Discours du trône, Québec, 18 novembre 1959

Maurice Duplessis, 1936-1939 et 1944-1959

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l’Assemblée législative,

Il m’est agréable d’inaugurer aujourd’hui la quatrième session de la vingt-cinquième Législature.

Au moment où vous vous apprêtez à reprendre vos travaux parlementaires, il sied de rappeler les principaux événements qui ont marqué les récents mois, et qui s’inscriront en caractères indélébiles dans les annales de la Province. Comment ne pas évoquer, dès ces premiers mots, le souvenir vivace de celui qui, pendant dix-huit ans, a apposé à la conduite des affaires du Québec le sceau de sa puissante personnalité et de son inlassable énergie? Le 7 septembre dernier, à Schefferville, le Maître rappelait à lui l’honorable Maurice Le Noblet Duplessis, au cœur même de ces régions prometteuses qu’il avait inscrites avec tant d’autorité sur la carte des territoires récemment ouverts à la civilisation. Dans ses destins insondables, peut-être la Providence a-t-elle voulu le ravir à ses parents et collaborateurs au moment précis où il parcourait, tel un pionnier du vingtième siècle, les solitudes qu’il avait si intensément contribué à placer sous la main productive de l’homme; peut-être a-t-elle souhaité pour cela choisir justement la fête du Travail afin de souligner l’une des principales caractéristiques de sa personnalité. Vous serez très bientôt invités à poser à la mémoire de l’illustre défunt un geste qui symbolisera, à l’intention des générations futures, l’impressionnant hommage qui lui a été rendu lorsque ses restes furent déposés dans sa terre natale des Trois-Rivières.

Le 11 septembre, l’un des collègues du disparu, après avoir siégé vingt-neuf ans à la Chambre basse, prêtait son serment d’office pour lui succéder. La province de Québec se donnait alors le dix-huitième premier ministre de son histoire parlementaire. Puisse la Divine Providence lui conserver la santé et la force qu’exigent de Si lourdes responsabilités.

Depuis la dernière session, nous avons été honorés de la visite de Sa Gracieuse Majesté Elizabeth II, reine du Canada, et de son noble époux, le Prince Philip, à l’occasion de l’inauguration de cette remarquable réalisation du génie moderne qu’est la canalisation du Saint-Laurent. Nous avons réaffirmé à notre gracieuse souveraine l’assurance de notre loyauté et nous en renouvelons ici l’expression.

Le trois centième anniversaire de l’arrivée en Nouvelle-France de monseigneur François de Montmorency-Laval a fait l’objet tout récemment de mémorables manifestations religieuses. Cette commémoration du tricentenaire de la hiérarchie de l’Église au Canada a conduit dans les murs de la Vieille Capitale une foule de distingués prélats. La Province a été profondément honorée par la visite, à cette occasion, de Son Éminence Révérendissime le Cardinal-Légat Alfredo Ottaviani, qui a été prié de présenter à Sa Sainteté Jean XXIII l’expression de nos religieux hommages.

La dernière session a été marquée par le décès d’un membre du Conseil législatif, l’honorable Émile Moreau, dont la disparition a été soulignée dans les deux Chambres.

Le deuil n’a pas épargné non plus la Chambre basse. Dès après la session, nous avions la douleur d’apprendre le décès subit du député de Labelle, monsieur Pierre Bohémier. Tout récemment élu par acclamation, le représentant de cette circonscription avait déjà conquis l’amitié de tous ses collègues.

Depuis la prorogation des Chambres, des élections partielles ont été tenues dans deux comtés de la Province situés en différentes régions. Elles ont permis à des milliers d’électeurs de renouveler à l’administration actuelle la confiance dont l’ensemble du Québec avait fait preuve à son égard en 1956, et d’exprimer leur appui à celui qui venait d’assumer la succession du regretté premier ministre.

Mon gouvernement croit nécessaire, avant que ne se tienne au cours de l’an prochain une conférence plénière des chefs des gouvernements fédéral et provinciaux, de définir son attitude dans la Confédération canadienne. Il exige le respect intégral du pacte confédératif, il en accepte les obligations, mais il réclame les moyens qu’il lui reconnaît pour les remplir. Il souhaite contribuer au développement et à la grandeur du Canada, mais il croit que c’est en assurant au Québec son plein épanouissement, en lui conservant son caractère propre et en maintenant ses traditions qu’il réalisera le mieux cette fin.

L’éducation, qui constitue une responsabilité strictement. provinciale, est au nombre des toutes premières préoccupations de mon gouvernement. Les problèmes qu’elle suscite ne résultent ni de l’inertie, ni de la négligence, mais bien de l’essor qu’elle a connu en ces quinze dernières années. Il vous demandera de l’autoriser à prendre les moyens de stabiliser la situation financière de nos institutions éducationnelles à tous les paliers de l’enseignement. Si nous voulons que notre population jouisse pleinement des bénéfices du développement de nos ressources naturelles, il est nécessaire de continuer à assurer un développement parallèle dans le domaine éducationnel.

L’essor industriel du Québec continue de faire l’admiration des économistes et le gouvernement a la ferme intention de tout mettre en œuvre pour en maintenir la courbe ascendante. Mais ce développement ne doit pas faire oublier la mission moins spectaculaire mais non moins essentielle de l’agriculture, symbole de stabilité et de survivance. Le gouvernement se propose d’intensifier les mesures susceptibles de contribuer au progrès de la classe rurale. Il vous demandera à cette fin d’augmenter les crédits consacrés au prêt agricole dont les bienfaits sont plus manifestes que jamais. Il vous invitera également à hausser le maximum des prêts tant pour les agriculteurs déjà établis que pour ceux qui projettent un premier établissement. Il maintiendra son effort incessant dans le domaine du drainage, qui permet la récupération de précieuses terres arables et dans celui de l’électrification rurale.

Mon gouvernement croit que la colonisation est une œuvre nécessaire, particulièrement pour la consolidation du patrimoine agricole, et il vous proposera des mesures propres à intensifier son action en ce domaine.

L’hygiène publique et la santé en général continueront de bénéficier de l’attention militante du gouvernement. Aucun principe constitutionnel ne s’oppose à l’institution éventuelle d’un plan d’assurance-hospitalisation, mais en ce domaine comme en bien d’autres, la province de Québec possède des caractéristiques qui lui sont propres; il faudra procéder avec prudence, dans le respect des traditions, en tenant compte de notre système particulier d’hospitalisation. Toute solution hâtive pourrait s’avérer désastreuse. Il vous sera soumis une législation qui facilitera au gouvernement l’obtention de toutes les données du problème, ce qui lui permettra d’étudier la situation en profondeur et de l’aborder avec réalisme. Vous serez également invités à légiférer sur les conditions de salubrité dans les établissements où les radiations ionisantes peuvent constituer un danger.

Mon gouvernement n’oublie pas qu’à la santé du corps doit s’ajouter celle de l’esprit. En plus de veiller de près sur les différents paliers de l’éducation, il s’efforcera d’encourager les initiatives d’ordre culturel, telles que les concours littéraires ou scientifiques, et la multiplication des bibliothèques publiques.

Mon gouvernement vient en aide aux corporations municipales dans une proportion remarquable qui a été sans cesse croissante. Sa participation financière au fonctionnement des rouages municipaux a même atteint un degré de parité avec le total des taxes versées par les contribuables aux municipalités. Cependant, son effort n’en restera pas là. Il vous demandera d’approuver l’augmentation des crédits qu’il met déjà à la disposition des localités pour les aider à se protéger efficacement contre les incendies; il vous invitera à poser un geste semblable à l’égard de celles qui sont dans l’impossibilité financière d’aménager ou de construire des systèmes d’aqueduc et d’égout ou d’utiliser de nouvelles sources d’approvisionnement d’eau potable; il vous recommandera de renouveler aux municipalités l’autorisation de conclure avec le gouvernement fédéral les ententes nécessaires à l’exécution de travaux destinés à remédier au chômage; il vous priera d’adopter un projet de loi qui apportera une réduction de la part municipale dans le domaine de l’assistance publique, ce qui dégrèvera encore le budget des municipalités; il vous demandera enfin l’autorisation d’alléger. également leur fardeau pour ce qui a trait aux écoles de Protection de la Jeunesse.

Le gouvernement réaffirme son attachement à la libre entreprise; consciente de ses droits et respectueuse de ses obligations, elle constitue le moyen le plus efficace d’assurer la prospérité du Québec. Mais la bonne entente entre patrons et employés s’avère essentielle au maintien de ce système. Le gouvernement- vous soumettra une législation destinée à apporter plus de souplesse aux rouages de la Commission de Relations ouvrières; il apportera une attention particulière aux salariés qui, à cause de l’exercice d’un droit syndical, pourraient être l’objet de congédiement, de suspension ou de déplacement; il vous demandera d’approuver une politique plus généreuse à l’égard des accidentés du travail et de leurs dépendants et d’augmenter les montants consacrés à la réadaptation de ces accidentés.

Bien que le gouvernement ait déjà à son crédit toutes les grandes lois modernes d’assistance sociale dont bénéficie le peuple, il n’entend pas s’arrêter en si bonne voie; il se propose de se pencher sur le problème de l’adoption; il présentera une mesure destinée à intensifier l’aide aux agences sociales; il se propose de consolider l’œuvre déjà accomplie dans le domaine de la prédélinquance et de la lutte à la délinquance juvénile.

Afin de faciliter l’application et l’interprétation de notre législation, mon gouvernement vous proposera des mesures pour compléter la refonte de nos lois de base, et particulièrement de notre Code civil, de notre Code de procédure civile, de notre Code municipal et de nos lois statutaires d’intérêt général.

Tout en acceptant pleinement ses responsabilités dans les domaines que je viens d’énumérer, mon gouvernement veut également exprimer sa ferme intention de maintenir le sain équilibre qui caractérise la situation financière de la Province, afin que celle-ci conserve le crédit remarquable dont elle jouit sur le marché des obligations; car il s’agit là d’une fort précieuse réputation, surtout en ce moment où la situation du crédit s’avère plus difficile.

De nombreux projets d’intérêt privé et d’intérêt public vous seront également soumis. La Législature pourra en prendre connaissance dès les premiers jours de la session.

Messieurs de l’Assemblée législative,

Les comptes publics de la dernière année fiscale vous seront communiqués avec diligence comme cela se pratique maintenant et vous voudrez bien voter les subsides nécessaires à l’administration de la province.

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l’Assemblée législative,

Je demande à la divine Providence de bénir et de féconder vos travaux au cours de cette session.

[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]

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