu’à nouvel ordre, qui ont été faites, entre autres dans un discours de cette semaine de M. Mulroney, m’ont paru remarquables; en fait, elles m’ont paru être le genre d’attitude que tous ces gens devraient avoir en ce qui concerne, si vous voulez, une sorte de santé normale, pour autant que c’est possible, d’un régime fédéral équilibré. Cela m’a paru être une chose qui méritait d’être soulignée. Je pense que dautres l’ont notée aussi. Au-delà de cela, non, je n’ai pas exprimé de préférence quelle qu’elle soit.
Il y a des gens du parti qui travaillent avec les conservateurs. Cest souvent pour des questions d’amitié. Cela peut se concevoir. Il y a des gens du parti qui travaillent pour le Parti nationaliste. Cest normal. Je pense que, autant que je sache, il y en a quelques uns – non pas des élus – de nos membres actifs qui travaillent avec des candidats du NPD. Cela ne me paraît pas illogique non plus, mais je n’ai pas de choix à faire.
[M. Rhéaune: Mais dans le cas de M. Mulroney, il y a dans l’air une rencontre avec M. Bourassa. Est ce que vous seriez disposé à rencontrer M. Mulroney pour discuter d’ouvertures aussi remarquables que celles qu’il a faites?]
[M. Lévesque:] Je crois que pendant une campagne électorale… Souvent, M. Bourassa essaie de jouer sur les deux tableaux en même temps pour toutes sortes de raisons qui tiennent à certains vieux ressentiments et puis, bon certains espoirs peut-être prématurés aussi. Cest son droit et il peut toujours essayer de se profiler. Après tout, il s’est assez caché depuis un certain nombre de mois que s’il trouve l’occasion de se faire voir à ce moment là, tant mieux pour lui. Mais une chose qui me frappe, c’est que c’est pendant une campagne électorale et je ne vois pas quel rendement cela peut avoir, de faire des rencontres qui, nécessairement, seraient des rencontres jusqu’à un certain point académiques, parceque je ne pense pas, pas plus M. Mulroney que dautres, que les principaux candidats ou leaders fédéraux prendraient des engagements très concrets à la suite de rencontres de ce genre là. Je pense que ce qui est beaucoup plus important, c’est ce que donnera à l’usage le prochain gouvernement, quel qu’il soit, à Ottawa.
[M. Saint-Laurent: Est ce que la même chose s’appliquerait à M. Turner, sensiblement la même réponse?]
[M. Lévesque:] Oui, oui, la même chose. Je vais vous donner un exemple. On parle de Pétromont, juste un exemple, du fait que pendant une campagne électorale, sauf dans des choses très concrètes et très spécifiques, il ne faut pas s’attendre à mer et monde en ce qui concerne les intérêts du Québec pendant la partie campagne. Le cas de Pétromont, je n’attendais pas des choses spectaculaires. Cest simplement qu’il y a quelques semaines déjà, j’ai écrit à M. Turner au moment où il avait pris la place de M. Trudeau pour lui apprendre que le cas de Pétromont, de très près relié à tout l’ensemble pétrochimique au Québec, était un cas urgent, quant à nous. Au bout de quelques jours, n’ayant pas eu de réponse – parceque là, il y avait eu la visite à la reine sur les entrefaites et les décisions qu’on connaît maintenant – j’ai téléphoné à M. Turner pour lui demander, pour l’amour du ciel, de s’en occuper un peu, s’il voulait bien, parceque c’était marqué « urgent’. Ce n’est pas une affaire électorale. La réponse est venue indirectement par M. Lumley et M. Marc Lalonde qui était une fin de non recevoir, c’est-à-dire que non, on ne mettra pas une cenne dans Pétromont. On ne donnera pas un coup de main. Je trouve cela… Enfin, j’espère que les gens de la région concernée, au moins, en tiendront compte. Je trouve cela absolunent inqualifiable, parceque si Pétromont est dans le pétrin, c’est à cause, en bonne partie, de ce qu’on appelle la politique nationale canadienne de l’énergie qui a littéralement crucifié les intérêts du Québec à certains points de vue et dans ce domaine là en particulier.
C’est facile à corriger, si jamais il y avait une volonté politique, premièrement, de donner l’équivalence que le Québec est prêt à fournir comme poire pour la soif pendant les mois qui viennent, c’est-à-dire chacun un quinzaine de millions, de façon à permettre à Pétromont de continuer et Union Carbide de se maintenir et ensuite, d’ajuster certains éléments de la politique de l’énergie en ce qui concerne, entre autres, le prix du gaz. Entre nous, ce serait bien le minimum que des politiciens fédéraux devraient faire, parceque c’est leur politique qui a entralné ce qui risque dêtre une déconfiture finale, non seulement pour Pétromont, mais pour ce qu’on peut appeler l’ensemble du secteur pétrochimique au Québec. Il y a des milliers d’emplois là-dedans et deuxièmement, il y a une logique aussi; c’est qu’il y a actuellement trois centres pétrochimiques qui sont tous un peu en difficulté au Canada, Edmonton, au fond de l’Ouest, Sarnia, on sait où, en Ontario et Montréal. Or, par le poids même de son caractère de métropole et aussi par le fait que Montréal constitue le point de rencontre de tous les grands moyens de transport, en particulier des grandes lignes maritimes océaniques, il est évident que s’il y a une vocation évidente, c’est celle de Montréal dans ce domaine là. Au moins, qu’il y ait un minimum de réflexion qui se fasse dans les semaines qui viennent – et c’est marqué « pressé » – en ce qui concerne Pétromont. Et ce que je dis, là, cela répète ce que disent les milieux daffaires, les milieùx industriels et les milieux syndicaux, tous ceux qui connaissent le sujet et qui savent à quel point il y a une logique là.
[M. Lévesque: En sous-question, M. Girard.
M. Girard: M. Lévesque, si on ne doit pas considérer comme une intervention dans la campagne électorale les paroles en bien que vous avez prononcées au sujet de l’ouverture de M. Mulroney et les paroles en moins bien à l’endroit des fédéraux, comment doit on placer cela dans le contexte du lendemain de l’aventure constitutionnelle quand, lors d’un conseil national à Montréal, vous nous aviez annoncé que votre gouvernement prendrait tous les moyens pour faire battre les rouges à Ottawa et que même s’il le fallait, vous participeriez, avec votre gouvernement, à la campagne électorale? Avez vous abandonné complètement cette idée là de participer à la campagne électorale autrement qu’en conférence de presse ou à l’occasion, comme cela?]
[M. Lévesque:] Je pense que, sans entrer dans aucun détail, la meilleure façon peut-être, d’y participer, c’est justement de les laisser aller mais en soulignant quand même l’importance de certains intérêts du Québec et, je pense, la valeur relative – quand cela touche directement le Québec – de certaines interventions ou de certains discours comme je l’ai fait à propos d’un discours de M. Mulroney.
Il ne faut cependant pas oublier une chose. Il est évident que l’hégémonie de quelque parti
que ce soit qui transforme finalement une société, sur ce plan là, en une espèce de société parti unique, quand cela a duré trois quarts de siècle, le moins qu’on puisse dire c’est que n’est peut-être pas mauvais l’idée qu’il puisse y avoir une évolution là-dedans.
Or, une chose est certaine, le résultat des élections fédérales va se décider hors du Québec pour l’essentiel. Le Québec joue – 74 sièges, ça compte – mais ne peut plus – comme cela a été le cas naguère – prétendre que sans son vote il n’y a pas un gouvernement fédéral qui peut être élu. Cela a cessé d’être vrai quand M. Diefenbaker a été élu dans les années cinquante et, après les 14 ou 20 ans de [« french power »] à Ottawa, il est évident que le Canada anglais va plutôt, je pense, s’arranger désormais pour que les décisions se prennent là où trouve la majorité. C’est une chose qui est un pensez y bien aussi pour l’avenir du Québec.
[M. Lecours: Toujours une question sur les élections fédérales, M. Lévesque. Souhaiteriez vous, au fond, un gouvernement minoritaire?]
[M. Lévesque:] Non. Je souhaite simplement qu’on ait le moins mauvais gouvernement fédéral possible.
[M. Tourangeau: M. Fraser.]
[M. Lévesque: On aurait besoin du moins mauvais possible parceque , si je pense en particulier à la situation économique, à l’espèce de déclin catastrophique que le Canada a connu sur ce plan là depuis 10 ou 15 ans, je pense qu’il serait plus que temps que les gens les meilleurs possible, les plus compétents possible, les plus réalistes possible aussi, s’occupent de ces affaires qui sont également les nôtres. Il y a des milliards de déficit impliqués et des milliards de taxes à dépenser et on sait ce que cela veut dire.
[M. Fraser: Sur un autre sujet, M. Lévesque. Il y a eu une rumeur cette semaine sur la Côte-Nord que le gouvernement est prêt à annoncer une décision sur la fermeture ou non de Gagnon avec le plan SIDBEC-Normines. Est ce que la décision est prise?]
[M. Lévesque:] Non. Je regrette en tout cas d’être obligé de vous répondre comme cela. On a eu des représentations des gens de Gagnon en particulier qui ont été étudiées ces dernières semaines. Il doit y avoir d’ailleurs des rencontres pour faire le point avec les représentants de Gagnon. Ils s’étaient donnés la peine de faire un travail très volumineux et très substantiel sur leur façon de voir l’avenir possible de Gagnon et de cette partie de la Côte-Nord. Au-delà de cela, ce qui retarde… Je sais à quel point c’est frustrant et à quel point aussi l’inquiétude s’accumule sans arrêt dans tous les esprits là-bas, mais le coeur du problème c’est que tout ce qui tourne autour de SIDBEC-Normines c’est quand même relié non seulement à SIDBEC et au Québec mais à deux grandes entreprises qui, contractuellement, sont liées ensemble avec SIDBEC: la British Steel et l’United States Steel ou Cartier Mining sa filiale ici. Des négociations se font autour de la façon dont on pourrait non pas rentabiliser – hélas pas tout de suite en tout cas, pas d’un coup – mais réduire l’hémorragie absolument insupportable longue que représentent les pertes de l’ensemble SICBEC.
Tant qu’on ne peut pas finaliser ce genre de négociation, on est obligé de rester là avec une patte en l’air et, hélas, de laisser la population dune petite ville sur la Côte-Nord dans l’incertitude et dans une espèce d’angoisse que tout le monde comprend. On ne peut pas non plus irresponsablement dire: Oui on ferme, ou non on ne ferme pas, avant lavoir le tableau complet. Cela prend du temps, c’est sûr.
[M. Fraser. Avez vous une date limite pour…]
[M. Lévesque:] J’aurais bien aimé que la date limite – pour que cela soit clair – ce soit avant le début de l’été, à la fin du printemps où on avait l’espoir, à un moment donné… Car s’il doit y avoir des déménagements impliqués, etc, c’est mieux quand cela peut se faire à quelques mois de l’année scolaire. Pour l’instant, je ne peux pas vous dire. On demande à ceux qui sont concernés, c’est-à-dire l’équipe de M. Biron, dabord et avant tout, du côté financier évidemment, M. Parizeau et son équipe, qui sont les principaux interlocuteurs, d’essayer d’arriver à un résultat. Mais cela ne se force pas. Il y a des interlocuteurs qui sont en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.
[M. Tourangeau:. Mmè Thellier.
Mme Thellier. …j’ai deux questions sur deux domaines différents. D’abord, on sait que vous tenez beaucoup à le réforme électorale. Est ce que la réforme électorale, c’est au programme du caucus et du Conseil des ministres spécial?]
[M. Lévesque:] Vous voulez dire la réforme du mode de scrutin.
[Mme Thellier. Oui, la réforme du mode de scrutin.]
[M. Lévesque:] C’est une étape particulièrement importante de cet ensemble de la réforme électorale. On va sûrement en parler, oui, au caucus de la semaine prochaine et cela également sûrement être un des points è l’ordre du jour du Conseil des ministres.
[Mme Thellier. Est ce qu’il y a un document qui va être soumis aux députés du Parti québécois et aux ministres?]
[M. Lévesque:] Il y a un document de toute façon qui va être soumis non seulement aux députés du Parti québécois, mais aussi aux membres de la commission parlementaire et, à toutes fins utiles, au grand public par votre intermédiaire. C’est un document qu’on pourrait appeler de mise en situation, de mise au point de tout le travail qui a été fait jusqu’à maintenant, et qui doit venir du Directeur général des élections, pour étayer, si vous voulez, le travail de la commission parlementaire. Elle doit se tenir, si j’ai bonne mémoire, à la fin d’août, août ou septembre. Je m’excuse, je n’ai pas le calendrier de la reprise des travaux, mais elle doit se tenir cet automne; en tout cas, à la fin de l’été ou cet automne. C’est une commission parlementaire qui a été prévue au moment de l’étude des crédits du Directeur général des élections. Elle va venir dans quelques semaines et, à ce moment là, ce sera préparé, si vous voulez, ou étayé par un document qui doit être fourni aux parlementaires concernés et, éventuellement, forcément, aux médias d’information.
[Mme Thellier. Mais il n’y a pas de document ministériel. Le Conseil exécutif prépare quoi?]
[ M. Lévesque:] Cela reste à voir. Précisément, on va en parler. Je ne peux pas vous le cire tout de suite.
[Mme Thellier: Je ne sais pas s’il y a d’autres sous-questions. J’avais une autre question sur un autre sujet. Est ce qu’il y a des sous-questions? L’autre question, c’est sur le patronage libéral, notamment, ce qui a été…]
[M. Lévesque:] Sauf, comme ils disent en anglais, [« what else is new »].
[Mme Thellier. Est ce que vous pensez que le Québec est à l’abri, le régime du Parti québécois? Enfin, disons le gouvernement du Parti québécois, est ce que lui même est à l’abri et comment pensez vous que les électeurs peuvent…]
[M. Lévesque ] On est à l’ abri du…
[Mme Tellier: … faire la différence?]
[M. Lévesque:] …genre de potée invraisemblable, on peut dire même inqualifiable de patronage qui a accompagné la transition de M. Trudeau et M. Turner. Vraiment, si on avait voulu caricaturer un régime de vieux patronage incrusté, on n’aurait pas pu faire mieux. On aurait dit que c’était fait exprès. Ce qui est venu après, ce sont des à côtés. À même 100000000 $ et quelque dans le Vieux-Port de Québec, il y a eu une espèce de distribution gentille à tous les petits amis. Hélas, on est devenu cynique, et je dois dire que l’hégémonie depuis un demi-siècle d’un seul parti au pouvoir au plan fédéral, forcément cela n’a pas aidé. Cela n’aide pas. Ils ont connu cela dans le Sud des États-Unis. On connaît cela dans certains coins du monde, des partis uniques, au plus fort la poche, et ce sont toujours les amis. Cela, hélas, fait partie des moeurs. Nous, on a certaines garanties contre cela. Je pourrais le dire presque avec nostalgie, on n’a pas de Sénat pour caser les chevaux de retour. On n’a pas d’ambassade ni de consulat qu’on peut improviser à Rome pour M. Whelan, pour quelques millions. Autrement dit, la situation elle même réduit nos tentations; c’est une chose. La deuxième chose, il y a des balises qu’on s’est données que, je pense, d’autres devraient être capables de copier. On copie assez de choses qui ont émané du Québec depuis 10, 15 et 20 ans. C’est d’ici que sont venues certaines des idées les plus progressistes que le Canada a fini par adopter ou a essayé d’imiter dans d’autres domaines. Cela pourrait peut-être servir aussi de modèle. Par exemple, dans le choix des contrats, les entrepreneurs, etc., je pense que notre système est pas mal au-dessus de tout soupçon. Il peut y avoir des accidents de parcours, mais je n’en connais pas d’importants en tout cas. Une chose est certaine, c’est [« full proof’], comme on dit en anglais, pour l’essentiel. Cela irrite, cette espèce de distribution invraisemblable qui ressemble vraiment à l’orgie autour de l’assiette au beurre.
[M. Tourangeaie M. Drolet.
M. Drolet: M. Lévesque, sur un autre sujet. Il y a un cultivateur dans la région de Drummondville qui a des démêlés avec l’Office du crédit agricole, qui fait une grève de la faim et qui a demandé de vous rencontrer. Est ce que vous allez acquiescer à sa demande?]
[M. Lévesque:] Non, je vais peut-être lui répondre en lui disant de s’adresser à M. Garon, qui est le ministre responsable de l’agriculture. Maintenant, sans insister sur un cas qui a son aspect pénible, il y a des gens qui abusent beaucoup de ce genre de pression. C’est comme des épidémies. À un moment donné, il y a des détournements d’avion. À un autre moment, il y a des soi-disant grèves de la faim, etc. Cela sert de moyen de pression, mais si vous regardez le dossier – je ne veux pas insister là-dessus; c’est pénible en soi – puisqu’il a été rendu public, du monsieur en question, c’est un dossier de faillite presque évidente et à laquelle personne ne peut rien. On me rappelle, à peu près, que sur 21000 clients de l’Office du crédit agricole qui sont également dans la situation de débiteur vis-à-vis de l’office, il y a eu, depuis 1979, c’est-à-dire
en cinq ans, 300 faillites. Si vous tenez compte que là-dedans il y a eu des années de crise économique très profonde, de récession qui méritait le nom de crise, 300 sur 21000, en cinq ans, la moyenne – c’est triste pour ceux à qui cela arrive – n’est quand même pas une moyenne qui donne l’impression que l’agriculture est en train de s’effondrer loin de là. Seulement, il y a des cas comme cela, de mauvaise administration ou de malchance ou les deux combinés, qui mènent à des choses comme cela. Qu’est ce que vous voulez?
[M. Tourangeau: Mme Lafontaine.
Mme Lafontaine: Oui. Après les élections fédérales, on peut peut-être parler des prochaines élections provinciales. Est ce qu’après la pause vacances et le Conseil des ministres dhier…]
[M. Lévesque.] …à part cela que les médias d’information, on sait qu’il y a du surtemps d’impliqué dans une campagne électorale pour ceux qui suivent cela, mais c’est épuisant, je le sais. Il faut tout de même qu’il y ait une certaine pause entre les deux; entre des efforts aussi exténuants. À part cela, si vous voulez précipiter cela, imaginez ce que l’impôt va venir chercher!
[Mme Lafontaine: Est ce qu’avec le Conseil des ministres dhier et les quelques uns que vous avez faits au cours des mois d’été, vous avez commencé à régler les dissensions, au moins les différences qu’il y a au Conseil des ministres à propos de la prochaine élection qui doit porter sur l’indépendance ou sur la question nationale.]
[M. Lévesque:] Écoutez, je veux bien que vous disiez des dissensions, parceque c’est sûr qu’il y a eu… disons, pour reprendre un terme, et je ne sais pas si on peut l’employer sans passer pour sexiste, il y a eu des discussions, il y a eu, oui, des divergences d’opinions. Il y a finalement eu une sorte daccord qui était vraiment unanime juste avant la période des vacances, lequel était que, jusqu’à nouvel ordre en tout cas, on vivrait – puisque le congrès l’a voté – on vivrait avec et l’on ne dramatiserait pas inutilement quelque chose qui ne mérite pas tellement d’être dramatisé. Disons que ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus habile, ce qui a été voté au congrès, parceque c’est un peu présomptueux. Mais d’un autre côté, est ce que les gens, quand viendra le moment pour eux de voter, est ce qu’ils ne sauront pas pour qui voter sans qu’on soit obligé, de prétendre leur dire dans des programmes politiques? Cela, franchement.
[Mme Lafontaine: Justement, est ce que cela veut dire que, jusqu’à temps que vous ayez fixé la date des élections, c’est une question que vous ne toucherez plus au Conseil des ministres?]
[M. Lévesque:] Cela ne veut pas dire cela. Cela ne veut pas dire que ce ne sera pas réévoqué. De quelle façon? Je ne le sais pas en ce moment. Au moment des réunions du parti, parcequ’ il y a des conseils nationaux. Quand viennent des élections, il y a également, en général, au moins une rencontre très spécifique sur ce que doit être la façon d’aborder la campagne électorale. Cela fait partie des traditions d’un parti démocratique tel que nous le concevons. Le long du chemin, il y aura strement l’occasion de reparler de ces choses. En ce moment, cela ne fait pas partie de nos préoccupations immédiates. Pardon?
[M. Tourangeau: M. Richard va rester?
[M. Lévesque:] Écoutez, non seulement cela, mais il a fait un excellent travail, je trouve, quand il a accepté gentiment de me remplacer pendant les deux ou trois semaines où j’ai dû partir.
[Mme Lafontaine: Cela veut dire, M. Lévesgie…]
[M. Lévesque:] Il n’y a qu’une chose qui m’a inquiété, il m’a dit que cela allait très bien. Il m’a envoyé… C’est le seul message que j’ai reçu du gouvernement pendant le petit de bout de vacances que j’ai prises. Il m’a envoyé un message pour dire que tout allait très bien. Les seules difficultés qu’il avait c’était avec son remaniement. Je n’ai pas répondu. Qu’il s’arrange avec ses problèmes! Il s’est rendu compte que ce n’est pas si facile que cela.
[Mme Lafontaine: Est ce que cela veut dire, M. Lévesque, que c’est hors de question que ce soit touché au caucus la semaine prochaine et au Conseil des ministres du 30 août?]
[M. Lévesque:] Ce n’est pas hors de question, mais ce n’est pas prévu à l’ordre du jour.
[Mme Lafontaine: D’accord.]
[M. Lévesque:] Cela n’empêche pas les gens de pouvoir discuter librement de ce qu’ils veulent.
[Mme Lafantaine: Qu’est ce qu’il y a à l’ordre du jour alors? Au caucus…]
[M. Lévesque:] Pour le caucus, il doit être finalisé – excusez l’expression – cet après-midi. Il va y avoir des choses logiques. D’abord, un peu l’évaluation que sur le terrain, les députés ont eu l’occasion de faire de la campagne fédérale parceque forcément, même si on ne se mêle pas directement, cela ne peut pas faire autrement que de nous intéresser. Il y a des choses plus spécifiquement d’intérêt direct pour le gouvernement et pour l’aile parlementaire. Forcément, il y a le secteur public. Comment on va reprendre le sujet à partir de la fin de l’été, au début de l’automne. La question des négociations, du régime éventuel de négociations. Il y a évidemment les questions de fiscalité parceque c’est toujours intéressant pour tout le monde de parler de ce fléau universel que sont les taxes que nous payons. Et puis tout le monde va vouloir donner certaines idées, ce qui est normal aussi, au moment où une nouvelle session va s’ouvrir à l’automne, sur ce que devrait contenir le programme de la session. Il y aura peut-être autre chose aussi, mais je n’ai pas l’ordre du jour tel qu’il sera complété à la fin de la journée. Ils sont en train d’en discuter.
[M. Tourangeau: En anglais maintenant, s’il vous pialti Mme Drouin. Une voix:…]
[M. Lévesque:] Pardon? Ah Cela viendra à la fin du mois et jusqu’à un certain point, cela pourrait incorporer certaines des réflexions, et du caucus, et du conseil exécutif du parti, et certaines des choses que le gouvernement entend faire à compter de cet automne, soit pendant la session, soit en dehors du Parlement. Il y a beaucoup de choses qu’un gouvernement doit faire qui n’ont rien à voir avec la législation ou l’activité parlementaire. On a à boire et à manger là-dessus, mais on mettra cela au point dici quelques jours.
[M. Tourangeau: En anglais, maintenant, s’il vous plalt! Mme Drouin.
Mme Drouira Je voudrais revenir sur la campagne… Oh! C’est en anglais maintenant? D’accord.
M. Lévesque: You take your pick.
Mme Drouin: C’est notre… On the Mr. Turner’s accusations that there are separatists disguised as conservatives in the campaign, do you think it this going to be turned against Mr. Turner? What do you think of that tactic?
M. Lévesque: I think it is, in a sense, a sort of indication of a certain panic, because it is so futile; there is no substance there. What they have identified, I think, is a very relatively small number of people who voted « yes » in 1980 referendum, some not even members of the Parti québécois, others, former rri+embers and I do not know who else but let us not forget that 40% of the whole of Quebec and 50% of French Quebec voted « yes » in the referendum. That took in, obviously, all the militant members of all parties but took in quite a few hundreds of thousands of other Quebeckers who are just staunchly Quebeckers and felt that the indicated answer to the question was « yes’. So trying to build a sort of dramatic accusation about a few people like that is not exactly – well, let us say – high level politics, or intelligent politics.
M. Tourangeaux M. Noseworthy.
M. Noseworthr. About the Supreme Court judgment on Bill 101, why is there such a serious set back for Quebec? After all, there is only a few hundred families Involved, not the immigrant families.
M. Lévesques No, well, what is dramatic – but it is only a confirmation of what we saw quite dearly as a writing on the wall in 1981 when that so called constitution was repatriated – what was already quite foreseeable, this tore away some essential powers that Québec always considered as safeguards, specially for its basic French character as a society. That is tied to the accessibility of schools and the right to decide about the accessibility of schools. What the Supreme Court did was just draw the conclusions from Article 23 of the so-called Canada Bill. You cannot blame the court for doing it because it was there, but it does dramatically underline the fact that, without Québec’s consent, without any kind of democratic mandate through a unilateral prodding by Mr. Trudeau and his Government and a rather servile attitude in other quarters, here and overseas, one of the basic ingredients of any kind of balance between French and English in Canada has been broken up, and that is very dramatic.
In actual fact, you are right. I do not think it will imply more than – I cannot give you a figure – a few hundred, maybe, at the most, a few thousand families throughout Canada, but it is the basic principle. You know, I repeat what I have said before, if ever our forebears had thought that their control over schools and the basic ingredients of education in Québec were to
be yanked away from Québec’s control, they would never have joined the the Federal system. That is obvious. You just have to look back at our so-called federalist papers of the 1860s’, and it has always been respected until that came up. That is something which will, I think, never be accepted as such by anyone of the French majority in Québec.
M. Noseworthr. And your next step?
M. Lévesque: The next step is: How do we implement as best we can the essential thrust of the Supreme Court Judgment which substitutes what is called the Canada Clause to replace what was the Quéec Clause, in other words, extending the right to English schools in Québec to children of parents who have studied throughout Canada in English. That was already accepted in the case of New Brunswick. Do not forget that this idea of a Canada Clause was, in Bill 101, tied to what we call reciprocity, in other words, that there would be an enormous effort, not just on Québec’s part, but-‘ on the part of all provinces, for all French speaking minorities and then, there would be no problems. So, as far as the basic substance of the whole thing is concerned, I do not think there is a great big argument. What is absolutely the basic is that that was railroaded, yanking away powers that Québec always deemed essential, I think, legitimately so.
M. Noseworthy: You will implement this ruling in time for the new school year.
M. Lévesque: Yes, but we also have to… Yes, if possible, the best we can. Just as you know, when Bill 101 was invalidated as far as the language of legislation was concerned, we did not waste time. We agree, we are in a society of laws and the last… As long as we are in the federal system the way it is, the last judgment on things like that is the Supreme Court. So, we implemented the judgement as far as Bill 101 was concerned, concerning legislation. Have you noticed how quickly Manitoba has adhered to that same judgement and how efficiently it has done the job? This case of always « deux poids, deux mesured’ which has been part of the history of Canada – in fact, it is in the fabric of the history of Canada – is something that eventually will wink in when Québec will hopefully decide that enough is enough.
M. Tourangeau: M. Saint-Laurent.
M. Saint-Laurent: M. Lévesque, you have praised Mr. Mulroney’s approach to federal-provincial relations, at least as indicated by his speech. You have criticized Mr. Turner for his comments about dealing with your government. You said that it is bad for the province of Québec to always endorse the same political party over for so many years. You said that the patronage appointments are sort of a follow to that and it comes from always voting for the same people. It is very difficult not to interpret all of those statements as an endorsement of Mr. Mulroney or the conservatives.
M. Lévesque: No. We are absolutely not involved and we will not be involved directly as a government, with the exception of the Parti nationaliste, as far as the party itself is concerned, for those who want to give it a hand, the party, just like the government, will not become involved as a party in the federal election. That does not change the fact that I listen, I read and I follow what is going on from a Qudbec standpoint, from the standpoint of Québec interests in the federal system because we are part of that until further notice. We pay taxes and we share the deficits. God• knows we are involved. Now, what I said was that I thought it was a respectable speech, sort of g new perspective which should always have been there, the speech that Mr. Mulroney made in Sept-ales… It should be a sort of guideline for all – including Mr. Turner and Mr. Broadbent – federal politicians, as far as provincial rights are concerned, especially Guébec’s rights, but it applics to other provinces too, if you want to have any sort of normally balanced federal system and not a sort of stupid – there is no other word – kind of centralization that has been going on at the federal level for about 20 years, which has got us, economically as well as constitutionally, to a kind of catastrophe, with results that everybody knows about, with Canada having gone into a decline and more division than ever during those 15 ou 20 years.
Now, there is a perspective there which is purely verbal. A speech is a speech, and the proof of the pudding is in the eating. We will see, whoever is the Government in September, if there is any follow-up to that, but I cannot help notice that it was a better definition of a
good perspective than anything else I have heard. As far as Mr. Turner is concerned, the only thing I had to say was that… It is a bit unconsciable to hear a Prime Minister of Canada saying that he won’t deal with the Ouébec’s democratically elected Government. It is kind of silly.
M. Saint-Laurent: With all of those things together, Mr. Lévesque, it Is difficult not to assume or to conclude that you would rather see a Tory Government.
M. Lévesque: Absolutely no preference at all. One of the most productive years of federal administration, as far as I can remember, was during a period of minority government. So…
M. Tourangeau M. Fryer.
M. Fryer. Non, c’est correct. M. Tourangeau: M. Grant.
M. Grant: Mr. Ltvesque, I would like to return to two aspects of what you said about the…
M. Lévesque: I am sorry, that will have to be the last question because I have to be at the office at 15.00.
M. Grant: Okay. Two aspects of Bill 101 decision. You talked about abuses, I would like to know what abuses you are worried about. You also talked about an era of linguistic peace. Are you really concerned that that era could end with that decision?
M. L.évesque: I hope not. We are going to, as best as we can, try to hold on to a kind of climate, which, I think, was basically, essentially peacefull and, I think, made up of more understanding on both sides realities that have to deal with school languages and things like that. There are possibilities of abusive interpretation or abusive efforts. I gave an example and I will give it again. Take someone who, because this article in the so called Canada Bill, which has’ been made predominant by the Supreme Court judgement, has been divised by people who did not know very much about Bill 101 except they wanted to crucify it if possible and did not see too much the ‘consequences of their own writing. It says something like – article 23 which is now, according to the Supreme Court, predominant – it says that people or children – I cannot remember – who have’, received or , are receiving teaching in English, something in that vein. Abuses could be very air npLy’as this, that instead of an honest to goodness Canada clause which basically everybody more or less agrees to, as I was reminding one of your colleagues, through the challenge of reciprocity, we accept it ourselves potentially and implemented it before the Supreme Court judgement with New .Brunswick. But supposing, you know, abuses; just one example. Someone says Well, I will send my kid or kids to, let us say, across the boarder to an English Ottawa school for two months or six months. Out of very lack interpretation, we could be in a lot of trouble with things like that. In other words, taking us back by steps, you know, either forced or people critical to what was used to be called free choice complete and absolute in Québec. That, I do not think Qu6bec would ever accept to go back to. So, we are entitled to implement the best possible safeguards or guarantees against such abuses. That is in the works and it would take at least a week or ten days.
M. Grant: OK. But does that mean amending necessarily Bill 101 as it stands now? M. Lévesque: That is part of the problem. We do not know yet.
M. Daignault: Is your fear that Francophone children or parents, if you wish, Francophone parents would try to send their children to English schools?
M. Lévesque: It could be Francophones. It could be people from any ethnic origine deciding that that interpretation could be used which, I think, would be absolute and unconscionable. But, you know, in some minds, things like that can be played around with.
M. Saint-Laurent: Mr. Lévesque, why do you not endorse the Parti nationaliste?
M. Lévesque: I endorse the absolute freedom of everybody who wants to work with the Parti nationaliste – we have quite a few friends there – the absolute right of any of our party organization on account of resolutions voted during our last congress in June, the absolute right of any party organization at riding level or other, to decide to give him a hand. But as far as the government as such is concerned, we will not mix in the federal election directly in no way.
M. Saint-Laurent: But with the party, as René Lévesdpie, as President of the Parti québécois, is opposed to René Lévesque, Premier of the province?
M. Lévesque: No. Unfortunately, and I think, because we have quite a few of them in the Parti nationaliste, we understand that… You know, playing around with one hat and the other hat, a situation where confusion can be bred so fast, that is no good.
Mme Droiirn Are you expecting Mr. Bourassa to be back in the National Assembly in the fall and would it help your strategy if he was there, as a target?
M. Lévesque: I do not know. Anything like a year, a year and a half from an election… He has about – I do not know – 50 members in the House, 40 and some, 48, which means that not only are they the official Opposition but they are a very substantial group of
parliamentarians. I think that the decent and the democratic thing for Mr. Bourassa to do would
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be to try and come and be part of the Assembly work during that year or year and so that remains in this present mandate of Government. Otherwise, he is playing a game which I think can be some sort of personal calculation, but it is not, I think, very decent. OK.
M. Totrangeata Merci beaucoup.
t
(Fin h 15 h 02)]
[QLévesque19840809cp]