[QBOUC19960416cp]
[Point de presse de M. Lucien Bouchard Le mardi 16 avril 1996 (Quinze heures quarante minutes)]
[ Le Modérateur: Puisqu’il y a une télévision en direct, je demanderais à tous les gens de fermer leurs cellulaires, s’il vous plaît, et d’attendre qu’on leur donne le droit de parole pour poser des questions. M. Bouchard a 15 minutes à nous consacrer; 10 minutes en anglais, 5 minutes en français.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Modérateur: L’inverse!
Une voix: Le foyer!
Le Modérateur: C’est ça, le foyer. L’inverse: 10 minutes en français, 5 minutes en anglais.]
[M. Bouchard:] Comment on dit ça, le foyer, en anglais?
[ Une voix: Fireplace.
Des voix: Ha, ha, ha! Une voix: Homeland!
Le Modérateur: Pas de question?
Une voix: Elle est bonne, celle-là!]
[ M. Bouchard:] Je pense qu’on va s’exempter des déclarations préliminaires. Je pense que vous souhaitez poser des questions. Alors, je vais vous laisser les commencer.
[ Une voix: Qu’est que vous pensez, M. Bouchard, de l’attitude de vos adversaires aujourd’hui, le Parti libéral, qui continue à dire que la société distincte existe encore, que M. Chrétien a raison de dire que ces termes-là n’ont pas été dilués d’aucune façon par le mot foyer, mais qui, malgré tout, se joignent à vous pour adopter une motion sur le refus du foyer? Cette position mitoyenne des libéraux, est-ce que ça vous laisse un peu, quoi, songeur, ou…?]
[ M. Bouchard:] En tout cas, je reconnais le geste qui a été posé par la députation libérale aujourd’hui de voter dans l’unanimité avec les députés ministériels pour rejeter cette étrange notion qui vient d’atterrir sur nos tables du foyer principal. Je pense que c’est la fin de la courte carrière de cette notion. Il faudra qu’à Ottawa on retrouve les dictionnaires de synonymes pour en sortir d’autres. Donc, là-dessus, honnêtement, il y a une heureuse convergence de vues entre tous les députés de l’Assemblée nationale.
Par contre, moi, je vois là aussi une démonstration additionnelle, s’il en fallait une, de l’impossibilité de renouveler le fédéralisme en fonction des aspirations fondamentales du Québec. Il y a là une sorte de constat d’impuissance qui s’ajoute au dossier et qui est signé par le gouvernement fédéral lui-même. Le gouvernement fédéral avait proposé cette notion très édulcorée de reconnaissance du caractère distinctif du Québec qui est quand même loin de celle de Meech. Manifestement, il l’a retirée parce que ça ne passe pas. Et une place où ça ne passe pas d’abord, c’est dans le reste du Canada. Ça veut dire que ce gouvernement a des menottes aux mains et est incapable, dans la vieille tradition des tentatives de renouvellement du fédéralisme d’apporter quelque solution que ce soit en profondeur au problème qui est vécu. Ce qui me fait dire à moi, c’est que la seule solution qui reste, finalement, puis qui résiste à toutes les tentatives de diversion du gouvernement fédéral, c’est la souveraineté du Québec, assortie d’une proposition de partenariat.
[ Une voix: Est-ce que c’est uniquement, M. Bouchard, parce que les mots «société distincte» ne passent pas au Canada anglais, qu’on édulcore cette version de la société distincte? Est-ce que c’est uniquement pour ça?]
[ M. Bouchard:] Il faudrait demander aux auteurs de cette grande trouvaille pourquoi ils l’ont substituée au concept préalable, au concept précédent. Il faudrait leur demander, mais nous savons tous que ça ne passe pas au Canada anglais, les mots ne passent pas et on cherche d’autres mots pour maquiller la réalité qui, elle, ne passera pas non plus.
[ Une voix: M. le premier ministre, justement, à propos de la recherche d’autres mots, si vous aviez la substance, si on avait la substance de la société distincte, peu importe le terme ou le qualificatif qu’on lui donnerait, est-ce que vous seriez d’accord avec ça?]
[ M. Bouchard:] Il faut être honnête avec tout le monde, il y a eu un temps pour faire ça, c’est en 1990, ce temps est révolu, on est six ans plus tard et la notion même de société distincte au Québec, c’est dans le placard. C’est dans le placard, c’est dépassé. L’évolution politique a fait en sorte que notre société est rendue plus loin que ça, c’est dépassé, tout en sachant que, même si quelqu’un voulait la ramener à l’ordre du jour, comme tente de le faire le Parti libéral du Québec, ça va être non, c’est impossible, et c’est non.
[ Une voix: Comment interprétez-vous le recul de M. Chrétien, à la Chambre des communes, sur cette notion de foyer?]
[ M. Bouchard:] Je ne le sais pas, je ne connais pas la genèse de cette volte-face. Est-ce que c’était délibéré? Est-ce que ça a été concocté dans les sous-sols du conseil privé ou si c’est arrivé inopinément, dans une réunion de parti? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que M. Chrétien, au lieu de se distancer, l’a fait sienne, cette trouvaille, et qu’il a tenté de lui donner une carrière constitutionnelle qui me paraît bien courte.
[ Le Modérateur: Michel David.
M. David (Michel): M. Bouchard, compte tenu de ce que vous avez dit depuis cinq minutes, est-ce qu’il faut comprendre qu’il n’est plus question pour vous de participer à des négociations de quelque ordre, ou constitutionnelles, de quelque manière que ce soit, une conférence, par exemple?]
[ M. Bouchard:] Reconnaissez, en tout cas, qu’au niveau des principes, toute tentative de tenir des conférences fédérales-provinciales qui porteraient sur le renouveau du fédéralisme est vouée à l’échec et qu’au contraire même, ça va raviver des passions, ça va rouvrir une boîte de Pandore, ça va nous faire piétiner et, finalement, la vraie solution qui concerne tout le monde là-dedans, c’est la souveraineté du Québec, un référendum. Il y avait dans votre question une incidente, est-ce que j’assisterais à une conférence fédérale-provinciale qui en discuterait? Premièrement, je ne sache pas qu’il y en ait une de convoquée actuellement et qui porte spécifiquement sur la question. J’entends dire qu’en effet, il y en a une qui est dans l’air, qu’elle pourrait avoir lieu au mois de juin et j’entends également dire qu’elle porterait certainement sur des questions économiques et sociales et, dans cette mesure, les intérêts du Québec étant directement en cause, je serais extrêmement tenté d’y participer, bien entendu.
Quand il s’agira de lever les barrières tarifaires entre les provinces, d’améliorer les échanges commerciaux entres les provinces canadiennes, quand il s’agira de repenser les programmes sociaux dans le sens de rationaliser pour les maintenir, d’aller chercher le butin du Québec dans ces questions quand il sera question… Bien sûr que je pense qu’on sera plus que tentés, mais je pense que le devoir du premier ministre du Québec, ça va être d’être présent puis de participer activement. Et je souhaite qu’il n’y ait pas, dans cet ordre du jour, des sujets qui pourraient s’apparenter au renouvellement du fédéralisme: ce serait une perte de temps et je pense que ça ne serait pas indiqué.
[ Une voix: Sur le même sujet, hier après-midi, j’ai entendu
M. Chrétien, aux Communes, déclarer que le gouvernement du Québec ne voulait pas, à l’ordre du jour de cette conférence, qu’il soit question de constitution, qu’on ne voulait pas inscrire la question constitutionnelle à cet ordre du jour de la prochaine conférence. Est-ce que M. Chrétien disait la vérité? Est-ce qu’il y a eu des négociations, des pourparlers entre les deux bureaux?]
[ M. Bouchard:] Oui, il dit la vérité parce que… D’abord, j’ai déjà dit en public, souvent, que je ne souhaitais pas qu’il y ait de conférence fédérale-provinciale sur la question constitutionnelle. Au niveau des entrevues puis des rencontres et des discussions qui ont eu lieu, ça a été répété. Et la position actuelle du gouvernement du Québec, c’est que nous ne souhaitons pas qu’il y ait l’inscription à l’ordre du jour de questions constitutionnelles, c’est-à-dire des négociations constitutionnelles avec tout le monde, là.
[ Une voix: …si le gouvernement fédéral vous invitait.]
[ M. Bouchard:] C’est-à-dire qu’il peut y avoir une rencontre bilatérale. Par exemple, vous savez que nous envisageons une rencontre bilatérale avec M. Chrétien pour parler essentiellement d’économie. Et pourquoi ne pas envisager, en tout cas, vérifier ce qui pourrait en être du côté d’un amendement constitutionnel pour permettre les commissions linguistiques? Mais ça, c’est du bilatéral. Ça ne se négocie pas avec tout le monde, ça.
[ M. McKenzie (Robert): M. le Président, en clair, là, à une conférence d’ordre économique, resteriez-vous à la table pour écouter des propositions sur — et j’emploie l’expression qui a été employée — l’avenir de la fédération?]
[ M. Bouchard:] Bien d’abord, M. McKenzie, je pense que nous le saurions d’avance; je pense qu’avant de partir pour Ottawa, l’ordre du jour serait clairement établi et puis on saurait à quoi s’attendre. Et ce que j’ai dit, c’est que, en ce qui concerne la préparation de l’ordre du jour, la position du gouvernement du Québec, c’est que nous ne souhaitons pas qu’il y ait inscription d’un sujet constitutionnel. Vous allez me demander tout de suite — puis je vous évite de poser la question: Oui, mais s’il y en a une inscription. On verra à ce moment-là, on verra. On verra! Est-ce que j’irai pour partir au moment où on parlera de ces choses? Est-ce que j’irai pour répéter que la seule solution, c’est la souveraineté et leur parler longuement du partenariat que nous souhaitons avec eux au lendemain d’un oui au référendum qui portera sur la souveraineté? Est-ce que ce sera le lieu de faire ce débat là avec eux? Est-ce qu’ils voudront l’entendre, ce débat-là? Je soupçonne fort que les autres provinces ne souhaiteront pas que nous abordions tout de suite ces questions puisque nous avons, dans l’immédiat, des affaires économiques, sociales et commerciales qui sont très urgentes parce que nous, nous savons que, tant que nous n’aurons pas tenu le référendum qui doit se tenir au Québec sur la souveraineté, on ne pourra pas avancer parce que nous savons bien que ce renouveau du fédéralisme est impossible. Nous en avons eu encore une confirmation en fin de semaine.
[ Une voix: Juste un détail, M. le premier. Vous avez dit
Ottawa.
Or, il y avait une rumeur que la conférence pourrait être au Québec. Elle est donc fausse?]
[ M. Bouchard:] Je ne l’ai pas entendue, cette rumeur.
Elle est peut-être vraie, même si je ne l’ai pas entendue, mais j’ignore son existence. Mais j’ai toujours entendu dire que ce serait à Ottawa. Peut-être qu’ils voudront la faire à Québec.
[ Une voix: Oui, mais, M. Bouchard, il y a, de toute façon, une échéance. En 1997, vous devrez parler de constitution et vous avez déjà dit que, s’il y avait une proposition sur la table, vous accepteriez de la regarder. Est-ce que vous êtes en train de nous dire que, d’ici 1997, il est hors de question que vous alliez participer à une quelconque table de négociation et de discussions constitutionnelles?]
[ M. Bouchard:] En tout cas, je répète que nous ne souhaitons pas que ce soit le cas. Ce n’est pas la politique du gouvernement du Québec et je pense que ce ne serait pas une bonne politique non plus de la part du gouvernement fédéral et des autres provinces. Je pense que nous devons nous pencher sur les priorités économiques, sociales et commerciales. Et je n’ai pas entendu personne me dire qu’on souhaite réouvrir des pourparlers constitutionnels. On en sort à peine. On sait où ça nous a conduits. On sait très bien que ça va prendre un autre référendum pour nettoyer le paysage et, entre-temps, moi, je suggérerais qu’on soit pragmatique et qu’on traite des questions immédiates.
[ Une voix: En somme, vous vous en tenez à la lettre de la constitution qui prévoit 1997.]
[ M. Bouchard:] Bon, en 1997, si le gouvernement fédéral convoque une conférence fédérale-provinciale dans le cadre de la révision de la constitution, on verra rendu là. Mais ça, 1997, ça nous mène, ça, c’est le printemps prochain.
[ Une voix: Après les élections.]
[ M. Bouchard:] C’est le printemps prochain. On verra. C’est long en politique un an. C’est long. On a le temps de voir plusieurs notions nouvelles sortir du dictionnaire d’ici là.
[ Le Modérateur: Oui, allez.
Une voix: Si je peux me permettre, sur un autre sujet. Il y a la députée Monique Simard qui est dans une situation pour le moins délicate. Le Directeur des élections lui a donné un avis d’infraction, un constat d’infraction. Est-ce que Mme Simard doit quitter le caucus péquiste?]
[ M. Bouchard:] Mme Simard a formulé une proposition de retrait du caucus jusqu’à épuisement des procédures engagées et cette proposition sera prise en considération par le caucus qui va siéger ce soir.
[ Le Modérateur: Dernière en français. Éric Tétreault, s’il vous plaît.
M. Tétreault (Éric): Rapidement, M. Bouchard. Sur le conseil national des 27 et 28, il y a plusieurs de vos membres et des représentants de comté qui jugent obsolète, qui jugent jusqu’à obsolète la tenue d’un conseil national sur la langue alors que votre lit est déjà fait. Et il y en a plusieurs qui le pensent. Comment vous accueillez leur réaction? Sans parler de front, il y a quand même des gens mécontents.]
[ M. Bouchard:] On sait qu’il y a, au sein du Parti québécois et, de façon très large, au sein de la population du Québec, un souci de préserver la langue, nous sommes tous très vigilants de ce côté, nous savons que la langue française est menacée perpétuellement à cause des conditions objectives qui prévalent ici, sur ce continent et dans ce pays, mais nous n’avons pas fait le lit du gouvernement. Le gouvernement, comme je l’ai dit, a élaboré ce qu’on a appelé un bouquet ou un éventail de mesures qui nous paraissent refléter et représenter un équilibre et un resserrement des mesures pour promouvoir la langue française, c’est présenté en consultation et nous avons dit que la décision ne serait pas prise avant le mois de mai de sorte que, d’ici le mois de mai, il y aura ces instances du conseil national, il y aura d’autres réunions du Parti, j’en suis convaincu, il y aura d’autres personnes dans la société qui vont s’exprimer et nous serons en mesure, au mois de mai, de tirer les conclusions et, là, dresser le véritable lit du gouvernement sur ces questions.
[ Une voix: Pourquoi ne pas demander aux militants avant?]
[ M. Bouchard:] Non, mais le programme du Parti québécois est en révision. Ce n’est pas une cachette que le congrès qui aura lieu cet automne sera un congrès très important qui va se pencher sur la mise à jour et la révision de l’ensemble du programme du Parti québécois. Il se trouve qu’il aurait peut-être été préférable — moi, si ça avait été mon choix, on aurait attendu jusqu’à l’automne pour traiter des questions de langue dans le cadre même de la révision générale du programme — mais il se trouve que le rapport sur l’état de la langue française, le bilan que nous connaissons est tombé sur nos tables récemment et qu’il faut réagir rapidement, aussi rapidement qu’on peut, en tout cas, et nous avons donc dressé un échéancier qui comporte une première partie, de soumettre à une consultation très large un ensemble de mesures pour resserrer la protection et la promotion du français en particulier et ensuite, forts des réactions que nous entretiendrons, au terme d’une consultation, de prendre des décisions gouvernementales.
(Fin à 16 h 01)]
[QBOUC19960612cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard Le mercredi 12 juin 1996 (Onze heures cinquante-huit minutes) ]
[ Le Modérateur: De toute façon, je dirais que c’est une demande
de tous fermer les cellulaires, autant le personnel journalistique que le personnel des cabinets et M. le premier ministre fera une brève déclaration d’ouverture et il y aura 15 minutes de questions qui suivront, 10 en français et cinq en anglais. M. le premier ministre. ]
[ M. Bouchard:] Merci. Mesdames, messieurs, j’ai pris connaissance avec attention de l’ordre du jour de la Conférence fédérale-provinciale qui nous a été envoyé au début de la semaine. Je dois dire que je suis très déçu par l’ordre du jour. J’y vois des éléments extrêmement négatifs. D’abord, il m’apparaît que le gouvernement fédéral souhaite réaliser des percées nouvelles dans le domaine des empiétements de nos compétences du Québec, en particulier. J’en vois pour preuve le désir de créer une commission canadienne des valeurs mobilières alors qu’il s’agit d’une juridiction exclusivement québécoise et que nous avons déjà notre propre commission. Le désir de créer une agence de perception des revenus alors que nous, au Québec, notre propre ministère du Revenu et que c’est une vieille victoire qui remonte à M. Duplessis et qu’on veut annuler. On veut créer une inspection des aliments dans les domaines qui nous sont propres et, en plus, on s’inspire d’un document qui a été préparé par les provinces, les autres provinces, les provinces anglophones du pays pour réaliser ce qu’on appelle l’union sociale, mot vertueux, pour transférer au gouvernement fédéral des responsabilités dans le domaine de l’aide sociale, dans le domaine des revenus pour les aînés et dans d’autres domaines qui sont de juridictions provinciale et québécoise. C’est un vieux combat que le fédéral a toujours tenté de gagner et qu’il a réussi partiellement à gagner et qu’il veut maintenant terminer.
Il y a aussi des opérations qui sont très cosmétiques, le transfert des mines, des forêts et ainsi de suite. Quand on regarde ce que c’est, en réalité, c’est un véritable délestage. On décentralise les factures, on garde le contrôle par la définition de normes dans les secteurs qui sont de juridiction exclusivement québécoise, puis on garde les impôts, on garde le contrôle sur les programmes, puis on laisse, en particulier, le Québec assumer le fardeau de tout cela. Alors, si c’est ce qu’on appelle le renouvellement de la fédération, on repassera.
Puis, on revient encore avec cette tentative perpétuelle du gouvernement fédéral de faire reconnaître le pouvoir de dépenser. On sait que le pouvoir de dépenser est une créature du gouvernement fédéral, que ce n’est pas dans la constitution, mais que le fédéral a toujours souhaité conserver ce pouvoir qui est une sorte de cheval de Troie par lequel il peut enfoncer les juridictions des provinces. C’est ce qu’il a réussi à faire jusqu’à maintenant. Nous ne l’avons jamais reconnu. Au contraire, tous les combats du Québec ont été de le supprimer et, maintenant, le fédéral revient à la surface avec ce projet de nous faire approuver à l’avance l’usage qu’il pourra faire du pouvoir de dépenser pour d’autres intrusions dans d’autres domaines qu’il juge probablement plus intéressants pour l’avenir et pour lui que des domaines qu’il déleste, comme le cas des forêts et des mines.
Au fond, ce que je conclus, moi — on verra si c’est le cas rendu là-bas, parce que j’irai, certainement — c’est qu’il y a là une tentative à peine voilée, d’un renouvellement «trudeauiste». C’est une poussée centralisatrice nouvelle, de la part du gouvernement fédéral, qui, dans certains cas, d’ailleurs, est particulièrement inquiétante puisqu’elle s’appuie sur un appui de la totalité des neuf provinces anglophones. Je pense au cas des programmes sociaux — il n’est peut-être jamais arrivé que le fédéral ait eu une pareille unanimité avec l’ensemble des provinces anglophones — c’est un peu… certains emploieront un mot gentil pour dire que c’est habile puisqu’il va prétendre que ce sont les provinces qui le lui demandent alors que, lui, qu’est-ce qu’il va faire pour résister à une demande des provinces. On sait bien qu’il rêve depuis longtemps d’entrer dans ces juridictions.
J’irai avec plus le sentiment de danger à rencontrer que d’espoir de changements véritables. Ce que je souhaitais, ce que je souhaite encore, c’est qu’il soit possible de faire des choses sérieuses au plan économique.
Je constate, en lisant l’ordre du jour, qu’on parlera d’économie au repas et qu’on nous permettra de parler d’économie en mangeant, entre poires et fromages, et, pour le reste, c’est un agenda fédéraliste centralisateur, dans la vieille tradition du gouvernement fédéral. C’est une conférence fédérale-provinciale qui me paraît s’inscrire dans la même lignée de celles auxquelles mes prédécesseurs ont dû assister.
J’irai avec la détermination de faire entendre avec force la voix du Québec, d’empêcher les nouvelles avancées fédéralistes, de défendre les impôts des Québécois.
J’irai, en particulier, pour voir où on est dans le dossier de la main-d’oeuvre. On a déposé un document qui, à première vue, s’inscrivait dans une perspective qui pourrait être positive, mais j’ai déjà fait savoir à M. Chrétien, et après même que ses hauts-fonctionnaires eussent reçu de nos hauts-fonctionnaires nos préoccupations sur des sujets très importants qui restent à régler dans le cas de la main-d’oeuvre, en particulier, le niveau des montants qu’on nous avait promis qu’on saurait de quel montant on parle. On n’a encore rien reçu quant aux enveloppes dont nous pourrions bénéficier avec les transferts. Les montants qui ont été véhiculés entre les branches sont insuffisants.
Deuxièmement, le mode de financement, pour le moment, est aléatoire, est assujetti à la discrétion du ministre des Finances à Ottawa.
Et, troisièmement, on parle d’une durée de trois ans pour une entente. Il est évident qu’il n’y a pas là les conditions pour réussir une entente qui soit satisfaisante, mais j’avais cru voir, on avait cru voir qu’il y avait des possibilités de bouger encore en négociation. Donc, je ne désespère pas, mais il est certain que nous allons nous montrer fermes quant au maintien des revendications historiques du Québec, dans le dossier de la main-d’oeuvre et puis, en plus, ça va se passer à huis clos. J’ai demandé à maintes reprises que ces discussions essentielles, importantes, se tiennent en public et j’ai constaté, en voyant l’ordre du jour, que j’avais vu, d’ailleurs — M. Chrétien m’en avait informé — que ça se passerait à huis clos. Il est certain qu’on peut compter sur nous pour que les choses qui sont dites là soient publiques, certainement, en tout cas, en ce qui concerne les positions du Québec, toutes les positions du Québec qui seront adoptées au cours de ces discussions à huis clos seront rendues publiques et j’aurai peut-être un peu de temps, parce que, si on discute de constitution, il semble qu’on veut en discuter, de formule d’amendement, je n’y serai pas, j’aurai des loisirs, à ce moment-là, pour vous rencontrer.
[ M. Houle (Robert): M. Bouchard, ce matin, M.
Chrétien, en conférence de presse, a dit qu’il aurait souhaité discuter plus en profondeur de constitution, du droit de veto, en particulier, qu’il voudrait accorder à différentes régions du Canada, et s’il ne le fait pas comme il voulait le faire, c’est surtout à cause de vous, parce que vous vous opposez à l’idée même d’un veto. Donc, il dit que s’il n’y a pas moyen de renouveler la constitution, c’est à cause de l’attitude du Québec.]
[ M. Bouchard:] Vous l’avez entendu, ici, à côté de moi, dire qu’il n’aimait pas parler de constitution, qu’il s’était fait élire sur un programme de ne pas en parler, il espérait ne pas en parler, alors vous comparerez ses déclarations, vous les comparerez.
[ M. Séguin (Rhéal): M. Bouchard, vous avez dit que si on parlait de renouvellement de la fédération, que vous, vous alliez parler de souveraineté, qu’est-ce que vous allez dire aux autres premiers ministres sur la question de la souveraineté?]
[ M. Bouchard:] On verra. Je pense que le programme souverainiste est bien connu. Pour toute la question constitutionnelle, il est évident — et je ne suis pas le seul à le penser, on sait que d’autres premiers ministres des provinces le pensent aussi, M. Chrétien lui-même a donné à entendre qu’il le pensait, également, lorsqu’il est venu ici vendredi dernier — c’est évident qu’il est absolument stérile, absolument sans aucune pertinence, que de tenter de faire quoi que ce soit au plan de renouvellement de la constitution canadienne, nous le savons tous, donc ne perdons pas de temps à cela.
La seule solution, moi, que je vois, puis c’est celle que nous proposons aux Québécois, c’est qu’il y ait un référendum, lorsque le temps sera venu, et que nous décidions, nous, de quelle façon nous allons nous comporter au projet souverainiste: Est-ce que nous allons voter pour? Est-ce que nous allons voter contre? Nous, nous croyons que c’est la seule solution, et elle ne peut être mise en oeuvre que par un référendum. Tout le reste, c’est du temps perdu. Alors, pour ne pas perdre notre temps, l’employer à bon escient, il faut consacrer le temps à un programme de gouvernement, un programme de création d’emplois, un programme d’assainissement des finances publiques, un programme de rationalisation et de maintien des programmes sociaux. Moi, c’est exactement là où j’en suis. Pour le reste, je souhaiterais qu’il soit possible, avec les différents paliers de gouvernement, en particulier avec celui auquel on envoie 30000000000 $ par année d’impôt, de faire des ententes, de conclure et de réaliser des projets économiques qui soient créateurs d’emplois. Le reste, c’est du temps perdu, le reste, c’est stérile, le reste, c’est néfaste pour la quiétude publique.
[ Le Modérateur: O.K., Michel David.
M. David (Michel): Oui, M. Bouchard. Vendredi dernier, quand vous avez annoncé que vous vous rendiez à la Conférence, vous n’aviez pas l’ordre du jour…]
[ M. Bouchard:] Non.
[ M. David (Michel): …à moins que vous me corrigiez. Donc, vous avez pris votre décision, j’imagine, sur la foi de ce que vous avait dit M. Chrétien. Est-ce que vous avez eu l’impression de vous faire avoir dans cette affairelà?]
[ M. Bouchard:] Non, parce que, de toute façon, je sais qu’il faut y aller. Je sais très bien, parce que j’ai bien analysé la question, qu’un premier ministre du Québec n’a pas le choix d’aller défendre les intérêts du Québec quand ils sont menacés ou alors quand on pourrait penser qu’on va les faire évoluer dans une conférence fédérale-provinciale. J’y serai. J’aurais souhaité y aller avec plus d’espoir, parce que je pensais, et je pense encore d’ailleurs, que beaucoup de premiers ministres voudront parler d’économie, voudront parler de projets porteurs, de création d’emplois. J’ai l’impression que je ne serai pas le seul à être mécontent de l’ordre du jour si j’ajoute foi à des reportages qui paraissent aujourd’hui dans les journaux.
Mais, de toute façon, j’irai. M. Chrétien m’avait donné l’impression — je ne dis pas qu’il m’a trompé, non, mais j’avais eu l’impression; peut-être l’avez-vous eue aussi — lors du point de presse que nous avons fait ensemble, que nous parlerions beaucoup plus d’économie, que nous parlerions de programmes économiques, des choses qui pourraient créer de l’emploi. Et, ce que je vois là, c’est la vieille rengaine fédéraliste de vouloir consolider des acquis qui ont été faits au détriment de nos compétences et d’opérer d’autres trouées puis, en plus, de les faire avaliser. Et, en ce qui concerne les sombres questions de formule d’amendement, de droit de veto et de ces histoires, je ne vais certainement pas cautionner, même de mon silence, la tenue de ces propos, c’est en mon absence que ça se fera.
[ Le Modérateur: O.K., M. Girard.
M. Venne (Michel): Si vous permettez…
M. Girard (Normand): Monsieur…
Le Modérateur: Un instant.
M. Venne (Michel): …juste une petite question, M. Bouchard. Est-ce que je dois comprendre de vos propos que l’ordre du jour n’est pas conforme à ce que M. Chrétien vous avait dit en privé?]
[ M. Bouchard:] Non, je ne dis pas cela. Je dis que l’ordre du jour n’est pas conforme à l’espérance que j’avais qu’on fasse plus de place à l’économie dans ces discussions.
[ Le Modérateur: Normand Girard.
M. Girard (Normand): M. le premier ministre, vous avez parlé d’empiétements nouveaux que le fédéral veut faire dans des champs de compétence provinciale, vous avez mentionné l’aide sociale. Comment peuvent-ils empiéter davantage dans l’aide sociale ou la sécurité sociale qu’ils ne le font à l’heure actuelle?]
[ M. Bouchard:] Ils peuvent le faire encore plus, apparemment.
[ M. Girard (Normand): Comment ça, comment peuvent-
ils faire ça?]
[ M. Bouchard:] Bien, c’est-à-dire que toute la question des aînés, il semble que… Moi, je n’étais pas présent à ces discussions des neuf provinces qui ont eu lieu. Les provinces ont préparé un document qui constate un consensus. Les provinces souhaitent que le fédéral prenne leur place dans le domaine de la sécurité du revenu des aînés et des politiques destinées aux enfants. Elles veulent agrandir encore dans l’aide sociale, dans la mesure où ce n’est pas encore possible. Et il est évident, là, que c’est très grave, tout ça, parce que ça veut dire que les autres provinces du Canada, ce n’est pas le fédéral, là; ce n’est pas forcément les mandarins d’Ottawa là… C’est que les autres provinces du Canada, l’idée du pays qu’elles ont en tête, c’est un pays où le fédéral est la mère poule puis assume des juridictions qui sont maintenant, d’après la Constitution, en leur possession puis dont elles ne veulent pas. Alors que, nous, on trouve qu’on n’en a pas assez, que le fédéral en prend déjà trop, eux, ils veulent que le fédéral en prenne plus. On voit très bien, là, qu’il y a deux notions de pays qui s’affrontent. On ne parle pas du même pays, hein.
[ M. Girard (Normand): D’accord, maintenant, M. le premier ministre, dans cette même veine là, si, par exemple, il y avait un consensus de l’ensemble des provinces et du fédéral pour en arriver à une forme de centralisation concernant toute cette question de sécurité du revenu pour les enfants, pour les aînés et le reste, comme vous venez de le dire, là, est-ce que la position du Québec traditionnelle va demeurer la même, c’est-à-dire, un retrait avec compensation financière sous forme de points d’impôt?]
[ M. Bouchard:] Les positions du Québec, en fait, c’est étonnant de voir à quel point, d’une conférence fédérale à l’autre, d’un régime, d’un parti à l’autre, ici, à Québec, au pouvoir, c’est toujours la même chose à Ottawa, puis le rôle des premiers ministres, tant qu’on n’aura pas pris la décision de souverainisme, ça va aller de s’esquinter pour empêcher que les affaires qui n’ont pas de bon sens, encore pire que la situation actuelle, puissent arriver.
[ Le modérateur: Paul Larocque.
M. Larocque (Paul): M. le premier ministre, juste revenir sur la question de Michel David. Je cherche à comprendre qu’est-ce qui s’est passé vendredi dernier et aujourd’hui. Il y a un changement de ton. Vendredi, on avait l’impression que vous et M. Chrétien étiez en train de négocier une sorte de co-existence pacifique ou, en tout cas, fonctionnelle. Par vos propos, on a l’impression que vous revenez à la ligne dure ou, en tout cas, appelons-la une sorte de guerre froide.]
[ M. Bouchard:] Non.
[ M. Larocque (Paul): Qu’est-ce qui s’est passé
entre…]
[ M. Bouchard:] J’ai l’ordre du jour, hein. Tout le monde peut le lire. Par exemple, quand on voit des échéances complètes qui sont coiffées du beau titre de «Renouvellement de la Fédération», je ne m’en vais pas là pour ça, moi. Tout le monde sait que je ne vais pas là pour ça. Tout le monde le sait, mais on l’écrit quand même à l’ordre du jour, «Renouvellement de la Fédération». Et puis, c’est plein de trucs cosmétiques. Puis, ce qui apparaît maintenant très clairement, c’est que le fédéral, il en veut encore plus, des responsabilités qui, maintenant, dépendent du Québec. Et puis il ne nous transfère pas l’argent qui va avec, puis il garde le contrôle sur les programmes qu’on devrait faire.
[ M. Larocque (Paul): Puis il impose des normes.]
[ M. Bouchard:] Puis il impose des normes. C’est évident, c’est tellement clair, c’est tellement évident, là. C’est tellement clair. Et, moi, ce que j’avais espéré — j’espère que c’est encore possible, parce que je vais en parler là-bas, c’est sûr que je vais en parler, mais ce ne sera pas limité par les coquilles qui viennent du fédéral, là — c’est qu’on parle d’économie puis qu’on parle de projets économiques qui vont créer de l’emploi, puis qu’on cesse de nous faire perdre notre temps avec des bévues constitutionnalistes. Et je pense que je ne serai pas le seul. J’ai l’espérance de ne pas être isolé à ce point de vue. D’après ce que je peux voir, là, il y a d’autres premiers ministres qui sont… et quand j’ai vu M. Chrétien, de toute façon, j’avais décidé d’y aller. Vous l’avez vu et je vous ai référé à ce qu’il a dit, M. Chrétien, devant vous. La Constitution, ça ne l’intéresse pas. C’est seulement que si certains le forcent à en parler qu’il va en parler un peu, pas longtemps, c’est ce qu’il a dit et que pour des raisons tout à fait différentes, bien sûr, il pense comme moi que c’est une perte de temps d’en parler. Il vous l’a dit en public, ici, à Québec, vendredi. Là, on a l’ordre du jour qui nous montre que ça semble vouloir être différent. En tout cas, je vais être extrêmement vigilant et extrêmement déterminé.
[ Des voix: Est-ce qu’on pourrait l’avoir l’ordre du
jour?]
[ M. Bouchard:] Il n’est pas rendu public, l’ordre du jour? Où il est, on va…
[ M. Larocque (Paul): Comptez-vous que M. Harris
pourrait vous défendre, enfin, il y a une sorte d’alliance avec M. Harris, là?]
[ M. Bouchard:] Je ne peux pas compter sur personne sauf sur le pronostic que je peux avoir que certains vont s’inscrire en faux contre certains aspects de l’ordre du jour. Pas un mot sur la TPS. Où est-ce que vous voyez la TPS là-dedans? On a 1900000000 $ de revendications, nous, fondées sur l’application d’un programme qu’on vient de donner aux Maritimes. Si on prend le programme, ce qu’on a proposé aux Maritimes et qu’on l’applique intégralement et de façon extrêmement rigoureuse à notre situation, le fédéral nous doit 1900000000 $ puis il n’en est pas question là-dedans. Il va en être question là-bas, je peux vous le garantir.
[ M. Lessard (Denis): M. le premier ministre, il
semble que vous voulez parler d’économie. Il semble que, vendredi, M. Chrétien évoquait avec vous la possibilité de créer une troisième délégation commerciale des premiers ministres, un Team Canada III, si on veut.]
[ M. Bouchard:] Oui, c’est vrai, mais il ne l’a pas dit en
public.
[ M. Lessard (Denis): Non, non mais est-ce que…]
[ M. Bouchard:] Il ne l’a pas dit non plus.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
M. Lessard (Denis): Mais, est-ce que vous seriez à appuyer…
Est-ce que c’est utile?]
[ M. Bouchard:] On verra tout ça, on verra tout ça.
[ M. Lessard (Denis): Mais il semble que vous n’ayez pas refusé sur…]
[ M. Bouchard:] Non, non, je n’ai pas refusé, mais on verra tout ça. On verra s’il y a de l’emploi à aller créer là puis si c’est bon pour le Québec. On verra.
[ M. Lessard (Denis): Il a été évoqué aussi un
renouvellement des programmes fédéraux-provinciaux sur les infrastructures.]
[ M. Bouchard:] Oui.
[ M. Lessard (Denis): Est-ce que Québec serait
d’accord avec ça, avec l’idée? ]
[ M. Bouchard:] Bien, il faudrait voir de quels programmes il s’agit. Peut-être qu’ils nous réservent de bonnes surprises à Ottawa, peut-être que c’est un programme payé à 100 % par le fédéral qu’ils veulent nous proposer, mais on verra, ce n’est pas à l’ordre du jour, ce n’est pas là. C’est pour ça, entre autres, qu’il faut y aller, pour aller voir, mais pas les yeux fermés, il faut aller voir les yeux ouverts.
[ M. Houle (Robert): Mais quand vous dites que vous avez l’espérance de ne pas être isolé, c’est donc que vous craignez d’être isolé. Quelles seraient les conséquences d’un isolement?]
[ M. Bouchard:] Bien, les conséquences d’un isolement, c’est que les choses se cristallisent, les choses se cristallisent.
[ M. Houle (Robert): Qu’est-ce que vous voulez dire?]
[ M. Bouchard:] Bien, les conflits se cristallisent, les conflits deviennent très évidents et je craindrais qu’un braquage constitutionnel puisse avoir des répercussions sur l’économie dans le sens qu’il soit moins possible d’avoir une coopération économique avec Ottawa. Je ne crains pas le braquage comme tel; je sais bien que la décision, c’est nous, au point de vue constitutionnel, c’est nous qui allons la prendre, mais seulement que si on devait, si M. Chrétien devait nous plonger dans un autre conflit constitutionnel, ça va être plus difficile de se consacrer exclusivement à la création d’emplois et au redressement des finances publiques.
[ M. Houle (Robert): Donc, vous craignez qu’à l’issue de cette conférence, le Canada se plonge à nouveau dans une crise constitutionnelle, mais on l’est toujours en crise constitutionnelle, M. Bouchard. ]
[ M. Bouchard:] Oui, larvée, larvée. Une crise larvée, parfois elle est plus visible, parfois elle plus intense, elle a des hauts et des bas et, personnellement, moi, je pense que la crise, là, dans la mesure où elle existe, comme vous dites, dans l’état actuel, va se résoudre par un référendum au Québec. Ce n’est que la seule façon de la résoudre. Toute autre tentative va être tout à fait contre-productive.
[ M. Houle (Robert): Et, dans ce contexte-là, vous
pouvez souhaiter qu’elle se prolonge, la crise constitutionnelle?]
[ M. Bouchard:] Non, moi je ne souhaite rien du côté d’Ottawa, je sais qu’il n’y a rien qui va venir de là. Je sais que l’agenda dépend de nous, au Québec, et que, pour le moment, l’agenda passe par ce qu’on fait présentement, un programme de création d’emplois dans la mesure du possible, assainissement des finances publiques, rigueur de gestion, prise en charge des responsabilités budgétaires et que, le moment venu, il faudra faire le référendum parce que je suis convaincu que c’est le seule solution, c’est la seule voie qui nous mène à la solution.
[ M. Bouchard:] L’ordre du jour, c’est que la veille, il y a un dîner à huis clos, entre les premiers ministres et là, on parle d’économie, vous avez vu? Donc, on en parlera au moins, mais en dînant. Ensuite, le lendemain, le séance de… Ah oui, c’est le matin que… on ne sait pas au juste. Vous savez, ces ordres du jour là, des fois, vous n’abordez la question prévue, et des fois on pense l’aborder avant le lunch, des fois, ça va après. Ce que je veux dire, là, c’est de façon très claire, c’est que, quand on parlera de l’article 49, moi, je ne serai pas là, à quelque moment que ce soit, bien sûr.
[ M. Morin (Gilles): M. Bouchard, la politique de la chaise vide, vous étiez contre ça parce que ce n’était pas dans les intérêts du Québec. ]
[ M. Bouchard:] Oui. C’est pour ça que je vais à Ottawa le vendredi.
[ M. Morin (Gilles): Oui, mais pour cette portion-là, ce sera la chaise vide. ]
[ M. Bouchard:] Oui, mais il faut l’unanimité pour discuter de ça, pas pour en discuter, mais pour conclure un accord sur l’amendement. D’abord que je ne suis pas là, ils sont paralysés. [ M. Morin (Gilles): Donc, c’est…]
[ M. Bouchard:] Puis, d’ailleurs, je ne suis pas le seul, hein, parce qu’il y en a d’autres qui ne veulent pas, aussi. On le sait en partant, là.
[ M. Houle (Robert): C’est ce que M. Chrétien disait ce matin.
C’est à cause de vous s’il n’y aura pas même moyen d’en discuter, dans le fond. C’est qu’en n’étant pas là, il n’y a pas moyen d’en discuter. ]
[ M. Bouchard:] Mais il y en a d’autres qui ont dit qu’ils ne voulaient pas en discuter, là. Il y en a quatre autres qui ne veulent pas en discuter.
[ M. Houle (Robert): Oui, mais ils vont être là, eux
autres. ]
[ M. Bouchard:] Bien, on ne le sait pas s’ils vont être là. Qu’ils y soient ou non, s’ils ne veulent pas conclure d’accord sur la formule d’amendement, c’est une perte de temps.
[ Une voix: Mais est-ce que vous pensez peut-être que ça a été fait par exprès pour… Est-ce que M. Chrétien peut déclencher des élections puisqu’il peut leur dire: Écoute, on a essayé d’avoir une discussion là-dessus. Tout semble (?) parler alors. Où on s’en va? ]
[ M. Bouchard:] Je ne le sais pas. Je n’ai pas de… Votre opinion vaut la mienne là-dessus. Je ne le sais pas. Je n’ai pas d’idée.
[ Des voix: Merci.
(Fin à 12 h 26) ]
[QBOUC19960619cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard et de M. Pierre Bélanger
Le mercredi 19 juin 1996(Quinze heures treize minutes)]
[ M. April (Pierre): …cellulaires fermés. Ensuite, il y aura des déclarations préliminaires de M. Bélanger et de M. Bouchard, et la conférence de presse devra se terminer à 15 h 30 au plus tard. Des voix: Hein! Eh! Oh!
M. Girard (Normand): Bien oui, c’est correct.]
[ M. Bouchard:[ Go, parce qu’on…
[ M. April (Pierre): C’est ce qu’on a dit.]
[ M. Bouchard:] Oui, mais je pense que… Je regarde l’heure, là.
[ Une voix: Alors, vous allez nous garder du temps
d’antenne pour l’anglais, s’il vous plaît?
M. Girard (Normand): Commençons par l’anglais.
Une voix: Pas avant 15 h 45.
M. Bélanger: Est-ce qu’on commence?]
[ M. Bouchard:] Oui, vas-y.
[ M. Bélanger: O.K.?]
[ M. Bouchard:] Oui.
[ M. Bélanger: Alors, Mmes et MM. les journalistes, il me fait extrêmement plaisir de vous rencontrer aujourd’hui pour vous livrer mon premier bilan de fin de session. Je le fais avec une certaine fierté puisque je pense, mais je vous laisse le soin d’en juger, que ce bilan est fort respectable. De façon générale, je vous indiquerais d’entrée de jeu que ce fut une session parlementaire bien remplie. Le gouvernement aura, depuis le 28 mars dernier, présenté 44 nouveaux projets de loi qui sont venus s’ajouter aux 13 projets de loi déposés sous l’empire de la Première session de la Trente-cinquième Législature. C’est donc dire que l’Assemblée nationale fut saisie de 57 projets de loi; de ce nombre, 34 ont été adoptés par les parlementaires. Cependant, compte tenu des travaux d’aujourd’hui, deux autres projets de loi pourraient s’ajouter, soit les projets de loi n 16 et n 23. Vous en trouverez la nomenclature en annexe et vous me permettrez d’insister sur les éléments les plus importants.
D’abord, avec l’adoption du projet de loi n 1, le gouvernement a procédé, comme il s’y était engagé, à la création du ministère de la Métropole. Ce ministère aura pour mission de susciter et de soutenir l’essor économique, culturel et social de la métropole. Il sera chargé d’élaborer et de proposer au gouvernement des orientations et des politiques favorables à l’épanouissement de la métropole. Ce projet de loi était fort attendu.
Le gouvernement aura procédé également à des réformes majeures dans plusieurs secteurs. Ainsi, dans le domaine de la justice, le projet de loi n 7, qui introduit des assouplissements considérables en matière de procédure civile, facilitera la vie des justiciables et réduira le coût pour ces derniers. En vertu du projet de loi n 20, nous réalisons la réforme tant attendue de l’aide juridique, qui permettra à des centaines de milliers de citoyens à faibles revenus d’avoir accès à la justice. Rappelons que les seuils d’admissibilité n’avaient pas été augmentés depuis des années. Quant au projet de loi n 25 sur l’obligation alimentaire, le ministre de la Justice aura réagi rapidement pour solutionner une situation pénible, et ce de façon définitive et à la satisfaction des aînés, qui, à la suite de jugements défavorables sur l’obligation de payer des aliments entre parents autres que du premier degré, éprouvaient une profonde insécurité. Finalement, le projet de loi n 133, par l’abrogation de l’article 137 de la Charte des droits et libertés de la personne, met fin aux distinctions fondées sur l’âge, le sexe, l’état civil ou l’orientation sexuelle en redonnant au principe du droit à l’égalité sa pleine valeur dans les contrats et régimes de rentes, de retraite, d’assurances ou autres avantages sociaux.
Évidemment, le secteur de la santé connaîtra une
avancée majeure avec l’instauration du régime d’assurance- médicaments. À l’instar de l’aide juridique, le souci du gouvernement aura été d’accroître la protection sociale compte tenu des ressources dont dispose l’État. Le projet de loi n 33 est une pièce législative maîtresse qui a pour but d’assurer à l’ensemble de la population un accès équitable et raisonnable aux médicaments prescrits. Par ailleurs, soulignons que le ministre de la Santé aura poursuivi son travail de réorganisation du réseau avec l’adoption du projet de loi n 116. Mentionnons le projet de loi n 11 qui vient mettre fin au moratoire qu’avait dû décréter le gouvernement compte tenu du développement anarchique dans le secteur des garderies. Avec ce projet de loi, non seulement le gouvernement at-il choisi de privilégier le développement de garderies à but non lucratif, mais il s’engage résolument dans le sens de sa promesse de créer près de 22000 places au cours des prochaines années.
Comme promis, six projets de loi qui revêtent une importance capitale ont été déposés et cheminent actuellement à l’Assemblée nationale ou en commission parlementaire. Bien entendu, il s’agit de la loi 35, Loi sur l’équité salariale, du projet de loi n 23, Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole et d’autres dispositions législatives afin de favoriser la protection des activités agricoles — c’est un des projets de loi que j’ai mentionné que c’est possible même qu’il soit adopté aujourd’hui — du projet de loi n 130, Loi sur la justice administrative, du projet de loi n 131, Loi modifiant la Loi sur le ministère du Conseil exécutif concernant l’éthique et la déontologie, des projets de loi nos 12 et 43, Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions législatives, Loi sur les véhicules hors route. On parle ici de réformes dont le gouvernement n’est pas peu fier, compte tenu que plusieurs de ces pièces législatives sont attendues depuis des années au Québec. C’est un gouvernement du Parti québécois qui les mènera à terme.
De même, le gouvernement aura déposé le projet de loi antidéficit. Comme annoncé, ce dernier sera soumis pour débat après le sommet économique de l’automne prochain. Au chapitre des lois à incidence financière qui s’inscrivent dans l’engagement du gouvernement et du consensus du sommet du printemps de réduire le déficit d’ici trois ans, soulignons le projet de loi n 9, Loi abrogeant la Loi sur le Conseil de la conservation et de l’environnement et modifiant la Loi sur les réserves écologiques, le projet de loi n 29, Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives, le projet de loi 32, Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu, le projet de loi n 34, Loi sur le transfert des attributions de l’Office des ressources humaines, le projet de loi n 36, Loi modifiant la Loi sur l’administration financière et d’autres dispositions législatives, le projet de loi n 37, Loi favorisant la conclusion d’ententes dans le secteur de l’éducation, le projet de loi n 118, Loi modifiant la Loi sur les services gouvernementaux aux ministères et organismes publics et le projet de loi n 135, Loi modifiant de nouveau la Loi sur la fiscalité municipale.
Dans le cas des projets de loi 32 et 36 qui furent plus contestés, on s’en souvient, soulignons que les ministres respectifs ont accepté d’apporter des amendements afin de satisfaire aux exigences du Protecteur du citoyen et de la Commission d’accès à l’information. C’est là, je pense, un accomplissement digne de mention.
Dans l’ensemble, ces projets de loi procureront des économies ou des revenus additionnels de quelques centaines de millions de dollars au Trésor public. Évidemment, ce tour d’horizon est loin d’être exhaustif et je vous invite à bien prendre connaissance de l’annexe pour constater la richesse du menu législatif gouvernemental. J’ajouterais que le gouvernement, dans le cadre de son action législative, s’est fait un devoir d’être à l’écoute des citoyennes et des citoyens. Ainsi, depuis le 1er janvier, et je pense que c’est important de retenir cette statistique, c’est plus de 350 groupes ou individus qui ont été invités en commission parlementaire pour faire connaître leur point de vue sur les divers projets de loi à l’étude à l’Assemblée nationale. Et je peux vous dire que ces consultations ont trouvé écho dans plusieurs projets de loi. Je pense, en particulier, à la Loi sur l’assurancemédicaments où, suite aux consultations publiques, on a assisté à des modifications assez importantes du projet de loi qui répondaient à des préoccupations de plusieurs groupes et de plusieurs intervenants.
En conclusion, il m’apparaît fort à propos de rappeler que ce bilan législatif s’est réalisé dans le cadre d’une session où les parlementaires ont dû débattre du discours inaugural, 25 heures; du discours sur le budget, 25 heures, en plus de procéder à l’étude des crédits en commission parlementaire, 200 heures, débats qui ont monopolisé beaucoup de temps et d’énergie. Je vous remercie.]
[ M. Bouchard:] Merci. Le gouvernement s’est défini un mandat à la conférence socioéconomique de Québec. Ce mandat repose sur un consensus par rapport aux objectifs qu’il poursuit; il comporte deux volets, le volet des finances publiques et de l’emploi et le volet économique, en général, et un autre volet qui doit prendre la forme de réformes qui seront discutées et mises en oeuvre, à compter du sommet de l’automne et qui portent sur l’éducation, la fiscalité, l’aide sociale, et ainsi de suite.
Par rapport à ces deux volets, qu’est-ce que nous avons fait? Pour ce qui est des engagements budgétaires, nous les avons tous respectés. Nous sommes entrés exactement dans le cadre des prévisions qui avaient été faites dans le budget de l’an dernier. Nous avons présenté des crédits et un budget qui sont tout à fait conformes aux engagements qui ont été pris à la conférence de Québec, lesquels reflètent les engagements budgétaires de l’an dernier.
Nous avons déposé une loi anti-déficit et par rapport à la gestion des finances publiques, nous nous somme montrés, je crois, d’une très grande rigueur. Nous avons dû prendre des décisions difficiles; nous savons qu’il y en aura d’autres à prendre, mais nous pensons être dans la ligne des objectifs qui ont été fixés. Nous sommes certains d’être dans la ligne des objectifs qui ont été fixés par consensus à la conférence socioéconomique de Québec par rapport à nos engagements des finances publiques au point de vue économique sur le front de l’emploi. Bien sûr, il y a les chantiers formés à la conférence qui y travaillent et qui nous arriveront. Nous faisons un suivi de ce travaux-là. Nous savons que ces chantiers nous arriveront avec des idées, des propositions et qui devront être concrètes de façon à pouvoir être appliquées immédiatement. L’évolution économique, sans être miraculeuse, comporte cependant les signes d’espoir par rapport à l’emploi. On sait que, présentement, pour la première fois depuis 1990, nous sommes en bas de la barre des 11 % de chômage. Si on compare 1995-1996, la moyenne des deux années, nous sommes à 48000 emplois de plus cette année que l’an passé, des investissements ont commencé à être annoncés. Au cours des quelques récentes semaines, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, lors de la conférence de presse par rapport à l’investissement Degussa, il y a plus de 400000000 $ d’investissements au Québec qui ont été annoncés en quelques semaines, plus de 1 800 emplois créés et maintenus à cause de cela, et nous travaillons sur plusieurs projets présentement pour accroître le rythme des investissements et de la création d’emplois. En même temps, nous avons travaillé du côté de l’équité sociale. C’est un sujet qui n’est pas facile. Nous vivons en période de restrictions budgétaires extrêmement dures. Quand on sait que, pour la première fois depuis 25 ans, nous avons présenté des crédits qui montraient une diminution des dépenses de l’État, ça se dit vite, mais c’est très difficile à faire. Nous l’avons fait. Nous avons à respecter les engagements durant l’année qui vient et les faire suivre d’un budget qui sera également dur l’année prochaine.
Malgré tout cela, nous travaillons également du côté de l’équité sociale, puisque, par exemple, nous avons cette Loi sur l’aide juridique, qui va ouvrir l’accès aux services d’aide juridique à 650000 personnes de plus au Québec.
Est-ce qu’il est passé, maintenant, l’assurance-médicaments?
[ M. Bélanger: Oui.]
[ M. Bouchard:] Bon, alors, nous avons maintenant un régime d’assurance-médicaments qui va permettre à près de 1200000 personnes, qui n’avaient aucune couverture, de bénéficier d’une couverture de médicaments, et ça se fait dans le cadre d’une équité salariale. Ça se fait également dans le souci de mettre en oeuvre un contrôle de l’usage des médicaments.
Nous avons présenté et adopté, en première lecture, le principe d’une loi d’équité salariale. Cette loi sera poursuivie par un examen attentif de la consultation du mois d’août et du mois de septembre. Elle sera adoptée à l’automne, la Loi sur l’équité salariale, dans sa forme actuelle, avec des amendements qui devront l’améliorer, mais la structure et la substance de la loi devront s’aligner sur le projet de loi qui est déjà déposé et adopté en principe.
Nous avons annoncé la réforme des services de garde qui va créer, d’ici quatre ans, 21 700 places de plus en garderie avec l’accent mis sur les garderies sans but lucratif.
Au plan social et plus large, notamment au plan linguistique, nous avons abordé le dossier linguistique. Ça ne se fait pas sans difficulté. C’est toujours délicat pour un gouvernement de traiter de la question linguistique. Nous avons reçu un bilan de la situation du français. Nous avons réagi par la mise en oeuvre d’annonces et la mise en oeuvre graduelle d’une quarantaine de mesures qui vont promouvoir le français, assurer une plus grande vigilance et une action plus efficace de l’État par rapport à la défense du français. Il y a un projet de loi qui a été déposé pour rétablir la Commission de la protection de la langue. Il y aura engagement très ferme du gouvernement d’appliquer la loi 101 dans ses modifications apportées par le régime libéral que nous n’avons pas changé sauf pour le rétablissement de la Commission de la protection de la langue. Nous avons prévu l’addition de ressources de 5000000 $ pour permettre la mise en oeuvre de toutes ces mesures.
Nous avons en même temps, au lendemain d’un référendum qui avait laissé quelques brisures, amorcé une politique d’ouverture, de réconciliation avec toutes les composantes de notre société. Ça non plus, ce n’est pas facile, mais c’est une chose à laquelle il faut se livrer constamment. En ce qui concerne les rapports avec le gouvernement fédéral et l’engagement fondamental du Parti québécois, je dirais que notre politique se définit de trois façons.
D’abord, l’engagement ferme et réitéré de tenir un référendum sur la souveraineté durant le prochain mandat, sachant qu’on ne peut pas tenir de référendum dans ce mandat-ci par la loi. Donc, que l’engagement est ferme et réitéré; on l’a expliqué à tout le monde qu’on a rencontré.
Deuxièmement, une politique jusque là. Tant qu’on paiera à la hauteur de 30000000000 $ par année des impôts à Ottawa, nécessité d’une politique de coopération économique avec Ottawa. Je n’hésiterai jamais à passer tout le temps qu’il faudra avec un ministre, un premier ministre, tout le cabinet fédéral s’il le faut, pour créer des emplois au Québec. Ça me paraît un impératif fondamental.
Et, troisièmement, une politique de fermeté et de vigilance par rapport à la question nationale. Ce qui se traduit par le refus de toute tentative de se livrer à de supposés, pseudo-renouvellements de la fédération. On verra ce genre d’exercice bientôt à Ottawa. Une très grande vigilance, une détermination pour empêcher toute nouvelle trouée dans les champs d’action qui sont dévolus au Québec par la constitution. Et, bien sûr, un combat incessant de ces empiétements qui ont déjà eu lieu.
Alors, c’est une session qui se termine. C’est pour moi presque un premier six mois de vie politique, dans les fonctions qui sont les miennes, c’est une page qui se tourne avec un chapitre qui va s’ouvrir aussitôt après sur une année prochaine qui sera certainement difficile, je la perçois comme une année difficile, compte tenu que s’inscrira un deuxième budget difficile, à la suite du premier, une période dure, donc, pour toute la population. Je ne dirai pas que ma fonction est dure, je dirai que la vie n’est pas facile pour les Québécoises et les Québécois présentement, mais qu’elle serait encore moins facile si on n’acceptait pas d’assumer nos responsabilités collectives et de reprendre le contrôle de la gestion publique et de se donner des programmes d’action, des réformes, et d’envisager l’avenir debout, de façon responsable. Pour ça, il faut traverser cette période qui est difficile. Moi, je ne l’ai pas choisie, cette période. Si on pouvait choisir en politique le genre de période où on se trouve à la tête d’un gouvernement, j’aurais peut-être choisi des périodes où on créerait des programmes à la pochetée, mais ce n’est pas le cas. C’est que la responsabilité qui est nôtre maintenant en est une de rigueur, je dirais aussi, de courage politique et, surtout, d’explication, la plus transparente possible — ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile en politique — une communication constante avec la population pour expliquer pourquoi on fait les choses qui sont là, pourquoi on a besoin de l’appui de la population pour que, dans son intérêt, nous puissions franchir ce passage difficile.
[ Le Modérateur: Merci. Votre première question, en français, Robert Houle.
M. Houle (Robert): M. Bouchard, au cours de cette session, il y a eu certains virements de cap, des fois, des décisions que vous avez prises pour réorienter un peu certaines décisions que vous aviez prises. Il y a un dossier actuellement où le gouvernement semble isolé complètement, c’est le dossier des commissions scolaires linguistiques. Vos principaux alliés, ce matin, les centrales syndicales, le Mouvement laïque vous ont complètement lâché et vous demandent carrément de prendre la voie d’un changement constitutionnel. Pourquoi est-ce que le gouvernement s’entête encore à maintenir un cap que personne ne supporte, finalement?]
[ M. Bouchard:] Le gouvernement n’a pas d’idéologie là-dedans.
Nous avions le choix entre deux voies qui conduisaient ou qui doivent conduire toutes deux à l’objectif qui est de mettre en place des commissions scolaires linguistiques. Je pense qu’on partage tous les mêmes raisons pour constituer ces commissions scolaires linguistiques et nous sommes maintenant dans l’ordre des moyens. Alors, nous avons analysé attentivement les deux voies. Et, moi, je n’aurais eu et je n’aurai, le cas échéant, aucune hésitation à choisir la voie constitutionnelle pour arriver à la solution si je pensais que c’est la meilleure voie. Donc, il n’y a pas d’idéologie souverainiste dans cela. Je l’ai d’ailleurs dit en public, dès le début, que je n’hésiterais pas à recourir à cette voie s’il le fallait…
Il est apparu, à la lumière des études que nous avons faites, plusieurs facteurs. Premièrement, les consultations que nous avons tenues ont montré qu’une très grande majorité de gens ne souhaitaient pas l’amendement constitutionnel comme solution, qu’il y a encore des gens qui préfèrent que les engagements constitutionnels en matière de religion, au bénéfice des religions catholique et protestante, soient, ne serait-ce que pour partie, encore maintenus à l’intérieur des commissions scolaires. Et les sondages récents ont montré qu’une grande, une majorité énorme de la population souhaite qu’il y ait encore un contenu quelque part confessionnel dans les commissions scolaires.
Deuxièmement, il est apparu, je dirais surtout même, il est apparu deuxièmement que la voie constitutionnelle n’est pas le miracle. Aujourd’hui, on voit beaucoup de gens qui examinent la voie que nous avons proposée jusqu’à maintenant qui, en effet, soulève des difficultés, qui n’est pas la perfection, et qui croient que, si on n’était pas dans cette voie-là, si on prenait l’autre, ça serait plus facile. Mais, nous, nous nous sommes fait dire par des autorités légales que la voie constitutionnelle pourrait, entre autres, entraîner la mise en place d’une négociation multilatérale, où il n’y aurait pas seulement que le gouvernement fédéral, parce que les indications que j’ai eues, c’est que le gouvernement fédéral pourrait examiner ça favorablement si on le demandait, mais qu’il n’y a pas seulement lui en cause, il y a d’autres provinces qui vont être en cause, deux, trois, quatre, cinq, j’ai entendu même le chiffre de six provinces de mentionné. Et, là, vous savez, ça, c’est le cauchemar d’une négociation constitutionnelle, à cinq ou six, avec tous les marchandages, avec toute la boîte de Pandore que vous ouvrez, avec, possiblement, des mesures dilatoires qui compromettraient gravement le projet.
Alors, devant ce côté du bilan, on a considéré d’autres voies. L’autre voie, c’est une solution améliorée de ce qu’on appelle la solution Kenniff qui, elle-même, est une bonification, si je peux dire, de la loi 107 qui avait été adoptée par le gouvernement libéral. De ce côté, il y a l’avantage d’une certaine sécurité juridique puisque cette voie a fait l’objet d’un renvoi à la Cour suprême et qui a défini les paramètres d’une solution acceptable pour les tribunaux, ce qui veut dire que cette voie, si on l’emprunte, pourrait — j’espère en tout cas que ce serait le cas — nous permettre d’être à l’abri des attaques judiciaires. Les attaques judiciaires dans ce dossier-là, vous savez, c’est la catastrophe, parce que vous vous retrouvez décalés jusqu’à la fin des temps.
Et, fort de ce renvoi qui détermine les balises qu’il faut respecter pour arriver à la formation des commissions scolaires linguistiques, le gouvernement, pour le moment, envisage cette voie, consulte, étudie, et je peux vous dire que nous ne sommes pas intransigeants par rapport aux moyens à prendre. Dès lors que nous aurons la certitude qu’un moyen est meilleur que l’autre, on prendra l’autre. Pour le moment il n’y a personne qui nous a convaincus encore que la voie de la solution Kenniff améliorée, resserrée, et sur laquelle nous travaillons constamment n’est pas la meilleure, et, on a encore rien vu là, si on prend l’autre voie vous allez voir le danger de la montée de très forts lobby religieux, là pour le moment qui sont très silencieux parce que nous sommes dans la voie que vous connaissez, mais j’ai vu 80 % de personnes, dans le sondage, qui souhaitaient un contenu confessionnel dans les écoles, il y a du monde au Québec, il y a une vaste culture, de profondes racines, et puis, il y a un clivage très net avec des gens qui souhaiteraient l’école laïque. Et, on peut avoir une opinion, d’un côté ou de l’autre, mais il reste que nous sommes en politique et que nous devons faire les choses harmonieusement, nous devons les faire avec l’appui de la population et surtout les faire de façon efficace et rapide. Pour le moment, nous pensons que la voie que nous proposons est la plus rapide et la plus efficace. Ceci étant dit, nous allons continuer de travailler durant l’été, nous allons continuer de consulter, et Mme Marois et le gouvernement sont bien conscients que, si on peut améliorer cette solution-là, ou s’il s’avérait qu’elle aboutisse à un cul-de-sac, que toute autre solution, y compris l’amendement constitutionnel, si on peut mitiger les difficultés, pourra être utilisé. Donc ce n’est pas un combat de principes, c’est un combat dans l’ordre des moyens, c’est un combat pratique, le choix de la meilleure solution.
[ Le Modérateur: M. Brunet.
M. Brunet (Claude): M. Bouchard, si vous me permettez, sur la Conférence des premiers ministres, au sujet du volet constitutionnel, M. Johnson disait un peu plus tôt ce matin que, pour lui, c’est le début d’un processus qui pourrait mener à l’inclusion du veto et de la société distincte dans la Constitution. Est-ce que vous y voyez ça vous, le début d’un nouveau processus?]
[ M. Bouchard:] Bien ça a été le rêve de tous les fédéralistes québécois depuis plus d’une génération. Mais, maintenant, c’est devenu un rêve chimérique, enfin, je ne pense pas que M. Johnson puisse tenir… il peut bien le souhaiter lui-même, mais il ne peut pas tenir ces propos-là de façon plausible, surtout quand on regarde ce qui s’est passé récemment, quand on regarde l’état de l’opinion au Canada anglais et quand on prend connaissance du programme de la Conférence fédérale-provinciale, à laquelle j’assisterai à compter de demain, parce qu’on ne voit pas là la possibilité d’un renouvellement, il n’y a personne qui peut prétendre quoi que ce soit en termes positif par rapport à un changement constitutionnel, un renouvellement des rapports entre Ottawa et Québec. Au contraire, c’est peut-être vu comme un renouvellement par les fédéralistes du reste du Canada et même M. Johnson ne sera pas capable de dire oui à ce qui est sur la table. J’ai des citations de lui par rapport à presque tout ce que… beaucoup des aspects qui seront soulevés par le gouvernement fédéral et les provinces demain et après demain, où on se trouve tous en accord. Et je crois que ma présence demain et les positions que je prendrai, par le fait même qu’on se trouvera en face d’attaques très traditionnelles d’Ottawa, vont prendre la forme d’une continuité d’action et de positionnement des premiers ministres du Québec.
Il n’y a même pas un premier ministre fédéraliste du Québec qui pourrait accepter ça, là. Quand on voit, par exemple, que les neuf provinces, par le rapport qu’elles ont fait sur les programmes sociaux, ne se donnent plus comme critères les règles de l’évolution de la Constitution, mais des règles d’efficacité, des règles pratiques pour définir le rôle éventuel du gouvernement fédéral, on voit qu’on fait face à deux visions de pays différentes et qu’on refuse même toute notion d’une collectivité spécifique qui soit ce que nous, les souverainistes, on appelle un peuple, et ce qui est un peuple également pour beaucoup de fédéralistes.
Il y a quelque part, dans tout cela, un affrontement transcendantal, en tout cas, un affrontement de nature qui fait qu’il n’y a aucune possibilité d’espérer quoi que ce soit de positif du côté de la reconnaissance du rôle spécifique du Québec. Moi, je suis très inquiet de voir ce qui se passe du côté des programmes sociaux parce que, finalement, Ottawa va recevoir un rapport de neuf provinces anglophones — le Québec n’en est pas — et qui, si le Québec disait oui, permettrait au fédéral de faire plus que ce que M. Bourassa a refusé à Victoria en 1970.
C’est un retour en arrière extraordinaire: on voudrait supprimer le ministère du Revenu du Québec; on voudrait supprimer la Commission des valeurs mobilières du Québec; on voudrait supprimer le rôle d’inspection des aliments du Québec. Et puis là où on prétend faire des retraits: les mines, les forêts, les loisirs, le logement et autres, bien, Ottawa ne se retire que du financement: il laisse les responsabilités au Québec en gardant les impôts du Québec sans contribuer à la poursuite de ces programmes et va prétendre, j’en suis convaincu, instaurer des contrôles ensuite sur la façon dont nous devrons concevoir les programmes. Quelqu’un qui voit de l’espoir là-dedans, il a une vision meilleure que la mienne.
[ M. April (Pierre): Normand Girard.
M. Girard (Normand): M. le premier ministre, j’ai lu ce matin que le premier ministre Jean Chrétien avait déclaré, en vous pointant quasiment du doigt, hier, qu’il ne voulait pas de sparages ni de menaces ni de chantage, et pas de «show» pour la galerie à la conférence qui va commencer demain. Est-ce que vous vous êtes senti visé quand vous avez vu ça?]
[ M. Bouchard:] Non. Peut-être qu’il se visait lui-même.
[ Une voix: Ha, ha, ha!
M. Girard (Normand): Est-ce que vous avez…]
[ M. Bouchard:] D’abord, écoutez, c’est à huis clos. Il a tout fait ça à huis clos. C’est tout à huis clos.
[ M. Girard (Normand): Alors, il ne peut pas y avoir de sparages publics.]
[ M. Bouchard:] Bien oui! Mais ce n’est pas une scène de spectacle, là, comme conférence fédérale-provinciale, c’est un endroit où des intérêts fondamentaux sont abordés et, dans le cas actuel, moi, je vois qu’il y a des intérêts fondamentaux du Québec qui sont menacés et je considère que mon rôle, c’est de les défendre. Je n’ai pas besoin de gesticuler pour dire ce que je pense; je n’ai pas besoin de gesticuler pour dire ce que je pense, pas besoin de crier non plus, je suis capable de dire les choses, clairement et fermement, avec clarté, en utilisant un ton courtois, ce que j’ai l’intention de faire, bien sûr.
[ M. Girard (Normand): M. le premier ministre, j’ai une autre question. Votre loi anti-déficit que vous avez déposée, pourquoi ne l’avez-vous pas fait adopter avant la fin de la présente session? L’opposition était disposée à donner son accord pour l’adopter rapidement puis tout ça, puis elle n’a même pas été appelée. Pour quelle raison?]
[ M. Bouchard:] C’est parce qu’on avait prévu, à la conférence socio-économique de Québec que l’analyse des mécanismes de cette loi serait soumise également au mandat de la commission de révision sur la fiscalité. Alors, dans le mandat de cette commission-là, il y a l’analyse du projet de loi et des recommandations, qui vont venir au sommet, pour que, à la lumière de tout cela, on puisse ensuite faire les travaux parlementaires, les commissions parlementaires, s’il en faut et ainsi de suite.
[ M. Girard (Normand): Vous allez y apporter des amendements sérieux.]
[ M. Bouchard:] Bien, on verra, oui, on verra, on verra si on peut l’améliorer, oui, certainement.
[Le Modérateur: M. Paul Larocque.
M. Larocque (Paul): M. le premier ministre, vous avez dit, tout à l’heure, vous l’avez dit, aussi, à Jean-Luc Mongrain, lundi, que les Québécois devaient s’attendre à une autre année difficile, généralement, à un autre budget dur, qu’est-ce que ça veut dire, précisément, pour les citoyens, ça?]
[ M. Bouchard:] Bien, on verra pour les citoyens, mais il va falloir qu’il y ait une autre démarche budgétaire rigoureuse, l’an prochain. Vous savez, les mesures qu’on prend sont, la plupart du temps, récurrentes, c’est-à-dire que ça a un effet dans l’année où on les prend, puis ça en a ensuite tout le temps, d’année en année, de sorte que, en adoptant des mesures récurrentes à deux années de suite, bien par l’accumulation des récurrences, l’atteinte à près du déficit zéro, dans les années qui vont suivre, devrait se faire sans trop de douleur, sans trop de douleur. Mais, deux années difficiles, celle-ci et celle qui vient, ça veut dire que les citoyens doivent se préparer à avoir un gouvernement qui va faire un autre budget très responsable, mais qui va devoir, également, faire preuve d’imagination pour faire en sorte que ça ne soit pas toujours les mêmes qui paient. Il va falloir qu’il y ait de l’équité dans tout cela. On va regarder, à nouveau, nos dépenses de gouvernement, très sérieusement, on pense que le gouvernement a encore du chemin à faire, pas tellement, mais il y en a encore, et on va examiner toutes les hypothèses et tous les aspects, puis on va faire tout ce qu’on peut pour que ça se fasse dans la plus grande transparence, mais surtout, à partir d’un principe d’équité.
Les citoyens ont déjà été extrêmement pénalisés, quand on pense au fardeau fiscal, il est difficile de concevoir des alourdissements et on pense que c’est surtout du côté des dépenses qu’il faut examiner l’effort de redressement qui convient. Si on regarde les grands secteurs de dépenses que nous avons, puis qu’on les compare avec les niveaux de dépenses, dans les mêmes secteurs, dans les pays comparables, notamment dans les pays de l’OCDE, on voit qu’on est encore au-dessus des pays de l’OCDE, de la moyenne des pays de l’OCDE. Donc, sans se mettre au ban des nations, sans devenir des marginaux, il y a encore des efforts à faire pour rejoindre un profil de dépenses qui se compare à d’autres pays comme le nôtre.
[ M. Girard (Normand): À l’époque où vous étiez négociateur pour le gouvernement, j’entendais déjà parler de la disparition éventuelle de pans de murs complets dans l’administration. Bien ça, ça fait déjà plus de 15 ans, puis il n’y en a pas un de tombé. Estce que c’est ça qui attend les citoyens? ]
[ M. Bouchard:] En tout cas, on est rendus à des solutions comme celles-là. Peut-être pas uniquement des solutions comme celles-là mais il faut examiner, là, il faut jeter un coup d’oeil critique sur des secteurs où le gouvernement est engagé, sur des programmes qu’il a constitués, des choses qu’il fait, des structures en place, pour apporter ce que j’appelle, moi, des solutions originales. Quand on fait ce qu’on fait, là, ça ne peut pas toujours se faire par des chemins conventionnels.
[ Le Modérateur: O.K. On doit passer Michel David très rapidement parce que le temps file et il faut laisser le temps aux…
M. David (Michel): Oui. M. Bouchard, de ce que vous dites actuellement sur les dépenses, est-ce qu’il faut comprendre qu’il est possible que vous décidiez de rouvrir les conventions collectives dans le secteur public? ]
[ M. Bouchard:] Bien sûr, tout le monde, les gens connaissent bien les situations budgétaires. Ils voient très bien que l’un des secteurs où l’État est fortement engagé dans des dépenses, c’est, bien sûr, du côté des coûts de main-d’oeuvre et nous pensons que c’est un secteur où il faut regarder. Moi, je suis convaincu qu’on peut faire des choses de ce côté-là de façon consensuelle, pas forcément sur les niveaux de rémunération mais sur la réorganisation et le partage du travail. Il faudra faire ça avec nos partenaires. C’est une des choses qu’il faut regarder. Je ne dis pas qu’il faut regarder rien que ça, là. Il n’y a pas de panacée du côté de solutions brutales mais, cependant, il faut continuer dans la veine que nous avons déjà empruntée, la veine des discussions.
Par exemple, on a commencé à négocier des programmes de mise à la retraite assistée, des départs prématurés assistés, c’est-à-dire une bonification des régimes de retraite pour que les gens puissent volontairement décider de partir avec des bénéfices suffisants pour la retraite et, ça, les premiers examens nous montrent qu’il y a des résultats intéressants enregistrés du côté budgétaire. C’est ce genre de choses là qu’il faut négocier avec nos partenaires.
[ M. David (Michel): Mais dans le cadre des conventions actuelles ou si ça suppose une réouverture? ]
[ M. Bouchard:] Bien, ça suppose des réaménagements des conventions existantes et je suis convaincu qu’on peut le faire de façon consensuelle. On l’a déjà fait. Regardez ce que Mme Marois a réussi à faire avec la CEQ, par exemple, là. Le 100000000 $ que la CEQ a consenti, là, ce n’est pas rien, là. Ça s’est fait par des réaménagements consensuels. Je comprends qu’il a fallu une loi pour le mettre en vigueur mais dans un contexte qui n’est pas celui où la CEQ ne voulait pas, là. C’était le choix des réaménagements qui faisait le problème. Mais, je pense, du côté des relèves assistées, par exemple, là, il y a des choses intéressantes qui peuvent se faire. Moi, ce qui me préoccupe surtout de ce côté-là, c’est la présence des jeunes dans la fonction publique. Parce que, par attrition, par départ assisté, on peut faire des choses assez remarquables du côté des effectifs, mais ça veut dire à ce moment-là qu’il pourrait arriver un jour où il y aura une sclérose du personnel affecté aux services publics, si les jeunes n’y entrent plus. Donc, il va falloir concevoir des programmes pour les jeunes aussi. C’est tout ça qui est sur la table présentement, puis je vous assure qu’il y a du travail pour plusieurs.
[ M. Girard (Maurice): Ils ont tous quitté, les jeunes, c’étaient les occasionnels. Ils ont été tous été mis dehors les premiers. Comment allez-vous les récupérer, M. le premier ministre?]
[ M. Bouchard:] Je pense que… un chiffre que j’ai vu l’autre jour, il n’y a guère plus de 3 % des fonctionnaires permanents qui sont des jeunes de moins de 30 ans, c’est assez grave, ça, hein. Ça veut dire qu’il y a une brisure, là, une coupure, puis il y a le danger que notre fonction publique ne soit plus au diapason des techniques modernes, des valeurs modernes de gestion. Ça ne veut pas dire que les gens des générations antérieures n’ont pas le sens des valeurs, mais il y a un enrichissement puis un renouvellement qui doit se faire et ça, c’est une préoccupation que nous avons aussi.
[ Une voix: Merci, M. le premier ministre.
(Fin à 15 h 54) ]
[QBOUC19961119cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard Le mardi 19 novembre 1996 (Treize heures quarante-cinq minutes)]
[ Le Modérateur: M. Bouchard fera une présentation d’environ 5 minutes, après ça, nous allons accepter les questions en français et en anglais. M. le premier ministre.]
[ M. Bouchard:] Mesdames, messieurs, bonjour. Depuis son élection, le gouvernement a entrepris la difficile tâche d’éliminer l’irresponsable déficit de près de 6000000000 $ hérité du gouvernement précédent. Nous examinons chaque enveloppe, chaque programme, chaque dépense fiscale, mais il y a des moments où la rigueur et l’effort sont récompensés de façon un peu inattendue. C’est le cas aujourd’hui avec la proposition que le gouvernement est en mesure de faire à ses employés et que nous voulons négocier avec leurs représentants.
Il se trouve que le niveau de financement requis pour les caisses de retraite pour les deux prochaines années est nettement moins exigeant que prévu. Il y a là une importante marge de manoeuvre qui peut aider toute la société québécoise à éliminer, avec plus de facilité que prévu d’ici la fin de la décennie, le déficit du Québec. Cela représente environ 1000000000 $ par an pendant la durée des conventions collectives qui se termineront en juin 1998. Notre tâche d’éliminer le déficit sera toujours ardue, bien sûr, mais grâce à cette proposition que nous pouvons faire aujourd’hui aux Québécois et à nos employés, nous sommes en mesure de prendre espoir à l’atteinte d’une solution négociée. Cette offre est la suivante: Premièrement, la préservation de l’emploi, comme nous nous y sommes engagés au Sommet sur l’économie et l’emploi, en évitant le licenciement de quelque 25000 personnes, la sauvegarde de la qualité des services publics et l’élimination du déficit en 1999-2000 comme le veulent le très large consensus québécois et la ferme détermination du gouvernement; le versement, comme prévu, des augmentations salariales de 1 % convenues pour le premier janvier prochain et de 1 % prévues pour le 1er janvier 1998 tout en retirant également, comme promis, la loi 102; la garantie d’un congé de cotisations au régime de retraite en en maintenant les avantages; la réduction sensible, dans la plupart des cas, du temps de travail des employés et le maintien intégral du revenu net de nos employés pour toute la durée des conventions existantes, c’est-à-dire jusqu’à leur expiration du 30 juin 1998.
Finalement, plutôt que d’attendre la fin des conventions en 1998, nous proposons de commencer à discuter tout de suite avec nos vis-à-vis syndicaux des solutions à plus long terme qui s’appliqueront à l’échéance de ces conventions. Qu’est-ce que cette proposition signifie concrètement pour l’employé? Les situations varieront selon les secteurs d’activité mais, par exemple, un salarié type travaillerait trois heures de moins par semaine, mais réduirait du même coup la cotisation qu’il doit verser à son fonds de retraite. Son pouvoir d’achat n’en serait, par conséquent, aucunement affecté. Il bénéficierait au surplus de temps libre supplémentaire. L’État, pour sa part, économiserait la somme qu’il aurait versée si la semaine de travail n’avait pas été réduite. Dans d’autres cas, les conditions de travail seraient réaménagées, mais dans un objectif identique.
Je vous rappelle la garantie fondamentale, qui est le maintien du niveau de revenu net jusqu’à la fin des conventions, c’est-à-dire jusqu’au 30 juin 1998, le versement intégral des augmentations qui ont été négociées l’an dernier, à savoir 1 % le 1er janvier de l’année prochaine et 1 % de l’année qui vient, réduction du temps de travail, maintien de l’intégrité des caisses de retraite et diminution correspondante par un congé de cotisation compte tenu des surplus actuariels qui sont accumulés et qui sont incontestés et qui sont identifiés et certifiés par les actuaires. Nous pensons que cette proposition est gagnante pour tout le monde, gagnante pour l’emploi, gagnante pour les salariés, gagnante pour la société québécoise. C’est pourquoi nous inscrirons au feuilleton de demain une motion par laquelle l’Assemblée nationale appuie la proposition et invite les syndicats à venir négocier sur cette base.
Ce qui m’amène à indiquer le sens du vote que nous tiendrons tout à l’heure sur la motion de l’opposition. Bien sûr, le seul but de l’opposition, avec sa motion, c’est de compliquer la vie du gouvernement, c’est le rôle des oppositions. Et, bien sûr, nous voterons pour la résolution. Bien sûr, notre voeu, notre objectif et notre méthode privilégiée, c’est la négociation dans le respect des conventions collectives. D’ailleurs, ces conventions comportent spécifiquement des clauses de renégociation qui prévoient que des pourparlers doivent avoir lieu sur l’aménagement du temps de travail. Alors, nous voterons pour car nous croyons à la négociation et nous croyons en notre capacité de nous entendre. Nous l’avons constaté à la Conférence de mars et au Sommet d’octobre, les Québécois veulent réussir, les Québécois veulent s’entendre pour le bien commun. C’est ce que nous allons faire avec nos vis-à-vis syndicaux.
J’ai rencontré, ce matin, la plupart des représentants des employés de l’État. Nous avons reformulé la proposition que nous avions déposée la semaine dernière, nous avons fait part des garanties que je viens d’énumérer et qui la bonifient, cette proposition. Je leur ai indiqué qu’il fallait nous entendre d’ici le 9 décembre. On parlait, autrefois, d’ici le 6 décembre. Donc, nous entendre d’ici le 9 décembre en raison des impératifs de la réduction du déficit et des échéanciers qui pèsent sur un gouvernement qui doit faire des budgets. Je leur ai indiqué ma confiance en notre capacité commune de nous entendre dans ce délai, comme nous avons pu nous entendre pendant le Sommet du mois dernier durant une période encore plus courte.
Dans le cas contraire, le Conseil des ministres — c’est le sens du vote que nous allons prendre aujourd’hui; je veux en préciser la signification et les balises — sera appelé à prendre une décision avec l’information qui lui sera disponible à ce moment. Et, en tout état de cause, le gouvernement maintient le cap vers le déficit zéro et assumera ses responsabilités en conséquence. Il y a l’employeur, l’État est d’abord un employeur qui a signé les conventions, qui va tout faire pour les respecter, qui va entreprendre une négociation intensive, authentique, sur la base d’une proposition qui est parfaitement équitable, parfaitement sensée, respecte fondamentalement toutes les garanties, tous les droits et les intérêts des salariés.
Mais l’employeur est aussi un État et si l’État devait constater que l’employeur ne peut s’entendre, par une négociation de bonne foi avec les salariés, l’État devra assumer ses responsabilités puisque l’État, dans ses responsabilités, déborde l’envergure des responsabilités de l’employeur, l’État répond à tout le monde et l’État doit assumer la totalité des composantes de la réalité québécoise, qu’elle soit de l’ordre de l’assainissement des finances publiques, de la protection des emplois et des salariés publics et de l’ensemble de ce qui incombe à ses responsabilités générales.
Je l’ai dit souvent, et je le répète aujourd’hui, l’élimination du déficit se fera dans l’équité et chacun sera appelé à faire sa part. Ce que je viens de dire, je l’ai répété ce matin à tous ceux des représentants syndicaux qui ont accepté mon invitation, je leur ai dit expressément tout ce que je viens de vous dire. Nos partenaires syndicaux nous parlent ces jours-ci des revenus qu’il faudra trouver pour atteindre nos objectifs budgétaires. La Commission sur la fiscalité, dans un rapport unanime, nous a suggéré un certain nombre de pistes de revenus nouveaux qui n’affectent ni les tables d’impôt des particuliers, ni la taxe de vente. Nous allons explorer toutes ces pistes et en ouvrir d’autres. Nous envisageons aussi de réduire les salaires des élus et de leur personnel. Nous prendrons quelque chose dans chaque cour, c’est évident, sauf, bien sûr, chez nos concitoyens qui ne peuvent accéder au marché du travail et qui bénéficient désormais, une des suites du Sommet de Montréal, de la clause d’appauvrissement zéro. En conclusion, j’aimerais dire quelques mots sur les employés de l’État. Le Québec a une fonction publique et parapublique, des employés, des infirmières, des cadres compétents, dévoués, travaillants. Il n’y a donc rien d’exagéré dans les hausses de salaire limitées qui leur ont été consenties l’an dernier et qui leur seront versées. Avec cette proposition, avec l’entente que nous souhaitons, les employés de l’État auront l’occasion de préserver leurs acquis et d’obtenir plus de temps libre, tout en rendant service à la société québécoise qui, j’en suis sûr, s’en souviendra longtemps. Merci.
[ Le Modérateur: Nous passons aux questions. Première question, en français, Rhéal Séguin.
M. Séguin (Rhéal): M. Bouchard, M. Landry vient de nous dire que cette proposition-là avait été déposée par les syndicats, il y a quelques mois. Est-ce que c’est une proposition qui vient du milieu syndical et, si oui, comment expliquer le refus de la négocier?]
[ M. Bouchard:] Je ne crois pas, d’abord, qu’on puisse parler d’un refus de la négocier. Nous connaissons les réactions qui ont été rendues publiques. Mais ce que je peux dire, par exemple, c’est qu’il n’y a pas de syndicats qui, ce matin, nous a dit qu’il refuserait de nous rencontrer. Certains nous ont dit qu’ils voulaient se rapporter à leur mandat, et qu’ils nous rappelleraient. Mais je n’ai pas enregistré de fins de non-recevoir à l’appel renouvelé que j’ai lancé, sur la base de la proposition bonifiée et du contexte où j’ai situé tout cela, de la part des personnes que j’ai rencontrées. Je sais qu’il y a des réticences, vous les connaissez, elles ont été exprimées publiquement. Mais, de façon générale, j’ai pleine confiance que nous pourrons nous asseoir, avec ceux que nous avons vus, ce matin, en tout cas, ou des représentants, pour travailler, travailler ensemble sur une discussion, une solution négociée. La proposition, telle qu’elle est libellée, je ne pense pas qu’on puisse en attribuer la paternité, de façon exclusive, à qui que ce soit. L’idée de jeter un pont sur l’année difficile qui vient, elle a jailli dans beaucoup d’esprits et aussi du côté syndical, qui avait envisagé… En certains endroits, on avait jonglé avec des idées comme celles des fonds de retraite, mais il n’y avait rien eu d’explicite de mentionné et je crois que les gens présumaient, essentiellement, qu’il y avait des surplus actuariels d’accumulés du côté des cotisations de l’employeur. Il s’est avéré que l’employeur a bonifié le régime l’an dernier, lors des négociations, à même les surplus actuariels qui existaient; les surplus actuariels qui subsistent, il appert qu’ils se situent du côté des cotisations des employés qui, entre autres, par le fait qu’il n’y a pas eu l’inflation qui avait été escomptée par les économistes, les actuaires subsistent et existent en soi. Par exemple, on se fait dire: Oui, mais le vieillissement de certains personnels va accroître les charges, donc il faut conserver les surplus actuariels. Tout ça a été calculé, tout ça a été pris en compte, il y a 8000000000 $ qui a été pris en compte pour cela, c’est au-dessus de tout cela. Les actuaires nous disent que ce surplus est disponible. Et, vous savez, ce n’est pas quelque chose de tout à fait inusité que d’avoir des congés de cotisations, vous savez que c’est une pratique constante dans le domaine de la gestion des régimes de retraite. Quand un régime de retraite s’est enrichi au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir sa sécurité, il se prend des congés de cotisations. Ça se fait dans le secteur privé, ça se fait de façon générale. C’est donc un cas où nous croyons qu’il y a lieu de prendre un congé de cotisation pour permettre d’atteindre tous les buts en même temps, l’atteinte de l’objectif budgétaire, le maintien du revenu net d’emploi, la garantie de l’intégrité des régimes de retraites et des avantages qui en découlent, puis assorti en plus d’une prime, la réduction du temps de travail. Nous croyons qu’il y a là véritablement, de la part de l’État, le respect de tous les grands paramètres des conventions signées qui, en plus, autorisent… Des clauses de renégociations ont été signées également par les deux parties.
[ M. Séguin (Rhéal): Vous allez à ce moment-là imposer cette solution-là si les négociations…]
[ M. Bouchard:] La question est prématurée. La question est prématurée. Vous savez, ça me fait penser aux questions qui m’étaient posées avant le Sommet. Est-ce que ça va marcher le Sommet? Ça tire à hue et à dia. Les gens prennent des positions qui sont opposées de façon diamétrale. Donc, le Sommet est un échec.
Certains articles avaient été écrits d’avance pour consacrer l’échec du Sommet. Il est apparu que les Québécois et les Québécoises sont capables de s’asseoir en face de la réalité, de la partager, d’en tirer les conclusions et de convenir de solutions qui sont fondées sur la solidarité. Je mise sur le grand succès du Sommet de Montréal et sur celui de Québec où nous avons ensemble tracé les cadres de l’objectif à atteindre. Nous avons également pris des engagements de part et d’autre de protéger l’emploi. L’État, dans la proposition actuelle, respecte l’engagement qu’il a contracté de préserver l’emploi dans toute la mesure du possible, même si, en d’autres circonstances, on connaît des gouvernements qui auraient supprimé des postes. Ce que nous voulons, par rapport aux postes conventionnés, par rapport aux emplois conventionnés, c’est de les préserver au complet et, en même temps, préserver les niveaux de revenus nets, et nous allons y arriver. Je ne doute pas que, quand nous aurons bien expliqué la proposition, quand nous aurons bien travaillé ensemble comme nous sommes habitués à la faire, avec les vis-à-vis syndicaux, que nous arriverons aux résultats que les Québécois attendent qui est une entente qui est une solution négociée.
[ Le Modérateur: Normand Girard.
M. Girard (Normand): M. le premier ministre, j’aimerais faire préciser une chose. Le congé des cotisations que vous proposez aux employés du secteur public, est-ce qu’il serait pris à même le surplus actuariel accumulé de 8000000000 $ dans le passé ou à même un surplus que vous anticipez pour les années à venir?]
[ M. Bouchard:] Non, c’est un surplus qui… c’est un surplus qui vient, là. Le 8000000000 $, on n’y touche pas. Il est là. Le surplus, il est évident… le niveau de la cotisation — les actuaires l’ont calculé — est tel qu’il est inévitable qu’il produise des surplus qui ne sont pas requis par rapport aux surplus qui sont requis. Il y a des surplus qui sont des marges de sécurité, ceux-là, ils sont acquis. Personne ne va y toucher parce que ça ne serait pas responsable de compromettre en quoi que ce soit la sécurité des fonds de pension. Mais, comme le niveau des cotisations est trop élevé par rapport aux besoins qui visent à garantir les avantages qui sont consentis — pas tout le temps et pour tout le monde — par les régimes de retraite. Et les actuaires sont convaincus, ils nous disent qu’il y a là une ouverture. Et nous sommes prêts à en discuter avec les syndicats, et ils ont des actuaires. C’est une des choses, là, utiles qu’on fera pour l’information publique, qu’on fera pour rassurer tout le monde; c’est de se mettre, de s’asseoir à la table avec des actuaires, des gens qui s’y connaissent pour échanger nos chiffres. Et je n’ai aucun doute, parce que c’est l’assurance qu’on nous donne de partout, que… et je pense même que, du côté syndical, ils ont vu le surplus. Il reste peut-être à échanger des données pour que les gens soient absolument certains. Donc, ça, c’est un impératif, un puissant impératif pour qu’ils viennent travailler avec nous.
[ M. Girard (Normand): Est-ce qu’on a une idée sur le plan actuariel de l’ordre de grandeur des surplus qui pourraient être générés si la cotisation demeurait ce qu’elle est à l’heure actuelle au cours, disons, des deux prochaines années? Parce qu’on parle de la durée de la convention, là.]
[ M. Bouchard:] On travaille sur 18 mois maintenant parce que, comme il s’agit de tout faire pour que soient respectés les grands paramètres de la convention — même si le gouvernement devra assumer ses responsabilités, il va les assumer dans ce sens-là aussi — on parle donc en termes de durée de convention. Et les conventions ont encore 18 mois à courir à compter du 1er janvier, qui serait la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Et, pour ces 18 mois, il y a assez de surplus actuariel escompté pour autoriser le gouvernement à garantir qu’il y aura plein de compensations des diminutions de salaires par le versement en moins des cotisations. Autrement dit, il y aura une retenue de moins sur le chèque qui sera fait au salarié, qui va compenser — nous le garantissons, s’il faut compenser, en ajouter, on le fera — identiquement pour maintenir intact leur niveau de revenu net.
[ M. Girard (Normand): Vous n’avez pas compris ma question, c’est que le gouvernement a besoin de 1000000000 $, là.]
[ M. Bouchard:] Bien, c’est environ 1000000000 $. C’est environ.
[ M. Girard (Normand): Donc, ils ont 1000000000 $ de surplus?]
[ M. Bouchard:] Ce n’est pas 1000000000 $ au complet, mais le gouvernement fera ce qu’il faut pour combler. C’est une garantie qu’il donne. C’est ça qui est la bonification de la proposition, ce matin. Donc, il y a un élément nouveau dans la proposition, c’est que les salariés se feront garantir que leur salaire ne baissera pas jusqu’à la fin de la convention.
[ M. Girard (Normand): Merci.
M. Authier (Philip): Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, vous avez précisé deux choses: vous avez dit que la proposition itait bonifiée. En quoi elle est bonifiée par rapport à ce qu’on a connu la semaine dernière? Et vous dites: C’est une proposition gagnante. Pourtant, M. Larose tenait à peu près le même discours en sortant de la rencontre qu’avant la rencontre; puis, après la rencontre, il nous parlait qu’on se dirigeait vers un affrontement. J’aimerais que vous répondiez sur ces deux points-là.]
[ M. Bouchard:] Elle est bonifiée par le fait que, dans les premières rencontres qui ont eu lieu, il n’y a jamais eu de garantie formelle du maintien exact du niveau de revenu net. Il y avait un certain écart à envisager; ce n’est probablement pas 1000000000 $ qu’il y a dedans. On pense que ce n’est pas tout à fait 1000000000 $. Donc, pour nous assurer que les gens peuvent compter là-dessus, nous donnons la garantie. S’il en manque, le gouvernement compensera. Deuxièmement, elle est gagnante. Oui, elle est gagnante parce qu’elle permet d’atteindre tous les objectifs et qu’elle s’inscrit dans l’accomplissement de tous les engagements qui ont été contractés, d’abord au Sommet de Québec, pour arriver à l’objectif du déficit zéro en l’an 2000 et au Sommet de Montréal pour protéger l’emploi. Je ne pense pas qu’il y ait un affrontement en vue, je pense qu’il y a un contexte de négociations qui ressemble beaucoup à ce qui présidait à la situation avant que le Sommet commence — vous vous rappelez les déclarations des uns et des autres — c’est normal, ce n’est pas des choses faciles à faire. Il faut comprendre à quel point c’est difficile pour les leaders syndicaux aussi, il faut savoir que ce n’est pas facile pour eux de se tourner vers des syndiqués qui ont plus ou moins confiance dans le processus de négociation avec le gouvernement, on peut les comprendre aussi, c’est que, collectivement, on est tenté… c’est pour ça qu’il faut se réunir maintenant puis qu’il faut joindre nos forces, faire confiance en la capacité du gouvernement de contrôler ses finances publiques, on a assisté à tellement d’écarts, à tellement de difficultés mais, pour cette fois-ci, il y a un gouvernement qui a décidé de prendre le taureau par les cornes et qui demande un effort qui va être efficace, un effort qui va régler la question et qui a pris un engagement clair, déficit zéro en l’an 2000, qui l’assoit sur un consensus général au Québec, transparent, devant tout le monde et qui va livrer la marchandise et qui, en plus, va s’imposer une loi anti-déficit. Est-ce qu’on peut être plus garanti par rapport à la sincérité du gouvernement? Je pense que nous avons un effort collectif pour restaurer la confiance dans les finances publiques, dans la capacité de l’État d’assumer sa mission essentielle. Ça, c’est vrai, je le reconnais, mais c’est totalement l’objectif vers lequel se dirige le gouvernement et c’est fondamentalement la motivation de l’effort que nous faisons, restaurer la confiance des Québécois et des Québécoises dans leur État, dans leur gouvernement, dans leur processus collectifs.
[ M. Authier (Philip): Je suis informé que M. Bouchard est attendu en Chambre, donc, je vais être très sévère. Je prends une dernière question en français, après ça, je prends deux questions en anglais.
Une voix: M. Bouchard, vous dites: Si on ne peut pas s’entendre, l’État devra prendre ses responsabilités. Est-ce que c’est négocier de bonne foi, ça, de faire des menaces comme ça, comme vous le faites aux syndicats?]
[ M. Bouchard:] Ce n’est pas une menace, c’est un geste de franchise qui s’impose d’autant plus que nous allons voter pour la motion cet après-midi, qui rappelle le poids que nous accordons à une signature. Et si quelqu’un sait ce que vaut une signature, c’est bien moi. Je suis le négociateur patronal qui, pour la première fois, en 1979 a signé une convention avec la CEQ, (?) en général, des décrets avant, vous le savez, je pense être le premier. Je sais ce que vaut une signature, une signature, ça a son poids en or, il faut tout faire pour la respecter, il faut tout faire pour aller chercher une autre signature pour remplacer une disposition par une autre. Donc, il y a une détermination, je dirais, féroce de la part du gouvernement de s’asseoir et qu’on vienne nous voir, qu’on vienne travailler avec nous, qu’on ne nous laisse pas seul, cette solitude gouvernementale n’est pas très saine, qu’on vienne nous voir, qu’on s’assoit à la table, on est capable de s’entendre ensemble, on en a fait des ententes, de multiples puis on ne les a pas toutes reniées, là, contrairement à ce qu’on pourrait dire.
Cette fois-ci, il y a un cadre objectif. Il y a une référence à des données qui sont précises. Il y a des actuaires qui se prononcent. S’il y en a d’autres, on les fera venir. Et puis, on va être en mesure de garantir aux salariés de l’État qu’ils vont pouvoir se rendre jusqu’à la fin de leur convention sans avoir de coupure de salaire, sans avoir de mise à pied, ceux qui sont protégés par des conventions.
Alors, moi je dis qu’il faut venir. Il faut venir. Et je les ai invités formellement ce matin de venir. Formellement. Je crois qu’ils doivent venir.
[(Fin à 14 h 14) ]
[QBOUC19971219cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard
et de M. Pierre Bélanger Le vendredi 19 décembre 1997 (Douze heures vingt-quatre minutes) ]
Le Modérateur: On est prêts? Alors, bonjour. Vous connaissez la routine. «You know the drill.» On aura une déclaration de M. Bélanger, suivie d’une déclaration de M. le premier ministre. Après ça, j’accepterais 15 minutes de questions en français, 10 minutes de questions en anglais. La parole est à vous.
M. Bélanger: Merci. Alors, Mmes et MM. les journalistes, il me fait plaisir de vous rencontrer aujourd’hui pour vous livrer le bilan de cette session d’automne qui fut fort bien remplie. Ce bilan est, comme vous le constaterez, fort respectable.
D’importantes réformes ont été proposées par le gouvernement et adoptées par l’Assemblée nationale. Après la réforme de l’assurancemédicaments, celle de l’aide juridique et l’introduction, par le projet de loi n 23, du droit de produire dans le secteur agricole, toutes adoptées à la dernière session, le gouvernement a poursuivi dans la même veine en faisant adopter le projet de loi n 35 sur l’équité salariale et le projet de loi n 130 sur la réforme des tribunaux administratifs, tous deux attendus depuis des années.
De plus, le gouvernement a initié une importante consultation sur la Régie des rentes. Le projet de loi n 12, qui introduit des modifications importantes au Code de la sécurité routière, le projet de loi n 43, qui encadre l’usage des véhicules hors route, le projet de loi n 50, qui crée la Régie de l’énergie, suivie du dépôt de la politique énergétique et l’adoption d’une grille pour la fixation des pensions alimentaires, avec le projet de loi n 68, sont sources de fierté pour notre gouvernement.
Par ailleurs, d’importantes consultations auront lieu au début de l’an prochain sur trois autres réformes du gouvernement. Pensons, entre autres, au projet de loi n 79, qui entraîne des modifications importantes au régime de santé et de sécurité pour les travailleurs, au projet de loi n 65, qui concerne la médiation familiale et, finalement, au livre vert sur la sécurité du revenu, qui nous présente les orientations gouvernementales en la matière.
Évidemment, l’activité politique de l’automne aura été marquée par l’important Sommet socioéconomique qui s’est tenu à Montréal à la fin d’octobre 1996. Dans la foulée de celui-ci, le gouvernement a déposé plusieurs projets de loi. Mentionnons la présentation, ces jours derniers, du projet de loi n 88 en matière de congés annuels et le congé parental et du projet de loi n 90 qui permettra la constitution des coopératives de solidarité.
Viennent s’ajouter à ceux-ci, le projet de loi n 74 concernant la CSST, le projet de loi n 76 instituant le Fonds de partenariat touristique, le projet de loi n 75 sur les décrets de conventions collectives, lesquels devraient normalement être adoptés d’ici la fin de la session.
Quoi qu’en dise le chef de l’opposition officielle, les député de l’Assemblée auront été appelés à discuter sur de nombreux projets de loi de nature économique. En effet, outre ceux qui découlent directement du Sommet, soulignons le projet de loi n 63 sur les sociétés d’économie mixte, le projet de loi n 69, qui apporte d’importantes modifications à la Loi sur les caisses d’épargne et de crédit, le projet de loi n 15, qui concerne la mise en oeuvre de l’accord sur le commerce intérieur, le projet de loi n 48, qui permet à la SGF d’accroître son financement et le projet de loi n 53, qui introduit le concept d’appellation réservée pour les produits agricoles et alimentaires.
De nombreux projets de loi s’inscrivent dans la ferme détermination du gouvernement de maintenir le cap sur l’objectif d’atteindre le déficit zéro en l’an 2000. Ainsi, le projet de loi n 3 sur l’élimination du déficit devrait être adopté d’ici la fin de la session. De plus, le projet de loi n 9 abrogeant la Loi sur le Conseil de la conservation de l’environnement et le projet de loi n 73, concernant la CARRA, sont venus réduire les dépenses en éliminant les structures. Le projet de loi n 61, concernant l’aliénation des produits de la criminalité, fera en sorte que, dorénavant, le crime ne puisse être payant pour ses auteurs. Le projet de loi n 66, concernant le Fonds de départs assistés, est venu, quant à lui, concrétiser l’important programme de départs volontaires que le gouvernement avait présenté. Le projet de loi n 77 sur la réforme de la réorganisation policière visait toujours, dans la même perspective, à rétablir une équité dans le partage des coûts pour les services de police sur l’ensemble du territoire québécois. Le projet de loi n 84 sur la sécurité de revenu et le projet de loi n 85 modifiant le régime de prêts et bourses s’inscrivent également dans la nécessité pour le gouvernement de s’assurer que les montants substantiels qu’il investit dans le secteur social le soient de la façon la plus profitable possible. Finalement, le projet de loi n 91 est venu assurer que les créances détenues actuellement par le ministère du Revenu pourront être recouvrées sans être affectées par une prescription. Et je tiens à dire là-dessus, là, que contrairement à ce qu’il est dit par l’opposition officielle, ce n’est pas une nouvelle taxe, du tout; ce sont des montants qui sont déjà présentement dus à l’impôt, au gouvernement.
À ce chapitre, il est important de souligner que l’Assemblée aura adopté le projet de loi n 70 qui est venu donner suite à l’entente relative aux conditions de travail des employés à Hydro-Québec ainsi que le projet de loi n 128 qui viendra concrétiser législativement l’engagement d’abolir la loi 102.
Finalement, sur le plan législatif, on ne peut passer sous silence le projet de loi n 49 qui est venu instituer le Fonds d’assistance financière pour les régions sinistrées à la suite des pluies du 19 et 20 juillet 1996, de même que le projet de loi n 82 sur ville de La Baie permettant le report des élections municipales qui n’ont pu être tenues en raison de ces mêmes pluies diluviennes. Ce tour d’horizon des principales législatives présentées ou adoptées est loin d’être exhaustif, puisque c’est plus de 45 projets de loi qui devraient être adoptés au cours de la présente session. Je vous invite donc en conclusion à prendre connaissance de l’annexe qui est jointe à mon rapport. Évidemment, la session n’est pas terminée, donc plusieurs des projets de loi qui sont mentionnés ici vont être adoptés aujourd’hui ou peut-être demain, dépendamment comment va se dérouler cette fin de session. Merci.
M. Authier (Philip): M. Bouchard.]
[ M. Bouchard:] Merci, M. le Président. Alors, près d’un an écoulé depuis mon assermentation. Je pense pouvoir dire que le gouvernement a fondamentalement travaillé sur la mise en place des conditions nécessaires à la relance de l’emploi et la protection du filet social. Les grands moyens qui ont été pris, c’est d’abord une large consultation qui a débouché sur une concertation de tous les acteurs socioéconomiques du Québec, ça s’est fait par deux sommets dont le dernier sur l’emploi à Montréal, ça s’est fait par, également, l’assainissement des finances publiques, priorité qui est accordée au redressement des capacités financières de l’État, ça s’est fait également par la mise en place d’un grand nombre de mesures, d’un train de mesures, qui détermine un grand progrès social, notamment par l’équité salariale. Alors, dans le détail, pour ce qui est de la relance de l’économie et de l’emploi, évidemment l’événement majeur, ça a été à l’automne, le sommet qui a été précédé d’une démarche sans précédent, je dirais, de concertation de tous les acteurs afin de déterminer des projets créateurs d’emplois et de fixer les balises du développement économique du Québec. Donc, nombreux consensus, 80 projets qui ont été adoptés, des investissements totaux de 2600000000 $, très grande partie qui vient du privé, des mesures concrètes pour la création d’emplois dont la réduction des taxes de la masse salariale, la réduction graduelle de la semaine de travail de 44 à 40 heures et il y a la mise en place d’un régime d’apprentissage, d’une hausse de 4000 à 6000 places le nombre de stagiaires pendant trois ans, l’allégement de la réglementation gouvernementale, la signature de la ration sur l’emploi, la reconnaissance de l’économie sociale, l’engagement à rattraper le taux de création d’emplois au Canada d’ici trois ans.
Les résultats. Je pense qu’on peut dire qu’on a vraiment, malgré qu’il se soit écoulé seulement quelques semaines depuis ce temps-là, livré la marchandise, par exemple, quatre projets de loi qui seront adoptés d’ici demain, qui sont dans le sillage direct du Sommet, deux décrets concernant notamment la déréglementation qui sont déjà adoptés et dont la mise en place est en train… nous avons créé le fonds de 250000000 $ qui a été décidé au Sommet, afin de favoriser la réinsertion au travail et ce matin même, le ministre des Finances a annoncé un programme de réduction des taxes de la masse salariale, assorti d’un programme d’un partage du travail. Nous annonçons aujourd’hui aussi — le communiqué tombera bientôt, si ce n’est pas déjà fait — la création du comité de suivi du Sommet, les nominations sont toute faites, les noms apparaissent, comme vous verrez. La première réunion est fixée au 30 janvier prochain, à mon retour d’Asie. Nous annonçons également la création du centre de coordination des projets économiques qui est rapatrié au Conseil exécutif, donc tout près de moi. C’est ce qu’on appelle le comptoir unique des investissements. Un investisseur qui vient ici n’a pas à se promener partout, il s’en va là puis, c’est nous qui allons nous promener pour lui et livrer la réponse. Nous avons également mis en place le forum des sous-ministres. Ce qu’on appelle la voie rapide. Tous les projets qui doivent se réaliser rapidement, qui demandent l’intégration, les actions gouvernementales, ça passe le lundi matin au forum des sous-ministres, qui doit rapidement faire rapport au Conseil des ministres pour le mercredi suivant.
Au point de vue économique, il est certain que nous vivons les conséquences d’une gestion des finances de l’État qui ont été très lourdement obérées par les déficits et asphyxiants. Il y a donc un changement très important de culture de gestion gouvernementale, de philosophie économique. Il y a la nécessité, autrement dit, d’arrêter le Queen Elizabeth, et le Queen Elizabeth, on dit que quand on arrête les machines, il fait encore 10 km sur son élan. Donc, il faut virer ça de bord, on est en train de le virer de bord. Les indicateurs économiques nous montrent que nous sommes dans la bonne direction. Nous avons eu les compliments du gouverneur de la Banque du Canada à Washington. L’OCDE a signalé également les efforts prometteurs que nous déployons dans nos projections afin de relancer l’économie du Québec.
Et on sait maintenant que nous avons une hausse de 2,3 % de livraison manufacturière au troisième trimestre; c’est le plus haut niveau jamais atteint. Nous avons une hausse de 1,5 % des ventes au détail au troisième semestre; c’est le plus niveau jamais atteint. Nous avons une hausse d’exportation de 4,2 %. Nous avons une diminution sans précédent des taux d’intérêt, 5 % de diminution depuis un an et demi. Et nous comptons encore 11000 emplois de plus, en moyenne, que l’an dernier et les analystes prévoient une accélération de la croissance économique, l’an prochain, entre 2 % et 3 %. Donc, rien n’est gagné, rien n’est acquis, mais on travaille sur l’essentiel. En tout cas, on a arrêté les machines du Reine Elizabeth et on va le tourner avant d’arriver au quai.
Quant à l’assainissement des finances publiques, le gouvernement va atteindre ses objectifs budgétaires pour 1996-1997. Ça ne se fait pas sans heurts, sans douleurs, sans grincements de dents, mais ça se fait. On a connu des années, de six, sept années consécutives où le gouvernement dépassait de près de 1000000000 $ en moyenne ses prédictions budgétaires. Il est évident que, pour montrer patte blanche auprès des marchés financiers, auprès des prêteurs, il faut user maintenant de grande rigueur administrative. C’est ce que nous faisons. Nous avons réussi l’an dernier, nous réussirons cette année, nous réussirons l’an prochain. Nous ne pouvons pas rater une marche de l’escalier qui nous amène nous déficit zéro.
Nous avons entrepris des discussions, un exercice qui n’est pas facile, avec nos partenaires syndicaux des conventions collectives qui sont signées; l’encre n’est pas encore très sèche. On comprend très bien que ce n’est pas une chose facile à faire, mais la réaction me paraît très saine et dans le sens de ce qu’il faut souhaiter pour notre société. Les employés de l’État et leurs syndicats, à tout le moins, sont en train d’accepter une contribution, leur part de la contribution de l’effort collectif. Une part, parce que tout le monde sera appelé à faire la sienne.
Je pense que cet après-midi on pourra parapher le texte d’une entente de principe pour tracer le cadre des discussions où il y aura, en particulier, l’engagement de nous donner 1000000 $ d’économie d’ici la fin de l’exercice budgétaire qui est en cours. Et le reste est essentiellement ce que nous avons proposé, avec des modifications, mais qui précise le cadre des discussions qui nous ont valu, de la part d’un des syndicats, de la FTQ, notamment dans le domaine de la santé qui avait rejeté la proposition, qui nous ont valu la reconnaissance qu’il y a un progrès net sur ce qui c’était fait avant. Et je crois que, quand les syndiqués puis les membres vont voir tout cela, vont recevoir les recommandations des grandes centrales, des grands syndicats, nous pourrons engager et nous allons certainement engager la négociation prévue dès le début de janvier pour diminuer d’au moins 15000 personnes, des postes, des effectifs de la fonction publique et réorganiser le travail de façon telle que ça puisse se faire convenablement à la fois pour les personnes qui vont rester et pour les services qui devront être rendus aux contribuables. Nous avons également annoncé que cet effort de solidarité ne sera bien sûr restreint aux employés de l’État. Il va être étendu très largement. Ce ne sera pas facile non plus. On en voit les premiers échos, les médecins. J’ai vu les policiers qui se sont exprimés hier. On comprend tout ça. Ce n’est pas facile pour eux. Mais les députés aussi, le personnel politique, les ministres, les hauts cadres, tout le monde va être appelé à participer à cet effort-là. Il n’est pas vrai qu’on va taxer tout le monde au Québec pour permettre à ceux qui travaillent au sein de l’État ou en périphérie de ne pas être affectés par la crise de redressement et d’effort collectif que nous avons à faire. Il faudra donc que l’effort soit réparti partout.
Puis, nous le faisons également de façon positive dans d’autres organismes. L’exemple que je donne c’est Hydro-Québec. Ça ne paraît pas, là, mais Hydro-Québec nous a donné beaucoup de soucis cette année. Beaucoup de temps a été consacré à cela et elle est en voie de réorganisation. Nous savons maintenant qu’elle va nous livrer les économies qui avaient été attendues dans sa gestion et les salariés ont volontairement accepté une diminution de leur salaire de l’ordre de 4 %, 5 %.
On sait que… on ne l’a pas assez dit — ça m’a été reproché mais je peux le dire maintenant publiquement — mais les premiers salariés qui ont accepté ce genre d’effort consensuel, ce sont les syndiqués de l’entretien de l’UQAM à Montréal. C’est les premiers. Parce que j’ai su qu’ils n’avaient pas été contents que je n’ait mentionné que le cas des professeurs de l’UQAM qui eux aussi ont accepté une diminution de 5 %. Ça avait commencé chez eux.
Il y a un mouvement là qui est en train de se manifester au Québec et je pense que c’est extrêmement sain. C’est très prometteur pour la réussite de ce que nous entreprenons.
Du côté de la fiscalité, nous avons eu le rapport de la commission D’Amours, un rapport unanime. Il faut se rappeler quand même que les gens qui ont été nommés là, je les ai nommés après consultation auprès de différents milieux socioéconomiques du Québec, qu’il y a des gens là-dedans qui représentent idéologiquement, pas formellement, mais entre autres les centrales syndicales, les mouvements d’opinion et la conclusion est unanime, c’est que ce n’est pas vraiment du côté des revenus qu’est la solution, c’est surtout du côté des dépenses et il y a de la place quand on compare nos niveaux de dépenses dans les missions de la santé et de l’éducation par rapport aux pays de l’OCDE. On n’est pas en train de faire ce qui ne se fait pas ailleurs, de massacrer les systèmes. On est en train de les amener à des niveaux qui sont comparables à ceux des autres pays comme nous mais à la condition qu’on rationalise et qu’on fasse ça correctement ce qui évidemment nous oblige à passer par une période de relative turbulence.
Mais cependant la Commission sur la fiscalité a quand même dit il ne faut pas fermer les portes aux revenus fiscaux additionnels à la condition que ça se fasse correctement et que ça ne perdure pas l’économie. Alors il y a des pistes qui ont été ouvertes par la Commission et qui seront examinées. Et tout ça va donner lieu à un débat beaucoup plus large et plus intense que d’habitude en préparation du budget cette année, puisque nous avons annoncé que tout le monde pourrait participer à un grand débat, dans un forum qu’on va identifier après les fêtes, pour que les gens nous disent ce qu’ils pensent, du genre de budget qu’on devrait avoir, la décision, bien sûr, étant prise par le gouvernement et le ministre des Finances.
Progrès social. Je lis toutes sortes de choses. Parfois, j’entends des discours, l’opposition, ça nous parle souvent de néolibéralisme. Bon, le concept du néolibéralisme, on peut en discuter longtemps. Ce qui est important, c’est de voir, dans les faits, si on a un gouvernement qui sabre dans les programmes sociaux, qui ne s’en préoccupent pas. Alors, non seulement nous ne sabrons pas dans les programmes sociaux, nous y sommes allés de façon très très prudente quand il a fallu faire des reconfigurations, mais, en plus, on a créé de nouveaux programmes. On trouvera les gouvernements néolibéraux qui créent, actuellement, des programmes sociaux nouveaux, au moment où on procède à l’épuration rigoureuse des finances publiques que nous faisons? Bon, la loi sur l’équité salariale, c’est nous qui l’avons adoptée, et nous avons dû discuter durement avec nos partenaires du monde des affaires. Mais, nous avons maintenu la ligne, et vous avez vu qu’à la fin, nous avons eu des invités à la Chambre, et, finalement, je crois que c’est une loi qui va s’inscrire maintenant dans les moeurs collectives du Québec et qui va produire les effets escomptés. Les pensions alimentaires. Bon, bien, nous allons établir un modèle de fixation, pour assurer le mieux-être des enfants. Nous avons mis en place un régime d’assurance-médicaments, pas populaire au début, on l’a vu — ce n’est pas facile d’implanter des régimes comme ceux-là actuellement — mais on est en train de réussir à étendre la couverture de l’accès aux médicaments à des gens qui n’y avaient pas accès autrefois. On pense à au delà de 1000000 de personnes, on pense à 300000 enfants. C’est important, ce qu’on fait actuellement, avec un partage plus équitable en fonction des revenus de chacun, tout en contrôlant les coûts. C’était parti en spirale tout ça, ça devenait insupportable pour l’État, et il fallait contrôler les coûts. Et, on pense que nous réussissons une réforme qui est extrêmement heureuse. L’aide juridique, pas facile non plus, évidemment, parce qu’il y a des intérêts qui sont lésés, il y a des inquiétudes — peut-être légitimes à certains égards — qui s’expriment, entre autres, au sein du Barreau, mais on voit qu’on ouvre la porte à 600000 personnes de plus qui auront accès à des formules nouvelles à l’aide juridique, tout, encore une fois, en réduisant les coûts, mais en faisant en sorte que notre régime d’aide juridique va se comparer très avantageusement aux autres au Canada.
Nous avons également souscrit et nous pratiquons l’engagement de l’appauvrissement zéro pour les personnes les plus démunies, c’est-à-dire celles qui n’ont pas accès au marché du travail à cause des contraintes sévères qui les affectent, puis on applique ça tout de suite; par exemple, le 1er janvier, on va indexer leurs prestations d’aide sociale. On a annoncé une véritable politique familiale, elle est ficelée. Il y a un livre blanc qui va prendre le circuit du territoire du Québec, pour toutes les populations en janvier, nous avons nommé une ministre responsable du dossier, Mme Marois. C’est dire que nous aurons l’allocation unifiée pour les enfants, nous aurons l’assurance parentale, nous aurons les services élargis à la petite enfance. Nous avons élaboré une réforme du régime de sécurité du revenu, pas facile à faire, mais je crois qu’il y a le dosage requis de la responsabilisation des gens, en même temps que de la prise en charge des besoins des démunis, ceux qui sont vraiment atteints, mais l’insertion au travail et l’incitation à y retourner, ça, c’est très important, aussi, et c’est au coeur de la réforme. Et puis, nous avons la grande réforme de l’éducation. Autrement dit, les pans de murs tombent sur la table, un par un, et on voit se dessiner, très clairement, un plan d’ensemble, un gouvernement qui sait où il va, qui en prend large, parce qu’on n’a pas le choix, et qui agit sur tous les fronts. Alors, quand on embrasse beaucoup, on étreint mal, dit-on, on est très conscients de ça, très conscients que les rapports avec la population sont et deviendront extrêmement importants, je dirais névralgiques, dans l’opération large que nous avons lancée. Des liens de confiance doivent exister auprès de la population, il faut que nous soyons en mesure d’expliquer peut-être encore mieux ce que nous faisons. Je propose, moi, l’année prochaine, de passer beaucoup de temps sur la route, pour rencontrer les citoyens et les citoyennes. J’ai dû passer énormément de tâches que j’ai trouvées, moi, si je fais un petit bilan de la gestion de mon temps, c’est que j’ai passé beaucoup de temps dans des réunions ici, dans des salles fermées, en arrière de murs, à discuter, à travailler des dossiers. L’an prochain, je vais expliquer ça, je vais m’assurer qu’on l’explique mieux, les ministres, les députés, on va pouvoir travailler un peu moins sur les dossiers parce qu’on aura fait notre travail. Maintenant, il faut aller l’expliquer, il faut aller parler à la population, il faut l’écouter davantage. Et moi, je suis convaincu, si je ne me trompe pas dans la perception que j’ai de l’attitude de la population, et je suis convaincu que la population sait que nous sommes dans la bonne direction, qu’elle souhaite que nous arrivions à l’objectif, puis qu’elle voudrait que ça se fasse de la façon la plus harmonieuse possible et la moins douloureuse, ça je le comprends. Mais il faut être près d’elle et il faut comprendre ses préoccupations, ses inquiétudes. Mais je suis convaincu que si nous maintenons le lien de confiance avec la population, que nous allons réussir. Et quand on sortira de ce passage très dur, c’est un Québec renouvelé que nous aurons, dans son éducation, dans son aide sociale, sa sécurité du revenu, ses politiques familiales, dans sa fiscalité, et surtout dans le redressement de ses finances publiques, dans une reprise de confiance en nous-mêmes. Parce que l’État, c’est une partie de nous-mêmes, ça, qu’on le veuille, qu’on ne le veuille pas, c’est l’instrument collectif privilégié que nous avons, c’est une composante essentielle de notre société, ce n’est pas la seule, j’en conviens, ça ne peut réussir qu’en maintenant les valeurs, qu’en faisant en sorte que les gens nourrissent de l’espoir, mais ça, c’est la tâche de l’année prochaine et je me propose de m’y atteler avec toute mon énergie possible.
Il y a d’autres réalisations, je vous en fais grâce. Il y a la commission de développement du Montréal métropolitain, c’est très important. Je crois que c’est une première depuis vingt ans. Montréal va être dotée d’un instrument collectif de concertation, de décision. Ça va se faire en partenariat avec le gouvernement. Il y a une responsabilisation qui va se faire là, les gens vont se rapprocher au lieu de se tirer des roches d’un bout à l’autre de l’île, ou d’une rivière, ou d’un fleuve. Les gens vont s’asseoir ensemble, vont avoir des responsabilités et vont devoir les assumer. Et je pense que c’est très très bon pour l’avenir de Montréal.
La politique de l’énergie qu’on a adoptée suscite des échos extrêmement favorables. Je me propose d’en faire la démonstration puis de l’expliquer à mes vis-à-vis en Asie quand je les rencontrerai. Nous avons conclu, avec l’Ontario, un accord sur la mobilité dans l’industrie de la construction. On a conclu un accord avec l’Ontario également, au préalable, dans le domaine des achats publics. Nous sommes à la fine pointe canadienne, Québec et Ontario, de ce qu’il faut faire pour avoir un commerce libéralisé puis d’abattre les frontières. Et en plus, nous sommes en train de serrer la vis à Ottawa sur les coûts d’harmonisation de la TPS qui n’ont pas été compensés ici, qui l’ont été ailleurs. Je suis convaincu qu’on va être capables de démontrer que nous sommes éligibles au programme qui a été mis en place, pensait-on, à Ottawa uniquement pour les Maritimes et d’autres mais le Québec y a droit aussi, puis on ne lâchera pas là-dessus. Et nous poursuivons les négociations avec Ottawa, sur le rapatriement des mesures actives de formation de la main-d’oeuvre, et puis nous allons, bien sûr, agir avec fermeté dans le cas de la réclamation de la partie de la caisse d’assurance-chômage qui est liée aux congés de maternité. J’ajoute pour terminer que je suis très fier d’avoir travaillé très fort pour nommer le plus de femmes possible dans les hautes fonctions de l’État. Quand je suis arrivé au gouvernement, une des premières choses que j’ai faites, c’est que j’ai rencontré les sous-ministres en titre parce que je trouve qu’il est important d’avoir de bons rapports, non pas seulement opérationnels, mais des rapports personnels avec la machine, ce qu’on appelle la machine. La machine, c’est du monde, c’est des femmes puis des hommes qui travaillent très fort, qui ont des mandats extrêmement difficiles, qui sont sous-payés, qui n’ont pas du tout les salaires qu’ils devraient avoir, qui sont gelés quand ils n’ont pas été diminués, puis qui s’exposent à l’être encore, mais qui donnent un temps fou à l’État, qui travaillent quasiment jour et nuit, qui sont en train de convaincre les gens avec qui ils travaillent de diminuer les budgets puis de serrer. Je les ai rencontrés au début, j’ai constaté qu’il y avait seulement des cravates puis des paires de culottes ou presque. Je pense qu’il n’y avait pas plus que deux femmes dans la salle. Et au moment où on se parle, il y en a pas loin de la moitié qui sont des femmes, sous-ministres en titre. Hier, on a nommé un grand nombre de sous-ministres adjointes — le communiqué sera rendu public je ne sais pas quand là, demain — mais on a nommé beaucoup de femmes aux postes de sous-ministres adjointes. Mon gouvernement a nommé la première femme juge en chef de la Cour du Québec. Et puis nous avons deux nouvelles députées, cette année, qui sont des femmes. Ce n’est moi qui les ai choisies; c’est le peuple. Mais c’est un bon choix. Alors, je vais me prêter à vos questions après avoir abusé de votre patience.
[ Le Modérateur: Première question, Normand Girard. M. Girard (Normand): M. le premier ministre, vous avez été tellement précis, tellement élaboré et tellement éloquent sur la réalisation de votre gouvernement que je pense que je voudrais vous amener sur un autre sujet, pour me faire éclairer. J’ai deux petites questions là-dessus. Est-ce que le mandat, là… Vous êtes le fondateur du Bloc québécois, à Ottawa. Est-ce que le mandat du Bloc québécois, à Ottawa, là, ça consiste à faire le promotion de la souveraineté ou à faire la promotion du partenariat, ou les deux, et, si on fait les deux, comment on le fait ensemble? Puis ma deuxième question, c’est: Est-ce que vous êtes d’accord pour que les péquistes investissent le Bloc?]
[ M. Bouchard:] Alors, le mandat du Bloc québécois, c’est d’abord le mandat que se donnent tous les souverainistes: c’est de faire la souveraineté. L’objectif, c’est la souveraineté. Et l’une des modalités, qui ne conditionne aucunement l’accession du Québec à la souveraineté, c’est le partenariat. Donc, on n’est pas dans les mêmes ordres, on n’est pas dans les mêmes catégories, quand on parle de la souveraineté puis du partenariat. La souveraineté, c’est l’objectif. C’est celui qu’on va atteindre, qu’il y ait partenariat ou pas. Le partenariat, c’est une modalité. C’est une main tendue au reste du Canada. Donc, le Bloc doit, comme le Parti québécois, comme tous les souverainistes, travailler à l’avènement de la souveraineté, l’expliquer, la faire arriver, mais, en même temps, comme il est à Ottawa, c’est vrai que, pour le Bloc, il y a un mandat additionnel qui est tellement plus immédiat, tellement plus naturel.
Le Bloc est à Ottawa, dans l’enceinte fédérale. Les députés du Bloc sont des députés fédéraux, ont des points — on appelle ça des points, là, à Ottawa — pour se promener partout au Canada, en n’importe quel temps. Ils peuvent aller partout. Et, donc, ils ont les moyens — non pas seulement le mandat, je dirais, institutionnel — mais ils ont les moyens financiers qui leur sont garantis par l’État fédéral de se promener partout au Canada, de faire des discours, de rencontrer des gens puis d’expliquer ce que c’est que le partenariat. D’expliquer que, au lendemain de la souveraineté, il y aura un lendemain aussi pour le Canada anglais, qu’il y aura un lendemain nécessaire pour nous tous d’avoir des relations économiques fécondes, et que les premiers qui vont le demander, c’est les gens de l’Ontario, qui ont une balance favorable d’exportations au Québec, de 3, 4000000000 $ par année. Il y a des milliers d’emplois là-dedans pour l’Ontario. Que, donc, il faut préparer le lendemain, la suite des choses. Et le Bloc a ce genre de mandat-là. Comment il le fait? Bien, là, les chefs, les candidats, les candidates, vont peut-être différer d’opinion. Ce sera un débat de leadership. Deuxièmement, investir le Bloc québécois. Je n’aime pas l’expression parce que «investir», ça veut dire «assiéger». Ça veut dire assiéger. Alors, il ne s’agit pas d’assiéger le Bloc. Il ne s’agit pas de le noyauter. Il s’agit de l’appuyer. Il s’agit d’en faire partie. Parce qu’il y a beaucoup de péquistes qui sont membres du Bloc. Il y en a qui ne le sont pas, aussi, péquistes, dans le Bloc. C’est un parti frère, c’est un parti allié qui va travailler, donc, en étroite alliance avec le Parti québécois. Donc, c’est un appui inconditionnel, intense que le Parti québécois va donner au Bloc, et je ne voudrais pas que le Bloc pense qu’il y a quoi que ce soit de péjoratif là-dedans. Ce n’est pas une appropriation du Bloc, ce n’est pas une invasion du Bloc, c’est un appui solide, un appui fraternel.
[ Une voix: Merci.
M. Authier (Philip): Prochaine question: Robert Houle, Radio-Canada.
M. Houle (Robert): Parlant du Bloc, M. Duceppe vient de fixer une barre assez limitée: il se fixe comme objectif d’aller chercher 30 à 40 députés, 38 qu’il a dit; ce n’est pas beaucoup. En même temps, il y a un sondage qui démontre que la popularité du gouvernement ici est en baisse. Donc, on peut dire que depuis un an, les souverainistes au Québec, depuis le référendum, reculent en termes de popularité, même en termes d’objectifs qu’ils se fixent. Comment est-ce que ça s’explique, cette baisse de popularité importante au sein du Bloc? Et même au sein de votre propre gouvernement, actuellement, il y a des sondages qui montrent que ça descend constamment.]
[ M. Bouchard:] Bien, je parlerai pour le Parti québécois et pour le gouvernement. Le gouvernement a encore la confiance de la population, la confiance très large. Il y aurait une élection aujourd’hui, tout le monde sait qu’on se ferait élire, et fortement, et on ferait une campagne électorale. Non. Si c’était uniquement ça qui était le critère, on ferait des élections immédiatement, là. Si on avait une perception égoïste, une perception partisane de la situation, on ferait des élections et on irait chercher une victoire électorale.
Mais qu’il y ait des fléchissements dans le taux de popularité du gouvernement, bien, mon Dieu, c’est normal, c’est tout à fait normal. Moi, je me serais attendu même à pire que cela. Regardez ce qu’on fait, regardez qui on attaque: tout le monde, on touche à tout le monde. Alors…
[ M. Girard (Normand): Mais ce n’est pas ce que vous avez dit dans votre résumé tantôt.]
[ M. Bouchard:] Qu’est-ce que j’ai dit?
[ M. Girard (Normand): Quand vous avez fait le bilan du gouvernement.]
[ M. Bouchard:] J’ai dit qu’on a l’appui de la population et que la population nous fait confiance, peut-être pas autant que quand j’ai été assermenté, par exemple, mais elle nous fait confiance, parce que là, c’est sûr qu’elle vit la situation. La population est en situation, elle la vit. Elle a découvert aussi l’ampleur du sacrifice qu’il faut faire, et ça, c’est un effet également de notre franchise, parce que ces deux sommets que nous avons tenus ont été précédés d’une publication sans précédent, je dirais brutale de la situation du Québec telle qu’elle est. Alors, de ce point de vue, moi, je suis convaincu — d’ailleurs, les chiffres le montrent — qu’on a l’appui de la population. La population, elle trouve que c’est dur. Elle nous dit: Allez-y, on veut que vous y alliez; essayez de nous ménager un peu en y allant. C’est ça, c’est le message qui nous est envoyé. Je le comprends. On va essayer, on va tout faire. D’ailleurs, vous voyez l’équilibre qu’on fait dans les programmes sociaux, dans le progrès social et dans les mesures de compressions de dépenses.
Pour le Bloc, bien écoutez. Le Bloc, c’est au lendemain d’une défaite référendaire, hein. Il ne faut pas oublier qu’on a failli gagner. On est sortis de là avec la conviction que la prochaine fois serait la bonne. On est tellement près du but que quand les moteurs vont être réchauffés à nouveau, là, l’avion va décoller, hein.
Mais là au lendemain d’un référendum où on a un gouvernement, ici, des souverainistes qui ont accepté la responsabilité de sortir l’État du pétrin où d’autres l’ont mis, il est évident qu’il y a une période d’attente, puis de toute façon il n’y a pas de combat imminent.
Les souverainistes ils sont dans le Bloc. Je le sais ça. Je l’ai vu tout le temps. Les souverainistes ils sont dans le Bloc ou dans le Parti québécois parce qu’ils veulent le combat référendaire. Ils veulent faire la souveraineté. Quand ils se rendent compte qu’il n’y a pas imminence de combat, bien là la machine est obligée de tourner à vide, puis ce n’est pas facile, hein, ce n’est pas facile pour eux autres. Alors, ils attendent le moment où on pourra relancer le combat référendaire. Moi aussi je l’attends avec impatience. Il ne faut pas penser que j’attends ça facilement. Je l’attends avec beaucoup d’impatience mais je sais qu’il y a une telle chose que la responsabilité gouvernementale et que la population attend de nous, même si elle trouve ça dur, elle attend de nous que nous sortions le Québec des ornières où il s’est fourvoyé et que nous redonnions à l’État du Québec un sens d’espoir, un sens de latitude, un sens de liberté de choix et d’actions. La population sait ce qu’elle veut, puis on va le lui donner.
[ M. Authier (Philip): Sylvain Théberge.
M. Théberge (Sylvain): M. Bouchard. Je vais poser la question un peu crûment. Quelle est l’utilité ou la pertinence, à votre avis, du texte qu’a publié M. Parizeau? ]
[ M. Bouchard:] C’est une contribution à la réflexion politique. C’est ça. C’est une contribution à la réflexion politique.
[ M. Authier (Philip): Michel.
M. David (Michel): Oui. Dans le texte de M. Parizeau on peut lire la phrase suivante: «On ne vend pas la souveraineté en la cachant.». Est-ce que vous cachez la souveraineté, M. Bouchard, et est-ce que dans la tournée que vous proposez de faire à travers le Québec dans l’année qui va venir vous allez en parler? ]
[ M. Bouchard:] J’en parle tout le temps. J’en ai surtout parlé durant le référendum. J’ai été invité à participer au référendum. J’ai répondu à l’appel de M. Parizeau durant les trois dernières semaines. J’en ai parlé un peu, je pense.
[ M. David (Michel): Mais depuis le référendum vous en parlez pas mal moins. ]
[ M. Bouchard:] Bien, je suis au gouvernement, puis je parle… C’est que dans la même phrase je ne peux pas expliquer qu’on coupe 2500000000 $, puis dire: On fait demain matin un référendum, là. Alors, c’est… J’ai expliqué très clairement. Les gens ont très bien compris qu’il y a actuellement une priorité. Quand les gens s’inquiètent de l’emploi qu’ils ont, quand les gens s’inquiètent de voir leurs enfants décrocher de l’école ou alors aller au bout de leur cours universitaires et chômer, quand les gens voient leurs beaux-frères, leurs belles-soeurs revenir à la maison en chômage, les gens se disent: Bien là, il faudrait peut-être remettre le monde au travail. Puis quand ils voient l’État endetté, puis étouffé, puis enfirouâpé dans ses dettes et ses déficits, les gens disent: Là, il faudrait peut-être mettre de l’ordre là-dedans. Et je sais très bien, comme souverainiste, que, durant le débat que nous avons eu l’an dernier, la question des finances publiques a été au coeur des inquiétudes de ceux qui voulaient voter oui, mais qui n’ont pas voté oui à la dernière minute. Je le sais, ça. Moi, je veux que, quand on fera le prochain référendum, la question des finances publiques soit un plus pour les souverainistes et non pas un moins et que les gens disent: Le Québec est capable de s’administrer, le Québec peut trouver en lui-même les sources vives, les forces pour assumer ses responsabilités d’État. Le Québec n’aura pas besoin du fédéral pour contribuer à ses ressources fiscales. Le Québec ne sera pas à genoux devant le fédéral quand il négociera le partenariat parce que le déficit va être zéro et il sera zéro à Ottawa, d’ailleurs. Zéro plus zéro égale zéro. À ce compte-là, il n’y aura même pas de déficit au lendemain de la souveraineté. Ce n’est pas pareil à la situation où on était avant, avec tout le débat compliqué qu’on a eu, ou qu’on n’a pas eu, d’ailleurs, sur la question du déficit.
Alors, moi, je dis que, pour toutes les raisons du monde, tous les Québécois et les Québécoises doivent faire leur ménage dans leur maison collective. Même les fédéralistes ont intérêt à le faire aussi parce que, sur quelque base qu’on puisse construire l’avenir du Québec, qu’on le construise sur une base de participation au régime fédéral ou qu’on le construise sur une base d’État souverain, il faut que la base soit solide. Personne ne va me dire que ce n’est pas important pour les jeunes d’aujourd’hui que l’avenir du Québec repose sur des solages de robustesse, de responsabilité financière et de relance de l’économie. Alors, là, on travaille pour tout le monde. Et quand le moment va arriver, quand l’heure du choix démocratique sonnera, la démocratie parlera. Elle le fera parce qu’on pourra faire des choix. Parce qu’il y aura des choix possibles. Il n’y en a pas, actuellement, des choix possibles. On le sait. Il n’y en a pas. Le seul choix c’est de faire l’effort ou de ne pas le faire. Alors, nous, on a choisi quoi faire.
Cela mis à part, on ne peut pas faire de choix actuellement. Mais quand l’heure du choix arrivera, on pourra le faire librement, à partir de ce qu’on a dans le coeur pour l’avenir du Québec, de ce qu’on souhaite pour le Québec.
[ M. David (Michel): Une dernière question. Toujours dans le texte de M. Parizeau. Il souligne le danger qui consiste à entrer dans la tête des gens que la souveraineté, ce n’est pas bon pour l’économie. Alors moins on en parle, plus les gens se disent: Si on n’en parle pas, c’est parce que ce n’est pas bon. ]
[ M. Bouchard:] Je ne veux pas engager un débat avec M. Parizeau. Je pense que vous l’avez compris. Je ne veux pas engager un débat avec M. Parizeau. Je «pourrais-tu» vous répéter que je ne veux pas engager de débat avec M. Parizeau? Parce que M. Parizeau est un allié souverainiste et je crois à l’unité des forces souverainistes. Je crois que nous devons rester ensemble et que nous ne devons pas engager de polémiques publiques les uns avec les autres. Moi, je ne le ferai pas. Je ne le ferai pas.
[ M. Plante (Bernard): Êtes-vous quand même soulagé que M. Parizeau ne soit pas candidat à la chefferie du Bloc québécois?]
[ M. Bouchard:] Ça ne m’aurait pas du tout embarrassé que M. Parizeau devienne candidat. Ça ne m’aurait pas du tout embarrassé. Pas du tout.
[ M. Plante (Bernard): Ma question. Vous avez parlé d’aller vendre, finalement, sur le terrain, cette tournée du Québec pour vendre et tout ça, vous allez le faire, bien sûr, avec l’équipe ministérielle. Il y a certains accrocs qui ont pu apparaître. M. Landry vous a contredit à quelques reprises en public, Mme Harel, M. Chevrette…]
[ M. Bouchard:] Bien…
[ M. Plante (Bernard): …envoyaient leurs lettres aux journaux. Est-ce que vous sentez le besoin de mettre un peu de l’ordre du côté du cabinet? Est-ce que vous sentez le besoin, par exemple, de procéder à un remaniement ministériel?]
[ M. Bouchard:] Écoutez, d’abord, moi, je trouve que nous avons un cabinet qui est remarquablement uni. Pensez à ce que nous faisons actuellement, aux décisions que nous prenons. Cette semaine, par exemple, et la semaine dernière, on a pris des décisions d’une importance cruciale concernant les instruments de développement du Montréal métropolitain. On a adopté, cette semaine, un cadre de référence pour la régionalisation et la centralisation, ça va être rendu public bientôt, au mois de janvier. Puis, vous savez tous ce qu’on fait, là, et le cabinet et le caucus sont remarquablement unis.
Moi, je regarde ce qui se passe ailleurs puis aux difficultés que nous traversons puis, moi, je suis très content de la cohésion du caucus et du Conseil des ministres. Qu’il y ait des «scrums» où les mots ne sont pas les mêmes quand on répond aux questions, vous savez, c’est tout à fait normal, ça. Mais, je peux vous assurer que, d’abord, au plan personnel, on a des rapports extrêmement courtois, je dirais très conviviaux, même très amicaux, entre nous. Et, puis, quant aux objectifs qu’on poursuit, on les partage tous, il n’y a personne qui y déroge. Alors, les accidents de parcours, les accidents verbaux, il n’y en a d’ailleurs pas tellement eu, ça me paraît minime, tout à fait minime. Alors, pour le moment, je ne pense pas à ça. Autrement dit, je ne m’en vais pas chez nous, aux Fêtes, en pensant à un remaniement, je ne penserai pas à ça.
[ Le Modérateur: Dernière question, Paul Larocque.
M. Plante (Bernard): En revenant?
Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Bien, en revenant, d’abord, je vais penser à vous autres, en revenant.
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Non, non, mais ce n’est pas dans les cartes. Honnêtement, là, si je vous disais que je pense à un remaniement, non, je ne pense pas à ça.
[ M. Larocque (Paul): Mais, en sous-question, M. le premier ministre, est-ce que vous aurez le même cabinet au retour en mars que vous avez à l’heure actuelle?]
[ M. Bouchard:] Ah, oui, je le pense, oui. Non, ce n’est pas dans… Évidemment, il y a peut-être des… On va évaluer tout ça. J’ai l’intention qu’on s’assoit, tous les ministres ensemble, si possible, sans journalistes aux portes, quelque part au mois de janvier, j’aimerais qu’on prenne une journée, vous savez, en bras de chemise, pour se parler, sans dossier, on va essayer de faire ça à un moment donné. Mais, je vous le dis, là, actuellement, je ne pense pas à ça. Je ne vois pas pourquoi je devrais y penser, en plus. En cours de route, il peut y avoir des ajustements. Par exemple, l’autre jour, on a fait quelques changements mineurs dans la réaffectation des responsabilités ministérielles pour la famille mais, pour le moment, je n’ai rien de précis en tête.
[ M. Authier (Philip): Merci.
Une voix: Prenez-vous des vacances?
Une voix: Joyeux Noël.]
[ M. Bouchard:] Oh! Joyeux Noël. Ah oui.
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] C’est ça. Joyeux Noël à tous. Mais je voudrais saluer Philip Authier qui quitte Québec en lui souhaitant bonne chance…
[ M. Authier (Philip): Merci.]
[ M. Bouchard:] …dans les fonctions qu’il va assumer à Montréal…
[ Des voix: And Peter Ray.
M. Bouchard: And Peter Ray?
Une voix: Tout le monde s’en va.]
[ M. Bouchard:] Tout le monde s’en va oui?
[ Une voix: …des anglophones puis ils s’en vont négocier le partenariat…]
[ M. Bouchard:] Ils s’en vont à Montréal? Non sans farce là, bonne chance à ceux qui ont été ici puis qui nous quittent, et puis essayez de vous reposer durant les Fêtes et de ne pas trop penser à nous autres.
[ Une voix: …]
[ M. Bouchard:] Je vais rester au Québec. Je vais aller une couple de jours au Saguenay avec ma mère évidemment, Audrey et les enfants, puis je vais rester à Montréal. On va aller au cinéma puis on va faire des dessins puis on va jouer au Monopoly.
[ Une voix: Vous ne faites pas laminer les 5 $?
Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Merci.
[ Une voix: Est-ce qu’il est laminé, là?]
[ M. Bouchard:] Oui, je pense qu’ils l’ont fait. Je vais l’avoir là…
[ Une voix: Alors on vous souhaite de Joyeuses Fêtes et puis Bonne Année 1997 puis la santé.]
[ M. Bouchard:] Merci beaucoup. Merci. Merci bien.
[(Fin à 13 h 16)]
[QBOUC19970321cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre Entente concernant les négociations dans le secteur public Le vendredi 21 mars 1997]
[(Dix-huit heures trente-neuf minutes) ]
[ Le modérateur: On dispose de 20 minutes pour répondre aux questions. On va commencer par les questions en français, s’il vous plaît. Donnez-moi vos noms.
M. Larocque (Paul): Qu’est-ce qui, à votre avis, a fait débloquer? Il restait des gros bouts qui traînaient encore dans le décor hier soir. Qu’est-ce qui a fait en sorte que ça a débloqué?
Est-ce que le gouvernement a jeté du lest sur certaines choses? Estce qu’il y a, enfin, des concessions que vous avez été forcés de faire, au cours de la nuit, pour arracher le deal en question?]
[ M. Bouchard:] Nous avons fait des ajustements, je dirais, surtout techniques, essentiellement techniques, pas très nombreux. Mais, quand même, certains ajustements qui nous ont maintenus dans la trajectoire des objectifs que nous poursuivons en termes de compressions budgétaires et la diminution de coûts de main-d’oeuvre.
Non, je crois que c’est un mur, vous savez? C’est une dynamique assez difficile à décrire que celle de ce genre de démarche. Il faut quand même se rappeler que ça dure déjà depuis près d’un an, que ça a été lancé à l’automne et que ça a connu une recrudescence d’une grande intensité en décembre, et que ça a repris aussitôt après les fêtes et que, depuis, ça ne cesse de croître en termes de présence actuelle. Et il faut penser aussi qu’on discute de la question de façon publique, d’une façon très élaborée, très présente. C’est au coeur de la vie collective québécoise, maintenant, ce débat-là depuis plusieurs mois, avec l’intensité des délais qui étaient inexorables et tout ça, ça constitue une sorte de tension qui s’accumule et qui fait qu’à un moment donné, l’éminence des décisions à prendre nous amène à des points de convergence. Ça se passe comme ça. Et le moment-clé, c’était justement hier soir. C’est évident.
[ M. Larocque (Paul): Une question pour la petite histoire. C’est vrai ce qu’on raconte? Vous avez négocié toute la nuit avec…]
[ M. Bouchard:] Oui. Après le caucus d’hier soir. D’abord, les gens pensent parfois que c’est planifié tout ça. Mais c’est tout à fait étonnant de voir à quel point les choses, parfois, tombent en place sans être planifiées parce qu’il n’est pas de l’essence de ce genre de démarche et de dynamique de les planifier. En sortant du caucus, je savais que je devais rencontrer Mme Pagé et nous nous dirigions dans le tunnel, vers le bureau où nous devions la rencontrer, et Gérald Larose m’a appelé sur un cellulaire pour me dire: On nolise un avion à Montréal et puis on va être là aux environ de 1 heure, 1 h 30, cette nuit. Puis on descend avec des mandats pour régler. On veut régler mais c’est moi qui veux négocier directement et je veux régler sur place. Alors, je lui ai dit: Très bien. On a commencé à travailler avec Mme Pagé. Et puis il s’est avéré qu’il y avait des possibilités de présenter des options, deux options de règlement pour la CEQ, toutes les deux étant acceptables à la CEQ et à nous. On en a choisi une. La CEQ est partie avec celle-là. On l’a rediscutée, on a fait certains réaménagements et, finalement, dans le courant de la nuit, Mme Pagé nous a envoyé une copie du communiqué qu’elle rendrait public ce matin à 8 heures, constatant qu’il y avait entente de principe et qu’il y avait engagement de recommander. Et puis, il y a eu un peu de superposition parce que, entre-temps, la CSN est arrivée de Montréal et puis là, on a ensuite commencé les discussions avec la CSN. J’ai remarqué ce matin, mes notes, on a commencé à 1 h 25, cette nuit, avec Gérald Larose et son groupe, et puis, ça, ça a duré jusqu’à 7 heures. C’est seulement à 7 heures ce matin que nous sommes arrivés à une entente de principe. Vous savez comment ça se passe. Il y a tellement de consultations à faire pour tout le monde. Alors, rencontres, discussions, 5, 10, 15 minutes, une demi-heure, puis là, on se sépare pour faire nos consultations de part et d’autre. Et la nuit s’est écoulée comme cela jusqu’à ce qu’à 7 heures du matin, Gérald Larose et moi, en tête à tête, finalement — il y avait certains détails à régler — on a réglé et puis il y a eu un engagement de recommandé parce que, moi, je trouvais que ce qui était important, au stade où on était, c’est qu’il y ait un engagement de recommandé. On était rendu là. Ça s’est passé comme ça.
[ Le Modérateur: Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, c’est vrai qu’il y a eu des ententes en cascades aujourd’hui, mais, justement, ces mêmes chefs syndicaux qu’on a aussi rencontrés par la suite, cet après-midi, en succession… Je pensais un peu à ce que vous disiez. Vous parliez d’une belle journée aujourd’hui pour le consensus, pour la solidarité, mais ces gens-là nous parlaient aussi… Par exemple, j’ai entendu des expressions comme: Non, ce n’est pas une belle journée, c’est plutôt une journée pour une espèce de décote sociale. J’ai entendu des expressions comme: coup de force odieux. Ces mêmes chefs syndicaux avec qui vous avez négocié, entre autres, la nuit dernière, qui dénonçaient le processus qui a été utilisé pour arriver à ces ententes. Qu’est-ce que vous dites de ça?]
[ M. Bouchard:] Bien, d’abord, on ne sait pas qui a dit ça, là, puis dans quel contexte…
[ M. Thivierge (Jean): Bien, il y a M. Larose, Mme Pagé, M. Serge Roy.]
[ M. Bouchard:] …mais, moi, ce que je peux dire, c’est que ces rencontres-là se sont déroulées dans un climat très respectueux, très correct, très positif, puis il n’y a pas eu de gros mots d’échangés. Le ton est toujours resté même, je dirais, très professionnel. Parce que ce sont des parties assez lourdes de conséquences, mais ça s’est passé dans un contexte tout à fait adéquat. Jacques était présent, Pauline Marois s’est jointe à nous pour ce qui est de la CEQ. Je peux vous assurer que ça s’est passé, même, dans la courtoisie. Mais n’oubliez pas une chose, c’est que ce n’est pas une opération facile que nous avons réussie ensemble, les partenaires syndicaux et nous. Aujourd’hui, le gouvernement du Québec a diminué, pour tout le temps, de 1500000000 $ ses dépenses de main-d’oeuvre. Ça s’est fait…
Non, mais 800000000 $ pour les syndiqués, mais en même temps, il y a une extension qui fait que l’opération globale sur la main-d’oeuvre va être de 1500000000 $. Ça s’est fait en pleine convention, là, avec des signatures, avec les syndiqués à la hauteur de 95 % à peu près. Et puis les autres, ça négocie présentement. Ça négocie intensément. Et n’allons pas préjuger d’un échec. On sait ce que c’est quand ça négocie intensément puis que les gens se parlent à la dernière minute, puis qu’ils se parlent des vraies affaires, là, il y a toujours des chances que ça réussisse.
Moi, je pense que c’est une belle journée, pas une journée pour pavoiser parce qu’il est évident qu’il y a des sacrifices importants qui ont été faits par le personnel syndiqué de l’État. Ce n’est pas rien, là, la contribution qui leur a été demandée puis qu’ils ont accepté de verser. Mais c’est une belle journée, par exemple, au plan de la solidarité puis au plan de la convergence de vues à laquelle nous sommes arrivés, qu’il fallait que chacun fasse son effort et que c’est de cet effort que naîtrait une résurgence du Québec, du grand projet québécois et du redémarrage de l’économie, de la création d’emplois.
Moi, je suis convaincu que la journée que nous venons de faire est une journée déterminante pour l’avenir du Québec. Et, dans ce sens-là, c’est une belle journée parce que le résultat est là. Il est positif et il est assis sur la démocratie syndicale, sur le dialogue. C’est sûr qu’il y avait un contexte de tension. Mais c’est à cette loi qu’obéissent les relations patronales syndicales, aussi. Il y avait un aspect patronal-syndical là-dedans, quoique minime, parce que, pour moi, c’était beaucoup plus une question de débat de société qu’une question de relations patronales-syndicales.
Oui, moi, je pense que c’est une belle journée pour le Québec, dans le sens des fruits qu’elle va porter et du fait qu’elle repose sur un accord, sur la capacité que nous avons eue de conclure une entente. Je crois que, ça, c’est une journée très positive pour le Québec.
[ Le Modérateur: Sylvain Théberge.
M. Théberge (Sylvain): M. Bouchard, mon collègue vous parlait des chefs syndicaux. Moi, je voudrais vous parler des syndiqués. Dans une multitude d’entrevues, aujourd’hui, dans les écoles, dans les hôpitaux, on n’a pas ressenti nécessairement une grande colère, mais beaucoup d’amertume, et ça dure longtemps, parfois, l’amertume. Qu’est-ce que vous répondez à ces gens qui ont l’impression d’avoir signé le couteau sur la gorge? ]
[ M. Bouchard:] Bien, moi, ce que je leur réponds, c’est que, quand je dis que c’est une belle journée, ce n’est pas une belle journée pour les députés puis les ministres de se couper de 6 %. N’oubliez pas qu’on va être probablement les seuls, nous, à subir une baisse de salaire, dans tout ça. Dans toute cette grande opération, là, d’aujourd’hui, les seuls qui, véritablement, à mon avis, vont être irrémédiablement assujettis à une diminution de salaire, c’est nous. Et puis nous sommes des individus puis, nous aussi, on a des budgets puis des comptes de banque. Bon. Ce n’est pas agréable, ça, mais on l’a fait, nous aussi. Nous aussi, on l’a fait. On l’a fait ensemble.
Et, dans le cas des salariés de l’État, il y a eu des aménagements extrêmement imaginatifs et très élaborés qui ont été conçus pour leur permettre de garder leur emploi, de garder leur sécurité d’emploi, de garder leur salaire, de garder les hausses de salaire qui sont prévues, de maintenir le régime de retraite, et de permettre à des gens qui veulent partir, qui veulent prendre leur retraite, de le faire volontairement, en profitant d’une retraite qui est généreuse, qui a été très généreusement améliorée. Et puis, en plus, comme on pense qu’il va en partir plus que 15000 — on est certains, nous, qu’il va en partir 2000, 3000, 4000 de plus — qu’il y aura l’embauche puis qu’on pourra avoir un apport nouveau de jeunes qui vont entrer dans la fonction publique, dans l’éducation, dans la santé. Moi, je trouve que c’est une belle journée pour le Québec, ça.
[ M. Théberge (Sylvain): Donc, ce sentiment-là, il n’est pas justifié?]
[ M. Bouchard:] Je veux dire qu’il y a un sentiment… Moi, vous savez, quand je vais rentrer chez moi demain puis que je vais dire à ma femme: Regarde le budget, il y a 6 % de moins, elle ne sautera pas en l’air, là. Je les comprends, mais je les comprends de devoir faire un sacrifice parce que le sacrifice chez eux, il n’est pas dans le salaire, mais il est dans le fait que les conditions de fonctionnement au travail sont modifiées, il y a plus de souplesse, mais, encore une fois, il y a eu une sélection extrêmement fine qui a été faite des mesures pour leur permettre d’améliorer leur sort. Écoutez, ce n’est pas un hasard si 550 infirmières du SPIIQ — une déléguée à la réunion d’aujourd’hui — ont unanimement voté l’accord qui leur a été présenté. Ce n’est pas un hasard, c’est parce qu’ils ont trouvé leur compte aussi. Ce n’est pas un hasard si la CEQ, enseignants primaire et secondaire, a décidé d’entériner l’accord, c’est parce qu’ils ont vu que c’était une façon correcte de faire les choses et de répartir la contribution à l’effort collectif. Et dans ce sens-là, oui, c’est une belle journée.
[ M. David (Michel): M. Bouchard, est-ce qu’il y a un moment dans les derniers jours ou semaines où vous avez pensé que ça pourrait ne pas marcher?]
[ M. Bouchard:] Bien sûr, tout le long. C’était très risqué tout ça. Moi, je ne misais pas forcément sur la réussite de l’accord consensuel. Cependant, je me dis qu’il fallait déployer tous les efforts et multiplier la mise en condition qui permettrait un accord consensuel. Mais vous avez raison de laisser entendre, comme je le concède, que je n’étais pas du tout assuré du résultat. C’était éminemment risqué, c’était la corde raide tout ça, hein. C’est beaucoup de tension, là. On vient de vivre une période longue et très difficile au point de vue de la tension puis les inquiétudes que ça nous a inspirées.
[ M. David (Michel): Mais qu’est-ce qui serait arrivé?]
[ M. Bouchard:] Il y avait une loi spéciale qui était à adopter, qui aurait été adoptée.
[ M. David (Michel): Mais pour la suite des événements, là, comment le…]
[ M. Bouchard:] Bien, je pense qu’il aurait fallu continuer d’expliquer le bien-fondé de la démarche gouvernementale qui ne s’inspire pas de considérations égoïstes et encore moins partisanes, mais qui s’inscrit sous la rubrique de l’intérêt public de la nécessité de redonner aux Québécois un État libre de ses contraintes financières, affranchi des camisoles de force qu’on était en train de lui passer pour qu’il puisse récupérer sa capacité de faire des choix et d’assumer ses responsabilités vis-à-vis ses missions essentielles de l’éducation et de la santé. C’est pour ça qu’on l’a fait. Pensez-vous qu’on a pris ces risques-là puis qu’on s’est imposé ces préoccupations où on a à peu près tout risqué: la crédibilité du gouvernement, la capacité de continuer à gérer, que c’est parce qu’on pensait qu’on devait le faire?
Mais on pensait aussi qu’il y avait une façon de le faire, qu’il fallait l’expliquer à la population, qu’il fallait l’expliquer à nos vis-à-vis syndiqués et syndicalistes et qu’il y avait nécessité de le faire sous l’angle du dialogue. Et je crois que c’est finalement ça qui a emporté le résultat qu’on connaît aujourd’hui, c’est que c’est sous l’angle du dialogue que nous avons abordé la question.
On ne s’est pas dit en partant: On passe une loi spéciale. On n’a pas commencé à dresser un compte à rebours puis un cheminement critique qui nous amène à une loi spéciale. On s’est dit: Il faut convaincre la population. C’est ça qu’on s’est dit d’abord. D’abord, il faut se convaincre nous-mêmes. Ce n’est pas évident dans un parti, puis dans un caucus, puis dans un Conseil des ministres. Ce n’est pas des choses faciles. Il faut s’en convaincre puis ensuite, il faut convaincre la population, il faut convaincre les syndiqués et puis il faut qu’on vienne tous ensemble à la conclusion que c’est un effort que nous devons faire, nous devons montrer l’exemple, nous devons faire partie de l’opération. Il faut l’élargir à tous les personnels, il faut que les juges contribuent, il faut que les médecins contribuent, il faut que tout le monde contribue. Je pense que c’est pour ça qu’on a réussi: Parce qu’on l’a fait dans l’équité, qu’on l’a fait en payant de notre personne nous-mêmes puis qu’on l’a fait sous l’augure du dialogue et du respect des gens.
[ Le Modérateur: Prochaine question à Michel Cormier.
M. Cormier (Michel): M. Bouchard, est-ce que vous ne venez quand même pas de toucher à l’intégrité du processus de négociation dans le sens où il y a bien des syndiqués dans les hôpitaux, les écoles qui disent aujourd’hui: On ne pourra pas négocier la prochaine convention en toute confiance parce que le gouvernement pourrait revenir un an après et imposer des nouvelles conditions ou même les négocier, mais rouvrir tout ça?]
[ M. Bouchard:] Vous savez, j’ai été frotté un peu à ces questions-là durant ma carrière professionnelle et, moi, j’en suis venu à la conclusion… Je rejoins ce que vous laissez entendre par votre question, que la situation actuelle est très dangereuse; elle n’est pas acceptable. Il est tout à fait inacceptable que les salariés de l’État en finissent par ne plus avoir confiance dans les conventions qu’ils signent, finissent par ne plus accorder de crédibilité au processus de négociation. C’est très mauvais, c’est très malsain.
Pourquoi c’est arrivé comme ça? C’est parce qu’au cours des 25, 30 dernières années, où on a commencé à négocier avec des fronts communs, il y a eu des négociations extrêmement difficiles qui se sont inscrites sous la rubrique du rapport de force et, très souvent, l’État s’est retrouvé en situation de vulnérabilité et a été appelé, année après année, à faire des concessions qui, en s’accumulant, ont fini par constituer des conventions extrêmement rigides, extrêmement difficiles à mettre en vigueur. Et après avoir signé, les gouvernements réalisaient, se rendaient compte qu’ils n’avaient pas le moyen souvent de payer ce qu’ils avaient donné ou alors que les rigidités internes des conventions compromettaient l’atteinte de la finalité des services à rendre, par exemple, en termes d’efficacité, et il y avait toujours le désir de revenir, donc flux et reflux. Et c’est comme ça qu’on a créé la tradition de l’instabilité des conventions.
Ce que nous faisons présentement, nous le faisons en cours de convention. Et je suis convaincu, moi, que c’était essentiel que nous obtenions une signature parce que ça va nous permettre de régler le problème pour tout le temps. Moi, l’argument que j’invoquais, quand je rencontrais les vis-à-vis syndicaux, c’était de leur dire: J’ai dénoncé le problème que vous avez évoqué et la seule solution, c’est de régler le problème pour tout le temps, donc d’aller dans les conventions, d’en extraire les rigidités qui font problème, et puis d’abaisser le niveau des coûts de main-d’oeuvre pour qu’ils soient tolérables pour l’État du Québec, pour tout le temps.
Et c’est pour ça qu’il fallait que ça soit récurrent. Vous avez noté l’expression «récurrente», qu’on a utilisée à satiété. Il faut absolument que ce ne soit pas un coup qu’on donne, puis, après ça, on se retrouve, l’année prochaine ou dans deux ans, puis on recommence. Il fallait que ce soit quelque chose de structuré qui s’inscrive dans la suite des choses, pour tout le temps. Et c’est pour ça que c’est important, le genre d’ententes qu’on a faites aujourd’hui.
[ M. Cormier (Michel): Mais vous ne voulez pas, quand même, rétablir, rebâtir des ponts avec la base syndicale, là, rétablir un lien de confiance?]
[ M. Bouchard:] Moi, je pense qu’on l’a établi encore plus fort aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. Pour la première fois, l’État est allé chercher des signatures où il ne s’agissait pas de donner en plus, où il s’agissait de se répartir une contribution dans le cadre d’un effort collectif. Et, dans ce sens-là, le rapport de confiance nous paraît plus fort qu’il ne l’a jamais été, justement parce qu’il s’est fait par des signatures.
[ M. Larocque (Paul): Donc, plus jamais, M. le premier ministre, si je comprends bien, en termes de discussion…]
[ M. Bouchard:] Je ne veux plus jamais refaire une chose comme ça. Je ne plus jamais être obligé de faire une chose comme celle-là. D’abord, parce que c’est trop dur. C’est épouvantable. C’est extrêmement difficile à faire. C’est très, très dur. Puis ça mobilise beaucoup trop les énergies et les ressources d’un gouvernement. On a tellement de choses à faire, de dossiers en marche, de réformes à réaliser, qu’on ne peut pas passer la moitié de notre temps, là, à faire ce genre d’opération. Et puis, en plus, c’est un peu trop dur pour les nerfs à mon goût, puis, à un moment donné, là, il faut qu’on en sorte, mais c’est pour ça que je voulais qu’on le fasse: je voulais qu’on en sorte une fois pour toutes. Je pense que c’est un service qu’on a rendu, non pas seulement à notre gouvernement puis à la conception de conventions crédibles, mais à tous les gouvernements qui vont venir. Et je crois aussi que c’est un facteur qui est très important pour la stabilisation de notre société, par rapport au climat social, par rapport au sentiment de solidarité qui ne peut manquer d’en résulter.
[ Le modérateur: Question d’Élizabeth Thompson, suivie de Jean Thivierge.
Mme Thompson (Elizabeth): M. Bouchard, vous avez dit que tout le monde doit contribuer. Aujourd’hui, dans les points de presse, les leaders syndicaux ont l’impression qu’il y a au moins un groupe qui n’a pas vraiment contribué…]
[ M. Bouchard:] Lequel?
[ Mme Thompson (Elizabeth): …c’est-à-dire la Sûreté du Québec.]
[ M. Bouchard:] Il y a d’autres groupes qui n’ont pas contribué.
[ Mme Thompson (Elizabeth): M. Larose a dit que les gouvernements trouvent toujours des façons d’éviter de pénaliser la SQ. Qu’est-ce que vous répondez à ces…]
[ M. Bouchard:] Il y a d’autres groupes qui n’ont pas été affectés par la loi, les employés d’Hydro-Québec ne seront pas affectés par la loi, les employés de la SEPAQ ne seront pas affectés, les concierges de l’UQAM ne seront pas affectés par la loi, les policiers de la Sûreté du Québec ne sont pas affectés par la loi. Pourquoi? Parce qu’ils ont déjà fait leur effort récemment dans le cadre de la démarche de redressement des finances publiques. Et Hydro-Québec, ils ont consenti une diminution de leur masse salariale de l’ordre de 6 %. Et c’est pareil dans les autres établissements que j’ai mentionnés.
Et la Sûreté du Québec, à leur récente négociation, il a été convenu avec eux que c’était l’effort qu’ils devaient faire. Il s’est inscrit, en termes de masse salariale, quelque chose comme 4 %, 4,5 % — Jacques a les chiffres plus précis que moi — et puis il y a eu en plus des départs et il y a eu des assouplissements de convention, ce qui fait qu’ils ont amplement réalisé le niveau d’effort qui a été demandé aux autres. Et il se pourrait bien aussi, d’ailleurs, que, sans qu’on le sache, dans la liste des organismes qui sont mentionnés, il y en ait où les efforts acceptables et équivalents ont été faits et on a inscrit une disposition, justement, dans la loi pour nous permettre, comme gouvernement, d’apprécier les cas particuliers qui nous auraient échappés où, à l’instar des autres établissements que je viens de mentionner, SEPAQ, Hydro-Québec, Sûreté du Québec, il y aurait eu l’effort. On ne va demander deux fois l’effort aux gens. L’équité, ça suppose que tu fais ton effort une fois. Moi, je serais très malheureux qu’on me demande de souscrire un autre 6 % demain.
[ Le Modérateur: Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, après le budget de l’an dernier, les agences de notation financière avaient eu un jugement assez positif sur la situation des finances du Québec et ils ont pris note avec satisfaction du consensus du sommet de mars concernant le déficit zéro. On a vu l’allure de la gestion des finances publiques qui était examinée par ces gens-là et était prise en compte de façon positive.
Or, tout au cours de ce processus de négociation, il est arrivé plusieurs fois qu’on ait fait écho à une alerte à la décote financière du gouvernement du Québec pour justifier les gestes qui allaient se poser. Jusqu’à quel point disposiez-vous vraiment d’avertissements ou d’informations sérieuses à l’effet qu’une décote financière était sur le pas de la porte?]
[ M. Bouchard:] Bien, d’abord, nous avons eu des rencontres avec ces agences à l’occasion du budget de l’an dernier, quand je suis allé à New York — d’ailleurs, ils viennent ici régulièrement, hein, il y a des rencontres qui sont faites — et les rencontres habituelles qui concernent le budget chaque année ont eu lieu l’an dernier et l’évaluation qui a été faite en particulier, je crois que c’est Standard & Poor’s a conclu que nous étions sous observation. Et ça veut dire que ça veut dire. Les gens comprennent très bien que quand une agence de cotation dit d’un gouvernement qu’il est sous surveillance, qu’il est juste au seuil de la décote et que, s’il devait déroger aux engagements budgétaires qui ont été contractés, qu’il sera «décoté», on sait que ça veut dire ça. On sait ça. Et on sait que le Québec est au plus bas niveau du A et que la prochaine décote nous amène dans le B, avec au moins une agence. Et quand vous êtes dans le B, vous êtes coupé de l’accès aux principaux prêteurs, aux principaux approvisionneurs de fonds et vous êtes, à ce moment-là, limités dans l’accès que vous avez à des ressources pour emprunter. Et, deuxièmement, vous empruntez à des conditions extrêmement défavorables. Et, dans les cas limites, ça va jusqu’à obliger une province à demander au fédéral d’emprunter pour elle, comme Terre-Neuve a failli devoir le faire, il y a deux ou trois ans. Alors, il est évident qu’on est conscients de tout ça puis qu’on ne va pas s’exposer à cette vulnérabilité. Mais je crois que ce que nous venons de faire aujourd’hui est un geste éclatant du sens des responsabilités collectives que nous avons au Québec. C’est une démonstration de stabilité sociale qui, certainement, va montrer que le Québec est en route vers une robustesse collective beaucoup plus évidente qu’autrefois.
[ (Fin à 19 h 07)]
[QBOUC19970619cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre Bilan de la session Le jeudi 19 juin 1997 (Quatorze heures cinquante et une minutes)]
[ M. Bouchard:] Juste avant que Pierre prenne la parole, je voudrais féliciter votre nouvelle présidente de son accession à ses fonctions, mais je pense que, Pierre, tu pourrais étrenner la présidente, là.
[ M. Bélanger: Oui, c’est ça. On va voir ses talents de modératrice. Ha, ha, ha!.
La Modératrice: Alors, nous aurons une allocution, 20 minutes en français, Normand, et 10 minutes en anglais.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Bélanger: Alors, Mmes et MM. les journalistes, cette session aura été l’une des plus productives que nous ayons connues ces dernières années au plan législatif. Comme vous le constaterez, au terme de ce bilan, le gouvernement peut être particulièrement fier de son menu législatif. Pour ma part — et j’y reviendrai — au-delà du menu, ce qui me réjouit le plus c’est que cette somme de travail importante ait été accomplie sous l’empire du nouvel horaire.
Depuis l’ouverture de la session le 11 mars dernier, 63 projets de loi ont été adoptés par l’Assemblée nationale. Sans faire une nomenclature exhaustive de tous les projets de loi, laquelle d’ailleurs vous retrouverez en annexe, permettez-moi de parcourir rapidement la liste des principaux projets de loi adoptés cette session. Vous constaterez qu’au-delà des chiffres abstraits se dresse une action gouvernementale cohérente et soutenue. Alors, au niveau économique, évidemment, on a eu le projet de loi n 95, Loi instituant le Fonds de lutte contre la pauvreté; 102, Loi modifiant la Loi sur le régime de rentes du Québec; 103, Loi modifiant la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d’oeuvre; 104, Loi sur la diminution des coûts de la maind’oeuvre; 92, sur la Commission de développement de la métropole; 150, sur la création du ministère de l’Emploi et de la Solidarité; 65, au niveau des projets de loi à caractère social, Loi instituant au Code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale; projet de loi n 88, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail en matière de congé annuel; 144, Loi sur les prestations familiales; 145, Loi sur le ministère de la Famille et de l’Enfance; 194, Loi sur la divulgation de la rémunération des dirigeants d’entreprises, et je tiens à souligner que c’est un projet de loi d’ailleurs qui était présenté par un député, M. le député de Lévis, ce qui est quand même assez peu habituel dans notre parlementarisme et je suis très fier, comme leader du gouvernement, donc, un projet de loi d’un député a été adopté.
Projet de loi n 40, Loi modifiant la Charte de la langue française; projet de loi n 64, Loi modifiant la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes. On a eu projet de loi n 131, sur le ministère du Conseil exécutif concernant l’éthique et la déontologie. On a eu 125 aussi qui était attendu par les municipalités, une loi pour prévenir la criminalité. Et je crois qu’aujourd’hui on a terminé en beauté par un vote unanime, à l’Assemblée nationale, relativement à la loi n 109, Loi modifiant la Loi sur l’instruction publique. Pour ma part, j’aimerais qualifier d’extrêmement positive l’introduction du nouvel horaire. J’écoutais tout à l’heure le chef de l’opposition qui parlait que peut-être on n’avait pas eu assez de volume pour pouvoir vraiment juger du nouvel horaire. Premièrement, au niveau du nombre, c’est presqu’un précédent au niveau de 63 projets de loi. Quand on remarque aussi l’ampleur de certains projets de loi, l’envergure de certains projets de loi au niveau des réformes qui ont été accomplies par ces projets de loi, je crois qu’il est, en tout cas, il est faux de prétendre que le volume n’était pas là. Au contraire, on a eu un volume très considérable de projets de loi. Ce que je constate au-delà des économies substantielles que les modifications auront apporté, le nouvel horaire aura, je crois, contribué à réduire la fatigue et le niveau de stress en session intensive et, par le fait même, à faciliter le travail législatif des députés. Le nombre de projets de loi adoptés de cette session en témoigne. Évidemment, le fait que nous ne pouvions plus siéger la nuit, sauf exception, était un risque qu’acceptait de prendre le gouvernement. Je pense qu’en bout de course cela a été profitable. J’ajouterai aussi donc que l’image des députés s’en est trouvée améliorée. Il est clair que notre caucus souhaite que les changements apportés sur une base temporaires soient reconduits au mois d’octobre afin de conserver cet horaire sur une base permanente. Nous espérons que l’opposition officielle partagera le même point de vue. Un autre changement important a fait l’objet d’une expériencepilote et s’est avéré un succès. Encore une fois, le gouvernement a pris un risque en acceptant la création d’une nouvelle commission des comptes publics, d’autant plus que cette dernière était présidée par un député de l’opposition officielle. Cette commission aurait pu rapidement se transformer en une espèce de cirque où la démagogie aurait triomphé. Ce ne fut pas le cas. L’expérience a été, quant à moi, concluante et les ministres ont apprécié. À cet égard, j’aimerais avoir un bon mot pour le député de Westmount—Saint-Louis, M. Chagnon qui, par sa rigueur, a su dès le début imposer des lignes de conduite claires pour éviter tout dérapage relativement aux travaux de cette commission. Bien sûr, il reste encore des modifications à apporter à notre règlement, notamment au niveau de toute la mécanique de la motion de suspension des règles lorsqu’un gouvernement en arrive à la conclusion que l’importance d’un projet de loi requiert son adoption dans les délais plus courts. Les discussions se poursuivront entre les fédérales-provinciales et la présidence au cours de l’été. Je tiens cependant à faire remarquer qu’uniquement une loi a fait l’adoption d’une motion de suspension des règles, c’est la Loi sur la réforme des tribunaux administratifs et je crois qu’on était justifiés de le faire parce que, au rythme où l’opposition la faisait avancer, ça nous aurait pris trois ans ou six sessions pour la faire adopter. Alors, comme on est rendus à la mi-mandat, je crois que c’était assez important de la faire adopter dans les meilleurs délais, surtout qu’on veut que ces tribunaux administratifs soient mis sur pied pour le 1er janvier 1998.
Mais, la réforme parlementaire c’est aussi, et souvent plus que les grands chambardements du règlement, un état d’esprit. Le rôle du député qui n’est pas ministre peut être aussi important dans le cadre existant. Tout est fonction de la place qu’ils souhaitent eux-mêmes prendre et de la latitude que le gouvernement accorde par la voix de son leader. Et ici, il s’agit d’un aspect pour lequel nous sommes fiers. Malheureusement, parce que ce travail est moins médiatisé, cette réalité n’a pas encore été relayée à la population par l’entremise des médias. C’est peut-être ce bilan au-delà du menu législatif que je souhaiterais vous voir retenir aujourd’hui. J’en ai souvent parlé, mais je reviens à la charge car les statistiques sont éloquentes. Ainsi, depuis que le Parti québécois a pris le pouvoir, les commissions parlementaires se sont donné 24 mandats d’initiative, 17 mandats de surveillance d’organisme, 25 mandats en vertu de la loi n 98. Pour fins de comparaison sur le Parti libéral, en neuf ans de pouvoir, les commissions ont réalisé huit mandats d’initiative et 13 mandats de surveillance d’organismes et un mandat seulement en vertu de la loi n 198. Au-delà des chiffres, vous constaterez également que les mandats dont vous trouverez la liste en annexe ne peuvent être qualifiés de mandats de complaisance et d’aucuns touchaient des sujets importants pour le gouvernement.
De plus, je soulignerais que la commission des institutions aura procédé à une première en étudiant un texte réglementaire en matière d’éthique et de déontologie avant sa parution dans la Gazette officielle.
Finalement, en guise de conclusion, il importe également de faire ressortir que notre gouvernement, malgré le nombre élevé de projets de loi, a su consulter la population de façon inédite, témoignant par le fait même de notre grand souci de favoriser l’exercice de la démocratie. Ainsi, du 1er avril 1996 au 31 mars 1997, 844 groupes ont été reçus et entendus en commission parlementaire. À titre comparatif, au cours des années de pouvoir de l’ancien gouvernement, la meilleure année fut 1987-1988 où 656 groupes avaient été invités à exposer leur point de vue.]
[ M. Bouchard:] Merci. Si je devais résumer en quelques mots le travail du gouvernement, je dirais ceci: L’an dernier, avec les sommets et le dépôt des réformes, nous avons préparé le terrain. Cette année, le gouvernement du Québec a livré la marchandise. Nous avons livré la marchandise sur l’emploi, sur la solidarité sociale, sur le déficit et sur le français. Sur l’emploi d’abord, nos décisions de l’an dernier, notamment du Sommet, commencent déjà à porter fruits. Depuis juillet dernier, le Québec a créé 100000 emplois nouveaux. Ce n’est pas un petit chiffre. De plus, le nombre de prestataires de l’aide sociale a chuté de 20000. Le Québec est donc clairement entré dans une période de croissance économique dont les bienfaits commencent à se faire sentir dans la population. Nous avons adopté neuf lois découlant des décisions du Sommet, notamment pour réduire la semaine de travail, établir un régime d’apprentissage, favoriser l’économie sociale, instituer le Fonds de lutte contre la pauvreté, moderniser les décrets, etc. Nous avons livré la marchandise sur le plan de l’investissement pour l’emploi. Le budget de mars prévoit des mesures qui entraînent pour plus de 4000000000 $ d’investissements privés en plus d’investissements publics de 1000000000 $, dont 700000000 $ dans la métropole. Ces investissements se font déjà sentir dans l’amélioration et la rénovation des équipements en éducation et en santé, dans la réfection du métro de Montréal et du réseau routier, entre autres. Hydro-Québec va déposer à l’automne sont plan d’investissement et de développement qui sera soumis à la Régie de l’énergie pour un grand débat public. Je tiens à vous rappeler qu’en créant la Régie de l’énergie, notre gouvernement a constitué un lieu de débats publics indépendants qui étaient réclamés depuis une décennie. Dans le domaine agricole, notre Assemblée nationale a adopté une législation essentiellement consacrant le droit de produire après des années d’inaction des libéraux québécois à ce sujet. Les producteurs agricoles du Québec ont maintenant les outils qu’ils demandaient pour développer leur industrie, contribuer à la croissance économique québécoise et créer des emplois. Nous avons réussi après 32 ans d’efforts à rapatrier au Québec les principaux leviers en matière de formation et de perfectionnement de la main-d’oeuvre, ce qui nous permettra dès l’an prochain d’offrir enfin un guichet unique et efficace pour tous les chercheurs d’emploi au Québec. Cette mission fut accomplie grâce au vote unanime de l’Assemblée nationale, grâce à l’appui des partenaires socioéconomiques, grâce aussi au travail constant des députés du Bloc québécois à Ottawa. Nous avons livré la marchandise également au plan de la solidarité sociale. Car en plus des mesures favorisant l’économie sociale et qui créeront 2 500 emplois cette année, en plus de la création du Fonds de lutte contre la pauvreté, nous avons augmenté de 40 % depuis 1994 le financement des organismes communautaires le portant de 98000000 $ à 137000000 $. D’abord, en adoptant la politique familiale la plus généreuse en Amérique du Nord qui permettra d’investir massivement dans l’enfance et dans la famille et qui profitera en particulier aux familles de salariés en bas de l’échelle. Après la consultation du printemps, nous avons encore bonifié le programme afin de garantir qu’aucune catégorie de familles à revenus faibles ou moyens ne serait perdante, au contraire. À compter de septembre et graduellement au cours des prochaines années, le Québec sera doté d’une politique d’aide à l’enfance et à la famille qui restera, je crois, une des grandes réalisations de ce gouvernement, mais surtout un grand pas en avant pour la solidarité sociale.
Le ministre Jean Rochon a aussi bonifié le régime d’assurance-médicaments qui offrait une assurance à 1000000 de Québécois dont 300000 enfants qui n’en étaient pas pourvus. Maintenant, avec la mensualisation des frais, l’assurance devient plus abordable pour les plus démunis.
En mettant en place la réforme de la Régie des rentes, le gouvernement assure aussi à toutes les générations de Québécois l’assurance d’une rente juste et équitable. Il s’agit ici d’un important effort d’équité «intergénérationnelle». Nous demandons notamment à tous les Québécois, y compris les gens de ma génération et les baby-boomers de contribuer davantage pour assurer non seulement leur retraite mais celle des jeunes qui entrent sur le marché du travail. L’effort aurait été moindre si d’autres gouvernements avant nous avaient agi en temps, mais je tiens à saluer le sens des responsabilités des partenaires du marché du travail, patronat et syndicat, pour leur appui dans cette démarche. Nous avons livré la marchandise sur l’élimination du déficit. Nous l’avons dit l’an dernier, l’année en cours est la plus difficile, notamment parce que les coupures fédérales atteignent un sommet inégalé. Nous avons fait le pari de continuer à réduire les dépenses du gouvernement et demander à tous les employés de l’État de contribuer à l’effort collectif. Nous pouvons dire aujourd’hui que la mission est pratiquement accomplie. Que ce soient les juges, les médecins, les députés, les ministres, les cadres, les employés des secteurs public et parapublic, la grande majorité a dores et déjà fait sa part d’une manière absolument exemplaire.
Le programme des départs volontaires à la retraite réalisé grâce au concours et à la contribution financière des syndicats du secteur public, dépasse ce que nous avons fixé, après les négociations de mars, qui était à 15000 abolitions de postes. En date d’hier, 16 640 départs étaient confirmés et des demandes supplémentaires sont toujours en traitement, ce qui pourrait porter ce total à plus de 20000 départs. Comme nous l’avons toujours dit, les départs effectués au-delà de la cible de 15000 abolitions de postes seront remplacés, ce qui permettra un rajeunissement et un renouvellement de la fonction publique, notamment dans la santé et dans l’éducation.
Il reste, bien sûr, à gérer ces départs au cours de l’été et au début de l’automne, ce qui demandera beaucoup de rigueur et de travail. Mais pour l’instant, les Québécois ont montré leur capacité à relever chacun des défis qu’ils s’étaient fixés. Dans ce cheminement vers l’élimination du déficit, l’entreprise, comme vous le savez, a été mise à contribution, à la hauteur de 500000000 $ par année, par le non-remboursement d’une partie de la TVQ. Les banques paient une surtaxe de 5 %, versée au Fonds de lutte contre la pauvreté, et la lutte au travail au noir a permis de collecter 800000000 $ supplémentaires. Un des derniers gros morceaux de l’élimination du déficit est le 500000000 $ demandés aux municipalités, ce qui représente 6 % de leur budget total de 8 500000000 $. C’est un exercice d’équité pour les travailleurs du secteur municipal, un exercice de rigueur et de responsabilité pour les élus et les gestionnaires municipaux. Grâce aux efforts collectifs réalisés cette année, nous pouvons affirmer sereinement que le déficit des Québécois sera enfin éliminé dans 21 mois, et nous pourrons dire à nos jeunes et à nos enfants que nous avons cessé de les endetter. Finalement, nous avons livré la marchandise pour le français. Cette année, nous avons posé deux gestes importants pour la promotion du français au Québec. D’abord, nous avons adopté la loi no 40, qui redonne à la Charte de la langue française la capacité de faire son travail pour protéger et promouvoir le français. Je pense qu’il n’y a plus de doute, où que ce soit, que le temps de la démission des libéraux est révolu. Il y a aussi les mesures de promotion de la qualité du français et l’aide à la créativité. Vous avez remarqué que, de tous les budgets de l’État, celui de la Culture a été le moins touché. Le budget a augmenté l’investissement collectif dans les bibliothèques municipales, et nous avons le projet de doter la métropole d’une grande bibliothèque qui profitera à l’ensemble du réseau du Québec. La réforme de l’éducation a également comme objectif l’amélioration du français, et M. Boisclair prépare une réforme des COFI qui augmentera l’offre de cours de français et améliorera leur qualité pour les non-francophones.
Nous avons aussi franchi, aujourd’hui, un pas décisif dans le dossier des commissions scolaires linguistiques. Ici, l’enjeu est simple: mettre un terme à un système scolaire qui continuait à favoriser l’intégration des nouveaux arrivants dans la communauté anglophone, notamment à Montréal. La réforme de Mme Marois, adoptée aujourd’hui à l’unanimité, à l’issue d’une véritable course à obstacles, marque un point tournant dans l’évolution de notre système scolaire et dans nos efforts d’intégration des nouveaux arrivants, à la majorité. C’est pourquoi nous avons voulu que l’Assemblée nationale vote à l’unanimité une phrase qui ne se trouvait jusqu’ici dans aucun texte de loi du Québec. Je vous lis cette phrase: «L’intégration de immigrants à la communauté francophone constitue une priorité pour la société québécoise.» Fin de la citation. En bref, tous nos efforts visent à solidifier le Québec et à le rendre socialement plus solidaire. Au terme de 18 mois au cours desquels, plus que jamais auparavant, les politiciens du Canada ont voulu nier les droits des Québécois et l’existence même de notre peuple, il nous apparaît essentiel de poursuivre notre engagement en faveur de la souveraineté du Québec et de renouveler avec ferveur notre volonté de vivre ensemble et de décider ensemble de notre avenir. En conclusion, je note que l’équipe gouvernementale a réussi cette année à porter à terme des réformes sur lesquelles les gouvernements qui nous ont précédés s’étaient cassé les dents. Je parle, bien sûr, des commissions scolaires linguistiques de Mme Marois, de l’entente sur la main-d’oeuvre de Mme Harel, de la réduction négociée du déficit de M. Léonard, je devrais parler aussi de la réforme des tribunaux administratifs de M. Bégin et, bien sûr, de la poursuite de la réforme de la santé de M. Rochon. Ces changements étaient tous nécessaires pour l’avancement de la société québécoise. Je salue le cran, l’énergie et souvent le courage politique de l’équipe gouvernementale qui a su relever ces défis risqués et mener ces réformes à terme. Nous avions dit que nous allions oser, Nous l’avons fait. Bref, dans une année financièrement difficile, le gouvernement du Québec termine cette session avec le sentiment du travail accompli, des engagements tenus, et avec le sentiment que le Québec est sur la bonne voie pour l’emploi, pour la solidarité, pour le redressement de ses finances et pour sa langue et sa culture. Merci.
[ Une voix: Est-ce qu’il y a une première question en français?
Mme Ouellet (Suzanne): M. Bouchard, vous avez lancé de nombreuses réformes et est-ce que le pire n’est pas à venir? Je songe en particulier au départ de 20000 personnes au 1er juillet, c’est là où les systèmes auront vraiment à subir le contrecoup de la transformation.]
[ M. Bouchard:] Une opération délicate mais qui a été préparée avec soin. Nous savons déjà maintenant dans quels secteurs surtout les départs auront lieu. Il y a des travaux plus fins qui se poursuivent afin d’assurer une transition qui, je crois, sera harmonieuse. Tout cela se passera à la faveur de l’été, ce qui, dans certains secteurs, en tout cas, rend la chose plus facile. Et nous pensons que l’opération se déroulera correctement. Bien sûr, il faudra le faire avec circonspection, il faudra être très vigilants, mais les mesures ont été prises pour que cela se passe correctement.
[ Mme Gagnon (Katia): Denis Lessard.
M. Lessard (Denis): M. le premier ministre, en septembre, vous serez à environ 12 mois d’une éventuelle élection. Est-ce que vous pensez que ça sera approprié, à ce moment-là, de faire une réforme majeure de votre équipe ministérielle?]
[ M. Bouchard:] Je vous ai lu, j’ai vu que vous avez pratiquement annoncé un remaniement. Il m’appartient de décider si vous avez raison ou si vous avez tort.
[ M. Lessard (Denis): Mais est-ce que ça vous apparaît nécessaire ou…]
[ M. Bouchard:] Je crois que vous avez raison de dire que, à ce stade du mandat et des travaux qui ont été accomplis, de ce qu’il reste à faire, il pourrait s’avérer opportun de faire le point, ce que je ferai sûrement durant l’été quant à la composition de l’équipe ministérielle. Et, de toute façon, je n’ai pas l’intention de faire de changements substantiels.
[ La Modératrice: D’autres questions en français?
Elizabeth.
Mme Thompson (Elizabeth): Parlons des changements, M. Bouchard. Une des propositions, cette semaine, était de remplacer le Protecteur du citoyen. Pourquoi est-ce que le gouvernement pense qu’il est important de remplacer M. Jacoby?]
[ M. Bouchard:] M. Jacoby occupe sa fonction depuis deux mandats.
La loi ne prévoit pas que les mandats des ombudsmans soient éternels ou soient à vie. Elle prévoit qu’il y a des renouvellements à tous les quatre ans, je crois, tous les cinq ans. Ce qui veut dire que ça fait maintenant 10 ans que M. Jacoby exerce cette fonction. En 1993, les libéraux n’avaient pas renouvelé son mandat. Notre gouvernement, notre parti, une fois au pouvoir, l’a renouvelé pour une autre fois. Nous sommes maintenant à l’expiration d’un deuxième mandat. Personnellement, j’ai l’intention de nommer une femme à cette fonction. J’ai raconté la détermination que j’ai conçue, dès mon entrée en fonction, d’améliorer la participation des femmes à la fonction publique et dans le gouvernement. Je peux vous dire, par exemple, que j’ai nommé six sous-ministres en titre qui sont des femmes alors qu’il y en avait un ou deux quand je suis arrivé et j’ai nommé 14 femmes sous-ministres adjointes de plus qu’il n’en existait. Et, sur les 815 nominations qui sont faites par le gouvernement à différentes fonctions, 34 % ont été faites en faveur de femmes. Je considère que ce n’est pas assez. Je veux aller plus loin encore. Nous avons nommé un juge en chef qui est femme et j’aimerais bien pouvoir nommer un ombudsman qui soit une femme. Ce serait une première au Québec.
M. Jacoby a bien servi la démocratie et l’État. Il a rempli ses fonctions de façon très correcte. Nous pensons que ça serait maintenant une chose normale que de pourvoir à une suite des choses, cette fois-ci, avec une femme.
[ Mme Thompson (Elizabeth): M. Jacoby, ces dernières heures, ces derniers jours, a dit qu’il a reçu une explication de M. Thibault, c’est-à-dire que le gouvernement n’était pas content avec son avis sur les recherches et le développement. Est-ce que c’est le cas?]
[ M. Bouchard:] M. Jacoby est allé trouver M. Thibault dans un restaurant, un soir, à une table, et a échangé avec lui. J’ai été étonné, d’ailleurs, d’entendre rapporté par M. Jacoby, les propos privés qui ont été tenus, à sa demande, dans un restaurant. En ce qui concerne le gouvernement et en ce qui me concerne, j’estime qu’il est opportun pour la suite des choses, pour la fonction, que nous ayons une femme, maintenant, qui dirige. Et nous avons d’ailleurs jeté notre dévolu sur au moins un nom, que nous avons déjà, d’ailleurs, soumis aux libéraux. À ce que je sache, ils ne l’ont pas encore rejeté. Pour le reste, vous savez, après avoir servi pendant 10 ans, je crois qu’il est normal qu’on puisse songer à faire autre chose. M. Jacoby est un employé de l’État. Il a une sécurité d’emploi. Il a une permanence à l’emploi de l’État du Québec. Il pourrait être réaffecté à d’autres fonctions. C’est un homme de grandes qualités, de grandes compétences, qui a servi, d’ailleurs, à des fonctions très importantes avant d’accéder à celle d’ombudsman. Et après 10 ans, le gouvernement et moi-même estimons qu’il est opportun de songer à du renouvellement. C’est tout.
[ Mme Gagnon (Katia): Michel Cormier.
M. Cormier (Michel): M. Bouchard, vous avez initié des réformes dans à peu près tous les secteurs. On se demande, maintenant, il vous reste plus d’un an à votre mandat, qu’est-ce que vous allez amener sur le menu législatif, dans la prochaine année, qui pourrait faire l’objet d’autres réformes ou de trucs importants?]
[ M. Bouchard:[« Il y a eu des périodes très actives et très productives, dans le passé, au Québec, de la part des gouvernements, je ne pense pas qu’il y en ait eu de beaucoup plus productives que celle que nous avons vécue, depuis un an et demi. Ces réformes sont importantes. Elles touchent à peu près tous les secteurs de la vie collective. Il faut les mettre en oeuvre et la plupart d’entre elles sont maintenant en train d’être implantées. Il m’apparaît que les Québécoises et les Québécois ont besoin d’un second souffle pour s’habituer à cette nouvelle société que nous sommes en train de former ensemble et pour commencer aussi, bien sûr, en récolter les fruits. Je pense qu’on a besoin tous de souffler un peu. Et si la population n’est pas encore fatiguée, moi, je commence à l’être un peu, à faire les réformes, et le gouvernement pense que, maintenant, il faudrait surtout terminer les choses qui ont été entamées. Il y en a beaucoup. On a agi tous azimuts et adoucir les angles là où il y en a qui sont considérés comme des irritants, et faire en sorte que nous puissions faire une bonne gestion des nouveaux programmes que nous avons mis en oeuvre. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas des idées nouvelles. Au contraire, les ministres continuent à produire des idées au rythme industriel. Je pense qu’il faudrait peut-être différer leurs réalisations quelque peu parce que… On a fait beaucoup de choses. Je me rends compte, quand je regarde simplement… Je vais vous donner mon discours, tout à l’heure, je me suis convaincu moi-même qu’on avait fait beaucoup de choses. Je pense que l’année qui vient devrait être consacrée à consolider ces nouveaux acquis et à faire en sorte que ces nouvelles réformes puissent s’implanter dans les mentalités, dans la culture et dans le fonctionnement de nos institutions.
[ Mme Gagnon (Katia): Rhéal Séguin.
M. Séguin (Rhéal): M. Bouchard, vous êtes allé à New York en juin 1996 sans le dire aux Québécois. Je pense que c’est cette datelà.]
[ M. Bouchard:] Sans le dire aux journalistes surtout.
[ M. Séguin (Rhéal): Est-ce que c’est pratique courante pour le premier ministre du Québec…]
[ M. Bouchard:] C’est extraordinaire que vous ne l’ayez pas su, depuis presque un an. C’est assez remarquable.
[ M. Séguin (Rhéal): Formidable. Mais est-ce que c’est pratique courante? Et pourquoi la nécessité de garder sous silence ce genre de rencontre là?]
[ M. Bouchard:] Que je sache, la plupart des premiers ministres, sinon tous, ont rencontré des financiers new-yorkais. C’est même, je dirais, pratique courante pour, bien sûr, le ministre des Finances, mais également pour le premier ministre de se présenter, de rencontrer les gens qui évaluent l’état de nos finances publiques et qui nous permettent de conserver la confiance des investisseurs dans le Québec. De sorte que je pense avoir simplement assuré la continuité de cette pratique quant aux relations qui doivent exister entre le gouvernement du Québec et les milieux financiers, notamment à New York.
[ M. Séguin (Rhéal): Qu’est-ce qui s’est passé durant ces rencontres-là? Est-ce qu’ils vous imposent des conditions? Comment ça se déroule?]
[ M. Bouchard:] Écoutez, d’abord, ce sont des choses qui se font discrètement. Ce sont des rencontres où les gens qui ont scruté tous les postes des états financiers du Québec, qui les comparent facilement à tous les états financiers qu’ils ont en mains… Ils ont les états financiers de tous les gouvernements du monde entre leurs mains. Ce sont des gens qui ont fonction de porter quotidiennement un jugement sur la gestion financière des différents gouvernements du monde parce qu’ils évaluent la cote de crédit de chacun de ces gouvernements. Alors, c’est très facile pour eux d’examiner nos bilans, nos états financiers, puis de nous dire ce qu’ils pensent.
Comme je tenais, et comme il faut bien sûr tenir, à conserver la cote A plus du Québec, il est évident que nous avons intérêt à bien expliquer ce que nous faisons et surtout à convaincre ces personnes — parce que les états financiers ne mentent pas, ce sont des états qui sont vérifiés — à les convaincre de la véracité et de la détermination des gouvernants de les mettre en pratique, de respecter ces engagements financiers et budgétaires.
Et il faut dire que la réputation du Québec sur les marchés financiers a été très malmenée au cours des années précédentes. Vous vous rappelez que, dans les six dernières années du mandat de nos prédécesseurs, ils ont, chaque année, défoncé de 1000000000 $ leurs engagements financiers. Alors les gens ne croyaient plus, n’avaient plus guère de considération pour un budget du gouvernement du Québec, pour qu’est-ce que c’était qu’un budget du gouvernement du Québec quand on savait que, année après année, c’était inconsidérément défoncé. Alors, au moment, nous, de… Je pense qu’il fallait le faire surtout en l’occurrence, parce que, pour la première fois, nos évaluateurs financiers, si je peux dire, ont vu tomber sur leurs bureaux des états financiers puis des budgets du Québec qui étaient extrêmement ambitieux quant à des niveaux de dépenses. Ils ont été très surpris de voir que nous nous apprêtions à réduire aussi considérablement le niveau de nos dépenses. Ils ont eu beaucoup de difficulté à le croire puisque, dans toutes les années antérieures ou à peu près, au moins les six dernières années des libéraux, ça n’avait pas été respecté. Alors il y avait donc comme une cause à plaider, si on peut dire, et il y avait aussi, j’imagine, nécessité pour eux de connaître le nouveau chef du gouvernement qui serait appelé à garantir le respect de ses engagements financiers et budgétaires. Et c’est dans cette perspective générale, je n’entre pas dans les détails là, qu’il m’est apparu nécessaire de me rendre, au mois de juin, à New York après le voyage que j’y avais déjà fait quelques semaines auparavant, auquel vous aviez d’ailleurs été conviés, le premier.
[ M. Séguin (Rhéal): Deux autres questions: Est-ce que ce voyage- là vous a permis de protéger la cote du Québec sur le marché financier?]
[ M. Bouchard:] Oui.
[ M. Séguin (Rhéal): Et est-ce qu’il y a eu d’autres rencontres avant ou après? Est-ce que vous êtes allé à New York, sans le dire à personne, avant cette date-là ou après?]
[ M. Bouchard:] Bien, il m’arrive de faire des choses sans vous le dire.
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Je vais essayer d’en faire encore. Mais, non, si vous faites référence à ce voyage, après le voyage discret que j’ai fait à New York en juin, après ma visite officielle à New York, il n’y en a pas eu d’autres, de ma part, à New York, en juin.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
Une voix: Ailleurs?]
[ M. Bouchard:] Non. Fondamentalement, c’est la seule démarche du genre, je crois, que j’ai accomplie.
[ M. Théberge (Sylvain): M. Bouchard, je voudrais vous amener sur un sujet très estival. Demain, M. Brochu, du club des Expos de Montréal, va, de l’avis de plusieurs, donner un grand coup pour tenter de démontrer la pertinence d’avoir un nouveau stade ou un nouveau parc de baseball pour son club à Montréal. J’aimerais savoir jusqu’à quel point vous êtes ouvert aux demandes qu’il va faire et jusqu’à quel point vous être prêt à faire un bout de chemin.]
[ M. Bouchard:] Je ne connais pas ses demandes.
[ M. Théberge (Sylvain): Est-ce que vous serez ouvert à… Vous savez quand même qu’il va demander de l’argent, il veut avoir de l’aide. Est-ce que le gouvernement va être attentif…]
[ M. Bouchard:] Peut-être qu’il ne va pas en demander au gouvernement du Québec; peut-être qu’il va le demander au gouvernement fédéral, je ne sais pas. Non, je ne voudrais pas commenter sur les demandes avant qu’elles ne soient formulées, quand même. Mais je ne veux pas non plus ouvrir de porte en disant ça. Il n’y a pas de porte d’ouverte, il y a juste d’attendre que des demandes soient faites avant d’y répondre, mais il n’y a pas de porte d’ouverte. On se rappelle ce qui s’est passé à Québec; on se rappelle qu’on a déjà un stade à Montréal qui a coûté quelques dollars, n’est-ce pas; on se rappelle qu’il n’est pas encore fini de payer; on se rappelle bien de l’état des finances publiques du Québec, des priorités, etc.
[ M. Théberge (Sylvain): Ça va prendre de bons arguments.]
[ M. Bouchard:] Quand on ferme des hôpitaux, ce n’est pas sûr qu’on ouvre des stades, hein, vu qu’on en a déjà un gros.
[ Mme Gagnon (Katia): Michel David.]
[ M. Bouchard:] Et je souhaite, bien sûr, que les investisseurs privés et n’importe qui veut contribuer… Je ne dis pas que ce ne serait pas bon pour Montréal d’avoir un stade; je ne m’y entends pas. Mais dans la mesure où le gouvernement est concerné, vous savez, on est en train de travailler sur le projet d’un nouveau Palais des congrès à Montréal, soit un agrandissement. On travaille plutôt du côté de l’agrandissement de celui qui est là, mais on n’a pas encore eu les études définitives. C’est des sommes considérables. On travaille sur la nécessité de doter Montréal d’une bibliothèque, une grande bibliothèque, des équipements qui n’existent pas présentement. Dans le cas de la bibliothèque, c’est évident. Dans le cas du Palais des congrès, il n’est pas adéquat aux besoins actuels; il est absolument impératif, pour lui faire jouer le rôle qui lui est dévolu et pour donner à Montréal toute sa dimension de ville internationale, de le modifier, certainement en tout cas en l’agrandissant et en le modernisant. Alors, je ne veux pas ouvrir de porte, parce que je me rends compte qu’en disant qu’on va attendre la demande, les gens pourraient penser qu’on va dire «oui». Je n’ai pas l’intention de dire «oui» à une demande comme celle-là si elle est adressée au gouvernement du Québec.
[ Mme Gagnon (Katia): Michel.
M. David (Michel): Oui. M. Bouchard, dans le dernier paragraphe de votre communiqué, vous parlez de «poursuivre notre engagement en faveur de la souveraineté du Québec et de renouveler avec ferveur notre volonté de vivre ensemble et de décider ensemble de notre avenir». Après tout ce qui s’est passé au cours des derniers mois: les politiques budgétaires du gouvernement, l’élection fédérale, etc., est-ce que l’essoufflement dont vous parliez tantôt touche aussi l’option souverainiste?]
[ M. Bouchard:] Je n’ai pas dit qu’on était essoufflés, j’ai dit qu’on allait reprendre notre souffle. Ce n’est pas pareil, c’est prendre un second souffle.
[ M. David (Michel): Alors, est-ce que les
souverainistes…]
[ M. Bouchard:] Le premier souffle est encore assez bon…
[ M. David (Michel): …ont besoin de reprendre leur second souffle?]
[ M. Bouchard:] …le deuxième serait bon.
[ M. David (Michel): Est-ce que les souverainistes ont besoin de reprendre un second souffle parce qu’ils auraient perdu le premier?]
[ M. Bouchard:] Non, mais je ne crois pas que la souveraineté soit en aucune façon, que l’intensité de l’allégeance souverainiste soit aucunement affectée par les élections fédérales qui portaient sur autre chose. De toute façon, on connaît l’échéancier, vous le connaissez vous-même, il faut qu’on termine, en tout cas, la phase actuelle de la tâche que nous nous sommes assignée, qui nous a été imposée par les circonstances. Ensuite, il y aura une élection, nous allons solliciter une réélection, la population décidera et au nombre des mandats que nous allons solliciter, il y aura celui de faire un référendum, ce qui veut dire que notre réélection, le cas échéant, ce que je souhaite, comportera, ensuite, la certitude qu’il y aura ensuite un référendum.
Alors, donc, il y a comme du temps, là, pour préparer ce référendum. Ça va être d’abord précédé par la préparation d’une élection, la date de l’élection n’est pas fixée; on sait que nous avons jusqu’à cinq ans après une élection. Normalement, c’est quatre ans, je n’ai pas l’intention d’aller plus vite que ces quatre ans, d’autant plus qu’on sait ce qui arrive à ceux qui vont trop vite, quand il s’agit de faire des élections. Il y a du temps, il y a le temps pour nous de poursuivre la combat souverainiste, il y a le temps pour nous de redéfinir certains aspects de notre nationalisme. Nous avons maintenant, dans le programme du Parti québécois, la conception de la souveraineté que nous voulons proposer à nos concitoyens et concitoyennes, c’est-à-dire un oui à une question souverainiste, une question de faire la souveraineté assortie d’un engagement de négocier un partenariat dans l’année qui suivra et s’il n’y a pas de partenariat, ou s’il y en a un, dans les deux hypothèses, on proclamera la souveraineté. C’est le programme que vous connaissez qui est maintenant le programme officiel du Parti québécois et qui sera au coeur du débat référendaire.
Mais, il faut préparer tout cela, il faut mettre plus de chair sur le squelette du partenariat, il faut se préparer à répondre à plus de questions, plus précises sur ce programme, mais, fondamentalement, la démarche est connue, l’échéancier l’est aussi et ses balises relatives. Il est certain qu’au coeur même de la motivation de ce gouvernement, au coeur même d’un engagement politique de tous ses ministres, de tous ses députés et tous ses militants et militantes, il y a l’intention ferme de tenir un référendum et de solliciter des québécois, le mandat de faire la souveraineté du Québec.
[ M. David (Michel): Est-ce que je peux vous demander de préciser ce que vous voulez dire quand vous dites qu’il faut revoir ou renouveler certains aspects de notre nationalisme?]
[ M. Bouchard:] Oui, je crois qu’il faut en discuter. Nous aurons un colloque au Parti québécois à l’automne sur la mondialisation et le nationalisme et la souveraineté. Il y a beaucoup de choses qui se passe dans le monde. Beaucoup de gens pensent que cette mondialisation, cette uniformisation accentue la nécessité de déterminer des points d’ancrage, et le plus important, le plus significatif, le plus efficace étant la souveraineté, Mais il faut que ces questions se débattent, s’examinent et j’aime à penser que ce sera des débats intéressants qui se tiendront au sein du Parti québécois et j’espère plus largement dans notre société parce que, qu’on le veuille, qu’on ne le veuille pas, même pour l’ensemble canadien, l’intention du Parti québécois de tenir un référendum, le niveau d’appui que la souveraineté recueille toujours au Québec et le programme que nous préconisons, ça devient une donnée de notre politique. Et, en ce qui nous concerne, nous les souverainistes, il est entendu que chaque jour qui s’écoule nous montre à quel point il faut devenir souverain.
Moi, je deviens souverainiste de jour en jour encore plus en constatant à quel point nous n’avons pas tous les leviers de décisions que nous avons, à quel point nous devons faire des compromis difficiles, compliqués. Par exemple, pour nous doter de quelque chose qui est tout à fait moderne, tout à fait normal, des commissions scolaires non confessionnelles à quel point il est difficile au Québec de gérer nos affaires dans ce contexte où nous devons continuellement attendre du gouvernement fédéral des réponses sur des choses qui sont parfois plus ou moins importantes, mais d’autres qui le sont.
Quand je pense, par exemple, que nous devons continuellement gérer des diminutions de transfert qui créent une tension épouvantable sur nos programmes alors que nous avons des ressources qui s’en vont là-bas, ce serait tellement plus facile, tellement plus normal pour nous de gérer nous-mêmes nos ressources, de faire nous-mêmes nos choses comme un gouvernement normal, comme un peuple normal. J’ai l’intention arrêtée, avec mon parti et mes collègues du cabinet et de la députation, de lancer ce débat de façon non pas virulente, mais de façon sereine et de façon active afin que nous puissions préparer cette grande décision que nous avons à prendre.
[ Mme Gagnon: Je m’excuse, Monsieur, une dernière en français.
M. David (Michel): Juste une toute petite sous- question: Quand vous parlez de mettre plus de chair autour du partenariat, est-ce qu’il faut comprendre d’en élargir la portée?]
[ M. Bouchard:] C’est-à-dire que vous avez vu comme moi les ententes que nous avions conclues, Bloc québécois, Parti québécois, l’ADQ, les discours que nous avons faits là-dessus. Ça reste schématique. On a parlé des grandes institutions qui devraient être formées pour gérer le partenariat. On a évoqué quelques-uns des secteurs d’activité qui pourraient être dévolus au fonctionnement du partenariat, mais il faut aller plus loin. Je crois que les Québécoises et les Québécois et nos amis Canadiens ont intérêt à en savoir davantage sur nos intentions, sur comment on va procéder et c’est certainement quelque chose qui va occuper la vie du Parti québécois au cours de la prochaine année, en tout cas.
[ Mme Gagnon (Katia): Dernière en français, Bob McKenzie.
M. McKenzie (Robert): Oui, M. Bouchard, il y a 30 ans le mois prochain — toujours à propos de la souveraineté, là — le général de Gaulle faisait un voyage mémorable au Québec, est-ce que vous pourriez nous dire quel souvenir cet événement vous inspire et si votre gouvernement entend marquer cet anniversaire d’une façon quelconque?]
[ M. Bouchard:] Bien, le souvenir personnel vous voulez dire, le mien?
[ M. McKenzie (Robert): Oui. ]
[ M. Bouchard:] Bon, alors, moi j’étais, à l’époque, avocat à Chicoutimi, je me souviens simplement qu’en auto, roulant sur une route du Saguenay—Lac-Saint-Jean, écoutant la radio, j’ai entendu les nouvelles de Radio-Canada où on pouvait entendre le général de Gaulle parler du Québec libre.
Alors, j’avais été, comme bien des Québécois, très ému. Les émotions n’étaient pas toutes les mêmes mais il y a avait des émotions. Et j’avais été très ému parce que je connaissais le général de Gaulle pour avoir lu les mémoires qu’il avait déjà publiés, les mémoires de guerre, pour avoir lu Le Fil de L’épée, pour avoir lu les biographies qui existaient de lui à l’époque, pour suivre son action politique.
Je savais que c’était un personnage historique fondamental du vingtième siècle. Dans deux, trois cents ans, quand on pensera au vingtième siècle, on se rappellera quelques noms, on se rappellera de de Gaulle, de Churchill, Roosevelt, peut-être quelques autres. Mais c’est dire la place que le général de Gaulle occupait et occupe encore dans l’imaginaire et dans la mentalité de ceux qui connaissent son oeuvre et sa place, en France, en Europe, et dans le monde, et ce qu’il représente. Alors, que le général de Gaulle soit venu à Montréal, en plein coeur de l’effervescence politique qui prévalait alors, pour annoncer au Québec, avec une épithète qui collait plus ou moins à la situation parce que «libre» c’est n’est pas vraiment ça qui est la question, c’est surtout responsable, mais libre d’assumer son destin, c’est ça qu’il voulait dire le général.
Il y aurait là un appel de l’histoire. Ce que j’ai senti, moi, c’est que c’était un appel de l’histoire, par la voie de celui qui était peut-être son plus grand tenant, son plus grand porte-parole de l’époque, vivant en tout cas, Churchill était mort quelques années avant, un an ou deux avant, c’était le dernier grand survivant de la période historique du vingtième siècle.
Alors, c’est l’histoire qui nous a appelés et chacun sait que le projet souverainiste est porté par l’histoire, qu’il y a quelque chose d’incontournable dans les ressorts qui sous-tendent le projet souverainiste, c’est l’achèvement d’un destin de peuple. Quand on connaît l’histoire du Québec, on sait très bien que la prochaine étape c’est la souveraineté. S’il y a une autre étape pour nous, en termes de d’ascension vers le destin politique, c’est la souveraineté.
Alors, il est de l’essence et de la dynamique de l’histoire d’un peuple de progresser, et pour moi, et ce que le général de Gaulle nous a dit, nous a rappelé, c’est ça. Et qu’on le veuille, qu’on ne le veuille pas, qu’il y ait ou non une statue, qu’on écrive ce qu’on voudra sur la plaque de la statue, la voix du général De Gaulle est toujours très forte dans le paysage politique québécois et international.
[ Mme Gagnon (Katia): Patrick White.
Mme Gagnon (Katia): Merci. Non, Elizabeth, c’était la dernière en anglais. Je m’excuse.]
[M. Bouchard:] C’était ma dernière réponse. Ma batterie s’arrêtait là.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
(Fin à 15 h 48)]
[QBOUC19970825cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard Le lundi 25 août 1997Remaniement ministériel(Quinze heures douze minutes)]
[ Une voix: Un remaniement ministériel, pourquoi est-ce que vous en avez fait un, d’abord?]
[ M. Bouchard:] D’abord, je ne cherche pas à faire une démonstration. Ce sont des ajustements qui ont été faits pour des raisons de synergie interne, pour améliorer l’efficacité du gouvernement, permettre à certains ministres d’assumer de nouveaux défis, donc une diversification dans l’utilisation des ressources des personnes concernées.
Je n’oublie pas que le gouvernement est à un point charnière de son mandat. J’ai le sentiment, que certainement beaucoup de gens partagent, que nous avons franchi une étape, depuis un an et demi et qu’il reste une période de consolidation qui est importante, qui requiert donc, à certains égards, des idées nouvelles, des attitudes un peu rénovées, aussi, et une utilisation que j’estime optimale, en tout cas, de ce que nous avons de capital humain, un capital riche, au sein du cabinet. Vous avez remarqué que c’est une sorte de vote de confiance que je donne à mon cabinet, puisque je n’ai pas modifié la composition du cabinet et que nous allons donc poursuivre ensemble, au sein de l’équipe qui s’enrichit de la première femme whip dans l’histoire du Québec.
[ M. Lessard (Denis): Pourquoi M. Jolivet est-il le seul du caucus qui passe au cabinet? Pourquoi ne pas avoir amené du sang neuf pour…]
[ M. Bouchard:] Bien, parce que ce n’est pas le remaniement que je souhaiterai faire, à un moment donné, un remaniement davantage en profondeur. Je considère ce remaniement comme relativement mineur. Je dis mineur parce que, finalement, il y avait quelques changements que je voulais effectuer, relativement, parce que quand on fait un ou deux changements, il y a une résonance musicale, si je peux dire, puisque ça provoque des réajustements. Donc, j’aurais souhaité que certains jeunes députés — il y en a plusieurs qui méritent d’accéder au cabinet — puissent le faire, mais les circonstances présentes de l’ajustement auquel j’ai procédé ne m’apparaissaient pas s’y prêter. Je crois qu’il faut franchir une nouvelle étape, avoir une meilleure vision des échéanciers qui viendront ensuite et des priorités qui s’établiront alors avant de procéder à ce que je pourrai alors appeler un remaniement véritable.
[ M. Larocque (Paul): Donc, il n’est pas impossible qu’il y ait un autre remaniement.]
[ M. Bouchard:] Non, ce n’est pas acquis, je ne m’engage pas à en faire un, mais ce n’est pas impossible non plus, et même je garde l’espoir que je puisse en faire un autre.
[ Une voix: Pourquoi gardez-vous cet espoir-là? Qu’est-ce qui vous rend mal à l’aise avec la situation actuelle?]
[ M. Bouchard:] Je suis parfaitement à l’aise, puisque cette situation, c’est celle que j’ai voulue. Alors, je suis parfaitement à l’aise avec la situation actuelle, mais en politique et dans les affaires publiques, quand il s’agit, en particulier, de mettre en oeuvre un programme de réformes aussi considérable que celui que nous avons lancé, il faut à des périodes, après des intervalles significatifs, réviser les situations. Alors, la situation qui se présente aujourd’hui, par l’ajustement que vous connaissez, reflète ce que je crois devoir faire. Je suis donc parfaitement à l’aise.
[ Une voix: M. Bouchard, c’est la deuxième fois que vous avez fait des ajustements pour former un Conseil des ministres, et pour plusieurs de la région de Montréal, c’est la deuxième fois qu’on n’a pas quelqu’un qui n’est pas francophone de souche, qui n’est pas pure laine dans le Conseil des ministres. Pourquoi est-ce qu’il n’y aucun allophone ou aucun anglophone, même s’il y en a, au sein du Conseil des ministres?]
[ M. Bouchard:] Je crois qu’il serait souhaitable, et plus que convenable, souhaitable que, les circonstances s’y prêtant, nous puissions avoir des personnes d’origines plus diverses, mais je n’ai jamais pensé qu’on était de souche et que, en conséquence, porteurs d’un stigmate parce qu’on était de souche. Nous sommes des élus, nous avons la légitimité pour participer aux activités du cabinet et les possibilités s’y prêtant, les circonstances également, je n’hésiterais pas à faire accéder qui que ce soit au cabinet. Ce n’est pas, au fond, tellement une question individuelle, ce n’est pas tellement une question d’appartenance et d’étiquetage ethnique. Mais ceci étant dit, je crois, en effet, qu’à la faveur d’une représentation plus large au nombre des élus, il serait plus facile, sans doute, de tenir un meilleur compte de la composition québécoise.
[ M. Larocque (Paul): Avec ce remaniement, M. le premier ministre, bon, demain il y a un caucus, un Conseil des ministres de deux jours, remaniement tout juste avant, est-ce qu’on doit s’attendre à un changement de politique, de cap, de trajectoire au cours des mois qui viennent?]
[ M. Bouchard:] Je crois que la rubrique qu’il faut retenir, c’est consolidation. Nous avons — je ne m’en cache pas, et tout le monde le réalise, moi aussi — lancé beaucoup de choses, nous avons beaucoup de fers au feu. Il y a peu de gouvernements qui, en une période aussi courte, aient amorcé autant de réformes et très significatives. Nous menons aussi une politique de finances publiques qui est, pour employer un beau mot, responsable, que d’autres diraient rigoureuse, mais c’est une politique qui demande une grande vigilance. Le Québec a des obligations, pour restaurer la confiance des investisseurs, des marchés financiers, une obligation donc, de grande gestion, de gestion rigoureuse, de sorte que je crois que ce qui est important, maintenant, pour nous, c’est de terminer ce qui a été commencé. C’est très, très important.
Je sais, par expérience, que lorsqu’on fait un changement, même un changement très positif, un changement qui est un plus, par exemple un plus grand acquis social, il y a toujours des perturbations, des inquiétudes inévitables tant que le changement n’est par complété, tant que les difficultés techniques qui l’accompagnent n’ont pas été résorbées. Je pense en particulier au régime d’assurance-médicaments, qui est un grand plus pour le filet social québécois et qui, lors de son implantation, a donné lieu à certains rebondissements, mais ça nous a permis de régler les choses au fur et à mesure, et ça prend un certain temps. Nous avons besoin d’un peu de temps, aussi, pour finaliser d’autres réformes qu’on connaît, les politiques familiales, les garderies, les allocations unifiées, la maternelle cinq ans, et beaucoup de choses qui ont été amorcées: l’éducation, la fiscalité. Nous devons donc terminer ce qui a été commencé.
Mon objectif à moi, c’est ne de rien laisser en plan, c’est de faire ce que nous avons dit et de terminer ce qui a été commencé, pour le mieux-être de la population.
[ M. David (Michel): M. Bouchard, puisque vous être ici aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de vous demander ce que vous pensez de l’initiative d’un député fédéral qui a commandé un profil psychologique de votre personne.]
[ M. Bouchard:] Je ne suis pas ce qu’on peut appeler un très vieux routier de la politique. Je suis entré dans la politique relativement sur le tard de ma carrière personnelle. Ça ne fait pas 10 ans que je suis en politique. J’ai assez appris, cependant, de la politique pour savoir que c’est un métier qui est très dur, qui nous expose à des coups qui sont très rudes, et que l’éventail de ce qui est permis en politique, de ce qui est toléré, est très large en termes de coups. Mais je pense qu’il y a des limites, surtout vers le bas, et qu’elles ont été dépassées cette fois-ci. Je n’en dirai pas plus, ce sont les seuls commentaires que je voudrais faire sur cette affaire.
[ M. St-Louis (Mychel): Êtes-vous un homme heureux, aujourd’hui, d’avoir à quitter la justice, un domaine que vous aimiez beaucoup, pour un ministère tout de même un peu moins important…?
M. Bégin: Je dois vous dire que j’ai apprécié énormément travailler au ministère de la Justice pendant trois ans. Je ne m’en cacherai pas, j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler à cet endroit. J’ai obtenu, je pense, une collaboration extraordinaire de la part des fonctionnaires qui étaient là. Je ne dirais pas simplement un travail sain mais vraiment une grande collaboration. En aucun temps je n’ai pu sentir que la machine pouvait bloquer ou ralentir les entreprises qu’on avait, mais, au contraire, participait à cette action-là.
J’ai, dans ma pratique antérieure, en droit municipal mais aussi en droit environnemental, eu l’occasion de côtoyer à de nombreuses reprises les gens du ministère de l’Environnement. J’en connais plusieurs individuellement personnellement, et je suis persuadé que je vais obtenir de leur part exactement le même genre de collaboration.
J’ai ici un dossier qu’on m’a remis pour me faire connaître plus à fond les dossiers qui sont au ministère de l’Environnement. Ça va me faire plaisir d’en prendre connaissance et plus tard, dans quelques jours, de vous reparler, de faire des commentaires sur ces dossiers.
M. Larocque (Paul): Ce ne serait pas exagérer, M. Bégin, de dire que vous êtes déçu…
Une voix: M. Bégin, en anglais…?
M. Larocque (Paul): M. Ménard, êtes-vous aussi déçu de quitter la Métropole que M. Bégin l’est de quitter la Justice?
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Ménard: Non, je ne veux pas commenter là-dessus. Je pense que le succès du ministère de la Métropole doit être aussi mesuré aux obstacles que nous avions à rencontrer autant que le chemin que nous avions eu à parcourir.
M. Larocque (Paul): Vous êtes heureux de… M. Ménard: C’est un sentiment mêlé. J’ai appris beaucoup de choses pendant ces 18 mois. Je m’étais passionné des dossiers économiques. J’étais prêt à renoncer à beaucoup de choses et là je m’en vais dans un domaine avec lequel je suis plus familier et avec lequel j’avais perdu contact pendant ces 18 derniers mois. C’est nécessairement… C’étaient deux chemins devant moi qui étaient aussi agréables l’un que l’autre, quoique très différents.
Une voix: Est-ce que ça a été plus dur que vous pouviez l’imaginer, à la Métropole, ce défi-là de mettre ensemble des gens qui n’ont peut-être pas…
M. Ménard: En général, oui, des choses qui étaient plus difficiles que ce que j’imaginais, d’autres qui ont bien été. Mais j’ai quand même rencontré des gens, là, d’une très grande qualité. Je dirais qu’en politique — puis ça s’applique en politique municipale un peu comme à la nôtre — on sent le besoin, continuellement, d’exagérer ses réactions, d’exagérer ci… Alors, ça fait que les relations avec le milieu des affaires et le milieu syndical étaient beaucoup plus agréables parce qu’on n’avait pas cette exagération continuelle. Il a fallu que j’apprenne à décoder, je dirais, les fausses chicanes entre municipalités, pendant un certain temps. Là j’étais… je commençais à être assez prêt à diviser par deux ou, dans certains cas, par 10 ou par 100 les remarques qui m’étaient faites, et…
Une voix: Est-ce que c’est vous qui avez demandé une nouvelle affectation?
M. Ménard: Ah, ça non. Absolument pas. D’ailleurs, on m’avait déjà posé la question il y a quelques mois, par surprise. Mme Kathia Gagnon, alors qu’on parlait d’autres choses et j’avais dit le contraire, j’avais dit: ça fait quand même 18 mois que j’apprends, que je commence à maîtriser bien mes dossiers, ce ne serait pas utile. Mais, ce n’est absolument pas moi qui ai demandé la justice.
Et puis vous dire que, bon c’est vrai que quand je me suis présenté en politique, c’est ça que j’envisageais, pas tellement que c’est ça que je voulais; c’est parce que je pensais que c’est pour ça que j’étais le mieux prêt. Mais j’ai été très heureux au ministère de la Sécurité publique, chacun le sait.
M. Ménard: Well, I think he is must better prepared than me ]
[ Une voix: M. Perreault. On va continuer… M. Perreault, vous connaissez bien, évidemment, la région de Montréal. D’abord une question. Est-ce que vous allez bien vous entendre avec le maire Bourque qui est un acteur important dans le dossier?
M. Perreault: D’abord, je dois vous dire que je suis très heureux de la confiance du premier ministre dans ce dossier. Oui, je pense que je connais bien la région de Montréal, mais je pense que je l’aime bien aussi, pour y vivre depuis de très, très nombreuses années. J’ai l’impression qu’il y a des défis importants à relever et, bien sûr, écoutez, c’est connu, j’ai une expérience passée. Cette expérience est un plus dans la mesure où je connais, je pense, les problèmes de Montréal et de la région, tant du point de vue de ce que j’ai fait au plan de l’Hôtel de Ville qu’au niveau du dossier du transport métropolitain.
Mais, encore une fois, c’est une expérience qui est en arrière, c’est le passé. Le maire Bourque peut avoir ma collaboration, c’est bien certain, il l’aura et elle sera entière. D’ailleurs, à mon avis, une des grandes priorités, ce que je souhaite faire, ce à quoi je souhaite m’attaquer en premier lieu, c’est, bien sûr, tout le problème de la fiscalité de Montréal qu’il faut régler. Et, làdessus, j’ai la conviction que le premier ministre a la même compréhension de la situation. Et, là-dessus, je pense que j’aurai à travailler avec le maire Bourque de façon très
étroite.
M. Larocque (Paul): M. Perreault, on raconte que transiger avec le maire Bourque, ce n’est pas toujours évident. Votre vie antérieure au RCM, est-ce que ce n’est pas un handicap de plus?
M. Perreault: Vous savez, dans mes expériences passées, y compris la dernière, j’ai transigé avec toute sorte de monde. Et, ce n’est pas toujours du monde facile, particulièrement dans certaines situations. Non, très simplement, encore une fois, je pense que c’est un plus l’expérience, encore une fois, qui est une expérience du passé. C’est un plus. Je crois bien connaître les dossiers de Montréal. Et, je pense que je peux, de ce point de vue là, assez rapidement, établir avec l’administration de Montréal un lien de confiance pour faire en sorte qu’on règle des problèmes. Ma priorité, ma conviction, ma volonté, c’est de, rapidement, autant que possible au cours des tout prochains mois, de régler un problème qui, à mon avis, empoisonne les relations de Montréal avec ses voisins et qui est celui du fameux problème de la fiscalité. Si on le règle, je pense qu’on aura là établi la base pour pouvoir assurer une coopération où personne se regardera en chiens de faïence, les uns les autres.]
[ Une voix: M. Cliche.
M. Larocque (Paul): M. Cliche, c’est évident que vous êtes emballé de votre nouveau défi au nouveau ministère, mais, de l’Environnement au ministre délégué au Tourisme, évidemment, peutêtre que le poids politique n’est pas le même au cabinet. Vous n’êtes pas un peu déçu?
M. Cliche: J’ai fait, dans les dernières heures, un bilan assez sommaire et ce que je retiens de ces 18 mois à l’Environnement et à la Faune c’est que j’ai constamment oeuvré pour ce qu’est le mandat premier du ministre de l’Environnement et de la Faune, soit voir à la conservation de l’environnement et de la faune. Et, honnêtement, je fais un bilan. Vous me direz: C’est un bilan non objectif parce que, celui du ministre. Mais, dans les derniers 18 mois, si je ne pense qu’à, par exemple, la révolution agricole où les producteurs agricoles ont pris ce virage environnemental tant attendu — ça faisait des années, sinon des décennies qu’on le demandait — au niveau de la faune. Toutes les mesures de conservation, nouvelles mesures de la conservation de la faune notamment pour l’ours noir… Je fais un bilan positif de mon passage à l’Environnement et la Faune. Et, lorsque le premier ministre m’a demandé d’assumer de nouvelles fonctions au Tourisme, me disant qu’il y avait beaucoup de bon travail qui avait été fait, mais qu’il jugeait nécessaire de déléguer quelqu’un à temps plein à ce secteur économique du Québec, je suis immédiatement sauté – comme vous le savez, vous me connaissez, je suis un homme énergique, optimiste – dans ce nouveau défi et c’est avec un véritable enthousiasme que j’entrevois mon travail dans ce ministère à vocation économique, dans ce secteur de l’économie du Québec qui est en plein essor. Au niveau international, c’est un secteur qui est en plein essor. Je connais le Québec, je pense, assez bien. Je connais bien les régions du Québec et en matière d’écotourisme, en matière de tourisme qu’on prédit comme étant le tourisme d’avenir, l’écotourisme, le tourisme dans la nature du Québec, je pense que je suis peut-être la personne qui peut contribuer à ceci. Mais je prends ça comme une nouvelle étape positive dans ma vie politique toute jeune. Je suis content de ce que j’ai fait. Je sors de là avec un bilan… je laisse le soin aux analystes et à vous tous de faire cette analyse. Personnellement, je sors satisfait avec un bilan que je considère positif.
M. Lessard (Denis): Avez-vous l’impression que ce sont des déclarations… qui vont entacher votre dossier?
M. Cliche: Le ministère de l’Environnement et de la Faune est un ministère qui, de par son essence même… Il faut que vous sachiez qu’il n’il n’y a pas de développement qui ne soit approuvé par le ministre de l’Environnement et de la Faune. Donc, c’est un ministère qui fait couler beaucoup d’encre, qui suscite la controverse, je ne le cache pas. Mais quand je regarde le bilan de tout ceci – j’ai eu le plaisir de commenter sur des propos, quelquefois assez colorés, que j’avais tenus, j’en conviens – mais quand je regarde le bilan de ça, 25000 producteurs agricoles du Québec vont se doter de plans de fertilisation dans les trois prochaines années, la pollution des eaux et des nappes phréatiques par la pollution agricole sera, dans quelques années, chose du passé, si je n’avais fait que ca, j’en garde un bilan très positif et je suis sûr que M. Bégin qui me suit, je lui laisse un ministère en santé, un ministère en pleine réforme. On a toutes sortes de chantiers enthousiasmants. Mais cette mission, que j’ai au Tourisme, m’enthousiasme. Je suis déjà plongé là-dedans et je suis déjà plein d’optimisme.
Une voix: Alors on vous remercie beaucoup, Il n’y a pas d’autres questions? Ça va? On vous remercie.
(Fin à 15 h 39)]
[QBOUC19970916cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre Déclaration de Calgary Le mardi 16 septembre 1997
(Seize heures)]
[ M. Bouchard:] Il y a bientôt deux ans, l’avant-dernier jour d’octobre 1995, plus de neuf Québécois sur 10 quittaient leur domicile pour participer au plus grand exercice démocratique que nous ayons connu: un référendum sur l’avenir du Québec. Presque un Québécois sur deux était suffisamment confiant dans les capacités de notre peuple, suffisamment content de la place du Québec au Canada, suffisamment opposé au statu quo canadien pour voter en faveur de la souveraineté du Québec assortie d’une offre de partenariat. Parmi ceux qui ont appuyé le Non, il y en avait aussi beaucoup qui rejetaient le statu quo et qui votaient pour les changements promis par les leaders fédéralistes. Ces électeurs du Non avaient cru aux déclarations d’amour de centaines de milliers de Canadiens et de leur premier ministre. Les électeurs souverainistes et beaucoup de fédéralistes avaient en commun une puissante volonté de changement. On peut résumer en quelques mots leur dénominateur commun. Tous ces Québécois souhaitaient une plus grande maîtrise de leurs affaires, plus de pouvoirs pour le Québec et ils souhaitaient la reconnaissance de leur existence comme un peuple. La plupart des électeurs du Non voulaient plus de pouvoirs pour le Québec et une reconnaissance par le Canada. Ceux du Oui voulaient tous les pouvoirs et une reconnaissance internationale.
Dans les journaux du monde entier, le lendemain de ce vote, on écrivait que le Canada avait reçu un sévère avertissement et qu’il devait procéder rapidement à des changements majeurs pour satisfaire les Québécois, faute de quoi, disait-on dans les capitales du monde, le Québec choisirait finalement la souveraineté. Presque deux ans se sont écoulés depuis sans changement tangible.
Dimanche dernier, un des vétérans de ces discussions, M. Roy Romanow, premier ministre de Saskatchewan, le reconnaissait volontiers en déclarant que, face aux Québécois qui proposent la souveraineté, le Canada n’avait rien de neuf à offrir. «We have nothing», a-t-il dit. Nous avons les mains vides.
Alors, ces premiers ministres du Canada anglais ont passé onze heures ensemble. Ils ont consulté leur chef de l’opposition et les politiciens fédéraux. À Calgary, dimanche, chaque premier ministre anglophone était conscient du refus entêté de ses électeurs à toute proposition qui donnerait au Québec des pouvoirs accrus ou un statut spécial. Chaque premier ministre du Canada anglais savait que, s’il s’aventurait à proposer de reconnaître l’existence d’un peuple québécois, il perdrait immédiatement la confiance de ses électeurs. Péniblement, ensemble, ils ont donc produit un document qui constitue la seule réponse possible du Canada au vote référendaire de 1995. Je ne doute pas que mes collègues du Canada soient allés au bout de leur capacité d’agir, aient étiré jusqu’à l’extrême leur marge de manoeuvre. La déclaration de Calgary représente par conséquent le maximum absolu de ce que le Canada peut offrir aux Québécois.
Mais maintenant que nous, électeurs du Québec, avons la réponse maximale du Canada à notre vote référendaire, nous devons nous poser deux questions. D’abord, y a-t-il dans cette offre plus de pouvoirs pour le Québec? Nous, Québécois, serions-nous, pour emprunter le slogan le plus populaire de notre histoire, davantage «maîtres chez nous»? Absolument pas, au contraire. Si cette offre devenait réalité, nous serions moins maîtres chez nous que maintenant. Car, pour la première fois dans un document de cette sorte, les premiers ministres invitent le gouvernement fédéral à envahir ce qui nous reste d’autonomie et à s’occuper de nos programmes sociaux. Depuis près de 40 ans, Jean Lesage, Daniel Johnson père, Robert Bourassa, René Lévesque et Jacques Parizeau ont exigé du gouvernement fédéral qu’il nous laisse gérer nos programmes sociaux selon nos priorités québécoises et à notre façon, comme le prévoit le pacte d’origine entre les deux peuples fondateurs, la Constitution de 1867. Depuis dimanche, les premiers ministres des provinces anglophones proposent exactement le contraire. Sur les pouvoirs du Québec, c’est tout, il n’y a rien d’autre. Seulement un recul majeur.
Le programme du Parti libéral du Québec, le rapport Allaire, demandait 22 pouvoirs exclusifs pour le Québec. Le Canada en offre zéro. Pire, il propose, en fait, de réduire la maîtrise de notre politique familiale ou de santé de tout ce qui exprime notre solidarité sociale québécoise. L’accord du Lac Meech était décrit par le premier ministre Robert Bourassa comme présentant les conditions les plus minimales jamais acceptées par le Québec. On y trouvait quand même la capacité pour le Québec de s’occuper d’immigration ou de désigner des juges de la Cour suprême, entre autres choses. D’autres pouvoirs devaient s’ajouter par la suite, lors d’une deuxième ronde de négociations. Aujourd’hui, dans la déclaration de Calgary, rien. Dans l’accord de Charlottetown en 1992, les fédéralistes faisaient au moins semblant de nous accorder des pouvoirs. Mais ce que les Québécois ont rejeté alors comme trop peu, le Canada juge encore aujourd’hui que c’est trop et il nous suggère de renoncer à des pouvoirs que nous avons encore. Deuxième question: Y a-t-il, dans ce document, une reconnaissance de l’existence du peuple québécois? C’est ici, je pense, que l’on touche l’aspect le plus triste de l’histoire des relations entre les Québécois et les Canadiens. Lorsqu’on demandera, dans quelques années, pourquoi ces deux peuples n’ont pas pu continuer à vivre dans le même régime fédéral, on répondra d’abord et avant tout qu’il y avait pénurie de respect et de reconnaissance. On répondra qu’un des deux peuples refusait de reconnaître l’existence de l’autre. Pourquoi est-il si difficile pour nos voisins canadiens d’utiliser pour parler de nous des mots que nous méritons autant que tous les autres peuples du globe? Tout récemment, le gouvernement britannique reconnaissait la fière nation historique d’Écosse. Et nous-mêmes, Québécois, avons formellement reconnu les nations autochtones qui vivent au Québec. Et, de tout temps, nous avons reconnu l’existence du peuple canadien anglais. Mais il y a chez nos voisins un refus viscéral de nous rendre la pareille. Chaque décennie et chaque année qui passe semble durcir ce refus. Et plus le peuple québécois est fort, vibrant, économiquement solide, moins nos voisins veulent nous reconnaître.
Au début, on disait qu’il y avait au Canada deux peuples fondateurs. Dans les années soixante, le premier ministre canadien Lester Pearson reculait d’un pas en affirmant que le Québec formait une nation, mais à l’intérieur de la nation canadienne. Dans les années soixante-dix, on dilue encore. Ottawa refuse de parler de peuple ou de nation, notre présence étant plus subtilement suggérée par le mot dualité. Et dans les années quatre-vingt, on descend encore de plusieurs pas. Finie la dualité, mais certains au Canada anglais étaient encore disposés à nous décrire comme une société distincte. Beaucoup de Québécois pensaient que cette reconnaissance minimale, si elle était assortie de pouvoirs supplémentaires pour le Québec, aurait pu donner lieu à un compromis. Ça n’a pas marché. Aux élections fédérales, le printemps dernier, les libéraux et les conservateurs ont proposé de reprendre cette expression de société distincte, mais en précisant dans leur programme que ça ne voulait absolument rien dire. C’était encore trop pour les électeurs canadiens et M. Jean Chrétien et Jean Charest se sont mis à oublier d’en parler lors de leur tournée électorale dans l’Ouest.
Ces derniers mois, même Daniel Johnson, l’actuel chef du Parti libéral du Québec a lancé la serviette sur le terme «société distincte». En Ontario, il avait ouvert une sorte de concours pour trouver d’autres mots qui ne choqueraient aucun Canadien anglais. Samedi, avant même la réunion de Calgary, il acceptait déjà ce que le Canada n’avait pas encore proposé. Tout heureux, il annonçait qu’il allait tirer tout le crédit pour lui-même et son parti. Il donnait au Canada un extraordinaire chèque en blanc. Quel désolant spectacle. Le successeur de Jean Lesage jetant la personnalité du Québec en pâture aux moins offrants et obtenant, en échange, l’aide des politiciens de Toronto, de Fredericton ou de Saint-Jean, Terre-Neuve, pour sa prochaine campagne électorale au Québec.
C’est la première fois, je pense, que l’opposition du Québec, qu’un chef de l’opposition du Québec va mendier au Canada anglais des appuis pour son parti. M. Johnson est ainsi devenu le candidat officiel du Canada anglais au poste de premier ministre du Québec. Son programme électoral a été écrit dimanche dernier à Calgary par les provinces anglophones. C’est sa stratégie. C’est le chemin qu’il a choisi. Moi, je préfère définir les intérêts des Québécois au Québec avec les femmes et les hommes du Québec.
Quoi qu’il en soit, à l’invitation de M. Johnson et à sa suite, les premiers ministres du Canada anglais ont fouillé dans tous les dictionnaires pour trouver les mots les plus anodins, les plus vides pour nous nommer. Refusant de nous reconnaître comme un peuple ou comme une nation, apeurés même par la coquille vide de la société distincte, les premiers ministres du Canada anglais sont descendus au sous-bassement, où ils ont trouvé sans doute le terme le plus passe-partout qui soit: le «caractère unique». Les premiers ministres canadiens ont une telle volonté de gommer notre existence comme nation qu’ils ont même rebaptisé dans leur texte notre institution parlementaire: nous, nous la nommons fièrement «l’Assemblée nationale», mais ils ont fait disparaître le mot et ils parlent de notre «assemblée législative». C’est un peu comme s’ils voulaient abolir notre réalité nationale, la faire disparaître. Mais nous sommes uniques, disent-ils, par la langue de notre majorité, par notre culture et notre tradition de Code civil. Et alors? Qu’est-ce que ça donne? Qu’est-ce que ça change? Rien. Quelle trouvaille: Les Québécois sont uniques! On a envie d’ajouter: Comme tout le monde; uniques comme la chorale de Régina ou la rivière aux Escoumins, uniques comme le Skydome, le Cap Breton, la Labatt Bleue ou Wayne Gretzky. C’est comme si, au lieu de reconnaître l’existence des nations autochtones du Québec, nous nous étions contentés de décrire leurs langues et leurs traditions. Mais nous les avons reconnues comme nations, ce qui signifie qu’elles existent en tant que collectivités et qu’elles ont des droits, ce qui signifie que nous les respectons. Voilà la différence que le Canada fait semblant de ne pas comprendre. Nous ne voulons pas une description des Québécois; les librairies en sont pleines et nous savons ce que nous sommes. Nous voulons être reconnus comme un peuple, car nous sommes capables d’assumer notre destin et notre développement. Je note d’ailleurs que le texte de Calgary parle sans hésitation des peuples autochtones, mais pas du peuple québécois. Je vois aussi qu’on y écrit que notre caractère est tellement unique qu’il est fondamental pour le bien-être du Canada. Est-ce une façon de dire que nous n’avons pas le droit de quitter le Canada, puisque son bien-être en dépend? Cette expression nous rendrait donc à la fois socialement uniques mais politiquement eunuques. Ce qui m’amène à un autre aspect intéressant de ce texte. Vous savez combien le Québec, ces dernières années, s’ouvre sur le monde, multiplie ses relations avec la Francophonie, mais aussi avec les Américains, les Européens, les Africains, les Asiatiques. Vendredi, dans notre capitale nationale, nous allons recevoir des parlementaires de tous les pays d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Nous, Québécois, pensons que c’est notre façon de nous épanouir. À Calgary, ils ne voient pas les choses ainsi. Dans leur texte, ils veulent bien admettre que notre assemblée législative n’est pas nationale, protège notre caractère unique, mais seulement au sein du Canada. Ils ont pris bien soin de n’ouvrir aucune porte sur le monde, de ne reconnaître au Québec aucun droit de participer à la grande conversation des nations. Tout se tient. Puisque, selon eux, nous ne sommes pas une nation, comment pourrions-nous prétendre à être international, à parler nous-mêmes aux autres peuples? Cette clause exprime bien la volonté du Canada de nous faire entrer dans le moule, le moule réducteur de l’égalité des provinces. Elle exprime bien une volonté de décrire la différence québécoise comme quelque chose de passéiste et de folklorique qui ne doit avoir aucune conséquence pour notre avenir. Le Québec d’aujourd’hui, c’est bien plus que le Code civil et la langue. C’est un carrefour entre les civilisations américaines et françaises, c’est une capitale qui vit au rythme des Amériques, c’est une métropole qui compte une plus grande proportion d’emplois de haute technologie que toute autre ville du continent. C’est une culture francophone de plus en plus riche de ses métissages et de son contact avec l’étranger. C’est une économie désormais nettement plus forte de ses ventes internationales que de ses échanges avec le Canada. Le Québec, tous les jours et de 1000 façons, est en train de venir au monde. À Calgary, on voudrait l’enfermer dans son passé. Plus on l’examine, plus on voit que le texte de nos voisins Canadiens nous rapetisse, nous comprime, nous réduit. L’ambition du Canada, c’est que le Québec ne soit pas ambitieux. Il y a deux ans, 49,5 % des Québécois, 4 % des Québécois, ont voté oui à la souveraineté et ce coup de tonnerre n’a pas suffi à nous valoir le respect et la reconnaissance, encore moins la maîtrise de nos affaires. Il y a deux ans, nous avons mobilisé toutes nos forces pour lancer à nos voisins le plus grand appel au changement de notre histoire. Dimanche, à Calgary, les premiers ministres ont été clairs: Le Canada n’effectuera aucun des changements souhaités par les Québécois. M. Harris de l’Ontario a été on ne peut plus net. Nous ne ferons rien de spécifique, a-t-il dit. Ainsi, les premiers ministres ont démontré sans l’ombre d’un doute que si les Québécois veulent être reconnus comme le peuple qu’ils sont, s’ils veulent maîtriser leur destin, ils n’ont qu’un moyen d’y arriver, c’est de voter pour la souveraineté la prochaine fois à la majorité.
Alors, pendant que les citoyens du Canada anglais débattront entre eux à savoir si l’offre de Calgary est suffisamment banale à leur goût, nous, au Québec, nous continuerons à accomplir les tâches que nous nous sommes collectivement données: créer de l’emploi pour les Québécois, nous occuper de santé et d’éducation, améliorer les conditions des familles du Québec, éliminer une fois pour toutes le déficit pour arrêter d’endetter nos jeunes. Et sans nous laisser dévier de nos objectifs, nous allons continuer à défendre la démocratie et les institutions québécoises. Nous le faisons pour le bien du Québec, mais aussi pour préparer le peuple québécois aux grands défis qui l’attendent. Bientôt mieux outillé pour faire face à l’avenir, il aura l’occasion de se reconnaître lui-même en devenant enfin, sereinement et souverainement, maître de son destin et présent au monde. Merci.
[ Mme Gagnon (Katia): Alors, on va passer aux questions. Première question, Normand Girard.
M. Girard (Normand): M. le premier ministre, j’ai deux questions. Je voulais laisser la Constitution à mes jeunes collègues, mais il y a un passage de votre exposé qui m’a frappé, quand vous avez dit: «Nous voulons être reconnus comme peuple, car nous sommes capables d’assumer notre destin et notre développement.» M. Jacques Brassard, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes a déclaré hier soir, à la télévision, je l’ai entendu dire que ça pouvait se réaliser en dehors de la souveraineté. Estce que vous êtes d’accord avec ça et est-ce que vous pouvez nous expliquer comment? Ça, c’est ma première question, puis ma deuxième question a trait à la descente que devait faire la GRC et la police de la CUM la semaine dernière, sur la réserve de Kahnawake, sans aviser le gouvernement du Québec. Et je voudrais avoir votre impression, à savoir si vous ne trouvez pas dangereux que la GRC fasse des descentes dans des milieux aussi explosifs que celui des réserves amérindiennes au Québec, notamment chez les Mohawks, sans aviser le gouvernement du Québec et sans faire appel à la collaboration de la Sûreté du Québec. C’est mes deux questions, M. le premier ministre.]
[ M. Bouchard:] Légèrement différentes l’une de l’autre.
[ M. Girard (Normand): Voilà.]
[ M. Bouchard:] Pour ce qui est de la première question, il n’y a rien qui aurait empêché les premiers ministres, en fin de semaine, de s’entendre pour proposer la reconnaissance du peuple du Québec. Et à ce moment-là, le débat qui aurait eu lieu, par la suite, au cours du référendum, ça aurait été: Est-ce que les Québécois se contentent de cela ou s’ils veulent vraiment se comporter comme peuple en se donnant un pays souverain? Je pense que c’est ce que Jacques Brassard devait vouloir dire. Mais nous savons bien que nous ne sommes pas en face de cette proposition, jamais le Canada anglais n’est capable d’accoucher d’une telle proposition. Ils ont trouvé le terme le plus — si vous me permettez l’expression — insipide qui soit, et qu’ils considèrent tel, d’ailleurs, eux-mêmes, et encore, ils se demandent s’ils auront le pouvoir de le proposer.
On est loin de cette question, en réalité, parce que, à savoir si c’est suffisamment banal pour eux, je m’en remets à ce que mon collègue et ami, Mike Harris, a dit aujourd’hui concernant le caractère unique du Québec. Il a dit que le Manitoba est unique en raison de ses peuples aborigènes, que BC est également unique avec les Chinook et que le saumon de la Côte Ouest rend également cette région très unique. Vous voyez ce qu’on pense de la banalité de l’affaire. Donc, ils ont espérance que ça passe tellement que c’est banal, au Canada anglais.
Pour ce qui est de la question que vous avez posée, je ne voudrais pas m’immiscer dans ce dossier, vous savez, c’est la Sécurité publique, les rapports entre les corps policiers, les avis qu’ils doivent se donner, la coopération qui doit exister, je pense que ça fait partie d’un domaine un peu réservé du ministre de la Sécurité publique. Je préférerais que vous lui posiez la question.
[ Mme Gagnon (Katia): Suzanne Ouellet.
Mme Ouellet (Suzanne): M. Bouchard, dans ce débat, il y a un deuxième élément qui est le plan B. On sait qu’il y a de nombreuses personnes dans le mouvement souverainiste qui demandent une riposte au plan B du gouvernement fédéral et on voyait, entre autres, l’ancien premier ministre Parizeau qui, dans Le Devoir, ce matin, invitait les souverainistes à ne jamais renoncer à une déclaration unilatérale de souveraineté. Est-ce que vous avez l’intention de procéder, de mener une riposte sur le plan B? Et comment vous réagissez, donc, à cet appel de l’ancien premier ministre?]
[ M. Bouchard:] Bien, je pourrais signer le texte de M. Parizeau. Je considère que c’est un excellent texte, qui est très clair, très transparent et qui pose très bien les choses. Pour ce qui est de la défense de la démocratie québécoise, j’ai en effet reçu beaucoup d’appels et beaucoup de gens autour de moi aussi. J’ai rencontré beaucoup d’instances du parti, du gouvernement et autres récemment. Il y a, en effet, une inquiétude qui s’exprime par rapport à cet assaut sans précédent qui est lancé contre la démocratie québécoise et les droits fondamentaux du Québec. Je sais qu’il y a des gens qui nous suggèrent toutes sortes de choses. Il y a l’idée même d’un groupe élargi au-delà des souverainistes, des démocrates québécois au sens le plus large du terme qui voudraient intervenir, qui souhaitent qu’un effort soit fait. On verra ce qui sera constitué comme instrument d’intervention. Il y a une chose dont je me rappellerai, parce qu’il s’agira de décider cette question, c’est que c’est un devoir fondamental de tout gouvernement de défendre la démocratie. Alors, on verra les détails de tout cela au cours des journées qui viennent.
[ Mme Thompson (Elizabeth): Claude Brunet.
M. Brunet (Claude): Si vous permettez, M. Bouchard, deux questions, d’abord une précision sur ce que vous venez de dire, vous dites que vous pourriez signer un document de M. Parizeau. Est-ce à dire que vous seriez prêt à procéder à une déclaration unilatérale de souveraineté avant d’entreprendre des négociations?]
[ M. Bouchard:] Non, ah non, après avoir négocié le partenariat, après avoir tenté ou réussi de négocier le partenariat. C’est le programme du Parti québécois, il n’y a pas de mystère là-dedans.
[ M. Brunet (Claude): Maintenant, ma deuxième question M. Bouchard. Qu’est-ce que le reste du Canada, qu’est-ce que les premiers ministres canadiens pourraient vous offrir qui pourrait vous satisfaire?]
[ M. Bouchard:] À partir de la notion et de la reconnaissance du peuple québécois s’attache la prérogative fondamentale d’un peuple de décider de lui-même de son avenir et d’assumer toutes ses responsabilités.
Mais, de toute façon, votre question, vous savez, ce n’est pas dans la réalité. Nous le savons. Nous ne sommes pas en face de cela. On sait très bien que nous avons eu toutes sortes de tentatives au Québec, tellement de gens au Québec sont devenus souverainistes. Ce n’est pas le cas de tout le monde, il y en a qui y sont venus pour des raisons plus profondes, des raisons du coeur, je dirais. Mais beaucoup de gens sont devenus souverainistes au Québec parce qu’ils ont constaté qu’il était impossible, justement, d’obtenir du Canada anglais le respect des aspirations et des revendications historiques du Québec. Et on sait que, justement, ça n’arrive pas. Nous venons d’avoir une confirmation éclatante de cela en fin de semaine parce que quiconque va analyser les précédents et les choses qui sont survenues avant, va constater que là, on est descendu de façon abyssale. On est au ras des pâquerettes. Jamais le Canada anglais n’a essayé de convaincre les Québécois avec si peu. Et si vous regardez les programmes de tous les partis, regardez même le programme du Parti libéral du Québec adopté récemment, vous verrez que cette proposition qui vient de Calgary est en porte-à-faux complet avec les exigences très minimalistes qui étaient en bas même de l’accord du lac Meech posée par le Parti libéral du Québec.
Alors, pour peu qu’on examine la question, cette proposition qui n’est pas encore d’ailleurs existante, elle est virtuelle, elle n’est pas encore faite, elle est mort-née. Elle est à rejeter du revers de la main. Et ne me demandez pas à moi de leur dire ce qu’ils devraient offrir, ils viennent de nous dire que c’est le maximum qu’ils peuvent offrir.
[ Mme Gagnon (Katia): Robert McKenzie.
M. McKenzie (Robert): M. le premier ministre. Dans le communiqué de Calgary, on lit que les premiers ministres, les chefs des territoires se seraient mis d’accord, semble-t-il, dimanche, avec le premier ministre Chrétien pour une rencontre cet automne. D’autre part, on fait allusion au voyage d’Équipe Canada au mois de janvier. Avez-vous l’intention de participer à ces événements-là? Et, comment allez-vous faire pour continuer d’avoir des bonnes relations avec les autres premiers ministres alors qu’ils ont entrepris une démarche, je pense, sans précédent, dans le but précis de vous faire battre aux prochaines élections?]
[ M. Bouchard:] Bon. La question se pose. En effet, je ne pense pas qu’il ne soit jamais arrivé au Québec que des premiers ministres de l’ensemble du Canada se soient liés dans un pacte pour se débarrasser d’un premier ministre du Québec. Est-ce qu’il y aura des conséquences dans les rapports personnels? En ce qui me concerne, je ne voudrais pas en tirer parce que j’estime nécessaire de maintenir de bons rapports tout de même professionnels avec des collègues quand il s’agit notamment des intérêts économiques du Québec, de la création d’emplois. Nous sommes toujours dans la fédération canadienne. Éventuellement, je pense que nous aurons à travailler en partenaires, de sorte que moi, je garde les portes ouvertes au plan personnel. Maintenant, pour ce qui est de futures conférences constitutionnelles, s’il devait y avoir une conférence constitutionnelle convoquée bientôt, je ne sais pas quand, avec le premier ministre Chrétien et les autres, je n’en serai pas, bien sûr. Je ne vois pas ce que je ferais là, surtout que ça va s’inscrire dans le prolongement de ce document qui n’a aucune valeur à sa face même. Par contre, pour ce qui est de Team Canada, nous avons, je pense, tous convenu d’un modus vivendi et d’une définition de ses missions. Ses missions sont économiques. Ses missions ne comportent aucun aspect politique. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, la dernière a réussi. Parce que nous nous sommes concertés pour la restreindre aux intérêts économiques, à la création d’emplois, aux échanges commerciaux et industriels avec les autres pays. Alors, s’il y avait un détournement d’avion, si on transformait l’avion de Team Canada en «junket» constitutionnel, bien, je ne serais pas à bord, c’est évident. Mais je doute fort qu’on veuille faire ça. J’en doute fort. Ils peuvent se parler sans moi ailleurs que dans un avion.
[ M. McKenzie (Robert): Juste pour être clair, M. le premier ministre. Cette réunion dont on parle qui serait une réunion avec M. Chrétien sur la politique sociale et la santé, l’emploi pour les jeunes cet automne…]
[ M. Bouchard:] C’est autre chose, ça.
[ M. McKenzie (Robert): …vous n’y avez pas été en même temps que les autres, dimanche, et vous n’avez pas l’intention d’y aller. ]
[ M. Bouchard:] Non, ça, c’est autre chose, ça. Vous m’avez dit une conférence constitutionnelle. Je n’ai pas compris la question. Si la conférence devait être constitutionnelle, surtout s’inscrire dans la continuité de ce qui est amorcé à Calgary, je ne vois pas ce que j’y ferais. Mais si la conférence devait porter sur l’emploi, l’emploi des jeunes, ça, c’est autre chose. C’est autre chose, c’est bien sûr. Je ne vois pas qu’on puisse mêler les programmes de la conférence qu’il y ait du constitutionnel et de l’emploi pour les jeunes. Moi, ce que j’ai cru comprendre, c’est qu’il y aurait un moment donné une réunion qui traiterait de l’emploi pour les jeunes, qui traiterait des programmes sociaux. Et si j’y suis ce sera pour leur rappeler qu’ils n’ont pas le droit de faire ça, qu’ils violent la constitution canadienne, qu’ils veulent provoquer un recul sans précédent. Dans ces conditions, oui, enfin, on verra mais je n’ai pas d’objection de principe à participer à ces réunions. Au contraire, j’ai démontré que chaque fois qu’il apparaissait nécessaire pour les intérêts du Québec d’être présent, j’y étais.
[ Mme Gagnon (Katia): Patrice Roy.
M. Roy (Patrice): C’était la même question. Donc, vous serez peut-être à cette réunion? Vous y serez à la réunion?]
[ M. Bouchard:] Oui, je n’ai pas de… Je n’oppose pas une fin de non-recevoir à cette convocation éventuelle puisque je crois comprendre qu’elle ne portera pas sur le constitutionnel. Et s’il y avait des attaques déguisées ou directes contre les compétences du Québec, je serai là pour les repousser.
[ M. Roy (Patrice): Votre constat est très clair, M. Bouchard, donc vous dites qu’après 11 heures, vous avez vraiment la certitude que le Canada anglais est arrivé au bout de ce qu’il pouvait offrir au Québec?]
[ M. Bouchard:] C’est évident, parce que voyez les précautions oratoires qui sont prises depuis dimanche, et même dimanche soir, pour banaliser la proposition en rappelant à tout le monde qu’ils sont tous uniques. Ne vous en faites pas, vous aussi vous êtes uniques. Puis, si ça vous inquiétait, vous êtes tous égaux, en plus. Vous voyez bien qu’il ne s’en rajoutera pas. Au contraire, ça ne peut que se détériorer, c’est bien évident.
[ M. Plante (Bernard): Oui, M. le premier ministre.
Sur un autre sujet, si vous permettez. La date butoir avec les municipalités devait être hier. Ça a été prolongé, M. Trudel l’a annoncé, jusqu’à vendredi. Il y a eu des rencontres avec M. Boivin, M. Charlebois également, avec l’UMQ, l’UMRCQ, qui n’ont absolument rien donné, en tout cas si on regarde ce que les porte-parole des unions municipales nous ont dit. Pourquoi vous continuez? Parce que vous aviez dit:…]
[ M. Bouchard:] …ces opinions que ça n’a rien donné. Non, nous continuons de travailler sur des possibilités de solutions et moi, si je ne ferme pas la porte aux discussions, c’est justement parce qu’elles continuent d’avoir lieu et qu’il y a des choses qui se discutent. Vous savez comment c’est, les négociations, hein? C’est la dernière heure avant la réussite et la plus sombre. C’est la plus sombre.
[ M. Plante (Bernard): Et si ça devait achoppé, qu’est-ce que vous faites?]
[ M. Bouchard:] On verra tout ça. Mais moi, je persiste à déceler chez la grande majorité de nos vis-à-vis sinon l’unanimité, la bonne foi, le désir de trouver une solution concertée avec le gouvernement et les parties intéressées. Les gens continuent de travailler. Ça travaille intensément, là, très intensément. On verra. Je suis l’affaire de près, bien sûr, je suis renseigné presque aux heures. On verra.
[ M. Plante (Bernard): Est-ce que vous serez là, jeudi? Jeudi, il y a une nouvelle rencontre avec les unions, est-ce que vous y serez?]
[ M. Bouchard:] Bien, je suis à Québec jusqu’à vendredi en fin de journée. Alors, je ne suis pas loin de mon profit, comme on dit.
[ M. Morin (Gilles): Si vous me permettez une précision, M. le premier ministre, les petites municipalités, en particulier, disent qu’elles n’ont aucune marge de manoeuvre et qu’elles n’auront d’autre choix que d’augmenter le compte de taxes. Quels outils vous êtes prêt à leur donner, petites ou grandes municipalités? Elles ont réclamé du gouvernement une aide pour
assouplir les conventions collectives, entre autres, revoir peut-être la gestion des écoles, l’entretien des écoles plutôt que le transport scolaire, et c’est une fin de non-recevoir. Est-ce qu’il y a quand même un espoir de donner des outils?]
[ M. Bouchard:] Fin de non-recevoir, c’est à voir, tout ça, c’est à voir. La négociation, ça se situe à plusieurs niveaux. Il y a la partie audiovisuelle qui est très importante, il y a les discussions nocturnes, les discussions diurnes, il y a des niveaux, enfin, vous savez, c’est très compliqué. Mais, par contre, l’important pour moi c’est que la démarche est en cours et que les gens parlent des vraies affaires. Nous sommes sensibles à des arguments qu’on nous fait voir. Je suis sensible à l’idée que nous devons faire preuve d’équité dans l’effort, au sein des municipalités. Je sais bien qu’il ne peut pas y avoir de solution uniforme, mur à mur, là, qui ne tienne pas compte du caractère spécifique de certaines situations, et on travaille avec les visières ouvertes et on avance. Alors, je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, tant qu’on n’aura pas…
[ M. Morin (Gilles): Mais quelle garantie donnez-vous aux Québécois qu’ils n’auront pas à subir une augmentation de taxes…]
[ M. Bouchard:] Non, je ne peux donner de garantie à personne. Là, on est en train de travailler et puis on va essayer de sortir avec le meilleur résultat possible. Les Québécois ne s’attendent pas à ce qu’on fasse des miracles, ils s’attendent à ce qu’on travaille avec bonne foi, avec sérieux, avec rigueur, avec équité, avec transparence; c’est ce qu’on fait, et en général, ce sont les conditions qui permettent d’arriver à des résultats acceptables et raisonnables.
[ Mme Ouellet (Suzanne): Mais en sous-question, M. Bouchard, est- ce que ce n’est pas irréaliste, plus le temps passe, de penser que ce sera possible de réaliser les économies attendues dans le domaine de la main-d’oeuvre, alors qu’on sait que les échéances budgétaires pour les municipalités sont très…]
[ M. Bouchard:] Je crois que c’est réaliste, madame. Quand on pense qu’il y a près de 700000000 $ de surplus actuariels dans les fonds de pension, quand on pense à ça, c’est de l’argent, ça. Je ne dis pas qu’il est réparti toujours aux bons endroits, mais il y a des possibilités; et puis ces conventions collectives, elles sont souvent généreuses.
[ Une voix: Ah oui?
[ M. Bouchard:] Il est possible, sans toucher en aucune façon au niveau de rémunération, de soulager l’effort des municipalités du côté de la gestion; il y a toutes sortes de possibilités. Laissez-nous travailler et, quand on sera en mesure de vous donner une réponse, on vous la donnera.
[ M. Morin (Gilles): Mais les clauses de clause remorque et de plancher d’emploi, qui paralysent surtout les villes plus grosses, ça semble être un blocage à récupérer de l’argent, ça.]
[ M. Bouchard:] C’est un obstacle important.
[ M. Morin (Gilles): Alors, qu’est-ce que vous pouvez faire pour les aider?]
[ M. Bouchard:] Il faut essayer de surmonter les obstacles.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
M. Morin (Gilles): Alors, comment?
Une voix: Comment faites-vous ça?]
[ M. Bouchard:] Bien, c’est ce qu’on fait actuellement.
[ Des voix: Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] On travaille sur le comment, là, on travaille sur le comment.
[ Une voix: Est-ce que vous allez prendre les dimanches? Ha, ha, ha!
(Fin à 16 h 45)]
[QBOUC19971205cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre et de M. Rémy Trudel, ministre des Affaires municipales Négociations dans le secteur municipal
Le vendredi 5 décembre 1997
(Quatorze heures seize minutes) ]
[ La Modératrice: On a une vingtaine de minutes, 15 en français et cinq en anglais. Bien, on peut commencer en anglais. O.K.]
[ M. Bouchard:] Mesdames, messieurs, je désire faire le point sur le dossier des négociations dans le secteur municipal et annoncer les mesures que le gouvernement entend prendre. D’abord, le constat. Depuis deux ou trois jours, nous avons fait un exercice d’inventaire de la situation qui nous fait conclure ce qui suit. Premièrement, jusqu’à la date butoir du 25 novembre, il s’est enregistré des progrès intéressants qui ont provoqué des règlements de l’ordre de 20 % à 25 % des cas. Deuxièmement, nous constatons un travail positif — je dirais intensif, même — des centrales, des dirigeants de l’UMQ et d’un grand nombre de syndicats et de municipalités. Troisièmement, par contre, nous constatons plusieurs blocages dans les syndicats locaux et aussi dans certaines municipalités qui n’ont pas déposé de proposition ni même convoqué la partie syndicale. Quatrièmement, depuis cette date butoir, nous avons, bien sûr, constaté un enlisement assez généralisé, quoiqu’il y ait des discussions intensives présentement en cours dans les dossiers importants.
Je veux réitérer la nécessité, pour le gouvernement et pour le Québec, de réaliser les économies escomptées et d’atteindre les résultats prévus. Les motifs sont évidents. D’abord, l’assainissement des finances publiques. Deuxièmement, l’équité entre les salariés du secteur public et du secteur municipal. On sait quels sacrifices ont consentis les centaines de milliers de travailleurs du secteur public. Troisièmement, l’équité interne, cette fois-ci, entre les travailleurs municipaux. À partir du moment où vous en avez 20 %, 25 % qui ont accepté de faire leur effort de 6 %, il serait inconcevable que les autres en soient exemptés parce qu’ayant refusé de le faire. Ce qui amène également une équité entre les contribuables municipaux puisque, dans les municipalités où l’effort a été fait, il y aura exemption de hausses de taxes alors que, si on laisse la situation telle qu’elle est présentement dans les municipalités où il n’y a pas eu d’efforts de faits, on expose les citoyens à des hausses de taxes, ce qui ne serait pas équitable. Troisièmement, le gouvernement a contracté, dans son entente du 23 octobre avec l’UMQ, l’engagement et ce cite: «De prendre acte des résultats des négociations arrêtées à la date du 25 novembre et d’aviser des mesures à adopter à la lumière des résultats obtenus en regard des objectifs poursuivis.» Voilà pour le constat.
Ce matin, nous avons fait une réunion du caucus où nous avons analysé l’ensemble de la situation. Et ce que je déclare formellement c’est que, après consultation du caucus ce matin, le gouvernement a conclu à la nécessité de donner suite à son engagement d’assumer les responsabilités qui lui incombent. Il a donc décidé de procéder par voie législative, dans les cas où il le faudra, pour atteindre le résultat escompté. Le gouvernement fixe un délai de rigueur à la négociation. Celle-ci se terminera le 30 janvier. L’Assemblée nationale sera convoquée à cette date, si nécessaire, pour adopter une loi qui mettra en place un mécanisme de règlement. Ce mécanisme de règlement ne s’appliquera toutefois qu’à la demande de l’une ou l’autre des parties dans chaque municipalité. Mais dans le cas où l’une ou l’autre des parties aura opté pour l’application du mécanisme établi par la loi, chacune des parties, dans chaque municipalité, devra déposer dans un très court délai, quelques jours, une proposition finale.
La loi prévoira qu’un arbitre choisira ensuite celle des deux propositions qui entrera en vigueur. La proposition retenue sera la plus raisonnable, respectant notamment les critères suivants: Récupération dans les coûts de main-d’oeuvre allant jusqu’à un maximum de 6 %, pas de baisse de niveau de salaire et la récupération visant toutes les catégories de personnes rémunérées par les municipalités, y compris les élus.
Dans le contexte que je viens de dire, je voudrais demander au ministre de faire une déclaration formelle à l’intention des municipalités.
[ M. Trudel: Ce qui signifie qu’avec l’intention du gouvernement et la ferme proposition d’en arriver à déposer, suite à cette période de négociations après le 30 janvier, une possibilité d’intervention législative, les municipalités, dans le contexte des corpus législatifs qui dirigent les municipalités actuellement, les municipalités pourront donc, pour leur budget de 1998, escompter jusqu’à un maximum de 6 % de leur baisse de revenus à titre de réduction de la masse salariale. ]
[ M. Bouchard:] Baisse de coûts.
[ M. Trudel: Une baisse de coûts de la main-d’oeuvre, des masses salariales reliées à la main-d’oeuvre, pour les budgets de 1998. Dans ce contexte des lois qui encadrent actuellement les municipalités, chacune des municipalités pourra donc adopter son budget avec cette prévision jusqu’à un maximum de 6 % du coût de maind’oeuvre dans ses prévisions de réduction ou ses prévisions de dépense.]
[ M. Bouchard:] À partir du moment où nous avons enclenché un mode de règlement qui, de toute façon, surviendra soit par négociation ou par l’effet du mécanisme de la loi, les municipalités sont donc autorisées, comme elles le sont en vertu de la loi, mais là, il y a un élément formel d’affirmation de la part du gouvernement. La raison pour laquelle j’ai dit que le mécanisme que fixera la loi s’appliquera si l’une ou l’autre des parties le demande, c’est parce qu’il faut faire une distinction entre les grandes municipalités et d’autres municipalités plus petites. Il y a des cas où une municipalité pourrait désirer régler autrement son problème, soit par des mises en commun, soit par d’autres rationalisations, elle pourrait faire des choix, des choix de budget, des choix politiques. Elle pourra le faire, ce choix. Alors, vous avez l’ensemble de la décision que nous avons prise.
[ M. Larocque (Paul): M. le premier ministre, pourquoi ne pas avoir choisi une façon plus simple de régler le problème, parce que, enfin, j’essaie de me mettre dans la peau de quelqu’un de Jonquière, par exemple, qui essaie de comprendre ce que vous annoncez aujourd’hui, la mécanique est quand même assez lourde. Pourquoi ne pas avoir d’ores et déjà, aujourd’hui, décidé d’appliquer, enfin, de permettre aux villes, cette semaine ou la semaine prochaine…]
[ M. Bouchard:] Peut-être que ça peut paraître lourd, peut-être, mais c’est relativement simple, hein, c’est la meilleure offre finale, c’est le mécanisme, la meilleure offre finale. Si les gens ne s’entendent pas durant les négociations, chacun court le risque de voir l’autre proposition acceptée si elle est meilleure que la sienne. Alors, ça va créer une pression considérable sur les négociations. Les gens ont tout intérêt à régler, on a toujours intérêt à régler soi-même plutôt que laisser l’autre, peut-être, régler pour soi. Donc, on pense que, là, il y a une dynamique de négociation inévitable qui est positive, qui est créatrice, mais en même temps, qui assure tout le monde qu’au bout de la course, il y aura un règlement. Alors, moi, j’ai toujours pensé et je suis convaincu qu’il n’y a rien qui vaut un règlement négocié, et je pense que, là, nous avons le contexte et la dynamique qui permettent de provoquer un très grand nombre de règlements puis sinon, bien, là, il y aura la loi qui s’appliquera puis ça sera la meilleure des deux offres.
[ M. Girard (Normand): Vous avez rencontré les centrales syndicales; quelle réaction pensez-vous que les syndicats vont avoir à une annonce comme celle que vous faites aujourd’hui? Vous leur aviez promis qu’il n’y aurait pas de loi spéciale.]
[ M. Bouchard:] Non, jamais.
[ M. Girard (Normand): Bien, vous aviez dit que…]
[ M. Bouchard:] Non, non, la formule avait été calibrée. C’était: Il n’y a pas de garantie qu’il y aura une loi spéciale, il n’y a pas de garantie qu’il n’y en aura pas. Ce que je voudrais dire là-dessus, au sujet des parties, c’est qu’il y a présentement des représentants du gouvernement qui sont en réunion avec des vis-à-vis syndicaux et qui les ont informés avant que je l’annonce, de ce que j’annonçais, de la mécanique. Et j’ai moi-même parlé à M. Laframboise, le président de l’UMQ avant, pour l’informer de ce que j’allais annoncer.
[ M. Girard (Normand): Et quelles ont été les
réactions?]
[ M. Bouchard:] Je m’en remettrai à ce qu’ils diront eux-mêmes et je ne voudrais pas parler pour eux. Ce serait imprudent de parler pour eux.
[ La Modératrice: M. Laberge.
M. Laberge (Pierre): M. Bouchard, vous avez parlé tantôt que c’est un arbitre qui allait trancher. Sur quels critères il va se baser pour juger que c’est la meilleure offre finale? Parce que les moyens d’arriver au résultat peuvent être différents
dépendemment si c’est les municipalités ou le syndicat qui fait…]
[ M. Bouchard:] Le jugement de l’arbitre. D’abord, l’arbitre il ne va pas composer un cocktail avec les propositions, là. Il en choisit une ou il choisit l’autre. C’est une ou l’autre, il n’y a pas de dosage. Donc, c’est l’ensemble de la proposition, à partir des critères qui sont là, on pourra en mettre quelques autres aussi, là. Mais essentiellement, ça va être ça qui va permettre à un arbitre très rapidement, très rapidement de se faire une idée, qu’est-ce qui est la meilleure proposition, qu’est-ce qui est la plus raisonnable dans l’intérêt public, dans l’intérêt des syndiqués, qu’est-ce qui… On peut penser que ça va être facile à faire pour les arbitres. Puis on va en nommer des dizaines, ça va prendre quelques jours seulement à régler ça.
[ M. Girard (Normand): Des dizaines d’arbitres?]
[ M. Bouchard:] On va en nommer assez pour que ça aille vite parce qu’on ne veut pas que ça traîne. À partir du moment où on sera obligés de passer la loi et qu’on aura fait déposer des propositions dans chaque municipalité, on va faire le nécessaire pour que la sélection de chaque meilleure proposition dans chaque municipalité soit faite rapidement. Ça va se faire rapidement.
[ M. Girard (Normand): Est-ce que ça va être un
arbitre par municipalité?]
[ M. Bouchard:] Non, pas forcément un par municipalité. Non. Mais on va constituer un groupe d’arbitres qui va être dépêché dans les municipalités. Et puis on peut penser aussi qu’à partir du moment où les premiers cas ont été réglés, peut-être que les gens vont vite s’entendre sur l’une des deux. C’est ça.
[ La Modératrice: M. Lessard.
M. Lessard (Denis): Oui. M. Bouchard, M. le premier ministre, à partir du moment où on sera obligés d’adopter la loi, est-ce que cette loi est incontournable? Ou c’est sûr qu’il y aura un geste…]
[ M. Bouchard:] Elle est incontournable s’il n’y a pas de déblocage des négociations. Si ça ne se règle pas avant le 30, il y aura la loi.
[ M. Lessard (Denis): Mais, ça suppose que ça serait réglé dans chacune des 600 conventions collectives, c’est ça? Pour éviter une loi, là, ça prend que tout le monde ait réglé?]
[ M. Bouchard:] Oui. Écoutez, s’il en reste trois ou quatre qui sont en train de finir, on verra. Mais il y aura un jugement…
[ M. Lessard (Denis): Donc, ce n’est pas assuré qu’il y ait une loi. Ce n’est pas…]
[ M. Bouchard:] Bien, si c’est réglé, il n’y aura pas de loi. Si c’est réglé, il n’y aura pas de loi.
[ M. Lessard (Denis): Puis en termes d’échéancier, ce serait adopté avant l’ajournement des Fêtes?]
[ M. Bouchard:] Non. Il n’y a pas de loi, là, on ne dépose pas de loi. On ne dépose pas de loi. On dit formellement que si les négociations ne mènent pas à un règlement le 30 janvier, que, là, on va déposer la loi, puis la loi va faire ce que je viens de dire. Elle va obliger les gens à déposer la proposition finale, puis on va choisir la meilleure, puis ça va être réglé.
[ M. Lessard (Denis): Mais la Chambre sera donc convoquée fin janvier?]
[ M. Bouchard:] Oui. Oui.
[ M. Lessard (Denis): Maintenant, est-ce que les municipalités sont tenues de déposer leur budget avant la fin de décembre et qu’elles ont le droit d’assumer qu’il y a un moins 6 % pour les coûts de main-d’oeuvre?]
[ M. Bouchard:] Oui, c’est ça. Un moins 6 % ou ce qu’elles fixeront elles-mêmes. Il y en a qui ne voudront pas aller à moins 6 %. Il y en a qui vont penser que c’est moins 4 %, que c’est moins 3 %. Ça dépend comment ils vont faire la pondération de leur récupération dans les différents postes de dépenses. Mais ils peuvent escompter jusqu’à 6 %.
[ Mme Bertrand (Maxime): M. le premier ministre, vous escomptiez donc que cette sorte d’épée de Damoclès que vous faites pendre sur les têtes de chaque partie va pousser les gens à régler rapidement?]
[ M. Bouchard:] Ce sera sûrement négocié sérieusement, en tout cas. Sûrement.
[ Une voix: Vous tiendrez une conférence de presse mercredi avant…. Est-ce qu’il va y avoir un briefing à ce moment-là, ou…?]
[ M. Bouchard:] Oui, peut-être.
[ M. Séguin (Rhéal): Un briefing ou une conférence de presse, parce que M. Brassard…]
[ M. Bouchard:] Il y aura soit un briefing, soit une conférence de presse. On pensait plus à une conférence de presse. On verra.
[ (Fin à 14 h 35)]
[QBOUC19971210cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, Premier ministre conférence des premiers ministres Le mercredi 10 décembre 1997(Seize heures neuf minutes)]
[ M. Bouchard: Alors bonjour mesdames, messieurs. D’abord, je demanderais à M. le ministre Jacques Brassard d’ouvrir la séance.]
[ M. Brassard: Le 30 octobre 1995, le gouvernement du Québec a respecté la décision du peuple québécois qui, par une infime majorité, n’a pas voulu que le Québec accède à la souveraineté et négocie une entente de partenariat avec le reste du Canada. Devant un résultat aussi serré, le gouvernement du Québec a certes l’obligation de défendre non seulement l’intégrité des institutions démocratiques, mais également les intérêts du Québec dans tous les forums intergouvernementaux auxquels il assiste.
Le gouvernement du Québec n’est pas demeuré inactif. Le premier ministre a participé à trois conférences des premiers ministres, l’une à Ottawa, l’autre à Jasper et la dernière à St. Andrews, toujours en fonction des intérêts du Québec, ce qui est notre mandat et notre premier devoir. Les ministres de ce gouvernement ont aussi participé aux conférences intergouvernementales. Nous nous sommes portés à la défense des intérêts du Québec à chaque fois.
Depuis le référendum, nous assistons à une kyrielle de nouvelles initiatives de la part du gouvernement fédéral, qui constituent autant d’ingérences dans nos champs de compétence, après les opérations de délestage de la part du gouvernement fédéral, sans compensation financière adéquate.
Le discours du trône du mois de septembre 1997 a consacré cette nouvelle dynamique interventionniste d’Ottawa. Les visées fédérales sont on ne peut plus claires. On assiste à la volonté fédérale d’investir dans les programmes destinés aux enfants, aux jeunes, dans les domaines de la santé, de l’éducation et à celui des politiques sociales. Les dédoublements et le gaspillage qui en découlent se manifestent crûment dans les soins de santé à domicile, les services communautaires, la stratégie jeunesse.
Toujours en septembre 1997, les ministres fédéral et provinciaux de la Santé ont décidé, à l’exception de celui du Québec, de créer plusieurs groupes de travail conjoints dans le but d’examiner des sujets qui relèvent clairement de la compétence des provinces. À partir de janvier, on examinera la viabilité à long terme du régime de services de santé en tenant compte des priorité relatives aux soins des maladies aiguës, aux soins de longue durée et aux soins dans les collectivités. On discutera de redistribution des ressources médicales, particulièrement dans les régions rurales. On abordera les méthodes de paiement des médecins. On est en plein coeur du système de santé actuellement en vigueur au Québec.
La stratégie jeunesse, la prestation pancanadienne pour enfants, les bourses du millénaire, le régime pancanadien d’assurance-médicaments, le programme de soins à domicile, voilà tous des exemples où Ottawa entend, par les impôts que les Québécois et Québécoises lui versent, venir chambarder nos priorités. Le Québec s’opposera vigoureusement à ces invasions.
Mme Marois et M. Rochon vous ont fait part, lundi, de la position du gouvernement relative à la Fondation de l’innovation canadienne. Cette position s’inscrit dans le cadre de nos orientations. Elle ne vise pas à prendre en otages nos universités ou nos centres hospitaliers, elle vise justement à nous libérer du carcan dans lequel Ottawa cherche à nous maintenir en nous imposant des priorités qui ne sont pas les nôtres. Nous voulons et avons besoin de la part financière qui nous revient pour convenir, en concertation avec nos partenaires, comment et où elle sera consacrée.
Le positionnement stratégique du gouvernement québécois se retrouvera également au coeur de la Conférence des premiers ministres de demain, tout comme il a été mis de l’avant par mon collègue Bernard Landry lors de la Conférence fédérale-provinciale des ministres des Finances d’hier. Je lui laisse d’ailleurs la parole.
M. Landry (Verchères): Comme vient de vous le dire mon collègue, ou vous le saviez, j’ai assisté à la rencontre des ministres des Finances lundi et mardi. Le ministre fédéral voulait parler essentiellement de deux choses. Les priorités économiques et sociales pour le futur et des arrangements fiscaux. Vous savez que ça n’a pas tourné exactement comme il le souhaitait. J’ai fait rapport au premier ministre, en détail, de ce qui s’est passé à cette conférence en vue de préparer celle qui commence demain, en disant essentiellement que l’approche fédérale est incohérente et irresponsable. Le fédéral s’est lancé dans une série d’initiatives de dépenses dans des champs de compétence provinciale en utilisant une marge de manoeuvre qu’il s’est créée sur notre dos. Alors, incohérent et irresponsable, odieux aussi, devons-nous dire. Il l’a fait sans remords, sans respecter la constitution et il veut poursuivre dans cette voie. J’ai évidemment dénoncé cette approche surtout en regard du fait qu’Ottawa avait promis le contraire durant le dernier référendum et, même durant le discours du trône de février 1996, il avait promis, notamment, de discipliner son pouvoir de dépenser. Chacun se souvient de ça.
Je vais vous citer ce discours du trône, 27 février 1996: «Le gouvernement fédéral n’utilisera pas son pouvoir de dépenser pour créer de nouveaux programmes à frais partagés dans des domaines de compétence provinciale exclusive sans le consentement de la majorité des provinces, et même, dans le cas de ce consentement, tout nouveau programme sera conçu de telle sorte que les provinces qui s’en dissocieront seront indemnisées à condition qu’elles adoptent un programme équivalent ou comparable.»
Alors, j’ai demandé au fédéral de vivre suivant ses engagements et de faire preuve de responsabilité financière. C’était l’essentiel de mon message. Et la façon dont je l’ai présenté, vous allez la connaître parce que je vais vous faire exactement la même présentation. Je vous ai même fait distribuer les notes dont je me suis servi à la Conférence des ministres des Finances. Vous les avez entre les mains. Ça s’appelle précisément La responsabilité financière, une priorité et on y retrouve l’essentiel de mon argumentation. D’abord, le fédéral s’est désengagé. Au début des années soixante, ceux qui suivaient ces questions à l’époque s’en souviennent parfaitement, le gouvernement fédéral a incité les provinces à mettre en place des programmes sociaux généreux et universels en offrant de financer 50 % des coûts. Sans cet engagement fédéral, il est sûr que les premiers ministres du Québec du temps n’auraient pas accepté parce qu’ils n’avaient pas les ressources nécessaires et ils ne croyaient pas être en mesure de s’acquitter à hauteur de plus de 50 % de telles obligations. Au cours des 20 dernières années, le gouvernement fédéral s’est progressivement retiré du financement des programmes sociaux en coupant massivement dans les transferts aux provinces. Le désengagement fédéral survient maintenant, alors que les dépenses des provinces sont soumises à des pressions importantes. Ils ont utilisé une tactique déloyale de chasse, comme on dit. Ils ont pratiqué l’engrenage. Ils mettent des grains avant l’ouverture de la chasse, puis, quand les oiseaux sont habitués à manger, le matin de l’ouverture, ils leur font un sort. Je ne sais pas comment les traducteurs simultanés ont traduit «engrenage» en anglais, mais, en tout cas, quelqu’un
pourrait le faire ici. Ce n’est pas «rotary». Mais c’est d’autre chose qui dit bien qu’ils nous ont mis dans un piège.
Or, maintenant, ils s’en sortent de la façon suivante et suivant les chiffres suivants: Les coupures fédérales totalisent plus de 23000000000 $ au Québec, seulement, entre 1982 et 1983, alors que ces programmes-là, le dernier grand était entré en vigueur sous Robert Bourassa, premier mandat.
Alors, 1982-1983, déjà, à nos jours, 23000000000 $ de retirés et, pour la dernière année seulement, 19971998, 3900000000 $. Quand on sait que notre déficit sera d’autour de 2000000000 $, sans les coupures fédérales, nous aurions un surplus considérable d’autour de 2000000000 $. On ne serait pas à la quête du déficit zéro; on serait en surplus. Vous avez un graphique qui montre le cheminement pénible, la pente de près de 50 % en 1977-1978 au tiers. On est parti de la moitié; on est rendu au tiers, en 19971998.
Or, les dépenses qui sont les nôtres, celles du Québec et celles des provinces, elles, sont soumises à des pressions très importantes, et prévisibles, et prévues. L’étude fédéraleprovinciale sur les coûts des gouvernements en 1992 a mis cela en lumière d’une façon parfaite, de même que les travaux du Conseil économique du Canada.
Que montrent ces études essentiellement? Que les provinces doivent faire face au vieillissement de la population, donc, hausse des dépenses de santé. Vous savez que les dépenses de santé croissent de façon spectaculaire avec l’âge. Pressions de la population et des travailleurs du secteur public afin de maintenir les acquis sociaux. Vous vous souvenez des négociations difficiles et ardues à travers lesquelles nous avons dû passer. Pressions sur les coûts dans les dépenses de santé: médicaments, nouvelles technologies — notre ministre de la Santé pourrait vous en parler abondamment — et nécessité de remettre à neuf certaines infrastructures qui ont vieilli.
Alors, dans ces conditions, le fédéral a fait le contraire de ce qu’il aurait dû faire. Il coupe massivement dans les transferts aux provinces et, avant même d’avoir atteint l’équilibre budgétaire — il y arrive — mais avant même d’y être arrivé, le gouvernement fédéral veut se lancer dans plusieurs initiatives de dépenses, tout particulièrement dans les domaines de compétence des provinces. C’est pour ça qu’on dit qu’il s’agit d’une approche irresponsable, d’abord, parce que le fardeau fiscal au Canada est trop lourd. Cela mine notre compétitivité. Il faut le réduire. C’est la même chose au Québec d’ailleurs.
C’est aussi une approche incohérente puisque la Constitution prévoit que les programmes sociaux sont de compétence des provinces et les intrusions fédérales en général sont des dédoublements et conduisent non seulement à l’incohérence, mais au gaspillage.
La population a très bien compris ça et je vous mets en page 7 une série de sondages que je ne veux pas vous infliger, mais ça varie entre 84 % et 85 %, Canada, Québec, les Québécois comme les Canadiens qui ne pensent pas la même chose sur tout, là-dessus, pensent la même chose et demandent au fédéral de faire preuve de responsabilité, de s’occuper du fardeau fiscal qui est trop lourd, de s’occuper des dépenses sociales que les provinces assument et ainsi de suite. Quant au fardeau fiscal, en page 8, je vous fais une petite étude comparative entre le Japon, les ÉtatsUnis, le Canada. Vous voyez que le Canada est à 37,8, alors pratiquement 10 points de plus que les ÉtatsUnis. Même quand on tient compte des programmes sociaux, ça n’explique pas la moitié de la différence.
Le fardeau fiscal nuit à l’emploi, c’est sûr. Et au
tableau 9, vous avez les disparités des niveaux de chômage. Le Canada est à 9 %, les États-Unis, notre voisin, dans une économie qui partage avec nous une zone de libre-échange, ils sont à 4,6 %; la GrandeBretagne à 6,1 %; le Japon à 3,2 %. Il n’y a qu’en Europe, et pour des raisons analogues, qu’on a des taux de chômage de cette ampleur.
Quant à l’utilisation de la marge de manoeuvre fédérale, nous l’avons prévue, et c’est des chiffres qui ne sont pas contestés et nos collègues des autres provinces pensent à peu près la même chose que nous, que le fédéral pourrait réaliser un surplus, déjà en 1997-1998, et ce surplus devra augmenter pour aller se situer entre 4000000000 $ et 6000000000 $ en 19981999. Ils ont déjà indiqué ce qu’ils entendaient faire avec ce dividende: d’abord, accroître de 50 % leurs dépenses et se lancer dans une kyrielle d’interventions directes dans le domaine des compétences du Québec et des autres provinces.
Mon collègue vous a donné quelques exemples de cette orgie de dépenses qu’ils s’apprêtent à lancer pour des raisons de visibilité, pour des raisons de politique, pour toutes sortes de raisons superficielles qui n’ont à voir avec les vrais besoins des populations en santé et en éducation, et il s’agit de prestations nationales pour enfants qui recoupent exactement le programme que nous avons mis nous-mêmes de l’avant et qui au coeur de notre politique familiale. On le fait déjà.
Création du fonds de pension pour les sciences de la santé. Vous savez la réaction de mes collègues, vous l’avez eue hier.
Programme national d’assurance-médicaments: mais de quoi je me mêle? De quoi je me mêle? On a déjà un programme d’assurancemédicaments et c’est déjà exactement dans nos juridictions; soins à domicile et soins communautaires; accroissement des sommes consacrées au programme d’action communautaire pour les enfants en programme canadien de nutrition prénatale, le septième pays du G 7, à partir de sa capitale nationale, s’occupe de nutrition prénatale, dans une fédération; fonds de dotation de bourses du millénaire, c’est qui, les prêts et bourses, c’est qui, l’éducation? élargissement de la stratégie emploi-jeunesse; création de la fondation canadienne de l’innovation; commission canadienne du tourisme; culture, etc.
Donc, très, très mauvaise pente. D’abord, ce n’est pas le temps de se lancer à la dépense, et surtout pas dans le jardin des autres alors qu’on a déjà massacré ce jardin par des coupures inadmissibles. Alors, ces doublements sont sources de gaspillage, je l’ai dit. Ils interfèrent avec nos priorités. Vous savez, au moment où on a cherché à rationaliser les services et diminuer les coûts… Et vous avez vu, vous voyez, à la période des questions, à tous les jours, vous voyez au prix de quels efforts on a fait ça! Et ce n’est pas juste à la période de questions. C’est dans la rue, c’est… On a négocié du mieux qu’on a pu avec tout le monde, avec les municipalités, avec nos syndicats, mais c’est un exercice extrêmement pénible. Tout ça pour fournir à des gens qui n’ont pas fait cet effort l’occasion de venir se lancer dans nos champs de juridiction. Mais vraiment, c’est difficile à décrire.
Mon collègue Martin, pour lequel j’ai beaucoup d’estime, on lui a demandé d’ailleurs, de mettre de l’ordre dans les finances publiques. On l’a soutenu. Il a eu la partie facile. Ça s’est fait comment? Il a poussé dans les provinces, il a pris les surplus de l’assurance-chômage en ayant diminué les prestations, puis il a laissé monter les impôts par la non indexation à cause de la conjoncture. C’est facile, ça. C’est l’avoir à la belle, comme on dit, comparer à ce qu’a dû faire Pauline Marois, Jean Rochon, Louise Harel et nous tous et
toutes, ici, à Québec, alors qu’il pouvait faire autrement. Encore une fois, le fardeau fiscal est trop lourd, les provinces n’ont pas les ressources financières. Et là-dessus, j’ai eu une belle unanimité — vous l’avez vu par le communiqué — des ministres des Finances, hier, une belle unanimité sur l’essentiel du diagnostic des autres provinces. Alors, tout le monde a dit que le fardeau fiscal doit être réduit, les arrangements financiers entre le fédéral et les provinces doivent être révisés et améliorés au chapitre des transferts sociaux et de l’éducation.
La dernière chose que j’ai mentionnée, et je n’ai pas eu vraiment beaucoup plus de succès sauf le fait d’être écouté, c’est l’affaire de l’harmonisation. Gérard D. Lévesque, ministre des Finances du Québec, décide — dans un geste qui était sage et c’est ce qu’il fallait faire — d’imposer une taxe à la valeur ajoutée s’harmonisant avec le gouvernement du Canada. On se souvient tous de ça. Le choix était bon parce que c’est une taxe qui est la plus économique qu’on puisse imaginer, surtout pour les exportateurs comme nous. On la soustrait dans le franchissement de la frontière. Emberlificotés dans des promesses électorales insensées, les libéraux essaient de se rattraper et font une harmonisation avec les Maritimes, qui ne l’avaient pas fait, et remettent aux Maritimes 1000000000 $ pour ce faire.
Alors, on a fait gratis ce que les autres se sont fait payer pour faire. M. Martin m’a rétorqué: C’est payant de s’harmoniser. Bien, si c’est payant de s’harmoniser, pourquoi est-ce qu’il paie les autres pour le faire; déjà, c’est un argument élémentaire. On a voulu soumettre tout ça à un arbitre et c’est la proposition que j’ai faite hier. On réclame 2000000000 $. Qu’ils nomment un représentant à un panel d’arbitrage, nous allons en nommer un autre, les deux nommeront un président, ils arbitreront, et dans six mois, on se prêtera au jugement d’une façon finale et sans appel. Cette proposition n’a pas eu d’échos non plus. Alors, c’est, en gros, le rapport que j’ai fait au premier ministre, de cette rencontre d’hier.]
[ M. Bouchard:] Merci. La Conférence des premiers ministres qui se tiendra à compter de demain revêt une importance particulière pour tous les Québécois et tous les Canadiens qui paient des taxes et des impôts. Depuis plusieurs années, les Québécois et les Canadiens ont accepté de faire des sacrifices considérables pour équilibrer leur budget. Le déficit fédéral sera éliminé cette année, le déficit québécois — les opérations courantes — sera éliminé dans trois mois et le déficit global du Québec dans 15 mois. Nous aurons ainsi mis fin, collectivement, à une dérive financière qui, sinon, nous aurait menés à la faillite.
Les Québécois et les Canadiens veulent maintenant que l’argent de leurs impôts et de leurs taxes soit géré avec rigueur et ils s’opposent à tout gaspillage de cet argent. La rencontre des ministres des Finances a illustré ce qu’on savait déjà, c’est-à-dire que les Québécois et les Canadiens veulent qu’en priorité les surplus soient utilisés pour réinvestir en matière sociale, notamment en santé et en éducation et on constate, comme l’a indiqué le ministre des Finances, qu’un très grand nombre de nos citoyens favorisent une réduction des impôts ou du niveau de la dette. On note aussi qu’une majorité de Québécois et de Canadiens doutent de l’efficacité de nouveaux programmes fédéraux, même si ces dépenses sont destinées aux jeunes et aux enfants. Les ministres des Finances des provinces disaient hier unanimement que les nouvelles dépenses sociales devraient se faire par la voie des programmes provinciaux existants. Un sondage nous apprend finalement que 72 % des citoyens pensent qu’il faut discuter plus sérieusement de l’utilisation du surplus budgétaire fédéral avant d’engager de nouvelles dépenses. Cependant, je dis qu’il y a péril en la demeure parce que le gouvernement fédéral a maintenant remis en marche sa machine à dépenser. Le Globe and Mail nous apprenait, mercredi dernier, que les ministres fédéraux se sont réunis tout l’automne pour établir la liste de leurs priorités de dépenses. Après plusieurs mois de travail, ils ont réduit leur liste à pas moins de 153 priorités de dépenses, ajoutant 10000000000 de dépenses nouvelles au cours des cinq prochaines années. Et nous comprenons que c’est la liste courte qui ne comprend pas, bien sûr, les dépenses moins prioritaires. Ça ne comprend pas l’ensemble des initiatives que M. Chrétien veut nous imposer demain et vendredi, c’est-à-dire de nouvelles dépenses fédérales en matière de formation et d’emploi des jeunes, en matière de prestations pour enfants, en matière d’aide aux handicapées. Ça ne comprend pas non plus les nombreuses initiatives fédérales additionnelles qu’on nous annonce en matière d’éducation et de santé.
Lorsqu’il était président du Conseil du trésor, M. Daniel Johnson expliquait que, et je cite: «Le fédéralisme est tout croche à cause de l’encroachment — le jeu de mots est de lui; évidemment, du fédéral — ce qui nous coûte une fortune. C’est ça qui coûte 30000000000 de déficit essentiellement.» Aujourd’hui, le gouvernement fédéral semble vouloir s’engager dans exactement le même genre de dépenses, de chevauchement et de gaspillage qui ont entraîné les déficits fédéraux, qui ont créé une des plus grosses dettes en Occident, et qui nous ont forcés à faire les sacrifices des dernières années. C’est comme si les mêmes libéraux fédéraux n’avaient rien appris et voulaient recommencer les mêmes erreurs. Chaque dollar dépensé pour créer une nouvelle structure est un dollar gaspillé.
M. Johnson disait hier que nous devrions appliquer à la Fondation canadienne de l’innovation le même principe qu’il avait lui-même fait prévaloir pour les programmes d’infrastructures. C’est exactement ce que nous demandons. Comme l’ont dit Mme Marois et M. Rochon lundi, nous ne sommes pas opposés à ce que des sommes nouvelles soient injectées dans la recherche mais, comme pour les infrastructures, nous exigeons que le Québec soit seul maître d’oeuvre dans la répartition de ces sommes. Ce qui est bon pour les infrastructures routières peut être bien aussi pour les infrastructures en recherche et en développement universitaire.
Le problème, c’est que dans chaque secteur d’intervention des provinces, que ce soit l’éducation, la santé, le tourisme, le fédéral annonce la création d’un programme, d’une fondation, d’un organisme, qui va venir dédoubler les actions du Québec au lieu de faire en sorte que l’argent revienne intégralement à ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire les enfants, les jeunes, les patients. Le fédéral nous prépare un programme d’expansion de la bureaucratie fédérale. Depuis plus d’un an, les autres provinces essaient de convaincre le gouvernement fédéral de mettre un frein à son pouvoir de dépenser et de s’engager de diverses façons à respecter les champs de compétence des provinces. Le fédéral a cependant refusé de s’engager à quoi que ce soit. Il tient à dépenser autant qu’il le veut, quand il le veut, dans les domaines qui lui plaisent, indépendamment de la constitution. La position du Québec, elle, est claire et elle est claire depuis des décennies. Les dépenses sociales doivent être faites par le Québec et les provinces et le gouvernement fédéral doit transférer des points d’impôt aux provinces pour assurer ce financement. C’est une question de respect des droits et des compétences du Québec. C’est aussi une question de saine gestion de l’argent public, car une chose est certaine, après toutes les réformes que nous avons accomplies au Québec, après toutes les rationalisations que nous avons effectuées dans notre fonction publique et parapublique, personne ne doute, aujourd’hui, que les sommes supplémentaires que le Québec pourrait investir en santé, en éducation ou en aide sociale se rendront directement aux patients, aux élèves et aux bénéficiaires.
Je note aussi, comme l’ont fait hier les ministres des Finances, que les coupures fédérales ont créé un déséquilibre important entre les ressources fiscales et les responsabilités respectives des gouvernements. Lorsqu’on planifie les dépenses de la prochaine décennie, on constate à quel point les politiques fédérales vont faire en sorte que le Québec et les provinces vont devoir assumer la majeure partie des coûts croissants des programmes sociaux alors que le fédéral disposera de la majeure partie des ressources fiscales. Il faut aussi rappeler que les Québécois et les Canadiens sont surtaxés, qu’il y a lieu d’alléger le fardeau fiscal, notamment des ménages à faible revenu et de la classe moyenne. Chacun sait que le fardeau fiscal canadien nuit à l’économie et la capacité compétitive de nos entreprises sur les marchés étrangers. Rien n’aurait un impact plus positif sur nos familles et nos économies qu’un soulagement rapide du poids de l’impôt fédéral. C’est pourquoi, lors de la Conférence des premiers ministres et dans le sillage tracé hier à Ottawa par les ministres provinciaux des Finances, je soumettrai à mes homologues et au premier ministre canadien la proposition suivante. Premièrement, nous proposons un moratoire de deux ans sur toute croissance des dépenses fédérales de programmes. Si Ottawa veut créer de nouvelles initiatives dans ses propres champs de compétence, qu’il fasse comme les provinces et qu’il les autofinance à même son enveloppe actuelle de dépenses et non à même l’augmentation de ses revenus. Deuxièmement, nous proposons que, au cours de ces deux années, le surplus budgétaire fédéral soit réparti comme suit. Que 75 %, les trois quarts, du surplus soit consacré à la réduction des impôts fédéraux. Que l’autre 25 %, l’autre quart, soit consacré aux dépenses sociales du Québec et des provinces par voie de points d’impôt. Cette proposition a le mérite de la clarté, elle récompense les contribuables québécois et canadiens pour les efforts consentis car, comme l’a indiqué hier le ministre des Finances Paul Martin, les surplus budgétaires fédéraux appartiennent à tous les Canadiens. Elle respecte les compétences du Québec et des provinces. Elle aura un impact favorable sur l’économie. Elle restaure, même si c’est partiellement, le financement des programmes sociaux québécois les plus efficaces dans ces secteurs. Elle contribue à rétablir l’équilibre entre les ressources fiscales et les responsabilités respectives des gouvernements. Elle stabilise les dépenses fédérales, freine le pouvoir de dépenser et empêche tout dérapage. Elle prévient tout gaspillage provenant de dédoublements nouveaux. Nous réitérons également, comme l’ont fait les ministres des Finances, hier, la proposition que j’avais faite à St. Andrews, pour une réduction des cotisations des employeurs et des employés de l’assurance-emploi et pour une augmentation des bénéfices, notamment, pour les travailleurs saisonniers, qui sont les principales victimes de la réforme fédérale.
Je rappelle, en terminant, que le gouvernement fédéral a fait porter la moitié de son effort de réduction des dépenses sur les transferts vers les provinces et le quart sur des baisses de prestations aux citoyens. Je pense donc que le Québec, les provinces et les citoyens, qui ont réalisé les trois quarts des coupures fédérales, doivent avoir leur mot à dire sur leur façon dont sera alloué le résultat de leurs efforts. Merci.
[ La Modératrice: Alors, on va passer aux questions. On a 20 minutes en français et 10 minutes en anglais. Question en français, Michel Cormier?
M. Cormier (Michel): M. Bouchard, avez-vous soumis ces propositions-là à vos homologues des autres provinces et, si oui, avez-vous eu des échos?]
[ M. Bouchard:] Nous avons eu, bien sûr, des contacts nombreux au niveau des fonctionnaires, même préalablement à la conférence des ministres des Finances, et j’ai participé cette semaine — lundi, je crois — à une conférence téléphonique avec mes collègues, où j’ai posé les balises des positions que j’allais adopter à Ottawa. Mais la proposition que je viens de faire n’a pas été faite encore, et je l’annonce, sauf que j’ai eu la courtoisie de la faire transmettre par dépêche, il y a quelques heures, à tous mes collègues.
[ La Modératrice: Denis Lessard.
M. Lessard (Denis): M. le premier ministre, je comprends que ce n’est pas demain la veille, là, mais est-ce que vous vous engagez à faire la même chose, c’est-à-dire dans une éventualité où le Québec serait en surplus budgétaire, la réduction des impôts?]
[ M. Bouchard:] Absolument.
[ M. Lessard (Denis): Avec le même ratio: 75-25?]
[ M. Bouchard:] Absolument. À peu près, oui, pourquoi pas? La priorité, actuellement, bien sûr, pour des gens qui n’ont pas encore terminé la réduction du déficit, l’abolition du déficit, c’est de continuer la lutte pour le réduire, ce déficit. À Ottawa, ils ont terminé. Ils ont des surplus qui s’annoncent. Alors, bien sûr, Ottawa a un problème de dette, aussi. On pourrait se demander: Est-ce qu’on ne devrait pas, d’abord, diminuer la dette? Mais, dans une société où nous avons le taux de chômage que nous avons — c’est un problème canadien, ça, à côté des États-Unis, là; c’est assez grave, ce qui se passe, le double, à peu près — on ne peut pas ne pas considérer comme une priorité de lutter contre le chômage et de soulager un peu les pressions qui pèsent sur l’économie, et ça, c’est les impôts. Donc, il y a une opération d’urgence à lancer, c’est réduction des impôts, pour un gouvernement — c’est le cas du fédéral — qui a maintenant complété ses équilibres financiers et qui a des ressources pour le faire. En même temps, il faut consolider les programmes sociaux. À Ottawa, ça se passe par le respect des compétences, donc le transfert des points d’impôt aux provinces pour qu’elles puissent assumer, et pour qu’elles puissent bénéficier de cette réallocation dans les dépenses sociales. Au Québec, je suis convaincu qu’aussitôt que nous aurons atteint le déficit zéro, nous allons entrer dans la même problématique et dans les mêmes exigences, d’abord diminuer le fardeau fiscal et en même temps, bien sûr, consolider les programmes sociaux. Je pense que M. le ministre d’État de l’Économie et des Finances a un mot à dire là-dessus.
[ M. Landry (Verchères): C’est tellement vrai que c’est déjà dans le dernier budget. Vous savez que l’année du déficit zéro, 1999-2000, la réforme fiscale se renverse en faveur des contribuables, à hauteur de 300000000 $. Donc, il y aura déjà une baisse du fardeau fiscal de 300000000 $ décidée d’avance. Jusqu’à ce moment, la réforme est neutre. Vous vous souvenez du mécanisme, hausse de la taxe de vente et des impôts.
Si c’est vrai pour le fédéral, c’est encore plus vrai pour le Québec parce que le Québec est la partie la plus endettée. La ponction fiscale est la plus lourde au Québec, de tout le Canada, donc de toute l’Amérique. Alors, l’urgence est encore plus grande ici.
La Modératrice: Robert Houle.
M. Houle (Robert): M. le premier ministre, est-ce que vous allez appuyer la démarche des autres provinces qui font actuellement front commun, je crois, contre le gouvernement fédéral, pour tenter de mieux encadrer le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral? Est-ce que, là-dessus, vous avez une position claire? Sauf que quelle attitude vous allez prendre?]
[ M. Bouchard:] C’est ce que je viens de dire, un moratoire total des dépenses fédérales, un moratoire total pendant deux ans de toute augmentation des dépenses fédérales qui est une façon qui est beaucoup plus radicale que celle de mes collègues de contrôler et d’encadrer le pouvoir de dépenser. Il est vrai que j’ai constaté chez mes collègues le désir aussi, la résolution de tenter d’enfermer le fédéral dans un minimum de contraintes afin qu’il cesse d’utiliser ce merveilleux pouvoir de dépenser qui a été le pouvoir d’emprunter, qui a été le pouvoir de nous mettre dans le trou où on est et qui qu’au Québec par exemple, depuis deux ou trois ans, on s’impose des sacrifices et une vie collective extrêmement difficile. Alors, il est bien certain que je vais appuyer toute tentative de la part de mes collègues de contrer le pouvoir de dépenser. Je vais leur proposer cette proposition que je viens de faire. J’espère qu’elle leur plaira. Je souhaite ardemment… Je vais tout faire pour leur vendre. Je sais qu’eux-mêmes ont d’autres projets mais je les trouve plus timides que les nôtres. C’est pour ça qu’on fait la proposition pour aller plus loin, pour vraiment, mais alors vraiment, limiter le pouvoir de dépenser.
Vous savez qu’il y a une continuité là-dedans. Moi, je me souviens de M. Bourassa qui avait une hantise, c’était de mettre fin au pouvoir de dépenser du fédéral, à tout le moins de l’encadrer de façon rationnelle. Ça a été le long combat de Robert Bourassa et comprimer ce pouvoir de dépenser. Il n’a pas réussi. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas continuer à se battre parce que c’est une constante fondamentale de la santé financière du Québec et du Canada et il est absolument nécessaire que le Parti libéral fédéral refuse et ne succombe pas à la tentation de tomber dans ces ornières traditionnelles, c’est-à-dire de dépenser, de dépenser et dépenser. Ce que le ministre des Finances vient de dire, c’est une vérité fondamentale. Mettez-vous à la place d’un gouvernement de n’importe quelle province et, en particulier, de la nôtre parce qu’on la connaît mieux que n’importe laquelle. Nous faisons les sacrifices que vous connaissez. Le fédéral se retire par des diminutions de transferts dans l’aide sociale, par exemple, de façon radicale — 1 400000000 $, cette année. On est obligés, à cause de ça puis à cause de d’autres facteurs, nous-mêmes, de rationaliser les dépenses de la santé et de faire une réforme, en même temps, qui va la moderniser. C’est vrai, mais c’est dur à faire, tout ça. Au moment où on réussit à faire ça, le fédéral revient avec une partie de l’argent qu’il nous a enlevé, il vient nous saupoudrer comme la cerise sur le «sundae» dans toutes nos juridictions, il vient allécher les gens qui sont affamés, bien sûr, qui viennent de faire des grands efforts. Nos chercheurs ont fait des grands efforts. Les étudiants font des efforts aussi — quoiqu’on les a ménagés considérablement — tout le monde, au Québec, fait des efforts. Et le fédéral, après nous avoir affamés par ses retraits massifs, revient avec des petites parcelles qu’il saupoudre un peu partout, envahissant en même temps nos juridictions et gaspillant l’argent.
Si le fédéral pense — et nous le pensons aussi, nous — qu’il devrait y avoir plus d’argent de dépensé dans l’éducation et dans la santé et dans les programmes sociaux, bien, qu’il fasse comme la Constitution l’y contraint, qu’il fasse comme tous les premiers ministres du Québec sans exception depuis deux générations l’ont exigé, qu’il remette son butin au Québec pour que le Québec assume ses dépenses. C’est lui qui en a le fardeau, d’après la Constitution. Il doit donc en avoir les moyens, d’autant plus que ces moyens nous ont été enlevés par le fédéral, récemment. Tout ça, c’est le bon sens le plus élémentaire qui parle et c’est le bon sens que nous ferons parler à Ottawa. Et j’espère que j’aurai l’appui de mes collègues. Ça a tellement de bon sens que ça ne se peut pas qu’on ne l’ait pas.
[ La Modératrice: Normand Girard.
M. Landry (Verchères): Le message n’est pas nouveau, il est dans une petite introduction à ce que j’ai dit au ministre des Finances hier. J’ai rappelé qu’il y avait eu neuf premiers ministres du Québec depuis 1960 dont trois s’appelaient Johnson, d’ailleurs, de trois partis différents. Il y a eu quatre souverainistes, il y a eu cinq fédéralistes. Or, tout ce monde-là aurait dit exactement la même chose que ce que vient de dire le dernier premier ministre en liste. Le message du Québec est constant et, s’il avait été écouté, le Canada n’aurait pas connu le cauchemar financier qu’il a connu et, encore une fois, on lui donne une chance de s’en sortir.]
[ M. Bouchard:] Peut-être, même, que je serai assez peu politique que je le serai au point de dire à mes collègues: Écoutez, vous rêvez, la nuit, de voir Daniel Johnson élu à ma place. Je sais que c’est un rêve, ils ont le droit de rêver. Alors, dites-vous bien que Daniel Johnson, même s’il vous tient des propos un peu mous, actuellement, dites-vous bien que la première chose qu’il devra faire si jamais il devient premier ministre du Québec, ça va être d’entrer dans la continuité, la fidélité des premiers ministres du Québec aux intérêts fondamentaux du Québec et qu’il sera le premier, lui aussi, à exiger que vous respectiez les compétences, que vous transfériez les points d’impôts. Donc, vous ne gagnez rien à faire élire Daniel Johnson.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
M. Landry (Verchères): Ni pour Pitou, ni pour Minou.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Brassard: Vous êtes sûr que ce n’est pas politique, ça?]
[ M. Bouchard:] Non, bien non, ça, ce n’est pas politique.
[ M. Girard (Normand): Oui, le ministre des Finances a répondu à ma question concernant l’équation entre le fardeau fiscal et l’économie et la création d’emplois, mais j’ai une autre question pour lui ou pour le premier ministre. À la suite de ce que vous avez vécu hier à la Conférence des ministres des Finances et de l’attitude manifestée par le gouvernement canadien, est-ce que vous croyez que des négociations, après un référendum majoritaire pour le oui, seraient faciles, comme M. Chrétien en a évoqué la possibilité dimanche dernier.]
[ M. Bouchard:] Ce n’est pas facile. Enfin, on sait bien que ça ne sera pas facile. Ce sera la négociation du siècle, d’abord, et puis, il y aura des gros morceaux sur la table, c’est évident. Mais, je sais que M. Chrétien, quand il devient nuancé, il devient difficile à décrypter parce que les gens ont interprété de façon différente les propos qu’il a tenus. C’est sa subtilité qui l’a voulu ainsi quand il est venu, en fin de semaine. Mais il y a une chose qui est fondamentale. Ce que M. Chrétien a reconnu, c’est le fait d’un réalisme nouveau auquel il fallait s’attendre. C’est qu’au lendemain d’un référendum sur la souveraineté qui sera positif, le fédéral ou qui que ce soit qui sera en face de nous — parce qu’on croit voir qu’il y en a qui pensent que ce n’est pas le fédéral qui devrait négocier, enfin, ça, c’est leur affaire à eux — va devoir s’asseoir pour négocier; il l’a reconnu, M. Chrétien. Il a dit: Attention, ça va être dur. M. Manning aussi nous a dit que ça serait dur. C’est toujours dur, négocier. On est habitués à négocier avec la CSN puis la FTQ, nous autres, puis la CEQ, on a quelque entraînement dans les négociations. Je suis convaincu, moi, que la réalité parle. Il n’y a rien comme la réalité. Il y a les impératifs économiques, les impératifs financiers, il y a le bon sens. Il y a les québécois qui veulent à 55 % un partenariat avec la souveraineté. Le seul facteur déclencheur, là-dedans, c’est un oui à un référendum. Après, la réalité s’installe. Après, ce n’est pas la rhétorique, ce n’est pas les arguments stratégiques, c’est la réalité, puis, la réalité, c’est d’une éloquence assourdissante.
[ M. Girard (Normand): Mais là, il y a une réalité, là. La réalité financière du pays et puis on ne semble pas l’avoir très bien saisie ni comprise lors de la réunion des ministres des finances.]
[ M. Bouchard:] Vous avez raison. Il y a, me semble-t-il, une sorte de choc entre une réalité incontournable dont font la même lecture toutes les provinces, les ministres des Finances et les premiers ministres, je crois et l’attitude du Parti libéral fédéral qui voit tout ça à travers un voile, qui rêve d’avoir un pays centralisé qui s’occupe d’éducation, qui a un ministère de la Culture, qui s’occupe de tout en nivelant les provinces à une sorte d’entité aseptique qui ne serait même pas une grande municipalité, en traitant directement avec tout le monde. Mais ça, c’est le rêve de Pierre Elliott Trudeau en pire, amélioré par M. Dion peut-être. C’est quelque chose qui ne colle pas à la réalité, qui ne colle pas aux aspirations des provinces canadiennes et qui ne colle certainement pas aux aspirations historiques du Québec. Quel que soit notre parti au Québec, nos allégeances politiques, les Québécois n’acceptent pas cela, et c’est ça qui est en jeu, actuellement.
Ce n’est pas une chicane de parti, ce n’est pas un bras de fer qu’on va aller faire à Ottawa. On va aller rappeler des réalités fondamentales qui déterminent la politique québécoise depuis tout le temps. Alors, ce n’est pas vrai qu’on va venir nous affamer puis qu’on va venir tenir des dragées au-dessus de notre monde avec de l’argent d’ailleurs qui nous appartient, pour partie, le reste, ils l’ont gardé à Ottawa. Ce n’est pas vrai. On va parler des choses vraies, des choses fondamentales. Et je ne doute pas que nous avons l’appui de l’opposition québécoise ici, pour ça. Je n’en doute pas. Ce que M. Johnson a dit hier, il nous a lancé un défi. Il a dit: Écoutez, entendez-vous mais, vous, premier ministre du Québec, assurez-vous que le fédéral va respecter les compétences du Québec. Bon. Alors, là-dessus, on a un mandat clair de tout le monde.
[ La Modératrice: Michel David.
M. David (Michel): Oui, M. Bouchard, en échange de l’augmentation des transferts fédéraux que vous voudriez voir, soit sous forme de points d’impôt ou autrement, est-ce que vous en retour prêt à faire un certain nombre de pas vers l’union sociale qui est souhaitée par le gouvernement fédéral, en acceptant l’établissement de normes nationales ou autrement?]
[ M. Bouchard:] Bien non.
[ M. David (Michel): Parce qu’Ottawa pourrait très bien dire: Écoutez, cet argent-là, on veut quand même avoir l’assurance qu’il va être utilisé pour ce qu’il doit être.]
[ M. Bouchard:] C’est à nous autres, cet argent-là. Il est à nous, M. David, cet argent-là. C’est de l’argent qu’on a économisé durement. C’est de l’argent dont on s’est privé au cours de ces années qui viennent de s’écouler. C’est à nous cet argent-là, d’autant plus que les points d’impôt, vous connaissez l’histoire d’après la guerre. Ça, c’est des ressources qui nous appartiennent. Que le fédéral nous les redonne. On a des responsabilités à partir de la Constitution, nous autres: l’éducation, la santé. On va s’en occuper. On s’en occupe d’ailleurs mieux qu’eux autres, pas mal mieux. Par exemple, notre programme de politique familiale, d’allocations pour l’enfance et ainsi de suite, même M. Pettigrew a reconnu que c’était un excellent programme. Notre programme d’assurance médicaments, ils reconnaissent que c’est un très bon programme. Mais ils viennent dans ces programmes-là pour en ajouter ici et là, changer l’équilibre. On a tout fait ça, nous autres! On n’a pas attendu après le fédéral pour faire ça. On l’a fait très correctement, courageusement. Si le fédéral veut remettre de l’argent là-dedans, s’il veut qu’il y en ait plus, bien qu’il nous l’envoie, c’est notre argent, puis on va le faire selon nos compétences.
On ne va jamais accepter des normes fédérales. En vertu de quoi le gouvernement fédéral, qui n’en a pas le droit d’après la Constitution, viendrait nous dire comment façonner nos programmes sociaux, quels sont les besoins du Québec? On a un gouvernement pour ça. On est des élus, nous autres. Les Québécois savent ce qu’ils veulent. Pas besoin de Jean Chrétien pour se faire dire quoi faire. Voyons donc! Ça n’a pas de bon sens, cette affaire-là! On va leur dire, à Ottawa.
[ M. David (Michel): Alors, c’est un retrait unilatéral que vous demandez. Vous, vous ne donnez rien.]
[ M. Bouchard:] On veut le pouvoir de retrait avec pleine compensation sous forme de points d’impôt. Puis les neuf premiers ministres qui m’ont précédé ont demandé ça. Puis il y en a qui ont eu des succès. Jean Lesage a eu des succès, à l’époque où il y avait des vis-à-vis à Ottawa qui comprenaient le bon sens. Moi, je ne doute pas qu’à un moment donné on va pouvoir faire triompher le bon sens et la réalité et le respect de la Constitution. Le respect de la Constitution! Qu’est-ce que les gens vont penser de ça? Le gouvernement fédéral a une Constitution. Qu’on en pense ce qu’on voudra, la Constitution, mais elle est là. Il prend la Constitution, il la met dans le panier puis, là, il se promène partout dans les jardins des provinces, il impose des normes, il crée des programmes, il traite directement avec du monde puis il ne s’occupe plus de la Constitution. Puis ils disent qu’ils sont fédéralistes. Il ne sont pas fédéralistes. Je ne sais pas ce qu’ils sont, ce sont des…
[ M. Landry (Verchères): Unitaristes.]
[ M. Bouchard:] …unitaristes.
[ M. Houle (Robert): La Constitution est bonne.]
[ M. Bouchard:] Elle n’est peut-être pas bonne mais elle est là.
[ M. Houle (Robert): Non, mais elle est bonne.]
[ M. Bouchard:] Et elle lie tout le monde. Qu’on l’accepte ou pas, la Constitution, elle lie tout le monde. On la respecte, la Constitution, nous autres. Nous, on la respecte, la Constitution. Qu’ils fassent comme les autres: qu’ils la respectent.
[ M. Houle (Robert): S’ils la respectaient, ce serait bon pour le Québec.]
[ M. Bouchard:] S’ils la respectaient, en tout cas, une chose certaine, c’est qu’ils cesseraient d’envahir nos champs de juridiction dans la santé, dans l’éducation, dans les programmes sociaux. Ils seraient obligés de nous envoyer l’argent qu’ils nous doivent puis de nous laisser le dépenser comme on le veut, en fonction de nos intérêts puis de nos besoins au Québec. Ils seraient obligés d’accepter des pleins retraits de la part des provinces, avec pleine compensation sous forme de points d’impôt.
[ Une voix: Sans créer de nouveaux programmes.]
[ M. Bouchard:] Sans créer de nouveaux programmes. Ils n’ont pas affaire à ça, eux autres. De quoi ils se mêlent? C’est parce qu’ils veulent se promener dans le monde puis présenter Mme Copps comme la ministre de la Culture canadienne, présenter M. X comme le ministre des Affaires sociales canadiennes, comme si c’était un pays unitaire, le Canada. Bien, en tout cas, s’ils sont fédéralistes, qu’ils commencent d’abord par respecter leur fédération. C’est ce que je dis, moi.
[ M. Plante (Bernard): S’ils la respectaient, vous pourriez vivre avec la Constitution?
La modératrice: Je m’excuse, Bernard, Elizabeth Thompson…]
[ M. Bouchard:] Ça, c’est une autre question. Ce serait une autre conférence constitutionnelle au lendemain d’un référendum. Ça, c’est une autre question, là. Ne mêlons pas les cartes, là. On ne s’en va pas là, nous autres, pour faire de la chicane politique, là. On ne va pas là pour faire un référendum, là. Ce n’est pas le temps du référendum. On va là pour faire en sorte que le gouvernement fédéral et les autres provinces respectent les cadres constitutionnels qui sont établis par ceux qui les ont fixés il y a 130 ans. On va là pour ça.
[ Mme Thompson (Elizabeth): M. Bouchard, vous êtes un négociateur chevronné. Je pense que tout le monde l’admet. La position que vous allez faire aux premiers ministres demain, est-ce que c’est un point de départ ou est-ce qu’il y a place pour négociation dans ça? Ou est-ce que c’est une position finale?]
[ M. Bouchard:] Bien, la proposition que nous faisons, elle est conforme ou pas à la Constitution, elle répond aux impératifs de la réalité. Alors, pourquoi on commencerait à diluer ça, nous autres? En vertu de quoi? On va accepter que le fédéral accepte tranquillement et mène encore plus rapidement dans nos programmes sociaux? Bien non! On n’a pas le droit d’accepter ça. Je serais le premier premier ministre du Québec qui accepterait ça? Voyons!
[ Mme Thompson (Elizabeth): Mais comme, par exemple, vous avez proposé 75 % de surplus pour que ce soit utilisé pour la rédaction…]
[ M. Bouchard:] Écoutez, s’ils disent 74 %, là…
[ Une voix: Même 70 %.]
[ M. Bouchard:] …on pourrait regarder… On n’est pas des maniaques, on est prêt à regarder des affaires, non.
[ Mme Thompson (Elizabeth): …]
[ M. Bouchard:] Ah oui! Ça, c’est négocié. Ça, vous avez raison. Ça, c’est des choses qui sont négociables, les pourcentages. On peut regarder ça, oui.
[ La Modératrice: Dernière question en français.
Michel Cormier.
M. Cormier (Michel): M. Bouchard, on sait que vous n’êtes pas pour des normes nationales imposées par Ottawa, mais êtes-vous quand même pour des standards communs entre les provinces sur l’aide sociale, sur la formation de la main-d’oeuvre, sur la santé? Parce qu’on est dans une économie de mobilité, là.]
[ M. Bouchard:] Mais, M. Cormier, on pourrait discuter longtemps sur la distinction entre les standards et les normes, hein? Vous savez, on sait que ce n’est pas tout à fait la même chose, mais ça se ressemble pas mal. C’est comme pitou puis minou, ça, hein?
[ Des voix: Ha, ha, ha!
Une voix: Lequel est lequel?
M. Brassard: On ne le sait pas. C’est resté dans l’ambiguïté.
M. Landry: Vous avez raison, M. Cormier. Les États modernes recherchent les quatre libertés de circulation et, pour ce faire, signent des traités et des conventions pour que cette liberté soit possible. Alors, en matière sociale, ils vont signer des accords en matière de transférabilité des pensions d’un espace politique à l’autre, et de comparabilité. Tout ça, on a toujours été prêt à le faire comme province du Canada et comme État souverain bientôt. Et, en attendant, on a favorisé la libre circulation des biens matériels et des services à travers les accords qui ont été signés et que nous respectons.
(Fin à 17 h 4)]
[QBOUC19971219cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre, et de M. Jean-Pierre Jolivet, leader du gouvernement Bilan de la session Le vendredi 19 décembre 1997 (Douze heures deux minutes) ]
[ M. Jolivet: MM. les journalistes, il me fait plaisir de vous rencontrer aujourd’hui pour vous présenter mon premier bilan législatif à titre de leader du gouvernement. Bien que la présente session parlementaire ait beaucoup porté sur la consolidation des réformes entreprises, le gouvernement peut être satisfait de son menu législatif. Rassurez-vous, je vous ferai grâce de la lecture exhaustive des 38 projets de loi publics qui ont été adoptés ou qui sont sur la voie de l’être depuis l’ouverture de la session, le 21 octobre dernier. Cependant, certains projets de loi méritent d’être mentionnés plus particulièrement.
Dans les mesures éducatives, au niveau des projets à caractère social, l’Assemblée a adopté le projet de loi n 180, Loi modifiant la Loi sur l’instruction publique et diverses dispositions législatives, qui vise à établir un meilleur équilibre dans les partages des responsabilités et des pouvoirs entre les différents partenaires du projet éducatif dans l’enseignement primaire et secondaire. Et, de plus, ce projet de loi établit un fondement légal d’écoles de quartier, ce qui favorisera le développement du partenariat avec les milieux communautaires, parentaux et culturels. Toujours dans le domaine de l’éducation, le projet de loi n 166, Loi modifiant la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel et d’autres dispositions législatives, qui devrait être adopté aujourd’hui, accroît la marge de manoeuvre pédagogique et administrative des cégeps. Cette mesure permettra notamment d’accroître l’autonomie en matière de formation de la maind’oeuvre.
Le projet de loi n 185, Loi sur l’élection des premiers commissaires des commissions scolaires nouvelles et modifiant diverses dispositions législatives, permettra d’établir les modalités d’exercice du droit de vote pour les nouvelles commissions scolaires linguistiques.
Et, toujours dans le domaine social, le gouvernement a proposé de nombreuses mesures législatives importantes. Qu’il suffise de mentionner le projet de loi n 149, Loi portant réforme du régime de rentes du Québec et modifiant diverses dispositions législatives. Grâce à cette réforme, la pérennité du régime est assurée et l’équité entre les générations de cotisants est enfin rétablie. Ce projet de loi vise à assurer que les générations futures puissent, elles aussi, profiter d’un régime public de protection à la retraite, en cas d’invalidité ou de décès, et à répartir équitablement le fardeau financier entre les générations. De plus, avec les nouvelles réalités sociales, ce projet de loi reconnaît les conjoints de fait.
Le projet de loi n 164, Loi modifiant la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires. Ce projet de loi permet aux débiteurs de verser directement la pension alimentaire aux créanciers en attendant que leur dossier soit pris en charge par le ministère.
Le projet de loi n 186, Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale. Cette réforme majeure, déposée hier à l’Assemblée nationale, constitue une réorganisation majeure de la sécurité du revenu. Ce projet de loi, qui sera discuté lors de la prochaine session, vient compléter le vaste redéploiement des services d’emploi et de soutien du revenu. Il met l’accent sur les mesures actives qui favorisent l’accès à l’emploi, tout en préservant la solidarité sociale.
Dans le domaine culturel, la commission de la culture a procédé aux consultations sur la Grande bibliothèque du Québec, et la ministre de la Culture a déposé le projet de loi n 403,
Loi sur la Grande bibliothèque du Québec. Ce projet concrétisera un engagement important du gouvernement.
Quant aux projets à caractère économique et financier, il faut dire ceci: Au niveau des finances publiques, nous poursuivons notre lutte contre l’économie souterraine. À cet effet, le projet de loi n 161, Loi modifiant de nouveau la Loi sur les impôts, la Loi sur la taxe de vente du Québec et d’autres dispositions législatives, donne suite aux mesures annoncées dans le dernier discours du budget. Ainsi, de nouvelles règles relatives à la déclaration de pourboires dans les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie sont mises en place et, faut-il le souligner, sans versement obligatoire d’une partie des pourboires, et entreront en vigueur à compter du 1er janvier 1998.
Le projet de loi n 161 offrira aux employés une protection supérieure en cas de chômage ou d’accident de travail, tout en permettant les cotisations au régime de rentes et les cotisations à un régime enregistré d’épargneretraite. Ce projet de loi est un élément majeur de la réforme fiscale, la plus importante depuis 1988, et permettra à 200000 contribuables de ne plus payer d’impôts à compter de 1998. De plus, grâce à ce projet de loi, il y aura une baisse d’impôts sur le revenu des ménages gagnant moins de 50000 $. Donc, 77 % des ménages québécois verront leurs impôts réduits de 15 %. Ce projet de loi est un bel exemple de la volonté du gouvernement en matière d’équité fiscale.
Toujours dans le domaine des finances publiques, je voudrais féliciter le député de Fabre, M. Joseph Facal, ainsi que les députés qui ont collaboré avec lui pendant toute la saison estivale afin de déposer le rapport du Groupe de travail sur l’examen des organismes gouvernementaux. D’ailleurs, contrairement aux libéraux, ce rapport, qui dresse l’inventaire de 204 organismes, n’est pas demeuré sur les tablettes. En effet, le gouvernement a déjà commencé à y donner suite avec le projet de loi n 178, Loi sur l’abolition de certains organismes, et le projet de loi n 160, Loi modifiant la Loi sur la sécurité dans les sports et d’autres dispositions législatives, qui abolit la Régie de la sécurité dans les sports, d’autres projets de loi et, en particulier, le projet de loi n 171, Loi sur le ministère des Régions. Ce projet de loi, qui devrait être adopté aujourd’hui, amorce une véritable décentralisation tout en évitant la marginalisation de l’État québécois. En effet, le ministre responsable des Régions, par son projet de loi, crée le ministère des Régions et respecte nos engagements électoraux en établissant les centres locaux de développement et en mettant sur pied la réforme des conseils régionaux de développement.
Ce tour d’horizon des principales législations présentées ou adoptées est loin d’être exhaustif. À cet effet, vous trouverez l’ensemble des projets de loi en annexe. Je vous invite donc à en prendre connaissance. Par ailleurs, j’aimerais profiter de l’occasion pour vous entretenir sur un sujet qui me tient à coeur: la revalorisation du rôle des parlementaires et l’image des hommes et des femmes en politique.
Depuis quelque temps, nous avons procédé à plusieurs modifications dans notre façon de travailler pour rendre le Parlement plus efficace et plus crédible. À ce sujet, le nouvel horaire de travail de l’Assemblée nationale, qui abolit les débats nocturnes et les séances aux petites heures du matin, et qu’on vient de renouveler encore une fois, présente une amélioration majeure.
Nous avons aussi augmenté le nombre des commissions parlementaires. Et, je dois l’avouer en même temps, les députés font un travail souvent dans l’ombre mais combien important. Il est regrettable, à cet effet, que la population ne voit pas nos députés travailler dans des commissions parlementaires. Oui, je dis regrettable parce que personne ne se rend compte du travail qui s’y accomplit. Entre autres, depuis l’arrivée au pouvoir du Parti québécois, les parlementaires ont siégé durant un nombre record d’heures et entendu un nombre plus élevé d’organismes et de personnes, dépassant ainsi toutes les statistiques compilées par l’Assemblée nationale.
En terminant, comme vous l’aurez constaté, les parlementaires et le gouvernement peuvent être fiers de leur bilan législatif automnal. Je laisse donc, à ce moment-ci, la parole à M. le premier ministre.]
[ M. Bouchard:] Merci beaucoup. Mesdames, messieurs, d’abord je pense que les Québécois doivent être fiers de ce que leur rapporte leur solidarité et leur sens des responsabilités. Les fruits de leurs efforts apparaissent déjà. Ils apparaissent dans l’investissement: 20 % de plus des investissements totaux sur deux ans. Ça paraît également dans l’emploi: Nous avons, depuis un an, créé 80000 emplois nouveaux, ce n’est pas rien. Aujourd’hui, au moment où on se parle, le ministre de l’Économie et des Finances et son collègue de l’Industrie et du Commerce sont en train d’annoncer la création de près de 3000 emplois nouveaux à Montréal, dans des secteurs de technologie nouvelles de l’information, les centres d’appel, les multimédias. Hier, c’était Exfo, à Québec, qui annonçait près de 500 emplois pour les cinq prochaines années dans un investissement qui est fait dans le domaine de la fibre optique ici, à Vanier, dans la région de Québec, qui consolide la vocation technologique de la région de Québec.
Il est évident aussi que l’une des raisons de fierté qu’on peut avoir, collectivement, c’est que ce que nous faisons, nous le faisons de façon équilibrée. On n’est pas en train de redresser les finances publiques à l’encontre des programmes sociaux. On n’est pas en train non plus d’investir dans le domaine social de façon irresponsable par rapport à la capacité d’en assurer le maintien. Je pense qu’il y a un grand sentiment de fierté et de satisfaction qui doit procéder du fait que nous faisons en sorte qu’en même temps qu’on redresse les finances publiques — puis Dieu sait qu’on les redresse avec vigueur, détermination et énergie — on maintien la capacité de l’État d’assurer ses grandes missions du côté économique comme du côté social. Du côté économique, je viens de le mentionner, je crois que, si on s’en remet aux annonces qui sont faites par des analystes économiques, on voit que certains nous prédisent l’an prochain, l’année qui vient, une année qui sera la meilleure depuis 10 ans, la meilleure de la décennie, au point de vue économique, une progression économique beaucoup plus considérable que celle qu’on avait escomptée. Donc, de la création d’emplois, donc de l’investissement, donc un niveau d’optimisme qui va s’accroître, non pas seulement dans les régions, mais dans les grandes régions de Montréal. Au point de vue social, en même temps, on l’a fait. Je défie quiconque de nous comparer avec d’autres sociétés qui vivent les mêmes problèmes que nous au point de vue financier et qui, en même temps, ont assuré un pareil progrès social. Je vais vous faire grâce de toute la liste des mesures sociales que nous avons adoptées, mais il est certain qu’au plan du revenu disponible des familles, nous travaillons très sérieusement dans la bonne direction. Et on le fait pour tous les groupes. On le fait pour les bas salariés, on le fait pour les démunis, on le fait pour la classe moyenne et on le fait pour les jeunes aussi. Je ne dis pas que nous en faisons trop. Au contraire. Dans certains cas, ce n’est pas assez encore. C’est évident. Mais nous en faisons beaucoup, beaucoup plus que ce qu’on aurait pu imaginer et ce sont des pas qui s’inscrivent dans le sens des bons objectifs. Pour ce qui est des bas salariés, on a adopté des mesures cette année qui améliorent le revenu de l’ordre de 6 % à 9 %. Pensons à la politique familiale qui a réinjecté dans les programmes 100000000 $ de plus même que ce qu’on avait annoncé en 1997 dans le budget. Une allocation familiale qui est plus généreuse de 1000 $ à 2 200 $ par année par enfant. Un système de garderie à 5 $ pour les enfants de quatre ans et la maternelle gratuite à cinq ans, comme on sait. Une hausse du salaire minimum de 13 % en deux ans. Aucun impôt à payer pour les moins de 25000 $ de revenus de ménage. Le remboursement de la taxe de vente pour les revenus de moins de 10000 $. Une aide accrue au logement pour 89000 familles de plus et 37000 personnes âgées de plus. La création du fonds de lutte à la pauvreté de 250000000 $ sur trois ans qui permet, cette année en particulier a permis la création de 3000 postes et puis des investissements de l’ordre de 252000000 $ sur trois ans qui vont créer près de 6000 emplois dans le domaine de l’économie sociale. Ça, c’est pour les bas salariés. Pour la classe moyenne. Il ne faut pas oublier que la classe moyenne au Québec, c’est elle qui porte le poids de notre société, qui en porte l’espoir, qui en porte le développement. Le gros des impôts et des rentrées fiscales, ça vient de la classe moyenne. Alors, il faut se rappeler que la classe moyenne est déjà très chargée au point de vue fiscal. C’est pour cela que, par exemple, de pouvoir la faire bénéficier d’une baisse d’impôt de 15 % à compter du 1er janvier qui vient, c’est quelque chose de très important pour les revenus de ménage de 25000 $ à 50000 $. En haut de 50000 $, 3 % de diminution d’impôt. Et puis, c’est elle aussi qui va bénéficier également de la maternelle gratuite à temps plein et la garderie à 5 $ pour les enfants de quatre ans. Pour les démunis, nous respectons l’engagement que nous avons contracté au Sommet économique de respecter un engagement d’appauvrissement zéro. Ça s’est traduit en particulier par l’indexation en 1997 et 1998 qui nous coûte 14000000 $ par année de leur barème d’impôt, les plus démunis. Et puis, nous avons annoncé la réforme de l’aide sociale qui va connaître son aboutissement lors de la session du printemps par l’adoption de la loi qui va la consacrer. On aura vu qu’il y a là un effort de réflexion extrêmement important qui s’est modulé sur les études qui ont été faites ici au Québec, au Canada et au États-Unis, des choses qu’il faut faire, l’investissement de la petite enfance, mais, en particulier, la réinsertion à l’emploi, le retour à l’emploi. Tout le monde ne peut pas retourner à l’emploi, nous le savons; donc, il y a beaucoup de prestataires de l’aide sociale qui ne sont pas dans la situation, par exemple, de pouvoir rapidement y retourner. Ceux-là voient leur statut bonifié. Il y a beaucoup d’avantages qui leur sont donnés par cette réforme qui ne va pas couper, au contraire, dans les budgets, mais qui hausse de façon structurelle les fonds qui sont alloués à l’aide sociale d’un montant qui est de l’ordre d’environ 75000000 $ par année, ce qui n’est pas rien dans le contexte actuel. Donc, il y a eu un très gros effort de fait, et puis, en même temps, pour les plus jeunes là, les 18 à 24 ans. Et, en particulier, nous savons que le moment où quelqu’un qui a perdu son emploi ou qui est sur l’aide sociale peut retourner à l’emploi, il se situe dans une période de 18 mois. C’est à l’intérieur de 18 mois qu’il faut agir avec rapidité; après 18 mois, il commence à se créer des habitudes de dépendance. C’est plus difficile, la motivation est moins forte, c’est évident. Donc, il faut agir rapidement. Et chez les jeunes, c’est très, très important que nous leur donnions la chance d’échapper à une culture de dépendance de l’aide sociale. C’est donc rapidement qu’il faut agir et, dans leur cas, il y a une incitation très forte, bien sûr, qui est la mise en place de parcours d’un emploi individualisé qui va faire en sorte qu’on va leur offrir des programmes pour qu’ils se préparent à pouvoir accéder à l’emploi. On va payer les coûts de ça, parce que ça peut arriver qu’en certains cas, par exemple, ça prenne des équipements particuliers, il y a des transports. On va assumer ces coûts-là en plus des barèmes de base qui, dans leur cas, ne sont pas diminués. Évidemment, quelqu’un qui a 19 ans puis qui ne voudra pas participer au parcours de l’emploi qu’on lui proposera, qui va le préparer à recevoir un emploi, bien, il va y avoir une pénalité qui va s’attacher à cela. Je pense que c’est normal. Ce n’est pas le but d’avoir une pénalité; c’est le but d’avoir une incitation à ce que les gens fassent l’effort de se préparer à retourner à l’emploi. Je pense que c’est une réforme qui est très importante. Je suis très fier que nous l’ayons réussie. Ça s’est fait dans l’harmonie et du Conseil des ministres et du caucus. Et je voudrais spécifiquement remercier Mme Harel, M. Léonard, M. Landry, qui ont participé étroitement aux dernières discussions pour mettre en place tout cela, parce qu’il y a des répercussions budgétaires dont il faut tenir compte. Je voudrais remercier aussi tout le caucus et, en particulier, ceux de nos députés qui ont participé à la commission qui a reçu les groupes et qui a élaboré un ensemble de mesures dont nous avons — vous le constaterez — tenu compte dans la très grande majorité des cas. Pour les jeunes, c’est une catégorie où on ne fera jamais assez. Et si on tient compte de leur situation actuelle, il est évident que chez beaucoup de jeunes il y a un mal de vivre. Il y a chez beaucoup de jeunes le sentiment qu’ils sont à la porte d’une société qui s’est mal préparée à les recevoir, qui les a mal préparés, même globalement, à entrer sur le marché du travail, à faire partie de la mouvance de la nouvelle technologie, de la nouvelle économie. Et nous avons tous des mea culpa à nous faire sur la façon dont nous avons préparé les jeunes en termes de formation de main-d’oeuvre. Et, de ce côté, il doit y avoir une mobilisation intense. On a commencé par des stages d’apprentissage. On travaille étroitement avec l’entreprise. On n’a pas assez travaillé avec l’entreprise pour former les jeunes. Il faut que l’entreprise soit plus présente.
Nous sommes en train de discuter avec les gens du secteur de l’industrie, et du monde syndical aussi, pour préparer une grande mobilisation autour des programmes de formation de main-d’oeuvre, des programmes d’urgence ciblés sur des secteurs où on sait qu’on manque de jeunes. Dans l’informatique, dans la biotechnologie, il y a des lacunes radicales de jeunes capables de se former. Il y a des programmes de recyclage à faire pour des ingénieurs qui ont été formés pour des secteurs qui sont maintenant un peu désuets, mais qui, dans l’espace de très peu de temps, puisqu’ils sont de niveau universitaire, qu’ils sont déjà ingénieurs, peuvent se recycler dans d’autres secteurs. Il y a un exemple de grande réussite, c’est celui du secteur de l’aéronautique où Bombardier a signé un accord avec un cégep — le cégep de Longueuil, pour ne pas le nommer — pour créer des programmes qui sont allés rapidement. Puis, maintenant, on est excellents dans le domaine de… on exporte des ressources à Seattle, aux États-Unis. On est en train de conquérir des marchés extraordinaires — Montréal, sixième puissance aéronautique — à cause de la formation des jeunes. Et c’est le nerf de la guerre, la capacité technique que nous avons d’entrer dans ces domaines. Donc, un effort. Et puis, en plus, au point de vue social, chez les jeunes, il y a d’autres facteurs aussi. Ça déborde le cadre d’un programme. Il y a quelque chose, là, de — comme on dit — «sociétal». Il y a certainement des changements d’attitude que nous devons adopter. Il faut qu’on accepte d’aller voir le problème de la drogue dans les écoles. Je soupçonne personnellement que le problème de la drogue dans les écoles est beaucoup plus grave qu’on peut le penser. Ça se vit de façon tragique dans les familles par des parents, par des enfants. Il faut qu’on entre dans ces secteurs-là, qu’on n’ait pas peur d’aller voir et de mettre en oeuvre des solutions d’espoir. Pas forcément des solutions coercitives, mais c’est des solutions défensives, des solutions d’espoir. Il faut qu’on motive davantage les jeunes. Il faut que nos jeunes se rendent compte qu’ils font partie d’un grand peuple, qu’on a une société formidable, qu’on a un avenir extraordinaire, qu’on a des ressources, des capacités, qu’il y a des exemples, qu’il y a des modèles à suivre. On a à rétablir un pont entre notre génération et les jeunes d’aujourd’hui et, ça, c’est un programme de gouvernement. C’est plus qu’un programme, c’est un engagement du gouvernement sur lequel nous allons nous pencher de façon plus visible, publiquement, après les Fêtes. Et puis, ça, ça ne dépend pas d’une réélection. On s’y met tout de suite. Il n’y a pas d’échéancier électoral qui tienne à ces choses-là. C’est qu’on a l’obligation de s’y engager à fond, puis vous allez voir qu’on va le faire. Il y a le budget, il y a d’autres choses qu’on va faire aussi.
Alors, en conclusion, moi, je ne veux pas, d’un ton jovialiste, dire: Tout va bien. Mais on est sur la bonne route, on récolte les fruits de nos efforts et je suis très fier des Québécois, très fier de mon caucus et de mon Conseil des ministres.
[ La Modératrice: Questions en français, Normand Girard. M. Girard (Normand): M. le premier ministre, dans l’entrevue que vous avez accordée, dont j’ai lu les grandes lignes rapidement ce matin, vous avez évoqué pour la première fois, je pense, la possibilité d’une élection au printemps 1998. Est-ce que ça veut dire que vous avez vraiment amorcé une réflexion sur le moment approprié pour aller au peuple à la fin du mandat?]
[ M. Bouchard:] Oui, c’est le mot qu’on peut employer, je réfléchis, je dirais, de plus en plus à cela, parce qu’on arrive… vous savez, on est en décembre 1997. Et en septembre 1998, donc dans quelque chose comme neuf à 10 mois, le gouvernement aura accompli les quatre années classiques, quatre années normales de son mandat, donc il est certain que nous sommes dans une sorte d’avent électoral. Ceci étant dit, je ne me suis pas arrêté à aucune plage, à aucune fenêtre spécifique, je sais qu’il y en a, comme je l’ai dit, il y en a plusieurs. Il y en a quatre qui sont classiques, printemps 1998, automne 1998, printemps 1999, automne 1999. Alors, le gouvernement peut faire ça et choisir dans ces quatre plages-là, puis il y en a peut-être d’autres aussi qui peuvent se présenter entre-temps. Alors, ce que j’ai dit, au fond, c’est qu’il y a un éventail de possibilités. Je me rappelle, moi, je n’ai pas beaucoup fréquenté M. Bourassa, mais je l’ai quand même assez bien connu vers la fin de sa carrière, et il me disait souvent que, être maître du temps, c’est très important en politique et il faut conserver cette maîtrise. Ceci étant dit, c’est facile de voir qu’une élection au printemps 1999 présente de grands avantages. D’abord, parce que c’est le printemps aussi, et aussi parce que nous aurons franchi cette grande étape qui va nous amener au déficit zéro, parce que je suis convaincu que nous y arriverons, j’en suis absolument certain. Nous terminons le troisième exercice que j’ai eu à gérer, le premier en partie, mais quand même j’ai géré la fin, la fermeture, c’est toujours très délicat les derniers mois. Et je peux vous dire que, pour la troisième année consécutive, un gouvernement du Parti québécois va rentrer dans ses engagements budgétaires et on pourra montrer patte blanche à tout le monde, objectifs atteints dans les buts qu’on s’était fixés, d’un déficit qui devait être de 2000000000 $ cette année et qui devra être de 1000000000 $ dans un budget qu’on va déposer au printemps.
Et puis le résultat du zéro, le zéro, pour moi, qui est magique, parce qu’il est plein de symboles, parce qu’il sera la démonstration que malgré tous les obstacles qu’on a eus, les coupures du fédéral, les difficultés politiques internes, que dans la stabilité, dans un climat de stabilité et de consensus, finalement, avec un gouvernement qui conserve l’appui de l’opinion publique, nous sommes capables ensemble d’arriver à des résultats qui paraissaient inatteignables dans le passé et que personne n’a jamais essayé d’atteindre, et quand nous aurons réussi ça, je pense qu’on aura fait une démonstration. Donc, il y a plusieurs possibilités électorales, M. Girard, et je peux vous dire que je n’en ai encore choisi aucune.
[ M. Girard (Normand): Oui, mais dans ce que vous avez dit, il me semble, si on me permet une sous-question, que vous avez éliminé l’automne.]
[ M. Bouchard:] Non, mais…
[ M. Girard (Normand): Vous avez insisté beaucoup sur le printemps, et de 1998, mais surtout sur celui de 1999.]
[ M. Bouchard:] Non, je n’ai insisté sur aucun printemps ou sur aucune saison.
[ Des voix: Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] J’ai répondu à des questions. On me disait: Oui, M. Lévesque aimait beaucoup les élections au printemps. C’est ça qu’on m’a dit, et vos collègues m’ont dit: Oui, mais M. Lévesque trouvait que le printemps, c’est bon, parce que les Québécois sont de bonne humeur, la neige fond, le soleil revient, les petits oiseaux chantent.
[ Des voix: Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] J’ai dit: C’est vrai qu’au printemps, on est de bonne humeur. C’est ce que j’ai dit: On est de bonne humeur.
[ M. Larocque (Paul): Mais si on résume…
Des voix: Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] Si on résume, vous ne le savez pas et moi non plus.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
La Modératrice: Norman Delisle.
M. Delisle (Norman): M. Bouchard, le dollar canadien a baissé beaucoup récemment et ça a eu un effet immédiat sur la hausse des taux d’intérêt. Quels sont les effets pour le gouvernement du Québec de cette hausse de taux d’intérêt? Et où allez-vous prendre l’argent pour combler cette dépense tout à fait imprévue qui vous arrive entre les mains?]
[ M. Bouchard:] Il y a un double effet: un positif et un négatif. L’effet positif, c’est que pour nos exportations, évidemment, c’est excellent. C’est excellent pour les exportations; ce n’est pas les gens des pâtes et papiers qui vont s’en plaindre. Par contre, pour le gouvernement, donc, les rentrées fiscales s’en trouvent améliorées, mais l’effet négatif pour le gouvernement, c’est que nous remboursons plusieurs emprunts en monnaies fortes, et, en conséquence, on est alignés sur le dollar américain dans ce temps-là, et les projections qu’on a faites du niveau de la valeur du dollar canadien à la fin de mars se trouvent supérieures à celles dans la réalité. D’ailleurs, personne n’avait prévu que le dollar canadien allait… Même, la semaine dernière, il a plongé un peu en deçà de 0.70 $; ça n’avait pas été prévu. Donc, il est plus faible que prévu. C’est qu’on aura donc un montant à compenser. Mais les analyses que nous avons faites nous permettent de conserver l’assurance qu’en additionnant les plus avec les moins, en faisant de l’algèbre, nous allons être capables de respecter l’engagement que nous avons pris d’arriver à un déficit qui ne sera pas supérieur à 2000000000 $.
[ M. Delisle (Norman): Mais là, elle est de combien en centaines de millions, cette hausse des taux d’intérêt?]
[ M. Bouchard:] Ça dépend. Je pense qu’on parle de 20000000 $ ou… Je ne veux pas être trop précis, parce que je peux me tromper. On parle de 20000000 $, 30000000 $, en bas de ce qu’on a prévu. Donc, il y a un certain nombre de millions là, il y a quelques dizaines de millions, plusieurs dizaines même. Ça va nous coûter cher, oui. Mais compte tenu de nos rentrées fiscales de l’année et de l’amélioration par rapport à ce qui est prévu du niveau économique de l’année, on va y arriver. Les plus vont commencer les moins puis on va être capable de rentrer dans nos objectifs.
[ La Modératrice: Rhéal Séguin.
M. Séguin (Rhéal): M. Bouchard, est-ce que vous avez définitivement mis au rancart la possibilité de définir le partenariat dans votre projet politique? Est-ce que c’est fini, ça, selon le…]
[ M. Bouchard:] Non, non. J’ai fait une distinction hier. J’ai dit que le partenariat comporte deux volets. Dans le programme du Parti québécois, celui qu’on a adopté au congrès l’an dernier, qui est d’ailleurs conforme à l’entente qu’on avait signée avec les deux autres partis il y maintenant près de deux, trois ans, il y a la partie des institutions politiques, la partie des contenus économiques. J’ai fait remarquer que le volet politique, le volet des institutions est esquissé de façon sommaire et que nous pensons maintenant qu’il ne faut pas aller plus loin dans la définition, la configuration des institutions politiques qui encadreront le partenariat. Parce que, pour nous, ce qui est encore plus important, c’est le partenariat économique. Il apparaît de plus en plus que c’est le contenu du partenariat économique qui va en réalité définir la configuration des institutions qui devront l’encadrer. C’est donc à partir des impératifs économiques de part et d’autre, au Canada anglais comme chez nous, que nous devons développer la réflexion de ce qu’il va y avoir dans ce partenariat économique et qu’ensuite il s’agira de le projeter sur le genre d’encadrement qui sera nécessaire, d’abord un traité, bien sûr, et puis ensuite des institutions légères qui vont gérer le traité.
[ M. Séguin (Rhéal): À quel moment vous pensez aborder cette réflexion-là?]
[ M. Bouchard:] Ah, bien, elle est déjà commencée. J’ai déjà eu d’ailleurs l’occasion pour ceux qui ont lu mon discours que j’ai prononcé lors de la réunion des gens d’affaires du Canada anglais qui sont venus ici au lendemain de mon retour de France, j’ai déjà dit que c’est une réflexion qui est amorcée mais surtout qui se définit de façon concrète selon l’évolution de ce qu’on peut fait, par exemple, pour faire disparaître les barrières tarifaires entre les différentes provinces, les ententes de mobilité avec les différentes provinces. Il y en a déjà deux qui ont été conclues, puis on veut en faire une avec Terre-Neuve aussi. J’ai convenu à Ottawa la semaine dernière avec mon homologue M. Tobin — et nous avons même désigné les personnes de part et d’autre qui doivent le mettre sur une «fast track» comme on dit — de définir une mobilité de main-d’oeuvre entre les deux provinces. Et nous voulons aussi, bien sûr, à la faveur des exportations de plus en plus importantes que nous avons à l’étranger — un peu moins au Canada mais même aux États-Unis, sûrement aux États-Unis — avoir une vision plus claire de la façon dont le partenariat fonctionnera. Il faudra préciser également nos intentions sur la monnaie, parce que la monnaie est au coeur du partenariat économique avec le reste du Canada et ainsi de suite.
Donc, on va prendre les éléments de façon concrète, un par un, avec les autres provinces. Je vous signale qu’entres autres ententes qu’on a conclues il n’y pas longtemps avec l’Ontario — il y a l’entente sur les approvisionnements puis les soumissions dans le domaine public. On a une entente avec l’Ontario, maintenant. On a ouvert. On va ouvrir avec les autres, aussi. Ça va moins lentement avec d’autres provinces. Les provinces ne sont pas d’un niveau égal d’accueil à un élargissement des frontières du libre-échange total entre nous. La plupart le sont; certaines sont plus réticences. Mais nous, nous poussons dans ce sens-là. Je pense que la définition du partenariat va se faire de cette façon, de façon dynamique, concrète, dans le quotidien de nos échanges, étant entendu, cependant, que nous devons, nous, les formaliser davantage en préparation de ce qui sera la campagne référendaire, une fois qu’elle sera déclenchée.
[ La Modératrice: Elizabeth Thompson.
Mme Thompson (Elizabeth): M. Bouchard, vous avez suggéré, en septembre, quand vous avez annoncé votre remaniement, qu’il pourrait y en avoir un autre dans les mois à venir. Quelles sont vos réflexions, au moment où on se parle, sur le remaniement?]
[ M. Bouchard:] Mes réflexions sont arrivées au point où je me trouve très satisfait du Conseil des ministres que nous avons. On a fait ce remaniement, qui était plutôt léger, mais, dans l’ensemble, je suis très content des résultats de ce que nous avons. Alors, évidemment, ça dépend des dates des élections et, si c’est court, je ne vois pas de remaniement. Si c’est plus long, on verra. Mais pour le moment, je ne suis pas en train de penser à ça. Je ne pense pas à un remaniement, actuellement.
[ Mme Thompson (Elizabeth): Voulez-vous faire un remaniement avant de déclencher les élections?]
[ M. Bouchard:] Pas forcément; ça dépend. Ça dépend de la date des élections.
[ Une voix: …en 1999.]
[ M. Bouchard:] Ça dépend de la date des élections, hein? Ça dépend beaucoup de la date des élections. Mais je vous le dis, là: Pour le moment, là, je ne pense pas à un remaniement. Je suis très satisfait de la cohésion, de la dynamique, puis du fonctionnement de mon Conseil des ministres.
[ La Modératrice: Patrice Roy.
M. Roy (Patrice): M. Bouchard, étant donné que l’économie tourne mieux que prévue, est-ce que vous n’auriez pas pu indexer, à tout le moins, la prestation de base pour les personnes assistées sociales, là, le fameux 490 $?]
[ M. Bouchard:] Généralement? De façon générale?
[ M. Roy (Patrice): Oui.]
[ M. Bouchard:] Non, ce ne serait pas responsable, financièrement, de faire une chose comme celle-là. Parce que, l’économie, oui, elle tourne bien, mais ça ne tourne pas toujours bien, l’économie. Nous sommes à la fin d’un cycle très long, un cycle de croissance qui est très, très long et, comme vous savez, tout le monde s’interroge: Ça va finir quand? Parce que c’est un des plus longs qu’on n’ait jamais observés et, normalement, d’après les règles de l’économie, après cinq, six ans, c’est supposé revenir dans une récession relative, puis repartir ensuite. On en est loin. On a eu six, sept ans, là. On est loin et, ce que nous voyons, cependant, c’est que c’est vrai qu’on n’annonce pas de façon immédiate, une récession, ce qui va nous permettre d’arriver au déficit zéro. On pense même que, l’année prochaine, comme je l’ai dit, les gens prévoient un taux de croissance considérable, encore plus considérable que prévu, avec création d’emplois et investissements et, une des meilleures années, comme je l’ai dit, depuis 10 ans. Alors, on va en profiter, mais ça peut se terminer vite. Un gouvernement responsable ne doit pas construire des augmentations structurelles dans les programmes, sachant que la conjoncture des revenus peut changer radicalement et, à ce moment-là, vous vous trouvez dans une situation absolument désastreuse. Il faut donc, oui, indexer dans les cas où ça nous paraît indispensable. Et les plus démunis, c’est l’engagement qu’on a contracté au sommet qu’on tient. Mais indexer pour l’ensemble, je ne vois pas beaucoup de gens qui font ça. C’est la recette du désastre, ça. Si on veut être capable de garantir le maintien des programmes sociaux à tout le monde au niveau où ils sont présentement, il faut donc ne pas se mettre en situation de déraper puis de ne pas pouvoir le faire. D’où le sens des responsabilités qui nous amène à ne pas indexer généralement les barèmes.
[ M. Roy (Patrice): Très rapidement, dans quelle mesure — vous l’avez dit, dans l’entrevue au Soleil, je crois — le déficit zéro, pour vous, dépasse de beaucoup la réalité comptable et deviendra un symbole qui pourra aussi aider la souveraineté, aider le mouvement?]
[ M. Bouchard:] Bon, zéro, c’est un chiffre qui va apparaître, à un moment donné, au bas des états financiers du Québec, puis ça va plaire aux comptables puis etc. Mais c’est beaucoup plus que ça. C’est de restaurer la liberté des choix de notre société. Quand on est une société endettée qui est menacée continuellement de se faire décoter par les agences de crédit, quand les marchés financiers s’inquiètent, qu’on n’arrive plus à emprunter à des taux raisonnables et quand on a de la misère à écouler nos obligations, quand on arrive même très difficilement à renouveler, à tous les trois ans, l’ensemble de notre dette, à ce moment-là, on n’a pas le choix, là. Tout ce qu’on fait, c’est qu’on pédale du reculons puis on répond à des appels de pompiers, puis parfois même, pire que ça, on est obligé de couper de façon féroce, irrationnelle, des choses qu’il ne faudrait pas couper.
Donc, ce qu’il faut faire, comme société, c’est de récupérer notre capacité de choisir puis de faire des affectations de budget où est-ce qu’on peut apporter l’effort, où est-ce qu’on veut avancer. Et le zéro déficit, là, ça va nous redonner la latitude, la plénitude de la capacité d’un État, d’une société, de décider: Est-ce qu’on met plus d’argent dans l’environnement, est-ce qu’on en met plus dans la création d’emplois, dans la recherche, au lieu que de passer son temps à dire: Où est-ce que je suis obligé de couper. New York veut que je coupe. Tout le monde refuse de nous prêter. Ça, c’est le désastre. C’est la situation du désespoir. Il faut en sortir. On en sort, actuellement. On est capable d’en sortir, on en fait la démonstration.
Donc, double avantage: On récupère notre liberté de choix puis on se fait la démonstration qu’on est capable de gérer nos affaires puis on le démontre à l’ensemble du monde. C’est énorme, ça. C’est considérable! C’est reconstruire le solage du Québec. C’est reconstruire les assises de notre société. C’est de refaire la base. Et sur cette base, la démocratie québécoise édifiera ce qu’elle voudra. Elle décidera ce qu’elle veut établir là-dessus.
[ Le Modérateur: Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, dans le passé, presque systématiquement, quand il y avait des rumeurs d’élections sous les autres gouvernements, la machine gouvernementale a tendance à se planter, à se paralyser, à ne plus vouloir bouger. On ne risque plus de prendre de décisions, partout dans la machine gouvernementale. Vous venez de donner le signal d’une veille électorale, d’une certaine façon. Ça peut être trois mois, six mois.]
[ M. Bouchard:] Je ne vois pas ce que vous voulez dire par un grand signal. J’ai dit que ça se pourrait très bien qu’on aille jusqu’à septembre 1999. C’est ça que j’ai dit. Deuxièmement, on n’est pas un gouvernement comme un autre. Regardez ce qu’on s’est mis sur le dos en terme de défis et de réformes qu’on a amorcées. Il faut qu’on livre la marchandise. On a encore des réformes, là, qui ne sont pas finies. L’éducation qu’il faut finir, l’aide sociale, il faut l’adopter et la mettre en oeuvre. On a des programmes de création d’emplois qui sont en marche. Je vous ai parlé des jeunes. On ne s’occupera pas des échéanciers électoraux. Non. On n’est pas un gouvernement comme un autre. On assume tous les défis. Il y en a quelques-uns qu’on retarde. Montréal, je l’ai dit, ça, évidemment, c’est un grand chantier de régler à la base les problèmes structurels de Montréal et des grandes iniquités qui sont là et ce qu’on constate d’inefficacité du fait d’un manque de synergie entre trop d’intervenants. Ça, évidemment, ça va être pour un gouvernement qui sera fraîchement réélu ou élu, mais pour moi réélu. À ce moment-là, on pourra. Mais on a tellement de choses en marche actuellement, qu’il n’est pas question d’arrêter quoi que ce soit. Il n’est pas question de paralyser le gouvernement. Il est question de marcher toute vapeur pour livrer ce qu’on a à livrer parce que l’intérêt public le requiert. Donc, on ne se fait pas paralyser par les élections. Je n’ai pas regardé les avantages électoraux de faire ce qu’on fait dans le domaine de la santé et de l’éducation parce qu’on n’aurait rien fait. Un gouvernement qui passe son temps à regarder les sondages, à regarder les dates d’élections, il ne fait rien. Et certains d’entre nous qui nous ont précédés, certains gouvernements qui nous ont précédés, on sait que c’est ce qu’ils ont fait. Ils n’ont rien fait. Mais ne rien faire, c’est grossir les problèmes et faire en sorte que les solutions, quand elles seront appliquées, seront encore plus difficiles. Ce n’est pas ce qu’on fait, nous. On assume les choses. Et je vous assure qu’il n’est pas question que quelque perspective ou conjecture électoraliste puisse retarder ou entraver en quoi que ce soit l’action du gouvernement. C’est toutes voiles dehors, jusqu’au bout.
[ Mme Gagnon (Katia): Est-ce que je peux me permettre une question, M. Bouchard?]
[ M. Bouchard:] Oui, madame. Vous avez le droit de poser des questions.
[ Mme Gagnon (Katia): Sur Montréal, vous dressez un bilan assez sombre du ministère de la Métropole, de la Commission de développement de la métropole.]
[ M. Bouchard:] Non.
[ Mme Gagnon (Katia): Est-ce que c’est un échec, selon vous?]
[ M. Bouchard:] Non, je n’ai porté aucun jugement négatif sur la métropole. J’ai dit que la métropole a un mandat, qu’elle s’en acquitte, qu’elle peut faire un bout de chemin, mais on sait bien que la métropole ne s’est pas vue confier le mandat de ce qui s’est fait à Toronto, par exemple. Elle ne s’est pas vue confier d’apporter les solutions les plus globales, les plus fondamentales, les plus structurelles qui sont requises pour la région de Montréal. Nous le savons tous, ça. On l’a tous reconnu. Le pas de plus, on va le faire après une ré-élection. La Commission va aller au bout de ce qu’elle peut faire et après ça la grande solution va se faire dans une démarche que j’assimilerai, par son importance et le niveau de mobilisation politique, à ce que nous avons fait avec le Sommet économique. Le déficit zéro, c’était essentiel pour le Québec. Le redressement de Montréal, c’est aussi essentiel. C’est la prochaine étape. C’est une autre priorité. Et j’entendrais le faire, moi, avec le même appui politique, le même appui des intervenants, des grands décideurs, à partir d’une prise de conscience collective que Montréal, ce n’est pas un problème municipal, que le problème de Montréal ne se réglera pas dans une campagne électorale municipale, que Montréal, c’est un problème national, c’est un problème pour le Québec. Et les gens à Ottawa doivent se rendre compte aussi que c’est un problème pour tout le Canada. Montréal est une métropole nord-américaine, elle a une contribution irremplaçable à apporter à l’économie nord américaine, au premier chef à soi-même et au Québec, et il faut donc qu’on élargisse la problématique et que l’éventail des solutions dépasse de beaucoup ce que peut faire un conseil municipal. C’est tout le Québec qui est interpellé par Montréal. Et le moment venu, il va falloir qu’on procède comme on l’a fait, opération de salut public, comme on l’a fait pour les finances publiques du Québec, puis qu’on fasse la même chose pour Montréal.
[ M. Plante (Bernard): …]
[ M. Bouchard:] Bien, il y a des choses qu’il faut faire en attendant, je suis convaincu. Par exemple, il y a toute la question immédiate du déficit budgétaire. Bon, il y a des solutions temporelles à apporter, on va le faire. Mais deuxièmement, il y a tout de suite des choses structurelles à faire, ne serait-ce que pour les finances de la ville de Montréal elle-même. Tantôt, ce dont je parlais, c’est l’ensemble de la région montréalaise, la très grande région montréalaise, le grand moteur économique du Québec. Mais pour ce qui est des finances publiques de Montréal, on ne peut pas attendre, parce que au-delà de la question conjoncturelle du budget de cette année, il y a des éléments structurels. Il y a, dans la façon dont les finances de Montréal sont conçues, des éléments qui font que ça va toujours aboutir à des désastres. Il y a la question des fonds de pension, les déficits actuariels qui ne sont pas réglés, on a étalé, jusqu’en l’an 2040, l’amortissement de certains fonds de pension, ce qui va faire en sorte que les gens vont être morts depuis longtemps puis on va encore payer, puis de façon exponentielle, une contribution qui est insupportable, qui devient insupportable dès cette année, on en a encore jusqu’en 2040. C’est une affaire qui n’a aucun bon sens. Donc ça, il faut intervenir d’une façon structurelle, le gouvernement se reconnaît des responsabilités là-dedans. Il va falloir qu’on s’assoit avec les gens de Montréal, c’est commencé d’ailleurs, on va mettre des actuaires là-dedans, des consultants, c’est commencé, et puis il faut trouver une solution structurelle au problème du déficit actuariel de certains fonds de pension. Par contre, il y en a d’autres qui sont très grassement nantis de surplus actuariels, alors il y a des choses qui peuvent se faire, qui devront se faire et qui se feront. Deuxièmement, il y a la question des paramunicipalités, il y a au delà de 200000000 $ de déficit. Je ne dis pas qu’on l’a caché à dessein, mais le fait que les immobilisations de ces sociétés sont évaluées, présentement, à des montants qui sont supérieurs à leur valeur réelle, il y a là, éventuellement, des effacements qu’il va falloir faire et qui sont structurels et qui coûtent énormément cher. Parce que, évidemment, on sait ce qui est arrivé dans les marchés immobiliers, les montants qui ont été investis, maintenant, ne représentent plus la valeur réelle des actifs, il va falloir qu’on en tienne compte quelque part, un moment donné, puis qu’on règle sur ça, c’est structurel, il faut le régler aussi.
Et la question des planchers d’emplois. Il y a, dans ces conventions, à Montréal, des planchers d’emplois qui n’ont pas de bon sens, ils en avaient peut-être au moment où ils ont été consentis, mais aujourd’hui qui n’ont pas de bon sens, qui font peser d’un poids très lourd sur les finances publiques un poids insupportable. Il y a, actuellement, des — je ne peux pas donner de nom, je peux me tromper là — mais il y a beaucoup beaucoup de cadres à Montréal, des professionnels qui sont sur les tablettes, qui sont payés quand même, puis ça coûte des millions et des millions parce qu’on a maintenu des planchers d’emploi qui n’ont pas de bon sens. Alors, il va falloir qu’on regarde tout ça. Il y a les premiers éléments de réponse mais, surtout conjoncturels, qui vont venir à l’occasion des règlements qui doivent se faire dans le cadre des diminutions de 6 % des coûts de main-d’oeuvre. Mais, globalement, il y a beaucoup de travail à faire dans les finances publiques de Montréal. Puis, ça, ça ne peut pas attendre. C’est une chose à laquelle on devrait s’attaquer immédiatement.
[ M. Girard (Normand): Avec tout ce que vous avez énuméré, M. le premier ministre, on ne doit pas s’attendre à un discours inaugural à la reprise des travaux en mars.]
[ M. Bouchard:] Ah! Je ne le sais pas. Honnêtement, je ne me suis pas arrêté encore à ça, est-ce qu’il faudrait un discours inaugural ou pas. Peut-être, peut-être pas. Honnêtement, je me réserve d’y réfléchir durant les Fêtes parce que, quand on est dans l’action, comme on l’est depuis plusieurs mois, on n’a pas beaucoup de temps pour réfléchir sur les choses qui doivent arriver dans les mois qui viennent. Je me réserve, là, de consacrer du temps à cela, au cours de la période des Fêtes et celle qui va suivre.
[ M. Bouchard:] C’est quoi, le Bill 407?
[M. Jolivet: C’est la nomination de six mois pour le Directeur général des élections.]
[ Est-ce que c’est piaffer d’impatience?
Une voix: C’est ça, oui, oui.]
[ M. Bouchard:] Piaffer. Je vais en parler à Audrey avant. Joyeux Noël à tous et à vos familles! Puis un peu de repos.
[(Fin à 13 heures) ]
[QBOUC19980619cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec,et de M. Jean-Pierre Joliet, leader du gouvernement Bilan de la session Le vendredi 19 juin 1998
(Douze heures trente-sept minutes)]
[ M. Bouchard:] Bonjour. Jean-Pierre, tout à l’heure, va vous exposer les détails, je dirais, des éléments législatifs de la dernière session. Je vais y faire référence moi aussi, mais en les mettant dans le contexte plus large de l’action gouvernementale de cette année. L’économie, d’abord. Le gouvernement a investi l’essentiel de son énergie sur sa priorité: l’économie et l’emploi. Nous avons ainsi poursuivi, depuis janvier, l’action de relance économique du Québec que nous avons lancée il y a deux ans lors du Sommet de Montréal sur l’économie et l’emploi. Avec pour résultat que l’économie québécoise connaît cette année des performances qu’on n’avait pas vues depuis une dizaine d’années. En termes d’emploi, le chômage continue sa lente descente engagée depuis 18 mois, et nous avons créé environ 100000 emplois depuis le sommet économique. Le nombre de prestataires de la sécurité du revenu continue de baisser; on compte près de 80000 prestataires de moins cette année que l’an dernier à la même date. Je suis particulièrement heureux de constater que le chômage chez les jeunes, qui est beaucoup trop élevé, a néanmoins baissé de 1,8 % au cours de la dernière année. Il chute donc plus rapidement que pour la population active, ce qui est bon signe. Et la fréquentation scolaire des jeunes augmente, ce qui est également prometteur. Pour ceux qui aiment juger ces performances en termes de comparaison avec le Canada, notons simplement que lors du dernier mandat libéral, il s’est créé au Québec 0 % des emplois créés au Canada. Et, depuis le Sommet de Montréal, nous en avons créé 18 %. En termes d’investissements, sous le dernier mandat libéral, l’investissement a chuté au Québec quatre fois plus rapidement qu’au Canada, alors que, grâce à nos efforts, cette année, l’investissement croît plus vite au Québec qu’au Canada. Pour y arriver, nous avons mis en oeuvre, cette session, un grand nombre d’actions, notamment dans le budget et dans la stratégie économique, objectif emploi, déposée en mars par le ministre de l’Économie et des Finances, et dans les lois habilitantes adoptées par la suite. Avec la création de la super SGF, nous dotons le Québec d’un outil majeur pour susciter le partenariat avec des investisseurs étrangers. Nous avons également mis sur pied la nouvelle société Investissement-Québec dont un des objectifs est de doubler l’investissement américain au Québec d’ici deux ans. Nous avons également complété le réseau des sociétés Innovatech en créant une société pour les Régions ressources.
La réduction à compter de l’an prochain des taxes sur la masse salariale des petites entreprises, les incitatifs fiscaux consentis en recherche et développement et, en particulier ce mois-ci, dans le multimédia, sont d’autres outils que nous mettons à la disposition des entrepreneurs québécois pour l’emploi. La mission que j’ai dirigée aux États-Unis avec une cinquantaine de leaders québécois a été une occasion d’attraction d’investissements et illustre la poursuite de l’action économique internationale du gouvernement, comme d’ailleurs la mission de M. Guy Chevrette en Russie avec une cinquantaine d’entreprises. La progression remarquable de nos exportations est maintenant un facteur important d’enrichissement et de création d’emplois pour le Québec.
Au plan de l’économie locale, depuis janvier, nous avons fait des pas importants dans l’établissement des centres locaux d’emploi et les centres locaux de développement qui permettront de mobiliser toutes les énergies locales au service de l’emploi. Nous avons poursuivi l’implantation des carrefours jeunesse-emploi dont nous avons étendu le mandat et nous avons déposé un Plan d’action jeunesse visant à mieux répondre aux besoins des jeunes Québécois, tant pour leur formation, leur recherche d’emploi et leur bien-être. L’adoption de la réforme de l’aide sociale qui crée les parcours individualisés à la formation, l’insertion et l’emploi est une illustration supplémentaire de notre souci de rendre plus facile et plus payant l’accès à l’emploi.
Et pendant la session, le Fonds de lutte contre la pauvreté par l’insertion à l’emploi a remis son premier rapport qui démontre son succès dans le développement d’initiatives créatrices d’emplois pour les plus démunis de notre société. J’ai également présidé le Sommet agroalimentaire tenu à Saint-Hyacinthe, j’ai également présidé le Sommet de la lecture et du livre à Québec. Avec le comité du suivi du Sommet, celui de Montréal, qui s’est réuni la semaine dernière, nous intensifions nos efforts d’arrimage pour la formation professionnelle et technique dans les secteurs où il y a une pénurie de main-d’oeuvre qualifiée. Bref, je pense que sur toute la question de la filière de l’emploi comme de l’organisation de nos outils nationaux, régionaux et locaux, la cohérence des réformes gouvernementales est en train d’apparaître clairement et de donner des fruits.
C’est vrai également dans le domaine de l’éducation où nous avons procédé à la mise en place des commissions scolaires linguistiques et à la réduction du nombre de commissions scolaires. La réforme des curriculums vers les matières de base est en train de prendre forme et nous poursuivons la revalorisation de la formation des métiers. Nous procédons à l’extension du programme des services de garde le plus complet et le plus généreux en Amérique du Nord avec l’arrivée, en septembre, des garderies à 5 $ pour les enfants de trois ans et de la garde scolaire à 5 $. C’est un effort social majeur qui vise, à la fois, à aider les jeunes couples à concilier le travail et la famille, à prodiguer une meilleure socialisation des enfants de milieux défavorisés, ce qui leur donnera, bien sûr, une meilleure chance de succès pendant toute leur vie. C’est une mesure, finalement, d’aide à l’égalité des chances pour les enfants et pour les jeunes couples. Globalement, dès cette année, l’effet combiné de la politique familiale, de la réforme fiscale et des autres mesures adoptées par le gouvernement du Parti québécois pour lutter contre la pauvreté permet d’augmenter le revenu de 20 % de l’ensemble des familles de travailleurs au Québec, c’est-à-dire celles qui en ont le plus besoin. Il s’agit d’une augmentation des revenus de 2 % à 9 % et, s’ils ont un enfant de trois ou quatre ans à la garderie, l’augmentation passe à 6 % à 10 %.
Les finances publiques. Dans l’ensemble, les prévisions des économistes pour l’économie québécoise pour l’année qui vient sont excellentes. Et parmi les raisons de cette embellie, il faut compter, bien sûr, les succès de notre combat pour éliminer le déficit budgétaire qui était en train, comme on le sait, d’étouffer économiquement le Québec lorsque nous sommes arrivés au pouvoir. Cette année, pour la première fois en 20 ans, le Québec n’a plus besoin d’emprunter pour payer l’épicerie. Dans neuf mois, le 1er avril prochain, les Québécoises et les Québécois sortiront une fois pour toutes de la spirale de l’endettement. Vous avez noté que nous avons redonné au Québec la crédibilité financière que d’autres avant nous avaient fragilisée. Et nous avons mis un terme au dernier doute qui pouvait subsister en acceptant les recommandations du Vérificateur général sur le mode de calcul des finances publiques du Québec en intégrant dans les comptes publics une assiette plus large que tout ce qui se fait ailleurs au Canada. Nous avons beaucoup fait pour répartir l’effort considérable de redressement des finances sur l’ensemble des Québécois. Depuis janvier, le dernier gros morceau de cet effort a été réalisé dans le secteur municipal. Et vous aurez remarqué que, là comme ailleurs, nous avons réussi à trouver des solutions négociées, sans déchirer le tissu social, mais en dégageant des économies structurelles qui profiteront aux Québécois pour des décennies à venir. Je tiens à saluer, à cet égard, la collaboration remarquable des élus municipaux et des responsables syndicaux dans une opération délicate, mais salutaire. À la fin de cet exercice de réduction de la masse salariale des employés et des Québécois, j’aimerais signaler une chose aux électeurs, une seule catégorie de salariés de l’État a subi une baisse de salaire de 6 %. Depuis un an au Québec, les députés, les ministres et le premier ministre ont un salaire réduit de 6 %. Bien sûr, il n’est pas question de se voter de hausse salariale. Grâce à nos efforts, une marge de manoeuvre financière a commencé à se dégager ces derniers mois. Et pour la première fois, nous avons pu réinvestir dans le secteur de la santé pas de l’argent à crédit, pas de l’argent emprunté, mais de l’argent gagné par nos efforts. Et il nous fait doublement plaisir de réinvestir cet argent dans les services de santé où des ajustements sont nécessaires. De la même façon, nous avons été satisfaits de négocier avec les médecins du Québec des aménagements qui augmentent la disponibilité des services médicaux, sans pour l’instant aborder la question des salaires. Je pense que ces éléments donnent une bonne indication de ce qui constituera pour nous une priorité dans la négociation qui s’engage dans le secteur public, la qualité des services aux citoyens, aux patients, aux élèves. Au plan politique, la saison qui se termine a été assez bonne, je pense, pour les droits du Québec. L’unanimité dont a fait preuve l’Assemblée nationale dans l’affaire du renvoi fédéral en Cour suprême a permis de renforcer la solidarité des Québécois contre les visées fédérales de négation de notre droit de choisir notre avenir. Le plan B a pris du plomb dans l’aile. Du côté du plan A, trois événements sont venus démontrer l’absence de réelle volonté fédérale de réforme. D’abord, il y a le programme fédéral des bourses du millénaire qui constitue une ingérence directe dans nos affaires et un détournement de budget qui devrait servir à nos étudiants et à l’enseignement postsecondaire. Ce programme est une preuve que le gouvernement fédéral se moque de la déclaration de Calgary et de ses incantations sur le caractère unique du Québec. La stratégie canadienne de la déclaration de Calgary a connu son coup de grâce au Québec lorsque le chef du Parti libéral, M. Jean Charest, a démontré qu’il avait honte de la déclaration en refusant d’en prendre la défense sur les tribunes publiques ou devant les élus de l’Assemblée nationale. Et quand les témoins experts sont venus démontrer que l’adoption de cette déclaration ferait reculer le Québec, qu’elle pourrait même mettre en péril la Charte québécoise de la langue française, on a compris que le plan A et le plan B se confondaient pour faire reculer le Québec. Et finalement, pas plus tard qu’hier, à Toronto, l’impossibilité de la réforme du Canada s’est encore illustrée lorsque le gouvernement fédéral a refusé de répondre aux revendications du Québec et de la majorité des provinces sur le droit de retrait avec compensation dans les programmes sociaux. Ce refus reflétait sur le terrain social la désinvolture avec laquelle le premier ministre Jean Chrétien a traité les ministres des Finances des provinces au début de la semaine, comme la désinvolture avec laquelle le ministre fédéral de la Santé traite ses homologues des provinces depuis quelques mois. En terminant, je voudrais juste réaffirmer la fierté que j’éprouve et que j’ai éprouvée, en particulier lorsque j’ai vu à l’oeuvre la grande solidarité des Québécois en janvier dernier à l’occasion de la crise du grand verglas. Merci.
[ M. Jolivet: Il me fait maintenant plaisir de soumettre à votre attention le bilan législatif de notre gouvernement pour la session du printemps 1998. Sans faire une nomenclature exhaustive de la liste des 48 projets de loi, nomenclature que vous allez retrouver en annexe, je vais me permettre de souligner les principaux projets de loi adoptés ou en voie de l’être depuis la reprise des travaux le 10 mars dernier.
Au cours des dernières semaines, nous avons franchi les étapes additionnelles dans l’atteinte des grands objectifs de relance de l’économie et de l’emploi et de rétablissement des finances publiques qui méritent d’être mentionnées. Ainsi, le gouvernement a rapidement donné suite au Discours du budget d’avril dernier et a soumis pour adoption par l’Assemblée nationale plusieurs projets de loi à caractère économique ou financier.
On va penser d’abord au projet de loi n 431, Loi sur Investissement-Québec et sur Garantie-Québec, aux projets de loi nos 434, 435, 436 et 437 qui portent sur les sociétés Innovatech du Grand Montréal, des Régions ressources, de Québec et ChaudièreAppalaches et du Sud du Québec, ou encore du projet de loi n 442, Loi sur le regroupement de certaines sociétés d’État. Ces projets de loi sont le fruit d’une action gouvernementale visant à consolider les leviers de développement économique à la disposition des Québécois et des Québécoises.
Dans la poursuite de la démarche gouvernementale d’assainissement des finances publiques, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi n 414, Loi concernant la négociation d’entente relative à la réduction des coûts de la main-d’oeuvre dans le secteur municipal. Le secteur de la santé a été marqué par l’adoption d’importantes pièces législatives. Au coeur de cellesci, le dernier, le projet de loi n 444, Loi sur le tabac, qui constitue un élément charnière dans la lutte au tabagisme. Cette législation exprime clairement la volonté du gouvernement du Québec d’investir dans la qualité de vie de ses concitoyens et de ses concitoyennes et de lutter plus efficacement contre plusieurs problèmes majeurs de santé.
Toujours dans le secteur de la santé, le projet de loi n 438, Loi sur Héma-Québec et sur le Comité d’hémovigilance, dote le Québec de sa propre agence d’approvisionnement en sang et en produits sanguins en plus d’instituer un comité responsable de la surveillance des risques liés à la transfusion. Je me permets aussi de souligner l’adoption du projet de loi n 439, Loi sur l’Institut national de santé publique du Québec qui s’inscrit dans la continuité de la réorganisation du réseau de santé.
Afin de mettre en oeuvre la réforme de la sécurité du revenu découlant du livre vert de la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et des consultations subséquentes, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi n 186 la nuit dernière, Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale. Ce projet de loi vient compléter le vaste redéploiement des services d’emploi et de soutien au revenu, en mettant l’accent sur les mesures actives qui favorisent l’accès à l’emploi, tout en préservant la solidarité sociale pour les personnes ayant besoin de protection.
L’adoption du projet de loi n 463, Loi sur la Grande Bibliothèque du Québec, concrétise un engagement important du gouvernement. Elle permettra, notamment, de mettre en valeur le patrimoine documentaire québécois et de doter le Québec et Montréal d’un outil majeur au plan culturel et éducatif.
Je tiens, par ailleurs, à souligner la présentation de deux importants projets de loi. D’abord, le projet de loi n 450, Loi modifiant la Loi électorale, la Loi sur la consultation populaire et d’autres dispositions législatives qui réhabilitera les lois électorales québécoises suite au jugement de la Cour suprême dans l’affaire Libman en plus de modifier certaines dispositions relatives notamment à l’identification de l’électeur et à l’inscription sur la liste électorale permanente des nouveaux électeurs et qui continuera ses travaux en commission parlementaire au mois d’août.
Le projet de loi n 451, Loi modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des
renseignements personnels, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé et d’autres dispositions législatives qui fera l’objet de consultations à l’automne et qui se traduira par une vie privée mieux respectée et un gouvernement plus transparent.
Enfin, je ne pourrais passer sous silence le projet de loi n 428, Loi modifiant la Loi sur l’Assemblée nationale que j’ai eu l’honneur de piloter. Alors que les travailleurs de l’État et bon nombre de travailleurs du secteur privé avaient depuis longtemps accès à une forme de protection juridique pour les actes posés dans le cadre de leur fonction, les députés de l’Assemblée nationale, eux, ne disposaient d’aucune protection de ce genre. Ce projet de loi émanant du Bureau de l’Assemblée nationale accorde ainsi aux parlementaires une protection juridique minimale contre des poursuites civiles, pénales ou criminelles découlant d’actes posés de bonne foi dans l’exercice de leur travail de député. Cette pièce législative assure dorénavant à mes collègues un traitement comparable à celui de milliers de travailleurs du secteur public et privé.
Ce tour d’horizon des principales législations présentées ou adoptées est loin d’être exhaustif. Je vous invite donc à prendre connaissance de la liste complète des projets de loi adoptés ou restés en feuilleton que vous trouverez en annexe. J’aimerais aussi profiter de cette occasion pour souligner l’important travail accompli par les commissions parlementaires. En effet, je ne pourrai passer sous silence l’étude en commission parlementaire de la déclaration de Calgary. Je tiens, à cet effet, à souligner le travail considérable accompli par les députés ministériels qui ont participé pleinement à cet exercice démocratique. Par leurs interventions et leurs échanges avec les experts entendus par la commission, ils auront permis d’exposer, pour les Québécois et les Québécoises, l’ampleur des enjeux et d’analyser la portée de cette déclaration en regard des compétences de l’Assemblée nationale et du gouvernement du Québec et des revendications historiques du Québec.
En mars dernier, l’Assemblée a choisi de reconduire le nouvel horaire de travail qui abolit les débats nocturnes et les séances aux petites heures du matin. Au cours de l’été, les discussions se poursuivront entre les formations politiques et la présidence pour mettre en oeuvre une véritable réforme parlementaire qui modifiera non seulement les horaires de la Chambre de façon permanente mais qui revalorisera aussi la fonction de député. En somme, que ce soit dans le secteur des finances publiques, de la santé ou de l’emploi, cette session parlementaire aura permis au gouvernement de finaliser plusieurs des grandes réformes entreprises au cours des dernières années. Les parlementaires et le gouvernement peuvent en être fiers. Je vous remercie.
Le Modérateur: Bon, Normand, tantôt, tu avais une question? M. Girard (Normand): Non, c’était pendant l’autre conférence de presse.]
[ M. Bouchard:] Il ne faut pas mêler les conférences de presse, hein.
[ Une voix: Vous avez reconnu que, finalement, c’est vous qui aviez recommandé le choix de National à Hydro-Québec. Est-ce que vous considérez que, à tout le moins, il y a, dans ce cas-là précis, apparence de favoritisme et est-ce qu’il est arrivé, dans l’exercice de vos fonctions, d’autres cas où vous êtes intervenu personnellement pour recommander le choix de contrat à d’autres firmes?]
[ M. Bouchard:] En toute honnêteté, je ne me mêle pas des affaires de contrat. Dans le dossier de Churchill Falls, ce qui est arrivé — je le répète parce que c’est comme ça que c’est arrivé — nous avons consacré beaucoup de temps, beaucoup d’efforts, beaucoup d’énergie et d’imagination pour essayer de régler ce vieux contentieux-là puis de le transformer en avantage, c’est-à-dire sous forme d’un grand projet qui créerait 60000 emplois, qui permettrait d’investir 10000000000 $ à 11000000000 $ et qui se trouverait aussi, par l’effet de son règlement, à sécuriser politiquement — parce que juridiquement c’était fait — un contrat très lucratif et très avantageux pour Hydro-Québec. Alors, tout a été consacré à cela.
Et à la fin, au cours d’une des multiples réunions qu’on a eue, où il s’est agi de dire: Bien, il faudrait bien que ce dossier-là soit expliqué correctement, il faudrait bien que les aspects environnementaux ou que les questions autochtones qui sont en jeu dans tout cela, que l’explication environnementale du projet soit faite correctement. Et là, il a été question: Bon, comment on le fait correctement? Et c’est vrai que sans penser plus loin que mon nez, j’ai dit: Bien, il y a la firme nationale, puis il y a Luc Lavoie qui sont très bons. C’est vrai, je l’ai dit, je l’ai reconnu, et Hydro, par la suite, a engagé la firme; c’est ça qui est arrivé. Je pense que les Québécois savent que ce gouvernement que je dirige est un gouvernement qui gère avec beaucoup de rigueur les fonds publics, qui met un acharnement, même, à limiter les dépenses dans toutes la mesure du possible, et qui, même s’agissant d’Hydro, est intervenu par des nominations importantes à la tête d’Hydro pour essayer de resserrer la gestion d’Hydro. Et les résultats sont là, on l’a vu, Hydro, ça ne met pas en cause la qualité des gens qui étaient là avant, mais disons que de nouveaux modes de gestion, à l’occasion de l’arrivée de nouvelles personnes, ont permis de gérer Hydro de façon plus rigoureuse. Il y avait des éléments somptuaires, parfois, dans les dépenses d’Hydro qui sont disparus du paysage politique depuis quelque temps, et je pense que les gens reconnaissent qu’on a fait ça. Moi, ce que je déplore dans le dossier, bien je déplore que ce soit arrivé, c’est évident, je suis capable de faire mes propres examens de conscience — d’ailleurs je l’ai fait publiquement. Mais ce que je déplore, c’est l’utilisation terriblement démagogique que l’opposition a fait avec ça. Et moi, je dois dire que le niveau de langage auquel j’ai assisté, ce que j’ai vu depuis quelques jours à l’Assemblée nationale a dépassé les bornes. Pour moi, ça a dépassé les bornes.
J’ai été à la Chambre des communes pendant plusieurs années, j’ai été à la Chambre des communes, même, comme chef de l’opposition officielle, dans un combat — on peut le dire — féroce que j’ai livré au premier ministre du Canada à tous les jours, avec des attaques très dures, je n’ai pas ménagé personne, mais jamais, jamais, je ne suis allé en bas de la ceinture, jamais, à la chambre de commerce à Ottawa, je n’ai mis en doute l’intégrité du premier ministre, jamais je n’ai mis en doute sa parole. Je me suis battu de façon directe, loyale, en respectant les gens. Et j’ai constaté, comme tout le monde, qu’à son arrivée, le nouveau chef du Parti libéral du Québec a dit qu’il ne s’attaquerait pas à des attaques personnelles, qu’il fallait rehausser le niveau des échanges politiques. Ce que je constate, c’est que, depuis son arrivée, ça a empiré et ça a atteint les bas-fonds cette semaine à l’Assemblée nationale. Et j’ajouterais…
[ M. Houle (Robert): Il n’y a pas là un cas patent d’apparence de favoritisme?]
[ M. Bouchard:] Bien écoutez, je vous laisse juger de la chose vous-même et je laisse la population juger. C’est qu’il fallait choisir une firme, d’abord, sans soumission. On ne pouvait pas le faire avec soumission parce qu’on était dans les moments déterminants de la fin d’une négociation qui devait conserver la discrétion. Donc, il fallait que ça se fasse sans soumission. Il fallait donc qu’une firme soit choisie, qui soit une bonne firme qui soit choisie. Je pense qu’il y a beaucoup de bonnes firmes, mais moi, je ne suis pas très versé dans la nomenclature des firmes et je connais Luc Lavoie, qui est un bon communicateur, puis je sais qu’elle est une bonne firme et ça s’est passé dans deux minutes à travers une vie de premier ministre qui est une vie de fou, chargée, où chaque instant ne doit pas être un instant d’oubli. Mais ça a été un moment où… si c’était à refaire, bien sûr, je laisserais Hydro choisir elle-même la firme. Il y a fort à parier, d’ailleurs, qu’elle aurait choisi National parce qu’ils ont toujours travaillé avec National. Ce qu’il faut maintenant souhaiter — moi, je le souhaite, en tout cas — c’est que les attaques basses du Parti libéral ne mettent pas en cause le projet qui est en cours. Il ne faudrait pas, tout de même, qu’on perde 60000 emplois puis la chance de régler ce dossier-là, une dossier de génération, parce qu’un parti d’opposition en mal de critiques de nos politiques et animé par une fièvre préélectorale ait décidé de faire flèche de tout bois. C’est ce que je souhaite.
[ M. Kalb (Richard): Alors, vous êtes dépassé par…]
[ M. Bouchard:] Bien, vous pouvez l’écrire si vous voulez. C’est vous qui le dites. Vous écrivez ce que vous voulez.
[ M. Kalb (Richard): C’est vous qui dites que…]
[ M. Bouchard:] Vous écrivez ce que vous voulez, monsieur. Écrivez ce que vous voulez. Moi, j’ai dit ce que j’ai dit, un point c’est tout.
[ Le Modérateur: Paul Larocque.
M. Larocque (Paul): M. le premier ministre, est-ce que vous considérez que Pierre Paradis, justement, a frappé en bas de la ceinture ce matin? Puis qu’est-ce que vous lui répondez? Parce qu’il remet en cause votre intégrité.]
[ M. Bouchard:] Je ne lui répondrai pas en bas de la ceinture. Je réponds ce que je viens de dire.
[ M. Girard (Normand): Mais entre les deux yeux, c’est bon.
Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] En tout cas, je pense que ce que je viens de dire, c’est entre les deux yeux.
[ Le Modérateur: Rhéal Séguin.
M. Séguin (Rhéal): M. Bouchard, vous avez parlé, tantôt, que le gouvernement est sur le point d’éliminer le déficit dans le prochain budget. Est-ce que vous songez à faire ce que vous avez fait lorsque vous êtes arrivé au pouvoir, c’est-à-dire en appeler à un consensus, un Sommet économique pour définir ce que vous allez faire avec les surplus, comment dépenser les surplus? Est-ce que vous songez à faire ça dès cet automne?]
[ M. Bouchard:] Je ne me suis pas arrêté à l’idée qu’il fallait faire un sommet sur les surplus. Je n’écarte rien, je ne décide rien parce qu’on vient de traverser, depuis plusieurs mois, une période d’hyperactivité où on a peu de temps à accorder à la réflexion politique. Je compte accorder du temps de réflexion, ce temps de réflexion à ces questions durant l’été. Autrement dit, je vais me livrer à une réflexion estivale sur ce genre de préoccupations, sur tout ce qui peut faire l’objet de ce genre de réflexions au moment de reprendre une année politique qui sera chargée.
[ M. Séguin (Rhéal): Est-ce que ça implique également une meilleure définition du partenariat académique que vous songez à obtenir avec le reste du Canada?]
[ M. Bouchard:] Ça fait partie de la réflexion, oui. Tout fera partie de la réflexion. Et j’entends par là, en particulier, un remaniement ou pas. Je sais que la rumeur circule depuis plusieurs semaines, un remaniement ou pas. Il n’y a pas de remaniement avant les vacances. Je vais réfléchir à tout cela. Est-ce qu’il faut un remaniement? Est-ce qu’il n’en faut pas? Si oui, quoi? Enfin, on verra tout ça.
[ M. Girard (Normand): Est-ce qu’il faut une élection ou pas? Allez-vous réfléchir à ça aussi?]
[ M. Bouchard:] Oui, oui, décidément, oui, c’est un bon sujet de réflexion.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
Le Modérateur: Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): Juste pour revenir un instant sur la question…]
[ M. Bouchard:] Il n’était pas sur la liste, mais je vais l’ajouter.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
M. Thivierge (Jean): Je vais revenir un tout petit instant sur Churchill Falls, enfiler un peu sur ce Robert Houle disait tantôt. Est-ce que je comprends bien de ce que vous avez répondu tantôt que vous reconnaissez, en définitive, que vous n’auriez pas dû participé que vous auriez dû vous retirer?]
[ M. Bouchard:] Je n’aurais pas dû me mêler de ça. Bien, non, je n’aurais pas dû me mêler de ça.
[ M. Thivierge (Jean): C’est une erreur.]
[ M. Bouchard:] Je n’aurais pas dû me mêler de ça. Je n’aurais pas dû me mêler de ça. C’est évident. Qu’est-ce que ça me donne de me mêler de ça, moi, à part d’avoir des problèmes?
[ Des voix: Ha, ha, ha!
Le Modérateur: Claude Brunet.
Une voix: On paie pour apprendre.]
[ M. Bouchard:] Oui.
[ M. Brunet (Claude): M. Bouchard, pour revenir un
peu à ce que vous disiez tantôt, j’aimerais vous demander…]
[ M. Bouchard:] Il y a des universités plus chères que d’autres, il faut dire. Excusez-moi!
[ M. Brunet (Claude): J’aimerais vous demander, M. Bouchard, est- ce que ça vous arrive souvent d’agir, pour reprendre votre expression, sans penser plus loin que votre nez?]
[ M. Bouchard:] Ah, c’est une bonne question, ça!
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Vous avez dû y penser longtemps pour trouver une question de même, vous, hein?
[ Des voix: Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] Je viens de vous parler très franchement de ce qui est arrivé. Alors, vous le qualifierez comme vous voudrez. Je viens de vous raconter la vérité. Je viens de la répéter, la vérité. Puis, les coûts, je ne les ai pas connus avant que les factures arrivent. Bon, alors, ce n’est pas moi qui gère Hydro-Québec, j’en ai plein, hein, ici à Québec, on a beaucoup de choses à gérer. Je gère le gouvernement du Québec, je gère le budget du Québec. Mais il y a une chose que je sais, je l’ai toujours sue, puis, je le sais encore plus maintenant, c’est que, quoi qu’il arrive, s’il arrive un pépin quelque part dans cette immense structure du gouvernement et de ce qui s’y associe, juste ou pas juste, c’est le premier ministre qui casque. Alors, je casque et je l’assume. Je l’assume. Je le prends et je l’assume.
[ M. Brunet (Claude): Si vous me permettez, M. Bouchard, dans ce cas-ci, vous dites avoir manqué de discernement.]
[ M. Bouchard:] Je n’ai jamais dit ça de ma vie, monsieur. C’est vous qui le dites.
[ M. Brunet (Claude): Bon, alors…]
[ M. Bouchard:] J’ai dit que je n’aurais pas dû me mêler d’une suggestion quant au choix d’une boîte de communications. Je n’aurais pas dû.
[ M. Brunet (Claude): Mais c’est parce que j’aimerais revenir sur l’affirmation ou la question, peut-être mal formulée, de mon collègue Rick Kalb.]
[ M. Bouchard:] Non, elle était très bien formulée, la question. Elle était très claire.
[ M. Brunet (Claude): Mais est-ce que vous êtes dépassé par les événements, M. Bouchard?]
[ M. Bouchard:] Par quels événements?
[ M. Brunet (Claude): Par tout ce qui arrive au Québec. Parce que vous souligniez le fait que dans ce cas-ci, vous avez agi sans penser plus loin que votre nez. Est-ce que vous êtes dépassé par les événements, par la situation politique au Québec? Est-ce que cette erreur de jugement que vous avez commise dans ce cas-ci, ça peut se répéter, ou est-ce que ça peut survenir encore?]
[ M. Bouchard:] Ce n’est jamais arrivé avant puis ça ne se répétera pas. Ça va faire trois ans en janvier que je suis premier ministre. On fait des choses qui ne se sont jamais faites ici. On a relevé des défis qui n’ont été à peu près jamais relevés. On a mis en train je ne sais pas combien de réformes. On a pris des décisions extrêmement dures que personne n’avait eu le courage de prendre avant. On est en train de remettre le Québec à flot. On est en train de redresser le Québec, de créer de l’emploi, d’améliorer l’investissement sur tous les fronts. Il n’y a à peu près pas un front où il n’y a pas une embellie puis un gain. Alors, que vous puissiez vous permettre une question aussi impolie, je le déplore pour vous, monsieur.
[ M. Girard (Normand): M. le premier ministre, moi, j’aurais une question concernant Hydro-Québec. J’ai toujours entendu dire, depuis que je suis ici, que c’était l’État dans l’État. Avec ce qui s’est passé concernant HydroQuébec, est-ce que vous n’estimez pas qu’il devrait y avoir un sérieux examen de conscience de fait à HydroQuébec, proposé par le gouvernement, pour un resserrement de sa gestion financière?]
[ M. Bouchard:] Écoutez, nous avons demandé un rapport à Hydro-Québec. Nous allons recevoir ce rapport, nous allons en prendre connaissance et nous allons statuer sur les choses qu’il conviendra de faire. Mais je note la question. Je crois que ce contrat aurait pu être mieux géré. Ça se gère, des contrats, aussi. Mais on a demandé un rapport. On verra.
[ M. Côté (Charles): Sur un autre sujet. La lettre du président du comité du PQ dans Mégantic-Compton, vous l’avez qualifiée hier d’inélégante. Aujourd’hui, suite aux remarques de M. Godbout, comment vous…]
[ M. Bouchard:] Hier, j’ai dit indélicate et naïve. Aujourd’hui, je dis inappropriée.
[ M. Côté (Charles): Et aujourd’hui, vous la
qualifiez comment?]
[ M. Bouchard:] Comme je l’ai qualifiée en Chambre, tout à l’heure. C’est un genre de lettre qu’il ne faut pas envoyer, manifestement. C’est tellement évident qu’il ne faut pas envoyer ce genre de lettre là que ça démontre une immense naïveté, surtout de l’envoyer à un adversaire libéral. Entre nous, c’est d’une transparence et d’une naïveté qui confine une méconnaissance complète, d’abord de l’éthique qui doit présider dans la rédaction des lettres de sollicitation et dans la sollicitation de contributions électorales, c’est bien évident. Donc, je l’ai déploré aujourd’hui. L’auteur de la lettre doit en faire parvenir une autre à son destinataire initial et au Fonds de solidarité pour présenter ses excuses. J’ai également dit que ce n’est pas le genre de lettre que le Parti québécois envoie et on va s’assurer qu’il n’y en ait pas d’autres de même qui soient faites et qu’il n’y ait pas de sollicitation qui soit faite sur ce ton-là, de cette façon-là.
[ Le Modérateur: Katia Gagnon.
Mme Gagnon (Katia): M. Bouchard, vous dites que vous allez réfléchir cet été à un possible remaniement au début de l’automne. Est-ce que vous ne serez pas forcé d’admettre que votre ministre de la Santé est devenu un boulet pour vous?]
[ M. Bouchard:] Je pense que non, moi. Moi, je pense que non. Je pense que quand on doit surmonter un obstacle très considérable, très dur, il faut des gens qui soient à la hauteur de la tâche. Et ce n’est pas parce que l’obstacle s’avère aussi difficile qu’on l’avait appréhendé qu’il faut changer de responsable de l’opération. Oui, l’opération est difficile. Oui, elle n’est pas toujours populaire dans certains de ses aspects, mais est-ce que ça veut dire pour autant, un, qu’il faut cesser l’opération, ou alors, qu’il faut changer de meneur de jeu? Moi, à partir du moment où je pense que l’opération a été conçue et menée de façon remarquable par un homme de grand talent, de grand courage et de grand mérite politique, pourquoi il faudrait, d’abord cesser l’opération, et est-ce qu’il faut envisager de remplacer la personne qui est là? Je vais me poser des questions, mais ça ne me paraît pas si simple, là, qu’il faille déplacer M. Rochon parce qu’il fait le travail qu’on lui a demandé de faire et qu’il a accepté de faire.
Il fait un travail extraordinaire. Puis Jean Rochon, un jour, il sera dans les livres d’histoire puis on le remerciera d’avoir fait ce qu’il a fait pour le Québec. Alors, est-ce qu’on ne devrait pas le remercier tout de suite plutôt qu’attendre deux ou trois ans pour le remercier?
[ Une voix: Le remercier dans quel sens? Ha, ha, ha!
Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Au sens de la gratitude. Ha, ha, ha!
[ Mme Gagnon (Katia): Juste une petite question. Est-ce que changer de ministre de la Santé, ce serait désavouer M. Rochon et votre réforme?]
[ M. Bouchard:] Je vais me poser la question parce que moi, je ne veux pas désavouer la réforme. La réforme, j’y crois et je vais personnellement l’assumer jusqu’à sa réalisation et à son grand succès. Donc, je souhaite à ce qu’elle se fasse, la réforme. Est-ce que M. Rochon n’est pas celui qui doit la poursuivre? Je suis porté à croire que oui, puisque c’est lui qui l’a conçue puis c’est lui qui l’a amenée à terme de réussite.
[ Le Modérateur: Michel David.
M. David (Michel): M. Bouchard, dans l’hypothèse…
M. David (Michel): M. Bouchard. Dans l’hypothèse plausible que votre réflexion estivale vous amène à décider qu’il ne doit pas y avoir d’élections cet automne, est-ce que vous allez aussi reconsidérer votre décision de ne pas prendre les moyens pour rendre la circonscription de Sherbrooke vacante?]
[ M. Bouchard:] Peut-être que je les mettrai sur la liste des sujets auxquels réfléchir mais, honnêtement, je suis toujours ramené aux mêmes conclusions, aux mêmes impératifs. Nous avons un comté où nous avons un député qui représente les électeurs, un comté qui nous appartient, en termes politique. Alors, il n’est pas d’usage et c’est très contraire à toutes les règles que de renoncer à un député pour mettre l’affaire en ballant dans une élection partielle. Ce n’est pas vraiment dans les règles. Et puis, comment allez-vous expliquer ça aux électeurs là-bas qui souhaitent que le mandat de la personne qui est là se poursuive à terme? Moi, je pense que, quand on pense à ça, on est à peu près infailliblement amenés à la conclusion qu’il ne faut pas ouvrir le comté de Sherbrooke, qu’il faut attendre l’élection générale.
Si la question — comme le dit Jean-Pierre — si le problème est d’amener le chef de l’opposition à l’Assemblée nationale, il y a des moyens très faciles. Il a un contrôle des comtés libéraux, lui. Alors, il peut se présenter n’importe quel temps dans un comté libéral et, peut-être, ainsi entrer à l’Assemblée nationale. Dans le fond, c’est à lui qu’il faudrait poser la question plus qu’à moi. Il n’est pas du tout non plus acquis que le chef du Parti libéral actuel se présenterait à cette élection partielle, ce n’est pas du tout acquis. Peut-être qu’il trouverait encore une excuse pour ne pas se présenter, lui qui en a trouvé une pour ne pas venir se prononcer à la commission parlementaire qui traitait de l’avenir politique du Québec.
[ M. Delisle (Norman): En regardant la liste de M.
Jolivet, j’ai cru comprendre que la loi n 450 qui modifiait la Loi électorale n’avait pas été adoptée. Comment le premier ministre pourrait-il faire pour déclencher des élections cet automne sans avoir à apporter à la Loi électorale les importantes modifications qu’exigeait la Cour suprême dans son jugement de l’automne passé?
M. Jolivet: Comme l’a dit Guy qui est le ministre responsable de cette loi, tout moyen pourrait être utilisé, incluant la convocation de l’Assemblée nationale pour l’adoption finale.
M. Delisle (Norman): Avant le déclenchement de possibles élections.
M. Jolivet: Toutes les décisions peuvent être prises. La première c’est d’abord celle qu’on a prise, d’aller en août en étude article par article pour terminer le projet et, si ça devient nécessaire, si l’Assemblée ne siège pas, convocation dans le cadre normal d’une convocation.
M. Delisle (Norman): Mais, à ce moment-là, convoquer la Chambre juste pour changer la Loi électorale à quelques jours des élections, vous ne trouveriez pas ça un petit peu, comment dire, grossier en termes de démocratie?
M. Jolivet: Non, on convoque pour adopter un projet de loi et, dans ce contexte-là, le projet de loi, s’il est adopté, fera la suite des choses. Maintenant, si on est en session, les problèmes sont résolus, si on n’est pas en session, le seul moyen qu’on a si on veut l’adopter, c’est d’aller dans le cadre de ce que je vous dis.]
[ M. Bouchard:] C’est ça, on verra.
[ Le Modérateur: Sylvain Théberge.]
[ M. Bouchard:] Parce que, pour aller dans le sens de ce qu’a dit M. Delisle, on n’a pas voulu la mettre dans… Une Loi électorale, ça ne convient pas que ce soit dans un bâillon. Donc, on veut justement que ça se fasse de façon correcte.
[ M. Théberge (Sylvain): M. Bouchard, redoutez-vous les prochaines négociations avec le secteur public, et jusqu’à quel point ces négociations-là vont jouer dans votre décision de déclencher ou non des élections?]
[ M. Bouchard:] Oui, à la première. La deuxième, je ne le sais pas. Ça va être dur, hein, les négociations, ça va être dur, ça ne sera pas facile, parce que je sais très bien que le niveau de rémunération des employés de l’État n’est pas excessif par rapport au secteur privé; ça se compare plus ou moins quand on comprend tout, là, et si on tient compte de la sécurité d’emploi, etc., bon, puis ce sont des gens qui ont fait des efforts, on le sait, on l’a vu, et qui peuvent avoir des attentes qui, à moyen terme, me paraissent légitimes. Mais, disons que des négociations, dans ce contexte-là où on n’a pas prévu d’augmentation dans le budget, pour la première année à tout le moins, ce n’est pas facile. Mais, est-ce qu’il y a eu des choses faciles depuis que je suis arrivé, ici, à Québec? Une autre difficile, ça continue, puis c’est normal parce qu’on s’est donné un mandat difficile. Ce n’est pas facile de réparer 20 années de prodigalité et d’indifférence relatives, selon les cas, au niveau de nos engagements financiers, hein, ce n’est pas facile. Et moi, je me rappelle très bien, quand j’ai fait mon discours à la Chambre de commerce de Laval, avant d’être assermenté comme premier ministre, je me souviens très bien d’avoir prédit que ce serait difficile puis d’avoir dit tout ce qu’on allait faire. On le fait et, moi, mon pari, ce sur quoi je mise, c’est que les Québécois, quand ils auront fait l’effort puis qu’ils auront gagné, bien, ils vont se rendre compte qu’ils ont fait quelque chose de correct, et peut-être qu’ils auront une bonne pensée pour ceux qui auront permis de le faire. Moi, je mise sur les Québécois, j’ai confiance en leur jugement.
[ Le Modérateur: Dernière en français, Paul Larocque.
M. Larocque (Paul): C’est un peu… mais, en sousquestion de Sylvain Théberge: Est-ce que c’est un élément qui va peser lourd dans votre réflexion, la négociation versus le calendrier électoral.]
[ M. Bouchard:] Pour être bien franc avec vous autres, la négociation, on y pense depuis quelques mois, hein, il y a eu plusieurs réunions. On travaille, on a un comité ministériel là-dessus, il y a des gens au Trésor qui réfléchissent, j’ai vu déjà des papiers pour essayer de voir à quoi il faut s’attendre. Ça va être difficile, mais c’est toujours difficile aussi, les affaires de front commun, c’est toujours difficile. Je le vois comme un des gros dossiers qui nous attendent à l’automne. Est-ce que ça aura une répercussion sur le choix des échéanciers électoraux? Je ne pense pas. Je ne voudrais pas associer les deux, je crois que les deux doivent être dissociés, il faut traiter ça différemment ces choses-là.
[ Une voix: Thank you.
Une voix: Merci.
(Fin à 13 h 31)]
[QBOUC19990428cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec Négociations dans les secteurs public et parapublic et rémunération des juges Le mercredi 28 avril 1999
(Neuf heures trente et une minutes) ]
[ M. Bouchard:] Bonjour. Mesdames, messieurs, j’ai tenu à vous parler aujourd’hui pour faire le point sur les défis qu’il nous reste à relever en matière de finances publiques et sur les orientations que nous comptons maintenir dans les négociations avec les employés de l’État. De semaine en semaine, des groupes de travailleuses et de travailleurs, des techniciens, des professionnels se succèdent devant les micros ou devant l’Assemblée nationale pour réclamer une amélioration de leurs salaires ou de leurs conditions de travail. Qu’il y ait des revendications, c’est compréhensible en temps normal. Ça l’est encore plus après l’effort que nous avons réalisé depuis quatre ans pour sortir de la spirale de l’endettement dans lequel le Québec était plongé. Ce n’était pas un simple problème de chiffres. Ce qui était en cause était la survie des choix sociaux du Québec. Éliminer le déficit était une opération de sauvetage de nos outils collectifs et de notre solidarité. J’aimerais revenir un instant sur ce qui a été réalisé ces dernières années. Le tableau 1 est éloquent. Nous avons hérité d’un déficit record de 5800000000 $ que nous avons ramené progressivement à zéro. Le mois dernier, le ministre des Finances a pu annoncer que le budget du Québec était désormais équilibré pour la première fois en 40 ans, avec un an d’avance sur l’échéancier. À qui devons-nous cette réussite? À toutes les Québécoises et à tous les Québécois d’abord qui ont accepté le fait que, pendant plus de trois ans, l’effort gouvernemental soit concentré sur cet objectif avec les désagréments que cela a pu comporter dans leur vie quotidienne.
Aux employés de l’État ensuite qui ont accepté de réduire de 6 %, non leurs salaires, mais leur masse salariale, et qui ont contribué à un vaste programme de départs à la retraite. Ces départs ont créé des difficultés d’organisation du travail — c’est indubitable — mais ils ont permis aussi l’embauche de 9000 jeunes enseignants et ont réduit ou éliminé la précarité d’emploi de 14 500 autres employés de l’État.
Qui d’autre a contribué? L’entreprise, les grandes, à la hauteur de 500000000 $ par an, sans oublier une surtaxe de 5 % aux banques versée au Fonds de lutte contre la pauvreté. Il faut compter aussi plus de 1 300000000 $ récupérés chez ceux qui travaillaient au noir et qui s’adonnaient à des activités illégales ou qui ne payaient pas l’ensemble de leurs impôts. J’ajoute une réduction de 6 % du salaire des députés, des ministres et du premier ministre. Les juges aussi ont fait leur part.
Il faut ajouter la contribution des cadres supérieurs de l’État, des médecins, des professeurs et employés d’universités, les salariés d’Hydro-Québec. Un effort de 6 % aussi des municipalités et de leurs employés. La liste est très longue. Pour arrêter de s’endetter, il a fallu aussi réduire les budgets dans l’éducation et dans la santé, réinventer nos façons de faire. Pour la première fois, en 40 ans, il a fallu vivre selon nos moyens et cela a paru. On a tous senti que nous avions pris l’habitude de vivre à crédit. Ça n’a pas été facile, mais nous avons rompu avec cette habitude, rompu pour de bon. Le sauvetage de l’État québécois, l’élimination du déficit fut une oeuvre collective et nous l’avons réalisée dans et par l’équité. Il ne faudra jamais plus revivre une situation de redressement aussi difficile. C’est pourquoi nous avons fait voter par l’Assemblée nationale une loi qui rend impossible le retour au déficit structurel. Il est donc évident que toute proposition visant à annuler les efforts réalisés depuis quatre ans aurait comme résultat de nous replonger dans le problème qu’on vient de résoudre. Je tiens à rassurer chaque Québécoise et chaque Québécois, nous n’avons pas fait tout ce travail pour rien, il n’y aura pas de retour en arrière. Ce que nous avons construit est solide, il s’agit désormais de bâtir sur cette fondation. Maintenant que le déficit est éliminé, la croissance économique nous a permis, dans le dernier budget, de fournir aux réseaux de l’éducation et de la santé les sommes nécessaires à la croissance normale des coûts, c’est-à-dire de mettre un terme aux compressions. Nous continuons à respecter notre engagement d’appauvrissement zéro pour nos concitoyens qui n’ont pas la capacité d’accéder au marché du travail. En plus, nous avons aussi fait un réinvestissement que tous jugeaient urgent dans la santé, et nous savons que l’an prochain, la jeunesse et l’éducation nécessiteront une attention particulière. Ces bonnes nouvelles ne doivent cependant pas nous faire croire que nous sommes entrés dans une période faste. Au contraire, le maintien du déficit zéro nous oblige à une très grande rigueur dans la gestion de nos affaires. En éliminant le déficit, nous avons cessé de nous endetter, mais nous n’avons pas effacé nos dettes. Le tableau 2 le montre bien, le Québec est la plus endettée des provinces canadiennes, et vous devez savoir que sur chaque dollar d’impôts que vous envoyez, ces jours-ci — déclaration d’impôts de tout le monde, ces jours-ci — ici à Québec, au ministère du Revenu, près de 0,15 $ servent directement à payer les intérêts de notre dette. Cela explique en partie pourquoi l’impôt québécois est si élevé. Le tableau 3 montre bien que ce sont les particuliers du Québec qui paient le plus d’impôts, parmi les citoyens des provinces canadiennes. Je l’ai dit et je le répète, le fardeau fiscal des Québécois est presque intolérable.
Ces dernières années, nous avons demandé à tous de contribuer à l’élimination du déficit. À l’équité dans l’effort doit maintenant succéder l’équité dans la répartition des fruits de l’effort. D’abord, en assurant la stabilité et la sécurité du financement de notre solidarité sociale, ce que nous avons commencé à faire. Ensuite, l’équité demande une réduction du fardeau que tous subissent, c’est-à-dire une réduction de l’impôt des particuliers. Réduire les impôts a plusieurs impacts sur notre économie. D’abord, en augmentant le revenu disponible de tous, on permet aux ménages de procéder à davantage d’achats de biens et de services, donc à contribuer à l’économie et à l’emploi du Québec. Ensuite, la réduction de l’impôt nous aide à garder au Québec certains de nos meilleurs talents, qui sont malheureusement tentés de déménager ailleurs, là où le fardeau fiscal est moins élevé. Finalement, la réduction d’impôt fait du Québec un endroit encore plus attractif pour l’investissement. C’est donc un facteur de création d’emplois. C’est pourquoi nous avons déjà commencé à réduire notre fardeau fiscal l’an dernier en diminuant de 15 % l’impôt payé par les ménages qui gagnent moins de 50000 $ par année et en diminuant de 3 % l’impôt payé par ceux qui gagnent plus de 50000 $. Nous nous sommes engagés à continuer à réduire l’impôt d’au moins 400000000 $ l’an prochain et d’au moins 1300000000 $ au cours de notre mandat. Nous mettrons autant d’énergie et de détermination dans la réduction des impôts des particuliers que nous en avons mis dans l’élimination des déficits. Cela ne signifie pas que les employés de l’État qui font des demandes d’augmentation de salaire ne doivent pas en obtenir. Le président du Conseil du trésor a annoncé que le gouvernement est disposé à augmenter de 5 % en trois ans le salaire des employés de l’État. Certains groupes ont des revendications particulières auxquelles il faut s’attarder. Les infirmières, par exemple, réclament avec raison qu’il y ait moins de postes d’infirmière précaires et plus de postes à temps complet. Le mois dernier, la ministre Pauline Marois a annoncé que, grâce au nouveau budget du réseau de la santé et à l’absence de déficit, maintenant, dans les hôpitaux, de nombreux postes à temps complet seraient affichés d’ici l’été. Déjà, les choses ont bougé et 1 500 postes sont affichés dans les établissements. Le personnel enseignant, en majorité des femmes, affirme avec raison que l’exercice de l’équité salariale n’a pas été complété dans leur profession. C’est pourquoi le gouvernement québécois propose une somme supplémentaire de 100000000 $. En tout, nos offres feront en sorte d’augmenter les dépenses de l’État de quelque 330000000 $ l’an prochain et de 870000000 $ dans deux ans, ce qui nous permettrait de satisfaire tous nos engagements, maintenir le déficit zéro, financer pleinement nos programmes sociaux et réduire les impôts. Cependant, l’acceptation des demandes syndicales telles qu’elles se présentent nous obligerait à renoncer à ces objectifs. Comme l’indique le tableau 4, au lieu du 5 % que nous proposons, les médecins demandent une augmentation de leur rémunération de 19 %, les fonctionnaires de 16 %, les enseignants de 28 %, les infirmières de 30 %. Si on devait accéder à toutes ces demandes, nous devrions dépenser chaque année à compter de l’an prochain au moins 2000000000 $ de plus que prévu et, dans deux ans, presque 2500000000 $. Pour y arriver, il faudrait, c’est certain, renoncer à toute baisse d’impôts. Il faudrait même, au contraire, augmenter les impôts de plusieurs centaines de millions de dollars, ou alors, il faudrait refaire un déficit, replonger dans le déficit et procéder à de nouvelles compressions dans les programmes sociaux.
Nous comprenons que les demandes syndicales ne sont pas finales, mais l’écart qui nous sépare n’est pas réaliste. Accepter les demandes syndicales aggraverait la situation économique et financière du Québec et nous empêcherait de donner aux Québécoises et Québécois les réductions d’impôts dont ils ont grandement besoin, des réductions d’impôts qui leur sont dues en toute équité. Se comparant à leurs voisins des autres provinces et des États-Unis, plusieurs groupes d’employés nous disent qu’ils méritent des redressements importants. Ces comparaisons sont intéressantes, mais il faut les faire jusqu’au bout. Il faut vivre selon ses moyens, pas selon les moyens des autres. Notre dette, la plus élevée au Canada, ce ne sont pas nos voisins qui l’ont accumulée de décennie en décennie. Nos impôts, les plus élevés au Canada, ce ne sont pas nos voisins qui les ont augmentés et dépensés de décennie en décennie. Grâce à l’élimination du déficit et à la croissance de notre économie, nous allons profiter d’une augmentation progressive de nos richesses collectives. Le gouvernement est déterminé à répartir cette augmentation avec rigueur et avec justice au rythme où elle se présente. Le calendrier a voulu que, dans les prochains jours, le gouvernement et l’Assemblée nationale se penchent sur un dossier très particulier: celui des juges de la Cour du Québec et des cours municipales. La question se pose avec d’autant plus d’acuité que, contrairement aux employés de l’État, les juges québécois n’ont reçu aucune augmentation de salaire depuis 1993. La Cour suprême a incité les gouvernements à se pencher sur cette question et je cite: «La sécurité financière des juges, écrit la Cour, est un moyen d’assurer l’indépendance de la magistrature et, de ce fait, est à l’avantage du public.» De toute évidence, la bonne marche des démocraties modernes repose sur l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir législatif et exécutif. La magistrature doit être à l’abri, non seulement de pressions financières réelles, mais elle doit être à l’abri de toute apparence de pressions financières. Nous parlons ici d’un principe, car nous n’avons à l’esprit aucun cas où cette indépendance a été mise en cause. Il n’en reste pas moins qu’il faut préserver avec soin l’indépendance de la magistrature.
Le Québec a la chance de pouvoir compter sur une magistrature de haut niveau, formée d’hommes et de femmes de qualité conscients de l’importance des décisions qu’ils rendent, car ils rendent la justice. C’est pourquoi à l’invitation, notamment, de la Cour suprême, notre gouvernement a adopté il y a deux ans une loi sur la rémunération des juges prévoyant la formation d’un comité qui doit évaluer tous les trois ans le traitement, le régime de retraite et les autres avantages sociaux des juges de nomination québécoise. La loi a identifié neuf critères pour guider le comité dans ses recommandations: les particularités de la fonction des juges, la nécessité d’offrir aux juges une rémunération adéquate, la nécessité d’attirer d’excellents candidats à la fonction de juge, l’indice du coût de la vie, la conjoncture économique du Québec et la situation générale de l’économie québécoise, l’évolution du revenu réel par habitant au Québec, l’état des finances publiques, l’état et l’évolution comparée de la rémunération des juges concernés d’une part, et de celles des autres personnes rémunérées sur les fonds publics d’autre part, la rémunération versée à d’autres juges exerçant une compétence comparable au Canada. Présidé par l’honorable Claude Bisson, juge en chef de la Cour d’appel, à la retraite, le comité a remis son rapport. Au niveau salarial, il recommande pour cette année une augmentation de 16,5 % de la rémunération des juges, augmentation qui atteindrait 20,5 % à la fin des trois prochaines années. En soi, en elles-mêmes et dans un contexte social et économique différents, ces recommandations ne seraient pas exagérées, tout au contraire, comme la ministre de la Justice a déjà eu l’occasion de le dire. Les juges québécois sont aussi compétents et aussi talentueux que leurs collègues des autres provinces et ils répondent aux mêmes impératifs d’indépendance d’esprit.
Le gouvernement a sérieusement analysé le rapport du comité à la lumière même de sa logique interne et de l’application des critères énumérés dans la loi. Il est manifeste que les juges ne sont ni des fonctionnaires, ni des gestionnaires de l’État et que l’évolution de la rémunération du secteur public ne doit pas être le seul facteur déterminant de l’évolution de leurs salaires. Cependant, il faut constater que cinq des neuf critères prévus à la loi font directement référence à l’équité entre Québécois et à la situation des finances publiques du Québec. En raison même du contexte que je viens de décrire, il importe de tenir davantage compte de ces critères. Dans la mesure où la rémunération des juges provient des contribuables, elle est également astreinte à des exigences d’équité. La Cour suprême elle-même, en ne jugeant pas à propos de rendre exécutoires les processus indépendants de détermination et de la rémunération des juges, a reconnu la prérogative des assemblées législatives et des gouvernements à rendre les arbitrages sociaux et économiques. Au moment de s’acquitter de cette tâche, il convient de rappeler que l’appréciation de l’équité et de la cohésion sociale est une responsabilité fondamentale des élus. Elle prend sa source dans l’exercice démocratique. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a le pouvoir d’approuver, de modifier ou de rejeter en tout ou en partie les recommandations du comité. En l’espèce, elle devra le faire dans un délai qui arrivera à échéance le 13 mai prochain.
J’annonce aujourd’hui que, compte tenu de tout ce que j’ai expliqué jusqu’ici, le gouvernement recommandera à l’Assemblée nationale d’agréer partiellement aux recommandations qui lui sont faites. Nous estimons en effet qu’au moment où il nous faire de la baisse des impôts une priorité aussi importante que le fut l’atteinte du déficit zéro, au moment où nous demandons aux Québécoises et aux Québécois du secteur public de faire preuve de réalisme dans leurs demandes syndicales, au moment où il faut plus que jamais faire preuve d’équité envers tous nos concitoyens, le redressement immédiat de la rémunération des juges québécois au niveau de 16,5 % où la situe le comité Bisson, ne peut être retenu. En conséquence, j’ai demandé à la ministre de la Justice de déposer à l’Assemblée nationale, au cours des prochains jours, un argumentaire et une motion qui retiendront l’essentiel des recommandations non salariales du comité. En ce qui concerne le salarial, la position du gouvernement diverge du rapport Bisson quant au redressement qui doit être effectué au 1er juillet 1998. Ce redressement doit être, quant à nous, de 4 % plutôt que de 16,5 % pour trois raisons principales.
Premièrement, parce que le gouvernement estime devoir tenir compte, dans l’établissement de la rémunération globale des juges, du fait que le régime de retraite est non contributoire depuis 1990. Pour comparer le niveau de salaire des juges et celui d’autres personnes émergeant au budget de l’État, il faut donc calculer la contribution de 7,5 % que fait l’État à leur régime de retraite. Deuxièmement, parce que le gouvernement souhaite accorder une plus grande prépondérance que ne l’a fait le comité Bisson à la fiscalité et à la situation des finances publiques du Québec, et plus particulièrement à leur impact sur la rémunération de ceux qui sont payés à même les fonds publics. Troisièmement, le gouvernement croit que les résultats ainsi atteints les placent dans une position qui se compare raisonnablement à celle d’autres titulaires de postes de haut niveau, notamment à celle des plus hauts salariés rémunérés à même les deniers publics québécois. Je pense aux sous-ministres en titre, par exemple. Pour les années 1999 et 2000, la proposition que fera le gouvernement à l’Assemblée nationale est d’octroyer 2 % et 2 %, rejoignant en cela les recommandations du rapport Bisson. La proposition de mon gouvernement est donc d’octroyer un rattrapage et une augmentation totalisant 8 % pour les années 1998, 1999 et 2000. En ce qui concerne les juges municipaux, leur rémunération sera essentiellement ajustée selon les mêmes principes. Nous pensons que cette décision est équitable et qu’elle reflète la richesse collective du Québec; elle est guidée par un objectif d’intérêt général et nous paraît donc raisonnable.
Aux employés de l’État en général, je voudrais dire aujourd’hui que nous abordons la négociation collective avec un esprit ouvert et avec bonne foi, avec la reconnaissance que certaines des demandes sont justifiées et légitimes, mais aussi avec la responsabilité de vivre selon nos moyens et d’agir dans l’intérêt du Québec tout entier.
Nous entendons maintenir avec eux un dialogue respectueux, réaliste et équitable. Cela signifie que les négociations qui s’ouvrent ne pourront en aucun cas déboucher sur un retour des déficits, un retour des compressions, une hausse des impôts ou un abandon des réductions d’impôts déjà promises. Nous voici donc, comme peuple et comme société, à nouveau interpellés par un devoir d’équité, de cohésion sociale et de respect de nos réalités. Je ne doute pas que nous saurons nous en acquitter, comme nous avons su le faire dans notre lutte au déficit. Merci.
[ M. Théberge (Sylvain): Alors, pour la période de questions, est- ce qu’il serait possible de s’en tenir à une seule question par personne pour donner la chance au plus grand nombre de s’exprimer? Denis Lessard.
M. Lessard (Denis): M. le premier ministre, votre ministre, Mme Goupil, avait dit, dans un commission parlementaire — ce n’était pas un «scrum» dans un corridor — qu’elle était favorable, qu’elle était d’accord avec les recommandations du juge Bisson. Comment expliquer? Estce que c’est une volte-face? Est-ce qu’on s’est ravisé? Est-ce que…]
[ M. Bouchard:] Non. Le gouvernement a pris sa décision après un processus d’analyses et d’études. Ce que Mme Goupil a dit reflète en très bonne partie ce que je viens de dire, c’est qu’à ne considérer que la situation des juges dans un contexte où nous ne serions pas devant des obligations d’équité, en termes de fiscalité et en termes de traitement salarial de l’ensemble des personnes dont les salaires émargent aux fonds publics, je crois qu’il faudrait reconnaître que le rapport Bisson procède d’une saine logique et est très sérieux.
Le problème, vous savez, c’est qu’un syndicat fait une demande, un autre en fait une autre, un ministère peut avoir telle perception, et ça forme tout un éventail de dossiers séparés. Mais au centre du gouvernement, il faut bien que quelqu’un additionne. Et moi, j’ai additionné. Et quand j’additionne, ça donne ce que je viens de montrer. Ça donne un défoncement général de toute la situation financière du Québec. Et s’il fallait entrer dans les voies de l’ensemble de ce que nous avons devant nous, en termes de demandes, bien que certaines soient justifiées en elles-mêmes à plusieurs égards, même, ça nous mettrait dans l’impossibilité de fonctionner. Alors, il y a, quelque part au gouvernement, un niveau — c’est le Conseil des ministres — où s’intègrent toutes les dimensions, tous les éléments de la réalité et où il faut que se prenne une décision.
[ M. Lessard (Denis): Est-ce qu’il faut comprendre que, quand ils sont en commission parlementaire sur leurs dossiers, les ministres ne parlent pas au nom du gouvernement? Est-ce que…]
[ M. Bouchard:] Elle a dit ce que je pense, moi aussi. C’est que le rapport Bisson, ce n’est pas un mauvais rapport, et que si on pouvait régler le problème des juges aujourd’hui, j’en serais le premier très heureux et je le souhaiterais moi-même et que, si je pouvais faire en sorte que les infirmières du Québec soient les mieux payées du Canada, j’en serais très heureux aussi. Et si je pouvais faire en sorte que les enseignants du Québec soient les mieux payés du Canada, je serais très heureux. Mais la somme de ces bonheurs serait un malheur collectif.
[ M. Théberge (Sylvain): Paul Larocque.
M. Larocque (Paul): M. Bouchard, en partant du principe que lorsqu’un chef de gouvernement péquiste décide de faire une conférence de presse comme celle-ci en tassant les drapeaux du Québec pour y mettre des tableaux, c’est du jugement important. Pourquoi avez-vous décidé de bouger et de faire cette clarificationlà maintenant? On ne sent pas d’effervescence aux tables de négociation, pourquoi maintenant?]
[ M. Bouchard:] Non, mais je… Bien, d’abord, pour… Les négociation ont commencé, on me dit qu’il y a au moins une centaine de séances de négociation qui ont eu lieu à différentes tables et ça procède correctement, normalement. Bien sûr, les dossiers normatifs sont les premiers abordés, il y a déjà des mouvements qui vont se faire. Par exemple, nous pensons que du côté de la précarité des emplois, les syndicats ont une très bonne revendication et qu’il faut faire tout ce qu’on peut pour y faire droit. Ça n’a pas de bon sens, par exemple, que des infirmières qui ne travaillent que les samedis dans la nuit, à des heures impossibles, en fragmentant leurs activités, on sait que ça n’a pas de bon sens. Évidemment, ça, c’est une des conséquences de ce que nous avons fait récemment, mais nous avons réparé cela et nous avons donné instruction aux différents secteurs ministériels et aux partenaires aux tables de faire tout ce qu’ils peuvent pour régler la question de la précarité. C’est déjà commencé, j’ai mentionné qu’il y avait 1 500 postes présentement d’affichés dans les établissements de santé, des postes permanents qui vont régler le problème de 1 500… même de plus que 1 500, parce que quand vous avez un poste permanent, vous regroupez plusieurs petits postes précaires, vous changez la vie des gens pour le mieux. Vous avez noté que Mme Marois, hier, a fait état d’un mouvement du côté d’une revendication, surtout des partenaires du gouvernement, de décentraliser les négociations. Vous avez vu que nous pensons, et les partenaires, Mme Marois en a discuté avec eux très correctement et très franchement, et je pense qu’il faudra faire des mouvements de ce côté-là aussi. Au moment de conclure une période extrêmement dure, assez dure pour les employés de l’État, ce n’est pas le temps, maintenant, de faire des récupérations et je ne pense pas qu’il faille s’engager dans ce vieux débat, cette vieille tentative toujours avortée de vouloir décentraliser les négociations parce que, de toute façon, ce qu’on pourrait gagner d’une main, on le perdrait de l’autre.
Rappelons-nous ce que c’était avant, quand elles étaient décentralisées, il faut se rappeler ce que c’était dans l’éducation et dans la santé, à la fin des années soixante, rappelez-vous. Peut-être que vous ne vous en rappelez pas, mais, moi, je me rappelle que ça ne marchait pas. On avait des équivalences de toutes sortes et il y avait des conflits de travail qui n’en finissaient plus, qui éclataient à la faveur de certains impératifs locaux. Et on a mis la péréquation des services, la péréquation des négociations, c’est des grands gains qui ont été faits. Évidemment, il y a un prix à payer pour le gouvernement parce que là, vous constituez une grande dynamique syndicale très forte qui est toute ensemble, qui exerce un grand poids, mais il y a des prix à payer pour tout et, globalement, moi, je pense que notre système fonctionne et qu’il faut l’accepter.
[M. Théberge (Sylvain): Patrice Roy. M. Roy (Patrice): Une très courte là-dessus, M. Bouchard. Donc, ça a été une erreur d’entreprendre les négociations avec ce thèmelà…]
[M. Bouchard:]Non, non. [M. Roy (Patrice): Non?]
[M. Bouchard:]Ce n’est jamais une erreur.
[M. Roy (Patrice): On n’a pas perdu du temps, là?] [M. Bouchard:]Ce n’est jamais une erreur, pour un syndicat, de demander plus qu’il va recevoir.
[M. Roy (Patrice): M. Bouchard, sur la réduction des impôts, vous le dites vous-même, c’est intolérable. L’écart, même avec l’Ontario, s’agrandit. Il y a des annonces qui seront faites en Ontario.
Hier, il y a eu des prévisions de croissance
économique qui dépassaient les prévisions du ministère des Finances. Est-ce que, parce qu’il y a une urgence, vous pourriez demander au ministre des Finances de déposer un budget avant… d’avoir des réductions d’impôts avant le budget de l’an prochain? Ne pas attendre…]
[M. Bouchard:]Écoutez, nous avons des négociations. Comme vous le savez, vous le savez, moi, je le sais le premier, il va falloir qu’on se tienne le corps raide pour maintenir une position comme celle que nous avons avec des demandes comme celles que nous avons. C’est la raison pour laquelle, ce matin en particulier, je veux qu’on fasse le point pour montrer ce que ça donne globalement. Il faut additionner, hein, puis il y a seulement un gouvernement, au bout, qui paie. Il y a seulement un contribuable qui paie au bout. Alors, moi, je pense que, avant…
C’est pour ça qu’on a annoncé que les 400000000 $ de réductions d’impôts seront en juillet de l’année prochaine, quand on l’aura. Quand on l’aura. Les réductions d’impôts, qu’on n’a pas encore… Quand on n’a pas encore l’argent pour le faire… Voyons ce que l’économie va faire, etc. Si on peut faire mieux, on fera mieux. J’ai dit au moins 400000000 $ aujourd’hui. Si on peut faire mieux, on fera mieux, et plus vite, on fera plus vite. Mais je veux m’assurer que ce ne sera pas une réduction d’impôts qui sera financée par des emprunts ou par des déficits.
[M. Théberge (Sylvain): Normand Girard.
M. Girard (Normand): M. le premier ministre, j’ai deux questions. D’abord, la première: je voudrais me faire expliquer comment est-ce qu’il se fait que vous parlez d’un redressement de 4 % pour les demandes salariales des juges, les hausses salariales des juges, et que, d’autre part, vous parlez un peu plus loin d’une augmentation totalisant 8 %? Comment je peux comprendre le 4 % et le 8 %? Comment ça s’explique? Ça, c’est ma première question.
Ensuite, ma deuxième question ne découle pas du fait que je ne comprends pas la situation dans laquelle se trouvent le gouvernement, au plan financier, puis les Québécois, mais elle découle d’un fait qui se répète, qui se produit au Québec. Par exemple, on va perdre ici, à Laval, peut-être notre meilleur spécialiste en génétique des populations, le Dr Claude Bouchard, qui va s’en aller en Louisiane parce qu’on n’est pas capable de le payer. On n’est pas capable de lui donner les moyens qu’il faut pour poursuivre son travail.
Il y a aussi un chirurgien de l’hôpital Laval qui dit qu’on a perdu 10 de nos 35 chirurgiens cardiaques au cours des huit dernières années. M. le premier ministre, est-ce qu’il n’y aurait pas moyen, pour un gouvernement responsable, de se pencher sur ces cas particuliers là de façon à éviter l’exode des cerveaux que vous avez pu vous-même constater quand vous êtes allé à New York? C’est mes deux questions.]
[M. Bouchard:]O.K. Bien, la première, c’est: quatre plus deux plus deux, ça fait huit. C’est ça?
[M. Girard (Normand): Deux plus deux.]
[M. Bouchard:]Quatre plus deux plus deux, ça fait huit.
[Des voix: Ha, ha, ha!]
[M. Bouchard:]Ha, ha, ha!
[M. Girard (Normand): Mettez des années au bout.]
[M. Bouchard: Puis, si vous le revirez, aussi, de bord, si vous le redécomposez autrement, les…]
[M. Thivierge (Jean): Veux-tu un tableau?
Des voix: Ha, ha, ha!]
[M. Bouchard:]…si les juges avaient reçu les augmentations de salaire qu’ont reçu les employés de l’État, depuis 1993, ils auraient eu 3 % d’augmentation. Alors, comme on offre 5 % aux autres, cinq plus trois ça fait huit, aussi.
[M. Girard (Normand): Puis ma deuxième question?]
[M. Bouchard:]Bien, la deuxième question, elle est fondamentale. Mais vous savez, vous me l’adressez à moi, vous pourriez l’adresser à à peu près tous les chefs de gouvernement des pays occidentaux qui voient plusieurs de leurs grands spécialistes, plusieurs de leurs sommités partir pour les États-Unis, hein. Vous le savez.
[M. Girard (Normand): C’est triste.]
[M. Bouchard:]C’est triste, mais c’est une situation qui existe, que nous connaissons. Je ne suis pas certain, même, que nous, on n’est pas un peu protégés par le fait qu’on n’ait pas la même langue que la langue américaine. Mais il reste que c’est vrai qu’on perd des… Vous dites «se pencher sur des cas particuliers», mais il y en a d’autres, de très bons, qui restent, qui ne partiront pas, là. Il travaille avec un groupe, le Dr Bouchard, le généticien — je suis un peu au courant parce que mon frère est dans ce domaine-là — et puis il y a d’excellentes personnes, là, qui restent. Alors, vous ne pouvez pas donner un traitement spécial à quelqu’un qui menace de partir puis ne pas le donner à ceux qui ne menacent pas de partir. Il y aurait une dynamique infernale.
Je crois que ce sur quoi il faut agir, c’est sur deux plans. D’abord, il faut améliorer la situation des impôts particuliers. C’est assez dommageable de voir différents niveaux d’effort fiscal qui sont demandés d’un citoyen américain, d’un citoyen québécois et même canadien. Remarquez que là, il faut quand même faire des ajustements, parce que si vous allez aux États-Unis, vous allez devoir payer une police d’assurance-maladie, hein, ça va vous coûter cher, parce que si vous ne payez pas, c’est la faillite. Et puis il y a beaucoup de choses que l’État prend en charge, ici, que l’État américain ou les États américains ne prennent pas en charge, il y a des calculs à faire. Mais quand même, globalement, il faut reconnaître que c’est un très grand désavantage que cet écart entre le niveau d’effort fiscal demandé aux Américains et celui qui est demandé aux nôtres. Quand quelqu’un s’en va là-bas, c’est évident qu’il va faire plus d’argent, c’est sûr. L’autre aspect, c’est améliorer la situation de la recherche et faire en sorte que les chercheurs trouvent un meilleur environnement. Souvent, les chercheurs, ce n’est pas l’argent qu’ils veulent, ce n’est pas des salaires qu’ils veulent. Je ne dis pas que ce n’est pas important pour eux, puis il faut s’en occuper aussi, mais ils sont surtout motivés, ces gens-là, par la recherche, l’attrait de leur discipline et ils font un grand cas des moyens qu’on met à leur disposition, des laboratoires, des fonds de recherche qui sont créés. C’est pour ça qu’on a créé le ministère de M. Rochon. Ce n’est pas pour trouver un trou à M. Rochon. C’était une lacune béante dans le fonctionnement de notre société que d’avoir fait si peu d’efforts du côté d’une définition de politique scientifique et de la mise de fonds. Nous en avons mis de l’argent. On a mis 100000000 $ en particulier juste dans l’instance qui va favoriser les échanges puis la synergie et les interfaces entre les différents secteurs de recherche. Et puis, je terminerai en disant, M. Girard… Est-ce qu’on peut accoter les Américains dans le hockey? Dans le base-ball? Dans les salaires? C’est très difficile. On est un pot de terre à côté d’un pot de fer.
[M. Théberge (Sylvain): Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, dans le passé, on était habitués au jeu de la négociation. Quand l’offre salariale arrivait de la part du gouvernement, on disait: C’est le point de départ mais ce n’est sûrement pas le point d’arrivée. Ça c’est vérifié souvent. Là, ce que vous nous dites aujourd’hui, c’est que c’était le point de départ et que ce sera le point d’arrivée de l’offre salariale, et que la seule négociation, ça va être dans le normatif, donc, que l’offre salariale était définitive. Est-ce que c’est ça qu’on doit comprendre au départ?]
[M. Bouchard:]En tout cas, c’est sûrement le terrain de baseball. C’est sur ce terrain de baseball là qu’on va jouer. C’est-à-dire qu’il y a les mouvements internes, les aménagements qui peuvent se faire à la marge mais, compte tenu des impératifs et des paramètres que je viens de donner, un gouvernement serait irresponsable s’il sortait de ce terrain de base-ball là. Les aménagements, les prises en considération spécifiques, oui, c’est évident qu’il y aura place à une négociation.
[M. Girard (Normand): Il ne peut pas frapper de circuit.]
[M. Bouchard:]Ça va être difficile de frapper un circuit en dehors du stade de baseball, parce que ça nous coûterait cher en termes de déficit puis de renonciation à nos objectifs de réduction d’impôt. Pas trop de frappeurs de circuit, là.
[M. Larocque (Paul): Les syndiqués vont vouloir un nouveau stade eux aussi?]
[Des voix: Ha, ha, ha! ]
[M. Bouchard:]Je ne suis pas sûr que l’image des stades était bonne.
[Des voix: Ha, ha, ha! ]
[M. Bouchard:]C’est dangereux, les images.
[M. Théberge (Sylvain): Deux questions, M. Bouchard. Une pour poursuivre sur celle de Jean Thivierge. Est-ce que, pour la troisième année, on peut se garder une marge de manoeuvre advenant que la situation financière du Québec soit meilleure? Est-ce que, pour la dernière année de la convention collective, il n’y a pas un jeu, là?
Puis, l’autre question, ça concerne: Est-ce que les mouvements dont vous parlez au niveau de la décentralisation des négociations touchent aussi le secteur de l’éducation?]
[M. Bouchard:]Trois ans, c’est déjà trop court. S’il y avait moyen d’étirer la période, si on pouvait mettre ça à quatre, cinq ans, on pourrait planifier sur quatre, cinq ans. Donc, trois ans, c’est déjà trop court. Puis, la tentation de tout négociateur, c’est de dire: La dernière année — d’après moi, c’est le déluge — on va se laisser aller, on va laisser ça ouvert. Une des erreurs qui ont été commises en 1979, c’est après avoir convenu d’une convention pour trois ans, d’avoir ajouté un petit bout de six mois après avec pleine d’indexation, puis c’est ça qui a fait saborder le bateau après, puis a provoqué la crise de 1981. Le gouvernement a dû revenir avec une loi spéciale. C’est toujours l’erreur qu’on commet, ça: de vouloir régler le problème à la fin au lieu de le régler véritablement dans une période qui est précisée. Non, moi, je ne pense pas qu’il faille relâcher la garde à la troisième année, etc. Qu’est-ce qui va arriver dans trois ans? Qu’est ce qui va arriver à l’économie? Il se produit présentement une sorte de miracle. Malgré que les économies soient déficientes en Asie, en Amérique latine, les Américains tiennent, l’économie américaine tient avec force dans sa huitième année du même cycle économique, sans récession. C’est un miracle! Tout le monde retient son souffle. Mais on regarde tout le temps les indices, puis les indicateurs macro-économiques des États-Unis, puis on constate que ça marche encore, puis que ça va marcher encore l’année prochaine, et puis on est très content. Mais, vous savez, l’économie, c’est déjà arrivé qu’il y a eu des récessions. Ça arrive tout le temps. Il y a toujours eu des cycles. Il semble que là, on a un cycle particulièrement long. Donc, on ne voit pas encore, au bout de trois ans, prendre un risque comme celui-là, d’autant plus qu’on est serré. Regardez, là, c’est serré vos affaires. C’est très très serré. C’est ce que les gens ont parfois de la difficulté à comprendre, puis je les comprends. Ce n’est pas facile à comprendre. C’est le poids de la dette; on n’a pas effacé la dette. C’est que durant les périodes où on réduisait le déficit, on a continué d’ajouter à la dette, parce que, chaque année, on en faisait encore des déficits, moins, mais chaque déficit, même s’il était inférieur à celui de l’année d’avant, il s’ajoutait à la dette.
Donc là, on ne va plus ajouter à la dette maintenant. Là, on l’a la dette, elle nous coûte 8000000000 $ par année, tout compris, au Québec. Tout compris. Le premier janvier, là, les premiers 8000000000 $ qui vont rentrer, là, d’impôts, ils s’en vont en intérêts sur la dette, donc on ne les voit plus, c’est de la fumée. Alors, ça c’est le prix qu’on paie pour avoir été généreux — puis c’est un mot gentil que j’emploie — dans la gestion des fonds publics depuis 40 ans. On paie maintenant, on passe au cash comme on dit, parce que la dette elle est là, elle pèse très lourdement. Imaginez-vous si on n’avait pas de dette — enfin, ce n’est pas normal qu’on n’en ait pas — mais qu’on en aurait la moitié moins, par exemple, ce serait assez correct d’en avoir la moitié seulement. Bon, imaginez-vous, on aurait 4000000000 $ de plus par année, là, pour faire marcher nos affaires, puis développer l’éducation, puis on pourrait payer plus que 5 %, sans doute, là. Donc, on a hypothéqué l’avenir, mais l’avenir, c’est maintenant. On est rattrapé, là, par nos décisions du passé; il faut les assumer. C’est ce qu’on a fait très correctement en trouvant le moyen, malgré tout ça, de supprimer un déficit de 6000000000 $, puis de contrôler nos finances.
Maintenant, on va continuer comme ça; on ne recommencera pas. Si quelqu’un veut recommencer, ce ne sera pas moi; c’en sera d’autres.
[M. Théberge (Sylvain): Une dernière en français. Michel David. M. David (Michel): La décentralisation des négociations dans l’éducation, est-ce que…]
[M. Bouchard:]Ah oui!
[M. David (Michel): …vous, oui.]
[M. Bouchard:]Oui, bien, c’est la même chose en général. C’est le même principe.
[M. Théberge (Sylvain): Michel David.
M. David (Michel): M. Bouchard, toujours, les centrales syndicales ont été considérées comme des alliées, des partenaires même de la souveraineté. En mettant un frein à des revendications qui peuvent paraître légitimes, est-ce que vous n’avez pas peur de mettre en même temps un frein à la mobilisation que vous avez appelée en fin de semaine?]
[M. Bouchard:]En tout cas, l’avenir du Québec, il passe par la responsabilité d’abord. Quel que soit l’avenir du Québec, quel que soit le cadre politique où on se trouvera, il faudra d’abord et avant tout qu’on soit une société responsable puis qu’on s’occupe de la génération qui monte puis qu’on s’occupe de gérer nos affaires correctement, qu’on soit fédéraliste ou souverainiste. Qu’on ne me dise pas qu’un fédéraliste peut se permettre d’être laxiste parce qu’il est fédéraliste, pas plus un souverainiste. On est d’abord au gouvernement pour gérer les choses correctement.
[M. David (Michel): Mais mettez-vous de l’autre côté, là. Vous pensez que ces gens-là vont monter au front de gaîté de coeur alors que vous venez de leur dire: vos augmentations, oubliez-les?]
[M. Bouchard:]En tout cas, ça, c’est notre travail de convaincre les gens que la situation qui est là, c’est la bonne situation. Et, aux tables de négociation, on va devoir essayer de provoquer la même lecture de la même réalité et, à partir du moment où les gens lisent la même réalité, bien, les conclusions s’imposent. C’est du monde logique. Les gens du monde syndical, c’est des gens très, très, très, très logiques, très logiques. Et, moi, j’ai confiance que non seulement ils sont logiques, mais ils ont le sens de l’équité et ils ont le sens des responsabilités. Moi, je pense qu’on va pouvoir s’entendre pour agir à l’intérieur des capacités du Québec. Ils ne veulent pas recommencer le déficit. Est-ce qu’il y a un travailleur qui veut recommencer le déficit sachant ce qu’il a dû faire récemment? Je suis convaincu que non. Est-ce qu’un travailleur va refuser des diminutions d’impôt alors que c’est du net sur son salaire, une diminution d’impôt? Non.
(Fin à 10 h 17) ]
[QBOUC19990617cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec Bilan de la session parlementaire Le jeudi 17 juin 1999 (Quinze heures quarante-six minutes) ]
[ M. Théberge (Sylvain): Au bilan de la session, j’attendrai pour vos questions pour pouvoir le questionner par la suite.]
[ M. Bouchard:] Bonjour, messieurs, mesdames. M. Jacques Brassard va vous brosser, demain, un tableau de l’activité législative de la dernière session. Je voudrais, de mon côté, donner le contexte le plus large de l’action gouvernementale depuis l’élection de novembre. De toute évidence, l’événement le plus marquant du travail gouvernemental de la première moitié de 1999 fut le dépôt du budget. Pour la première fois en 40 ans, le budget du Québec est équilibré, un objectif que nous avons atteint grâce à l’effort concerté de tous les secteurs de la société et grâce à la rigueur de notre gestion. De plus, nous l’avons atteint avec un an d’avance sur le calendrier prévu lors de la Conférence socio-économique de Québec en 1996. Cela signifie que le Québec a une solidité et une crédibilité financières qui s’étaient érodées depuis plus d’une décennie.
Ce travail s’est soldé par une amélioration du jugement porté sur le Québec par les agences de crédit et par le monde financier international. La firme Moody’s annonçait en avril qu’elle plaçait désormais dans une perspective positive la situation du Québec. J’ai pu juger moi-même, lors de mes déplacements à l’étranger, tant à New York qu’en Europe ou au Mexique, que l’effort réalisé par les Québécois donne à l’ensemble de nos positions une meilleure résonance et une fondation plus forte.
Ici au Québec, l’atteinte du déficit zéro nous a permis de déposer des plans d’action pour assainir encore plus que prévu la situation financière de nos institutions en éliminant la dette des établissements hospitaliers et en abordant un redressement significatif des finances des universités. Nous avons également rempli notre engagement électoral de mettre complètement fin aux compressions dans la santé et dans l’éducation, d’assumer la hausse normale des coûts, ce que nous avons fait, et de procéder à un réinvestissement dans la santé, ce que nous avons fait aussi. Nous nous étions également engagés à protéger la clause d’appauvrissement zéro pour nos concitoyens qui sont dans l’impossibilité d’accéder au marché du travail. Nous sommes allés au-delà en agissant pour rétablir, pour ces Québécoises et Québécois, la gratuité pour l’assurance-médicaments à compter d’octobre. Nous sommes allés plus loin aussi en améliorant de deux façons la condition des assistés sociaux aptes au travail, d’abord en décembre dernier, en bonifiant le régime pour le partage du logement, les revenus de travail autorisés et la valeur d’une résidence. En janvier, les barèmes ont été indexés. Puis, cet été, de nouvelles bonifications vont entrer en vigueur. Bref, comme nous l’avions annoncé pendant l’élection, l’atteinte du déficit zéro a servi d’abord à rétablir le filet social de base du Québec et, en certains cas, à l’améliorer. Nous nous sommes engagés également à utiliser le surplus pour une autre priorité essentielle, la réduction du fardeau fiscal. Pour ce qui est du fardeau des petites et moyennes entreprises, le ministre des Finances annonçait, dès décembre dernier, qu’il devançait de six mois la réduction de taxe sur la masse salariale, qui est donc entrée en vigueur le 1er janvier dernier plutôt qu’en juillet comme prévu.
Pour ce qui est du fardeau fiscal des particuliers, nous l’avions réduit de 840000000 $ depuis deux ans et nous avons annoncé une nouvelle tranche de 400000000 $ de réductions l’an prochain pour 1300000000 $ au total, pendant le mandat. Des consultations à cet effet auront lieu sous peu. De toute évidence, si nous pouvons faire plus, nous le ferons, si nous pouvons le faire plus tôt, nous le ferons. C’est pourquoi le gouvernement a été très clair ce printemps et continuera de l’être pendant les négociations qui s’ouvrent.
Nous voulons préserver la capacité de l’État d’augmenter le revenu de tous les Québécois par le biais de baisses d’impôts et pour préserver cette capacité, nous ne pouvons accéder aux demandes d’augmentation de salaires qui nous sont faites par les syndiqués du secteur public et par d’autres employés de l’État. Nous voulons améliorer leurs conditions de travail, faire reculer leur précarité d’emploi, les aider à fournir de meilleurs services à la population et les assurer, avec une augmentation de 5 % sur trois ans, de la parité avec leurs collègues du secteur privé. Mais pour le reste, nous souhaitons donner aux employés du secteur public et aux autres Québécois un coup de pouce financier par le biais de baisses d’impôts. Sur le plan économique, le Québec connaît une année très prometteuse. Les prévisions du secteur privé estiment que la croissance de l’économie va égaler ou dépasser celle du Canada cette année et l’an prochain. Les investissements privés croissent à une cadence beaucoup plus importante au Québec qu’au Canada, comme le témoignent les annonces d’investissements qui se succèdent de semaine en semaine. Simplement depuis le 15 décembre dernier, le gouvernement du Québec a de différentes façons appuyé des investissements d’une valeur de 1 700000000 $, créant plus de 8000 emplois. Et je mentionne au passage les annonces de Motorola à Montréal, d’Uniboard dans le Bas-SaintLaurent, de Goodyear en Montérégie, du groupe Nova à Québec. Dans le budget, nous avons dégagé plus de 300000000 $ pour accélérer le passage à l’économie du savoir et soutenir les régions. Nous avons également, dans le budget, jeté les bases de la nouvelle politique québécoise de la recherche scientifique et créé un nouveau ministère dédié à la jonction entre la recherche et l’innovation. Vous aurez noté aussi les annonces successives du ministère de l’Éducation qui poursuit le virage de la formation de façon à répondre mieux et plus vite aux demandes accrues du marché du travail. Comme vous le savez, l’économie québécoise est une des économies les plus ouvertes sur le monde qui soient. Il est donc essentiel que le gouvernement du Québec poursuive son travail de rayonnement économique, culturel et technologique à l’étranger. Cette année, les missions que j’ai dirigées à New York, à Barcelone et au Mexique, avec des gens d’affaires et des représentants d’institutions culturelles et d’éducation, ont été des moments forts de cette action. À Paris, avec le Printemps du Québec, nous avons développé un concept intégré de rayonnement culturel, technologique et économique qui fait honneur à ce que le Québec est devenu et peut devenir. Nous sommes très, très heureux de cette initiative et nous travaillons maintenant pour que la Saison du Québec à New York, en 2001, soit, dans un contexte différent, un succès également. Sur toutes les tribunes, le Québec a également pris la parole pour défendre la diversité culturelle et il entend continuer à prendre sa place à cet égard, quoi qu’en dise le gouvernement fédéral. Cette session, nous avons également pris un certain nombre de décisions visant à rendre notre société plus juste et plus équitable pour tous nos concitoyens. D’abord, nous avons apporté des ajustements aux lois qui encadrent l’exercice démocratique. Par la loi 1 et la loi 30 qui devraient être adoptées d’ici demain, nous ferons en sorte de rendre plus difficile toute tentative de détourner le processus démocratique au niveau national comme au niveau local. Nous avons posé un geste en faveur de l’équité intergénérationnelle en devenant le premier gouvernement sur le continent à proposer une législation contre ce qu’on appelle les clauses orphelin. Nous avons également modifié nos lois pour reconnaître les conjoints de même sexe, ce qui fait du Québec un exemple d’équité et de tolérance. Nous avons reconnu la profession de sage-femme, nous avons présenté une législation pour mieux protéger les hommes et les femmes du Québec placées sous la responsabilité de la curatelle publique. Nous avons également légiféré pour mieux baliser le travail des mineurs, nous continuons nos efforts pour préserver notre culture de prévention envers les jeunes contrevenants contre une tentative fédérale d’imposer ici des recettes radicales qui ne conviennent pas à nos choix. Nous avons investi des sommes nouvelles contre la détresse qui affecte certains de nos jeunes. Maintenant que nous avons la capacité de faire de nouvelles embauches, nous avons décidé d’agir résolument pour rendre la fonction publique plus représentative de la diversité québécoise. Dès cet été, nous avons augmenté le nombre d’embauches d’étudiants pour que le quart d’entre eux proviennent des communautés allophone, anglophone et autochtone. Nous avons de plus démontré, par le dépôt d’un projet de loi, notre volonté de faire en sorte que le quart des nouvelles embauches à temps plein respecte dorénavant cette proportion. Ce sera la première fois. Dans nos relations avec les nations autochtones, un dossier toujours délicat, la volonté politique de notre gouvernement, qui est d’établir des rapports de respect mutuel, se poursuit, comme l’ont illustré la conclusion d’ententes-cadres avec la nation mohawk et plusieurs autres et la reprise des pourparlers avec les Innu. Nous avons également ouvert le grand chantier de la région de Montréal, un débat essentiel, pour rendre notre métropole plus efficace, plus performante et plus compétitive avec les autres métropoles du continent et du monde. Je suis heureux de constater que tous conviennent aujourd’hui qu’il faut du changement, que le statu quo n’est plus acceptable. Avec ce momentum, nous avons l’intention de mener à bien ce dossier et de le mener à une conclusion positive pour la métropole et pour tout le Québec. Nous allons ouvrir un autre grand chantier, celui du Sommet du Québec et de la jeunesse, et le ministre responsable annoncera sous peu le processus que nous comptons suivre pour nous rendre ensemble à ce Sommet. Je vous remercie.
[ Le Modérateur: Question, Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, on a souvent vu dans le passé, surtout quand il y a des moyens de pression illégaux, la partie patronale se retirer, dire: Écoutez, quand vous aurez cessé vos moyens de pression, nous on reviendra à la table de négociations. Or, ce n’est pas exactement ce qui se produit. Deuxième jour de grève illégale aujourd’hui, vous avez beau dire que c’est inadmissible, etc., est-ce qu’on doit comprendre, à ce moment-là, que le gouvernement recherche actuellement un règlement rapidement si vous vous entêtez à rester à la table de négociations en dépit d’une grève illégale?]
[ M. Bouchard:] Que je sache, il n’y a pas de négociations aujourd’hui, que je sache, sous réserve d’être contredit par les faits, mais je n’ai pas une connaissance personnelle, en tout cas, de négociations. J’ai moi-même fait savoir que j’estimais qu’il n’y avait pas lieu de tenir de négociations avec des gens qui sont en grève illégale.
[ M. Thivierge (Jean): Ça va se poursuivre demain
aussi, ce moment d’attente. Est-ce que cette suspension des négociations va se poursuivre?]
[ M. Bouchard:] Demain, s’il n’y a pas une grève illégale, ils ne seront pas en illégalité. Mais, dans la mesure où il y a et y aura illégalité, il est inconcevable et inacceptable qu’un gouvernement s’assoit à une table pour négocier avec des gens qui travaillent avec l’utilisation d’une grève illégale.
[ Le Modérateur: Patrice Roy.
M. Roy (Patrice): M. Bouchard, vous venez de dire que vous voulez préserver votre capacité de baisser les impôts. Est-ce qu’en fin de semaine, il se pourrait que votre gouvernement décide de mettre un peu plus d’argent pour les infirmières pour éviter, par exemple, une grève illimitée la semaine prochaine?]
[ M. Bouchard:] Non. Il n’est aucunement question que le gouvernement déroge aux politiques salariales et de rémunération qu’il a annoncées. Le cadre, je l’ai tracé de façon, je dirais, formelle à l’occasion d’une conférence de presse que j’ai tenue ici il y a plusieurs semaines, et c’est ce cadre dans lequel nous travaillons, et c’est ce cadre dans lequel les dossiers devront se régler avec quelque groupe que ce soit. Ça ne prend pas tellement de courage pour tenir cette détermination, ça prend juste la reconnaissance d’une nécessité et de l’impossibilité de faire autrement. Nous ne pouvons pas faire autrement, d’abord, parce que les moyens sont limités, parce que l’état de richesse collective est ce qu’il est, ensuite, parce que nous travaillons pour faire en sorte que nos offres, celles qui sont annoncées, tiennent les gens en parité avec le secteur privé, sans même compter la sécurité d’emploi dont ils bénéficient. Et, de plus, la marge de manoeuvre que le gouvernement pourra dégager, elle appartient à l’ensemble des Québécoises et des Québécois. C’est l’ensemble des Québécoises et des Québécois qui ont fait les efforts que nous connaissons.
C’est l’ensemble des Québécoises et des Québécois, surtout ceux de la classe moyenne, qui portent sur leurs épaules, pour ne pas dire qu’ils ploient sous le fardeau fiscal qui est le nôtre. Avec le fardeau fiscal le plus élevé d’Amérique du Nord, avec un endettement comme celui que nous avons, n’importe quel gouvernement responsable ne peut faire autrement que de tenir la ligne qui a été tracée, une ligne tracée par les impératifs de l’équité et du réalisme.
[ M. Girard (Normand): Qu’est-ce que le gouvernement va faire pour protéger la population si la grève illimitée est déclenchée la semaine prochaine par les infirmières? Parce que là, il y a tout un paquet de patients qui sont dans les institutions. Il y a des gens qui peuvent tomber malades. La population est inquiète.]
[ M. Bouchard:] D’abord, disons qu’en effet ce n’est pas une question de savoir qui est le plus puissant, le gouvernement et un syndicat. La question fondamentale, c’est les citoyens et les citoyennes et les plus vulnérables d’entre eux, ceux qui sont malades, ont le droit le plus fondamental de recevoir les services que leur doivent tous les personnels, y compris les infirmières.
Et quand on parle d’une grève illégale à l’encontre des ordonnances qui ont été rendues par le Conseil des services essentiels et des dispositions du Code du travail qui donnent ouverture au droit légal de grève, il faut bien reconnaître que les victimes, ce sont les patients qui sont dans les hôpitaux et que, dans la mesure où il y a des inconvénients de plus en plus graves qui résulteront aux patients d’une grève illégale, il y a tout de suite une situation totalement inacceptable.
Il y a autre chose aussi. Nous vivons dans une démocratie, nous vivons dans une société qui ne peut fonctionner que si chaque groupe assume ses obligations et respecte la loi. Au-delà des considérations de sympathie et d’admiration qu’on peut éprouver et que j’éprouve personnellement avec raison, comme tout le monde, pour le travail des infirmières et pour le caractère si indispensable des services qu’elles rendent, il y a, pour tous les citoyens et les citoyennes, y compris les infirmières, y compris pour les syndiqués et pour quelque groupe que ce soit, l’obligation de respecter la loi.
Dans quelle sorte de société nous trouverions-nous si le gouvernement devait céder à une grève illégale uniquement parce ça l’indispose politiquement, uniquement parce que ça l’embarrasse? Ceci n’est pas une partie de bras de fer, ceci est une obligation de respect de la démocratie et des lois et de rendre les devoirs qui sont dus aux patients qui ont besoin de ces services. Enfin, le métier d’infirmière, le métier de médecin, le métier de policier, le métier de politicien, tous ces métiers n’existent que pour rendre un service à la population et on ne peut jamais, d’aucune façon, prendre la population en otage pour aller chercher un avantage même s’il est perçu comme légitime et qu’il pourrait s’avérer en partie légitime dans une négociation. Sans compter que cette négociation, elle vient de commencer. C’est vrai qu’il y a eu plusieurs mois de réchauffement, mais on connaît ces négociations, déposer les textes. Ce sont des machines très lourdes, des appareils qui sont considérables du côté syndical comme du côté patronal. Et avant que la situation soit posée et que les cartes soient sur la table, il y a plusieurs mois qui s’écoulent et puis là, la partie s’engage. Elle vient de s’engager et nous, au gouvernement, on a travaillé avec intensité pour ne pas perdre de temps, pour nous assurer qu’on allait aussi vite qu’on le pouvait dans les négociations. Alors, avec les infirmières comme avec les autres, nous en sommes au stade du normatif surtout, normatif c’est-à-dire précarité d’emploi et on sait bien qu’il y a un problème là. Puis on a déposé des solutions, puis on en a d’autres également à déposer et nous pensons même que, avec ce qu’on a entendu aux tables récemment, la solution est quelque part dans les éléments qui ont été mis sur la table de part et d’autre et que, pour peu qu’on travaille normalement dans une négociation, on arrivera à une solution. Quant à la question salariale, je rappelle que le cadre du 5 % est un cadre contraignant pour tous puisqu’il découle directement de l’équité et de la réalité financière, collective et fiscale du Québec. Dans ces conditions, toute grève illégale est absolument sans issue. Ça ne peut que nuire aux malades. Ça ne peut que perturber notre société et ça ne peut que nuire à la cause des infirmières et des infirmiers.
[ M. Girard (Normand): Mais qu’est-ce que vous allez faire s’ils débraient?]
[ M. Bouchard:] Nous sommes un gouvernement. Nous allons assumer nos responsabilités. Nous n’allons pas laisser passivement se développer une pareille situation, c’est certain.
[ Le Modérateur: Katia Gagnon.
Mme Gagnon (Katia): M. Bouchard, est-ce que vous pourriez consentir, sans déroger à votre 5 %, des augmentations salariales par la bande, aux infirmières, sur le plan de la relativité salariale?]
[ M. Bouchard:] Pas par la bande. Pas par la bande. Rien de subversif et d’astucieux. C’est qu’il y a le redressement salarial, la hausse normale des salaires, et c’est fixé à 5 % pour trois ans. Il y a des groupes qui prétendent qu’ils sont sous-payés parce que le niveau de leurs responsabilités serait mal évalué. Alors, il faut savoir que, dans le cas des infirmières, il y a eu une évaluation de leur niveau de responsabilités en 1989, par un gouvernement qui nous a précédés et cette évaluation s’est faite dans le cadre d’une évaluation générale pour tous les personnels du public et parapublic, public certainement en tout cas, parapublic aussi. Le gouvernement, au terme de l’exercice qui a montré, bien sûr, des inégalités qui variaient d’un groupe à l’autre, a déboursé quelque chose comme 350000000 $, au titre de ces rattrapages ou de ces ajustements de relativité. Et les infirmières, entre elles, en particulier, ont été celles qui ont bénéficié du plus haut taux de rattrapage, en 1989, 9 %.
Donc, nous n’avons pas peur, nous, de nous soumettre à un processus d’évaluation du niveau d’emploi des infirmières parce que nous avons la conviction que ça va révéler qu’il n’y a pas de rattrapage, ou si peu, à effectuer. Mais ce qui serait déterminé par le processus, on va s’y soumettre, mais ce que nous voulons, ce n’est pas de procéder à partir d’un 85 % artificiel par rapport à tel groupe, qui est de chiffres avancés par les infirmières et les infirmiers, ce que nous sommes prêts à faire, nous sommes prêts à tester notre situation là-dessus. Nous sommes prêts à nous soumettre à une évaluation systématique des emplois d’infirmières, qu’elles soient diplômées de cégep ou bachelières, et nous n’avons aucunement peur de ce processus; nous pensons qu’il devrait confirmer notre position. Et s’il devait déterminer des ajustements mineurs — parce qu’ils ne pourraient être que mineurs, selon nous — on va s’y soumettre. Mais, fondamentalement, c’est 5 %. Et, actuellement, l’écart qui nous sépare au point de vue salarial, c’est quelque chose de l’ordre du gouffre, n’est-ce pas? Parce qu’on demande 15 % de rattrapage sans même faire d’évaluation, sans même tenir compte du rattrapage du 9 % qui avait été déterminé en 1989. Et puis on ajoute à cela un autre 6 % pour les première et deuxième année, en réservant une autre revendication pour la troisième année, ce qui nous met à 21 %, plus quelque chose qu’on ne sait même pas. On est extrêmement loin. On est à des centaines et des centaines de millions de plus que l’argent que nous avons de disponible pour les infirmières.
Alors, je ne peux pas concevoir que quelqu’un se soit imaginé que, dans ce contexte, le gouvernement allait céder uniquement parce qu’il aurait peur d’une grève illégale dans les hôpitaux. Nous n’allons pas céder. C’est une obligation fondamentale. Je le dis. Et je lance un appel aux infirmières et aux infirmiers, qui démontrent tant de sens de responsabilité dans l’exercice de leurs fonctions, de le démontrer aujourd’hui encore et d’accepter le processus de négociation qui est au coeur même des rapports entre l’État et ses travailleurs. La négociation, c’est l’exercice démocratique par excellence. C’est en négociant puis en se parlant puis en travaillant sérieusement et de bonne foi dans un véritable dialogue tout en rendant les services qui sont dus à la population qu’on peut arriver à des solutions. Et c’est ce que nous voulons suivre comme chemin.
[ Le Modérateur: Bernard Plante.
M. Plante (Bernard): Rapidement. Vous dites des centaines de millions. Le gouffre, c’est à peu près 400000000 $ d’écart?]
[ M. Bouchard:] Ah, on parle de 300000000 $, 400000000 $. C’est à évaluer, parce qu’il y a le x, là. Il y a 21 % plus x, là. On ne sait pas ce que ça veut dire, ce x là.
[ M. Plante (Bernard): O.K. Vous n’allez pas céder, vous avez dit, M. Bouchard, devant une grève illégale. Les infirmières se…]
[ M. Bouchard:] Non seulement on ne va pas céder devant une grève illégale, mais on ne va pas tolérer une grève illégale. C’est certain. C’est certain.
[ M. Plante (Bernard): Vous ne tolérerez pas, donc, une grève illégale. Les infirmières…]
[ M. Bouchard:] Les sanctions, par exemple, automatiques de la loi 160 vont être prises. Et j’ai noté ce matin que l’AHQ a annoncé qu’elle allait prendre ces sanctions.
[ M. Plante (Bernard): Il y a une partie qui occupe le gouvernement sur la question de l’ancienneté. Est-ce que vous nous annoncez aujourd’hui que la partie de la loi 160 que peut mettre en application le gouvernement, vous allez le faire? Et, deuxième volet de la question, s’il s’avérait, lundi, que les infirmières décidaient de prendre des moyens de pression plus lourds, est-ce qu’il est exclu que l’Assemblée nationale puisse être rappelée pour mettre fin à cette grève?]
[ M. Bouchard:] Je vais répondre d’abord à la deuxième question. Je veux présumer que, dans la prise en charge de leurs devoirs de citoyennes, de citoyens et de professionnels et de respect de leurs malades et de leurs patients, les infirmières et les infirmiers ne vont pas se lancer dans une aventure sans issue comme celle d’une grève générale. Et, deuxièmement, est-ce qu’il faudrait convoquer la Chambre? Il y a déjà toute une panoplie de lois qui existent et qui donnent au gouvernement un arsenal de possibilités. Et ce qui m’amène à la partie, je dirais, gouvernementale des sanctions de 160, c’est-à-dire l’ancienneté. C’est une chose à laquelle nous réfléchissons très sérieusement. Nous voulons le faire en toute sérénité, en situant tout ça dans une perspective, parce que, quand on décide d’une sanction, il faut la maintenir, et toute sanction qui sera prise sera maintenue. Ce ne sera pas négociable, ça ne sera pas quelque chose qui va disparaître dans une fin de nuit lors du règlement définitif, c’est là pour rester. Donc, avant de prendre une décision, il faut la prendre en connaissance de cause. Deuxièmement, nous savons bien que cette disposition de la loi 160, que les libéraux avaient fait adopter, a trait à l’ancienneté, à la perte d’ancienneté, au décret d’une perte d’ancienneté. Et quand on connaît bien ces milieux-là puis qu’on connaît bien l’impact d’une perte d’ancienneté, on sait que c’est dramatique, que ça peut être dramatique. Quelqu’un qui se fait dépouiller d’une année d’ancienneté, par exemple, ça peut vouloir dire qu’il perd ses avantages pour postuler un poste plutôt qu’un autre. C’est une sanction extrêmement grave que le gouvernement n’écarte pas, n’exclut pas, mais qu’il se réserve d’appliquer dans les situations qui lui paraîtront devoir le justifier, et ça ne peut se faire qu’avec circonspection, ce dont nous allons user.
[ Le Modérateur: Deux dernières: Michel Cormier et Norman Delisle.
M. Cormier (Michel): M. Bouchard, je voulais vous parler un petit peu du rapport du Vérificateur général, je pense qu’on a fait le tour de la santé avec les infirmières.
Il note qu’il manque 110 médecins spécialistes au Québec et qu’il y a trois ans seulement qu’on avait assez de planification pour combler les besoins. Est-ce que ce n’est pas la preuve qu’il y a eu manque de planification ou qu’on a sacrifié beaucoup sur l’autel du déficit zéro?]
[ M. Bouchard:] C’est la confirmation que les régimes de santé, dans la plupart des pays industrialisés — en tout cas, c’est le cas en Amérique du Nord, puis c’est le cas au Canada en particulier — sont en difficulté, sont en réévaluation et mis à l’épreuve par des changements radicaux dans les besoins, dans la situation des patients — la population qui vieillit — les nouvelles technologies qui se développent, mais à des coûts de plus en plus considérables, et il est évident que nos régimes de santé, dont nous sommes fiers à juste titre, sont en train de poser des problèmes très graves quant à la capacité des gouvernements de les maintenir à cause des coûts, à cause de l’accélération des coûts. Alors, nous sommes tous obligés de faire des réformes, nous sommes tous obligés aussi, non pas seulement de faire des réformes, mais de les évaluer et puis de regarder l’avenir, de les situer dans une perspective d’avenir, de ce qui va arriver, parce qu’il semble bien que l’évolution des besoins de santé, en particulier, puis de la problématique qui entoure leur traitement, ce n’est pas fixe, ça va continuer, même, peut-être, de s’accroître. Alors, je lisais ce matin un article dans le Globe and Mail qui disait que les politiciens le savaient tous, s’en rendaient tous compte mais n’osaient pas le dire. Je pense qu’il va falloir oser dire qu’en effet nos régimes de santé, qu’il faut maintenir à tout prix, doivent être révisés et moi, c’est dans ce sens-là que je n’ai pas de regret qu’on ait entrepris la réforme qu’on a entreprise. Ce qui est en cause… bon, la réforme peut l’être dans certains de ses aspects, mais ce n’est pas la réforme qui est en cause, c’est: Est-ce qu’elle a été suffisante? Est-ce qu’il faut aller plus loin? Est-ce qu’il faut avoir de nouveaux concepts pour rendre les soins? Je pense que c’est un exercice de réflexion auquel nous sommes tous conviés par la réalité et auquel il faut se livrer.
[ M. Cormier (Michel): Si on regarde la question des radio- oncologues et des listes d’attente des patients qui doivent aller aux États-Unis, dans certains cas, vous avez fait une réforme majeure de la santé, la première en bien des années. Est-ce qu’on a, à quelque part, raté son coup, mal prévu tout ça, M. Bouchard?]
[ M. Bouchard:] Je crois que si on n’avait pas fait la réforme, ce serait bien pire que ce qu’on voit actuellement.
[ M. Cormier (Michel): Mais, est-ce qu’il faut en faire une nouvelle qui va tenir compte de ça? Est-ce qu’on est capable de prévoir tout ça?]
[ M. Bouchard:] Je pense qu’il faut faire une projection de la situation, il faut évaluer la réforme. Il ne faut pas dire: On a fait une réforme, elle est parfaite parce qu’on l’a faite. Au contraire, on ne pense pas ça. Par exemple, du côté des effectifs médicaux, il y a un problème qui se pose. Un problème, en effet, de planification des effectifs. Comment prévoir suffisamment à temps les besoins nouveaux qui vont naître pour ouvrir la machine pour former des médecins? Ça prend du temps former un spécialiste, hein? Ça prend au moins sept, huit ans former un spécialiste. Donc, il faut y penser bien avant, ça prend donc beaucoup de recul et puis il y a, surtout, je dirais, la question de la distribution des médecins sur le territoire. Nous vivons dans une société qui privilégie — puis autant qu’on pourra le faire, il faudra maintenir ça, c’est une grande valeur — la liberté de choix du lieu d’exercice. Il se pourrait qu’on arrive, à la limite, quand on voit par exemple qu’il y a pratiquement trop de médecins à certains endroits puis pas assez ailleurs, alors que l’État paie tout — l’État paie tout, il ne faut pas oublier ça — alors, est-ce que ça ne donne pas, en même temps, la responsabilité et aussi la légitimité du gouvernement de se demander comment il pourrait faciliter une meilleure répartition des médecins sur le territoire? Il ne faudrait pas que ce soit contraignant, que ce soit abusif, mais il doit y avoir des moyens de travailler, par exemple, avec des définitions de niveaux d’effectifs en fonction des niveaux de besoins dans les régions données, puis quand les cadres sont pleins, bien il n’en entre plus. Il y a des idées qui circulent, je ne dis pas que celle que je viens d’exprimer soit la bonne parce qu’elle est à moitié cuite, mais il est certain qu’on ne doit pas s’interdire de réfléchir très sérieusement sur des remises en question générales.
[ M. Cormier (Michel): …d’horizon là dessus?]
[ M. Bouchard:] Alors, il faut agir le plus vite possible parce qu’on voit bien qu’on risque de vivre comme des pompiers.
[ M. Delisle (Norman): Bien moi, je vais changer radicalement de sujet. Il y a un Anglo-Québécois prestigieux, ce matin, l’ancien député libéral et ancien président d’Alliance Québec, qui a affirmé que les différences entre le Québec et le Canada sont tellement profondes que c’est devenu irréconciliable. Il en conclut, un peu avec amertume, que la souveraineté du Québec va arriver à cause de ça. Est-ce que vous avez pris connaissance de son jugement puis qu’est-ce que vous en pensez? ]
[ M. Bouchard:] Bien, je n’ai pas lu le livre, c’est un livre qui s’annonce, mais j’ai vu le résumé rapide qui était dans les journaux ce matin. Je ne veux pas aller plus loin parce que la pensée de l’auteur est sûrement plus nuancée que ce qu’un article peut dire en quelques lignes. Mais il se pourrait…
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Bien, il y a des limites à la capacité de synthèse des journalistes, là.
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Mais il semblerait que, au fond, M. Scowen, puisque c’est de lui qu’on parle — et les souverainistes partent des mêmes prémisses — ils arrivent à la même conclusion sauf que, lui, il arrive à la conclusion avec l’enthousiasme qui caractérise la démarche logique des souverainistes quand il arrive à cette conclusion. Manifestement, il y a au Canada un problème non résolu. Quand même qu’on voudrait faire l’autruche, il est évident qu’il y a un déphasage total dans les allégeances profondes, dans les capacités de définir des politiques, je ne dis pas des politiques superficielles mais des politiques de fond et qui se recoupent, et cette question-là n’a pas été réglée. Tant qu’elle ne sera pas réglée, le Canada aura le mal de vivre parce que, moi, je sais bien, comme le souligne M. Scowen, que ce n’est pas une façon de vivre pour un pays que d’avoir quotidiennement le genre de problèmes que nous avons.
Mais, au fond, c’est une motivation un peu négative. Les souverainistes qui arrivent à la même conclusion procèdent dans une motivation plus positive, plus enthousiaste, qui est celle d’assurer au peuple du Québec sa plénitude et de lui donner les instruments d’assumer toutes ses responsabilités collectives. Mais, dans le fond, ça se ressemble pas mal quand même comme coup d’oeil jeté sur la situation.
[ M. Bouchard:] Merci.
[(Fin à 16 h 30)]
[QBOUC19990630cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard. premier ministre du Québec Les négociations avec la Fédération des infirmières et infirmiers Le mercredi 30 juin 1999 (Dix-sept heures sept minutes) ]
[ M. Bouchard:] Mesdames, messieurs, depuis maintenant sept jours les services de santé du Québec sont perturbés par une grève illégale déclenchée par la Fédération des infirmières et infirmiers. Quels que soient les arguments invoqués par les grévistes, quelles que soient leurs revendications ou la sympathie qu’elles peuvent susciter autour d’elles, un consensus s’est développé au Québec depuis près de 20 ans contre tout arrêt de travail qui met en péril la santé publique. Ce consensus s’est développé pour une raison simple: les soins de santé, ce sont des soins essentiels. Une grève de n’importe quel groupe de personnel de la santé heurte de plein fouet les personnes les plus vulnérables de notre société: les personnes malades. Depuis sept jours, les arrêts de travail sont non seulement illégaux, mais ils ne respectent pas le niveau des services essentiels qui seraient requis si cette grève était légale. La Fédération a beau dire qu’elle se préoccupe des soins, la réalité est que la grève fait mal, elle fait mal aux patients et aux citoyens en attente de soins.
Déjà, à cause de cette grève illégale, plus de 65000 femmes et hommes du Québec dont l’état de santé requiert un rendez-vous dans un hôpital ou un CLSC ont été privés de soins. Déjà, plus de 11000 citoyennes et citoyens qui comptaient sur une chirurgie sont obligés de prendre leur mal en patience à cause de la grève. Ces rendez-vous et ces interventions chirurgicales, il faudra les reprendre. Leur report va accentuer les pressions sur le système de santé pendant toute l’année qui vient, va compliquer le travail des équipes soignantes, y compris les infirmières, va occasionner des coûts supplémentaires importants. Le tort causé aux patients et au système de santé est donc considérable et va se répercuter bien au delà de la grève de ces derniers jours.
Pour les personnes qui ont recours aux soins à domicile, dont la moitié sont âgées de plus de 75 ans et dont la majorité sont en perte d’autonomie, la grève illégale les a privés ces jours derniers de plus de 25000 visites à domicile. Derrière les slogans et les discours, la grève fait mal; elle fait mal aux patients. C’est pourquoi elle est inacceptable et doit cesser. Le gouvernement du Québec et les élus de l’Assemblée nationale ont la responsabilité de protéger les citoyens et leurs droits et ils ont la responsabilité de faire appliquer la loi. Chacun sait, au Québec, que le gouvernement que je dirige a toujours privilégié la négociation et la concertation pour régler les conflits qui apparaissent, à l’occasion, dans une société. Depuis que je suis premier ministre, nous avons évité chaque fois la confrontation, mais en insistant toujours sur le respect de la loi et des droits de chacun. Dans le cas des infirmières, nous avions annoncé, depuis le début de la négociation, que nous étions disposés à améliorer leurs conditions de travail et à poser des gestes importants pour leur rendre la tâche plus facile. Comme le reste de la population, nous estimons que les infirmières et infirmiers du Québec ont été beaucoup sollicités ces dernières années. Elles ont été en première ligne de la réforme de la santé et ont vécu ces transformations avec un sens du devoir qui les honore. C’est pourquoi nous pensons que des mesures doivent être prises pour alléger leur tâche et pour rendre leur travail moins précaire: moins de temps supplémentaire, moins de travail sur appel, une vie plus régulière avec des horaires plus prévisibles. Nous pensons aussi que l’amélioration de leurs conditions de travail aura un impact positif sur les soins eux-mêmes. C’est pourquoi plus tôt, cette année, nous avons permis à 4 200 infirmières d’améliorer leur situation en accédant à des postes réguliers. À la table de négociation, nous avons ajouté 1 500 postes réguliers supplémentaires pour faire reculer encore la précarité. Nous avons également accepté que les infirmières qui jugent leur tâche trop lourde disposent d’un recours rapide qui puisse se traduire par une réduction de leur tâche. Sur ces deux questions de la précarité et du fardeau de la tâche, nos propositions ont été jugées satisfaisantes par la Fédération des infirmières et infirmiers qui les ont acceptées et signées. Sur l’essentiel de leurs revendications quant à leurs conditions de travail, les infirmières avaient raison et elles ont eu gain de cause. Sur les autres aspects des conditions de travail, les discussions menées pendant la dernière nuit de négociations nous convainquent que nous pourrions en venir à une entente en quelques séances de négociations au maximum. Nous sommes donc en face d’une grève illégale dans les soins de santé dont l’objectif est essentiellement salarial. Rien de ce que les infirmières et infirmiers nous demandent maintenant n’est de nature à augmenter les soins à la population. Comme des centaines de milliers d’autres Québécoises et Québécois qui travaillent très fort, dans le secteur public comme dans le secteur privé, les infirmières et infirmiers veulent gagner plus d’argent. C’est une revendication compréhensible, mais elle ne justifie en aucun cas de retarder une chirurgie, d’annuler un rendez-vous, de ne pas prodiguer des soins à domicile ou aux personnes âgées en centre d’hébergement. Parlons de la question salariale. Il y a deux aspects: le rattrapage salarial et l’augmentation du salaire. Suite à un exercice semblable à celui que nous proposons aujourd’hui, les infirmières ont eu droit, il y a 10 ans, à un rattrapage salarial de presque 10 %. La Fédération affirme que c’est insuffisant et que les comparaisons de salaires avec d’autres corps d’emploi n’ont pas été faites correctement. Nous l’avons dit, nous sommes tout à fait disposés à refaire l’exercice et à nous soumettre à ses résultats avérés. Nous nous engageons, à la fin de ce processus, à payer les augmentations rétroactivement à la date de la signature de la convention si nous découvrons que des ajustements sont requis. L’autre jour, la présidente a déclaré que le gouvernement devrait mettre de côté 400000000 $ et consentir aux infirmières ce qu’elle appelle un «rattrapage préalable». Mais qui parle de rattrapage parle de relativité salariale. L’expression le dit: les salaires, pour être équitables, doivent être fixés relativement les uns par rapport aux autres. Par définition, un rattrapage salarial ne peut être fixé par un exercice de pur rapport de force; ce serait inéquitable pour tous les autres corps d’emploi. Surtout, la répartition des finances publiques du Québec ne se décide pas dans la rue à coups de grèves illégales.
En novembre dernier, il y a eu une élection au Québec. Des partis se sont présentés devant les électeurs avec un programme et des engagements électoraux. Nous avons beaucoup parlé d’investissements en santé, de finances publiques, de déficit zéro, de baisses d’impôt. Nous avons entrepris de réaliser les engagements que nous avons contractés avec les citoyennes et les citoyens du Québec. En santé, nous avions promis de mettre fin aux compressions dès cette année et de réinvestir 100000000 $. Nous avons fait beaucoup plus: nous avons non seulement mis fin aux compressions, mais nous avons réinvesti 1750000000 $; c’est d’ailleurs ce qui nous permet d’améliorer les conditions de travail des infirmières. Nous avons mis fin aux compressions et réinvesti dans l’éducation et avons amélioré le sort des plus démunis qui ont recours à la sécurité du revenu. Nous avons mis de côté suffisamment de fonds pour accorder aux 400000 employés de l’État des augmentations de salaire de 5 % au cours des trois prochaines années, ce qui leur permettra de recevoir un traitement équivalent à celui des Québécoises et Québécois qui oeuvrent dans le secteur privé en profitant en plus, bien sûr, de la sécurité d’emploi. Et, finalement, conformément à notre engagement électoral, nous avons prévu un rattrapage de revenus pour toutes les Québécoises et tous les Québécois par le moyen d’une baisse d’impôts. Il faut regarder la réalité en face. La richesse collective du Québec n’est pas illimitée. Nous venons tout juste d’arriver au déficit zéro et, pour y rester, notre gestion doit demeurer très rigoureuse. Pour la première fois en 40 ans, enfin, nous vivons selon nos moyens, mais notre dette collective est importante et, nous le savons, nous sommes trop taxés. Une fois réglées les conventions collectives des infirmières et des 400000 employés avec des augmentations raisonnables de 5 % sur trois ans, il nous restera environ 400000000 $ pour augmenter les revenus de tous les contribuables par le biais d’une baisse d’impôts.
Il ne fait cependant aucun doute que, si nous devions céder aux demandes salariales des infirmières, cela ouvrirait une brèche pour les 400000 autres salariés du secteur public et pour des dizaines de groupes syndicaux et associatifs qui font la queue ces jours-ci pour augmenter leurs salaires, et ils ont tous de bons arguments. Et si nous devions leur donner raison, non seulement il serait impossible de rendre aux contribuables une réduction d’impôts, mais il faudrait soit augmenter leurs impôts ou recommencer les déficits. Il appartient au gouvernement que je dirige de gérer les fonds publics de manière équitable et d’utiliser la mince marge de manoeuvre que nous tentons de dégager pour en faire profiter tous les contribuables, qu’ils soient ou non employés de l’État, qu’ils soient ou non dans le secteur de la santé. Il est regrettable que la Fédération des infirmières et infirmiers ait décidé de créer une confrontation avec le gouvernement sur une question aussi clairement sans issue et se soit engagée sur la voie de l’illégalité. Cette action pose une question fondamentale en démocratie: Comment un groupe peut-il prétendre ne pas respecter les lois, refuser de se conformer aux ordonnances sur les services essentiels?
Les lois protègent tous les Québécois, les patients comme les infirmières. Et puisque la loi nous protège tous, il faut, en retour, la protéger, elle, en la respectant. Rompre ce pacte social serait un recul inacceptable.
La grève illégale de la santé a assez duré. Les patients du Québec ont déjà trop souffert. Il faut restaurer l’intégrité de la règle démocratique et de l’État de droit.
Demain, en début d’après-midi, si la grève n’est pas terminée ou en voie de l’être, je me verrai dans l’obligation de convoquer pour vendredi l’Assemblée nationale et lui proposer une loi ordonnant le retour au travail et imposant des sanctions qui, comme celles qui ont été signifiées depuis le début de la semaine, ne seront ni retirées ni effacées.
Aux infirmières et aux infirmiers du Québec, je voudrais dire ceci. Nous avons tous une très grande estime pour vous et pour le travail que vous accomplissez quotidiennement auprès des malades. J’en sais moi-même quelque chose personnellement. Le gouvernement reconnaît votre importante contribution à la réforme de la santé dont vous avez largement assumé les difficiles changements.
Depuis le début de la négociation, vous avez voulu améliorer vos conditions de travail, vous avez réussi; vous avez voulu alléger votre fardeau de tâche, vous avez réussi; vous avez voulu faire reculer la précarité, vous avez réussi; vous avez voulu rouvrir le dossier du rattrapage salarial, vous avez réussi. Vous en avez beaucoup accompli et vous avez gardé un important capital de sympathie que vous méritez totalement.
Mais, lorsqu’on est sur une telle lancée, le défi le plus important et le plus difficile est de savoir s’arrêter, de savoir éviter la confrontation inutile. C’est le défi qui est devant vous, qui est devant nous aujourd’hui. Il reste encore plus d’une journée avant que l’Assemblée nationale ne siège pour voter la loi. Notre devoir commun est de tout tenter pour éviter l’affrontement.
Vos dirigeantes invoquent qu’il reste encore des clauses normatives à régler. Elles reprochent également à l’exercice d’évaluation et de rattrapage salarial d’être trop long. Il n’y a qu’une façon de traiter de ces questions, c’est de retourner à la table de négociation. Pour cela, il faut que cesse cette grève illégale.
Je vous le demande. Mettez fin à la grève et donnez-nous, donnez-vous la possibilité de régler les clauses normatives qu’il reste. C’est aussi la seule façon de définir ensemble un processus rapide de comparaison des emplois afin d’identifier, le cas échéant, les ajustements et les rattrapages à faire. Il est encore temps de rentrer au travail dès demain, pour que nous puissions reprendre les négociations, régler les dernières clauses normatives en suspens et donner aux citoyennes et aux citoyens les soins auxquels elles et ils ont droit. Merci.
[ Le Modérateur: Questions. Katia Gagnon.
Mme Gagnon (Katia): M. Bouchard, les infirmières, qui étaient réunies hier, ont déjà annoncé qu’elles ne respecteraient pas une loi spéciale. Qu’est-ce qu’il y aura dans cette législation-là qui va les forcer à rentrer au travail?]
[ M. Bouchard:] D’abord, il y a le temps de la réflexion, il y a la prise en compte des responsabilités de chacun. Les infirmières sont des femmes de coeur, elles valorisent leur travail plus que n’importe quoi — elles l’ont prouvé — elles aiment leurs patients, elles sont conscientes de leur statut dans une société éminemment démocratique. De plus, nous avons une période devant nous encore. Il nous reste, enfin, quelques heures pour arrêter la grève et quelques heures pour reprendre les négociations et terminer, dans le respect de la loi, dans le respect des patients et dans l’honneur pour les infirmières, une grève qui a assez duré et qui, certainement, leur fait mal à elles aussi, j’en suis convaincu. Alors, je me dis qu’il y a du temps encore. Et puis après, bien sûr, si le temps et les derniers efforts ne suffisent pas, en supposant qu’ils soient déployés, il restera l’Assemblée nationale, qui est la grande institution démocratique de notre société, qui va se prononcer. Et, quelque part, j’ai la conviction, connaissant ces concitoyennes et ces concitoyens, que l’allégeance démocratique va jouer parce que nous sommes une société qui ne vit pas que pour une négociation, que pour 1 % ou 2 % ou 3 % d’augmentation de salaire, qui vit parce que nous sommes conscients d’avoir la chance de bénéficier de tellement de choses ici, de vivre en solidarité, et qu’elles voudront rester dans cette société avec le rôle qui est le leur, avec toute la sympathie que nous leur devons.
[ Mme Gagnon (Katia): Mais quel genre de sanction vous allez leur imposer, M. Bouchard?]
[ M. Bouchard:] On n’est pas rendu encore à la loi. J’espère encore que nous n’aurons pas à déposer cette loi. Quant au contenu de la loi — c’est un peu ça qui fait l’objet de votre question — il sera arrêté définitivement… Je ne vous cache pas que nous en avons discuté aujourd’hui au Conseil des ministres, mais le contenu sera arrêté définitivement demain soir, à un Conseil des ministres que j’ai convoqué pour 20 heures. J’espère que nous n’aurons pas à faire ce Conseil des ministres.
[ Le Modérateur: Gilles Morin.
M. Morin (Gilles): On ne tournera pas autour du pot, M. Bouchard, là, l’Assemblée nationale, vous la convoquez pour vendredi. Alors…]
[ M. Bouchard:] …
[ M. Morin (Gilles): Non, non, dans…]
[ M. Bouchard:] Non, non. Attention! Tout compte là-dedans. Les mots, M. Morin, comptent, et les réalités comptent. Elle n’est pas convoquée encore parce que je pense encore qu’il y a un espoir de règlement… en tout cas, de suspension, de fin de la grève illégale pour qu’on puisse reprendre les négociations et l’Assemblée ne sera convoquée qu’à partir du moment où, demain dans l’après-midi, je verrai que cet espoir est encore vain.
[M. Morin (Gilles): Bon. En tout cas, cette éventualitélà est sur la table, on ne peut pas le nier. Alors, estce que, dans le contenu du projet de loi de retour au travail, il y aurait les conditions de travail négociées ou non négociées, ou non conclues, qui pourraient s’appliquer aux infirmières et peut-être même à d’autres membres du secteur public?]
[ M. Bouchard:] Ça reste à voir. Je vous dis que le Conseil des ministres va siéger demain soir. Vous savez, dans ce genre de situation, on jongle avec tellement d’options, on cherche tellement à trouver le dénouement à cette situation intolérable qu’on les regarde toutes, les options, et qu’à la dernière heure on fait le choix. C’est vraiment demain soir qu’on tranchera la question.
[ M. Morin (Gilles): Je vais revenir là-dessus. Les conditions de travail, parce qu’on en a vu d’autres lois spéciales au cours des 30 dernières années…]
[ M. Bouchard:] Non, M. Morin. Je vous dis qu’elle n’est pas encore faite, la loi. Elle est en train d’être faite avec différentes possibilités et elles sont sur la table. Si on donne un temps de réflexion au Conseil des ministres…
[ M. Morin (Gilles): Et ces possibilités-là sont-
elles d’inclure les conditions de travail?]
[ M. Bouchard:] Je vous ai dit que nous regardons beaucoup d’options. Je ne veux pas aller plus loin pour le moment parce que je mise surtout sur la possibilité de reprendre les négociations avant d’en arriver à cette solution.
[ Une voix: Excusez-moi d’insister, M. Bouchard.
C’est parce que, dans votre texte, vous dites que, bon, les provisions sont prévues pour des augmentations de 5 % pour tout le monde. Vous avez toujours été ferme. Je vous repose la même question: Est-ce qu’il est déraisonnable de penser qu’on pourrait retrouver dans cette loi des conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs des secteurs public et parapublic?]
[ M. Bouchard:] Pour les autres? Bien non. Ils ne sont pas en grève illégale. La négociation n’est pas terminée non plus. Non.
[ Une voix: Même sur le 5 %?]
[ M. Bouchard:] Ce ne servira pas à régler les conditions de ceux qui ne sont pas en train de négocier avec nous.
[ Une voix: …de décréter la perte d’une année
d’ancienneté par jour de grève. Est-ce que vous avez écarté cette possibilité-là ou si c’est un élément qu’on pourra trouver dans la loi spéciale?]
M. Bouchard:] C’est déjà dans la loi existante.
[ Une voix: Mais, vous avez décidé à ce moment-ci de ne pas l’appliquer, ce…]
[ M. Bouchard:] À ce moment-ci, non.
[ Une voix: Pourquoi? Est-ce que vous estimez que c’est une sanction qui est très sévère?]
[ M. Bouchard:] Moi, vous savez, je ne suis pas le seul. On a examiné non seulement la disposition qui a été adoptée dans la loi 160 en 1989 par le gouvernement libéral, mais j’ai voulu savoir qu’est-ce qui était arrivé à cette disposition. Est-ce que ça a marché? Qu’est-ce que ça a donné? En 1989, le gouvernement l’a utilisée. Mais, en 1992, je crois, ils ont tout annulé parce que ça ne fonctionnait pas. Alors, c’est une sorte de bombe atomique qui ne marche pas tellement.
Alors, disons que, pour le moment, nous avons résisté à toute tentation qu’on aurait pu avoir de recourir à ce genre de sanction. Mais, on peut toujours y recourir, vous savez, à ce moment-là. La loi est adoptée. Elle est là. Il faut un décret du gouvernement pour l’activer.
[ Le Modérateur: On passe en anglais. John Grant.
M. Plante (Bernard): …tantôt, dans ma question, j’ai prononcé les mots «conditions de travail». Oublions le mot «conditions» et on va s’en tenir au 5 %. Est-ce que la loi pourrait prévoir de fixer, au chapitre salarial seulement, le 5 % pour l’ensemble — oublions les mots «conditions de travail» — sur le 5 %, l’augmentation salariale?]
[ M. Bouchard:] Pour les autres?
[ M. Plante (Bernard): Pour les autres.]
[ M. Bouchard:] À l’avance, fixer, non. Non, on ne pense pas à ça.
[ M. Plante (Bernard): Donc, vous êtes ouverts sur le
5 %.]
[ M. Bouchard:] Non, on veut respecter la poursuite des négociations. C’est qu’il va y avoir une négociation puis on veut que les gens puissent venir aux tables, qu’on puisse en débattre et leur expliquer pourquoi c’est 5 %.
[ (Fin à 17 h 36) ]
[QBOUC19990902cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec, et de M. Jacques Chirac, président de la France Salle du Conseil législatif Le jeudi 2 septembre 1999(Quinze heures cinquante-deux minutes)]
[ M. Bouchard:] Mesdames, messieurs, nous venons de faire un tour d’horizon, le Président et moi, des questions communes qui nous préoccupent. Nous avons d’abord convenu de la grande qualité des relations entre la France et le Québec, du niveau extrêmement satisfaisant des échanges culturels, économiques et politiques. Nous avons abordé plusieurs sujets, d’abord, bien sûr, le fait que le Sommet de Moncton se plaçait sous la rubrique de la jeunesse et qu’il y aurait maintenant, dans chaque programme de la francophonie, un volet jeunesse et que la jeunesse donc sera au coeur de nos préoccupations au Sommet de Moncton et dans les années qui vont venir. Nous en dirons plus long à Moncton.
Nous avons, de façon plus immédiate, discuté de la diversité culturelle, le grand chantier de la francophonie. Nous avons convenu que ça devait être le grand chantier de la francophonie à Moncton et par la suite. Nous nous sommes félicités de la coopération extrêmement étroite et extrêmement efficace que nous avons nouée sur ce plan, la France et le Québec. Nous avons reconnu que la France a été d’un grand appui dans la démarche québécoise pour participer à ces débats qui sont d’une nature essentielle, traitant de l’identité, traitant des grandes valeurs de civilisation, de la nécessité de maintenir une richesse, des apports et de la contribution à l’universel et que, comme francophones, nous avons un rôle à jouer et que nous devons le jouer et que nous devons également nous soucier qu’il y ait d’autres cultures qui puissent participer à ce grand mouvement. Donc, de ce côté, nous nous présentons à Moncton de concert et nous pensons même que ce sera un enjeu qui fera l’objet d’une grande unanimité dans les efforts que nous allons tous déployer à Moncton et par la suite. Nous avons également évoqué la question des droits de la personne. Nous en avons discuté. Nous avons fait une problématique de la situation. Nous avons échangé. Nous avons convenu que… D’abord, j’ai salué l’annonce que le Président français, à Moncton, allait proposer la création d’un observatoire des droits de la personne. C’est une initiative qui est extrêmement bienvenue et qui jouerait un rôle concret pour faire progresser la promotion des droits de la personne. Donc, certainement, le Québec appuiera cette proposition du président de la France. J’ai également proposé que nous puissions, dans le cadre des déclarations et du projet qui est déjà constitué, d’ailleurs, que nous puissions mettre au service des États les moins bien munis les ressources à même les fonds qui sont déjà prévus à cet égard, des ressources pour permettre la mise en place, le plus rapidement possible, de la ratification du traité sur la création d’une Cour pénale internationale pour les violations aux droits de la personne. Nous en discuterons donc à Moncton. Je pense que, là-dessus, nous serons également d’accord. Donc, dans l’ensemble, nous avons remarqué qu’il y avait une convergence à peu près totale. Pour les droits de la personne, en ce qui nous concerne, nous souhaiterions que l’évolution de la francophonie permette que la francophonie et les institutions francophones soient pourvues et nanties des pouvoirs qui permettront éventuellement des sanctions. Il peut y avoir des nuances du côté français à cet égard, mais je dois dire que les échanges ont été très corrects et extrêmement positifs et je n’ai qu’à m’en féliciter. M. le Président.
[M. Chirac (Jacques): Merci, cher ami. Je n’ai rien à ajouter à ce que vient de dire le premier ministre. S’agissant de nos entretiens, je voudrais simplement donner une remarque personnelle pour dire la joie qui est toujours et qui est à nouveau, une fois de plus, la mienne, d’être ici et, en particulier, à Québec, dans la ville de Québec, qui est une ville qui est d’abord superbe et qui, à mes yeux, est particulièrement émouvante pour des Français. Et je ne m’étonne pas que le nombre de nos compatriotes qui sont présents ici et que je voyais — en faisant quelques pas dans la rue, aujourd’hui — nombreux viennent de plus en plus, à titre touristique, dans cette région du monde et dans cette ville superbe.
Ma deuxième observation tient à un phénomène que j’admire toujours quand je viens au Canada et au Québec et qui est la pratique moderne de la démocratie. Il est certain qu’ici on pratique la démocratie d’une façon particulièrement approfondie. Ce matin, en rendant visite au maire qui nous a reçus dans la salle où se réunit le conseil, au maire de Québec JeanPaul L’Allier, il m’expliquait qu’au début de chaque séance du conseil, pendant 40 minutes et, à la fin, pendant 15 minutes, il y a des questions spontanées, non préparées, posées par tout citoyen qui veut se présenter et qui interpelle le maire ou l’opposition ou tel ou tel conseiller qui doit répondre sans aucune préparation, naturellement, et le tout sous l’oeil des caméras de télévision.
Je me dis, en voyant ça, que nous avons encore des progrès à faire en matière de démocratie, et c’est intéressant. Ça a également beaucoup impressionné les maires francophones réunis ici qui ont tous exprimé leur joie et aussi leur émotion à l’occasion de l’assemblée générale de l’AIMF, qui fêtait son 20e anniversaire.
Je voudrais enfin dire à mon ami Lucien Bouchard combien j’ai apprécié l’hospitalité et l’accueil qui nous a été, ici, une fois de plus, réservé et lui dire toute ma reconnaissance et toute ma très fidèle et cordiale amitié. Voilà.
Alors, je vois qu’il y a au loin des journalistes, et donc, nous sommes tous prêts à répondre à leurs questions.
La Modératrice: Questions en français. Michel Hébert.
M. Hébert (Michel): M. Chirac, on vous a vu hier, dans la capitale fédérale, dire que vous entretenez avec M. Chrétien, le premier ministre du Canada, des relations extrêmement amicales et chaleureuses. Qu’estce que vous dites à ceux qui, au Québec, pourraient s’inquiéter de cette amitié, surtout dans le camp des souverainistes qui comptent sur l’appui de la France dans leur démarche pour la souveraineté du Québec?
M. Chirac (Jacques): La France entretient avec le Canada — j’ai eu l’occasion de le souligner bien souvent — des relations effectivement amicales et chaleureuses, car il y a toutes les raisons pour cela, notamment le fait que le Canada est un grand partenaire pour la France dans le monde d’aujourd’hui et ce partenariat, qui avait été défini comme renforcé il y a quelques années, s’exprime dans notre coopération au niveau de l’ONU, de l’UNESCO, du G8 de façon active, etc. Et ceci n’a évidemment rien à voir, n’est aucunement en compétition avec les sentiments fraternels et également très cordiaux et chaleureux que la France porte aux Québécois et au Québec. Il n’y a pas de compétition particulière. Vous savez quels sont les liens d’amitié et de solidarité qu’elle a toujours exprimés et exprimera toujours, car elle n’a pas changé et ne changera pas de position à l’égard du Québec.
M. Hébert (Michel): Pouvez-vous nous rappeler les seuils ou le seuil de majorité usuellement reconnu en France dans ses référendums? On parle de Maastricht. Est-ce que c’était 50 % plus 1 ou si c’était autre chose? Et si, au Québec, un oui à 50 % plus 1 serait suffisant pour faire la souveraineté ici?
M. Chirac (Jacques): Vous savez, j’ai déjà été interrogé hier sur les problèmes constitutionnels. Et j’ai répondu que l’usage diplomatique n’est pas de se prononcer sur des événements qui n’ont pas eu lieu. J’ajoute — et chacun le sait — que quel que soit le chemin qu’empruntera le Québec, la France sera prête à l’accompagner dans un esprit, je le répète, d’amitié et de solidarité.
Le Modérateur: Madame.
Une voix: …de l’Agence Reuters. M. le Président, hier, vous avez réaffirmé votre détermination à ne pas transiger sur l’exception culturelle. Actuellement, en France, il y a une crainte et une colère dans le monde paysan qui monte et qui s’exprime fortement devant les risques que peut faire courir la mondialisation. Est-ce que vous comprenez cette colère du monde paysan qui demande que les produits agricoles soient protégés contre la mondialisation comme le sont les biens culturels? Estce que vous pensez qu’on peut faire un parallèle?
M. Chirac (Jacques): Je ne pense que l’on puisse comparer les choses. Les biens culturels sont des biens spécifiques qui ont une caractéristique propre, c’est de ne pas être marchands. Et c’est pourquoi nous avons toujours, en France, affirmé la nécessité de la diversité culturelle que nous avons appelée, nous, en son temps, l’exception culturelle. Et nous n’avons pas l’intention du tout de changer d’avis. Cela exprime simplement le fait que les biens culturels ne se vendent pas, ne s’achètent pas comme des marchandises ordinaires. C’est autre chose. C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables, et nous nous opposons, et nous opposerons à un traitement par l’OMC des biens culturels.
S’agissant des biens économiques, c’est un problème différent, et, si vous parlez des problèmes agricoles, alors, je dirais qu’il y a deux questions différentes. La première concerne la sécurité de l’alimentation et se traduit par des difficultés que nous avons aujourd’hui avec nos amis américains sur les OGM et sur la viande, enfin, le boeuf aux hormones. Ce n’est pas un problème francoaméricain, c’est un problème euro américain. Et là encore, nous ne céderons pas tout simplement parce que nous estimons qu’il n’est pas possible, moralement possible, de mettre en cause ce que nous appelons le principe de précaution, c’est-àdire de donner libre cours à un commerce qui pourrait mettre sur le marché des biens qui s’avéreraient ultérieurement nuisibles à la santé des habitants.
Puis il y a un deuxième problème que sont les intérêts économiques: la compétition internationale des producteurs agricoles, comme d’ailleurs des producteurs d’autres biens. Alors, là, c’est naturellement à l’OMC dont c’est la vocation de traiter, notre vocation à nous, c’est de défendre nos intérêts, et nous les défendrons avec autant d’efficacité que nous le pourrons. Je veux dire les intérêts de nos paysans, naturellement.
La modératrice: Je vois quatre journalistes de chaque côté, ce seront les seuls que nous prendrons. Elizabeth Thompson.
Mme Thompson (Elizabeth): Bonjour, M. Chirac. Ma question n’est pas du tout hypothétique, mais c’est pour vous demander de clarifier un peu de confusion qui est arrivée il y a quelques jours dans un briefing technique à Ottawa. Selon vous, est-ce que les Québécois forment un peuple, ou constituent un peuple?
M. Chirac (Jacques): Je vais vous dire: Moi, dans le passé, personnellement, j’ai utilisé, comme d’ailleurs tous mes prédécesseurs, les mots «peuple québécois» qui, en français, tel que nous le pratiquons en France, est une expression tout à fait raisonnable. Et je ne suis certainement pas venu ici pour ouvrir à ce sujet un débat, et encore moins une polémique. La position de la France dans ce domaine est connue. Elle n’a pas changé — elle est, je crois, comprise par tous — et elle ne changera pas.
Mme Thompson (Elizabeth): Les Acadiens forment un peuple. La Modératrice: Je m’excuse, compte tenu du nombre de personnes, je vous demanderais de vous réserver à une seule question, s’il vous plaît. Monsieur.
Une voix: M. le président, voilà deux ans maintenant que la francophonie a acquis une dimension politique. Or, je sais que deux ans ce n’est pas beaucoup, mais est-ce qu’il vous semble que ça a été suffisamment lisible, cette dimension? Et est-ce que ce n’est pas une raison pour laquelle vous allez proposer la création de cet observatoire des droits de la personne, dont a parlé M. Bouchard, et dont vous pourriez peut-être aussi nous parler un peu plus, s’il vous plaît?
M. Chirac (Jacques): Je crois qu’il faut partir d’une idée qui est à l’origine de la francophonie et qui s’affirme de plus en plus à savoir que, la francophonie, ce n’est pas une défense, un combat d’arrière-garde consistant à défendre la langue française, c’est un combat offensif et moderne. Qui est moderne parce qu’il correspond à la vision que nous avons du monde de demain et qui, pour nous, ne peut être qu’un monde multipolaire et marqué par une diversité croissante sur le plan culturel. Je me réjouis, après demain, nous irons dans le nouveau territoire créé ici qui s’appelle le Nunavut. Et je me réjouis des efforts qui sont engagés pour la langue inuktitutt qui est la langue… Parce que toute langue est porteuse, si modeste soit-elle et a fortiori si c’est une grande langue, de quelque chose d’essentiel sur le plan de l’expression de la culture. Et, par conséquent, tout ce qui va dans le sens de l’uniformisation va dans le sens de la réduction culturelle et probablement aussi de l’affirmation de réflexes identitaires par définition.
Donc, c’est un combat offensif et moderne dans un monde que l’évolution des technologies va marquer d’une caractéristique nouvelle: c’est que ce sera de plus en plus un monde du combat de l’intelligence. Et donc, je le répète, nous voulons un combat offensif et moderne pour la défense de la langue française, ce qui, naturellement, conduit à une appréciation politique et nous a conduits à transformer petit à petit l’organisation de la francophonie en un espace politique où la coopération, d’ailleurs, entre le Québec et la France apporte une dynamique particulière, comme on vient de le voir à Moncton, où la réunion ministérielle a permis de régler la quasi- totalité des problèmes et beaucoup grâce à une active coopération entre le Québec et la France. Je ne dis pas, naturellement, que les autres participants n’ont pas eu un rôle important, mais je veux dire que la coopération entre le Québec et la France a été un moteur des progrès et des décisions qui ont été prises.
Alors, voilà, nous menons ce combat pour le monde de demain et pour la place que nous voulons tenir dans le monde de demain.
La Modératrice: Mme Pitre.
Mme Pitre (Nathalie): M. le Président, récemment il y a eu querelle entre Québec et Ottawa concernant la notion de capitale nationale du Québec. Est-ce que la France reconnaît Québec comme étant la capitale nationale du Québec?
M. Chirac (Jacques): Ha, ha, ha! En grâce, n’est-ce pas, en grâce! Je ne vous cache pas que je trouve que ces polémiques sémantiques sont extrêmement difficiles à pénétrer.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Chirac (Jacques): Elles ont un côté ésotérique qui rend l’étranger perplexe, n’est-ce pas, et prudent lorsqu’il s’agit de s’exprimer à son sujet. Donc, je n’ai pas de commentaires à faire sur l’utilisation de tel ou tel mot.
La Modératrice: Madame.
M. Chirac (Jacques): En tous les cas, ce que je peux vous dire, c’est que nationale ou pas nationale, je viens toujours avec autant d’intérêt et de plaisir à Québec.
Mme Johnson (Sylvie): Sylvie Johnson de France Info. Et pour revenir à la francophonie politique, puisque le thème cette année, c’est la jeunesse, je voudrais savoir quelle est la réponse que la francophonie peut apporter à la lettre des deux jeunes Guinéens, ces deux jeunes Guinéens qui sont morts en juillet dans le train d’atterrissage d’un Airbus et qui lançaient un véritable appel au secours à Leurs Excellences chefs d’État d’Europe. Alors, quelle est la réponse que peuvent apporter Leurs Excellences de la francophonie?
M. Chirac (Jacques): Vous venez de dire vous-même qu’ils lançaient cette question aux chefs d’État, aux gouvernements d’Europe et non pas de la francophonie. C’est un drame; chacun l’a bien ressenti comme tel. Mais ce n’est pas la francophonie qui va régler, hélas! le problème des équilibres et des flux migratoires. Hélas!
La Modératrice: Suzanne Ouellet.
Mme Ouellet (Suzanne): M. le Président, sur la question de la diversité culturelle, on sait que, bon, les négociations de l’Organisation mondiale du commerce commenceront dans quelques mois. Est-ce que la mobilisation que le Sommet de Moncton voudrait faire sur cette question ne sera pas dans un délai très, très court pour réussir à amener cette bataille, entre autres, sur le territoire des négociations commerciales?] [M. Bouchard:]La question vous est dirigée; je peux y répondre. [M. Chirac (Jacques): Oui.]
[M. Bouchard:]Enfin. Est-ce que le temps ne presse pas au point qu’il sera trop tard pour agir? Je ne pense pas, au contraire. Les négociations de l’OMC s’engagent présentement, le débat sur la diversité vient de connaître un grand élan depuis quelques mois, et je crois que le Sommet de Moncton arrive à point nommé; on aurait voulu le céduler pour qu’il puisse jouer un rôle important dans le débat qui s’annonce qu’on n’aurait pas fait mieux.
[M. Chirac (Jacques): Je partage tout à fait ce sentiment.]
[Mme Saint-Oly (Dominique): Dominique Saint-Oly, France 2. M. le Président, vous avez prévu une petite échappée après-demain pour aller rencontrer les Acadiens, alors est-ce que c’est par nostalgie ou est-ce que c’est au contraire pour leur donner ou leur adresser un signe d’espoir particulier?
M. Chirac (Jacques): Oh! C’est d’abord, je ne vais pas essayer de trahir mes sentiments, je suis très heureux d’y aller. C’est la première fois que je vais en Acadie et ça me fait plaisir parce que c’est, là aussi, tout un rêve. J’ajoute que nous entretenons avec la communauté acadienne et la Société d’Acadie des relations permanentes et tout à fait cordiales, naturellement, et je suis heureux d’en porter témoignage. Et puis, enfin, ce n’est pas moi qui ai choisi Moncton comme lieu du Sommet; c’était la responsabilité du Canada, qui a choisi Moncton. Eh bien, je ne peux que me réjouir de l’occasion qui m’est donnée d’aller ainsi en Acadie. La Modératrice: Une dernière question en français puis des questions en anglais. Une voix: M. le Président, votre horaire pendant votre visite est marqué par un contact, si je peux dire, soutenu avec ce que vous appelez les «arts premiers», visites au Musée des arts inuit et autochtones. J’aimerais savoir d’où vient cet intérêt qui paraît être assez profond de votre part.
M. Chirac (Jacques): Vous savez, chacun a son petit jardin personnel sur le plan culturel. Pour certains, c’est telle ou telle forme d’art: la musique, les arts plastiques, d’autres encore, la danse et pour d’autres, c’est telle ou telle forme d’arts plastiques. Et moi, je me suis toujours intéressé à l’art des Premières Nations, ce que nous appelons «les Premières Nations»; le terme d’ailleurs n’est pas bon. Et c’est ce qui m’a conduit d’ailleurs à prévoir la création, qui s’achèvera dans trois ou quatre ans, d’un musée, d’un grand musée à Paris, où ces arts n’étaient pas encore reconnus, et qui concernera notamment les arts de l’Arctique, d’où l’intérêt que je leur porte, mais aussi ceux de l’Insulinde, de l’Afrique, de l’Amérique précolombienne et du Pacifique. Voilà, ça, c’est une question de sensibilité et de goût. Et j’ai beaucoup apprécié, hier, la très belle exposition d’art inuit que j’ai vue au Musée d’Ottawa et je me réjouis d’aller maintenant, d’ailleurs, au musée Brousseau pour voir les collections de M. Brousseau, d’art également inuit.]
[M. Chirac: Je vous remercie de l’intérêt que…
M. Kalb (Richard): Pouvez vous répondre en anglais? Pouvez- vous répondre en anglais? Votre anglais en 1995 semblait être très, très bon.
M. Chirac: Oui. Écoutez, je suis content que vous m’ayez posé la question en anglais, malgré une pratique du français qui a l’air excellente, et comme je veux essayer de maîtriser mon sujet aussi bien que possible et que mon anglais est loin d’être parfait, je vous répondrai donc en français, et j’ai une raison particulière pour le faire. D’abord, je voudrais vous remercier de l’intérêt que vous portez à mes déclarations antérieures, je trouve ça, pour moi, assez flatteur, et je vous en remercie. Deuxièmement, j’ai dit, et j’ai d’ailleurs eu l’occasion de répondre à ce sujet, hier, qu’en toute hypothèse nous n’avons pas à évoquer des problèmes qui ne sont pas, ou des ivénements qui ne sont pas encore arrivés. J’ai dit et j’ai répété qu’en toute hypothèse et quel que soit le chemin que le Québec empruntera, la France sera prête à l’accompagner, dans un esprit d’amitié et de solidarité. C’est ce que j’ai dit et je le répète, il n’y a aucune modification dans ma position. Si vous voulez aller plus loin, vous pourriez me dire: Mais si, il y a une petite modification. Et vous auriez raison. Et cette petite modification, ça tient au fait que j’avais commis, ce jour-là, l’erreur de parler en anglais et que j’avais utilisé le mot « recognize », qui me paraissait adapté, peut-être parce qu’il était proche du mot français; j’aurais dû dire, probablement, « acknowledge » ou quelque chose comme cela. Ça vous aurait évité, à ce moment-là, de réfléchir probablement longuement pour savoir si par hasard et dans quelle
mesure je me suis contredit ou non. Voilà. Résultat: Parlez dans votre langue, c’est le meilleur moyen de ne pas risquer d’être incompris. Je vous remercie.]
[La Modératrice: Merci beaucoup. Au revoir.
(Fin à 16 h 22) ]
[QBOUC19991217cp]
Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec Bilan de la session Le vendredi 17 décembre 1999 (Douze heures dix-huit minutes)]
[ M. Brassard: Quelques remarques brèves avant de passer la parole au premier ministre concernant la session qui va prendre fin dans les quelques heures qui viennent. Un des derniers gestes importants qu’on devrait poser, ça devrait être un vote nominal sur le projet de loi concernant ce qu’on a appelé les clauses orphelin, les clauses de disparités de traitement. Statistiquement parlant, on a quand même adopté un bon nombre de lois au cours de cette session qui s’achève — plus de 50. Il y a eu aussi surtout beaucoup de consultations générales. Pour un gouvernement, au début de la session, que certains avaient tendance à accuser d’arrogance ou de ne pas tenir compte des points de vue et des opinions de la population, on a tenu plusieurs consultations générales, entre autres, sur la fiscalité, les baisses d’impôt, la place de la religion à l’école, les clauses orphelin également aussi, le transport par taxi, et puis, vous avez pu constater aussi qu’il s’en annonce plusieurs pour l’an 2000, dans l’intersession: le projet de loi sur la sécurité des incendies, sur la sécurité dans les transports, le projet de loi sur la police, le régime d’assurance-médicaments. Il y aura des consultations générales en commission parlementaire au cours des mois qui viennent, au début de l’an 2000. C’est vrai qu’on peut cependant qualifier le bilan législatif de modeste, sur le plan qualitatif. Il n’y a pas de lois ou de réformes majeures, quoiqu’on puisse considérer, je pense, le projet de loi sur les clauses orphelin comme une loi majeure qui innove, qui place le Québec comme étant le seul État dans le monde à avoir légiféré en cette matière. Ce n’est pas banal. C’est vrai, il n’y a pas de réforme majeure. Mais quand on regarde la nature de beaucoup de ces 50 législations ou 50 lois, on se rend compte, cependant, que la plupart apportent des améliorations à beaucoup de lois existantes, tient compte des intérêts d’un bon nombre de groupes ou d’organisations dans notre société. Donc, l’ensemble de ces lois, même modeste, a pour effet d’améliorer les choses pour pas mal de monde au Québec. Évidemment, vous avez la liste, on pourrait en citer plusieurs à cet égard. Alors, ça s’est terminé… c’est un fait à souligner aussi, il y a eu une seule motion de suspension des règles — phénomène assez rare — on aurait pu même s’en passer. Mais ils ont jugé — je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs, je comprends mal leur choix — de faire de l’obstruction systématique sur un projet de loi qui concerne quelque 7000 personnes au Québec et qui portait sur la fusion des municipalités de MontTremblant et de Saint-Jovite. On a dû recourir à la suspension des règles pour faire adopter cette loi. Choix curieux de la part de l’opposition que de cibler cette loi pour contraindre en quelque sorte le gouvernement de recourir à la suspension des règles. Mais, enfin, c’est leur choix. Mais n’eût été de ce projet de loi, on aurait pu terminer la session sans bâillon ou sans suspension des règles, tout en adoptant le menu législatif qu’on s’était fixé au départ. Voilà.]
[ M. Bouchard:] Bonjour tout le monde. D’abord, je voudrais remercier M. Brassard de son travail très efficace à la Chambre et de l’attitude toujours respectueuse qu’il a maintenue à l’égard de notre institution parlementaire. Je voudrais souligner certaines lois importantes que le gouvernement a présentées ou fait adopter. La première reste celle sur les clauses discriminatoires, mieux connues sous le nom des clauses orphelin. Cette législation, la toute première en Amérique du Nord, répond à l’une des revendications principales des jeunes du Québec et s’attaque principalement et directement à ce phénomène. Je suis tout à fait fier du fait que notre gouvernement, après s’y être engagé en campagne électorale, ait pu mener à terme cette initiative avec un souci d’équilibre et dans le respect de tous nos partenaires. Nous avons aussi fait adopter une législation modifiant la Loi sur la fonction publique et sur l’imputabilité des sous-ministres et des dirigeants d’organismes publics. Je conviens que le titre n’est pas très révélateur, pourtant, cette loi, elle permet d’étendre à un plus grand nombre de candidats la possibilité d’accéder à la fonction publique. Par conséquent, le gouvernement pourra atteindre son objectif de faire en sorte que notre fonction publique représente mieux notre société, que plus de Québécoises et de Québécois de diverses origines puissent trouver un emploi et gagner leur vie dans l’appareil gouvernemental.
Je ne peux passer sous silence l’adoption de la loi portant sur le travail des enfants et la loi interdisant aux mineurs l’accès aux billets de loterie. Il faut souligner aussi la présentation hier du projet de loi n 86, pièce législative majeure, qui permettra sans soute à la Sûreté du Québec, notre police nationale, de mieux faire le travail qui est le sien et de se montrer à la hauteur des attentes de la population.
Nous avons aussi soumis mercredi dernier à l’Assemblée nationale une loi qui deviendra l’une des pièces de résistance de notre prochain menu législatif. C’est à dessein que je qualifie la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec de pièce de résistance. Cette loi n’en est pas une qui s’inscrit dans la gestion normale de notre État. Elle ne vise pas à réformer l’une de nos grandes fonctions étatiques. Elle ne s’inscrit pas non plus dans la gestion quotidienne du gouvernement. Mais elle exprime ce que nous sommes et réaffirme les droits et prérogatives de notre peuple. Bien sûr, elle a été présentée parce que nous n’avions pas le choix. L’attaque fédérale contre notre liberté de choisir ne nous laissait pas beaucoup d’alternatives. Depuis plusieurs mois, nos énergies étaient pourtant consacrées à d’autres priorités.
Sur le plan parlementaire, l’équipe gouvernementale a maintenu sa cohésion et bien travaillé dans un contexte que l’actualité n’a pas rendu toujours facile. Vous aurez d’ailleurs remarqué, tout au long de cette session, que le comportement des membres de notre groupe parlementaire a été respectueux du décorum entourant les travaux. Il faut reconnaître que l’action gouvernementale et le travail acharné des ministres concernés ont porté fruit. Par exemple, Emploi-Québec, les ajustements nécessaires en phase d’implantation ont été faits et les efforts consentis pour en recentrer la mission. Les services sont maintenant pleinement assurés, et cette réforme deviendra certainement un succès. L’opposition nous avait annoncé un grand ramdam parlementaire. Le chef de l’opposition a posé quatre questions principales seulement sur la question.
Sur l’économie et la fiscalité, tous auront constaté que l’opposition n’a pas souvent interrogé le vice-premier ministre et ministre d’État à l’Économie et aux Finances. Il faut dire que les progrès économiques du Québec ne justifiaient guère d’attaques contre le ministre de l’Économie. Au contraire, il aurait fallu le féliciter. Il faut reconnaître que l’objectif fondamental du gouvernement, qui est de redresser les finances publiques et de relancer l’emploi, est en train d’être atteint. Je ne dis pas parfaitement, parce que ce ne sera jamais atteint assez bien. Nous sommes dans la très bonne direction, nous faisons des progrès réels. Quand on pense que le taux de chômage au Québec est à son plus bas niveau depuis 1976, il y a quelque chose là. C’est que le gouvernement n’a pas dû tout faire mal pour qu’on puisse arriver à un pareil résultat. Du côté de l’investissement privé, qui est une des clés de l’économie, de la relance de l’économie, on sait que nous faisons mieux que le reste du Canada, puisque chez nous les investissements privés augmentent plus rapidement, à un niveau de 9,5 %, alors qu’au Canada il est de 6,2 % en 1999. En 1998, ils augmentaient de 4,1 % au Québec, alors qu’ils diminuaient légèrement au Canada… Quant à ce qui se passe du côté de l’aide sociale, je rappelle qu’en 1998 le Québec a connu sa plus importante baisse de personnes inscrites sur l’aide sociale: moins 69000 prestataires et, depuis 1999, ça continue, nous en avons moins 56000 encore de moins. La confiance des ménages au Québec a atteint son plus haut niveau des 10 dernières années et ça continue encore de s’accroître en 1999. Je crois que nous pouvons ajouter qu’en santé et en éducation les réinvestissements annoncés ont été fort utiles. Mais l’augmentation des coûts, particulièrement en santé, nous oblige à une gestion rigoureuse et efficace et efficiente. La situation est rendue encore plus difficile par le comportement du gouvernement fédéral qui, bien qu’assis sur d’énormes surplus, refuse de nous remettre notre juste part. J’ajouterai que je suis très fier du gouvernement que je dirige. Ce groupe d’hommes et de femmes rassemblés par le même idéal gère le Québec rigoureusement et surtout avec une conscience aiguë de l’intérêt public. Nous savions que l’automne serait difficile, nous avions plusieurs fers au feu. Je tire un trait sur cette session parlementaire en soulignant notre bilan positif. Nous avons maintenu le cap, tenté de corriger ce qui devait l’être et surtout pris les moyens pour préserver, au bénéfice des Québécoises et des Québécois, la liberté de faire des choix, de faire les choix qui leur conviennent. Je vous souhaite de très joyeuses Fêtes. Merci.
[ M. Thivierge (Jean): Michel Cormier.
M. Cormier (Michel): M. Bouchard, vous avez invoqué à plusieurs reprises la question de la clarté depuis quelques jours en référence à la question d’un référendum prochain. Est-ce qu’on peut voir un petit peu plus ce que vous voulez dire? Vous avez dit en Chambre que la question de 1995, par exemple, était suffisamment claire, à tel point que M. Chrétien l’avait comprise. Mais au Devoir, en 1998, vous disiez qu’il faudrait une question plus claire la prochaine fois. Qu’est-ce que vous avez en tête au juste?]
[ M. Bouchard:] Je suis convaincu que, quand on fait un référendum, c’est d’une importance cruciale qu’il y ait le moins possible de débats autour de la clarté de la question. Il faut que le débat porte sur le contenu, sur le mérite même du sujet qui est soumis à la population pour fins de consultation populaire. Et, dans cette mesure, nous sommes les premiers à reconnaître que nous devons être aussi clairs que possible dans la rédaction de n’importe quelle question qui est soumise à un référendum. Et, dans cette mesure, je pense qu’on peut faire confiance à l’Assemblée nationale et aux députés que nous élisons ici pour remplir cette obligation. Ce à quoi nous en avons, ce n’est pas à la clarté de la question. Nous savons bien qu’il faut qu’elle soit claire, la question. Parce que, dans la mesure où on veut que le résultat du référendum soit probant et qu’il puisse être exécuté, il faut qu’il y ait une autorité, une crédibilité. Alors, le résultat dépend de deux choses: il dépend de la clarté de la question et il dépend du niveau de la majorité obtenue. Alors, du côté de la clarté, je n’ai aucune hésitation à dire que nous sommes prêts à assumer l’obligation et nous le reconnaissons, et nous sommes prêts à assumer l’obligation de la clarté. Mais il y a un autre aspect dont le fédéral n’en parle pas, sa publicité n’en parle pas, c’est le niveau d’appui requis. Et là, le gouvernement fédéral, dans son projet de loi, est pris en flagrant délit de rupture avec toutes les règles applicables dans le domaine de la démocratie, c’est-à-dire que c’est la majorité absolue de
50 % plus un qui tranche entre le succès ou l’échec dans tout référendum. Lui-même, le gouvernement fédéral l’a reconnu au Québec depuis le début, chaque fois qu’il y a eu des référendums, il l’a reconnu dans le cas de Terre-Neuve, il participe à ce qui se passe, maintenant, à la mise en place des résultats dans d’autres pays du monde ou dirigés par les hospices l’ONU. Il y a des référendums qui ont été conduits, l’ont été sous la règle de l’ONU de 50 % plus un, alors il y a là certainement un dévoiement des règles universelles démocratiques qui s’appliquent et, dans cette mesure, je pense que nous sommes parfaitement fondés de le rappeler dans un projet de loi.
[ M. Cormier (Michel): Mais quand vous avez dit, en 1998, que la question de 1995, peut-être pas qu’elle n’était pas suffisamment claire, mais que la prochaine devrait être plus claire, qu’est-ce que vous aviez en tête au juste?]
[ M. Bouchard:] On verra, c’est la rédaction de la question qui compte. On ne vous dira pas la question aujourd’hui. Déjà qu’on doit faire face au gouvernement fédéral qui nous dit qu’est-ce qu’il faut mettre dans la question, quel mot qu’il faut employer puis quel mot qu’il ne faut pas employer, ça va très loin. C’est quelque chose d’absolument brutal, de grossier je dirais. Il y a un parlement à Ottawa qui prétend dicter à un autre parlement qui est dans ses juridictions fondamentales comment rédiger une question et surtout quel mot il devrait employer, et tel autre mot il ne faut pas, il ne faut pas qu’il y ait plus que telle chose! Et je ne dis pas que ça ne le regarde pas, je ne dis pas que ça ne regarde pas le Canada anglais et le gouvernement fédéral de savoir comment le référendum va se dérouler. Après tout, le Canada est directement en cause dans un référendum où le Québec veut devenir un pays souverain, je reconnais cela, mais ce que je dis, c’est que ce n’est pas au Parlement fédéral d’édicter des règles juridiques. Parce que la Cour suprême aurait pu édicter des règles juridiques là-dessus, elle ne l’a pas fait, elle s’en est abstenue et elle a dit: Pourquoi? Ça, c’est du domaine politique. Alors, que le Parlement fédéral décide de s’immiscer dans la mise en place de contraintes juridiques avant même que le processus doit commencer, c’est inacceptable. Il est entendu que pour ce qui est de la clarté de la question, les parlementaires, les acteurs politiques, comme les appelle la Cour suprême, dans le débat qui aura lieu dans le cadre d’un référendum, vont bien sûr pouvoir s’exprimer et dire ce qu’ils pensent de la question. Et, justement, c’est pour cela que nous avons intérêt à ce que soit le plus clair possible, la question, pour éviter qu’ils fassent détourner le débat sur la question au lieu du contenu du projet. Mais, pour ce qui est de la majorité, par exemple, là, ils sont allés très, très loin. En fait, je pense que c’est contraire à ce que la Cour suprême a décidé. La Cour suprême a délibérément écrit qu’elle ne voulait pas se prononcer sur le niveau quantitatif de la majorité. Quantitatif, c’est quoi, ça? C’est le niveau réel d’arithmétique, donc, s’en remettant aux règles universelles que viole de façon très nette et très flagrante le projet de loi fédéral. Et je pense qu’ils ne s’en tireront pas, hein. Plus les gens vont analyser la situation, plus les gens vont voir ce qui se passe, plus les gens vont réaliser ce que veut faire le gouvernement fédéral. Ça va être un tollé. Les gens n’accepteront pas qu’un Parlement mette de côté la règle démocratique 50 % plus 1 % et se réserve en plus, de façon totalement discrétionnaire, le droit de dire: Je jugerai du niveau requis quand j’aurai vu le niveau atteint. Bon, parions que la barre du fédéral va monter toujours un petit peu au-dessus du gouvernement, du niveau atteint par la réalité. En fait, c’est ridicule. Les enfants qui joueraient un jeu comme ça, puis qui s’imposeraient une règle comme ça s’accuseraient de tricher.
[ M. Théberge (Sylvain): Robert Houle.
M. Houle (Robert): Vous avez fait un appel à la population pour qu’elle vous appuie. Vous n’avez pas eu l’appui de l’opposition qui, elle…]
[ M. Bouchard:] Pas encore.
[ M. Houle (Robert): …a obtenu une majorité des voix lors de la dernière élection.]
[ M. Bouchard:] Non. Non, non.
[ M. Houle (Robert): Est-ce que vous…]
[ M. Bouchard:] L’opposition n’a pas eu la majorité des voix à la dernière élection.
[ M. Houle (Robert): Bien, je peux poser ma question.]
[ M. Bouchard:] Non, mais il faut y aller préambule… pour aller plus vite dans la réponse.
[ Des voix: Ha, ha, ha!
M. Houle (Robert): Pour mieux répondre.
Est-ce que vous considérez, M. Bouchard, que cette pièce législative est suffisamment importante pour que, lorsqu’elle sera adoptée à l’Assemblée nationale, vous sentiez le besoin d’aller chercher cet appui auprès de la population d’une façon ou d’une autre, par une élection ou par un référendum?]
[ M. Bouchard:] A priori, je ne vois pas que ce soit nécessaire. A priori.
[ M. Houle (Robert): A priori. Mais ce n’est pas…]
[ M. Bouchard:] Je n’ai aucune de ces intentions et je pense que, selon ces deux questions, c’est que l’institution attaquée, l’institution démocratique des Québec, l’institution par excellence, l’Assemblée nationale, statue par un projet de loi sur la question. Donc, on n’a jamais évoqué ce genre de considération ou d’hypothèse que vous avez à l’esprit.
[M. Houle (Robert): Est-ce que c’est une possibilité ou si vous l’écartez systématiquement?]
[ M. Bouchard:] Ce n’est pas une possibilité probable.
[ M. Théberge (Sylvain): Gilbert Leduc.
M. Leduc (Gilbert): M. Bouchard, si vous me permettez une question sur les négociations dans le secteur public, les dernières heures ont vu tomber un certain nombre de règlements, du moins une entente de principe avec un groupe, puis on me dit qu’aux autres tables ça va bien, il reste les négociations à la table centrale. Est-ce que le gouvernement est prêt à bonifier son offre salariale et est prêt également à bonifier les régimes de retraite avec les surplus?]
[ M. Bouchard:] Les négociations ont atteint le rythme qui, en général, annonce un règlement proche. Depuis plusieurs jours, c’est intensif. La table centrale, elle-même, siège. Les nouvelles sont excellentes du côté des tables sectorielles. La plupart des tables sectorielles sont sur le bord, à toutes fins pratiques, d’un règlement. Je dirais même que, dans plusieurs cas, le règlement n’est pas annoncé, n’est pas scellé parce qu’on attend ce qui se passera à la table centrale. Donc, l’action, actuellement, elle est surtout à la table centrale. Je ne vous dis pas que c’est réglé partout, là. C’est moins avancé, encore que ce soit très avancé dans le cas de la CEQ, notamment, mais tout va se jouer au cours des prochaines heures à la table centrale qui, depuis maintenant quelques jours — encore cette nuit; ça devait reprendre ce matin — travaille intensément autour des enjeux monétaires lourds, ceux que vous avez mentionnés, c’est-`dire les paramètres, de quel pourcentage les salaires sont redressés chaque année et les bonifications aux régimes de retraite qui sont demandées par le front commun.
Alors, nous avons fait un mouvement substantiel, très important, la semaine dernière, pour porter de 5 % à 6 % notre proposition de redressement salarial. Il faut savoir que c’est beaucoup d’argent; 1 %, c’est 200000000 $, et c’est récurrent. Alors, on a vraiment travaillé très fort dans nos marges de manoeuvre puis dans les engagements qu’on a pris de baisser les impôts de 400000000 $ au mois de juillet, et ainsi de suite, pour pouvoir se dégager une capacité de bonifier de 1 %, ce qui est considérable, le 200000000 $ par année.
Je sais que, du côté des centrales, il y a encore un écart par rapport… il y a eu des mouvements du côté des centrales par rapport à leurs demandes des paramètres, mais l’écart n’est pas comblé par rapport à notre dernière offre, et les gens discutent présentement sur des bonifications aux régimes de retraite. Nous, nous parlons de congés de cotisations partiels.
Vous m’avez demandé: Est-ce que les offres sont finales? Le mot «finales», dans les négociations, on le prononce quand c’est final, dans le sens que quand on signe les conventions collectives. Il faut toujours se réserver de faire des mouvements de réaménagement pour essayer de trouver des solutions aux problèmes de l’autre. Alors, actuellement là, on fait le maximum de ce qu’on peut pour essayer de trouver des solutions pour entrer dans le cadre de ce qui est possible pour nous.
[ M. Leduc (Gilbert): Est-ce que les marges de manoeuvre sont encore existantes pour que vous puissiez augmenter votre…]
[ M. Bouchard:] Non, les marges de manoeuvre, elles sont extrêmement serrées. Tout à l’heure, à l’Assemblée nationale, nous avons évoqué ce grand débat qu’a annoncé Mme Marois sur la santé. Mais le financement des programmes en général, c’est un très grand débat qu’il faut faire l’année prochaine. Je me propose, moi, de l’amorcer aussi vite que nous le pourrons pour que la population du Québec sache exactement où elle en est. C’est elle qui est directement concernée en ce qui concerne ses ressources budgétaires par rapport aux dépenses qu’elle doit consentir en raison des services qui sont attendus. Et il y a très souvent un manque d’adéquation entre le niveau de service qui est attendu et les moyens qu’on a pour les rendre. Surtout que certains de ces services sont en train de montrer des coûts qui explosent.
Alors, il y a un très grand débat à faire, qui met en cause en effet tout le régime de santé, mais également qu’est-ce qu’on doit investir dans l’éducation et tous les autres ministères qui vivent avec des contraintes extrêmement dures, depuis déjà plusieurs années, face à nos engagements de réduire les impôts, face à nos rentrées fiscales. Parce que, présentement, c’est vrai que nous avons de bonnes années économiques. C’est vrai puis ça paraît également dans les entrées fiscales. Mais pour peu qu’on entre dans une période de récession, l’eau rentre dans la chaloupe puis vite, vous le savez. Alors, il faut que les Québécois sachent ça, il y a des choix à faire. Il y a vraiment des choix à faire. Et, moi, personnellement, après quatre années de gestion gouvernementale, j’en suis venu à la conclusion — puis je ne suis pas le seul au sein du gouvernement — qu’on ne pourra pas indéfiniment gérer le Québec comme on le fait présentement. C’est trop serré. Le moindre événement nous fait déborder de nos budgets. Il y a des endroits où il faut investir. Dans l’éducation, par exemple, il faut investir dans l’éducation. Il faut investir dans la recherche universitaire. Et on ne peut pas le faire autant qu’on le voudrait. Et si on veut préparer l’avenir pour les jeunes, il faut le faire.
Alors, je suis convaincu que ce genre de débat là, on l’aura certainement au Sommet de la jeunesse et du Québec. Ce sera un endroit là pour le poursuivre et il faudra l’amorcer même un peu avant.
[ M. Girard (Normand): M. le premier ministre, vous avez fait le point sur la négo avec les grandes centrales. Qu’en estil des négos avec vos fonctionnaires et les professionnels du gouvernement et votre promesse de donner la permanence aux 5000 occasionnels qui se promènent un peu partout? ]
[ M. Bouchard:] Bon. Les engagements qu’on a contractés vont être tenus. Et quand je vous dis que les négociations vont bien, là, c’est tout le monde. Ça comprend également les fonctionnaires et les professionnels. Vous savez, quand ça arrive à la fin comme ça, tout le monde rapplique autour de la table centrale. Ça s’est passé les dernières nuits, là. Les gens appelaient de partout, puis tout le monde veut être dans la mouvance des dernières décisions qui se prennent. Alors, je me croise les doigts puis j’espère bien qu’on pourra régler l’essentiel de ce dossier très lourd et très épineux pour les Fêtes. Ça serait un beau cadeau à faire aux Québécoises et aux Québécois.
[ M. Théberge (Sylvain): Bernard Plante.
M. Plante (Bernard): Pour en revenir à la première question, M. Bouchard, vous avez dit que vous étiez prêt à assumer le principe de la clarté de la question.
Concrètement, dans le projet de loi par exemple, qu’est-ce que ça veut dire «prêt à assumer le principe de la clarté de la question»?]
[ M. Bouchard:] Bien, on verra. Moi, je m’attends à ce que l’opposition, que ce soit l’opposition officielle comme M. Dumont, réfléchissant au projet de loi, nous fasse des propositions de modification. Il y a un processus pour ça. Ils auraient pu le faire cette semaine, mais ils ont décidé de le faire peut-être plus tard. Moi, je mets sur le compte du désir de la réflexion le fait qu’on a remis à plus tard la discussion des modifications possibles à apporter au projet de loi, et nous sommes donc disponibles à regarder qu’est-ce qui peut être inclus dans le projet de loi. Cependant, s’agissant de la clarté de la question, pour régler le problème véritablement de façon totale, il faudrait les rédiger dans la loi, les questions de ce genre. On ne le fera pas ça. Un projet de loi, ce n’est pas le moment de rédiger des questions. Mais il peut y avoir des références à l’obligation de clarté, mais on verra.
[ M. Plante (Bernard): Sur le bilan de la session, M. Bouchard, M. Charest a résumé — de la session et de la performance de l’ensemble du gouvernement — en disant…]
[ M. Bouchard:] Il ne devait pas être d’accord, j’ai l’impression.
[ M. Plante (Bernard): …en disant: Le gouvernement du déficit zéro est devenu le gouvernement des politiques zéro; zéro en éducation, santé, etc. Comment vous réagissez à cette critique du chef de l’opposition?]
[ M. Bouchard:] Ce sont des formules.
[ M. Brassard: Il est très sévère. Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] Ce sont des formules sévères. M. Charest est… Les chefs de l’opposition, en général, sont des juges sévères des performances des gouvernements.
[ Des voix: Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] Moi, quand j’étais à Ottawa, je cherchais des formules comme ça, puis je la trouve assez bonne, celle-là. Je m’en suis permis…
[ Des voix: Ha, ha, ha!]
[ M. Bouchard:] …quelques-unes, moi, des phrases lapidaires pour stigmatiser les méchants gouvernements auxquels on fait face quand on est chef de l’opposition. Je pense que l’opposition joue son rôle, un rôle d’opposition…
[ M. Brassard: Pour que ça puisse faire des bonnes cotes, aussi.]
[ M. Bouchard:] Oui. D’opposition — c’est normal — critique. Il est certain que, à partir du moment où vous avez un gouvernement qui décide de les prendre, les décisions qui n’ont pas été prises, ça braille, il y a du brasse-camarade, et puis on savait qu’il y en aurait.
N’oubliez pas que — je le répète, parce que c’est vrai, là — c’est la première fois en 40 ans, c’est la première année en 40 ans que les Québécoises et les Québécois se sont tracé une patinoire puis ont posé des bandes autour d’un terrain, puis on n’en sort pas puis on dit: C’est là-dedans qu’on va gérer, c’est-à-dire avec notre argent. Cette année, là, on n’empruntera pas. On a assez de payer les intérêts sur la terrible dette qui a été contractée pendant 40 ans où on dépensait très librement que, maintenant, à part de ça, on va arrêter d’emprunter puis on va gérer avec notre argent. Ça, c’est dur à faire quand on ne l’a pas fait depuis 40 ans, c’est très dur à faire. Donc, on prend tous les jours des décisions difficiles, tous les jours.
C’est une des raisons pour lesquelles je ne commente plus les sondages, parce que, les sondages, ils sont tous contre ces décisions-là. Voulez-vous qu’on fasse telle compression? Voulez-vous qu’on cesse de rendre tel service? Voulez-vous qu’on… Bien non! Non, non, non. Mais, nous autres, on est obligé, là. Il y a, en quelque part au Québec, des gens qui sont obligés de ramasser tous les morceaux, puis de faire toutes les additions, toutes des soustractions, puis c’est au gouvernement du Québec pour que ça égale zéro à la fin de l’année, que nos rentrées égalent ce qu’on dépense. Puis n’oubliez pas que, dans nos dépenses, il y a 8000000000 $ par année d’intérêt sur une dette qui a été constituée pendant 40 ans de libéralisme — j’ai employé un mot gentil, de libéralisme — de gestion.
[ M. Théberge (Sylvain): Jean Thivierge.]
[ M. Bouchard:] Mais le libéralisme n’étant pas l’apanage des libéraux.
[ M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, j’aurais deux questions. Tout d’abord, sur les négociations du secteur public, si je comprends bien, tantôt, concernant les paramètres des augmentations de salaire, il sera difficile de décoller de l’amélioration, à ce moment-là…]
[ M. Bouchard:] Très difficile. L’effort, on l’a fait la semaine dernière.
[ M. Thivierge (Jean): …est-ce que vos négociateurs ont…]
[ M. Bouchard:] Enfin, je considère… Je m’excuse, là, je ne veux pas… Vous savez, l’effort, là, ce qu’on pouvait faire d’essentiel, je considère que nous l’avons fait. Et j’ajouterai que, s’il y a encore un petit effort à faire en quelque part, on est prêt à le regarder encore. Mais là, vraiment, on est dans les petits efforts. Ça rapetisse beaucoup, les efforts.
[ M. Thivierge (Jean): Parlant des petits efforts, est-ce que vos négociateurs…]
[ M. Bouchard:] Vous devinez que ce n’est pas à vous que je parle. Ha, ha, ha!
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Thivierge (Jean): Est-ce que vos négociateurs ont actuellement le mandat de négocier une bonification du régime de retraite?]
[ M. Bouchard:] Pas spécifiquement. Parce que, dans la mesure où on serait prêt à faire un petit effort encore, mais vraiment alors, petit, là, on ne peut pas le mettre partout. Alors, il y aura des choix à faire du côté syndical aussi. Il y a des choix à faire du côté syndical.
[ M. Thivierge (Jean): Deuxième question: Si je me souviens bien, un peu après les élections de 1998, vous aviez fait une espèce de constat sur le genre de message que les Québécois vous avaient envoyés. Vous aviez dit que les Québécois se sont mis au neutre. Je pense que c’est un peu l’expression que vous aviez utilisée. Quand on regarde un peu ce qui s’est passé…]
[ M. Bouchard:] Ils ne sont pas sur le boeuf, en tout cas.
[ M. Thivierge (Jean): Oui. Mais, quand on regarde ce qui s’est passé depuis un an, M. Bouchard, on a l’impression que votre gouvernement aussi s’est un peu mis au neutre.]
[ M. Bouchard:] Est-ce qu’on dit ça?
[ M. Thivierge (Jean): Mais est-ce que votre gouvernement n’a pas eu de la difficulté depuis un an à trouver le second souffle dans un nouveau mandat?]
[ M. Bouchard:] Moi, je sais que c’est classique de dire: Ah! Un deuxième mandat, second souffle, il n’y aura pas de troisième mandat. Moi, je ne sens pas ça. Moi, je ne me sens pas privé de souffle. Je sens qu’on est en prise avec la réalité, on tient le coup, on ne lâche pas, même si ce n’est pas toujours apprécié, puis c’est ça qui est dur en politique, hein. Ce qui est dur en politique, c’est de faire des choses qui ne sont pas tout de suite appréciées…
[ Une voix: Qui ne sont pas gratifiantes.]
[ M. Bouchard:] …qui ne sont pas… Bon, les compliments ne viennent pas tout de suite. Mais, ils seront d’autant plus doux qu’ils viendront plus tard. Parce que les gens vont se rendre compte que ce qu’on fait là actuellement, ce n’est pas pour nous autres. Si on travaillait pour nous autres, savez-vous ce qu’on ferait? On dirait oui à tout le monde, comme beaucoup de gens ont fait avant nous. Parce que, en politique, c’est ça qui est le fun à faire. Ah, vous voulez avoir telle affaire? Oui, je vous la donne. Là, les gens nous aiment, ils sont contents. Là, ils nous trouvent bons. Mais, quelque temps après, il y a du monde qui se met à additionner ça, là. Puis là ça ne balance plus. Puis là il faut couper. Puis il faut aller à New York puis il faut se mettre à genoux. C’est fini, ça. Alors, nous autres ont décidé qu’on le fait. On le fait pour le monde, là. Ce qu’on fait là actuellement, on le fait parce qu’on aime le Québec aussi nous autres puis parce qu’on veut que les jeunes qui poussent n’aient pas les mêmes problèmes que ce qu’on vit présentement. Puis on veut en sortir de ça. On veut en sortir. Donc, c’est dur puis on le fait.
[ M. Théberge (Sylvain): Rhéal Séguin.
M. Séguin (Rhéal): M. Bouchard, par quel moyen…
Une voix: …]
[ M. Bouchard:] Non. Non, non, ça, c’est vrai, ça. Là, New York, ils trouvent qu’on fait notre job. Mais New York, ça ne vote pas, hein?
[ Des voix: Ha, ha, ha!
Une voix: Ce n’est pas dans les échantillonnages, les sondages non plus.]
[ M. Bouchard:] Ils ne sont même pas dans les sondages.
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Mais ça en mène large, vous le savez, ça, surtout quand on s’est mis dans leurs mains par 100000000000 $ d’emprunt. On s’est mis dans leurs mains. Puis on n’a pas de reproches à leur faire. Ils nous l’ont prêté cet argent-là. On était bien content de l’avoir quant on est allé le chercher. Bien, là, maintenant qu’on l’a emprunté, le 100000000000$, bien, là, ils nous demandent des comptes.
[ M. Théberge (Sylvain): Rhéal.
M. Séguin (Rhéal): M. Bouchard, par quel moyen allez-vous faire la promotion de la souveraineté dans l’an 2000?]
[ M. Bouchard:] On verra.
[ Des voix: Ha, ha, ha! ]
[ M. Bouchard:] Là, on n’est pas là. Là, on a la santé, on a à réinvestir dans l’éducation, on a les jeunes dont il faut s’occuper, un sommet très important, tout l’avenir du Québec est en cause là-dedans. On se débat contre un gouvernement fédéral, un Parlement fédéral qui a décidé de s’en prendre aux institutions démocratiques. Donc, là, les prochains mois de l’année, ça va être ça. On a un congrès du Parti québécois au mois de mai. Le Parti québécois lui-même a son projet. Lui-même analyse la situation, doit moderniser son projet, doit en débattre au cours des prochains congrès. Ça aussi, ça va se faire en parallèle. Mais, pour le gouvernement, fondamentalement, c’est ce que je viens de vous dire.
[ M. Séguin (Rhéal): Est-ce que c’est une responsabilité que le gouvernement va devoir assumer à un moment donné durant l’année?]
[ M. Bouchard:] De?
[ M. Séguin (Rhéal): Faire la promotion de la souveraineté.]
[ M. Bouchard:] Bien, le gouvernement comme tel, il a… Ses ordres de mission, je dirais, lui sont assignés par ce que je viens de décrire de priorités. Mais on ne cachera pas que le Parti québécois est un parti souverainiste qui pense que la situation actuelle trouverait sa meilleure solution dans l’accession du Québec à la souveraineté, la prise en charge de ses pleines responsabilités et que, si on voulait mettre fin aux chicanes puis à tout le temps qu’on perd dans ce qui se passe, c’est encore la seule solution qui soit viable.
[ M. Théberge (Sylvain): Michel David.
M. David (Michel): M. Bouchard, sur le projet n 99, outre l’ouverture à quelque chose qui spécifierait que la question doit être claire, est-ce que vous seriez d’accord pour inscrire une référence précise à la Cour suprême, à l’avis de la Cour suprême, dans le projet de loi? Et, d’autre part, il semble que l’opposition ne vous fasse pas totalement confiance quant à la suite des choses. La commission qui doit être tenue, la consultation, est-ce que vous pouvez vous engager à ce que ça ne soit pas autre chose qu’une commission parlementaire classique, que ça ne déborde pas en tournée itinérante du Québec qui va durer des semaines?]
[ M. Bouchard:] Bien, on n’a pas discuté encore de la deuxième partie de la question, on n’a pas discuté encore, je dirais, du locus de la commission. On pense que la commission, elle va siéger ici et que, si elle doit se déplacer, je ne le sais pas… peut-être pas. Pourquoi elle se déplacerait? Si les gens veulent venir à Québec, ce n’est pas loin, Québec, et on va inviter tout le monde qui veut venir. Puis on peut très bien, de Québec, faire une consultation… sur une consultation. C’est une belle ville, en plus, et on peut très bien faire une consultation très valable à Québec.
Et justement, il y a une méfiance un peu pathologique dans tout ça parce que c’est tout à fait normal, je dirais que c’était notre devoir, cette semaine, comme gouvernement et comme gardien de la démocratie québécoise, de réagir de la façon la plus ferme et la plus digne, la plus rassembleuse possible, à cette attaque qui vient du fédéral. Alors, je pense que le Parti libéral du Québec peut sans crainte s’engager à nos côtés dans la défense de la démocratie. Je ne pense pas que les Québécois et les Québécoises lui en fassent grief.
Quant à la première partie de la question, la Cour suprême, tout dépend comment c’est fait, ces choses-là. Mais il ne faut en aucune façon que les libertés fondamentales démocratiques de l’Assemblée nationale soient encarcanées. C’est ça qui est important. Que nous reconnaissions les règles juridiques de négocier de bonne foi, l’obligation de négocier de bonne foi, de négocier la protection des minorités, de négocier le partage de l’actif, le partage du passif, toutes des choses qu’on a déjà dites puis qu’on est prêt à redire. Comment, sans limiter les pouvoirs de l’Assemblée nationale…
C’est pour ça, moi, que j’ai invité M. Charest à faire des propositions. Après tout, nous sommes des législateurs, nous sommes habitués à échanger des textes, à voir comment est-ce qu’on peut faire. L’important, c’est le principe fondamental. Le reste, qui est de l’ordre des modalités, qui est de l’ordre… on est prêt à le regarder.
[ M. Théberge (Sylvain): Michel David.
M. David (Michel): Je m’excuse d’insister sur la commission parlementaire. Vous ne m’avez pas totalement convaincu que ça va être juste une commission parlementaire ici.]
[ M. Bouchard:] Bien, écoutez, moi, je ne voudrais pas, ex cathedra, exclure la possibilité que certains groupes nous demandent d’aller les voir à un endroit ou l’autre. Ça arrive qu’une commission parlementaire se déplace. À Ottawa, ils le font constamment. Mais ce n’est pas l’objectif, ce n’est pas le but puis ce n’est pas l’option, la première option. La première option, c’est une commission parlementaire classique qui va recevoir tout le monde. Par exemple, qui va en recevoir, du monde. Ceux qui vont vouloir venir vont pouvoir se faire entendre.
[ (Fin à 13 h 5)]
[QBOUC20000615cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec Rapport sur la rémunération des hauts fonctionnaires du gouvernement du Québec Le jeudi 15 juin 2000 (Seize heures treize minutes) ]
[ M. Bouchard:] Mesdames, messieurs. Je n’ai pas à vous présenter M. Claude Béland, ex-président du Mouvement des Caisses Desjardins et entre autres, actuellement, président du comité d’implantation du Centre hospitalier universitaire de Montréal, le CHUM. M. Béland m’accompagne aujourd’hui à titre de président du comité consultatif sur la rémunération des hauts fonctionnaires du gouvernement du Québec. D’abord, quelques phrases pour situer dans son contexte la création de ce comité. Les dernières années ont été difficiles pour tous les employés de l’État. L’atteinte du déficit zéro ne s’est pas faite sans sacrifices ni sans efforts. Je l’ai souvent dit et répété, sans l’appui de nos fonctionnaires, jamais le Québec n’aurait pu se sortir de l’impasse. Toutes et tous y ont puissamment contribué. Les administrateurs de l’État, c’est-à-dire les sous-ministres et les sous-ministres adjoints de même que les présidents et membres des organismes publics, ont été durement mis à contribution. Si la prise de certaines décisions est difficile, leur mise en oeuvre l’est toujours autant, souvent même davantage. La tâche de nos hauts fonctionnaires exige talent, compétence, éthique, abnégation et dévouement pour la chose publique. Certains d’entre eux assument des responsabilités dont il est difficile de trouver l’équivalent dans les autres secteurs économiques. À l’ampleur des budgets qu’ils doivent administrer s’ajoute la singularité des services qu’ils rendent. La plupart oeuvrent dans des services essentiels pour la population, ils sont responsables de nos soins de santé, de nos services sociaux, de l’aide de dernier recours et de l’éducation de nos enfants. La nature même des services qu’ils rendent leur interdit bien des moyens de gestion pourtant coutumiers dans le privé. Si, dans le secteur privé, une baisse des revenus de l’entreprise peut être rapidement compensée par une diminution de la production, il en va rarement de même dans les affaires publiques. Nos hauts fonctionnaires gèrent les taxes et les impôts des Québécoises et des Québécois. Parce qu’il s’agit de fonds publics, ils sont astreints à des règles de gestion et de reddition de comptes parmi les plus contraignantes. Mon expérience antérieure aux fonctions que j’occupe aujourd’hui m’avait déjà mis en contact avec quelques uns seulement de ces hauts fonctionnaires. J’ai souvent eu à l’époque l’impression de tomber sur des êtres d’exception. Mais ces dernières années comme premier ministre m’ont démontré que l’exception constitue plutôt la règle dans la haute fonction publique. Une haute fonction publique de qualité est essentielle à l’État. Tout gouvernement, aussi bon soit-il, devient vite médiocre s’il n’est pas appuyé par un encadrement de qualité. Une politique de rémunération concurrentielle et équitable est au coeur de la capacité de l’État de se doter des meilleurs éléments et de les retenir. À cet égard, la politique de rémunération de l’État québécois est déficiente. Depuis quatre ans, j’ai personnellement été confronté au départ d’une douzaine de personnes de très haut niveau, qui ont quitté la fonction publique à la suite d’offres qu’elles ou ils ne pouvaient pas refuser tout simplement. À chaque fois, le gouvernement en a ressenti les effets. Le contexte de la lutte au déficit ne permettait pas de corriger les lacunes évidentes de notre politique de rémunération. Après trois budgets équilibrés, après des réinvestissements massifs en santé et en éducation, après d’importantes baisses d’impôts et après une ronde de négociations qui a permis des règlements équitables, il m’est apparu qu’il était de ma responsabilité d’agir.
Notre gouvernement a toujours cherché à mettre de l’avant en matière de rémunération deux critères fondamentaux: l’équité et le rationnel. Voilà pourquoi j’ai demandé en mars en M. Béland de présider un comité chargé d’étudier ces questions. Mme Suzanne Masson, première vice-présidente, ressources humaines et affaires corporatives à la Banque Laurentienne et M. Jean-Noël Poulin, ex-président de la fonction publique du Québec ont accepté de le seconder. Je tiens à les remercier d’avoir accepté de remplir bénévolement le mandat que je leur ai confié.
Vous le verrez, la plupart des constatations du comité sont limpides, qu’il s’agisse des comparaisons avec le secteur privé, d’employeurs compétiteurs ou de celles avec la fonction publique ontarienne et fédérale, une seule conclusion s’impose: Nous ne sommes absolument pas concurrentiels. Vous me permettrez de céder la parole à M. Béland qui vous exposera les conclusions et les recommandations de son comité.
[ M. Béland (Claude): Alors, merci, M. le premier ministre.
Bonjour à vous tous et à vous toutes. D’abord, je vais commencer par des remerciements. Je voudrais remercier le premier ministre de m’avoir confié ce mandat-là, parce que ça m’a permis d’apprendre bien des choses. Le domaine de la rémunération m’a toujours intéressé, mais là j’ai vu des aspects différents. Et avec deux collègues qui sont des experts en la matière, j’ai profité de leur expertise. Merci aussi aux gens du secrétariat des emplois supérieurs, évidemment, qui nous ont beaucoup supportés, des gens compétents qui connaissent bien leur métier et, si mes collègues étaient ici, évidemment, je les remercierais de vive voix devant vous.
Le mandat qu’on avait en somme était en trois points. Ce qu’on nous demandait, c’est de faire des recommandations sur les principes de rémunération en vigueur. Donc, il y a déjà des principes qui existent ici au gouvernement ou à l’État québécois depuis fort longtemps. On nous demandait de les réexaminer et de dire s’ils étaient encore d’actualité. Ensuite, de faire des recommandations sur une structure salariale qui permettrait au gouvernement de recruter et de conserver à son emploi des titulaires compétents en tenant compte, notamment, de l’ampleur des responsabilités et de la rémunération des hauts fonctionnaires en Ontario et au fédéral et des titulaires de niveau comparable dans le secteur privé. Et, finalement, faire des recommandations quant à la mise en application de la structure salariale et des autres conditions de rémunération.
Par rapport à la première partie du mandat, quand on parle des principes de rémunération en vigueur, nous, on a examiné ce qui existait. Vous savez qu’il y a eu un comité, ici au gouvernement, en 1989, présidé par Benoit Morin, qui avait à peu près la même commande qu’on a eue, en disant: Qu’est-ce qu’on peut faire pour conserver nos hauts fonctionnaires? Quelles sortes de conditions on peut leur offrir? Et le rapport à l’époque nous disait: Il faut établir un système de pointage pour classifier les emplois, parce que chacun des emplois n’assume pas nécessairement les mêmes responsabilités, n’a pas la même imputabilité. Ça a été fait à l’époque mais, pour des raisons que le comité ignore — et c’est la culture évidemment qui a amené probablement ces changements-là — finalement, ce système de pointage là, on n’en a pas tellement tenu compte dans la mise en place des échelles salariales.
En fait, dans une liste de postes de responsabilités différentes et probablement de pointages différents, on en est quand même venu à établir une échelle similaire pour tous. Ça, ça nous a semblé à améliorer. Notre première recommandation, en fait, dit que les principes de rémunération en vigueur actuellement devraient être réaffirmés et maintenus, ils sont corrects, sauf qu’il faut que la politique de rémunération des hauts fonctionnaires et les échelles salariales qui en découlent assurent le respect et la concrétisation de ces principes, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui.
Donc, on fait des recommandations à moyen terme. Et, à moyen terme, on dit au gouvernement: Peut-être que vous devriez revoir la rémunération des hauts fonctionnaires de façon à ce qu’elle soit établie en fonction de l’évaluation de chacun des postes, telle qu’elle a déjà été faite, ou après une révision si on pense que c’est nécessaire de faire une révision. Et nous, on dit que le niveau de rémunération devrait tenir davantage compte du minimum payé par le marché privé, parce que quand on examine… M. le premier ministre disait tout à l’heure qu’on perd des hauts fonctionnaires et des gens qui assument ici des emplois supérieurs, mais quand on regarde ce qui les attire, c’est particulièrement le marché privé, le vrai marché qui nous concurrence, qui concurrence les hauts fonctionnaires, le gouvernement, c’est le marché privé davantage que le gouvernement de l’Ontario ou le gouvernement fédéral. Il y en a qui ont quitté pour aller au gouvernement fédéral, mais ce n’est pas le plus grand nombre.
Alors, une de nos recommandations, c’est de dire: Le niveau de rémunération devrait tenir compte un peu plus de ce qui se fait dans l’entreprise privée, sauf qu’on prend la peine de bien spécifier que ça ne peut pas atteindre ce niveau-là. Évidemment, quand on est au service de l’État, quand on est au service de la société, il y a là des considérations dont il faut tenir compte. Et notre recommandation, dire: Sans aller jusque là, il faut au moins améliorer la situation.
Et finalement on a fait des recommandations à court terme. Celles-là, je pense, ont été retenues pour les médias par le cabinet des ministres. Nous, on recommandait un ajustement, mais on disait: Procédez dès maintenant à un ajustement de traitement des plus hauts fonctionnaires de l’État, soit les sous-ministres et les dirigeants des niveaux équivalents, un ajustement variant entre 12 % et 24 %.
En fait, quand on regarde dans notre rapport, l’annexe 3, vous verrez que la majorité des sousministres à qui on s’adresse ici auraient un ajustement du maximum de l’échelle de 12 %. Au niveau des sousministres, ce qu’on appelle les SM-4, ça serait une augmentation de 15 % et, au niveau du Secrétaire général, un ajustement du maximum de l’échelle de 19 %.
Donc, en fait, ce qu’on dit, c’est: Il faut créer, à compter du 1er avril 2000, un quatrième niveau d’emploi de sous-ministre pour les postes de sous-ministres qui ont été évalués à un niveau nettement plus élevé que les autres postes de sous-ministre et prévoir un maximum de l’échelle de traitement de 3 % à 6 % supérieur au maximum de l’échelle de traitement applicable aux sous-ministres du niveau 3. Donc, ça se reflète, ça, dans l’annexe qui apparaît à notre rapport.
Et on a suggéré de créer à compter du 1er avril 2000 un deuxième niveau d’emploi de sous-ministre adjoint ou associé pour les postes qui ont été évalués à un niveau nettement plus élevé que les autres postes de sousministre adjoint ou associé. Donc, déjà on prend la piste d’un système de rémunération qui tient davantage compte du niveau de responsabilités de chacun des postes.
Alors, en gros, c’est là l’ensemble de nos recommandations. Je n’entrerai pas dans les détails. Il y a quelques détails sur d’autres conditions d’emploi, mais qui ne me semblent pas très importants pour les fins de cette conférence-ci. Alors, voilà ce qui était notre recommandation.]
[ M. Bouchard:] Merci, M. Béland. Le Conseil des ministres a statué, hier, sur les recommandations du comité et a entériné les recommandations dites à court terme, c’est-à-dire l’ajustement qu’il faut faire immédiatement. Ces recommandations m’apparaissent éminemment pondérées puisque bien que le secteur privé constitue notre principale référence, le comité ne propose pas de rejoindre la rémunération moyenne, soit le salaire de base et les bonis au rendement, qui est offerte et, même après réajustement, celui que nous avons accepté hier et que nous annonçons aujourd’hui, la rémunération d’un sous-ministre du niveau 3, le plus haut niveau créé, sera encore inférieure encore de 188 % à celle de la moyenne des postes équivalents du secteur privé. Et de même, la rémunération de nos hauts fonctionnaires demeurera significativement inférieure à celle de leurs homologues de l’Ontario et de leurs homologues du Canada. Et le différentiel pour un sous-ministre du niveau 3 sera encore de 14,2 % par rapport à l’Ontario et de 32,7 % par rapport au gouvernement fédéral. Ces recommandations nous paraissent équitables puisqu’elles se fondent sur des critères d’analyse objectifs et rationnels.
Voilà! Le gouvernement du Québec pose donc aujourd’hui un geste respectueux de l’équité qui permettra de sauvegarder les plus hauts standards de la fonction publique du Québec. Merci.
[ M. Grant (John): Patrice.
M. Roy (Patrice): M. Bouchard, donc après ajustement, le Secrétaire général va environ gagner 40000 $ de plus que le premier ministre et les sousministres vont gagner largement plus aussi que leurs ministres respectifs.
Est-ce qu’en voulant régler un problème vous
n’accentuez pas un autre problème?]
[ M. Bouchard:] Ce problème en est un, oui et non. Et c’est classique dans tous les gouvernements. Les très hauts fonctionnaires sont toujours mieux payés que les dirigeants de l’État. Et c’est vrai à Ottawa, c’est vrai dans toutes les provinces, enfin dans la plupart des provinces canadiennes. Même à Ottawa, c’est aussi vrai. Les sous-ministres gagnent en haut de 200000 $ très souvent, alors que ce n’est pas le salaire du premier ministre du Canada. Je crois que ce sera toujours comme ça. Ça fait partie de certaines valeurs démocratiques. Quand on entre en politique, on sait à quoi s’en tenir, il n’y a personne qui est surpris, là. Quand on décide d’entrer en politique, on connaît les avantages, les inconvénients, on sait ce qu’on veut faire en politique, il y a les satisfactions considérables qu’on peut y trouver mais, en même temps, tout le côté du passif — il y en a un — et la rémunération pour la plupart des élus, c’est un passif puisque c’est très souvent inférieur à ce qu’on pourrait faire dans le secteur privé, mais ça fait partie de la décision. Dans la vie, il y a des gens qui choisissent un métier, un engagement temporaire — hein, la politique, ce n’est pas une carrière, en général, en tout cas chez nous, dans nos régimes, ce n’est pas une carrière — et qui acceptent les inconvénients qui en résultent comme un tout. C’est vrai dans toutes les professions. Dans votre profession, il y a des avantages, des inconvénients, mais vous faites la balance de tout puis, en fonction de ce que vous souhaitez faire dans la vie, vous acceptez de prendre cette profession. Il y en a d’autres que vous avez écartées. Donc, c’est des choix de vie. S’agissant des hauts fonctionnaires, bien, ils font carrière dans la fonction publique. Il est vrai que ça suppose aussi un engagement envers la chose publique et qu’il y a un aspect… autrefois on disait vocation, en tout cas un aspect engagement envers le public qui est très net. Mais il reste qu’il y a aussi des choses nobles qui se font dans le secteur privé, avec des émoluments extrêmement plus considérables, de sorte que ça devient presque intenable. Moi, je vous le dis, là, je regarde… je sais qu’il y a des gens qui ont des offres, qui les refusent, etc. Mais il y en a qui les acceptent, et comment les en blâmer? Et si on veut que les jeunes considèrent que la carrière du service à l’État dans la fonction publique est une carrière acceptable, il faut leur faire voir qu’ils sont valorisés et qu’ils ne sont pas trop pénalisés par rapport au secteur privé.
Ce n’est pas facile à faire pour un gouvernement. Parce que je sais que tous les gouvernements se sont rendus compte de la situation; la plupart du temps, ils n’étaient pas dans le contexte économique et financier pour le faire, mais il n’y a jamais de contexte facile. Et moi, j’ai souhaité que nous le fassions, après avoir fait analyser la question par le comité que préside M. Béland.
[ M. Roy (Patrice): Est-ce que vous avez fermé la porte à une augmentation des députés? Ça a été l’objet de vives discussions à votre dernier caucus, semble-t-il, il y a beaucoup de vos députés qui aimeraient bien avoir eux aussi des augmentations. Leur salaire a baissé depuis quatre ans.]
[ M. Bouchard:] Oui, c’est une…
[ M. Roy (Patrice): Est-ce que ça, vous avez fermé la porte une fois pour toutes?]
[ M. Bouchard:] C’est une chose extrêmement délicate parce que, moi qui travaille avec les députés, les députés ministériels comme les députés de l’opposition, je sais quel engagement, je sais le temps qu’ils mettent dans leur carrière politique, dans le service qu’ils rendent à la population. Ils ne comptent pas leurs heures, ils sont séparés de leur famille la plupart du temps, ils vivent toutes les tribulations de la vie politique. De sorte qu’il est certain qu’en soi, un député se mérite un salaire beaucoup plus important que celui qui est présentement versé. J’en suis très conscient. Mais je crois que tout le contexte démocratique, les comparaisons qui se font, si on regarde également les autres salaires de députés qui sont payés dans d’autres législatures, sauf le gouvernement fédéral, on est pas mal dans le groupe cohérent. En tout cas, moi, je vous dirai que, après beaucoup de réflexion… Puis, ça n’a pas été facile, là, j’ai trouvé ça très, très difficile. J’ai beaucoup de temps psychologique là-dessus depuis une dizaine de jours, j’ai passé plusieurs heures de discussion. Après mûre réflexion, dans mon jugement à moi puis dans la prise en charge de mes responsabilités, j’ai pensé qu’on ne pouvait pas. Est-ce qu’on pourra le faire un jour? Je le souhaiterais mais, en toute franchise, on ne peut pas promettre de pouvoir le faire rapidement.
[ M. Grant (John): Sylvain Théberge.
M. Théberge (Sylvain): Ça va, c’est exactement la…]
[ M. Grant (John): O.K. Norman Delisle.
M. Delisle (Norman): Pourquoi, M. Bouchard, ne faitesvous pas, pour les députés, le même processus que celui fait pour les hauts fonctionnaires, c’est-à-dire, comme certains vous l’ont suggéré, créer un comité de personnes neutres qui pourraient analyser le salaire des élus et qui pourraient ensuite faire des recommandations qui, à ce moment-là, justifieraient une hausse raisonnable?]
[ M. Bouchard:] Je sais bien qu’ils vont conclure à une augmentation importante. C’est bien évident. N’importe qui… Il ne faut pas être grand clerc pour savoir que, si on compare la charge de travail d’un député, sa précarité, sa tension et l’importance des services qu’il rend à la population avec la charge de travail équivalente dans le secteur privé, il n’y a presque pas d’emplois qui se comparent à cela dans le secteur privé, là, dans ces niveaux de salaire. Alors, il est certain qu’un rapport conclurait à une majoration importante, mais la même question se poserait. Est-ce que, dans le cas des députés, on peut utiliser les critères de référence au privé pour faire une démarche rationnelle comme celle qu’on faite ici? Il y a un autre aspect dans la vie publique qui fait que, à mon avis, pour le moment, on ne peut pas s’engager dans une démarche comme celle-là, d’autant plus que, si la comparaison devait se limiter à des références à d’autres députés d’autres provinces comme, par exemple, l’Ontario ou l’Alberta, on n’y gagnerait pas au change non plus. Parce que la même situation se vit ailleurs.
[ M. Grant (John): Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, je vous écoute, là, puis vous avez dit, de façon assez solennelle tantôt… Après mûre réflexion, vous vous êtes dit: On ne peut pas! On ne peut pas augmenter le salaire du premier ministre, on peut pas augmenter le salaire des ministres et des députés. Mais il n’y a rien qui est écrit à quelque part qui dit qu’on n’a pas le droit d’avoir… On n’entre pas en politique comme on entre en religion, hein?]
[ M. Bouchard:] Un peu, un peu.
[ M. Thivierge (Jean): Donc, vous n’avez pas fait
voeu de pauvreté. Et les Québécois…]
[ M. Bouchard:] Le seul qu’on ne fait pas, c’est le voeu de célibat.
[ M. Thivierge (Jean): Mais, M. Bouchard, vous savez que…
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Thivierge (Jean): Les Québécois savent que les hommes politiques, au Québec, ne s’enrichissent pas. On n’a pas vu d’hommes politiques quitter la politique avec des millions dans les poches ces dernières années. Alors, il me semble que ce que vous dites… Vous craignez le jugement de l’opinion publique. C’est ça que vous craignez.]
[ M. Bouchard:] C’est-à-dire je suis surtout conscient des attentes de l’opinion publique quant à ce qu’ils demandent des élus. L’opinion publique a raison, exige beaucoup de ses élus et s’attend à une espèce de service public, pas à la macération, mais à un service public. Et la preuve, c’est que dans à peu près tous les gouvernements, là, le niveau de salaire est celui qu’il est maintenant. Ça ne veut pas dire que les députés n’auront pas un ajustement, ils vont avoir l’ajustement des autres employés du secteur public et parapublic. Ce n’est quand même pas rien. On vient de négocier ça avec 400000 personnes, là. C’est 9 % sur quatre ans.
[ M. Thivierge (Jean): Mais vous savez que ça prendrait beaucoup plus.]
[ M. Bouchard:] Oui. Puis, en plus, il faut bien le dire, là, moi, ce qui me paraît compliquer la situation ici, c’est que les députés, de façon unanime, dans notre parti aussi bien que dans le Parti libéral et M. Dumont aussi, se sont voté une coupure de 6 % de leur salaire durant la démarche de redressement des finances publiques. Et vous savez que ce sont les seuls dont la coupure est apparue sur le chèque de paie. Il y a eu des réductions de coûts de main-d’oeuvre réalisées de différentes façons ailleurs. Ça aussi, ça fait mal, bien sûr, mais ça ne s’est pas répercuté directement sur le niveau du montant qui apparaît sur le chèque de paie. Et le problème, c’est qu’on a perdu une logique, ce faisant. Depuis déjà plusieurs années, les députés de l’Assemblée nationale étaient appareillés aux administrateurs classe IV médiane. En tout cas, une expression technique pour dire qu’ils étaient ajustés sur l’évolution d’un salaire de cadre supérieur. Et jusque-là, ça allait bien. Par exemple, en 1993 — ça allait bien, enfin, ce n’était pas exagéré, au moins il y avait une logique qui faisait que ça augmentait régulièrement — si je me rappelle bien, les administrateurs sur lesquels on aligne les députés avaient environ 63 500 $ et nos députés avaient le même montant, puisqu’ils étaient alignés là-dessus. Et sept ans après, aujourd’hui, avant l’ajustement qui va venir, là, au titre des hausses statuaires des autres employés, eh bien, nos députés sont payés 500 $ de moins. Voyez-vous, sept ans, pas d’augmentation puis une diminution de 500 $, alors que les autres sont rendus à 68000 $. Alors, au moins, en tout cas, là, avec la négociation qu’on vient de faire, tout le monde va être ajusté de 9 % rétroactif pour une partie de janvier 1998, 1,5 % en 1998, un autre 2,5 % janvier 1999, 2,5 %, janvier 2000 et ainsi de suite jusqu’à la fin de la convention. Mais vous voyez que nos députés ont perdu 6 %. Ils avaient perdu un autre 1 % en faveur de la loi 102, que le gouvernement libéral de l’époque avait adoptée, et ils n’ont jamais récupéré ce 1 % là alors que tout le monde l’a récupéré. Alors, il faudrait vraiment, celui-là, leur donner, mais c’est 1 %. En tout cas, ce n’est pas simple, ces questions-là. Vous voyez, c’est compliqué, hein? Vraiment, on a eu des discussions extrêmement difficiles cette semaine parce qu’on est tous conscients qu’il faudrait trouver un moyen de valoriser le travail des députés en le reconnaissant par une majoration de leur rémunération. Mais moi, en tout cas, dans mon jugement, pour le moment, je ne le juge pas possible.
[ M. Grant (John): Gilbert Leduc.
M. Leduc (Gilbert): Est-ce que vous voulez dire que ça veut dire que le salaire des députés ne sera pas ajusté comme celui des cadres?]
[ M. Bouchard:] Oui, il va l’être mais, voyez-vous, là, il y aura un ajustement pour tout le monde, de 9 % sur quatre ans. Et, normalement, tout le monde prendrait son 9 %, mais nos députés ont déjà perdu 7 %. Alors, ils vont monter mais ils vont toujours être 7 % en arrière des autres, c’est ça le problème.
[ M. Leduc (Gilbert): C’est pour ça que vous écartez la possibilité de leur permettre de…]
[ M. Bouchard:] En tout cas, moi, je ne le vois pas pour le moment. Je ne dis pas que… J’espère que ça deviendra possible mais je ne pense pas que ce soit possible actuellement.
[ M. Leduc (Gilbert): Il y a aussi les cadres, ce qu’on appelle les cadres intermédiaires, les cadres supérieurs aussi qui sont en demande. Bon. Ils ont accepté les augmentations statutaires?]
[ M. Bouchard:] Non, ça c’est réglé ça.
[ M. Leduc (Gilbert): Mais ils ne demandaient pas aussi certains ajustements eux aussi pour se comparer avec le secteur privé…]
[ M. Bouchard:] Oui mais… Il y en a eu d’accordés partiellement, pas au complet, mais il y a eu un règlement de tout cela, finalement. Vous savez, dans une négociation, chacun n’obtient pas tout ce qu’il veut. On donne parfois un peu plus que ce qu’on veut donner, mais il y a eu une entente correcte. Je pense qu’on peut dire que… Et ce qu’on a constaté aussi — je ne sais pas si M. Béland a eu le temps de vous le dire — c’est que les observations, qui ont été faites par le comité présidé par M. Béland ont montré que les écarts sont très, très considérables entre les rémunérations des très hauts fonctionnaires avec la référence du privé ou de l’Ontario et du fédéral. Mais plus on descend dans la structure, moins les écarts sont considérables, ce qui explique pourquoi les ajustements ponctuels qui sont faits régressent en baissant dans la hiérarchie des fonctions.
[ M. Leduc (Gilbert): Une dernière question. Concernant les juges, je pense que vous aviez annoncé que vous aviez pris une décision sur la rémunération et ils ont contesté cette décision-là. Où est-ce qu’on en est actuellement? Est-ce qu’il y a un terrain d’entente possible?]
[ M. Bouchard:] Les juges ont saisi la Cour d’appel de la question. Il y a un premier jugement qui a été rendu par la Cour supérieure. Les juges en ont appelé. Et dans ce jugement rendu par la Cour supérieure, le président du tribunal, le juge de la Cour supérieure qui a rendu la décision, qui est l’honorable juge Dalphond, a retenu la logique du gouvernement en ce qui concerne l’appariement du salaire des juges au salaire des sous-ministres classe 1. Évidemment, haussant le niveau des sous-ministres classe 1, ça pose une question à laquelle je voudrais répondre avec réserve, puisque l’affaire est devant les tribunaux et qu’il faut montrer la déférence requise. Mais nous sommes conscients qu’il faudra, de la part du gouvernement, suivre la même logique. Et la référence à un niveau, quel que soit le niveau, doit être toujours maintenue.
[ M. Grant (John): Robert Plouffe.]
[ M. Bouchard:] On verra donc ce qui arrivera du côté du salaire des juges.
[ M. Plouffe (Robert): …des consultations avec les juges là-dessus?]
[ M. Bouchard:] Non, on ne peut pas négocier avec les juges. Vous savez que c’est une situation très particulière qui a fait l’objet d’un encadrement de la Cour suprême, et il faut partir d’un comité qui émet une recommandation. On l’accepte ou pas. Et la décision qu’on prend est approuvée par l’Assemblée nationale, est décidée par l’Assemblée nationale. Si les juges n’acceptent pas la décision de l’Assemblée nationale, ils peuvent en saisir les tribunaux, et c’est la démarche qui est engagée maintenant. Mais on est conscient que ce que nous annonçons aujourd’hui est un élément nouveau qui va nous mettre en face de l’obligation de respecter la logique qu’on a déjà annoncée.
[ M. Plouffe (Robert): M. Bouchard. Justement, suivant votre logique, vous augmentez le salaire des hauts fonctionnaires pour retenir les meilleurs éléments, c’est ce que vous dites. Mais estce que ce n’est pas…]
[ M. Bouchard:] Non, je n’ai pas dit «les meilleurs éléments» j’ai dit qu’il faut tous les retenir, hein, les hauts fonctionnaires.
[ M. Plouffe (Robert): Mais pour attirer les meilleurs dirigeants…]
[ M. Bouchard:] Parce que j’ai même dit, si vous avez écouté mon discours — parce que les discours sont aussi importants que les questions-réponses — j’ai même dit que je considérais que c’étaient tous des gens d’exception. Écoutez, on a très peu de sous-ministres en titre, hein, dans un gouvernement, c’est un tout petit nombre, c’est une poignée de personnes. Alors, pour arriver là puis prendre des décisions quotidiennes qui engagent des enjeux extrêmement considérables… Prenez dans l’éducation, les décisions que prend dans une journée un sous-ministre en titre, prenez le sous-ministre des Finances, les décisions qui sont prises, prenez le sous-ministre de la Justice; des décisions énormes, qui peuvent entraîner des conséquences extrêmement graves. Donc, quand quelqu’un devient sous-ministre, là, vous savez, c’est la crème de la crème, puis on ne veut pas les perdre.
[ M. Plouffe (Robert): Mais pour attirer les meilleurs dirigeants, aussi, la… On dit souvent que c’est difficile d’attirer des gens dans des postes de députés, justement parce que le salaire n’est pas assez élevé. Est-ce que la même logique ne s’appliquerait pas pour eux aussi?]
[ M. Bouchard:] Il est vrai que si jamais quelqu’un entre en politique, ce n’est pas pour l’argent, ça ne peut pas être pour ça. Il faut que ça soit pour d’autres attraits et d’autres valeurs. Mais…
[ Une voix: …]
[ M. Bouchard:] Un autre aspect, si vous me permettez. On veut garder ceux qui sont là, mais on veut aussi attirer des gens d’en dehors, là. Vous savez, on reproche parfois à la fonction publique d’être un peu enfermée sur elle-même. Si vous permettez, si vous rendez plus alléchants les postes qui s’ouvrent, vous avez plus de chances d’aller chercher des gens d’autres secteurs, d’autres milieux qui vont venir enrichir la qualité du groupe qui est déjà en place.
[ M. Grant (John): Sylvain.
M. Théberge (Sylvain): Juste une précision technique, M. Bouchard. On parle de combien de fonctionnaires en tout, de hauts fonctionnaires touchés, et combien ça va représenter en argent d’augmentation, concrètement?]
[ M. Bouchard:] Oui. J’avais un document ici qui me le disait. C’est 660…
[ Une voix: 671.]
[ M. Bouchard:] 671 personnes, parce que ça comprend toutes les catégories, là.
[ M. Théberge (Sylvain): Et, globalement, ça veut dire combien d’argent que le gouvernement devra…]
[ M. Bouchard:] Ce qu’on fait là, ça va nous coûter 35000000.
[ Une voix: Par année?]
[ M. Bouchard:] Par année. Environ 5,4 % de la masse.
[ M. Leduc (Gilbert): Excusez. Dans le 19 %, ça inclut les…]
[ M. Bouchard:] Tu sais, ce n’est pas… C’est beaucoup d’argent quand même, 3000000, mais ce n’est pas tellement, tellement d’argent, sauf que ce qui a toujours fait peur au gouvernement aussi, c’est l’effet d’entraînement. C’est que si tout le monde revendiquait une hausse, un ajustement, tout à coup, de 12 %, c’est l’écrasement général. Donc, c’est une décision très délicate de la part d’un gouvernement, puis il ne s’en est pas pris souvent de cette nature. Je suis très conscient que c’est délicat, moi, je suis très conscient.
[ M. Roy (Patrice): M. Bouchard, donc vous n’avez pas l’intention de retirer vos propos concernant M. Chrétien, que vous avez tenus avant votre caucus mardi?]
[ M. Bouchard:] Par équité et symétrie, je vais répondre à la question. Ce que j’ai dit, je le pensais, parce que, ce qu’Ottawa est en train de faire, c’est très grave et ça montre une désinvolture et une attitude tout à fait cavalière envers les besoins du Québec et les droits des Québécois et Québécoises et ce que j’ai dit, je le pense encore.
[ M. Roy (Patrice): Mais au-delà de la rhétorique, M. Bouchard, est-ce qu’il y aura…]
[ M. Bouchard:] Non, demain. Demain.
[(Fin à 16 h 50 ]
[QBOUC20000616cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec Bilan de la session parlementaire Le vendredi 16 juin 2000 (Douze heures quarante-quatre minutes)]
[ M. Brassard: La session du printemps, comme vous le savez, est plus longue que celle de l’automne, et celle de ce printemps-ci a été à la fois chargée et aussi productive. Ça a commencé par un budget avec, pour la deuxième fois, déficit zéro et des baisses d’impôts substantielles de 4,5 milliards en trois ans, et aussi avec des données sur le chômage au Québec extrêmement encourageantes, particulièrement dans les derniers mois, un taux de chômage de 8,5 %, ce qui fait sans doute que ça n’a pas été un sujet qui a été souventefois abordé en période de questions. Pour ce qui est des travaux parlementaires, sur le plan quantitatif, 37 projets de loi publics ont été, seront adoptés, ou sont en train d’être adoptés aujourd’hui. Si on regarde sur le plan qualitatif, il y en a plusieurs, projets de loi, qu’on peut qualifier de substantiels. Je pense au projet de loi n 93, Loi sur la sécurité des barrages, ça faisait suite à une recommandation de la commission Nicolet à la suite du déluge de 1996; le projet de loi n 141 également portant sur le revenu et concernant la suspension des mesures de recouvrement. C’est en voie d’être adopté aujourd’hui; deux projets de loi majeurs pilotés par le ministre de la Sécurité publique, la Loi sur la sécurité incendie qui modernise complètement l’organisation des services incendie, et la Loi sur la police également, suite aux recommandations de la commission d’enquête, la commission Poitras.
Il y a également la question de la confessionnalité, une loi parrainée par le ministre de l’Éducation; la Loi instituant le Fonds Jeunesse Québec, qui faisait suite au Sommet du Québec sur la jeunesse; et puis, il y a cinq projets de loi qui ont fait partie, hier, comme vous le savez, d’une motion de suspension des règles. Je vous les rappelle: deux projets de loi de Mme Marois, un sur l’équilibre budgétaire, l’autre sur la Régie de l’assurance maladie et l’assurance médicaments; deux projets de loi de Mme Harel sur la Communauté métropolitaine de Montréal de même que sur les regroupements municipaux; et enfin, le projet de loi n 116 modifiant la Loi sur la Régie de l’énergie. On a été un peu dans l’obligation de suspendre les règles pour faire adopter ces projets de loi de gouvernement. Ces projets de loi étaient carrément embourbés, la plupart dans les commissions. Ça n’avançait pas d’un pouce, c’était l’obstruction systématique de la part de l’opposition avec toutes les techniques connues. Alors, on aurait attendu à la semaine prochaine et ça n’aurait pas été plus avancé. Donc, la décision a été prise de les faire adopter hier par une motion de suspension des règles, ce qui est chose faite.
Je vous signale en conclusion également qu’il y a plusieurs consultations générales qui ont eu lieu pendant la session, mais il y en a plusieurs également qui vont avoir lieu à partir du mois d’août, entre autres sur la Commission métropolitaine de Québec, également sur la Loi sur les forêts, consultations générales qui devraient s’amorcer au mois de septembre. De même sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, on a également convoqué la commission pour des consultations générales. Et aussi le projet de loi n 140 sur l’assurance parentale, il y a également des consultations générales qui sont prévues à partir de septembre. Alors donc, session bien remplie et session productive.]
[ M. Bouchard:] Merci. Le leader parlementaire du gouvernement vient de vous présenter le bilan législatif de la session parlementaire qui s’achève. Je profite de l’occasion pour remercier Jacques pour son travail efficace qui lui vaut le respect de tous les parlementaires. La présente session s’est ouverte en mars dernier par le dépôt d’un budget sans précédent. Non seulement nous avons déposé un budget équilibré pour une deuxième année consécutive, mais nous avons réussi, grâce aux efforts consentis par les Québécoises et les Québécois, à dégager des surplus budgétaires et cela nous a permis de réinvestir massivement en santé et en éducation et amorcer une baisse appréciable des impôts. Vous vous souviendrez aussi qu’en mars dernier, le projet de loi n 99 inscrit au feuilleton de l’Assemblée prévoyait d’être adopté afin de déterminer très clairement les droits et prérogatives de l’Assemblée nationale. Les consultations publiques prévues avaient été tenues au mois de février. Après avoir procédé aux amendements nécessaires, nous en avons fait adopter le principe sur division, mais avec l’appui de deux des trois partis représentés à l’Assemblée nationale. À la session d’automne, le Québec se dotera donc d’une loi définissant clairement ses droits et prérogatives politiques. J’espère toujours que le Parti libéral du Québec, comme il a su le faire cette semaine, acceptera de faire parler le Québec d’une seule voix.
Certaines autres lois d’importance ont été ou seront adoptées, et j’en citerai quelques-unes. La Loi créant la Commission métropolitaine de Montréal était incontournable. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur cette loi et sur celle de même nature portant sur la région de Québec.
Bien des informations inexactes ont été véhiculées et ont parfois fait oublier l’intérêt commun. Personne ne peut argumenter bien longtemps contre l’importance de compter sur une région métropolitaine prospère, à Montréal comme à Québec. L’adoption de cette loi permettre donc à toute cette région — je parle de la région métropolitaine de Montréal — d’unir ses forces pour la maintenir dans le peloton de tête des villes nord-américaines.
Quant à la Loi créant la Commission métropolitaine de Québec, nous n’avons pu franchir les dernières étapes de son adoption puisqu’il a été impossible de procéder aux consultations publiques avant l’ajournement de nos travaux. Notre détermination est aussi ferme pour Québec que pour Montréal et l’Outaouais, mais nous tenons à ce que les consultations promises aient lieu. Elles se tiendront le plus rapidement possible. Je veux réitérer la fermeté du gouvernement dans ce dossier comme dans les autres, l’intention du gouvernement étant très clairement de mettre en place des mesures très significatives.
Bien sûr, nous saurons définir et prévoir des mesures de transition qui permettront la mise en place adéquate des nouvelles dispositions qui seront prises. Je voudrais simplement souligner qu’il faut souhaiter autant que possible un dialogue avec les représentants municipaux, car les gens qui acceptent de se parler font avancer les dossiers.
On a vu, par exemple que, dans le cas de Montréal, il y a eu des rencontres avec les représentants des différentes municipalités puis les députés ont travaillé très correctement en faisant la couronne nord, en faisant la liaison avec leurs élus municipaux et le gouvernement, et Mme Harel en particulier. Ça nous a permis d’apporter des amendements qui en font une loi mieux faite et davantage orientée dans l’intérêt de tout le monde.
Je voudrais souligner aussi l’atmosphère très positive qui prévaut du côté de Chaudière-Appalaches ici, dans la région de Québec, et je voudrais inviter les maires de la rive nord québécoise à participer plus activement aux discussions qui doivent avoir lieu. Le projet de loi n 124, qui encadrera notamment les relations de travail lorsque s’opéreront des fusions municipales, a été aussi adopté. L’intégration des différents groupes de travailleurs municipaux impliqués dans une fusion de municipalités se fera dans un cadre défini et à l’avantage de tous. Nous avons dû agir aussi dans le secteur des centres hospitaliers. Et, comme vous le savez, malgré des réinvestissements de 4,4 milliards de dollars au cours des deux dernières années, les besoins de notre système de santé augmentent de manière presque exponentielle. Et bien que nous ayons été en mesure de soutenir les centres hospitaliers déficitaires, certains n’ont pas effectué leur nécessaire travail de rigueur budgétaire. Par ailleurs, certains autres établissements ont eu l’impression d’être lésés parce qu’ils avaient réussi l’équilibre budgétaire et maintenu la qualité des soins. Le gouvernement s’étant maintenant astreint au respect de l’équilibre budgétaire, il est tout à fait opportun, tout à fait légitime de demander aux gestionnaires concernés de consentir les efforts nécessaires pour respecter les budgets qui leur sont alloués à même les impôts des Québécoises et des Québécois. Bien sûr, le ministère de la Santé et des Services sociaux accompagnera les établissements dans cette démarche et tiendra compte des particularités. Cette session aura aussi permis de donner force de loi à des initiatives d’importance comme le Fonds Jeunesse, constitué à la suite du Sommet du Québec et de la jeunesse. L’exercice des activités de Nasdaq au Québec est également rendu possible. L’Assemblée a eu aussi l’occasion de débattre et d’adopter une loi portant sur la confessionnalité de nos écoles. Sur ce dernier point, on me permettra de souligner que ce débat, qui a dépassé largement cette enceinte, s’est fait dans la sérénité et le respect et que sa conclusion est à l’honneur de la société québécoise.
Nous terminons donc cette session printanière dans un climat favorable. L’économie québécoise se porte bien. Le mois dernier, elle a permis la création de 17 400 emplois, tous à temps plein, soit 41 % des emplois créés au Canada. Et depuis le début de l’année, la croissance de l’emploi au Québec est supérieure à celle du Canada. Dernièrement, plusieurs journaux américains ont fait l’éloge de Montréal et du Québec. Un magazine spécialisé, Wired, a recensé 46 technopoles partout dans le monde et classe Montréal au douzième rang pour ses industries en haute technologie. Montréal est située au même niveau que la ville de New York. Depuis le début de l’année, en moins de six mois, plus de 42000 personnes ont quitté la sécurité du revenu pour accéder au marché de l’emploi. Plus de 200000 l’ont fait depuis juin 1996, une baisse de 25 %. Il y a quelques jours, la firme Standard & Poor’s maintenait la cote A plus du Québec. Et les perspectives sont bonnes. La Banque Nationale déclare même que l’économie du Québec est celle qui affiche le plus fort momentum parmi les principales régions du Canada. Ces nouvelles sont positives, mais beaucoup reste à faire. Le travail ne manquera pas au cours des prochains mois. Avec l’appui unanime de l’Assemblée et celui de nos partenaires, nous mènerons le combat pour un régime de congés parentaux au bénéfice des familles québécoises. Il faut souligner un retour à la raison… Excusez-moi, il faut souhaiter un retour à la raison du gouvernement fédéral — j’aimerai le souligner quand ça sera fait. Je serai très heureux de le souligner, avec des termes très élogieux — puisque cet entêtement n’est pas justifié. Les Québécoises et les Québécois méritent mieux que cela, et c’est pour cette raison que nous avons présenté la loi sur l’assurance parentale dont nous souhaitons l’adoption cet automne.
En terminant, je tiens à souligner le remarquable travail des députés et membres du caucus ministériel. Tout au long de cette session, ils n’ont pas ménagé leurs énergies et ont certes fait honneur à la population qui les a élus. Je veux les remercier chaleureusement. Je vous souhaite à tous et à toutes un très bel été. Merci.
[ M. Grant (John): Patrice Roy.
M. Roy (Patrice): M. Bouchard, je vous ai posé la question hier, je vous la repose aujourd’hui: Compte tenu de ce que vous avez vu, entendu depuis 24 heures, est-ce que vous allez reconsidérer votre décision de ne pas accorder de hausse salariale aux députés qui le souhaitent? Et on a vu une scène inusitée, le président de l’Assemblée nationale vous a, en quelque sorte, interpellé. Est-ce que vous allez reconsidérer votre décision?]
[ M. Bouchard:] Bien, je pense que la position que j’ai adoptée, elle est connue. Je l’ai reformulée tout à l’heure. Je reconnais — parce que je le vois de mes yeux moi aussi — que les députés travaillent d’une façon remarquable, travaillent fort, assument des responsabilités très lourdes, qu’ils sont les élus du peuple et qu’ils sont des législateurs, des gardiens de la démocratie et qu’ils ont une vie difficile, ce n’est pas des conditions de vie faciles que celles des députés, et que, en conséquence, il serait souhaitable qu’on puisse redresser leur rémunération, qui me paraît insuffisante compte tenu de ce que je viens de dire. Ceci étant dit, ce n’est pas une chose simple à faire. Je crois que le chef de l’opposition lui-même l’a souligné. C’est une chose extrêmement délicate à faire. C’est plus facile d’en parler pour un président de l’Assemblée nationale que pour le premier ministre qui, lui, quand il en parle, doit conclure par des décisions qui engagent la responsabilité du gouvernement, la perception du public vis-à-vis des élus. Et c’est toujours extrêmement difficile, c’est ce que faisait remarquer le chef de l’opposition, pour des gens qui sont à la fois partie prenante à la décision que de se voter des avantages, même s’ils sont mérités. Et c’est la raison pour laquelle on voit que les députés ont le niveau de rémunération actuelle, qui se compare d’ailleurs à des niveaux de rémunération dans d’autres législatures. C’est la même situation partout. Je dirais même que la nôtre est peut-être parmi les moins pires. Alors il y a un problème. Il faut penser qu’il y a beaucoup de gens qui ont des besoins et qui estiment que les gouvernements n’en font pas assez. Vous avez vu ce qui est arrivé, hier, en Ontario, les gens ont fait l’assaut du Parlement en Ontario. Moi, je pense que, quand un gouvernement doit gérer des situations comme celle que nous avons devant nous, il faut que ses élus aient la crédibilité requise pour défendre les décisions qu’ils prennent. Quand le gouvernement décide, par exemple, de redresser les salaires des sous-ministres en titre et des autres sous ministres, mesure trop longtemps attendue et terriblement nécessaire, c’est beaucoup plus facile parce que ce n’est pas pour nous que nous le faisons. Nous le faisons pour l’État, pour l’institution et pour permettre à des gens de faire des carrières acceptables à des niveaux de responsabilité extraordinairement lourds. Mais quand on le fait pour soi, c’est très délicat. Et moi, je suis très conscient de ça et je voudrais que toute démarche d’ajustement des salaires des députés soit faite avec l’appui du public, avec la compréhension du public, et qu’il y ait une crédibilité politique lorsque ça se fera. Alors, j’ai trouvé très positifs les propos du chef de l’opposition, ce matin. J’ai fait remarquer que je ne m’en étais pas dissocié, de sorte que je pense qu’il y a comme un débat public d’engagé qui va se poursuivre. Mais il va falloir qu’on donne des réponses aux gens qui vont nous demander pourquoi les policiers du Québec, 9 % seulement? Pourquoi les infirmières, 9 % puis un ajustement qui les place au plus bas des rémunérations d’infirmières au Canada, de 2,5 %? Pourquoi les médecins du Québec sont parmi les moins bien payés du Canada? Qu’est-ce qu’on va répondre à la marche des femmes? Qu’est-ce qu’on va répondre aux gens qui vont demander tout un train de mesures pour éliminer la pauvreté? Enfin, il faut comprendre que c’est complexe, une société, mais que ce n’est pas parce que c’est complexe, ceci étant dit, qu’il faut laisser de côté la situation tout à fait méritoire des députés.
[ M. Roy (Patrice): Donc, la porte est entrouverte, M. Bouchard, la porte était fermée hier, là, elle est entrouverte?]
[ M. Bouchard:] Je n’ai jamais fermé la porte.
[ M. Roy (Patrice): Bien, vous disiez…]
[ M. Bouchard:] J’ai dit la même chose hier, que c’étaient des salaires que j’estimais insuffisants et qu’il faudrait arriver un jour à les redresser, mais que je ne pouvais pas dire quand. C’est ce que j’ai dit hier.
[ M. Grant (John): Sylvain Théberge.
M. Théberge (Sylvain): Est-ce que — juste sur la même question, M. Bouchard — pour qu’il y ait un débat public, ça prend un certain cadre? Est-ce que vous avez l’intention de former un comité ou enfin de prendre une initiative quelconque pour que ce débat-là se fasse?]
[ M. Bouchard:] Bon, vous aurez remarqué que nous avons formé un comité des sages, si je puis dire, avant de prendre des décisions concernant les sous-ministres. Et j’ai noté, ce matin, que le gouvernement de l’Ontario a formé un comité du genre pour ses députés, et un comité qui, d’après le Globe and Mail, disait que… et dont le rapport serait déposé lundi, je crois, de sorte que la question est présentement sous étude aussi en Ontario. C’est assez approprié parce que c’est justement avec l’Ontario que les situations se comparent le mieux en termes de niveau de rémunération actuelle. Alors, on verra, c’est un dossier à suivre. C’est des dossiers que j’ai sur mon bureau et je me sens une responsabilité double, à la fois et bien sûr d’abord, vis-à-vis de la population — les remarques que j’ai faites tout à l’heure — mais aussi vis-à-vis de la fonction de député et de la possibilité, pour maintenir le niveau d’excellence et d’engagement et d’intégrité qu’on observe actuellement chez les personnes qui vont accéder dorénavant aussi à ces fonctions. Alors, je pense que je viens de camper là les paramètres de ce qui esquisse un débat qui va venir, qui va s’intensifier probablement mais qui est lancé.
[ M. Théberge (Sylvain): Donc, pourriez-vous suivre l’exemple de l’Ontario et créer une espèce de comité…]
[ M. Bouchard:] On va voir comment ça va se passer en Ontario. Il y avait des chevaux en face du parlement hier pour défendre le Parlement. Ce n’est pas si simple, hein, gérer des choses comme celles-là.
[ M. Grant (John): Jean Thivierge.
M. Thivierge (Jean): M. le premier ministre, c’est rarement arrivé dans l’histoire parlementaire récente qu’un projet de loi comme le projet de loi n 116 sur la Régie de l’énergie ait recueilli et fait l’objet d’une contestation, d’une opposition, d’une coalition très large même, qui va jusqu’à l’intérieur de votre parti. Qu’est-ce qui pressait à ce point, M. le premier ministre, pour qu’on suspende les règles pour faire adopter ce projet de loi là? Pourquoi ne pas avoir confronté votre point de vue dans un débat plus large à l’automne, sur ce projet de loi là au lieu de le faire adopter…]
[ M. Bouchard:] D’abord — merci — parlons du parti. Moi, les dernières discussions que j’ai vues au parti sur la question ça a été au congrès où il y a des gens qui ont voulu limiter la marge de manoeuvre de l’aile ministérielle, de l’aile parlementaire du parti aux fins d’adopter le projet de loi n 116 et ça a été massivement rejeté par la totalité du congrès, de sorte que le parti n’a jamais empêché le gouvernement d’adopter cette loi, premièrement. Deuxièmement, vous avez parlé d’une très large coalition. Justement, elle est suspecte dans sa dimension très large parce que vous trouvez à la fois des gens qui représentent les petits consommateurs puis vous retrouvez également les gens qui représentent les grands consommateurs. Qu’est-ce que veulent les grands consommateurs? Ils veulent faire baisser leurs tarifs, les grands consommateurs. Mais s’ils réussissaient à faire baisser leurs tarifs de grands consommateurs, ça voudrait dire qu’il faudrait augmenter les tarifs des petits consommateurs. Et c’est un engagement formel, je dirais sociétal comme l’a rappelé le ministre de l’Énergie et des Ressources, que de maintenir le niveau bas des tarifs résidentiels. Alors, le but de la loi, c’est justement de garantir le financement intersectoriel, et si on ne fait pas ça, on va avoir de très, très gros problèmes. Puis c’est urgent parce qu’il y a déjà des contestations qui vont venir, puis l’Hydro va se trouver dans l’impossibilité de maintenir le niveau actuel d’interfinancement. Alors, moi, je suis convaincu que même si on avait siégé encore pendant un an, le projet de loi n’aurait pas été adopté. Nous sommes convaincus que c’est de l’intérêt public de l’adopter. Donc, nous l’avons mis dans le bâillon.
[ M. Thivierge (Jean): Mais, M. Bouchard, je vous souligne que, à la limite, là, vous auriez pu confronter votre point de vue en commission parlementaire. La question des tarifs est réglée pratiquement jusqu’en 2004, à ce que je sache.]
[ M. Bouchard:] Mais réglée à la condition que l’Hydro puisse maintenir le mode de fonctionnement actuel. Autrement, si le financement… Pourquoi les résidentiels peuvent avoir ce bas taux de tarif? Bien, c’est parce qu’on peut avoir des tarifs plus élevés pour d’autres clientèles.
[ M. Brassard: Et il fallait répondre aussi, là…
L’avis sur le tarif de fourniture de la Régie a été déposé à l’été 1998. Il fallait finir par répondre, là, à cet avis-là. Soit lui dire, bien: Vous l’appliquez. Vous fonctionnez selon votre loi, puis vous procédez à la tarification sur la base des coûts, avec les risques et les impacts négatifs que ça comporte et qu’on a clairement identifiés à partir d’études sérieuses faites par des experts; ou alors, là, c’était de prendre la décision qu’on a prise.
Il fallait finir par trancher, là. En 1998, l’avis de la Régie sur le tarif de fourniture. Ça va faire bientôt deux ans, au mois d’août. Alors, il y avait nécessité pour le gouvernement de trancher. C’est ce qu’on a fait.
M. Grant (John): Patrick White.
M. White (Patrick): M. Bouchard, vous n’avez pas parlé de souveraineté dans votre allocution. J’aimerais savoir quelles sont les prochaines étapes, selon vous, pour la promotion de la souveraineté. Et quelles sont les chances qu’il y ait un référendum d’ici la fin du mandat?]
[ M. Bouchard:] Bien, je pense qu’on s’est exprimé très souvent sur le lancement d’une campagne d’intensification politique quant à la nécessité de se préoccuper de l’avenir politique du Québec à l’automne. Nous allons entamer une démarche intensive pour expliquer que la seule issue, la seule solution, à la façon même d’une nécessité, pour l’avenir politique du Québec, c’est la souveraineté du Québec, qu’il y a des choses qui seront annoncées à la fin de l’été. On prépare une campagne, on prépare une activité très intense, à la fois du parti et du gouvernement en ce sens.
[ M. Grant (John): Bob McKenzie.
M. McKenzie (Robert): Oui. J’allais poser un peu la même question, M. le premier ministre, mais aussi dans la perspective du fait que ça fait 10 ans que… c’est le 10 anniversaire de l’échec de Meech. Cet automne, ça sera le 5 anniversaire du référendum et on est à la veille d’une élection fédérale. Avec tout ça, comment voyez-vous la perspective d’avenir?]
[ M. Bouchard:] Par rapport au projet souverainiste du Parti québécois et du gouvernement, je crois que l’automne est un moment tout à fait propice pour lancer ce débat à fond. D’abord en raison de la situation interne de nos finances, des dossiers gouvernementaux que nous avons réglés, du fait que nous arriverons à mi-mandat et compte tenu, de façon externe, justement d’une élection fédérale, des anniversaires tout à fait symboliques que vous avez mentionnés, de la situation également des rapports entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral, qui sont au plus controversés, au plus négatifs. Presque chaque jour nous apporte la nouvelle d’un entêtement et d’une obstination fédérales inqualifiables. Hier, c’était la question du Technodôme, des terrains inutilisés dans le port de Montréal qui peuvent servir à un investissement considérable, à la création de 6 500 emplois, et qui donnent lieu à un changement de décision parce que les dirigeants de Ports Canada avaient donné entente au président de SGF que, oui, il était possible d’organiser cela, d’ouvrir ces terrains aux grands investissements qui s’annonçaient. Et puis manifestement les ordres sont venus d’Ottawa pour tout changer cela.
Partout, c’est le blocage. Je ne reviendrai pas là-dessus, je pense qu’on le sait. C’est le blocage. Alors, le moment va venir assez rapidement — et, pour moi, il est déjà venu, il est déjà dépassé — de faire bouger la situation. Les Québécois et les Québécoises ne peuvent pas vivre continuellement et payer des impôts à un gouvernement à Ottawa qui non seulement ne s’occupe pas d’eux, mais qui fait tout pour bloquer la voie à leur développement. Alors, ça, c’est certainement un débat très intense que nous aurons à l’automne.
[ M. McKenzie (Robert): Mais, quand on dit: Dix ans depuis Meech, on a comme un sentiment d’impuissance. Quel est l’élément nouveau dans le paysage qui pourrait faire jaillir une solution?]
[ M. Bouchard:] Justement parce que, comme ça devient de plus en plus ancien, ça devient terriblement impératif. La même situation perdure, s’exacerbe et produit des effets de plus en plus négatifs. Il y a un moment où ce n’est plus tenable. On aura par exemple tout le débat sur les congés parentaux, on aura le débat de la santé. On s’en va à une réunion des premiers ministres des provinces et des territoires à Winnipeg au mois d’août où toute la question va atterrir sur la table de tout le monde avec tout son caractère explosif parce qu’on vit tous la même situation. Et puis ça va déboucher inévitablement sur une conférence fédérale-provinciale avec le premier ministre du Canada, au mois de septembre. Tous les ressorts sont tendus de partout. Un gouvernement central d’une fédération qui prétend fonctionner ne peut pas toujours fonctionner, ne peut pas toujours gérer avec le pied sur le frein, comme ils le font présentement à Ottawa. On dirait que c’est une agression constante, systématique, de la part du pouvoir central, contre le Québec et aussi contre les provinces. Il y a quelque chose qui ne marche pas là-dedans. C’est terriblement malsain.
Alors, moi, je pense que l’automne va nous permettre de dénouer une bonne partie de tout cela à la faveur justement, en particulier, de dossiers très, très importants comme celui de la santé, en particulier.
[M. Roy (Patrice): M. Bouchard, j’aimerais revenir à une question qui a ressurgi lors de la présente session, c’est les orphelins du Duplessis. J’aimerais que vous m’expliquiez: Comment se fait-il que, malgré le fait que les orphelins aient circonscrit leur demande — là on parle de 600 personnes, bon, vous connaissez le dossier, qui, à l’époque ont été transférées dans des asiles et leur institution s’est transformée en asile — pourquoi le gouvernement du Québec, pourquoi n’êtes-vous pas prêts à dédommager ces gens-là?]
[M. Bouchard:]Parce que nous avons fait ce qu’il fallait, parce que nous avons présenté des excuses. Nous avons fait ce que personne n’avait fait avant nous. Les faits dont vous parlez remontent à 40 ans et plus, et tous ces gouvernements qui nous ont précédés et même certaines personnes qui font partie du groupe, là, qui appuient les revendications qui ont été ministres mais qui n’ont jamais rien fait, doivent maintenant constater que, pour la première fois, il y a un gouvernement qui a étudié le dossier, on s’est penché sur le dossier, on s’en est saisi, on l’a analysé attentivement. Et, en conclusion de notre démarche de gouvernement, nous avons présenté des excuses formelles à l’Assemblée nationale. Nous avons institué un fonds qui est jugé insuffisant mais qui est un fonds de 3000000 de dollars qui n’a pas été utilisé du tout pour venir en aide à ces personnes. Nous avons fait en sorte que les diagnostics médicaux puissent être corrigés non pas par nous-mêmes mais par les médecins. Si ce n’est pas fait, ce n’est pas de notre faute parce qu’on a exercé une très forte pression publique et privée, je dirais même, sur le Collège des médecins pour qu’il mette en place les mécanismes qui vont permettre de réviser ces diagnostics.
Ce qui dépendait de nous, nous l’avons fait. Nous avons mis en marche une procédure de correction des registres de l’état civil. On a facilité l’accession de ces personnes à des services d’aide sociale. En faire plus, ça voudrait dire qu’on revient sur le passé et qu’on porte un jugement qui, manifestement, serait très négatif sur des personnes et une société qui a beaucoup fait pour les orphelins, qui a vécu un très grave problème de naissances qui ont nécessité la mise en place d’orphelinats. Et il y a eu une démonstration extraordinaire de générosité.
Et moi, personnellement, ce n’est pas moi qui vais rouvrir ce dossier-là. Je pense qu’on a fait ce qu’il fallait faire, et puis il arrive un moment dans la vie où une société doit tourner les pages puis doit regarder en avant puis s’occuper d’abord des gens que nous avons là, qui ont des besoins, puis regarder en avant pour l’avenir.
[M. Roy (Patrice): Mais, M. Bouchard, ces gens-là sont toujours vivants et on ne parle pas…]
[M. Bouchard:]Oui, mais, justement, on a fait pour eux ce qu’on vient de dire, ce qu’on vient de dire.
[M. Roy (Patrice): Et il n’y a aucune indemnité personnelle. C’est carrément exclu…]
[M. Bouchard:]L’indemnisation personnelle n’est pas forcément la seule méthode d’intervenir là-dedans, là. Je pense, moi, je l’ai dit, dans mon âme et conscience, que nous avons fait ce que nous devions faire. Il faut assumer son passé.
[M. David (Michel): Est-ce que vous reconnaissez que depuis que le gouvernement a pris sa décision, le dossier a évolué, la problématique ne se pose pas de la même façon qu’elle se posait quand vous avez pris votre décision?]
[M. Bouchard:]On parle encore d’un très gros montant, M. David. Ça parle toujours d’un très gros montant, hein, vous savez.
[Une voix: On parle de 600 personnes, maintenant.]
[M. Bouchard:]Mais moi, le nom des personnes, je ne sais pas, puis ça reste à voir, ces affaires-là, ça reste à voir. Il n’y a pas des critères très scientifiques pour évaluer ça. Mais ça parle toujours d’un très, très gros montant. Et moi, je pense que le gouvernement du Québec, l’État du Québec ont fait ce qu’ils avaient à faire. On l’a fait avec respect, on l’a fait avec compassion, on a reconnu qu’il y avait des choses qui s’étaient passées qui n’étaient pas acceptables, mais nous sommes maintenant avec une autre génération, deux générations plus tard. Moi, je pense que ce n’est pas parce que ce gouvernement-là a fait plus que n’importe qui avant qu’il faut rouvrir la porte encore plus grand.
[M. Bouchard:]Non, c’est correct, c’était la fin. C’était la fin. Merci. Bon été.
[Fin à 13 h 22)]
[QBOUC20001012cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec Marche mondiale des femmes Le jeudi 12 octobre 2000 (Quatorze heures treize minutes) ]
[ M. Bouchard:] Je suis très heureux de me présenter avec mes collègues devant vous aujourd’hui pour vous faire part des décisions que nous avons prises en rapport, notamment, avec des revendications présentées par la Marche des femmes. D’abord, laissez-moi vous dire que nous considérons très favorablement cette mobilisation et cette sensibilisation des femmes et de l’ensemble du Québec au problème de la pauvreté au Québec. Nous croyons qu’il est très important que nous nous rendions compte que, à côté des succès économiques et de l’embellie de la situation pour un grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens, il y a encore des gens qui vivent des situations difficiles, souvent encore plus pénibles, même. Même s’il y a eu une diminution considérable des personnes inscrites à l’aide sociale, il reste que c’est un problème qui continue de sévir dans notre société et que nous savons bien que les Québécois et les Québécoises, de même que leur gouvernement, n’auront de cesse d’avoir contré ce problème inacceptable pour une société, surtout une société riche comme la nôtre, toutes choses étant par ailleurs égales. Nous avons travaillé étroitement avec les représentantes des groupes de femmes associés à la Marche des femmes. Depuis plusieurs mois, le gouvernement a formé un groupe interministériel présidé par Mme Linda Goupil afin d’analyser de façon sectorielle les propositions et revendications présentées par la Marche des femmes. Un grand nombre de rencontres sectorielles ont eu lieu en présence de chaque ministre concerné, je crois que Mme Goupil a assisté à toutes ces réunions, nous avons assuré un suivi, là, je dirais, de synthèse de ce qui se passait, et j’ai aussi rencontré, moi, à différentes étapes du processus Mme David et ses collaboratrices pour faire le point sur la situation et entendre les points de vue, et je dirais enrichir la réflexion du gouvernement. Le gouvernement a analysé ces revendications, il faut être bien précis, là, dans le contexte de sa démarche générale de lutte contre la pauvreté. Alors, nous avons remarqué que, dans la liste des revendications, il y en avait qui entretenaient des liens directs avec cette démarche générale et, lorsque nous avons pu le faire, nous les avons intégrées aux réponses que nous avons données ce matin lors d’une rencontre privée avec les représentantes et Mme David, mais que nous rendons publique tout à l’heure. Nous sommes en mesure, autrement dit, aujourd’hui, d’annoncer un certain nombre de choses, mais il ne faudrait pas penser que c’est le dernier mot de notre société non plus, de notre gouvernement, dans la lutte contre la pauvreté, ce n’est pas le premier non plus. Il ne faudrait pas oublier que nous avons mis en vigueur — et je suis très fier de ce bilan de notre gouvernement — une politique familiale qui compte parmi les plus généreuses, certainement en Amérique du Nord, en tout cas saluée comme la plus généreuse d’Amérique du Nord qui, cette année, accroît de 900000000 de dollars le budget du Québec consacré aux dépenses sociales par rapport à ce que c’était avant que la réforme soit mise en vigueur. Donc, 900000000 récurrents, puis il s’accroît tout le temps. Vous savez qu’on a prévu une augmentation encore pendant plusieurs années des coûts de cette politique familiale. Nous avons vu, par exemple, qu’il y avait des demandes dans les revendications qui concernaient le logement social. Mais on ne part pas de zéro, nous, au Québec. C’est zéro partout ailleurs depuis cinq ans. Le gouvernement fédéral s’est retiré de ces programmes, n’a pas construit un seul logement social, non plus qu’aucun des gouvernements du Canada, des provinces canadiennes. Le Québec, lui, malgré tout cela, en pleine période de rationalisation et de lutte contre le déficit, a trouvé le moyen de dépenser près d’un milliard de dollars, au-delà de 900000000 $, depuis cinq ans, dans la construction de logements sociaux et a pris l’engagement électoral d’en construire d’autres. Au chapitre de l’aide sociale, nous avons supprimé la pénalité pour partage de logement, la moitié de cette pénalité, au coût de 38000000 $, et nous avons pris l’engagement de supprimer l’autre moitié d’ici la fin de notre mandat. Nous avons annoncé un ajustement des prestations aux personnes aptes qui sont sur l’aide sociale, qui est en vigueur depuis le 1er juin, pour cette année. Je rappelle que nous avons restauré le Fonds de lutte contre la pauvreté pour un montant de 160000000 $, que nous avons créé le Fonds jeunesse pour un montant de 240000000 $, sans compter beaucoup d’autres mesures que vous trouverez dans le bilan versé dans la pochette qui est là. Autrement dit, on ne part pas de zéro au Québec. Au contraire, nous sommes une société qui place au coeur de ses préoccupations la compassion et la répartition de la richesse et qui en a fait beaucoup depuis quelques années pour faire avancer le Québec au point de vue social — rien n’est parfait, il y a encore beaucoup à faire, nous le savons — et qui va le faire encore davantage, sauf que nous le faisons dans une démarche globale. Nous ne voulons pas travailler à la pièce. C’est un dossier qui est très complexe et il faut faire comme on l’a fait pour les politiques familiales, concevoir des programmes globaux qui incorporent tous les aspects d’un ministère à l’autre. Alors, c’est ce que nous faisons également pour la pauvreté.
Et, en plus de ce que nous annonçons aujourd’hui, je peux vous dire que nous continuons nos travaux dans l’élaboration d’une stratégie d’intervention et de lutte contre la pauvreté. C’est M. Boisclair, qui dirige le comité ministériel, qui s’en occupe, et nous aurons d’ici quelques mois une perspective globale qui va être dressée et qui va nous permettre d’intervenir de façon, je crois, plus efficace pour améliorer encore le sort des personnes démunies au Québec.
Mme Lemieux est en train de procéder à la révision de la Loi sur les normes du travail, une révision qui va permettre d’améliorer le sort de beaucoup de gens au travail, notamment, évidemment, des femmes. Et, comme vous le savez, il y a plusieurs groupes de travail qui fonctionnent à la Justice, présentement, pour traiter de problèmes dont certains apparaissent dans les revendications et qui vont nous permettre de développer des politiques d’ensemble. Sans compter que nous allons remplir nos engagements électoraux, certains, une partie d’entre eux seront annoncés encore aujourd’hui. Mais les engagements électoraux, bien sûr, nous allons tous les remplir. Alors, ceci étant dit, je souhaiterais demander à Mme Goupil de présenter, disons, la synthèse de ce que nous pouvons annoncer aujourd’hui et ensuite nous pourrons en référer plus précisément à des collègues qui pourront traiter de dossiers plus spécifiques.
[ Mme Goupil: Alors, merci, M. Bouchard. M. le premier ministre, chers collègues, meadames, messieurs les gens de la presse, une telle entreprise que nous connaissons actuellement avec la Marche des femmes, si cette entreprise n’existait pas, nous ne serions pas ici aujourd’hui pour vous faire part de l’exercice que nous avons fait comme gouvernement. On le sait, cette Marche mondiale des femmes puise ses racines dans le long travail de mobilisation du Mouvement des femmes au Québec. Les femmes au Québec, on le sait, se sont en effet dotées d’une vie associative qui a mené à la création d’un vaste réseau de groupes de services et de défense des droits. L’ampleur de leur action, forte de leur conviction, la qualité et la richesse de leur intervention font de ces groupes une force unique dont bénéficie toute la société. Historiquement, on sait que le Mouvement des femmes a été associé au progrès social et à la conquête des droits. Le Mouvement des femmes, on le sait, continue d’être intimement lié aux grands débats économiques et sociaux au Québec.
Au Québec, le gouvernement, comme M. Bouchard vient de le mentionner, a écouté avec attention les préoccupations des femmes et on recherche avec elles des solutions qui sont le mieux adaptées aux fléaux que sont la pauvreté et la violence.
D’abord, le gouvernement du Québec mettra en action différents comités interministériels de coordination et de concertation afin de mieux répondre aux problématiques qui ont été soulevées par le Mouvement des femmes.
Concrètement et dans l’objectif d’assurer une juste représentation des femmes dans différents programmes de francisation, le gouvernement du Québec injectera les sommes nécessaires pour assurer l’accès universel à des cours de français pour les femmes immigrantes. Dorénavant, les personnes immigrantes fréquentant les cours de français à temps partiel pourront obtenir une allocation pour le remboursement des frais de garde et de transport. Jusqu’à maintenant, seules les stagiaires fréquentant leurs cours à temps complet étaient admissibles à de telles allocations. De plus, nous soulignons que, depuis le 1er avril 2000, les critères d’admissibilité à ces cours ont été élargis de trois à cinq ans.
Dans le domaine de l’éducation, le gouvernement annonce que désormais l’État assumera le paiement des intérêts des prêts étudiants des personnes qui doivent interrompre temporairement leurs études pour donner naissance à un enfant ou faire l’adoption d’un enfant. La durée de la période durant laquelle le gouvernement paiera les intérêts du prêt de l’étudiante sera de la date de la naissance de l’enfant plus un trimestre. Cette mesure, nous l’espérons, évitera l’endettement supplémentaire des étudiantes et étudiants.
Dans le logement social, le gouvernement du Québec poursuit donc les efforts encourus jusqu’à maintenant. Il faut d’abord mettre en perspective le fait — comme M. Bouchard l’a mentionné tout à l’heure — que, depuis 1994, le financement de toute nouvelle initiative en habitation, le Québec a investi plus ou moins 962000000 $dans ce secteur. Encore aujourd’hui, le gouvernement du Québec annonce la réalisation de 400 nouvelles unités de logement dans le cadre du programme AccèsLogis pour des personnes ayant des besoins particuliers de logement qui sont liés notamment à la violence conjugale, la toxicomanie et l’itinérance. Cette intervention, nous l’espérons, permettra de réaliser des projets d’habitation avec services de soutien communautaire pour répondre adéquatement aux besoins de ces personnes. De plus, il y aura un montant additionnel qui sera affecté à la reconduction du supplément au loyer pour les ménages qui en bénéficiaient et pour qui cette aide venait à terme au 1er janvier 2003.
De plus, le gouvernement du Québec annonce la hausse de trois prestations spéciales qui sont destinées aux familles prestataires de la sécurité du revenu. Il s’agit du supplément pour grossesse et du supplément pour allaitement, qui ont pour but le soutien alimentaire des femmes enceintes et des mères qui allaitent. En outre, il y aura également une aide spéciale qui sera accordée pour la rentrée scolaire aux parents d’enfants inscrits à l’école primaire et secondaire. Cette mesure, qui n’avait pas été majorée depuis 1989, servira principalement à défrayer le matériel didactique et les fournitures scolaires de même que les frais qui sont reliés à la surveillance et au transport du midi. Ces bonifications entreront en vigueur le 1er janvier 2001.
La réduction de la pauvreté et des inégalités figure déjà bien en haut des priorités de notre gouvernement. C’est dans cet esprit que le gouvernement a entrepris d’importants travaux afin d’évaluer la portée des mesures qui existent déjà et pour identifier de nouvelles avenues qui pourraient favoriser davantage l’insertion sociale, l’intégration en emploi ainsi qu’une aide adaptée à l’évolution des besoins. Notre collègue André Boisclair pilotera ces travaux, qui devront déboucher sur une stratégie d’intervention globale et intensive qui impliquera plusieurs de nos ministères et organismes gouvernementaux.
Le gouvernement du Québec est convaincu qu’il nous est collectivement possible d’aider avec plus d’efficacité les personnes et les familles dans le besoin à réaliser leur plein potentiel et à profiter de la période de croissance économique que nous connaissons. La stratégie de lutte à la pauvreté qui est en élaboration apportera ainsi d’autres réponses concrètes aux revendications québécoises de la Marche mondiale des femmes en matière de lutte à la pauvreté.
Également, notre gouvernement annonce qu’il y aura une hausse du salaire minimum à compter du 1er février 2001. Le nouveau taux s’établira à 7 $ l’heure, soit une augmentation de 0,10 $ l’heure. En ce qui concerne les employés à pourboire, le taux du salaire minimum passe de 6,15 $ l’heure à 6,25 $. Également, le salaire minimum consenti aux domestiques résidents passe de 271 $ à 280 $ pour une semaine normale de travail de 49 heures.
Dans le contexte de la forte croissance économique que nous connaissons, cette hausse du salaire minimum permettra aux bas salariés de participer à la richesse collective, et ce, sans pour autant nuire à la compétitivité des entreprises québécoises face à la concurrence extérieure.
En terminant, j’aimerais rappeler que nous sommes fières de faire partie nous aussi de ces femmes qui, à leur manière, font avancer le Québec. Nous rendons hommage à leur courage, à leur détermination, à leur solidarité et à leurs aspirations, que nous partageons, qui sont légitimes, à savoir: l’égalité, la justice et le progrès social.
Maintenant, je vais céder la parole à notre collègue Mme Pauline Marois qui vous fera part de nos interventions précises concernant la violence conjugale et les orientations en matière d’agression sexuelle.
Mme Marois: Alors, merci beaucoup, Linda. M. le premier ministre, chers collègues, bonjour à vous tous et à vous toutes. Je pense que ça n’étonnera personne qui sait que j’ai toujours eu à coeur de porter la plus grande attention aux facteurs qui conditionnent la sécurité et le bien-être des femmes, malheureusement encore trop souvent compromis dans nos sociétés.
Alors, je vous annonce aujourd’hui un ensemble de mesures qui totalisent, en matière de lutte à la violence, près de 30000000 $, en fait 29800000 $, sur une période de deux ans, allant donc jusqu’à mars 2003.
Comment seront utilisées ou seront affectées ces sommes nouvelles que nous dégageons pour lutter contre le problème de la violence? D’abord, un 167000000 $ de la part du ministère de la Santé et des Services sociaux pour prévenir les agressions sexuelles et soutenir les victimes. Qu’est-ce que cela comprend? Particulièrement, la mise en branle d’un programme de sensibilisation, la réalisation d’activités de prévention en milieu scolaire, un soutien accru aux Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, plus communément connus sous le nom de CALACS, la désignation dans chaque région d’établissements qui devront recevoir les victimes en cas d’urgence, donc essayer d’aider des personnes qui vivent une détresse, je vous dirais même une détresse extrême, insoutenable, à notre point de vue; donc 16700000 à ce type de programme.
En plus de cela, 9000000 $consacrés au cours des deux prochaines années à la lutte plus spécifiquement contre la violence conjugale. Alors, de cette somme, 8000000 $sera versé aux maisons d’hébergement, ce qui va nous permettre de renforcer la sécurité des femmes et des enfants hébergés et, d’autre part, de faciliter la participation de ces maisons aux différents mécanismes de concertation qui existent en la matière. En fait, cela correspond à une augmentation, pour ce qui est des maisons d’hébergement, de leur budget de 16 % annuellement, finalement, puisque c’est sur deux ans que nous continuerons de procéder. À cela, s’ajoute un budget de 800000 $, à l’intérieur du 9 millions, qui va permettre de promouvoir les rapports égalitaires entre les garçons et les filles.
Pour sa part, le ministère de la Justice attribuera un montant global de 4520000 $ pour mettre en place différentes mesures relatives aux orientations en matière d’agressions sexuelles. Nous pensons entre autres… Et c’est ma collègue, la ministre de la Justice, qui procédera à la mise sur pied d’une équipe de substituts spécialisés pour les infractions à caractère sexuel commises sur les enfants. On sait que toutes ces questions sont particulièrement délicates. On augmentera le nombre de cas traités.
Par ailleurs, on soutiendra mieux aussi, par un financement de l’ordre de 920000 $, l’implantation de nouveaux centres d’aide aux victimes d’actes criminels, plus communément appelés les CAVAC.
J’annonce également que le gouvernement compte revoir le financement des centres de femmes de manière à tenir compte des activités de prévention que ces centres mènent de même que du rôle déterminant qu’ils jouent auprès des femmes victimes de violence. Une attention particulière sera apportée à certaines femmes plus vulnérables parce que davantage victimes de discrimination — pensons aux femmes handicapées, aux femmes de communautés culturelles, aux femmes prostituées et aux femmes lesbiennes.
Nous entendons aussi accorder une attention particulière de même qu’appuyer le développement de centres pour femmes en difficulté dans les communautés autochtones.
Alors, vous avez pu le constater, le plus gros de notre effort va porter sur les services directs aux femmes, sur le financement accru pour des centres d’aide et de victimes contre les agressions ` caractère sexuel de même que pour les maisons d’hébergement. Cela va dans le sens des demandes exprimées par les femmes dans le cadre de la grande Marche, que nous recevons pendant les jours qui viennent et qui ont précédé aujourd’hui.
Au total, cela voudra dire, en plus de ce 30000000 $spécifiquement orienté à la lutte contre la violence sexuelle ou la violence conjugale, en plus de cela, que l’ensemble des autres mesures annoncées jusqu’à maintenant, excluant bien sûr la hausse du salaire minimum, cela totalisera plus de 50000000 $ qui seront investis pendant les deux prochaines années soit dans les programmes que je viens de mentionner ou d’autres programmes, soit à l’éducation, à la sécurité du revenu ou ailleurs dans nos différents ministères. La majorité de ces sommes sont des sommes récurrentes, c’est-à-dire qu’elles seront intégrées maintenant dans nos budgets réguliers et ce seront des programmes qui seront donc offerts en continu pour les années subséquentes. Ça ne s’arrête pas à la fin des deux prochaines années.
Alors, voilà, cela fait le tour de l’ensemble des mesures que nous annonçons. Nous sommes maintenant disponibles pour répondre à vos questions.
M. Grant (John): Normand.
M. Girard (Normand): Mme Marois ou M. le premier ministre, j’aurais deux questions. La première, c’est: Comment se fait-il que les porte-parole des femmes, qui ont rencontré certains membres du Conseil des ministres avec le premier ministre, ont manifesté leur insatisfaction à la suite de leur rencontre alors que les mesures qui sont annoncées ici paraissent être des améliorations par rapport à ce qui existait auparavant? Et ma deuxième question, M. le premier ministre, c’est: La formation du comité concernant les problèmes vécus par les travailleuses du sexe, comment se fait-il que, sur ce comité-là, il n’y a aucune péripatéticienne qui a été nommée? S’il y a quelqu’un qui connaît ça, c’est eux autres. ]
[ M. Bouchard:] Bon. Première question — je vais penser à la réponse à la deuxième en vous répondant à la première — M. Girard, en un sens, je me dis qu’il était un peu fatal que Mme David et ses collaboratrices soient un peu déçues des réponses puisqu’elles devaient être forcément inférieures aux attentes. Les revendications, si on les évalue, c’est quelque chose — on avait calculé sur six ans — qui ressemble à peu près à un milliard. Alors, évidemment, c’est beaucoup dans le contexte actuel. Je comprends que les besoins sont grands, mais c’est beaucoup par rapport à nos moyens. Alors, forcément, nous, le 50 millions, c’est de l’argent de plus qu’on met, là. Je voudrais rappeler que ça ne veut pas dire que c’est fini, là, la lutte contre la pauvreté, on ne commence pas aujourd’hui non plus, je vous l’ai dit, on a fait beaucoup de choses, comme je l’ai mentionné, et puis on va continuer, et puis on va le situer dans une démarche d’ensemble et puis on va essayer de voir s’il y a des fonds additionnels qui vont nous permettre d’entreprendre des engagements récurrents. Parce que c’est récurrent, on sait bien que ce qu’on fait là, ça ne se retire pas après deux ans, là, bon. Mais je voudrais rappeler que les finances du Québec, on n’est pas dans le trèfle, hein? On n’est pas dans le trèfle. Par exemple, Mme Marois a été informée par les établissements de la santé qu’ils lui demandent un autre 400000000 $ et un peu plus pour finir l’année. 400000000 $et un peu plus, ça vous tombe sur le bureau un matin, une année où on n’a pas de provisions budgétaires pour ça, puis l’arrangement qu’on a fait avec le fédéral, ça commence l’année prochaine. Vous savez, la revue de programmes est extrêmement difficile encore, ça sera toujours difficile de gérer le Québec avec une dette de 1 milliard, et 8 milliards d’intérêts par année qui nous tombent dessus. Même dans des années de prospérité économique comme celles que nous vivons. Et puis, il y a d’autres secteurs aussi. Je vous rappelle qu’au sortir du Sommet de l’éducation, on a pris l’engagement d’investir 1 milliard dans la santé, puis on l’a fait… Excusez-moi, à l’éducation.
[ Mme Marois: En santé aussi.]
[ M. Bouchard:] On s’est étiré, mais on l’a fait, puis c’est du récurrent, ça aussi. Alors, on jongle avec plusieurs balles en même temps et on est obligés, nous, de ne pas en échapper aucune. Et ça fait que… je vous assure qu’on a fait le mieux qu’on pouvait, on a travaillé très fort, on a travaillé étroitement avec le Trésor, avec les Finances, tous les ministères, on a fait deux longues réunions du Conseil des ministres qui ont porté là-dessus, on n’a pas ménagé nos rencontres et notre temps non plus dans nos rencontres d’étapes, on a vraiment fait ça du mieux qu’on pouvait dans notre conscience d’administrateurs et de responsables. Mais, c’est sûr qu’on m’a dit que Mme David avait dit que c’était inacceptable, le mot qu’elle a employé, c’est vrai que la pauvreté est inacceptable, c’est vrai qu’on ne peut pas accepter le fléau qu’on observe, même mitigé par les mesures importantes qu’on a prises, le grand effort que le Québec a fait dans ce domaine-là, mais il y a le possible et il y a les responsabilités globales qu’on doit assumer, nous, dans l’éducation, dans la santé, dans tous les différents secteurs d’activité du gouvernement. Et, dans cette mesure, moi, je suis fier de ce qu’on a fait jusqu’à maintenant et je peux vous dire qu’on a fait le maximum aujourd’hui, mais que ce n’est pas fini, qu’on continue, c’est un combat quotidien, ça, et puis on compte sur la coopération qu’on a toujours eue des groupements de femmes en particulier pour définir des mesures correctes, adéquates et équitables, et on va se revoir dans le futur pour travailler encore dans ces démarches globales qu’on a entreprises. Quant aux comités, je pense que nous avons convenu que les tierces personnes pourront participer à ces comités.
[ M. Girard (Normand): Ce n’est pas des tierces personnes qui viennent de la rue, là. ]
[ M. Bouchard:] Non. Les tierces personnes, c’est un euphémisme que j’ai employé pour les qualifier; d’autres personnes d’autres milieux que les milieux officiels qui sont mentionnés dans le…
[ M. Grant (John): Sylvain Théberge.
M. Théberge (Sylvain): M. Bouchard, 0,10 $ d’augmentation pour le salaire minimum, sincèrement, estce que c’était vraiment l’effort maximal que le gouvernement pouvait faire en ce domaine? ]
[ M. Bouchard:] N’oubliez pas que le salaire minimum, au Québec, est le deuxième plus élevé du Canada, il est plus élevé de 0,15 $ que celui de l’Ontario, une province qui a un niveau de vie de 25 % à 30 % plus élevé que le nôtre. Alors, c’est déjà un effort extrêmement considérable que le Québec consacre. Puis le Québec, ce n’est pas le gouvernement, c’est l’argent des autres, ça, c’est l’argent des employeurs. Et il y a des impacts économiques directs. Hausser le salaire minimum, ça provoque des impacts économiques et, souvent, à vouloir aider les petits salariés, si on veut trop les aider par le salaire minimum, on finit par leur nuire parce que ça limite le nombre d’emplois.
Il y a des ratios qui ont été définis par les économistes: 1 % de plus d’augmentation du salaire minimum, ça correspond à tant de pertes d’emplois.
Alors, il faut être prudents, d’autant plus qu’on est déjà rendus très élevés. Et le véritable barème pour se comparer aux autres dans ce domaine, c’est en proportion du salaire industriel moyen, et il se trouve que nous sommes les premiers au Canada, nous sommes à 49 %, je pense, actuellement, et il n’y a personne d’aussi élevé que nous par rapport à cela. Donc, il faut faire attention, il y a comme des limites imposées par les règles économiques, et nous avons été prudents. On s’est même demandé, en tout cas certains d’entre nous se sont demandé si on devait augmenter le salaire minimum. Il y a un de nos collègues ministre qui nous disait, par exemple, qu’aux Îles-de-la-Madeleine il y a du poisson qui est capté là par les pêcheurs puis qui est transformé au Nouveau-Brunswick. Parce qu’au Nouveau-Brunswick le salaire minimum est à combien?
[ Mme Lemieux: 5,75 $. ]
[ M. Bouchard:] 5,75 $. Alors, les emplois sont créés au Nouveau- Brunswick au lieu d’être créés aux Îles-de-la-Madeleine parce que notre taux de salaire minimum est trop élevé par rapport au Nouveau-Brunswick. Alors, il y a comme un équilibre qu’il faut observer, et c’est dans cette mesure que nous avons pensé, finalement, que cette augmentation pouvait être acceptable par l’économie puis, en même temps, on montrait un minimum d’efforts pour améliorer la situation de ces personnels.
[ M. Grant (John): Katia Gagnon.
Mme Gagnon (Katia): M. Bouchard, il y a des gens qui ne pourront pas s’empêcher de comparer l’effort, les sous que vous consentez à une grande compagnie, Mosel Vitelic, par rapport aux sous que vous êtes prêts à consentir aux gens qui sont, vous l’avez dit vous-même, les grands oubliés de la relance économique. Est-ce que vous pensez sérieusement que 50000000 ça va les aider? ]
[ M. Bouchard:] D’abord, je ne peux pas dire qu’ils sont oubliés. Ils sont, je pense, dans nos préoccupations constantes. Ils ont fait l’objet d’efforts importants que notre société a consentis et va devoir continuer à consentir et, j’espère, à accroître. Quant à des projets économiques comme celui que vous mentionnez, je vous rappellerai que c’est essentiellement, d’abord, un investissement de la part de la SGF, une mise de fond, une prise de capitalactions qui est anticipée avec un rendement dans l’investissement, ce qui est correct du point de vue économique, et une exemption d’impôts de la part de l’employeur pendant une période considérable, c’est vrai. Mais ces impôts, on ne les toucherait pas si la compagnie ne s’installait pas, de sorte que vous créez des emplois et vous n’avez pas de coûts, en tout cas, strictement découlant de l’exemption fiscale.
Et je vous rappellerai également que ce sont des politiques qui sont utilisées partout maintenant dans le monde, que nous avons des compétiteurs très agressifs dans ce domaine en face de nous du côté américain, pourtant, où on professe les compartiments étanches entre l’État et entreprises privées. Les Américains sont très agressifs dans le financement de ce genre d’entreprises. Il s’agit de placer le Québec sur la voie de la création de richesse. C’est ce qu’on cherche à faire. Parce que, pour distribuer de la richesse, il faut la créer et les programmes incitatifs d’investissement privé pour la création d’emplois, bien ils s’inscrivent dans la colonne de création d’emplois, création de richesse, ce qui est un moyen — je ne dirais pas que c’est le moyen parfait, mais qui est encore le meilleur moyen inventé pour lutter contre la pauvreté — de créer de l’emploi et de la richesse qui peut être distribuée ensuite à ceux qui n’ont pas la chance de se trouver un emploi.
[ Mme Gagnon (Katia): J’aurais une question pour Mme Lemieux: Vous avez été longtemps une tête d’affiche du mouvement féministe, qu’est-ce que vous pensez de l’effort aujourd’hui du gouvernement? Est-ce que c’est suffisant?]
[ Mme Lemieux: Écoutez, moi, j’ai décidé de me présenter comme députée du gouvernement du Parti québécois, ce n’est pas un choix lié au hasard. C’est un gouvernement qui a des valeurs. Comme M. Bouchard l’a dit, on jongle avec plusieurs balles, il ne faut pas en échapper. Moi, je pense qu’il y a des coups de barre très intéressants qui sont donnés, notamment en matière de violence. On est en continuité de ce qui a été déjà fait. Si la page des efforts par ce gouvernement-ci était blanche, s’il n’y avait rien qui avait été fait, je serais mal à l’aise; je ne le suis pas. On est en continuité puis c’est clair qu’on a encore des défis devant nous.
Mais trouvez-moi un gouvernement qui a introduit — et puis je peux vous faire une longue liste — une Loi sur l’équité salariale, qui est capable d’avoir des mesures de soutien bien spécifiques pour les familles à faibles revenus, qui a introduit la perception automatique des pensions alimentaires, qui a introduit des services de garde à 5 $. Tout le monde nous regarde. J’arrive d’une rencontre fédérale-provinciale, tout le monde nous regarde. Comment on a fait ça? Pourquoi on a fait ça? Trouvez-moi un gouvernement qui a fait ça? Moi, je suis fière d’être associée à ce gouvernement-là. C’est sûr qu’on a encore d’autres défis devant nous. On donne des coups de barre et ils sont significatifs.
M. Grant (John): M. Robert Dutrisac…
M. Dutrisac (Robert): Oui. J’aimerais savoir, parmi les mesures qui sont annoncées aujourd’hui, qu’est-ce qu’il y a de franchement nouveau, qu’est-ce qu’il y a qui correspond à des promesses qu’on remplit aujourd’hui ou qu’on devance et qui faisaient déjà partie de vos objectifs?
Mme Goupil: D’abord, il est évident qu’en matière de lutte à la violence, au niveau des orientations en matière d’agressions sexuelles, ce qui a été exprimé par les groupes de femmes — qui touchent directement à différent degrés les femmes qui en sont victimes, les enfants — c’est qu’on nous a demandé d’être capables d’avoir une équipe qui travaille en coordination et de concert ensemble pour s’assurer qu’on peut travailler en amont, c’est-àdire, en prévention au niveau des jeunes, des enfants, il y a un budget qui est alloué pour Espace, qui est un organisme qui vient en aide au niveau des jeunes. Nous allons avoir une équipe de substituts qui seront spécialisés, parce qu’il est évident, lorsqu’un enfant ou une femme est victime d’agression sexuelle, que l’approche n’est pas la même que dans d’autres crimes. Alors, d’avoir une équipe spécialisée… C’est-à-dire, nous allons en avoir 11, substituts, qui vont travailler particulièrement en amont avec chacun des ministères.
Donc, l’objectif de cette nouvelle façon de travailler… Ça fait longtemps qu’elle était demandée. Mais il est évident que, versus toutes les obligations que nous avions, nous avons travaillé très fort pour être capables de se donner vraiment de l’argent neuf pour être capables de réaliser des progrès plus rapidement que ce que nous avions pu faire jusqu’à maintenant. Et aussi, bien sûr, au niveau des organismes, que ce soit les CALACS ou les CAVAC, qui sont des maisons qui viennent en aide actuellement aux victimes, il était nécessaire que nous puissions consolider le travail qu’ils font déjà. Alors, c’est de l’argent neuf dont nous avions besoin.
Maintenant, lorsque nous avons rencontré l’organisation de la Marche mondiale des femmes, elles nous ont exprimé que, dans différents secteurs, il y avait certaines problématiques plus pointues qui faisaient en sorte que c’étaient les femmes qui en étaient victimes. Alors, dans l’argent neuf que nous ajoutons, nous répondons de cette façon en reconnaissant qu’il devait y avoir des mesures ponctuelles dans différents secteurs, que ce soit dans le cadre de la francisation, que ce soit dans le cadre de la violence, que ce soit au niveau de l’emploi également, et on sait aussi que le comité sur lequel travaille notre collègue André Boisclair, en collaboration avec d’autres ministères, on veut vraiment se donner une politique d’intervention qui soit globale, que chacun des ministères soit capable d’orienter ses gestes en fonction de problématiques que les femmes, particulièrement, nous ont exprimées, puisqu’elles les vivent sur le terrain. Alors, en cela, c’est intéressant.
M. Grant (John): Une dernière en français. Dave Parent.
M. Parent (Dave): M. Bouchard, n’est-il pas vrai que, pour une femme monoparentale — je reviens au salaire minimum, là — d’aller travailler au salaire minimum, ça revient à être payée moins que sur l’assistance sociale?
M. Boisclair: Alors, cette affirmation est fausse, elle est démontrée. Quelqu’un qui travaille au salaire minimum, quelle que soit sa situation, que ce soit une personne seule ou une femme monoparentale, indistinctement de l’âge de l’enfant, qu’elle ait un enfant ou deux enfants, dans tous les cas, le travail est gagnant. Pourquoi le travail est gagnant? Parce que, avec la réforme de la sécurité du revenu qui a été entreprise par Louise Harel, on a réussi à briser le mur de la pauvreté et corriger ce que M. Parizeau dénonçait à l’époque, en 1981, qui itait les taux marginaux implicites de taxation très élevés.
Vous vous souvenez des discours longtemps que l’équipe du Parti québécois a tenus sur la trappe de pauvreté. Cette question, on l’a réglée comment? En faisant en sorte de donner des allocations aux gens non pas en fonction de leur statut d’assisté social ou pas, mais bien en fonction de leurs revenus.
C’est ainsi que cette femme monoparentale reçoit une allocation, si elle travaille au salaire minimum, à faibles revenus, pour couvrir les besoins essentiels de ses enfants. C’est ainsi aussi qu’elle peut avoir accès au programme APPORT pour compenser un niveau de revenus qui serait trop faible. C’est ainsi que cette personne a accès aussi à l’allocation-logement. Donc, en déplaçant le focus des services publics non pas sur le statut, mais sur le revenu d’une personne, on fait en sorte qu’en tout temps le travail est gagnant et qu’aujourd’hui personne ne peut soutenir cette affirmation. J’ai des chiffres d’ailleurs, ici, plus précis qu’il me fera plaisir de vous présenter.]
[ M. Bouchard:] En fait, c’est un problème qui existait avant, vous avez raison, mais ça a été l’une des motivations pour mettre en place la nouvelle politique familiale qui règle ce problème.
[ M. Larocque (Paul): J’aurais une question, M. Bouchard, si vous permettez. Le processus a été lancé… Entre autres, les arguments que votre gouvernement avance, c’est pour simplifier les structures et le fonctionnement du monde municipal. Plusieurs personnes aujourd’hui regardent le rapport Bernard et tentent encore de comprendre, 24 heures plus tard, comment ça va fonctionner. On est parti du concept d’une île, une ville, et on pourrait se retrouver avec un concept d’une ville, deux bills semblables, deux comptes de taxes. Est-ce que c’est applicable, M. Bouchard? Est-ce que vous seriez prêt à l’appliquer intégralement? ]
[ M. Bouchard:] Bon. Tout d’abord, moi, je pense que c’est un très bon rapport qui, d’ailleurs, s’est mérité des commentaires appréciateurs de beaucoup de monde. Certains, par contre, ont mentionné des aspects plutôt négatifs qu’il conviendrait de corriger ou de mitiger. Alors, c’est le rôle du gouvernement, et je conviens qu’en effet il y a certains aspects qui sont complexes et je pense que le gouvernement devra, dans toute la mesure du possible, simplifier le mode de fonctionnement de ces nouvelles structures tout en tenant compte, évidemment, d’un ensemble de facteurs qu’on connaît.
[ Mme Gagnon (Katia): C’est trop compliqué pour le contribuable moyen. ]
[ M. Bouchard:] Ça paraît un peu compliqué, en effet, un peu compliqué. Il y a probablement un effort de simplification additionnel. M. Bernard a apporté une grande contribution à cette affaire parce que je pense qu’il a situé toute la question, maintenant, dans une perspective où il faut qu’il y ait une grande ville à Montréal, qu’il y ait une voie unique, qu’il y ait une efficacité d’action. Et dans cette mesure, je pense qu’il a fait un très grand travail, y compris dans les mentalités et les esprits, parce que maintenant les gens se rallient plus… je crois constater maintenant que la plupart des gens constatent qu’en effet il faut améliorer le fonctionnement. Il y a peut-être des voix discordantes ici et là, mais, dans l’ensemble, l’atmosphère a beaucoup changé par rapport à l’an dernier, et c’est une grande contribution qu’a faite M. Bernard.
Il a en même temps apporté un concept très, très intéressant, celui des arrondissements. L’idée des arrondissements, elle est bonne, et je pense qu’il faudra travailler avec ça, il faudra articuler ce que nous allons faire avec ça. Mais le gouvernement retient l’idée d’une ville, retient l’idée qu’il y aura des arrondissements et qu’il faudra simplifier le fonctionnement de tout ça.
[ M. Grant (John): Jean.
M. Thivierge (Jean): M. Bouchard, vous parliez de simplification, en parlant du rapport Bernard. Les propositions, vous parliez de simplification. Ça implique des négociations, j’imagine, avec les élus montréalais. Est-ce que ça pourrait aller jusqu’à retarder peut-être la mise en place de tout le processus?]
[ M. Bouchard:] Non. Bien, nous allons continuer de parler aux gens, mais une bonne journée, le décideur décide; et nous sommes le décideur.
[ M. Thivierge (Jean): Mais il y a de la place pour les négociations, à tout le moins?]
[ M. Bouchard:] Non. Je ne vois pas ça en termes de négociations. Non. Des discussions, des vérifications, des échanges, des écoutes, mais pas ce qu’on appelle le processus de négociation. Parce qu’une négociation signifie qu’il faut absolument qu’on s’entende tout le monde à la fin. Et c’est une obligation à laquelle je ne voudrais pas assujettir ce décideur qu’est l’État.
[ M. Salvet (Jean-Marc): Dans le rapport Lapointe, M. Bouchard, est-ce que vous y voyez la même complication dans les structures que vous voyez dans le rapport Bernard?]
[ M. Bouchard:] Pas de mur-à-mur. On voit que les situations diffèrent d’un endroit à l’autre au Québec. Je pense que ça sera une qualité de nos décisions que d’être flexible en s’adaptant aux différentes particularités des milieux qui sont visés. Alors, nous allons regarder en soi le rapport Lapointe, en soi le rapport Bernard, en soi le rapport Grégoire, qui vient demain, je crois, pour l’Outaouais, et tous les rapports que nous avons demandés dans les différentes régions.
[ (Fin de la séance à 15 h 5)]
[QBOUC20010111cp]
[Conférence de presse de M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec Annonce de sa démission Le jeudi 11 janvier 2001
(Treize heures trente-huit minutes) ]
[ Une voix: Le premier ministre va vous faire une déclaration et il n’y aura pas de période de questions.]
[ M. Bouchard:] Chers concitoyens, chères concitoyennes, j’ai mis profit les vacances des Fêtes pour me livrer à une réflexion approfondie sur mon engagement dans la vie publique. Ce répit m’a surtout permis de faire le point sur l’efficacité de mon apport à la promotion de la souveraineté. J’ai décidé de mettre fin à ma participation aux affaires publiques et de résigner ma fonction de premier ministre du Québec. C’est avec fierté que j’ai rempli cette charge au cours des cinq dernières années. Malgré ce qu’elle exige d’énergie et d’ouverture d’esprit et d’endurance, j’ai eu beaucoup de satisfaction à l’assumer. Il n’est pas de mon propos aujourd’hui de dresser la liste de nos réussites gouvernementales. Il suffira de rappeler que mon gouvernement a réorienté l’avenir du Québec en matière de finances publiques, d’économie, de fiscalité, de santé, d’éducation, de progrès social et d’organisation municipale. On m’accordera que je n’ai jamais hésité à prendre les problèmes de front et que j’ai toujours voulu faire avancer le Québec avec la constante préoccupation d’être le premier ministre de toutes les Québécoises et de tous les Québécois. J’avais dit que j’oserais et je crois l’avoir fait dans toute la mesure du possible. Depuis plus de 10 ans, je mène dans des postes électifs le combat de la souveraineté. À cet égard, il me faut bien constater que les fruits de mon action sont moins probants, les temps forts ayant alterné avec les revers. Je me suis astreint à faire sans complaisance, en particulier, le bilan de mes efforts pour réaliser la souveraineté du Québec depuis que je dirige le Parti québécois. Car, en plus de ses obligations de premier ministre, un chef de parti est également lié par les engagements politiques qu’il partage avec sa formation et, dans le cas du Parti québécois, le premier d’entre eux est de réaliser la souveraineté du Québec. C’est dans le but de contribuer à la construction d’un Québec souverain que j’ai fondé un parti à la Chambre des communes, où il a ultimement formé l’opposition officielle. Le même combat m’a jeté, avec toute la persuasion et la détermination dont j’ai été capable, dans la campagne référendaire de 1995, aux côtés de M. Jacques Parizeau. Je me suis assigné le même objectif, au moment de prendre charge de la direction du parti en 1996. Nous sortions d’une campagne référendaire qui nous avait amenés aux portes du nouveau pays. Il est vrai qu’une amère déception avait succédé, le soir du référendum, à l’exaltation que la quasi-assurance d’une victoire nous avait fait auparavant éprouver. Néanmoins, la poussée souverainiste avait été telle qu’elle justifiait l’espérance d’atteindre l’objectif dans un proche avenir. J’avais encore en mémoire la vision de ces foules enthousiastes qu’aucune salle n’arrivait à contenir durant les dernières semaines de la campagne, je revivais la solidarité du Parti québécois, du Bloc québécois, de l’ADQ et des autres partenaires du Camp du changement, je me disais que cet élan magnifique, qui avait porté si près du but le peuple québécois, le propulserait à nouveau en avant, et très tôt. L’heure n’est pas aux longues analyses, mais le fait est que ces espoirs ont été jusqu’à maintenant déçus. Sans doute des problèmes pressants nous ont-ils tout de suite interpellés. Sans doute avons-nous réussi à dégager les consensus qui nous ont permis de juguler le déficit chronique du Québec, de relancer l’économie à Montréal et dans les régions et de créer des emplois qui ont permis entre autres d’intégrer au marché du travail un grand nombre d’assistés sociaux. Mais, fait-on remarquer avec raison, nous n’avons pas réussi pour autant à accroître la ferveur souverainiste. La prise en charge de nos obligations gouvernementales devait-elle fatalement retarder la réalisation de la souveraineté? D’une part, l’intérêt public et les responsabilités gouvernementales dont nous étions investis nous faisaient obligation de redresser la situation économique et financière du Québec. D’autre part, nous avions bien vu qu’en mettant la maison en ordre nous donnerions plus de crédibilité à la construction d’un Québec souverain. J’ai cru et je crois encore que l’un des meilleurs moyens de convaincre le peuple québécois de sa capacité de se gouverner lui-même, avec toutes les ressources et tous ses pouvoirs, c’est de lui faire la démonstration concrète de son potentiel et de celui de son État. En rompant une séquence de 40 années de déficit, en restaurant la crédibilité de notre gestion financière, en réduisant le taux de chômage à son niveau le plus bas depuis un quart de siècle, en entrant de plain-pied dans la nouvelle économie et en accentuant notre progression sociale, n’avons-nous pas pourvu d’assises plus solides l’avenir politique que choisiront les Québécoises et les Québécois? Tout cela étant dit, je reconnais que mes efforts pour relancer rapidement le débat sur la question nationale sont restés vains. Il n’a donc pas été possible d’engager une démarche référendaire à l’intérieur de l’échéancier rapproché que nous aurions souhaité. De même, les Québécois sont-ils restés étonnamment impassibles devant les offensives fédérales comme l’union sociale, le programme de bourses du millénaire, la création des chaires universitaires de recherche, l’adoption de la loi C-20, laquelle vise à rien de moins que de restreindre notre capacité de choisir notre avenir politique. En tous les cas, s’il y avait mécontentement, les résultats du dernier scrutin fédéral ne l’ont guère exprimé. Pourtant, les enjeux sont plus pressants que jamais, il faut de toute nécessité secouer l’indifférence affichée envers l’asphyxie que nous prépare le déséquilibre fiscal entre les deux niveaux de gouvernement. Il importe de faire voir combien précaire demeure l’équilibre de nos finances publiques. Alors qu’Ottawa ne cesse d’engranger les surplus, notre État national ploie sous des dépenses croissantes avec des revenus qui ne pourront manifestement pas suivre la même courbe. Conjugué avec les brutales et innombrables intrusions fédérales dans nos champs de compétence, ce phénomène acculera inexorablement l’État québécois à l’incapacité de financer le coût de ces missions essentielles, et ceci le rendra encore plus vulnérable aux visées d’un gouvernement fédéral déterminé à nier l’existence du peuple québécois et à restreindre les champs d’action de son État. Cette menace est imminente et elle pèse sur nous tous, de quelque allégeance que nous soyons. J’assume toute la part de responsabilité qui m’échoit pour n’avoir pas réussi à raviver la flamme et à sensibiliser nos concitoyens à la gravité de la situation. Je tire donc, pour moi, les conclusions qui s’imposent: le gouvernement a encore deux ou trois ans de mandat, je me résous à ouvrir aux membres du Parti québécois la possibilité de se donner un chef qui saura mieux que moi raffermir le militantisme, intensifier le sens identitaire du peuple québécois et faire avancer la cause de la souveraineté, le seul projet qui puisse offrir une voie d’avenir aux Québécois. Cela doit passer par la revitalisation du projet souverainiste qui ne peut se faire autrement qu’en droite ligne avec l’héritage de René Lévesque, c’est-à-dire dans un esprit de respect démocratique, de générosité et d’ouverture à toutes et à tous, sans égard à leur origine ethnique et culturelle. Je vois ainsi dans mon départ l’occasion d’un débat de fond, comme plusieurs le souhaitent, et même le moyen d’un renouveau pour le parti. J’ai confiance dans l’avenir des Québécoises et des Québécois, car je les sais capables de grandes choses individuellement et collectivement. On me permettra d’ajouter, sans qu’il s’agisse d’une cause de mon départ, que je n’ai pas le goût de poursuivre quelque discussion que ce soit sur l’Holocauste et sur le vote des communautés ethniques et culturelles. Je ne parviens toujours pas à comprendre comment le débat linguistique en est venu à dévier vers la quantification comparée des souffrances du peuple juif et l’intolérance que manifesteraient des citoyens québécois en ne votant pas pour la souveraineté du Québec. Comme il fallait s’y attendre, les déclarations en ce sens ont fait du tort à la réputation du Québec à l’étranger. Ici même, elles n’auront certes pas amélioré la capacité des souverainistes de convaincre ceux et celles qui sont visés. On peut aussi penser qu’elles outragent des membres des communautés concernées qui ont déjà manifesté de l’ouverture, voire une adhésion à la réussite du projet souverainiste, et j’ai la conviction que, sans l’intervention de l’Assemblée nationale, le dommage eut été beaucoup plus lourd. C’est pourquoi j’ai été surpris par les protestations qu’a suscité l’adoption de la résolution unanime de cette Assemblée sur le caractère inacceptable des propos qui ont lancé cet étrange et dangereux débat. Plusieurs dizaines de personnalités ont signé une condamnation publique de la résolution à l’Assemblée nationale, d’autres ont endossé leur intervention. Certains parlent de négociation. Nous sommes ici bien au-delà de la gestion de ces difficultés épisodiques qu’un chef de parti doit savoir résoudre par la flexibilité et la recherche du moyen terme. Dès lors que les enjeux campent sur le champ des principes, il n’y a pas de place pour la négociation. Nous voici sans conteste au coeur de l’essentiel. J’affirme, premièrement, que les citoyens québécois, sans distinction quelconque, peuvent exercer leur droit de vote comme ils l’entendent sans encourir de reproches d’intolérance; et deuxièmement, que l’Holocauste est le crime suprême, l’entreprise systématique de l’élimination d’une peuple, une négation de la conscience et de la dignité humaine. On ne peut reprocher aux Juifs d’en être traumatisés. Cette tragédie innommable ne peut souffrir de comparaison. On pardonnera peut-être à un acteur politique essentiellement endurci de s’être laissé atteindre personnellement en entendant qualifier de duplessistes et de mesquins les motifs qui ont inspiré son appui à la résolution à l’Assemblée nationale. Au delà de l’émotion, je persiste à penser que les membres de l’Assemblée nationale, forum démocratique par excellence, n’ont fait qu’exercer leur droit de libre expression le plus élémentaire en se dissociant des propos concernés et en les déclarant inacceptables. C’est bien à tort qu’on y a vu un acte de censure. Les parlementaires ont agi dans la plus stricte légitimité en prenant leur distance par rapport à des propos qui, de façon irresponsable, mettent en cause des valeurs fondamentales en démocratie, et la députation ministérielle devait d’autant plus prendre position que c’est à elle que cherche à se joindre l’initiateur de la controverse. Je comprends mal que certains puissent reconnaître le caractère inacceptable de tels propos pour un candidat déclaré du Parti québécois et du même souffle déplorer la résolution de l’Assemblée nationale. Si les déclarations concernées ne sont pas acceptables pour les membres du Parti québécois, elles ne pouvaient pas l’être davantage pour les parlementaires de l’Assemblée nationale. Je ne doute pas que, si leur auteur devait donner suite à ses intentions, les militantes et militants du Parti québécois fermeront la porte à sa candidature dans Mercier. Je tiens à dire toute ma gratitude à mes concitoyens et concitoyennes pour la confiance qu’ils m’ont manifestée en me conférant le privilège de les servir. Merci de tout coeur aux électeurs de Jonquière et aux militants et militantes de ce comté qui m’ont accueilli les bras ouverts. C’est avec tristesse que je dois renoncer au mandat qu’ils m’ont confié. J’adresse mes sincères remerciements à tous les militants et militantes du Parti québécois. Je garderai le souvenir de leur engagement admirable et de leur authentique désintéressement. Il me faut aussi souligner le travail et les efforts consacrés par les députés de l’Assemblée nationale au service de leurs commettants. Leur président, le député de Borduas, M. Jean-Pierre Charbonneau, a toujours rempli sa tâche dans le respect de nos institutions, et je l’en remercie. À mes collègues du caucus ministériel, je réitère mon attachement et ma reconnaissance pour le solide et affectueux soutien qu’ils m’ont prodigué tout au long de notre parcours commun. Sans eux, rien de ce que le gouvernement a accompli n’aurait été possible. Je n’ai jamais cessé de trouver chez eux les plus sages conseils et les encouragements les plus vivifiants. Je ne saurais exprimer tout ce que je dois à mes compagnes et compagnons du Conseil des ministres. Comment me rappeler, sans une profonde émotion, les heures innombrables que nous avons passées ensemble à la recherche de solutions à tant de problèmes épineux. En toutes circonstances, ils ont fait montre envers moi d’une solidarité sans faille et d’une générosité que je n’oublierai pas. Je les assure de toute mon amitié.
Le moment est venu de conclure. Je quitterai mes fonctions de premier ministre du Québec et de député de Jonquière. À la demande du caucus des députés tout à l’heure, ces démissions deviendront effectives au moment où le Parti québécois aura comblé la vacance à la présidence. J’assurerai donc la transition. Conséquemment, je quitte aujourd’hui même la direction du Parti québécois pour lui permettre de mettre en branle la procédure de mon remplacement.
[ At this point, I wish to express my gratitude to my fellow citizens for the confidence they placed in me and for having given me the opportunity to represent and serve them these past years. It is now time for my involvement in politics to come to an end. I will leave my duties as Prime Minister of Québec and as MNA for Jonquière.
At the request of the caucus, both these resignations will become effective when a new president has been elected by the party. Therefore, in order to allow our party to set into motion the process of electing its new leader, I’m resigning today as president of the Parti québécois.]
Je suis en politique active depuis bientôt 13 ans. Ces années m’ont apporté beaucoup de compensations, mais elles ont aussi prélevé leur tribut. Je regrette seulement de ne pas avoir fait mieux et davantage et surtout de n’avoir pu réaliser mon rêve pour notre avenir collectif, pour l’achèvement de la nouvelle nation québécoise. J’y ai mis toute ma passion et toutes mes forces. S’il m’est arrivé de blesser des adversaires ou qui que ce soit, je m’en excuse sincèrement et les assure que ce ne fut jamais par mesquinerie ou par manque de respect. Je remercie la Providence de mon excellente santé, mais j’ai célébré mon 62e anniversaire alors même que je me livrais à cette réflexion sur mon avenir. Les années nous sont comptées et j’ai une jeune famille d’autant plus précieuse qu’elle m’est venue sur le tard. Audrey m’a donné plus que je ne pourrai jamais lui rendre. Je veux aussi vivre pleinement cette aventure merveilleuse de l’éducation de garçons de 11 ans et de neuf ans. Alexandre et Simon ont besoin de moi et moi j’ai besoin de les retrouver, de les retrouver tous et de leur consacrer désormais le meilleur de mes énergies et de mon temps. Merci. [(Fin à 13 h 56) ]