Je voudrais d’abord remercier conjointement les Hautes Etudes Commerciales et le Financial Post de nous avoir invités mes collègues, M. Landry, M. Joron et moi-même, à passer cet examen oral devant un aréopage particulièrement exigeant, j’en suis sûr, et représentatif aussi. Je remercie d’abord les Hautes Etudes Commerciales, cette équipe qui a bâti une des écoles de « management » qui se situe parmi les meilleures au Canada; ce qui signifie l’une des meilleures au monde. D’autre part, à elle seule la présence du Financial Post, cette éminente publication de la contrée voisine, est une garantie absolue que les dés n’ont pas été pipés en notre faveur. En effet, et je m’en voudrais de ne pas le souligner, en ce qui concerne la situation présente et les perspectives d’avenir du Québec, la lecture régulière du Post que je m’inflige hebdomadairement correspond assez exactement depuis quelques mois à une remise à la page soigneuse et persistante des meilleurs chapitres de l’Apocalypse; et comme vous le savez, l’Apocalypse est considérée comme une des plus équilibrées, des plus sereines parmi les grandes productions de l’esprit humain.
Il n’en demeure pas moins que c’est une excellente idée que cette rencontre avec un public aussi sûrement représentatif des grands milieux dirigeants de la vie économique du Québec et de tout le Canada, c’est-à-dire, de l’Ontario et c’est sans la moindre hésitation, je puis vous l’assurer, que nous avons accepté, mes collègues et moi, de venir y participer, d’expliquer le mieux possible où nous en sommes comme gouvernement à Québec et où nous espérons arriver aussi comme gouvernement, pour autant que ça peut être prévisible et pour autant aussi que la liberté permet encore aux hommes d’orienter eux-mêmes au moins une partie importante de leur destin. Je pense que mes collègues vous l’ont démontré depuis ce matin, nous voulons vous dire les choses franchement, comme nous les voyons, quittes à ne pas nous entendre sur tous les points, ce qui arrive à l’occasion, sous tous les climats et probablement dans tous les régimes, entre tous les gouvernements et tous les grands représentants de milieux d’intérêts économiques.
D’abord où en sommes-nous? Neuf mois presque jour pour jour après l’arrivée au pouvoir du Parti québécois qui forme maintenant le gouvernement provincial du Québec, nous avons commencé le plus sérieusement possible à apprendre ce métier assez dur, pour lequel il n’y a pas d’école ni de période officielle d’apprentissage, et qui est celui du gouvernement, de l’administration publique et de la productivité parlementaire.
Du côté de la gestion des affaires publiques, ainsi que nous l’avions prévu avant les élections de novembre dernier, nous avons dû dès le départ nous consacrer vigoureusement et même douloureusement à bien des points de vue, à un travail d’assainissement des finances publiques du Québec. Le rythme de progression de notre endettement collectif surtout au cours des deux, trois dernières années, était devenu très inquiétant. Une collectivité qui s’en’ va indéfiniment demander aux autres de fournir une part excessive de ses besoins risque toujours de devenir éventuellement irresponsable et de perdre aussi son crédit vis-à-vis des autres. Il a donc fallu comprimer d’une façon encore une fois douloureuse. Il faut croire tout de même que nous n’avons pas trop mal réussi jusqu’à présent puisqu’au bout de quelques mois, en dépit d’une foule d’obstacles, y compris des obstacles que je qualifierais de subjectifs, les cotes d’emprunts du Québec aussi bien que celles de l’Hydro-Québec se trouvaient maintenues sur les marchés extérieurs. Nos performances financières jusqu’à ce jour, en tout cas, sont la confirmation de ce redressement. En même temps, nous avons amorcé et nous avons je crois réalisé en bonne partie déjà une révision, un resserrement, dans certains cas un renouvellement des pratiques administratives du gouvernement concernant les achats, les contrats, les engagements et tous les principaux secteurs des dépenses publiques. Nous avons d’autre part mis en chantier un projet de réforme extrêmement délicat, mais qui nous semble nécessaire, du côté de la fonction publique, dont l’objectif central est d’établir plus solidement que jamais la règle du mérite et des critères de performance dans l’ensemble du secteur public, tout en maintenant et au besoin en renforçant des organismes autonomes qui protègent les serviteurs de l’Etat contre l’arbitraire gouvernemental ou partisan.
Ce projet comme bon nombre d’autres de très grande importance qui concernent par exemple les droits des personnes handicapées, la protection de la jeunesse et puis, en vrac, l’assurance-automobile où nous avons amorcé un nouveau régime,, le zonage agricole, parce que les terres cultivables du Québec ne sont pas en surabondance et risquent toujours d’être mangées par les développements et la spéculation; tous ces projets et pas mal d’autres sont déjà ou seront bientôt devant l’Assemblée nationale à Québec pour la deuxième partie de la session qui doit venir à la mi-octobre. Quant à la première partie de la session, qui aura duré presque six mois, elle vient de se terminer ces jours derniers après l’adoption de quelque 35 ou 40 mesures législatives, dont plusieurs étaient de grande importance parce qu’elles battent des sentiers nouveaux, souvent des sentiers qui attendaient depuis longtemps qu’on s’en occupe. Par exemple, nous avons passé une loi sur le financement des partis politiques(et ça c’était le premier de nos engagements électoraux) qui est destinée à mettre fin une bonne fois pour toutes au vieux système des caisses occultes des partis politiques,-.au vieux système des liens dangereux entre les grands milieux d’argent ou les grands milieux de pression trop puissants et les formations politiques. Sur ce plan nous avions l’avantage,
que nous avons payé de beaucoup de sacrifices et de beaucoup d’efforts, d’arriver au Gouvernement les mains absolument libres vis-à-vis – tous les intérêts organisés. Cette loi va nous permettre de garder nos mains libres exactement comme elles l’étaient au début et d’assurer autant que possible que ceux qui nous suivront auront désormais à en faire autant. À mon avis, c’est une des mesures les plus essentielles, les plus fondamentales que nous avions à prendre et qui a été réalisée pendant cette première partie de notre première session.
Conformément à un autre engagement, nous avons également passé une loi qui étend la gratuité des médicaments à toutes les personnes de 65 ans et plus.
De plus, en examinant la situation de nos personnes âgées on a constaté qu’on réduisait jusqu’ici de façon inéquitable les revenus de ces personnes qui continuent à travailler après 65 ans. On a alors profité de cette première partie de la session pour corriger la situation. J’insiste sur ces deux points qui ne constituent que des amorces de réponse aux besoins de l’Age d’or dans nos sociétés. J’ai lu récemment, que d’ici dix ou quinze ans, le nombre de ces gens du troisième âge aura à peu près doublé dans toutes nos sociétés. Ces personnes du troisième âge, quand elles sont dans le besoin, représentent très souvent quelque chose, à mon humble avis, de honteux pour les plus jeunes ou les valides pour qui ils ont travaillé. Et puis très souvent, les personnes âgées d’aujourd’hui ont travaillé sans les protections qu’ont les travailleurs de maintenant, sans les salaires ni
les avantages marginaux ou autres dont la plupart des gens profitent de plus en plus de nos jours. Quand j’observe, dans nos sociétés, au Québec comme ailleurs, ces personnes âgées qui n’ont que leur pension pour vivre; à qui chichement on assure à peine des conditions minimales de logement, quand on consent à aller jusque là; à qui on compte goutte à goutte ce que la société leur doit pour toute la vie de travail qu’ils ont dû endurer, y compris même certains avantages pour les transports en commun ou pour aller au spectacle; devant ce traitement qu’on leur réserve, j’ai l’impression que nous sommes des sociétés à demi civilisées. Alors, très modestement, on a amorcé ce qui, quant à nous, devrait être une politique prioritaire sur le plan social, une politique d’avantages non seulement mérités, non seulement justifiés, mais absolument essentiels dans une société qui se respecte, pour cette section sans cesse croissante de notre population qui atteint le troisième âge.
Nous avons aussi fait adopter des mesures sur le développement coopératif parce que le secteur coopératif a chez nous des racines profondes et une importance croissante. Nous avons créé la régie qui administrera l’an prochain un nouveau régime d’assurance-automobile. Nous avons mis au point et fait passer une nouvelle législation qui prévoit des stimulants fiscaux pour les entreprises québécoises, etc. Mais tout ce travail, depuis quelques mois, a été passablement masqué par les débats persistants, torrentueux et évidemment plus spectaculaires qui ont accompagné le projet de loi no 1, qui est devenu ensuite le projet 101 et qui est maintenant depuis quelques jours, la Loi 101, c’est-à-dire, la charte de la langue française. Cette loi constitue le troisième effort législatif en une dizaine d’années pour régler un problème, du moins pour en atténuer l’impact sur notre société; un problème que divers facteurs démographiques, sociaux et économiques ont dramatisé depuis les années 60, au point où aucun gouvernement ne peut plus, ne pourra plus s’en laver les mains. Je n’ai pas la prétention de croire que cette fois nous avons atteint la perfection. Des lois qui atteignent la perfection, surtout dans des domaines délicats comme celui-là, ça ne court pas les rues. De toute façon, c’est à l’usage qu’on verra de cette loi les défauts et les lacunes aussi bien que les qualités. Comme je l’ai dit ces jours derniers à l’Assemblée nationale, le gouvernement est bien décidé à faire preuve de toute la flexibilité, de toute la compréhension possibles dans l’application du texte. Mais nous sommes tout aussi fermement décidés â ne jamais céder au chantage sur ce point, ni à quelque sabotage que ce soit, qu’il vienne du dedans ou qu’il vienne de l’extérieur.
Constitutionnellement, sous le régime actuel dans lequel nous vivons, c’est le droit le plus strict du Québec, à notre avis, de légiférer comme il l’a fait dans ce domaine, non seulement pour la sécurité culturelle mais aussi pour la promotion et la fierté collectives indispensables à la majorité française du Québec comme à tous les peuples qui se respectent. Nous sommes convaincus que la loi 101 dans son ensemble, sans être une panacée, était, demeure et, dans tout avenir prévisible, demeurera quelque chose de nécessaire. Là-dessus, je m’empresse d’ajouter que cette loi n’a pas été faite contre personne. Elle n’était inspirée, par aucune hostilité, ou comme certains ont osé le prétendre, par aucune intention vengeresse de quelque nature que ce soit à l’endroit du reste du Canada ou à l’endroit de la minorité anglophone du Québec. À cette dernière, nous continuons et nous continuerons de reconnaître des droits qui vont continuer d’en faire comparativement aux minorités francophones partout ailleurs au Canada, la minorité la mieux équipée.
Quant à ce qu’on appelle la dimension canadienne, nous avons offert et nous offrons toujours dans la loi aux autres provinces, c’est-à-dire aux autres Canadiens, la voie d’un effort réciproque en particulier du côté de l’accessibilité aux institutions d’enseignement pour la langue seconde. Nous continuons d’offrir cette voie qui est largement ouverte à ceux qui veulent la prendre avec nous afin de voir si on ne peut pas essayer ensemble d’établir une équité dans les traitements respectifs qu’on fait aux minorités de part et d’autre au Canada, ce qui n’a jamais existé. En attendant que cette offre puisse être éventuellement acceptée, des permis temporaires sont disponibles selon la loi, dont la validité peut aller jusqu’à six ans pour tout ceux qui ont à séjourner au Québec à cause de leur emploi, d’une mission d’étude et de perfectionnement, d’un poste dans les forces armées ou dans tout autre secteur où la mobilité d’une carrière implique un séjour au Québec. Je pense que je n’ai pas besoin d’ajouter devant un auditoire comme le vôtre qu’a la dernière minute, après avoir longuement réfléchi sur les représentations que nous avions reçues, nous avons également élargi, assoupli considérablement les règles qui vont s’appliquer désormais aux opérations des sièges sociaux des entreprises dont les activités débordent substantiellement les frontières québécoises.
Il y a quelques semaines, un autre débat s’est engagé assez vivement sur un autre projet de loi important que l’on appelle le Bill 45, qui touche lui aussi un domaine hypersensible: celui des relations de travail. Il s’agit essentiellement d’un certain nombre de changements qui visent à rendre notre code du travail plus efficace et plus équitable. On ne prétend surtout pas avoir terminé la besogne avec ce seul projet de loi: au contraire, il s’agit d’un début, tout ça a besoin d’être rajusté en fonction de l’évolution; mais on a voulu agir rapidement dès cette première session sur les questions qui paraissaient les plus urgentes. Or, l’une d’entre elles qu’on désigne sous le nom de politique antiscab réussit jusqu’à présent à monopoliser presque toute l’attention. Dans les milieux patronaux surtout,on semble avoir l’impression que par cette mesure, nous aurions l’intention de déséquilibrer, de débalancer de façon irrémédiable les relations entre employeurs et employés au seul profit évidemment du monde syndical ou des syndicats. Dans de domaine d’affrontement hélas souvent tellement durci et d’attitudes figées il est presque fatal que tout changement qui semble aller dans le sens d’une partie soit accueilli quasiment comme la fin-du monde par ceux d’en face. C’est une réaction très compréhensible et pourtant j’espère que vous croirez que ce que nous cherchons à favoriser par cette mesure et d’autres qui l’accompagnent mais dont on parle moins, c’est plutôt d’assurer un meilleur équilibre entre les parties, en tâchant en particulier d’éliminer ce qui est sûrement l’une des grandes causes de malaise et de violence occasionnelle de plus en plus fréquente dans les situations de conflit qui pourrissent. De toute façon le projet sera étudié plus en détail en commission parlementaire, ou les porte-parole du monde patronal aussi bien que du monde syndical auront le loisir d’exposer à nouveau leur point de vue. Qu’on soit éventuellement d’accord ou non, je vous demanderais de croire que notre seul objectif est de retrouver des conditions, de développer des attitudes aussi,qui redonneraient une chance à ce minimum vital de paix sociale sans laquelle nulle part au monde on ne peut compter sur le développement ni sur le progrès économique.
Comme nous l’avons amorcé modestement de notre mieux à ce que l’on a appelé le Sommet de La Malbaie il y a quelques mois, on va continuer de travailler dans ce sens-là, d’essayer d’être à l’écoute de tous les grands agents ou de tous les milieux stratégiques de la société. Cela ne veut pas dire être des « suiveux », mais garder l’oreille et l’esprit ouverts à tout ce qui peut, de près ou de loin, paraître susceptible d’améliorer ce climat qu’on a trop laissé s’empoisonner depuis longtemps. La paix sociale est un bien en soi, mais c’est aussi une des conditions, je le répète, absolument sine qua non de n’importe quelle prospérité économique. Or, en ce qui concerne justement la situation et l’avenir économique du Québec, depuis le lendemain même des élections, en dépit de l’écran que les grands débats parlementaires ont pu dresser devant une partie de l’opinion publique et malgré la propagande persistante de certains milieux qui ne voient strictement que ce
qu’ils veulent voir et ce qu’ils veulent voir est toujours noir, en dépit de tout ça, avec tous les moyens du bord, avec toutes les énergies dont nous pouvions disposer, nous avons constamment mobilisé toutes les équipes économiques du gouvernement pour tâcher de pallier tant bien que mal les plaies les pires et les plus criantes de la situation courante.
A cause de cette espèce de marasme persistant de l’économie. canadienne, dans laquelle s’intègre l’économie québécoise, il s’agissait et il s’agit encore quand c’est possible de sauver des entreprises qui sont au bord de la fermeture et qui sont sur le point de jeter sur le pavé leurs employés. On a mis de côté, en dépit de l’austérité du budget, une marge d’environ $ 80000000 pour ça pendant les mois de cet été et de l’automne pour créer des emplois saisonniers. Comme l’a dit quelqu’un avec une espèce d’ironie cinglante à l’Assemblée nationale l’autre jour : » ça permet au moins, ces emplois saisonniers,de qualifier des gens pour l’assurance-chômage. » On a amorcé un programme de relance dans des régions entières, entre autres dans le nord-ouest québécois où il y a une stagnation dans le domaine minier qui menace d’effondrer littéralement la région. Mais en même temps toutes les équipes disponibles ont été mises en branle pour essayer d’élaborer ce qui ne s’improvise hélas nulle part au monde et qui a été négligé depuis des années, c’est-à-dire, une certaine stratégie, une certaine perspective qui va un peu plus loin que le bout du nez et que les manchettes du lendemain matin. Une certaine stratégie de développement et le cas échéant de réaménagement de plusieurs de nos principaux secteurs d’activité économique. Je n’entrerai pas dans les détails puisque mes deux collègues, M. Landry et M. Joron ont dà depuis ce matin vous parler de ce travail concret, systématique, qui a été effectué littéralement de façon incessante depuis neuf mois. Un travail pour préparer par exemple des politiques en matière d’achat dans le secteur de l’amiante, dans celui de l’agro-alimentaire et dans celui des pâtes et papiers qui dérivaient dangereusement après avoir perdu quelque chose comme la moitié de leur marché. Nous nous penchons également sur une politique de développement et de conservation de l’énergie, un des problèmes auxquels toutes les sociétés du monde occidental devront faire face d’ici 1980. Et puis évidemment, il y a ce domaine plus quotidien, mais qui est à la fois une réponse à un besoin social et économique, celui du logement et de l’habitation de nos citoyens.
Enfin, et là il faut mettre une insistance d’autant plus urgente que c’est là que se trouvent les pires épreuves, celles qui font le plus de mal, semaine après semaine, dans notre économie, une insistance particulière a été apportée à l’examen et à la recherche
de solutions dans ces secteurs fragilisés de notre vieille révolution industrielle, ce qu’on appelle les secteurs mous, c’est-à-dire le textile, le vêtement, le meuble et la chaussure. Le Québec compte encore la plupart du temps plus de la moitié de la main-d’oeuvre industrielle de ces secteurs anciens et un pourcentage exhorbitant, inhumain même, de cette main-d’oeuvre a été littéralement jeté sur le pavé. Pour ces secteurs, nous avons organisé dans les semaines qui viennent des rencontres, après avoir bâti tous les dossiers avec les représentants des intéressés, aussi bien patronaux que syndicaux et évidemment les représentants du gouvernement, pour essayer de mettre au point ensemble certaines conditions de ce qu’on peut pas baptiser autrement qu’un sauvetage, dans les circonstances actuelles.
D’autre part, on a commencé à dessiner conjointement avec elles, un rôle mieux intégré à une dynamique de développement pour tout le vaste secteur de nos sociétés d’Etat. Je pourrais continuer, mais j’aime mieux m’arrêter ici pour souligner que toute cette besogne qui était forcément en grande partie préliminaire, et qui n’avait pas été faite convenablement depuis trop longtemps, tous ces efforts consentis aussi bien pour de courtes périodes que pour des moyens termes économiques seront repris et intensifiés dans les semaines et les mois qui viennent. Ils sont au coeur de nos priorités et nous espérons qu’ils porteront des fruits au moins sectoriels ou régionaux de plus en plus tangibles. Il y a quelques semaines déjà, j’ai demandé personnellement en pleine période des vacances à tous les hauts fonctionnaires et aux équipes en particulier des secteurs économiques de l’administration québécoise de travailler comme jamais d’ici le début de l’automne à sortir non seulement des dossiers mais aussi tout ce qui semblera susceptible d’améliorer la performance de notre économie, de lui imprimer le plus d’élan possible pour les saisons qui viennent, aussi bien encore une fois à court qu’à moyen terme.
Nous allons demander la même chose d’ici quelques jours aux Sociétés d’Etat. Est-ce qu’on pourrait demander aussi au secteur de l’entreprise privée comme à celui des coopératives et parallèlement au monde du travail, leur demander instamment de faire leur part eux aussi? C’est vrai qu’il y a une situation qui ressemble à une urgence. C’est toujours une urgence quand on reconnait, derrière les chiffres intolérables des statistiques du chômage et du sous-emploi, que ce sont nos gens, très souvent nos jeunes générations, qui risquent comme ça de se révolter ou de sombrer dans la léthargie;
et je me demande si la deuxième perspective est meilleure que la première. Il y a une chose que je dois tout de même souligner à nouveau comme tous et chacun des dix premiers ministres provinciaux l’ont répété encore une fois à St. Andrews il y a quelques temps: c’est que l’état provincial ne peut absolument pas corriger nos très graves maladies économiques à lui seul, ni même en corriger l’essentiel, parce qu’il n’en a finalement ni le pouvoir ni les moyens. Ce n’est pas lui, l’État provincial, qui domine la fiscalité des entreprises, ni les politiques de transport ou l’absence de politiques. Ce n’est pas lui non plus qui réglemente les grands circuits financiers, ni la politique monétaire ou l’absence de politique monétaire, ni les relations avec l’étranger en matière d’échanges, de tarifs, d’ouvertures ou de protection sur les marchés. C’est d’Ottawa que doit venir si jamais elle vient, ce que désespérément tout le monde attends en vain depuis trop longtemps, c’est-à-dire une politique: une intervention à la fois énergique et rationnelle pour stabiliser et pour relâcher autant que possible l’ensemble de l’activité économique à laquelle tout le monde a le droit de participer et dont tout le monde fait les frais.
C’est devenu plus que pressant, non pas pour le Québec spécialement mais pour tout l’ensemble canadien qui, s’il continue sur la voie où il est lancé, se dirige vers le désastre. Aujourd’hui même on vient d’apprendre que Statistique Canada constate une baisse du produit national brut au dernier trimestre, et une baisse assez dramatique pour constituer un nouveau facteur inquiétant qui s’ajoute à tous les autres. C’est-à-dire une espèce d’installation dans le marasme plutôt que cette relance qu’on escomptait verbalement avec tant de facilite et non moins de suffisance dans les tours d’ivoire fédérales, encore au printemps. Mais l’Etat ne peut à lui seul corriger la situation si un nombre croissant de citoyens, à commencer par les leaders de l’opinion et en particulier ce qu’on appelle les grands agents socio-économiques,dont vous faites partie, n’acceptent pas eux aussi, d’y mettre un maximum de réalisme et de lucidité et d’acquérir une conscience plus algue que jamais des dangers qui incontestablement nous menacent tous. Dans le monde occidental en général et en particulier dans les sociétés de consommation, où chaque appétit se transpose facilement en besoin essentiel et où l’information véritable est sans cesse en danger d’être noyée dans le trivial ou le spectaculaire, la notion de croissance est dangereusement farcie d’antiproduits et d’anti-progrès. Comme toutes les autres sociétés dans ce monde occidental, nous avons quelque chose comme une révolution à mener à bien dans nos propres esprits et dans nos propres mentalités et il va falloir nous en rendre compte avant qu’il ne soit trop tard et avant que ça ne coûte terriblement cher.
En terminant, je voudrais réitérer le plus simplement possible, le plus clairement possible, les principes essentiels de l’action et du comportement que nous avons ensemble mis au point pendant 10 ans dans les froides régions de l’opposition. Comme gouvernement provincial, nous pratiquons ce que nous avons dit: tant que nous serons dans le régime fédéral, nous respecterons les règles du jeu de ce régime en essayant d’obtenir, comme le font tous les gouvernements provinciaux, le rendement maximum sur tous les plans où c’est possible de ce régime, en attendant de le changer démocratiquement. Nous voulons être une administration intègre qui garde les mains libres, comme je le disais tout à l’heure, car c’est la seule façon de maintenir l’intégrité de l’administration publique et son efficacité. Nous voulons profiter au maximum du « know how » qui est extrêmement bon dans la fonction publique ou dans le secteur public québécois et aussi inspirer â ce secteur public une chose qu’il risque toujours d’oublier si la direction politique ne le lui rappelle pas: c’est qu’en même temps qu’on peut être efficace il faut absolument aussi essayer d’être humain. Nos sociétés technocratisées, technicisées, bureaucratisées de plus en plus, risquent de sombrer dans l’inhumanité pour ceux-là justement qui auraient le plus besoin qu’on s’occupe d’eux. La danger de nos sociétés bureaucratiques, c’est de devenir inhumaines en pensant que c’est une des conditions d’efficacité. C’est plutôt le contraire qui se produit quand on a cet état d’esprit.
Sur le plan politique, notre objectif essentiel demeure celui de transformer en état national ce qui n’est en ce moment qu’un état provincial, tout en prévoyant de nouveaux liens d’association avec le reste du Canada. Cet objectif, nous allons continuer de tâcher de le réaliser par la persuasion, en passant d’abord par ce référendum auquel nous sommes engagés et à propos duquel un livre blanc vient d’être publié, pour indiquer les perspectives d’organisation que nous prévoyons et que nous croyons capable d’assurer autant d’équité et de liberté de manoeuvre démocratique qu’il est nécessaire. Si une majorité des Québécois approuvent cet objectif, je suis sûr pour ma part, et je vous transmets aussi en même temps la conviction de tout le gouvernement, je suis convaincu qu’une fois les passions et les clameurs apaisées, on découvrira que ce nouveau départ que nous proposons est éventuellement une chose qui sera plus saine et plus féconde que le régime actuel, non seulement pour le Québec mais pour le Canada tout entier. J’ai également la certitude que nous y trouverons l’occasion de réorganiser, de réaménager des structures que plus de cent ans ont rendu désuettes. Dans. ce réaménagement et cette restructuration nous y trouverons tous de part et d’autre l’occasion d’un nouveau dynamisme, de ce que nos amis anglophones appellent un nouveau « challenge »; un défi que tous espèrent ardemment et qui est si nécessaire, particulièrement pour nos jeunes générations; c’est-à-dire un espoir avec des perspectives et des horizons pour l’avenir. C’est le genre d’espoir auquel répondent si peu tous les refrains éculés du statu quo et auquel correspondent encore moins des idées de réformettes plutôt peureuses qui s’offrent d’un comité â l’autre, un peu comme des cataplasmes sur une jambe de bois.
Enfin, il y a une étiquette que nous avons acceptée comme un cadre très général, on pourrait presque dire philosophique, de notre action politique. Je dis que nous l’avons acceptée parce que c’est une étiquette qui nous a été plaquée il y a quelques années
et nous n’avons aucune raison de la refuser parce qu’elle est plus qu’honorable. Cette étiquette, c’est celle de social-démocrate. La social-démocratie, c’est une conception politique, sociale, économique, qui a fait ses preuves dans des pays aussi peu suspect que la Grande-Bretagne, l’Allemagne fédérale, les pays Scandinaves et qui d’ordinaire, sans en faire un paradis sur terre a quand même permis à ces pays de réaliser des améliorations et des progrès qu’ils n’auraient pas connus autrement. Je crois que, c’est dans cette direction que se situent les meilleures perspectives pour l’avenir, les plus humaines et éventuellement les plus civilisées. Il s’agit quant à nous d’une société où on travaille au maximum à réaliser l’égalité des chances; une société où on travaille avec la même persistance à assurer, par des mécanismes et plus encore peut-être par un changement d’attitude, la participation des citoyens, partout où ils peuvent être proches des centres de décision, aux affaires publiques et aussi la participation des travailleurs à la conduite de leur entreprise. Je crois que la social-démocratie tel que nous l’entendons doit se faire dans le respect absolu de la capacité de cheminement de l’ensemble d’une société, c’est-à-dire dans le respect absolu des libertés démocratiques et du droit des citoyens d’être informés et d’être parties prenantes dans toutes les décisions qui les concernent. C’est une conception qui représente un idéal, c’est-à-dire un objectif à atteindre. Nous n’atteindrons sûrement pas cet objectif de façon satisfaisante de notre vivant, mais chaque étape qu’on peut réaliser dans cette voie contribuera quand même à rendre la société plus vivable pour tout le monde. En ce qui concerne la coexistence difficile de l’idéal et de la politique, il y a une phrase que j’aime beaucoup et que nous tentons tant bien que mal de mettre en pratique. On l’a prêtée à un certain Kennedy qui aurait dit ceci: « En politique le plus difficile, mais c’est le plus nécessaire, est d’essayer de garder un idéal tout en perdant ses illusions. »
Merci beaucoup.