Allocution du premier ministre, M. René Lévesque, au dîner de clôture de la IVe rencontre francophone de Québec, le 4 juillet 1981

Je vais être le plus bref possible – Monsieur le Prix du 3 juillet 1608, Mesdames, Messieurs les lauréats, Monsieur le Président du Conseil de la langue française, Membres très dévoués du Conseil d’administration de la Corporation des Rencontres de Québec, mes chers amis qui êtes venus depuis quatre ans déjà de tous les horizons de la francophonie, c’est cette quatrième Rencontre que vous clôturez ce soir, sauf ceux qui voudront participer à un déjeuner sur l’herbe demain, à l’Ile d’Orléans. Une quatrième rencontre et il s’agit de rencontres qui semblent bien vouloir durer et je dois vous dire que nous espérons de tout coeur, nous ici à Québec, en tout cas, qu’elles dureront aussi longtemps que se renouvellera sans cesse cette source à laquelle nous nous abreuvons tous, la langue française et la culture qu’elle exprime en Amérique, dans les Vieux Pays comme on dit couramment, en Afrique, dans les Antilles, ce vaste monde francophone dont nous faisons tous partie.

La première fois en 1978, on avait trouvé un prétexte – il y en a qui s’en souviennent – un excellent prétexte pour ressusciter ces rencontres qui avaient déjà existé à l’échelle de l’Amérique française puis qu’on avait laissé tomber, je ne sais pas pourquoi. Le prétexte c’était le 370ème anniversaire de Québec. C’est moins prestigieux que 350 ou 375 mais, quand même, 370 en termes de l’Amérique du Nord, c’est impressionnant. Seulement, encore une fois, c’était seulement un prétexte.

Ce qu’on souhaitait au fond très simplement, c’était de voir s’il y avait un peu partout, essentiellement en Amérique et puis aussi ailleurs, un certain nombre de gens, de ceux qui étaient partis naguère ou même jadis d’Acadie ou du Québec, et qui auraient le goût de revenir aux sources, comme on avait dit cette année-là, le retour aux sources.

Et bien, il y a une chose très simple c’est que, dès cette première rencontre en 1978, on a été tous stupéfaits, nous qui avions eu cette idée de provoquer cette rencontre et puis je pense aussi tous ceux qui y ont participé, on a tous été stupéfaits puis profondément touchés aussi par l’enthousiasme spontané avec lequel, et c’est encore vrai en 1981, avec lequel une foule de gens étaient partis d’aussi loin que la Nouvelle-Ecosse ou la Colombie-Britannique, la Californie ou la Louisiane. J’en ai vus depuis quelques jours, ils viennent d’aussi loin encore, et partout aussi en Nouvelle-Angleterre, sans compter des amis qui avaient tenu à venir nous retrouver, des Vieux Pays comme on dit, mais aussi cette plus jeune mais toujours vibrante francophonie qui se maintient en Afrique et aux Antilles. Et dès 1978, il y avait là, comme à chaque fois depuis – c’est ça qui compte le plus – au-delà de toute programmation, comme on dit dans le jargon d’aujourd’hui, c’est ça qui est un gage de succès, il y avait le plaisir immédiat et chaleureux de se sentir en famille, de retrouver instantanément cette longueur d’onde qui nous est commune, qui n’appartient à personne d’autre, sauf à nous et sur laquelle nous redécouvrons le pur ravissement de communiquer directement sans besoin d’aucun intermédiaire, d’aucune traduction.

Bien sûr, il y a des différences. L’histoire, l’éloignement, la variété des situations ont fait qu’elles sont multiples, les différences, et parfois même il y a des différends. Mais il y a ce commun dénominateur qui nous rassemble tous et si brèves que soient ces rencontres, il nous réconforte aussi. Et tous nous avons besoin à l’occasion d’être revigorés parce qu’en Amérique, surtout, c’est un combat qui est permanent, qui est difficile : celui de maintenir une identité, une vie culturelle qui ne sont pas dans le courant central du continent. L’histoire a voulu que ce soit comme ça. Et partout en fait, sauf au Québec et je dis sauf au Québec – et encore, parce qu’il y a des gens dont je ne parlerai pas ce soir, mais des gens qui tâchent encore de nous affaiblir et de nous diminuer au Québec aussi – mais partout, en tout cas, ailleurs en Amérique c’est encore, quoiqu’il advienne, ce sera toujours jusqu’à un certain point la survivance.

Evidemment, nous Québécois, peut-être pas autant la génération d’aujourd’hui mais ceux qui font le pont entre les générations, qui ont précédé les générations montantes, nous savons ce que c’est. Nous l’avons assez longuement vécue pour savoir ce que survivre, quand on est obligé d’employer le mot survivre, ce que ça peut exiger de foi inébranlable, d’espérance tenace, parfois contre toute espérance, et d’attachement farouche à ce qu’on nous a légué et qui nous a fait ce que nous sommes.

Ce sont des vertus cardinales de la survivance et chaque année d’ailleurs nous les retrouvons et ça aussi c’est une des raisons pour lesquelles, de tout cœur, encore une fois, j’espère que ces rencontres vont continuer parce qu’elles sont l’occasion de le faire, – ces vertus cardinales donc, de la survivance, chaque année nous les retrouvons incarnées chez la plupart de nos lauréats comme ceux et celles de cette année, du Québec, d’Acadie, de l’Ouest, de la Nouvelle-Angleterre. Parce que, littéralement, ils nous illustrent par leur vie, par les efforts qu’ils ont faits ou qu’elles ont faits, le travail parfois surhumain, même si parfois il est très mal connu – c’est pour ça qu’il faut qu’il soit reconnu – le travail surhumain que ça peut demander de maintenir une identité dans un continent qui n’est pas nécessairement hospitalier à cette identité-là.

Alors c’est l’occasion, ces rencontres, de reconnaître des mérites comme ceux-là et de les proposer en exemple. Et c’est pour ça que non seulement j’espère que ça va continuer mais le peu qu’on m’a rapporté sur les ateliers, la plénière, enfin le travail qui a été fait depuis deux, trois jours, me donne l’impression que maintenant on a fait le point puis que c’est relancé avec une sorte d’enthousiasme renouvelé parce qu’il faut faire le point, par-ci par-là.

Après quatre ans, par exemple, c’est un moment tout indiqué. Quatre ans pour les gouvernements, c’est le temps des examens de conscience et, si possible, c’est le temps de chercher un nouveau départ. C’est à peu près la même chose dans toutes les entreprises humaines. Il y a des dates comme ça qui sont des points tournants dont il faut profiter. Et voilà précisément, à ce qu’on me dit, ce qu’on a fait ces jours-ci avec ceux et celles d’entre vous qui ont bien voulu participer à cette besogne de réévaluation. Il me semble que je dois souligner, c’est ce qu’on m’a dit, – en tout cas si vous êtes d’accord, vous me le direz – que les résultats sont plus que prometteurs, prometteurs pour tous et non pas pour tel ou tel groupe et surtout pas exclusivement pour le Québec. On a eu au départ l’initiative, je pense que c’était normal en fonction de l’évolution de l’histoire de la francophonie nord-américaine, mais comme je le disais il y a deux ans, si vous me permettez de me citer moi-même: « Pour mériter sa permanence, il importe que cette rencontre annuelle soit désintéressée, que sur le plan francophone elle rejoigne l’intérêt de tous, que tous puissent venir l’enrichir, s’en enrichir, ce qui exclut au départ toute préoccupation qui serait trop égocentriquement québécoise. C’est précisément ce qui, semble-t-il, s’est accompli cette semaine. Ce que le Québec y trouvera quant à lui, parce qu’il trouvera quelque chose, ce sont tout bonnement des occasions plus riches encore de poursuivre son ouverture sur le monde qui est loin d’être complétée et d’aller sans cesse plus loin sur le chemin où nous sommes engagés depuis quelques années c’est-à-dire, celui de la coopération et des échanges avec l’extérieur mais en commençant, bien sûr, par cet extérieur que vous représentez ici, la plupart d’entre vous et qui jamais ne nous sera étranger.
C’est ainsi, par exemple, que nous saluons tous l’événement que constitue la fondation au cours de cette 4ème rencontre, cette semaine, de l’Association internationale francophone des aînés, une fondation à laquelle participaient des personnes du Troisième Age de France, de Belgique, du Luxembourg, de Suisse, des États-Unis, de l’Ontario, du Manitoba et bien sûr, du Québec. On nous permettra d’ailleurs d’être fier qu’un Québécois, Monsieur l’Ambassadeur Jean-Louis Delisle, qui fait partie des Retraités de l’Université Laval, ait été élu à l’unanimité premier président de l’Association.

D’autre part et ça, c’est vraiment une prospective qui est prometteuse, on a pensé aussi aux années qui viennent, en se rendant dès l’abord jusqu’en 1984. C’est une année évidemment qu’à l’échelle littéraire internationale, Orwell a rendue tristement célèbre par anticipation, mais inutile de dire que ce n’est pas le cas pour nous. Ce sera une année faste parce qu’en Europe comme ici, il y a des préparatifs. On évoquera en 1984, bien sûr, ce lointain et périlleux passage de Jacques Cartier et de sa coquille de noix en 1534. Et comme une des façons de se préparer à ces grandes retrouvailles du 450ème Anniversaire, en 1984, de la découverte du Canada, un de vos ateliers a suggéré qu’un peu partout en Amérique, dans toutes nos communautés francophones, on retrouve les vieux sentiers de la découverte, sans programmations exigeantes. Tout simplement qu’on les retrouve, parce que les explorations, les expéditions qui, à travers surtout les 17ème et 18ème siècles, ont fait que tout cet immense continent que nous habitons, a été d’abord apprivoisé en français. Tout ça était sur la lancée des premiers découvreurs. Bien entendu, 1984 sera précédé et annoncé en quelque sorte par 1983 c’est-à-dire, cette fois-là, ce sera sérieux, pas le 370ème, pas le 370ème, le 375ème Anniversaire de naissance de la Vieille Capitale et ça, il faut le faire bien parce que c’est vraiment un anniversaire.

Et enfin, quant à l’an prochain, parce que je ne veux pas sauter par-dessus 1982, on nous apprend qu’à la suite d’un atelier où se retrouvaient côte à cote des écrivains de langue française de France, d’Acadie, de Louisiane et du Québec, il a été décidé, en 1982 l’an prochain, si possible pas trop loin de notre rencontre annuelle, de jeter les bases d’une fédération internationale des associations d’écrivains de langue française, dont l’Union des écrivains s’est chargée de préparer le congrès de fondation. Et l’an prochain également, c’est sûr puisqu’il doit ouvrir ses portes dès l’automne qui vient, l’an prochain donc, vous trouverez à votre service, quand vous reviendrez dans le Vieux Québec, sur la rue Saint-Pierre, un centre culturel francophone mais de vocation internationale, qui n’essaiera pas de se substituer à la corporation des rencontres ni à son conseil d’administration qui a fait un travail magnifique, ni à ses deux animateurs remarquables, Monsieur Dubé, Monsieur Dussault, et à leurs collaborateurs ou à leurs collaboratrices, mais ce centre sera quand même un instrument de plus pour mieux préparer vos rendez-vous annuels et, en tout temps désormais, il constituera un lieu de réunions d’études, de colloques, un centre d’exposition et aussi de diffusion constante de toutes les informations qu’on peut colliger ou qui s’accumulent concernant la francophonie. Donc ce qu’on m’a dit, en tout cas, et c’est ce que je crois sentir ce soir, c’est que l’avenir semble assuré après quatre ans et qu’il y a un nouveau départ.

Alors, en vous remerciant toutes et tous encore une fois cette année d’être venus nous retrouver, en vous souhaitant le plus longtemps possible – je sais que certains d’entre vous vont en profiter pour rester quelque temps – en vous souhaitant un bon séjour chez-nous c’est-à-dire, chez-vous, et puis ensuite en vous souhaitant un bon retour là où vous retournez, partout en Amérique ou ailleurs dans le monde, je vous dis simplement au nom de tous vos amis du Québec et pas du tout officiellement au nom du gouvernement mais vraiment du fond du coeur, au revoir et à bientôt. Bonne fin de rencontre et puis, surtout, à la prochaine l’an prochain !

[QLVSQ19810704]

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