Allocution du premier ministre, M. René Lévesque, devant la Fédération des commissions scolaires du Québec, dimanche le 12 novembre 1978

Madame la Présidente du Congrès,
Monsieur le Président de la Fédération,

J’en profite pour féliciter l’un et l’autre de leur réélection, et si j’en juge d’après ce qui s’est passé depuis quelques mois, les commissions scolaires vont continuer d’être bien défendues, mesdames, messieurs, je ne peux m’empêcher d’y penser aujourd’hui parce qu’on va écouter des résultats ce soir, mais je voyais que même Monsieur Drapeau à Montréal n’avait pas réussi à réunir plus de 1000 personnes dans sa grande assemblée. Il serait jaloux s’il voyait ce qu’on a ici aujourd’hui, alors je vous remercie infiniment de m’avoir fourni par votre invitation la chance de venir saluer les représentants d’aujourd’hui, les représentants contemporains, d’une des plus anciennes de toutes nos institutions démocratiques.

En fait, la commission scolaire est une structure encore plus vénérable, après 133 ans, que le régime politique dans lequel nous nous trouvons. Ce qui explique en partie d’ailleurs je pense bien, l’acharnement avec lequel vous réagissez, vous autres aussi, quand vous avez l’impression de percevoir un péril à l’horizon et je me permets d’ajouter que dans votre cas, ça me parait plus justifié que dans l’autre d’ailleurs. D’un autre côté, là je ne sais plus ce qu’on doit dire, puis de ce temps-ci des mots comme ça, ça prête tellement à discussion, j’ai entendu « confédération », mais j’avais lu « fédération », en tout cas, un ou l’autre, votre organisme fédéral ou confédéral a trente ans et, à ce propos, le président dans la lettre qu’il m’a adressée, il y a quelques temps, pour m’offrir l’occasion d’assister au congrès au moins avant la clôture, écrivait ceci: « Jamais dans toute l’histoire de notre fédération, un premier ministre n’a accepté de venir rencontrer les dirigeants scolaires ». Bien écoutez, sûrement que mes prédécesseurs avaient leur raison, je n’ai pas à en juger mais une pareille absence permanente, c’était quand même une anomalie et je suis très content qu’on m’ait fourni l’occasion de sauter sur la chance de la corriger, cette anomalie. Seulement, si on remonte plus loin, bien avant votre fédération ou votre confédération, j’aurais quand même des gens, parmi ceux qui ont occupé le même poste que moi temporairement, j’en aurais de qui je pourrais me réclamer dans l’histoire de l’éducation au Québec. Parmi d’autres, puisqu’on a invoqué l’âge des commissions scolaires, on pourrait retourner à la même époque, celle des débuts, au moment même de la naissance de l’organisme que vous représentez aujourd’hui, et on retrouverait là un homme qui a été surintendant de l’instruction publique comme on disait « au Bas-Canada », dans les années 1850 de l’autre siècle, qui a été fondateur des premières grandes écoles normales, enfin qui étaient toutes petites à l’époque, fondateur du journal, comme on l’appelait, de l’instruction publique et puis premier ministre du Québec dans les années 1860 de l’autre siècle. Et en même temps, il cumulait, ministre responsable de l’éducation, c’est-à-dire de l’instruction publique. Je vais vous rassurer tout de suite, c’est un précédent que je n’ai pas envie de répéter. Cet homme politique qui s’appelait Chauveau est celui aussi qui écrivait, un jour et ça nous montre qu’à l’époque tout de même, il ne faut pas être injuste pour le passé, on s’en préoccupait, parce que vous allez voir jusqu’à quel point c’était préoccupant. On a retrouvé cette citation de Chauveau dans le journal de l’instruction publique, au moment où on commençait à organiser ces structures qui se perpétuent encore aujourd’hui, et je cite: « Dans la plus petite ville on donne à sa fille de chambre 4 $ par mois, à sa cuisinière quand il y en a une de 6 $ à 10 $ par mois; l’une et l’autre reçoivent en outre nourriture, logement et blanchissage ». Et Chauveau continue: « A ceci j’opposerais simplement le fait qu’en plusieurs municipalités, des institutrices ont 40$ pour l’année scolaire, soit 4 $ par mois, et avec ça elles sont tenues de se nourrir, de se chauffer et de s’éclairer et lorsque le traitement est un peu plus élevé de chauffer la maison d’école ». C’est si vous voulez juste une évocation d’où on est parti il y a un peu plus d’un siècle et c’est ce vieux climat, en dépit de gars comme Chauveau et d’autres qui se sont battus contre, c’est ce vieux climat qui nous avait amenés, tout en évoluant mais pas assez il y a une vingtaine d’années, à une situation qui tout à coup, surtout avec les projecteurs du rapport « Parent » par exemple, nous est apparu comme une catastrophe nationale et c’était vraiment une catastrophe nationale. Pas mal en retard, on a pris conscience au Québec, pas mal en retard, de l’importance vitale de l’éducation, une importance aussi centrale sinon plus que n’importe quelle autre dans une société qui veut être civilisée. Ca, c’est une prise de conscience qui doit rester permanente et vous êtes les premiers à le savoir, mais vous êtes parmi les premiers responsables aussi, une prise de conscience qui doit rester permanente, qu’on a pas le droit de perdre de nouveau, qu’on a pas le droit de laisser se diluer, si vous voulez dans, la paperasse ou la routine administrative et dans l’indifférence mortelle qui peut s’en suivre, si on ne fait pas attention, parce que dans le présent, le présent d’aujourd’hui comme dans tous les avenirs qu’on peut imaginer, l’éducation, c’est la clé essentielle du progrès, c’est aussi la clé essentielle du recul si on ne fait pas attention. Et ça, c’est vrai sur tous les plans et vous autres pour employer le jargon de notre époque, le jargon à la mode, vous autres vous êtes des agents démocratiques essentiels de l’éducation parce que de tous les responsables élus qui ont à voir avec le secteur, c’est vous autres qui êtes, ou en tout cas qui devez être, ceux qui sont les plus proches des citoyens. Et puisque vous l’êtes, ou vous êtes bien conscients, j’en suis sûr du fait que vous devez l’être vous ne pouvez pas ignorer non plus, sûrement vous n’ignorez pas à quel point ces années-ci on est encore une fois dans une période d’examen, les livres verts par-ci, les livres blancs par-là, la perception qu’on a dans la société non pas qu’il faut encore un chambardement, on ne peut pas se payer des chambardements ou des révolutions tranquilles à tous les vingt ans. Mais une chose certaine, c’est qu’on est dans une période de nécessaire réévaluation, de correction de certaines choses et au besoin de réaménagement parce qu’on s’aperçoit, en éducation pas seulement, mais autant en éducation que n’importe où ailleurs, que quand on parle de réforme, on parle de quelque chose qui doit être permanent.

Une réforme, ce n’est pas une affaire sur laquelle on peut s’asseoir et dire, bon, elle a été faite maintenant on n’en parle plus, parce qu’il suffit de regarder autour de nous, il suffit d’être assez vieux pour pouvoir se retourner sur 25 ans et dire: je me replace il y a 25 ans qu’est-ce qui est arrivé depuis ce temps-là, puis cela donne le vertige. Or, on sait que ça continue à s’accélérer et si ça continue à s’accélérer, ça veut dire que peut être la loi la plus permanente qui va continuellement avoir à nous guider c’est la loi du changement. En l’an 2000, il est probable qu’il va y avoir, pas probable, on peut avoir la quasi-certitude et c’est particulièrement vrai dans les secteurs comme celui dont vous vous occupez, un peu partout aux niveaux local et régional, c’est particulièrement vrai dans les secteurs comme 1’éducation,il suffit de se rappeler que, dans le changement un des éléments les plus essentiels, c’est quand même ceux qui changent la face du monde par la recherche scientifique par les applications continuelles qui viennent, moi il y a une chose qui m’a toujours littéralement donné l’impression qu’il ne faut pas trop y penser c’est quasiment assez pour devenir fou, les savants les chercheurs ceux qui changent fondamentalement la nature puis le lien de l’homme avec la nature et finalement qui changent la vie, ces gens-là si vous prenez tous ceux qui ont vécu depuis le temps qu’on sait, depuis le temps qu’on a pu enregistrer leur nom, disons depuis 2, 3, 4000 ans et puis qu’on fait le total de tous ceux qui ont vécu et qui sont morts et qui par conséquent ont produit des changements le long du chemin, si vous faites ce total-là et que vous regardez le total de ceux qui vivent aujourd’hui partout dans le monde et qui continuent à faire des changements, le total de ceux d’aujourd’hui puis la plupart de ceux d’aujourd’hui sont encore jeunes. Alors, imaginez ce que cela nous promet d’ici à l’an 2000.

Ce qui veut dire, que lorsqu’on parle de réforme, qu’on parle d’ajustement à l’évolution de la société, il faut qu’on pense à quelque chose qui est une notion permanente, ce n’est pas quelque chose dont on peut dire, bon on l’a fait il y a quinze ans, maintenant on n’en parle plus. Puis tous les niveaux, c’est vrai, au niveau où Jacques-Yvan Morin, moi et d’autres, nous fonctionnons comme au vôtre, à tous les niveaux, un peu partout on a eu et on a encore, c’est naturel je pense, une tendance instinctive à s’asseoir, pour ainsi dire, à s’asseoir sur les résultats, entre autres par exemple, les résultats d’un effort héroïque qu’on peut même dire, surhumain que les Québécois ont fait pendant les années 60 quand on a eu cette prise de conscience des retards à rattraper.

Le reflet chiffré, si vous voulez le plus facile à examiner, c’est le budget de l’éducation qui aujourd’hui représente un tiers à peu près de tous les fonds publics que consentent chaque année les citoyens québécois dont on est tous. Et cela a voulu dire que ce que vous savez, c’est-à-dire une multiplication par la pierre, la brique puis le ciment, d’édifices qui étaient nécessaires qui n’existaient pas. Ou parfois on ne les a pas mis dans le bon village ou dans la bonne ville, exactement dans le bon quartier mais en tout cas on l’a fait et ça, comme effort, c’était non seulement héroïque mais c’était une chose absolument essentielle, valable et encore plus, valable, cela a donné une chance à ce qu’on appelle la démocratisation de l’éducation, c’est-à-dire à une certaine égalité des chances pour les jeunes un peu partout, qui n’existait pas avant et ça il ne faut pas le perdre. Seulement à moins de se fermer les yeux puis les oreilles, je pense qu’il faut constater aussi, maintenant, aujourd’hui là, ces années-ci, qu’il y a une sorte d’insatisfaction, une sorte de morosité si vous voulez, qui est diffuse, sur laquelle on ne peut pas mettre le doigt dessus tout le temps, c’est pas toujours articulé clairement ou alors quand c’est articulé, ça se contredit d’un coin à l’autre mais il y a une sorte générale d’insatisfaction qui est très perceptible, à moins de se fermer les yeux puis les oreilles encore une fois, une insatisfaction qui règle comme ça chez nos concitoyens, dans l’ensemble d’une population qui a consent et qui consent encore sans trop rouspéter, à aller jusqu’à des sacrifices, des véritables sacrifices pour l’éducation mais qui en même temps se pose des questions sur le rendement, sur les résultats d’un pareil effort et aussi de plus en plus, je pense qu’on en est conscient sur les machines, les fameuses machines administratives qui sont devenues partout tellement massives ou qui tendent, en tout cas, à devenir tellement massives et tellement dures à suivre qu’on a l’impression, si on ne fait pas attention, qu’elles pourraient échapper au contrôle démocratique et ça je suis sûr que vous le sentez sur le plan régional et je n’ai pas besoin de vous dire qu’on le sent aussi sur le plan national à Québec au niveau des ministères. Et ce danger de l’emprise et à un moment donné d’une certaine déshumanisation dans le papier, parce que le papier c’est froid, ce n’est pas le monde en vie finalement on est toujours obligé de se servir du papier, tout le temps, mais qu’il y a un danger là-dedans, de dessécher ce qui devrait être, probablement de toutes les opérations collectives communautaires qu’on a à faire, la plus chaleureuse, la plus vivante qui est celle de l’éducation des enfants.

Tout ça ce sont des choses, j’ai vu les grands thèmes qui ont été élaborés, ce sont des choses dont on aura l’occasion de reparler au sommet, puisque le mot est à la mode et c’était plus que le temps qu’il y ait une sorte de sommet pour l’éducation parce que c’est une des préoccupations qui doit se trouver au sommet de n’importe quelles préoccupations collectives mais il va falloir parler de ces choses-là, je suis sûr que vous en êtes conscients. Le livre vert de mon collègue de l’éducation, que vous avez eu l’occasion de discuter, je pense, amplement dans tous les coins du Québec, s’attaquait d’ailleurs, d’une certaine façon, à cette question-là, par exemple en mettant l’accent sur l’école, sur le milieu, sur les parents, cela évoquait déjà cette perspective qu’on discute beaucoup mais qui est absolument nécessaire et qu’on englobe dans le mot « décentralisation ». Vous savez, si ça veut dire, je ne pense pas que ça puisse vouloir dire autre chose, si décentralisation ça veut dire qu’on doit tendre à ramener le plus possible des pouvoirs réels, y compris des pouvoirs de décisions puis aussi les ressources qui doivent aller avec, le plus proche possible des citoyens au niveau local, au niveau régional, alors si c’est cela que ça veut dire, c’est inévitable qu’on doit y arriver, inévitable parce que la pression commence à être là un peu partout.

Je voudrais, si vous permettez, essayer de régler ça tout de suite une fois pour toutes, en tout cas pour autant que nous autres on est concerné jusqu’au moment où d’autres nous remplaceront. Il faut dire que décentralisation avec tout ce qui a tourné autour, cela a créé, il faut bien le dire, de noirs soupçons à notre endroit dans des milieux et dans le milieu que vous représentez, parce que dans ces études qu’on a faites, qu’on a fait faire sur la décentralisation nécessaire, inévitable dans les années qui viennent, il y avait des hypothèses qui avaient été évoquées parmi lesquelles il y en avait une qui s’est retrouvée d’ailleurs vaguement évoquée aussi, peut être plus que vaguement dans le livre vert et qui aurait pu impliquer la substitution d’une autre forme de gestion local ou régional à celle que vous représentez, c’est-à-dire à celle des commissions scolaires.

On l’a examiné, cette hypothèse-là, parce que des hypothèses de travail, c’est fait pour être regardées mais je suis sûr que mon collègue, monsieur Morin, et moi, on peut parler non seulement aujourd’hui, ou ces jours-ci au nom du gouvernement mais aussi au nom du réalisme en vous disant très simplement, très clairement qu’une fois examinée cette hypothèse pour les années qui viennent, autrement dit à l’horizon qui est visible, qui est prévisible, les commissions scolaires quant à nous sont là pour rester. OK. Est-ce que c’est clair, ça?

Cela ne vous mène pas très loin, parce qu’on durera pas indéfiniment, vous aurez juste à infliger le même traitement à mon successeur, et vous verrez, mais une fois que cela est dit, je pense qu’il faut tout de même noter aussi si on est tous de bonne foi que ça ne signifie pas, et que ça ne peut pas, que ça ne doit pas signifier que quand on est là pour rester, on a le droit si peu que ce soit de rester figé parce qu’on est dans une période qui commence d’accepter l’évolution, d’accepter les ajustements, les rajustements au besoin et entre le chambardement et la paralysie, il y a une sacrée marge et puis c’est la marge qui en fait nous commande à tous, à vous, comme à nous à l’autre niveau, à l’autre palier politique et à d’autres aussi, qui nous commande à tous d’accepter d’être dans le convoi si vous voulez, de l’évolution de ne pas rester dans le champ à le regarder passer mais de l’accepter. Et c’est toujours plus compliqué que de rester là à se dire tout marche, puis je n’y touche pas, parce que ce n’est pas vrai, il n’y a rien qui marche assez bien pour qu’on y touche pas. Que cette aspiration des citoyens à savoir plus ce qui se passe, surtout dans des domaines aussi sensibles, aussi névralgiques que le vôtre, on ne pourra pas se fermer les yeux puis les oreilles puis dire on l’écoute pas, elle est là cette aspiration-là et l’insatisfaction qui s’est accrue peu à peu dans la société.

Dans le sommet de janvier, le premier thème qu’on m’a fait noter, c’est celui qu’on va étudier sous, peut être, le chapitre qui est l’avenir des commissions scolaires. Un aspect essentiel de cet avenir-là va être la façon dont les commissions scolaires, j’en suis sûr, comme nous tous d’ailleurs, vont être capables de jouer un rôle actif et positif et productif, si vous voulez, dans ce courant de l’évolution qui appelle un rapprochement avec les citoyens. Il faut que l’Etat à son niveau comprenne qu’il ne doit pas devenir étouffant, que son emprise bureaucratique qui est devenue tellement effrayant de tâtillonneries. Et c’est si vrai qu’on pourrait presque illustrer ça en disant il faut quasiment aller à Québec pour avoir le droit d’acheter une douzaine de crayons. Ce genre d’emprise bureaucratique, il faut qu’elle apprenne à se desserrer et je pense qu’il y a un effet patient qui se fait de ce côté-là mais c’est loin de donner les résultats qu’il faudrait. Il faut qu’on continue, nous autres, au plan du gouvernement. Vous autres aussi, surtout ceux qui sont au plan régional, et c’est de plus en plus le plan régional, qui prédomine, vous devez faire attention aussi à ce que les gens ressentent et à bien contrôler ce qui souvent est la machine technocratique.

J’en ai eu un exemple hier à Sherbrooke. On était là pour quelques heures, l’exécutif politique du parti dont nous sommes des militants, et à un moment donné on m’a dit: « il faut que tu sortes pendant dix, quinze minutes ». Il y avait Pierre-Marc Johnson qui était là aussi, ça fait que j’ai amené une autre victime avec moi, et puis là on nous a présenté les gens d’un petit village qui étaient venus en autobus scolaire, c’était peut-être par ironie, manifester, manifester pour leur école de village, où depuis 2 mois et demi, depuis le début de l’année scolaire, ce sont des parents, des mères de famille, bénévoles, d’anciennes enseignantes dans quelques cas, qui gardent ouverte cette petite école élémentaire et qui, autrement dit, se refusent pour l’élémentaire, maintenant pour la maternelle aussi, au voyagement comme on dit couramment, bon. Et cela ça correspond à une chose qui a d’ailleurs été acceptée dans bien des cas et qui devra être acceptée, ça correspond à cette idée de la dernière petite école ou de la seule petite école de village ou de quartier quand il s’agit des villes. Vous savez, cela va plus loin que juste la brique et puis le bâtiment. Moi, j’ai vécu des cas comme ça quand on n’était pas au gouvernement et je sais que derrière ça, il y a quelque chose aussi. C’est que, dans un petit village, en particulier, qui est isolé, où il faut bien le dire, l’église n’a plus l’attractivité qu’elle avait autrefois, n’est plus le centre de vie qu’elle était il y a une génération ou deux, la petite école est devenue dans bien des cas le symbole, et en même temps le lieu vivant de tout ce qui peut rester de communautaire. Autrement, ils disent : on va le tuer, notre petit village. Ils ont bien le droit de le faire vivre leur village comme n’importe qui dont c’est leur coin c’est là qu’ils veulent rester et l’école pour eux représente l’existence en plus de l’école. Alors il faut savoir écouter ce genre de pulsation-là parce que ça va plus profond à mon humble avis, et plus proche des sources de la vie que des plans qui sont toujours un peu froids, et même plus loin que des contrats de transport, et je pense qu’il faut y penser.

Il y a un autre sujet qui fait partie de ces ajustements, je pense dont tous on doit être conscients, je pense que monsieur Morin en a parlé je n’insisterai pas beaucoup mais ça va être « central » de plus en plus. C’est qu’il y a des biens extrêmement coûteux, des biens immeubles ou des équipements extrêmement coûteux, en fait l’ensemble le plus coûteux qu’on ait bâti de toute notre histoire, et très récemment, c’est justement cet ensemble scolaire, tous les niveaux d’écoles, de campus, etc. et qui sont la propriété de cette collectivité qui a payé pour. Une collectivité qui a également le droit, et elle commence à s’en rendre compte partout et je sais que se développent les protocoles d’entente, etc. Mais il va falloir être bien sûr que c’est une préoccupation constante, ça. Une collectivité qui a le droit d’exiger qu’on fasse l’usage le plus complet, le plus polyvalent possible de tout ce qu’elle a payé à coup de millions et même milliards depuis vingt ans, surtout vingt, vingt-cinq ans. Les salles, les équipements sportifs, les bibliothèques, les équipements audiovisuels, tout ça, la gestion au maximum, doit être considéré comme un service public, un service public dont évidemment la vocation centrale est d’assurer l’éducation mais dont la vocation complémentaire extraordinairement importante et qui va l’être de plus en plus est d’être sûr que les citoyens peuvent en profiter aussi au maximum. C’est évident que ça crée des problèmes techniques, des problèmes administratifs mais je pense qu’on admettra très simplement entre nous que ces problèmes techniques ou administratifs sont sans commune mesure avec le fond de la question qui lui ne pourra pas être escamoté, ou ignoré. Alors que les citoyens ont payé pour on ne reconstruira pas des ensembles comme ceux-là, avec la dénatalité que l’on prévoit qu’à l’horizon.

Il y aura des compléments mais il n’y aura plus ces grandes campagnes d’immobilisation, ces centaines de millions qu’on doit consacrer à la pierre et à la brique et puis à l’équipement. Mais, il y a cette conscience de plus en plus claire, je pense, chez nos concitoyens que ça leur appartient et qu’il y a d’autres fonctions dans les heures libres, dans les jours libres, dans les saisons libres, il y a d’autres fonctions qui peuvent être remplies par cet ensemble immobilier et cet ensemble d’équipement qu’on n’a strictement pas, qu’on n’aurait pas d’excuse de prétendre doubler systématiquement, parce qu’il y aura des compartiments qui ne se parlent pas.

Maintenant, parmi les choses, et ça aussi je pense qu’en janvier, ça fera partie des sujets qu’il faudra clarifier entre nous, et aussi face aux citoyens qui finalement sont responsables de votre institution, comme du gouvernement que nous représentons ce matin, pour revenir aux grands thèmes de janvier, aussi bien ne pas les éviter, il y a aussi la fiscalité. J’ai vu qu’on avait écrit « fiscalité » bon. Là aussi je sais qu’il ne s’agit pas d’hypothèses en l’air à propos de la fiscalité, il s’agit de projets et là je sais que ces projets en s’ajoutant aux histoires de décentralisation dont je parlais tout à l’heure que ces projets du gouvernement sont venus alimenter encore ce que j’appelle des noirs soupçons. Il s’agit, vous le savez et je pense qu’il est bon de le préciser sur l’essentiel, il s’agit d’une réforme de la fiscalité locale dont le coeur, serait d’éliminer le chevauchement municipal-scolaire qui s’est installé depuis longtemps dans le domaine de la taxe foncière. Sauf, et ça je tiens à la souligner, sauf pour, c’est un bien mauvais mot, mais enfin c’est celui qu’on emploie couramment, toute partie qu’on appelle l’inadmissible et qui, elle, de toute façon, quant à nous doit demeurer la zone libre, si vous voulez, de ce vieux champ de fiscalité qui appartenait aux commissions scolaires, mais qui en fait ne leur appartenaient pas. Et c’est ça, je pense qu’il faut comprendre entre nous, si accord avec vos homologues municipaux qui sont sur le terrain avec vous, sauf l’inadmissible, la partie scolaire traditionnelle de la taxe foncière retournerait dans les budgets municipaux. Il s’agissait pour nous, après bien des engagements, d’assurer autant que faire se peut dans le régime actuel, plus de revenus au pouvoir local dont les charges et dont l’endettement n’ont pas cessé de s’alourdir depuis dix ou quinze ans. On est tous des citoyens municipaux, vous devez le savoir, vous devez payer vos impôts fonciers et vous devez savoir que ça veut dire par exemple, des gens, surtout des gens âgés qui ont mis 20, 25 ans de leur vie à épargner de l’argent ou alors des jeunes couples qui se sont achetés quelque chose et qui s’imaginaient que là ils avaient fait des bons calculs, ils savaient sur 20 ans combien cela allait leur coûter, capital et intérêt et qui n’avaient pas vu venir l’escalade effrayante des taxes. Il n’avaient pas vu venir non plus cette espèce de fardeau de plus en plus écrasant que représente et l’augmentation de la responsabilité et de l’endettement au plan municipal, au plan municipal qui, lui, est obligé pour l’essentiel de se financer tout seul.

Dans le contexte politique actuel, le seul moyen qui est apparu praticable, on n’en a pas vu d’autre, c’est celui-là. D’autant plus et là je voudrais quand même insister là-dessus un petit peu, d’autant plus que dans la pratique, dans la réalité, ça n’enlève pas l’ombre d’une graine d’autonomie véritable aux commissions scolaires. Et c’est important de le saisir entre nous, il y a une autonomie vitale qui effectivement peut et doit vous être assurée et qui doit d’ailleurs être élargie autrement plus qu’à un niveau sur un ampleur autrement plus grande que celle qu’elle a aujourd’hui parce qu’on l’a trop rétrécie. Mais cette autonomie, à laquelle vous avez parfaitement le droit et même le devoir de prétendre et pour laquelle vous devez combattre, elle n’est pas fiscale en ce moment. Cela fait un bon bout de temps que l’autonomie fiscale n’existe pas pour les commissions scolaires, votre part de l’impôt foncier qui s’appelle l’impôt normalisé, si je me souviens bien, vous le percevez mais très strictement, selon des barèmes et des calculs qui, depuis un bon bout de temps, dépendent d’ailleurs. Les commissions scolaires sont purement et simplement devenues l’intermédiaire percepteur de décisions qui sont rendues maintenant depuis un bon bout de temps à un autre niveau. C’est normalisé, mais normalisé ailleurs, et en fait si on regarde ce que ça veut dire, l’autonomie fiscale au sens sérieux du mot, pour autant que peut être quelque chose qui se pratique année après année. Pour moi, il me semble que ça doit signifier la marge de manoeuvre, c’est-à-dire de quoi l’on peut disposer année après année pour faire du nouveau, pour aller plus loin autrement dit, pour ouvrir de nouvelles avenues, pour bâtir de nouveaux programmes, mais cette marge de manoeuvre à tous les niveaux, parce que c’est ça qui est véritablement la marge d’autonomie d’initiative qui reste, cette marge de manoeuvre n’est pas épaisse et n’est pas large à aucun niveau ces années-ci. Que ce soit à Québec, au gouvernement où nous sommes ou dans n’importe quel hôtel de ville du Québec, quand on a fini d’assurer le maintien chaque année de ce qui est obligatoire, de ce qu’on ne peut pas éliminer, de ce qui est statutaire aussi, c’est-à-dire quand on a fini de dire : bon, ça c’est la partie qu’on appelle incompressible, on ne peut pas y toucher. Du budget, qu’est-ce qui reste comme marge de manœuvre : 5%, 10%, quand c’est ça c’est déjà miraculeux puis quand c’est davantage c’est un accident de parcours, c’est tout. Pour vous autres, ça s’appelle l’inadmissible pour l’instant en gros. L’inadmissible, c’est pas bien gros non plus mais entre nous, ce n’est pas plus insignifiant que ce qui reste toute proportion gardée, aux autres niveaux dont on parle. Il n’y a pas d’autre marge de manoeuvre, le gâteau n’est pas plus gros que ça, chaque année, ce gâteau -à, il y en a une partie qui va automatiquement à tous les niveaux pour maintenir les choses essentielles et incompressibles, et pour le reste, on essaie d’aller plus loin.

Alors l’autonomie véritable, l’autonomie effective qui, je le répète, peut et doit vous être assurée, ce n’est pas là qu’on va la trouver. C’est sûr qu’en janvier, on va parler et si on peut trouver une réponse tant mieux. On va parler de sources autonomes ou en tout cas aussi autonomes que possible, en tout cas sûrement d’une garantie de revenus pour les commissions scolaires, mais ce n’est pas ça qui, de toutes façons, va représenter la véritable autonomie dans le système dans lequel on doit vivre. L’autonomie, c’est je crois, l’autonomie de gestion, l’autonomie qui donne la marge des décisions locales ou régionales la plus grande possible. Ca doit être assurée et comme je le dis, ça doit être élargie et je pense que c’est dans la perspective du livre vert dont vous avez eu l’occasion de parler et qui se traduira par des mesures mais probablement après qu’on aura pu en rediscuter au sommet du mois de janvier. En tout cas, c’est là-dessus qu’on aura l’occasion de faire le point mais je n’aimerais pas on n’est pas obligé d’être toujours tous d’accord sur tout, je n’aimerais pas qu’on fasse une sorte d’absolu artificiel avec une autonomie qui en fait est inexistante depuis un bon bout de temps encore une fois.

Evidemment, au-delà de tout ça, il restera ce que votre congrès n’a pas eu le temps d’aborder et que je serais présomptueux de prétendre aborder en étirant trop cette rencontre. Il restera, par exemple, et ça c’est vraiment fascinant, à définir le mieux possible entre nous ce que vous voulez mettre comme contenu dans cette belle formule qu’on m’a souligné que vous proposez pour régir nos rapports et qui s’appellerait une forme de souveraineté-association. C’est ça! Une exemple qui était nécessaire ces jours-ci et qui est arrivé à point nommé (c’était le temps), c’est ce protocole d’entente, par exemple, qui vient d’être signé entre nous et qui est une illustration de cette souveraineté-association pour une étape cruciale entre toutes qui est celle des négociations qui s’amorcent et qui vont s’amorcer.

En tout cas, je peux vous dire que je ne suis pas difficile à convaincre, c’est une excellente formule, une formule qui d’ailleurs est en plein dans le courant de notre époque mais il ne faut pas en abuser! D’autant plus et ça, j’en sais quelque chose! d’autant plus que c’est délicat à définir! Et tu as beau faire tout ton possible ça ne fait pas l’unanimité tout de suite nécessairement, et je vous avoue que, quand j’ai vu ça invoqué par la fédération et ses porte-parole, j’ai été obligé moi aussi de me défendre de noirs soupçons parce que jamais je n’irais vous prêter une idée de marchandage. Vous savez dans le genre donnant donnant, passe-moi ma version de la formule, puis je vais soutenir la tienne, non! Et je vous avoue que j’aime mieux ne pas y penser parce que la tentation serait trop forte.

Non, si vous permettez, je ne suis pas venu ici pour vous passer des messages historiques mais je crois qu’il fallait tout de même évoquer certaines des choses qui, de toutes façons, vont se relayer jusqu’en janvier, où là il faudra, s’entendre. Mais je dirais simplement en terminant sur cette lancée-là que la souveraineté fondamentale qu’on a tous à respecter et qu’on a toujours tous à travailler à consolider dans une démocratie, c’est celle des gens que nous représentons, et c’est avec eux aussi qui sont à la fois, tous citoyens scolaires, citoyens municipaux et citoyens nationaux, c’est avec eux que doit se maintenir et se renforcer constamment une forme d’association, c’est vrai, permanente qui doit être basée sur des contacts suivis, sur le respect de leurs aspirations, leurs perceptions de la réalité. Je suis sûr que, si on base tout le reste sur cette forme-là de souveraineté-association, on va éviter les uns et les autres de faire des erreurs inutiles. Et là-dessus encore une fois, longue vie aux commissions scolaires au moins pour la période de votre vie que nous on peut accompagner, et bon succès d’ici à janvier!

[QLVSQ19781112]

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