Mesdames, messieurs,
J’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui les propositions que le gouvernement du Québec a élaborées avec le ferme espoir d’en arriver à un nouvel accord avec nos partenaires du Canada dans l’honneur et la dignité.
Ces propositions, elles visent essentiellement, en nous rétablissant dans nos droits, à faire reconnaître pour de bon l’identité spécifique de notre peuple et à amorcer une révision en profondeur qui réponde à nos aspirations.
Le Québec ne peut en effet se contenter indéfiniment du statut diminué qui lui a été imposé en novembre 1981 par un accord négocié et conclu sans lui. il nous fallait donc rechercher l’occasion de corriger les choses.
Cette occasion, nous croyons qu’elle nous a été fournie par l’avènement, en septembre dernier, d’un nouveau gouvernement à Ottawa. au cours de la campagne électorale, le nouveau premier ministre du Canada avait alors non seulement reconnu l’existence du problème mais s’était solennellement engagé à le résoudre:
«Il y a au Québec – cela crève les yeux – des blessures à guérir, des inquiétudes à dissiper, des enthousiasmes à ressusciter et des liens de confiance à rétablir. je sais que bien des Québécois et des Québécoises ne se contenteront pas de simples paroles. Il faudra donner des gages et poser des gestes pour atteindre l’objectif que je me suis assigné et que je réitère ici: convaincre l’Assemblée nationale du Québec de donner son assentiment à la nouvelle constitution canadienne avec honneur et enthousiasme.»
Cet engagement, le nouveau gouvernement fédéral l’a d’ailleurs tout aussi clairement réaffirmé à l’ouverture du parlement fédéral, en novembre dernier.
Le gouvernement du Québec, qui réclamait déjà une réouverture du dossier, a vu dans cet engagement réitéré un geste de bonne foi permettant la reprise du dialogue avec l’espoir à la fois de corriger le passé et d’ouvrir l’avenir. nous nous sommes, dès lors, engagés à définir notre attitude et nos demandes, et avons cherché à remplir cette tâche avec le plus grand réalisme, mais en insistant aussi sur des aspirations du Québec qui sont en fait des besoins auxquels ont aurait dû répondre depuis longtemps.
Nos propositions s’inscrivent effectivement dans la tradition de tous nos gouvernements antérieurs, au-delà des lignes partisanes; elles veulent rejoindre les exigences du présent, sans pour autant oublier celles qui nous attendent au détour. ce sont des propositions concrètes, soumises à l’appréciation des Québécois d’abord, mais évidemment – le système le veut ainsi – à celle également des autres gouvernements «a mare usque ad mare» en vue de la conclusion d’un accord à la suite de négociations de bonne foi.
Car il faut, bien sûr, que cela s’inscrive dans le cadre fédératif de la constitution actuelle, mais tout en visant à le modifier de façon à ce que les Québécois, tant qu’ils en décideront ainsi, y trouver les conditions les plus favorables possibles à leur développement. il va de soi, par conséquent, qu’il n’y a rien dans nos propositions qui puisse altérer le droit inaliénable du peuple québécois de disposer lui-même, démocratiquement, de son avenir national.
En entamant cette démarche, notre gouvernement prend acte des changements survenus au Québec et au Canada, afin de profiter de l’occasion nouvelle qui nous est offerte de faire avancer les choses. Cependant, il est de la plus haute importance de bien faire comprendre ce qui constitue, aujourd’hui comme hier et indépendamment des gouvernements en place, l’essentiel de la préoccupation québécoise: le caractère distinct d’un peuple et la légitimité des instruments juridiques et institutionnels qui en découlent.
Parce que c’est de nous du Québec, de notre peuple qu’il est question dans ce document, de son existence d’abord, du corollaire de cette existence, c’est-à-dire ses institutions, et enfin des conditions qui lui permettront de conclure un nouvel accord constitutionnel.
La reconnaissance explicite, dans la constitution, de l’existence du peuple québécois est donc un préalable essentiel à l’accord du Québec et à sa participation à une nouvelle dynamique.
Une fois ce préalable acquis, le Québec demande que sa responsabilité première en matière de droits et libertés soit reconnue, que la procédure d’amendement soit modifiée pour conférer au Québec des garanties satisfaisantes et qu’on s’entende sur d’autres conditions facilitant la participation du Québec à la fédération canadienne.
Parlons d’abord de la nécessaire intégrité des compétences du Québec à l’égard des droits linguistiques, si intimement liés à notre personnalité collective. Car nous ne sommes pas des gens de n’importe où ni de nulle part. Nous sommes des gens d’ici. Ici, où depuis quatre siècles, il existe sur les rives du Saint-Laurent un peuple d’origine française qui, sous deux régimes coloniaux et de multiples arrangements constitutionnels, s’est progressivement affirmé à travers ses institutions et puis, avec l’apport d’autres communautés, s’est développé au point d’acquérir toutes les caractéristiques d’une société distincte.
Ce peuple a également essaimé dans la majeure partie du continent, il y a contribué au développement mais, avec le temps, la langue anglaise s’est imposée majoritairement partout sauf sur le territoire du Québec.
Les francophones représentent aujourd’hui à peine 2 % de la population nord-américaine. à cinquante contre un, la protection du français comme langue d’usage demande des mesures spécifiques.
Donc, très normalement, le Québec est le seul territoire nord-américain où les préoccupations linguistiques, culturelles et économiques des francophones s’expriment avec une vraie force de frappe… si l’on peut dire. Il faut donc que soit reconnu son droit exclusif d’adopter des lois sur toute matière linguistique dans les secteurs de sa compétence.
Cependant, et nous en tenons compte, le peuple québécois n’est pas composé que de nous autres, gens de langue française. La communauté anglophone, les communautés culturelles et les nations autochtones ont aussi des droits, et au-delà de l’expression stricte de leurs droits individuels et particuliers, elles ont aussi le droit plus général de bénéficier de l’ensemble des ressources que la société doit mettre à la disposition de tous.
Malgré quelques épisodes de tension, dans l’ensemble, c’est un climat de tolérance et de respect à l’égard des minorités qui a prévalu dans la recherche de l’affirmation du caractère français du Québec. C’est d’ailleurs ce que disait la commission Pépin-Robarts dès 1979 à propos du Québec:
«Nous nous attendons à ce que les droits de la minorité anglophone continuent à être respectés dans les domaines de l’éducation et des services sociaux. ces droits, il importe de le souligner, ne sont pas garantis par la constitution canadienne. Et pourtant, ils sont reconnus, déjà, dans la loi 101, la charte de la langue française, qui émane d’un gouvernement péquiste. Ainsi avons-nous la preuve, au Québec, que les droits de la communauté anglophone peuvent être protégés, sans pour autant qu’il y ait contrainte constitutionnelle, et que les gouvernements de cette province sont tout à fait capables de réconcilier l’intérêt de la majorité et les préoccupations de la minorité.»
Le Québec entend continuer à assumer ses responsabilités à l’égard de ses minorités.
En particulier, le gouvernement du Québec est prêt à s’engager, dans un cadre nouveau, à inscrire dans ses lois fondamentales le droit de la minorité anglophone de recevoir dans sa langue les soins de santé et les services sociaux, ainsi que son droit à ses propres institutions culturelles et éducatives.
De la même manière, le gouvernement du Québec est prêt à modifier la charte de la langue française pour garantir l’accès à l’école anglaise aux enfants de ceux qui ont reçu leur instruction primaire en anglais au Canada. En retour, il s’attend à ce que partout au Canada, ceux à qui profite la garantie d’accès à l’école française accordée par l’article 23 de la loi constitutionnelle de 1982 puissent effectivement en profiter.
Le Québec désire en effet jouer pleinement son rôle de soutien à la francophonie hors Québec. Nous serions donc disposés à collaborer activement avec tout gouvernement d’une autre province désireux d’améliorer les services dispensés à sa minorité francophone. La réalité quotidienne montre que c’est beaucoup plus par la voie de la coopération intergouvernementale et simplement… humaine que par celle de la seule constitution, qu’on pourra, dans ce domaine, faire avancer les choses.
Ce que je viens de dire à propos des droits linguistiques est également vrai pour le domaine des droits civils, politiques, économiques et sociaux.
Le peuple québécois s’est donné en 1975 une charte des droits et libertés de la personne qui demeure, à ce jour, l’une des plus complètes qui soient au monde.
Or, une telle charte, c’est l’instrument par excellence de l’affirmation des valeurs d’un peuple. Elle exprime à la fois ses convictions les plus fondamentales et les choix et les arbitrages pas toujours faciles qu’il faut faire dans toute société. Elle garantit à chaque personne les conditions minimales de l’exercice de ses libertés.
Or, la charte québécoise est plus généreuse que la charte constitutionnelle canadienne. elle a en outre un statut quasi-constitutionnel et permet que la responsabilité ultime de l’affirmation des droits et libertés de la personne soit celle du législateur québécois, élu et responsable devant la population du bon fonctionnement de la société.
C’est pourquoi nous proposons que seuls les articles de la charte constitutionnelle canadienne qui portent sur les droits démocratiques, c’est-à-dire le droit de vote, l’éligibilité aux élections, la durée du mandat et les obligations des législatures, continuent à lier le Québec sans que l’Assemblée nationale puisse y déroger, et que le Québec ait le pouvoir d’assujettir ses propres lois à la seule charte québécoise des droits et libertés de la personne.
En ce qui concerne la procédure d’amendement constitutionnel, le gouvernement du Québec croit d’abord qu’il doit détenir un droit de veto sur tout changement pouvant affecter le rôle du Québec au sein des institutions fédérales, comme le sénat et la cour suprême, de même que sur la création de nouvelles provinces.
Pour ce qui est de la modification du partage des compétences, c’est-à-dire des champs d’action qui appartiennent en propre à un gouvernement, je rappelle que la résolution adoptée le premier décembre 1981 par l’Assemblée nationale demandait que le mode d’amendement de la constitution soit modifié ou bien pour accorder au Québec un droit de veto, ou bien pour lui garantir une compensation raisonnable et obligatoire dans tous les cas de non-participation à un amendement constitutionnel. Nous croyons que cette alternative doit être maintenue, et nous sommes prêts à en discuter avec les autres gouvernements.
En effet, chacune de ces deux formules peut assurer ce qui est essentiel pour le Québec: à savoir qu’aucun de ses pouvoirs ne pourra plus lui être enlevé sans son propre consentement. La formule de retrait compensé offre cependant l’avantage additionnel de la flexibilité.
Le gouvernement du Québec demande par ailleurs que soient satisfaites d’autres revendications aussi importantes que légitimes.
Bien sûr, il ne saurait être question de procéder en un tournemain à un nouvel aménagement constitutionnel en profondeur. mais, en s’inspirant des nombreuses discussions passées, il est possible d’en arriver à des consensus significatifs qui se traduiront par des accords. ceux-ci régleront, sur plusieurs points, le contentieux constitutionnel opposant le Québec au reste du Canada et ouvriront la voie à une participation meilleure aux travaux de la fédération ainsi qu’à une adaptation continue aux changements qui ne cesseront de s’y produire.
Pour le Québec, la répartition des compétences a toujours été et demeure au centre de la problématique constitutionnelle.
En premier lieu, il nous paraît justifié de proposer que le pouvoir exorbitant qu’a le gouvernement fédéral de dépenser dans tous les secteurs y compris ceux qui nous sont exclusifs, comme la culture et l’éducation, soit mieux encadré.
De même, nous ne surprendrons personne en proposant que les pouvoirs de réserve et de désaveu soient abolis. Mais l’équité qui résultera de l’encadrement du pouvoir de dépenser et de la suppression des pouvoirs de réserve et de désaveu ne suffit pas. La mission économique, culturelle et sociale de l’État québécois ne pourra être remplie que si le partage des pouvoirs est adapté aux besoins du Québec et de sa population.
Le gouvernement du Québec insiste d’abord pour être confirmé comme maître-d’œuvre de l’orientation générale de la vie économique québécoise et de son développement régional.
Le domaine économique dans son ensemble restera toujours, dans une fédération, un domaine partagé; cependant, le gouvernement fédéral devrait reconnaître qu’il appartient d’abord aux provinces de définir le type de développement leur convenant le mieux. la prospérité générale sera d’autant plus forte que les états provinciaux seront plus dynamiques. Le gouvernement du Québec réclame donc que soit reconnue sa responsabilité première en ce qui concerne l’orientation générale de son développement économique et celui de ses régions.
Il en va de même pour «la politique de main-d’œuvre» qui comprend le placement, le recyclage et la formation professionnelle des travailleurs. dans la mise en place de sa politique de formation des adultes, de sa politique d’apprentissage, de ses mesures de réinsertion en emploi et de sa politique de création d’emplois, le Québec a ressenti comme jamais l’urgente nécessité de mieux intégrer le secteur de la main-d’œuvre qui, présentement, lui échappe. Les Québécois seraient mieux servis par un système cohérent; c’est d’ailleurs ce que pense la grande majorité des agents socio-économiques québécois consultés à ce sujet. c’est pourquoi le gouvernement du Québec insiste pour détenir les pouvoirs et les ressources que cette responsabilité comporte.
À cela devront s’ajouter des choses qui, bien qu’elles relèvent du domaine culturel, n’en auront pas moins des répercussions économiques importantes.
Ainsi, la constitution devra compléter l’entente Cullen-Couture de 1978 en confirmant la prépondérance du Québec en matière de sélection et en élargissant cette prépondérance à l’intégration et à l’établissement des immigrants.
De même, dans le domaine des communications, un accroissement des pouvoirs du Québec est conforme à la position commune naguère adoptée par les provinces canadiennes, à laquelle l’actuel gouvernement fédéral pourrait concourir.
Un autre champ de compétence ayant fait l’objet d’un consensus entre les provinces devrait revenir au Québec; il s’agit du domaine du mariage et du divorce, dont la nature locale et privée ne fait point de doute.
Le gouvernement du Québec réitère également certaines revendications historiques en matière de relations internationales, compte tenu toujours du caractère distinct du peuple québécois.
La présence du Québec comme gouvernement participant est essentielle dans les organisations internationales de la francophonie. la représentation du Québec auprès d’autres organisations internationales touchant ses compétences devrait également être assurée de façon convenable.
Le gouvernement du Québec insiste également sur la réforme des institutions judiciaires.
Le rôle accru que se sont vus attribuer les tribunaux ces dernières années, et en particulier depuis l’avènement des chartes des droits et libertés, confère à cette revendication traditionnelle du Québec une légitimité plus grande et plus évidente que par le passé.
C’est pourquoi nous devons nous intéresser particulièrement à la nomination des trois juges de la cour suprême du Canada qui proviennent du Québec, ainsi qu’à celle des juges des tribunaux supérieurs du Québec.
On ne saurait rouvrir le dossier constitutionnel sans souligner, d’entrée de jeu, que c’est à une révision globale de la constitution qu’il faudra éventuellement procéder.
Dans cet esprit, le gouvernement du Québec estime qu’au-delà des conditions d’un nouvel accord, il faudra obtenir dès maintenant l’engagement solennel des gouvernements en vue de procéder à la poursuite de la révision constitutionnelle.
En préparant ces propositions, le gouvernement du Québec a pensé d’abord aux Québécois et aux Québécoises. Il sera donc particulièrement attentif à leurs réactions et à leurs commentaires. Ces propositions concernent aussi l’ensemble de tout le Canada hors Québec. La volonté de réparation exprimée par le premier ministre du Canada a suscité, là comme ici, beaucoup d’espoir. dans le respect mutuel, la bonne foi et à la suite d’une négociation honnête, nous croyons fermement en la possibilité d’améliorer les conditions de notre coexistence.
[QLVSQ19850517]