Autres discours officiels (1998-2001)

[BOUC=19981130]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution au Centre des congrès de Québec – 30 novembre 1998]
Mes amis, Les femmes et les hommes du Québec ont choisi de nous faire confiance. Je veux les en remercier et leur dire que mon équipe et moi voyons d’abord dans cette expression de confiance le devoir de la mériter.
Sur le bulletin de vote, aujourd’hui, il était question de se choisir collectivement un itinéraire et un équipage pour entrer dans un nouveau millénaire. Avec la grande plume de la démocratie, le peuple québécois a inscrit un choix : celui de construire ici une société originale, un modèle québécois ni meilleur ni pire que celui de nos voisins, mais un modèle qui nous ressemble et qui exige le meilleur de nous-mêmes. Le modèle québécois et le choix démocratique d’aujourd’hui nous invitent au dépassement économique, pour plus d’emplois et moins de pauvreté; ils nous engagent à un regain d’humanisme et de solidarité car à l’heure de la mondialisation de marchés anonymes et distants, il nous faut trouver plus que jamais dans le tissu social du Québec la convivialité essentielle à nos vies; ils nous appellent à une plus grande maîtrise de notre destin collectif parce que personne ne peut, mieux que les Québécoises et les Québécois, définir leurs besoins et réaliser leurs aspirations. Au cours de cette campagne, j’ai sollicité de la part de l’électorat un mandat de chef de gouvernement et vous me permettrez d’en dire quelques mots. Il y a trois ans, en conformité avec nos règles démocratiques, j’avais été choisi premier ministre par la majorité parlementaire de l’Assemblée nationale et j’en avais été honoré. Je veux remercier tous ceux et celles d’entre vous, qui, dans tous les coins du Québec, avez signifié votre confiance. Je vous en suis sincèrement reconnaissant et sachez qu’au cours du mandat qui débute maintenant, je serai guidé par un impératif: chaque jour, avec mon équipe, nous voudrons être à la hauteur des responsabilités que vous nous confiez.
Je remercie du fond du cœur mes concitoyennes et concitoyens de Jonquière, qui m’ont à nouveau choisi comme député. Merci aussi aux militantes et militants de mon comté qui ont su, par leur dévouement et leur enthousiasme, faire oublier un peu le fait que mes fonctions m’ont tenu loin de mes électeurs plus souvent que je ne l’aurais souhaité. Je voudrais exprimer mon admiration pour toutes les militantes et tous les militants du Parti Québécois qui ont démontré une fois de plus que leur conviction, leur travail et leur sens de l’organisation font de ce parti un des instruments démocratiques les plus formidables qui soient. Merci à ceux qui nous ont épaulés, Monsieur Jacques Parizeau, les députés et militants du Bloc Québécois et leur chef, Monsieur Gilles Duceppe. Je salue la détermination dont a fait preuve Monsieur Jean Charest pendant cette campagne. Il s’est battu pour ses idées et l’option qui est la sienne avec conviction et en démontrant une force de caractère que chacun aura notée. Je tiens à lui dire que je serai heureux de travailler avec lui. Nous le savons, le Québec n’est jamais aussi solide que lorsqu’il agit de concert. C’est notamment grâce à une coalition de tous les partis représentés à l’Assemblée nationale que nous avons obtenu l’amendement sur les commissions scolaires linguistiques et la maîtrise des programmes de main-d’œuvre. Aujourd’hui, en réélisant notre gouvernement, le peuple québécois confirme le mandat que j’ai sollicité d’obtenir rapidement le moyen d’empêcher de nouvelles intrusions fédérales dans les programmes sociaux du Québec. Il y a urgence, car ces intrusions pourraient avoir lieu dès le prochain budget fédéral, en février. La proposition élaborée à Saskatoon en août dernier par tous les premiers ministres des provinces permettrait au Québec d’user d’un droit de retrait, donc de se soustraire à toute intrusion fédérale, avec pleine compensation. Le but est de retrouver ainsi notre liberté de concevoir et de mettre en œuvre notre solidarité sociale selon nos valeurs et nos priorités. Dans ce combat, comme dans celui des bourses du millénaire, l’appui des députés libéraux et de Monsieur Charest sera précieux. Quant au chef de l’Action démocratique du Québec, Monsieur Mario Dumont, il a, avec des moyens réduits, mené campagne avec énergie et un sens de la formule qui ne manque pas de fraîcheur. Mes amis, le nouveau gouvernement du Parti Québécois aura beaucoup de pain sur la planche. Durant cette campagne, nous avons pris d’importants engagements que nous allons remplir, comme c’est l’habitude des gouvernements du Parti Québécois. D’abord, nous allons protéger comme la prunelle de nos yeux le fruit de l’effort colossal que tout le Québec a consenti depuis quatre ans pour atteindre l’équilibre budgétaire. Le vote d’aujourd’hui confirme que nous ne laisserons plus jamais une génération endetter ses enfants. C’est là le message que nous ont livré les électeurs et les électrices de tout âge. Pour l’année fiscale qui se terminera dans quatre mois, le Québec affichera, comme prévu, son dernier déficit, de 1100000000 $, pas un sou de plus. Pour l’année qui commence le premier avril, nous déposerons le premier budget équilibré depuis 40 ans. Un budget où nous aurons les moyens de notre solidarité et de nos ambitions. Car dès cette année du déficit zéro, nous pourrons protéger le filet social de base du Québec en assurant notre engagement d’appauvrissement zéro pour les plus démunis et le financement des besoins nouveaux en éducation et en santé. Et à ce sujet de la santé, je voudrais dire que l’équipe gouvernementale a bien compris les inquiétudes qu’a suscitées une réforme indispensable, mais qui s’est faite dans des conditions qui n’étaient pas idéales. C’est pourquoi nous allons continuer de travailler avec le personnel médical et autres professionnels, le personnel infirmier, les gestionnaires et tous les artisans du réseau de la santé pour rendre encore plus accessibles les soins dont ils ont constamment maintenu la qualité. Notre objectif, au cours des mois qui viennent, est de rehausser la confiance dans le réseau de la santé. La création d’emplois sera au cœur de notre action, dans la métropole, dans la capitale et dans les régions. Nous appellerons les partenaires socio-économiques à une mobilisation générale pour l’emploi. Nous continuerons notre politique active d’attraction des investissements et nous voudrons étendre le succès de nos exportations et de nos partenariats, au premier chef avec le reste du Canada. Nous le ferons également avec les États-Unis, qui sont devenus ces dernières années notre premier partenaire commercial. Nous allons continuer à tisser des liens avec eux, comme avec notre indispensable partenaire français, et nous allons concentrer nos efforts pour devenir, en une décennie, un acteur incontournable dans le grand marché des Amériques qui s’ouvre à nous. Ces grands objectifs ont requis des moyens concrets et le maintien du climat favorable à la stabilité économique et sociale que nous avons créé depuis quelques années. Nous allégerons le fardeau fiscal des particuliers, notamment des familles de classe moyenne. Nous allons procéder à la réduction déjà prévue de la taxe sur la masse salariale des PME. Nous aiderons davantage les jeunes couples à concilier le travail et la famille. Nous compléterons notre réforme de l’éducation, ainsi que notre effort pour la formation des jeunes et nous aiderons les universités à contribuer plus efficacement que jamais à la société et à l’économie du savoir. Nous allons poursuivre notre aide à nos artistes, surtout à la relève, car leur créativité est une part essentielle de notre identité francophone d’Amérique. Et je tiens à dire clairement au gouvernement fédéral qu’en matière de culture comme en matière de francophonie, le Québec a fermement l’intention de parler de sa propre voix, ici et dans le monde. La jeunesse du Québec est notre bien le plus précieux. C’est pourquoi j’ai annoncé la tenue, dans notre capitale, d’un grand Sommet du Québec et de la jeunesse, pour élargir la place des jeunes et tracer des perspectives nouvelles pour le prochain siècle. Nous avons aussi sollicité le mandat de réunir les conditions d’un référendum gagnant pour la souveraineté du Québec, pour une souveraineté qui tend la main à tous nos concitoyens et à tous nos voisins. Le Québec est déjà superbement ouvert sur le monde, notre économie est une des plus exportatrices qui soient. De plus en plus de décisions affectant nos vies, nos emplois et notre identité sont prises à des tables internationales. Il apparaît donc de moins en moins normal que le peuple du Québec ne puisse y faire directement valoir des intérêts et ses propositions.
Notre engagement premier, c’est de faire avancer le Québec. Nous travaillerons à le faire progresser sur tous les plans, dans l’intérêt général. J’ai la conviction que le progrès ainsi réalisé se traduira par une « prise de confiance » du peuple du Québec, qui le portera plus loin dans la poursuite de son destin. Je serai, comme je l’ai été depuis trois ans, le premier ministre de toutes les Québécoises et de tous les Québécois. J’ai beaucoup parlé du modèle québécois. C’est un fait que le Québec veut être gouverné en partenariat avec tous les secteurs de la société, avec toutes les générations, en ayant à cœur les droits des femmes, la contribution des aînés, l’avenir de ses enfants. Mon gouvernement sera également celui de tous nos citoyens et citoyennes, quelles que soient leurs préférences politiques, leurs origines linguistiques ou culturelles. Je me réjouis des progrès que nous avons réalisés dans nos relations avec les nations autochtones qui vivent à nos côtés et nous avancerons sur le chemin prometteur que nous avons tracé ensemble. Je suis encouragé aussi par l’équilibre linguistique que nous avons établi et qui s’est raffermi cet automne. Dans cet esprit, vous me permettrez d’adresser quelques mots à nos concitoyens de langue anglaise. [Over the past few weeks, I have had the feeling that, were it not for the issue of sovereignty, a greater number of English-speaking Quebeckers would have supported our program and our candidates. So you will allow me to believe that, on a number of economic and social issues, there is more consensus in Québec tonight than the returns would indicate – as there was in our effort towards the zero deficit. I want you to know I understand that and, at the same time, that I respect the signal you send by choosing candidates who reflect your attachment to Canada. During the last mandate, I have invested considerable energy and, sometimes, political capital, in defending a vision of Québec where the need to promote our francophone identity has to be balanced with the protection of the rights of our English-speaking community. This is the course my government and I have chosen. We are committed to stay the course, whatever political future Quebeckers choose for themselves.] Grâce aux décisions courageuses que nous avons prises ensemble depuis quatre ans, grâce aux outils nouveaux que nous nous sommes donnés, grâce à l’élan que le Québec a retrouvé et grâce à la remarquable équipe de candidates et de candidats du Parti Québécois élus aujourd’hui, je pense que le Québec connaîtra, au cours des cinq prochaines années, une des périodes les plus emballantes qui soient. Le seuil du nouveau millénaire, nous allons le franchir ensemble, avec fierté, avec espoir et avec toute l’énergie voulue pour donner au Québec une nouvelle jeunesse. Merci.

[BOUC=19981215]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Assermentation du nouveau conseil des ministres – 15 décembre 1998]
Madame le lieutenant-gouverneur, Monsieur le président de l’Assemblée nationale, Honorables juges en chef, Monsieur l’ambassadeur, Mesdames et messieurs les consuls généraux, Très Révérend, Messieurs les maires, Mesdames, Messieurs les ministres et les membres de l’Assemblée nationale,
Distingués invités, Le 30 novembre, les Québécoises et les Québécois ont choisi l’équipe et les idées avec lesquelles ils entreront dans le troisième millénaire. Ils se sont ainsi dotés d’une remarquable équipe de députés. Je peux en tirer aujourd’hui un gouvernement nouveau combinant, il me semble, ce qu’il faut de jeunesse et d’expérience, de sagesse et d’audace pour préparer avec succès le passage du Québec à l’an 2000. Je suis fier de présenter un gouvernement qui, dans sa composition comme dans les tâches qu’il s’assigne, est résolument tourné vers l’avenir, la création d’emploi, la nouvelle économie, la science, la technologie, l’autoroute de l’information; un gouvernement qui met la jeunesse au centre de son action pour l’éducation, la formation, l’insertion en emploi, la qualité de vie; et un gouvernement qui reflète plus clairement que jamais une réalité québécoise de plus en plus forte et prometteuse : la montée en puissance des femmes. En effet, pour la première fois de notre histoire, près du tiers des postes ministériels sont tenus par des femmes. Pour la première fois, on trouve une femme ministre de la Justice et une autre, ministre des Affaires municipales et de la Métropole. Surtout, on trouve, à plus de postes majeurs du gouvernement québécois que jamais auparavant, des femmes talentueuses et engagées, des femmes qui portent le Québec vers l’avant. Pendant le dernier mandat, nous avions augmenté de 136 % le nombre de Québécoises dans la haute fonction publique. Aujourd’hui, avec des femmes ministres à la Santé, aux Relations internationales, à la Culture, au Travail et à l’Emploi, aux Affaires municipales et à la Métropole, à la Justice, au Revenu, à la Famille et à l’Enfance; avec un Comité des priorités et un Conseil du trésor composés pour près de la moitié de femmes, nous voulons faire entrer le Québec dans le prochain siècle avec une proportion inégalée de Québécoises aux leviers de commandes de nos affaires collectives. Un Québec enfin solide Ce Québec de l’an 2000, ce sera d’abord un Québec financièrement solide qui a les moyens de sa solidarité. Dans moins de quatre mois, avec le dépôt d’un budget affichant un déficit zéro, nos finances collectives seront en équilibre, pour la première fois en 40 ans. Ce résultat, on le doit à la solidarité de tout le Québec, à la détermination de toute l’équipe ministérielle, mais au premier chef au travail de deux ministres, que je reconduis dans leurs fonctions: Bernard Landry, vice-premier ministre et ministre d’État de l’Économie et des Finances, et Jacques Léonard, président du Conseil du trésor. Sur le plan financier, leur tâche, pendant la prochaine année, sera d’assurer l’élimination du déficit et de protéger le filet social de base du Québec en finançant les besoins nouveaux en santé, en éducation et la garantie d’appauvrissement zéro pour les plus démunis. Depuis quatre ans, le réseau de la santé a connu une réforme difficile mais salutaire, sous la gouverne de Jean Rochon, à qui le Québec tout entier est redevable et pour longtemps. Pour la phase de consolidation du réseau de la Santé, j’ai choisi une femme dont la compétence et l’efficacité sont également partout reconnues: Pauline Marois. L’équilibre budgétaire, la protection de notre filet social de base, la réussite de la réforme de la santé, la mise en place des derniers éléments de notre politique familiale, ce sera pour l’essentiel l’heureux résultat du travail que nous avons accompli ces quatre dernières années. Une mobilisation nationale pour l’emploi Sur ce socle enfin solide, nous allons construire. D’abord, pour l’emploi. La stratégie Objectif: Emploi de Bernard Landry, qui a déjà commencé à produire de grands succès, va pouvoir se déployer, secteur par secteur. Avec nos nouveaux outils nationaux, régionaux et locaux, nous allons pouvoir déclencher une véritable mobilisation nationale pour l’emploi. Nous le ferons notamment à l’occasion des Journées régionales pour l’emploi qui nous amèneront dans chaque région du Québec. Ces journées impliqueront toute l’équipe économique du gouvernement, et seront organisées sous l’égide d’un tandem du renouveau et de l’expérience, formé de la ministre du Travail et de l’Emploi, Diane Lemieux, et du ministre des Régions, Jean-Pierre Jolivet. La mobilisation pour l’emploi impliquera un effort renouvelé de mise en valeur de nos ressources naturelles, un mandat que je confie à Jacques Brassard, qui reste également leader parlementaire. Nous voulons davantage d’emploi en agriculture, et c’est la tâche de son nouveau titulaire, Rémy Trudel. Nous voulons plus d’emploi en Tourisme, ce à quoi travaillera le nouveau ministre délégué au Tourisme, Maxime Arseneau. Nous voulons plus d’emploi grâce à l’augmentation de nos exportations et à la prospection d’investissements, ce à quoi oeuvrera le nouveau ministre délégué à l’Industrie et au Commerce, Guy Julien. Et nous voulons continuer à faire en sorte que notre création culturelle, qui renouvelle constamment notre identité de francophones d’Amérique, procure des dizaines de milliers d’emplois aux artisans de l’excellence culturelle québécoise. Une nouvelle ministre de la Culture et des Communications, Agnès Maltais, en a le mandat.
Et nous voulons que ces emplois se créent dans le respect de notre patrimoine environnemental et dans une approche de développement durable. C’est pourquoi Paul Bégin garde le portefeuille de l’Environnement qu’il gère avec brio depuis plus d’un an, il assumera en plus la responsabilité de la Capitale nationale et de la région de Québec. Faire du Québec un carrefour mondial de l’économie du savoir Au cours des dernières années, nous avons constaté la remarquable croissance, dans la métropole et partout au Québec, des emplois de la nouvelle économie. Déjà, peuple de 7000000 d’habitants, nous comptons parmi les dix premières nations au monde pour le multimédia, les technologies de l’information, l’aérospatiale, le matériel roulant, la pharmaceutique, l’ingénierie. Le Québec est en train de devenir une référence en matière d’économie du savoir. Le nouveau gouvernement veut accélérer cette tendance et faire du Québec un carrefour mondial de l’innovation. Cet objectif est à notre portée si nous mobilisons nos énergies pour y arriver. Et je ne peux penser à signal de volonté politique plus fort que la nomination, au poste de nouveau ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie, de Jean Rochon. Il sera chargé de définir rapidement une nouvelle politique québécoise de la recherche scientifique, en consultation avec les milieux universitaires et économiques. Cette politique favorisera les synergies entre les aides gouvernementales existantes et à venir, la recherche et le développement en entreprise, la recherche scientifique et technique dans les institutions supérieures d’éducation. Pour y arriver, il présidera un comité formé de ses collègues de l’Industrie et du Commerce, de l’Éducation, de la Santé.
Y siégera aussi le nouveau ministre délégué à l’Autoroute de l’information et aux Services gouvernementaux, David Cliche. Pour une des mains-d’œuvre les mieux formées du continent
Pour réaliser tout ce que je viens de dire, il y a cependant une condition essentielle. Il faut que la jeunesse du Québec soit bien équipée pour les défis de l’emploi et de la nouvelle économie. Déjà, des entreprises d’Europe, d’Amérique et d’Asie, implantées ici en nombre croissant, vantent la qualité de la main-d’œuvre québécoise : sa compétence, son dynamisme, sa loyauté. Trop d’entreprises doivent cependant renoncer à des embauches à cause d’une pénurie de main-d’œuvre spécialisée, et les partenaires socio-économiques sont tous conscients des efforts nouveaux à consentir pour mieux arrimer l’école et l’entreprise. Depuis quatre ans, notamment sous la gouverne de Pauline Marois, nous avons engagé une grande réforme de l’éducation primaire et secondaire axée sur la réussite, le retour aux matières de base, la dévolution de plus de pouvoirs à l’école et aux parents et, enfin, la création des commissions scolaires linguistiques. Le virage de la formation, aussi, a été lancé. Le temps est venu de passer à une vitesse encore supérieure et de se fixer deux ambitieux objectifs. D’abord, nous voulons avoir au Québec une des mains-d’œuvre les mieux formées du continent, en faisant de la formation un des piliers de notre système d’éducation et de la vie des entreprises. Deuxièmement, et simultanément, il faut doter le Québec d’une capacité de réagir rapidement aux besoins nouveaux de l’économie pour que pas un emploi ne se perde pour la jeunesse du Québec. Cela passe par des formations courtes et par un dialogue plus constant entre les partenaires, l’éducation et l’entreprise.
Le temps est venu aussi de concentrer les énergies sur l’éducation supérieure, les cégeps et les universités, et de trouver rapidement avec eux des moyens de mieux contribuer à la société du savoir et à l’économie du savoir. La prospérité du Québec de demain dépend non seulement du financement nouveau qu’il faut accorder à l’enseignement supérieur et à la recherche, mais également à leur nécessaire modernisation.
Vous comprendrez qu’il s’agit là de tâches majeures, à la jonction de l’éducation, de la formation, de l’innovation et de l’entreprise. C’est pourquoi j’ai confié cette responsabilité à un jeune diplômé des HEC, qui a su faire sa jonction individuelle avec l’entreprise, et qui a su travailler en partenariat avec le milieu. Il s’agit de François Legault. Ministre d’État à l’Éducation, François Legault devient aussi ministre de la Jeunesse et, à ce titre, chargé du grand rendez-vous que nous nous sommes engagés à tenir avec notre avenir collectif. Le Sommet du Québec et de la jeunesse sera l’occasion d’une grande conversation entre les générations sur la façon d’élargir la place des jeunes et de tracer des perspectives d’avenir pour le début du nouveau siècle. Il y sera question d’économie et d’emploi, de travail autonome, d’éducation et de mieux-être. Comme pour le Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, ce nouveau sommet mobilisera les grands décideurs québécois et tout le gouvernement. En particulier, le nouveau ministre de la Solidarité sociale, André Boisclair, définira les moyens actuels et à venir de faire reculer la pauvreté chez certains groupes de jeunes, et à leur redonner espoir. Le nouveau ministre délégué à la Protection de la jeunesse, Gilles Baril, sera appelé à se pencher sur les problèmes de désespérance qui assaillent certains jeunes, sur leurs causes et leurs remèdes. Le nouveau ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, Robert Perreault, invitera les jeunes des communautés culturelles et de la communauté anglophone à s’engager dans les chantiers que nous voudrons ouvrir avec eux. Une politique de rassemblement Ce qui m’amène à parler de la politique de rassemblement que nous voulons pratiquer, plus que jamais, au cours de ce nouveau mandat. Aux Relations avec les citoyens, Robert Perreault poussera plus loin notre volonté de rassembler, dans des projets communs, les Québécoises et les Québécois de toutes origines. Il établira des ponts nouveaux avec ceux qui, dans la communauté anglophone, cherchent la concertation et la convergence avec le reste de la société québécoise. Du rassemblement et de la convergence, nous en aurons besoin dans le dossier de la Métropole. Le regain économique de la ville et de la région, la reconversion de ses industries, la renaissance de la rue Sainte-Catherine, chaque nouveau succès souligne le décalage croissant avec une structure de décision qui n’est plus à la hauteur des besoins et des ambitions de la Métropole. Pour ce dossier épineux entre tous, et pour celui, plus large encore, des Affaires municipales, je désigne une Montréalaise de cœur et de tête: Louise Harel. Je suis tenté de dire qu’il n’y a pas plus montréalais qu’une Montréalaise. Et c’est vrai dans ce nouveau gouvernement, où se côtoient un véritable front commun des femmes de l’Est de Montréal. En plus de Louise Harel et de Diane Lemieux, on y retrouve la ministre du Revenu, Rita Dionne-Marsolais, et la ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, Nicole Léger.
Ces dernières années, nos efforts de dialogue avec les nations autochtones ont commencé à porter fruits, et c’est dans une large mesure grâce au travail de Guy Chevrette, que je reconduis dans ses fonctions de ministre délégué aux Affaires autochtones et de ministre responsable de la Réforme électorale. Il cumulera ces fonctions avec celles de ministre des Transports et ministre responsable de la Faune et des Parcs. Aux Transports, Jacques Baril viendra lui prêter main-forte comme ministre délégué. Rarement le Québec ne s’était plus rassemblé qu’à l’heure du grand verglas, en début d’année. La Commission Nicolet produira bientôt un important rapport sur les moyens de mieux organiser notre solidarité en cas de grande épreuve. Il incombera au ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, de recevoir ce rapport et d’améliorer la capacité québécoise d’entraide en cas d’urgence. Le dépôt du rapport de la Commission Poitras, sur la Sûreté du Québec, sera aussi un moment important. À la Justice, Linda Goupil est la nouvelle et première femme ministre. Elle cumule ces fonctions avec celle de ministre responsable de la Condition féminine. Je vois là une conjonction qui ne peut que s’avérer favorable à l’administration de la justice. Un Québec en prise sur le monde Le Québec que nous voulons construire ici, c’est un Québec ouvert sur ses voisins et sur le monde. Dans quelques jours, nous accueillons le premier ministre français, dans le cadre des visites annuelles alternées que nous avons rétablies depuis quatre ans. Au printemps, la Saison du Québec à Paris constituera la plus grande opération de promotion du Québec jamais réalisée en Europe. Dans un an, l’Assemblée nationale recevra pas moins de 1000 parlementaires américains, dans le prolongement de son action pour faire de Québec un carrefour de la démocratie et des Amériques. Et pendant la campagne électorale, nous avons proposé de faire des années qui viennent, la décennie québécoise des Amériques, pour profiter économiquement et culturellement de l’ouverture du grand marché américain.
Il faut donc à la barre du ministère des Relations internationales une femme qui ne craint pas de relever ce genre de défi. Il s’agit de Louise Beaudoin, qui garde de surcroît le dossier de la Charte de la langue française. Nous comptons être tout aussi actifs pour entretenir et étendre encore nos relations avec nos voisins canadiens. Un dossier important, celui du droit de retrait avec compensation dans le cadre de l’Union sociale, fait partie de nos priorités. À compter du mois d’août, le Québec présidera pour un an la conférence des premiers ministres des provinces. Il me fait ainsi plaisir de reconduire dans sa charge le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, Joseph Facal. De son côté, Jocelyne Caron continuera à exercer ses fonctions de whip et, à ce titre, à participer aux délibérations du Conseil des ministres. En terminant, je tiens à remercier ceux et celles qui quittent le Conseil. Ils ont travaillé avec compétence et dévouement dans les tâches qui leur étaient confiées, et je veux les en féliciter. Le 30 novembre, le peuple québécois s’est choisi un nouveau gouvernement. En procédant aux nombreux changements dont je viens de vous faire part, j’ai voulu donner un véritable nouveau départ à l’action gouvernementale, un nouveau souffle et un nouvel élan. J’aime à penser que nous avons devant nous le gouvernement de la nouvelle jeunesse du Québec. Merci.

[BOUC=19990127]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Déclaration sur l’union sociale – 27 janvier 1999]
Au mois d’août de l’an dernier, à Saskatoon, le gouvernement du Québec a accepté de se joindre à une revendication commune conçue par les autres provinces du Canada et ayant notamment pour but essentiel de mettre un frein à un des dysfonctionnements les plus graves de notre histoire récente : le pouvoir fédéral de dépenser. En effet, au cours des dernières décennies, la propension du gouvernement fédéral de s’ingérer dans les compétences des provinces a fait du Canada une des fédérations les plus mal gérées au monde. Pendant les années 70 et 80 en particulier, Ottawa a unilatéralement créé des programmes qui ont provoqué des dédoublements et des gaspillages. Il l’a fait avec nos taxes mais aussi à crédit, à coup de déficit et de dette. Puis, depuis quelques années, le gouvernement fédéral a unilatéralement réduit le financement des programmes qu’il avait générés, ce qui a provoqué, en éducation et en santé, des coupures qui ont été durement ressenties par la population. Maintenant, alors que de nouveaux surplus apparaissent à Ottawa, le gouvernement fédéral a décidé, depuis un an, de retomber dans les mêmes erreurs en utilisant le même outil : son pouvoir de dépenser. Il y a un an, il a unilatéralement créé le programme des bourses du millénaire qui dédouble complètement le programme québécois existant. En décembre, il a unilatéralement créé une stratégie d’emploi pour la jeunesse qui dédouble complètement les efforts québécois et qui va dans le sens contraire du guichet unique que nous avons voulu créer dans la main-d’œuvre et pour les jeunes. Les provinces ont voulu régler ce problème par la mise en place d’un projet d’Union sociale qui couvrirait l’ensemble des interventions fédérales dans les compétences provinciales, y compris, bien sûr, la santé et l’éducation. Pendant trois ans, mes collègues des autres provinces ont demandé au Québec de se joindre à leur démarche. C’est ce que nous avons fait en août dernier, pour deux raisons. Premièrement, parce que la proposition des provinces réussit à concilier les intérêts de plusieurs provinces anglophones et ceux du Québec. En effet, le consensus de Saskatoon permet d’une part aux provinces anglophones, si elles le désirent, d’accepter la présence fédérale et de se coordonner avec elles. Il permet d’autre part aux provinces qui, comme le Québec, tiennent à leurs compétences et à leur autonomie, d’exercer leur droit de retrait, avec pleine compensation, de toute intervention fédérale dans ces champs. Nous nous sommes joints au consensus, deuxièmement, parce que tous les premiers ministres des provinces se sont entendus sur le fait qu’au terme de ces négociations, il n’y aurait pas d’accord à la pièce, c’est-à-dire que rien ne serait conclu aussi longtemps que tout ne serait pas réglé. De plus, à Saskatoon, mes collègues et moi avons unanimement indiqué que nous presserions Ottawa de rétablir les sommes qu’il a coupées dans la santé, et nous nous sommes engagés à investir nous-mêmes, dans la santé, les sommes supplémentaires qui pourraient provenir d’Ottawa. Depuis la rencontre de Saskatoon, les négociations sur l’Union sociale ont progressé, dans un cadre que nous avons tous accepté. Mais l’avant-veille de Noël, le gouvernement fédéral a décidé d’ouvrir un second front, et de tenter d’obliger les provinces à signer un accord séparé sur la santé, à l’extérieur du cadre convenu de l’Union sociale. Le projet d’entente fédéral donnerait à Ottawa un rôle substantiel dans les soins de santé eux-mêmes. Mais même si ce projet était plus modéré, il heurterait de plein fouet des décisions que les Québécoises et les Québécois ont prises il y a bien longtemps. Seul État francophone d’Amérique du Nord, le Québec a décidé, il y a plus de 130 ans, de participer à la fédération canadienne, à la condition expresse de détenir la maîtrise, notamment, de son système d’éducation et de son système de santé. L’organisation de notre bien-être et de notre solidarité sociale est une composante essentielle de notre existence comme peuple. Nous n’avons pas voulu nous en départir en 1867. Depuis 40 ans, le gouvernement fédéral tente par divers moyens de faire reculer l’autonomie du Québec en santé. Maurice Duplessis a refusé. Jean Lesage a refusé. Daniel Johnson le père a refusé, comme ses deux fils, ainsi que Jean-Jacques Bertrand, Robert Bourassa, René Lévesque et Jacques Parizeau. Peu importe les partis, peu importe le contexte, le Québec a toujours eu des leaders qui ont préservé notre capacité d’agir dans un domaine crucial de notre vie collective. Sur la Santé, la constitution canadienne est claire. Voici comment, il y a six ans, la Cour suprême décrivait la situation, dans l’arrêt Morgentaler. Je cite : « Le paragraphe 92 (7) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde aux provinces la compétence législative générale sur les hôpitaux et les paragraphes 92 (13) et (16) leur attribuent la compétence sur la profession médicale et sur la pratique de la médecine. Le paragraphe 92 (16) leur accorde aussi la compétence générale en matière de santé sur leur territoire. » Plus loin, la Cour indique : « Tous sont d’accord pour dire que les chefs de compétence de l’article 92 (invoqués par l’appelante) attribuent aux provinces cette compétence sur les soins de santé dans la province en général, y compris les questions de coûts et d’efficacité, la nature du système de santé et la privatisation des services médicaux. » Comparons maintenant avec ce que l’on sait aujourd’hui du projet fédéral – un document confidentiel, et pour cause : Ottawa et les provinces travailleraient conjointement à des objectifs canadiens, dans les domaines suivants : les soins de base, les ressources humaines en santé, les soins à domicile et de longue durée, les médicaments, la santé des enfants, la santé publique, le bogue de l’an 2000 en santé, l’information et la recherche médicale. De plus, le gouvernement fédéral se réserverait le droit d’agir directement et seul pour faciliter et appuyer toute initiative ou innovation en santé. Puisque, en santé, il y a du nouveau chaque année dans tous les domaines, autant dire qu’Ottawa pourra s’occuper de tout, tout le temps. Inutile d’ajouter que le projet ne comporte aucun droit de retrait pour le Québec. Alors c’est bien simple, dans son projet sur la santé, le fédéral demande au Québec de renoncer à ses droits constitutionnels, de renoncer à son autonomie en matière de santé. La réponse, c’est non.
Sous couvert de coordination et de collaboration, il s’agit ni plus ni moins que d’un passeport pour le plus grand dédoublement et le plus grand gaspillage de fonds publics de notre histoire. Nous n’avons aucune objection à ce que, si tel est leur souhait et dans le cadre de l’Union sociale, les provinces anglophones invitent Ottawa à s’occuper de santé dans leur province si tel est leur vœu. Le premier ministre du Québec ne prétendra jamais interpréter le souhait ou l’intérêt des citoyens de telle ou telle province anglophone. Mais si monsieur Chrétien veut s’occuper de la livraison des soins de santé au Québec, il existe une façon bien simple d’y parvenir : qu’il se présente aux élections québécoises et qu’il devienne ministre de la Santé. Il y a 15 jours, j’ai participé, avec les premiers ministres des provinces, à une conférence téléphonique. Nous avons évoqué le danger que représentait pour la cohésion des provinces dans la négociation de l’Union sociale l’ouverture de ce second front sur la santé. Nous avons décidé, au terme de cette conférence téléphonique, de signer une lettre conjointe affirmant notre volonté d’investir des sommes nouvelles dans la santé et de subordonner tout projet d’accord sectoriel à la négociation générale sur l’Union sociale. C’est toujours ma position. Le gouvernement fédéral affirme faussement que sa volonté dans cet accord est de mieux informer le public sur les soins de santé. Le ministre fédéral de la Santé, monsieur Allan Rock, qui a réclamé la paternité de l’idée de cet accord, affirmait cette semaine qu’il ne savait pas à quoi servait l’argent dépensé en santé. Il veut s’informer, en dépensant des millions de dollars pour un système pancanadien de standardisation d’objectifs, de collecte de données, d’indicateurs. J’ai une suggestion à lui faire. S’il veut savoir à quoi sert l’argent de la santé, qu’il consulte le site Internet du ministère québécois de la Santé. Il aura une information complète sur les besoins, les objectifs, les indicateurs, les ressources et leur utilisation. Le site s’est même mérité un prix international, le Web d’or, pour la qualité de son accès à l’information. Le Québec a construit un système de santé moderne et qui rend constamment des comptes à ceux qui y ont droit : les Québécoises et les Québécois. Dans les conseils d’administration élus de nos institutions et de nos Régies régionales, dans les commissions parlementaires, à la période de questions, les administrateurs et le ministre de la Santé du Québec rendent des comptes, fixent des objectifs, informent, débattent de toutes les questions qui occupent la santé de nos citoyens. Et vous aurez peut-être remarqué que pendant la dernière campagne électorale, le bilan gouvernemental en santé a été un enjeu majeur, et les électeurs ont rendu leur verdict. Et ni le Parti Québécois, ni l’opposition officielle, ni l’ADQ n’ont sollicité de mandat de déposséder le Québec de ses compétences en matière de santé. Allan Rock expliquait cette semaine au Globe and Mail qu’il avait été approché par une dame dans le métro, qui s’était plainte des listes d’attente pour les malades du cancer. Alors le bon monsieur Rock en a conclu qu’il fallait qu’Ottawa s’en occupe. Il y a quelque chose de profondément odieux de la part d’un gouvernement qui a coupé 6000000000 $ par année dans la santé, de se réveiller sur le tard et d’utiliser la détresse des patients pour accuser ensuite les provinces de n’avoir pas correctement financé le système de santé. Le gouvernement fédéral, qui a si largement contribué au problème, devrait avoir honte. Maintenant que, grâce à nos taxes et nos impôts, il a des surplus, il devrait tout simplement rendre l’argent qu’il a coupé et laisser ceux qui ont la compétence en santé dans tous les sens du terme, s’occuper d’améliorer la situation. Si nous tenons à assurer nous-mêmes nos soins de santé, avec notre juste part des impôts et taxes que nous payons à Ottawa, c’est que nous faisons confiance au personnel du réseau de la santé au Québec pour préserver et améliorer les soins de santé des Québécoises et des Québécois. Nous connaissons leur dévouement et leur volonté d’agir. Avec eux, nous connaissons les besoins de nos concitoyens et les insuffisances auxquelles il faut remédier. La meilleure façon d’aider les patients québécois, c’est de pourvoir le réseau de la santé des outils requis et du financement adéquat. La meilleure façon de gaspiller l’argent, c’est de créer une bureaucratie fédérale intervenant dans la santé. Un dernier mot sur les négociations sur l’Union sociale qui reprennent demain au niveau des ministres. Nous sommes convenus de ne pas négocier l’Union sociale sur la place publique, et c’est très bien ainsi. Je veux simplement indiquer qu’il y a une façon fort simple de savoir si la position fédérale est conforme ou non au consensus de Saskatoon. Il s’agit de savoir si le Québec obtiendrait, ou non, un droit de retrait dans des initiatives fédérales comme celle des bourses du millénaire. Un projet d’accord sur l’Union sociale qui permettrait à Ottawa de refaire les bourses du millénaire, de refaire des intrusions dans la main-d’œuvre pour les jeunes ou ailleurs, de refaire des intrusions dans la santé, sans droit de retrait pour le Québec, ce ne serait pas un progrès, ce serait un recul. Le ministre Facal a donc le mandat de continuer à défendre, à Victoria demain et vendredi, la position du Québec et le consensus de Saskatoon. Je veux donner toute leur chance à cette négociation.

[BOUC=19990225]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – 50e anniversaire de la fondation du Théâtre du Rideau vert – 15 février 1999]
Monsieur le premier Ministre du Canada, Madame la Ministre de la Culture et des Communications, Madame la Ministre du Patrimoine canadien, Monsieur le Maire de Montréal, Madame Mercedes Palomino, Madame Antonine Maillet, Mesdames et Messieurs, En 1948, sans rien d’autre que leur amour du théâtre et une volonté à toute épreuve, deux femmes d’exception offraient à Montréal et au Québec un magnifique présent. Quelle audace il fallut à Yvette Brindamour et Mercedes Palomino pour oser fonder un nouveau théâtre dont elles prendraient elles-mêmes les rênes. Il faut dire qu’à cette époque, et notamment grâce aux artistes, une formidable effervescence créatrice allait se libérer au Québec. Sept jeunes femmes et huit jeunes hommes signaient le Refus Global, à l’initiative de Paul-Émile Borduas. Gabrielle Roy remportait le prix Femina pour Bonheur d’occasion et Françoise Loranger publiait Mathieu, son premier roman. Et Yvette Brindmour et Mercedes Palomino ouvraient le Rideau Vert, qui s’ajoutait aux Compagnons de Saint-Laurent du Père Legault et à L’Équipe de Pierre Dagenais.
Elles ne craignaient pas les risques, ces deux femmes, qui décident de rassembler une troupe, de créer un théâtre et de réserver des rôles féminins de premier plan aux actrices. Cette extraordinaire vitalité culturelle qui animait le Québec allait nous mener à la Révolution tranquille. En 1960, justement, après douze ans d’itinérance, les fondatrices décident d’installer leur Rideau Vert dans un quartier de Montréal alors peu fréquenté du grand public. On vit revivre l’ancien Théâtre Stella, qui avait accueilli Fred Barry, Germaine et Antoinette Giroux et d’autres. Dès ses premiers coups d’envoi, le nouveau théâtre présente des oeuvres du répertoire classique, puise dans les créations contemporaines internationales et fait une place aux auteurs d’ici comme Félix Leclerc, Marie-Claire Blais, Jean Daigle, Marcel Dubé, Antonine Maillet, Jean Barbeau, Michel Garneau, Gratien Gélinas, Simon Fortin. En 1968, pour les vingt ans du Rideau Vert, un jeune inconnu du nom de Michel Tremblay présente sa première pièce, Les Belles-Soeurs, qui marque la dramaturgie québécoise.
Yvette Brindamour et Mercedes Palomino ont été des éducatrices. Et le Rideau Vert, qui a mis en scène pas moins de 70 créations, a joué le rôle d’une véritable école. Non seulement mesdames Brindamour et Palomino ont-elles été des directrices de théâtre, mais elles ont fait montre d’une générosité qui, pour avoir été discrète, ne s’est jamais démentie. Elles ont aidé beaucoup de leurs camarades et dépanné plus d’un théâtre en difficulté. Dans leur cas, on ne peut plus parler de carrière mais bien de vocation théâtrale. Je me rends compte que je parle de madame Brindamour comme si elle était encore là. Il est difficile de se résoudre à parler d’elle au passé. À mes yeux et pour plusieurs d’entre vous, assurément, elle est encore très présente, elle qui a codirigé ce théâtre, qui l’a porté pendant plus de quarante ans. Votre rêve, madame Palomino, et celui de madame Brindamour, est devenu une de nos plus belles institutions théâtrales. Les rêves, quand ils ont la beauté et la vigueur des vôtres, survivent à leurs fondatrices et à leurs fondateurs. Au nom de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, je veux dire aux fondatrices du Rideau Vert merci pour ce patrimoine dont elles nous ont dotés. Merci. Du fond du cœur…

[BOUC=19990217]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Réaction au budget fédéral – 17 février 1999]
Hier, sans consulter, sans prévenir et sans délai, le gouvernement fédéral a unilatéralement changé la règle du jeu du financement de la santé, de l’éducation post-secondaire et de l’aide sociale au Canada et au Québec. Il a changé cette règle sans égard aux engagements qu’il a contractés et sans égard aux besoins réels des populations. Les Québécoises et les Québécois ont entendu beaucoup de chiffres, depuis hier. Pour bien faire comprendre, je vais aller à l’essentiel. En ce moment, après quatre années où le gouvernement fédéral a coupé 7000000000 $ dans la santé au Québec, il y a une crise des urgences dans nos hôpitaux, tout le monde le sait. L’Ontario aussi a été victime des coupures fédérales, et il y a aussi, en Ontario, une crise des urgences. Alors comment, hier, le gouvernement fédéral a-t-il proposé de réparer une partie du dommage qu’il a causé dans les urgences du Québec et de l’Ontario ? C’est simple, il a décidé d’envoyer l’an prochain 150000000 $au Québec et 950000000 $ en Ontario. Face à un problème comparable, l’Ontario aura cinq fois plus d’argent que le Québec cette année. Cette injustice se répétera l’an prochain, puis l’année suivante, puis l’année suivante, puis l’année suivante et probablement pour chacune des années à venir par la suite. Sur les cinq prochaines années, les Québécois, qui représentent 24 % de la population, donc 24 % des malades et 24 % des besoins en santé, ne recevront que 8 % du nouveau financement fédéral en santé. Quant aux trois provinces les plus riches du Canada, qui représentent 60 % de la population, elles recevront 78 % du financement. Je note au passage que le gouvernement fédéral a voulu cacher cette réalité. Il s’est livré hier à une entreprise de désinformation, en distribuant un tableau trompeur qui s’est retrouvé dans plusieurs journaux québécois ce matin. Nous avons distribué tout à l’heure aux journalistes le tableau réel, qui nous a été remis par des fonctionnaires fédéraux à notre demande. Ainsi donc, contrairement à ce que beaucoup de Québécois ont lu ce matin, ce n’est pas 482000000 $ que le Québec recevra cette année, mais seulement 150. Le discours fédéral est particulièrement honteux lorsqu’il se drape derrière le voile de l’équité et de la proportion de la population pour réduire la part du Québec. Ce que les porte-parole fédéraux ne disent pas, c’est qu’en matière de santé et d’éducation, le Québec a toujours été favorable à cette formule et qu’elle a été en vigueur durant presque vingt ans. Mais à côté de ce financement, il y avait celui qui profitait aux démunis et à leurs programmes d’assistance sociale. Ce programme là était financé selon les besoins réels. Quand le gouvernement libéral fédéral a unilatéralement fusionné, il y a trois ans, le financement de la santé, de l’éducation post-secondaire et de l’aide sociale, il a dit : ne vous inquiétez pas, on va prendre en compte les besoins des assistés sociaux, et c’est pourquoi la part du Québec sera un peu supérieure, parce qu’il y a plus d’assistés sociaux au Québec. Hier, le gouvernement fédéral a renié ses engagements envers les plus démunis des Québécois, il a fait semblant qu’il n’avait plus de devoir envers les assistés sociaux et il a, d’un seul coup, par un calcul sans mémoire et sans cœur, fait payer la pauvreté et la santé. Depuis quelques années, Ottawa avait abandonné les chômeurs, les travailleurs précaires et saisonniers, réduit les droits des femmes aspirant à des congés de maternité, poussé des dizaines de milliers de gens sur l’aide sociale, imposé des quotas de réduction des bénéfices pour des gens qui y ont droit. Hier, Ottawa est allé plus loin, en abandonnant à la fois les chômeurs et les assistés sociaux. Sur toutes les tribunes, Monsieur Martin tente de cacher cette injustice derrière la feuille de vigne de la péréquation, comme s’il nous avait fait un cadeau, alors que c’est un calcul automatique qui est fait chaque année et qui donne des résultats très variables. L’argent qu’il nous enlève en santé, c’est permanent et prévisible, l’argent qui nous vient en péréquation, c’est imprévisible et complètement soumis aux aléas de la conjoncture économique. Et cette année, à 1400000000 $, la péréquation n’arrive toujours pas à couvrir le manque à gagner de 2000000000 $ par année que subit le Québec parce qu’il n’a pas sa juste part de dépenses fédérales. Messieurs Chrétien et Martin sont très pressés de réduire les transferts au Québec, au nom de notre part de la population. Le Québec compte pour 24 % de la population, alors pourquoi, selon les derniers chiffres d’Ottawa, les Québécois ont-ils droit à : seulement 20 % des dépenses courantes de biens et services du fédéral? seulement 19 % des immobilisations et investissements du fédéral? seulement 18 % des subventions fédérales aux entreprises? seulement 16 % des laboratoires fédéraux? seulement 14 % de la recherche et développement fédéraux? seulement 13 % du personnel fédéral en science et en technologie? Nous estimons qu’Ottawa prive le Québec de 30000 emplois directs et encore plus d’emplois indirects, par ce manque à gagner, ce qui équivaut à au moins un point de chômage. Pourquoi est-il urgent d’invoquer l’argument de la population pour réduire les transferts au Québec, mais que rien n’est fait pour rendre au Québec sa juste part des investissements productifs d’Ottawa? La réalité, c’est qu’avant le budget Martin, le Québec n’avait pas sa juste part d’investissements productifs du fédéral, mais on pouvait penser qu’il avait sa part de financement de l’assistance sociale. Après le budget Martin, le Québec n’a ni sa part d’investissement productif pour sortir les gens de la pauvreté, ni sa part d’assistance pour donner le nécessaire aux gens qui sont dans la pauvreté. Je note au passage que ce 1400000000 $ de péréquation ne couvre pas non plus les 2000000000 $ que nous doit toujours Ottawa pour l’harmonisation de la TPS, une autre injustice pour laquelle nous n’avons pas de réparation. Mais quelles que soient les explications données par le gouvernement fédéral pour se justifier d’avoir changé unilatéralement les règles du jeu au détriment du Québec, j’invite les Québécois, et les Canadiens, à réfléchir à un événement qui s’est produit il y a deux semaines, à Ottawa.
Le premier ministre du Canada a très officiellement convoqué à sa résidence tous les premiers ministres pour discuter d’un accord sur le financement de la santé et d’un accord sur l’Union sociale. Sur la santé, Monsieur Chrétien s’est déclaré satisfait de la lettre que tous les premiers ministres des provinces lui avaient, à ma suggestion, préparée et envoyée pour confirmer notre intention de dépenser en santé les sommes qui pourraient parvenir d’Ottawa à cette fin dans le budget d’hier. Or, cette lettre établit clairement que le rétablissement du financement fédéral en santé se fera, et je cite, « par l’intermédiaire des arrangements existants ». Pendant cette rencontre des premiers ministres, puis pendant le point de presse à la sortie, Monsieur Chrétien a déclaré qu’en ce qui concerne la santé, la lettre a valeur d’entente. Hier, le premier ministre Chrétien a renié sa parole. Toujours à cette rencontre du 24 Sussex, le premier ministre Chrétien a signé avec toutes les provinces, sauf le Québec, une entente sur l’Union sociale dont le texte provenait du gouvernement fédéral. Dans ce texte, on lit ce qui suit, et je cite : « Le gouvernement fédéral consultera les gouvernements provinciaux et territoriaux au moins un an avant de renouveler ou de modifier de manière importante le financement des transferts sociaux existants aux provinces… » Hier, Ottawa a modifié de manière importante le financement des transferts sociaux existants, sans donner de préavis et sans consulter les provinces.
L’encre n’est pas sèche sur ce document que, déjà, Ottawa en enfreint une clause essentielle. Le Québec a bien fait de ne pas se soumettre à ce jeu de dupes. Deux semaines après la rencontre du 24 Sussex, Jean Chrétien a renié sa parole et sa signature. Les Québécoises et les Québécois doivent savoir aujourd’hui que, en ce qui concerne les crédits et le budget québécois qui seront déposés d’ici le premier avril, notre gouvernement va respecter intégralement ses engagements électoraux en matière de finances publiques, d’éducation, de santé et d’appauvrissement zéro. Le peuple du Québec peut compter sur son gouvernement national. Il sait aujourd’hui, cependant, qu’il ne peut pas compter sur le gouvernement fédéral, il ne peut compter ni sur son respect des compétences, ni sur sa parole, ni sur sa signature, ni, surtout, sur son sens de la justice et de l’équité. Je demande aux Québécoises et aux Québécois de bien réfléchir sur l’injustice commise hier et sur les véritables objectifs d’une stratégie fédérale faite sur le dos des malades et des assistés sociaux.

[BOUC=19990303]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Discours inaugural de la 36e législature – 3 mars 1999]
Madame le lieutenant-Gouverneur, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Chef de l’Opposition officielle, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs de l’Assemblée nationale, Distingués invités, Mesdames, Messieurs, Les 125 femmes et hommes qui composent l’Assemblée nationale de 1999 ne sont pas appelés aujourd’hui à entamer uniquement un nouveau mandat, une nouvelle session et une nouvelle législature, bien que ces tâches soient déjà considérables.
Ils sont appelés à préparer un commencement tel qu’il en est donné à peu de générations. Le commencement d’une nouvelle décennie, d’un nouveau siècle, d’un nouveau millénaire. Dans 10 mois, lorsque le compte à rebours sera complété, lorsque seront terminées les célébrations d’une nuit planétaire où se seront relayés, d’un fuseau horaire à l’autre, le goût de la fête et la crainte du bogue, les Québécoises et les Québécois, comme tous les autres peuples de la terre, se poseront une grande question. Ils se diront : « Maintenant, qu’est-ce qu’on fait? »
Ils se le demanderont chacun chez soi, comme il se doit, attachés à leurs situations et préoccupations immédiates. Ils se le demanderont aussi, comme jamais auparavant dans l’existence humaine, collectivement, interreliés par le son, l’image, la toile informatique, par des rapports humains et économiques denses et actifs. Sans doute, ce commencement nous est donné par un effet de calendrier. Il n’en sera pas moins tangible, au premier chef parce que les citoyens et les peuples seront disponibles pour le changement. L’ouverture d’un nouveau millénaire porte avec lui une attente et une ouverture d’esprit. Il y aura, demain et après demain, un moment, une année peut-être où nous pourrons, mieux que d’habitude, donner une impulsion, prendre des décisions essentielles pour l’avenir. Nous, élus du peuple québécois, avons la responsabilité d’être présents au rendez-vous auquel le millénaire nous convoque. Nous avons la responsabilité de permettre aux Québécoises et aux Québécois de saisir cette occasion de nous réinventer pour un siècle nouveau. Nous devons créer le cadre et l’occasion, nous devons être à la fois leaders et animateurs, prêts à entendre et faire entendre, à parler et faire parler, à proposer et susciter des propositions, à agir et faire agir. Nous n’avons pas le droit de rater cet instant car, comme le disait Platon, « le commencement est la moitié de l’action ». Et en un sens très fort, notre travail des dernières années a préparé ce moment. Lorsque nous avons invité tout le Québec à « oser », il y a trois ans, lorsque nous avons tiré l’alarme sur la situation désastreuse de nos finances collectives, notre objectif était d’extraire le Québec du carcan des déficits et de l’endettement, de lui redonner sa liberté d’action. Nous sommes au fil d’arrivée de ce grand effort collectif. Mardi prochain, dans son discours du budget, le ministre d’État à l’Économie et aux Finances fera ses comptes, et il pourra nous annoncer que, pour la première fois en quarante ans, les finances du Québec sont en ordre. Dans trois semaines, le président du Conseil du trésor déposera à cette assemblée le livre des crédits et il pourra annoncer, comme nous nous y sommes engagés en campagne électorale, la fin des compressions en santé et en éducation et le début des réinvestissements. Je vais laisser mes collègues, dans une semaine, livrer, dans l’ordre et en détail, les mesures que le gouvernement a arrêtées pour l’horizon immédiat. Elles sont nombreuses et prometteuses et couvrent tous les secteurs d’activité. Notre propos, aujourd’hui, est de regarder plus loin et de voir plus large. D’indiquer qu’avec l’atteinte du déficit zéro, nous avons donné au peuple Québécois les moyens de ses ambitions dans la décennie qui s’ouvre.
Il y a deux ans et demi, nous nous sommes collectivement donné un autre défi. Lors du Sommet sur l’économie et l’emploi, à Montréal, nous avons voulu commencer le prochain millénaire en affichant un taux de création d’emploi comparable, sinon supérieur, à celui du Canada. Nous sommes en bonne voie d’atteindre cet objectif, alors même que le gouvernement canadien, année après année, investit deux fois plus dans l’économie de l’Ontario que dans l’économie québécoise. Malgré ce handicap, notre taux de chômage se maintient depuis plusieurs mois sous la barre des 10 % et, l’an dernier, plus de jeunes Québécois se sont trouvé un emploi qu’à aucun autre moment depuis 25 ans. Cette année encore, la croissance des investissements sera plus forte au Québec qu’au Canada, ce qui augure bien pour l’avenir. Des finances en ordre, la fin des compressions et le début des réinvestissements dans la santé, l’éducation et ailleurs, la relance de l’emploi, notre ferme volonté de réduire le fardeau fiscal des particuliers au cours des années qui viennent : voilà des conditions qui font en sorte qu’aujourd’hui, au Québec, au-delà des problèmes importants et difficiles qui restent à résoudre, l’optimisme est de retour. Dans la métropole et dans la capitale, un peu partout en régions, les Québécois sortent de la morosité économique dans laquelle nous les avions trouvés il y a quatre ans. On se remet à entreprendre, à bâtir, à rêver. Voilà un climat propice au commencement qui se profile. Le thème qui va dominer notre action, cette année, l’an prochain et pour tout le mandat qui s’ouvre, c’est celui de la jeunesse, la jeunesse du Québec. La jeunesse au sens strict, car nous voulons que les jeunes Québécoises et Québécois soient mieux équipés pour la vie et davantage engagés dans la construction de leur société. La jeunesse au sens large, car c’est le Québec tout entier qui doit s’imprégner du dynamisme, de l’élan et de l’énergie des commencements. La maternité et l’enfance La priorité de notre gouvernement pour la jeunesse du Québec commence avec la famille et l’enfance. De toutes sortes de façons, nous voulons mettre la famille québécoise au centre de notre action. D’abord en aidant les parents à avoir les enfants qu’ils désirent. Et à cet égard, nous trouvons proprement scandaleux que la réforme fédérale de l’assurance-emploi ait réduit la capacité des mères de profiter de congés de maternité auxquels elles ont droit.
Nous voulons aller dans le sens inverse et établir ici un régime québécois de congés parentaux équitable, accessible à tous les travailleurs et travailleuses, y compris ceux qui ont un emploi autonome, comme c’est le cas d’un nombre croissant de nos jeunes. Notre politique de la petite enfance, un des plus grands succès du Québec des années 90, va continuer à se déployer. Nous allons accélérer le calendrier d’implantation des garderies à 5 $, pour faire en sorte que les enfants de tous âges soient admissibles au programme dès septembre 2000. Nous allons bien sûr augmenter le nombre de places de garde, pour en offrir 174000 en quatre ans et près de 200000 en six ans. Nous prenons l’engagement de maintenir le tarif quotidien à 5 $ pendant tout le mandat de notre gouvernement. C’est bien simple, nous voulons qu’au Québec les jeunes couples sachent qu’ils peuvent concilier le travail et la famille et planifier l’un et l’autre avec le plus de sécurité possible. Nous sommes attentifs à la quantité de services offerts, mais également à leur qualité, au nombre d’enfants par éducateur et à la rémunération accordée et nous allons nous pencher sur chacun de ces aspects. Le régime d’allocations familiales, qui couvre désormais les besoins essentiels de tous les enfants du Québec, sera bonifié, notamment pour les familles monoparentales et pour les enfants handicapés. Et puisque nous vivons une époque où beaucoup de couples se font et se défont, nous allons continuer à assurer la sécurité de revenu des enfants, en ramenant à 30 jours le délai moyen d’attente pour la perception automatique de nouvelles pensions alimentaires. Surtout, nous voulons mettre plus d’argent dans les poches de toutes les familles québécoises, en réduisant progressivement et significativement leur fardeau fiscal, y compris pour les parents qui ont fait le choix de rester à la maison pour prendre soin de leur enfant. Cet investissement massif dans la petite enfance, comme l’instauration de la maternelle plein-temps, est le meilleur gage de succès de nos enfants à court, moyen et long terme. C’est notre meilleur atout contre le décrochage et la détresse. C’est notre meilleure préparation à la réussite humaine, sociale et économique. L’éducation primaire et secondaire Nous allons prolonger cette action en identifiant, dès le préscolaire, les problèmes d’apprentissage de certains élèves et en leur offrant immédiatement un soutien et un encadrement appropriés. Nous le ferons aussi, systématiquement, aux niveaux primaire et secondaire. Le ministre d’État à l’Éducation aura, d’ici quelques jours, des décisions à annoncer en ce sens. Cependant, je tiens à redire ici ce que beaucoup d’éducateurs affirment avec de plus en plus de force. L’école peut mieux jouer son rôle d’instruire et elle le fera. Elle peut aider à mieux dépister et corriger les problèmes d’apprentissage et elle le fera. Mais elle ne peut pas se substituer au rôle des parents et du milieu familial. Il est temps pour le Québec d’avoir cette discussion. Avec les parents et le personnel enseignant, le ministre d’État à l’Éducation et la ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance auront pour tâche de dégager des pistes qui permettront une plus grande prise de responsabilité des familles de toutes conditions et un meilleur partenariat entre les parents et l’éducation. Déjà, la grande réforme de l’Éducation a augmenté le pouvoir des parents à l’école primaire et secondaire. Nous avons décidé de faire confiance aux parents, au personnel enseignant et aux administrateurs des écoles pour mieux répondre à leurs besoins locaux. Nous voulons valoriser leur compétence, leur savoir, leur liberté d’action et nous souhaitons que les enseignants et leurs organisations nous suivent sur ce chemin. Il y a beaucoup à faire pour améliorer la réussite de nos enfants et de nos jeunes. Mais nous y sommes encouragés par les progrès et les pointes d’excellence que nous constatons déjà. Au cours des toutes dernières années, dans des concours internationaux, les élèves québécois du primaire et du secondaire se sont placés dans le peloton de tête en mathématiques, en sciences, en lecture et en rédaction. Contrairement à une idée reçue, notre taux de diplômation au secondaire est supérieur à la moyenne des pays industrialisés. Nous faisons souvent bien, nous voulons faire mieux. Avec l’introduction du nouveau curriculum, nous allons recentrer l’enseignement sur les matières de base. Nous voudrons, entre autres, améliorer la maîtrise des langues. Langue maternelle d’abord, que ce soit le français ou l’anglais, à l’oral et à l’écrit. Langue seconde ensuite, pour augmenter le niveau de bilinguisme individuel au Québec. Nous allons introduire plus généralement l’enseignement d’une troisième langue, notamment l’espagnol. Un accent nouveau sera donné également à l’enseignement de l’histoire, car un monde emporté par le tourbillon du changement a besoin plus que jamais de savoir d’où il vient et de connaître ses repères. Nous allons ouvrir les portes du savoir en augmentant considérablement l’accès aux manuels de référence et aux manuels scolaires, bien sûr, mais aussi au livre sous toutes ses formes. Nous le ferons au-delà même de ce que nous avons déjà annoncé dans les bibliothèques scolaires, nous le ferons dans les bibliothèques municipales. Et nous créerons pour le livre et la lecture la Grande bibliothèque, une tête de réseau qui, loin de monopoliser les ressources, fera profiter les bibliothèques du Québec de plus de services et de plus d’accès au livre. Nos adolescents et nos jeunes adultes ont ces années-ci une soif d’autonomie et d’indépendance qui leur fait honneur. Ils veulent décider de leur avenir, faire leurs propres choix et ils ont raison. Notre rôle est de les équiper, intellectuellement, pour assumer leurs choix. C’est pourquoi nous voulons leur transmettre le goût du dépassement de soi, de la rigueur, le sens de l’effort, de la discipline même qui préparent l’autonomie. Nous voulons qu’ils acquièrent le respect de la différence et l’ouverture aux autres. Qu’ils partagent aussi les valeurs de justice, de solidarité, d’équité et de démocratie. L’adolescent et le jeune adulte à l’heure des choix Et voilà nos adolescents au seuil du choix pour leur avenir. Plus que jamais, nous voulons leur dire deux vérités fortes : d’abord, entre 15 et 20 ans, la priorité doit aller à l’éducation, à la formation et à l’acquisition de connaissances. Nous enverrons ce signal en incitant les jeunes à rester à l’école. Nous le ferons en offrant à 60000 jeunes chômeurs, dans les Carrefours jeunesse-emploi dont l’action sera renforcée et dans les nouveaux Centres locaux d’emploi, des parcours individualisés vers l’insertion, la formation et l’emploi. Nous le ferons aussi en modifiant la loi sur les normes du travail, pour qu’il soit bien compris que le travail à temps partiel des étudiants, c’est bien, mais que la réussite scolaire doit avoir la priorité. Deuxième vérité forte à faire partager aux étudiants : c’est qu’il existe une clé pour l’emploi et pour le succès, une clé qui s’appelle « le diplôme ». Qu’on le répète dans toutes les écoles et dans toutes les cuisines : les jeunes diplômés travaillent beaucoup plus, gagnent beaucoup plus et oeuvrent beaucoup plus souvent dans le domaine de leur choix que ceux qui ne complètent pas leurs études. Et quand nous disons diplôme, nous voulons aussi dire diplôme de formation professionnelle et technique. Nous allons continuer à valoriser ces filières auprès des parents qui les connaissent et les apprécient mal, auprès des garçons plus enclins au décrochage et auprès des filles qui y sont sous-représentées. Nous allons développer encore les formations courtes, domaine où nous sommes largement en avance sur nos voisins canadiens et nous allons renforcer au niveau régional notre capacité de réaction rapide lorsqu’apparaissent ici ou là des besoins spécifiques de formation. Cette révolution de la formation technique et professionnelle ne peut se réaliser qu’avec l’active participation des employeurs et des organisations syndicales. Faire une place aux jeunes, c’est accepter de prendre du temps, de l’espace, dans le milieu de travail, d’investir des énergies et de faire preuve de flexibilité pour la formation, les apprentis, les stagiaires. Et comme vient de le faire la Fédération des cégeps, j’appelle les employeurs à résister à la tentation d’embaucher à temps plein, avant même qu’ils n’obtiennent leurs diplômes, les jeunes en formation technique. Rendez-leur un vrai service en attendant qu’ils aient terminé leurs études. L’économie du savoir, dans laquelle le Québec est si bien engagé, suppose la formation d’ingénieurs et de spécialistes, bien sûr, mais elle suppose aussi la formation de centaines de milliers d’artisans, de techniciens et de professionnels, intellectuellement outillés, non pour un emploi précis dans une entreprise donnée, mais pour l’évolution de leur profession pour des décennies à venir. Nos adolescentes et adolescents doivent savoir que cette avenue prometteuse leur est ouverte et qu’ils auront encore le choix, s’ils le désirent, de prolonger leur formation en enseignement supérieur si et quand ils le décideront. Au seuil de l’adolescence et du monde adulte, c’est le moment de toutes les ambitions, mais aussi de toutes les angoisses et de tous les dangers. Alcoolisme, toxicomanie, itinérance, suicide : dans tous ces cas, comme dans celui des jeunes contrevenants, le Québec fait le choix, lucide et déterminé, de la prévention. Avec les titulaires de la Santé et des Services sociaux, nous allons redoubler d’efforts, dès les prochains mois, avec des budgets nouveaux pour répondre à la détresse d’une partie de la jeunesse québécoise, y compris dans certaines communautés, autochtones et culturelles, qui demandent une action adaptée à leur situation. Se préparer pour la nouvelle économie En Amérique du Nord, il y a un endroit où les jeunes de toutes conditions ont un accès à l’enseignement supérieur à coût abordable, c’est le Québec. Nous avons fait ensemble ce choix de société. Nous comptons préserver cette accessibilité, réduire l’endettement des étudiants, améliorer le régime d’aide financière et l’ouvrir aux étudiants à temps partiel. Nous entendons créer par législation le comité consultatif sur l’accessibilité financière et maintenir le niveau actuel des frais de scolarité, pendant tout notre mandat. Et je tiens à dire ici haut et fort que pour préserver l’accessibilité des jeunes du Québec aux études supérieures, nous résisterons aux pressions du marché nord-américain, nous résisterons aux pressions politiques du Canada anglais, nous résisterons aux pressions des lobbies et à celles de l’Opposition officielle. Dans ce dossier, comme ailleurs, nous allons défendre les choix sociaux du Québec, nous allons défendre notre droit d’être différents. Nous voulons d’une part des étudiants disponibles pour s’engager dans la recherche d’excellence que représente l’éducation supérieure. Nous voulons d’autre part des collèges, des universités et des instituts de recherche dynamiques, performants et se mesurant à ce qui se fait de mieux au monde.
Pour y arriver, nous nous engageons à partir du bon pied en nous préoccupant de l’endettement des institutions d’éducation supérieure, en mettant en place, pour la première fois au Québec, une politique des universités, doublée d’une véritable politique de financement de l’enseignement supérieur. Cela permettra d’investir dans les têtes, dans les équipements et dans l’avenir du Québec. Comme nous l’avons dit en campagne électorale, nous voulons à la fois augmenter les sommes affectées à l’enseignement supérieur et nous assurer d’une utilisation plus judicieuse des sommes existantes. Nous pourrons mieux cibler nos actions, à l’aide de mécanismes transparents d’évaluation que nous comptons élaborer de concert avec les établissements. En plus de tout ce que je viens de dire et de ce que nous annoncerons au budget et aux crédits, nous pourrions investir immédiatement dans l’enseignement supérieur et dans l’aide financière aux étudiants une somme de 635000000 $. Je dis « nous pourrions», car cette somme, fruit de nos taxes et de nos impôts, dort depuis plus d’un an dans un compte à Ottawa. C’est la portion québécoise du monument que le gouvernement fédéral a décidé de construire pour le millénaire, un monument à l’inflexibilité et à l’arrogance d’Ottawa, un monument à la gloire des dédoublements et des gaspillages. Les Bourses du millénaire, le Québec s’est dit prêt à les gérer, à les distribuer, à apposer même sur les chèques s’il le faut un bouquet de feuilles d’érable. Nous sommes donc prêts à garantir tous les objectifs officiels du programme fédéral. Mais Ottawa préfère créer une nouvelle bureaucratie, gaspiller des millions de dollars en frais de fonctionnement et dédoubler notre régime de prêts et bourses dans le seul but, faut-il conclure, de faire reculer l’autonomie du Québec en matière d’éducation. Qu’on me comprenne bien : jamais cela ne sera fait avec la bénédiction du gouvernement du Québec. Nous sommes toujours disposés à gérer la portion québécoise du Fonds, mais nous ne poserons aucun geste qui faciliterait la dilapidation de deniers publics et le recul de l’autonomie du Québec. Mais revenons au parcours du jeune Québécois. À ce stade, il a fait ses choix en éducation. Il tient son diplôme. Sur le marché du travail Il est sur le marché du travail, devant le défi de l’emploi. Comment y Répond-on? D’abord en préparant les emplois du nouveau millénaire. Nous allons développer au Québec une culture de la curiosité, du savoir et de l’innovation. Nous partons d’une base prometteuse. Déjà, notre métropole, la quinzième ville nord-américaine en termes de population, est la première pour la proportion de ses travailleurs qui oeuvrent en haute technologie. Peuple de 7000000 d’habitants, nous sommes déjà parmi les dix nations les plus performantes au monde en aérospatiale, en technologies de l’information, en multimédia, en biotechnologie, en pharmaceutique, en ingénierie, en matériel roulant. C’est un exploit, cela doit devenir une habitude. En économie, c’est là que réside non seulement les emplois de la jeunesse d’aujourd’hui et de demain, mais le nouvel esprit de jeunesse du Québec tout entier. C’est bien simple, au cours des 20 dernières années, la moitié de la création nette d’emplois au Québec fut reliée aux secteurs à haute intensité en savoir. Le nouveau ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie aura, dès le discours du budget, des outils et des budgets pour appuyer la recherche et l’innovation québécoise et pour aider à la création d’entreprises et d’emplois de pointe. Au cours des prochains mois, le ministre développera une politique québécoise de la recherche, de la science et de la technologie qui permettra une convergence nouvelle entre les milieux universitaire, industriel et gouvernemental. Notre jeune Québécois est ambitieux. Il veut s’inscrire dans les courants mondiaux, il veut être en pointe dans son domaine, visiter la planète. Mais cela ne veut pas dire qu’il doit se déraciner, quitter sa région. La beauté du village global, c’est qu’on peut en être, peu importe le nom de sa région, sa ville, son village. Dans le discours du budget, le ministre d’État à l’Économie et aux Finances expliquera comment nous voulons faire de chaque région du Québec un pôle de la nouvelle économie, en plus de développements prometteurs pour la métropole et la capitale nationale. Le ministre délégué à l’Industrie et au Commerce appuiera les petites et moyennes entreprises dans leur transition vers la nouvelle économie. Nous voulons que les jeunes cerveaux des régions du Québec puissent trouver, chez eux, leur carrière d’avenir. En plus des Carrefours de la nouvelle économie, nous mettrons en place le Fonds de diversification de l’économie régionale, nous augmenterons notre aide aux jeunes entrepreneurs et à l’économie sociale, notamment pour la phase de consolidation de ces entreprises nouvelles. Avec mes collègues de l’équipe ministérielle, notamment des Régions et de l’Emploi, je présiderai les Journées régionales pour l’emploi, autour des nouveaux outils de la concertation québécoise : les Centres locaux de développement, auxquels nous accordons des sommes nouvelles, et les Centre locaux d’emploi, dont nous complétons l’implantation. Avec nos partenaires sociaux et économiques, nous voudrons provoquer une mobilisation locale, régionale et nationale pour l’emploi. Nous avons commencé à faire reculer le chômage, notamment chez les jeunes. J’ai la conviction qu’ensemble, nous pouvons le faire reculer encore plus. Nous pouvons, nous devons le faire dans tous les secteurs. Dans le secteur agricole et agroalimentaire, notre objectif est de provoquer la création de 15000 emplois nouveaux d’ici 2005. Pour y arriver, nous entendons appuyer fortement la relève agricole, allant jusqu’à doubler les primes à l’établissement pour les jeunes diplômés. Nous voulons donner un souffle nouveau au soutien financier de nos agriculteurs, en abordant globalement le revenu de leurs entreprises et en les impliquant dans la gestion des outils financiers que nous voulons moderniser avec eux. Ces questions feront l’objet du rendez-vous des décideurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, le 25 mars, dans notre capitale.
Les Centres locaux de développement seront outillés pour faire davantage pour le développement rural et le ministre des Régions déposera la première politique québécoise de la ruralité. Pour les régions côtières, nous mettrons sur pied un programme d’investissement des pêches et de l’aquiculture, pour plus d’emplois dans l’industrie de la pêche et l’instauration d’un statut professionnel aux pêcheurs et aide-pêcheurs.
Dans son programme de relance des parcs du Québec, le ministre responsable de la Faune et des Parcs a l’intention de faire appel aux jeunes pour la conservation et la mise en valeur de la faune et le développement récréo-touristique. Le tourisme constitue également une source de prospérité et d’emploi, en pleine expansion, un peu partout sur le territoire. Le plan d’investissement du ministre délégué au Tourisme devrait favoriser la création de près de 7000 emplois nouveaux d’ici trois ans. Pas moins de 30000 artistes et créateurs québécois ne cessent d’émerveiller un public qui s’étend désormais bien au-delà de nos frontières. À un point tel que la création artistique est devenue l’une des principales images de marque du Québec. Nous comptons faciliter l’intégration de la relève et des jeunes artistes au marché culturel du travail. Plus encore, nous voulons qu’une nouvelle génération s’approprie la culture québécoise en la transformant à son tour avec les sons, les images et les concepts qui lui sont propres. Nous fondons aussi de grands espoirs sur l’émergence du tourisme culturel et sur un tout nouveau programme, « Arts et collectivités », qui, en mettant les arts au service des plus démunis, instaurera des collaborations nouvelles entre les milieux artistiques et les organismes communautaires. Dans la capitale nationale, le taux de chômage a chuté de plus de 2 points et demi de pourcentage en un an. Nous voulons contribuer à accentuer ces succès, en triplant la dotation au Fonds de diversification économique, tout en augmentant les budgets de la Commission de la capitale nationale. La métropole vient d’enregistrer sa meilleure performance économique des 11 dernières années. Elle retrouve son rôle de locomotive économique du Québec, elle a repris la première place comme capitale canadienne des sièges sociaux et elle est en voie de s’imposer comme une des métropoles continentales qui comptent. L’actuelle tournée québécoise de son maire le démontre : la métropole s’ouvre à la fois à l’étranger et aux régions du Québec. Pour utiliser une analogie que le maire de Montréal a rendue célèbre, on pourrait résumer la situation en disant que la métropole a terminé son adolescence, qu’elle a maintenant la maturité voulue pour assumer non seulement son indépendance, mais pour accepter son interdépendance avec le reste du Québec. J’en veux pour preuve que la ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole déposera sous peu un plan d’action conjoint du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal. Le gouvernement du Québec sera au rendez-vous, c’est certain, pour continuer à soutenir la reconversion économique de Montréal, son regain culturel, touristique, financier. Il y sera aussi pour contribuer à moderniser la gestion de la région métropolitaine, pour l’aider à acquérir plus de cohésion, d’équité et d’efficacité. En ce qui concerne l’ensemble des municipalités, qui ont fait leur juste part dans l’œuvre commune d’assainissement des finances publiques, elles connaissent l’engagement du gouvernement de convenir avec elles, dans les meilleurs délais, d’un nouveau pacte fiscal. Le rapport de la Commission nationale sur les finances et la fiscalité locales, que nous recevrons sous peu, servira de base de discussion dans ce dossier structurant pour les municipalités et l’économie québécoise. Chez les nations autochtones, la volonté d’entreprendre est maintenant manifeste et nous mettrons en œuvre le fonds de développement de 125000000 $ sur cinq ans pour soutenir des mesures et des projets autochtones de développement économique et d’infrastructures communautaires.
La position de mon gouvernement est claire : envers les nations autochtones, l’heure est aux partenariats, dans le respect mutuel des intérêts communs et des différences. Nous favorisons la conclusion d’ententes, le développement de l’autonomie gouvernementale et financière, l’amélioration des conditions sociales et économiques. Aux chutes Churchill comme ailleurs sur le territoire, nous privilégions une approche de négociation où chacun peut tirer profit du développement économique et des emplois, tout en préservant ses traditions, son environnement et ses droits. Créer de l’emplois, c’est notre priorité, et nous avons aussi bien l’intention de garder les emplois que nous avons déjà. Plusieurs fois, ces dernières années, nous avons réussi à renverser des décisions de fermetures d’usines. Il s’est développé au Québec un refus du fatalisme dont nous devons saluer les effets. Nous allons passer à l’étape de la prévention. Le ministre de l’Industrie et du Commerce va créer une vigie pour détecter les signes avant-coureur de fermetures d’entreprises et créera un groupe tactique d’intervention hâtive pour intervenir avant que l’irréparable ne se produise. Dans tous ces emplois qui se créent pour nos jeunes et nos chercheurs d’emploi, on trouve un nombre croissant d’emplois précaires et autonomes. Les jeunes se retrouvent devant un marché du travail plus complexe, plus exigeant, moins sécurisant, de telle sorte que, même lorsqu’ils travaillent, il leur faut parfois attendre trois, cinq ou même dix ans avant de bénéficier d’une stabilité financière. Alors ils attendent. Attendent avant d’avoir des enfants, avant d’investir dans l’achat d’une maison. Attendent avant de s’impliquer dans le tissu social et communautaire.
Nous n’avons pas le pouvoir de faire reculer la réalité économique et de transformer tous les emplois en emplois réguliers. Cependant, nous avons le pouvoir de réduire la précarité lorsqu’elle ne répond pas à un choix ou à une nécessité économique et nous avons l’intention de donner l’exemple en le faisant progressivement pour les employés de l’État. Nous avons surtout le pouvoir de fournir aux travailleurs autonomes un filet social adapté et renforcé qui leur permet de progresser dans leurs parcours professionnel et familial avec plus de sécurité. Le régime de congés parentaux, dont j’ai parlé, sera un de ces outils, et il y en aura plusieurs autres : je pense à la reconnaissance juridique du statut de travailleur autonome et à la création d’un guichet unique, au ministère du Revenu, pour cette clientèle. Au cours des prochains mois, nous voudrons également rendre disponibles aux travailleurs autonomes, dans les Centres locaux d’emploi, les mêmes services et le même soutien pour la formation professionnelle qu’aux autres travailleurs et chercheurs d’emploi. Plus largement, les consultations engagées par la ministre d’État au Travail et à l’Emploi pour moderniser le Code du travail viseront en particulier à adapter nos lois à cette nouvelle réalité. Lorsqu’ils entrent sur le marché du travail, les jeunes se heurtent à un autre phénomène, celui des clauses orphelins. Soyons clairs : il s’agit de clauses où l’entreprise et une majorité de syndiqués s’entendent pour réduire les droits ou la rémunération des travailleurs les plus jeunes. Depuis près d’un an que ce débat est lancé, le gouvernement québécois, en tant qu’employeur, a fait en sorte de ne jamais proposer ou accepter de telles clauses. La ministre d’État au Travail et à l’Emploi déposera sous peu un projet de loi pour mettre de l’ordre dans ce dossier. Il s’agit d’un équilibre délicat, où il faut protéger les droits des jeunes sans créer de rigidités telles qu’elles ferment les portes de l’emploi. La ministre a aussi le mandat de reconfigurer les lois du travail en fonction du nouvel environnement économique. Il y a là une responsabilité gouvernementale, mais également un défi lancé aux partenaires du marché du travail qui devront savoir proposer, innover, changer. L’encadrement législatif de l’emploi doit notamment prendre en compte les diverses réalités des salariés pour mieux les soutenir et les défendre, tout en favorisant l’élan des entreprises vers la création d’emplois. En un mot, si nous pensons que l’autonomie et la polyvalence des employés sont des atouts dans l’économie du nouveau siècle, l’insécurité et l’angoisse permanentes, elles, ne sont ni des facteurs de réussite économique ni des conditions propices à la qualité de la vie. Là, comme ailleurs, nous disons Oui à l’économie de marché, mais Non à la société de marché. La réinsertion et l’exclusion zéro Le jeune adulte québécois a maintenant passé le cap de la vingtaine. Comme cela arrive malheureusement dans certains cas, les bouleversements de la vie ou de l’économie l’ont peut-être conduit au chômage, à l’aide sociale, ou à se retrouver dans la situation de ce qu’on appelle « les sans-chèques ». Si le sort a voulu que ce Québécois souffre de conditions qui rendent impossible son retour au marché du travail, la solidarité sociale lui garantira un revenu constant, grâce notamment à la clause d’appauvrissement zéro. Mais dans la grande majorité des cas, le Québécois dont nous suivons le parcours est apte au travail. Nous avons donc, ce jeune et nous, une tâche commune : la réinsertion en emploi. Et ce Québécois à la recherche d’emploi n’a pas à se demander pourquoi ni comment s’organisent les services gouvernementaux de l’emploi. Il veut savoir ce qu’on attend de lui et ce qu’on peut faire pour lui. En 1999, enfin, il obtiendra ces réponses en frappant à une seule porte. À compter de juillet, tous les chercheurs d’emploi qui ont besoin de l’aide financière de l’État seront traités sur un même pied. Ils seront tous considérés comme en cheminement vers le marché du travail, sans étiquette, sans stigmate. Ils recevront d’Emploi-Québec des allocations leur permettant de se consacrer à plein temps à leur parcours de formation et d’insertion. Nous mettons donc fin à une longue tradition selon laquelle les prestataires de la sécurité du revenu engagés dans des programmes d’aide à l’emploi recevaient des allocations nettement inférieures à celles des prestataires d’assurance emploi participant aux mêmes activités. Nous investirons 100000000 $ dans cette harmonisation, donc 100000000 $ de plus pour la réinsertion en emploi. Nous avons dit que le diplôme était la clé pour entrer sur le marché du travail. C’est encore vrai lorsqu’on veut réintégrer le marché du travail. La formation constituera le principal outil stratégique d’Emploi-Québec, qui y consacrera 350000000 $ par an. Cette orientation très nette en faveur de l’emploi se conjuguera avec la lutte contre l’exclusion sociale. Le ministre de la Solidarité sociale proposera des actions d’intégration visant une participation élargie à des activités socialement utiles et valorisantes, dans la perspective de ce que nous appelons désormais : l’exclusion zéro. Pour y arriver, les activités bénévoles et communautaires seront également soutenues et encouragées. Déjà, ces organismes bénéficient d’un investissement gouvernemental de l’ordre de 300000000 $ par an. Le ministre de la Solidarité sociale présidera à l’élaboration de la première politique québécoise de reconnaissance de l’action communautaire autonome et il fera des recommandations quant aux suites à donner au Fonds de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail. Nous voulons une société tolérante, et nous entendons respecter notre engagement à l’égard de la reconnaissance des conjoints de fait, y compris des conjoints de même sexe. Nous voulons une société conviviale, une société en sécurité et en santé. Une société en sécurité et en santé Vendredi, la ministre de la Santé et des Services sociaux fera état des orientations qu’elle compte adopter pour le réseau de la santé. Mardi, dans le discours du budget, le ministre des Finances annoncera les ressources qui seront dégagées pour y parvenir. Il va sans dire que nous honorerons la totalité de nos engagements électoraux dans ce domaine. Après des années d’une réforme nécessaire et difficile, réforme de structures et de modes de fonctionnement, réforme de budgets et d’organisation du travail, nous avons maintenant les outils et les moyens de mettre résolument les personnes et leurs besoins au centre de notre action. Grâce au travail accompli depuis quatre ans, les services de santé et les services sociaux peuvent et doivent maintenant se déployer tout naturellement autour des besoins du malade, en continuité, du point d’entrée dans le système jusqu’aux soins à domicile. Donner la priorité aux personnes, c’est également reconnaître l’essoufflement du personnel, notamment du personnel infirmier et d’y répondre par des ajustements appropriés. C’est reconnaître aussi qu’il faut réfléchir à nouveau sur la pratique médicale, la place du médecin de famille, son rôle et ses responsabilités. Les ressources humaines sont l’âme du réseau de la santé. Elles doivent reprendre leur souffle, profiter de moyens accrus et se remobiliser autour de la seule tâche qui compte : prodiguer des soins. Se préoccuper des personnes, c’est agir encore plus résolument face à deux problèmes récurrents qui contribuent à les insécuriser : l’encombrement de beaucoup de salles d’urgence et les listes d’attente en chirurgie dans certains secteurs névralgiques. Maintenant que la réforme est accomplie et que des ressources nouvelles sont disponibles, nous pourrons y concentrer plus que jamais nos énergies. Les soins et les services à domicile seront appelés à se développer en quantité et en qualité pour répondre à une demande croissante. Les hôpitaux universitaires doivent jouer pleinement leur rôle et, en certains cas, des choix structurants doivent être faits rapidement. La sécurité des personnes guidera le travail du ministre de la Sécurité publique. Le rapport de la Commission Nicolet sur les événements relatifs à la tempête de verglas nous permettra d’améliorer la capacité du Québec de répondre rapidement et adéquatement aux situations d’urgence, comme celle que nous avons vécue pendant le grand verglas. En Amérique du Nord, le Québec est un des endroits les plus pacifiques, la criminalité y est faible et a encore chuté de 15 % depuis cinq ans. Paradoxalement, nos services correctionnels subissent une pression accrue et le gouvernement se penchera sur les mesures à prendre pour leur permettre de mieux assumer leur rôle. Le ministre de la Sécurité publique s’inspirera des recommandations du rapport d’enquête Poitras sur la Sûreté du Québec pour rendre nos corps policiers plus efficaces, plus professionnels, plus respectueux de l’éthique, plus proches des citoyens, plus intègres.
Intégrité. Rien ne peut se faire, en démocratie, sans assurer l’intégrité du processus électoral. Il doit être au-dessus de tout soupçon. Après le référendum de 1995, quand des plaintes avaient été portées sur l’interprétation de certains votes, nous avons immédiatement agi pour modifier le bulletin de façon à exclure dorénavant toute ambiguïté. Une enquête indépendante fut lancée par le Directeur général des élections, qui a porté des accusations. Aujourd’hui, des médias ont mis en lumière la faiblesse du niveau d’identification des électeurs au moment de voter. Le projet de loi 1 que déposera le ministre responsable de la Réforme électorale, visera à corriger cette lacune. Un État moderne, branché, flexible Les jeunes du Québec ont déjà fait de l’Internet un de leurs outils privilégiés. Voilà une génération de citoyens, de travailleurs et d’entrepreneurs qui pourront tirer le maximum de la nouvelle technologie pour leurs divertissements et leur culture personnels, et pour l’économie québécoise.
Avec le nouveau ministre délégué à l’Autoroute de l’information, l’État québécois compte être au rendez-vous. Les citoyens et les entreprises pourront bientôt communiquer avec l’État québécois, en toute sécurité pour leurs renseignements personnels, pour un nombre croissant de transactions et de demandes d’information. Un exemple parmi cent : demain, le citoyen québécois pourrait signifier une seule fois son changement d’adresse et la concordance serait relayée à tous les services gouvernementaux avec lesquels il transige. Et dès l’année d’imposition 1999, les déclarations de revenus du Québec pourront être acheminées via le réseau Internet. Moins de paperasse, moins d’attente, moins de tracas. Nous poursuivrons d’ailleurs notre travail d’allégement réglementaire, qui a déjà fait disparaître en trois ans 400000 permis et autorisations et réduit de plus de moitié le rythme d’adoption de nouveaux règlements. Nous sommes maintenant en vitesse de croisière pour simplifier les rapports entre le citoyen et l’État : dans quelques jours la ministre du Revenu va annoncer l’abolition de plus de 15000 permis et certificats dans un seul secteur d’activité. Elle rendra également public son calendrier de travail pour d’autres secteurs. Plus globalement, nous allons reconduire pour deux ans le mandat du Groupe conseil sur l’allégement réglementaire. Le régime environnemental a bientôt un quart de siècle, il est jugé trop mou par les écologistes et trop lent par les partenaires de l’emploi. Le ministre de l’Environnement se propose de satisfaire ces deux groupes en révisant en profondeur les systèmes d’autorisations et la procédure d’évaluation et d’examen des impacts environnementaux. Et cette réforme, il l’articulera autour du contrôle des résultats plutôt que des processus.
Le ministre de l’Environnement produira également une stratégie québécoise sur les changements climatiques pour respecter les objectifs fixés à Kyoto et il publiera la politique québécoise de l’eau. Toute la fonction publique québécoise sera appelée à se réinventer. Sous l’égide du président du Conseil du trésor et en consultation avec les parlementaires, les fonctionnaires, les cadres, les syndicats et tous les intéressés, nous comptons lancer une profonde modernisation de la fonction publique. Elle mettra l’accent sur la qualité des services aux citoyens et sur l’atteinte de résultats mesurables. Le Québec est privilégié de pouvoir compter, je le constate tous les jours, sur une fonction publique professionnelle, compétente et loyale. La réforme que nous proposons donnera davantage de liberté d’action à des gestionnaires plus imputables. Elle leur permettra de se doter des outils les plus performants et de s’inspirer des pratiques des pays les plus avancés dans le domaine. Elle permettra de donner une nouvelle jeunesse à l’État québécois et d’accompagner le Québec dans ses ambitions de changement pour le nouveau millénaire. Nous espérons attirer certains des meilleurs diplômés du Québec au service de leur collectivité et nous sommes d’accord avec la Commission des droits de la personne pour dire que la sous-représentation, dans la fonction publique, de Québécois d’origines diverses est simplement inacceptable. Nous avons réussi à augmenter considérablement et à brève échéance le nombre de femmes dans les rangs de la fonction publique. Pendant notre dernier mandat, leur place dans des postes décisionnels et stratégiques a fait un bond de 136 %, et nous nous sommes engagés à faire mieux encore. Dans ce nouveau mandat, je ne vois pas de raison de ne pas arriver aussi à faire une place équitable à la diversité québécoise. Le ministre des Relations avec les citoyens et le président du Conseil du trésor proposeront un calendrier et des moyens pour y arriver. Le Millénaire et le Sommet de la jeunesse Parmi le peuple québécois, on trouve un groupe en pleine croissance, par le nombre, par l’énergie et par la volonté de contribuer activement à l’avenir du Québec. Ses membres y entrent de plus en plus tôt et ils en font partie de plus en plus longtemps : les retraités et les aînés. 1999 est l’Année internationale des aînés. Et nous ne pouvons concevoir le Québec de l’an 2000 sans la participation et l’action des retraités et des aînés dans ce que nous voulons construire pour les jeunes Québécois. 1999, année du déficit zéro, donc de la liberté financière retrouvée, année de la mobilisation pour l’emploi et contre l’exclusion, année des aînés. 2000, année des commencements. Année qui sera marquée, dès ses premiers mois, par la tenue du Sommet du Québec et de la jeunesse. Il y a donc lieu de procéder, symboliquement et concrètement, à un formidable passage de flambeau du Québec d’hier au Québec de demain. J’annonce aujourd’hui que les célébrations québécoises du millénaire seront organisées sous le signe de la jeunesse du Québec et sous le thème « On réinvente notre monde ». Un budget de plus de 10000000 $ servira à financer des projets « jeunes » et qui visent un partenariat entre les générations. Les activités du programme du millénaire québécois s’échelonneront entre l’automne 99 et mars 2001. Ses modalités seront annoncées ce printemps. Pour le passage du 31 décembre 1999, les Québécoises et les Québécois seront appelés à démontrer une fois de plus que nous savons concilier la fête et la nordicité. Cette nuit là, 10000 scouts, du Québec et de 140 pays, se sont déjà donné rendez-vous ici, dans la capitale nationale. Avec eux, et en réseau avec des manifestations qui se dérouleront simultanément dans la métropole et en régions, nous organiserons un événement national pour accueillir le nouveau millénaire. Puis, dans les mois qui suivront, au Sommet du Québec et de la jeunesse, les décideurs et la jeunesse québécoise réactualiseront la phrase de Félix-Antoine Savard : « J’ai beaucoup mieux à faire que m’inquiéter de l’avenir : j’ai à le préparer. » Ce sommet abordera des thèmes qui occupent immédiatement nos esprits: l’éducation et la formation, l’emploi, la réussite, l’effort qui doit être réalisé pour nos jeunes en difficulté. Le ministre d’État à l’Éducation et à la Jeunesse expliquera sous peu le cheminement et les chantiers qui nous prépareront à ce grand remue-méninges. Il nous dira que le Sommet doit aussi voir plus large, et d’au moins deux façons. D’abord, il doit se poser les questions d’équité entre les générations. S’il est vrai que la pyramide des âges fera en sorte que, de décennie en décennie, de moins en moins de travailleurs financeront le revenu de plus en plus de retraités, c’est aujourd’hui qu’il faut poser le problème et choisir des pistes de solution, pas lorsque nous serons au pied du mur. Avec la réforme de la Régie des rentes, nous avons assuré l’équité intergénérationnelle dans les droits de retraite mais qu’en est-il des autres grandes dépenses publiques? Au Sommet du Québec et de la jeunesse, il faut réfléchir, non seulement au Québec de l’an 2000, mais au Québec de l’an 2020, et de l’an 2050. Il faut éviter ensemble, aujourd’hui, les problèmes d’après-demain. Il faut aussi préparer ensemble, aujourd’hui, les réussites à venir. Il faut choisir d’investir sur le moyen et le long terme. Ensuite, il faut se poser la question de la place du Québec dans le monde. Pour chaque jeune du Québec, la mondialisation est un phénomène à la fois emballant et angoissant. Y a-t-il une stratégie, à la fois économique et culturelle qui permet au Québec, non seulement d’être actif dans la mondialisation sans y perdre son âme, mais d’en user comme d’une façon de renforcer son originalité, de la projeter dans l’avenir ? Le fait que 50% de la population active du Québec, 60 % de Montréalais, que 80 % des cadres et ingénieurs montréalais soient individuellement bilingues, le fait que le taux de trilinguisme soit deux fois plus élevé au Québec que dans le reste du Canada, donnent à des centaines de milliers de Québécois la capacité individuelle d’intégrer, dans leur cerveau, dans leurs équipes et dans leur travail, des idées, des concepts et des techniques venus de Paris et de New York, de Munich, Mexico et Los Angeles. En culture, il est indubitable que le Cirque du Soleil offre à des spectateurs enchantés une recombinaison québécoise de cultures européennes et nord-américaines. En musique populaire, y a-t-il un autre peuple au monde qui se sente personnellement concerné à la fois par les cérémonies des Grammys américains et des Victoires français, comme s’il s’agissait du gala de l’Adisq? Parce que nous sommes différents et déjà en symbiose avec le monde, nous avons commencé à développer ce que j’appellerais L’avantage québécois. L’avantage de pouvoir réfléchir simultanément en québécois, en américain et en européen. L’avantage de pouvoir apprendre, comprendre et intégrer ce qui se fait de mieux sur les deux continents. L’avantage de pouvoir réunir autour de nous et chez nous des chercheurs, des investisseurs, des artistes de deux continents. L’avantage d’avoir créé ici, grâce au modèle québécois, un cadre convivial où la jonction peut avoir lieu et faire naître de nouvelles idées. Au cours de la dernière décennie, le Québec a principalement fait porter son action sur les États-Unis et la France. Nous nous proposons de repousser les frontières dans les deux directions. Avec la décennie des Amériques, nous voulons, en 10 ans, faire du Québec un partenaire actif et constructif des Amériques. En Europe, nous voulons tisser des liens plus étroits avec d’autres membres de la communauté européenne. Dans l’année qui nous sépare du Sommet du Québec et de la jeunesse, j’aimerais que les jeunes, les décideurs, les membres du gouvernement et de cette assemblée réfléchissent aux façons de tabler sur cet avantage et d’en tirer le maximum pour l’avenir. L’avantage de pouvoir réfléchir simultanément en québécois, en américain et en européen. L’avantage de pouvoir apprendre, comprendre et intégrer ce qui se fait de mieux sur les deux continents. L’avantage de pouvoir réunir autour de nous et chez nous des chercheurs, des investisseurs, des artistes de deux continents. L’avantage d’avoir créé ici, grâce au modèle québécois, un cadre convivial où la jonction peut avoir lieu et faire naître de nouvelles idées. Au cours de la dernière décennie, le Québec a principalement fait porter son action sur les États-Unis et la France. Nous nous proposons de repousser les frontières dans les deux directions. Avec la décennie des Amériques, nous voulons, en 10 ans, faire du Québec un partenaire actif et constructif des Amériques. En Europe, nous voulons tisser des liens plus étroits avec d’autres membres de la communauté européenne. Dans l’année qui nous sépare du Sommet du Québec et de la jeunesse, j’aimerais que les jeunes, les décideurs, les membres du gouvernement et de cette assemblée réfléchissent aux façons de tabler sur cet avantage et d’en tirer le maximum pour l’avenir. Cet avantage, on le trouvera d’abord dans la tête des jeunes Québécois, dans ce qu’ils auront appris, vu et vécu. dans cette optique, en éducation, l’apprentissage des langues devient impératif, et nous voulons faire en sorte que tout Québécois qui le désire puisse avoir accès, gratuitement, à brève échéance, à l’apprentissage du français, de l’anglais, et d’une autre langue, principalement l’espagnol. À cette fin, nous devrions nous fixer un objectif d’augmentation du bilinguisme et du trilinguisme individuel au Québec ; en éducation supérieure, il faut réfléchir aux moyens de multiplier les occasions pour les jeunes Québécois d’acquérir des connaissances aux États-Unis et en Europe ; nous devons réfléchir aux façons d’augmenter en Europe et pour les Amériques le nombre des échanges en milieu de travail et en formation, comme le fait avec grand succès l’Office franco-québécois pour la jeunesse ; le Québec est au carrefour du droit civil et de la common law. Pouvons-nous favoriser, chez nos étudiants en droit commercial, une spécialisation qui les rendrait plus utiles encore aux entreprises québécoises, américaines et européennes ?
En recherche, pouvons-nous nous fixer comme objectif de faire des chercheurs québécois, chaque fois que c’est possible, des pivots de la recherche américaine et européenne, qu’ils deviennent graduellement des experts de l’intégration de ce qui se fait de part et d’autre, et qu’ils attirent par conséquent ici des chercheurs d’Amérique et d’Europe ?
Pouvons-nous mieux intégrer dans les écoles techniques et professionnelles des apports américains et européens ?
Pouvons-nous multiplier les programmes d’invitation des experts étrangers au Québec dans plusieurs domaines, pour qu’ils enrichissent le creuset québécois et qu’ils en témoignent dans leur pays d’origine ?
En économie, pouvons-nous inciter les entreprises québécoises à prospecter la technologie sur les deux continents et en valoriser dans la recherche d’investissements la capacité du Québec de faire la jonction entre les technologies européennes et américaines ?
Dans le domaine culturel, à l’image de l’école de cirque de Montréal, qui recrute dans le monde entier, pouvons-nous favoriser l’émergence d’institutions culturelles qui font du Québec un carrefour des arts ?
Et cette orientation n’est-elle pas une occasion rêvée de mettre à contribution des Québécois d’origines diverses dans un projet commun ?
L’avantage québécois peut être une façon bien à nous de faire et de prendre notre place dans la mondialisation. Il peut être une façon de donner à chaque jeune Québécois qui s’y intéresse l’occasion d’être superbement branché sur le monde parce qu’immanquablement québécois. Il permet d’inscrire la recherche personnelle d’excellence dans un projet collectif, celui de faire du Québec un des endroits les plus intéressants de la planète. Cet avantage, on le trouvera d’abord dans la tête des jeunes Québécois, dans ce qu’ils auront appris, vu et vécu. dans cette optique, en éducation, l’apprentissage des langues devient impératif, et nous voulons faire en sorte que tout Québécois qui le désire puisse avoir accès, gratuitement, à brève échéance, à l’apprentissage du français, de l’anglais, et d’une autre langue, principalement l’espagnol. À cette fin, nous devrions nous fixer un objectif d’augmentation du bilinguisme et du trilinguisme individuel au Québec ; en éducation supérieure, il faut réfléchir aux moyens de multiplier les occasions pour les jeunes Québécois d’acquérir des connaissances aux États-Unis et en Europe ; nous devons réfléchir aux façons d’augmenter en Europe et pour les Amériques le nombre des échanges en milieu de travail et en formation, comme le fait avec grand succès l’Office franco-québécois pour la jeunesse ; le Québec est au carrefour du droit civil et de la common law. Pouvons-nous favoriser, chez nos étudiants en droit commercial, une spécialisation qui les rendrait plus utiles encore aux entreprises québécoises, américaines et européennes? en recherche, pouvons-nous nous fixer comme objectif de faire des chercheurs québécois, chaque fois que c’est possible, des pivots de la recherche américaine et européenne, qu’ils deviennent graduellement des experts de l’intégration de ce qui se fait de part et d’autre, et qu’ils attirent par conséquent ici des chercheurs d’Amérique et d’Europe? Pouvons-nous mieux intégrer dans les écoles techniques et professionnelles des apports américains et européens? Pouvons-nous multiplier les programmes d’invitation des experts étrangers au Québec dans plusieurs domaines, pour qu’ils enrichissent le creuset québécois et qu’ils en témoignent dans leur pays d’origine? en économie, pouvons-nous inciter les entreprises québécoises à prospecter la technologie sur les deux continents et en valoriser dans la recherche d’investissements la capacité du Québec de faire la jonction entre les technologies européennes et américaines? Dans le domaine culturel, à l’image de l’école de cirque de Montréal, qui recrute dans le monde entier, pouvons-nous favoriser l’émergence d’institutions culturelles qui font du Québec un carrefour des arts? Et cette orientation n’est-elle pas une occasion rêvée de mettre à contribution des Québécois d’origines diverses dans un projet commun? L’avantage québécois peut être une façon bien à nous de faire et de prendre notre place dans la mondialisation. Il peut être une façon de donner à chaque jeune Québécois qui s’y intéresse l’occasion d’être superbement branché sur le monde parce qu’immanquablement québécois. Il permet d’inscrire la recherche personnelle d’excellence dans un projet collectif, celui de faire du Québec un des endroits les plus intéressants de la planète. Je le soumets à votre réflexion. Trouver sa place dans le monde, se faire reconnaître à l’étranger, cela suppose que l’on se connaisse ici, entre nous, au Québec. Il faut trouver des façons nouvelles de se retrouver entre Québécois d’âges et de régions diverses. Il y a aujourd’hui plus de jeunes Québécois qui font des échanges avec le reste du monde qu’entre nos régions. Je sais que le ministre des Relations avec les citoyens vient d’annoncer un programme qui permettra aux étudiants de la métropole et des régions de se visiter et de se connaître et c’est une excellente initiative. Dans la même veine, j’aimerais que, d’ici le Sommet, des organisations de jeunes et de retraités, des organisations francophones et d’autres communautés linguistiques, des organisations des régions et des grands centres urbains réfléchissent à l’idée d’un grand brassage québécois. On pourrait faire en sorte qu’à la fin de l’adolescence, les jeunes Québécois qui le désirent puissent donner quelques semaines d’un de leurs étés pour contribuer, dans une autre région québécoise, au bien-être de leurs concitoyens, au bien-être du Québec. Peut-on imaginer que, grâce notamment au travail de bénévoles à la retraite, des jeunes Gaspésiens donnent un coup de main dans l’ouest de l’île de Montréal? Que de jeunes hispanophones de Parc Extension prennent un bain d’Abitibi? Et qu’ensemble, anglophones de l’Outaouais, francophones de Mauricie et néo-Québécois prennent la route pour découvrir un Québec qu’ils ne connaissaient pas, et qu’ils en reviennent en sachant qu’ils ont fait leur part, donné leur temps, retroussé leurs manches pour le bien commun, simplement parce qu’ils sont Québécois? Le calendrier électoral m’a poussé à faire récemment, et plutôt deux fois qu’une, le tour du Québec. J’en ai retiré la conviction qu’il y a chez nous, dans toutes les générations et dans toutes les régions, une réserve de générosité et une volonté d’entraide qui ne demandent pas mieux que de s’exprimer. L’an dernier à pareille date, sous le poids du grand verglas, le Québec a prouvé sa capacité d’entraide. Si nous pouvons le faire sous les intempéries, pourquoi ne pas décider de le faire pour le plaisir, par esprit civique et par beau temps? Vous le voyez, le Sommet du Québec et de la jeunesse sera une occasion où il faudra concilier notre devoir d’améliorer concrètement et rapidement la réalité des jeunes du Québec et notre désir de voir grand.
L’identité québécoise en 2020 Le passage à l’an 2000 doit être l’heure des commencements, mais aussi l’occasion de prendre du recul et de nous poser quelques questions de fond. La souveraineté et le fédéralisme ? Bien sûr nous en débattrons, chacun dans nos partis et ensemble. Contrairement à ce que prétendait le chef libéral, l’élection de mon parti ne déclenche pas un processus irréversible vers la souveraineté et, qu’il se rassure, nous ne le prenons pas au mot sur sa prédiction de campagne. Cependant, il est indubitable que la réunion des conditions d’un référendum gagnant sur la souveraineté fait partie du mandat que nous avons sollicité et obtenu. L’enjeu politique de l’élection était clair pour tout le monde. Cela dit, la question de fond que je veux soulever maintenant en est une qui ne divise pas cette assemblée mais qui l’unit dans une même volonté de préserver l’identité québécoise de génération en génération. La politique québécoise d’intégration des nouveaux Québécois, introduite par un gouvernement libéral, est vieille maintenant de plus de dix ans. La Charte de la langue française fut adoptée il y a plus de vingt ans, puis fut modifiée et adaptée de part et d’autre, jusqu’à faire aujourd’hui consensus parmi les membres de toutes origines de cette assemblée. C’est ma conviction que sur le plan linguistique, à quelques nuances près, nous avons employé autant que faire se peut l’action législative. Le reste de notre action doit être essentiellement incitatif. Reste que le temps me semble venu, alors qu’aucun scrutin n’est imminent, de faire un peu de prospective et de se demander comment, en 2020 ou 2050, l’identité québécoise se portera. Plusieurs phénomènes se conjuguent aujourd’hui et agissent sur notre identité de telle façon que nous serions négligents de ne pas nous en préoccuper. La mondialisation, bien sûr, a décuplé la force d’attraction de l’anglais dans nos vies, chez les francophones et chez les néo-Québécois. Nous proposons nous-mêmes, je viens de le dire, une meilleure connaissance de l’anglais chez nos citoyens francophones et chez nos jeunes en particulier. Cependant, c’est une variable qu’il faut maintenant intégrer lorsqu’on prépare l’avenir.
Il faut prendre acte du fait, nouveau et important, que les États-Unis sont maintenant le premier partenaire économique du Québec, désormais bien avant le Canada anglais. La nord-américanité du Québec s’en trouve renforcée. Cela a des effets qu’il faut connaître et comprendre. Depuis quelques années, le gouvernement canadien a pour sa part décidé d’investir massivement le champ identitaire et culturel québécois. Il le fait sans la moindre coordination avec les objectifs et priorités décidés par les élus du Québec. Il faut en mesurer les conséquences. Les enfants de la loi 101 sont en train de prendre leur place dans la société québécoise. Leur point de vue est neuf et différent, ils ont sans doute des choses à nous dire sur ce que nous sommes en train de devenir. Il faut les interroger et les écouter. Les démographes nous envoient un signal d’alarme, à la fois sur la pyramide des âges de la première moitié du prochain siècle et sur l’affaiblissement prévisible de notre poids démographique, donc du poids politique et culturel de l’ensemble québécois au Canada et en Amérique. Peut-on leur faire la sourde oreille? Nous avons un même but : faire en sorte qu’en 2020, 2040, 2060 et ainsi de suite, sur ce coin d’Amérique, un peuple à plusieurs égards singulier et dont la langue officielle et commune est le français, préserve, modernise et lègue son originalité à travers le temps et le changement. Peut-être sommes-nous en train d’y parvenir. Peut-être vivons-nous plus dangereusement que nous ne le soupçonnons. Je proposerai des façons de nous poser ces questions, de trouver les réponses qui éclaireront nos actions au besoin. L’avenir politique du Québec.
J’aimerais dire quelques mots, en terminant, sur la place du Québec au sein du Canada. Il s’est produit, il y a un mois, le 4 février, un événement d’une très grande importance dans la façon dont ce pays est gouverné. Le 4 février, neuf premiers ministres de province et deux leaders de territoire ont signé, en moins de deux heures, un document soumis par le fédéral et qui fait en sorte que les gouvernements provinciaux, du moins les signataires, ne sont plus maîtres chez eux en matière de programmes sociaux. Sans changer la constitution, le Canada anglais a accepté que le gouvernement fédéral devienne le véritable leader et décideur pour tout ce qui concerne la solidarité sociale. Les provinces, elles, ont accepté de devenir ni plus ni moins que les sous-contractantes des initiatives venues d’Ottawa. Elles ont même approuvé, que dis-je, applaudi !, la volonté d’Ottawa d’intervenir directement, auprès des citoyens et des organismes, dans les domaines de son choix. Et ceux qui croient que cette entente de trois ans ne sera pas reconduite à perpétuité ne comprennent pas la dynamique des relations fédérales-provinciales. Ce qui a été perdu par les provinces, le 4 février, risque fort d’être perdu à jamais. Le chef de l’Opposition et député de Sherbrooke a bien résumé, dans une lettre ouverte aux journaux, les raisons pour lesquelles le Québec souhaitait poursuivre les négociations et ne pouvait signer le texte présenté. Je le cite lorsqu’il écrit que l’accord comporte des lacunes « de nature à porter ombrage a priori aux compétences de l’Assemblée nationale et à mettre en péril éventuellement certains des intérêts spécifiques au Québec. » Plus loin, il écrit que les dispositions de l’accord touchant la mobilité risque de servir « éventuellement à l’uniformisation des normes et ne mette en péril la spécificité québécoise. » C’est tout à fait exact. Plusieurs commentateurs, au Canada anglais, se sont demandés comment les premiers ministres provinciaux, gardiens des pouvoirs de leur législature respective, avaient pu ainsi aliéner leurs droits au profit du gouvernement central. Comment ils avaient pu, en quatre jours, abandonner leur position unanime en faveur des droits des provinces et se soumettre sans nuances à la volonté fédérale. Certains ont rappelé les déclarations publiques assez franches de quelques premiers ministres à l’effet que leur véritable objectif était d’obtenir plus d’argent. Cependant, je ne crois pas que les appétits budgétaires puissent expliquer à eux seuls le changement intervenu il y a un mois. Disons qu’ils ont facilité et peut-être accéléré l’émergence d’une réalité nouvelle au Canada anglais. J’ai beaucoup parlé à mes collègues des autres provinces pendant ce curieux processus. La vraie raison tient au fait que, dans chacune de ces provinces, une majorité de citoyens pense maintenant que le Canada doit être gouverné de façon plus unifiée, plus intégrée, d’un océan à l’autre. Ils pensent que les gouvernements provinciaux doivent déblayer le chemin pour les initiatives venues du vrai Parlement du Canada, celui d’Ottawa. Les premiers ministres des provinces anglophones n’avaient pas la force politique d’empêcher cette nouvelle montée en puissance du gouvernement fédéral. À la base de ce mouvement vers l’uniformité, il y a le sentiment de plus en plus fort des Canadiens anglais de former un seul et même peuple. Longtemps, le Canada anglais s’est cherché et a progressé à tâtons vers une façon de construire son identité et son pays. Voilà, la recherche est terminée. Le Canada anglais a fait son choix et, plus que jamais, ce choix, c’est Ottawa. Le Québec observe cette tendance depuis plusieurs années, animé d’un double sentiment. D’abord personne, dans cette Assemblée, ne veut empêcher le Canada anglais de mieux coordonner ses objectifs, ses priorités et ses actions. Cependant, personne dans cette Assemblée n’accepte que le Québec soit soumis, contre son gré, à des priorités et des objectifs qui ne sont pas les siens. Par conséquent, nous avons élaboré une position qui permet au Canada anglais de se coordonner et au Québec de choisir, au cas par cas, de se joindre à lui ou de façonner sa propre action. C’est ce qu’on a appelé : « le droit de retrait ». Il y a eu deux phases à cette négociation. La première visait à convaincre les provinces de consentir à la position du Québec. À deux reprises, en deux ans, j’ai demandé à mes homologues s’ils comptaient imposer au Québec les décisions qu’ils prendraient avec Ottawa. Deux fois, je leur ai expliqué que le Québec ne pourrait se joindre à leurs revendications que si ce droit de retrait était intégré à leur proposition. Les deux premières fois, ils sont restés sans réponse. Mais à notre troisième rencontre, l’été dernier à Saskatoon, les provinces ont accepté de reprendre à leur compte notre position qui conciliait, de façon concrète et pratique, les intérêts du Canada anglais et ceux du Québec. Au lendemain de l’accord de Saskatoon, l’actuel chef de l’Opposition a salué la valeur de ce compromis, le trouvant proche des positions de son propre parti. Les autres provinces étaient donc conscientes du fait que les deux grands partis à l’Assemblée nationale appuyaient cette démarche. S’est alors ouverte la seconde phase des négociations, avec Ottawa. Il ne manquait que la signature fédérale pour que l’accord soit unanime et effectif. Le Québec a participé de façon active et constructive à chacune des étapes suivantes, notamment pour la rédaction d’une position provinciale unanime et complète déposée à Victoria à la fin de janvier. Avec mes collègues, sur la question de la santé, j’ai moi-même proposé la lettre conjointe dans laquelle nous nous engagions à réinvestir en santé les sommes nouvelles que le fédéral allait verser selon « les arrangements existants « . Dans les quatre premiers jours de février, lorsque les provinces, une à une, ont délaissé la position provinciale pour adopter la position fédérale, il n’y a pas eu de malentendu ou de nuit des longs couteaux. J’ai parlé à de nombreuses reprises avec plusieurs de mes homologues qui m’ont informé qu’ils allaient signer, tout en disant comprendre pourquoi le Québec ne pouvait le faire. Qui plus est, les représentants du Canada anglais étaient parfaitement au courant du fait que l’Opposition officielle du Québec était, elle aussi, en désaccord avec l’approche fédérale. La veille du jour où il a signé l’accord, le premier ministre de l’Ontario avait eu des conversations avec le chef de l’Opposition du Québec. Et je n’ai rencontré personne, au Canada anglais, qui considère le chef de l’Action démocratique comme un adepte du pouvoir fédéral de dépenser. Les premiers ministres du Canada anglais savaient cette Assemblée unanime contre la proposition fédérale. Ils ont signé quand même. Ils ont signé, je puis en témoigner, sans négocier. Ils ont signé en rejetant la proposition québécoise de continuer à négocier.
Et ils ont signé une entente qui donne à Ottawa carte blanche pour agir comme bon lui semble dans la zone d’autonomie des provinces, soit directement, soit en convainquant de la justesse de son projet six provinces représentant à peine 15% de la population canadienne. Au moins un porte-parole fédéral a dit qu’Ottawa s’autorisera de cet aval pour imposer chaque fois au Québec son objectif, sa priorité, son programme. Dans sa lettre ouverte aux journaux, le chef de l’Opposition trouve à bon droit que cette méthode est dangereuse. Il écrit qu’il aurait fallu éviter, et je cite « que six provinces peu populeuses et contribuant moins que les autres aux revenus fédéraux, ne puissent imposer leurs objectifs au Québec. » Et d’expliquer qu’il en faudrait davantage pour imposer leur volonté au Québec. Malheureusement, il ne précise pas le nombre requis. Monsieur le chef de l’Opposition, le 4 février, elles étaient neuf à signer un accord dont vous dites qu’il met en péril les droits du Québec. Elles étaient neuf. Je leur avais parlé. Vous leur aviez parlé. Et rien de ce que nous leur avons dit ne les a dérangés. Il faut se rendre à l’évidence. Il y a quelques années, le Canada disait : « What does Québec want? « — Que veut le Québec? Aujourd’hui, le Canada anglais dit : [« Who cares what Québec wants ! »] — Ce que le Québec veut, ça ne nous intéresse pas. Donc, le Canada a choisi son modèle. Le Canada avance avec un appétit qui ne connaît pas de borne. Aucune compétence québécoise n’est à l’abri : la santé, l’éducation, les ressources naturelles, il y aura une politique fédérale de l’eau, les renseignements personnels, la formation des jeunes, j’en passe. Nous sommes en route vers un dédoublement intégral. Pour le moment, les électeurs québécois se sont mis à peu de chose près au neutre. Le 30 novembre, ils ont livré au parti qui forme l’Opposition officielle son résultat le plus faible en 22 ans et ils ont reporté le parti ministériel au pouvoir, mais sans excès. Quand à l’ADQ, les électeurs n’ont pas élargi son caucus. Bref, les électeurs ont livré un message nuancé, comme c’est leur droit. Il ne faut pas se méprendre. Le peuple du Québec a démontré dans le passé une capacité de rebondissement considérable. Nous savons tous que cette capacité est toujours là, prête à se manifester. Mais nous devons être francs et dire aux Québécoises et aux Québécois que, dans le contexte canadien actuel, il y a un prix politique à payer pour rester trop longtemps dans l’indécision. Chacun des deux grands partis a lancé une réflexion, à l’interne. Le chef de l’Opposition a dit que, chez lui, « tout est sur la table ». Je le mets amicalement en garde, la dernière fois qu’un chef libéral a dit une chose pareille, en 1990, son comité constitutionnel lui a suggéré de faire la souveraineté. Chez nous, un comité dirigé par le vice-premier ministre mène un important brassage d’idées. Cette période de réflexion est indispensable, mais elle doit être rapidement fructueuse. Car pendant ce temps, le Canada force le jeu, impose ses vues, multiplie les prétentions et se complaît dans une rare arrogance. Depuis le 4 février, grâce à la signature de neuf provinces anglophones, le Canada se construit en refusant très officiellement la différence québécoise. Le « péril », pour reprendre le mot du chef de l’Opposition, est réel. L’an 2000, année des commencements. Le Québec a tous les atouts pour s’affirmer. Politiquement, le peuple du Québec doit décider si l’an 2000 sera le commencement d’un abandon graduel de sa capacité de gérer ses affaires. Il doit décider si, 40 ans après Jean Lesage, il lui importe encore d’être « maître chez lui ». Il peut décider au contraire que l’an 2000 sera le commencement d’une reprise en main de sa force politique, d’un regain de volonté de parler de sa propre voix et de faire ses propres choix. Merci.

[BOUC=19990304]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Déclaration concernant les orphelins de Duplessis – 4 mars 1999]
Les Québécois ont été troublés par les révélations des difficultés et des injustices vécues par ceux et celles qui s’identifient comme les orphelins et les orphelines de Duplessis. Aujourd’hui, alors que s’ouvrent les travaux réguliers de cette nouvelle législature, au nom du Québec et de son gouvernement, je leur exprime nos plus sincères excuses et leur adresse la présente déclaration. Il faut reconnaître qu’il y a plus de trente ans, dans quelques institutions et à certaines occasions, des enfants placés ou abandonnés par leur famille et connus comme les orphelins et orphelines de Duplessis, ont été victimes de situations, de gestes et d’attitudes inadmissibles dont les séquelles les affectent aujourd’hui encore. Les différences de mentalité, de valeurs et de méthodes d’éducation, tout comme la pauvreté des moyens mis à leur disposition, ont concouru au problème mais ne constituent pas une excuse. Nous souhaiterions que cela n’ait pas eu lieu. Encore aujourd’hui, il survient parfois des situations condamnables qu’il nous appartient de corriger. Heureusement, nous bénéficions maintenant de mécanismes qui nous permettent d’intervenir plus rapidement. Sans pour autant vouloir jeter de blâme ou imputer une responsabilité légale à quiconque, le gouvernement reconnaît que la société québécoise dans son ensemble a un devoir moral à l’endroit de ses membres qui ont vécu cette situation malheureuse. Nous savons cependant que l’expression de ces excuses et la reconnaissance de ce devoir moral sont avec raison au cœur des attentes formulées par le Comité des orphelins et orphelines de Duplessis. Le procureur général a le devoir d’évaluer la possibilité d’intenter des poursuites criminelles lorsque, dans des cas précis, la preuve réunie le permet. Plus de 200 dossiers ont été étudiés ces dernières années, d’autres pourraient encore l’être ou certains revus si des éléments nouveaux apparaissaient. Les recours intentés ont démontré cependant jusqu’à maintenant que certains facteurs, notamment l’écoulement du temps, compliquent le recours à la voie judiciaire. Certains ont souhaité une enquête publique. Le gouvernement pense plutôt que l’intérêt des personnes concernées sera mieux servi par une démarche d’accompagnement et de soutien. Des mesures, cinq au total, certaines que j’annonce aujourd’hui, d’autres déjà en voie de réalisation, visent à aider ces personnes à retrouver leur dignité, à accroître leur capacité de subvenir elles-mêmes à leurs besoins et à acquérir ainsi une plus grande autonomie. La première mesure vise à leur redonner une identité clairement établie. Les personnes dûment référées et accompagnées par le Comité pourront obtenir, sans frais, un certificat de naissance correspondant à leur identité actuelle. Deuxièmement, l’accès à certains programmes gouvernementaux, tels ceux en matière de services sociaux, d’insertion et de soutien de la sécurité du revenu, leur sera facilité. Le ministère de la Solidarité sociale prendra en compte leur situation particulière lors de l’octroi de l’aide sociale ou de l’identification des mesures favorisant, à leur demande, le retour en emploi ou l’insertion sociale. En outre, le Ministère procédera en leur faveur à certains assouplissements au programme de soutien financier.
Par une troisième mesure, le gouvernement verra à ce que le Comité dispose des ressources nécessaires pour poursuivre son travail. À cette fin, le gouvernement lui versera donc une subvention de 300000 $, répartie sur trois ans. Quatrièmement, j’annonce que le gouvernement a décidé de créer un Fonds d’aide spécial de 3000000 $. Ce fonds vise à combler d’autres besoins auxquels les mesures précédentes ne peuvent répondre. Il sera administré conjointement par des représentants des orphelins et orphelines, du milieu et du gouvernement. Enfin, pour coordonner l’ensemble des interventions gouvernementales dans ce dossier, un comité interministériel présidé par la sous-ministre du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration a déjà été constitué. Le ministre des Relations avec les citoyens assurera la liaison avec les représentants des orphelins. On se souviendra qu’à un certain moment, le nombre de déficients intellectuels déclarés comme fréquentant certaines institutions influait directement sur le montant des subventions fédérales qui leur étaient versées. Aussi, certaines évaluations médicales portées alors aux dossiers des orphelins sont aujourd’hui contestées. Nous savons que le Comité et le Collège des médecins poursuivent des discussions pour identifier les mesures appropriées au règlement de cette situation. Le gouvernement appuie cette initiative. Le passé ne pourra jamais être refait. Certains ont rappelé, avec raison, que ce passé a été aussi et surtout fait de gestes d’abnégation et de générosité. Si cette époque a connu son lot de misères et d’erreurs, elle se caractérise aussi par de nombreux exemples de grand dévouement. Il nous faut mentionner ici les milliers de religieuses et de religieux qui oeuvraient dans ces orphelinats mais aussi dans des institutions spécialisées. La responsabilité de notre système d’éducation et hospitalier, somme toute, l’expression de notre solidarité sociale, était presque entièrement assumée par les communautés religieuses. Elles l’ont fait dans des conditions difficiles et de façon généralement admirable. Le gouvernement demeure conscient que ce qui a été vécu laissera toujours des traces. Les mesures présentées aujourd’hui constituent autant de ponts à emprunter pour que le témoignage des orphelins reste vivant, rappelant à tous notre devoir de vigilance. Ainsi, nous serons, tous et chacun de nous, encore mieux préparés à assumer notre responsabilité collective envers ce que nous avons de plus précieux mais aussi de plus fragile : nos enfants. Merci monsieur le Président.

[BOUC=19990312]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Déclaration à l’occasion du décès de Camille Laurin – 12 mars 1999]
Aujourd’hui, le Québec est en deuil, le Dr Camille Laurin, un des géants de l’évolution politique et culturelle du Québec, nous a quittés, mais en nous laissant un extraordinaire héritage. On compte sur les doigts d’une main les personnalités qui, au cours du siècle, à force d’intelligence et de volonté, réussissent à modifier durablement une société. Camille Laurin est de ceux là, lui qui a donné un élan nouveau et salutaire à la langue des Québécois, lui qui a affirmé et consacré notre droit de vivre en français. Ce faisant, le Dr Laurin a permis au peuple du Québec de remporter une de ses plus belles victoires, celle de l’affirmation de soi, de sa culture, de son identité et de sa langue.
Toute sa vie, le Dr Laurin a eu un objectif : redonner aux Québécoises et aux Québécois confiance en eux. La Charte de la langue française fut une étape essentielle sur ce chemin. Née dans le combat et l’adversité, elle est aujourd’hui appuyée par tous les membres de l’Assemblée nationale, toutes origines confondues. Voilà tout un exploit et, au nom de tous, je voudrais aujourd’hui l’en féliciter et le remercier. Profondément moderne, le Dr Laurin était aux premières loges du grand combat québécois pour la souveraineté, dans lequel il voyait une occasion pour le Québec de grandir encore et d’exceller. Élu parmi les premiers députés du Parti québécois en 1970, chef de l’opposition officielle et détenteur de plusieurs portefeuilles importants, il était revenu à l’Assemblée nationale en 1994 et y serait encore aujourd’hui si la maladie ne l’en avait empêché l’automne dernier. On connaît sa détermination tranquille et sa patience légendaire, mais aussi sa passion pour l’idée d’indépendance et son indomptable volonté de suivre ce parcours jusqu’à sa destination. Il nous appartient maintenant, à nous que le Dr Laurin a guidés, inspirés, conseillés, de prolonger son action pour la langue, l’identité et la souveraineté. Nous sommes plus forts et plus confiants parce qu’il fut des nôtres. Et lorsque nous franchirons la ligne d’arrivée, nous saurons la part qui lui revient dans notre histoire d’hier et de demain. À la famille et aux proches du Dr Laurin, je tiens à exprimer au nom du gouvernement et du peuple québécois ma plus vive sympathie et mes très sincères condoléances. Je souhaite qu’ils trouvent la force et le courage nécessaires dans cette épreuve.

[BOUC=19990314]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Déjeuner offert à des intellectuels catalans – 14 mars 1999]
Madame et Messieurs les Ministres, Chers amis, Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui dans l’enceinte de ce bâtiment historique qu’est la Maison Batllo. À lui seul, cet édifice donne la mesure de la très grande vitalité de votre peuple. Gaudi n’est qu’un des grands créateurs que la Catalogne a offerts au monde.
Je n’ai pas l’intention de vous entretenir longuement cet après-midi. L’important, au cours de ce repas qui s’engage, c’est que nous ayons l’occasion d’échanger à propos d’expériences parfois communes, parfois très différentes. Je tiens cependant à attirer votre attention sur des questions qui me paraissent pertinentes dans le contexte de la relation entre peuples québécois et catalan.

Vous êtes enracinés en ce sol depuis de nombreux siècles. Vous vous êtes battus avec une persistance exceptionnelle afin que votre culture nationale se développe, en Espagne et en Europe. Le combat pour votre langue a été un exemple pour beaucoup d’autres peuples. Vos créateurs, tout en étant profondément marqués par cette culture et cette langue, ont su traduire, à l’échelle mondiale, les aspirations et les valeurs de l’humanité.
En veillant à cultiver ce que vous êtes, vous avez su donner au monde une part irremplaçable de vous-mêmes. Tout peuple a une voix unique dans le concert des nations, mais la vôtre est particulièrement distinguée. Et voilà la richesse que confère la différence. Le patrimoine humain est fait de la contribution de nations, petites et grandes, dont l’originalité est le creuset de l’invention. Le défi de la mondialisation réside là : dans la préservation des différences alors que s’accélèrent les échanges
Notre expérience collective, en tant que Québécois, remonte à seulement quelques centaines d’années. Mais notre effort d’affirmation nationale se déploie au sein de l’ensemble économique et culturel le plus puissant du monde. Nous sommes néanmoins parvenus à créer, sur cette terre d’Amérique, une culture riche et féconde qui est au cœur de ce que nous sommes.
Il est manifeste qu’il existe entre nous des convergences. Des différences aussi. En Europe, vous pouvez vous appuyer sur une trame de relations régionales avec d’autres peuples. Les langues et les cultures s’offrent en contrepoids les unes aux autres. En Amérique du Nord, le Québec se trouve face au formidable pouvoir d’attraction de la langue de ses deux voisins, le Canada et les États-Unis.
Nous sommes appelés à affronter, aujourd’hui, sans doute, le défi culturel le plus difficile que nous ayons eu à surmonter depuis que le peuple québécois a pris ses contours actuels. L’immensité des transformations technologiques en cours, la rapidité avec laquelle les distances s’effacent, la puissance de l’ensemble nord-américain créent un contexte nouveau, à plusieurs égards emballant, parfois inquiétant. Le Québec est aux premières lignes de cette évolution, ayant fait à la fois le pari de l’intégration économique et de l’affirmation de son identité. Nous ne pouvons mener seuls cette bataille dans laquelle seront impliqués, tôt ou tard, s’ils ne le sont déjà, des peuples de l’ensemble de la planète. Afin que la différence puisse se manifester à l’échelle mondiale, afin que chaque peuple puisse continuer à maîtriser les outils de son développement culturel, afin que l’uniformité ne transforme pas la civilisation contemporaine en trame plane et sans ressort, il est essentiel qu’un effort en commun soit pensé et exécuté. Le Québec, pour sa part, veut participer avec les autres peuples à la conception de meilleures voies afin d’affirmer cette diversité culturelle qui confère à la civilisation sa vigueur. Notre expérience des deux dernières décennies permet d’affirmer que Québécois et Catalans savent travailler efficacement ensemble, chacun à sa manière, chacun sur son continent. Devant le défi que j’ai tenté de décrire, que pouvons-nous envisager? Comment faire en sorte que les liens qui nous unissent, mais aussi les différences qui nous caractérisent, contribuent à renforcer le travail indispensable à la préservation de ce que nous sommes et à l’enrichissement de ce que sont les autres? C’est là la question principale que je voulais vous poser. Merci de votre attention.

[BOUC=19990315a]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Conférence au palais de la Generalitat – Barcelone – 15 mars 1999]
Monsieur le Président de la Chambre de commerce, d’industrie et de navigation de Barcelone, Monsieur Antoni Negre, Monsieur le Ministre de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme, Monsieur Antoni Subirà, Monsieur l’Ambassadeur du Canada en Espagne, Monsieur Anthony Vincent, Distingués invités, Je veux d’abord remercier le président de la Chambre de commerce, d’industrie et de navigation de Barcelone, Monsieur Antoni Negre, de fournir au Québec cette tribune économique privilégiée. Depuis deux jours, tous ceux qui m’accompagnent peuvent constater à la fois le dynamisme de la société catalane et les similitudes qui existent entre la Catalogne et le Québec, sur les plans économique, culturel ou social.
La taille de nos populations respectives, nos structures économiques modernes et diversifiées, notre approche commerciale libre-échangiste et notre degré élevé d’ouverture sur le monde sont autant d’éléments que nous partageons. Similitudes, donc, mais aussi complémentarités : comme la Catalogne adhère pleinement à l’Europe, le Québec est aussi partie prenante du grand espace économique de l’Amérique du Nord et, bientôt nous l’espérons, des Amériques au grand complet. C’est dire que les entreprises catalanes et québécoises ont tout intérêt à conjuguer leurs ressources et leurs compétences, afin d’explorer ensemble des occasions de partenariat des deux côtés de l’Atlantique. En 1996, le président Pujol et moi-même avons signé à Québec une entente de coopération qui a déjà commencé à porter fruits. Ainsi, des accords sectoriels ont été conclus, notamment dans le domaine de l’énergie. Par exemple, un site conjoint Internet a été mis en place par l’Agence de l’efficacité énergétique du Québec et l’Institut catalan de l’énergie. En outre, l’Institut, le Centre québécois de valorisation de la biomasse et des biotechnologies et le ministère des Ressources naturelles du Québec travaillent étroitement au développement de technologies de valorisation de la biomasse. De même, au plan financier, Investissement-Québec et le Centre d’information et de développement des entreprises ont convenu de faciliter le traitement des projets d’implantation des entreprises sur leur territoire. Des coopérations entre entreprises du Québec, de Catalogne et d’Espagne se multiplient. La Banque Nationale s’est associée à la Banc Sabadell et la Caisse centrale Desjardins avec la Banco Popular de Madrid. La Caisse de dépôt et de placement du Québec dispose aussi d’une forte présence en Catalogne, par le biais de prise de participation dans le groupe immobilier FILO de Barcelone et le groupe de télécommunications SPAINCOM de Madrid. Dans le domaine de l’énergie, un partenariat a été conclu entre la société EIE, dont le siège social est à Barcelone, et la société ENERKEM, de Sherbrooke. Le développement de la présence économique du Québec en Espagne s’est également traduit par l’implantation de grandes sociétés comme Quebecor, le plus grand imprimeur d’Europe, Alcan, notre grand producteur canadien d’aluminium, et Téléglobe, un de nos géants en télécommunications. Des PME telles que Harris et Positron, aussi du secteur des télécommunications, ont pris racine chez vous. Autre exemple de collaboration fructueuse : la Société générale de financement a établi au Québec un partenariat majeur avec le groupe espagnol PETRESA, filiale de CEPSA. Il s’agit d’un projet de 18000000000 de pesetas, portant sur la production de composants biodégradables pour l’industrie des détergents. C’est le plus important investissement jamais réalisé à l’étranger par CEPSA. Nous notons d’ailleurs que la majorité des entreprises espagnoles qui s’implantent au Canada choisissent de le faire au Québec. Ma visite en Catalogne a pour objectif de construire sur cette base solide et d’intensifier ces relations. Aujourd’hui et demain, une quinzaine de représentants d’entreprises et d’organismes québécois du secteur de l’énergie participent à des rencontres industrielles afin de mieux connaître leurs collègues catalans œuvrant dans le même domaine. Le Québec, comme vous le savez sans doute, a acquis au fil des ans un savoir-faire unique en matière d’énergie. Les gens qui sont ici avec moi représentent quelques-uns des fleurons de ce savoir-faire : Hydro-Québec, Gaz métropolitain, l’Agence de l’efficacité énergétique, le ministère des Ressources naturelles et le Centre québécois de la valorisation de la biomasse et des biotechnologies. Sont aussi représentées dans cette mission des entreprises qui ont mis au point des technologies originales dans les secteurs de la biomasse, de l’énergie éolienne, des gazotechnologies et de l’efficacité énergétique. Au cours des mois et des années qui viennent, nous voulons intensifier ces rencontres industrielles par secteur, pour multiplier les partenariats entre vos entreprises et les nôtres. Une formule gagnante pour y arriver est celle des rencontres industrielles. Comme vous le savez, cette semaine, je tiens une rencontre industrielle sur l’énergie. Ce matin, avec le président Pujol, nous avons décidé d’en organiser trois autres d’ici un an et demi. L’automne prochain, à Montréal, la rencontre portera sur les technologies de l’information. Au printemps 2000, toujours à Montréal, sur le capital de risque. Et à l’automne 2000, en Catalogne, sur les industries de l’environnement. Je crois que le moment est bien choisi pour forger ces alliances, car le Québec, comme la Catalogne, est en train d’émerger comme une nouvelle force économique, et c’est ce dont je voudrais vous entretenir pendant quelques minutes. Avec 7000000 d’habitants, le Québec a un PIB d’environ 190 milliards de pesetas, ce qui le classe au 16e rang des pays de l’OCDE. La taille de notre économie se compare à celle de pays comme l’Autriche, la Suède ou la Suisse. Le Québec a connu, ces deux dernières années, un taux de croissance réel du PIB de 2,7 %. L’inflation a été maîtrisée et s’établit à 1,4 %. Les perspectives d’avenir sont encore plus encourageantes, grâce notamment à l’élimination du déficit budgétaire du Québec. Lorsque mon parti a pris le pouvoir, il y a quatre ans, ce déficit s’établissait à 580000000000 de pesetas. Il est désormais complètement épongé. Certaines institutions bancaires, comme la Banque canadienne impériale de commerce, estiment que, libérée de ce fardeau et grâce à l’augmentation de nos exportations, la croissance de notre économie devrait dépasser 3 % cette année, dépassant donc le taux de croissance du Canada. Notre métropole, Montréal, est en train de s’imposer comme une des capitales nord-américaines du savoir et de la technologie. Montréal est la quinzième ville nord-américaine par sa population. C’est la neuvième pour le nombre de compagnies en technologies de pointe. La septième pour le nombre d’emplois en technologies de l’information. La sixième pour le nombre d’emplois en biopharmaceutique. La cinquième en aérospatiale. Et la toute première, la toute première, pour la proportion de sa population qui travaille dans les technologies de pointe. Au plan industriel, le Québec s’appuie sur plusieurs piliers. D’abord, comme je l’ai évoqué, le secteur de l’énergie. Avec une puissance installée de près de 40000 mégawatts, le Québec est le troisième producteur mondial d’hydroélectricité, après les États-Unis et le Brésil. Notre énergie abondante, propre et peu coûteuse représente un atout concurrentiel de premier plan. Le Québec est la sixième puissance mondiale dans le secteur aérospatial et y compte plus de 240 entreprises générant un chiffre d’affaires d’environ 700000000000 de pesetas. Montréal est, avec Toulouse et Seattle, l’une des trois grandes villes mondiales de l’aérospatiale. L’industrie biopharmaceutique occupe aussi une place de choix dans le bilan économique du Québec. Le gros des activités de recherche fondamentale et clinique effectuées au Canada est réalisé au Québec. On y compte 180 établissements publics et privés générant des investissements annuels de l’ordre de 25000000000 de pesetas en recherche et développement. Le secteur des technologies de l’information, en particulier les télécommunications, le multimédia et le génie logiciel, constitue l’ancrage de la nouvelle économie. Ce secteur compte 5000 entreprises au Québec, qui génèrent 100000 emplois et un chiffre d’affaires d’environ 2000000000000 de pesetas. Dans le domaine de l’environnement, le Québec regroupe quelque 850 entreprises. Elles ont acquis une expertise reconnue mondialement dans le traitement des eaux usées, la restauration de sols contaminés, ainsi que le traitement des émissions des alumineries et des effluents des usines de pâtes et papiers. Avantages du Québec pour les investisseurs Mais la vitalité de l’économie québécoise ne se fonde pas seulement sur son dynamisme industriel. En fait, nous avons identifié au moins six raisons majeures pour lesquelles il est payant d’investir au Québec. Tout d’abord, nous comptons sur une main-d’œuvre productive, spécialisée et stable et sur d’excellentes relations de travail. Le gouvernement, les dirigeants d’entreprise et les syndicats travaillent en étroite collaboration afin de doter les travailleurs de la formation que requiert une économie diversifiée. Les entreprises peuvent donc recruter au Québec une main-d’œuvre compétente, qualifiée, polyvalente, hautement scolarisée et souvent multilingue. Le français est notre langue officielle et notre langue de travail. Mais la moitié de notre main-d’œuvre parle aussi l’anglais et, puisque nous voulons être de plus en plus présents en Amérique latine, nous entendons favoriser l’extension de l’espagnol dans nos écoles secondaires. Notre deuxième atout est attribuable à la forte vitalité de notre communauté scientifique. En effet, il existe au Québec une importante masse critique de chercheurs dans les centres privés, publics et universitaires. Cela nous situe en tête au Canada et dans les pays du G-7, pour la croissance des investissements en recherche et développement. Le Québec offre également des coûts industriels très concurrentiels. Nos frais d’exploitation sont parmi les plus abordables sur le continent. En quatrième lieu, __ les experts en témoignent la fiscalité québécoise est une des plus favorables au monde à l’égard de la recherche et du développement. Les avantages fiscaux consentis en contrepartie des dépenses en recherche et développement au Québec sont jusqu’à deux fois plus intéressants que ce qui est offert ailleurs en Amérique du Nord. Au plan financier, le Québec dispose de près de la moitié du capital de risque canadien. Il y est abondant et disponible sous plusieurs formes : participation au capital, aide au démarrage d’entreprises spécialisées en technologie et montages financiers sur mesure. Je voudrais signaler le cas de TAFISA, une entreprise espagnole qui a décidé, en 1990, de construire une usine de panneaux à particules au Québec et de destiner le tiers de la production aux marchés de l’ALENA. Jusqu’à tout récemment sous contrôle espagnol, TAFISA a voulu augmenter la capacité de production de cette usine et a réalisé un investissement de 15000000000 de pesetas en faisant appel au capital de risque québécois. Enfin, les investisseurs choisissent le Québec pour le dynamisme de son économie orientée vers des secteurs d’avenir, mais aussi parce que le Québec est un point de rencontre par excellence des technologies européennes et américaines. Ce que nous appelons « l’avantage québécois », c’est notre capacité de créer une synergie entre des entreprises québécoises et celles venues d’Europe et d’Amérique, pour le plus grand profit des unes et des autres. Nous avons créé, au Québec, un contexte favorable aux échanges d’idées, de concepts, de technologies, et un contexte favorable à l’exportation de ce qui en résulte. Le Québec et le libre-échange Si le Québec est une terre d’accueil idéale pour les investissements, ce n’est pas parce qu’il y a au Québec 7000000 de consommateurs, mais parce qu’il y a 7000000 de libre-échangistes. Le Québec est une des nations industrialisées qui sait le mieux vendre ses produits outre-frontière. Songez que près de 60 % de ce que nous produisons est exporté au Canada ou à l’étranger. Les exportations internationales de biens et services représentent 36 % de notre production totale, comparativement à 26 % pour la Catalogne, qui excelle en ce domaine, et 19 % pour l’ensemble de l’Espagne. Depuis 1990, le volume de nos échanges internationaux a plus que doublé.
Nos exportations vers les États-Unis ont augmenté de plus de 160 % pendant la décennie, ce qui fait du Québec le septième partenaire commercial des États-Unis, et le place avant des pays comme l’Allemagne ou la Russie. Ce qui fait aussi que les États-Unis sont maintenant le principal partenaire économique du Québec, de loin plus important donc que nos voisins canadiens. La proximité de l’énorme et exigeant marché américain nous a condamnés à l’excellence et nous ouvre aujourd’hui la porte des Amériques!
Ce qui explique pourquoi un nombre croissant d’entreprises étrangères choisissent le Québec comme point d’entrée sur le marché américain. Par exemple, le taux de succès des implantations d’entreprises françaises au Québec ces dernières années est de 100 %. J’invite les entreprises catalanes à en faire autant. Plus de 1 200 filiales d’entreprises étrangères, dont 600 d’Europe, sont installées chez nous. C’est le cas pour le Grupo ABRESSA, de Catalogne, chef de file mondial dans le domaine des abrasifs, qui s’est associé à Granit Bussières pour la conquête du marché nord-américain. Le soutien à l’Accord de libre-échange avec les États-Unis, étendu depuis au Mexique pour créer l’ALENA, est le résultat d’un consensus entre tous les partis politiques au Québec. C’est dans ce même esprit que le Québec a appuyé l’Accord bilatéral de libre-échange entre le Canada et le Chili, et soutient le projet de création d’une zone de libre-échange à la grandeur des Amériques. C’est donc comme partenaires potentiels dans la pénétration de ce vaste marché que je m’adresse à vous. Pour appuyer vos efforts, la Catalogne et le Québec ont mis en place en 1997 le Programme d’accords industriels qui s’adresse aux petites et moyennes entreprises désirant établir un partenariat de nature industrielle. Nous parlons de projets bilatéraux, mais rien n’interdit non plus la réalisation de projets multilatéraux. Nous sommes très conscients du rayonnement des entreprises catalanes dans le monde, notamment en Amérique latine. Nous croyons que nos expertises respectives pourraient s’avérer fructueuses si elles étaient associées dans des opérations en pays tiers, notamment en Afrique du Nord et en Amérique latine. Le Québec a maintenant un pied-à-terre en Catalogne : le Bureau du Québec à Barcelone, que le président Pujol et moi-même avons inauguré ce midi. Je vous invite à communiquer avec notre représentant, Monsieur Marcel Gaudreau, qui se fera un plaisir de vous orienter dans vos démarches. Les gouvernements du Québec et de la Catalogne ont mis en place, à votre intention, des moyens de soutien légers et efficaces. Il vous appartient maintenant d’en tirer pleinement profit. La coopération économique Québec-Catalogne est jeune et prometteuse. Son développement dépend de nous tous. Je vous invite donc à nous visiter, à découvrir le Québec. Je suis convaincu que votre séjour chez nous sera agréable, autant que l’est pour moi aujourd’hui cette visite chez vous. Et je souhaite qu’il vous incite à y établir votre pied-à-terre nord-américain et à faire du Québec votre partenaire stratégique en Amérique du Nord. Je vous remercie de votre attention.]

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Conférence devant la Chambre de commerce de Barcelone – 15 mars 1999]
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ministres, Excellences, Chers amis, C’est avec une satisfaction toute particulière que le gouvernement du Québec vous accueille aujourd’hui à proximité des locaux qui abriteront désormais la représentation du Québec à Barcelone. C’est toujours avec joie que l’on reçoit ses amis chez soi, même si nous sommes loin des rives du Saint-Laurent et d’un hiver qui s’achève. Mais, au-delà de ces contrastes, il existe de nombreuses réalités qui expliquent que Catalans et Québécois se retrouvent aujourd’hui pour célébrer une relation que la présence physique du Bureau du Québec vient concrétiser. Je tiens, en premier lieu, à rappeler la présence catalane au Québec, qui remonte loin dans notre histoire. En effet, de glorieuses pages de l’histoire de la Nouvelle-France ont été écrites par des membres catalans de régiments comme le Royal Roussillon, dont les hauts faits ont marqué le continent nord-américain au XVIIIe siècle. Cette présence est sans doute à l’origine de la dénomination de plusieurs lieux au Québec, comme le Canton de Catalogne près de Rimouski, au sud-est de Québec. Plus récemment, des Catalans intrépides se sont installés au Québec, où leur contribution à divers domaines de la vie collective a été tout à fait significative. Vous avez pu constater, Monsieur le Président, la puissance et l’impact de l’œuvre du sculpteur Jordi Bonnet, dont les créations ornent plusieurs lieux importants au Québec. C’est le cas au Grand Théâtre de Québec et à une école polyvalente dans la circonscription de Jonquière, que je représente à notre Assemblée nationale. Au cours des dernières décennies, des médecins d’origine catalane ont contribué de manière remarquable au développement du réseau médical québécois. La présence des Catalans au Québec a donc été un facteur très positif pour le développement de la société québécoise. Je puis espérer qu’à sa façon, la présence en Catalogne de ce bureau contribuera au développement de nos échanges économiques.
Depuis l’ouverture de la première représentation moderne du Québec à New York, en 1940, le monde a énormément changé. La croissance exponentielle des moyens de communication, l’interdépendance de plus en plus marquée entre sociétés et la globalisation des marchés ont transformé les besoins des gouvernements en ce qui concerne leur représentation. Le Québec a réagi en conséquence, en adaptant son réseau étranger aux nouvelles réalités du XXIe siècle. Le Bureau de Barcelone est l’un des exemples de cette adaptation. Doté de moyens relativement modestes, il est cependant bien équipé en matière de technologies et, surtout, en matière de ressources humaines, pour relever les défis que le gouvernement lui a signifiés. Ce bureau sert d’abord et avant tout d’antenne, c’est-à-dire qu’il doit à la fois capter et émettre. Capter, en saisissant ce qu’il y a de significatif dans son environnement pour la formulation et la mise en œuvre de notre action internationale; émettre, pour s’assurer que les Catalans aient une vision exacte de ce qu’est le Québec d’aujourd’hui. Son travail s’insère dans une trame de ressources avec, au cœur, le ministère des Relations internationales, mais comprenant aussi plusieurs autres ministères, organismes publics et parapublics. Le chef du Bureau est notre porte-parole auprès des nombreux interlocuteurs potentiels du territoire couvert; il est aussi interprète, auprès du Québec, des réalités qui l’entourent. À l’intérieur d’un mandat d’intervention et d’écoute, il doit contribuer efficacement à la réalisation de ce que les gouvernements entendent réaliser. Dans le cas du Bureau de Barcelone, la voie de ce qu’il y a à faire est tracée, en premier lieu, par les orientations arrêtées conjointement lors de votre visite au Québec, en 1996, Monsieur le Président. Les accords qui nous lient, en matière économique mais aussi dans d’autres domaines comme la culture et les affaires institutionnelles, donnent lieu actuellement à un déploiement d’activités d’un intérêt mutuel. Le Bureau constituera un maillon important pour la mise en œuvre de la coopération bilatérale. Mais, je le rappelle, le mandat le plus important du Bureau est de nature économique. Vous avez toujours insisté, à juste titre, Monsieur le Président, sur la nécessité de privilégier l’effort en commun pour développer des liens entre entreprises catalanes et québécoises. Aucune relation entre peuples ne peut s’établir de manière durable si une réalité économique significative ne la soutient. La géographie, l’histoire et les contextes de vie de chacun de nos peuples n’ont pas toujours favorisé l’éclosion de ces liens. Les similitudes indéniables qui existent entre nos deux sociétés doivent cependant être mises au service de cette entreprise commune que les conditions d’aujourd’hui ne manquent pas de favoriser. Au sein de l’Europe, les Catalans font figure d’entrepreneurs sachant tirer parti des nouveaux espaces et des nouvelles réalités que la construction européenne leur offre. Il en est de même pour les gens d’affaires québécois, qui démontrent, à l’échelle du continent nord-américain, un goût d’entreprendre et de vendre qui a abouti à des résultats considérables en matière d’exportations et de savoir-faire. Nos horizons économiques respectifs englobent désormais le marché de l’ensemble des Amériques; le déploiement de vos entreprises en Amérique du Sud et notre volonté de faire des prochaines années la décennie des Amériques, créent des convergences qu’il faut savoir exploiter tous les deux. La force de la présence des entreprises québécoises en Europe, en matière d’investissements, et l’activité semblable de vos entreprises dans la zone méditerranéenne créent d’autres possibilités de travailler ensemble. Les Catalans travaillent, en premier lieu, dans l’espace économique espagnol. L’Espagne fait preuve d’un dynamisme économique exemplaire depuis qu’elle a renoué avec la démocratie. Pour les entreprises québécoises œuvrant à l’échelle de l’Europe, l’Espagne constitue une nouvelle frontière qui interpelle leur dynamisme. Il y a encore énormément de travail à faire avant que se concrétise le potentiel considérable que recèlent, pour le Québec, les économies de la péninsule ibérique. D’où le mandat économique, à l’échelle de l’Espagne et aussi du Portugal, autre pays qui fait preuve de progrès énormes depuis vingt ans. La tenue d’un séminaire réunissant des entreprises du secteur énergie préfigure le type d’activités qu’il y aura lieu d’organiser au cours des prochaines années. Je tiens à saluer, à ce propos, les ministres québécois et catalans, de même que les représentants d’entreprises qui travaillent depuis ce matin sur le dossier de l’énergie. Voici donc esquissé, Monsieur le Président, l’essentiel de ce que ce bureau aura à réaliser au cours des prochaines années. Je sais que le Québec pourra compter sur l’amitié et l’appui de la Généralité dans l’accomplissement de ce mandat. Je tiens à vous remercier pour le soutien dont vos collaborateurs et vous-mêmes avez fait preuve jusqu’ici, sans lequel l’implantation de ce bureau n’aurait pas été possible. Je m’en voudrais aussi de ne pas faire état de la compréhension et de l’appui que les autres autorités impliquées dans cette initiative, que ce soit à Madrid, à Ottawa ou à Montréal, ont démontrés. Je crois que tous ont compris que le geste posé par le gouvernement du Québec en ouvrant ce bureau servait de manière tangible les intérêts de l’ensemble des intervenants. Il me reste à souhaiter à Monsieur Gaudreau, à ses collaboratrices et à ceux qui les appuient à Québec beaucoup d’énergie et d’ardeur au travail dans la réalisation du mandat du Bureau. À espérer enfin que nous pourrons nous retrouver dans quelques années pour constater que le Bureau du Québec à Barcelone aura été un outil efficace au service de l’ensemble de nos relations. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.]

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Inauguration d’un espace promotionnel Québec à Barcelone – 15 mars 1999]
Mesdames et Messieurs, C’est habité par un sentiment de grande fierté que je vous présente ce soir une fenêtre sur le Québec contemporain, vu sous l’angle de la culture et de la nature. J’en remercie la Generalitat de Catalunya et la Direction générale de la diffusion, qui nous ont si généreusement offert ce bel espace du Palau Robert. J’adresse également mes remerciements au personnel du Palau Robert qui a étroitement collaboré avec le Bureau du Québec à Barcelone et la chargée de projet pour cette vitrine promotionnelle, madame Dyane Plourde, muséographe, qui est parmi nous ce soir. Il s’agit pour nous d’une première expérience, en sol étranger, de nos efforts en vue de promouvoir au Québec le tourisme culturel. J’en suis d’autant plus heureux qu’elle se réalise à Barcelone, en collaboration avec des partenaires avec lesquels le Québec se sent beaucoup d’affinités.

« Un accent d’Amérique » témoigne du Québec contemporain, d’un territoire immense aux confluents de la francité, de la latinité, de la nordicité et de l’américanité, qui sont autant de composantes de l’identité québécoise.
La culture québécoise est portée par pas moins de 30000 artistes et créateurs québécois qui ne cessent d’émerveiller un public qui s’étend désormais bien au-delà de nos frontières. À un tel point que la création artistique est devenue l’une des principales images de marque du Québec. Cette vitrine du Québec vous en livre quelques exemples. La chanson marque l’âme du peuple québécois depuis des générations, de Félix Leclerc à Luc Plamondon qui vient d’obtenir à Paris un franc succès avec son opéra rock, Notre-Dame de Paris, et qui sera à Barcelone, au cours de l’automne prochain, pour présenter la version catalane d’un autre opéra-rock, Starmania. Les chansons de Leclerc, Vigneault, Gauthier, Céline Dion et de bien d’autres charmeront, nous l’espérons, l’oreille des Catalans, au petit salon aménagé au Palau Robert pour permettre de prendre contact avec le Québec à écouter tout en parcourant des livres d’art ou de tourisme. Vous y découvrirez l’âme d’un peintre québécois de renommée internationale, Jean-Paul Riopelle. Le Québec, c’est aussi la nature. De grands espaces où villes et villages se côtoient. Ce territoire immense ouvert par le fleuve Saint-Laurent qui pénètre au cœur du continent. Le Québec s’est construit sur son axe. Ainsi, la ville de Québec, capitale nationale du Québec et la plus vieille capitale en Amérique, fondée en 1608, constitue le berceau de l’Amérique française. Son architecture est l’un des rares témoins sur ce continent de l’ère des découvertes françaises. Montréal, la dynamique métropole culturelle et cité du multimédia, joue un rôle de locomotive économique et technologique du Québec. Elle est en voie de s’imposer comme une des métropoles continentales qui comptent. La Ville de Montréal participera activement sous peu à Barcelone au congrès Metropolis. Cette exposition représente donc un condensé de la réalité, de l’âme québécoise. Merci à nouveau au gouvernement catalan, qui a rendu l’événement possible. Notre reconnaissance est à la hauteur de ce geste généreux. J’espère que cette vitrine plaira au peuple catalan et qu’elle lui donnera le goût de venir nous visiter en grand nombre.
Merci.

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Inauguration d’un bureau du Québec à Barcelone – 15 mars 1999]
Monsieur le Président, Madame, Mesdames et Messieurs les Ministres, Monsieur le Maire, Excellences, Chers amis, Le moment est venu pour moi, au terme d’un séjour riche en événements et en émotions, de vous remercier, en tout premier lieu, Monsieur le Président, pour l’accueil extraordinairement chaleureux dont mes collaborateurs, mon épouse et moi-même avons bénéficié depuis notre arrivée en sol catalan.
Nous savions, avant même de quitter Montréal, que nous allions nous retrouver entre amis. Mais la qualité des échanges que nous avons eus, l’ouverture que vous-mêmes et l’ensemble de vos compatriotes avez démontrée devant nos préoccupations et la disponibilité dont tous ont fait preuve au cours des nombreuses rencontres de ces derniers jours m’ont profondément impressionné. Je tiens à le souligner avec force ce soir. Catalans et Québécois se sont exprimés avec franchise et conviction au cours de cette visite. Le Québec et la Catalogne évoluent dans des contextes politiques et économiques fort différents. Les défis à surmonter ne sont pas toujours les mêmes, et chaque gouvernement doit composer avec des réalités humaines et culturelles que des siècles d’histoire ont forgées de manière propre à chaque peuple. Mais nous avons pu constater une nouvelle fois, comme ce fut le cas lors de votre visite au Québec, en 1996, Monsieur le Président, que ce qui nous rapproche crée un terreau fertile pour des entreprises communes ainsi que pour une action déterminée au service du développement de chacune de nos sociétés. Catalans et Québécois, ardents défenseurs de leur identité culturelle, partisans résolus du libre-échange et praticiens, chez eux, de la solidarité et de l’innovation sociale, ont trop de choses en commun pour qu’ils ne cherchent pas avec énergie à lier leurs forces collectives. Ce qui me réjouit tout particulièrement, Monsieur le Président, c’est le constat que nous partageons désormais clairement, selon lequel la qualité et la durée de notre relation doivent d’abord être assises sur des échanges économiques solides. Je sais que vous œuvrez depuis plusieurs années en ce sens. Le potentiel considérable dont chacun a pris conscience doit être réalisé. Que ce soit en Europe ou dans les Amériques, entrepreneurs de part et d’autre doivent saisir les occasions de mettre à profit les complémentarités pour établir des partenariats. Catalans et Québécois disposent de tous les atouts requis pour se fixer des objectifs ambitieux dans nombre de régions du monde. Vous pouvez être assuré, Monsieur le Président, que mon gouvernement poursuivra avec détermination l’effort entamé avec le nouvel outil que constitue le Bureau du Québec implanté dans votre capitale. Vous avez annoncé aujourd’hui votre décision d’ouvrir dès l’an prochain une représentation catalane à Montréal, et je m’en réjouis. Nous savons que pour susciter des partenariats et des investissements de part et d’autre, la tenue de rencontres industrielles bilatérales offre d’excellents résultats. Une rencontre sur l’énergie a lieu en ce moment même à Barcelone. Nous avons décidé ce matin d’en organiser trois autres d’ici un an et demi : une première, en novembre à Montréal, sur les technologies de l’information, suivie d’une rencontre au printemps 2000 au Québec sur le capital de risque, puis, à l’automne 2000 en Catalogne, sur les industries de l’environnement. Nous allons tout mettre en œuvre pour que, lors d’un prochain rendez-vous, nous puissions faire le constat d’une activité économique accrue entre nos deux peuples.
Le moment est bien choisi pour forger ces alliances car le Québec, comme la Catalogne, est en train d’émerger comme une nouvelle force économique. Avec 7000000 d’habitants, le Québec a un PIB d’environ 19000000000000 de pesetas, ce qui le classe au 16e rang des pays de l’OCDE. Grâce à un effort constant de formation de la main-d’œuvre et d’appui à la recherche et au développement, le Québec figure désormais parmi les dix premières nations au monde dans les domaines de l’aérospatiale, des technologies de l’information, du multimédia, du matériel roulant et de l’ingénierie. Notre métropole, Montréal, représentée ce soir par Monsieur le Maire, Pierre Bourque, est en train de s’imposer comme une des capitales du savoir. Montréal est la quinzième ville nord-américaine par sa population. Mais c’est la toute première pour la proportion de sa population qui travaille dans les technologies de pointe. Cet essor de la nouvelle économie au Québec et l’accord nord-américain de libre-échange ont fait en sorte que, depuis le début de la décennie, les exportations québécoises aux États-Unis ont augmenté de 165 %. Le Québec est désormais le septième partenaire commercial des États-Unis, avant des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou la Russie. Pas étonnant, dans ces conditions, que plus de 600 entreprises européennes aient choisi de s’établir au Québec, d’abord et avant tout pour pénétrer le marché américain et, de plus en plus, le Mexique et l’Amérique latine. Nous avons beaucoup travaillé pour faire du Québec un point d’entrée efficace pour les Européens qui, comme vous, veulent conquérir l’Amérique : les coûts de production au Québec sont nettement inférieurs à ceux de nos voisins; l’aide fiscale aux entreprises qui investissent et qui font de la recherche et du développement est le meilleur du Nord-Est américain; l’environnement juridique québécois est plus proche des pratiques européennes qu’ailleurs sur le continent, ce qui rend l’adaptation plus facile; au Québec, nous travaillons en français, notre langue officielle et commune, mais nous assumons l’interface linguistique avec le reste du continent. La moitié de la population active parle l’anglais, comme c’est le cas de 80 % des cadres et des ingénieurs dans la métropole
Dans les autres domaines, la Catalogne et le Québec sont sur la bonne voie. À travers des initiatives comme la semaine catalane au Québec, en 1996, et l’événement que constitue « Québec à Catalunya », nos deux peuples apprennent à mieux connaître leur patrimoine culturel réciproque. Cela devrait contribuer à accentuer les contacts des deux sociétés civiles, contacts assez bien établis d’ailleurs dans les milieux universitaires. Le Québec entend, par ailleurs, s’impliquer de manière constructive dans le « Forum des cultures » qui sera organisé ici, en 2004, d’autant plus que la thématique retenue pour cette grande manifestation de l’UNESCO rejoint la préoccupation du Québec de favoriser la défense et la promotion de la diversité culturelle à l’échelle mondiale. Il me reste encore à remercier, Monsieur le Président, tous ceux et celles qui, dans différentes capitales, ont œuvré pour que cette mission québécoise à Barcelone soit un succès. J’ai donc toutes les raisons d’inviter les convives rassemblés ici, au Palais de la Généralité, à lever leur verre en l’honneur du peuple catalan, de son Président et de son gouvernement. [Ha estat per a mi un gran plaer trobar-vos a casa vostra i sempre sereu benvinguts al Quebec.] Vive la Catalogne Vive le Québec Vive l’amitié entre les deux peuples!

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Lancement de la saison du Québec en France – 16 mars 1999]
Monsieur le premier Ministre de la République française, Monsieur le Président de la Régie autonome des Transports parisiens, que je remercie pour son accueil, Messieurs les Commissaires généraux, Distingués invités, Mesdames et Messieurs, Il y a plusieurs façons de définir le Québec. Certains ont parlé d’un « esquif de la vieille France perdu dans le XXe siècle ». D’autres y ont vu les États-Unis en français. L’ambassadeur du Brésil en France, lui, le présentait comme « l’extrême-nord de l’Amérique latine ».
Latinité, francophonie, américanité. Le Québec est la synthèse d’une expérience particulière de diversité, travaillée par une tradition parlementaire britannique bicentenaire, par cinq siècles de cohabitation avec les Amérindiens et par le renouvellement, aujourd’hui, de la population selon un mouvement pluriel.

Il est significatif que la Saison du Québec soit un printemps, puisque l’invitation qui nous a été faite traduit une volonté de renouvellement. La France veut redéfinir son regard sur le Québec; elle veut déplacer l’accent qu’elle mettait jadis sur certains de ses traits. Nous l’avons compris. Par le nombre d’activités et l’ampleur des champs d’intérêt abordés, le Printemps du Québec sera la plus importante manifestation jamais tenue par le Québec à l’étranger. Les artistes, comme toujours, ouvriront et mèneront le bal. Ils viendront de tous les horizons du Québec pour exposer les dimensions de notre imaginaire. Les littéraires, au Salon du livre; les cinéastes, au Cinéma du Québec; les artistes en art visuel, aux Tuileries et ailleurs. Nous sommes du Nouveau Monde, de ce continent où, comme le disait Tocqueville, on est cartésien sans le savoir. Nous avons développé un grand appétit pour le changement et avons trouvé des façons d’explorer le savoir et de l’augmenter. Au Palais de la découverte, sous le thème « l’Attitude Nord », nous voudrons vous dire que le Québec compte désormais parmi les dix premières nations en aéronautique, en télécommunications, en pharmaceutique, en multimédia, en matériel roulant, en ingénierie. Nous aimerons vous signaler que Montréal, quinzième métropole nord-américaine pour sa population, est pourtant la toute première pour la proportion de sa main-d’œuvre engagée dans les technologies de pointe. Vous comprenez aisément les raisons qui nous poussent à nous faire mieux connaître de vous. Mais la vraie question n’est-elle pas de savoir quel est votre intérêt à vous, Français et Européens, de vous intéresser à nous, entre les mille bouleversements qui secouent la planète? C’est que la géographie, l’histoire, l’économie et la culture ont comploté pour mettre le Québec à l’exacte intersection de deux tendances qui vous concernent et qui occupent vos débats actuels : la mondialisation des échanges et l’affirmation des identités nationales. Aucune nation industrialisée ne joue, autant que le Québec, la carte de l’intégration économique. C’est bien simple, nous exportons à l’extérieur de nos frontières près de 60 % de tout ce que nous produisons. Nous avons été parmi les premiers et sommes toujours parmi les plus fervents libre-échangistes des Amériques. Aucune nation industrialisée ne fait autant que nous l’expérience de la précarité culturelle. Le Québec est aux portes de la plus grande puissance culturelle et linguistique que le monde ait connue et ne représente que 2 % de la population du continent. Pourtant, nous affirmons notre identité avec force. Notre production culturelle atteste de la richesse de notre différence. Partisans de l’intégration économique, nous sommes les résistants de l’uniformisation culturelle. Une raison explique la très grande popularité des albums d’Astérix au Québec : on a l’impression qu’à quelques détails près, il est question de nous! Le Québec n’est pas intéressant parce qu’il est unique, mais parce qu’il est aux avant-postes de la réalité du prochain siècle. Il ne sera pas anodin, pour les nations d’Europe et d’ailleurs, que le Québec réussisse ou échoue son double pari d’intégration économique et d’affirmation identitaire. Nous sommes en quelque sorte le cas-test du siècle qui s’annonce. Dans son dernière ouvrage, votre philosophe Alain Finkelkraut résume ce raisonnement en quelques mots. Je le cite lorsqu’il écrit : « Nous sommes tous des Québécois ». Nous croyons aussi que vous avez intérêt à mieux nous connaître pour une seconde raison, plus prosaïque, et qui découle de notre inimitable situation.
Parce que nous sommes des francophones en Amérique, parce que nous entretenons avec la France et l’Europe des liens quotidiens, multiformes et nourris, parce que nous assumons l’interface linguistique avec une Amérique anglophone que nous connaissons intimement, nous avons développé ce que nous appelons « l’avantage québécois ». Notre capacité de penser à la fois en américain, en européen et en québécois, notre propension à fondre les technologies émergentes des deux continents font du Québec un creuset par excellence de deux modernités. Parce que nous avons développé un modèle de concertation économique et social permanent, le Québec est un des endroits au monde où des centaines d’entreprises des États-Unis et d’Europe travaillent de concert, arriment leurs projets, forment une main-d’œuvre par conséquent superbement branchée sur ce qui est et ce qui sera. Cet avantage québécois dont nous prenons nous-mêmes conscience depuis peu, nous voulons le déployer, le faire connaître et en faire profiter tous nos partenaires.
À voir le Printemps du Québec en France prendre forme, nous nous rendons compte du choix judicieux que nous avons fait en désignant Robert Lepage commissaire. Il incarne l’ingéniosité contemporaine d’un Québec motivé par de grands attraits pour le présent et le futur sans exclure la fidélité envers les grandeurs du passé.
Je remercie également Didier Fusillier, lui aussi à l’avant-garde de la création et de la production artistiques, d’avoir contribué à traduire pour ses concitoyens français le Québec actuel. Il a aidé à concevoir un programme qui parle au cœur et à l’esprit, qui met la jeunesse à contribution, qui prend des risques. Je voudrais remercier nos interlocuteurs au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Culture et de la Communication.
Je remercie tous les artistes, créateurs culturels, scientifiques et technologiques, expérimentateurs, entreprises du Québec qui ont été conviés à cette fête de la créativité québécoise. Je remercie mon ami le premier ministre Lionel Jospin, de nous avoir si généreusement invités et d’être présent avec nous aujourd’hui. Merci, et je vous souhaite, je nous souhaite, bon succès!

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à l’occasion du Rendez-vous des décideurs de l’agriculture – 25 mars 1999]
Mesdames, Messieurs les décideurs, Mesdames, Messieurs les observateurs, Chers
collègues, Il y a maintenant près de trois ans, lors du Sommet sur l’économie et l’emploi, l’ensemble des décideurs de la société, en provenance de toutes les sphères d’activité, démontraient une fois de plus qu’ici, au Québec, on sait faire les choses autrement, on sait faire les choses ensemble. Les défis étaient gigantesques. Le premier : procéder au sauvetage de l’État, étouffé par le poids du déficit, lui redonner sa marge de manœuvre, sa liberté d’action, pour ainsi lui permettre de continuer à assumer ses missions essentielles. Tous ont convenu qu’il fallait prendre les moyens pour délivrer l’État du joug de son déficit avant le tournant du millénaire. Tous se sont engagés à faire leur part, à contribuer à cet objectif. Le second défi : la création d’emplois. Avec un taux de chômage dépassant alors 12 %, il importait que le gouvernement et ses partenaires mobilisent leurs énergies sur le front de l’emploi, redoublent d’imagination et d’effort pour édifier une économie plus solide et plus florissante. Aujourd’hui, nous commençons à récolter les fruits de notre effort. Lors de son récent budget, le ministre d’État à l’Économie et aux Finances annonçait l’atteinte du déficit zéro, un an à l’avance, mettant ainsi fin à la spirale de l’endettement collectif. Maintenant, nous pouvons affirmer, non sans une légitime fierté, qu’il y a de l’ordre dans la maison du Québec. Au chapitre de l’emploi, des progrès sensibles ont également été accomplis. Plus de 67000 nouveaux emplois ont été créés en 1998. C’est 20000 de plus qu’en 1997. Le taux de chômage a reculé pour se retrouver plusieurs mois de suite sous la barre des 10 %, un niveau que l’on n’avait pas vu depuis 1990. L’espoir est enfin de retour. La marge de manœuvre retrouvée dans les finances publiques permettra au gouvernement d’appuyer encore plus énergiquement cet objectif de création d’emplois. Ainsi, 300000000 $ ont pu être dégagés pour appuyer des initiatives majeures pour la création d’emplois. On l’aura compris, notre tâche prioritaire consiste maintenant à prolonger cette relance de l’emploi qui se manifeste aujourd’hui dans tous les domaines d’activité. À plus d’un titre, le secteur agricole et agroalimentaire a un rôle clé à jouer pour remettre au travail un nombre toujours plus grand de Québécois et de Québécoises. Présent dans toutes les régions, représentant près de 9 % du PIB, doté d’un potentiel indéniable de croissance, ce secteur procure de l’emploi à quelque 390000 personnes, soit un peu plus d’un emploi sur neuf au Québec. Il est ainsi primordial de rassembler les conditions qui permettront à cette industrie de continuer à progresser et à prospérer. Comme décideurs de cette industrie, je sais que vous ne ménagez aucun effort. Je sais que vous avez décidé d’y arriver par la concertation et l’échange, parce que les solutions les meilleures sont les solutions consensuelles.
La Conférence sur l’agriculture et l’agroalimentaire de l’année dernière à Saint-Hyacinthe a confirmé l’engagement de l’industrie pour la création d’emplois. Elle a permis à tous ses artisans de partager une vision commune et de s’entendre sur un grand objectif commun : la croissance. Pour favoriser sa réalisation, faire en sorte qu’il soit engageant, on a voulu lui donner un visage plus familier, plus parlant. Pour cela, il a fallu prendre la mesure de nos ambitions, jouer d’audace. L’exercice en valait la peine puisqu’on a convenu de se donner des objectifs de résultats ambitieux, à savoir, d’ici 2005 : la création de 15000 nouveaux emplois; l’atteinte de 4000000000 $ d’exportations, soit le double des exportations actuelles; la réalisation de 7500000000 $ d’investissements dans le secteur agroalimentaire; et, d’ici quatre ans, l’accroissement de 10 % de la part des produits québécois sur les marchés internes. Bien sûr, c’est une chose de s’engager à relever le défi de la croissance, mais encore faut-il en établir les moyens. Il faut faire des choix, initier des changements. Il faut en quelque sorte rassembler les conditions qui favoriseront cette croissance. À cet égard, les travaux de la Conférence, le travail réalisé par les comités de suivi, les plans d’action qui en découlent et dont nous discuterons aujourd’hui, sont tous des éléments qui permettent de créer et d’aménager les conditions optimales de la croissance. Outre la synergie et l’enthousiasme qu’elle a suscités chez tous les intervenants, la Conférence a déjà à son actif des retombées considérables. Ainsi, j’aimerais rappeler que la grande majorité des engagements pris par le gouvernement pendant les travaux de l’année dernière ont été réalisés. Notamment : la création d’un fonds d’appui aux exportations de 8000000 $ sur deux ans, partagés en parts égales avec l’industrie; la bonification de 2000000 $ sur deux ans du Programme de recherche du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.
Dans le domaine de l’agroenvironnement, au cours de la dernière année, les discussions entre les différents partenaires ont été fort constructives, et plusieurs actions ont été mises en œuvre. Je retiendrai ici : la bonification de plus de 80000000 $ du Programme d’aide à l’investissement en agroenvironnement (PAIA), dorénavant doté d’une enveloppe globale de 400000000 $; la création d’un Institut de recherche et de développement en agroenvironnement, en partenariat avec le milieu; la révision de la réglementation sur la réduction de la pollution d’origine agricole; et la réalisation du Portrait agroenvironnemental des entreprises agricoles. Par ailleurs, je ne saurais passer sous silence le travail réalisé par les membres du comité de concertation sur l’industrie laitière, que j’ai eu le plaisir de présider et dont je tiens à saluer les représentants des producteurs et transformateurs qui s’y sont investis avec ouverture et détermination. Les travaux de cette table ont, en outre, permis d’établir des règles d’approvisionnement pour l’industrie et ainsi assurer la stabilité nécessaire à l’investissement et à la croissance des entreprises. Je ne suis pas peu fier de vous annoncer que les représentants de cette industrie vont signer, aujourd’hui même, une nouvelle convention de mise en marché quinquennale. Compte tenu de la très grande importance de cette industrie au Québec, il y a tout lieu de se réjouir et d’envisager l’avenir avec confiance et optimisme. Les fruits de nos efforts, aussi bien dans le secteur laitier qu’ailleurs, commencent à apparaître au chapitre de la croissance. À cet égard, les premiers relevés indiquent que nous progressons positivement vers l’atteinte des résultats que nous nous sommes fixés. À la lecture des dernières statistiques, j’ai constaté avec plaisir qu’il s’est créé plus de 4000 nouveaux emplois dans le secteur de la transformation au cours de l’année. Les exportations devraient atteindre 2500000000 $, soit une progression de 26 % par rapport à 1996, alors que les investissements à la ferme et à la transformation sont passés de 800 à 905000000 $, soit un accroissement remarquable de 13 %. Ces bons résultats illustrent le dynamisme de l’industrie et, au premier chef, celui de tous ses artisans qui ont décidé de mettre en valeur tout son potentiel de croissance. Il me semble qu’il s’agit là d’une attitude qui augure d’un avenir des plus prometteurs pour le secteur, mais aussi pour l’ensemble de l’économie du Québec. Aujourd’hui, nous devons poursuivre ce travail déjà fort bien amorcé. L’objectif premier de la journée sera bien sûr de discuter et d’adopter les plans d’action préparés par les groupes de travail sur chacune des quatre thématiques. Mais il y a plus, nous devons aussi considérer cette journée comme une invitation à nous engager encore plus loin dans des projets concrets, à donner le meilleur de nous-mêmes pour développer tout le potentiel de croissance du secteur et ainsi créer des emplois qui seront une source d’enrichissement pour l’ensemble de la société. Il me fait donc plaisir de déclarer officiellement ouvert le « Rendez-vous des décideurs » de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Je passe maintenant la parole à monsieur Mario Dumais, qui aura pour tâche d’animer nos débats.

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à l’Americas Society – New York – 15 avril 1999]
Chers invités, Chers amis, J’aimerais d’abord remercier l’Americas Society, qui m’offre l’occasion de m’adresser à ce prestigieux auditoire. Je suis très heureux de me retrouver à New York. Lors de ma dernière visite, il y a trois ans, je venais tout juste d’accéder au poste de premier ministre du Québec. J’annonçais alors l’objectif de mon gouvernement de redresser les finances publiques et l’économie du Québec. Quand j’ai expliqué que nous prévoyions éliminer le déficit record du Québec en quatre ans tout au plus, j’ai fait face à une forte bonne dose de scepticisme. Aujourd’hui, je suis fier d’annoncer que nous avons atteint notre objectif, un an avant l’échéance. Nous avons donc un budget équilibré pour une deuxième année consécutive. Puisqu’il est reconnu que nos coûts de production et nos incitatifs fiscaux sont compétitifs – surtout en ce qui concerne l’investissement, la recherche-développement et le secteur financier -, nous désirons maintenant, dès que possible, réduire l’impôt sur le revenu des particuliers. Imaginez, si vous habitiez le Québec en ce 15 avril, vous disposeriez encore de quinze jours avant de devoir fournir votre déclaration de revenus, car notre date de tombée est le 30. Nous avons jumelé notre détermination d’assainir les finances publiques à de vigoureux efforts de croissance économique. Au terme de quatre ans de travail, nous avons maintenant un taux de croissance égal à celui de l’ensemble du Canada. Selon les analystes du secteur privé, cette année et l’an prochain, notre croissance économique se mesurera à celle du Canada.
La croissance de l’investissement privé au Québec n’a pas fait que rattraper la moyenne canadienne. L’an dernier, elle fut quatre fois plus élevée que dans le reste du Canada. Les prévisions pour cette année portent à croire que cet écart va se maintenir. La croissance a été particulièrement forte dans les villes de Montréal et de Québec, ce qui a eu pour effet de réduire le chômage et de faire de ces villes d’importants centres de technologie de pointe. Selon la firme Price Waterhouse, Montréal se classe au quinzième rang des grandes villes d’Amérique du Nord pour ce qui est de la population. Elle est toutefois neuvième pour le nombre d’entreprises de pointe, septième pour le nombre d’emplois en technologie de l’information, sixième dans les secteurs pharmaceutique et biotechnologique, cinquième dans le domaine aérospatial et première pour ce qui est de la proportion de la population qui travaille en haute technologie. En résumé, je suis heureux d’être à New York aujourd’hui pour vous dire que le Québec est de retour. Aujourd’hui et pour le siècle à venir, le Québec est une force avec laquelle il faut compter, à New York, sur le continent et dans les Amériques. Laissez-moi vous dire pourquoi. Le défi continental du Québec des années 1990 Le succès actuel du Québec résulte d’une décision collective qui date d’à peine dix ans. Le défi avait un nom : le libre-échange avec les États-Unis. La question a suscité la controverse au Canada anglais. Au Québec, notre différence linguistique, la force réelle de notre identité nous a rendus moins craintifs à l’idée d’abaisser les frontières économiques. Toujours déterminés à protéger et promouvoir notre langue et notre culture, nous avons pris la décision d’être des acteurs dynamiques sur le continent et de jouer la carte nord-américaine.
Un consensus s’est donc développé au Québec, d’abord dans les cercles d’affaires et au sein du parti indépendantiste. Puis, il a gagné le parti fédéraliste qui était alors au pouvoir. En 1988, quand le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, a déclenché une élection sur cette question du libre-échange, je me trouvais à ses côtés, dans son gouvernement. Une majorité de Canadiens anglophones ont voté contre l’idée et le parti de Mulroney, mais une majorité au Mexique et est devenu ce que nous appelons l’ALENA, le Québec a encore joué un rôle décisif dans l’adhésion du Canada. Cet apport n’est pas passé inaperçu. À sa dernière visite à Montréal, Monsieur William Daley, secrétaire au Commerce des États-Unis, a déclaré, et je le cite : « L’ALENA n’aurait jamais été complété sans les efforts indéfectibles et le soutien éclatant de la population et du gouvernement du Québec. » Fin de la citation. Dix années ont passé. Les résultats sont là et ils ont tout changé. Permettez-moi de commenter ce tableau des exportations québécoises depuis 1990.
Voici la croissance de nos exportations dans le monde entier pendant cette période, y compris les exportations vers nos voisins canadiens. Voici la croissance de nos exportations vers le reste du Canada. Maintenant, remarquez la croissance de nos exportations vers les États-Unis : 155 % en huit ans. Les États-Unis sont maintenant, et de loin, le principal partenaire économique du Québec. C’est une tendance significative. Mais, vous vous demandez sûrement : « Tant mieux pour le Québec, mais, nous, qu’est-ce qu’on y gagne? » À cela, je réponds : « Des emplois.» Même si la balance commerciale est favorable au Québec, les exportations des États-Unis vers le Québec ont aussi bondi, tout comme l’investissement du Québec aux États-Unis. Au moins 250000 emplois aux États-Unis dépendent de ventes sur le marché québécois. En outre, les entreprises québécoises installées sur votre territoire emploient maintenant directement 60000 citoyens américains. Le commerce bilatéral avec le seul État de New York a doublé en dix ans pour dépasser les 10000000000 $, l’an dernier. Plus de 21000 emplois dans l’État de New York dépendent de ventes faites au Québec. Et les entreprises québécoises installées dans votre État font maintenant travailler directement 14000 personnes.
New York est notre plus important partenaire aux États-Unis. Votre État est devenu un pôle d’attraction naturel pour les gens d’affaires, les scientifiques, les artistes et les décideurs québécois. Certains m’accompagnent aujourd’hui. Je les prierais d’ailleurs de se lever. Parmi ces gens, il y a des dirigeants de moyennes et de grandes entreprises tout autant que de nombreux chercheurs et fabricants des secteurs médical et pharmaceutique, et des représentants de la mode québécoise, un secteur fort bien coté. Je les remercie toutes et tous d’être ici et de témoigner du dynamisme croissant de notre relation avec votre grande ville et votre bel État.
Comment tout cela se traduit-il dans la vie quotidienne des New-
Yorkais? Notre ami new-yorkais qui se lève le matin et ouvre sa garde-robe y trouve un costume sur cinq fait au Québec, probablement par Peerless, et d’autres vêtements distribués ici par une centaine d’entreprises québécoises. Son journal, The Daily News ou The Wall Street Journal, est imprimé sur du papier fabriqué au Québec. Dans le métro, il a une chance sur trois de faire son trajet dans un wagon construit par Bombardier, une entreprise québécoise qui participe aussi à la construction des trains à grande vitesse d’Amtrak qui vont relier New York à Boston et à Washington en 2005. Si notre ami prend l’autobus, il a une bonne chance de monter à bord d’un véhicule construit par Novabus, également une entreprise québécoise. Quand il s’assoit devant son ordinateur, au bureau, il utilise sans le savoir du matériel de télécommunication et d’informatique qui représente notre principale exportation, puisque nous en vendons pour 1500000000 $ chaque année dans le seul État de New York. Sa connexion au cyberespace emprunte probablement l’équipement de commutation et de transmission Internet de notre compagnie Nortel, qui domine le marché mondial. À la fin de la journée, si notre ami aime le cinéma, il pourrait par contre ne pas savoir que bon nombre des effets spéciaux qu’il apprécie dans des dizaines de films comme Titanic ou Matrix, ou dans le premier épisode à venir de La Guerre des étoiles, sont possibles grâce à un logiciel conçu par Discreet Logic, une firme installée dans la Cité du multimédia de Montréal. Je dois avouer que nos concepteurs sont responsables également de la destruction partielle de la ville de New York dans le film Armageddon. La chute spectaculaire de l’édifice Chrysler les a rendus particulièrement tristes. Et enfin, si notre ami new-yorkais est amateur de hockey, il sait que son équipe a plus de chances de remporter la coupe si des Québécois comme Jean Ratelle, Rod Gilbert, Mike Bossy, Martin Brodeur ou Jacques Lemaire sont de son côté.
Vous voyez : en un sens, il y a un ingrédient québécois dans le succès de New York, et un ingrédient new-yorkais dans le succès du Québec.

Je vais en plus vous confier un petit secret bien gardé. Québec est actuellement le sixième partenaire commercial des États-Unis, derrière le Canada, le Mexique et le Japon, qui se classent aux trois premiers rangs, et il est plus important que des pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Italie ou le Brésil. Ce rapprochement avec les États-Unis ne se limite pas à l’économie et au commerce. La culture québécoise, par exemple, n’est plus un événement exotique, ici à New York ou dans d’autres grandes villes américaines. Outre les succès de Céline Dion, les pièces de Robert Lepage et les concerts de l’Orchestre symphonique de Montréal, chaque année, environ 200 événements culturels québécois de toutes sortes se déroulent aux États-Unis, et ce n’est qu’un début. Vous savez quoi? Selon la revue Variety, « O », le tout nouveau spectacle du Cirque du Soleil présenté à Las Vegas, «rapporte d’une semaine à l’autre plus de recettes brutes que tout autre spectacle dans l’histoire du showbiz ». Nous devons faire quelque chose de bien. L’avantage québécois : l’identité et l’économie Tout cela m’amène à un autre élément essentiel de notre dynamisme renouvelé, qui illustre aussi une importante facette de la mondialisation. Nous découvrons en effet que notre différence, notre langue et notre identité sont devenues des atouts économiques. Comme vous le savez, le Québec est le seul territoire des Amériques où le français est la langue officielle et commune. Nous sommes 7000000, voisins de la plus grande puissance culturelle et économique que le monde ait connue. Nous ne comptons que pour 2 % d’un continent anglophone. Aucune autre nation industrialisée ne se trouve dans une situation aussi précaire que nous sur le plan culturel. Nous assumons pleinement notre décision de célébrer notre différence et d’affirmer le droit des citoyens francophones de travailler et de se faire servir en français ou de vivre dans un environnement commercial qui reflète leur culture. Comme toute autre société, nous veillons à ce que la plupart des nouveaux arrivants s’intègrent à la population majoritaire en leur offrant une éducation en français, tout en respectant largement notre minorité anglophone, les investisseurs étrangers et les travailleurs stratégiques. Résultat : grâce à de pareilles mesures, le Québec est le seul endroit du Canada où la proportion de francophones n’est pas en régression. Au contraire, la production linguistique et culturelle du Québec n’a jamais été en aussi bonne santé, enrichie qu’elle est par une nouvelle génération de Québécois et de Québécoises nés à l’étranger et scolarisés en français. Mais nous pensons que nous devons faire plus, beaucoup plus, pour mieux faire connaître la nouvelle réalité québécoise aux États-Unis en général et ici, à New York, en particulier. C’est pourquoi, hier, à Albany, en compagnie du gouverneur Pataki, j’ai annoncé que nous allions organiser, en 2001 à New York, ce que nous appelons une « saison du Québec ». Cela signifie que, pour une saison, nos artistes, nos danseurs, nos chanteurs, nos designers, nos entrepreneurs, nos scientifiques, notre cirque, vont converger vers cet État et cette ville – le public le plus sévère au monde – pour attirer l’attention et dire : « regardez qui nous sommes, vous pourriez être surpris ». Pourquoi avons-nous choisi New York comme premier lieu des Amériques pour un tel événement? Simplement parce que [« if you can make it here »…,] vous connaissez la suite. L’avantage québécois : l’identité et l’économie Tout cela m’amène à un autre élément essentiel de notre dynamisme renouvelé, qui illustre aussi une importante facette de la mondialisation. Nous découvrons en effet que notre différence, notre langue et notre identité sont devenues des atouts économiques. Comme vous le savez, le Québec est le seul territoire des Amériques où le français est la langue officielle et commune. Nous sommes 7000000, voisins de la plus grande puissance culturelle et économique que le monde ait connue. Nous ne comptons que pour 2 % d’un continent anglophone. Aucune autre nation industrialisée ne se trouve dans une situation aussi précaire que nous sur le plan culturel. Nous assumons pleinement notre décision de célébrer notre différence et d’affirmer le droit des citoyens francophones de travailler et de se faire servir en français ou de vivre dans un environnement commercial qui reflète leur culture. Comme toute autre société, nous veillons à ce que la plupart des nouveaux arrivants s’intègrent à la population majoritaire en leur offrant une éducation en français, tout en respectant largement notre minorité anglophone, les investisseurs étrangers et les travailleurs stratégiques. Résultat : grâce à de pareilles mesures, le Québec est le seul endroit du Canada où la proportion de francophones n’est pas en régression. Au contraire, la production linguistique et culturelle du Québec n’a jamais été en aussi bonne santé, enrichie qu’elle est par une nouvelle génération de Québécois et de Québécoises nés à l’étranger et scolarisés en français. Et comment tout cela profite-t-il à notre économie? Voyez ces chiffres : les dépenses en recherche-développement augmentent 50 % plus vite au Québec que dans le reste du Canada. Pourquoi? Les facteurs économiques n’expliquent pas tout. L’économie nouvelle est fondée sur la connaissance, l’innovation, l’imagination et l’originalité. La clé du succès est l’accessibilité à tout un éventail de connaissances et la capacité d’intégrer ces connaissances à de nouveaux produits. Notre interaction avec la principale source mondiale d’innovation, les États-Unis d’Amérique, est bien connue. Six cents entreprises américaines sont installées sur notre territoire et 320 entreprises québécoises sur le vôtre. Et nous n’avons pas besoin de sous-titres : la moitié de notre population active et 60 % de la main-d’œuvre de Montréal sont individuellement bilingues, tandis que 80 % des ingénieurs et gestionnaires de la métropole parlent couramment anglais et français. Notre avantage vient de ce que nous avons tiré parti de notre identité francophone pour accéder à la seconde source d’innovation en importance, l’Europe. Là encore, sans sous-titres! Les universités du Québec et d’Europe collaborent à plus de 400 projets de recherche. Plus de 100000 personnes ont tiré parti de programmes d’échanges professionnels avec la France au cours des ans. Plus de 600 entreprises européennes ont maintenant pignon sur rue au Québec, et beaucoup d’entre elles se servent du Québec comme point d’entrée sur le continent nord-américain. Quand nos chercheurs publient conjointement les résultats de travaux de recherche, 35 % le font avec des scientifiques américains et 40 % avec des collègues européens. Cela a permis d’instaurer une véritable interface scientifique entre les États-Unis, l’Europe et le Québec. Nos concepteurs de logiciels et nos dessinateurs de mode sont aussi très en vogue. On dit que c’est parce qu’ils allient la fibre rationnelle, pratique et productive des concepteurs américains à l’éclectisme des créateurs européens, en y ajoutant une touche d’originalité québécoise. Dans nos grappes industrielles de technologie aéronautique, de biochimie et de multimédia, les entreprises américaines, européennes et québécoises collaborent, échangent des idées, lancent des co-entreprises et forment un bassin de main-d’œuvre superbement branché sur ce qui est et ce qui sera. L’avion Global Express de Bombardier est le fruit de technologies britanniques, allemandes, françaises, japonaises, canadiennes et québécoises que l’expertise de l’entreprise a fondues en un produit harmonieux. Les populations, les idées et les entreprises américaines et européennes se rejoignent au Québec comme elles le font rarement ailleurs. Baignant dans un milieu technique, scientifique et culturel constamment alimenté par les deux mondes, les cadres, les chercheurs et les travailleurs spécialisés du Québec jouissent d’un avantage certain en matière de recherche-développement, de conception, de production et de commercialisation. Ce creuset créatif peut aider à expliquer pourquoi un peuple de 7000000 de personnes figure maintenant parmi les dix premières nations du monde au chapitre des technologies de l’information, de l’aéronautique, du domaine pharmaceutique et de l’ingénierie. Préserver notre différence et notre identité au cœur de l’Amérique du Nord a toujours relevé d’une nécessité culturelle. Au terme de cette décennie, qui a été, pour nous, une véritable décennie nord-américaine, nous constatons maintenant qu’il s’agissait aussi d’un bon investissement économique. C’est ce que nous gardons à l’esprit alors que nous nous tournons vers les défis à venir.
La prochaine décennie : celle des Amériques Pour la décennie à venir, nous nous tournons vers l’ensemble des Amériques. D’emblée, mon gouvernement a soutenu une zone de libre-échange qui englobe toutes les Amériques. Le Québec se classe d’ailleurs au sixième rang des 35 économies de cette zone. Nous pensons pouvoir apporter une contribution constructive à ce débat, étant donné notre expérience unique d’une intégration progressive qui ne sacrifie en rien notre identité. Et nous pensons à cet égard que l’intégration des Amériques ne réussira que si le débat déborde le seul cadre économique. L’impact économique positif du libre-échange sur les nations signataires ne fait plus de doute. Mais aux États-Unis comme ailleurs, on s’interroge de plus en plus sur l’incidence sociale et culturelle de la mondialisation. Et sur la capacité des nations de préserver un caractère distinctif qui leur tient à cœur tout en éliminant les barrières économiques. Les nations veulent vendre leurs biens, mais garder leur âme. C’est précisément là qu’a achoppé l’Accord multilatéral sur l’investissement. Donc, pour bénéficier des promesses de la mondialisation, nous devons définir un espace où chaque nation saura que sa diversité sociale et culturelle est préservée, tout comme sa capacité de prendre des décisions adaptées à sa propre réalité, à ses traditions et à ses espoirs. Un nombre croissant de nations, dont le Québec, disent oui à l’économie de marché, mais non à la société de marché. L’intégration des Amériques nous donne la chance de relever ce défi dans un cadre propice. Nous sommes en face de 800000000 de personnes parlant quatre langues, unies par l’histoire et certains traits communs et un désir partagé d’envisager des solutions convergentes. Si nous y parvenons, nous établirons un précédent qui servira d’exemple sur la scène mondiale. Dans l’ALENA, en insistant sur la signature d’ententes de main-d’œuvre et d’environnement parallèles, l’Administration Clinton a pavé la voie à une intégration plus globale. Au sommet de Miami en 1994, véritable point de départ de l’intégration des Amériques, les objectifs économiques ont été associés, à juste titre, à des initiatives touchant la démocratie, la justice, les droits de la personne, l’éducation et la pauvreté. Les négociations qui doivent aboutir le premier janvier 2005 sont maintenant planifiées pour être particulièrement sensibles à la réalité des petites économies caractéristiques d’Amérique latine. Aussi, pour la première fois, des négociations de ce type donneront aux membres de ce qu’on appelle la « société civile » l’occasion de s’exprimer. Le Québec a d’ailleurs été à l’avant-garde de ce mouvement qui consiste à favoriser un débat au sein de la société civile et avec les représentants élus des Amériques sur l’incidence de l’intégration sur la diversité. En 1997, en effet, notre Assemblée nationale, qui siège dans la ville de Québec, a accueilli 900 personnes représentant 28 pays d’Amérique venues discuter et fonder un organe permanent, la Conférence parlementaire des Amériques. En décembre prochain, plus d’un millier de législateurs et de hauts fonctionnaires des États-Unis vont se réunir dans la ville de Québec pour l’Assemblée générale annuelle du Council of State Governments. Le thème de la rencontre est précisément l’intégration des Amériques. Ce sera la première réunion du Conseil à l’extérieur des États-Unis. L’une des raisons de cette première est sans doute que le Québec est fier d’être le premier membre non américain de cet organisme. C’est aussi parce que les membres du Conseil sont au fait de l’engagement du Québec envers les Amériques. Si les années 1990 ont été pour nous l’occasion de redécouvrir l’Amérique du Nord, la prochaine sera, comme nous l’avons annoncé au cours de la campagne électorale de novembre dernier, celle des Amériques. Notre but est de faire du Québec un partenaire dynamique et efficace de l’intégration des Amériques. Le Québec est présent depuis des années à New York et au Mexique par l’intermédiaire de délégations générales et de bureaux. Nous ouvrirons bientôt une représentation à Buenos Aires. Nous avons aussi ce que nous appelons des antennes commerciales à Atlanta, Boston, Chicago, Los Angeles, San José au Costa Rica, Lima, Bogota, Caracas et Santiago. À l’occasion du dernier budget, nous avons annoncé le renforcement de notre réseau dans les Amériques, y compris aux États-Unis, où nous affecterons des ressources supplémentaires à New York, Boston et Chicago. Sur le plan économique, nos entreprises impriment déjà leur marque en Amérique latine. En effet, des compagnies québécoises construisent des maisons en République dominicaine, établissent une infrastructure de télécommunication en Uruguay et au Brésil, traitent le bois et le métal au Chili, possèdent des imprimeries au Pérou, en Colombie et ailleurs, et deviennent des acteurs du monde financier en Argentine et au Mexique. La filiale internationale d’Hydro-Québec a reçu un nouveau mandat, il y a deux ans. Elle construit déjà une ligne de transport d’énergie au Pérou, des centrales électriques au Costa Rica et au Panama, en plus d’investir dans le gaz naturel au Mexique et de soumissionner sur de grands projets partout en Amérique latine.
Au total, 300 entreprises québécoises, parmi nos plus grandes, sont actives en Amérique latine. Nous comptons tripler ce nombre au cours des dix prochaines années et amener dans leur sillage des petites et moyennes entreprises. Le mois prochain, je dirigerai une importante mission commerciale au Mexique, accompagné d’une centaine de personnes, de gens d’affaires et de recteurs d’université. Ce sera la première de nombreuses missions à venir au cours des prochaines années. Nous misons sur un atout culturel : nos compétences linguistiques. Déjà, nous comptons au Québec nettement plus de personnes qui parlent l’espagnol qu’ailleurs au Canada. L’un de nos objectifs est d’augmenter de 50 % le nombre de Québécois trilingues au cours de la décennie à venir. Ces derniers représenteront alors 12 % de la population active. Au cours des prochaines années, une troisième langue – l’espagnol dans la plupart des cas – sera enseignée dans nos écoles secondaires, et son apprentissage encouragé dans la population. Nous souhaitons générer un flot régulier d’échanges entre le Nord et le Sud, particulièrement parmi les jeunes, les étudiants et les travailleurs en formation. La création de liens interpersonnels parmi la jeunesse des Amériques est bien le meilleur investissement à faire dans une intégration qui sera à la fois respectueuse des cultures et rentable économiquement. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, nous, Québécoises et Québécois, envisageons avec confiance le prochain millénaire. Nous l’abordons avec un budget équilibré, une métropole qui prend le virage technologique avec une détermination sans pareille et une capitale qui se veut un carrefour de la démocratie. En inventant une façon de concrétiser l’intégration économique sans sacrifier notre identité, nous établissons des relations durables avec des amis comme vous, de New York et de tous les États-Unis, du Mexique et de toute l’Amérique latine. Nous sommes plus que jamais prêts à relever les défis à venir. Merci.

[BOUC=19990424]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Conseil national du Parti québécois – 24 avril 1999]
Chères militantes, chers militants, chers amis, Nous sommes enfin réunis pour faire le point sur notre action, un an, presque jour pour jour, avant notre grand congrès national de mai 2000. Depuis notre réélection de novembre dernier et notre dernière rencontre de janvier, le débat sur l’action et la place du Québec au Canada et dans le monde s’est élargi, a occupé de nouveaux champs d’intérêt. Il fut question d’union sociale, de diversité culturelle, de mondialisation. Il est heureux qu’après trois ans d’un dur labeur économique et financier qui a mobilisé nos énergies, notre discussion publique s’étende maintenant à d’autres aspects de la problématique québécoise. Y a-t-il cependant un même fil conducteur derrière chacun des aspects qui sont maintenant à l’avant-scène de nos débats? Je crois que oui. Ce qui est en cause dans chacun de ces débats, c’est le rapport de force du Québec. Un éditorialiste d’un grand quotidien écrivait la semaine dernière qu’il importait peu d’avoir droit de parole ici ou là dans les débats internationaux, car l’essentiel, ce sont, écrivait-il, « les rapports de force bruts que des pays peuvent créer ». C’est absolument vrai. C’est bien beau de parler, mais encore faut-il être écouté. Et rien n’améliore la qualité d’écoute autant qu’un bon rapport de force. Par exemple, en tant que premier ministre, je me suis d’abord rendu dans la capitale mondiale des affaires, New York, il y a trois ans. Le Québec était alors en position de faiblesse. Avec leurs déficits records, les libéraux avaient détruit la crédibilité financière du Québec, avaient sapé notre rapport de force et nous avaient mis à la merci des prêteurs. Les libéraux avaient affaibli le Québec à un point tel que lorsque j’expliquais aux décideurs new-yorkais notre volonté de redresser la situation, je ne voyais que du scepticisme sur les visages. On écoutait nos arguments avec un air entendu. Disons que nous n’avions pas beaucoup de crédit, dans les deux sens du terme. Je me suis promis que jamais le Québec ne serait à nouveau dans une telle position de faiblesse. Il y a dix jours, je suis retourné à New York. La situation avait changé du tout au tout. Je n’avais pas besoin de convaincre les décideurs new-yorkais de quoi que ce soit. Je n’avais rien à leur demander, rien à leur prouver. Pourquoi? Parce que pour la première fois en quarante ans, les Québécoises et les Québécois ont éliminé complètement et pour de bon leurs déficits. Parce que depuis quatre ans, nous avons non seulement atteint mais dépassé nos objectifs de redressement. Parce que, grâce à notre stratégie économique, la croissance de nos investissements est plus forte qu’ailleurs au Canada. Parce que notre croissance économique, cette année et l’an prochain, n’a rien à envier à celle de nos voisins. Parce que notre métropole, notre capitale, sont en train de s’imposer comme des carrefours de la nouvelle économie. Alors, que ce soit devant les décideurs économiques ou dans les locaux du Wall Street Journal, le Québec peut maintenant parler avec une nouvelle assurance. Nous pouvons dire ce que nous pensons de la diversité culturelle, de l’intégration des Amériques, et nous pouvons être écoutés, parce que nous avons retrouvé notre rapport de force et que nous continuons à le construire. En rétablissant notre crédibilité, nous avons donc donné du poids à ce que nous avons à dire. On nous rétorque cependant que le Canada a un poids plus important que le Québec et que notre rapport de force est meilleur grâce à l’unité de vues que le Canada peut faire jouer aux grandes tables de négociation. Si le Canada était un pays unitaire avec une seule langue, une seule culture, un seul peuple, ce serait sans doute vrai. Mais pour prendre l’exemple du débat sur la diversité culturelle, je crois qu’il n’existe qu’un seul gouvernement au monde qui pense que le Québec n’a pas une contribution originale à apporter à ce débat, c’est le gouvernement du Canada. Un peu partout au monde on sait, aujourd’hui, qu’il y a au Québec un peuple qui a la caractéristique de vivre en français sur un continent anglophone, et dont la production culturelle est riche et dynamique. Pour toutes les petites nations, souveraines et non souveraines, qui craignent le nivellement culturel, l’expérience québécoise peut être une référence – c’est ce que nous disent entre autres nos amis catalans et belges, c’est ce que disent maintenant des intellectuels français. En Écosse ou au pays de Galles, comme dans les débats aux États-Unis sur la langue officielle, le Québec est un symbole, parfois positif, parfois négatif, mais le fait est que le Québec existe au monde comme une expérience singulière. Même le premier ministre chinois, Monsieur Zhu Rongji, est conscient du cas québécois, comme il l’a prouvé la semaine dernière à Ottawa. Alors il est un peu surprenant que dans des forums internationaux où la diversité culturelle est discutée, apparaissent des représentants fédéraux, anglophones ou francophones, mais qui affirment parler au nom d’une nébuleuse « culture canadienne unique et multiculturelle ». L’exemple québécois, l’expérience québécoise, l’expertise québécoise ne font pas partie de leurs discours, de leur vocabulaire ni de leurs propositions. Je soumets bien respectueusement que lorsque Mme Sheila Copps se promène dans le monde en faisant semblant de parler au nom de la culture canadienne unique et multiculturelle, elle souffre d’un très sérieux problème de crédibilité. Nier l’évidence de l’existence d’une culture québécoise, ce n’est jamais très solide. On ne voit pas très bien où est son rapport de force. Nous proposons au contraire de renforcer le rapport de force et la crédibilité du message du Québec et du Canada. Comme je l’ai rappelé à Paris le mois dernier, il existe au Canada une culture canadienne anglaise, c’est indubitable : de grands auteurs, de grands peintres, de grands cinéastes, des chanteurs et des auteurs. J’étais à Terre-Neuve récemment pour souligner le cinquantième anniversaire du principe démocratique du 50 % plus un. Nous avons assisté à un excellent spectacle culturel, et on ne pouvait pas se tromper : ce n’était pas un spectacle des États-Unis, ce n’était pas de la culture québécoise, mais c’était une remarquable démonstration de culture canadienne-anglaise. Il y a au Canada des cultures amérindiennes. Il y a aussi une culture acadienne, mais le premier ministre du Nouveau-Brunswick a décidé de déléguer au fédéral la défense de sa culture, c’est son affaire. Il faut respecter son désir. Il me semble que la cause de la diversité culturelle serait renforcée sur la scène internationale s’il y avait, ensemble, un représentant du gouvernement canadien parlant principalement au nom de la culture canadienne-anglaise, et un représentant du Québec parlant au nom de la culture québécoise. Là, on serait dans le réel. Là, le rapport de force du Canada et du Québec serait additionné au lieu d’être gaspillé. Et au lieu de nier sa propre diversité culturelle en refusant un siège au Québec, le Canada ferait preuve de logique en illustrant la réelle diversité culturelle qui existe au nord des États-Unis : deux cultures principales avec leurs caractéristiques, deux cultures qui se respectent mutuellement et qui mènent un combat conjoint pour la diversité culturelle. En refusant notre offre, le Canada affaiblit son rapport de force et le nôtre. Sa stratégie confine d’ailleurs à la mesquinerie. Il y a deux ans, au Sommet de Hanoï, j’avais présenté au premier ministre Chrétien un projet commun, sur la question de la diversité culturelle. Je lui proposais que nos deux gouvernements, avec la Francophonie, organisent à Québec une conférence où seraient représentés les gouvernements francophones et ceux des pays latins pour discuter de la diversité culturelle. Notre objectif était d’agir de concert pour élargir la coalition des pays qui appuient le principe de cette diversité. Monsieur Chrétien a refusé notre proposition. Sa vraie réponse est arrivée six mois plus tard, quand son gouvernement a organisé sa propre conférence internationale sur la diversité culturelle, en prenant soin d’interdire au Québec d’y avoir le droit de parole. Le Québec voulait que ce débat se fasse via la Francophonie, où nous avons droit de parole. Ottawa veut que ce débat se fasse ailleurs, là où le Québec n’a pas droit de parole. Une seconde réunion de ce réseau international de la culture va se tenir en septembre au Mexique et, malgré nos demandes, nous ne savons toujours pas si nous y aurons la liberté de parole. Le débat informel sur la diversité culturelle va se dérouler dans plusieurs sortes de forums. Le Québec a l’intention d’y être présent et actif aussi souvent que possible. Le débat formel, lui, va se dérouler dans deux enceintes. Le débat politique se fera à l’UNESCO, et cet organisme prend désormais une importance qu’il n’avait pas auparavant. Le débat économique, c’est-à-dire la rédaction de clauses commerciales protégeant la diversité culturelle, va se dérouler à l’Organisation mondiale du commerce. Nous pensons qu’il est de l’intérêt du Québec et du Canada qu’une place soit faite au Québec dans ces deux enceintes. Nous sommes prêts à discuter de l’aménagement de cette place, du fonctionnement que nous pourrions inventer ensemble. Louise Beaudoin a écrit à son homologue fédéral à ce sujet, mais pour l’instant elle se heurte à un refus. À l’UNESCO, déjà, d’autres États, comme la Belgique et l’Allemagne, acceptent de céder leur siège aux Wallons, aux Flamands et aux Bavarois qui ont autorité en la matière. Le Canada, lui, pense que les Québécois ont moins de droits que les Wallons ou les Bavarois. Nous pensons que ce refus ne peut pas tenir, car il gaspille notre rapport de force et n’est pas dans l’intérêt de la cause de la diversité culturelle. Parlons maintenant du rapport de force du Québec en Amérique du Nord et dans les Amériques. On nous dit : face aux États-Unis, le Québec ne fait pas le poids, il a besoin du Canada. C’est un vrai sujet de discussion, un sujet de realpolitik. Le Québec a joué un rôle central dans la réalisation du traité de libre-échange avec les États-Unis et dans l’ALENA. Le secrétaire américain au Commerce le reconnaît, lui qui a affirmé à Montréal que l’ALENA, et je cite, « n’aurait jamais été réalisé sans les efforts incessants et l’appui public du peuple et du gouvernement du Québec en faveur du libre-échange ». Il faut donc conclure que si le Québec a joué un rôle déterminant dans la réalisation de l’ALENA, il jouit d’une force réelle dans les changements internationaux. Il y a lieu d’utiliser au maximum cette force positive, constructive. Il y a plusieurs façons de mesurer un rapport de force, notamment en matière de défense. Mais puisque le Québec n’a pas d’armée, parlons en termes de rapports économiques stricts. Les États-Unis font du commerce avec environ 185 pays. Dans cette liste, le Québec ne fait pas seulement partie des 100 partenaires les plus importants. Il ne fait pas seulement partie des 50 partenaires les plus importants. Pas seulement des 20 partenaires les plus importants. Le Québec est le sixième partenaire commercial le plus important des États-Unis. C’est dire que 179 pays ont moins d’importance économique, ont moins de rapport de force économique envers les États-Unis que le Québec. C’est pas mal, comme poids. Concrètement, pas moins de 250000 emplois aux États-Unis dépendent des ventes sur le marché québécois, et les entreprises québécoises emploient directement 60000 citoyens aux États-Unis. Il ne fait aucun doute que la plupart des Québécois ne sont pas conscients de cette force, comme très peu d’Américains. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de prolongement politique à cette force économique, parce que le Québec n’est pas souverain. Parce que le Québec ne parle pas de sa propre voix, ce rapport de force est gaspillé. Le gouvernement canadien travaille d’ailleurs très fort pour empêcher le Québec de donner un prolongement politique à sa force économique. Les États-Unis sont désormais, et de loin, le premier partenaire économique du Québec. Pourtant, on le sait, le gouvernement canadien mène toujours un combat acharné pour que le Québec ne puisse pas poster en permanence un seul diplomate dans la capitale américaine. Ottawa tolère que Québec y ait un bureau de tourisme, mais suit à la trace la moindre personne qui irait dire du bien du Québec politique, culturel ou économique à Washington. Bref, nous sommes le sixième partenaire économique en importance des États-Unis, qui sont notre premier partenaire à nous, mais nous n’avons pas droit à une représentation institutionnelle. Donc nous n’avons pas le droit d’aller parler nous-mêmes, quotidiennement, dans la capitale américaine, à nos premiers clients et nos premiers fournisseurs. Nous ne pouvons pas influencer leurs décisions, promouvoir nos positions, expliquer notre réalité. Il nous est interdit d’exercer notre rapport de force. Songeons un instant à ce qui se passerait au sein de l’ALENA si les États-Unis décidaient de renégocier l’accord en leur faveur. En ce moment, ils devraient se réunir avec deux pays : leur premier partenaire, le Canada, et leur second, le Mexique. Si le Québec était souverain, Washington devrait négocier avec trois pays au lieu de deux. Le Canada, qui serait encore son premier partenaire commercial, le Mexique, son deuxième, et le Québec, son sixième. Chaque fois que le Canada et le Québec auront des positions convergentes – comme ce devrait être souvent le cas, notamment en matière de diversité culturelle -, le rapport de force serait augmenté, pas diminué. La présence d’un Québec souverain permettrait de mobiliser le rapport de force économique du Québec, qui est en ce moment gaspillé par le Canada. C’est encore plus vrai à l’échelle des Amériques. Depuis le début, le Québec s’intéresse à l’étape qui suit celle de l’ALENA, c’est-à-dire le processus d’intégration des Amériques. En termes de rapport de force brut, parmi les 35 économies des Amériques, le Québec est la sixième en importance. 29 pays des Amériques sur 35 ont moins de rapport de force que nous. C’est pas mal, à une table de 35, quand vous êtes le sixième en importance. De plus, nous sommes intéressés par les aspects civils et politiques de l’intégration des Amériques. C’est pourquoi notre Assemblée nationale a réuni en 1997, à Québec, avec la collaboration du Parlement fédéral, la première Conférence des parlementaires des Amériques. J’étais invité, comme Monsieur Chrétien, à y prendre la parole. L’objectif était d’élargir le débat sur les Amériques et de faire participer les élus des Parlements centraux mais aussi ceux des Parlements des États et des provinces qui auront des décisions pratiques à prendre dans le processus d’intégration. La conférence fut un grand succès, et les participants ont décidé de répéter l’expérience. Le Québec joue un rôle de leadership dans cette organisation. Quelle fut la réaction d’Ottawa? Puisque le Québec a trouvé une façon de dialoguer avec les Amériques, Ottawa a décidé d’œuvrer pour nuire à cette organisation de parlementaires. Le Parlement fédéral s’est retiré de la COPA et travaille à mousser à la place une organisation parlementaire concurrente qui a la caractéristique d’exclure les Parlements non souverains, comme celui du Québec. Non seulement le Canada fait-il écran au Québec dans les organismes existants pour l’empêcher d’avoir prise directe sur la mondialisation, mais, en plus, comme dans le cas de la diversité culturelle et des parlementaires d’Amérique, il travaille activement pour fermer les portes que le Québec tente de s’ouvrir sur le monde. Parlons maintenant du rapport de force du Québec au sein même du Canada. Ce n’est pas un tableau réjouissant. D’abord, en termes démographiques, la force du Québec régresse. Au moment de la Confédération, nous comptions pour le tiers des citoyens du Canada. Au tournant du siècle, nous avons franchi, en descendant, le cap du 30 %. Puis, ces dernières années, nous sommes tombés à moins de 25 %. Les démographes nous disent que nous serons moins de 20 % d’ici quelques décennies. Mais le gouvernement fédéral et les autres provinces ont décidé cette année de prendre de l’avance. Ils ont décidé que le poids du Québec au sein du Canada, que son rapport de force ne serait pas de 25 ou de 20 %, mais de zéro pour cent. Le débat sur l’Union sociale a été sans doute l’un des plus pitoyables exemples de l’histoire des relations entre le Québec et le Canada. Dans une volte-face qui ne faisait pas la part belle aux principes et aux droits, les neuf autres provinces se sont entendues pour donner au fédéral le droit d’intervenir directement dans tous les programmes sociaux. Le gouvernement du Québec était contre. L’opposition officielle du Québec était contre. L’ADQ était contre. La grande majorité des députés québécois aux Communes était contre. Mais voilà, désormais, pour Ottawa et le Canada anglais, le Québec ne compte pas. Même lorsque le Québec est unanime, ça ne compte pas. C’est zéro. L’organisation politique interne actuelle du Canada gaspille l’intégralité du rapport de force du Québec. C’est vrai pour les bourses du millénaire, pour les jeunes contrevenants, même pour nos ententes avec les nations autochtones. Au fond, le Canada nous dit : si vous voulez utiliser votre rapport de force, il n’y a qu’une chose à faire, la souveraineté. Et c’est ce que nous pensons tous, dans cette salle. Et c’est pourquoi nous avons sollicité et obtenu le mandat de réunir les conditions d’un référendum gagnant sur la souveraineté. Nous sommes lucides et nous constatons que, pour l’instant, une majorité de Québécois ne sont pas convaincus de la nécessité de tenir un référendum sur la souveraineté. C’est pourquoi nous voulons mettre sur pied un Fonds de promotion de la souveraineté pour appuyer nos actions de pédagogie souverainiste au niveau national. Et c’est pourquoi, le 30 janvier dernier, j’ai demandé que les souverainistes entreprennent un grand brassage d’idées, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parti Québécois. J’ai comme l’impression que mon appel a été entendu. Comme promis, au Parti Québécois, nous avons mis sur pied un comité de réflexion et d’action stratégique sur la souveraineté du Québec. Son mandat est de bien situer la souveraineté du Québec dans la modernité et la mondialisation, en dégageant les nouvelles réalités qui la rendent plus que jamais nécessaire. Il doit notamment travailler sur des projets d’argumentaires et des outils de promotion, des activités de réflexion et d’action, des moyens de susciter le débat et de contribuer au plan d’action pour la souveraineté. Depuis sa mise sur pied, des sous-comités sont à l’œuvre pour réfléchir à la problématique particulière à certaines régions et suggérer des pistes d’action. Nous avons amorcé des travaux pour mieux saisir les tendances de l’opinion publique, des outils de promotion sont en phase de conception. L’exécutif national a porté un soin particulier à la composition du comité, pour qu’il puisse intégrer la participation de représentants de nos instances et qu’il soit ouvert à nos alliés et partenaires. J’aimerais profiter de l’occasion pour vous présenter ses membres, je leur demanderais de se lever à mesure, et nous les remercierons ensemble, lorsque j’en aurai terminé la liste. Le comité est présidé par un de nos plus solides militants, malheureusement retenu en Europe aujourd’hui, Bernard Landry. Du Conseil exécutif national du Parti Québécois, on trouve, par ordre alphabétique : Fabien Béchard, Gilles Grenier, Marilyse Lapierre, Carmen Sabag-Vaillancourt. Parmi les présidents régionaux, on trouve Maxime Barakat, Mario Beaulieu, Angèle Bélanger, Céline Dostie, Gilles Gaumond et Denis Ménard. Parmi les jeunes, on trouve Isabelle Bouchard et Jean-Hertel Lemieux. De l’aile parlementaire, on compte Manon Blanchet, Jocelyne Caron, François Gendron et David Payne. Des membres du Comité des priorités, on trouve Louise Harel, Diane Lemieux et Pauline Marois. Du Conseil des ministres, on trouve aussi Louise Beaudoin, Paul Bégin, Joseph Facal et Robert Perreault. Nous avons invité, comme je l’ai indiqué, des gens de l’extérieur du Parti Québécois. Deux représentants du Bloc Québécois : Pierre Brien et Bernard Bigras, et des représentants des partenaires pour la souveraineté. Pour la Société Saint-Jean- Baptiste, Guy Bouthillier; pour les Intellectuels pour la souveraineté, Richard Gervais; pour le Mouvement national des Québécois, Louise Paquet, et pour Génération Québec, Nathalie Tremblay. Je vous demanderais de les applaudir tous. Évidemment, lorsqu’on demande un grand débat d’idées, il arrive que des idées inattendues nous soient présentées. Un des membres du comité, Guy Bouthillier, a publié cette semaine avec trois collègues un texte où il propose une stratégie alternative vers la souveraineté. Nous sommes un parti de débats et d’idées et nous ne souffrons d’aucune timidité lorsque vient le temps de confronter nos approches, entre nous ou avec nos partenaires. Je crois cependant que nous devons affirmer aujourd’hui notre conviction que seule la souveraineté permettra aux Québécoises et aux Québécois de sortir de l’impasse politique canadienne. Les considérations stratégiques sont bien sûr essentielles en politique. Cependant, en tout respect pour nos amis souverainistes qui formulent ces propositions, il faut se garder de stratégies lourdes et compliquées dans lesquelles on risquerait fort de perdre les Québécois, plutôt que de leur ouvrir une voie vers la souveraineté. Vous avez pu le constater tout à l’heure, notre comité de réflexion et d’action stratégique est formé de militants et d’élus articulés et aguerris qui peuvent distinguer l’essentiel de l’accessoire et qui savent trouver le rapport de force là où il est vraiment. Il me semble, par conséquent, que ce comité a toute la latitude voulue pour entendre les propositions diverses qui se font en ce moment et leur faire passer le test du débat et de la contradiction. Finalement, j’aimerais aborder la question du rapport de force d’un autre angle, en disant que ce qui donne au Québec sa force, c’est sa cohésion interne. On pourra tenir tous les débats que l’on veut sur la question de l’identité ou de l’appartenance des Québécois, le fait est que le Québec a depuis plusieurs décennies la volonté de construire ici une société ouverte dont la langue officielle et commune est le français. Ce qui compte, ce ne sont pas les paroles qu’on prononce, mais les gestes qu’on pose pour qu’au-delà des origines, chaque Québécoise sache qu’elle est ici chez elle, que chaque Québécois sache qu’il est ici chez lui. Des gestes qui visent à rassembler, à faire vivre une expérience commune, qui font une place au Québec de tous les horizons, dans tous les domaines. C’est le grand projet de la Charte de la langue française, notamment dans sa volonté de scolariser ensemble les Québécois venus des quatre coins du globe. C’est pourquoi, l’an dernier, Pauline Marois a établi les commissions scolaires linguistiques, pour faire un pas de plus dans une organisation scolaire qui insiste sur ce qui nous rapproche les uns des autres. Le débat qu’engage François Legault sur la place de la religion à l’école vise aussi à trouver la meilleure façon de rassembler les jeunes Québécois, au-delà de leur appartenance religieuse. Dans le même esprit, Robert Perreault, en février, a annoncé un programme d’échange et de rapprochement entre les jeunes de divers milieux de Montréal et du reste du Québec. Linda Goupil a annoncé, au début du mois, la nomination de madame la juge Westmoreland-Traoré, qui devient ainsi la première juge noire au Québec. Les gestes comptent. Lorsque nous présentons le Québec à l’étranger, comme lors de la Saison du Québec à Paris et au Salon du livre, nous comptons parmi nos auteurs Dany Laferrière, Neil Bissoundath, Ying Chen. La culture et l’image francophone du Québec est en train de s’enrichir de sa diversité. Avant-hier, Jacques Léonard, Robert Perreault et Guy Julien ont annoncé que, pour la première fois de notre histoire, cet été, 1000 des 4000 emplois d’étudiants du gouvernement du Québec seront occupés par des jeunes provenant des communautés culturelles, de la minorité anglophone et des autochtones. Cela sera réalisé en augmentant le nombre d’emplois d’été pour étudiants. Dans quelques semaines, nous annoncerons comment nous comptons augmenter significativement le nombre d’employés de la fonction publique du Québec qui sont issus de la diversité québécoise. Dans deux mois, nous célébrerons la Fête nationale des Québécois. Depuis 1977, nous avons fait le choix, au Québec, de faire de cette fête un rassemblement des Québécoises et des Québécois de toutes origines et nous poursuivons dans cette voie. Nous posons des gestes aussi pour assurer chaque citoyen du Québec de la qualité et de l’intégrité de la démocratie québécoise et du droit de vote.
Le débat qui nous anime sur l’identification de l’électeur reflète cette préoccupation. Guy Chevrette a fait un grand pas en avant en déposant le projet de loi 1. L’objectif est de faire en sorte que la personne qui se présente pour voter est bien celle inscrite sur la liste électorale, mais il faut également s’assurer que les personnes inscrites ont effectivement le droit de vote. L’instauration de la liste électorale permanente et le croisement des fichiers avec la Régie de l’assurance-maladie ont révélé bon nombre d’imperfections dans les inscriptions – notamment parce que le processus requiert une correspondance parfaite dans l’orthographe des noms. La révision effectuée avant la dernière élection a permis de réduire très considérablement ces imperfections. Je crois que nous pouvons faire mieux encore. Le Comité du parti sur la réforme électorale continue d’étudier des mesures supplémentaires, et le ministre poursuit ses consultations. L’idée d’une carte d’électeur avec photo et adresse a été évoquée. Il faut cependant savoir qu’il y a, au Québec, 900000 déménagements par année. Sur un mandat électoral de quatre ans, les changements d’adresse se comptent par millions. Un scrutin déclenché peu après la saison estivale nécessiterait l’émission d’un nombre spectaculaire de nouvelles cartes en début de campagne électorale. Les jeunes moins habitués ou intéressés au processus électoral, les travailleurs, les aînés, ne seraient-ils pas rebutés par une telle démarche? Une carte d’électeur, même sans photo, soulève également des difficultés. Utilisée seulement au moment du scrutin, ne serait-elle pas souvent égarée par un bon nombre de nos citoyens? Lorsqu’on étudie ces hypothèses, il faut se demander si l’accumulation de démarches risque de faire en sorte que nos taux de participation, parmi les plus élevés au monde, chutent à des niveaux beaucoup moins enviables. Il nous semble que d’autres solutions doivent être trouvées, d’une part pour bien établir le droit de vote, dans une amélioration de la qualité de la liste permanente, en empruntant peut-être certaines pratiques suggérées en janvier par Montréal-Ville-Marie et utilisées par le gouvernement fédéral et en étudiant la proposition de registre des adresses de Robert Perreault. D’autre part, pour permettre une meilleure identification de l’électeur au moment du vote, on pourrait améliorer les critères d’attribution des cartes d’identification existantes, en raccourcissant par exemple à 3 ou 4 ans la période de validité de la carte d’assurance-maladie. Le gouvernement se doit d’examiner toutes les propositions susceptibles d’améliorer le processus électoral. Les prochaines semaines et les prochains mois nous tiendront fort occupés. En plus de résister à l’offensive fédérale, d’assurer le rayonnement du Québec, de continuer à gérer efficacement et sainement l’État québécois, nous travaillerons à améliorer la démocratie québécoise en nous assurant du respect du principe voulant qu’un électeur puisse exercer une fois, mais… une seule fois, son droit fondamental de voter. Nous avons toutes les raisons d’aborder l’avenir avec confiance. Tout au long des dernières années, des oiseaux de malheur pensaient que notre société se lézarderait devant les sacrifices qui lui étaient demandés. Pourtant, nous avons réussi, grâce aux formidables efforts consentis par toutes les Québécoises et tous les Québécois. Il faut dorénavant concentrer nos énergies vers d’autres objectifs : la conclusion d’une entente satisfaisante avec nos employés du secteur public et parapublic, la réussite du Sommet du Québec et de la jeunesse, la réduction du fardeau fiscal de nos citoyens. Concentrer aussi nos énergies sur la promotion de la souveraineté. Ensemble comme Québécoises et comme Québécois, nous avons fait la preuve que nous étions déterminés, tenaces, solidaires. Lorsque viendra l’heure de choisir notre avenir politique, ces qualités seront pour nous le meilleur gage de succès. Merci

[BOUC=19990428]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Conférence de presse sur les négociations dans le secteur public – 28 avril 1999]
Mesdames, Messieurs, J’ai tenu à vous parler aujourd’hui pour faire le point sur les défis qu’il nous reste à relever en matière de finances publiques et sur les orientations que nous comptons maintenir dans les négociations avec les employés de l’État. De semaine en semaine, des groupes de travailleuses et de travailleurs, des techniciens, des professionnels se succèdent devant les micros ou devant l’Assemblée nationale pour réclamer une amélioration de leur salaire ou de leurs conditions de travail. Qu’il y ait des revendications, c’est compréhensible en temps normal, ce l’est encore plus après l’effort que nous avons réalisé depuis quatre ans pour sortir de la spirale de l’endettement dans laquelle le Québec était plongé. Ce n’était pas un simple problème de chiffres. Ce qui était en cause était la survie des choix sociaux du Québec. Éliminer le déficit était une opération de sauvetage de nos outils collectifs et de notre solidarité. J’aimerais revenir un instant sur ce qui a été réalisé ces dernières années. Le tableau 1 est éloquent : nous avions hérité d’un déficit record de 5800000000 $, que nous avons ramené progressivement à zéro. Le mois dernier, le ministre des Finances a pu annoncer que le budget du Québec était désormais équilibré, pour la première fois en 40 ans, avec un an d’avance sur l’échéancier. À qui devons-nous cette réussite? À toutes les Québécoises et tous les Québécois, d’abord, qui ont accepté le fait que, pendant plus de trois ans, l’effort gouvernemental soit concentré sur cet objectif, avec les désagréments que cela a pu comporter dans leur vie quotidienne. Aux employés de l’État, ensuite, qui ont accepté de réduire de 6 %, non leur salaire, mais leur masse salariale, et qui ont contribué à un vaste programme de départs à la retraite. Ces départs ont créé des difficultés d’organisation du travail, c’est indubitable, mais ils ont permis aussi l’embauche de 9000 jeunes enseignants et ont réduit ou éliminé la précarité d’emploi de 14500 autres employés de l’État. Qui d’autre a contribué? Les grandes entreprises, à la hauteur de 500000000 $ par an, sans oublier une surtaxe de 5 % aux banques, versée au Fonds de lutte contre la pauvreté. Il faut compter aussi plus de 300000000 $ récupérés chez ceux qui travaillaient au noir, qui s’adonnaient à des activités illégales ou qui ne payaient pas l’ensemble de leurs impôts. J’ajoute une réduction de 6 % du salaire des députés, des ministres et du premier ministre. Les juges ont aussi fait leur part. Il faut ajouter la contribution des cadres supérieurs de l’État, des médecins, des professeurs et employés d’universités, des salariés d’Hydro-Québec. Un effort de 6 % aussi des municipalités et de leurs employés. La liste est très longue. Pour arrêter de s’endetter, il a fallu aussi réduire des budgets dans l’éducation et dans la santé, réinventer nos façons de faire. Pour la première fois en quarante ans, il a fallu vivre selon nos moyens. Et ça a paru. On a tous senti que nous avions pris l’habitude de vivre à crédit. Ça n’a pas été facile, mais nous avons rompu avec cette habitude. Rompu pour de bon. Le sauvetage de l’État québécois, l’élimination du déficit, fut une œuvre collective. Nous l’avons réalisée dans l’équité. Il ne faudra jamais plus revivre une situation de redressement aussi difficile. C’est pourquoi nous avons fait voter par l’Assemblée nationale une loi qui rend impossible le retour aux déficits structurels. Il est donc évident que toute proposition visant à annuler les efforts réalisés depuis quatre ans aurait comme résultat de nous replonger dans le problème qu’on vient de résoudre. Je tiens à rassurer chaque Québécoise et chaque Québécois : nous n’avons pas fait tout ce travail pour rien. Il n’y aura pas de retour en arrière. Ce que nous avons construit est solide. Il s’agit désormais de bâtir sur cette fondation. Maintenant que le déficit est éliminé, la croissance économique nous a permis, dans le dernier budget, de fournir aux réseaux de l’éducation et de la santé les sommes nécessaires à la croissance normale des coûts, c’est-à-dire de mettre un terme aux compressions. Nous continuons à respecter notre engagement d’appauvrissement zéro pour nos concitoyens qui n’ont pas la capacité d’accéder au marché du travail. En plus, nous avons aussi fait un réinvestissement que tous jugeaient urgent dans la santé et nous savons que, l’an prochain, la jeunesse et l’éducation nécessiteront une attention particulière. Ces bonnes nouvelles ne doivent cependant pas nous faire croire que nous sommes entrés dans une période faste. Au contraire, le maintien du déficit zéro nous oblige à une très grande rigueur dans la gestion de nos affaires. En éliminant le déficit, nous avons cessé de nous endetter, mais nous n’avons pas effacé nos dettes. Le tableau 2 le montre bien, le Québec est la plus endettée des provinces canadiennes, et vous devez savoir que, sur chaque dollar d’impôt que vous envoyez ces jours-ci au ministère du Revenu, près de 15 cents servent directement à payer les intérêts de notre dette. Cela explique en partie pourquoi l’impôt québécois est si élevé. Le tableau 3 montre bien que ce sont les particuliers du Québec qui paient le plus d’impôt parmi les citoyens des provinces canadiennes. Je l’ai dit et je le répète, le fardeau fiscal des Québécois est presque intolérable. Ces dernières années, nous avons demandé à tous de contribuer à l’élimination du déficit. À l’équité dans l’effort doit maintenant succéder l’équité dans la répartition des fruits de l’effort. D’abord, en assurant la stabilité et la sécurité du financement de notre solidarité sociale, ce que nous avons commencé à faire. Ensuite, l’équité demande une réduction du fardeau que tous subissent, c’est-à-dire une réduction de l’impôt des particuliers. Réduire les impôts a plusieurs impacts sur notre économie. D’abord, en augmentant le revenu disponible de tous, on permet aux ménages de procéder à davantage d’achats de biens et de services, donc de contribuer à l’économie et à l’emploi du Québec. Ensuite, la réduction de l’impôt nous aide à garder au Québec certains de nos meilleurs talents, qui sont malheureusement tentés de déménager ailleurs, là où le fardeau fiscal est moins élevé. Finalement, la réduction d’impôt fait du Québec un endroit encore plus attractif pour l’investissement. C’est donc un facteur de création d’emplois. C’est pourquoi nous avons déjà commencé à réduire notre fardeau fiscal l’an dernier, en diminuant de 15 % l’impôt payé par les ménages qui gagnent moins de 50000 $ par année, et en diminuant de 3 % l’impôt payé par ceux qui gagnent plus de 50000. Nous nous sommes engagés à continuer à réduire l’impôt, d’au moins 400000000 $ l’an prochain, et d’au moins 1300000000 $ au cours du mandat. Nous mettrons autant d’énergie et de détermination dans la réduction des impôts des particuliers que nous en avons mis dans l’élimination du déficit. Cela ne signifie pas que les employés de l’État qui font des demandes d’augmentation de salaire ne doivent pas en obtenir. Le président du Conseil du trésor a annoncé que le gouvernement est disposé à augmenter de 5 %, en trois ans, le salaire des employés de l’État. Certains groupes ont des revendications particulières auxquelles il faut s’attarder. Les infirmières, par exemple, réclament avec raison qu’il y ait moins de postes d’infirmières précaires, et plus de postes à temps complet. Le mois dernier, la ministre Pauline Marois a annoncé que grâce aux nouveaux budgets du réseau de la santé et à l’élimination des déficits des hôpitaux, de nombreux postes à temps complet seraient affichés d’ici l’été. Déjà, les choses ont bougé, et 1 500 postes sont affichés dans les établissements. Le personnel enseignant, en majorité des femmes, affirme avec raison que l’exercice d’équité salariale n’a pas été complété dans leur profession. C’est pourquoi le gouvernement québécois propose une somme supplémentaire de 100000000 $.
Ce qui nous permettrait de satisfaire tous nos engagements : maintenir le déficit à zéro, financer pleinement nos programmes sociaux et réduire les impôts. Cependant, l’acceptation des demandes syndicales nous obligerait à renoncer à ces objectifs. Comme l’indique le tableau 4, au lieu du 5 % que nous proposons, les médecins demandent une augmentation de leur rémunération de 19 %. Les fonctionnaires, de 16 %. Les enseignants, de 28 %. Les infirmières, de 30 %. Si on devait accéder à toutes ces demandes, nous devrions dépenser, chaque année, à compter de l’an prochain, au moins 2000000000 $ de plus que prévu et, dans deux ans, presque 2500000000 $ de plus. Pour y arriver, il faudrait, c’est certain, renoncer à toute baisse d’impôt. Il faudrait au contraire augmenter les impôts de plusieurs centaines de millions de dollars. Ou alors il faudrait refaire un déficit et procéder à de nouvelles compressions dans les programmes sociaux. Nous comprenons que les demandes syndicales ne sont pas finales, mais l’écart qui nous sépare n’est pas réaliste. Accepter les demandes syndicales aggraverait la situation économique et financière du Québec et nous empêcherait de donner aux Québécoises et aux Québécois les réductions d’impôt dont ils ont grandement besoin. Se comparant à leurs voisins des autres provinces et des États-Unis, plusieurs groupes d’employés nous disent qu’ils méritent des redressements importants. Ces comparaisons sont intéressantes, mais il faut les faire jusqu’au bout. Il faut vivre selon ses moyens, pas selon les moyens des autres. Notre dette, la plus élevée au Canada, ce ne sont pas nos voisins qui l’ont accumulée de décennie en décennie. Nos impôts, les plus élevés au Canada, ce ne sont pas nos voisins qui les ont augmentés et dépensés de décennie en décennie. Grâce à l’élimination du déficit et à la croissance de notre économie, nous allons profiter d’une augmentation progressive de notre richesse collective. Le gouvernement est déterminé à répartir cette augmentation avec rigueur et avec justice, au rythme où elle se présente. Le calendrier a voulu que, dans les prochains jours, le gouvernement et l’Assemblée nationale se penchent sur un dossier très particulier, celui des juges de la Cour du Québec et des cours municipales. La question se pose avec d’autant plus d’acuité que, contrairement aux employés de l’État, les juges québécois n’ont reçu aucune augmentation de salaire depuis 1993. La Cour suprême a incité les gouvernements à se pencher sur cette question. « La sécurité financière des juges, écrit la Cour, est un moyen d’assurer l’indépendance de la magistrature et, de ce fait, elle est à l’avantage du public. » De toute évidence, la bonne marche des démocraties modernes repose sur l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif. La magistrature doit être à l’abri, non seulement de pressions financières réelles, mais elle doit être à l’abri de toute apparence de pressions financières. Nous parlons ici d’un principe, car nous n’avons à l’esprit aucun cas où cette indépendance ait été mise en cause. Il n’en reste pas moins qu’il faut préserver avec soin l’indépendance de la magistrature. Le Québec a la chance de pouvoir compter sur une magistrature de haut niveau, formée d’hommes et de femmes de qualité, conscients de l’importance des décisions qu’ils rendent. C’est pourquoi, à l’invitation notamment de la Cour suprême, notre gouvernement a adopté, il y a deux ans, une loi sur la rémunération des juges, prévoyant la formation d’un comité qui doit évaluer tous les trois ans le traitement, le régime de retraite et les autres avantages sociaux des juges de nomination québécoise. La loi a identifié neuf critères pour guider le comité dans ses recommandations : les particularités de la fonction de juge; la nécessité d’offrir aux juges une rémunération adéquate; la nécessité d’attirer d’excellents candidats à la fonction de juge; l’indice du coût de la vie; la conjoncture économique du Québec et la situation générale de l’économie québécoise; l’évolution du revenu réel par habitant au Québec; l’état des finances publiques; l’état et l’évolution comparés de la rémunération des juges concernés, d’une part, et de celle des autres personnes rémunérées sur les fonds publics, d’autre part; la rémunération versée à d’autres juges exerçant une compétence comparable au Canada. Présidé par l’honorable Claude Bisson, juge en chef de la Cour d’appel à la retraite, le comité a remis son rapport. Au niveau salarial, il recommande, pour cette année, une augmentation de 16,5 % de la rémunération des juges, augmentation qui atteindrait 20,5 % à la fin des trois prochaines années. En soi, et dans un contexte social et économique différent, ces recommandations ne seraient pas exagérées, tout au contraire, comme la ministre de la Justice a déjà eu l’occasion de le dire. Les juges québécois sont aussi compétents, aussi talentueux que leurs collègues des autres provinces et ils répondent aux mêmes impératifs d’indépendance d’esprit. Le gouvernement a sérieusement analysé le rapport du comité, à la lumière même de sa logique interne et de l’application des critères énumérés dans la loi. Il est manifeste que les juges ne sont ni des fonctionnaires ni des administrateurs d’État et que l’évolution de la rémunération du secteur public ne doit pas être le seul facteur déterminant l’évolution de leur salaire. Cependant, il faut constater que cinq des neuf critères prévus à la loi font directement référence à l’équité entre Québécois et à la situation des finances publiques du Québec. En raison même du contexte que je viens de décrire, il importe de tenir davantage compte de ces critères. Dans la mesure où la rémunération des juges provient des contribuables, elle est également astreinte à des exigences d’équité. La Cour suprême elle-même, en ne jugeant pas à-propos de rendre exécutoires les processus indépendants de détermination de la rémunération des juges, a reconnu la prérogative des assemblées législatives et des gouvernements à rendre les arbitrages sociaux et économiques. Au moment de s’acquitter de cette tâche, il convient de rappeler que l’appréciation de l’équité et de la cohésion sociale est une responsabilité fondamentale des élus. Elle prend sa source dans l’exercice démocratique. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a le pouvoir d’approuver, de modifier ou de rejeter en tout ou en partie les recommandations du comité. En l’espèce, elle devra le faire dans un délai qui arrivera à échéance le 13 mai prochain. J’annonce aujourd’hui que, compte tenu de tout ce que j’ai expliqué jusqu’ici, le gouvernement recommandera à l’Assemblée nationale d’agréer partiellement les recommandations qui lui sont faites. Nous estimons en effet qu’au moment où il nous faut faire de la baisse des impôts une priorité aussi importante que le fut l’atteinte du déficit zéro, au moment où nous demandons aux Québécoises et aux Québécois du secteur public de faire preuve de réalisme dans leurs demandes syndicales, au moment où il faut plus que jamais faire preuve d’équité envers tous nos concitoyens, le redressement immédiat de la rémunération des juges québécois, au niveau de 16,5 % où le situe le comité Bisson, ne peut être retenu. En conséquence, j’ai demandé à la ministre de la Justice de déposer à l’Assemblée nationale, au cours des prochains jours, un argumentaire et une motion qui retiendront l’essentiel des recommandations non salariales du comité. En ce qui concerne le salarial, la position du gouvernement diverge du rapport Bisson quant au redressement qui doit être effectué au premier juillet 1998. Ce redressement doit être, quant à nous, de 4 %, plutôt que de 16,5 %, pour trois raisons principales. Premièrement, parce que le gouvernement estime devoir tenir compte, dans l’établissement de la rémunération globale des juges, du fait que leur régime de retraite est non contributoire depuis 1990. Pour comparer le niveau de salaire des juges à celui d’autres personnes émargeant au budget de l’État, il faut donc calculer la contribution de 7,5 % que fait l’État à leur régime de retraite. Deuxièmement, parce que le gouvernement souhaite accorder une plus grande prépondérance que ne l’a fait le comité Bisson à la fiscalité et à la situation des finances publiques du Québec et, plus particulièrement, à leur impact sur la rémunération de ceux qui sont payés à même les fonds publics. Troisièmement, le gouvernement croit que le résultat ainsi atteint les place dans une position qui se compare raisonnablement à celle d’autres titulaires de postes de haut niveau, notamment à celle des plus hauts salariés rémunérés à même les deniers publics québécois. Pour les années 1999 et 2000, la proposition que fera le gouvernement à l’Assemblée nationale est d’octroyer 2 % et 2 %, rejoignant en cela les recommandations du rapport Bisson. La proposition de mon gouvernement est donc d’octroyer un rattrapage et une augmentation totalisant 8 % pour les années 1998, 1999 et 2000. En ce qui concerne les juges municipaux, leur rémunération sera essentiellement ajustée selon les mêmes principes. Nous pensons que cette décision est équitable et qu’elle reflète la richesse collective du Québec. Elle est guidée par un objectif d’intérêt général et nous paraît donc raisonnable. Aux employés de l’État en général, je voudrais dire aujourd’hui que nous abordons la négociation collective avec un esprit ouvert et avec bonne foi, avec la reconnaissance que certaines des demandes sont justifiées et légitimes, mais aussi avec la responsabilité de vivre selon nos moyens et d’agir dans l’intérêt du Québec tout entier. Nous entendons maintenir avec eux un dialogue respectueux, réaliste et équitable. Cela signifie que les négociations qui s’ouvrent ne pourront en aucun cas déboucher sur un retour des déficits, un retour des compressions, une hausse des impôts ou un abandon des réductions d’impôt déjà promises. Nous voici donc, comme peuple et comme société, à nouveau interpellés par un devoir d’équité, de cohésion sociale et de respect de nos réalités. Je ne doute pas que nous saurons nous en acquitter, comme nous avons su le faire dans notre lutte au déficit. Merci!

[BOUC19990507]
[Allocution à l’occasion de la visite du président du Gabon]
Votre Excellence, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Ministres, Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames, Messieurs, Permettez-moi, d’abord, Monsieur le Président, de vous féliciter pour les résultats de la dernière élection présidentielle. Au-delà du fait que vous ayez été réélu avec plus de 66 % des suffrages, c’est la démocratie qui a gagné au Gabon. Toutes les démocraties de la terre ne peuvent en effet que se féliciter de voir l’effort de transparence dont votre gouvernement a fait preuve dans cette élection. Le processus que vous avez enclenché en 1990, en réunissant la Conférence Nationale qui déboucha sur l’instauration du multipartisme, produit depuis ses fruits. Et, outre le Gabon, c’est la communauté internationale qui y gagne. Vous connaissez l’engagement du Québec pour la démocratie, notamment au sein de la Francophonie. Depuis plusieurs années, les institutions démocratiques québécoises, le Directeur général des élections, l’Assemblée nationale du Québec, l’ombudsman, sont mis à profit dans le cadre de la coopération francophone. Le Québec consacre près de un million de dollars par an, en francophonie, pour éduquer des formateurs électoraux, participer à des missions d’observation électorale, agir en amont et en aval des élections pour mieux accompagner les nouvelles démocraties vers une véritable culture démocrate. Au Sommet de Hanoi, en tant que rapporteur de la conférence, le Québec avait fait approuver le principe qu’en cas de recul de la démocratie chez un de nos membres, la Francophonie agisse pour signifier sa réprobation en suspendant son aide au pays en question. Je suis donc heureux de constater que, la semaine dernière, se penchant sur la situation au Niger, le Conseil permanent de la francophonie a appliqué ce principe. Comme vous le savez, le Conseil a condamné le coup d’État qui vient de s’y produire et suspendu les programmes de coopération, à l’exception de ceux au bénéfice des populations civiles. La coopération francophone avec le gouvernement du Niger ne sera rétablie qu’avec le retour de la vie constitutionnelle.

[BOUC=19990510]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Conférence au Conseil des relations internationales de Montréal – 10 mai 1999]
Monsieur le Président du CORIM, Monsieur le Président de l’AMEQ, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et membres du corps consulaire, Mesdames et Messieurs de la communauté latino-américaine du Québec, Mesdames et Messieurs les membres de Mission Québec au Mexique, Chers amis, Dans une semaine, avec une importante délégation de gens d’affaires et de représentants du milieu de l’éducation et de la culture, je serai au Mexique dans ce qui constitue le premier événement de ce que nous appelons « la Décennie québécoise des Amériques ». C’est pourquoi je suis très heureux de l’invitation conjointe que m’ont faite le CORIM et l’AMEQ de venir aujourd’hui lancer officiellement la Décennie québécoise des Amériques, expliquer comment nous concevons ce grand projet et vous demander votre collaboration pour en faire un succès.
Notre décision de mettre l’accent sur les Amériques s’inscrit dans le prolongement de l’action menée par le Québec ces dernières années, et je voudrais d’abord brosser à grands traits le contexte très prometteur dans lequel le Québec est maintenant placé. Il y a un peu plus de dix ans, le Québec était confronté à un défi. Celui du libre-échange avec les États-Unis. Comme vous le savez, la question a suscité la controverse au Canada anglais. Mais au Québec, notre différence linguistique et la force réelle de notre identité nous ont rendus moins craintifs à l’idée d’abaisser les frontières économiques. Déterminés à protéger et promouvoir notre langue et notre culture, nous avons pris la décision d’être des acteurs dynamiques sur le continent et de jouer la carte nord-américaine. Un consensus s’est donc développé, d’abord dans les cercles d’affaires et au sein du mouvement souverainiste, puis au Parti libéral qui était alors au pouvoir à Québec. En 1988, quand le premier ministre Brian Mulroney a déclenché une élection sur cette question, une majorité de Canadiens des autres provinces ont voté contre le Parti conservateur et son projet libre-échangiste, mais une bonne majorité de Québécois ont voté pour et ont ainsi fait pencher la balance.

[BOUC=19990517]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution devant le Conseil mexicain du commerce extérieur – 17 mai 1999]
Monsieur le Président du Conseil mexicain du Commerce extérieur, Distingués invités de la table d’honneur, Mesdames, Messieurs, [Buenos dias. Es un gran placer para mi estar aqui con todos ustedes.]
Je suis heureux de vous adresser la parole pour le lancement de la plus importante mission économique et institutionnelle réalisée par le Québec à ce jour au Mexique et en Amérique latine. Nous sommes touchés par votre accueil qui augure bien pour l’intensification de nos relations. Je sors tout juste d’un entretien avec le ministre du Commerce et du Développement industriel, grand responsable de l’industrie et du commerce extérieur du Mexique, Monsieur Herminio Blanco. Monsieur Blanco fut un des principaux artisans de l’ALENA et il doit en être félicité pour la part qu’il a prise dans ce très grand succès. Il est aussi un interlocuteur régulier du Québec. Monsieur le ministre, vous avez rencontré à plusieurs reprises ces dernières années, le vice-premier ministre et ministre d’État à l’Économie et aux Finances du Québec, Monsieur Bernard Landry, et vous avez reçu le ministre Guy Chevrette lors de la mission qu’il effectuait au Mexique en 1996. Nous avons une volonté commune de faire croître notre commerce et nos investissements, pour le plus grand bien de nos économies respectives.
J’aimerais par ailleurs féliciter le président du Conseil mexicain du Commerce extérieur pour la récente fusion du Conseil patronal mexicain pour les affaires internationales avec le Conseil national du commerce extérieur et le Groupement des organismes patronaux de commerce extérieur.
Chacun de ces trois organismes était important. L’organisation qui résulte de la fusion des trois est décidément imposante. Je vous remercie de nous associer au prestige de votre organisme et de permettre à vos membres d’échanger avec les gens d’affaires du Québec.

[BOUC=19990518]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution devant le Congrès de l’État de Mexico – 18 mai 1999]
Monsieur le Président de la Chambre des députés de l’État de Mexico, Monsieur le Délégué général du Québec au Mexique, Mesdames, Messieurs, [ Es para mi un gran placer de estar aqui, en el Palacio del Poder Legislativo del Estado de México.]
Je remercie chaleureusement le Congrès de son accueil. Je remercie particulièrement el Licenciado Ysidro Munos Rivera, président de la Chambre des députés de l’État de Mexico. Je le remercie de son invitation et de l’honneur qu’il nous a fait de nous recevoir dans la maison des citoyens de l’État de Mexico. Cette invitation représente également pour moi une occasion exceptionnelle de célébrer l’amitié qui lie depuis si longtemps l’État de Mexico et le Québec. Cette amitié a été entretenue par des relations d’affaires, culturelles et institutionnelles, notamment depuis la création, il y a vingt ans, de notre Délégation générale du Québec à Mexico.

[BOUC=19990531]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Journée nationale de la formation – 31 mai 1999]
Mesdames, Messieurs, L’an dernier, à peu près à pareille date, se tenait la première rencontre annuelle des partenaires du marché du travail. J’y avais alors été associé, et je remercie la Commission des partenaires d’avoir réitéré l’invitation cette année aussi. En fait, il me semble que nous sommes à instaurer une tradition que l’importance des sujets traités justifie amplement.
De même, à l’invitation de Monsieur Gérald Ponton, président de l’Association des manufacturiers et exportateurs du Québec, j’interviens aujourd’hui tout à la fois pour la clôture de la « Journée nationale de la formation » que pour l’ouverture de la rencontre annuelle des partenaires.

[BOUC=19990603]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Inauguration d’un bronze à la mémoire de René Lévesque – Québec – 3 juin 1999]
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les Ministres, Monsieur le Chef de l’opposition officielle, Mesdames et Messieurs les Députés, Monsieur le Président de la Commission de la capitale nationale, Madame Corinne Côté-Lévesque, Monsieur le Président du Fonds René-Lévesque, Distingués invités et chers amis, Rappeler la mémoire de monsieur René Lévesque c’est, comme on vient de l’entendre, évoquer une partie importante de l’histoire moderne du Québec et du cheminement des Québécois. Plusieurs d’entre nous se souviennent du René Lévesque à Point de mire devant son tableau noir, craie et baguette en main, nous faisant découvrir le monde et nous l’expliquant. Nous avons alors admiré la rigueur de ce grand journaliste et son sens peu commun de la communication. Même les sujets complexes nous devenaient accessibles. Comme on l’a déjà dit, en l’écoutant, nous nous sentions intelligents.
Puis, ce fut son entrée en politique dans l’équipe de monsieur Jean Lesage, « l’équipe du tonnerre », dont il était l’une des figures les plus flamboyantes. Il entrait dans cette deuxième carrière non par intérêt personnel, mais pour mieux défendre ses idées et promouvoir l’affirmation du peuple québécois. Certes, ses œuvres significatives, réalisées entre 1960 et 1966, ont marqué profondément le Québec. Mais René Lévesque, c’était beaucoup plus que cela. Il arracha les Québécois francophones à leur vieux complexe d’infériorité et, avec des mots du quotidien, leur donna un nouveau sens de la fierté. Leader charismatique, il réussissait à nous convaincre que les qualités qu’on lui reconnaissait, audace, imagination, force et détermination, nous les avions tous collectivement, pour peu que nous le voulions. Aussi fier du peuple québécois que nous l’étions de lui, il nous conviait à l’excellence et au dépassement. Monsieur Lévesque retrouva, en 1967, son tableau noir et sa craie et sillonna le Québec tout entier pour expliquer à ses concitoyennes et concitoyens la vision nationale qu’il leur proposait. Les Québécois devaient s’assumer comme peuple et prendre leurs affaires en main. Le lent déploiement de notre collectivité ne pouvait aboutir qu’à la plénitude de ses pouvoirs et de ses responsabilités, c’est-à [-]dire la souveraineté. Je retiens de ces années l’image d’un homme qui défend avec passion ses idées, mais toujours avec le plus grand respect pour son interlocuteur. Son authenticité, sa sincérité et ses qualités d’orateur convainquent de plus en plus de gens. Il rejoint le cœur de très nombreux Québécois qui se retrouvent dans ce qu’il exprime. Malgré les défaites personnelles de monsieur Lévesque, aux élections de 1970 et 1973, le Parti Québécois fait des gains. Grand démocrate, monsieur Lévesque avait dénoncé, dès son entrée en politique, les caisses occultes des partis politiques. Le Parti Québécois se donne donc, dès sa création, des règles de financement populaire qui seront à l’origine de cette grande réforme que pilotera monsieur Lévesque quelques années plus tard. Au cours de ces mêmes années, de congrès en congrès, le plus démocratiquement qu’un parti ne l’avait jamais fait, le Parti Québécois élabore son programme politique au vu et au su de l’ensemble des Québécois et définit l’option nationale qu’il leur propose. Il nous faut nous souvenir aussi du rôle de René Lévesque pendant ce qu’il est convenu d’appeler la crise d’Octobre. En cet automne 1970, on découvrit avec effroi combien il était facile, pour un petit groupe, de faire basculer un gouvernement dans la répression et une société dans la psychose. On assista à l’incarcération, sans acte d’accusation, de personnes innocentes. Aujourd’hui encore, on ne peut comprendre comment ont pu s’effondrer de la sorte les réflexes démocratiques de nos dirigeants politiques, à l’exception, entre autres, de René Lévesque, qui s’est tenu debout et a incarné dans la dignité les valeurs démocratiques du Québec. Puis arriva le 15 novembre 1976. René Lévesque, premier ministre, défend avec encore plus d’énergie l’idée très haute qu’il se fait du potentiel du Québec. Un nouveau dynamisme secoue notre société, qui se remet en mouvement. De grands projets se réalisent. Mentionnons l’adoption de la Charte de la langue française, la mise en place de l’assurance automobile, l’assainissement des mœurs électorales, la protection des terres agricoles, l’épargne-actions. Ce bouillonnement donnait la forte impression qu’on réalisait ce que René Lévesque n’avait cessé de nous répéter, et je cite, « qu’au Québec, on était capable de réaliser des choses au point de nous épater nous-mêmes ». Au milieu de cette joyeuse effervescence, se préparait aussi le référendum. Monsieur René Lévesque se faisait encore plus convaincant, confiant de pouvoir changer la peur en courage. Il multipliait ses présences dans les assemblées publiques et auprès des divers comités du OUI qui voyaient le jour dans les usines, dans les quartiers, dans les regroupements de professionnels ou d’artistes. Il incarnait plus que jamais son rêve d’un Québec maître de son destin et, pour une grande partie d’entre nous, l’espoir. Puis ce fut le 20 mai 1980. Pour plusieurs d’entre nous qui n’avions eu que les mots « espoir » et « fierté » à la bouche, c’était, le croyions-nous alors, la fin de quelque chose. C’était oublier que l’Histoire n’est jamais terminée, qu’une flambée peut suivre un abattement pour mieux renaître et que les états d’âme momentanés ne préjugent pas du destin d’un peuple. Mais ce soir là, qui vivait les instants en historien?
On a tous en mémoire cette image de René Lévesque, pathétique et minuscule devant un gigantesque fond de scène, assommé de douleur mais réussissant quand même à exprimer de l’espoir pour tout un peuple. N’entendons-nous pas encore son invitation « à la prochaine » et son appel « aidez-moi à entonner Gens du pays ». Les années qui suivirent lui furent cependant pénibles. Bien sûr, en avril 1981, son gouvernement était reporté au pouvoir. Toutefois, le premier ministre Lévesque était alors fort conscient que le refus du peuple québécois, l’année précédente, de lui accorder le mandat de négocier, qu’il avait sollicité avec tant d’ardeur, rendait le Québec vulnérable face aux ambitions du gouvernement fédéral. Il ne s’y trompait pas. L’offensive postréférendaire ne tarda pas, et son dénouement, le rapatriement unilatéral de la Constitution, après l’abandon de ses alliés des autres provinces, le laissa meurtri. Mais la vie continuait, et René Lévesque devait toujours tenir la barre au Québec. En 1981, le Québec traversait une dure récession, et les finances publiques en étaient naturellement fort affectées. C’est dans ce contexte difficile que devaient se dérouler les négociations dans le secteur public. Comme négociateur en chef du gouvernement, j’ai alors souvent eu l’occasion de rencontrer monsieur Lévesque. Il n’hésita pas à prendre les moyens nécessaires pour littéralement sauver les finances publiques. En raison de sa pudeur et de sa discrétion naturelles, peu de gens savent à quel point il fut blessé par les attaques personnelles dont il fut alors l’objet. La fin du mandat fut difficile pour René Lévesque, et c’est un homme fatigué qui se retira de la vie publique en 1985. J’ai eu le plaisir de revoir monsieur Lévesque quelques mois plus tard. Il récupérait rapidement et avait en tête, outre d’écrire ses mémoires, une foule d’autres projets. Je ne pouvais à ce moment imaginer, comme vous tous sans doute, qu’il nous quitterait aussi vite. Je voudrais souligner aujourd’hui un des héritages les plus importants que nous a laissés René Lévesque : il a fait découvrir aux Québécois le droit inaliénable de décider eux-mêmes de leur destin, droit que reconnaissent d’ailleurs tous les partis politiques du Québec. Je ne doute pas que ce lieu que nous inaugurons aujourd’hui sera fréquenté par des Québécoises et des Québécois de toutes les régions du Québec qui ne pourront s’empêcher de dire « Merci monsieur Lévesque…, je me souviens ».

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Hommage organisé par les Éditeurs de livres – Québec – 4 juin 1999]
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mesdames, Messieurs, Amis des livres et de l’édition, Vous, qui connaissez ma passion pour la chose écrite, comprendrez que je suis touché par un hommage provenant de gens qui font le noble métier de sélectionner, éditer, corriger, fabriquer, publiciser les livres. Vous êtes des accoucheurs de culture, de textes transmettant des savoirs, des connaissances, de la sagesse, du rêve, de l’imaginaire. Souvent, tout cela en même temps.
Je l’ai déjà dit, le livre et la lecture, pour moi, ne sont pas des dossiers parmi d’autres. J’ai grandi avec les livres. Parmi les mots que j’utiliserais volontiers pour me définir, le mot «lecteur » figurerait en bonne place. Et aujourd’hui que j’ai la responsabilité de l’éducation de deux garçons, je vois combien il est essentiel de tout mettre en œuvre pour leur transmettre le goût des livres et de la lecture. Pour que l’héritage des textes fasse partie de leur vie et de celle de tous les Québécois, jeunes et moins jeunes.
C’est après tout une question d’équité; une démocratisation de la culture, essentielle à la saine progression de notre société et à son dynamisme. Surtout dans une économie comme la nôtre, où le savoir, les connaissances et l’information constituent des carburants indispensables de la création de la richesse.

Évidemment, on ne lit pas d’abord pour s’enrichir, et je sais que vous n’avez pas choisi l’édition pour devenir des barons d’industrie! De toutes façons, la passion de l’éditeur se nourrit d’abord de celle du lecteur. On lit d’abord pour le plaisir. Plaisir qu’il faut cultiver et que les institutions et la société tout entière doivent valoriser. Mais on doit aujourd’hui être minimalement conscient de la nouvelle importance disons… économique de la lecture.
La lecture est un trésor culturel facilement comparable à une belle amitié. Marcel Proust l’a bien dit, parlant des livres : « Ces amis là, écrivait-il, si nous passons nos soirées avec eux, c’est vraiment que nous en avons envie. Eux, du moins, nous ne les quittons souvent qu’à regret et, quand nous les avons quittés, aucune de ces pensées qui gâtent l’amitié. Qu’ont-ils pensé de nous? N’avons-nous pas manqué de tact? Avons-nous plu? ne viennent nous hanter. »
Amitié. J’évoquerais aussi le voyage. « Un livre est un monde, rappelle Réjean Ducharme, un monde fait, un monde avec un commencement et une fin. Chaque page d’un livre est une ville. Chaque ligne est une rue. Chaque mot est une demeure. » Un monde étranger, qui nous donne pourtant un accès intérieur, qui nous aide à nous comprendre et à nous interroger davantage. C’est Marcel Proust, encore, qui le dit si bien : « Tant que la lecture est pour nous l’initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. » Je pourrais ainsi continuer pendant longtemps à faire l’éloge de la lecture et des livres. Je m’arrête pourtant, puisque je tiens à parler des 18 derniers mois, au Québec, qui ont été fructueux pour cette « amitié », cette « invitation au voyage » que sont le livre et la lecture. Et je crois que l’on peut se féliciter mutuellement pour les avancées que nous avons faites, puisque les différents événements que je vais évoquer ont été le fruit de collaboration, de délibérations civilisées, d’efforts communs.
D’abord, il y a eu ce qui fut le premier grand sommet de l’histoire du Québec sur une question culturelle : le Sommet du livre et de la lecture en avril 1998. L’organisation par le ministère de la Culture et des Communications, grâce entre autres à la détermination d’une femme de culture, Louise Beaudoin, et la participation intense des représentants de tous les maillons de la chaîne du livre en ont fait un succès.
Les membres de l’ANEL y sont venus nombreux, et leurs contributions ont été déterminantes. En ce qui me concerne, y prendre part constituait un impératif démocratique et s’avéra une grande source de satisfaction. Mon gouvernement avait tenu un Sommet sur l’emploi, fondement économique de notre société. Il était logique que nous fassions de même pour les fondements culturels que sont le livre et la lecture. Au Sommet, nous avons discuté de mesures et de programmes qui ont traduit concrètement le statut de priorité nationale accordé à la lecture et au livre. Nos engagements fermes interpellaient plusieurs ministères : Famille et Enfance, Santé et Services sociaux et, évidemment, Éducation, Culture et Communications.
Nous avons lancé des réflexions, fixé des objectifs, adopté des plans d’action. Le tout constitue une Politique de la lecture et du livre aujourd’hui célébrée qui, en un an, a été mise en œuvre pour l’essentiel, et dont Agnès Maltais poursuit la réalisation. Nous avons tenté d’agir sur tous les maillons de la chaîne du livre, de l’auteur à l’éditeur, au distributeur, au libraire, aux lecteurs et lectrices. Premièrement, nous travaillons pour que la découverte et le développement de la lecture se fassent le plus tôt possible, dans les pratiques familiales, dans les services de garde, dans les centres de la petite enfance, et qu’ils se maintiennent à l’école primaire et secondaire. Pour ce faire, nous avons entre autres accru les budgets d’acquisition dans les écoles et dans les bibliothèques publiques.
À la clôture du Sommet, j’avais le bonheur d’annoncer que le gouvernement augmentait d’environ 40 % les sommes allouées à l’achat de livres et d’autres supports pour les bibliothèques. (Un bonheur plutôt rare, dans cette période pré-déficit zéro!) Le nombre de livres acquis passera de 840000 cette année à 1200000 l’an prochain. J’insiste sur le souci particulier que nous avons de faire en sorte que la littérature québécoise occupe une place de choix dans les acquisitions de livres effectuées par les bibliothèques publiques. Pour les bibliothèques scolaires, nous avons doublé pour trois ans, à près de 7000000 $ par an, les sommes allouées à l’acquisition de livres. Dans le cadre du discours sur le Budget et du prolongement de la Politique de la lecture et du livre, une somme additionnelle de 10000000 $
a été accordée aux établissements scolaires du primaire et du secondaire pour qu’ils disposent d’un nombre accru de livres de qualité.
Comme soutien à la réforme scolaire, une autre somme de 20000000 $ est allouée cette année au ministère de l’Éducation afin que les établissements scolaires puissent augmenter rapidement leurs achats de livres de référence.
Un investissement de près de 4000000 $ a été fait dans le Programme de soutien aux projets d’informatisation en matière de bibliothèques publiques. Ainsi, 45 bibliothèques autonomes et un nombre important de bibliothèques de petites localités complètent leur informatisation et sont mises en réseau. Ensuite, l’an dernier, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité la loi créant la Grande bibliothèque du Québec. Elle apportera, dès le tournant du prochain siècle, plusieurs solutions à des problèmes criants dans la grande région de Montréal et dans le Québec tout entier. Avant même que le déficit zéro ne soit atteint, nous avons décidé de créer cette grande institution culturelle et d’y affecter un budget substantiel, à l’heure où les choix budgétaires sont parfois déchirants et où chaque sou compte. C’est, je crois, une autre preuve concrète que le livre et la lecture sont, pour notre gouvernement, des priorités nationales. Enfin, comment passer sous silence le formidable événement de mars dernier, le Salon du livre de Paris, que j’ai eu l’honneur d’inaugurer avec le président Chirac.
En une semaine, on a autant – sinon plus – parlé du Québec en France que lors de la visite du général de Gaulle chez nous en 1967. À l’époque, un Québec en plein cœur d’un processus de modernisation accéléré accueillait à l’Expo la diversité du monde. Depuis quelque temps – et le Printemps du Québec à Paris en est un exemple inédit -, c’est le Québec qui a pris le large. C’est lui qu’on reçoit partout avec une curiosité renouvelée devant sa modernité singulière.
C’est lui qui va faire valoir sa diversité nouvelle et riche à l’étranger. Ce fut, dans les derniers mois, Paris, Barcelone, Rome, Buenos Aires, Mexico, New York. Il est vrai, comme le dit Vigneault, que « Mon pays, c’est l’hiver ». Mais c’est de plus en plus une suite de « Printemps » qui braquent les projecteurs sur une petite nation qui a donné au monde tant le Cirque du Soleil que Céline Dion; tant Léonard Cohen que la Courte échelle et Robert Lepage.
Je me réjouis de la place qu’occupe le livre dans cette formidable ouverture au monde. C’est, pour revenir à la France, grâce au livre si la presse française a consacré plus de 200 pages de textes sur le Québec ce printemps. Des retombées exceptionnelles s’annoncent. Certaines étaient imprévues. Voyons le regain d’intérêt, ici même au Québec, pour plusieurs auteurs québécois que la France vient de découvrir : je pense à Gaëtan Soucy, Dany Laferrière, Robert Lalonde. Comme si, en s’ouvrant au monde, on s’ouvrait davantage à nous-mêmes.
Au reste, il faut qu’il y ait des suites au salon de Paris. Vous, Monsieur le Président, vous vous êtes montré le fervent défenseur de cette urgence d’agir, appelant de vos vœux la création rapide d’une représentation du livre en France. L’idée est séduisante. Le principe de ne pas attendre que la poussière retombe, de battre le fer quand il est chaud en France est acquis. Quelle forme exacte prendra la représentation que vous souhaitez; quel organisme déploiera les efforts que vous réclamez? Faisons en sorte que les réflexions des groupes qui travaillent sur la question aboutissent au plus vite. Car vous avez raison, il y a urgence. Cher Pascal Assathiany, votre participation active dans l’organisation du Printemps a fait des vagues, vous a attiré à la fois critiques et louanges, mais nul ne niera combien elle fut efficace. Je compatis, Monsieur le Président, car cette position, je la connais bien! L’industrie du livre et les éditeurs en particulier participent non seulement au rayonnement international du Québec, à son développement culturel, mais aussi à son développement économique. On le disait tout à l’heure, les éditeurs emploient directement près de 2000 personnes. L’édition étend naturellement son activité à des domaines connexes, dont le multimédia. Jacques Fortin, de Québec-Amérique, annonçait hier un investissement de 15000000 $ et la création de 150 emplois additionnels. Tout cela est de bon augure pour le livre et pour le Québec.
En terminant, donc, je vous remercie pour cette belle invitation que vous m’avez faite. Cela m’a permis d’expliciter et d’illustrer ce nouvel accent – d’Amérique – que nous mettons, au gouvernement du Québec, sur la culture en général et sur le livre en particulier.
Petite nation aux portes de l’empire, à l’identité culturelle forte et fière, nous croyons que nous avons tout avantage à affirmer notre différence et notre créativité. Nous sommes au carrefour de plusieurs cultures, nous connaissons la valeur et le prix de la promotion et de la diversité culturelles. Si nous avons quelque chose à dire au monde, c’est bien cela. Laissez-moi donc terminer par cette formule éclatante, inventée et reprise un peu partout dans les journaux français lors du Salon du Livre de Paris : « Vive le Québec Livre! »

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Journée de réflexion sur la souveraineté – 5 juin 1999]
Chères militantes, chers militants, Ce matin, Bernard Landry vient d’en faire état, nous avons fait un tour d’horizon des préparatifs, en cours et à venir, pour la souveraineté du Québec. Dans moins d’un an, le congrès de notre parti sera un moment clé dans ce parcours vers la souveraineté. Cet automne, les congrès locaux puis régionaux doivent servir à nous préparer pour ce congrès, mais aussi à mobiliser autour de nous, à convaincre nos concitoyennes et nos concitoyens de la nécessité de la souveraineté.
Ce travail, il commence avec nous, dans cette salle. Le Parti Québécois, ses militants, sont aux premières lignes de ce combat. Nous constituons en quelque sorte le premier cercle autour duquel, ensuite, s’ordonne la grande coalition souverainiste.
Cela nous impose un devoir : celui d’être contagieux. Dans l’année qui vient, nous devrons faire la démonstration de cette capacité d’être contagieux. La campagne de financement en cours va déboucher bientôt sur sa deuxième phase, le financement du Fonds de la souveraineté. Ce financement doit être lui aussi un grand succès car il doit nous donner les moyens de mieux disséminer nos idées. La campagne doit se doubler aussi d’un effort accru pour le renouvellement et le recrutement de membres. Et on nous indiquait au caucus de mardi dernier que des associations de comté, qui font le tour des sympathisants pointés lors de la dernière campagne électorale pour les inviter à devenir membres, obtiennent un taux de réponses positives inégalé. L’équation est simple : plus nous sommes nombreux, plus nous sommes contagieux.
Mais alors que nous devons faire, par notre financement, par notre action, par un nouvel effort d’animation politique, la démonstration de notre dynamisme, nos adversaires ont décidé d’ouvrir un nouveau front. Ils ont décidé de faire le procès du modèle québécois. Qu’est-ce que ça veut dire? Et j’aimerais vous en parler un peu aujourd’hui d’autant plus que l’affaire a été évoquée ce matin durant les échanges. D’abord pour dire que nous sommes d’accord avec tous ceux qui pensent, écrivent et disent qu’il faut moderniser ce qu’on appelle le modèle québécois. Nous sommes d’autant plus d’accord que c’est ce que nous avons fait, sans relâche, depuis notre élection de 1994. D’autant plus d’accord que nous comptons, au cours des années qui viennent, continuer de moderniser notre modèle, de l’adapter aux nouvelles réalités locales et mondiales, de le rendre plus performant. Et, dans ce labeur essentiel, nous sommes ouverts bien sûr à toutes les suggestions qui seraient constructives. Samedi dernier, cependant, Monsieur Charest s’est improvisé chef d’orchestre du concert anti-modèle québécois et il a décidé d’en faire le grand thème de l’action de son parti. Je me suis dit : « C’est bizarre, il me semble qu’on a déjà entendu cette ritournelle, quelque part. » J’ai le vague souvenir que, l’automne dernier, il y a eu une campagne électorale que Monsieur Charest a voulu faire précisément sur ce thème. Et j’ai le vague souvenir qu’il a dû changer de programme en plein milieu de campagne tellement ses promesses de rupture avec le modèle québécois étaient rejetées par les femmes et les hommes du Québec.
Il ne faut pas être dupe. Monsieur Charest ne ramène pas ce refrain pour préparer son élection, il le ramène pour préparer le référendum. Lui et ses amis fédéralistes se disent : si on peut susciter suffisamment de doute sur le modèle québécois, si on peut l’égratigner, le rapetisser, le noircir, cela aura un impact direct sur le vote souverainiste. Si les fédéralistes peuvent convaincre les Québécois d’avoir honte de leur modèle, c’est certain qu’ils ne voudront pas se donner tout un État. On se rend bien compte qu’il y a derrière cette offensive une volonté politique. Celle de faire reculer l’idée que les Québécois forment un peuple distinct, original, qui a le droit à la différence. En s’attaquant à ce qui nous distingue, en posant la prémisse que ce qui est différent est mauvais nécessairement, il prépare le terrain du grand moule de l’uniformité canadienne. Il avance les pions du Québec province comme les autres. Il fait le travail des tenants de l’union sociale et du rouleau compresseur canadien. Plusieurs d’entre vous l’ont esquissé durant la discussion de ce matin. La raison pour laquelle il y a, ici, un modèle, elle est bien simple. C’est parce qu’il y a, ici, un peuple francophone. C’est parce que notre identité, forgée par l’histoire et la culture, n’est pas la même que chez nos voisins. C’est parce que, sans être meilleurs ou pires, nous faisons les choses différemment, justement parce que nous sommes différents. La bataille enclenchée contre le modèle québécois, c’est une bataille contre l’identité québécoise. Une offensive pour nous convaincre de dissoudre notre identité dans le grand bain canadien. Pourquoi pensez-vous que le Canada a toujours refusé d’inscrire dans ses lois fondamentales l’existence du peuple québécois? Pourquoi pensez-vous qu’avec la Constitution de 1982, puis l’Union sociale, Ottawa cherche à imposer des programmes mur à mur, d’un océan à l’autre? C’est pour limer nos différences, affaiblir ce qui nous distingue, vider de son sens notre identité et notre originalité. Le combat de la souveraineté lui-même ne se comprend et ne se conçoit que sur le socle de l’identité québécoise. Notre programme souverainiste peut être ou ne pas être enrichi d’un projet de société, de calculs savants sur les profits et les pertes, l’actif et le passif. Mais au fond, c’est essentiellement une question d’identité. Voulons-nous être maîtres chez nous, ou minoritaires dans le pays de nos voisins? Toute la question est là. Elle se pose avec une acuité qui grandit, de décennie en décennie, alors que notre poids démographique et politique s’amenuise dans un pays qui ne nous écoute déjà plus et qui ne nous entend déjà plus. Les fédéralistes savent très bien que le ressort essentiel du combat québécois, c’est l’identité québécoise. Ils s’attaquent donc à sa manifestation concrète, quotidienne : le modèle québécois. Et ils font des listes de tout ce qui, selon eux, va mal au Québec. Et ils disent que le Québec est le pire de ceci, le dernier de cela. C’est réellement un « hit parade », parce que ça frappe, justement. Et ce qui est étrange, c’est que pas une once d’énergie n’est dépensée à s’interroger sur le modèle canadien. Pourquoi le fardeau fiscal fédéral est-il tellement plus élevé que celui des États-Unis? Nous, au Québec, nous nous sommes engagés à réduire nos impôts, mais pas le gouvernement fédéral, qui pourtant nage dans les surplus. Ça n’intéresse pas Monsieur Charest. Pourquoi y a-t-il plus de dépenses publiques à Ottawa qu’à Washington? Pourquoi y a-t-il un ministère de la Santé à Ottawa alors que la médecine et les hôpitaux sont de la compétence des provinces? Le modèle canadien est à l’abri de la critique. C’est louche. Mes amis, nos adversaires ont choisi un bien mauvais moment pour critiquer le modèle québécois. Un bien mauvais moment. Car il est en train de donner ses meilleurs fruits. Nous ne le dirons jamais assez : l’économie du Québec a pris un retard considérable sur ses voisins au cours de la décennie. Pendant que nos voisins réduisaient leur déficit, les libéraux au pouvoir à Québec battaient des records de déficit. Lorsque nous avons pris le pouvoir, nous avons dû corriger cette erreur. Pendant que nous réduisions notre déficit, nos voisins – plus avancés ou moins endettés que nous – ont commencé à réduire leur fardeau fiscal. Mais c’est ce que nous sommes maintenant en train de faire. Le problème de l’économie québécoise dans les années 90, ce n’est pas le modèle québécois, c’est que le Québec a eu le malheur d’avoir un gouvernement libéral. Comme le disait Bernard plus tôt cette semaine à l’Assemblée nationale, on a beau avoir le plus beau modèle de voiture, si on en confie la conduite à un chauffard, on va la retrouver dans le fossé.
Mais malgré ce handicap, et grâce à notre action, nous sommes en train d’effectuer un remarquable rattrapage. Et, pour rattraper, il faut faire mieux que nos voisins. Le critère final et absolu dans ce domaine, c’est la croissance économique. L’an dernier, au Québec, pour la première fois depuis dix ans, elle était presque identique à celle du Canada tout entier. Cette année et l’an prochain, selon le Mouvement Desjardins ou la Banque CIBC, la croissance du Québec sera égale ou supérieure à celle du Canada, une première en treize ans. Selon Desjardins, depuis le début de l’année actuelle, l’économie québécoise performe mieux que celle du Canada en son entier. Ce sont des données brutes. Si on tient compte de la démographie, si on calcule la croissance par habitant, donc l’enrichissement réel des Québécoises et des Québécois, la croissance québécoise dépasse alors, pour toutes ces années, la croissance canadienne. Le modèle québécois performe mieux que le modèle canadien. Et les signes précurseurs de la croissance sont tous au rendez-vous. Les investissements privés ont augmenté plus rapidement au Québec que dans le reste du Canada en 1996, quatre fois plus rapidement en 1998, et continuent d’excéder très largement le Canada cette année. Selon Desjardins, ce sera la même chose l’an prochain. C’est la première fois en près de dix ans qu’on constate un tel phénomène. La confiance des consommateurs québécois, depuis le début de l’année, est supérieure à celle des Canadiens anglais. Ainsi, pour la première fois en dix ans, les PME du Québec sont plus optimistes pour leur avenir économique que leurs collègues du Canada anglais. Les prévisions des entreprises québécoises, petites et grandes, quant à leurs ventes, sont plus optimistes que celles des entreprises canadiennes. Même le Globe and Mail, qui félicitait l’an dernier Jean Charest de vouloir démanteler Québec inc., a dû admettre dans ses deux derniers relevés que le Québec figurait premier ou troisième parmi toutes les provinces pour sa progression économique. On nous dit : « Oui, mais le chômage? » Il y a plus de chômage au Québec qu’au Canada. C’est vrai. On nous dit : « C’est la faute de l’État providence des années 60. » Ça c’est bizarre, parce qu’il y avait plus de chômage au Québec qu’au Canada dans le temps de Duplessis. Je ne pense pas qu’on doive blâmer Jean Lesage pour le chômage des années 50. Cela dit, toute notre action est ciblée sur une réduction du chômage, notamment depuis le Sommet sur l’économie et l’emploi de Montréal. Et depuis le Sommet, le chômage au Canada anglais a reculé de 1,6 %, ce qui est très bien. Au Québec, il a reculé de 2,7%, ce qui est encore mieux. En termes de proportion d’emplois créés au Québec par rapport à la moyenne canadienne, notre dernier mandat a été le meilleur des 15 dernières années. L’an dernier, meilleure création d’emplois chez les jeunes des 25 dernières années. Depuis janvier, le taux d’emploi est à son plus haut niveau en dix ans. Alors vous pouvez constater comme moi que ça va très mal – pour ceux qui veulent démanteler le modèle québécois. Tous les indices le démontrent, maintenant que nous sommes sortis du bourbier dans lequel les libéraux nous avaient enfoncés, nous sommes en voie de rattrapage accéléré. Alors on nous dit : oui, mais il faut se débarrasser des instruments de la Révolution tranquille. Lesquels? La SGF, bien sûr, la bête noire de Jean Charest. Mais c’est bizarre, parce que l’an dernier, l’argent investi par les Québécois dans la SGF nous a valu un rendement de 8 %, en plus d’investissements de près de 400000000 $ et de la création de 4 200 emplois. De quelque côté qu’on l’observe, c’est une excellente affaire. Hydro-Québec. Jean Charest dit qu’on pourrait peut-être en privatiser un petit bout. Au fond c’est une société d’État qui offre aux Québécois et aux entreprises les tarifs d’électricité parmi les plus bas en Amérique du Nord et dans le monde, ce qui donne un avantage comparatif à nos industries et à notre coût de vie. Il s’agit d’une société d’État qui a gelé ses tarifs pour les trois prochaines années. Il s’agit d’une société d’État qui prévoit verser dans les coffres de l’État près de 1000000000 $ par année au cours de la prochaine décennie, ce qui nous permettra, au choix, de baisser les impôts ou de financer des programmes sociaux, et les deux probablement. Pour Monsieur Charest, c’est évident qu’il faut songer à s’en débarrasser. Pas pour nous. La Caisse de dépôt. Là, silence. Ce serait mal vu de proposer de s’en départir, puisqu’Ottawa, avec 40 ans de retard, vient de décider d’en fonder une. Investissement-Québec, l’outil que nous venons de nous donner pour attirer les investisseurs étrangers au Québec, voilà une bonne cible pour les démanteleurs du modèle québécois. Je pense que Monsieur Charest a dû résilier son abonnement au magazine Site Selectors. C’est le magazine de la plus importante association internationale qui conseille les investisseurs sur les choix de localisation de leurs entreprises. Dans son numéro du mois dernier, le magazine a classé Investissement-Québec parmi les dix meilleures agences de développement économique en Amérique. Alors, Monsieur Charest, je pense qu’on va le garder, Investissement-Québec. On ne peut pas jeter un coup d’oeil sur ces résultats, et sur ce qui se prépare en termes de croissance économique, sans nous rappeler qu’il y a à la barre des finances et de l’économie du Québec un homme formidable qui s’appelle Bernard Landry. Le modèle québécois, c’est aussi l’importance qu’on a accordé ces dernières années à la recherche et au développement. On y a beaucoup investi. Avec quel résultat? Un détail : notre peuple de 7000000 de personnes fait maintenant partie des dix premières nations au monde, il y en a des centaines, en aéronautique, en matériel roulant, en pharmaceutique, en biotechnologie, en ingénierie, en technologies de l’information, en multimédia. Monsieur Charest, on va continuer. Je vais vous dire une chose, le Québec prend une place démesurée par rapport à son importance démographique dans le domaine du combat pour la diversité culturelle et dans le domaine des exportations. Je peux vous dire qu’un des grands plaisirs de ma fonction, c’est de me lever devant des aéropages de décideurs économiques, sociaux et culturels dans tous les pays où nous allons – et nous voyageons pas mal, comme vous le savez -, et je suis toujours très très fier, entouré de gens du Québec qui sont avec moi, des décideurs qui ne sont pas toujours des souverainistes, mais je suis très fier quand on se lève tous debout et qu’on explique le Québec d’aujourd’hui. On rappelle à ces gens là ce qu’on est en train de faire au Québec, qu’on est le 10e dans tous ces domaines dans le monde que je viens de mentionner, même au point de vue de l’aérospatial, le sixième. J’ai des statistiques que je reprends, que je raffine continuellement, que j’ajuste avec les résultats que nous obtenons. Le Québec est en train d’être perçu pour ce qu’il est de plus en plus : une société moderne, un peuple dynamique, des gens qui savent où ils vont et qui seront des partenaires très positifs et très fructueux pour tous ceux avec qui ils feront des affaires dans l’avenir. Des gens ouverts sur le monde aussi. Vous savez, on rencontre des groupes d’éditorialistes de tous les grands journaux du monde, où qu’on aille dans le monde, on s’assoit avec eux pendant une heure, une heure et demie, on répond à leurs questions, et on sait très bien – et je le sens très bien – que souvent il y en a d’autres qui sont passés avant nous. Il s’agit de voir les questions en particulier. Quand je leur explique, par exemple, qu’au-delà de 55 % de ce que nous produisons au Québec est exporté en dehors de nos frontières, les gens ouvrent les yeux. Quand je leur donne des statistiques, on a mis au point un document de présentation audiovisuel remarquable, j’aimerais avoir la chance un jour de vous le présenter ce document là, ça prend environ une demi-heure, je vous le dis, on a mis un logiciel au point qui fait en sorte que, par exemple, j’énumère ce que l’on fait et, en même temps que je parle, il y a des tableaux très dynamiques qui me suivent et qui expliquent. Je vous assure, pour les gens ça leur paraît seulement 10 minutes, même si ç’est un peu long parfois, même si ça pourrait être aride autrement, et ça fait pas loin de 8 à 10 fois qu’on le fait, puis je vous assure qu’on est en train de redresser l’image du Québec uniquement en transposant la réalité du Québec. Alors il faut continuer de le faire, il faut le faire dans l’économie, dans la technologie, dans le domaine social. Quand j’explique ce qu’on a fait, par exemple en termes de dosage, de redressement de l’économie, des finances publiques, en même temps que nous avons progressé socialement, je leur explique la politique familiale, je leur explique le fonds de lutte contre la pauvreté, je leur explique l’engagement de l’appauvrissement zéro, vous savez les gens ouvrent les yeux et découvrent des gens qui seront des partenaires pour l’avenir. Pas une société qui est fermée, au contraire, des gens ouverts. Aujourd’hui, tous sont devenus des grands chantres du libre-échange, à commencer par Jean Chrétien et des fédéraux qui l’entourent, des diplomates canadiens qui se promènent partout puis vantent les vertus du libre-échange, et moi je vous rappelle, quand on me pose des questions, et je ne cours pas après ces affaires là, je rappelle que le Québec a été celui qui a imposé le libre-échange au Canada. Que Jean Chrétien et les libéraux se sont battus terriblement contre nous autres là-dessus. Ça je le rappelle. Je vous le dis honnêtement, si vous saviez à quel point je reviens de là avec une grande fierté d’être Québécois. Parce que la fierté qu’on éprouve d’être Québécois, maintenant on la voit de plus en plus s’allumer dans les yeux des gens qui nous écoutent à l’étranger quand on leur explique ce que l’on est et ce que l’on veut faire. Je vous assure que les paranoïas de la souveraineté, on ne les retrouve pas. Ils se posent des questions par curiosité, par intérêt, les gens veulent savoir ce que cela veut dire pour eux. On leur explique que nous sommes démocratiques, qu’on fait ça avec des référendums où 94 % des gens vont voter et que c’est pacifique, qu’on a eu justement un référendum de 94 % de participation où il n’y a eu aucun incident de violence. Il ne faut pas se laisser décourager – Louise a raison – par les entraves que le fédéral nous jette dans les pattes. C’est parfois difficile, ça fait de la peine aussi. Parfois on a de la peine de se retrouver à l’étranger puis de voir que nos concitoyens et concitoyennes à qui nous payons des impôts ne travaillent pas pour nous. L’incident du Mexique, je vous assure, j’ai trouvé ça – je dis le mot – mesquin. Les gens qui sont ici du gouvernement le savent, on aurait pas réagi aussi vigoureusement si le refus de transmettre l’invitation ne s’était pas accompagné d’une lettre formelle du sous-ministre en titre des Affaires extérieures à Ottawa au ministère des Affaires internationales du Québec pour l’informer que la politique du gouvernement fédéral était et serait de ne transmettre aucune invitation, aucune demande d’entrevue du premier ministre du Québec avec le chef d’État du Mexique. Quand on prépare ces réunions et qu’on part avec 200 personnes, qu’on veut aller faire des affaires, on ne veut pas aller faire des controverses et on fait attention de ne pas embarrasser les gens. Et normalement, on n’aurait pas réagi publiquement. Mais quand on a vu cette lettre, on a vu qu’il y avait là l’affirmation d’une politique irréductible d’Ottawa, qu’on créait un précédent, qu’on nous enfermerait dans ce précédent pour l’avenir, on ne pouvait pas ne pas réagir. Nous l’avons fait et j’en suis très content, et vous avez vu, avec l’appui de l’opinion publique, non pas seulement au Québec mais ailleurs et en particulier au Mexique. Quant à la culture, la culture au Québec, elle n’est pas « arrêtable ». Ils ont beau se mettre pas mal de diplomates à Ottawa, ils ont beau faire des comités aux Affaires extérieures, ils n’empêcheront pas la culture du Québec d’éclater partout, tellement elle est vivante, tellement elle est omniprésente. Je vous rappelle que les Américains aiment bien les chiffres qui parlent, et actuellement il y a à Las Vegas le nouveau spectacle « O » du Cirque du Soleil. Ils ont construit un théâtre permanent de 10000000 $ juste pour eux. Et puis il avait ce magazine américain, Variety, qui recensait les grands spectacles dans le monde et, consultant les résultats obtenus par le spectacle du Cirque du Soleil à Las Vegas, disait que c’est le spectacle qui a remporté les plus grosses recettes actuellement dans le monde des spectacles de ce genre. Quand j’y vais, je rencontre les fondateurs, et en particulier ce monsieur qui s’est présenté devant René Lévesque il y a de cela maintenant 25 ans et qui s’était vu refuser sa subvention. Monsieur Latourelle s’était vu refuser une subvention, il avait rempli des formules et avait soumis ça dans la machine, et ça avait été non. C’était un gars de Baie-St-Paul qui avait une queue de cheval. Autrement dit, c’était un gars un peu « flyé ». Il s’est rappelé qu’il y avait un gars un peu flyé, premier ministre du Québec à l’époque. Il est allé voir monsieur Lévesque et ils se sont reconnus tous les deux tout de suite et monsieur Lévesque a dit oui. Il a dit oui à une pas si grosse subvention – 10000 $ -, imaginez. C’est un cas et, vous le savez, il y en a d’autres, vous le savez, dans le cinéma, dans la littérature, dans le spectacle, la chanson, la musique contemporaine où on est très présents. Ce petit groupe musical à Montréal qui vivotte, que j’ai rencontré il y a quelques jours, mais qui est très présent dans le monde et qui est reconnu comme meilleur orchestre du genre dans le monde. Et ça c’est partout, le théâtre à Montréal c’est extraordinaire. Je suis allé voir, il y a deux semaines, La mort du commis voyageur avec la troupe Jean-Duceppe, Michel Dumont et les autres. Je pense qu’il n’y a pas d’acteurs américains qui peuvent jouer aussi bien une pièce si essentiellement américaine, parce qu’ils y mettent une passion qui n’est pas nord-américaine mais qui est québécoise et qui se marie tellement bien, je n’ai jamais vu cette pièce là aussi bien jouée – parce comme je suis un gars de Jonquière et que ce sont mes références et que je connais plein de commis voyageurs à Jonquière de ce même genre là, je ne peux pas les nommer mais j’en connaît plusieurs. On est Nord-Américains, les gens se rendent bien compte maintenant – et nous aussi on s’en rend compte – qu’on est des Nord-Américains, qu’on n’est pas des Européens, qu’on n’est pas des Français, et puis qu’on est de plus en plus fiers de s’affirmer tels que l’on est avec nos amis Français avec lesquels on partage la grande culture de la langue française et en même temps des Nord-Américains, on a fait un mélange de nous autres qui est très réussi. Il y a un métissage ici qui marche très fort et il y a un bouillonnement d’idées, et maintenant notre défi, ce qu’on réussit au plan économique, ce qu’on réussit au plan de l’exportation, ce que l’on réussit au plan de la culture, il faut que ça se transpose sur le plan politique. C’est ça qu’il faut faire maintenant. Tantôt je vous ai dit que j’aimais ça faire des discours pour réciter les statistiques de nos succès économiques, et je sais que Bernard aime beaucoup faire la même chose, Pauline aime faire ce genre de discours là, Jacques Brassard, Jacques Léonard, aiment tous cela. Mais on a hâte de faire des discours référendaires. Je peux vous le dire. On a hâte de parler de ce que c’est le Québec, de là où il doit aller et de la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’aller au bout de nous-mêmes. Ç’est ça la question qu’il faut résoudre. Il faut que les Québécoises et les Québécois soient convaincus, dans les plus brefs délais qu’il soit possible, d’aller au bout d’eux-mêmes. Parce qu’on est capables d’aller très loin, d’aller aussi loin, on le voit, pourquoi on ne serait pas capables de gérer nos propres affaires. Il faudra rappeler constamment à nos amis, à nos concitoyens et concitoyennes, qu’il n’y a aucune raison justifiable pour laquelle il faut envoyer 30000000000 $ d’impôts par année à Ottawa pour se faire gérer par d’autres, je ne dirais pas forcément contre nous, je ne dirais pas de façon maléfique, mais qui les gèrent en fonction de leurs propres intérêts à partir d’un Parlement où on est une minorité. Alors c’est très important que nous puissions rapidement entreprendre ce grand débat où nous nous placerons en face de nous-mêmes, nous nous parlerons entre nous, et où chacun et chacune se parlera à soi-même. Moi j’ai bien hâte, j’aime ça parler du déficit, sauf que lorsqu’on a réussi, il faut passer à autre chose. Nous avons des étapes à franchir du côté de la réduction du fardeau fiscal, et je suis convaincu qu’il faut y mettre la même détermination que nous avons mise à l’élimination du déficit. On ne peut pas continuer d’avoir le même fardeau fiscal, ce n’est pas bon pour les jeunes, ce n’est pas bon pour les autres, ce n’est pas bon pour personne. Il faut qu’il y ait plus d’argent qui soit recyclé dans le secteur privé. Il faut donner une chance au monde. La classe moyenne, il faut lui donner un peu de chances. Les gens qui se considèrent comme membres de la classe moyenne – et ça vient vite dans les niveaux de revenu, la classe moyenne -, ils en portent épais sur leurs épaules. Ils veulent, avec raison, qu’on maintienne les engagements sociaux, qu’on maintienne nos efforts économiques, et – c’est un prérequis – on ne va jamais compromettre ces engagements qui sont les nôtres. Mais il y a moyen de rationaliser encore le fonctionnement de l’État et il y a moyen d’utiliser les marges de manœuvre qui commencent à se créer grâce à la rigueur de notre gestion, pour diminuer le fardeau fiscal. Mais le vrai rendez-vous de notre parti, le vrai rendez-vous de notre gouvernement, ce pourquoi on se prépare si péniblement, si difficilement, avec parfois des doutes bien sûr, avec des impatiences qu’on voit poindre mais qu’on doit supporter correctement, tout cela nous prépare au grand débat référendaire que je souhaite faire dans les conditions que vous connaissez, dans les conditions qui vont nous permettre de le gagner, ce débat référendaire. Ces jours-ci à l’Assemblée nationale, on se fait assez régulièrement demander : « Quand allez-vous baisser les impôts? » On voit les libéraux se lever, déchirer leur chemise, se surprendre de voir le niveau des impôts et puis nous demander des engagements précis, des dates, des montants et quand est-ce qu’on va les réduire. D’abord on leur dit qu’on a commencé à les réduire, mais il n’y a pas d’association à faire entre ce que je viens d’appeler le modèle québécois, qui est un modèle identitaire, et le niveau de nos impôts. Comme ce n’était pas le modèle québécois d’avoir des déficits records. Ça c’est le modèle libéral. Ne pas confondre avec le modèle libéral. Écoutez, c’est sérieux ce qu’on vous dit. Le modèle des gens qui ont augmenté de 10000000000 $ le niveau d’impôt du Québec durant leur dernier mandat. Il faut le dire et le répéter. Ces gens là qui font semblant de s’indigner du niveau d’impôt, nous on l’a réduit le niveau d’impôt, déjà, et on a réussi à éliminer le déficit un an avant le temps. Ces gens là qui font semblant de s’indigner, ce sont ceux qui ont eu le front d’augmenter de 10000000000 $ le niveau des impôts en même temps qu’ils nous calaient un déficit de 6000000000 $. En fait, c’est correct qu’ils parlent, c’est l’opposition, ils jouent leur rôle, mais leur crédibilité est nulle, n’est-ce pas, dans ce domaine? On nous dit : « Oui, mais il y a trop d’employés de l’État ». Et les gens font des calculs, nous comparent à nos voisins. C’est vrai que dans les autres provinces, il n’y a pas de fonctionnaires pour distribuer des bourses aux étudiants. Parce qu’il n’y a pas de bourses aux étudiants. Pas besoin de fonctionnaires pour faire cela. Est-ce que c’est ce que Monsieur Charest propose? Ailleurs au Canada, il n’y a pas de ministère pour gérer le programme des garderies à 5 $, parce qu’il n’y a pas de garderies à 5 $. Le Québec est, à cet égard, le plus généreux en Amérique du Nord. C’est un choix que nous avons fait. On n’est pas fous, on le sait quand on crée des programmes sociaux. Par exemple la politique des programmes sociaux, par exemple la politique familiale en plein cœur du combat contre le déficit. On le savait que cela serait dur et on savait que ça coûterait des centaines de millions de dollars de plus, on le savait que cela pèserait très lourd sur l’effort d’assainissement public, mais on l’a fait quand même parce qu’il y a des engagements qui sont des préalables, l’engagement social en est un et on va le maintenir. Ailleurs, il n’y a pas de fonctionnaires pour gérer l’assurance-médicaments, parce qu’il n’y a pas d’assurance-médicaments. Ailleurs, il n’y a pas d’équivalent de ce régime dont l’Association des Pharmaciens, bon, ils l’ont critiqué et il est perfectible, c’est vrai on le sait, a dit encore la semaine dernière que c’est un des meilleurs au monde – parlant de ce régime. Ailleurs, ils n’ont pas de fonctionnaires pour s’occuper d’équité salariale dans le secteur privé, puisqu’ils n’ont pas de loi pour s’assurer de cette équité. Ils n’ont pas de fonctionnaires non plus pour défendre la langue française. Mais là-dessus, Monsieur Charest s’est déjà exprimé, il voudrait qu’on mette à la porte les employés du Québec qui s’occupent de la langue française. J’aimerais signaler aussi au chef de l’opposition qu’il n’y a nulle part dans le monde de fonctionnaires qui s’occupent de faire appliquer une législation contre les clauses orphelins car, là aussi, le Québec innove. Hier, Diane Lemieux a déposé à l’Assemblée nationale notre projet de loi contre les clauses orphelins : un signal clair que, dans le modèle québécois, nous croyons à la justice intergénérationnelle. Tout le monde ne sera pas heureux, je le sais. Je sais que les patrons sont inquiets, je sais que d’autres trouveront que c’est perfectible. Je peux vous dire que, d’abord, nous sommes très fiers d’avoir rempli un engagement électoral que nous avons contracté. Je voudrais que les gens se rendent compte, de plus en plus, que l’une des marques de commerce du Parti Québécois, c’est : quand on prend un engagement électoral, on le remplit. Alors on a pris un engagement électoral, ça prenait un certain courage pour un gouvernement d’être le premier à déposer ce projet de loi, et je voudrais remercier Diane Lemieux qui fait un très beau travail. C’est une jeune ministre qui fait un magnifique travail. Nous sommes bien conscients que c’est quelque chose de très compliqué et que cela va avoir des impacts de toute nature. Il faut donc analyser tout cela avec sérieux, et il va y avoir un grand débat qui va être lancé à l’occasion de la commission parlementaire qui aura lieu, et tout le monde va être invité, les gens pourront discuter. Ce qu’il y a dans le projet de loi, c’est perfectible, et toutes les propositions seront prises en considération pour faire en sorte d’atteindre un équilibre qui sera un plus pour l’économie du Québec en même temps que pour la justice intergénérationnelle. Est-ce que l’État québécois peut être plus performant, plus efficace qu’aujourd’hui? Bien sûr. Et j’ai annoncé dans le discours inaugural que Jacques Léonard allait procéder à une importante réforme de la fonction publique, pour axer son travail sur les résultats plutôt que sur les processus. Il déposera la semaine prochaine un document d’orientation à ce sujet. Cette réforme s’inscrit en droite ligne dans les suggestions de Gérald Larose pour rendre moins normé et moins bureaucratique le fonctionnement de l’État. Puis il y a la concertation, locale et nationale, que l’État soutient, organise, finance. Peut-être que Monsieur Charest pense à s’en débarrasser? Je lui rétorquerais simplement que, selon des chiffres à ce jour, cette culture de la concertation a fait en sorte que, depuis 1995, il y a eu huit fois moins de jours perdus pour des conflits de travail au Québec qu’en Ontario. Huit fois moins. Imaginez l’économie réalisée, non seulement en production de biens et de services, mais l’économie de tension sociale, de privations familiales, de stress de toutes sortes.
Au-delà des discussions constructives que nous voulons avoir sur la modernisation de notre modèle, il faut être très conscients des arrière-pensées de nos adversaires. Les fédéralistes voient bien que lorsque la concertation québécoise s’organise, il y a un problème d’arrimage avec le reste du Canada. Ils voient bien que lorsque l’identité québécoise s’exprime, elle se heurte au cadre canadien. Ils voient bien que si le modèle québécois est en bonne santé, il illustre les limites et les défauts du modèle canadien. Voilà pourquoi ils l’ont choisi pour cible. Nous, nous savons qu’il existe un moyen d’arrimer le modèle québécois au modèle canadien : c’est de faire en sorte que ces deux modèles deviennent indépendants l’un de l’autre, et partenaires dans un partenariat économique mutuellement bénéfique et respectueux des différences. Voilà la solution. J’avais donné, au début de la campagne de l’an dernier, ma définition du modèle québécois. Je persiste et signe. Je pense qu’il s’articule autour de quatre réalités. Premièrement, chez nous, la solidarité est une valeur centrale de notre vie collective, et elle doit le rester. Deuxièmement, la concertation est devenue notre marque de commerce pour fixer et atteindre de grands objectifs sociaux, et elle doit l’être de plus en plus. Troisièmement, les Québécoises et les Québécois tiennent à un État qui s’implique, activement, dans la promotion économique, et notre économie fait – comme nulle part ailleurs sur le continent – une large place au mouvement coopératif, à l’économie sociale et à l’investissement syndical, comme le Fonds de solidarité et Fondaction. Finalement, nous sommes le seul État francophone d’Amérique – et cela change tout. Dans un monde où il y a une prime à l’originalité, le modèle québécois est une force, un muscle qu’il faut développer. Et pour lui donner toutes les conditions de son succès, il lui faut un État, un véritable État, un État souverain. C’est le combat que nous sommes conviés à livrer ensemble, mes amis. Merci.

[BOUC=19990608]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Cérémonie de remise des insignes de l’Ordre national du Québec – Québec – 8 juin 1999]
Madame le lieutenant-gouverneur,
Monsieur le Chef de l’opposition, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les Ministres et Députés, Mesdames et Messieurs du Conseil de l’Ordre, Monsieur le Maire, Distingués invités, « Honneur au peuple du Québec », telle est la devise de l’Ordre national du Québec. C’est en effet le peuple qui est ainsi honoré. D’abord parce que les candidatures viennent du public, ensuite parce que celles et ceux qui sont honorés illustrent combien le peuple québécois sait produire, en son sein, le talent et l’excellence.
Chaque année, des personnalités remarquables par leurs actions, leurs travaux et leurs contributions à l’ensemble de la société québécoise deviennent membres de l’Ordre.
À sa manière, chacune de ces personnalités façonne le Québec, repousse les limites de nos connaissances, innove, ouvre des fenêtres sur mille facettes de nos consciences et de nos réflexions. Le progrès intellectuel, culturel, social et économique d’un peuple n’est, au fond, que la somme du dépassement de ses membres et, parmi eux, de ses membres les plus audacieux, les plus ambitieux, les plus originaux, les plus sensibles. Le Québec tout entier salue et reconnaît le talent exceptionnel de ces personnalités, sources vives, sources d’inspiration, sources de fierté. Au nom du Québec, il me fait grand plaisir de les recevoir aujourd’hui au sein de l’Ordre.
D’abord, deux Grands Officiers :
Jacques Beaulieu
Votre œuvre scientifique a marqué l’évolution de l’optique au Québec et a permis une pleine maîtrise de son développement scientifique. On vous doit la réalisation du premier laser à gaz carbonique pulsé de grande puissance. Cette invention a généré de nombreuses retombées scientifiques et commerciales, porté haut et loin le rayonnement scientifique du Québec à l’étranger. On dit aujourd’hui que le Québec et sa capitale sont en train de devenir un carrefour mondial des sciences et des industries de l’optique, que nous posons donc déjà un regard neuf sur le troisième millénaire. Nous le devons, pour beaucoup, à votre science.
Monsieur Jacques Beaulieu, j’ai l’honneur de vous nommer Grand Officier de l’Ordre national du Québec.

Raymond Klibansky, Un mot clé résume votre œuvre : la tolérance. Lorsque, d’Oxford, vous avez pris racine à l’Université McGill dont vous êtes professeur émérite, la guerre froide avait érigé un mur entre les intellectuels de l’Est et de l’Ouest. Vous avez voulu le franchir et le faire franchir aux libres penseurs d’ici et de là-bas. Passionné des idées et de leur histoire, depuis Platon jusqu’au Moyen Âge et à aujourd’hui, vous avez voulu contribuer à donner aux idées de vos contemporains un espace de liberté, à jeter des ponts entre les peuples et les cultures. Vous avez partagé votre haut savoir avec les étudiants de Montréal, bien sûr, mais aussi de Paris, d’Heidelberg, de Londres et de Hambourg. Tous, ils savent que vous enseignez avec la simplicité que confère la sagesse. Monsieur Raymond Klibansky, j’ai l’honneur de vous nommer Grand Officier de l’Ordre national du Québec.
J’accueille maintenant les nouveaux Officiers de l’Ordre, en commençant par :

Lise Bissonnette, issue d’une Abitibi à laquelle vous êtes toujours attachée, vous êtes devenue une des meilleures journalistes de notre histoire, vous inscrivant en cela dans la très auguste lignée des directeurs du Devoir, quotidien dont vous avez assuré la modernisation et assaini la gestion. Votre intelligence percutante et votre verbe précis ont fait de votre page éditoriale une lecture obligée. Selon qu’on ait été partisan de vos thèses ou objet de vos critiques – je préférais les jours où j’étais du premier groupe -, nous savions, toujours, que l’intérêt du Québec, qu’une haute idée de la citoyenneté et de la démocratie charpentaient votre pensée. Et s’il arrivait que vous en ayez tant à dire qu’il vous fallait une page pleine, ou toute une semaine pour déployer votre pensée, il est arrivé que vous ayez le temps de faire court et que, d’un mot, un seul, vous pesiez sur le débat public. Amante des arts, écrivaine étonnante et émouvante, votre passion pour le livre a fait germer chez vous l’idée de doter le Québec d’un équipement majeur de promotion et de diffusion de la lecture. Ensemble, nous voulons que la Grande Bibliothèque, dont vous êtes la présidente-directrice générale, soit gigantesque sous un rapport essentiel : l’impact positif qu’elle aura sur la diffusion du livre dans la métropole et au Québec. Madame Lise Bissonnette, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Assad Kotaite, par votre action, vous avez beaucoup fait pour placer Montréal dans le réseau des grandes métropoles mondiales. En effet, votre carrière se confond avec la croissance, l’essor international et le rayonnement de l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile internationale, une des grandes agences spécialisées des Nations unies dont le siège est à Montréal. Vous en avez été le secrétaire général et le président du Conseil. Votre double passion, pour l’OACI et pour la métropole du Québec, a puissamment contribué au développement international de la métropole et continue à engendrer dans les milieux des affaires et universitaires au Québec des retombées économiques, sociales et culturelles de première importance. Monsieur Assad Kotaite, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Henry Mintzberg, Vous êtes l’auteur de trois ouvrages importants dans le domaine du management que vous enseignez à l’Université McGill. D’Amérique et d’Europe, on fait appel à vos talents de consultant en gestion. C’est qu’on vous sait réfractaire aux modes et sensible à une organisation fondée sur la culture et la mission de chaque entreprise. Vous refusez la confusion entre la gestion d’entreprise et la gestion de l’État et vous portez sur le néo-libéralisme un regard critique. Vous êtes, ici, en bonne compagnie. Membre de la Société royale, vous avez reçu le Prix du Québec en sciences sociales et êtes membre de l’Académie internationale de management. Monsieur Henry Mintzberg, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Denis Szabo, plusieurs disent que vous êtes un des pères de la criminologie moderne. Au Québec, on vous sait responsable de la naissance et de la croissance de cette discipline. C’est bien simple, vos empreintes digitales se retrouvent à chaque tournant essentiel. Venu de Hongrie via la Belgique, vous avez fondé en 1960 le Département de criminologie de l’Université de Montréal, puis le Centre international de criminologie comparée. Non content d’avoir importé la criminologie au Québec et d’influencer les politiques pénales de nos gouvernements, vous avez ensuite exporté notre expertise nouvelle dans le monde et joué un rôle important dans l’essor des recherches comparatives. Vos travaux vous ont amené à participer au développement d’une politique criminelle d’inspiration humaniste au Québec et au Canada. Monsieur Denis Szabo, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Jacques Villeneuve, plusieurs affirment que votre principal exploit fut de devenir champion mondial de Formule 1 en 1997. Sans doute. Mais moi je dirais que votre principal exploit est de pousser, par votre seule présence, des centaines et des centaines de milliers de Québécois et bien d’autres encore à sacrifier leur repos dominical, à se lever souvent très tôt, pour vivre avec vous des moments de grande intensité. Pourquoi les Québécoises et les Québécois ont-ils fait de vous un de leurs plus grands héros? Parce que vous illustrez naturellement une de nos caractéristiques les plus admirables : l’audace, sans l’arrogance. C’est pourquoi nous voulons que vous considériez vos séjours au Québec comme un arrêt au puits : ici, même brièvement, vous pouvez refaire le plein d’énergie, de solidarité, d’amitié. Monsieur Jacques Villeneuve, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Pierre Angers, vous avez été un artisan de premier plan du système d’éducation au Québec. Vous êtes une des rares personnes qui aient réussi à maintenir des liens profonds entre la tradition intellectuelle et spirituelle du Québec et les idées nouvelles qui ont relancé le Québec lors de sa révolution tranquille. Enseignant à la Faculté des lettres de l’Université de Montréal durant trente ans, vous êtes aussi un pionnier du travail interdisciplinaire dans le domaine de la recherche. Ce sont des hommes comme vous qui ont trouvé le Québec en queue de peloton en éducation il y a 40 ans, et qui l’ont placé, aujourd’hui, parmi les meilleurs. Monsieur Pierre Angers, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Roland Arpin, vous êtes directeur général du Musée de la civilisation de Québec depuis 1987 et vous en avez fait non seulement une réussite, mais un phare pour des musées du monde entier. Tout au long de votre carrière d’administrateur public, vous vous êtes également illustré par votre engagement dans les questions de société et de culture. Depuis le début de la décennie, le Québec est doté d’une politique de la culture qui fait l’unanimité : c’est vous qui lui avez donné son assise intellectuelle, dans un rapport qui fait honneur à votre personne et au Québec. Communicateur et administrateur, vous jouissez de la crédibilité d’un homme d’action et de la notoriété d’un des artisans de l’entrée du Québec dans la modernité. Monsieur Roland Arpin, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Armand Couture, vous êtes de la race des bâtisseurs, vous êtes de ces Québécois qui ont eu suffisamment de vision et de force pour creuser, harnacher, construire, et nous convaincre ainsi collectivement de notre capacité à forger notre avenir. Ingénieur civil formé à l’Université Laval, vous avez, avant l’âge de 30 ans, travaillé à la construction du tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine. Vous avez ensuite contribué à l’extraordinaire aventure du développement hydroélectrique de la Baie-James et du Nord du Québec. Que ce soit à Hydro-Québec, où vous avez été président et chef de l’exploitation, ou à SNC Lavalin, où vous avez été vice-président principal, vous avez contribué à faire du Québec un pôle mondial d’excellence pour l’ingénierie et les grands travaux. Monsieur Armand Couture, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Jacques de Champlain, vous êtes l’un des pionniers parmi les médecins québécois qui se sont dédiés à la recherche en santé humaine. Votre activité s’est concentrée sur les mécanismes de l’hypertension artérielle reliés au système nerveux autonome. Les fruits de vos travaux ont conduit à la création d’un foyer continu d’activités d’enseignement et de recherche de haut niveau. Le Groupe de recherche sur le système nerveux autonome de l’Université de Montréal peut en témoigner. L’influence que vous avez eue sur la carrière de nombreux jeunes médecins et scientifiques au Québec est remarquable à de nombreux égards. En 1998, l’Association des médecins de langue française du Canada vous a décerné le Prix de l’œuvre scientifique, en reconnaissance de l’importance de vos travaux. Monsieur Jacques de Champlain, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Michel Gervais, pendant une décennie, vous avez été recteur de l’Université Laval. Vous avez su donner à cette institution une impulsion nouvelle dans le domaine de l’enseignement, de la recherche. Vous avez su vous engager personnellement et faire de l’Université Laval un partenaire très actif du développement économique, culturel et social de Québec et de sa région. Vous vous êtes aussi impliqué dans des organismes nationaux et internationaux en assumant notamment la présidence de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, de l’Association des universités et collèges du Canada et de ce qui est devenu l’Agence universitaire de la Francophonie. Monsieur Michel Gervais, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Jeannine Guillevin Wood, Madame, en 1965, vous avez été appelée à assurer la responsabilité de l’entreprise Guillevin & Fils. C’était une époque où l’expression « femme d’affaires » était non seulement inconnue, mais incongrue. Vous avez remédié, Mme Guillevin Wood, à cette omission avec un argument – la compétence – et un résultat – la réussite. Votre entreprise s’appelle désormais Guillevin International, et elle est la deuxième plus grande distributrice de matériel électrique au Canada. En 1990, vous étiez désignée parmi les personnalités de la décennie dans le domaine des affaires. Aujourd’hui, nous saluons en vous la pionnière, une des Québécoises qui non seulement ont contribué au développement économique du Québec mais qui ont, par leur exemple, ouvert la voie à une richesse encore plus grande, les femmes entrepreneures. Mme Jeannine Guillevin Wood, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Sheila Kussner, vous êtes présidente fondatrice de L’Espoir, c’est la vie, Hope & Cope. Depuis 1981, cet organisme offre aux personnes souffrant du cancer des services de soutien particulièrement novateurs. En répondant ainsi, avec quelque 140 bénévoles, aux besoins particuliers de nombreux malades de l’Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, vous apportez une aide capitale à ceux qui souffrent et à leur famille. En 1995, au cours du cinquième Congrès international sur la chimiothérapie à Paris, la communauté internationale a salué la qualité exceptionnelle du travail accompli par L’Espoir, c’est la vie. Vous êtes également fondatrice du Département d’oncologie de l’Université McGill. Madame Sheila Kussner, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Robert Lepage, à Paris, Londres, New York, Toronto, Stockholm ou Tokyo, quand un des interlocuteurs du Québec veut nous faire un compliment, il prononce votre nom. Ce faisant, il parle de créativité et de modernité. Il parle d’excellence et d’intensité dramatique. Il parle d’arrimage entre la fiction et la technologie. C’est pourquoi, lorsqu’il s’est agi de choisir un commissaire pour présenter en France la nouvelle réalité québécoise, c’est naturellement à vous que nous avons pensé. Vos créations avaient été applaudies par la critique à travers le monde, le printemps du Québec en France que vous avez animé de votre talent fut la plus importante et la plus belle vitrine québécoise jamais conçue. Et pour prouver que vous savez conjuguer la hauteur de vue avec les préoccupations terre à terre, vous avez fait en sorte que, pour la première fois à Paris, deux premiers ministres prennent le métro. Mais vous faites davantage que de montrer au monde cette nouvelle et détonante québécitude. Vous attirez en retour, dans notre capitale, avec votre compagnie Ex Machina, des créateurs de partout. Monsieur Robert Lepage, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec

Paul-Aimé Martin, ordonné prêtre dans la congrégation de Sainte-Croix, vous avez fondé, au sortir de la crise en 1937, les Éditions Fides dont vous avez été directeur général pendant plus de quarante ans. Cette grande maison, sa librairie et ses succursales, dont celle de Paris, ont contribué à faire connaître un grand nombre d’écrivains d’ici et joué un rôle important dans la vie intellectuelle québécoise, au moment où elle avait besoin d’amis éclairés et tenaces comme vous. Partisan de la diffusion et de la démocratisation du livre et du savoir, vous êtes aussi le cofondateur de l’École de bibliothécaires de l’Université de Montréal où vous avez enseigné durant quinze ans. Vous êtes aussi à l’origine de l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation.
Monsieur Paul-Aimé Martin, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Huguette Oligny, passionnée de théâtre, vous avez joué plusieurs grands rôles du répertoire classique, et vos talents de comédienne vous ont conduite sur les principales scènes d’Amérique du Nord et d’Europe. Votre ardeur à donner vie aux rôles des auteurs d’ici donne votre véritable dimension : Mme Oligny, vous êtes une grande dame du théâtre et du cinéma. Vous avez été la première Albertine de Tremblay et avez travaillé avec Jutras dans l’inoubliable Kamouraska. Mais la majorité des Québécois vous ont connue et adoptée parce que vous avez tenu plusieurs rôles marquants dans des téléromans dont Cormoran, Marilyn et Sous le signe du Lion, ce qui a fait de vous, dans tous les salons du Québec, une amie de la famille. Madame Huguette Oligny, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Peter W Schiller, né en Suisse en 1942, vous vous êtes attaqué à un ennemi de taille : la douleur. Pionnier dans la chimie des peptides morphino-mimétiques, vos recherches sur le développement de médicaments anti-douleur vous ont valu une réputation telle que votre présence à Montréal a été l’élément clé dans la décision de la compagnie suédoise Astra de créer une nouvelle unité de recherches sur la douleur au Québec. Vous avez publié plusieurs ouvrages et participé aux tribunes scientifiques les plus prestigieuses au monde. Monsieur Peter W. Schiller, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

J’accueille maintenant les nouveaux Chevaliers de l’Ordre, en commençant par :

Madeleine Arbour, pionnière des arts visuels, du design d’intérieur et de la communication, signataire du Refus Global, vous êtes la première femme à avoir présidé le Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal. Votre bureau dans le Vieux-Montréal est depuis 1965 à l’avant-garde du design d’intérieur. Votre carrière de communicatrice débute avec la création de la télévision en 1951. Que ce soit en enseignant aux enfants le bricolage à la Boîte à surprises ou en donnant des conseils de décoration à Femme d’aujourd’hui, vous avez su communiquer à plus d’une génération le goût du design et de l’esthétique. Madame Madeleine Arbour, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

David Azrieli, né en Pologne, Montréalais d’adoption, vous vous êtes distingué par une brillante carrière dans le domaine du développement immobilier au Québec et ailleurs. Vos projets de développement ont eu un fort impact non seulement sur l’économie et le marché de l’emploi, mais ils ont également créé un environnement social et commercial dans chacune des communautés desservies. Votre projet Shalom, à Tel Aviv, est le plus important complexe immobilier jamais construit en Israël. Monsieur David Azrieli, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Martial G Bourassa, vous êtes l’un des pionniers de la cardiologie au Québec. Votre nom est associé à l’invention du cathéter Bourassa, utilisé en cardiologie tant en Amérique du Nord qu’en Europe. C’est ainsi que l’Institut de cardiologie de Montréal vous est redevable d’une part de sa renommée. Plusieurs générations de chercheurs ont trouvé en vous une inspiration, ce qui a permis de fournir au Québec une relève de talent dans la recherche médicale.
Monsieur Martial G. Bourassa, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Edouard Brochu, homme de sciences et d’affaires, vous avez démontré tout au long de votre vie un profond engagement communautaire. Professeur pendant 36 ans à l’Institut agricole d’Oka, à l’Institut de technologie agricole de Saint-Hyacinthe et à l’Université de Montréal, vous êtes sans contredit un pilier de la science québécoise de la microbiologie et de la bactériologie agro-alimentaires et laitières. Il y a 65 ans, vous étiez l’un des fondateurs de l’institut Rosell, qui exporte aujourd’hui 75 % de sa production dans 25 pays. À l’âge de 86 ans, vous avez participé au lancement d’un cédérom qui englobe la majeure partie de vos recherches scientifiques, une ressource de poids pour le Québec. Monsieur Édouard Brochu, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Marcel Couture, vous avez été l’âme d’Hydro-Québec dans son soutien aux arts et à la culture et, ce faisant, vous avez contribué à l’émergence au Québec du mécénat d’entreprise. De nombreux artistes vous en sont reconnaissants. Votre nom est intimement lié à la revue Forces, qui traduit en plusieurs langues et porte dans toutes les grandes bibliothèques du monde le message de l’originalité québécoise. Vous êtes aussi un des artisans d’un succès annuel, le Salon du livre de Montréal. Monsieur Marcel Couture, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Paule Daveluy, votre nom et votre œuvre sont associés de façon exceptionnelle à la naissance et à l’évolution de la littérature jeunesse au Québec. Vous avez été l’une des premières à publier ici des romans pour les jeunes, et votre Été enchanté est considéré comme un classique de la littérature destinée aux jeunes. Directrice de collection et présidente fondatrice de Communication-Jeunesse dédiée à la promotion de cette littérature au Québec, plusieurs prix ont souligné votre contribution. Madame Paule Daveluy, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Françoise David, vous êtes présidente de la Fédération des femmes du Québec et instigatrice, en 1995, de la marche « Du pain et des roses ». Pendant dix jours, 550 marcheuses ont démontré leur engagement contre la pauvreté et elles furent rejointes à leur destination par 15000 personnes et plusieurs membres de notre gouvernement. Bon nombre des revendications des marcheuses sont maintenant réalité. Avec la Fédération des femmes du Québec, vous vous êtes attelée à la préparation, pour l’an 2000, d’une marche mondiale des femmes contre la pauvreté et contre la violence faite aux femmes. C’est ainsi que vous témoignez, ici comme à l’étranger, du profond engagement social des Québécoises et des Québécois. Madame Françoise David, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalière de l’Ordre national du Québec.

Jean Deschamps, votre feuille de route se confond avec le service public et le développement économique et international du Québec : vous avez été professeur aux HEC de Montréal, sous-ministre du ministère de l’Industrie et du Commerce, président et directeur général de la Société générale de financement, premier titulaire du poste de délégué général du Québec à Bruxelles et délégué général du Québec à Paris, en plus d’avoir été président-directeur général de la Régie des installations olympiques. De plus, votre engagement dans le milieu, que ce soit sur le plan culturel ou communautaire, vous vaut l’admiration de ceux et celles qui vous côtoient.
Monsieur Jean Deschamps, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Marie-Eva de Villers, lexicographe, terminologue et pédagogue, vous êtes parmi les Québécoises et les Québécois qui constituent l’indispensable garde rapprochée de la langue française. Dans Le Devoir, à L’Actualité ou comme directrice de la qualité de la communication des HEC, votre vigilance se double de la dissémination d’un plaisir partagé : celui d’une langue qui ne livre toute sa beauté que lorsqu’elle se sait respectée. Vous la connaissez suffisamment pour savoir qu’elle s’amuse à nous poser des pièges. Vous avez pris le parti de nous apprendre à les déjouer, par votre Multidictionnaire des difficultés de la langue française. Vous savez cependant la langue française capable de respect pour le changement social et, en particulier, pour l’égalité des sexes. Vous l’avez aidée à féminiser un certain nombre de titres, c’est pourquoi, Madame Marie-Éva de Villers, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalière de l’Ordre national du Québec.

Jean-Pierre Duquette, depuis trente ans, vous êtes un acteur majeur de la vie littéraire et artistique montréalaise et québécoise. Activement engagé à la revue Vie des Arts et à la Société Pro Musica, vous vous êtes surtout dévoué comme animateur de deux grandes institutions : la section québécoise du PEN Club et l’Académie des lettres du Québec. Vous vous êtes également distingué comme directeur du Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill. Critique littéraire et d’art de premier plan, vous êtes auteur de sept livres et d’un grand nombre d’articles. Monsieur Jean-Pierre Duquette, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Otto Kuchel, né en Tchécoslovaquie en 1924, vous êtes médecin, néphrologue et scientifique chevronné. Mondialement, on reconnaît en vous le plus grand spécialiste de la physiopathologie des maladies reliées aux hormones du stress, telles l’adrénaline et la dopamine. Professeur exceptionnel, vous avez su vous imposer comme l’un des meilleurs scientifiques en recherche biomédicale contemporaine et vous avez constitué ainsi un héritage scientifique de très grande valeur. Monsieur Otto Kuchel, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Arthur Lamothe, né en France en 1928, producteur, réalisateur, scénariste et monteur, vous avez consacré la portion la plus importante de votre imposante filmographie aux Premières Nations et à leur héritage. Votre engagement envers les premiers peuples de ce continent vous a naturellement amené à siéger au conseil d’administration de Terres en vues, société pour la diffusion de la culture autochtone. Figure de proue du cinéma québécois, érudit, vous avez nourri des amitiés concrètes et avez ainsi contribué à ouvrir le chemin d’une meilleure compréhension et d’un respect mutuel. Monsieur Arthur Lamothe, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Daniel Langlois, fondateur de Softimage, vous avez participé à la dernière révolution du siècle, celle du multimédia. Au grand écran, si les paquebots insubmersibles coulent, les dinosaures s’évadent, les extraterrestres nous envahissent avec autant de réalisme, c’est un peu grâce à vous – ou devrions-nous dire : à cause de vous? Pas étonnant que vous ayez reçu, il y a deux ans, à Hollywood, un Oscar. Chez nous, on vous applaudit parce qu’en combinant le talent créatif, technique et entrepreneurial, vous avez contribué à faire du Québec un carrefour de la technologie du nouveau siècle. Vous êtes un perfectionniste, un leader, un visionnaire. Il suffit que votre nom soit prononcé dans une conversation pour qu’aussitôt les qualificatifs admiratifs se mettent à pleuvoir. Avec Ex-Centris, laboratoire sis à la frontière du réel et du virtuel, vous mettez le Québec aux portes de l’avenir et vous nous conviez à faire le voyage. Avec vous comme guide, comment refuser!
Monsieur Daniel Langlois, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Maryse Lassonde, à 23 ans, vous déteniez déjà un doctorat de l’Université Stanford, en Californie. Depuis, vous connaissez une carrière fulgurante, et vos travaux sur la neuropsychologie de l’enfant font autorité dans le milieu scientifique. Vos publications et vos conférences prononcées à travers le monde témoignent de l’importance et de la qualité de votre production scientifique. Vous vous êtes ainsi mérité de nombreuses distinctions dont un Prix de la recherche de l’ACFAS en 1998. Vous avez également été à la source d’un colloque international organisé par l’ ACFAS en collaboration avec le Conseil de la langue française et la Société royale du Canada sur « Le français, langue scientifique de demain ». Ce n’est pas un vœu, c’est un programme. Nous le partageons. Madame Maryse Lassonde, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Gilles Lesage, votre carrière de journaliste est étroitement liée aux notions d’intégrité de l’État, de saine gestion des fonds publics et de progrès des institutions démocratiques et parlementaires. Pendant près de quarante ans, vous avez analysé et commenté l’actualité. Vous avez été un témoin privilégié de l’évolution du Québec, de la Révolution tranquille au référendum de 1980, des accords de Meech à aujourd’hui. Vous êtes de ces journalistes qui, au-delà de l’écume des jours, se font une grande idée de la politique. En cela, vous avez joué un rôle essentiel, car vous avez appelé les femmes et les hommes politiques au dépassement. C’est le plus grand service que vous pouviez rendre au Québec.
Monsieur Gilles Lesage, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Denis Marleau, vous êtes le directeur artistique et metteur en scène attitré du Théâtre UBU. Depuis sa fondation en 1982, à coups d’audace et de talent, le Théâtre UBU s’est imposé au Québec et a élargi progressivement sa renommée. Avec Le passage de l’Indiana et Maîtres anciens, présentées en 1996 au Festival d’Avignon, vous avez fait une impression telle que, l’année suivante, on vous confiait l’ouverture du prestigieux festival. Plusieurs prix et distinctions ponctuent votre carrière dont l’œuvre théâtrale est citée dans de nombreux ouvrages de référence. Monsieur Denis Marleau, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Rosaire Morin, Monsieur Morin manque au Québec. Cet homme portait en lui justice et liberté. Il a été l’indispensable directeur de la revue L’Action nationale et l’un des artisans les plus efficaces de la prise de conscience par le peuple québécois de la nécessité de son affirmation. Jusqu’à son dernier souffle, son action a porté sur la reconquête et la maîtrise de notre économie, la défense et la promotion de la langue française et la souveraineté du Québec. Monsieur Morin est décédé le 14 avril 1999. Monsieur Rosaire Morin est nommé à titre posthume Chevalier de l’Ordre national du Québec. Son fils Pierre le représente aujourd’hui.

Hélène Pelletier-Baillargeon, de multiples façons, vous avez contribué à l’évolution de la société québécoise. Écrivaine et journaliste, vous avez été directrice de la revue Maintenant, un des lieux où s’est rénovée la pensée québécoise. Vous êtes aussi l’auteure de deux biographies majeures : Marie Gérin-Lajoie, ouvrage qui vous a valu le prix Maxime-Raymond de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, et Olivar Asselin et son temps, dont nous attendons la suite. Vous avez collaboré régulièrement à de nombreux journaux et revues et avez été membre du Conseil supérieur de l’éducation. Dans votre action et sous votre plume s’exprime avec force le souci de la justice et de l’égalité des chances. Madame Hélène Pelletier-Baillargeon, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Lucie Pépin, dès les années 60, vous vous distinguiez par votre engagement pour la défense et l’avancement de la cause des femmes au Québec. Vos actions, pour la planification des naissances et pour le droit des femmes à signer leur autorisation médicale ainsi que celle de leurs enfants, vous ont valu respect et admiration. Députée de la circonscription d’Outremont à la Chambre des communes, puis nommée sénatrice, vous avez su faire preuve de détermination et de courage dans chacun de vos combats.
Madame Lucie Pépin, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Albert Perron, maître fromager depuis plus de 60 ans, votre contribution au rayonnement de l’industrie fromagère québécoise se traduit par la production et l’exportation d’un cheddar de qualité supérieure sur les marchés nord-américain et européen. Phénomène rarissime, depuis plus d’un siècle votre famille exporte son cheddar, invention britannique, en Angleterre. Cela illustre tant la qualité du produit que la conservation et la mise en valeur de ce patrimoine industriel. Monsieur Albert Perron, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Jacques Saint-Pierre, vous avez joué un rôle déterminant dans la relance de la recherche scientifique à l’Université de Montréal, particulièrement dans le domaine des sciences mathématiques et de l’informatique. Au début des années 60, vous avez créé le Centre de calcul et le Département d’informatique de l’Université de Montréal. D’autres que vous imaginaient mal, à l’époque, l’importance que ces domaines allaient prendre dans nos vies et dans l’économie du Québec. Votre contribution à la formation de chercheurs dans l’un des secteurs les plus névralgiques de notre développement représente une inestimable contribution. Monsieur Jacques Saint-Pierre, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Henri Tranquille, c’est dans votre librairie de la rue Sainte-Catherine à Montréal que, le 9 août 1948, était lancé le Refus global. Le choix du lieu n’était pas fortuit. Peu de libraires ont su, comme vous, entrer dans la légende. Cela tient au fait que vous ayez été le guide de milliers d’étudiants, l’hôte d’innombrables bouquineurs et l’aiguilleur de plusieurs carrières littéraires au Québec. L’histoire de la Librairie Tranquille se confond avec celle de la littérature québécoise. En tant que passionné de la lecture, vous avez reçu le prix Fleury-Mesplet en 1996, une distinction accordée annuellement au libraire ou à l’éditeur qui a su le mieux mettre le livre en valeur. Monsieur Henri Tranquille, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Sont aussi nommés : messieurs Joseph-Alfred Rouleau et Jean-Marie De Koninck. Retenus par des engagements professionnels, ils recevront leur insigne au cours d’une cérémonie ultérieure. À eux et à vous toutes et vous tous qui êtes présents aujourd’hui, je vous adresse nos plus vives félicitations. Je vous remercie.

[BOUC=19990617]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Bilan de la session parlementaire – Québec – 17 juin 1999]
Jacques va vous brosser un tableau de l’activité législative de la dernière session. Je voudrais, de mon côté, donner le contexte plus large de l’action gouvernementale depuis l’élection de novembre.
Déficit zéro, filet social, réductions d’impôts.
De toute évidence, l’événement le plus marquant du travail gouvernemental de la première moitié de 1999 fut le dépôt du budget. Pour la première fois en quarante ans, le budget du Québec est équilibré, un objectif que nous avons atteint grâce à l’effort concerté de tous les secteurs de la société, grâce à la rigueur de notre gestion. De plus, nous l’avons atteint avec un an d’avance sur le calendrier prévu lors de la conférence socio-économique de Québec de 1996. Cela signifie que le Québec a retrouvé une solidité et une crédibilité financières qui s’étaient érodées depuis plus d’une décennie. Ce travail s’est soldé par une amélioration du jugement porté sur le Québec par les agences de crédit et par la communauté financière internationale. La firme Moody annonçait en avril qu’elle plaçait désormais dans une perspective positive la situation du Québec. J’ai pu juger moi-même, dans mes déplacements à l’étranger, tant à New York qu’en Europe et au Mexique, que l’effort réalisé par les Québécois donne à l’ensemble de nos positions une meilleure résonance et une fondation plus forte.
Ici, au Québec, l’atteinte du déficit zéro nous a permis de déposer des plans d’action pour assainir encore plus que prévu la situation financière de nos institutions, en éliminant la dette des établissements hospitaliers et en abordant un redressement significatif des finances des universités. Nous avons également rempli notre engagement électoral de mettre complètement fin aux compressions dans la santé et dans l’éducation, d’assumer la hausse normale des coûts, ce que nous avons fait, et de procéder à un réinvestissement dans la santé, ce que nous avons fait aussi.
Nous nous étions également engagés à protéger la clause d’appauvrissement zéro pour nos concitoyens qui sont dans l’impossibilité d’accéder au marché du travail. Nous sommes allés au delà, en agissant pour rétablir pour ces Québécoises et Québécois la gratuité pour l’assurance-médicaments à compter d’octobre.
Nous sommes allés plus loin aussi en améliorant de deux façons la condition des assistés sociaux aptes au travail. D’abord, en décembre dernier, en bonifiant le régime pour le partage du logement, les revenus de travail autorisés et la valeur d’une résidence. En janvier, les barèmes ont été indexés. Puis, cet été, de nouvelles bonifications entreront en vigueur. Bref, comme nous l’avions annoncé pendant l’élection, l’atteinte du déficit zéro a servi d’abord à rétablir le filet social de base du Québec et, en certains cas, à l’améliorer. Nous nous sommes engagés également à utiliser le surplus pour une autre priorité essentielle : la réduction du fardeau fiscal. Pour ce qui est du fardeau des petites et moyennes entreprises, le ministre des Finances annonçait, dès décembre dernier, qu’il devançait de six mois la réduction de la taxe sur la masse salariale, qui est donc entrée en vigueur le premier janvier dernier, plutôt qu’en juillet comme prévu. Pour ce qui est du fardeau fiscal des particuliers, nous l’avions réduit de 840000000 $ depuis deux ans et nous avons annoncé une nouvelle tranche de 400000000 $ de réduction l’an prochain, et pour 1300000000 $ au total pendant le mandat. Des consultations à cet effet auront lieu sous peu. De toute évidence, si nous pouvons faire plus, nous le ferons. Si nous pouvons le faire plus tôt, nous le ferons.
C’est pourquoi le gouvernement a été très clair ce printemps et continuera de l’être pendant les négociations qui s’ouvrent : nous voulons préserver la capacité de l’État d’augmenter le revenu de tous les Québécois, par le biais de baisses d’impôts. Et pour préserver cette capacité, nous ne pouvons accéder aux demandes d’augmentation de salaire qui nous sont faites par les syndiqués du secteur public et par d’autres employés de l’État. Nous voulons améliorer leurs conditions de travail, faire reculer la précarité d’emploi, les aider à fournir de meilleurs services à la population et les assurer, avec une augmentation de 5 % sur trois ans, de la parité avec leurs collègues du secteur privé. Mais pour le reste, nous souhaitons donner aux employés du secteur public et aux autres Québécois un coup de pouce financier par le biais de baisses d’impôts. Économie Sur le plan économique, le Québec connaît une année très prometteuse. Les prévisions du secteur privé estiment que la croissance de notre économie va égaler ou dépasser celle du Canada cette année et l’an prochain. Les investissements privés croissent à une cadence beaucoup plus importante au Québec qu’au Canada, comme le démontrent les annonces d’investissements qui se succèdent de semaine en semaine. Simplement, depuis le 15 décembre dernier, le gouvernement du Québec a, de différentes façons, appuyé des investissements d’une valeur de 1700000000 $, créant plus de 8000 emplois. Je mentionne, au passage, les annonces de Motorola à Montréal, d’Uniboard dans le Bas-Saint-Laurent, de Goodyear en Montérégie, du Groupe Nova à Québec.
Dans le budget, nous avons dégagé plus de 300000000 $ pour accélérer le passage à l’économie du savoir et soutenir les régions. Nous avons, également dans le budget, jeté les bases de la nouvelle politique québécoise de la recherche scientifique et créé la création d’un nouveau ministère dédié à la jonction entre la recherche et l’innovation. Vous aurez noté aussi les annonces successives du ministère de l’Éducation, qui poursuit le virage de la formation de façon à répondre mieux et plus vite aux demandes accrues du marché du travail. Comme vous le savez, l’économie québécoise est une des économies les plus ouvertes sur le monde qui soient. Il est donc essentiel que le gouvernement du Québec poursuive son travail de rayonnement économique, culturel et technologique à l’étranger. Cette année, les missions que j’ai dirigées à New York, à Barcelone et au Mexique avec des gens d’affaires et des représentants d’institutions culturelles et d’éducation ont été des moments forts de cette action. Paris, avec le Printemps du Québec, nous avons développé un concept intégré de rayonnement culturel, technologique et économique qui fait honneur à ce que le Québec est devenu et peut devenir. Nous sommes très très heureux de cette initiative, et nous travaillons maintenant pour que la Saison du Québec à New York, en 2001, soit, dans un contexte différent, un succès également. Sur toutes les tribunes, le Québec a également pris la parole pour défendre la diversité culturelle, et il entend continuer à prendre sa place à cet égard – quoi qu’en dise le gouvernement fédéral.
Le gouvernement de tous les Québécois Cette session, nous avons également pris un certain nombre de décisions visant à rendre notre société plus juste et plus équitable pour tous nos citoyens.
D’abord, nous avons apporté des ajustements aux lois qui encadrent l’exercice démocratique. Par la loi 1 et la loi 30, qui devraient être adoptées d’ici demain, nous ferons en sorte de rendre plus difficile toute tentative de détourner le processus démocratique au niveau national comme au niveau local. Nous avons posé un geste en faveur de l’équité intergénérationnelle, en devenant le premier gouvernement sur le continent à proposer une législation contre ce qu’on appelle « les clauses orphelins ». Nous avons également modifié nos lois pour reconnaître les conjoints de fait de même sexe, ce qui fait du Québec un exemple d’équité et de tolérance. Nous avons reconnu la profession de sage-femme. Nous avons présenté une législation pour mieux protéger les femmes et les hommes du Québec placés sous la responsabilité de la curatelle publique. Nous avons également légiféré pour mieux baliser le travail des mineurs. Nous continuons nos efforts pour préserver notre culture de prévention envers les jeunes contrevenants contre les tentatives fédérales d’imposer ici des recettes radicales qui ne conviennent pas à nos choix.
Nous avons investi des sommes nouvelles contre la détresse qui affecte certains de nos jeunes. Maintenant que nous avons la capacité de faire de nouvelles embauches, nous avons décidé d’agir résolument pour rendre la fonction publique plus représentative de la diversité québécoise. Dès cet été, nous avons augmenté le nombre d’embauches d’étudiants pour que le quart d’entre eux provienne des communautés allophones, anglophones et autochtones. Nous avons de plus démontré, par le dépôt d’un projet de loi, notre volonté de faire en sorte que le quart des nouvelles embauches à temps plein respecte dorénavant cette proportion. Ce sera la première fois. Dans nos relations avec les nations autochtones, un dossier toujours délicat, la volonté politique de notre gouvernement d’établir des rapports de respect mutuel se poursuit, comme l’ont illustré la conclusion d’ententes cadres avec la nation Mohawk et plusieurs autres et la reprise des pourparlers avec les Innus. Nous avons également ouvert le grand chantier de la région de Montréal, un débat essentiel pour rendre notre métropole plus efficace, plus performante et plus compétitive avec les autres métropoles du continent et du monde. Je suis heureux de constater que tous conviennent aujourd’hui qu’il faut du changement, que le statu quo n’est plus acceptable. Avec ce momentum, nous avons l’intention de mener à bien ce dossier et de l’amener à une conclusion positive pour la métropole et pour le Québec. Nous allons ouvrir un autre grand chantier, celui du Sommet du Québec et de la jeunesse, et le ministre responsable annoncera sous peu le processus que nous comptons suivre pour nous rendre, ensemble, à ce sommet.

[BOUC=19990623]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à l’occasion de la fête nationale – Québec – 23 juin 1999]
Madame le lieutenant-gouverneur,
Monsieur l’Archevêque et les représentants des autres dénominations religieuses, Monsieur le Juge en chef, Mesdames et Messieurs les Chefs de mission diplomatique, Mesdames et Messieurs les Ministres, Messieurs les Maires et Madame la Mairesse, Mesdames et Messieurs de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les Chefs de mission consulaire, Mesdames et Messieurs, Chères Québécoises et chers Québécois,
J’aimerais d’abord vous remercier d’être venus en si grand nombre pour célébrer la fête nationale du Québec. Ce soir et demain, il y aura dans plus de 700 lieux du Québec des activités, spectacles, rassemblements et festivités qui viendront perpétuer une tradition qui remonte aussi loin que les tout premiers débuts de notre existence en Amérique.
Car cette fête qui coïncide avec l’arrivée de la saison estivale, du solstice d’été, revêt pour les Québécois une signification particulière. C’est la fête de la vie. Le jour de l’année où on célèbre l’existence, en Amérique du Nord, d’un peuple original et singulier, qui a pour langue officielle et commune le français et un millier de façons d’être et de vivre à nulle autre pareille. C’est donc à la fois la fête de la durée et de la persévérance, mais aussi la célébration de notre capacité d’adaptation au changement et notre volonté de nous projeter dans l’avenir.
Il n’est pas inutile de brosser à grands traits l’évolution de cette célébration. C’était en 1834, il y a 165 ans, alors que la Chambre de l’Assemblée du Bas-Canada venait d’adopter les « 92 résolutions », que les Ludger Duvernay, Jacques Viger, Louis-Hippolyte Lafontaine ainsi que les John Turney, Thomas Brown et Edmond O’Gallanghan conçoivent, dans les jardins d’un avocat irlandais du nom de John McDonald, le projet d’une fête patriotique annuelle. Ils l’ont appelée la fête de la Saint-Jean-Baptiste.
Elle a été célébrée sous ce nom pendant un siècle et demi, devenant essentiellement la fête des francophones, la fête nationale de ce que nos parents appelaient les « Canadiens français ».
Il y a plus de vingt ans, le 8 juin 1978, l’Assemblée nationale, sous l’impulsion du gouvernement de René Lévesque, posait un geste rassembleur en faisant du 24 juin la fête nationale du Québec. La Saint-Jean-Baptiste allait ainsi devenir la fête nationale de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, indistinctement de leurs origines et de leurs racines.
Aujourd’hui, je suis heureux de constater que cette transformation de la fête nationale est passée du vœu à la réalité. Que ce soit ici, dans la capitale nationale, ou dans la métropole où la diversité culturelle est encore plus marquée, le 24 juin est plus que jamais un moment de rassemblement et de convergence. Au gouvernement québécois, nous pensons que ce qui compte, dans cette tâche de rassembler les Québécois, ce ne sont pas les paroles que l’on prononce, mais les gestes que l’on pose pour qu’au-delà des origines, chaque Québécoise sache qu’elle est ici chez elle, que chaque Québécois sache qu’il est ici chez lui.
Des gestes qui visent à rassembler, à faire vivre une expérience commune, qui font une place au Québec de tous les horizons, dans tous les domaines. Depuis la dernière fête nationale, nous avons posé des gestes de cette nature. Je vous en rappelle quelques-uns. En septembre dernier, les nouvelles commissions scolaires linguistiques sont entrées en fonction, faisant un pas de plus dans une organisation scolaire qui insiste sur ce qui nous rapproche les uns des autres. En février, nous avons mis sur pied un programme d’échanges et de rapprochement entre les jeunes de divers milieux de Montréal et du reste du Québec.
En avril, la ministre de la Justice a annoncé la nomination de madame la juge Westmoreland-Traoré, qui devient ainsi la première juge noire au Québec. Lorsque nous présentons le Québec à l’étranger, comme lors de la Saison du Québec à Paris et au Salon du livre, nous comptons parmi nos auteurs Dany Laferrière, Neil Bissoundath, Ying Chen. La culture et l’image francophones du Québec sont en train de s’enrichir de notre diversité. Cet été, pour la première fois, le quart des 4000 emplois d’étudiants du gouvernement du Québec sera occupé par des jeunes provenant des communautés culturelles, de la minorité anglophone et des autochtones. Nous avons établi ce même objectif pour les nouvelles embauches dans la fonction publique, pour qu’elle devienne plus représentative de la diversité québécoise.
Ces gestes et un nouveau climat de rassemblement augurent bien, il me semble, pour le genre de fête nationale que nous voulons au moment où nous nous apprêtons à changer de millénaire.
Et j’aimerais saluer l’exceptionnel travail effectué par le Mouvement national des Québécois, dont je salue la présidente Louise Paquet qui est parmi nous, et la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Le MNQ et la SSJB organisent depuis 15 ans des festivités dans toutes les régions du Québec. Les bénévoles qui s’activent au sein de ces deux organisations ont droit à nos félicitations et à notre reconnaissance. Ils et elles ont le goût du Québec et ont le tour de le faire partager autour d’eux.
Autant nous aimons, le 24 juin, célébrer le temps que nous avons passé ensemble depuis quatre cents ans, autant nous aimons mesurer le chemin parcouru au cours des toutes dernières années. Je peux vous dire qu’un des grands plaisirs de ma fonction, c’est de me lever devant des aréopages de décideurs économiques, sociaux et culturels aux États-Unis, en Europe, au Mexique, et d’expliquer le Québec d’aujourd’hui. En votre nom à tous, et souvent accompagné de douzaines de décideurs québécois, je témoigne de ce que nous savons faire aujourd’hui. J’apprends à mes interlocuteurs que notre peuple de 7000000 de personnes fait maintenant partie des dix premières nations au monde en aéronautique, en matériel roulant, en pharmaceutique, en biotechnologie, en ingénierie, en technologies de l’information, en multimédia. Je leur dis que nous sommes parmi les premiers exportateurs au monde, que nous avons une des économies les plus ouvertes qui soient. Je leur parle de nos succès culturels – souvent ils les connaissent déjà. Je note au passage que notre État dispose désormais d’une base solide, avec un budget équilibré pour la première fois depuis 40 ans. Et je puis vous dire que le Québec est en train d’être perçu pour ce qu’il est de plus en plus : une société moderne, un peuple dynamique, des gens qui savent où ils vont et qui seront des partenaires actifs et positifs pour tous ceux avec qui ils feront des affaires dans l’avenir. Des gens « au cœur du monde », comme le veut le thème de notre fête nationale cette année. Je ne saurais vous dire à quel point je reviens de mes séjours étrangers avec une grande fierté d’être Québécois. Parce que la fierté qu’on éprouve d’être Québécois, on la voit maintenant de plus en plus s’allumer dans les yeux des gens qui nous écoutent à l’étranger quand on leur explique ce que l’on est et ce que l’on veut faire. C’est pourquoi la Saison du Québec à Paris a été un grand succès. C’est pourquoi nous voulons refaire l’expérience à New York en 2001, et ailleurs par la suite.
Nous avons 7000000 de raisons d’être fiers d’être Québécois aujourd’hui. Encore une fois, merci d’être venus. Je lève mon verre au Québec, à ce coin de pays que nous aimons, et bonne fête à tous. Merci.

[BOUC=19990629]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Rencontre entre les nations autochtones et le gouvernement du Québec – 29 juin 1999]
Monsieur le Chef régional de l’APNQL,
Monsieur le Président de Makivik, Mesdames et Messieurs les Chefs et les Maires des villages nordiques, Mesdames les Présidentes de l’Association des femmes autochtones et du Regroupement des centres d’amitié autochtones, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs, Il me fait plaisir de vous rencontrer tous aujourd’hui dans le contexte de cet échange, que je souhaite le plus informel possible. Je suis ici d’abord pour vous écouter et tenter d’établir avec vous une base à partir de laquelle on peut construire des relations harmonieuses entre nos communautés. C’est la première fois que j’ai l’occasion de vous rencontrer tous, et je sais que plusieurs d’entre vous souhaitaient également depuis un certain temps qu’une telle rencontre se concrétise. Je vous dirai d’entrée de jeu que de nous voir tous ici autour d’une même table témoigne de la diversité et de la réalité du Québec.
Je souhaite que cette rencontre se traduise par des échanges francs, directs, respectueux de nos réalités propres. Aussi, je considère que le premier objectif que nous puissions atteindre ensemble aujourd’hui est de partager nos visions respectives concernant les relations Québec-Autochtones. Je souhaite également que nous puissions en arriver, à terme, à établir ensemble un contact politique plus formel entre le gouvernement du Québec et les nations autochtones. C’est pourquoi je formule le vœu que notre rencontre nous permette de convenir d’un processus établissant les bases et les modalités de relations politiques permanentes entre le gouvernement du Québec et les Autochtones. L’histoire des relations formelles entre le gouvernement du Québec et les Autochtones habitant le territoire québécois est assez récente. Sans vouloir vous en tracer un portrait détaillé, permettez-moi de vous rappeler, de notre point de vue, quelques moments forts. On considère que celles-ci commencèrent vraiment avec la mise en place de la Direction générale du Nouveau-Québec en 1963. Ce ne sera toutefois qu’après la signature, en 1975, de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois que les interventions québécoises auprès des Autochtones sont devenues vraiment significatives. En ce qui a trait aux rencontres entre un premier ministre québécois et des représentants autochtones, il semble que la première date soit le 16 juin 1978, alors le premier ministre Lévesque prononçait un discours devant le Regroupement des centres d’amitié autochtones.
Il y reconnaissait alors la profonde méconnaissance de la population en général à l’endroit des Autochtones et lançait un appel au rapprochement entre les composantes de la société québécoise. C’est ainsi qu’en décembre 1978, le premier ministre Lévesque rencontrait, un peu comme aujourd’hui, 125 représentants provenant de neuf nations amérindiennes du Québec.
Puis, en novembre 1983, première au Québec, une commission parlementaire, à laquelle participaient tous les groupes autochtones du Québec, s’interrogeait pendant trois jours sur la problématique autochtone. Le premier ministre Lévesque y déclara que les droits des Autochtones devraient être inscrits dans les lois fondamentales du Québec.
Les travaux de cette commission se sont appuyés sur les 15 principes adoptés dix mois plus tôt par le gouvernement du Québec, principes qui constituent toujours un élément essentiel de la politique québécoise en matière autochtone. Ces principes et les conclusions des travaux de la commission parlementaire conduiront l’Assemblée nationale à adopter, le 20 mars 1985, une résolution portant sur la reconnaissance des droits des Autochtones du Québec.
Puis en avril 1988, le premier ministre Robert Bourassa rencontrait les représentants des nations amérindiennes et inuite, pour discuter du dossier constitutionnel. Nous étions alors en plein débat sur l’accord du lac Meech, une période, vous vous en souviendrez, tumultueuse de notre histoire. Au-delà du contexte politique, cette réunion fut également l’occasion pour monsieur Bourassa d’entreprendre les démarches nécessaires pour que soit reconnue la nation malécite comme nation autochtone du Québec. Cet engagement fut honoré par l’Assemblée nationale, le 30 mai 1989.
En octobre 1994, le premier ministre Parizeau rencontrait le Conseil des Atikamekw et des Montagnais. Monsieur Parizeau a fait alors état d’un certain nombre d’éléments de l’offre que fera le gouvernement du Québec au Conseil des Atikamekw et des Montagnais un mois et demi plus tard, dans le cadre de la négociation territoriale globale entreprise en 1979 avec ces deux nations autochtones.
Pour ma part, en juin 1997, j’ai participé à l’inauguration de la scierie de Waswanipi. J’ai alors annoncé la création du Fonds de développement pour les Autochtones auquel auraient accès les Cris comme tous les autres autochtones du Québec. J’ai confirmé également le soutien québécois à des initiatives visant un partenariat réel avec les Cris, et les Autochtones en général, dans l’exploitation des ressources naturelles. Je me souviens également que monsieur Coon Come et moi-même avions conclu cette rencontre en disant que l’on assistait à un nouveau départ dans les relations entre le Québec et les Cris.
En septembre 1997, j’ai également eu l’occasion de me rendre à Kangiqsualuujjuaq pour rencontrer les représentants de la Société Makivik, les représentants de l’Administration régionale Kativik et les maires des villages nordiques. Nous avons alors abordé plusieurs dossiers qui cheminent de façon significative.
Enfin, la rencontre d’aujourd’hui est la résultante de plusieurs rencontres exploratoires ayant eu lieu au cours des derniers mois entre le Secrétariat aux affaires autochtones et l’Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador et la Société Makivik.
L’harmonisation des relations entre le gouvernement du Québec et les nations autochtones du Québec est un dossier d’importance pour moi, à titre de premier ministre, et pour toutes les composantes du gouvernement du Québec. C’est pourquoi j’ai confié la responsabilité du Secrétariat aux affaires autochtones à Guy Chevrette, un ministre senior, influent, énergique de mon gouvernement. Depuis qu’il assume cette responsabilité, soit depuis moins de deux ans et demi, monsieur Chevrette a doté le gouvernement du Québec de nouvelles orientations concernant les questions autochtones.
Je sais que vous ne partagez pas certains éléments de ce document d’orientation et je conviens avec vous qu’il n’est pas parfait. J’en suis toutefois très fier parce qu’il constitue un effort honnête, de bonne foi, et surtout, il m’apparaît que c’est un pas dans la bonne direction. En fait, il est un peu, pour le gouvernement, le coffre à outils qui nous a permis de nous tourner vers l’action, de vous proposer des mesures pour que nous puissions faire des choses ensemble, et ce, afin de répondre à des besoins urgents de vos communautés. Déjà une trentaine d’ententes découlant de ces nouvelles orientations ont été signées avec plusieurs communautés, de plusieurs nations. Je ne peux que me réjouir des ententes que nous avons conclues avec Kahnawake, Natashquan, Gesgapegiag, Waskaganish, et combien d’autres communautés, ententes qui nous permettent de miser sur le respect mutuel et la négociation afin que nos relations puissent évoluer de façon concrète, harmonieuse et constructive.
Le Fonds de développement pour les autochtones, dont nous allons discuter de la mise en œuvre un peu plus tard ce matin, constitue un autre de ces outils permettant de répondre à des priorités de développement, de soutenir la création d’entreprises autochtones et la création d’emplois pour votre jeune population.
Je sais que les ententes et le Fonds, bien que constituant des gestes, il me semble, très significatifs, ne constituent pas à eux seuls des réponses suffisantes à nos préoccupations communes.
Je sais qu’au-delà de vos préoccupations très légitimes – et que nous partageons entièrement – de développement de vos communautés et d’amélioration des conditions de vie de vos populations, vous avez d’autres préoccupations, de nature plus politique, qui concernent les questions de territoire, d’accès aux ressources et d’autonomie gouvernementale. Nous l’avons déjà écrit, le gouvernement du Québec est ouvert à aborder ces questions complexes avec vous et le gouvernement fédéral, mais dans des conditions propices à une évolution constructive de nos échanges. Je suis conscient que c’est d’abord et avant tout pour cette raison que nous sommes tous rassemblés ici aujourd’hui. Et c’est également pour cette raison que nous avons proposé, dans notre énoncé de politique, la création d’un forum politique où nous pourrons aborder et discuter ensemble de ces questions dans les meilleures conditions.
Tout comme monsieur Lévesque le disait il y a maintenant vingt ans, je pense moi aussi que nous avons dramatiquement besoin de nous parler, de mieux nous connaître, de nous comprendre, de nous apprivoiser. Je sais qu’à certains égards nous avons des positions passablement divergentes. Mais je suis avant tout persuadé que nous partageons également un nombre significatif d’objectifs communs sur lesquels nous pouvons construire ensemble des relations plus solides qui nous permettront ensuite d’aborder les questions plus délicates, plus difficiles. En fait, donnons-nous la chance de bâtir ensemble un avenir meilleur pour nos communautés respectives, et ce, dans le plus grand respect de nos identités propres. Je sais que le projet politique de notre gouvernement suscite chez vous interrogations et inquiétudes. Pour nous, il s’agit d’aspirations légitimes d’un peuple qui veut se donner les moyens pour assurer ses destinées. Je comprends également que nos aspirations respectives peuvent parfois se heurter. Toutefois, il ne m’apparaît pas impossible que nos visions respectives, que nos aspirations, que nos rêves pour l’avenir puissent aussi être compatibles et, à certains égards, convergents. Nous devons nous asseoir et en parler. Le projet de société que nous avons pour le Québec comprend une place importante pour les Autochtones. Vous êtes une composante importante de l’histoire, du présent et de l’avenir du Québec. Vous êtes une composante importante de l’évolution du territoire québécois. La position, la vision du Québec eu égard à la présence autochtone et aux relations que le Québec souhaite établir avec les nations autochtones du Québec repose sur le constat suivant : la société québécoise est constituée de multiples particularités uniques au monde. La présence de onze nations autochtones, de communautés autochtones réparties sur l’ensemble du territoire, de langues autochtones vivantes, parlées au Québec à l’aube du 21e siècle, constitue une richesse inestimable pour le Québec. Nous avons beaucoup à faire, mais nous devrions pouvoir nous comprendre puisque nous nous rejoignons sur notre volonté respective de promouvoir notre identité, de préserver et de développer notre culture et notre langue.
En terminant, je réitère le souhait que cette rencontre de premier contact nous amène à nous donner rendez-vous à l’automne pour discuter, peut-être
d’un projet d’accord politique établissant les principes devant guider les relations entre le Québec et les Autochtones;
d’un projet de forum politique permanent dont nous aurons défini les contours ensemble, soit la composition, les mandats, le fonctionnement et les sujets qui seront discutés en ce lieu. Je soumets que nos engagements, et surtout les gestes que nous posons depuis deux ans, démontrent que nous souhaitons autant que vous renforcer le climat de confiance qui nous permettra de faire avancer nos nations sur le chemin de l’harmonie et des réalisations concrètes.
Merci.

[BOUC=19990630]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Déclaration au sujet de la grève illégale des infirmières – 30 juin 1999]
Depuis maintenant sept jours, les services de santé du Québec sont perturbés par une grève illégale déclenchée par la Fédération des infirmières et infirmiers. Quels que soient les arguments invoqués par les grévistes, quelles que soient leurs revendications ou la sympathie qu’elles peuvent susciter autour d’elles, un consensus s’est développé au Québec depuis près de vingt ans contre tout arrêt de travail qui mette en péril la santé publique.
Ce consensus s’est développé pour une raison simple : les soins de santé, ce sont des soins essentiels. Une grève de n’importe quel groupe de personnel de la santé heurte de plein fouet les personnes les plus vulnérables de notre société, les personnes malades. Depuis sept jours, les arrêts de travail sont non seulement illégaux, mais ils ne respectent pas le niveau des services essentiels qui seraient requis si cette grève était légale. La Fédération a beau dire qu’elle se préoccupe des soins, la réalité est que la grève fait mal, elle fait mal aux patients et aux citoyens en attente de soins.
Déjà, à cause de cette grève illégale, plus de 65000 femmes et hommes du Québec, dont l’état de santé requiert un rendez-vous dans un hôpital ou un CLSC, ont été privés de soins.
Déjà, plus de 11000 citoyennes et citoyens qui comptaient sur une chirurgie sont obligés de prendre leur mal en patience, à cause de la grève. Ces rendez-vous et ces interventions chirurgicales, il faudra les reprendre. Leur report va accentuer les pressions sur le système de santé pendant toute l’année qui vient, va compliquer le travail des équipes soignantes, y compris des infirmières, va occasionner des coûts supplémentaires importants. Le tort causé aux patients et au système de santé est donc considérable et va se répercuter bien au-delà de la grève de ces derniers jours.
Pour les personnes qui ont recours aux soins à domicile, dont la moitié sont âgées de plus de 75 ans et dont la majorité sont en perte d’autonomie, la grève illégale les a privées, ces jours derniers, de plus de 25000 visites à domicile. Derrière les slogans et les discours, la grève fait mal – elle fait mal aux patients. C’est pourquoi elle est inacceptable et doit cesser. Le gouvernement du Québec et les élus de l’Assemblée nationale ont la responsabilité de protéger les citoyens et leurs droits et ils ont la responsabilité de faire appliquer la loi.
Chacun sait, au Québec, que le gouvernement que je dirige a toujours privilégié la négociation et la concertation pour régler les conflits qui apparaissent à l’occasion dans une société. Depuis que je suis premier ministre, nous avons évité, chaque fois, la confrontation, mais en insistant toujours sur le respect de la loi et des droits de chacun. Dans le cas des infirmières, nous avions annoncé depuis le début de la négociation que nous étions disposés à améliorer leurs conditions de travail et à poser des gestes importants pour leur rendre la tâche plus facile. Comme le reste de la population, nous estimons que les infirmières et infirmiers du Québec ont été beaucoup sollicités ces dernières années. Ils ont été aux premières lignes de la réforme de la santé et ont vécu ces transformations avec un sens du devoir qui les honore.
C’est pourquoi nous pensons que des mesures doivent être prises pour alléger leur tâche et pour rendre leur travail moins précaire : moins de temps supplémentaire, moins de travail sur appel, une vie plus régulière, avec des horaires plus prévisibles. Nous pensons aussi que l’amélioration de leurs conditions de travail aura un impact positif sur les soins eux-mêmes. C’est pourquoi, plus tôt cette année, nous avons permis à 4 200 infirmières d’améliorer leur situation en accédant à des postes réguliers. À la table de négociation, nous avons ajouté 1 500 postes réguliers supplémentaires, pour faire reculer encore la précarité. Nous avons également accepté que les infirmières qui jugent leur tâche trop lourde disposent d’un recours rapide qui puisse se traduire par une réduction de leur tâche.
Sur ces deux questions de la précarité et du fardeau de la tâche, nos propositions ont été jugées satisfaisantes par la Fédération des infirmières et infirmiers, qui les a acceptées et signées.
Sur l’essentiel de leurs revendications quant à leurs conditions de travail, les infirmières avaient raison et elles ont eu gain de cause. Sur les autres aspects des conditions de travail, les discussions menées pendant la dernière nuit de négociation nous convainquent que nous pourrions en venir à une entente en quelques séances de négociation.
Nous sommes donc en face d’une grève illégale dans les soins de santé dont l’objectif est essentiellement salarial. Rien de ce que les infirmières et infirmiers demandent maintenant n’est de nature à augmenter les soins à la population.
Comme des centaines de milliers d’autres Québécoises et Québécois qui travaillent très fort dans le secteur public comme dans le secteur privé, les infirmières et infirmiers veulent gagner plus d’argent. C’est une revendication compréhensible, mais elle ne justifie en aucun cas de retarder une chirurgie, d’annuler un rendez-vous, de ne pas prodiguer des soins à domicile ou aux personnes âgées en centre d’hébergement.
Parlons de la question salariale. Il y a deux aspects : le rattrapage salarial et l’augmentation de salaire. À la suite d’un exercice semblable à celui que nous proposons aujourd’hui, les infirmières ont eu droit, il y a dix ans, à un rattrapage salarial de presque 10 %. La Fédération affirme que c’est insuffisant et que les comparaisons de salaire avec d’autres corps d’emploi n’ont pas été faites correctement. Nous l’avons dit, nous sommes tout à fait disposés à refaire l’exercice et à nous soumettre à ses résultats avérés. Nous nous engageons, à la fin de ce processus, à payer les augmentations rétroactivement à la date de signature de la convention, si nous découvrons que des ajustements sont requis. L’autre jour, sa présidente a déclaré que le gouvernement devrait mettre de côté 400000000 $ et consentir aux infirmières ce qu’elle appelle « un rattrapage préalable ». Mais qui parle de rattrapage parle de relativité salariale. L’expression le dit : les salaires, pour être équitables, doivent être fixés « relativement » les uns par rapport aux autres. Par définition, un rattrapage salarial ne peut être fixé par un exercice de pur rapport de force. Ce serait inéquitable pour tous les autres corps d’emploi. Surtout, la répartition des finances publiques du Québec ne se décide pas dans la rue, à coup de grève illégale.
En novembre dernier, il y a eu une élection au Québec. Des partis se sont présentés devant les électeurs, avec un programme et des engagements électoraux. Nous avons beaucoup parlé d’investissement en santé, de finances publiques, de déficit zéro, de baisse d’impôts.
Nous avons entrepris de réaliser les engagements que nous avons contractés avec les citoyennes et les citoyens du Québec.
En santé, nous avions promis de mettre fin aux compressions dès cette année et de réinvestir 100000000 $. Nous avons fait beaucoup plus. Nous avons non seulement mis fin aux compressions, mais nous avons réinvesti 1750000000 $. C’est d’ailleurs ce qui nous permet d’améliorer les conditions de travail des infirmières.
Nous avons mis fin aux compressions et réinvesti dans l’éducation, et avons amélioré le sort des plus démunis qui ont recours à la sécurité du revenu.
Nous avons mis de côté suffisamment de fonds pour accorder aux 400000 employés de l’État des augmentations de salaire de 5 % au cours des trois prochaines années, ce qui leur permettra de recevoir un traitement équivalent à celui des Québécoises et Québécois qui oeuvrent dans le secteur privé – en profitant en plus, bien sûr, de la sécurité d’emploi.
Et finalement, conformément à notre engagement électoral, nous avons prévu un rattrapage de revenu pour toutes les Québécoises et tous les Québécois par le moyen d’une baisse d’impôts.
Il faut regarder la réalité en face : la richesse collective du Québec n’est pas illimitée. Nous venons tout juste d’arriver au déficit zéro et, pour y rester, notre gestion doit demeurer très rigoureuse. Pour la première fois en quarante ans, enfin, nous vivons selon nos moyens. Mais notre dette collective est importante et, nous le savons, nous sommes trop taxés.
Une fois réglées les conventions collectives des infirmières et des 400000 employés, avec des augmentations raisonnables de 5 % sur trois ans, il nous restera environ 400000000 $ pour augmenter les revenus de tous les contribuables, par le biais d’une baisse d’impôts.
Il ne fait cependant aucun doute que si nous devions céder aux demandes salariales des infirmières, cela ouvrirait une brèche pour les 400000 autres salariés du secteur public et pour des dizaines de groupes syndicaux et associatifs qui font la queue, ces jours-ci, pour augmenter leurs salaires. Ils ont tous de bons arguments. Et si nous devions leur donner raison, non seulement il serait impossible de rendre aux contribuables une réduction d’impôts, mais il faudrait soit augmenter les impôts, soit recommencer les déficits.
Il appartient donc au gouvernement que je dirige de gérer les fonds publics de manière équitable et d’utiliser la mince marge de manœuvre que nous tentons de dégager pour en faire profiter tous les contribuables, qu’ils soient ou non employés de l’État, qu’ils soient ou non dans le secteur de la santé.
Il est regrettable que la Fédération des infirmières et des infirmiers ait décidé de créer une confrontation avec le gouvernement sur une question aussi clairement sans issue et se soit engagée sur la voie de l’illégalité.

Cette action pose une question fondamentale en démocratie : comment un groupe peut-il prétendre ne pas respecter les lois, refuser de se conformer aux ordonnances sur les services essentiels? Les lois protègent tous les Québécois, les patients comme les infirmières. Puisque la loi nous protège tous, il faut en retour la protéger, elle, en la respectant. Rompre ce pacte social serait un recul inacceptable.
La grève illégale dans la santé a assez duré. Les patients du Québec ont déjà trop souffert. Il faut restaurer l’intégrité de la règle démocratique et de l’État de droit.
Demain, en début d’après-midi, si la grève n’est pas terminée ou en voie de l’être, je me verrai dans l’obligation de convoquer pour vendredi l’Assemblée nationale et lui proposer une loi ordonnant le retour au travail et imposant des sanctions qui, comme celles qui ont été signifiées depuis le début de la semaine, ne seront ni retirées ni effacées.
Aux infirmières et aux infirmiers du Québec, je voudrais dire ceci. Nous avons tous une très grande estime pour vous et pour le travail que vous accomplissez quotidiennement auprès des malades. Le gouvernement reconnaît votre importante contribution à la réforme de la santé dont vous avez largement assumé les difficiles changements.
Depuis le début de la négociation, vous avez voulu améliorer vos conditions de travail, vous avez réussi. Vous avez voulu alléger votre fardeau de tâche, vous avez réussi. Vous avez voulu faire reculer la précarité, vous avez réussi. Vous avez voulu réouvrir le dossier du rattrapage salarial, vous avez réussi.
Vous avez beaucoup accompli et vous avez gardé un important capital de sympathie.
Mais lorsqu’on est sur une telle lancée, le défi le plus important et le plus difficile est de savoir s’arrêter. Savoir éviter la confrontation inutile. C’est le défi qui est devant vous aujourd’hui.
Il reste encore plus d’une journée avant que l’Assemblée soit convoquée pour voter la loi. Notre devoir commun est de tout tenter pour éviter l’affrontement.
Vos dirigeantes invoquent qu’il reste encore des clauses normatives à régler. Elles reprochent également à l’exercice d’évaluation et de rattrapage salarial d’être trop long. Il n’y a qu’une façon de traiter de ces questions, c’est de retourner à la table de négociation.
Pour cela, il faut que cesse cette grève illégale.

Je vous le demande : mettez fin à la grève et donnez-nous, donnez-vous la possibilité de régler les clauses normatives qui restent. C’est aussi la seule façon de définir ensemble un processus rapide de comparaison des emplois afin d’identifier, le cas échéant, les ajustements et les rattrapages à faire.
Il est encore temps de rentrer au travail pour que nous puissions reprendre les négociations, régler les dernières clauses normatives en suspens et donner aux citoyennes et citoyens les soins auxquels elles et ils ont droit.
Merci.

[BOUC=19990904]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Dîner offert par le Québec au 8e sommet de la francophonie – 4 septembre 1999]
Mesdames, Messieurs les chefs d’État, de gouvernement et de délégation, Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie, Mesdames, Messieurs les directeurs et secrétaires généraux des organisations internationales, Mesdames, Messieurs les parlementaires, Distingués invités, S’il fallait chercher, de par toute la planète, un endroit qui symbolise la capacité de résistance de la langue française, la robustesse d’une culture et d’une identité francophones, le choix de l’Acadie s’imposerait d’évidence. Nous, du Québec, sommes fiers du dur combat que notre peuple a dû mener au cours des siècles pour, d’abord, résister à l’assimilation et devenir ensuite un acteur dynamique sur le continent et dans la communauté francophone.
Rien, cependant, ne se compare à l’itinéraire historique de nos amis et voisins Acadiens. Et si nous sommes réunis aujourd’hui en ce coin d’Amérique pour célébrer le français, c’est parce que des milliers d’Acadiennes et d’Acadiens qui, au 18e siècle, furent spoliés et physiquement dispersés sur deux continents, ont bravé à la fois l’oppression, le temps et la distance pour reconstituer leur existence, pour reprendre le cours de leur histoire.
Courage, endurance, ténacité, les mots suffisent à peine pour décrire la valeur des Acadiens. Et c’est pourquoi mon gouvernement est heureux d’avoir contribué à l’organisation de ce Sommet en Acadie. Admirable démonstration de la vitalité de notre langue qu’un Sommet de la Francophonie se tienne dans la région même de la déportation systématique d’une population de francophones. Nul doute que les mesures adoptées ici seront désignées sous le vocable de « décisions de Moncton ». Ainsi donc, le nom de l’officier britannique Robert Monckton, un des principaux artisans de cette tentative ratée d’éradication du français, se trouvera désormais, bien malgré lui, associé à un effort international de promotion de cette même langue. Puissant renversement de l’histoire.
Les Acadiens, les Québécois, les francophones des autres provinces canadiennes pourront vous parler longtemps du combat mené quotidiennement pour assurer la permanence et la vitalité du fait français en Amérique du Nord. Ils pourront vous dire la vigilance et la constance dont il faut faire preuve contre le péril qui pèse toujours sur eux: celui de l’assimilation à l’anglais. En tant que premier ministre du seul État majoritairement francophone d’Amérique du Nord, je crois l’occasion bien choisie pour vous dire quelques mots sur nos progrès et nos inquiétudes. Nous vivons aux portes de la plus grande puissance économique et culturelle que le monde ait connue. La formidable force d’attraction de l’anglais est pour nous une réalité vécue à la fois sur le continent et au sein du Canada, lui-même majoritairement anglophone. Il nous appartient évidemment, à nous francophones, d’assumer l’interface linguistique avec nos concitoyens nord-américains, qui sont nos principaux clients et partenaires et avec lesquels notre interaction est en croissance rapide. Mais alors que nous sommes de plus en plus nombreux à maîtriser l’anglais dont nous encourageons l’enseignement, notre défi consiste à rester nous-mêmes, à faire en sorte que notre identité soit enrichie, non affaiblie, par le tourbillon des échanges continentaux. Au Québec, il y a vingt ans, nous étions extrêmement préoccupés par un mouvement d’érosion du français qui aurait pu, à terme, mettre en cause notre avenir. Le gouvernement de Monsieur Robert Bourassa a, dès 1974, fait du français la langue officielle du Québec. Trois ans plus tard, la Charte de la langue française, adoptée par le gouvernement de Monsieur René Lévesque, a donné un important coup de barre, en dirigeant notamment les nouveaux immigrants vers l’école française et en établissant que le français était la langue de travail. Plusieurs défis se présentent encore à nous et nous constatons qu’une majorité de nouveaux arrivants au Québec s’intègrent encore aujourd’hui à la communauté anglophone, plutôt qu’à la majorité francophone. Mais des progrès majeurs ont été accomplis et, grâce à la Charte québécoise de la langue française, nous avons fait en sorte de préserver à plus de 80% la proportion de notre population qui vit en français et de maintenir à zéro le taux d’assimilation vers l’anglais au Québec. Je notais avec plaisir que, il y a un an, devant la Société des Acadiens, le premier ministre du Nouveau-Brunswick avait fixé comme objectif un taux d’assimilation zéro pour les Acadiens de sa province. Malgré les efforts admirables des communautés francophones concernées, les derniers relevés des recensements du gouvernement fédéral révèlent que la proportion de Canadiens vivant en français hors du Québec et d’Acadie a chuté dramatiquement au cours du dernier quart de siècle. C’est une tendance qui nous inquiète grandement et qui justifie pleinement la mobilisation des forces francophones, le combat pour la diversité culturelle et notre présence à tous en Acadie aujourd’hui. Pendant nos travaux, deux sujets nous importent au premier chef : la jeunesse et la diversité culturelle. En préparation de ce Sommet, les jeunes nous ont fait part de leurs attentes et de leurs projets. Il est essentiel que notre famille leur fasse une large place dans ses programmes, particulièrement ceux qui sont les plus novateurs et prometteurs d’avenir. Je pense aux programmes des Inforoutes. La Francophonie se décline au futur. Les discussions tenues à Bamako ont ouvert des pistes intéressantes dans le domaine de la formation professionnelle et technique. Nous devons favoriser la mobilité des jeunes et leur participation à la vie démocratique. Comme l’ont dit le président Chirac à l’ouverture de nos travaux et le président du Mali lors de la rencontre de Bamako, nous devons nous acquitter de notre premier devoir envers la jeunesse : celui de l’éducation. Au-delà de ce que nous ferons ensemble, cette rencontre avec notre jeunesse doit nous accompagner dans nos territoires réciproques. Nous avons au Québec tenu une consultation nationale de nos jeunes en préparation du Sommet et nous saluons leur contribution exceptionnelle de cette dernière année. Nous aurons nous-mêmes, au Québec en février prochain, un Sommet sur la Jeunesse. Aucun sujet ne sera mis sous le boisseau. L’éducation et le décrochage scolaire, l’emploi et le chômage, l’insertion sociale et la détresse, l’ouverture sur le monde, rien de ce qui intéresse et préoccupe les jeunes ne doit être évité. Nous serons heureux de vous fournir les conclusions de cette grande rencontre. Depuis son origine à Niamey, la Francophonie a cette originalité de se définir d’abord par son intérêt culturel et linguistique. Cela fait de notre organisation une des rares au monde à faire de la culture et de l’identité ses raisons d’être. La télévision francophone, TV5, est d’ailleurs un des plus beaux fruits de nos efforts communs. Nous avons l’intention d’intensifier notre action et les moyens mis à sa disposition, en particulier pour assurer le succès du défi essentiel que représente pour nous et tous les francophones d’Amérique TV5-USA.
Et cela fait de la Francophonie un véhicule privilégié dans ce qui s’annonce comme le grand débat de la prochaine décennie, celui de la diversité culturelle. Faire de la diversité culturelle un véritable dossier politique de la Francophonie, c’est recentrer notre action autour de ce qui nous a rassemblés dès l’origine. Cet héritage commun qui est celui de la langue française s’incarne aujourd’hui dans les nouvelles technologies, le multimédia, à travers la diffusion sans frontière des produits culturels. Je me réjouis de constater que, dans notre projet de déclaration du Sommet, nous sommes unanimes à vouloir faire reconnaître par l’ensemble de la communauté internationale et par ses acteurs à tous les niveaux, le caractère fondamental du principe de la diversité culturelle.
Affirmer que les biens culturels ne sont pas des biens comme les autres et que l’identité de chacun doit être respectée, c’est avant tout un devoir que nous avons envers nous-mêmes, mais c’est aussi un geste d’ouverture et de solidarité envers les autres familles culturelles.
Au cours du récent biennum, le secrétaire général de l’Organisation a d’ailleurs eu le souci de mener un certain nombre de programmes de coopération avec des organisations internationales qui regroupent des communautés d’autres aires linguistiques. Car, du Sommet de Maurice en 1993 à celui de Moncton cette année, une évolution considérable s’est produite : la Francophonie n’est plus la seule à se préoccuper de la question de la diversité culturelle. La Francophonie a cependant une originalité spécifique. Elle a l’avantage d’additionner les prises de parole et elle tient de cette addition sa force et sa légitimité. La concertation au sein ou à l’initiative de la Francophonie, depuis 1970, permet au Québec d’investir son énergie au service de ce combat. C’est pourquoi le Québec se réjouit très sincèrement à l’idée de faire à nouveau de la culture, dix ans après la rencontre de Liège, le thème de la conférence ministérielle du prochain biennum. Cette concertation ministérielle permettra certes de tracer un bilan mais elle fournira surtout l’occasion de donner une nouvelle impulsion à notre coopération culturelle, d’apprécier le s besoins changeants de nos populations et de réfléchir à l’aménagement de l’avenir.
La période de préparation intense que cette rencontre ministérielle commande arrive à point nommé, en raison même du calendrier de négociations de l’OMC, lesquelles s’échelonneront sur plusieurs années. À cette rencontre, puis au Sommet de Beyrouth, la Francophonie pourra adopter une stratégie commune, en assurer le suivi et faire entendre sa voix sur la question de la diversité culturelle. Il importe de déterminer si la diversité culturelle sera mieux protégée à l’intérieur des accords commerciaux internationaux où s’il ne faut pas plutôt, comme nous sommes un certain nombre à le penser, créer un nouvel instrument international, indépendant, consacrant les règles en matières culturelles. En un sens, il ne faut pas que, de façon défensive, la culture ne soit qu’une exception dans l’univers commercial. Il faut au contraire qu’elle affirme ses droits dans un cadre positif, suffisamment fort pour se mesurer aux impératifs commerciaux.
L’enjeu est de taille et dépasse la question d’opportunité des moyens. Il s’agit d’indiquer, au début d’un nouveau siècle, que la culture et l’identité sont aussi importantes que l’économie et le commerce. Il s’agit d’affirmer que les peuples veulent certes échanger leurs biens, mais tiennent à garder leur âme. Avec le débat sur la diversité culturelle, c’est le sens profond de la globalisation qui se joue. La tendance actuelle voudrait affirmer le primat du commerce sur les identités. Nous pensons que la richesse est bien évidemment économique, mais aussi culturelle et identitaire. Nous pouvons faire en sorte que la Francophonie soit aux premiers rangs de ce rééquilibrage essentiel.
L’expression des cultures est ainsi un enjeu démocratique; parce que la culture est liée à l’expression des idées, des valeurs, des opinions des peuples. La « diversité culturelle » est partie intégrante des « libertés » dont jouissent les démocrates. Vous savez le Québec très engagé dans l’effort de la Francophonie visant à susciter et accompagner les progrès de la démocratie chez nos membres, notamment le Programme intégré d’appui à la démocratie et aux droits de la personne dont nous avons été un des principaux promoteurs. Et lorsque la démocratie et l’État de droit reculent au sein de notre regroupement, vous savez que le Québec souhaite que la Francophonie réagisse avec une vigueur croissante pour exprimer son inquiétude et sa réprobation et assurer un prompt retour au respect des droits. Pour y arriver, nous devons construire ensemble, progressivement, des instruments qui seront autant de sauvegardes sur le chemin de la démocratie et qui rendront les reculs toujours plus difficiles et plus coûteux. Dans cet esprit, nous appuyons la proposition du président Chirac de faire en sorte que la Francophonie puisse effectivement observer et rendre compte de l’État de la démocratie chez ses membres et nous voulons contribuer à cet effort. De plus, suivant une recommandation du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique de Montréal, nous pensons que la Francophonie devrait jouer un rôle moteur dans la ratification du traité créant la Cour pénale internationale.
Cette Cour, habilitée à poursuivre les responsables de crimes de guerre et d’agression, de génocides et de crimes contre l’humanité, sera un instrument précieux au service des peuples. À l’invitation du Canada, nous avons approuvé la création de cette Cour lors du Sommet de Hanoi. Depuis, un de nos membres éminents, le Sénégal, fut le premier pays à ratifier le traité. La France l’a ratifié, et le Canada pourrait le faire dans l’année qui vient. En tout, il en faut soixante pour que la Cour soit officiellement créée. Nous pensons que la Francophonie doit s’engager à une ratification rapide par ses membres et, pour y parvenir, devrait apporter une aide technique, financière et juridique pour aider ses gouvernements à procéder aux nécessaires changements législatifs internes. Si la Francophonie, par plusieurs dizaines de ses pays, contribue à la création rapide de la Cour pénale internationale, elle aura démontré concrètement son attachement au progrès des droits et fait comprendre la valeur de sa contribution au concert des nations.
Chers amis, tant dans ces dossiers de la démocratie et du droit que dans celui de la diversité culturelle, l’Organisation de la Francophonie a l’opportunité de se rendre, non seulement utile, mais indispensable dans le siècle qui s’ouvre. Si notre organisation a l’énergie et l’ambition de sa jeunesse, si elle peut s’inspirer du courage et de la ténacité de nos hôtes acadiens, je ne doute pas qu’ensemble, nous puissions réalise r de grandes choses. Je voudrais porter un toast. Vive la Francophonie. Merci.

[BOUC=19990909]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Lancement des travaux préparatoires du Sommet Québec et la jeunesse – 9 septembre 1999]
Monsieur le Ministre d’État à l’Éducation et à la Jeunesse,
Mesdames et Messieurs les coprésidentes et coprésidents de chantier,
Mesdames et Messieurs les partenaires,
Chers amis,
Il y a des moments dans la vie d’une société où il lui est nécessaire de faire une pause afin de prendre le temps de voir où elle en est et où elle veut aller. La façon de procéder diffère d’un pays à un autre, mais l’objectif reste le même. Au Québec, lorsque nous en sentons le besoin, lorsque certains enjeux dépassent les préoccupations quotidiennes, nous nous rassemblons afin de tenir un sommet. Nous avons donc décidé d’en organiser un, à Québec, au tournant de l’an 2000. Ce sera le Sommet du Québec et de la jeunesse.
Je tenais personnellement à ce Sommet. On a parfois évoqué qu’une certaine résignation s’était installée chez certains jeunes et qu’ils avaient perdu confiance en l’avenir. Même si je peux comprendre ces sentiments devant les difficultés qu’ils rencontrent, je ne peux l’accepter. Le Québec a un potentiel formidable, des atouts indéniables, une richesse culturelle hors du commun. Il faut donc s’attaquer aux vrais problèmes, sans fard et sans tabou, et raviver l’espoir et la confiance en notre avenir.
La démarche que nous entreprenons ne s’adresse donc pas seulement aux jeunes. Elle interpelle toutes les composantes du Québec. C’est pourquoi nous l’avons appelée « Sommet du Québec et de la jeunesse ».
Tous ceux et celles qui sont avec nous aujourd’hui seront les véritables artisans de ce Sommet. Chacun d’entre vous, à sa manière, au sein de son milieu de vie personnelle et de travail, aura à réfléchir, discuter, faire des compromis et chercher les solutions les plus justes et les plus réalistes. Et tout cela, en tenant compte non seulement des intérêts particuliers mais de l’intérêt commun.
Nos travaux, s’ils veulent être productifs et porter des fruits, ne peuvent se faire en vase clos. J’ai la conviction profonde que les changements nécessaires ne pourront s’effectuer de façon durable qu’en s’appuyant sur un large consensus social et en tenant compte de leurs impacts sur toutes les composantes de notre société. Nous devons à nouveau démontrer que nous savons miser sur un levier exceptionnel : notre tradition de concertation.
Les jeunes réclament depuis quelque temps déjà une telle mobilisation. Leurs attentes sont élevées et ils ont bon nombre de revendications. Il leur faudra pourtant accepter le fait qu’un sommet ne peut tout régler. Ils auront à consacrer des énergies à l’émergence de décisions concrètes, acceptables pour eux et acceptables pour l’ensemble de la société. Ils devront sans doute, comme nous tous, faire des choix. Mais ces choix leur appartiendront.
Certains de nos partenaires sont quelque peu inquiets face aux revendications des jeunes. Celles-ci attaquent parfois ce qu’ils considèrent être des acquis. Chaque génération a connu ses hauts et ses bas, chacun d’entre nous, comme le chante Gilles Vigneault, a porté son âge, sa pierre et ses outils pour bâtir le Québec. Mais, disons-le, l’intégration à la vie sociale et professionnelle est plus difficile pour les jeunes d’aujourd’hui qu’elle ne l’a été pour plusieurs d’entre nous.
Nous avons tous, au gouvernement, chez les groupes jeunes, dans les grandes associations, chez les gens d’affaires, des préoccupations qui nous accaparent. Au gouvernement, vous le savez, la question des finances publiques teinte chacun de nos dossiers. La gestion quotidienne des problèmes de l’État draine aussi nos énergies. Et quant aux gens d’affaires soutenus en cela par beaucoup de gens de la classe moyenne, ils réclament prioritairement une baisse d’impôt substantielle. Le milieu économique en général demande une déréglementation plus soutenue. Certains syndicats priorisent maintenant la syndicalisation des travailleurs et travailleuses autonomes. Un nombre important réclame une importante injection de fonds en santé et en éducation. Les municipalités et leurs élus s’interrogent sur les meilleurs moyens de donner des services à leurs concitoyens tout en diminuant les coûts. Et je pourrais continuer.
Toutes ces positions et préoccupations sont légitimes. Pourtant, en regardant les enjeux qui se profilent, en regardant évoluer le monde qui nous entoure, en discutant avec nos amis et les membres de nos familles, il est possible de dégager une certitude : le Québec ne saurait prospérer à long terme s’il ne s’ouvre pas au dynamisme, à l’imagination et à la force de ses jeunes.
Seul un effort concerté, solidaire et déterminé de toutes les composantes de la société nous permettra de procéder rapidement aux changements qui s’imposent.
Cette motivation anime les coprésidents des chantiers que Monsieur Legault vous a présentés. Je tiens à les remercier d’avoir accepté ce mandat et de consacrer les mois qui viennent à se rendre partout au Québec pour y dénicher les bonnes idées et les vraies solutions. Ils m’ont d’ailleurs exprimé leur hâte de se mettre au travail et de rencontrer les partenaires. Ils veulent entendre les jeunes sur leur vision de l’avenir, leurs espoirs, leurs craintes.
Je compte sur eux pour nous tracer le chemin de ce Sommet. Ils nous aideront à repousser les limites du possible et joueront un rôle de liaison entre les groupes jeunes et tous les partenaires.
Nous aurons besoin de leur éclairage, de leur sagesse et, puisque celle-ci n’a pas d’âge, de leur jeunesse. J’aimerais leur réitérer devant vous ma collaboration et mon soutien.
Il faudra prendre garde de ne pas transposer identiquement d’une génération à l’autre nos espoirs et nos ambitions. Cette occasion unique serait ainsi gâchée. Acceptons ensemble de laisser définir les contours de la société dans laquelle les jeunes veulent vivre, d’écouter leur vision de l’organisation du travail et de la vie en société.
Je souhaite que les jeunes se fassent entendre sur toutes les tribunes et dans tous les forums de consultation qui se tiendront à la grandeur du Québec au cours des prochains mois. Je souhaite que les grands acteurs de la société civile participent et se sentent partie prenante de ce projet.
Nous avons quelques mois devant nous. Beaucoup de choses ont déjà été dites, écrites et remuées. Mais nous avons maintenant le devoir de passer à l’action. Pour ce faire, je vous suggère de suivre la démarche suivante:
Tout d’abord, cerner ensemble un certain nombre de problèmes.

Par la suite, s’atteler résolument à la recherche d’idées et de solutions nouvelles ou repensées.

Finalement, identifier les meilleures façons de rendre ces solutions applicables à court et moyen terme.
Le gouvernement participera comme les autres à la démarche qui s’amorce. Il n’aura pas la prétention d’y parler au nom des jeunes, ni au nom des autres partenaires.
Notre société connaît des difficultés parce qu’elle ne s’est pas suffisamment préoccupée de faire de la place aux jeunes. La capacité de remédier à cette situation dépasse celle du gouvernement. Ce que nous pouvons faire et ce que j’estime de ma responsabilité en tant que premier ministre, c’est de consacrer ardeur et ressources à la réussite de ce Sommet.
La partie n’est pas gagnée d’avance. Je souhaite sincèrement que nous puissions à nouveau miser sur nos forces, puiser dans nos énergies et regarder au-delà de nos préoccupations immédiates pour réussir ce grand rendez-vous.
Je vous remercie.

[BOUC=19990914]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution au séminaire Investissements secteur biopharmaceutique – 14 septembre 1999]
Distingués invités, Chers amis japonais,
Je suis honoré que vous ayiez accepté notre invitation à ce séminaire sur les possibilités d’investissement au Québec dans le secteur du biopharmaceutique. Je crois sincèrement que notre présence au Japon sera à la fois agréable et enrichissante. Personnellement, j’y attache également une valeur historique car le Québec et le Japon viennent de célébrer le centenaire de leurs relations. En effet, en 1898, Sœur Marie-Hélène Paradis, la première Québécoise à s’établir au Japon, ouvrait à Kumamoto un petit hôpital pour venir en aide aux plus démunis. Un siècle plus tard, les relations entre le Québec et le Japon, qu’elles soient économiques, culturelles ou sociales, sont plus dynamiques que jamais.
C’est en 1968 qu’une première firme japonaise est venue s’établir au Québec. Aujourd’hui, on en compte une centaine qui font affaire chez nous, parmi lesquelles une quinzaine investissent directement dans le développement économique du Québec.
Ce matin, des représentants des secteurs privé et public vous feront connaître un Québec moderne, hautement technologique, résolument tourné vers les affaires et qui représente une porte d’entrée exceptionnelle sur toute l’Amérique.
Ils vous présenteront les atouts uniques en matière d’investissement dans le secteur biopharmaceutique, une industrie qui a connu une progression extraordinaire au cours des dix dernières années, faisant du Québec le premier centre biopharmaceutique au Canada. Aujourd’hui, l’économie du Québec est diversifiée et possède toutes les caractéristiques d’une économie moderne. Le secteur tertiaire occupe maintenant une place dominante avec 71 % du PIB. Cela reflète notamment l’importance du développement de secteurs tels les télécommunications, les intermédiaires financiers, les entreprises de services-conseils, l’énergie, électrique pour n’en nommer que quelques-uns. Le secteur manufacturier, pour sa part, représente environ le cinquième de l’économie, alors que le secteur primaire compte à peine pour 3 %.
Ce qui me réjouit, c’est de constater que l’économie québécoise repose sur des bases solides :Premièrement, une main-d’œuvre qualifiée puisque près de 40 % de la population de 25 à 64 ans a fait des études postsecondaires, un des taux les plus élevés des pays de l’OCDE. Deuxièmement, des infrastructures modernes et développées en transport, communications et services aux entreprises. Troisièmement, des ressources naturelles abondantes et diversifiées.
Finalement, par sa situation géographique stratégique, le Québec a un accès privilégié au marché nord-américain. Aux cours des deux dernières décennies, l’économie du Québec s’est grandement transformée, passant de l’exportation de matières premières à la conception et à la réalisation de produits et de services à haute valeur ajoutée. Il y a vingt ans, la majorité des produits exportés provenaient de l’industrie forestière, pétrochimique et minière. Il s’agit donc d’une transformation si marquée que la région de Montréal se classe maintenant première en Amérique du Nord en termes de proportion de la population travaillant dans le secteur de la haute technologie. Ainsi, l’industrie aérospatiale québécoise se classe au sixième rang au monde et compte 230 entreprises regroupant 35000 employés. Dans le secteur des technologies de l’information, on retrouve environ 3400 entreprises qui emploient plus de 80000 personnes. L’industrie du biopharmaceutique, comme celles des technologies de l’information et de l’aérospatiale, fait partie de secteurs clés qui permettent au Québec d’exporter à travers le monde plus de 50 % de toute sa production. Une augmentation de plus de 70 % depuis cinq ans. Les États-Unis constituent notre principal client. C’est pourquoi les investisseurs qui décident de s’implanter au Québec savent que nous connaissons bien les réseaux américains. Depuis cinq ans, nos exportations vers les États-Unis ont progressé de plus de 150 %.
Ceux qui suivent la politique canadienne ont constaté que le Québec a été le grand promoteur du libre-échange avec les États-Unis. Notre appui fut également déterminant pour l’extension de l’accord avec le Mexique.
Nous avons appuyé la signature d’une entente de libre-échange maintenant en vigueur entre le Canada et le Chili et nous appuyons sans réserve l’extension du libre-échange à l’Amérique centrale et à l’Amérique du Sud.
Le Québec est une véritable porte d’entrée sur le marché des Amériques. Nous continuerons d’être à l’avant-garde du mouvement d’intégration économique du continent qui permet à nos entreprises de faire partie d’un des plus vastes marchés du monde.
Au cœur de l’Amérique technologique, notre économie est basée sur l’innovation, le haut niveau de connaissances de notre main-d’œuvre et une forte volonté d’ouvrir les frontières économiques avec nos partenaires d’Amérique, d’Europe et d’Asie. C’est grâce à la qualité de notre main-d’œuvre que nous avons atteint de tels résultats. De majorité francophone, la proportion de la population active bilingue à Montréal atteint 60 % et 80 % chez le personnel cadre. Il n’existe donc aucune barrière de langue entre le Québec et l’Amérique du Nord ou entre le Québec et l’Europe. Cela donne accès à deux grandes sources d’innovation au monde.
Cette qualité de la main-d’œuvre québécoise, nous la devons à notre système d’éducation. Celui-ci est doté d’un réseau d’universités accessibles à tous qui se classe parmi les plus modernes des pays industrialisés. Les élèves issus du système québécois se retrouvent généralement en tête des compétitions internationales en mathématiques et en sciences. Il y a au Québec une forte volonté gouvernementale d’offrir les meilleures conditions d’investissement. Nulle part ailleurs en Amérique, vous ne trouverez de tels incitatifs. La fiscalité d’entreprise et les crédits d’impôt en matière d’investissement ou de recherche et de développement sont des plus intéressants.
L’arrivée d’investisseurs étrangers nous a permis de diversifier notre économie et de créer de l’emploi dans de nouveaux secteurs. La présence japonaise au Québec représente à elle seule plus de 7000 emplois dans le secteur manufacturier.
Des entreprises comme Komatsu International, Teqsim ou Waterville TG, une filiale de Toyota, ont trouvé au Québec du personnel à la hauteur du légendaire perfectionnisme japonais. Elles ont aussi trouvé un milieu de vie sécuritaire : les taux de criminalité à Montréal sont nettement inférieurs à ceux des autres grandes villes nord-américaines.
Avec des investissements étrangers atteignant quelque 200000000000 de yens, nous avons connu une année record en 1998. Pour toutes ces raisons et bien d’autres, nous envisageons le nouveau millénaire avec confiance et détermination.
J’aime répéter à mes interlocuteurs que le Québec est le secret le mieux gardé. Au cœur de l’Amérique, nous sommes ouverts aux affaires et nous vous offrons des services professionnels de premier ordre.
Nous avons la ferme intention de poursuivre et de développer nos liens avec les entreprises japonaises, et je peux vous assurer que les Québécois qui sont ici aujourd’hui pourront vous présenter un portrait détaillé de notre économie et du secteur du biopharmaceutique, et répondre aux questions que vous pourriez avoir.
Je vous remercie de votre attention.

[BOUC=19990916]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution sur les relations Québec-Japon – Tokyo – 16 septembre 1999]
Distingués invités, Chers amis,
Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir accepté notre invitation. Votre présence parmi nous témoigne assurément de votre intérêt pour le Québec. Je souhaite que nos entretiens nous rapprochent davantage et ouvrent de nouvelles perspectives aux entreprises québécoises qui m’accompagnent ce matin.
J’aurai le plaisir, pendant quelques minutes, de partager avec vous des informations sur le Québec, plus particulièrement sur son économie, sa place en Amérique du Nord et dans le monde. Je vous invite donc à découvrir ce qui fait la force et la spécificité du Québec d’aujourd’hui.

Les relations entre le Québec et le Japon remontent à plus de cent ans, alors qu’une jeune missionnaire québécoise, sœur Marie-Hélène Paradis, décida de s’établir ici. Elle fut la première de plusieurs centaines de Québécoises et de Québécois qui ont ainsi traversé le Pacifique, d’abord inspirés par des motifs d’ordre spirituel, pour établir des missions et fonder des écoles. C’était le travail de toute une vie, et leur amour du Japon était profond. Il s’agit là d’une réalité dont se souviennent les Japonais, comme me le confiait récemment l’ancien ambassadeur du Japon au Canada, son Excellence monsieur Takashi Tajima.
Aujourd’hui, nous poursuivons nos échanges mais nos « missions » sont très différentes. Gens d’affaires, artistes, enseignants, ingénieurs, voilà les missionnaires des temps modernes qui partagent, avec leurs prédécesseurs toujours actifs, un respect profond et une grande admiration pour le Japon. Au Québec, nous avons confiance au Japon et en son avenir. D’ailleurs, notre Délégation générale à Tokyo a pignon sur rue depuis plus de 25 ans justement pour faciliter les échanges entre gens d’affaires japonais et québécois. Que ce soit pour importer des produits et services du Québec, investir au Québec ou trouver des partenaires québécois intéressés à former des alliances stratégiques, nos conseillers et attachés commerciaux sont à votre disposition. Le Japon est la deuxième puissance économique au monde et, de loin, la plus importante en Asie. Le Japon est aussi le principal partenaire commercial du Québec en Asie. [Japan’s exports to Québec have been increasing steadily over the past five years. In 1994, these exports were worth 1.7 billion Canadian dollars, or approximately 127 billion yen. In 1998, they totalled 2.3 billion Canadian dollars, or 168.2 billion yen.Québec, which ranks 16th among the OECD countries in terms of per capita GDP, has also seen its exports to Japan increase, from 546 million Canadian dollars in 1994 to 730 million Canadian dollars in 1997, or from 41 billion to 55 billion yen. This represents an increase of 34 per cent.But there is more. Since Québec’s share of Canadian exports to Japan is constantly growing, when you do business with Canada, you do more and more business with Québec.Despite today’s economic situation, Japanese and Québec companies have maintained their close ties and continue to grow. Québec companies have even succeeded in increasing their market share in sectors such as wood product derivatives, aerospace, software, electrical machinery and pharmaceuticals.] C’est en 1968 qu’une première firme japonaise est venue s’établir au Québec. Aujourd’hui, on en compte une centaine qui font affaire chez nous, parmi lesquelles une quinzaine investissent directement dans le développement économique du Québec. Ces entreprises sont présentes dans nos principaux secteurs économiques et ensemble, elles sont responsables de 15 400 emplois au Québec. Pour illustrer la diversité des investissements japonais au Québec, mentionnons la présence des firmes suivantes : Toyoda Gosei, Bridgestone-Firestone, Daishowa, Mitsubishi dans Iron-Ore, Komatsu et Furukawa dans Phillips-Fitel. Non seulement ces entreprises japonaises établies au Québec sont-elles des plus dynamiques, mais elles exportent pour plus de 1500000000 $ ou 112000000000 de yens. Pour leur part, de nombreuses sociétés québécoises se font également remarquer au Japon, dans différents secteurs de l’activité économique. Citons, notamment : Alis Technologies, Discreet Logic, Microsoft/Softimage, Northern Telecom et Teleglobe, dans les produits de haute technologie et les produits industriels; Demtec, Forex, Norbord et Polycor, dans les produits forestiers et les matériaux de construction; BioChem Immunosystems, dans les biotechnologies; Kirin-Seagram et Olymel, dans l’agro-alimentaire ainsi que Alcan et Rio Tinto Iron & Titanium Japan Ltd, dans l’énergie, les métaux et les minéraux. Traditionnellement, le Québec est reconnu comme un fournisseur fiable de matières premières. Aujourd’hui, c’est, en plus, notre expertise, fondée sur la haute technologie et les industries du savoir, qui attire les entreprises japonaises, elles-mêmes des pionnières en haute technologie. Le Japon et le Québec ne sauraient échapper, comme d’ailleurs les autres économies, aux impératifs de la mondialisation. Des changements technologiques rapides, une compétition internationale ardue et de nouvelles structures dans les échanges internationaux font évoluer nos méthodes de travail et nos façons de « faire des affaires ». Pour rester concurrentielles, nos entreprises doivent s’ajuster à de nouveaux paramètres. Celles qui ont choisi la voie des alliances ont opté pour la réussite. On compte d’ailleurs plusieurs alliances stratégiques majeures entre des compagnies japonaises et québécoises. Deux exemples parmi d’autres : la participation de Mitsubishi Heavy Industries dans l’avion d’affaires Bombardier Global Express; et le choix de Mitsubishi Electric en tant que distributeur du simulateur de réseau électrique pour TEQSIM, une filiale de Hydro-Québec. Ces alliances montrent bien comment des entreprises peuvent travailler ensemble et gagner des marchés mondiaux. Ainsi, il y a plus de neuf ans, Hydro-Québec, notre société d’État responsable de la production d’électricité, et Yuasa ont fondé une nouvelle compagnie dans le but de faire de la recherche et de commercialiser les produits qui en résultent. Plusieurs succès sont déjà connus, mais il en faut davantage. De plus en plus, les petites et moyennes entreprises doivent s’engager dans des alliances stratégiques. Selon Price Waterhouse, depuis le début des années 90, on compte un nouvel investissement japonais au Québec par année. La rentabilité de ces investissements et leur performance sont au moins égales ou supérieures à celles des entreprises japonaises établies ailleurs en Amérique. Le Québec offre en effet un climat favorable à l’investissement et dispose d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, particulièrement pour ce qui est des industries axées sur la recherche et le développement. En effet, les entreprises manufacturières qui entretiennent des activités de recherche et de développement au Québec bénéficient d’incitatifs fiscaux qui comptent parmi les meilleurs au monde. Ces avantages peuvent réduire les coûts de moitié et même plus. Nous occupons au Québec un territoire qui s’étend sur quelque 1600000 de kilomètres carrés, avec une population de plus de 7000000 de personnes. Le Québec d’aujourd’hui, c’est : une géographie nord-américaine, une histoire européenne, et une société résolument branchée sur le monde. Le Québec est aussi un carrefour entre les technologies et les cultures d’Amérique, d’Europe et d’ailleurs. Si vous avez visité Montréal, vous avez remarqué cette diversité, cette convergence des cultures. On y recense plus de 80 langues et dialectes. Le Québec est depuis longtemps un joueur connu sur la scène du commerce international. En 1998, nos exportations totales étaient de 113000000000 $, soit 8441000000000 de yens. Elles représentaient 58 % du PIB du Québec. Superbement intégré à l’économie nord-américaine, le Québec est un joueur essentiel au sein de l’Accord du libre-échange nord-américain, l’ALENA. Dix ans ont passé depuis la signature de cet accord et les résultats parlent d’eux-mêmes. Jetons un coup d’oeil sur le tableau qui illustre la croissance de nos exportations à travers le monde depuis 1990. Nos exportations vers les provinces canadiennes ont augmenté de 16 %, alors que nos exportations vers les États-Unis ont augmenté de plus de 150 %, et de 70 % à travers le monde. Le Québec est la seule région en Amérique du Nord où la langue officielle est le français. Notre population de 7000000 de Québécoises et de Québécois constitue un petit îlot francophone dans une mer anglophone. Mais nous avons su transformer notre différence, notre langue, en une force économique. La moitié de notre population active est bilingue, passant aisément du français à l’anglais et vice-versa. C’est encore plus vrai à Montréal où 60 % de la main-d’œuvre et 80 % de nos ingénieurs et gestionnaires parlent couramment les deux langues, soit le français et l’anglais. Il n’existe donc aucune barrière de langue entre le Québec et l’Amérique du Nord ou entre le Québec et l’Europe, ce qui vous donne accès à deux des plus grandes sources d’innovation au monde. Les universités du Québec et de l’Europe offrent plus de 400 programmes de recherche conjoints. Plus de 600 compagnies européennes sont établies chez nous, et plusieurs d’entre elles utilisent le Québec comme une porte d’entrée sur le continent nord-américain. Nos chercheurs travaillent autant avec les scientifiques américains qu’européens. Cela a permis la création de liens importants et le transfert de savoir entre le Québec et les États-Unis et entre le Québec et l’Europe. Américains et Européens, créateurs et entrepreneurs, tous font du Québec un point de rencontre de la nouvelle économie. Tout comme les gestionnaires, chercheurs et travailleurs qualifiés œuvrent dans un environnement technique, scientifique et culturel propice à l’innovation. Ils sont avantagés, notamment en recherche et développement, en conception, en production et en commercialisation. Nous voudrions qu’il en soit ainsi avec nos partenaires japonais. Nous avons besoin de votre expérience, de votre savoir pour améliorer nos façons de faire. Nous offrons nos connaissances, notre sens de l’innovation, notre imagination et notre originalité. Au Québec, en particulier dans les domaines de l’aérospatiale, de la biochimie et du multimédia, les sociétés américaines, européennes et québécoises travaillent côte à côte, échangent des idées, développent des alliances et forment une main-d’œuvre hautement qualifiée, branchée sur le monde d’aujourd’hui et de demain. C’est la raison pour laquelle le Québec compte désormais parmi les dix plus importantes nations au monde pour ce qui est des technologies de l’information, de l’aérospatiale, de la pharmaceutique et de l’ingénierie. La croissance de Montréal illustre bien le dynamisme du Québec au sein de cette nouvelle économie. Toujours d’après Price Waterhouse, Montréal se classe 15e parmi les principales villes nord-américaines sur le plan de la population, mais elle se classe aussi : neuvième quant au nombre d’entreprises de haute technologie; septième quant au nombre d’emplois en technologies de l’information; sixième en bio-pharmaceutique; cinquième en aérospatiale; et première quant à la proportion de la population qui occupe un emploi en haute technologie. Cette croissance a fait de Montréal le point de mire du développement des nouvelles technologies. Les entreprises qui m’accompagnent proviennent des secteurs les plus dynamiques de notre économie : l’énergie, l’environnement, la construction, l’aérospatiale, les technologies de l’information, la biopharmaceutique et le bioalimentaire. Il s’agit d’éléments clés de notre économie, de partenaires qui nous ont permis d’occuper une place de choix sur le marché mondial. Je sais qu’avec vous, elles sauront ouvrir de nouvelles pistes de collaboration et de progrès pour le Québec et le Japon. Merci.

[BOUC=19990930]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Hommage au Québec de l’excellence – 30 septembre 1999]
Membres du Bureau des gouverneurs du Mouvement québécois de la qualité, Messieurs les coprésidents du lancement du Mois de la qualité, Membres du jury, Distingués invités, Ici et là, à travers le Québec, des entreprises se sont dit : on ne se satisfait pas d’être en vie. On ne se satisfait pas du bilan équilibré, des commandes qui rentrent, des employés qui font leur travail. On veut davantage. On veut s’offrir le plus beau des défis, la plus belle des conquêtes : celle de l’excellence.
Miser sur l’excellence, sur la qualité totale dans l’entreprise, c’est un pari à long terme. Entreprendre une démarche de qualité, c’est repenser ses façons de faire, c’est provoquer l’introspection.
Cela demande de la volonté et une certaine vision de l’avenir. Il faut accepter de mettre aux oubliettes un certain confort, je dirais une certaine forme de conformisme auquel on s’était habitué. Et puis, il faut reconstruire par-dessus. Avec méthode, rigueur et fermeté. Sans oublier l’humanisme. Car ce qui sous-tend toute cette démarche, c’est le bien-être. On veut mieux faire pour, demain, se sentir mieux. Du tact aussi, pour convaincre les employés de faire des efforts supplémentaires. Mais c’est aussi un pari gagnant. Vos employés, vos clients, vos fournisseurs vous seront reconnaissants. Et voir des clients fidèles, des fournisseurs satisfaits, des employés fiers de ce qu’ils font, c’est une belle récompense. La plus belle des récompenses.
Vous faites aussi un pari gagnant à l’échelle du Québec, pour toutes les répercussions directes d’une telle démarche sur notre économie. Et vous remportez une victoire sur l’échiquier du commerce international. Devenir une « entreprise de classe mondiale », c’est contribuer à hisser le Québec sur le podium des nations.
Dans quelques instants, les noms des lauréats aux Grands Prix québécois vous seront révélés. Il s’agit des plus hautes distinctions remises au Québec, pour souligner les résultats tout à fait exceptionnels dans la gestion totale de la qualité. Aujourd’hui est une date un peu spéciale. On lance le Mois de la qualité. Et la qualité, cela ne touche pas seulement des entreprises, cela touche tout le Québec. Ses institutions, ses services publics, ses entreprises, les femmes et les hommes qui y travaillent, les jeunes aussi. En somme, le « Québec de l’excellence », c’est à nous tous de le construire.
L’excellence d’une entreprise, tout comme celle d’une nation, d’un peuple, n’est jamais le fruit du hasard. C’est le fruit d’une vision. Le fruit d’une volonté arrêtée de se dépasser. Pas seulement pour le goût de l’effort. Mais parce que le dynamisme, la compétence, le savoir-faire finissent toujours par se trouver récompensés. Plus de richesses, plus de satisfaction personnelle, plus de bien-être collectif, plus de solidarité, et puisqu’on parle de qualité, plus de qualité de vie.
Voilà ce que je souhaite au Québec, à l’aube du prochain millénaire. Et voilà ce dont on est capable au Québec dans ce « Québec de l’excellence ». Parce qu’ici, nous réunissons tous les ingrédients. Nous disposons de tous les facteurs clés pour réussir.
Les études le confirment : notre main-d’œuvre est l’une des plus qualifiées. Nos entreprises sont réputées pour leur gestion et leur capacité à s’adapter aux changements. Main-d’œuvre qualifiée et entreprises compétentes : il faut continuer de les rapprocher, de les unir. Refuser qu’un biologiste, qu’un programmeur ou qu’un technicien glisse un jour dans la spirale du chômage. Refuser qu’un chercheur ou un docteur en sciences cède à l’appel des sirènes hors de nos frontières. Lorsque la compétence est là, il faut lui donner les moyens de s’exprimer, et fort heureusement, c’est ce qui se passe.
Au fil de ces dernières années, plus de 1 200 entreprises internationales ont choisi de s’établir au Québec. Et la qualité de notre main-d’œuvre y est pour beaucoup. La compétence est porteuse d’espoir et de confiance. Déjà, des milliers d’emplois dépendent directement de ces entreprises. J’y vois donc un effet d’entraînement direct entre la compétence et l’emploi.
La qualité de la concertation québécoise, c’est aussi un facteur indispensable de succès. Dans sa victoire sur le déficit, le gouvernement doit beaucoup au consensus social qui s’est dégagé des Sommets économiques de 1996. C’est ensemble que nous avons redressé les finances publiques. Ensemble que nos objectifs budgétaires sont réalisés pour la quatrième année. Ensemble que nous avons atteint, un an d’avance, la cible du déficit zéro. C’est la première fois en quarante ans qu’une telle chose se produit. Grâce à une discipline constante, le Québec a retrouvé sa crédibilité auprès des milieux financiers, ici et ailleurs. Nous avons, ensemble, fait nos devoirs. Les agences de cotation les plus réputées, comme Standard & Poor’s ou Moody’s, ont modifié à la hausse les perspectives d’amélioration de la cote de crédit du Québec. Nos emprunts nous coûtent maintenant moins cher, nous empruntons moins d’ailleurs, car nos créanciers ont confiance et nous font confiance.
Comme vous, le gouvernement s’est engagé dans une démarche de qualité. Avec deux objectifs précis : gérer plus efficacement les fonds de l’État et améliorer la qualité du service public, au coût le plus bas possible. Un travail difficile, dont on ne soupçonne pas encore tous les bienfaits. Nous avons retroussé nos manches. Nous avons amélioré notre gestion et de nombreux programmes.
Le « Québec de l’excellence », c’est un environnement d’affaires hautement concurrentiel. Dans un contexte d’ouverture des frontières, les entreprises cherchent à s’implanter là où les coûts sont les plus bas, là d’où elles peuvent ensuite exporter vers les principaux marchés. À ce chapitre, le Québec bénéficie d’avantages significatifs. La semaine dernière, Bernard Landry a rendu publique une étude effectuée par la firme KPMG qui évalue et compare les coûts d’implantation et d’exploitation des entreprises dans les principaux pays industrialisés.
Les résultats obtenus sont remarquables. Ils démontrent que, dans l’ensemble des pays industrialisés analysés, c’est au Québec que l’environnement d’affaires est le plus favorable. À titre d’exemple, les coûts d’entreprises au Québec sont de 2,1 % inférieurs à la moyenne canadienne et de 9,7 % moins élevés qu’aux États-Unis.
Montréal s’impose déjà comme une véritable technopole. Elle se classe aujourd’hui au neuvième rang des principales villes nord-américaines quant au nombre d’entreprises de haute technologie. En pourcentage, il y a plus de gens qui occupent un emploi en haute technologie à Montréal que dans n’importe quelle grande ville d’Amérique du Nord. Un tel succès repose sur la conjonction de plusieurs atouts comme : des ressources humaines de premier plan, la présence de capitaux de risques, le sens des affaires et un réseau où circulent activement les idées. Nous avons tout cela, et même davantage, avec des mesures fiscales spécifiques à ce secteur.
L’aérospatiale : le Québec se classe au sixième rang mondial avec 230 entreprises et 35000 employés. En 1998, ce secteur a connu une nouvelle poussée de ses ventes de près de 1000000000 $. Au total, un chiffre d’affaires de 7800000000 $, voilà qui pèse lourd et qui joue fort dans la balance d’un pays. Avec des Bombardier aéronautique et des CAE Électronique, tout le secteur est sur une belle rampe de lancement.
Technologies de l’information : un autre secteur qui explose et qui crée une nouvelle révolution, non pas industrielle, mais numérique. Un secteur dans lequel le Québec excelle, avec 3400 entreprises et 80000 employés. Là encore, la qualité est le maître mot.
Pour le gouvernement aussi. On s’est mobilisés, on a écouté les entreprises et développé des mesures concrètes qui portent leurs fruits. Le Programme d’amélioration des compétences en science et en technologie, les Centres de développement des technologies de l’information et celui du multimédia ont déjà permis de concrétiser 115 projets, avec, à la clé, 11 500 emplois. L’idée est maintenant d’accélérer l’implantation ou l’expansion de ce type d’entreprises partout au Québec. Au cours des prochains mois, une douzaine de Carrefours de la nouvelle économie verront le jour en régions. Vous avez, bien sûr, entendu parler de joueurs comme UbiSoft, Discreet Logic, Matrox, et vous suivez la course d’étoiles montantes comme Intellia ou Public Technologies Multimédia. Mais le multimédia, c’est aussi une myriade d’entreprises plus petites qui placent le Québec sur la carte des enjeux de demain : le commerce électronique, le divertissement en ligne, les supports pédagogiques sur Internet.
Les technologies de l’information ne s’arrêtent pas au multimédia. C’est tout le secteur des télécommunications qui est impliqué. 54000 emplois avec des chefs de file comme Bell, Nortel, Québectel, Ericsson, Téléglobe et Motorola. 25000 emplois dans l’informatique, avec des géants comme IBM, DMR, Cognicase, LGS et, bien sûr, CGI. Le Québec occupe également une position dominante en Amérique du Nord dans les secteurs de l’ingénierie, du matériel roulant, des biotechnologies et de la pharmaceutique, où Biochem Pharma de Laval et Merck Frosst exercent un leadership incontestable par la qualité de leur recherche.
Les voilà donc tous, ces secteurs gagnants pour le Québec : technologies de l’information, multimédia, aéronautique, matériel roulant, pharmaceutique et ingénierie. Des entreprises qui ont soif de qualité et de perfection. Pour le bien-être de leurs clients, celui de leurs employés et, au final, le bien-être de tous.
Mais pour mieux vivre encore, ne vivons pas cachés. Exportons cette « excellence » qui fait déjà notre fierté. Le Québec s’internationalise. 5000 entreprises de chez nous pensent « mondial » et s’imposent aujourd’hui sur les marchés étrangers. En huit ans, nos exportations ont fait un bond de 70 %. Elles représentent 58 % de notre PIB. Ce n’est pas le fait du hasard. Ce qui fait la renommée et la qualité de nos produits, c’est notre savoir-faire, nos compétences, notre volonté.
Le gouvernement a voulu tenir parole. Lors du discours inaugural de 1996, nous avions pris l’engagement d’amener 2000 PME de plus vers les marchés de l’exportation en l’an 2000. À ce jour, 81 % de notre objectif a été atteint. Nous mettons tout en œuvre pour que l’objectif soit pleinement atteint d’ici le 31 décembre 2000. Pour exporter, il faut créer, il faut inventer, il faut innover.
La force d’innovation du Québec et l’intelligence de ses chercheurs, c’est ce qui a permis de doubler en cinq ans le nombre d’entreprises québécoises qui réalisent des activités de recherche et développement. Le Québec devance maintenant tous les pays du G7 quant à la croissance des dépenses de recherche et développement de ses entreprises. Et c’est ce formidable redressement qui explique la croissance accélérée des exportations du Québec en produits de haute technologie. Plus du tiers de nos marchandises exportées sont à valeur ajoutée. Le « Québec de l’excellence », c’est aussi près de 3000 établissements certifiés ISO 9000. En nombre absolu pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, le Québec n’est devancé que par l’Ontario. Encore là, le Québec revient de loin : en 1992, à peine une centaine d’entreprises détenaient un enregistrement de qualité. Main-d’œuvre qualifiée, secteurs porteurs, force de concertation, régimes fiscaux avantageux, exportations et recherche, voilà ce qui fait le « Québec de l’excellence ». Voilà pourquoi l’économie du Québec est en progrès. 1998 a été l’une des meilleures années depuis dix ans. L’économie a cru au rythme de 2,9 %. Et depuis le début de l’année, elle continue d’augmenter. Et puis il y a l’emploi. La bataille de l’emploi. Une bataille qui se chiffre à 20 % des emplois créés au Canada lors de notre dernier mandat. C’est la meilleure performance d’un gouvernement du Québec en quinze ans, c’est-à-dire depuis le dernier mandat de René Lévesque. En 1998, on parle de 67000 emplois créés, dont plus de la moitié sont allés à des jeunes. Là aussi, c’est la meilleure performance depuis un quart de siècle. Cet effort s’est poursuivi en 1999 avec une création moyenne de 68 600 emplois, tous à temps plein, dont près de la moitié occupés par des jeunes.
Souvenez-vous, en octobre 1998, le taux de chômage du Québec est descendu sous la barre psychologique de 10 %. Une première depuis 8 ans. De sorte que, pour l’ensemble de l’année 1998, le taux de chômage a été à son plus bas niveau depuis huit ans. Et, en moyenne depuis le début de l’année, le taux continue de baisser comparativement à 1998.
Cette même année, le Québec a connu sa plus importante baisse du nombre de prestataires de la sécurité du revenu, une baisse de 9 %. Depuis le début de l’année, le nombre continue de chuter de 8,3 %.
Au chapitre des investissements, les nouvelles sont bonnes. En 1998, alors que les investissements privés ont diminué au Canada, ils ont connu, au Québec, une hausse de 4 %. Cette année encore, ils progressent plus rapidement ici qu’au Canada. Les dirigeants d’entreprise ont confiance en l’économie du Québec. Ils investissent avec nous dans l’avenir. Les consommateurs québécois ont aussi repris confiance. Depuis le début de l’année, les ventes au détail augmentent plus rapidement ici qu’ailleurs.
Mais il y a un mais. Il faut aller au bout. Il faut chasser les zones d’ombre. Éradiquer des poches de précarité qui minent le peuple québécois, qui minent notre jeunesse, qui minent notre avenir. Si on ne bouge pas, autant dire adieu à nos lauriers. Et ça, ce serait la démission, c’est-à-dire quelque chose d’inacceptable.
C’est pourquoi le gouvernement a convié les jeunes et les décideurs à un sommet de la jeunesse, en février prochain. L’intérêt commun nous dicte de tout mettre en œuvre pour ouvrir l’avenir et ouvrir le monde à la jeunesse du Québec. Car le « Québec de l’excellence » ne pourra progresser sans elle.
Les jeunes ont soif de liberté. Les jeunes ont soif d’accomplissement. Et, tout cela, ils le gagneront par l’effort, l’excellence, la recherche de la qualité. Il nous faut aussi les écouter. Ils ont des choses à dire.
Le « Québec de l’excellence » doit poursuivre ses efforts. Il doit pousser plus loin la passion de la qualité et développer davantage sa compétitivité, comme les centaines d’entreprises d’ici qui ont fait le pari de devenir des entreprises de classe mondiale. Elles ont implanté une démarche de gestion intégrale de la qualité, couvrant l’organisation dans tous ses aspects, autant le personnel, les clients, les outils de gestion que l’assurance qualité.
Les Grands Prix sont les plus hautes distinctions décernées au Québec dans le domaine de la qualité. Ils récompensent les entreprises privées et les organismes publics pour leurs résultats remarquables et leur contribution à l’accroissement d’une économie québécoise plus compétitive.
Au nom du gouvernement du Québec, j’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui trois organisations dans le cercle très restreint des entreprises de classe mondiale. Un prix est décerné cette année dans trois des cinq catégories que comportent les Grands Prix québécois de la qualité.
Tout d’abord, dans la catégorie PME manufacturière, le gouvernement du Québec tient à rendre hommage à un chef de file parmi les PME en raison de la grande rigueur de sa démarche qualité. Le maintien de la qualité constitue chez cette entreprise une préoccupation constante, autant de la part des gestionnaires que chez les employés. Cette PME a su responsabiliser son personnel et créer un climat de travail exemplaire qui se répercute sur l’ensemble de la clientèle et sur les résultats de l’entreprise. Elle a mis en place, dans toutes les unités de l’usine, un système rigoureux d’amélioration répondant à des normes strictes de fabrication de produits médicaux.
Dans la catégorie PME manufacturière, le Grand Prix québécois de la qualité est donc décerné à Corporation Baxter, usine de Sherbrooke. Dans la catégorie grande entreprise manufacturière, le Grand Prix québécois de la qualité est remis à une organisation qui a toujours accordé une grande importance au déploiement du leadership et des valeurs qualité. L’effort consenti par l’entreprise dans l’élaboration et le suivi de sa planification stratégique est exemplaire. La culture qualité qu’elle a mise en place s’appuie sur un système de communication et de reconnaissance tout à fait efficace. Elle dispose également d’un éventail de mesures de la qualité qui s’étend dans toutes les fonctions de l’entreprise. Un système d’information bien documenté lui permet d’améliorer constamment ses produits de même que ses réseaux de communications micro-ondes numériques. Dans la catégorie grande entreprise manufacturière, le Grand Prix québécois de la qualité est décerné à une entreprise dont j’ai déjà eu le plaisir de souligner le travail au Mexique, j’ai nommé Harris Canada, Opérations de Montréal. Enfin, dans la catégorie organisme public, un Grand Prix québécois de la qualité est attribué à une organisation renommée pour l’engagement de la haute direction dans la mise en œuvre d’un programme de gestion intégrée de la qualité. Cet organisme a su se doter d’outils lui permettant de disposer de données fiables dans ses divers champs de responsabilité. La créativité qu’il a manifestée dans l’établissement de partenariats avec le syndicat, les employés et les fournisseurs en fait un organisme modèle. Il s’agit d’une municipalité qui fut la première au monde à recevoir une certification ISO 9001.
Dans la catégorie organisme public, le Grand Prix québécois de la qualité est remis à la municipalité de Saint-Augustin-de-Desmaures.
En terminant, je voudrais enfin témoigner à nouveau mon appréciation aux trois récipiendaires du Grand Prix québécois de la qualité, distinction qui leur confère, à juste titre, le statut « d’entreprises de classe mondiale ».
Ces organisations tracent la voie aujourd’hui à des centaines d’autres qui travaillent à devenir plus concurrentielles. Vous nous montrez le chemin du succès. Vous nous montrez qu’il est possible et même passionnant de relever des défis nouveaux et exaltants. Ensemble, nous pouvons réussir, nous allons réussir.
Merci.

[BOUC=19991004]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution au Congrès international sur l’aluminium liquide – 4 octobre 1999]
Messieurs les Députés, Monsieur le Maire, Monsieur le Président honoraire, Distingués invités de la table d’honneur Mesdames et Messieurs,
Bienvenue dans l’une des plus belles régions du Québec, le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Bienvenue dans ce que nous appelons ici le Royaume. C’est une terre fertile. Fertile pour nos bleuets, nos forêts, nos produits laitiers. Fertile pour la mise en valeur de nos ressources naturelles, le bois, le granit, l’hydroélectricité. Et avec la proximité de cette énergie abondante et bon marché, vous ne serez pas surpris de découvrir ici un autre royaume. Celui de l’aluminium.
Je suis très fier que cette région soit aujourd’hui le rendez-vous mondial de l’industrie de la transformation de l’aluminium, et c’est avec beaucoup de plaisir que j’accueille tous les délégués de cette industrie. Les propriétés physiques de l’aluminium ont joué un rôle déterminant et même crucial pour certaines inventions majeures. Que seraient les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, de l’aérospatiale sans ce métal polyvalent. La lune nous serait sans doute encore inaccessible, nos voitures seraient lourdes, encombrantes et peu économiques, et nous aurions été privés de belles prouesses architecturales. Dans les transports, l’industrie électrique, l’emballage, le bâtiment et toutes les autres industries, l’aluminium a trouvé de fantastiques débouchés. Léger, inaltérable, excellent conducteur électrique et thermique : autant de qualités qui font de l’aluminium le premier des métaux non ferreux. De plus, les possibilités d’alliage ouvrent à ce matériau un important potentiel de développement. Sa grande résistance mécanique lui donne un atout considérable pour l’avenir. Et puis il y a son potentiel de recyclage qui contribue à faire de l’aluminium un matériau taillé pour le prochain millénaire, un matériau qui répond à toutes les exigences montantes de l’écologie, donc aux grandes valeurs modernes. Mais avant de parler d’avenir, regardons ce qui se fait ici, et aujourd’hui. La transformation de l’aluminium est au cœur des priorités du gouvernement. Au Québec, près d’une cinquantaine d’établissements œuvrent au sein de cette industrie. Dans la région par exemple, on trouve des usines d’Alcan, de Spectube, de Moultec et des fonderies. C’est également ici qu’une université, l’Université du Québec à Chicoutimi, a créé la première chaire industrielle « Solidification et Métallurgie de l’aluminium ».
L’industrie de l’aluminium s’étend également à travers tout le Québec. On retrouve des entreprises comme Reynolds et une myriade de petites et moyennes entreprises qui toutes contribuent au dynamisme de ce secteur et au maintien de plus de 4000 emplois. Aujourd’hui, le Québec transforme 24 % de l’aluminium qu’il produit. Cela s’est traduit par des livraisons de plus de 1000000000 $ en 1998. Nous voudrions être davantage performants dans la transformation d’une part de plus en plus importante des lingots d’aluminium qui sont produits ici. C’est pourquoi gouvernement et entreprises ont investi, en dix ans, plus de 225000000 $ en achat d’équipements, en agrandissement et pour moderniser des usines de transformation. Le Québec dispose de nombreux atouts pour rendre l’industrie de transformation de l’aluminium encore plus dynamique, et surtout plus compétitive. Regardons ce qui fait, chez nous, la force et la spécificité de cette industrie. Avec une capacité annuelle de production de 2100000 de tonnes métriques, l’industrie de l’aluminium primaire au Québec compte près, de 10000 emplois. En clair, nous sommes le troisième producteur mondial, après les États-Unis et la Russie. On retrouve ici certaines des alumineries les plus performantes au monde. La recherche-développement se situe à un niveau très avancé, notamment dans le domaine de l’alumine, tout près d’ici, à Arvida. Nous bénéficions, au Québec, de la présence de cinq grandes sociétés : Alcan Aluminium, Reynolds, Aluminerie de Bécancour, Aluminerie Lauralco et Aluminerie Alouette.
C’est avec confiance que le Québec envisage les mouvements de fusion ou de regroupement parmi certains grands joueurs de l’industrie. Car, avec des coûts de production très compétitifs, une main-d’œuvre qualifiée, des disponibilités de partenariats financiers et un excellent niveau de recherche-développement, notre avenir paraît stimulant pour ce très important secteur de notre économie globale. Surtout si la demande est au rendez-vous! Et dans ce domaine, le Québec a la chance de compter d’importantes entreprises parmi les grandes utilisatrices actuelles et futures. Dans les principaux champs de développement de l’aluminium que sont l’aérospatiale, le transport terrestre et maritime, le bâtiment et la construction, le Québec jouit de la présence d’entreprises de classe mondiale.
Et pour les entreprises en transformation de l’aluminium qui souhaitent s’implanter et se développer en Amérique du Nord, le Québec est considéré à juste titre comme un choix privilégié et stratégique. Depuis la signature de l’ALENA, l’Accord de libre-échange nord-américain, le Québec a superbement tiré son épingle du jeu.
En dix ans, nos exportations vers les États-Unis ont augmenté de plus de 150 % , et de 70 % à travers le monde. De sorte qu’en 1998, nos exportations totales étaient de 113000000000 $. Elles représentaient 58 % du PIB du Québec. Une économie extrêmement ouverte. Une des plus ouvertes qui soient.
Faisant partie d’un des plus vastes marchés du monde, nos entreprises bénéficient également des coûts d’implantation et d’exploitation les plus bas des principaux pays d’Amérique du Nord et d’Europe. Selon une étude de la société internationale d’experts-conseils KPMG, c’est au Québec que les coûts d’investissements initiaux, les coûts de main-d’œuvre, les coûts de services et le taux d’imposition des profits sont les plus favorables à l’investissement. Concrètement, pour les entreprises, on parle d’une économie de 2,1 % par rapport à la moyenne canadienne et de 9,7 % par rapport aux États-Unis.
Le gouvernement du Québec met un point d’honneur à épauler l’entreprise, petite ou grande, dans sa croissance. Cela se traduit par de l’aide à l’innovation ou à l’adaptation de la main-d’œuvre, du soutien à l’exportation et de la recherche d’investissements. Dans tout le Canada, c’est au Québec qu’on trouve la plus grande disponibilité de capital de risque. La Société générale de financement, partenaire industriel majeur pour les grands investisseurs étrangers, et la société Investissement Québec, responsable de la prospection et de l’accompagnement d’investisseurs, font leur grande part pour l’industrie de la transformation de l’aluminium. Grâce à ces deux sociétés d’État, d’importants investissements ont été réalisés chez Altex Extrusion, Neuman, Reycan et bien d’autres.
Mais la capacité concurrentielle n’est pas seulement une question de coûts de production. La qualité de main-d’œuvre joue pour beaucoup. C’est d’ailleurs la raison la plus souvent évoquée par les investisseurs étrangers. Et c’est encore plus vrai dans l’industrie de l’aluminium. Plusieurs centres de formation universitaires ou privés fournissent des programmes de formation à la fine pointe de cette industrie. C’est cela qui permet de maintenir la qualité de la main-d’œuvre dans ce secteur. Le Québec se distingue également par une préoccupation particulière envers la valorisation des résultats de la recherche-développement et son transfert en faveur des entreprises. L’expertise de recherche et développement chez nous est en plein développement. Qu’on pense au Centre de haute technologie de Jonquière; au Centre virtuel de prototypage de Polytechnique; au Centre de recherche industrielle du Québec; aux Centres de formation et de développement en métallurgie de Trois-Rivières et de la Baie; et à celui de la transformation des métaux de McGill, pour ne nommer que ceux là.
À cet égard, qu’il me soit permis de distinguer parmi nos différents centres de liaison et de transfert celui là même qui œuvre spécifiquement dans l’aluminium et qui est d’ailleurs co-organisateur de ce congrès : le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium.
Ce centre est totalement dédié à l’établissement de relations entre chercheurs et entreprises. Il a pour mandat d’identifier les besoins des entreprises au soutien à la recherche et au transfert des connaissances. Il a, par ailleurs, étendu ses relations avec certains organismes en France, comme le Centre technique des industries de la Fonderie, son partenaire dans ce congrès. On m’informe que des partenariats avec d’autres organismes européens pourraient être réalisés à l’issue du présent congrès. Mon gouvernement est très favorable aux échanges et aux alliances plurinationales.
J’invite les visiteurs étrangers qui sont ici aujourd’hui à considérer les avantages que je viens de décrire. Et comme je l’ai dit tout à l’heure, l’aluminium est un matériau moderne avec, pour lui et ses alliages, un avenir très prometteur. Mais son avenir dépend justement des applications nouvelles que l’industrie saura mettre au point. L’innovation reste capitale, notamment pour faire face à la vive concurrence de matériaux comme le titane, le magnésium, les plastiques et les matériaux composites. Transat 99 est pour vous et pour nous une occasion unique d’accroître votre expertise, notre expertise, et d’échanger sur vos connaissances.
J’y vois le signe de la grande maturité qui caractérise l’ensemble de votre industrie. Je vous souhaite de fructueux échanges au cours des journées à venir. Je vous remercie.

[BOUC=19991006]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution au Forum des Fédérations à Montebello – 6 octobre 1999]
Monsieur le Président, Distingués invités, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais d’abord vous souhaiter la bienvenue au Québec. Nous apprécions la présence chez nous de personnalités politiques et d’experts familiers avec le concept du fédéralisme. C’est un régime politique auquel nous avons nous-mêmes consacré, vous vous en doutez peut-être, quelques moments de réflexion. Mais, comme nous le savons tous, il peut arriver qu’il existe quelque différence entre le fédéralisme dans l’absolu et sa pratique au quotidien. Sur le plan des discussions théoriques, je ne doute pas que les participants à ce forum s’entendent facilement sur quelques principes de base. Par exemple, nous conviendrons tous que le fédéralisme, comme d’autres modes d’organisation politique, peut être une réponse au défi de faire vivre et prospérer ensemble des communautés diverses. Tous reconnaîtront aussi, et nous les premiers, que sa mise en œuvre a donné lieu à des expériences positives. Comment ne pas signaler, par exemple, le remarquable succès du régime fédéral chez nos voisins et amis du sud?
Mais en d’autres lieux, le fédéralisme soulève des controverses. On le voit notamment en Europe, où l’hypothèse d’une transformation de la communauté européenne en union fédérale suscite beaucoup d’opposition. Par conséquent, pour porter un jugement sur une application quelconque du modèle, il faut renoncer à la quiétude de l’harmonie académique et faire une plongée forcément controversée dans la dure et complexe réalité. Les débats s’animent singulièrement quand on doit se pencher, dans une situation donnée, sur la qualité des rapports entre les États membres, le respect des compétences, la satisfaction des aspirations collectives et l’affirmation du sentiment d’appartenance. Le modèle fédéral ne peut pas encadrer toutes les réalités. De nombreux pays, où fleurit la démocratie, lui ont préféré un autre mode d’organisation. La démocratie n’est pas l’apanage des régimes fédéraux. Le fédéralisme a réussi là où il a été capable de flexibilité, d’efficacité de fonctionnement entre les divers paliers de gouvernement et de respect des identités des États membres. Une fois constituée, une fédération n’est viable que si elle remplit ses promesses et s’adapte à l’évolution et aux besoins de chacun de ses membres. Nous voici donc dans le vif du sujet. De toute évidence, les organisateurs de ce colloque, sans pour autant exclure les autres expériences de fédéralisme, ont voulu pointer les projecteurs sur le fédéralisme canadien. Si c’est pour l’exalter, vous me permettrez de m’étonner. Je trouve plutôt ironique que le gouvernement fédéral canadien ait choisi de tenir ce premier forum des fédérations sur le territoire du Québec. Ne l’oublions pas, c’est ici et à nous Québécois qu’on a imposé, en 1982, une constitution qui a réduit les pouvoirs de notre Assemblée nationale dans des domaines aussi névralgiques que la langue et l’éducation. Faut-il rappeler que, depuis, tous les gouvernements québécois, quelle que soit leur allégeance politique, ont répudié cette constitution? Les Québécois ont perçu ce coup de force pour ce qu’il était, c’est-à-dire une rupture du pacte fédératif.
Et pas seulement les Québécois. Robert Stanfield, ancien premier ministre de la province de la Nouvelle-Écosse et subséquemment chef de l’opposition officielle à Ottawa, tenait en 1989 les propos suivants : [« The Constitutional package of 1982 was unacceptable to the government of Québec of the day, is unacceptable to the present government of Québec, would have been unacceptable to any government of Québec one can recall or any future government of Québec one can imagine. »] Le fédéralisme canadien, c’est aussi la main tendue du Québec qui a été rejetée, en 1990, quand celui-ci a pris l’initiative de formuler une proposition de réforme constitutionnelle qui lui aurait permis d’adhérer dans l’honneur à la constitution actuelle.
Cette démarche, autrement nommée « Accord du Lac Meech », a rencontré une fin de non-recevoir au Canada anglais. Aux yeux de bien des Québécoises et Québécois, cet échec a traduit la ferme détermination du reste du Canada de nier la spécificité du Québec, en le maintenant hors de la famille constitutionnelle. C’est ici également au Québec que, dans la foulée de cet échec, le gouvernement de l’époque, pourtant fédéraliste, celui de Monsieur Bourassa, fit adopter par l’Assemblée nationale une loi appelant à la tenue d’un référendum sur l’accession du Québec à la souveraineté. Cette consultation populaire n’eut jamais lieu, puisque, dans l’atmosphère exacerbée des mois qui ont suivi, un nouveau projet de réforme, émanant du gouvernement central, fut soumis à un référendum. Ce fut ce qu’on a appelé l’Accord de Charlottetown. 57 % des électeurs québécois rejetèrent cette proposition parce qu’ils y voyaient trop peu pour le Québec. Inversement, dans le reste du Canada, 54 % des électeurs s’y opposèrent, la jugeant trop généreuse pour le Québec. C’est également le Québec qui a élu, en 1993, 54 députés souverainistes qui sont allés former l’opposition officielle à la Chambre des communes à Ottawa. Le Bloc Québécois est toujours la principale force politique sur la scène fédérale au Québec. C’est encore ici qu’en octobre 1995, un gouvernement nouvellement élu proposa par voie référendaire que le Québec devienne un État souverain. Le gouvernement sollicitait en même temps le mandat d’offrir un partenariat au Canada. Plus de 93 % des électeurs se prévalurent de leur droit de vote. 49,4 % votèrent oui ; 50,6 % non. Moins de 30000 votes firent la différence.
Comment expliquer le blocage du fédéralisme canadien? La réponse est dans la description de notre réalité. Le Québec est, sur le continent nord-américain, la seule société majoritairement francophone disposant d’une assise territoriale bien définie et d’institutions politiques qu’elle contrôle. Le peuple du Québec jouit de tous les attributs classiques d’une nation. D’abord colonie française d’Amérique, puis composante de l’Empire britannique, à la suite d’une conquête militaire, le Québec est aujourd’hui une société moderne de 7000000 d’habitants, respectueux des droits de la minorité anglophone et des peuples autochtones et fiers de l’apport des communautés culturelles.
Le peuple québécois adhère à la conception démocratique d’une nation francophone par la langue, plurielle dans sa culture et largement ouverte à l’immigration internationale, comme le montre la diversité pluriethnique de la région montréalaise. Le Québec est la 16e puissance économique du monde. Son économie compte parmi les plus ouvertes, puisque 58 % de sa production est exportée hors de son territoire. C’est l’adhésion massive du Québec à l’accord de libre-échange avec les États-Unis qui en a assuré la conclusion en 1988. On sait qu’il s’est depuis étendu au Mexique.
Il n’est donc pas surprenant que le Québec ait toujours cherché à mieux protéger son existence, à promouvoir sa culture et sa langue officielle et commune, qui est le français, et à contrôler les outils de son développement économique, social et politique. C’est justement pour répondre à ces préoccupations québécoises qu’a été créée la fédération canadienne. La Cour suprême du Canada le reconnaît formellement dans son récent avis, et je cite : « La réalité sociale et démographique du Québec explique son existence comme entité politique et a constitué, en fait, une des raisons essentielles de la création d’une structure fédérale pour l’union canadienne en 1867 », fin de la citation. Les Québécois ont toujours vu dans la fédération canadienne un pacte entre deux nations; un pacte qui devait leur garantir le contrôle de leur développement et l’exercice de compétences constitutionnelles exclusives.
En raison des empiétements fédéraux sur les compétences des provinces, le fonctionnement du fédéralisme canadien fut très tôt l’objet de critiques.
Les appétits fédéraux n’ont fait que croître à la faveur des changements profonds survenus, depuis 1867, dans l’équilibre démographique et politique. Aux quatre provinces fondatrices s’en sont ajoutées six nouvelles, de sorte que la part relative des Québécois dans le Canada est aujourd’hui réduite à moins du quart de la population totale.
En contrepoids de cette notion des peuples fondateurs, s’est récemment développé le dogme de l’égalité des dix provinces canadiennes, dont le principal effet est de nier la réalité nationale du Québec.
De même s’est affermie, dans le reste du Canada, une volonté de forger une identité proprement nationale. Son émergence s’est traduite par des intrusions fédérales de plus en plus marquées dans les compétences exclusives des provinces. À partir du moment où le Canada se définit de plus en plus comme une seule nation, il est inévitable qu’il se comporte comme tel. L’État central devient forcément l’État national. Là s’enclenche toute la dynamique du blocage. Pour une grande majorité de Québécois, l’État national siège à Québec. Leur appartenance au peuple qu’ils forment leur apparaît tout aussi légitime que celle de l’autre peuple avec lequel leurs ancêtres avaient conclu le pacte fédératif.
Le blocage est donc profond puisqu’il résulte de deux visions irréductibles. Tout le reste en découle : l’impossibilité avérée de convenir de quelque aménagement que ce soit; les efforts accrus du gouvernement central pour accentuer sa prépondérance; l’incapacité du Québec à exercer pleinement ses responsabilités collectives. Le Canada s’est doté de deux puissants outils pour atteindre ses objectifs de centralisation.
Il eut d’abord recours à un concept inédit dont on chercherait en vain la formulation dans la constitution canadienne. C’est la notion du « pouvoir fédéral de dépenser », dont le gouvernement central s’autorise pour s’insérer et dépenser dans des champs de compétence pourtant spécifiquement réservés aux provinces.
Il s’est ensuite approprié la part du lion des ressources financières de la fédération. Il en a résulté un déséquilibre structurel entre les ressources disponibles et les responsabilités respectives des gouvernements provinciaux.
Depuis cinq ans, le gouvernement fédéral a brutalement et unilatéralement diminué sa part de financement des programmes sociaux sans pour autant se retirer des champs de taxation. Privées des moyens requis, les provinces sont maintenant aux prises avec des pressions budgétaires qui seront bientôt insoutenables.
Le gouvernement central a choisi de pousser plus loin son offensive. Il a récemment proposé de réinvestir dans les programmes sociaux des provinces à la condition que ces dernières acceptent de signer ce qu’il appelle un pacte d’Union sociale.
Pour accéder à tout financement fédéral supplémentaire de leurs programmes sociaux, les provinces doivent accepter de se soumettre à des règles pancanadiennes. Après avoir un temps résisté, neuf des dix provinces signèrent « l’Union sociale ». Le Québec, lui, s’y refuse catégoriquement, en accord avec l’esprit et la lettre de la Constitution canadienne. On a beaucoup dit qu’une des vertus du fédéralisme est de permettre la coexistence de diverses communautés au sein d’un même ensemble politique, en raison de sa flexibilité.
Tel n’est pas le cas du fédéralisme canadien. Telle n’est pas l’expérience du Québec. Décennie après décennie, mes prédécesseurs ont dénoncé l’intransigeance et les envahissements fédéraux. Le régime fédéral canadien est présentement engagé dans une stratégie concertée de banalisation du Québec dont les conséquences pourraient s’avérer plus graves encore que celles de l’imposition de la Constitution de 1982.
Mon gouvernement et le parti que je dirige ont depuis longtemps tiré les conclusions qui s’imposent : le peuple du Québec doit pouvoir décider seul de son avenir politique et constitutionnel. Il est établi que cette décision se prendra dans le cadre du processus le plus démocratique qui soit. Car les valeurs démocratiques font partie du patrimoine que nous partageons avec nos amis du Canada. Je suis confiant que les Québécoises et les Québécois choisiront, le moment venu, de se doter d’un pays souverain. Leur parcours vers la prise en charge de toutes leurs responsabilités ne restera pas inachevé. Je sais bien que le gouvernement central consacre beaucoup d’énergie pour discréditer ce projet. Il apparaît cependant à un grand nombre de Québécois comme la seule option de rechange à ce régime que l’un de mes prédécesseurs, pourtant fédéraliste, qualifiait de fédéralisme qui met les provinces, et je cite : « à genoux ». La Cour suprême a elle-même souligné la légitimité de l’option souverainiste, et je cite : « Le rejet clairement exprimé par le peuple du Québec de l’ordre constitutionnel existant conférerait clairement légitimité aux revendications sécessionnistes, et imposerait aux autres provinces et au gouvernement fédéral l’obligation de prendre en considération et de respecter cette expression de la volonté démocratique en engageant des négociations et en les poursuivant en conformité avec les principes constitutionnels sous-jacents […] ». Je rappellerais que cet avis a été sollicité par le gouvernement fédéral lui-même.
Légitime, notre projet est également moderne. En 1992, le secrétaire général de l’ONU, monsieur Boutros Boutros-Ghali, traitant de mondialisation et de modernité, s’exprimait ainsi, et je cite : « Pour entrer en relation avec l’Autre, il faut d’abord être soi-même. C’est pourquoi une saine mondialisation de la vie moderne suppose d’abord des identités solides. Car une mondialisation excessive ou mal comprise pourrait aussi broyer les cultures, les fondre dans une culture uniforme, ce à quoi le monde n’a rien à gagner. […] Un monde en ordre est un monde de nations indépendantes, ouvertes les unes aux autres dans le respect de leurs différences et de leurs similitudes. C’est ce que j’ai appelé la logique féconde des nationalités et de l’universalité », fin de la citation.
Comme vous le voyez, le débat suscité par l’expérience québécoise du fédéralisme est bien vivant chez nous. D’autres nations vivent ce genre d’expérience et de débat. Je souhaiterais donc que, dans vos discussions, vous portiez attention non seulement aux réussites du fédéralisme, qui sont incontestables, mais aussi à ses échecs, qui ne le sont pas moins. Sans doute y aura-t-il des leçons profitables à en tirer. Merci.

[BOUC=19991110]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Cérémonie d’ouverture du 35e Mondial des métiers d’art – 10 novembre 1999]
Madame la Ministre du Développement des ressources humaines du Canada, (Madame Jane Stewart) Monsieur le Maire de Montréal, (Monsieur Pierre Bourque)
Monsieur le Président de L’International Vocational Training Organisation, (Monsieur Cees Beuk)
Monsieur le Président honoraire du 35e Mondial des métiers, (Gérald Tremblay)
Madame la Présidente du Conseil d’administration du 35e Mondial (Micheline Sabourin)
Mesdames et Messieurs,
Et à tous ces jeunes qui nous viennent du monde entier, bienvenue. Bienvenue à Montréal, bienvenue au Québec. Dès demain, vous allez vivre une expérience hors du commun. Vous allez, dans l’honneur et dans le respect de chacun, affronter des rivaux et des rivales très performants et nous faire découvrir des techniques que vous maîtrisez, c’est le cas de le dire, sur le bout de vos doigts.
Je vous félicite, et je félicite aussi ceux et celles qui vous accompagnent et qui vous ont formés pour ces Olympiades. Vos aînés, vos tuteurs ont joué le rôle d’entraîneurs. Ils vous ont donné le goût de l’effort et de la persévérance pour percer dans votre domaine et vous rendre jusqu’ici. Vous comprendrez que je tienne à saluer particulièrement les 40 jeunes qui se sont qualifiés aux Olympiades canadiennes. Parmi eux, on compte 25 jeunes du Québec qui ont l’honneur de nous représenter.
De nouveaux secteurs d’activités émergent et recrutent. Et fort heureusement, ils attirent les jeunes. Je veux parler des télécommunications, du multimédia et des biotechnologies, par exemple, trois secteurs dans lesquels Montréal se distingue déjà sur l’échiquier international.
Plus que de rêves, c’est de projets concrets dont les jeunes ont besoin. Ils sont nombreux à s’interroger sur leur avenir, à hésiter entre les choix possibles. Ils manquent de repères, d’exemples concrets pour illustrer des métiers, certains peu connus et qui méritent de sortir de l’ombre.
Pendant quelques jours, vous allez les aider à trouver leur voie. Vous allez leur montrer qu’il est possible de s’épanouir dans un métier. Un métier qu’eux aussi pourront choisir, aimer et exercer avec la même passion qui vous anime. Tous ici ont décidé de relever le défi de la compétence et de devenir les meilleurs dans leur discipline. Tous sont unis par un pari commun : celui de miser sur un métier professionnel ou technique. Et je me réjouis de ce choix. À la fois parce qu’aujourd’hui, et ils sont là pour le prouver, ils s’épanouissent dans un métier. Mais aussi et surtout parce que nos sociétés ont besoin de professionnels comme eux. Ces garçons et ces filles nous montrent qu’il y a de la place pour la qualité et l’excellence dans tous les champs d’activités dans tous les métiers. Et nous ne devons jamais perdre de vue que l’acquisition, la maîtrise et la conservation des compétences sont primordiales pour notre avenir économique. À l’instar des athlètes olympiques, les jeunes qui sont ici aspirent à monter sur le podium et à décrocher l’or, l’argent ou le bronze. Je leur souhaite la meilleure des chances. Merci.

[BOUC=19991130]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Commentaire suite au congrès de l’aile québécoise du parti libéral du Canada – 30 novembre 1999]
Monsieur Chrétien a essentiellement abordé deux sujets à l’occasion du congrès de l’aile québécoise du Parti libéral du Canada, en fin de semaine dernière. Il a beaucoup parlé de Constitution. Il a beaucoup parlé de référendum et il a fait un lien entre les deux, dans ce que plusieurs ont appelé un troc : ne parlez plus de référendum, je ne parlerai plus de Constitution. Sur la Constitution d’abord. Il faut premièrement indiquer que la déclaration de Monsieur Chrétien est assez étonnante, surtout qu’il fait lui-même référence à ses 35 ans de vie politique largement occupés par la Constitution. On ne peut pas en effet faire abstraction de l’action constitutionnelle qui a marqué toute la carrière de Monsieur Chrétien. Il faut rappeler qu’il a été l’un des principaux artisans du rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982, malgré le désaccord quasi unanime de l’Assemblée nationale du Québec. On doit aussi noter sa responsabilité dans le rejet de l’accord du Lac Meech, une entente minimale qui devait permettre au Québec de réintégrer la fédération canadienne. Faut-il rappeler également toutes les intrusions fédérales qu’il a effectuées dans les compétences du Québec. Je pense à l’une des plus récentes, soit la proposition d’une nouvelle « Union sociale », que tous les partis représentés à l’Assemblée nationale ont qualifiée d’inacceptable, voire de dangereuse pour le Québec. Faut-il oublier les coupures dans le financement des programmes sociaux qui créent de très importants surplus fédéraux et qui serviront, en bonne partie, à contrecarrer les compétences du Québec?
Deuxièmement, les propos de Monsieur Chrétien sur la Constitution constituent une violation claire de ses propres engagements. Lors d’un discours solennel prononcé à quelques jours du référendum de 1995, il avait promis de maintenir ouvertes toutes les portes du changement, y compris l’avenue constitutionnelle.
Troisièmement, la proposition de Monsieur Chrétien équivaut à demander aux Québécoises et aux Québécois de se résigner et d’accepter l’ordre constitutionnel imposé en 1982 et toutes les intrusions fédérales passées et à venir dans les compétences du Québec.
En échange de l’acceptation de l’ordre constitutionnel imposé, Monsieur Chrétien demande au Québec de renoncer à la tenue d’un éventuel référendum. Et il le fait sous la menace de brimer l’action démocratique des Québécoises et des Québécois en fixant des conditions contraires aux règles démocratiques pourtant reconnues au Canada et sur la scène internationale.
Tous les premiers ministres du Québec ont eu comme politique de défendre et de préserver ce qu’a si bien décrit Monsieur Bourassa au lendemain de la mort de l’accord du Lac Meech. Il disait : « Le Canada anglais doit comprendre d’une façon très claire que, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement. »
La prérogative de l’Assemblée nationale de définir et d’adopter seule la question, de même que le respect, ici comme ailleurs, de la règle de 50 % + 1, sont au cœur de cette liberté dont parlait Monsieur Bourassa. Je n’entends donc pas brader, transiger ou encore renoncer aux droits du peuple du Québec.
L’histoire du Québec est faite de continuité et d’un long combat pour acquérir et défendre sa capacité de décider de son avenir. Les propos incendiaires du premier ministre fédéral ne prévaudront jamais contre les principes démocratiques fondamentaux qui garantissent au peuple du Québec sa pleine capacité de décider de son avenir, et de le faire par la majorité simple fixée par l’ONU et les précédents canadiens : 50 % + 1. Et comme tous les premiers ministres du Québec qui m’ont précédé, je consacrerai toutes mes énergies à la défense du pouvoir exclusif de l’Assemblée nationale de formuler seule une éventuelle question référendaire sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec.

[BOUC=19991201]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Congrès de l’Union des producteurs agricoles – 1 décembre 1999]
Monsieur le Président de l’Union des producteurs agricoles,
Monsieur le Ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation,

Monsieur le Secrétaire d’État aux Sports amateurs,
Monsieur le Chef de l’opposition officielle,
Mesdames et Messieurs les membres de l’exécutif,
Productrices et Producteurs agricoles,
Distingués invités,
Chers amis,
Ce n’est pas par hasard si nous nous retrouvons aussi nombreux ce soir, à
Québec, pour rendre hommage à l’UPA et à ses fondateurs. Depuis 75 ans,
plusieurs générations d’hommes et de femmes se sont passé le relais, ont
servi le même idéal et ont affiché la même volonté de réussir. Tous ces
efforts, toute cette énergie qui ont été investis par tous les producteurs
qui se sont succédé, souvent de père en fils ou de père en fille, ont
rendu notre agriculture plus moderne, plus productive, plus ouverte sur
les marchés internationaux. Nos producteurs agricoles ont ainsi suscité
des retombées directes sur notre économie et sur la qualité de vie des
Québécoises et des Québécois.
Nous voici donc rassemblés pour ce banquet qui est avant tout celui de la
reconnaissance. Entre l’apparition des premiers mouvements syndicaux, ou,
plus exactement, des premières sociétés d’agriculture au Québec, et
l’avènement du mouvement bien organisé que vous représentez aujourd’hui,
le temps s’est écoulé comme un sillon profond mais somme toute rectiligne.
Au départ, il a fallu que vos prédécesseurs se parlent et se mettent
d’accord. C’est sans doute l’apparition des premières sociétés
coopératives qui a formé un terreau assez fertile pour favoriser
l’éclosion, en 1924, de l’Union catholique des cultivateurs. Les premiers
membres se sont alors mis à l’ouvrage en appliquant au développement de
leurs idées des méthodes de travail que vous avez vous-mêmes apprises à
maîtriser, d’hier à aujourd’hui : défricher, élaguer, ensemencer. Ils ont
agi afin de se donner des assises solides et mieux protéger leurs intérêts
légitimes. C’est ce qui a permis à l’agriculture québécoise de pousser
plus vite et de se développer plus rapidement.
Le thème de votre congrès est inspirant. Vous avez pris soin de le rendre
significatif en conviant à cette fête autant d’ » héritiers du passé  » que
d’ » artisans de l’avenir « . Parlant du passé d’ailleurs, le vôtre est
chargé non seulement de souvenirs mais surtout de décisions et de progrès
qui constituent le socle de votre développement ininterrompu. Certaines
balises méritent d’être mentionnées.
La première de celles-ci est l’année 1924, qui nous ramène aux
balbutiements de votre mouvement. Dans les années 30, le Québec tout comme
l’Amérique traverse la Grande Crise. La classe agricole connaît des
difficultés majeures pour s’autofinancer et se développer. Un des premiers
grands piliers de notre politique agricole est alors créé. L’année 1936
voit naître l’Office du crédit agricole, connu maintenant sous le nom de
Société de financement agricole du Québec.
Vingt ans plus tard, la Loi des marchés agricoles instaure la mise en
marché collective, pierre angulaire de la politique actuelle. La décennie
des années 60 permet la création de l’assurance-récolte. En 1972, le
syndicalisme agricole est officiellement reconnu, puis l’année 1975 voit
l’avènement de l’assurance-stabilisation des revenus.
En 1978, l’Assemblée nationale adopte la Loi sur la protection du
territoire agricole. Récemment, en 1997, vous avez pu apprécier les
retombées de la Loi relative à la protection des activités agricoles,
communément appelée le droit de produire.
Ce survol rapide permet d’identifier certains repères historiques
incontournables. Vous êtes maintenant préoccupés par de nouveaux enjeux,
comme ceux reliés à la présente ronde de négociations des États membres de
l’OMC. Au Québec même, des changements se produisent.
La population s’urbanise irréversiblement, les clients se raffinent, les
produits les plus frais et les plus divers ont la cote, les cultures
transgéniques suscitent avec raison de nouveaux débats.
À maints égards, le portrait actuel est rassurant. Avec des recettes
monétaires de 4600000000 $, l’agriculture est la plus
importante activité du secteur primaire au Québec. Votre contribution au
produit intérieur brut s’élève à 2200000000 $, et vos
différentes productions font travailler directement 80000 personnes. Si
l’on considère l’industrie agroalimentaire dans son ensemble, ce sont
403000 personnes qui y gagnent leur vie, soit près de 12 % de l’emploi
total du Québec.
De plus, la relève semble au rendez-vous. J’ai appris récemment que les
différents programmes de formation agroalimentaire au collégial ont connu
cette année un nombre record d’inscriptions. J’ai aussi noté avec intérêt
que les femmes sont de plus en plus présentes dans nos Instituts de
technologie agroalimentaire. Elles y constituent cette année près de la
moitié (49,5 %) de la clientèle. Toutes ces données permettent certes
d’être optimiste.
Je m’en voudrais de ne pas profiter de cette occasion pour rappeler la
présence et réitérer le soutien sans faille de l’État québécois envers le
milieu agricole. Depuis longtemps, il existe entre nous une très efficace
concertation. Nous avons appris à travailler ensemble et nous nous sommes
dotés d’une politique agricole unique et originale en Amérique du Nord.
Nous avons développé une agriculture prospère et maintenu la possibilité
pour les producteurs et productrices agricoles de bénéficier de revenus
comparables à ceux des autres secteurs de l’économie.
Notre façon particulière de concevoir le développement de l’agriculture,
l’adoption de nos grandes législations, l’évolution des rapports entre
tous les partenaires concernés, tout cela nous ramène à la caractéristique
fondamentale des enjeux propres à l’agriculture moderne. Je veux parler du
lien de plus en plus fort entre les maillons de la chaîne agroalimentaire.
J’ai encore en mémoire la Conférence sur l’agriculture et
l’agroalimentaire québécois, tenue à Saint-Hyacinthe en mars 1998. Le
consensus que nous y avons atteint sur la croissance a constitué un moment
fort de cette rencontre. Il exprime le visage résolument moderne,
avant-gardiste et confiant de l’agriculture et de l’agroalimentaire
québécois.
Le Rendez-vous des décideurs, que j’ai eu le plaisir de présider à Québec
en mars dernier, m’a permis à nouveau de sentir la détermination qui vous
habite.
Les plans d’action concertée qui ont été adoptés lors de ce Rendez-vous
sont révélateurs. Ils indiquent clairement le chemin à parcourir pour
atteindre les ambitieux objectifs que nous nous sommes fixés, à savoir :
la création de 15000 nouveaux emplois, la réalisation de 7500000000 $
d’investissements et la majoration du double des exportations pour
les porter à 4000000000 $. Et tout cela, d’ici 2005.
Ces plans d’action sont les bases d’une nouvelle politique agricole et
agroalimentaire. Elle sera ainsi mieux adaptée pour appuyer vos efforts
soutenus et votre esprit d’initiative et d’entrepreneurship.
Comme vous en a fait part ce midi le ministre de l’Agriculture, des
Pêcheries et de l’Alimentation, Monsieur Rémy Trudel, plusieurs éléments de
cette nouvelle politique sont déjà définis, et cela, dans plusieurs
domaines: développement des marchés, savoir-faire, agro-environnement et
gestion des risques.
Avec tout ce que vous avez déjà accompli, je pense que vous pouvez avoir
confiance en votre avenir… en notre avenir. Il n’aura de limites que
celles que nous nous imposerons.
Mais tout cela, bien que très important, ne doit pas nous faire oublier
l’essentiel, du moins… l’essentiel, de cette soirée. Nous célébrons un
anniversaire. Au-delà des chiffres, des discussions et des négociations,
une chose m’apparaît incontournable. Cette fête, c’est avant tout celle
des hommes et des femmes qui depuis tant d’années, et en particulier tout
au long des 75 dernières, ont labouré nos terres, élevé nos troupeaux,
transformé nos produits, nourri nos familles. C’est la fête de ceux et
celles qui nous donnent la possibilité, jour après jour, de bénéficier de
ce que la nature a de mieux à offrir. C’est la fête des producteurs et
productrices agricoles qui font notre fierté.
Au nom de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, je souhaite
longue vie à l’UPA. Puissent les années qui viennent être à la hauteur de
vos aspirations. Vous le méritez bien.
Bonne fête! Merci.

[BOUC=19991215]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Dépôt du projet de loi sur l’exercice des droits fondamentaux du peuple québécois et de l’État québécois – 15 décembre 1999]
Chères concitoyennes, chers concitoyens,
Je sais bien que vous êtes tous occupés à terminer vos travaux de l’année, à passer des examens de fin de session, à célébrer avec vos confrères et consœurs de travail, à préparer les grandes fêtes familiales qui viennent. Mais si j’ai tenu à vous parler ce soir, à dix jours des festivités de Noël, à titre de premier ministre du Québec, c’est pour des raisons exceptionnelles.
Le gouvernement du Canada a choisi ce moment entre tous pour déposer à la Chambre des communes un projet de loi qui heurte de plein front les valeurs démocratiques qui sont chères aux Québécoises et aux Québécois. Il y a maintenant près de 40 ans qu’au Québec, des citoyens en nombre croissant pensent que notre avenir serait mieux assuré si nous devenions souverains. Il y a aussi beaucoup de citoyens qui croient que le Québec devrait demeurer au sein du Canada, mais à la condition que la fédération canadienne soit profondément réformée pour mieux respecter l’identité québécoise.
Ce débat n’est pas nouveau, mais depuis le début, nous savons tous qu’il appartient aux Québécoises et aux Québécois de décider seuls du choix à faire. On ne pourra jamais dire des Québécois qu’ils n’ont pas essayé, cent fois plutôt qu’une, d’obtenir le respect et l’égalité au sein du Canada. Mais voilà, plutôt que de chercher à répondre à ces aspirations, le gouvernement de Monsieur Chrétien a choisi au contraire d’imaginer des façons de restreindre l’exercice des choix démocratiques des Québécois. Malgré l’opposition de la majorité des députés fédéraux du Québec et de notre Assemblée nationale, le gouvernement Chrétien veut imposer une série de cadenas législatifs pour bloquer l’avenir des Québécoises et des Québécois.
Laissez-moi vous les présenter très brièvement.
Sous prétexte de clarté, le gouvernement fédéral agit comme s’il cherchait à se donner les moyens d’échapper à l’obligation de négocier de bonne foi, au lendemain d’un référendum favorable à la souveraineté, comme le lui impose l’avis de la Cour suprême qu’il a lui-même sollicité.
Nous souscrivons, bien sûr, à l’obligation de clarté mais affirmons que c’est une responsabilité que seule l’Assemblée nationale doit et peut assumer. Or, le projet fédéral prétend conférer au Parlement canadien le droit de déclarer irrecevable la question référendaire, au moment où l’Assemblée nationale en débattra. En fait, Ottawa veut pouvoir censurer la question, avant même la tenue du référendum. Ainsi donc, le peuple québécois – un des deux peuples fondateurs du Canada – n’aurait pas le droit de proposer, par référendum, à son voisin canadien un nouvel arrangement politique ou économique fondé sur la souveraineté et l’égalité politique des peuples. Le Québec n’aurait pas le droit de proposer au Canada un arrangement similaire à celui qui existe entre les 15 pays de l’Union européenne. Autrement dit, selon le gouvernement du Canada, l’Assemblée nationale n’est pas libre du projet qu’elle soumettrait au vote. Ainsi, à titre d’exemple, même si le référendum de 1995 avait recueilli une forte majorité de OUI, Ottawa l’aurait déclaré invalide, invoquant sa nouvelle loi. Un deuxième point. Tout le monde sait qu’il n’existe qu’une règle qui permette l’égalité des votes, c’est celle du 50 % plus un. Toute autre règle ferait en sorte que les électeurs d’un camp auraient plus de poids que les électeurs de l’autre. C’est pourquoi à aucun moment la Cour suprême n’a remis en cause cette règle, affirmant qu’il fallait une majorité claire au sens « qualitatif » du terme, donc que les enjeux et la valeur du résultat doivent être clairs. Mais elle n’a délibérément rien dit du sens quantitatif, c’est-à-dire du niveau de majorité requis.
Le Parlement canadien ne s’arrête pas là. Il veut aussi se réserver le pouvoir de fixer lui-même, en toute discrétion, après le résultat du référendum, le niveau de majorité qu’il juge suffisant. Il s’arroge ainsi dans les faits un droit de veto.
Notre avenir politique reposerait non plus entre les mains de plus de 5000000 d’électeurs québécois, mais dépendrait du Parlement fédéral dont les trois quarts des députés proviennent de l’extérieur du Québec.
Et pour le cas où tous ces obstacles n’arriveraient pas à empêcher la négociation, le gouvernement fédéral a une troisième idée : celle de laisser planer un doute sur l’intégrité territoriale du Québec, que tous les gouvernements du Québec ont considéré comme inviolable.
Face à un tel assaut contre le bon sens et la démocratie, comment doivent réagir les femmes et les hommes que vous avez élus pour vous représenter à l’Assemblée nationale? D’abord, en se comportant comme les gardiens de vos droits et en dénonçant l’initiative fédérale. C’est ce que nous avons fait depuis vendredi dernier, le chef de l’opposition, Monsieur Jean Charest, le chef de l’Action démocratique, Monsieur Mario Dumont, et moi-même.
C’est par un projet de loi que la Chambre des communes prétend limiter les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Le gouvernement du Québec estime que c’est donc par un projet de loi que l’Assemblée nationale doit répliquer.
L’Assemblée nationale du Québec doit non pas adopter une loi pour les souverainistes, ou une loi pour les fédéralistes, ou encore une loi pour les indécis. Elle doit adopter une loi qui réaffirme le droit de chaque citoyenne et de chaque citoyen, chacun d’entre nous, d’exprimer son vote – rien qu’un vote, mais tout un vote – pour décider de notre avenir.
Nous voulons, dans un esprit rassembleur, étudier puis adopter le projet de loi déposé aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Ce projet affirme le droit des Québécois à disposer d’eux-mêmes. Il consacre l’égalité des votes et la règle démocratique fondamentale du 50 % plus un, reconnue par les Nations Unies. Il préserve notre liberté d’expression et notre droit de choisir, aujourd’hui et pour toujours, notre destin national. Le projet de loi consacre aussi le respect des minorités qui enrichissent la diversité de notre peuple; il affirme l’intégrité du territoire du Québec et rappelle notre liberté d’agir, dans nos domaines de compétence, avec nos partenaires étrangers. Il proclame nos droits et ceux de l’Assemblée nationale.
Au cours des prochains mois, les Québécoises et les Québécois seront consultés dans le cadre de nos institutions démocratiques; leurs commentaires permettront d’enrichir le projet de loi. En suscitant un consensus aussi large que possible, nous espérons qu’il pourra ainsi acquérir valeur de charte de nos droits politiques collectifs. Je vous invite à manifester votre appui aux membres de l’Assemblée nationale afin que nous puissions tous ensemble, d’une seule voix, dire aux parlementaires d’Ottawa que nous seuls pouvons décider, en toute légitimité, de notre avenir. En terminant, je tiens à vous souhaiter d’excellentes fêtes de fin d’année.
Merci et bonsoir.

[BOUC=20000216]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution devant la Chambre de commerce de Sainte Foy – 16 février 2000]
Madame la Présidente de la Chambre de commerce régionale de Sainte-Foy,
Madame la Mairesse de Sainte-Foy, Monsieur le Recteur de l’Université Laval, Messieurs les Ministres, Distingués invités, Vous tous, chers amis, Je voudrais d’abord remercier de leur accueil les dirigeants et les membres de la Chambre de commerce régionale de Sainte-Foy, que je tiens à saluer tout particulièrement. À plusieurs reprises, vous m’avez donné l’occasion de prendre la parole à des moments importants.
Nous sommes aujourd’hui à l’aube d’un grand rendez-vous: le Sommet du Québec et de la jeunesse. Il y a maintenant quatre ans, au printemps de 1996, c’est dans notre capitale que fut décidé, lors d’une conférence sur le devenir social et économique du Québec, de faire le ménage de nos finances publiques, de commencer à vivre selon nos moyens. Nous avons alors décidé de laisser aux générations futures un patrimoine collectif en meilleur état. Il y a quatre ans, l’horizon financier semblait bouché. Notre État était virtuellement en faillite, nos programmes de solidarité sociale étaient en péril et notre taux de chômage se maintenait à un niveau élevé. Il y a quatre ans, nous avons pris notre avenir en mains. Ce ne fut pas un choix facile. Plusieurs partenaires présents à cette époque autour de la table ont à la mémoire les difficultés que nous avons dû traverser et les efforts qui ont été nécessaires. Mais nous avons réussi! Quatre ans plus tard, la situation n’est plus la même. Nos finances publiques sont saines. Nous n’empruntons plus pour faire l’épicerie, comme le dit l’expression populaire. Les Québécoises et les Québécois peuvent maintenant accéder à un marché de l’emploi vigoureux. Le taux de chômage a atteint 8,1 % en décembre dernier, son plus bas taux depuis 1976. Il s’est créé, chez nous, en 1999, 76000 emplois qui s’ajoutent aux 86000 de 1998. Pour et par les jeunes, il s’est créé, en 1999, 28000 emplois, soit 37 % du total de l’année. C’est le meilleur résultat en 25 ans. La situation n’est certes pas parfaite. Nous devons continuer à travailler sans relâche. Mais les prévisions économiques permettent de rester optimistes. Il y a quelques jours, la Banque Nationale annonçait que la croissance de l’économie du Québec devrait dépasser cette année la moyenne canadienne, du jamais vu depuis 13 ans. Dans notre capitale nationale et sa région, les choses aussi se sont améliorées. Son économie se diversifie, et les investissements y ont fait un bond de 11 % l’année dernière. Selon les prévisions du Conference Board, près de 30000 emplois pourraient être créés dans la région de Québec d’ici la fin de l’année 2003. L’État reste un employeur important et a l’intention de le demeurer. Par contre, on voit poindre un peu partout des regroupements et des entreprises qui se démarquent, dans des créneaux d’activité inexistants il y a seulement quelques années. Je pense notamment à la Cité de l’optique, à Anapharm, à Louis Garneau Sports, à Exfo, à Copernic, à De Marque, dirigée, incidemment, par Monsieur Marc Boutet qui a coprésidé le chantier sur les défis de l’emploi. Ça se devine et même ça se voit, le constat est clair : nos efforts en valaient la peine. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille revenir au bar ouvert dans la gestion de nos finances publiques. Mais, disons-le, l’avenir apparaît plus prometteur. Par ailleurs, certaines données, à juste titre, font réfléchir. Notre pyramide des âges tend nettement à s’inverser. Nos dépenses dans le secteur de la santé augmentent de plus en plus. Plusieurs régions du Québec connaissent un déclin de leur population, alors que d’autres, surtout en périphérie de nos deux grands centres, Montréal et Québec, sont en progression. Nos programmes sociaux font l’envie de bien des sociétés, mais nous sommes lourdement imposés. Nous vivons maintenant sans emprunter, mais notre dette accumulée atteint presque 100000000000 $, soit 52 % de notre PIB, ou si vous préférez 13 300 $ par Québécoise et Québécois. À cela s’ajoute que les jeunes du Québec, bien qu’ils bénéficient comme tout le monde de l’essor économique des derniers mois, subissent un taux de chômage plus élevé que leurs aînés. Plusieurs d’entre eux sont portés à jeter un regard trouble vers les années qui viennent. C’est dans cette situation que nous tiendrons la semaine prochaine l’engagement contracté, lors du dernier rendez-vous électoral, d’organiser un sommet. À l’époque, j’ai mentionné que le Québec devait avoir le courage de regarder ses jeunes dans les yeux. Je le pense toujours. Il nous faudra le faire sans préjugés ni tabous, avec l’intérêt supérieur du Québec en tête. Ce n’est pas seulement le désir de remplir un engagement électoral : plus les travaux préparatoires mobilisent les partenaires, plus l’échéance approche, plus je réalise à quel point ce sommet est nécessaire. Depuis l’été dernier, le ministre François Legault et son équipe ont travaillé d’arrache-pied pour concevoir les idées et les mesures proposées. Les 8 coprésidents de chantiers, mesdames Hélène Gagnon, Paule Leduc, Maryse Legagneur, Marie-Claude Sarrazin et messieurs Raymond Bachand, Marc Boutet, Gérald Larose et Richard Legendre, ont consacré un nombre important d’heures de travail bénévole à réfléchir, imaginer et énoncer des solutions. Je tiens à les remercier, eux et leurs 40 collègues de chantiers, pour leur dévouement à la cause des jeunes et à celle du Québec. Cette mobilisation a requis la participation de toutes les régions et nous a fait réaliser non seulement à quel point nos jeunes ont du talent, mais combien nous avons besoin d’eux. Ils font partie d’une génération active et branchée sur la modernité. Leur capacité d’adaptation aux changements est phénoménale. Avec notre entrée dans l’économie du savoir et notre ouverture aux marchés extérieurs, ils demeurent nos meilleurs atouts. Et en plus ils sont réalistes. Il faut se rappeler que certains leaders jeunes ont été parmi les premiers à élever la voix pour dénoncer les excès de la mondialisation et ses impacts sur notre vie sociale et culturelle. Régulièrement, on apprend par les médias les succès obtenus par les jeunes du Québec un peu partout dans le monde. Leur créativité et leur imagination n’ont pas de frontières, et aucun domaine ne semble leur résister. Mais cette génération connaît également de réels problèmes. À côté de réussites éclatantes, plusieurs n’arrivent pas à trouver leur voie. D’autres perdent espoir. J’en suis particulièrement préoccupé. Je ne peux rester silencieux, bien que je sache que les recettes miracles n’existent pas. Beaucoup d’entre eux ont certainement du talent et de l’énergie à revendre. Mais ils abandonnent, faute parfois de soutien ou d’appui. Ce phénomène n’est pas nouveau. Mais l’habitude ne doit pas faire en sorte de le rendre acceptable. Nous allons ensemble nous pencher là-dessus. Au cours des dernières semaines, j’ai bien reçu les messages des jeunes. Ils sont préoccupés par l’exclusion à laquelle plusieurs semblent confinés. Ils savent bien qu’ils seront moins nombreux et plus sollicités que la génération précédente. Mais ils veulent qu’on leur permette dès maintenant de commencer leur vie active, de participer pleinement à la société. C’est mon intention de faire en sorte que les portes s’ouvrent devant eux, devant chacun d’eux. J’en profite pour vous faire part d’une réflexion. J’ai remarqué, tout comme vous j’en suis sûr, que quelques invités souhaiteraient passer la dette sous silence. Ou encore ne pas parler de la démographie et de ses impacts sur nos finances publiques. Nous devons pourtant compter avec les données du contexte actuel. Les intérêts sur notre dette nationale nous coûtent près de 8000000000 $ par année, presque l’équivalent du budget annuel consacré à l’éducation. Avant de se remettre à l’investir, il faut tout de même en prendre note. Nous payons 3100000000 $ d’impôt de plus que la moyenne canadienne. Avant de lancer un débat, il faut savoir cela. Depuis 1983-1984, les transferts financiers fédéraux ont littéralement fondu, passant de 28,5 % de nos revenus budgétaires à moins de 15 %, pour l’exercice financier 2000-2001. Avant de parler d’investissement massif, il faut jeter un œil sur la réalité. Pour définir les solutions qui vont nous permettre d’aller de l’avant, il faut connaître les problèmes que nous devons surmonter. Autrement, ce serait faire l’autruche, ce ne serait ni réaliste ni crédible. Par contre, je comprends une partie des craintes exprimées et m’empresse d’y répondre. L’intention gouvernementale n’a jamais été de tenir un sommet sur la dette nationale ou la démographie. Mais nous devons tenir compte du contexte dans lequel nous évoluons. Qu’on se rassure toutefois, c’est vers l’avenir que nous voulons nous tourner, et non pas vers le passé. Pour les jeunes, nous nous sommes mobilisés. Nous avons écouté. Nous avons pris connaissance des rapports de chantiers. Et nous sommes prêts. Je me permets de vous soumettre quelques idées qui retiennent notre attention. L’éducation. Les membres de tous les chantiers l’ont identifiée comme étant la clé du développement et de l’intégration des jeunes. Des discussions de fond se tiendront sur les priorités d’investissement dans les années qui viennent. Les partenaires concernés devront se parler et s’entendre. Plusieurs mesures devront faire l’objet d’engagements concrets pourvus de financement chiffré. Évidemment, il ne serait pas souhaitable de rédiger le budget de l’État lors d’un sommet. Mais le gouvernement devra ensuite tenir compte des orientations générales qui y seront définies et les concrétiser dans le prochain budget et ceux qui suivront. Par ailleurs, plusieurs proposent l’idée d’une « École ouverte sur son milieu ». Quoique onéreuse, elle apparaît porteuse d’espoir. Elle vise à transformer le lien des jeunes avec leur école, qui n’est plus uniquement un lieu « d’instruction » mais devient de plus en plus un lieu d’apprentissage de la vie. Le thème le dit. Tout le milieu s’implique : les parents, les CLSC, les groupes communautaires, les organisations de loisirs. L’école où se bâtit l’avenir de nos enfants et de nos adolescents se trouve placée au centre de la vie. Après les heures de classe, on éveille les élèves aux réalités qui les entourent. Des conférenciers sont invités, des activités sportives organisées, des visites civiques effectuées. Nous approfondirons cette idée qui circule et verrons s’il y a lieu de la pousser plus loin. Prenons l’exemple du projet « Solidarité-Jeunesse », qui s’adresse aux jeunes qui se présentent pour la première fois à un bureau de la sécurité du revenu. Il leur permet d’espérer changer d’avenir. On sait qu’il est salué par plusieurs comme un succès. Le gouvernement est disposé à étendre sa portée si cela peut s’avérer utile. Même s’il ne s’agit pas du seul projet permettant de s’attaquer directement à l’exclusion, il faudra en discuter avec tous nos partenaires au Sommet. De cela, comme des autres idées qui circulent. L’emploi et l’intégration. Le chantier sur l’emploi s’est fixé des objectifs quantifiables. Ses membres proposent que la société québécoise prenne la responsabilité d’insérer 50000 jeunes au cours des trois prochaines années, par l’accès à un premier emploi, un stage, un emploi d’été ou un programme de réinsertion.
Cet objectif motivant aura l’avantage de nous obliger au concret pendant nos travaux. Je pense même que nous pouvons ratisser plus large, faire appel à plus de gens et ne pas nous limiter à l’emploi. Pourquoi ne pas décider de faire participer à ce grand mouvement collectif un nombre plus important que 50000 jeunes? Pourquoi ne pas leur permettre de travailler mais aussi les intégrer de toutes les façons, les faire voyager, au Québec et à l’extérieur, les initier aux langues du monde, bénéficier de leurs connaissances des nouvelles technologies? C’est un défi que je lance aujourd’hui en particulier à vous, gens d’affaires. Il y a 18000 entreprises de plus de 20 employés au Québec. Si chacune d’entre elles accepte de participer à cette vaste opération d’ouverture à nos jeunes, à notre avenir, ce sera déjà une bonne base de travail. Un stage, un premier emploi, c’est souvent le début d’une vie adulte épanouie.
Nous sommes aussi préoccupés par la situation parfois précaire des travailleurs autonomes. J’ai noté les prévisions selon lesquelles le nombre d’emplois autonomes dépassera le nombre d’emplois dits classiques dans les prochaines années. La ministre de l’Emploi et du Travail a annoncé récemment qu’elle lançait les travaux de la réforme du Code du travail. La problématique particulière du travail autonome sera bien sûr abordée. Deux priorités immédiates paraissent évidentes : la protection sociale des familles dont les revenus proviennent des fruits du travail autonome et la protection des travailleurs autonomes dépendants, ce que l’on appelle les « faux » travailleurs autonomes. Je tiens à ce que ces sujets soient directement abordés au Sommet. Leurs implications touchent beaucoup de jeunes familles à qui notre société pourrait faciliter la vie. Bien sûr, le milieu des affaires n’est pas seul. Nous avons une responsabilité collective. J’en profite pour souligner l’initiative lancée par le président de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec, Monsieur Henri Massé. L’idée de la création d’un fonds spécial pour la jeunesse est intéressante et aurait l’avantage de permettre une flexibilité d’action pour les jeunes. Cette responsabilité, le gouvernement la partage aussi. L’exercice que nous allons tenir n’est pas facile, mais nous misons sur la réussite. Au-delà des convictions politiques et des débats qui en découlent, nous serons tous responsables du succès ou de l’échec de nos travaux. Je suis d’ailleurs en accord avec le chef de l’opposition qui, au début du mois, mentionnait (et je cite) : « Le gouvernement du Québec n’est pas le seul visé par ce sommet, mais c’est l’ensemble des acteurs de la société québécoise, le secteur privé, le secteur communautaire et celui de l’éducation. » Il y a quatre ans, c’est dans notre capitale nationale que le grand coup de barre a été amorcé. C’est au même endroit que nous nous retrouverons, à la croisée des chemins et des siècles. Portés par les espoirs et les rêves de la jeunesse, nous pouvons maintenant esquisser notre avenir selon des priorités décidées chez nous, par nous et pour nous. Ce sommet, je le vois comme une occasion d’échanger sur les objectifs de société autour desquels le Québec doit se mobiliser. Les efforts des quatre dernières années nous placent à pied d’œuvre d’une nouvelle démarche, d’un élan nouveau à imprimer à notre vie collective. Pour la première fois depuis quarante ans, nous gérons nos affaires avec l’argent que nous gagnons. Nous pourrons, la semaine prochaine, nous présenter devant les jeunes avec la fierté de leur dire que nous avons cessé de charger leur avenir de dépenses qu’ils devront payer à notre place. Après avoir restauré les finances publiques, c’est-à-dire les moyens de l’État, notre prochaine tâche est de redéfinir son rôle afin qu’il réponde plus efficacement aux attentes de nos concitoyens et concitoyennes. Les mutations sociales, économiques et culturelles qui sont en cours nous obligent à dresser les perspectives d’un avenir qui suscite l’espoir et donne leur place aux jeunes. Et c’est justement au cœur de la construction de l’avenir qu’il faut situer l’éducation. De toute évidence, ce sommet s’occupera beaucoup d’éducation. Bien sûr, d’autres préoccupations ne cesseront pas de nous interpeller: la santé, le fardeau fiscal, la nécessité de maintenir une gestion rigoureuse de nos ressources. Mais l’essentiel est de fixer d’abord nos priorités et, parmi elles, l’espace que doit occuper l’acte éducatif, celui qui façonnera le Québec que nous voulons, qui préparera les jeunes à réaliser les défis de demain, qui perpétuera nos valeurs identitaires. Quant à moi, dans ce débat qui s’amorce sur les nouvelles priorités dont il faut convenir, je prendrai le parti de la relève. Merci.

[BOUC=20000228]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Entente sur l’implantation d’un gazoduc – 28 février 2000]
Monsieur le premier Ministre,
Monseigneur,
Messieurs les Ministres,
Madame et Messieurs les Députés,
Distingués invités,
Chers amis,
Je me réjouis de l’occasion qui m’est donnée de célébrer, et plus encore de renforcer le lien d’amitié qui rapproche les populations du Nouveau-Brunswick et du Québec. Et lorsqu’il s’agit, comme aujourd’hui, d’un projet aussi concret que la construction d’un gazoduc, cela prend une signification particulière. L’entente de collaboration que nous allons signer montre qu’il nous est possible de développer, dans le secteur énergétique, des associations entre gouvernements à la fois intéressantes et porteuses d’avenir. Avant de vous parler des avantages économiques d’un tel projet, Laissez-moi dire quelques mots à propos de l’endroit où nous sommes rassemblés aujourd’hui. En effet, ce n’est pas tout à fait une coïncidence si nous nous retrouvons ici, dans le Madawaska, une région qui, historiquement, a servi de pont entre le Québec et le Nouveau-Brunswick. Cette région, qu’on appelle maintenant « l’Acadie des terres et des forêts », ressemble à ce que nous retrouvons de l’autre côté de la frontière, à quelques kilomètres d’ici. Nos régions se ressemblent aussi à cause des gens qui l’habitent. Les Ouellette, les Nadeau, les Simard du Nouveau-Brunswick ont des ancêtres et des parents québécois. Et il y a du sang acadien dans les veines des Michaud, des Haché et des Savoie du Témiscouata. Étant vous-même né au Québec, Monsieur le premier Ministre, je sais que vous n’êtes pas insensible au besoin de conférer à nos rapports une qualité unique. Ce n’est pas non plus un hasard si nous nous retrouvons à Edmunston, ville du maire Jacques Martin. Un ami du Québec, un grand patriote acadien, un francophone qui lutte, quotidiennement, pour faire avancer la cause du français, chez lui au Nouveau-Brunswick. La caravane de la Solidarité qu’il organisa en 1996 fut l’un des gestes d’amitié les plus touchants dont nous pûmes bénéficier à la suite des terribles inondations qui ont dévasté le Saguenay. L’entente que nous signons aujourd’hui s’inscrit dans un contexte où se croisent les chemins de l’amitié, du bon voisinage et de l’intérêt mutuel.
Mais surtout, la réalisation d’une infrastructure gazière de 550 kilomètres reliant Saint-Nicolas, en banlieue de Québec, et Frédéricton, au Nouveau-Brunswick aura des retombées importantes à la fois pour le développement économique et le bien-être de nos populations. Ce protocole d’entente est le fruit d’une démarche entreprise il y a quelques mois par nos gouvernements respectifs. Il vise essentiellement à tout mettre en œuvre pour que des entreprises privées du Nouveau-Brunswick et du Québec puissent réaliser leur projet de développement et d’interconnexion de leurs réseaux gaziers. Si nous avons senti le besoin de parapher une telle entente, c’est que nous sommes convaincus des avantages à venir et que nous croyons nécessaire de supporter les projets issus du secteur privé. Le Québec, vous le savez, se caractérise par la qualité et la renommée de son hydroélectricité. L’énergie produite par la puissance de l’eau est et demeure notre premier choix. Mais nous cherchons aussi, et de plus en plus, à diversifier nos approvisionnements énergétiques. La politique énergétique du Québec, intitulée L’énergie au service des Québécois, nous incite, en tant que gouvernement responsable, à garantir aux citoyens, aux entreprises et aux régions du Québec l’accès à différentes sources d’approvisionnement, à la fois fiables et sécuritaires. En 20 ans, la part du gaz naturel a plus que doublé et représente près de 17 % de notre bilan énergétique. L’accès aux réserves de l’île de Sable et surtout l’accessibilité au gaz naturel aideront le Québec à atteindre ses objectifs en matière d’énergie.
Notre engagement est triple: assurer aux Québécois les services énergétiques requis, et cela au meilleur coût possible; promouvoir de nouveaux moyens de développement économique; et respecter ou rétablir les équilibres environnementaux. Adopter une position concertée et jumeler nos forces, c’est aussi soutenir les promoteurs du projet pour qu’ils obtiennent tous les permis nécessaires à la réalisation de cette infrastructure. Nos gouvernements sont prêts, aujourd’hui, à appuyer adéquatement tous les partenaires associés à ce projet. Les promoteurs nous confirment la nécessité d’investir plus de 400000000 $. Nos efforts se conjuguent désormais pour solliciter l’appui financier du gouvernement fédéral. Il nous apparaît justifié que le gouvernement du Canada participe à l’avancement de ce projet. Il a en effet déjà contribué pour 1400000000 $ à la mise en valeur du gisement de l’île de Sable, en Nouvelle-Écosse. Il serait logique que les citoyens du Québec et du Nouveau-Brunswick puissent aussi bénéficier d’un appui financier du fédéral dans le cadre du Programme énergétique national. Notre association vise le long terme. Au cours des prochaines années, le gaz naturel va poursuivre sa progression dans nos marchés. Parce qu’il s’agit d’une source d’énergie propre, fiable et économique, parce qu’il s’avère particulièrement utile pour le milieu industriel, de mieux en mieux connu dans le secteur agricole, et qu’il trouve de nouvelles applications en milieu urbain, le gaz naturel représente l’une des voies d’avenir les plus prometteuses. Afin de faciliter les autorisations requises pour construire ce nouveau pipeline, le gouvernement du Québec a adopté, lors de la dernière session parlementaire, un projet de loi qui permet la création d’un panel conjoint avec le Nouveau-Brunswick et le gouvernement fédéral pour l’analyse des impacts environnementaux des projets transfrontaliers. Cette approche permettra d’alléger les procédures administratives tout en garantissant que les normes environnementales soient respectées et que cette nouvelle infrastructure soit utilisée dans l’intérêt public. Si tout va comme nous l’espérons, les promoteurs pourraient débuter les travaux à l’été 2002. Les retombées économiques ne font aucun doute: création d’emplois, revitalisation des économies régionales, pour n’en nommer que quelques-unes. La clé de la réussite, c’est lorsqu’on gagne de part et d’autre. Et c’est ce qui nous attend : chaque gouvernement y trouvera son compte, et les consommateurs d’énergie seront bien servis. De plus, c’est un nouveau lien qui nous unira, nous du Québec et vous du Nouveau-Brunswick. Je voudrais en terminant remercier mon homologue Monsieur Bernard Lord, Monsieur Volpé et tous nos partenaires promoteurs du projet. Je sais qu’à partir d’aujourd’hui nous travaillons tous ensemble sur ce projet. Et nous allons le mener à bien, avec toute l’énergie qui nous caractérise. Merci de votre attention.

[BOUC=20000320]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Présentation du budget pour la région Saguenay-Lac-St-Jean – Jonquière – 20 mars 2000]
Monsieur Sylvain Bouchard, président de la Chambre de commerce de Jonquière,
Distingués membres du conseil d’administration, Monsieur Jean-Eudes Girard, pro-maire de Jonquière, Madame Girard-Bujold, députée de Jonquière à Ottawa, Collègues de l’Assemblée nationale, Chers amis, Je suis content de me trouver aujourd’hui parmi vous. La Chambre de commerce de Jonquière est un des maillons forts du développement économique de notre région. Et vous, hommes et femmes d’affaires, en êtes les forces vives. C’est donc avec plaisir que j’ai répondu à votre invitation. Depuis le dépôt du budget, c’est la première tribune qui m’est donnée pour le commenter.
Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi le Saguenay-Lac-Saint-Jean pour parler des retombées directes du budget. Je connais votre sens de l’innovation et votre implication pour dynamiser le tissu industriel et développer des services de qualité. Je sais qu’en bons gestionnaires, vous connaissez l’importance d’équilibrer les choix budgétaires. C’est pourquoi, cette année, nous avons encore beaucoup travaillé sur cet équilibre. Nous l’avons fait en proposant des mesures concrètes pour renforcer l’économie sans laisser de côté nos priorités sociales. Travailler de concert sur l’économie et le social, c’est ce qui fait la force et la caractéristique du gouvernement actuel. Et je sais que nous avons fait les bons choix. C’est un budget qui favorise le développement économique et accompagne la croissance des entreprises québécoises. C’est aussi un budget qui réinvestit en priorité dans la santé, dans l’éducation, dans la jeunesse. Il s’agit de choix collectifs qui nous concernent et nous engagent pour les années à venir. Les Québécoises et les Québécois comprennent notre action. Ils savent que nous sommes dans la bonne direction. Voilà ce qui explique pourquoi, cette année, le budget du Québec a reçu un accueil aussi favorable. Et il y a de quoi. Avec 2700000000 $ pour la santé, voici une bouffée d’oxygène qui va permettre au réseau de respirer. C’est un nouveau départ pour ce réseau. Il dispose maintenant de moyens suffisants pour réorganiser ses structures, les rendre plus efficaces et sortir de la spirale du déficit. Pour ce qui est de la région ici, plus immédiatement, en ce qui concerne les complexes de Jonquière et de Chicoutimi, je vous rappelle qu’il y a 12000000 $ qui sont investis à Jonquière pour la construction du Centre de réadaptation, dont les travaux devraient commencer cette année. Il y a aussi 7000000 $ en services qui vont venir alimenter l’établissement, et en particulier dans le programme de virage ambulatoire. Il y a 5000000 $ en plus qui vont être investis dans l’équipement à cette fin. Au Complexe de la Sagamie, à Chicoutimi, cette semaine, nous serons en mesure enfin d’annoncer une somme de 5000000 $ pour rénover les 5 premières salles d’opération. Et, dans la région, comme ailleurs, le gouvernement va éponger les déficits. Nous le ferons avant le 31 mars. Et, en plus, nous allons pouvoir réviser les bases du financement permanent. C’est l’occasion pour nous tous de redéfinir des modes de gestion qui vont responsabiliser davantage les partenaires et qui vont surtout permettre d’injecter des sommes considérables dans les secteurs plus névralgiques de la santé. Améliorer le fonctionnement des services, moderniser les équipements, former du personnel : ce sont les priorités. Je pense aussi à nos aînés. Ils ont contribué toute leur vie au développement du Québec. Il est normal qu’ils reçoivent le soutien et la qualité de services auxquels ils ont contribué. Je pense aussi aux familles monoparentales, aux personnes marginalisées qui ont besoin d’assistance et qui se heurtent à des réalités parfois difficiles. Elles aussi ont le droit de s’épanouir. Deux autres priorités pour le gouvernement : jeunesse et éducation. Les jeunes, c’est notre avenir. Et le Sommet du Québec et de la jeunesse nous aura donné la chance de travailler collectivement et de dégager des axes prioritaires. Il faut que nos jeunes reçoivent un enseignement de qualité, adapté aux réalités économiques. Pour une entreprise, savoir qu’elle peut compter sur une main-d’œuvre formée et de qualité, c’est déterminant pour sa réussite.
C’est pourquoi nous avons débloqué 1000000000 $ de plus, sur trois ans, pour les réseaux de l’enseignement. Vous pouvez être rassurés: les investissements qui seront faits au Collège de Jonquière, à l’Université du Québec et dans les commissions scolaires, c’est de l’argent placé dans de la matière grise, dans l’apprentissage du savoir-faire. Permettre à un jeune de bien se former, lui donner les moyens de se débrouiller dans la vie, c’est faire un pas de plus pour favoriser son intégration dans la société. Cela nous concerne tous. Faire les bons choix, c’est aussi rester à l’écoute des contribuables, des entreprises, des régions. Et pour le développement de ces régions, le budget consacre 310000000 $. Alors oui, grâce à nos choix budgétaires, le Saguenay-Lac-Saint-Jean va recevoir un formidable coup de pouce. Plusieurs mesures sont prévues pour renforcer la prospérité et la croissance de notre région. Bien entendu, ces investissements de plus de 250000000 $ pour l’ensemble des régions du Québec ne tombent pas du ciel. Il était hors de question d’emprunter. Vous le savez : on a juré de ne pas retomber dans la spirale du déficit. L’argent neuf que nous investissons, c’est le nôtre: celui que nous avons gagné. Comment?
En premier lieu, soulignons l’excellente performance de l’économie québécoise. La croissance du PIB a été de 3,7 % en 1999. On n’a pas vu ça depuis 11 ans. Et c’est d’autant plus encourageant que notre taux de croissance dépasse celui de l’Allemagne, de la France ou du Royaume-Uni. Et les perspectives pour l’an 2000 sont encourageantes. La Banque Nationale prévoit même une croissance de 4,2 %. Plus de croissance, c’est plus de revenus, plus de marge de manœuvre, plus de capacité de faire des choix. Depuis 1994, par habitant, le PIB du Québec augmente plus rapidement que celui de la moyenne canadienne. Cela signifie aussi que la consommation de biens et services a repris et même monté en flèche, que les entreprises recrutent à tour de bras pour répondre à la demande. Pour preuve: l’année dernière seulement, 76000 emplois nouveaux ont été créés au Québec. Et ce qui me réjouit, c’est que plus du tiers de ces emplois sont occupés par des jeunes: la meilleure performance en un quart de siècle. Depuis quatre mois, notre taux de chômage se maintient entre 8,1 % et 8,3 %, son niveau le plus bas en 25 ans. Souvenez-vous: l’année dernière, à la même date, il était autour de 10 %. Et on travaille encore à le faire reculer. Une première victoire, donc, sur le chômage. Nous avons aussi fait un autre progrès sur le nombre de prestataires de l’aide sociale. Il a baissé de 55000 personnes en 1999. Il continue de baisser: 21000 personnes ont quitté l’aide sociale depuis le début de l’année. Le nombre de jeunes inscrits a, lui aussi, fortement chuté; on parle d’une baisse de 28 % depuis 1994. En tout, 200000 personnes de moins sur l’aide sociale. L’entreprise recrute, elle investit aussi. Depuis 1996, la hausse des investissements privés (40,2 %) est supérieure à celle du Canada (34,5 %) et de l’Ontario (34,6 %). Les experts du Mouvement Desjardins ont même conclu en octobre dernier que « depuis quatre ans, le boom des investissements des entreprises au Québec se compare avantageusement à celui des États-Unis ». C’est une preuve que les entreprises ont confiance en l’économie du Québec. Comme les consommateurs d’ailleurs. En effet, selon le Conference Board, l’indice de confiance des ménages a atteint, en 1999, son plus haut niveau depuis 11 ans. Ce constat est aussi vrai pour la région, quoique nous ayons des efforts additionnels à faire. Depuis que l’on tient des statistiques régionales sur l’emploi, soit depuis 1987, la région a connu, en 1999, l’une de ses meilleures performances: près de 8000 emplois créés; taux de chômage à son plus bas niveau (11,5 %); baisse de 7,1 % du nombre des prestataires à l’aide sociale. Et depuis le début de l’année, l’emploi ne cesse de croître: 3 700 emplois de plus qu’à la même période l’an dernier. Quant aux investissements privés, depuis 1995, hausse de 14 %. Mais il faut continuer à faire reculer le chômage et à créer des industries. Nos progrès, nous les devons avant tout à l’effort extraordinaire qu’ont fait tous les Québécois et Québécoises pour atteindre le déficit zéro. Grâce à cette autre victoire, nous pouvons maintenant à la fois réduire l’impôt des particuliers de 4500000000 $ sur 3 ans et poursuivre notre politique d’avenir sur de solides bases financières. C’est, comme l’a dit Bernard Landry, « un juste retour des choses ». Je ne peux passer sous silence le fait que, dans un contexte où la véritable marge de manœuvre financière et fiscale se trouve du côté d’Ottawa, nous avons quand même réduit les impôts près de deux fois plus que le fédéral. Maintenant, voilà ce que nous allons faire concrètement au niveau régional. Le budget 2000-2001 est apparu pour tous comme l’occasion de redéfinir une politique régionale qui soit à la fois globale, tout en tenant compte de certaines réalités locales. Force est de constater que les régions du Québec doivent à la fois moderniser et diversifier leur économie. L’intégration des nouvelles technologies devient donc une priorité pour tout le monde. C’est pourquoi le gouvernement a voulu favoriser le branchement des familles sur l’Internet, grâce à un investissement de 120000000 $. Les entreprises n’ont pas été oubliées. Il fallait leur permettre de rester dans la course. Ainsi, les PME qui se lanceront sur la voie du commerce électronique, c’est-à-dire celles qui développeront des sites transactionnels, pourront obtenir des crédits d’impôt allant jusqu’à 40000 $. Il faut aussi nous diversifier. Nous allons débloquer 50000000 $ pour pousser la création de nouvelles activités économiques. On sait à quel point la préparation, c’est-à-dire toute la démarche en amont des projets d’investissement, est déterminante pour assurer le succès d’un plan d’affaires. Et bien, les entreprises qui voudront produire des biens et des services à haute valeur ajoutée pourront recevoir une aide conséquente pour leurs études de marché et de faisabilité et pour la mise au point de leurs produits. Autre volet important qui concerne les principaux organismes d’aide aux entreprises. Si ces organismes veulent, eux aussi, rester dans la course, c’est-à-dire continuer à attirer une clientèle d’entrepreneurs, ils doivent disposer de moyens plus substantiels. Je pense, par exemple, aux centres locaux de développement (CLD), des acteurs importants pour muscler l’activité économique en ville et en dehors des zones métropolitaines. Pour les aider dans l’accomplissement de leur mandat, les CLD des municipalités régionales de comté de plus de 100000 habitants vont bénéficier, sur deux ans, d’une enveloppe de 2100000 $. Le CLD de la MRC du Fjord du Saguenay aura aussi droit à une aide additionnelle. Les CLD auront également une enveloppe additionnelle de 7000000 $ pour leur permettre d’accompagner plus efficacement les jeunes qui se lancent en affaires. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, nous avons déjà fait des efforts financiers importants pour améliorer les infrastructures. Le projet d’autoroute Alma-La Baie, par exemple, a constitué une priorité régionale. Cette année, les municipalités auront accès au nouveau programme de soutien à la construction et à la rénovation des infrastructures publiques, doté de 290000000 $, dont 175000000 $ visent particulièrement les équipements municipaux. La région pourra également bénéficier de l’extension du réseau gazier vers des parcs industriels non encore desservis. À l’échelle du Québec, l’expansion prévue devrait entraîner des investissements de 150000000 $ et générer quelque 2400 emplois. Au chapitre des infrastructures routières, nous allons poursuivre les investissements prévus pour les routes 175 et 169, dans la réserve faunique des Laurentides. D’ici 2006, comme nous l’avons déjà annoncé, ce sont 38000000 $ qui y seront consacrés, s’ajoutant aux 44000000 $ qui avaient été annoncés préalablement par Jacques Brassard. Entre 2006 et 2010, nous avons également annoncé un investissement additionnel de 105000000 $ pour l’aménagement des chaussées à quatre voies à Stoneham et à Laterrière. Et pour respecter l’engagement d’ouvrir l’autoroute régionale jusqu’à la route 170 Ouest, 69000000 $, qui sont déjà annoncés, seront bien sûr également investis. Un autre exemple, celui de l’aluminium. Le Québec et notre région en particulier se distinguent dans la production d’aluminium primaire et de produits de première transformation. Et il se distingue dans le monde. Il faut dire que notre expertise est unique dans ce domaine. Elle s’appuie ici sur trois chaires industrielles, des programmes de formation spécialisée et les rôles essentiels que jouent le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium et le groupe TransformActions. Nulle part ailleurs, on ne retrouve une telle concentration de production sur un même territoire. Avec la mise en place de la nouvelle usine d’Alma, d’une capacité de production de plus de un million de tonnes d’aluminium, les alumineries du Saguenay-Lac-Saint-Jean vont contribuer pour 50 % de la production québécoise. Au regard de la place prépondérante qu’occupe ce secteur, nous voulons que toute la région soit reconnue comme un pôle mondial d’excellence dans la transformation de l’aluminium en produits finis et semi-finis. La transformation, c’est bien sûr l’avenir de notre industrie. Et pour aider les entreprises dans cette voie, nous mettons en place, pour une période de quatre ans, un crédit d’impôt remboursable de 40 %. Cette mesure concerne la masse salariale de tous les employés des entreprises de la région affectées à la transformation et à la commercialisation de ces produits en aluminium finis ou semi-finis. Voilà une mesure concrète dont pourront bénéficier les entreprises de la région. Je pense notamment à Rémac de Jonquière, Cycle de Vinci de Chicoutimi, Moultec de La Baie, Alumex de Roberval et tant d’autres comme Émail Finitech, Spectube, Alumiform et Précicast.
Cette mesure répond à la volonté exprimée par les intervenants régionaux lors du Forum sur la transformation de l’aluminium, tenu en septembre dernier, de mettre en place la Vallée de l’aluminium. Nous la devons aussi à la concertation des principaux acteurs de l’industrie, notamment le groupe TransformActions. Ce travail préparatoire a considérablement aidé le caucus des députés et des ministres de la région à obtenir la désignation de la Vallée de l’aluminium. Mais pour que ce projet se concrétise, il faudra que les intervenants régionaux de cette industrie accentuent leur réseautage et en fassent la promotion. Ils devront aussi prospecter à l’étranger afin d’accroître le nombre d’entreprises sur ce territoire et optimiser l’utilisation des ressources existantes. Nous comptons sur elles. On parle aussi partout de la nouvelle économie. Mais comment les attirer en région, ces entreprises championnes du commerce électronique, du cyber-marketing et du développement de contenus interactifs? Nous avons pensé à une série de mesures concrètes: nous allons d’abord reproduire une expérience pilote très concluante avec l’implantation d’Inno-Centre, un organisme qui parraine et accompagne les entreprises à forte saveur technologique. Ce projet, qui nécessite des investissements de 1600000 $ sur trois ans, devrait avoir des retombées très importantes dans la région. D’autres mesures fiscales vont être proposées aux entreprises qui étendent près de chez nous les réseaux de fibre optique et de câbles coaxiaux. Dans le village global, il est impensable de voir apparaître des ghettos. Tous les Québécois doivent pouvoir accéder à la même information. Diversifier, c’est aussi se donner les moyens d’attirer des entrepreneurs nouveaux. Tous les projets majeurs d’investissement bénéficieront d’un congé fiscal de dix ans. Voilà un programme agressif qui devrait produire des effets bénéfiques et à long terme. Je voudrais aussi insister sur un nouveau régime de garanties pour le démarrage des entreprises. Il va pouvoir couvrir, à concurrence de 100000 $, 80 % des pertes d’une PME. Ce programme concerne autant les nouvelles PME que celles qui ont moins de trois ans, et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1000000 $. Il y a aussi les secteurs traditionnels. Rassurez-vous, nous ne les avons pas oubliés. Au contraire, nous y ferons des investissements importants. Une subvention de 100000000 $ à l’organisme Innovation-Papier lui permettra de moderniser davantage les entreprises du secteur des pâtes et papiers. Je sais que nos chefs de file comme Donohue, Cascade, Forestière Alliance ou encore Abitibi-Consolidated se réjouiront de cette mesure. Pour l’agriculture, ce sont 300000000 $ par année que le gouvernement va apporter aux grands outils financiers du secteur. Et l’on mettra l’accent aussi pour la formation de la main-d’œuvre et la création d’emplois en forêt. À ce titre, près de 19000000 $ sont prévus pour le ministère des Ressources naturelles. Comme vous le savez, le gouvernement a toujours protégé, même durant l’exercice du déficit zéro, le budget destiné à la culture. Les artistes de chez nous font la fierté du Québec. Il est nécessaire de les encourager. Déjà, l’an passé, nous avions mis en place des crédits d’impôt pour encourager la production de spectacles musicaux et les enregistrements sonores. 35000000 $ avaient été dégagés pour venir en aide aux organismes artistiques et culturels. Cette année, ce sont plus de 100000000 $ qui sont ajoutés à la culture. 20000000 $ aux arts et aux lettres en particulier. Nous ajoutons 30000000 $ pour les programmes de soutien aux équipements culturels et de réfection des biens culturels et 20000000 $ pour la restauration du patrimoine religieux. Près de 10000000 $ sont accordés aux musées de toutes les régions du Québec pour renouveler leurs expositions et réaliser des expositions internationales. Enfin, nous mettons en place un crédit d’impôt pour l’édition, une mesure saluée par l’association nationale des éditeurs de livres. Vous le savez sans doute, le Québec devance toutes les provinces du Canada lorsqu’on regarde le financement public de la culture. 53 $ par habitant au Québec contre 18 $ en Ontario. Le Saguenay-Lac-Saint-Jean est un creuset important de la culture québécoise. Voilà pourquoi je tenais à vous présenter nos choix budgétaires dans ce domaine qui me tient à cœur. Je suis convaincu que nous saurons tirer parti des possibilités que ce budget offre à notre région. Mais nous avons besoin de vous tous dans la poursuite de ces efforts. Nous avons besoin d’entrepreneurship. Et là, les conditions, les leviers sont en place. Le gouvernement ne peut pas lui-même concevoir des produits nouveaux. Il faut donc que cela vienne du secteur privé, que cela vienne des entrepreneurs, des jeunes, et des moins jeunes. Nous avons besoin que le secteur privé réponde. Nous avons besoin que la capacité d’innovation se manifeste. Nous avons besoin d’audace dans l’investissement et dans la conquête des marchés. D’autant plus que nous ne réalisons pas assez, au Québec, la place que nous occupons sur les marchés internationaux. L’économie américaine et l’économie japonaise, qui sont parmi les plus importantes du monde, ont bien sûr une très grande base domestique. Donc, ils ont une grande population, et la consommation domestique fait en sorte qu’ils ont des atouts considérables. Mais la place que l’économie américaine et l’économie japonaise tiennent sur les marchés internationaux est d’environ 10 à 12 %. Le Québec, lui, exporte 58 % de toute sa production en dehors de ses frontières. Les gens ne réalisent pas à quel point les Québécois gagnent leur vie sur les marchés internationaux, à quel point c’est la qualité de leurs produits, de leur main-d’œuvre, l’esprit inventif de leurs gens d’affaires et des centres de recherche québécois qui permettent d’avoir, au Québec, une économie de haute qualité. Et si nous avons un standard de vie qui se compare avantageusement aux meilleurs standards du monde, c’est parce que justement nous avons appris à nous battre à l’étranger. Les gens qui achètent nos produits, ce n’est pas pour la couleur de nos yeux, c’est parce que ce sont les meilleurs. Il faut savoir que nos régions doivent accentuer les efforts de ce côté là. Et que l’avenir de l’économie québécoise, l’avenir des jeunes, l’avenir de l’emploi pour les jeunes, c’est manifestement dans la transformation, dans l’industrie secondaire et tertiaire. C’est pour cela que le gouvernement a ciblé ses efforts dans ce domaine. Mais il faut une réponse du milieu. Je ne doute pas que, dans une région dynamique comme la nôtre, nous pourrons améliorer encore nos performances économiques. Ensemble, nous allons continuer à développer notre région, et faire en sorte que le Québec tout entier continue sur sa lancée actuelle. Alors bon courage, bon travail et merci encore.

[BOUC=20000324]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à la mémoire de C. Béland (président du Mouvement Desjardins) – 24 mars 2000]
Merci Madame Berryman,
Monsieur le Président du Mouvement Desjardins, Monsieur Béland, Mesdames, Messieurs les Ministres, Maires et Députés, Mesdames, Messieurs, Au cours des années passées à la présidence du Mouvement Desjardins, Claude Béland a prononcé pas moins de 600 conférences. Si vous faites le décompte, cela revient à environ une par semaine. Voilà un rythme relevé que même un premier ministre aurait bien du mal à soutenir.
Ce soir, c’est avec honneur et beaucoup de plaisir que je veux saluer et remercier, au nom de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, un grand bâtisseur du Québec moderne, un humaniste et un ami. Monsieur Béland s’est décrit lui-même comme un « incorrigible bavard ». Son expression réfère plus à son sens de l’humour qu’à la réalité. Pour ma part, je dirai, sans aucun doute plus justement, que Claude Béland est un homme de parole. Dans le verbe comme dans l’honneur. Et si j’ai une inquiétude à l’idée de le voir quitter la présidence du Mouvement Desjardins… c’est qu’il se taise! Car il a été de ceux qui ont vécu et contribué d’une manière pleinement engagée et soutenue à l’ascension du Québec. Dans dix ans d’ici, lorsque nous regarderons par-dessus notre épaule pour voir le chemin parcouru, nous retiendrons sans doute deux temps forts qui ont marqué l’accélération de notre marche vers la réussite économique et sociale: Il y a eu la Révolution tranquille qui nous a permis de nous donner les outils nécessaires à notre essor collectif. Ce fut l’époque où nous avons semé en chacun de nous le germe de la confiance en nos capacités. Puis il y a eu ce dernier droit du siècle, ces quinze années pendant lesquelles notre économie s’est transformée à un rythme effréné. C’est le moment où nous avons commencé à récolter les fruits de la confiance venue à maturité. Et c’est à cette époque, dont nous ne pourrons saisir tout le relief qu’avec le recul des ans, que demeurera associé Monsieur Béland. Les années de présidence de Monsieur Béland ont coïncidé avec une période de transformation majeure de notre société : Notre économie de matières premières a évolué vers une économie du savoir à haute valeur ajoutée. Le secteur technologique a émergé au point de constituer maintenant un de nos principaux leviers de croissance. Nous avons repris en main nos finances publiques. Et dans tous les domaines, les talents québécois ont atteint en nombre et en amplitude un rayonnement jamais égalé.

Ce qu’on pourra dire, c’est que Claude Béland, en tant que président de la plus importante institution financière du Québec, en tant que gestionnaire en chef d’un actif de près de 77000000000 $, en tant que dirigeant d’une force vive de plus de 39000 employés et de 14000 dirigeants élus, comptait parmi ces personnes qui ont insufflé un mouvement de renouveau au Québec, parmi ces quelques-unes qui ont su l’animer avec conviction et détermination. Si aujourd’hui les Québécoises et les Québécois prennent à bras-le-corps les défis qui se présentent, c’est entre autres parce qu’ils ont été inspirés. Parce que, notamment, un grand coopérateur s’est levé et a répété sur tous les tons que nous étions capables de grandes choses. Et le message a été entendu. Mais ce n’est pourtant pas là le principal legs de Claude Béland à la société québécoise. Non. La vraie contribution de Claude Béland à notre tempérament collectif, à cette énergie qui nous anime aujourd’hui, n’a pas été de dire que nous étions capables, mais de dire que nous étions capables… à notre manière et surtout… de le démontrer. C’est d’avoir osé non seulement toujours compter sur la fierté, mais d’avoir aussi osé nous secouer pour dire que nous avions le devoir personnel, envers nous-mêmes et les autres, de mettre l’épaule à la roue. À l’automne 1990, à Cap-de-la-Madeleine, Claude Béland disait ceci : « Tous les efforts que nous déployons ne serviront à rien si l’ensemble des citoyens et citoyennes ne sont guère influencés par un nouveau code moral qui les engage à la construction d’une société moderne. (…) Il m’apparaît que, pour maintenir notre place sur notre territoire, tout en prenant notre part des marchés nouveaux, nous n’avons pas les moyens du chacun pour soi et de la division de nos forces. » C’est par ces mots, en parlant comme les financiers ne parlent pas souvent, que Claude Béland a montré son envergure réelle et a posé sa contribution unique. C’est là que l’homme d’affaires devenait visionnaire, que le gestionnaire devenait militant et que le coopérant devenait conquérant. L’idée de la responsabilité individuelle et de l’engagement de soi, l’idée maîtresse de sa carrière, il l’a portée depuis les mots jusque dans les gestes. Claude Béland s’est engagé avec ferveur et conviction dans les débats qui nous ont animés et dans les institutions qui les nourrissaient.
Président du Conseil de la coopération du Québec de 1990 à 1999, président du Sommet sur l’économie et l’emploi en 1996, président du Forum pour l’emploi entre 1988 et 1998, administrateur et membre de la Société d’Investissement-jeunesse, membre de la Conférence permanente sur l’adaptation de la main-d’œuvre de 1990 à 1996, membre de la commission Bélanger-Campeau en 1990-1991, membre du Conseil de la Caisse de dépôt et placement depuis 1987, président et fondateur de la Société de promotion Qualité-Québec, président de la Fondation de l’entrepreneurship, de l’Ordre des administrateurs agréés, du conseil d’administration de l’Université Laval… J’en passe, car la liste est trop longue. Son curriculum vitæ est en soi un résumé de notre histoire contemporaine et du dynamisme de son engagement personnel. Claude Béland a pris au pied de la lettre les idéaux de la coopération – responsabilité, partage, démocratie, solidarité – pour contribuer au meilleur de lui-même à l’avancement d’un Québec qu’il aime profondément. Homme de conviction, la cohérence de son action est une inspiration. Coopérant jusqu’à la moelle, son engagement social a constitué un prolongement de son rôle chez Desjardins; il a beaucoup milité en faveur de l’ouverture du marché du travail aux jeunes et d’une amélioration des conditions de vie des moins nantis. Son action a ainsi rapproché l’action communautaire des milieux d’affaires et créé ce terreau fertile à la reconnaissance, en 1996, de l’économie sociale comme vecteur de croissance pour notre société. Claude Béland a aussi très certainement l’immense mérite d’être toujours resté l’homme de la modernité. Il passera sans nul doute à l’histoire de Desjardins comme celui qui aura présidé à la plus profonde restructuration du mouvement depuis son origine. Les grandes réformes sont toujours de grandes aventures. Dans son souci de projeter la coopération dans la modernité, Claude Béland n’aura pas hésité à proposer des idées nouvelles et des réaménagements profonds. Il aura surtout réussi à les faire partager et adopter dans un climat empreint de sérénité et de force tranquille. Il aura été un bâtisseur infatigable, un critique lucide, mais aussi un des plus flamboyants ambassadeurs du Mouvement Desjardins, du mouvement coopératif et du Québec tout entier. Il faut rendre hommage à la clairvoyance des dirigeants de Desjardins qui ont su voir en Claude Béland, il y a treize ans, l’homme du moment. Son élection marquait la continuité d’une connivence étroite entre la société québécoise et cette grande institution financière. Depuis son origine dans le Québec rural jusqu’à la pénétration de nos centres urbains, à travers son essor, ses débats, sa modernisation, ses transformations, ses élans et ses tourments, le Mouvement Desjardins a accompagné le Québec comme son meilleur ami. Depuis cent ans, à travers les crises, les espoirs, les déceptions et les réussites, la société québécoise et le Mouvement Desjardins ont grandi ensemble. Chacun s’est nourri du travail de l’autre et a contribué à l’essor de l’autre. Cette relation est probablement unique au monde; elle exprime le meilleur du modèle québécois: fier de ses origines mais résolument tourné vers demain. Et maintenant que tout cela a été dit, la table est mise pour un nouveau président, à qui je tiens personnellement à souhaiter tous mes vœux de succès. Monsieur Alban d’Amours, vous voilà dépositaire d’une très grande réussite québécoise. Puissiez-vous continuer à la faire prospérer pour le bénéfice de tous et perpétuer cette amitié porteuse entre le Québec et le Mouvement Desjardins. Je ne doute pas de l’avenir pour le Mouvement Desjardins, sachant qu’il peut compter sur le talent et le dévouement de vous tous réunis ici ce soir et de tous ces gens encore, sociétaires par millions, employés par dizaines de milliers qui, jour après jour, sur le terrain, concrétisent le rêve d’Alphonse Desjardins. Monsieur Béland, vous pouvez vous retirer avec la satisfaction du devoir accompli. Au nom de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, je veux vous remercier du fond du cœur pour tout ce que vous avez fait et pour tout ce que vous ferez encore. Et si vous le permettez, je terminerai sur vos propres mots. En conclusion de ce riche recueil constitué d’extraits de vos nombreuses conférences, vous esquissez ce qui m’apparaît être l’essence même de votre action. Permettez-moi de vous citer: « En relisant ces textes (dont certains remontent à une dizaine d’années), je constate qu’ils sont principalement animés par la recherche d’une autre voie, une voie entre le capitalisme et le socialisme, une voie qui est la volonté de rétablir des sociétés faites pour tous. » Merci monsieur Béland et, si je peux me permettre un souhait, c’est celui de vous voir continuer à exprimer, tout aussi activement, vos convictions et vos idées pour le Québec. Merci encore.

[BOUC=20000405]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Symposium franco-québécois sur la diversité culturelle à l’Université de la Sorbonne – Paris – 5 avril 2000]
Monsieur le premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, Monsieur le Consul général de France à Québec, Monsieur le Délégué général, Mesdames les Coprésidentes du Groupe de travail franco-québécois sur la diversité culturelle, Distingués invités, Mesdames et Messieurs, D’abord, j’aimerais féliciter les organisateurs de ce symposium, qui s’inscrit comme une date majeure dans la démarche que nous avons entreprise en commun sur la diversité culturelle. Les conclusions du Groupe de travail, coprésidé par Mmes Lalumière et Malavoy, seront une importante source d’inspiration pour la France, le Québec et d’autres pays pour lesquels la diversité culturelle a une résonance liée à l’épanouissement de leur identité nationale.
Dans cette même université, il y aura bientôt vingt ans, un de mes prédécesseurs, Monsieur René Lévesque, recevait un doctorat honorifique. Dans son discours, le premier ministre du Québec livrait un vibrant plaidoyer en faveur du respect des identités culturelles. Il disait, et je cite: « Ce serait le dépérissement des cultures, sources multiples de la vie, que ce refus opposé aux civilisations singulières, aux petites nations, de prendre et de recevoir leur juste part du développement politique, économique, social, culturel du monde contemporain. Ce serait permettre à la grande concentration multinationale de l’argent privé et à un très petit nombre de grandes puissances d’étayer leurs empires sur des moyens de communication aujourd’hui si puissants qu’ils permettraient tous les contrôles, de l’information, de la culture, des aspirations et des désirs… » La diversité culturelle est appelée à prendre une place centrale dans nos débats et nos réflexions sur la conception que nous avons du monde et des rapports entre les peuples et les États. En fait, ce sera l’enjeu le plus important en matière de relations internationales au cours des dix prochaines années. Le Québec est bien placé pour apprécier la diversité culturelle. Son identité est un heureux mélange de latinité, de francité et d’américanité. Sa culture est française, son mode de vie est nord-américain et ses institutions politiques sont d’inspiration britannique. La population québécoise est francophone à plus de 82 %, alors qu’Irlandais, Anglais, Amérindiens et, plus récemment, des centaines de milliers de personnes en provenance de tous les pays enrichissent notre patrimoine collectif. Parce que nous ne représentons que 2 % de la population de l’Amérique du Nord, nous avons un sens aigu de la précarité culturelle. Nous vivons la précarité culturelle. C’est là tout le sens du combat du peuple québécois pour se donner la capacité de garder son âme, de se définir lui-même, de se projeter dans l’avenir. Un philosophe français, dans un ouvrage récent, affirme que tous les pays, dans le contexte de la mondialisation, ont intérêt à écouter les nations qui ont toujours eu à composer avec le profond et troublant sentiment de leur propre précarité. C’est ce qui amenait Alain Finkielkraut à employer cette formule saisissante: « Nous sommes tous des Québécois. » Apprendre à vivre ensemble, à l’échelle planétaire, en profitant des possibilités qu’offre la mondialisation, tout en respectant le droit de chaque culture à une place au soleil, tel est le défi qui nous attend. Il s’agit d’humaniser la nouvelle donne créée par la mondialisation. L’ouverture sur le monde est une caractéristique fondamentale des Québécois et de leur économie. Les gouvernements du Québec ont toujours soutenu de manière active les traités de libre-échange nord-américain, que ce soit l’Accord Canada/États-Unis ou l’ALENA. En fait, aujourd’hui, en exportant hors de leurs frontières près de 60 % de leur production, les Québécois sont parmi les peuples dont l’économie est la plus ouverte sur le monde. Cependant, ce OUI du Québec à l’intégration économique a toujours eu comme condition sine qua non le respect de son identité culturelle. Les milieux culturels, comme la société civile en général, ont été plus ou moins écartés de la préparation des grands accords multilatéraux, notamment ceux sous l’égide de l’OMC. En leur absence, d’autres ont cherché à définir à leur place les règles qui devraient gouverner les échanges culturels. Ce déficit démocratique a été constaté par la population, et les dirigeants politiques y sont de plus en plus sensibles.
Parallèlement à la libéralisation des marchés, mais de façon plus pernicieuse, l’uniformisation des paramètres culturels est en voie de mettre en péril l’existence des cultures nationales. Cette démarche a quelque chose d’insidieux car elle procède par de subtils changements dans nos habitudes de consommation de produits culturels, tels la musique, la télévision, le cinéma et même le livre. L’échec de l’AMI et les événements récents de Seattle et de Davos nous démontrent que la réalité, même mondialisée, ne peut être réduite à une dynamique de marché. Comme vous, monsieur le premier ministre, nous sommes ouverts au libre marché mais nous disons non à la société de marché. Chacun d’entre nous doit assumer une part de responsabilité. C’est la seule assise valable et durable d’une démarche dont l’issue ne peut être que la survie et l’épanouissement de cultures nationales diverses, chacune riche de son passé, prête à contribuer au développement du monde par les enseignements qu’elle porte, les réflexions qu’elle engendre et les prises de conscience qu’elle provoque. La préservation des identités nationales est la dimension oubliée de la mondialisation. Elle entretient une relation intrinsèque avec la finalité qu’il nous faut viser, la diversité. La mondialisation ne doit pas conduire à un monde sans souveraineté. Il est absurde de penser que nous puissions aboutir à un univers où aucun pouvoir de décision n’existerait entre l’individu et une quelconque autorité invisible. Pour cela, il est essentiel de faire reconnaître, à l’échelle internationale, la capacité des États et des gouvernements de soutenir et de promouvoir la culture. Ceux-ci doivent pouvoir, sans avoir à s’en justifier, continuer d’élaborer et d’appliquer des politiques, des programmes et des mesures de soutien en matière culturelle et linguistique. L’application du principe naissant de la diversité culturelle doit contribuer à éviter une mondialisation débridée. Il y a là un rôle pour l’État. N’en déplaise à ceux qui voudraient le voir abdiquer ses responsabilités au profit des seuls intérêts marchands, l’État conserve une fonction inaliénable de représentation de ses citoyens. Lui seul, en s’appuyant sur la légitimité refondée sur les enjeux qui le concernent, peut mettre en place les moyens de régulation et de collaboration fournissant le cadre propre à organiser et gérer l’interdépendance. À cet égard, les orientations que nous adoptons aujourd’hui serviront à façonner le monde dans lequel nous vivrons demain. Ceux qui croient que seule « la main invisible » peut sculpter le monde de demain occultent les valeurs de l’humanisme. Si nous voulons préserver le monde comme un endroit où foisonnent les idées, il importe, par exemple, que John Locke, Montesquieu et Rousseau aient autant d’influence qu’Adam Smith dans la conception de l’univers de demain. Sur cette pensée comme sur tant d’autres, le Québec est sur la même longueur d’ondes que la France. En fait, nous travaillons ensemble, et ensemble nous réussirons. Je vous remercie!]

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Repas-retour en l’honneur du premier ministre français Lionel Jospin – Paris – 6 avril 2000]
Monsieur le premier Ministre Monsieur le Secrétaire général, Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Délégué général, Distingués invités, Mesdames et Messieurs, D’abord, je tiens à vous dire toute la joie que je partage, avec mon épouse Audrey, à vivre ce plaisir du convive avec vous ce midi. À la fin de ma visite officielle, je veux vous exprimer, Monsieur le premier Ministre, ma gratitude pour votre accueil chaleureux et amical. Depuis 1997, j’ai été à même de vous côtoyer dans le cadre des rencontres annuelles alternées des premiers ministres français et québécois à Québec et ici à Paris. Le Printemps du Québec en France a été une occasion supplémentaire. J’ai appris à vous connaître. J’ai constaté votre détermination, tant sur le plan personnel que politique. Elle m’a toujours inspiré le plus grand respect. Vous savez allier un grand pragmatisme dans la conduite des affaires avec une vision aiguë du futur.
Votre contribution exceptionnelle à la définition d’une nouvelle social-démocratie, votre volonté de ne pas laisser le monde devenir une cruelle société de marché ne me sont pas inconnues. J’y ai trouvé matière à réflexion et à engagement. Au cours des deux derniers jours, nous avons eu l’occasion d’échanger sur les rapports entre la France et le Québec. C’est l’occasion chaque fois de constater les grandes convergences qui existent entre nous et qui font que notre partenariat demeure une vibrante nécessité. C’est l’occasion aussi de mettre en place les moyens d’affronter et d’influencer le cours nouveau du monde. Il y a quelques heures, nous avons signé une déclaration commune. Elle témoigne largement de notre volonté d’assurer à notre coopération un avenir encore plus lié au bien-être de nos concitoyens français et québécois. Les chantiers que nous avons identifiés sont résolument modernes et particulièrement porteurs. Je pense en particulier aux nouvelles technologies de l’information, à la recherche dans les sciences de la vie ou à la mobilité de la jeunesse. Mais au-delà de tous ces chantiers, il en est un qui est primordial. Nous avons essayé de lui donner toute sa résonance : je veux parler de la diversité culturelle. Pour tous les démocrates, le défi nouveau du politique, ce n’est pas seulement de créer un cadre favorisant les échanges économiques et une croissance équitablement répartie, c’est aussi de s’appuyer sur les identités pour en faire un lieu de responsabilités. C’est concilier et faire jouer ensemble ces contraintes que sont l’appartenance et l’universalité. Ni la France ni le Québec ne peuvent accepter que l’identité soit la dimension refoulée à l’heure de la mondialisation. Ramener la culture à une pure question économique, à une simple question marchande et divertissante, c’est feindre d’ignorer ce qu’est la culture. Elle est d’abord et surtout cet environnement nourricier qui donne à chaque individu sa langue, ses valeurs, ses repères et son être social. Elle lui donne aussi ses institutions pour l’exprimer face aux autres dans des rapports respectueux de chacun. Cette volonté commune, la France et le Québec l’ont exprimée au dernier Sommet de la Francophonie. Partout nous devons continuer à additionner nos voix à ce sujet. L’an dernier, la France offrait au Québec une occasion exceptionnelle de rayonnement. De la mi-mars à la mi-juin, à l’occasion du Printemps du Québec, les Françaises et les Français ont pu ainsi mieux connaître le Québec dans toutes ses manifestations: culturelles, scientifiques, économiques… C’est un Québec moderne, à la pointe de la technologie, qui a été décliné de diverses façons. L’an prochain, ce sera au tour du Québec de recevoir la France. Ce sera avec grand plaisir qu’à mon tour je vous accueillerai en terre d’Amérique pour la Saison de la France au Québec. S’agissant du Québec, je suis sensible à l’attention que vous portez à l’évolution de notre pays. Le projet du Québec, c’est de s’appuyer sur ses racines, sur une identité ouverte que forgent constamment tous ceux qui choisissent de vivre sur son territoire, pour assurer leur avenir commun. C’est de démontrer que l’identité n’est pas un repli mais l’expression de tous ceux et celles qui choisissent d’être et d’agir ensemble dans le respect de tous leurs partenaires. N’est-ce pas là le défi qui attend tous les pays et toutes les démocraties dans le monde qui vient? Il appartient aux Québécoises et aux Québécois de dessiner leur avenir. Mesdames et Messieurs, je lève mon verre à notre amitié et à la prospérité du peuple français et de notre invité et ami, le premier ministre de la République française.

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Déclaration commune des premiers ministres français et québécois – 6 avril 2004]
Les premiers Ministres de la République française et du Québec se sont félicités de la réalisation presque intégrale des engagements pris dans le cadre du « partenariat stratégique » franco-québécois lors de la précédente rencontre des deux chefs de gouvernement, tenue en décembre 1998 à Québec. Ils ont décidé de placer la visite officielle du premier Ministre du Québec en France, les 5 et 6 avril 2000, sous le double thème de la diversité culturelle et de la société de l’information, et ont adopté à cet égard les deux déclarations communes jointes. Par ailleurs, les premiers Ministres de la République française et du Québec ont souhaité développer la coopération bilatérale dans le domaine de l’éthique biomédicale, de la biodiversité et de la sécurité agro-alimentaire. Ils ont chargé la Commission permanente de proposer des mécanismes et un agenda approprié. Les deux premiers Ministres ont réitéré leur appui aux travaux du Comité franco-québécois sur l’économie sociale et solidaire, comme à la démarche partenariale engagée entre les différents acteurs, rappelant ainsi l’importance de reconnaître l’expertise développée par le tiers secteur dans le développement de nos sociétés. De la même façon, les deux Chefs de gouvernement ont souligné le rôle majeur que jouent les associations comme France/Québec et Québec/France dans les échanges entre les deux sociétés civiles et la promotion d’un partenariat durable. Les deux premiers Ministres se sont félicités du déroulement du Printemps du Québec en France, qui a permis d’illustrer avec un grand succès la vitalité et la modernité culturelle, économique, technologique du Québec. Ils se sont réjouit que la France ait répondu à l’invitation du Québec de présenter en 2001 une manifestation culturelle d’envergure. Par ailleurs, les deux premiers Ministres ont réaffirmé leur volonté en vue de la conclusion et de la mise en œuvre d’une entente en matière d’entraide judiciaire dans l’intérêt des personnes visées par ses dispositions. Les deux premiers Ministres ont réitéré l’importance qu’ils attachent à une pleine participation des jeunes à la société et conviennent d’approfondir dans le domaine de la formation professionnelle, de l’insertion et des échanges franco-québécois. Ils sont convenus que la prochaine des rencontres alternées de premiers Ministres ait lieu en 2001 au Québec avec pour thème la jeunesse. À l’occasion de la rencontre annuelle des premiers Ministres de la République française et du Québec qui s’est tenue les 5 et 6 avril à Paris, Monsieur Lionel Jospin et Monsieur Lucien Bouchard, constatant qu’à la lumière des évolutions en cours dans le monde, l’enjeu qui s’attache à promouvoir la diversité des cultures ne cesse de prendre de l’importance notant que la promotion de la diversité culturelle et linguistique constitue une des priorités des deux gouvernements estimant qu’en raison de leurs racines historiques, culturelles et linguistiques communes, mais aussi des nombreuses convergences qui caractérisent leurs relations, la France et le Québec ont une vocation particulière à agir de concert pour la promotion de la diversité culturelle et linguistique, aux côtés d’autres partenaires partageant cette vision commune ayant à l’esprit la déclaration adoptée lors du sommet de Moncton des chefs d’États et de gouvernements de la francophonie, les résultats de la concertation francophone en vue de la conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce de Seattle, et la préparation de la conférence des ministres francophones de la Culture ayant pris connaissance avec intérêt du rapport du groupe de travail franco-québécois sur la diversité culturelle qui leur a été présenté par ses deux présidentes, Mme Catherine Lalumière et Mme Marie Malavoy prenant en considération les réflexions des personnalités de la société civile réunies pour le symposium franco-québécois sur la diversité culturelle auquel ils ont pris part le 5 avril
les deux premiers Ministres réaffirment leur attachement à la diversité des langues et des cultures, avec la conviction que la richesse du monde et l’avenir de nos civilisations tiennent à des différences reconnues et respectées, mais aussi que la liberté et le pluralisme dans l’expression intellectuelle et artistique sont des exigences de la démocratie conviennent de réfléchir ensemble aux moyens de promouvoir la diversité culturelle dans le contexte de la mondialisation des marchés et dans un environnement technologique en constante évolution considèrent que les biens et les services culturels, reflets des identités nationales et des valeurs d’une société, sont d’une nature particulière et nécessitent, en conséquence, un statut particulier à l’égard du droit du libre-échange réaffirment qu’il est du droit, de la responsabilité et du devoir des États et des gouvernements de garantir leur possibilité de préserver et de développer leur capacité à définir et à mettre en oeuvre leurs politiques culturelles, y compris les politiques audiovisuelles, pour la préservation de la diversité culturelle sont favorables à la poursuite des réflexions engagées à l’UNESCO et au sein de la francophonie pour identifier les moyens les plus adéquats afin de préserver et de promouvoir la diversité culturelle estiment nécessaire la participation aux débats sur la diversité culturelle des États et des gouvernements qui ont autorité en la matière et agiront ensemble pour que la francophonie poursuive cette mobilisation, particulièrement en engageant le dialogue avec les autres grandes aires linguistiques. se réjouissent de la contribution que la société civile, tant en France qu’au Québec, apporte à la connaissance des enjeux et à la réflexion, et conviennent d’élargir les processus de concertation mis en place avec elle entendent oeuvrer de concert en vue de l’adoption de positions communes à travers le groupe de travail franco-québécois, pour mobiliser
tous les gouvernements et organisations intéressés. À l’occasion de leur rencontre annuelle des 5 et 6 avril à Paris, les premiers Ministres de la République française et du Québec, constatant que la France et le Québec, solidaires dans la protection et la promotion de la diversité des cultures, le sont également face aux grands enjeux auxquels l’évolution technologique les confronte, estimant que la France et le Québec ont développé une expertise qui leur est propre dans l’application des technologies de l’information et approfondiront en conséquence le dialogue engagé pour tirer parti de leurs complémentarités et de leurs atouts respectifs,
les deux premiers Ministres décident d’intensifier les échanges entre leurs deux gouvernements sur les meilleures pratiques et leur coopération, particulièrement dans les domaines suivants: la modernisation des administrations publiques: afin d’utiliser le potentiel des inforoutes dans un souci d’efficacité, d’efficience et d’amélioration de la qualité des services offerts aux citoyens et aux entreprises, les deux gouvernements travailleront de concert à tirer profit des expériences menées de part et d’autre, notamment en matière de téléprocédures, d’authentifiants (par exemple: carte à puce), d’intégration des services à la population et de gestion des ressources informationnelles.
Le développement du commerce électronique: reconnaissant que le commerce électronique constitue un facteur de la compétitivité des entreprises, les gouvernements français et québécois contribueront à créer un environnement législatif et réglementaire propre à assurer la sécurité et la confidentialité des transactions et à faire respecter les droits des consommateurs. Ils encouragent les initiatives de maillage entre entreprises et organisations françaises et québécoises de manière à favoriser le développement de ce secteur d’activité. La création d’une masse critique de contenus en français sur les inforoutes: les deux gouvernements manifestent leur détermination à travailler à accroître la présence de produits, de services et de contenus de langue française dans Internet. Afin d’accroître le rayonnement de leur culture respective, ils se proposent notamment de collaborer activement à l’adoption de normes et de standards internationaux favorisant l’utilisation du français dans les systèmes d’information et sur les inforoutes. Enfin, les deux premiers Ministres souhaitent que la France et le Québec saisissent les occasions de se présenter en partenaires complémentaires pour des actions en pays-tiers. À cet égard, des actions communes pourront, dans un premier temps, permettre la mise en place de formations conjointes. Dans le même esprit, la France et le Québec souhaitent manifester leur engagement conjoint dans un projet majeur, le Fonds de Solidarité Thérapeutique International pour la prévention et le traitement du SIDA.

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Visite au Sénat français – Paris – 6 avril 2000]
Monsieur le Vice-Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Sénateurs et Députés de l’Assemblée nationale, Distingué(e)s invité(e)s, Mesdames et Messieurs, Vous me permettrez, d’abord et avant tout, de remercier le président du Sénat, Monsieur Christian Poncelet, de l’aimable occasion qu’il m’offre aujourd’hui de vous adresser la parole. J’ai eu le privilège et le plaisir de m’entretenir avec lui ce matin puisque ses obligations ne lui permettent pas d’être présent ce soir. Je vous prie, Monsieur le Vice-Président, de bien vouloir lui réitérer mon amitié et appréciation. Je m’empresse aussi de vous transmettre les salutations amicales et chaleureuses des membres de l’Assemblée nationale du Québec. Vous ne serez pas étonnés que je vous fasse état d’un débat qui est présentement au centre de l’actualité politique au Québec et au Canada. En effet, Il me semble à propos d’évoquer ici, au cœur de cette assemblée qui constitue l’un des plus vigilants gardiens de la démocratie, de la règle de droit et de la liberté, les glissements récents de la démocratie canadienne telle que pratiquée par le gouvernement fédéral actuel. Au long des dernières décennies, nombreuses ont été les tentatives d’en arriver à des accommodements politiques visant à répondre aux aspirations des Québécoises et des Québécois. J’ai moi-même participé, à l’époque où j’étais ministre à Ottawa, à l’une des plus importantes d’entre elles, celle que l’on appelle l’Accord du lac Meech. Toutes ces tentatives ont échoué. Le parti que je préside, le gouvernement que je dirige et une large part de mes concitoyens en sont venus à la conclusion que seule la souveraineté du Québec assurera le développement du plein potentiel du peuple québécois. Celui-ci a toujours tenu à ce que son accession éventuelle à la souveraineté se fasse à l’intérieur d’un processus rigoureusement démocratique. Beaucoup d’entre vous êtes familiers avec nos lois sur le financement des partis politiques et sur les processus électoral et référendaire. Je crois pouvoir dire que ces législations comptent parmi les plus exigeantes du monde. À quinze ans d’intervalle, les Québécois se sont prononcés à deux reprises sur leur accession à la souveraineté. En 1980, 59,6 % répondirent négativement et 40,4 % favorablement. En 1995, Le NON l’emporta avec 50,6 % du vote exprimé, le OUI récoltant 49,4 % des voix. On aurait pu penser qu’une victoire aussi courte induirait le gouvernement fédéral à rechercher activement une solution au problème québécois. Il n’en fut rien. Une vague résolution du Parlement fédéral, reconnaissant le Québec comme une société distincte, fut perçue pour ce qu’elle était: vide de sens. Elle tomba bien vite dans l’oubli. Le gouvernement fédéral choisit alors la ligne dure; ce qu’il est convenu chez nous d’appeler le « plan B ». Ottawa soumit d’abord à la Cour suprême du Canada trois questions sur le droit du Québec d’accéder à la souveraineté. En août 1998, la Cour suprême du Canada rendit son avis. Son contenu créa une réelle surprise à Ottawa. Pendant des années, le gouvernement fédéral avait maintes fois laissé entendre que le projet souverainiste est illégitime. La Cour affirme le contraire. Depuis les résultats serrés du dernier référendum, Ottawa contestait également la clarté de la question et surtout le seuil de la majorité nécessaire à une victoire du OUI. Or, la Cour suprême du Canada n’a d’aucune façon remis en cause le droit de l’Assemblée nationale de décider, seule, du libellé de la question et du seuil de la majorité. C’est ainsi qu’édictant sa propre interprétation de l’avis de la Cour, le gouvernement canadien s’est laissé entraîner dans cette grave dérive démocratique que constitue son projet de loi portant sur le processus référendaire. Le premier article du texte fédéral fait obligation à la Chambre des communes de se prononcer sur la clarté de la question référendaire, avant même la tenue du vote. Dans le cas où la Chambre des communes en arriverait à la conclusion que la question n’est pas claire, interdiction est faite au gouvernement fédéral d’entreprendre quelque négociation que ce soit. Et cela, sans égard aux résultats du scrutin référendaire ainsi qu’à l’obligation, pour le gouvernement fédéral et les provinces, de négocier de bonne foi, telle qu’édictée par la Cour. Ainsi, le projet de loi invite d’abord à rejeter toute question qui ne comporterait pas les mots « indépendance » ou « État indépendant ». Pourtant, depuis sa fondation, il y a plus de trente ans, le Parti Québécois propose l’accession du Québec à la souveraineté. D’autre part, le projet de loi fédéral proscrit à l’avance toute question qui, au-delà de la souveraineté, proposerait un nouvel accord politique ou économique avec le Canada. Il se trouve qu’une offre de partenariat ou d’association avec le Canada est prévue au programme du Parti Québécois depuis le tout début. Sur la clarté proprement dite, la question posée en 1995 se compare fort bien à d’autres, posées lors de la tenue de référendums de même nature à travers le monde. À cet égard, un taux de participation à la consultation populaire de 1995 atteignant près de 94 % de tous les électeurs inscrits témoigne de la clarté, et de la question et du processus. Affirmer le contraire, c’est manquer de respect pour l’intelligence des personnes ayant exercé leur droit de vote. Le projet de loi statue aussi que, dans l’hypothèse où une question aurait passé avec succès le test discrétionnaire de la clarté, version fédérale, et aurait recueilli l’assentiment des voteurs, la Chambre des communes doit se réunir à nouveau. Elle examinera alors la majorité des voix exprimées, le nombre d’électeurs inscrits ayant voté et tous les autres facteurs ou circonstances qu’elle estime pertinents. La Chambre des communes se donne tous les prétextes possibles pour déterminer, après le vote, ce qu’elle considérera comme une majorité suffisante. Aucun pays à tradition démocratique n’a ainsi cherché à changer les règles du jeu ou à imposer un seuil de majorité plus élevé que celui de la majorité absolue des suffrages exprimés. En bref, l’évaluation de la majorité serait à géométrie variable et laissée, après coup, à l’humeur et à l’appréciation du gouvernement fédéral et du Canada anglais. Depuis dix ans, l’Organisation des Nations Unies a été impliquée dans la tenue ou la supervision de plusieurs référendums. La règle retenue est celle de la majorité absolue des voix exprimées. L’Assemblée nationale du Québec a vu le jour il y a 208 ans. Elle compte parmi les plus vieux parlements du monde. Elle constitue le seul organe législatif qui tire toute sa légitimité du peuple québécois et d’une grande tradition démocratique. Face à l’initiative fédérale, le gouvernement du Québec a donc proposé à notre Assemblée nationale une Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec. Ce texte a fait l’objet d’une consultation publique au Parlement de Québec. En tenant compte des commentaires reçus, elle pourra être adoptée par l’Assemblée nationale avant la fin de la session parlementaire du printemps. Notre législation réitère le droit fondamental et inaliénable du peuple québécois à disposer de lui-même, dans le cadre des lois applicables de l’Assemblée nationale. Elle affirme que, quelles que soient les manœuvres fédérales, c’est en définitive la volonté démocratique exprimée des Québécoises et des Québécois qui prévaudra. Devant cette volonté, le projet de loi fédéral sera non avenu et inopérant. Le parti que je dirige a fait de la souveraineté son objectif fondamental. Cet objectif reste fondé sur le droit universellement reconnu, selon le principe de l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, bref, de leur droit d’aspirer à la liberté. Pour y parvenir, nous nous sommes toujours imposé les plus hauts standards démocratiques possibles. Il ne peut cependant y avoir une règle démocratique pour tous les pays du monde ou pour l’Organisation des Nations Unies et une autre pour le gouvernement fédéral canadien. Si le gouvernement fédéral décide de mettre la démocratie en tutelle, c’est son choix, un choix lourd de conséquences. Cela ne sera jamais le mien, jamais celui de mon gouvernement, jamais celui des Québécoises et des Québécois, ni celui d’un Québec moderne qui peut désormais envisager son avenir avec une confiance plus grande que jamais. D’une économie fortement axée sur les ressources naturelles, nous sommes passés à une économie résolument tournée vers la haute technologie et l’économie du savoir. Au sein des métropoles nord-américaines, Montréal arrive même au premier rang pour la proportion de sa population qui œuvre dans l’économie du savoir. Le Québec d’aujourd’hui constitue la seizième puissance économique du monde. Son économie est l’une des plus ouvertes qui soient: 58 % de notre produit intérieur brut est exporté hors des frontières québécoises. Nous sommes, en importance, le septième partenaire commercial des États-Unis d’Amérique. Quant à la France, je rappelle que l’an dernier, elle se retrouvait au troisième rang de nos clients internationaux. Mon gouvernement et celui de mon prédécesseur, Monsieur Jacques Parizeau, se sont employés à redonner à l’État du Québec les moyens de ses ambitions. D’un déficit budgétaire annuel de 6000000000 $, soit l’équivalent de 14 % du budget total, nous en sommes, quatre ans plus tard, à l’équilibre budgétaire et à l’ère des réductions d’impôts, tout en menant un vigoureux mais responsable programme social. En 1995, j’ai pu mesurer combien les doutes à caractère économique de mes concitoyens ont pesé sur leur volonté de se doter d’un pays. Le chômage se maintenait à un niveau élevé, notre économie stagnait et nos finances publiques étaient dans un état dont j’ai souvent dit qu’il frôlait la faillite technique. Malgré tout, le NON ne l’emporta, en 1995, que par une marge d’à peine 54000 voix. Le prochain référendum au Québec se devra d’être gagnant et il pourra dorénavant se tenir sur le thème des réussites du Québec. Un Québec économiquement fort, socialement solidaire et ouvert sur le monde. Voilà le projet que nous poursuivons. Un projet axé sur la modernité, qui maintiendra avec le Canada des liens économiques et politiques et qui, je le souhaite, s’inspirera fortement de l’Union européenne. Je ne vous demanderai pas, Mesdames et Messieurs les Sénateurs et Députés, de nous précéder dans notre marche vers notre destin ou de prendre parti pour la souveraineté du Québec. Je ne l’ai demandé ni à votre président ni à votre premier ministre. Ce choix, il appartient aux Québécoises et aux Québécois. C’est pleinement à eux, et à eux seuls, de l’assumer. Ce que j’espère cependant, c’est que vous suivrez notre démarche, que vous l’accompagnerez, que vous la scruterez, afin qu’en temps et lieu, la France, comme bien d’autres pays, porte un jugement au mérite sur la démarche des Québécoises et des Québécois pour se doter de leur pays. Je vous remercie.

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Clôture de la rencontre économique du Québec à Lyon – 7 avril 2000]
Mesdames et Messieurs les ministres, Monsieur le délégué général, Distingués invités, Mesdames et Messieurs, Je suis très heureux de participer aujourd’hui à cette rencontre économique en Rhône-Alpes et d’y constater l’intérêt des milieux d’affaires à l’égard du Québec. Comme vous en avez déjà entendu parler longuement, je vous rappellerai seulement quelques points forts de son économie. En 1999, le Québec a réalisé une remarquable performance économique, voire l’une des meilleures de la décennie. Nous avons créé 76000 nouveaux emplois dont le tiers est allé à des jeunes, le meilleur résultat de création d’emplois pour cette classe d’âge depuis 26 ans. Notre taux de chômage est à son niveau le plus bas, soit 8,3 %, du jamais vu depuis près de 25 ans.
Notre économie est en pleine mutation. Les entreprises québécoises, souples, innovatrices et tournées vers les marchés extérieurs, s’intègrent rapidement à une nouvelle économie fondée sur le savoir et l’innovation. Non seulement nos entreprises sont-elles mondialement connues, mais notre climat économique, extrêmement favorable aux affaires, attire chez nous un nombre croissant d’investisseurs. Pourquoi? D’abord, il faut vous dire que nous occupons le sixième rang, parmi 46 états industrialisés pour la qualification de nos ressources humaines. La main-d’œuvre québécoise est dynamique, compétente diversifiée et bilingue à plus de 50 %. Les investisseurs étrangers affirment que la qualité de notre main-d’œuvre est la principale raison, avec l’accès au marché nord-américain, de leur choix du Québec pour faire des affaires. De plus, nous offrons aux entreprises un environnement d’affaires très concurrentiel. Selon une étude de la firme internationale KPMG, les coûts moyens d’implantation et d’exploitation d’une entreprise y sont les plus bas parmi les principaux pays industrialisés. Le Québec a adopté pour l’entreprise une approche fiscale compétitive, plus un taux d’imposition des profits qui compte parmi les plus faibles en Amérique du Nord. Dans son dernier budget, notre ministre des Finances a en plus annoncé une exemption fiscale complète de 10 ans pour tout projet majeur d’investissement. Le Québec a aussi développé des instruments originaux pour favoriser son développement économique. Je pense notamment à la Société Générale de Financement et à Investissement-Québec. La Société Générale de Financement se veut le partenaire idéal pour les entrepreneurs qui, s’installant au Québec, cherchent du capital pour se développer en Amérique du Nord. La SGF est un véritable holding financier qui regroupe les sociétés d’investissement d’État. C’est un des plus importants outils de développement de l’économie québécoise. À titre d’exemple de partenariat de la SGF avec l’entreprise française, citons Gaz de France, pour l’exploitation de deux sites d’entreposage souterrain de gaz naturel au Québec; Bio-Inova, dont l’implantation à Montréal de son centre nord-américain permettra d’offrir des services dans l’industrie pharmaceutique, biotechnologique et agroalimentaire. Quant à Investissement-Québec, elle coordonne les actions gouvernementales en matière d’accueil et de soutien aux projets d’investissement, en agissant à titre d’interlocuteur privilégié auprès des entreprises. Le Québec détient tous les atouts pour manœuvrer avec brio sur l’échiquier économique mondial. Son économie possède toutes les caractéristiques d’une économie post-industrielle moderne. Le secteur tertiaire occupe une place dominante avec 71 % du PIB. Grâce à leur savoir faire, nos entreprises se classent dans les tout premiers rangs dans de nombreux secteurs de pointe tels, l’aérospatiale, les technologies de l’information, les biotechnologies et la pharmaceutique. En raison de la taille relativement petite de son marché intérieur, le Québec a compris depuis longtemps qu’il devait compter sur l’extérieur. L’économie du Québec est devenue l’une des plus ouvertes sur le monde. Les exportations hors des frontières québécoises représentent près de 60 % de notre PIB. L’augmentation des exportations s’est d’ailleurs accélérée avec l’entrée en vigueur des accords de libéralisation des échanges et l’internationalisation des marchés. De 1990 à 1999, la valeur de nos exportations internationales de biens et services s’est accrue de 130 %. Dans la foulée de l’Aléna dont il a été, j’ai le plaisir de le rappeler, le plus ardent promoteur au Canada, le Québec s’impose de plus en plus comme un partenaire commercial majeur en Amérique du Nord. Nous sommes d’ailleurs le septième fournisseur en importance des États-Unis, devançant en cela l’Italie et la France. La France et le Québec ont su mettre à profit un niveau de développement économique et technologique comparable. Votre pays est notre troisième partenaire international, après les États-Unis et le Royaume-Uni. Vos exportations chez nous ont dépassé les 3000000000 $ canadiens en 1999, soit 14000000000 de francs, une hausse de 50 % par rapport à 1998. Près du trois quart des 350 entreprises françaises établies au Canada ont choisi le Québec. Il s’agit de la plus forte concentration d’entreprises françaises en Amérique du Nord. Jetons un coup d’œil rapide sur les activités de quelques entreprises françaises au Québec et sur les marchés qu’elles visent. Les grands trains d’atterrissage fabriqués par Messier-Dowty à Mirabel, près de Montréal, sont tous expédiés aux usines d’Airbus en France. La filiale québécoise de Framatome emploie quelque 200 personnes à Montréal pour la fabrication de connecteurs de haute qualité, destinés au marché mondial des télécommunications. L’Oréal emploie 500 personnes à son usine de Montréal. L’entreprise y fabrique, emballe et distribue ses produits pour tout le marché de l’Aléna. Ubi-Soft, un des leaders internationaux des jeux vidéo, s’est implanté à Montréal l’an dernier. À cette occasion, la vice-présidente et directrice générale de la nouvelle filiale, Mme Sabine Hamelin, s’exprimait ainsi: « Le Québec offre une population de créateurs très importante. Étant eux-mêmes nord-américains, ils sont capables de concevoir des produits adaptés à la mentalité américaine et exploitables dans un contexte culturel différent du nôtre. » Son propos s’est avéré juste car en un peu plus d’un an, l’entreprise a embauché près de 300 personnes.
Bref, pour toutes ces entreprises françaises d’envergure internationale, le Québec est devenu la porte d’entrée en Amérique. L’investissement québécois en France, bien que plus récent, est aujourd’hui vigoureux. Plus de 125 filiales d’entreprises québécoises – soit 70 % du total canadien -, sont implantées en France et ont contribué à la création de plus de 12 500 emplois. À titre d’exemple de la présence industrielle québécoise en France, citons Québécor, premier imprimeur commercial de France et d’Europe, qui a 2800 employés en France; Cascades, premier producteur de carton plat couché de France, qui mobilise 1145 travailleurs, dont 350 dans une usine de la région, à La Rochette; et Bombardier, qui emploie au-delà de 1200 personnes à la production de matériel ferroviaire. On compte aussi 55 entreprises en technologies de l’information – secteur qui connaît une forte croissance tant en France qu’au Québec – implantées en sol français. Elles y maintiennent près de 4000 emplois. Le partenariat entre entreprises françaises et québécoises offre donc un potentiel de développement quasi illimité sur les marchés de l’Amérique et de l’Europe. Plus important encore, à long terme, il facilite la pénétration de tiers marchés tels l’Europe de l’Est, l’Afrique et l’Amérique du Sud. De nombreuses alliances se sont déjà concrétisées, notamment entre Alsthom et Bombardier, pour le contrat du train rapide Boston-Washington, et entre le Groupe Conseil DMR de Montréal et Gemplus de Marseille, qui offrent des services de billetterie électronique dans les transports. Bref, sous toutes les formes possibles, les relations économiques franco-québécoises s’inscrivent dans un processus de développement et s’avèrent pleines de promesses pour les années à venir. Nous avons le plaisir d’être accueillis aujourd’hui dans l’une des régions les plus dynamiques de France, qui compte d’ailleurs plusieurs similitudes et complémentarités avec le Québec: le poids démographique, le tissu industriel, les pôles de recherche et de développement, la vitalité de l’économie. Cela ne peut que favoriser le rapprochement, fort bien amorcé, entre divers acteurs québécois et rhône-alpins. Notons, entre autres, le jumelage très actif, depuis plus de dix ans, des villes de Lyon et Montréal. La tenue annuelle en l’une ou l’autre ville des Entretiens Jacques-Cartier, dont les prochains se dérouleront à Montréal, en octobre 2000, est un bel exemple de coopération multidisciplinaire. La région Rhône-Alpes a été la première en 1994 à conclure un plan d’action avec le Québec. Elle est la seule à avoir implanté en permanence, à Montréal, au début des années 90, une délégation économique. Cette présence a accru la mise en contact de gens d’affaires et facilité le développement d’échanges commerciaux et de partenariats porteurs. 29 entreprises rhône-alpines ont déjà choisi le Québec comme tête de pont pour l’Amérique, créant ainsi près de 500 emplois. En contrepartie, 14 entreprises québécoises ont choisi de s’établir en Rhône-Alpes et y embauchent 560 personnes. Pour le Québec, la région Rhône-Alpes présente un intérêt accru, par son engagement dans une dynamique régionale européenne, dans ce partenariat avec trois autres « régions moteurs », la Catalogne, la Lombardie et le Bade Wurttemburg. Ces alliances pourraient bien être, pour le Québec, le fer de lance d’une coopération entre grandes régions européennes en matière de recherche, de culture, d’agriculture, de formation et d’économie. Nous avons noté que les secteurs ciblés dans le dernier plan d’action Québec/Rhône-Alpes sont orientés vers la haute technologie et l’économie du savoir. Les relations économiques et scientifiques entre le Québec et la région Rhône-Alpes, déjà très dynamiques, ne nous en semblent que plus prometteuses. Nous nous emploierons à développer des moyens pour susciter et appuyer la valorisation rapide de la recherche universitaire. Le resserrement de la coopération entre scientifiques et gens d’affaires ne peut que conduire à une recrudescence de partenariats profitables. Je vous remercie de votre chaleureuse hospitalité et termine en vous invitant à faire du Québec une destination d’affaires privilégiée.

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution au Conseil régional Rhone-Alpes – 7 avril 2000]
Madame la Présidente du Conseil régional, Monsieur le Délégué général, Je ne surprendrai personne si je vous parle du Québec, du Québec d’aujourd’hui. Plusieurs d’entre vous le connaissent déjà, du moins en partie. Parce que vous êtes de ces 400000 Françaises et Français qui, chaque année, vont passer leurs vacances au Québec. Parce que vous avez été l’un ou l’une des 80000 jeunes qui, depuis trente ans, traversent l’Atlantique pour des séjours culturels ou professionnels. Parce que vous y avez de la famille ou parce que vous ou l’un de vos enfants y avez étudié. Le Québec est de langue française, et les Québécois sont très souvent bilingues. Sur un peu plus de 7000000 d’habitants, on retrouve 6000000 de francophones, principalement d’origine française.
Vous êtes nombreux à apprécier notre fleuve majestueux, nos rivières indomptées, nos lacs innombrables, nos forêts giboyeuses, le sentiment d’enivrement que procurent les grands espaces. Oui, le Québec, avec ses 1,5 million de km2, représente une réserve naturelle exceptionnelle et offre à ses habitants une qualité de vie enviable. Cette connaissance du Québec est aussi largement due aux artistes québécois qui font maintenant partie du paysage culturel français. Enfin, vous connaissez certainement la relation politique directe et privilégiée entre la France et le Québec. Les rencontres alternées régulières avec mon homologue français et les relations soutenues des membres des équipes ministérielles respectives renforcent une affinité de pensée politique. Cette communauté d’esprit est d’autant plus remarquable qu’elle n’a jamais souffert des changements électoraux voulus périodiquement par les peuples du Québec et de la France. En 1791, au moment où la Révolution grondait en France, le Québec obtenait sa première assemblée législative par l’Acte constitutionnel de 1791. Le parlementarisme québécois, aujourd’hui vieux de plus de 200 ans, voyait le jour. D’un contrepoids à l’autocratie du gouverneur de l’Empire britannique, l’Assemblée nationale du Québec est devenue le lieu légitime de l’expression des volontés du peuple québécois. Notre longue pratique de la démocratie parlementaire renforce notre ferme conviction que seul le peuple du Québec et son Assemblée nationale peuvent décider de son présent et de son futur. Aujourd’hui, les phénomènes de la mondialisation et de l’intégration des économies obligent les pouvoirs nationaux à redéfinir leurs politiques en fonction d’ensembles juridiques et économiques beaucoup plus vastes. Dès lors, plusieurs craignent une atteinte à la prérogative des États d’agir en fonction des intérêts et des droits de leurs citoyens. Il faut se prémunir contre ce danger. Sur ce point, Français et Québécois sont en symbiose. Nous reconnaissons que cette ouverture des peuples et des économies est une véritable occasion de progrès mais n’acceptons pas que ce développement se fasse sans règle sous la seule condition du capital. Les États doivent s’entendre pour baliser cette recherche d’un mieux-être, en garantissant certains droits fondamentaux et en favorisant certaines solidarités. Nous ne pouvons, au seul nom du profit et du commerce, mettre en péril ce que nos sociétés ont mis bien du temps à reconnaître et à confirmer. Nous disons que la mondialisation des échanges ne peut pas être que commerciale ou économique. Ce doit être aussi la mondialisation des langues, du savoir, des droits et des solidarités. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas modifier des façons de faire ou de penser. Le monde évolue et ses acteurs doivent s’adapter. Au Québec, une de nos premières rencontres avec la mondialisation s’est présentée au milieu des années 90 sous la forme d’une perte de contrôle de nos dépenses publiques et d’un déficit annuel de 6000000000 $ canadiens, soit plus de 28000000000 de francs. Conjuguée à un taux de chômage atteignant les 12 % et à des impôts trop élevés, cette situation mettait en péril notre capacité de prendre notre place sur les marchés internationaux. En octobre 1996, j’ai invité les milieux patronaux, syndicaux, gouvernementaux et associatifs à se réunir dans le cadre d’un Sommet sur l’économie et l’emploi pour s’attaquer à ce problème. J’ai fixé un objectif: dégager un consensus sur l’assainissement des finances publiques et la relance de l’emploi. L’exercice n’a pas été facile. Il était même, à certains égards, périlleux. Mais grâce à la mobilisation active de tous, nous sommes arrivés à nous entendre sur des directions fondamentales. Résultat: le déficit budgétaire du gouvernement a été éliminé l’an dernier, un an plus tôt que prévu, sans augmentation d’impôts ni bouleversements sociaux majeurs. Pour une troisième année consécutive, mon gouvernement a présenté un budget équilibré. Cela nous a permis, dès cette année, d’annoncer près de 22000000000 de francs en baisse d’impôts, plus de 14000000000 de francs additionnels pour la santé et les services sociaux, et 4700000000 de francs pour l’éducation. Le taux de chômage, quant à lui, est redescendu à 8,3 %, du jamais vu depuis 1976. Laissez-moi vous parler un peu des relations France-Québec, les convergences entre nos deux sociétés sont nombreuses. Nous avons une vision commune des enjeux jugés vitaux pour nos deux sociétés. Lors de notre précédente rencontre, à la fin de 1998, votre premier ministre, Monsieur Jospin, et moi-même avions identifié un certain nombre de thèmes sur lesquels nous souhaitions que nos Administrations et nos sociétés civiles échangent et coopèrent. Vous me permettrez d’expliciter brièvement ces thèmes, toujours d’actualité: La France et le Québec se sont engagés résolument sur la voie de la nouvelle économie, basée sur le savoir et l’innovation. La priorité accordée au développement des technologies de pointe vise à renforcer cette capacité d’innovation bien présente en France et au Québec.
La France et le Québec parlent la même langue et ont une histoire commune bien que leurs réalités s’inscrivent sur des continents différents. Notre intérêt à « valoriser notre identité commune » trouve son écho sur le terrain multilatéral par le principe de la diversité culturelle sur lequel je reviendrai de façon particulière. Les jeunes constituent la « ressource première et fondamentale » de notre avenir. Il est difficile de parler de progrès lorsque plusieurs de nos concitoyens les plus jeunes sont exclus de la participation à la vie économique, sociale et politique. L’intégration des jeunes et la formation sont des priorités pour nos deux sociétés.
Le renversement des pyramides des âges constitue pour l’ensemble des sociétés occidentales un défi socio-économique nouveau. L’adaptation au vieillissement de la population nécessite que l’on se penche rapidement sur la compréhension de ce phénomène, afin d’en mieux cerner les impacts et d’assurer aux personnes âgées toute leur place dans la société.
L’évolution des technologies de l’information et de la communication modifie les relations économiques et sociales des citoyens. Le progrès technologique sera véritablement une source de progrès s’il contribue au renforcement des droits et des devoirs des citoyens-consommateurs de biens et services marchands et non marchands. Dans ce contexte, il faut éviter de placer le citoyen-consommateur dans une zone qui échappe au droit. Nous travaillons donc à l’établissement de règles, de normes et de mécanismes assurant la protection des droits de nos concitoyens, notamment en matière de commerce électronique. L’économie sociale et solidaire concerne ce champ de l’économie souvent méconnu et pourtant très structurant pour nos sociétés. Il s’agit là d’entreprises privées, offrant des biens ou des services compétitifs. Ces organismes ont une structure juridique et une composition de leur actionnariat qui présentent un intérêt sociétal tout à fait particulier. Des experts français et québécois travaillent à mieux saisir l’action et l’ampleur de ce type d’entreprises son apport à la vie de nos économies et les conditions de son développement.
Ces liens politiques, institutionnels et culturels que je viens d’évoquer sont habituellement assez bien connus des milieux français. Ce qui l’est moins, c’est l’essor de la relation économique entre nos deux sociétés. Il est favorisé, d’une part, par des conditions structurelles et, d’autre part, par notre affinité de pensée politique à l’égard des grands mouvements d’intégration économique. L’économie du Québec est en pleine mutation. Les entreprises québécoises, souples, innovatrices et tournées vers les marchés extérieurs, s’intègrent rapidement à la nouvelle économie. Le savoir-faire de ces entreprises fait du Québec un chef de file dans de nombreux secteurs de pointe tels que l’aérospatiale, les technologies de l’information, les biotechnologies et la pharmaceutique. Le Québec possède tous les atouts pour manœuvrer avec succès sur l’échiquier économique mondial. Notre ouverture sur le monde passe tout naturellement par la France qui est, après les États-Unis et le Royaume-Uni, le troisième partenaire international du Québec. En 1999, 13 projets majeurs d’investissement français au Québec ont contribué à la création ou au maintien de quelque 1 500 emplois. Plus de 70 % des 350 entreprises françaises établies au Canada le sont au Québec, ce qui en fait la plus forte concentration d’entreprises françaises en Amérique du Nord. À elles seules, les 29 entreprises rhônalpines établies au Québec ont contribué à la création de plus de 500 emplois. L’investissement québécois en France, bien que plus récent, est aujourd’hui très vigoureux: plus de 125 filiales d’entreprises québécoises sont maintenant implantées chez vous, dont 14 en Rhône-Alpes. Plus de 12 500 emplois français proviennent de ces entreprises. Les plus importantes, Quebecor, Cascades et Bombardier, fournissent des produits et des biens qui font partie de votre vie quotidienne, qu’il s’agisse de papier, de matériel de transport, d’avions ou de magazines. Le partenariat entre entreprises françaises et québécoises offre un potentiel quasi illimité sur les marchés de l’Amérique et de l’Europe, en plus de faciliter leur pénétration de marchés tiers tels que l’Europe de l’Est, l’Afrique ou l’Asie. Une alliance a été conclue entre Alsthom et Bombardier pour le train rapide Boston-Washington. Il ne faut pas oublier le partenariat entre petites et moyennes entreprises, particulièrement dans des secteurs de pointe tels que les technologies de l’information et les biotechnologies. Sous toutes ses formes possibles, la relation économique franco-québécoise est bien vivante et dans un processus de développement irréversible. Sous toutes ses formes possibles, la relation économique franco-québécoise est bien vivante et dans un processus de développement irréversible. Une autre préoccupation à laquelle nous attachons la plus haute importance, et qui concerne aussi la France, est la protection de la langue française et de la diversité culturelle en Amérique du Nord. Le Québec a longtemps fait valoir l’importance de promouvoir sa spécificité culturelle dans l’ensemble canadien et nord-américain. Aujourd’hui, cette défense de notre identité déborde largement nos frontières immédiates. Elle s’étend à l’ensemble des continents. C’est à ce niveau et dans cette optique que se situe l’engagement du Québec dans le débat sur la diversité culturelle. Le principe de la diversité culturelle est pour nous un des principaux enjeux de la mondialisation. Il déborde les strictes « industries culturelles » et concerne la diversité économique (entreprises privées, d’État et d’économie sociale et solidaire). Il affecte la prérogative des États de disposer de législations, de politiques et de programmes qui font la promotion de la culture nationale et renforce les identités nationales.
C’est à ce niveau et dans cette optique que se situe l’engagement du Québec dans le débat sur la diversité culturelle. Je tiens à vous dire que s’il existe une réelle complicité entre la France et le Québec, c’est qu’il existe une communauté de vues sur les enjeux et les conditions du mieux-être auquel nous aspirons tous. Bien sûr, l’histoire est là pour témoigner de la richesse de la relation franco-québécoise, mais le passé ne suffit plus à l’avenir. Notre relation est forte, d’abord parce qu’elle se fonde sur une vision partagée de ce que doit être demain. Elle est appelée à grandir encore parce qu’elle sait faire l’adéquation de nos intérêts respectifs. C’est le véritable sens du mot « partenariat ». Ce partenariat, j’ai eu l’occasion, tout au long de ce trop bref séjour en Rhône-Alpes, de l’apprécier. La région Rhône-Alpes et le Québec ont à plusieurs égards des similitudes et des complémentarités. Cela ne peut que favoriser un rapprochement déjà bien amorcé par le jumelage très actif de Montréal et Lyon. Contribuent également à la fécondité et à la qualité de nos rapports le dynamisme des associations France-Québec et la tenue des Entretiens Jacques-Cartier. Comme on le sait, les prochains se tiendront à Montréal, en octobre 2000. Mais il faut surtout souligner la décision de la région Rhône-Alpes d’installer à Montréal, il y a dix ans, une représentation économique. Elle a ainsi été la première région française à conclure un plan d’action avec le Québec, en 1994.
Avant de conclure, laissez-moi rappeler que nous avons un devoir commun à l’égard des jeunes: celui d’en faire des acteurs importants de notre coopération. Je sais que vous faites beaucoup pour favoriser la venue de vos étudiants dans les établissements universitaires québécois. Je n’ignore pas que la mobilité des étudiants québécois vous préoccupe, que vous souhaitez en accueillir davantage. Lors du dernier budget, nous avons décidé d’augmenter de 40 % le nombre de bourses d’excellence pour les études de maîtrise, doctorales et postdoctorales. Nous examinerons d’autres moyens de stimuler cette mobilité afin qu’elle soutienne nos efforts de coopération scientifique et économique en Rhône-Alpes. En terminant, je tiens à vous rappeler notre fierté à nous associer à votre région. Son dynamisme, sa prospérité et sa jeunesse nous semblent porteurs d’avenir pour notre relation. Je vous remercie.

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[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à l’Université Lumière Lyon 2 – 7 avril 2000]
Monsieur le recteur de l’Université Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs les Professeurs, Chers amis, Vous me permettrez tout d’abord de souligner à quel point je suis honoré de recevoir aujourd’hui un doctorat honoris causa en droit de l’Université Lumière. Je suis particulièrement touché de ce que vous ayez tenu, Monsieur le Président, à ce que la cérémonie d’aujourd’hui ait lieu, malgré tant de circonstances difficiles pour votre université comme pour vous-même. J’ai exercé avec passion la profession d’avocat et de juriste. Aussi suis-je en mesure d’apprécier toute la portée du geste que vous posez à mon égard. Je suis conscient qu’il rejaillit sur l’ensemble de la collectivité québécoise que mes fonctions m’appellent à représenter devant vous aujourd’hui. Au nom de mes concitoyennes et de mes concitoyens, ainsi qu’en mon nom propre, veuillez accepter l’expression de ma gratitude la plus vive. L’honneur que vous me faites met en lumière une discipline, le droit, qui a permis au Québec et à la France de maintenir des liens de travail et de coopération fructueux tout au long de leur histoire. Le premier ministre René Lévesque a eu l’occasion, dans des circonstances semblables, en 1980, de rappeler l’importance que ces liens revêtent pour le développement d’une société francophone en terre d’Amérique. Si nous sommes aujourd’hui un peuple doté d’institutions, de lois et de normes adaptées aux réalités contemporaines, c’est en bonne partie grâce à la coutume de Paris et au code civil d’inspiration largement napoléonienne qui nous ont fourni depuis le XVIIe siècle un cadre normatif conforme à nos aspirations, à notre personnalité française et à notre destinée. Ce qui est vrai pour les sciences juridiques vaut pour beaucoup d’autres domaines : Lyon et la région Rhône-Alpes jouent aujourd’hui un rôle particulièrement dynamique dans le développement des rapports franco-québécois. Qu’il me soit permis de souligner toutefois ici l’importance de la contribution personnelle de Lyonnais éminents comme Messieurs Raymond Barre, Alain Bideau et Christian Phillipp. Étant donné que Lyon et sa région jouent un rôle vraiment remarquable dans nos relations actuelles, il me paraît approprié de vous proposer aujourd’hui quelques réflexions quant à l’avenir des relations entre la France et le Québec. Ces réflexions s’appuient sur des parallèles que l’on peut faire entre les deux sociétés. Vous le savez, nous partageons un patrimoine commun considérable, une même langue, de nombreuses réalisations individuelles et collectives, et quarante ans de coopération qui sont à l’origine d’un acquis substantiel. Or, le changement, surtout le changement rapide, est ce qui caractérise le plus notre époque. Les acquis les plus solides ne résisteront pas à l’assaut multiforme que l’évolution technologique, la mondialisation et tout un ensemble d’autres réalités contemporaines engendrent. Si nous n’arrivons pas à saisir les enjeux communs auxquels nos deux sociétés sont confrontées, si nous ne parvenons pas à agir ensemble en fonction de l’évolution de plus en plus rapide que nous connaissons, le passé ne saurait à lui seul garantir la pérennité de nos rapports fructueux. Malgré les différences qui nous caractérisent de part et d’autre de l’Atlantique, il y a trop d’intérêts en commun, trop de perspectives partagées, trop de symétries dans nos situations respectives pour que la France et le Québec n’agissent pas en communion d’esprit pour affronter les problèmes qui surgissent en ce XXIe siècle. Le Québec et la France sont manifestement deux sociétés modernes, deux sociétés francophones dont l’origine est commune; parce qu’ils ont suivi par la suite des parcours séparés et particuliers ne signifie pas qu’il ne faille pas maintenant resserrer les liens. Leur niveau de développement économique, social et culturel les place d’emblée au rang des nations les plus développées. À l’ère du savoir et de l’information, nos citoyens ont accès aux services de santé, à l’éducation, au travail, à la culture et aux loisirs. Leurs droits fondamentaux, tels que définis dans les grandes chartes et déclarations des Nations Unies et de chacun de nos États, sont protégés. Les valeurs sociétales défendent les démunis, incitent à la solidarité, à la tolérance et à l’ouverture envers les autres. De fait, nous jouissons d’une situation dont on ne pouvait que rêver au lendemain du dernier conflit mondial. L’effort exceptionnel accompli au cours des cinquante dernières années fait place à de nouvelles difficultés liées à l’évolution de nos sociétés. Nos gouvernements ont la responsabilité de leur apporter des solutions. J’aimerais vous présenter, à ce propos, certaines des priorités auxquelles celui que je dirige estime devoir s’attaquer. Au premier rang des préoccupations figure la jeunesse, de la petite enfance jusqu’à l’entrée sur le marché du travail. On sait maintenant combien les premières années sont déterminantes pour l’avenir de l’individu. Comment faire en sorte que, dès les toutes premières années, un enfant reçoive tout ce qu’il faut pour bénéficier du maximum de chances de se réaliser plus tard? Nos deux sociétés s’interrogent sur la manière de repenser l’éducation primaire et secondaire, pour permettre à chaque jeune de maîtriser les éléments indispensables d’un savoir adapté aux exigences de l’avenir. Comment faire en sorte que les universités soient accessibles au plus grand nombre, tout en maintenant des standards élevés pour l’enseignement et la recherche? Comment fournir à l’économie les cadres, les professionnels et les techniciens qu’elle réclame? Comment faire en sorte que l’insertion des jeunes dans l’univers du savoir et de l’information se réalise dans les conditions les plus prometteuses pour l’avenir? Je suis heureux de vous dire que le premier ministre Jospin et moi-même sommes convenus d’accorder une attention prioritaire à cette dimension dans notre coopération bilatérale. Chaque gouvernement est à la recherche de solutions qui permettent de répondre à ces questions. Le Québec, pour sa part, a organisé, il y a quelques semaines, une rencontre au sommet entre le gouvernement, les représentants du patronat, des syndicats et des jeunes, autour de la question de la jeunesse. Les débats ont été ardus, mais de larges consensus ont été forgés autour d’actions que les intervenants pressentis devraient poser. Ceux-ci ont notamment convenu de la nécessité de définir un projet intégré de politique pour la jeunesse qui visera, à moyen et à long terme, à orienter l’action gouvernementale et à coordonner l’ensemble des intervenants. Ils ont reconnu l’importance d’un effort collectif en faveur de l’éducation et de placer l’avenir des jeunes au cœur des priorités collectives du Québec. Ils ont aussi convenu de la nécessité de favoriser l’ouverture des jeunes sur le monde. Enfin, la participation pleine et entière de la jeunesse aux décisions qui orientent l’avenir de la société a été retenue comme objectif fondamental. Le gouvernement et ses partenaires ont, devant eux, un ordre du jour imposant dans ce domaine; nous n’avons pas d’autres choix que de nous y engager. D’autres défis interpellent nos deux sociétés. Comment opérer les transformations économiques et sociales indispensables à l’ère de la mondialisation et de la concurrence exacerbée, sans que la dignité de l’individu au travail ne soit atteinte? On ne peut accepter sans réagir la fracture sociale et le chômage au nom des impératifs de la nouvelle économie. Mais en même temps, il faut créer les conditions qui permettent aux entreprises, aux collectivités et aux individus d’assumer la concurrence, de s’insérer et de prospérer dans le nouveau contexte mondial. Comment faire face aux réalités démographiques, qui font que moins en moins de personnes actives auront à payer pour plus de personnes à la retraite, soulevant du même coup un véritable problème d’équité intergénérationnelle? Comment maintenir l’accès à des services de santé de qualité, alors que les populations vieillissent et que le coût des soins s’accroît? Et que dire de l’état de l’environnement qui suscite partout dans le monde des interrogations de plus en plus aiguës. Le rôle même des gouvernements est remis en question. Beaucoup de contribuables n’acceptent plus de voir la part de la richesse collective captée par l’État s’accroître constamment. Beaucoup veulent que l’État soit à la fois plus efficace et moins présent. On souhaite que le pouvoir se rapproche du citoyen. Vous n’avez pas dû vous sentir trop dépaysés en entendant les questions que je viens d’évoquer. À Paris comme à Québec, à Berlin comme à Oslo, ces mêmes questions se posent. Les similitudes, que l’on constate ainsi, traduisent bien l’impact de la mondialisation sur l’ensemble des sociétés modernes. Chacune doit trouver des réponses à ces mêmes questions, et les gouvernements ont intérêt à se concerter à ce propos. Le travail autour des réponses à donner à ces questions pressantes doit continuer de figurer à l’ordre du jour de la coopération franco-québécoise. Aujourd’hui, nous avons chacun des politiques, des programmes, des actions qui peuvent servir utilement d’inspiration à l’autre. Ensemble, nous travaillons à trouver de nouvelles solutions aux problèmes d’aujourd’hui et de demain. Nos deux sociétés se développent au sein d’espaces géopolitiques et économiques qui sont différents. La France a choisi, il y a de cela un demi-siècle, d’épouser l’Europe en tant qu’espace le plus susceptible d’assurer son avenir national et sa prospérité. La réussite de ce pari est d’autant plus remarquable que, au point de départ, il était le fait d’un petit nombre de personnalités comme Jean Monnet. Au sein de l’Europe comme dans ses relations avec le reste du monde, la France ne cessera d’être un grand pays. Pour sa part, le Québec aspire depuis toujours à un changement fondamental de son statut au sein de l’ensemble politique où il a été inséré au siècle dernier. Les structures et les règles de fonctionnement du régime fédéral actuel sont désuètes, quoique ce fait soit souvent méconnu en Europe. La masse des Québécois est, depuis longtemps, attirée par l’espace nord-américain, même si une partie des élites tournait plutôt les yeux outre-Atlantique, à certaines époques. On ne peut donc pas se surprendre que le Québec ait embrassé si volontiers les perspectives créées par l’ouverture des frontières dont l’Accord de libre-échange canado-américain de 1988 est le pivot. Certes, l’aventure continentale des Québécoises et des Québécois n’implique pas pour l’heure le même degré d’intégration politique, économique et sociale que dans l’Union européenne. Mais la dynamique est là et elle suscite aujourd’hui de nouvelles questions, comme, par exemple, l’avenir monétaire du continent. Ce nouveau statut du Québec pourrait être, s’agissant de ses relations avec le Canada, semblable à celui que détient la France dans le cadre de l’Union européenne. II s’agirait d’une entente librement négociée avec nos partenaires canadiens, entre États souverains. Pour les Québécois aussi, les choix stratégiques des dernières années portent leurs fruits en termes de prospérité économique, de conquête de nouveaux marchés et d’accroissement de la mobilité des jeunes. Mais il existe des problèmes d’un autre ordre, qui dessinent un nouveau terrain d’action conjointe entre la France et le Québec. J’ai eu l’occasion d’aborder avant-hier, au Symposium franco-québécois sur la diversité culturelle, la problématique de la culture dans le monde d’aujourd’hui. À mes yeux, la situation commande une action étroitement concertée entre la France et le Québec en vue de promouvoir cette diversité à l’échelle mondiale. Il faut préserver la capacité des peuples à se développer conformément à leurs aspirations et à leur identité nationale. J’aimerais reprendre ce thème avec vous aujourd’hui, en examinant comment nos deux peuples, dont l’évolution présente des dissemblances apparentes mais aussi des convergences profondes, peuvent engager l’avenir de leurs rapports. Les effets de la mondialisation ne se limitent pas, en effet, à ses bienfaits. D’une manière de plus en plus puissante, l’évolution en cours fragilise nombre d’assises qui font de nous ce que nous sommes, Français et Québécois. De nombreuses façons, elle agit sur la cohésion des sociétés, sur le vouloir-vivre collectif, sur notre identité nationale, sur la capacité de nos gouvernements d’intervenir. La notion même de citoyenneté, fondée largement dans nos sociétés sur la territorialité, est remise en question par l’ouverture des frontières nationales et l’émergence de nouveaux centres de pouvoir, à l’échelle supra et infra étatique. Le travail au sein d’entités multinationales implique aussi des changements à la citoyenneté, car il a des impératifs de mobilité auxquels il faut répondre. La persistance des écarts, en termes de développement entre États du Nord et États du Sud, est à la source de courants migratoires inévitables. Comment intégrer les nouveaux arrivants au partage de nos valeurs, voire de notre identité, mais en respectant leurs croyances, leurs aspirations? Nos deux sociétés ont à résoudre ce problème, dont la solution entraînera indubitablement des modifications à certains des fondements de notre vie collective. En somme, toutes ces raisons nous font voir la nécessité de repenser la question de l’intégration au sein de l’État-nation et sa réarticulation dans des ensembles plus vastes. Les conséquences de la mondialisation au plan culturel ont été largement commentées au cours de ces dernières années. La propension de plusieurs à considérer l’œuvre de culture comme une simple marchandise, à laquelle on applique les normes régissant le commerce des biens et services, est bien connue; les conséquences d’une telle approche aussi. La globalisation économique et ses retombées, en termes de fusions, d’opérations transfrontalières et de création de multinationales, commence même à faire sentir ses effets sur l’utilisation des langues en milieu économique. Dans un récent numéro du quotidien La Croix, on soulignait l’utilisation hégémonique de la langue anglaise au sein d’un nombre croissant d’entreprises en Europe. Les Québécoises et les Québécois, qui ont dû mener une lutte historique pour que le français soit la langue des affaires et du travail, ne peuvent que s’inquiéter vivement de telles tendances. Je soulignerai, enfin, les effets de la mondialisation sur la capacité d’agir de l’État. Outre les contraintes de plus en plus marquées avec lesquelles les gouvernements doivent composer sur le plan fiscal et les incertitudes créées par le processus de dévolution de pouvoirs en cours un peu partout, nous sommes maintenant la cible des partisans de la libéralisation à outrance. À Seattle, on a entendu des réclamations pour que non seulement la culture mais aussi l’éducation et la santé figurent parmi les sujets de l’actuelle ronde des négociations commerciales multilatérales. Une telle dérive achèverait de priver les gouvernements des outils de base qui leur sont nécessaires pour satisfaire les besoins les plus élémentaires de leurs citoyens. Les Français et les Québécois tiennent à protéger les traits les plus caractéristiques de leurs sociétés, même s’ils conviennent que le changement fait désormais partie de leur vie. Ils entendent que l’État ait les moyens d’intervenir pour appuyer le développement de leur société selon les valeurs et les aspirations des citoyens. C’est pourquoi ils n’acceptent pas que l’État contribue aux démantèlements collectifs qui lui sont nécessaires. Il faut bien nous entendre. Le Québec, tout comme la France, a besoin d’un système économique mondial ouvert, qui rend possible l’accès le plus large aux marchés mondiaux dans le respect des règles convenues entre États. Le Québec vit de plus en plus de ses exportations. En fait, 57 % du PIB du Québec est directement lié au commerce extérieur, ce qui fait de l’économie du Québec l’une des plus ouvertes au monde. Les investissements, que ce soit du Québec vers l’étranger ou de l’étranger au Québec, sont indispensables pour assurer notre progrès collectif. Même si le PIB français est beaucoup plus élevé que celui du Québec, les mêmes impératifs régissent les deux économies. Ce qui est en cause ici, c’est plutôt une logique incapable de reconnaître que, dans la sphère publique, le rôle de l’État dépasse les simples questions de sécurité intérieure et de défense pour s’occuper aussi du développement de la société et du mieux-être de ses membres. Toutes ces questions ouvrent de nouvelles perspectives de coopération entre nos deux sociétés. Cette coopération doit aussi s’appuyer sur la symétrie de situation qui est la leur, tant dans l’intégration face à leur ensemble continental que dans leur dynamique interne. La jeunesse, l’éducation, l’emploi, la mobilité des personnes, la maîtrise et le développement de nouvelles technologies sont des questions que notre coopération doit aborder dans cet esprit. À cet égard, je tiens à souligner le caractère pionnier et exemplaire du Centre Jacques-Cartier qui a eu le mérite d’ouvrir de telles perspectives de coopération. Je salue également l’originalité des Entretiens Jacques-Cartier qui favorisent une approche multidimensionnelle des sujets, en interreliant la culture à l’économie, aux sciences et aux nouvelles technologies. Le grand mérite des Entretiens est d’avoir permis de bâtir un pont de réflexion porté vers l’avenir, non seulement entre Lyon et Montréal, mais par-delà, entre la France et le Québec dans leur ensemble. Monsieur le Président, vous me permettrez de terminer ces quelques réflexions en remerciant l’Université Lumière de l’honneur qu’elle fait au premier ministre du Québec par l’évocation d’un fils illustre de Lyon, Antoine de Saint-Exupéry. Dans sa sagesse, il a su magnifiquement parler de l’amitié entre les peuples, lui qui a vécu quelque temps au Québec durant la guerre. Saint-Exupéry a écrit: « Dans la vie, il n’y a pas de solution. Il y a des forces en marche: il faut les créer, et les solutions suivent. » C’est dans cet esprit que, depuis le tout début, la coopération entre la France et le Québec s’est inscrite et qu’elle se poursuit aujourd’hui. Je vous remercie!

[BOUC=20000411]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Lancement du plan de gestion des déplacements de la région métropolitaine de Montréal – 11 avril 2000]
Mesdames et Messieurs les invités,
Mesdames, Messieurs, Je désire tout d’abord vous souhaiter la bienvenue et vous remercier D’avoir accepté notre invitation à ce lancement officiel du Plan de gestion des déplacements de la région métropolitaine de Montréal. C’est avec plaisir et fierté que je participe à cette annonce. Nous présentons un plan d’intervention que plusieurs attendaient avec grande impatience. Vous comprendrez toutefois que son ampleur et sa complexité, de même que les investissements considérables qui en découlent, nous commandaient de le préparer avec le plus grand soin. Le plan annoncé aujourd’hui est le fruit d’une vision globale et d’une volonté gouvernementale d’apporter des solutions aux problèmes de la région de Montréal pour les 20 ou 25 prochaines années. Ce plan est aussi le résultat d’une profonde analyse et de consultations soigneusement menées auprès de tous les acteurs concernés, au cours des cinq dernières années. L’approche qu’il préconise est résolument pragmatique, chaque intervention proposée venant contribuer à l’amélioration du réseau de transport dans la région. Les interventions prévues dans ce Plan de gestion des déplacements découlent de la recherche d’un équilibre entre les diverses problématiques identifiées. Ce plan tient autant compte de l’évolution des besoins en matière de déplacement des personnes que des impératifs liés aux mouvements de marchandises. Il prend en considération les changements sociaux et démographiques, les préoccupations environnementales, les perspectives économiques de la région montréalaise, et se fonde sur les paramètres budgétaires gouvernementaux. C’est en ce sens d’ailleurs que nous parlons du plan comme le résultat d’une vision globale. Il procède d’un examen rigoureux et réaliste de la situation et se veut le reflet des besoins véritables de la région. Je suis personnellement convaincu que le Plan de gestion des déplacements que nous vous soumettons ce matin aura un effet mobilisateur pour la région métropolitaine. Il propose toute une série de projets structurants qui nous permettra de relever brillamment les défis de l’avenir. Ce plan porte une attention toute particulière au cœur de l’agglomération montréalaise, qui est non seulement le noyau économique de la région, mais de l’ensemble du Québec. Ce « centre de l’agglomération » comprend évidemment la majeure partie de l’île de Montréal, mais déborde aussi quelque peu de ce cadre pour inclure la Rive-Sud immédiate ainsi que le centre de Laval.
L’agglomération de Montréal est actuellement aux prises avec des problèmes de déplacement aigus qui interpellent quotidiennement 3300000 de personnes. On dénombre présentement quelque 8000000 de déplacements quotidiens, que ce soit pour le travail, les études, les loisirs, l’accès aux services ou à d’autres fins. La région de Montréal regroupe non seulement près de 2000000 de personnes vivant sur l’île de Montréal, mais à peu près le même nombre de personnes vivant à Laval, sur la Rive-Nord et sur la Rive-Sud. D’ici 2016, on prévoit une croissance prévisible de 2000000 de déplacements par jour. Nous devons donc non seulement intervenir pour remédier à la situation présente, mais aussi pour anticiper des solutions en fonction des conditions futures.

La congestion routière que connaît Montréal est attribuable à l’effet combiné de l’augmentation de la demande en transport par les individus et à la profonde mutation dans les façons de faire des entreprises; celles-ci ont davantage recours au principe du « juste à temps » dans le cadre de leur production, d’où un impact inévitable sur le nombre de camions qui circulent sur nos routes. La congestion routière dans la région coûte annuellement plus de 500000000 $ à l’économie québécoise et, si rien n’est fait, ces pertes iront en croissant. Nous sommes à vrai dire condamnés à l’action. L’efficacité des systèmes et des réseaux de transport ainsi que la facilité avec laquelle s’effectuent les déplacements des personnes et des marchandises conditionnent la capacité concurrentielle de notre économie ainsi que la qualité de vie en milieu urbain. Les enjeux sont donc déterminants pour l’avenir de la région métropolitaine de Montréal. Le Québec connaît, depuis quelques années déjà, une croissance fulgurante de ses exportations, notamment vers les marchés américains. À titre d’exemple, de 1990 à 1996, la valeur de nos exportations de marchandises vers les États-Unis a doublé, passant de 19,4 à 39700000000 $. En 1996, la valeur totale de nos exportations de marchandises pour tous les marchés s’élevait à 70500000000 $. En 1998, la totalité de nos exportations en biens et services se chiffrait à 110500000000 $, dont 87300000000 $ seulement pour les marchandises. Nous devons nous réjouir de ces résultats qui démontrent que les Québécois ont su prendre le virage du libre-échange et de la nouvelle économie. Or, la métropole du Québec constitue la plaque tournante de ces déplacements de marchandises, qui se font par camion dans une proportion de 65 %. Si nous voulons continuer à accroître nos relations commerciales avec les États-Unis et demeurer compétitifs, nous n’aurons d’autres choix que de faciliter le déplacement des marchandises et d’investir sur l’ensemble de notre réseau routier, et plus particulièrement sur celui de la métropole. D’ailleurs, nous ne pouvons ignorer que notre puissant voisin mise énormément sur le transport par camion et qu’il consacre actuellement des centaines de milliards de dollars pour développer son réseau routier. Nous devrons non seulement nous attaquer au problème de la congestion pour des raisons économiques, mais aussi pour le mieux-être des citoyens. La problématique de la congestion routière prend diverses facettes, qui vont de l’accroissement du temps d’attente sur les routes à l’augmentation de la pollution atmosphérique; de l’allongement des délais de livraison pour les entreprises à la détérioration des conditions générales de déplacement pour les individus. Le Plan de gestion des déplacements de Montréal prouve à mon avis que le fait d’investir sur notre réseau routier n’est nullement incompatible avec la recherche d’un nécessaire équilibre entre le développement économique, la protection de l’environnement et la qualité de vie des citoyens. Pour tout dire, nous sommes même d’avis que le fait de s’attaquer aux problèmes concrets de la congestion routière et du développement des transports, tout en tenant compte de divers aspects de la vie urbaine, ne peut avoir que des effets bénéfiques pour l’ensemble de la population de la région métropolitaine. Pour que la mise en œuvre du plan soit couronnée de succès, nous aurons besoin de l’effort concerté des élus de la région ainsi que des principaux acteurs en transport. Car le partenariat constitue un facteur clé de notre réussite collective. Ce sera le principe d’intervention que nous privilégierons en vue d’atteindre nos objectifs. Le Plan de gestion des déplacements de la région métropolitaine de Montréal constituera, pour la prochaine décennie, le cadre de référence pour tout projet de développement en matière de transport dans la grande région de Montréal. Sans constituer un carcan, ce plan nous permettra d’éviter le piège du développement anarchique et des interventions à la pièce. Nous sommes confiants que cette vision d’ensemble nous permettra de répondre concrètement aux aspirations légitimes des citoyens et des entreprises. Les premiers y trouveront les outils nécessaires à l’amélioration de leur qualité de vie, alors que les secondes pourront bénéficier de moyens de transport plus efficaces et ainsi améliorer leur compétitivité. Les années qui viennent seront déterminantes pour les décideurs de la région de Montréal en matière de transport. Grâce à la participation de tous, avec ce plan et à l’instar des succès économiques que connaît présentement notre métropole, nous pouvons aborder l’avenir avec enthousiasme et confiance. Merci de votre attention.

[BOUC=20000426]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution lors de l’implantation de Nasdaq – 26 avril 2000]
Monsieur le Président de NASD, Monsieur le Président de NASDAQ International, Monsieur le vice-premier ministre, Madame la Déléguée générale, Chers invités, Il me fait plaisir d’être avec vous aujourd’hui puisqu’il s’agit d’un grand jour pour le Québec comme pour le Canada. Le gouvernement du Québec et les dirigeants de NASDAQ ont convenu aujourd’hui d’une entente à la clôture des opérations de NASDAQ. C’est avec beaucoup de fierté que j’ai apposé, au nom de l’ensemble des Québécois, ma signature à cette entente qui confirme l’implantation de NASDAQ Canada à Montréal et le début des opérations de cette nouvelle bourse dès le troisième trimestre de l’année 2000. Une raison majeure explique la concrétisation de ce projet, les dirigeants de NASDAQ et le gouvernement du Québec poursuivent deux objectifs communs: offrir aux entreprises québécoises et canadiennes un meilleur accès à un vaste bassin de capital; offrir aux investisseurs la possibilité de transiger le plus de titres possible au meilleur prix. En plus de ces deux grands objectifs, l’expansion internationale annoncée par NASDAQ et sa venue à Montréal s’inscrivent en parfaite harmonie avec l’approche d’ouverture au libre-échange qui est celle du Québec qui a exercé une influence majeure dans la concrétisation des accords de libre-échange conclus par le Canada avec les États-Unis, puis avec le Mexique. Cela n’est pas passé inaperçu. Lors d’un séjour à Montréal, le secrétaire américain du Commerce, William Daley, a souligné cet état de fait lorsqu’il a dit que l’ALENA, et je cite, « n’aurait jamais pu être complété sans les infatigables efforts et le plaidoyer libre-échangiste de la population et du gouvernement du Québec », fin de la citation [(« would have never been completed without the tireless efforts and vocal free trade advocacy of the people and government of Québec »)]. À ce jour, il est ressorti clairement que les entreprises québécoises ont grandement bénéficié de ce mouvement de libéralisation des marchés. Depuis 1990, nos exportations internationales ont connu une croissance de 130 %. Nous entendons donc poursuivre dans cette même voie et tirer pleinement profit de l’ouverture stratégique sur le monde que nous procure la venue de NASDAQ. Le Québec, comme l’ensemble du Canada, a bénéficié de la longue période de croissance économique qu’a connu l’Amérique du Nord. Nous avons démontré pendant cette période une détermination ferme à rétablir l’équilibre des finances publiques et à offrir un support constant aux entreprises en leur offrant un environnement favorable au développement des affaires. Notre collaboration avec NASDAQ constitue un pas additionnel en faveur du développement économique et de la création d’emplois dans le secteur de la nouvelle économie. La croissance économique de Montréal n’a jamais été aussi dynamique, ce qui a eu pour effet de faire baisser le taux de chômage et de faire de Montréal le point de mire du développement de nouvelles technologies. Selon la firme Price Waterhouse, Montréal se classe au premier rang des grandes villes d’Amérique du Nord pour ce qui est de la proportion de la population qui travaille dans les technologies de pointe. La nouvelle économie est fondée sur la connaissance, l’innovation, l’imagination et l’originalité. La clé du succès est l’accès à un éventail de connaissances et la capacité de les intégrer à de nouveaux produits. Mais une des clés essentielles est sans aucun doute l’accès à du capital. Le gouvernement du Québec est heureux que les dirigeants de NASDAQ aient choisi Montréal pour lancer leur initiative visant l’ensemble du marché canadien. Je tiens à réitérer à Monsieur Zarb le support du gouvernement du Québec dans cette initiative majeure qui marquera l’histoire du développement des marchés financiers québécois et canadien. Le gouvernement du Québec entend donc proposer très rapidement l’adoption de mesures législatives nécessaires à l’implantation de NASDAQ à Montréal dès juin prochain. Permettez-moi de conclure en soulignant que la crédibilité et le savoir-faire des gens de NASDAQ, associés à l’implication et au soutien du gouvernement du Québec, sont gages de succès pour l’ensemble de cette opération. Nous avons la chance aujourd’hui de souligner le début d’une collaboration qui s’avérera, j’en suis certain, longue et fructueuse. Merci de votre attention.

[BOUC=20000429]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Remise de l’insigne de l’ordre national à Philippe Séguin Québec – 29 avril 2000]
Monsieur le Président, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur l’Ambassadeur de Tunisie, Messieurs les membres du corps consulaire, Monsieur le Maire de Québec, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée nationale, Monsieur le Président du Conseil de l’Ordre, Chers amis ici présents, Monsieur Philippe Séguin, c’est pour moi une grande joie de vous accueillir dans le Salon rouge de l’Assemblée nationale sous le regard impassible des membres du Conseil souverain de la Nouvelle-France et en présence de Québécois d’aujourd’hui qui ont pour vous la plus vive estime.
À nos meilleurs amis, on a coutume de dire: chez nous, c’est chez vous. Permettez-moi donc de vous dire, Monsieur le Président, bienvenue chez vous! Celui que le Québec honore aujourd’hui est un homme aux dimensions multiples. J’aimerais surtout en évoquer deux : celle de l’homme d’État et de volonté, et celle de l’ami passionné du Québec et de la francophonie. Votre parcours personnel en est le premier exemple. Vous êtes né à Tunis en 1943, d’une mère institutrice et d’un père que vous n’avez pas eu le temps de connaître: il est mort, les armes à la main, en luttant pour la libération de son pays. Rien ne vous était donc acquis au départ. Diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et de l’École nationale d’administration, vous avez occupé différentes fonctions administratives, agissant notamment comme conseiller du président Georges Pompidou. Votre carrière se poursuit brillamment: député des Vosges depuis 22 ans, maire d’Épinal pendant 14 ans, ministre des Affaires sociales et de l’Emploi de 1986 à 1988, président de l’Assemblée nationale de 1993 à 1997 et président du Rassemblement pour la République de 1997 à 1999. Si la détermination est au cœur de votre cheminement, votre ambition se double aussi d’une vision volontariste des hommes et de l’histoire. Pour vous, la volonté de peser sur son destin individuel ne prend toute sa signification que dans la mesure où elle se transpose dans un projet collectif qui transcende les divisions partisanes. Voilà bien ce qui fait de vous un homme d’État. Voilà pourquoi votre engagement s’est inspiré d’abord et avant tout d’une certaine idée de la France. Une France républicaine et démocratique, berceau des droits de l’homme. Une France qui milite en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Une France universelle qui accueille en son sein les hommes et les idées du monde entier. Philippe Séguin, vous placez la France à l’avant-garde du combat pour la diversité culturelle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si vous avez fait vôtre cette phrase de Jean-Marc Léger: « Le salut des cultures et des identités nationales sera le souci majeur du troisième millénaire, et ce serait l’honneur de la langue française de devenir, partout dans le monde, le fer de lance de ce combat. » Telles sont donc les idées maîtresses de votre engagement politique, ce que vous appelez « faire la politique de la France », par opposition à la politique de la facilité et du renoncement. Ce n’est donc pas une coïncidence si vous vous êtes très tôt intéressé au Québec. Et ce n’était pas seulement dû au fait que vous êtes un amateur de notre sport national, le hockey! Car vous avez été l’un des premiers, dès 1967, à percevoir que le Québec libre allait dans le sens de l’histoire. Et vous vous êtes vite rendu compte de l’énorme potentiel de la coopération franco-québécoise. Et pas seulement pour le Québec, mais aussi pour la France. À l’heure où le Québec vivait une formidable période de renouveau politique et social, vous avez saisi tout le potentiel qu’offrait la Révolution tranquille. Comme vous le dites, et je cite: « Le Québec est pour la France un exemple. » Cet exemple, vous l’avez personnellement suivi quand vous étiez président de l’Assemblée nationale. Tant pour Internet que pour la télédiffusion des débats, vous vous êtes inspiré de ce qui se faisait ici, à l’Assemblée nationale du Québec. Et le système de télévision communautaire de votre ville d’Épinal, vous l’avez également conçu sur le modèle québécois. Votre rôle et l’estime que vous nous portez ne se sont pas démentis au fil des années et des circonstances. En 1995, au moment où le Québec se prononçait sur son avenir, vous, président de l’Assemblée nationale, avez invité mon prédécesseur, le premier ministre Jacques Parizeau, à expliquer le cheminement du Québec devant les membres de cette assemblée; à l’instar de ce que le président Edgar Faure avait fait pour René Lévesque dans des circonstances semblables en 1977. De plus, c’est à vous que l’on doit cette formule résumant la politique de la France face au Québec, reprise tant par le président Jacques Chirac que par le premier ministre Lionel Jospin, et je cite: « La France accompagnera le Québec quel que soit son choix. » Nous accompagner sans nous précéder, le Québec n’en attend ni plus ni moins de la part de la France. Et il vous sait gré d’avoir été en France l’un des interprètes de nos aspirations. Aujourd’hui, vous continuez de nous accompagner au quotidien. Vous séjournez régulièrement au Québec, puisque vous êtes professeur invité à l’Université du Québec à Montréal, à la Chaire d’études stratégiques et diplomatiques Raoul-Dandurand. C’est d’ailleurs au cours de vos séjours d’enseignement au Québec qu’est né un livre, Plus Français que moi, tu meurs! Ce livre est fondé sur une conviction, et je cite: « L’alliance de la France et du Québec est aujourd’hui une nécessité absolue pour assurer, dans le monde tel qu’il se construit, la pérennité de leur langue et de leurs valeurs partagées. France et Québec ne seront pas seuls dans le combat à conduire. Mais ils doivent en être l’âme ». La francophonie est une donnée fondamentale et incontournable de la vie internationale. Mais le constater n’a de valeur que pour autant qu’on puisse en déduire les conséquences. La coopération entre les pays francophones doit être constamment renouvelée par une volonté qu’il faut appeler politique, puisque, au-delà des actions engagées ici et là, votre ambition est de continuer à faire entendre notre voix dans un environnement qui permette l’épanouissement de la diversité. Tel est bien le sens de votre message, tel doit être le sens de notre action pour l’avenir. Comme le disait Goethe, « penser est facile; agir est difficile; agir selon sa pensée est ce qu’il y a au monde de plus difficile ». C’est pourtant bien ce que vous avez fait, Philippe Séguin, c’est ce que vous faites et, j’en suis sûr, c’est ce que vous ferez encore. Au nom du gouvernement du Québec et du peuple québécois, j’ai l’honneur de vous remettre l’insigne d’officier de l’Ordre national du Québec.

[BOUC=20000516]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Conférence devant la Chambre de commerce d’Argentine – Buenos Aires – 16 mai 2000]
Monsieur le Gouverneur,
Docteur Jorge Di Fiori, Président de la Chambre de commerce d’Argentine, Messieurs les Ministres, Distingués invités, Mesdames et Messieurs, Buenos dias! Je suis heureux de vous adresser la parole aujourd’hui, amis argentins, en compagnie de la plus importante mission économique et institutionnelle réalisée par le Québec en Argentine. Nous sommes touchés par votre accueil. Cela augure bien pour l’intensification de nos relations. Nous sommes, bien sûr, séduits par votre merveilleuse capitale. Ses parcs majestueux, ses grandes avenues et ses quartiers typiques en font une ville tout à fait extraordinaire qui nous rappelle le meilleur de certaines grandes cités européennes. Je ne vous cache pas non plus notre admiration pour la richesse de votre culture, dont Borges et Piazzola, pour ne citer que ceux là, sont des représentants exceptionnels. Cette mission commerciale en Argentine n’est pas la première mission québécoise dans votre pays, mais la première pilotée par le chef du gouvernement québécois. Dès 1946, une mission de la Chambre de commerce de Montréal s’est rendue dans votre pays. Nos échanges économiques et culturels se sont poursuivis depuis. Au cours des dernières années, une dizaine de missions impliquant plus de 150 entreprises ont été organisées chez vous. Je tiens à remercier la Chambre de commerce d’Argentine et plus particulièrement son président, le docteur Jorge Di Fiori, de leur précieuse collaboration. La présente mission a d’abord un caractère économique. La centaine d’entreprises qui m’accompagnent proviennent des secteurs les plus dynamiques de notre économie, tels l’énergie, l’environnement, la construction, l’aéronautique, les technologies de l’information, la biopharmaceutique, l’agroalimentaire et le transport. Il s’agit d’éléments clés de notre économie, et d’entreprises qui ont permis au Québec d’occuper une place de choix sur le marché mondial. Toutefois, nos objectifs ne se limitent pas à l’économie et au commerce. Nous voulons établir un dialogue plus large. C’est pourquoi, durant cette mission en Argentine, j’ai abordé la vision qu’a le Québec de la coopération hémisphérique. Une coopération où l’on se préoccupe de croissance économique, bien sûr, mais également de jeunesse, d’éducation et de valeurs socioculturelles. Laissez-moi vous parler d’abord du Québec d’aujourd’hui. L’économie québécoise a connu des transformations importantes au cours des dernières années. Ces transformations ont diverses répercussions. En 1999, par exemple, le Québec a enregistré une croissance de son produit intérieur brut de 3,8 %, ce qui constitue l’une de nos meilleures performances depuis onze ans. C’est une croissance supérieure à celle de la moyenne des pays du G7 (+ 2,8 %) et qui se compare avec celle des États-Unis qui s’établit à 4,1 %. Peu d’indicateurs économiques expriment mieux la vigueur d’une économie que la création d’emplois. Et à ce chapitre, le marché du travail du Québec a été dynamique. En 1998, plus de 86000 nouveaux emplois ont été créés. En 1999, près de 76000. La meilleure performance pour deux années consécutives depuis douze ans. Cette création d’emplois profite d’abord aux jeunes. En 1999, ils ont décroché plus du tiers des nouveaux emplois, alors qu’ils représentent 16 % de la population active. Cela constitue la plus forte hausse de l’emploi chez les jeunes depuis 27 ans. Évidemment, une telle amélioration de l’emploi s’est reflétée sur le taux de chômage. Alors que celui-ci avait atteint 13,3 % en 1993, il se maintient depuis six mois dans les 8 %. Les nouvelles sont bonnes, aussi, au chapitre des investissements. Depuis 1994, la croissance des investissements privés au Québec dépasse celle du Canada et, en 1999, elle a été trois fois plus rapide. Nous exportons hors de nos frontières près de 60 % de notre production, ce qui fait de notre économie l’une des plus ouvertes sur le monde. Certes, le Québec, comme d’autres pays, a profité d’une conjoncture favorable, dont la solide performance de l’économie américaine. Mais ces bonnes nouvelles sont également le fruit d’actions entreprises par notre secteur privé et par mon gouvernement. D’autres mesures concernant des investissements dans des secteurs stratégiques commencent à porter fruits. C’est le cas notamment des biotechnologies et du multimédia. Nous sommes donc résolument optimistes quant à la suite des choses. D’ailleurs, tous les prévisionnistes du secteur privé anticipent une poursuite vigoureuse de la croissance économique et une baisse du taux de chômage au Québec. Il est révolu le temps où l’on décrivait l’économie du Québec comme essentiellement tournée vers les richesses naturelles. Le Québec possède maintenant toutes les caractéristiques d’une économie moderne, le secteur tertiaire occupant une place dominante avec 71 % du PIB. Le Québec se classe au premier rang dans plusieurs secteurs de ce qu’on appelle maintenant la nouvelle économie. Ce repositionnement du Québec est particulièrement visible à Montréal. En effet, selon la firme internationale Price Waterhouse, Montréal, la métropole du Québec, avec plus de 3000000 d’habitants, se classe au quinzième rang des grandes villes d’Amérique du Nord pour ce qui est de la population. Elle est neuvième pour le nombre d’entreprises de pointe, septième pour le nombre d’emplois en technologies de l’information, sixième dans les secteurs pharmaceutique et biotechnologique, cinquième dans le domaine aéronautique, et première pour ce qui est de la proportion de la population qui œuvre dans les technologies de pointe. Quant à Québec, notre capitale nationale, dont le maire, Monsieur Jean-Paul L’Allier, est parmi nous aujourd’hui, elle se transforme chaque jour davantage pour devenir un centre de haute technologie. Elle se démarque notamment dans le secteur de l’optique, en technologies de l’information, en biotechnologies et dans ce matériau d’avenir qu’est le magnésium. Dans le secteur de l’aéronautique, c’est au Québec que se situe plus de la moitié de la production de l’industrie canadienne, qui y regroupe 60 % de ses activités en recherche et développement. Montréal est la seule ville au monde où il est possible de trouver tous les éléments nécessaires à la construction d’un avion ou d’un hélicoptère dans un rayon de 30 kilomètres. Montréal est ainsi la deuxième concentration mondiale en aéronautique après Seattle et devant Toulouse. L’industrie aéronautique québécoise a développé plusieurs produits de renommée mondiale. Je pense, entre autres, au Jet Régional développé par le troisième avionneur civil au monde, soit Bombardier. Deux de ces appareils viennent d’ailleurs d’être livrés à la société Southern Winds à l’aéroport de Córdoba. Toujours dans le domaine des transports, le Québec est réputé pour son expertise dans la construction de camions, de voitures, d’autocars, de trains, de wagons de métro et de navires. Nous nous sommes taillé une place enviable dans le secteur des technologies de l’information. Que ce soit en télécommunications, en informatique, en conception multimédia, en géomatique ou dans les composantes électroniques, plusieurs firmes québécoises figurent parmi les plus importantes au monde. En ce qui concerne l’énergie, l’hydroélectricité a grandement contribué à la croissance et au développement économique du Québec. Aujourd’hui, notre expertise en matière de production, de transport et de distribution d’électricité est reconnue mondialement. Le secteur des biotechnologies joue un rôle capital dans l’économie du Québec. Avec ses nombreuses universités et ses centres hospitaliers universitaires de recherche ainsi que ses entreprises, le Québec se classe parmi les 10 centres d’excellence du domaine dans les Amériques. Et l’Institut de recherche en biotechnologie de Montréal est le plus important centre de recherche spécialisé dans ce domaine au monde. Les entreprises du Québec sont très recherchées pour leur expertise en matière de protection de l’environnement. Que ce soit dans le développement et la fabrication d’équipement de traitement des eaux usées, de systèmes d’assèchement des boues et de récupération des déchets, elles sont parmi les meilleures au monde. Nos entreprises excellent aussi dans le recyclage des déchets et la réhabilitation des sols contaminés. Les conditions climatiques particulières au Québec ont fait naître et s’épanouir une industrie de la construction qui compte parmi les plus novatrices. Le Québec est réputé pour ses firmes de génie-conseil, et son expertise est reconnue en matière de construction résidentielle, de rénovation et de modernisation d’édifices. Enfin, quant au secteur agroalimentaire, les entrepreneurs québécois connaissent un succès enviable sur les marchés internationaux. Vous pouvez d’ailleurs vivre une expérience culinaire québécoise grâce au repas de ce midi. L’un des principaux moteurs de la croissance des entreprises québécoises a sans aucun doute été leur percée sur le marché de l’exportation. Nos entrepreneurs, dont les succès créent de plus en plus d’emplois, ont su prendre avantage de la libéralisation commerciale. Plusieurs raisons expliquent cette réussite. Mais nous croyons que l’émergence du Québec comme interface entre l’Europe et l’Amérique du Nord est un élément déterminant. Notre interaction avec la principale source mondiale d’innovation, les États-Unis d’Amérique, est bien connue. Notre avantage vient de ce que nous avons tiré parti de notre identité francophone pour accéder à la seconde source d’innovation en importance, l’Europe. Au Québec, 600 grandes entreprises des États-Unis et 600 grandes entreprises européennes travaillent côte à côte dans nos grappes industrielles en technologies de pointe. Et quand nos chercheurs publient conjointement les résultats de travaux de recherche, 35 % le font avec des scientifiques américains et 40 %, avec des collègues européens. Cela a permis d’instaurer une véritable interface scientifique entre les États-Unis, l’Europe et le Québec. Les populations, les idées et les entreprises américaines et européennes se rejoignent au Québec comme elles le font rarement ailleurs. Baignant dans un milieu technique, scientifique et culturel constamment alimenté par les deux mondes, les cadres, les chercheurs et les travailleurs spécialisés du Québec jouissent d’un avantage certain en matière de recherche et développement, de conception, de production et de commercialisation. Ce creuset créatif explique, en partie, pourquoi un peuple de 7000000 de personnes figure maintenant parmi les dix premières nations du monde dans le secteur de l’économie du savoir. Cette nouvelle force économique du Québec, nous voulons désormais l’arrimer à l’Amérique latine tout entière. Le Québec a mené la lutte en faveur du libre-échange au cours des années 80. Sans le vote massif des Québécois en faveur de l’Accord de libre-échange de 1988, nous ne pourrions envisager, aujourd’hui, la création d’une zone de libre-échange s’étendant de la Terre de Baffin à la Terre de Feu. C’est une perspective qui ne nous effraie pas. Au contraire, nous la souhaitons vivement! Créer une zone de libre-échange est un défi difficile à relever, et c’est pourquoi je salue les efforts d’intégration régionale en Amérique latine. Je veux parler ici des marchés communs en cours de formation, tels le MERCOSUR et la Communauté andine. Je tiens à souligner que l’adhésion des Québécois au libre-échange fait consensus. Comme vous le savez sans doute, le Québec vit depuis quelques années un débat démocratique important quant à son avenir politique. Plusieurs, dont je suis, pensent que l’avenir du Québec sera mieux servi s’il devient un État souverain. D’autres acceptent le statu quo ou pensent encore, malgré les nombreuses tentatives infructueuses des 40 dernières années, qu’il est préférable de tenter de réformer le Canada de l’intérieur. Mais nous sommes unanimes sur un point : quelle que soit notre option préférée – nous croyons qu’il revient aux Québécois, et à eux seuls, de déterminer leur avenir politique et constitutionnel. Une chose est certaine, peu importe notre décision future, le Québec a fait une fois pour toutes le choix d’être parmi les sociétés les plus ouvertes et les plus engagées dans l’économie panaméricaine et mondiale. Divers outils peuvent nous permettre d’accroître nos échanges. Dans la perspective de la création de la Zone de libre-échange des Amériques, j’ai annoncé en mai 1999, à l’occasion d’une mission au Mexique, une importante initiative, que nous appelons la « Décennie québécoise des Amériques ». Ce projet d’envergure s’appuie sur trois piliers stratégiques : l’économie, l’éducation et la jeunesse. Pour la Décennie des Amériques, nous nous sommes donné comme objectif de tripler le nombre d’entreprises québécoises actives en Amérique latine. Nos entreprises souhaitent développer, avec les vôtres, des partenariats, des alliances stratégiques et des transferts de technologie. Par ailleurs, pour devenir un partenaire actif et constructif des Amériques, le Québec mise sur un atout culturel : les compétences linguistiques de sa population active. Déjà, nous comptons, parmi celle-ci, deux fois plus de personnes trilingues que dans le reste du Canada. L’un de nos objectifs est d’augmenter de 50 % le nombre de Québécois trilingues au cours de la décennie à venir. Ces derniers représenteront alors 12 % de la population active. Pour ce faire, très bientôt, une troisième langue – l’espagnol dans la plupart des cas – sera enseignée dans nos écoles secondaires. Quant à notre jeunesse, nous souhaitons qu’elle soit ouverte sur le monde. Même à l’ère d’Internet et du virtuel, rien ne peut remplacer la chaleur d’un contact humain et réel. Ainsi, dans le cadre de la Décennie québécoise des Amériques et d’un important sommet sur la jeunesse récemment tenu à Québec, nous avons annoncé la création de l’Office Québec-Amériques pour la jeunesse. Cette agence permettra, chaque année, à des jeunes des trois Amériques de se familiariser avec leurs cultures respectives. Ces 3000 jeunes, âgés de 18 à 35 ans, effectueront des séjours au Québec et dans d’autres pays de notre hémisphère. Nous souhaitons vivement que votre pays devienne un partenaire privilégié dans cette initiative. À l’heure de faire un premier bilan du libre-échange, force est de constater que nous avons pris la bonne décision en 1988. Si, jusqu’en 1990, les ventes hors Québec étaient surtout dirigées vers les provinces canadiennes, depuis, elles le sont davantage vers les États-Unis et vers le reste du monde. Depuis 1990, la valeur de nos exportations internationales a plus que doublé. Une augmentation de 130 %. La croissance de nos exportations vers le reste du Canada a augmenté de seulement 12 %, tandis que la croissance de nos exportations vers les États-Unis a fait un bond de 135 %. Nous devons notre réussite commerciale à des milliers d’entreprises. En augmentant, entre 1996 et 1999, de 2000 le nombre de petites et moyennes entreprises exportatrices, nous avons démontré que le commerce international n’était pas l’apanage des grandes multinationales. Nous avons prouvé des milliers de fois que les marchés étrangers sont à la portée de toute entreprise ayant un produit original à offrir à un prix concurrentiel. Qu’en est-il plus particulièrement du commerce entre l’Argentine et le Québec? L’Argentine est le quatrième partenaire commercial du Québec en Amérique du sud. Les échanges commerciaux entre le Québec et l’Argentine, bien que modestes, ont progressé plus rapidement, au cours des années 90, que la croissance moyenne des échanges du Québec avec l’Amérique du Sud. C’est donc dire que l’Argentine prend une place de plus en plus grande dans le commerce international québécois avec cette région du monde. Les importations du Québec en provenance de l’Argentine se sont accrues considérablement durant la dernière décennie, avec une hausse de plus de 70 % depuis 1990. Ces hausses sont surtout dues à la croissance de nos principales importations, soit le cuivre, la viande, les fruits frais, le vin, les produits agricoles ainsi que les produits pétroliers. Quant aux exportations québécoises à destination de l’Argentine, elles ont également augmenté depuis 1990. Elles se diversifient, et on note que 40 % d’entre elles sont constituées de produits de moyenne et de haute technologie. Nous n’avons pas encore assisté, à notre avis, au véritable décollage de nos échanges économiques. Cette mission et les suites qui lui seront données nous permettront d’augmenter nos échanges commerciaux, d’intensifier nos partenariats et d’ouvrir un nouveau chapitre dans nos rapports bilatéraux. Les gens d’affaires québécois qui m’accompagnent veulent être les artisans du nouveau dynamisme de notre relation. Ils représentent les secteurs qui font la fierté de l’économie québécoise. J’aimerais aussi souligner la présence parmi nous du président de l’Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec, Monsieur Gérald Ponton, notre partenaire dans cette mission. Plusieurs représentants de grandes sociétés d’État québécoises sont aussi des nôtres, comme Messieurs Claude Blanchet de la Société générale de financement, André Caillé d’Hydro-Québec, Jean Lamothe de la Caisse de dépôt et placement du Québec, André Marcil de la Société d’habitation du Québec. Nous sommes également accompagnés de recteurs et de dirigeants de nos universités et collèges ainsi que d’une dizaine d’autres représentants des milieux de la culture et de l’éducation. Le Québec est attrayant pour les investisseurs et un partenaire technologique de choix en Amérique du Nord. Le fait qu’il devance maintenant tous les pays du G7, quant à la croissance des dépenses de recherche et développement des entreprises, témoigne du dynamisme de son économie. Pour les investisseurs intéressés à s’établir au Québec, nous offrons un environnement d’affaires hautement concurrentiel. Selon une récente étude de la firme KPMG, société internationale d’experts-conseils en gestion, c’est au Québec que les coûts d’implantation et d’exploitation d’une entreprise sont les plus bas comparativement aux principaux pays industrialisés. À titre d’exemple, les coûts d’entreprise au Québec sont de 2,1 % inférieurs à la moyenne canadienne et de 9,7 % moins élevés qu’aux États-Unis. Ajoutons à cela des incitatifs fiscaux parmi les plus intéressants en Amérique du Nord, plus un taux d’imposition des sociétés parmi les plus faibles du continent nord-américain. Dans son dernier budget, notre ministre des Finances a en plus annoncé une exemption fiscale complète de dix ans pour tout projet majeur d’investissement. Les entreprises présentes au Québec peuvent compter sur la plus grande disponibilité de capital de risque au Canada. De plus, mon gouvernement a récemment conclu une entente avec les dirigeants du NASDAQ afin de mettre en place une nouvelle bourse électronique qui sera située à Montréal. Les entreprises du Québec auront ainsi un meilleur accès à un vaste bassin de capital nécessaire à leur expansion. Mais les succès concurrentiels ne sont pas seulement une question de coûts de production, c’est aussi une question de main-d’œuvre. La qualité et la stabilité de notre main-d’œuvre sont les raisons le plus souvent évoquées par les investisseurs étrangers qui choisissent le Québec. Pour maintenir notre place dans le peloton de tête, nous avons aussi développé des instruments originaux. Je pense notamment à la Société générale de financement et à Investissement Québec. La Société générale de financement est le partenaire idéal pour les entrepreneurs qui s’installent au Québec ou qui cherchent du capital pour se développer en Amérique du Nord. La SGF est un important groupe financier qui rassemble les sociétés d’investissement d’État. C’est un des plus importants outils de développement de l’économie québécoise. Quant à Investissement Québec, elle coordonne les actions gouvernementales en matière d’accueil et de soutien aux projets d’investissement, en agissant à titre d’interlocuteur privilégié auprès des entreprises. Créer de la richesse parmi nos peuples respectifs est certainement l’objectif ultime de notre mission. Cependant, on ne peut calculer la richesse d’un peuple uniquement en termes de dollars et de pesos. Nous souhaitons une ouverture plus large qui, nous l’espérons, incitera à un rapprochement généralisé entre l’Argentine et le Québec, notamment dans le secteur de l’éducation. Un peu partout dans le monde, ces dernières années, les gouvernements et la société civile ont reconnu l’éducation et la formation comme des secteurs névralgiques dans le cadre de la mondialisation. Le Québec, tout comme l’Argentine, s’est résolument engagé dans l’adaptation de son système éducatif. Dans ce contexte, les établissements d’enseignement supérieur québécois ont la volonté d’amorcer ou d’intensifier les échanges de connaissances, le partage des compétences, en plus de favoriser la mobilité étudiante. Déjà 28 ententes de coopération lient plus d’une dizaine d’universités du Québec et autant d’universités en Argentine. Je souhaite ardemment que, de cette mission, émergent de nouvelles alliances et d’autres projets innovateurs. Le Québec est le seul État d’Amérique du Nord où le français est la langue officielle et commune. Parce que nous ne représentons que 2 % de la population du continent, nous comprenons parfaitement les réticences légitimes, exprimées ici et là, concernant l’impact de l’intégration économique sur la diversité culturelle et sur la capacité des États de faire des choix sociaux, culturels et économiques. Les nations ont raison de vouloir vendre leurs produits, mais elles ont aussi raison de ne pas perdre leur âme. Se rapprocher ne veut pas dire se confondre. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’intégration économique et le respect des identités nationales et de la diversité culturelle. C’est avec joie que j’ai inauguré, hier, le Bureau du Québec en Argentine. Notre représentation, située rue Tucuman, dans l’un des plus beaux édifices de la ville de Buenos Aires, nous permettra de promouvoir nos relations bilatérales. Son directeur, Monsieur Denis L’Anglais, y travaille déjà très activement, et je suis assuré qu’il sera heureux de vous accueillir et de répondre à vos questions. Nous avons aussi des représentations au Mexique, au Chili, au Costa Rica, au Venezuela, au Pérou et en Colombie. Nous comptons bien renforcer et étendre ce réseau qui témoigne de l’importance que nous accordons à l’Amérique latine, en général, et à l’Argentine en particulier. Il ne me reste qu’à souhaiter la meilleure des chances à la centaine d’entreprises et d’institutions québécoises présentes et aux nombreux partenaires potentiels de votre pays qu’elles ont déjà rencontrés. Puissent vos échanges déboucher sur des discussions fructueuses et mutuellement profitables. Muchas gracias!

[BOUC=20000518]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Conférence devant la Sociedad Fomento Fabril – Santiago du Chili – 18 mai 2000]
Monsieur Felipe Lamarca, Président de la SOFOFA Messieurs les Ministres, Distingués invités, Mesdames et Messieurs, Buenos dias. Je suis heureux de vous adresser la parole aujourd’hui, amis chiliens, en compagnie de la plus importante mission économique et institutionnelle réalisée par le Québec au Chili. Nous sommes touchés par votre accueil. Cela augure bien pour l’intensification de nos relations. Nous sommes arrivés à Santiago, hier soir, dans votre capitale qui se laisse agréablement découvrir. Vos promenades urbaines, l’assortiment généreux de musées et de monuments, ainsi que la proximité des Andes, offrent à votre ville un cadre dont vous pouvez être fiers. Je m’en voudrais de ne pas mentionner également la proverbiale courtoisie de la population de Santiago, qui ajoute à son prestige et à sa renommée internationale. Je ne vous cache pas non plus notre admiration pour la richesse de votre culture, couronnée par deux prix Nobel de littérature: Gabriela Mistral et Pablo Neruda. Cette mission commerciale au Chili n’est pas la première mission québécoise dans votre pays, mais la première pilotée par le chef du gouvernement. Dès 1946, une mission de la Chambre de commerce de Montréal s’est rendue dans votre pays. Nos échanges économiques et culturels se sont poursuivis depuis et connaissent maintenant une relance. Au cours des dernières années, une dizaine de missions impliquant plus de 200 entreprises ont été organisées chez vous. Je tiens à remercier la SOFOFA et plus particulièrement son président, l’ingénieur commercial, Monsieur Felipe Lamarca, de leur précieuse collaboration. La présente mission a d’abord un caractère économique. La centaine d’entreprises qui m’accompagnent proviennent des secteurs les plus dynamiques de notre économie, tels l’énergie, l’environnement, la construction, l’aéronautique, les technologies de l’information, la biopharmaceutique, l’agroalimentaire et le transport. Il s’agit d’éléments clés de notre économie, et d’entreprises qui ont permis au Québec d’occuper une place de choix sur le marché mondial. Toutefois, nos objectifs ne se limitent pas à l’économie et au commerce. Nous voulons établir un dialogue plus large. C’est pourquoi, durant cette mission au Chili, j’aborderai également la vision qu’a le Québec de la coopération hémisphérique intégrée. Une coopération où l’on se préoccupe de croissance économique, bien sûr, mais également de jeunesse, d’éducation et de valeurs socioculturelles. Ce sont ces diverses facettes qui confèrent une dimension plus enrichissante à nos rapports. Laissez-moi vous parler d’abord du Québec d’aujourd’hui. L’économie québécoise a connu des transformations importantes au cours des dernières années. Ces transformations ont diverses répercussions. En 1999, par exemple, le Québec a enregistré une croissance de son produit intérieur brut de 3,8 %, ce qui constitue l’une de nos meilleures performances depuis onze ans. C’est une croissance supérieure à celle de la moyenne des pays du G7 (+ 2,8 %) et qui se compare avec celle des États-Unis, qui s’établit à 4,1 %. Peu d’indicateurs économiques expriment mieux la vigueur d’une économie que la création d’emplois. Et à ce chapitre, le marché du travail du Québec a été dynamique. En 1998, plus de 86000 nouveaux emplois ont été créés. En 1999, près de 76000. La meilleure performance pour deux années consécutives depuis douze ans. Cette création d’emplois profite d’abord aux jeunes. En 1999, ils ont décroché plus du tiers des nouveaux emplois, alors qu’ils représentent 16 % de la population active. Cela constitue la plus forte hausse de l’emploi chez les jeunes depuis 27 ans. Évidemment, une telle amélioration de l’emploi s’est reflétée sur le taux de chômage. Alors que celui-ci avait atteint 13,3 % en 1993, il se maintient depuis six mois dans les 8 %. Les nouvelles sont bonnes, aussi, au chapitre des investissements. Depuis 1994, la croissance des investissements privés au Québec dépasse celle du Canada et, en 1999, elle a été trois fois plus rapide. Les dirigeants d’entreprise ont confiance en notre économie et ils investissent dans l’avenir. Nous exportons hors de nos frontières près de 60 % de notre production, ce qui fait de notre économie l’une des plus ouvertes sur le monde. Certes, le Québec, comme d’autres pays, a profité d’une conjoncture favorable, dont la solide performance de l’économie américaine. Mais ces bonnes nouvelles sont également le fruit d’actions entreprises par notre secteur privé et par mon gouvernement. D’autres mesures concernant des investissements dans des secteurs stratégiques commencent à porter fruits. C’est le cas notamment des biotechnologies et du multimédia. Nous sommes donc résolument optimistes quant à la suite des choses. D’ailleurs, tous les prévisionnistes du secteur privé anticipent une poursuite vigoureuse de la croissance économique et une baisse du taux de chômage au Québec. Il est révolu le temps où l’on décrivait l’économie du Québec comme essentiellement tournée vers les richesses naturelles. Le Québec possède maintenant toutes les caractéristiques d’une économie moderne, le secteur tertiaire occupant une place dominante avec 71 % du PIB. Le Québec se classe au premier rang dans plusieurs secteurs de ce qu’on appelle maintenant la nouvelle économie. Ce repositionnement du Québec est particulièrement visible à Montréal. En effet, selon la firme internationale Price Waterhouse, Montréal, la métropole du Québec, avec plus de 3000000 d’habitants, se classe au quinzième rang des grandes villes d’Amérique du Nord pour ce qui est de la population. Elle est neuvième pour le nombre d’entreprises de pointe, septième pour le nombre d’emplois en technologies de l’information, sixième dans les secteurs pharmaceutique et biotechnologique, cinquième dans le domaine aéronautique, et première pour ce qui est de la proportion de la population qui œuvre dans les technologies de pointe. Quant à Québec, notre capitale nationale, dont le maire, M. Jean-Paul L’Allier, est parmi nous aujourd’hui, elle se transforme chaque jour davantage pour devenir un centre de haute technologie. Elle se démarque notamment dans le secteur de l’optique, en technologies de l’information, en biotechnologies et dans ce matériau d’avenir qu’est le magnésium. Dans le secteur de l’aéronautique, c’est au Québec que se situe plus de la moitié de la production de l’industrie canadienne, qui y regroupe 60 % des activités en recherche et développement. Montréal est la seule ville au monde où il est possible de trouver tous les éléments nécessaires à la construction d’un avion ou d’un hélicoptère dans un rayon de 30 kilomètres. Montréal est ainsi la deuxième concentration mondiale en aéronautique après Seattle et devant Toulouse. L’industrie aéronautique québécoise a développé plusieurs produits de renommée mondiale. Je pense, entre autres, au Jet Régional développé par le troisième avionneur civil au monde, soit Bombardier. Deux de ces appareils viennent d’ailleurs d’être livrés à la société Southern Winds, plus tôt cette semaine, à l’aéroport de Córdoba, en Argentine. Toujours dans le domaine des transports, le Québec est réputé pour son expertise dans la construction de camions, de voitures, d’autocars, de trains, de wagons de métro et de navires. Nous nous sommes taillé une place enviable dans le secteur des technologies de l’information. Que ce soit en télécommunications, en informatique, en conception multimédia, en géomatique ou dans les composantes électroniques, plusieurs firmes québécoises figurent parmi les plus importantes au monde. En ce qui concerne l’énergie, l’hydroélectricité a grandement contribué à la croissance et au développement économique du Québec. Aujourd’hui, notre expertise en matière de production, de transport et de distribution d’électricité est reconnu mondialement. Le secteur des biotechnologies joue un rôle capital dans l’économie du Québec. Avec ses nombreuses universités et ses centres hospitaliers universitaires de recherche ainsi que ses entreprises, le Québec se classe parmi les 10 centres d’excellence du domaine dans les Amériques. Et l’Institut de recherche en biotechnologie de Montréal est le plus important centre de recherche spécialisé dans ce domaine au monde. Les entreprises du Québec sont très recherchées pour leur expertise en matière de protection de l’environnement. Que ce soit dans le développement et la fabrication d’équipement de traitement des eaux usées, de systèmes d’assèchement des boues et de récupération des déchets, elles sont parmi les meilleures au monde. Nos entreprises excellent aussi dans le recyclage des déchets et la réhabilitation des sols contaminés. Les conditions climatiques particulières au Québec ont fait naître et s’épanouir une industrie de la construction qui compte parmi les plus novatrices. Le Québec est réputé pour ses firmes de génie-conseil, et son expertise est reconnue en matière de construction résidentielle, de rénovation et de modernisation d’édifices. Enfin, quant au secteur agro-alimentaire, les entrepreneurs québécois connaissent un succès enviable sur les marchés internationaux. L’un des principaux moteurs de la croissance des entreprises québécoises a sans aucun doute été leur percée sur le marché de l’exportation. Nos entrepreneurs, dont les succès créent de plus en plus d’emplois, ont su prendre avantage de la libéralisation commerciale. Plusieurs raisons expliquent cette réussite. Mais nous croyons que l’émergence du Québec comme interface entre l’Europe et l’Amérique du Nord est un élément déterminant. Notre interaction avec la principale source mondiale d’innovation, les États-Unis d’Amérique, est bien connue. Notre avantage vient de ce que nous avons tiré parti de notre identité francophone pour accéder à la seconde source d’innovation en importance, l’Europe. Au Québec, 600 grandes entreprises des États-Unis et 600 grandes entreprises européennes travaillent côte à côte dans nos grappes industrielles en technologies de pointe. Et quand nos chercheurs publient conjointement les résultats de travaux de recherche, 35 % le font avec des scientifiques américains et 40 %, avec des collègues européens. Cela a permis d’instaurer une véritable interface scientifique entre les États-Unis, l’Europe et le Québec. Les populations, les idées et les entreprises américaines et européennes se rejoignent au Québec comme elles le font rarement ailleurs. Baignant dans un milieu technique, scientifique et culturel constamment alimenté par les deux mondes, les cadres, les chercheurs et les travailleurs spécialisés du Québec jouissent d’un avantage certain en matière de recherche et développement, de conception, de production et de commercialisation. Ce creuset créatif peut aider à expliquer pourquoi un peuple de 7000000 de personnes figure maintenant parmi les dix premières nations du monde dans le secteur de l’économie du savoir. Cette nouvelle force économique du Québec, nous voulons désormais l’arrimer à l’Amérique latine tout entière. Le Québec a mené la lutte en faveur du libre-échange au cours des années 80. Sans le vote massif des Québécois en faveur de l’Accord de libre-échange de 1988, nous ne pourrions envisager, aujourd’hui, la création d’une zone de libre-échange s’étendant de la Terre de Baffin à la Terre de Feu. C’est une perspective qui ne nous effraie pas. Au contraire, nous la souhaitons vivement! Créer une zone de libre-échange est un défi difficile à relever, et c’est pourquoi je salue les efforts d’intégration régionale en Amérique latine. Je veux parler ici des marchés communs en cours de formation, tels le MERCOSUR et la Communauté andine. Je tiens à souligner que l’adhésion des Québécois au libre-échange fait consensus. Comme vous le savez sans doute, le Québec vit depuis quelques années un débat démocratique important quant à son avenir politique. Plusieurs, dont je suis, pensent que l’avenir du Québec sera mieux servi s’il devient un État souverain. D’autres acceptent le statu quo ou pensent encore, malgré les nombreuses tentatives infructueuses des 40 dernières années, qu’il est préférable de tenter de réformer le Canada de l’intérieur. Mais nous sommes unanimes sur un point : quelle que soit notre option préférée – nous croyons qu’il revient aux Québécois, et à eux seuls, de déterminer leur avenir politique et constitutionnel. Une chose est certaine, quelle que soit notre décision future, le Québec a fait une fois pour toutes le choix d’être parmi les sociétés les plus ouvertes et les plus engagées dans l’économie panaméricaine et mondiale. Nous croyons que l’établissement d’une zone de libre-échange des trois Amériques sera bénéfique aux 800000000 de personnes qui la constitueront. Pour nous, la Zone de libre-échange des Amériques s’insère dans un processus démocratique en vue de définir un ensemble de valeurs et d’intérêts communs pour atteindre un plus haut degré de développement dans notre hémisphère. De même, le Québec a accueilli avec enthousiasme l’Accord de libre-échange entre le Canada et le Chili, en vigueur depuis 1997. Divers outils peuvent nous permettre d’accroître nos échanges. Dans la perspective de la création de la Zone de libre-échange des Amériques, j’ai annoncé en mai 1999, à l’occasion d’une mission au Mexique, une importante initiative, que nous appelons la « Décennie québécoise des Amériques ». Ce projet d’envergure s’appuie sur trois piliers stratégiques: l’économie, l’éducation et la jeunesse. Pour la Décennie des Amériques, nous nous sommes donné comme objectif de tripler le nombre d’entreprises québécoises actives en Amérique latine. Nos entreprises souhaitent développer, avec les vôtres, des partenariats, des alliances stratégiques et des transferts de technologie. Par ailleurs, pour devenir un partenaire actif et constructif des Amériques, le Québec mise sur un atout culturel: les compétences linguistiques de sa population active. Déjà, nous comptons, parmi celle-ci, deux fois plus de personnes trilingues que dans le reste du Canada. L’un de nos objectifs est d’augmenter de 50 % le nombre de Québécois trilingues au cours de la décennie à venir. Ces derniers représenteront alors 12 % de la population active. Pour ce faire, très bientôt, une troisième langue – l’espagnol dans la plupart des cas – sera enseignée dans nos écoles secondaires. L’apprentissage d’une troisième langue sera également encouragé dans la population québécoise en général. Si on se fie à l’engouement qu’elle manifeste présentement à cet égard, le nombre des 200000 Québécois qui parlent déjà l’espagnol est appelé à augmenter rapidement. Quant à notre jeunesse, nous souhaitons qu’elle soit ouverte sur le monde. Même à l’ère d’Internet et du virtuel, rien ne peut remplacer la chaleur d’un contact humain et réel. Ainsi, dans le cadre de la Décennie québécoise des Amériques et d’un important sommet sur la jeunesse récemment tenu à Québec, nous avons annoncé la création de l’Office Québec-Amériques pour la jeunesse. Cette agence permettra, chaque année, à des jeunes des trois Amériques de se familiariser avec leurs cultures respectives. Ces 3000 jeunes, âgés de 18 à 35 ans, effectueront des séjours au Québec et dans d’autres pays de notre hémisphère. Nous souhaitons vivement que votre pays devienne un partenaire privilégié dans cette initiative.
À l’heure de faire un premier bilan du libre-échange, force est de constater que nous avons pris la bonne décision en 1988. Si, jusqu’en 1990, les ventes hors Québec étaient surtout dirigées vers les provinces canadiennes, depuis, elles le sont davantage vers les États-Unis et vers le reste du monde. Depuis 1990, la valeur de nos exportations internationales a plus que doublé. Une augmentation de 130 %. La croissance de nos exportations vers le reste du Canada a augmenté de seulement 12 %, tandis que la croissance de nos exportations vers les États-Unis a fait un bond de 135 %. Nous devons notre réussite commerciale à des milliers d’entreprises. En augmentant, entre 1996 et 1999, de 2000 le nombre de petites et moyennes entreprises exportatrices, nous avons démontré que le commerce international n’était pas l’apanage des grandes multinationales. Nous avons prouvé des milliers de fois que les marchés étrangers sont à la portée de toute entreprise ayant un produit original à offrir à un prix concurrentiel. Qu’en est-il plus particulièrement du commerce entre le Chili et le Québec? Le Chili est le troisième partenaire commercial du Québec en Amérique du Sud. Les échanges commerciaux entre le Québec et le Chili, bien que modestes, ont progressé plus rapidement au cours des années 90 que la croissance moyenne des échanges du Québec avec l’Amérique du Sud. C’est donc dire que le Chili prend une place de plus en plus grande dans le commerce international québécois avec cette région du monde. Les importations du Québec en provenance du Chili se sont accrues considérablement durant la dernière décennie, avec une hausse de 115 % depuis 1990. Le cuivre constitue près de la moitié des importations du Québec, suivi par les fruits frais, la fonte et l’affinage des métaux non ferreux et, bien sûr, le vin, qui agrémente notre table et dont les Québécois apprécient la finesse. Quant aux exportations québécoises à destination du Chili, elles ont également augmenté depuis 1990. Elles se diversifient, et on note que 40 % d’entre elles sont constituées de produits de moyenne et de haute technologie. Nous n’avons pas encore assisté, à notre avis, au véritable décollage de nos échanges économiques. Cette mission et les suites qui lui seront données nous permettront d’augmenter nos échanges commerciaux, d’intensifier nos partenariats et d’ouvrir un nouveau chapitre dans nos rapports bilatéraux. Les gens d’affaires québécois qui m’accompagnent veulent être les artisans du nouveau dynamisme de notre relation. Ils représentent les secteurs qui font la fierté de l’économie québécoise. J’aimerais aussi souligner la présence parmi nous du président de l’Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec, Monsieur Gérald Ponton, notre partenaire dans cette mission. Plusieurs représentants de grandes sociétés d’État québécoises sont aussi des nôtres, comme Messieurs Claude Blanchet de la Société générale de financement, André Caillé d’Hydro-Québec, Jean Lamothe de la Caisse de dépôt et placement du Québec, André Marcil de la Société d’habitation du Québec. Nous sommes également accompagnés de recteurs et de dirigeants de nos universités et collèges ainsi que d’une dizaine d’autres représentants des milieux de la culture et de l’éducation. Le Québec est attrayant pour les investisseurs et un partenaire technologique de choix en Amérique du Nord. Le fait qu’il devance maintenant tous les pays du G7, quant à la croissance des dépenses de recherche et développement des entreprises, témoigne du dynamisme de son économie. Pour les investisseurs intéressés à s’établir au Québec, nous offrons un environnement d’affaires hautement concurrentiel. Selon une récente étude de la firme KPMG, société internationale d’experts-conseils en gestion, c’est au Québec que les coûts d’implantation et d’exploitation d’une entreprise sont les plus bas comparativement aux principaux pays industrialisés. À titre d’exemple, les coûts d’entreprise au Québec sont de 2,1 % inférieurs à la moyenne canadienne et de 9,7 % moins élevés qu’aux États-Unis. Ajoutons à cela des incitatifs fiscaux parmi les plus intéressants en Amérique du Nord, plus un taux d’imposition des sociétés parmi les plus faibles du continent nord-américain. Dans son dernier budget, notre ministre des Finances a en plus annoncé une exemption fiscale complète de dix ans pour tout projet majeur d’investissement. Les entreprises présentes au Québec peuvent compter sur la plus grande disponibilité de capital de risque au Canada. De plus, mon gouvernement a récemment conclu une entente avec les dirigeants du NASDAQ afin de mettre en place une nouvelle bourse électronique qui sera située à Montréal. Les entreprises du Québec auront ainsi un meilleur accès à un vaste bassin de capital nécessaire à leur expansion. Mais les succès concurrentiels ne sont pas seulement une question de coûts de production, c’est aussi une question de main-d’œuvre. La qualité et la stabilité de notre main-d’œuvre sont les raisons le plus souvent évoquées par les investisseurs étrangers qui choisissent le Québec. Pour maintenir notre place dans le peloton de tête, nous avons développé des instruments originaux. Je pense notamment à la Société générale de financement et à Investissement Québec. La Société générale de financement est le partenaire idéal pour les entrepreneurs qui s’installent au Québec ou qui cherchent du capital pour se développer en Amérique du Nord. La SGF est un important groupe financier qui rassemble les sociétés d’investissement d’État. C’est un des plus importants outils de développement de l’économie québécoise. Quant à Investissement Québec, elle coordonne les actions gouvernementales en matière d’accueil et de soutien aux projets d’investissement, en agissant à titre d’interlocuteur privilégié auprès des entreprises. Créer de la richesse parmi nos peuples respectifs est certainement l’objectif ultime de notre mission. Cependant, on ne peut calculer la richesse d’un peuple uniquement en termes de dollars et de pesos. Nous souhaitons une ouverture plus large qui, nous l’espérons, incitera à un rapprochement généralisé entre le Chili et le Québec, notamment dans le secteur de l’éducation. Un peu partout dans le monde, ces dernières années, les gouvernements et la société civile ont reconnu l’éducation et la formation comme des secteurs névralgiques dans le cadre de la mondialisation. Dans ce contexte, les établissements d’enseignement supérieur québécois ont la volonté d’amorcer ou d’intensifier les échanges de connaissances, le partage des compétences, en plus de favoriser la mobilité étudiante. Les universités québécoises et les universités chiliennes ont déjà conclu 31 ententes de coopération dans des domaines tel que l’administration publique, la foresterie et la géomatique. Je souhaite ardemment que, de cette mission, émergent de nouvelles alliances et d’autres projets innovateurs. Le Québec est le seul État d’Amérique du Nord où le français est la langue officielle et commune. Parce que nous ne représentons que 2 % de la population du continent, nous comprenons parfaitement les réticences légitimes, exprimées ici et là, concernant l’impact de l’intégration économique sur la diversité culturelle et sur la capacité des États de faire des choix sociaux, culturels et économiques. Les nations ont raison de vouloir vendre leurs produits, mais elles ont aussi raison de ne pas vouloir perdre leur âme. Se rapprocher ne veut pas dire se confondre. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’intégration économique et le respect des identités nationales et de la diversité culturelle. En plus de sa délégation générale à Mexico, le Québec compte des représentations en Argentine, au Costa Rica, au Venezuela, au Pérou et en Colombie. Ici, à Santiago, nous maintenons un bureau qui, dirigé par Mme Paulina Del Villar, ne ménage aucun effort pour solidifier et développer nos relations bilatérales. Nous entendons bien renforcer et étendre ce réseau qui témoigne de l’importance que nous accordons à l’Amérique latine. Il ne me reste qu’à souhaiter la meilleure des chances à la centaine d’entreprises et d’institutions québécoises présentes et aux nombreux partenaires potentiels de votre pays qu’elles ont déjà rencontrés. Puissent vos échanges déboucher sur des discussions fructueuses et mutuellement profitables. [Muchas gracias !]

[BOUC=20000525]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Remise des insignes de l’Ordre national du Québec – Québec – 25 mai 2000]
Madame le lieutenant-gouverneur,
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Madame la représentante du Chef de l’opposition,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président du Conseil de l’Ordre,
Distingué-es invité-es,
Depuis maintenant quinze ans, la cérémonie de remise des insignes de l’Ordre national du Québec revêt un caractère prestigieux puisqu’elle nous permet d’honorer des femmes et des hommes qui excellent dans leur milieu respectif.
Se trouver parmi eux est une chance.
Pouvoir les rassembler en un seul lieu, un défi.
Les célébrer comme il se doit, un devoir.
Ces personnes, qui deviennent aujourd’hui membres de l’Ordre national du Québec, représentent pour le peuple québécois des modèles, des exemples grâce auxquels le Québec se distingue sur tous les plans et sur tous les continents.
Au nom de la population du Québec, il me fait grand plaisir de leur rendre hommage. D’abord, à titre de Grand officier:
Monsieur Gilles Vigneault
Quand vous êtes parti de Nathasquan pour venir étudier à Québec, vous aviez déjà une bonne idée de la force du vent et de celle des mots.
Vos parents, eux, avaient déjà une bonne idée du talent qu’ils vous avaient donné. Au moment de quitter la maison familiale, ils vous ont dit, chacun à sa manière, les espoirs qu’ils fondaient en vous.
D’abord, votre mère qui, le soir, vous prenant à part, vous a murmuré à l’oreille: « tâche de nous faire un peu honneur ». Et puis votre père qui, le lendemain matin, vous arrête sur la galerie de la cuisine d’été et vous adresse une exhortation encore plus sobre: « mon fils, essaye de ne pas trop nous faire honte ».
Depuis, le vent du large n’a pas cessé de vous promener d’un bout à l’autre des deux mondes: celui des embruns et des couchers de soleil et l’autre que vous portez en vous, c’est-à-dire le même, puisque les deux se rejoignent dans votre poésie.
Vous nous avez laissé entrevoir cet univers, peuplé de personnages à la recherche de l’ailleurs, des personnages qui s’émerveillent, se consument d’amour, souffrent, meurent et vivent. Combien de jeunes Québécoises ne se sont-elles pas émues des tourments de Jack Monoloy? Et qui, parmi les jouvenceaux que nous avons été, et encore parmi ceux d’aujourd’hui, ne rêvent pas de la Mariouche?
Gilles Vigneault, vous êtes de tous nos anniversaires. Vous voici inséparable du Québec, de ses élans, de ses accalmies. De votre voix éraillée, sans doute d’avoir trop lutté contre les vents contraires, vous avez chanté ce pays qui n’est pas un pays, qui n’en est pas un encore, mais qui sait, qu’après l’hiver, viendra le printemps de tous les espoirs.
Les gens du pays de Nathasquan ont le sens de la durée. À commencer par votre mère, décédée à l’âge de 101 ans, avec la certitude que son fils n’a pas trop fait honte à la famille et qu’il résistera aux honneurs qu’elle a souhaités pour lui.
Monsieur Gilles Vigneault, j’ai l’honneur de vous nommer Grand Officier de l’Ordre national du Québec.
J’accueille à présent les nouveaux officiers de l’Ordre:
Monsieur André Bérard
Monsieur Bérard, vous avez pris plaisir à accomplir de grandes choses et à voir grandir une institution que vous servez depuis 1958. Vous êtes à présent président et chef de la direction de la Banque nationale. Vous en avez gravi tous les échelons, un à un, toujours avec la ferveur qui vous anime. Votre ardeur au travail n’a jamais terni votre bonne humeur. Une bonne humeur qui se dégage dans toutes vos rencontres, même sur les sujets les plus sérieux. Ce plaisir au travail est sans aucun doute une autre de vos valeurs sûres.
Votre présidence a également été marquée par de nombreuses acquisitions qui ont permis à cette grande institution financière québécoise d’étendre ses activités et de mettre en place un réseau de succursales et de filiales à l’étranger. Vous êtes aussi un acteur de premier plan dans le développement économique du Québec par le financement des PME. Vous êtes également un homme d’action et de cœur par votre engagement bénévole dans un grand nombre d’organismes. Pour ma part, je n’oublierai pas le rôle essentiel que vous avez assumé dans les sommets économiques de Québec et Montréal en 1996. Tous ont pu admirer votre détermination à assurer, à la fin de l’exercice, la conclusion des consensus sociaux, notamment par le Fonds de lutte à la pauvreté.
Monsieur André Bérard, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.
Monsieur Louis Bernard
Rien de plus sûr pour juger du caractère d’un homme que d’examiner ses actions et ses œuvres. Les vôtres, monsieur Bernard, témoignent d’une remarquable fidélité à vos convictions. Souverainiste convaincu, vous avez décidé en 1972 d’offrir vos services à Monsieur Camille Laurin, alors chef de l’Opposition officielle. Vous-mêmes docteur en droit du London School of Economics, vous étiez un jeune fonctionnaire prometteur et déjà remarqué.
En 1977, alors que vous occupiez le poste stratégique de chef de cabinet du premier ministre Monsieur René Lévesque, vous n’hésitiez pas à quitter ce poste pour vous consacrer à la préparation de la loi sur les consultations populaires.
En 1995, vice-président d’une banque, vous acceptiez de quitter ce poste pour revenir auprès du premier ministre Monsieur Jacques Parizeau, en vue de la préparation du référendum annoncé.
Malgré votre appartenance publique à une famille politique, vous avez réussi, comme haut fonctionnaire, à susciter le respect et l’amitié des acteurs de tous les partis politiques ainsi que des membres de la fonction publique.
L’État n’a pas de secret pour vous. Vous connaissez dans ses moindres dédales ce que l’on appelle communément la machine gouvernementale. Précurseur à plusieurs égards, vous vous êtes fait l’avocat d’une fonction publique québécoise moderne et dévouée au service de la population. Vous avez été au cœur des grandes mutations de l’État québécois et avez maintes fois démontré vos remarquables qualités de négociateur.
Ceux qui vous ont côtoyé savent que vous avez toujours travaillé en vue du bien du Québec et de ses concitoyens, avec intégrité, intelligence, persévérance et dans le respect absolu des personnes. C’est ce qu’on appelle communément avoir le sens de l’État.
Monsieur Louis Bernard, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Paul Cartier
Votre carrière en chirurgie cardio-vasculaire s’étend sur un demi-siècle de l’histoire de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Vous avez aussi fondé le service de chirurgie cardiaque pédiatrique à l’Hôpital Sainte-Justine. Plusieurs de vos interventions en chirurgie cardiaque pour les adultes ont été des premières au Canada. Vous êtes devenu un chef de file en chirurgie vasculaire tant au niveau national qu’international. Votre réputation déborde largement nos frontières. Vous avez formé bon nombre de chirurgiens à qui vous avez su également inculquer le respect du patient et le dépassement de soi. Votre spécialité demandant beaucoup de dextérité et de minutie, on pourrait croire que ces qualités ont quelque chose d’héréditaire puisque vous avez trois fils qui assurent votre relève.
Monsieur Paul Cartier, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Paul-André Crépeau
Professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université McGill, vous avez joué un rôle de premier plan dans l’enseignement du droit au Québec. C’est en droit civil que vous avez fait votre marque. La direction du comité de rédaction du Dictionnaire de droit privé et vos écrits ont fait de vous une autorité de la tradition civiliste au Québec. En 1975, vous fondiez le Centre de recherche en droit privé du Québec qui a notamment permis la publication du Traité de droit civil. La communauté juridique vous reconnaît comme le père spirituel du nouveau Code civil puisque, à titre de président de l’Office de révision du code, vous avez dirigé cette vaste opération de réforme et de refonte du droit civil au Québec. Le rapport de vos travaux déposé à l’Assemblée nationale en 1978 a mené à l’adoption d’un nouveau Code civil en 1991. L’extraordinaire qualité du travail accompli se mesure au peu d’amendements apportésdepuis l’introduction de ce nouveau code. Monsieur Paul-André Crépeau, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Jean H. Dussault
Docteur Dussault, l’endocrinologie est votre spécialité. Professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université Laval, vous avez mis au point un test de dépistage de l’hypothyroïdie congénitale pour tous les nouveau-nés du Québec. Ce test est maintenant utilisé à travers le monde et permet de faire un dépistage précoce chez les nouveau-nés et les sauver d’un retard mental irrémédiable.
Vous avez apporté à la recherche en médecine génétique une indispensable contribution. Vos travaux ont permis à des dizaines de milliers d’enfants de mener une vie normale et active. Vos recherches vous ont aussi valu plusieurs prix prestigieux de niveau international dont le prix ISNS-Wallace Robert Gutherie en 1999. Vous avez même été mis en nomination en 1982 pour le prix Nobel de médecine. Aujourd’hui, c’est au tour du Québec tout entier de souligner vos remarquables mérites.
Monsieur Jean H. Dussault, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Madame Denise Filiatrault
Depuis que le plateau Mont-Royal vous a vu naître, que ce soit en tant que comédienne, auteure, scénariste, metteure en scène ou encore en tant que cinéaste, vous avez conquis de haute lutte l’admiration et l’affection du peuple québécois. De Moi et l’autre à la télévision, en passant par Le bourgeois gentilhomme, au théâtre, ou Laura Cadieux au cinéma, votre carrière est une série de succès artistiques. Votre art est méticuleux, généreux et surtout riche de votre grande expérience.
Votre carrière extraordinairement dense, vous l’avez d’abord bâtie sur l’immense respect du public dont vous avez toujours su faire preuve. Vous avez réussi, avec brio, tout ce que vous avez abordé dans le merveilleux monde du théâtre. La passion qui vous anime est source d’inspiration pour les comédiens que vous dirigez avec amour et compétence. Vous comptez déjà parmi les plus grands du théâtre et de la comédie québécoise.
Madame Denise Filiatrault, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Ronald Melzack
Mondialement reconnus, vos travaux de recherche sur la douleur ont révolutionné toutes les conceptions existantes et ont apporté une vision radicalement nouvelle dans ce domaine. Le développement du McGill Pain Questionnaire est considéré aujourd’hui comme l’instrument de mesure de la douleur le plus utilisé au monde. Vos travaux sur la douleur et son traitement ont été récompensés par de nombreux prix prestigieux.
[A background in sciences and psychology is not sufficient to explain the phenomenon of pain. It requires empathy and intelligence. Your audacious « gate-control theory » of pain was not unanimously endorsed right at the beginning. You persevered, however, and became a pioneer in the research on pain. The McGill Pain Questionnaire you developed has become the most widely used measuring instrument of pain in the world.]
Rarement pourra-t-on dire d’un homme avec autant d’à-propos qu’il a consacré sa vie à lutter contre la douleur et la misère humaine.
Monsieur Ronald Melzack, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Gilles Pigeon
Monsieur Pigeon, vous êtes médecin, néphrologue, humaniste, réformateur de la pédagogie médicale. Vous êtes aussi le « père de la Faculté de médecine de Sherbrooke ». Votre réforme de la pédagogie médicale a fait école dans de nombreuses facultés. Vous vous êtes, entre autres, voué au développement pédagogique et informatique des facultés de médecine des pays d’expression française d’Afrique. Plusieurs pays ont reconnu votre apport en vous décernant leur plus grande distinction honorifique, dont la France qui vous a nommé commandeur de l’Ordre des Palmes académiques. Votre contribution à l’amélioration de la qualité de l’exercice de la médecine au Québec est exceptionnelle.
Monsieur Gilles Pigeon, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur David J. Roy
Vous êtes l’initiateur de la bioéthique au Québec et reconnu comme un chef de file dans le monde en plus d’être le fondateur du Centre de bioéthique à l’Institut de recherches cliniques de Montréal.
Aussi à l’aise en mathématiques qu’en philosophie, vous avez le courage de vos opinions et savez les exprimer clairement. C’est une contribution remarquable, quand on connaît les débats fondamentaux et les controverses qui entourent souvent les questions bioéthiques et les problèmes qui se posent en médecine, en recherche et en enseignement. Par vos larges connaissances, vous apportez de la lumière à ceux qui évoluent dans ces domaines d’activités.
Monsieur David J. Roy, il me fait plaisir de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Richard Verreau
L’art de Richard Verreau le place parmi les grands chanteurs lyriques de sa génération. Disciple de Beniamino Gigli, ténor comme lui, il a très tôt brillé sur toutes les grandes scènes du monde.
Sa première apparition au Métropolitan Opera dans le rôle de Faust, de Gounod, l’a fait comparer le lendemain à Caruso par un critique new yorkais. Partout on a loué sa voix expressive, puissante, agile et colorée qui atteint avec aisance et pureté les plus hautes notes du répertoire. Le temps manque ici pour rapporter ses succès et les publics qu’il a conquis dans les plus prestigieuses maisons d’Opéra.
Cette mystérieuse convergence de talent, d’âme et de génétique tient du destin. Mais ce don fut tragiquement enlevé à Richard Verreau, en plein essor de carrière. Aux joies pures de l’excellence et des sommets a succédé le drame d’une voix brisée par un sort impitoyable. Richard Verreau, vous avez trouvé en vous-même et dans l’amour de votre femme, et sans doute, dans la musique, le courage de poursuivre votre vie d’homme, de mari et de père.
Votre voix, admirable et rayonnante, survit dans sa jeunesse éternelle par la magie du disque. Faust, si souvent incarné par Richard Verreau a gagné son pari contre Mephistopheles, à qui Joseph Rouleau, votre ami et autre Officier de l’Ordre national du Québec, a fréquemment prêté sa voix de basse.
Monsieur Richard Verreau, j’ai l’honneur de vous nommer Officier de l’Ordre national du Québec.

J’accueille maintenant les nouveaux Chevaliers de l’Ordre, en commençant par:
Madame Denise Bombardier
Depuis plus de 25 ans, vous concevez et animez des émissions de télévision de grande qualité. Vos reportages, entretiens ou entrevues vous placent en tête de votre profession, tant par la précision de la langue et la clarté des idées que par l’intensité du questionnement. Ce qui exige de vos invités la meilleure préparation possible. Rien n’échappe à la vivacité de votre esprit.
Votre rayonnement dans la francophonie internationale fait honneur au Québec. Vous avez collaboré au journal Le Monde, aux magazines Le Point et l’Express. Vous avez publié La voix de la France, un essai paru chez Laffont en 1975 et vous êtes l’auteure de six romans. Parmi eux, je citerai Une enfance à l’eau bénite, portrait saisissant du Québec qui trace aussi l’itinéraire d’une femme sensible, lucide et déterminée. La force de votre personnalité et votre talent d’écrivaine vous ont valu, en 1993, la nomination de Chevalier de la Légion d’Honneur française.
Madame Denise Bombardier, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Soeur Jeanne-d’Arc Bouchard
Vous êtes infirmière et religieuse Augustine de la Miséricorde. Sœur Jeanne-d’Arc Bouchard, votre engagement auprès des plus faibles et des plus démunis vous ont amené auprès des alcooliques et toxicomanes. Vous avez fait œuvre de pionnière en matière de réadaptation des toxicomanes. Vous y avez mis tout votre cœur et toute la compassion nécessaire pour instaurer le premier programme d’aide aux personnes atteintes et à leurs familles. Votre courage et votre ouverture d’esprit sont toujours présents à la mémoire de ceux qui travaillent à l’unité de réadaptation Saint-Antoine de l’Hôtel-Dieu de Roberval. L’équipe que vous avez formée assure la pérennité de votre œuvre.
Sœur Jeanne-d’Arc Bouchard, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Jean-Marie de Koninck
Professeur titulaire au Département de mathématiques et de statistiques de la Faculté de sciences et de génie de l’Université Laval, vous êtes aussi très engagé dans le sport amateur. C’est d’ailleurs en cherchant un moyen de financement pour l’équipe de natation de l’Université Laval que vous est venue l’idée remarquable de l’Opération Nez rouge. Cette idée a fait du chemin depuis 1984, si bien qu’aujourd’hui Opération Nez rouge a, partout où elle se tient, une indéniable portée humaine et bénéficie de la participation bénévole de 45000 Québécoises et Québécois. Cette idée brillante sauve des vies chaque année. Elle souligne aussi, dans les fêtes de Noël, nos valeurs d’humanité et de partage.
Monsieur Jean-Marie de Koninck, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Louis Dionne
Au sommet d’une fructueuse carrière de chirurgien et de professeur, docteur Louis Dionne, vous avez enrichi le Québec d’une œuvre exemplaire: en 1985, avec le support de votre épouse, vous créez la Maison Michel Sarrazin. Première du genre dans le monde francophone, la maison accueille gratuitement les cancéreux en phase terminale. Elle produit un grand impact social et humanitaire. On y vient de partout pour étudier ses méthodes et sa philosophie. Docteur Dionne, vous avez toujours su faire preuve d’une réelle compassion vis-à-vis des malades et votre sensibilité a donné le jour à ce havre de paix où des hommes et des femmes viennent, dans la tranquillité, affronter le mal qui les habite. C’est avec générosité que, tout au long de votre vie, vous avez exercé votre profession. Vous êtes également président-fondateur de l’Association québécoise des soins palliatifs.
Monsieur Louis Dionne, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Richard Garneau
Vous avez participé 17 fois à la couverture des Jeux Olympiques ce qui constitue, sans aucun doute, un record mondial. En réalité, votre carrière s’étend sur presque toute l’histoire de la télévision en reportages sportifs. Vous avez été témoin des victoires d’une pléiade de champions. De Abébé Bikila à Myriam Bédard, en passant par Gaétan Boucher, vous avez su vous émerveiller de ces formidables performances, en nous communiquant l’émotion de la victoire et l’importance de la participation dans les épreuves sportives.
Animateur passionné tant dans la description d’un match de hockey que dans la couverture des Jeux olympiques, vous avez porté haut et loin le respect de la langue française. Auteur de cinq ouvrages, vous dépeignez avec finesse l’histoire de la télévision sportive du Québec. En 1999, vous avez été intronisé au Temple de la renommée du hockey.
Monsieur Richard Garneau, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Madame Germaine Huot
Madame Huot, vous êtes une des pionnières de l’orthophonie et de l’audiologie au Québec. En 1956, vous avez participé à la création du premier programme de formation de maîtrise à l’Université de Montréal et vous l’avez dirigé jusqu’en 1961. Femme engagée, vous n’avez pas hésité à parcourir le Québec pour la création de nouveaux services d’orthophonie. Attachée au développement de votre profession et veillant à ce que les hauts standards de qualité soient toujours respectés, vous avez réussi en 1963 à convaincre le gouvernement du Québec d’encadrer par loi la pratique de l’orthophonie et de l’audiologie. L’Ordre des orthophonistes et audiologistes a créé le Prix Germaine Huot pour reconnaître l’excellence des réalisations professionnelles dans ce domaine. Après vos pairs, c’est maintenant à la population du Québec de souligner vos réalisations.
Madame Germaine Huot, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Gilles Lamontagne
Monsieur le Maire, comme beaucoup de vos concitoyens vous appellent sans doute encore, lors de vos mandats à la mairie de la ville de Québec, de 1965 à 1977, vous vous êtes donné sans compter pour votre ville. Votre passage à la présidence de l’Union des municipalités du Québec a également été très remarqué. Élu député à la Chambre des communes en 1977, vous avez été secrétaire parlementaire du ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources puis ministre des Postes en 1978. Vous avez ensuite été nommé ministre de la Défense nationale et ministre des Affaires des anciens combattants. En 1984, vous êtes devenu lieutenant-gouverneur du Québec jusqu’en 1990. Vous avez consacré l’essentiel de votre vie professionnelle au service de vos concitoyens.
Monsieur Gilles Lamontagne, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Claude Le Sauteur
Artiste peintre, Monsieur Claude Le Sauteur, votre oeuvre s’inscrit dans la continuité des maîtres que vous avez particulièrement affectionnés, dont Jean-Paul Lemieux et Jean Dallaire. Vous êtes enraciné dans Charlevoix, une région magique qui vous inspire. Votre talent rend magnifiquement tout ce qu’elle vous apporte. Toute la luminosité et les couleurs de cette fabuleuse région resplendissent dans votre art.
Vous avez participé à plusieurs expositions, individuelles ou collectives, notamment à la Bibliothèque nationale à Ottawa, à celle de Québec et au Centre culturel canadien à Paris. Plusieurs de vos œuvres picturales font l’objet de collections privées.
Monsieur Claude Le Sauteur, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Madame Monique Lecours
Avicultrice, maraîchère et instigatrice de la vente au détail, vous avez fondé l’Association de promotion et de reconnaissance du travail des collaboratrices dans l’entreprise familiale. Tous vos efforts ont contribué à faire de l’agriculture québécoise l’un des secteurs de l’économie où les droits économiques des femmes ont le plus progressé.
Vous avez également participé à la création de la Fédération des agricultrices du Québec. Vous êtes, Madame Lecours, une militante qui avez su, grâce à votre courage, concilier une multitude d’activités. Votre feuille de route est exemplaire tant par le nombre de fonctions que vous avez assumées au sein de votre communauté, que par votre engagement pour faire une place aux femmes dans l’agriculture. À ce propos, vous avez été la première présidente de l’Union des producteurs agricoles de Rouville, et vous avez aussi été la première agricultrice à siéger à l’exécutif de la fédération de l’Union des producteurs agricoles de Saint-Hyacinthe.
Madame Monique Lecours, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Clément Marchand
À 19 ans, vous étiez déjà journaliste. À vingt ans, un poète se révélait à ses lecteurs. C’est en effet à cet âge que vous avez écrit Les soirs rouges, considéré comme une œuvre marquante de l’art poétique. Vous faisiez ainsi preuve d’une précocité littéraire hors du commun.
Également imprimeur et éditeur, vous avez publié près de 300 ouvrages historiques et littéraires, dont ceux de Félix Leclerc, Alphonse Piché, Gérald Godin et bien d’autres. Nérée Beauchemin vous a conseillé, Albert Tessier vous a accueilli à la Société royale du Canada et Alfred Desrochers a entretenu une correspondance avec vous de 1931 à 1949. Ils ont eu raison, puisque, à votre tour, vous avez fait connaître à un plus large public la littérature des auteurs d’ici.
Monsieur Clément Marchand, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Monsieur Ben Weider
Monsieur Ben Weider est un passionné, un entrepreneur, un visionnaire.
Visionnaire, il l’a été par le rôle qu’il a joué dans la promotion du culturisme. Il y a constamment recherché un retour à l’humanisme gréco-romain qui a toujours associé la santé du corps à celle de l’esprit. Pionnier de la Fédération internationale de culturisme, il a obtenu pour elle une reconnaissance officielle aux jeux olympiques de 2004.
L’entrepreneur s’est manifesté dans l’éclatant succès de son organisation commerciale qui distribue une gamme de suppléments alimentaires à l’échelle internationale.
Il lui restait assez d’énergie et de temps pour s’adonner à sa passion pour l’histoire de Napoléon. Féru d’histoire, collectionneur, auteur, c’est l’un de nos meilleurs connaisseurs de l’épopée napoléonienne. Il en a refait le parcours jusqu’à Sainte-Hélène, prison et tombeau de son héros.
150 ans plus tard, vous, Ben Weider, avez réuni des experts en toxicomanie et soutenu avec conviction la thèse de l’empoisonnement de l’Empereur. Remarquable contribution à la connaissance de ce grand destin.
Monsieur Ben Weider, j’ai l’honneur de vous nommer Chevalier de l’Ordre national du Québec.

Quelques personnalités absentes aujourd’hui ont été aussi nommées. Ce sont:
Madame Marcelle Ferron,
Monsieur Charles Taylor,
Monsieur Réjean Ducharme,
Monsieur Hartland de Montarville Molson,
Madame Lise Watier,
Monsieur John Joseph Jonas,
Madame Julie Payette
et Madame Léa Roback
Ces personnalités recevront leur insigne au cours d’une cérémonie ultérieure.
À eux et à vous toutes et vous tous ici présents, je vous adresse nos plus vives félicitations.
Je vous remercie.

[BOUC=20000530]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Visite du Président de la République Grecque au centre communautaire Canada-Grèce – Montréal – 30 mai 2000]
Monsieur le Président, Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président de la Communauté hellénique de Montréal, Monsieur les Ministres, Monsieur le Député, Mesdames et Messieurs, II me fait plaisir, Monsieur le Président, de vous accueillir ici, au Québec. Comme vous avez pu le constater, il y a à Montréal une communauté grecque forte, vibrante, et bien enracinée, dont la présence remonte au XIXe siècle. Les membres de cette communauté sont venus s’établir chez nous, en terre d’Amérique, par vagues successives, jusqu’à tout récemment. Ces nouveaux Québécois d’origine grecque se sont d’autant plus facilement enracinés qu’ils partageaient avec nous un attachement profond aux valeurs démocratiques.
Ces immigrants ont enrichi la culture et la société québécoises de diverses façons, notamment grâce au dynamisme économique dont ils font preuve. À cet impact économique, il faut ajouter une importante contribution scientifique et universitaire.
La communauté hellénique québécoise arbore fièrement ses couleurs qui, incidemment, sont aussi celles du fleurdelisé! En évoquant cette image, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour le regretté Gérald Godin, qui avait su tisser des liens étroits avec la communauté grecque du Québec, qu’il représentait avec fierté à l’Assemblée nationale.
Un bel exemple de l’intégration réussie de la communauté grecque est le fait qu’elle ait adopté, en 1972, le français comme langue d’enseignement dans ses écoles. Il faut souligner que cette décision fut prise avant même que le français soit décrété langue officielle du Québec et plusieurs années avant l’adoption de la loi 101.
Un autre aspect du succès de la communauté hellénique du Québec consiste en sa capacité à intégrer la réussite sociale à la cellule familiale. Cette capacité lui a permis de dépasser l’individualisme étroit, auquel trop souvent la notion de succès est associée, et est devenue un pont additionnel avec la majorité francophone qui croit, elle aussi, aux réalisations collectives. Nous apprécions au plus haut point la contribution de notre communauté hellénique, ainsi que l’apport de sa jeune génération, dont une grande partie est trilingue. Cette aptitude linguistique est à la fois une source de fierté et un gage de réussite personnelle et professionnelle.
De nombreux visiteurs dans votre pays, Monsieur le Président, sont frappés par le sens de l’hospitalité de vos compatriotes. Le ministre délégué à l’Industrie et au Commerce, Monsieur Guy Julien, vient de diriger une délégation de gens d’affaires en Grèce, et je peux vous dire qu’il est encore sous le charme. Le Québec a été chaleureusement reçu chez vous, et je voulais, Monsieur le Président, vous en remercier personnellement. Je suis convaincu que les retombées économiques de cette mission seront mutuellement profitables.
Tout à l’heure, j’ai évoqué l’attachement à la démocratie que nous partageons et qui nous unit au-delà de la filiation de civilisation évidente. La démocratie est une idée grecque. Autrefois, nous disions que la Grèce est le berceau de la démocratie; aujourd’hui, nous dirions, en termes plus contemporains, qu’elle en fut le premier laboratoire.
L’idéal démocratique, peaufiné dans la prestigieuse Athènes, a inspiré les plus grandes démocraties occidentales et de nombreux peuples du monde. C’est ce même idéal, cette soif de liberté, stimulée par les expériences américaine et française, qui, à son tour, a inspiré la nation grecque dans la reconquête de sa souveraineté entre 1821 et 1832.
Les Québécois souscrivent à l’idéal démocratique. Ils entrevoient leur avenir comme une société libre, ouverte sur le monde. Le gouvernement que je dirige prône l’intégration économique, car il ne fait nul doute que la libéralisation des échanges engendre une plus grande richesse collective.
La Grèce a grandement bénéficié de son appartenance à l’Union européenne. Vous pourriez même bientôt faire partie de la zone euro. Voilà qui est conforme à l’esprit de notre temps!
Par contre, tout ne doit pas être sacrifié à une mondialisation débridée. Il est légitime de s’interroger sur les incidences politique, sociale et culturelle de ce phénomène incontournable dont les effets doivent être maîtrisés.
Pour bénéficier pleinement des fruits de la mondialisation, il faut que soit défini un espace dans lequel chaque peuple saura que son identité nationale et sa spécificité culturelle seront préservées. Les États doivent conserver la capacité de prendre des décisions adaptées à leurs réalités propres, à leurs traditions et aux aspirations collectives de leurs citoyens. Je le dis ici, comme je l’ai dit à Paris, à New York et à Mexico: un nombre croissant de nations, dont le Québec, disent oui à l’économie de marché, mais non à la société de marché. Les nations veulent vendre leurs biens, mais elles ont le droit et le devoir de conserver leur âme.
Il faut, et c’est crucial, trouver un équilibre entre l’intégration économique et la préservation de l’identité. C’est pourquoi, de plus en plus au Québec, les yeux se tournent du côté de l’Union européenne. La place que la Grèce y a trouvée est une démonstration de l’heureux mariage possible entre le supranational et la nation. Comme je l’ai dit précédemment, votre pays a profité de son appartenance à l’Union européenne, mais n’est pas moins fièrement grec pour autant.
En s’inspirant de l’exemple de la grande civilisation dont vous êtes le représentant, Monsieur le Président, le Québec désire se joindre à la Grèce, au sein de la communauté des nations, pour mener le combat de la diversité culturelle. Je sais que cette question préoccupe le gouvernement de votre pays. Comme vous, le Québec croit que ce combat peut être mené dans le respect et même en association avec ses voisins.
Dans le même esprit, les Québécoises et les Québécois souhaitent accueillir la communauté grecque qui partage son destin sous le drapeau où nous pourrons tous nous reconnaître, celui de la démocratie et de la liberté.
C’est à cet idéal que le Québec aspire, et je suis convaincu, Monsieur le Président, que vous comprendrez la vision qui nous anime.
Je vous souhaite une agréable fin de séjour au Québec.
Je vous remercie!

[BOUC=20000608]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Inauguration de la statue de Jean Lesage – Québec – 8 juin 2000]
Madame Lesage, les membres de la famille et tous les amis présents,
Monsieur le Président,
Monsieur le Chef de l’opposition officielle,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Chef de l’Action démocratique, Chers collègues de l’Assemblée nationale,
Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le Président de la Commission de la capitale nationale, Monsieur le Président du Comité des amis de Jean Lesage, Mesdames et Messieurs, Je voudrais d’abord remercier la Commission de la capitale nationale du Québec ainsi que le Comité des amis de Monsieur Jean Lesage, regroupés autour de leur président, Monsieur Raymond Garneau, de nous permettre de rendre hommage aujourd’hui à ce grand premier ministre que fut Jean Lesage. Les bronzes des premiers ministres Johnson et Lévesque ont été dévoilés l’an dernier. Aujourd’hui, nous posons ce geste pour Monsieur Lesage, comme nous le ferons cet automne pour Monsieur Adélard Godbout. Ces instants de mémoire sont bien à la hauteur de notre devise « Je me souviens ». L’occasion ne permet pas de faire un retour sur l’ensemble de la carrière de Monsieur Lesage et sur toutes les dimensions de son apport à la construction de la société québécoise. Ce qui m’apparaît essentiel de rappeler ce matin, c’est que, sous la gouverne de ce premier ministre, le Québec est entré de plain-pied dans la modernité, sous l’impulsion d’une vaste réforme tant sociale, culturelle qu’économique. Cette révolution, qu’on a qualifiée de tranquille, parce qu’elle s’est faite avec un grand consensus, était certes le résultat du bouillonnement intellectuel des années 50, auquel Monsieur Lesage avait participé bien sûr. Toutefois, c’est lui qui la mena de main de maître, grâce à sa vision, à sa volonté politique, à l’équipe exceptionnelle de ministres qu’il a constituée et aux éminents conseillers qu’il a recrutés. Jamais un gouvernement québécois n’avait innové en si peu de temps, et chacune des décisions de cet homme a posé des jalons pour le cheminement du peuple québécois: dans le secteur de l’éducation: mise en place de la commission Parent, suivie de la création du ministère de l’Éducation; dans le secteur administratif: rénovation de la Commission du service civil qui permit de bâtir une fonction publique professionnelle; mise sur pied du Conseil de la trésorerie, l’ancêtre de notre bien-aimé Conseil du trésor; dans le secteur social: instauration du régime d’assurance-hospitalisation; adoption d’un nouveau Code du travail et établissement de mesures sociales pour venir en aide aux démunis; dans le secteur culturel: création du ministère des Affaires culturelles et ouverture de la maison du Québec à Paris; dans le secteur économique: nationalisation de l’électricité, instauration de la Régie des rentes, de la Caisse de dépôt, de la Société générale de financement.

La liste est longue et est extraordinaire. Elle constitue une œuvre politique remarquable qui appartient à toutes les Québécoises et tous les Québécois puisque cet homme a tout rendu possible pour eux.
Autant de réformes qui contribuèrent à créer le nouvel État du Québec et qu’avaient annoncées le slogan « c’est le temps que ça change » de l’élection de 1960 et encore mieux le « Maître chez nous » de l’élection de 1962. Comme on l’a dit – l’expression revient souvent sous la plume des historiens et, encore aujourd’hui, elle a été mentionnée-, Monsieur Lesage fut un grand chef d’orchestre. Pourquoi? Parce qu’il avait beaucoup d’instrumentistes devant lui, de grands talents avec des idées, de l’ardeur, et que cela prend un grand chef d’orchestre pour maintenir l’harmonie et faire émettre de beaux sons à ce genre d’équipe. Ce qui fut le cas. Grâce à son charisme et à son remarquable pouvoir de conviction, il savait rejoindre ses concitoyennes et ses concitoyens et obtenir leur adhésion. C’est un homme qui, en plus, avait une prestance extraordinaire, une personnalité remarquable. C’était aussi un magnifique orateur. On sait que l’histoire politique du Québec, pendant très longtemps, a été marquée par des orateurs politiques de premier plan. Monsieur Lesage était de cette école, de cette discipline et de ce talent. Quand j’étais jeune homme, à Chicoutimi, je me rappelle de l’avoir entendu, un dimanche. Il était venu faire une assemblée politique. J’avais été absolument fasciné par sa capacité d’improviser, sa maîtrise de la langue. C’est un homme qui avait le plus grand respect pour la langue française, qui la maîtrisait et qui, en même temps, la parlait d’une façon très imagée, très convaincante, et qui savait électriser les salles et les très nombreuses audiences qui l’ont entendu. J’ai parlé de sa prestance. On a parlé tout à l’heure de la récupération qu’un certain parti politique de l’époque avait faite du drapeau québécois. Je me souviens que, quand j’étais étudiant, ici, à l’Université Laval, Monsieur Lesage était venu s’adresser à nous dans l’édifice Pollack. J’étais dehors quand il est arrivé, dans la masse d’étudiants qui l’attendait, et j’ai vu la limousine du gouvernement avec le drapeau du Québec et Jean Lesage qui en est sorti. On n’avait pas l’impression que le drapeau était le drapeau d’un parti politique, on savait que c’était le drapeau qu’exhibait avec fierté un grand premier ministre au-dessus des partisanneries.
Monsieur Lesage souhaitait tout autant que les Québécoises et les Québécois s’ouvrent au monde, notamment francophone. Il avait la conviction que le maintien de liens étroits avec la France contribuerait à la préservation de notre langue française et à l’enrichissement de notre culture francophone.
Il fonda, bien sûr, la délégation du Québec à Paris, et tout le monde se rappelle de cette prestation extraordinaire qu’il avait eue à l’Élysée – vous deviez y être, Madame – quand il avait, à ce dîner officiel qu’on avait tenu pour lui – le général De Gaulle était là, André Malraux était là – Monsieur Lesage s’était levé et avait prononcé un toast- on en avait eu des extraits à la télévision, je l’avais entendu moi-même, absolument remarquable, où il avait cité Beaudelaire, si je me rappelle bien, et il l’avait fait avec un éclat, une facilité, une maîtrise de la langue, dont tous les Québécois étaient fiers, sachant qu’il l’avait fait devant les Français. Et devant un spectateur qui n’était pas médiocre, qui s’appelait André Malraux.
Il avait la conviction que le maintien de liens étroits avec la France contribuerait à la préservation de notre langue française, comme je l’ai dit, et c’est à Paris qu’il a amorcé la mise en place de ce réseau de délégations du Québec à l’étranger. Avec la contribution de Georges-Émile Lapalme, Jean Lesage suscita aussi le renouveau durable de la vie démocratique au Québec. Ainsi, en 1960, il se présenta à l’électorat avec des engagements précis qui, comme le dira par la suite René Lévesque, servaient de feuille de route lors des discussions aux séances du Conseil des ministres.
J’ajouterai un souvenir personnel. Je n’ai jamais vraiment rencontré Monsieur Lesage, mais je me souviens que, tout à l’heure, Jules, qui est mon confrère de classe à la faculté de droit – il était de la même classe que nous tous comme il se doit – tu parlais d’une porte. Je me rappelle de l’autre porte, moi, plutôt au centre, parce que le premier discours politique que j’ai prononcé, c’est en face de la porte principale sur le socle du monument autochtone, devant des étudiants du Québec qui étaient venus manifester en soutien de Monsieur Lesage, au printemps de 1964, qui était en discussion avec ses homologues fédéraux et qui, malgré la flexibilité fédérale, rencontrait certaines difficultés. Il appartient à tout le monde Monsieur Lesage maintenant.
Avec la contribution de Georges-Émile Lapalme, il a suscité en effet ce renouveau démocratique et c’est avec lui qu’on a assisté à l’assainissement des mœurs politiques. La première grande démarche d’assainissement des mœurs politiques, de l’abolition du patronage, c’est à Jean Lesage et son parti que nous le devons.
Alors on n’en finirait pas d’épiloguer sur l’importance de cet homme qui appartient à l’histoire et qui, certainement, sera considéré comme un grand constructeur du Québec moderne, du Québec contemporain et du Québec de l’avenir. Il aura ouvert presque toutes les pistes que ses successeurs continueront de suivre pour bâtir un État moderne. Il n’y a pas de doute nous célébrons aujourd’hui la mémoire d’un homme d’État véritable.

[BOUC=20000609]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Inauguration de l’institut national de l’optique – 9 juin 2000]
Monsieur le premier ministre,
Monsieur le Président-Directeur général de l’Institut national d’optique,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
Il y a deux ans, à l’occasion du dixième anniversaire de l’Institut national d’optique, le gouvernement du Québec et celui du Canada Ont, en parts égales, versé 18000000 $ au programme de recherche interne de l’INO. Cet investissement a magnifiquement porté ses fruits. Au vu de ses derniers résultats financiers, l’Institut a augmenté de plus de 56 % ses revenus de contrats de recherche et développement, comparativement aux résultats de l’année précédente. La réputation de l’INO dépasse largement les frontières du Québec. C’est déjà l’un des plus importants centres d’expertise en optique et photonique en Amérique. C’est aussi la seule entreprise canadienne à posséder des installations pour la fabrication de la fibre optique. Son expertise et sa notoriété sont reconnues à travers le monde. Vous venez d’ailleurs d’obtenir de l’Agence Spatiale Européenne un contrat qui porte sur la conception, le développement et la fabrication de dispositifs opto-électroniques miniatures qui seront installés à bord de satellites. C’est une excellente nouvelle. Vous êtes en train de conclure des partenariats importants.
Il faut aussi saluer la formidable contribution de l’Institut à l’essor industriel et à la diversification économique de la région de Québec. Déjà, plus d’une dizaine d’entreprises spécialisées en fibre optique ont été créées dans la région par d’anciens employés de l’Institut. Grâce à vos travaux d’agrandissement, une centaine de nouveaux postes scientifiques de haut calibre seront créés au cours des prochaines années.
Ces nouveaux locaux permettront donc d’atteindre vos objectifs : tripler vos revenus de contrats avec l’industrie et de ventes à l’étranger et atteindre ainsi un chiffre d’affaires de 33000000 $ d’ici cinq ans.
S’adapter, c’est d’abord diversifier son économie. Voilà pourquoi le gouvernement du Québec a contribué à la mise en place de la Cité de l’optique. Le plan de développement stratégique de la Cité de l’optique, élaboré par la Société Innovatech Québec-Chaudière-Appalaches, comprend des engagements fermes de l’industrie elle-même et de la communauté.
Les conclusions de ce plan appellent des actions rapides pour le concrétiser au plus vite. C’est pourquoi j’annonce la nomination, au poste de coordonnateur de la Cité de l’optique, de Régis Labeaume, qui a dirigé l’élaboration de ce plan stratégique.
Monsieur Labeaume devra intensifier les liens entre les acteurs privés et publics concernés. Il devra aussi s’assurer qu’en matière de formation, de création d’entreprises, de financement et de prospection internationale, ce plan devienne réalité dans les meilleurs délais.
La recherche produit une réaction en chaîne. Une découverte suscite des investissements. Ces investissements permettent d’embaucher plus de chercheurs, lesquels augmentent les découvertes. Au final, tout cela se traduit par une plus grande capacité de production, et donc d’exportation.
C’est ce genre de réactions que le gouvernement du Québec recherche et suscite activement. Voilà le but que poursuivent les mesures d’accompagnement des entreprises, présentées dans le dernier budget, et le programme Déclic Québec que nous venons d’annoncer et qui vise à soutenir le démarrage de 2000 nouveaux projets. De surcroît, l’arrivée du NASDAQ à Montréal va favoriser nos entreprises, en leur offrant une visibilité accrue sur les marchés financiers.
Le gouvernement du Québec croit fermement au bien-fondé de cette stratégie de diversification. Les résultats sont là. Il suffit de regarder autour de nous.
Le taux de chômage de la région métropolitaine de Québec est descendu ce matin à 8,1 %, alors qu’il était de 11,3 % en 1994. Pour l’ensemble du Québec, il a également baissé pour atteindre 8,5 %. Quant aux investissements privés dans la région de Québec, ils ont augmenté de 9 % en 1999, pour atteindre 1600000000 $. Ce qui constitue la plus forte hausse depuis huit ans.
Mais on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Les prévisions du Conference Board du Canada font état, pour la grande région de Québec, d’un taux de croissance de 3,1 % pour cette année, grâce, je cite « à la présence accrue d’industries dans le secteur de l’économie du savoir et de la reprise des secteurs traditionnels ».
J’aimerais terminer en vous rappelant qu’en juin et juillet, la région de Québec métropolitain va accueillir une dizaine de conférences internationales qui traiteront de l’optique/photonique et de ses répercussions économiques. Le gouvernement du Québec est fier de s’associer à cet événement.
Ce « Mois de l’optique », qui sera officiellement lancé la semaine prochaine, promet de vous tenir bien occupés. Voilà une belle occasion de renforcer, auprès des visiteurs étrangers, la réputation internationale de l’INO. Une réputation qui nous fait honneur. Un succès magnifique qui ne peut que s’intensifier.
Félicitations et merci!

[BOUC=20000613]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Mise en lumière du parlement – 13 juin 2000]
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Chef de l’Opposition officielle, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les Députés, Monsieur le Maire de Québec, Monsieur le Président de la Commission de la capitale nationale du Québec,
Monsieur le Directeur général adjoint d’Hydro-Québec, Mesdames et Messieurs,
La mise en lumière de l’hôtel du Parlement et des édifices parlementaires qui le jouxtent représente, comme on vient de l’entendre, un atout de taille pour notre capitale et le Québec tout entier. Je veux en votre nom remercier la Commission de la capitale nationale qui, avec le concours de l’Assemblée nationale et d’Hydro-Québec, a conçu et mené à bien cette œuvre, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Québec, avec son passé historique, son architecture pittoresque, ses côtes et ses rues capricieuses, est déjà reconnue comme une ville unique en Amérique du Nord. Cette valeur, elle la tient non seulement du caractère unique de son site, mais bien davantage de sa beauté, qu’ont célébrée, depuis trois siècles, tant d’écrivains et d’artistes.
Je pense entre autres à ces topographes anglais de l’après-conquête qui, par devoir mais avec un émerveillement perceptible, ont fixé sur papier tous les aspects de Québec. Grâce aux graveurs de l’époque, ces merveilleux dessins nous sont revenus de Londres. Je revois aussi ces magnifiques images de Livernois, Notman, Vallée et des autres photographes de la deuxième partie du XXe siècle où la lumière joue un rôle déterminant. Souvenons-nous des clichés du Vieux-Québec où la lumière glisse sur les toitures argent et se joue de l’ombre des rues étroites. Ce soir, nous retrouverons de ces atmosphères lorsque la lumière glissera à nouveau sur les cuivres bleutés du parlement. Avec le plan lumière que la Commission de la capitale nationale a élaboré et qu’elle souhaite compléter d’ici 2008, la renommée de Québec ne pourra que croître et la capitale s’imposer davantage comme une destination incontournable en Amérique. Ces réalisations viennent, bien évidemment, bonifier de façon significative l’offre touristique du Québec et dynamiser notre économie. Rappelons aussi que ces travaux d’aménagement et d’embellissement favorisent une plus grande qualité de vie et un meilleur environnement pour les Québécoises et les Québécois qui vivent ou séjournent dans la capitale nationale. Au cours des dernières années, les édifices de la Colline parlementaire et leurs abords immédiats ont fait l’objet de travaux importants qui mettent en évidence la qualité de cet ensemble architectural peu commun. Les façades éclairées s’animeront, et les passants pourront admirer des édifices très différents de ceux qu’ils perçoivent à la lumière du jour. Vous conviendrez que, dans une ville où il peut faire nuit dès 16 h30, cette contribution à la vie nocturne représente une valeur ajoutée importante. Je ne doute pas que les Québécoises et les Québécois s’approprieront ce nouveau visage que prend leur capitale et qui s’imposera comme une nouvelle signature. Place maintenant à la lumière!

[BOUC=20000616]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Bilan de la fin de la session – 16 juin 2000]
Bonjour, Le leader parlementaire du gouvernement vient de vous présenter le bilan législatif précis de la session parlementaire qui s’achève. Je profite de l’occasion pour remercier Jacques pour son travail efficace qui lui vaut le respect de tous les parlementaires.
La présente session s’est ouverte en mars dernier par le dépôt d’un budget sans précédent. Non seulement nous avons déposé un budget équilibré pour une deuxième année consécutive, mais nous avons réussi, grâce aux efforts consentis par les Québécoises et les Québécois, à dégager des surplus budgétaires. Cela nous a permis de réinvestir massivement en santé et en éducation et d’amorcer une baisse appréciable des impôts.
Vous vous souviendrez aussi que, en mars dernier, le projet de loi 99 était inscrit au feuilleton de l’Assemblée. Les consultations publiques prévues avaient été tenues au mois de février. Après avoir procédé aux amendements nécessaires, nous en avons fait adopter le principe, sur division, mais avec l’appui de deux des trois partis représentés à l’Assemblée nationale. À la session d’automne, le Québec se dotera donc d’une loi définissant clairement ses droits et prérogatives politiques. J’espère toujours que le Parti libéral du Québec, comme il a su le faire cette semaine, acceptera de faire parler le Québec d’une seule voix.
Certaines autres lois d’importance ont été ou seront adoptées. J’en citerai quelques-unes.
La loi créant la Commission métropolitaine de Montréal est incontournable. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur cette loi, et sur celle de même nature portant sur la région de Québec. Bien des informations inexactes ont été véhiculées et ont parfois fait oublier l’intérêt commun. Personne ne peut argumenter bien longtemps contre l’importance de compter sur une région métropolitaine prospère. L’adoption de cette loi permettra à toute cette région d’unir ses forces pour la maintenir dans le peloton de tête des villes nord-américaines.
Quant à la loi créant la Commission métropolitaine de Québec, nous n’avons pu franchir les dernières étapes de son adoption puisqu’il a été impossible de procéder aux consultations publiques avant l’ajournement de nos travaux. Notre détermination est aussi ferme pour Québec que pour Montréal et l’Outaouais. Mais nous tenons à ce que les consultations promises aient lieu. Elles se tiendront le plus rapidement possible.
Le projet de loi 124, qui encadrera notamment les relations de travail lorsque s’opéreront des fusions municipales, a aussi été adopté. L’intégration des différents groupes de travailleurs municipaux impliqués dans une fusion de municipalités, se fera dans un cadre défini et à l’avantage de tous.
Nous avons dû agir aussi dans le secteur des centres hospitaliers. Comme vous le savez, malgré des réinvestissements de 4400000000 $ au cours des deux dernières années, les besoins de notre système de santé augmentent de manière presque exponentielle. Bien que nous ayons été en mesure de soutenir les centres hospitaliers déficitaires, certains n’ont pas effectué leur nécessaire travail de rigueur budgétaire. Par ailleurs, certains autres établissements ont eu l’impression d’être lésés parce qu’ils avaient réussi l’équilibre budgétaire et maintenu la qualité des soins. Le gouvernement s’étant maintenant astreint au respect de l’équilibre budgétaire, il est tout à fait opportun de demander aux gestionnaires concernés de consentir les efforts nécessaires pour respecter les budgets qui leur sont alloués à même les impôts des Québécoises et des Québécois. Bien sûr, le ministère de la Santé et des Services sociaux accompagnera les établissements dans cette démarche et tiendra compte des particularités.
Cette session aura aussi permis de donner force de loi à des initiatives d’importance comme le Fonds jeunesse, constitué à la suite du Sommet du Québec et de la jeunesse.
L’exercice des activités de NASDAQ au Québec est également rendu possible.
L’Assemblée a eu aussi l’occasion de débattre et d’adopter une loi portant sur la confessionnalité de nos écoles. Sur ce dernier point, on me permettra de souligner que ce débat, qui a dépassé largement cette enceinte, s’est fait dans la sérénité et le respect, et que sa conclusion est à l’honneur de la société québécoise. Nous terminons donc cette session printanière dans un climat favorable. L’économie québécoise se porte bien. Le mois dernier, elle a permis la création de 17 400 emplois, tous à temps plein, soit 41 % des emplois créés au Canada. Depuis le début de l’année, la croissance de l’emploi au Québec est supérieure à celle du Canada. Dernièrement, plusieurs journaux américains ont fait l’éloge du Québec et de Montréal. Un magazine spécialisé, WIRED, a recensé 46 technopoles partout dans le monde et classe Montréal au 12e rang pour ses industries de haute technologie. Montréal est au même rang que la ville de New York.
Depuis le début de l’année, en moins de six mois, plus de 42000 personnes ont quitté la sécurité du revenu pour accéder au marché de l’emploi. Plus de 200000 l’ont fait depuis juin 1996, une baisse de 25 %. Il y a quelques jours, la firme Standard and Poor’s maintenait la cote A+ du Québec. Et les perspectives sont bonnes. La Banque Nationale déclare même que l’économie du Québec est celle qui affiche le plus fort momentum parmi les principales régions du Canada. Ces nouvelles sont positives, mais beaucoup reste à faire. Le travail ne manquera pas au cours des prochains mois. Avec l’appui unanime de l’Assemblée et celui de nos partenaires, nous mènerons le combat pour l’avènement d’un régime de congés parentaux au bénéfice des familles québécoises. Il faut souhaiter un retour à la raison du gouvernement fédéral puisque cet entêtement n’est pas justifié. Les Québécoises et les Québécois méritent mieux que cela. C’est pour cette raison que nous avons présenté la Loi sur l’assurance parentale, dont nous souhaitons l’adoption cet automne.
En terminant, je tiens à souligner le remarquable travail des députés et membres du caucus ministériel. Tout au long de cette session, ils n’ont pas ménagé leurs énergies et ont certes fait honneur à la population qui les a élus. Je veux les remercier chaleureusement. Je vous souhaite un très bel été.
Merci.

[BOUC=20000907]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution au World Leadership Forum 2000 – New York – 7 septembre 2000]
Monsieur George Pataki, Gouverneur de l’État de New York,
Monsieur Le Président du conseil de l’Association de politique étrangère,
Monsieur le Président de l’Association de politique étrangère,
Distingués invités,
Mesdames et messieurs,
Je voudrais remercier particulièrement la Foreign Policy Association, et son président Noel Lateef, de me donner l’occasion de représenter le Québec dans un forum aussi prestigieux à un moment où le monde a les yeux sur New York.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir de partager la scène avec le gouverneur George Pataki. L’État de New York est, de loin, le plus gros partenaire commercial du Québec. Nous sommes voisins, nous partageons une histoire et une géographie communes, et notre relation s’étend à toutes les sphères d’activité. Le gouverneur et moi sommes très conscients des liens qui unissent nos populations et nous avons des vues communes sur nombre de questions, dont la mondialisation.
Je suis heureux d’être invité à cette réunion. J’y vois là une reconnaissance que le Québec a réussi, avec succès, le virage de la mondialisation. Au cours des cinquante dernières années, l’économie du Québec a rattrapé en partie l’écart qui la séparait des économies de ses voisins de l’Ontario et des États de la Nouvelle-Angleterre. Ces dernières années, en particulier, notre commerce international et notre économie du savoir ont fait des bonds sans précédent.
Permettez-moi d’abord de tracer un portrait de ce qu’est devenue notre société depuis cinq ou six ans. Au début des années 90, le ciel était sombre. Les finances du Québec étaient dans un triste état, nos programmes de solidarité sociale étaient compromis, et notre rendement économique, inférieur à celui du reste du Canada. Le taux de chômage atteignait un niveau inquiétant, et les investissements privés chutaient plus vite au Québec qu’au Canada.
Il y a cinq ans, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes. Nous n’aurions pu prendre une meilleure décision, car la situation a radicalement changé depuis. Les Québécois ont maintenant accès à un marché du travail vigoureux, et nos finances publiques sont saines. Je pense qu’il faut souligner que le taux de chômage au Québec a atteint cette année son niveau le plus bas depuis 1976. Ces deux ou trois dernières années, la création d’emplois a profité surtout aux jeunes. En 1999, le Québec a enregistré sa plus forte augmentation depuis 27 ans à ce chapitre.
Depuis le milieu des années 90, les investissements d’affaires ont augmenté plus rapidement au Québec que dans le reste du Canada. En 1999, le taux de croissance des investissements privés au Québec a non seulement rattrapé celui du Canada, mais il a été six fois plus élevé.
La croissance particulièrement forte des économies de Montréal et de Québec contribue à réduire le chômage et fait de ces deux villes d’importants centres des nouvelles technologies.
Notre réussite a été remarquable dans ce qu’on appelle la nouvelle économie. Dans son numéro de juillet 2000, le magazine Wired classait Montréal au douzième rang des 46 points chauds du réseau mondial de haute technologie. Montréal était la seule ville du Canada à figurer sur la liste et elle devançait des villes comme Tokyo, Los Angeles, Hong Kong, Copenhague et Singapour.
Le taux de croissance de 4,1 % que nous avons connu en 1999, était le plus élevé en onze ans. La croissance économique du Québec par habitant dépasse celle du Canada depuis 1994.
Cela dit, nous savons qu’il est impérieux de poursuivre nos efforts. Heureusement, les pronostics économiques indiquent que cette croissance se maintiendra.
Il y a encore beaucoup de travail à abattre, au moins en regard de votre État, Monsieur le Gouverneur, mais nous avons fait d’énormes progrès.
Comment en sommes-nous arrivés là? La tâche a été ardue, et il nous a fallu être tenaces.
Il y a une génération, nous avons décidé d’investir massivement en éducation. Au début des années 50, les jeunes Québécois passaient en moyenne dix ans à l’école, soit deux ans de moins que les autres jeunes Nord-Américains. Aujourd’hui, ils ont en moyenne 16 ans et demi de scolarisation. C’est deux ans de plus que le reste des jeunes de l’Amérique du Nord. Je note aussi un élément qualitatif encourageant. Nos élèves de huitième année se classent parmi les premiers dans les concours internationaux de mathématiques, juste derrière les élèves asiatiques et devant les autres élèves nord-américains. Dans le groupe des 18 à 25 ans, la fréquentation des études post-secondaires est maintenant plus élevée au Québec que dans le reste de l’Amérique du Nord.
Cela a amené le New York Times à conclure que « Montréal devance maintenant Boston pour la proportion d’étudiants universitaires parmi les grandes villes de l’Amérique du Nord ». On pourrait dire que nous sommes venus tard à l’éducation, mais que nous nous y sommes mis à un train d’enfer.
Depuis deux décennies, notre esprit d’entreprise s’est aussi remarquablement libéré. Jusqu’à récemment, le magazine Canadian Business publiait, chaque année, la liste des 50 entreprises se développant le plus rapidement au Canada. Alors que l’économie du Québec représente moins de 25 % de celle du Canada, les entreprises basées au Québec en occupaient, chaque année, la moitié.
Les sociétés de capital de risque au Canada réalisent actuellement près de 50 % de leurs affaires au Québec. Les charges fiscales que nous imposons aux sociétés sont parmi les plus faibles en Amérique du Nord.
Comme la plupart d’entre vous le savez, nous sommes particulièrement favorables à la recherche-développement. De 1986 à 1997, la croissance moyenne des dépenses des entreprises dans ce secteur s’est établie à 7 %, donc au-dessus des autres pays du G7. Entre 1990 et 1996, le nombre de sociétés du Québec engagées en recherche-développement a plus que doublé.
De plus, la région de Montréal a maintenant la plus forte concentration d’emplois de haute technologie en Amérique du Nord par rapport à sa population. Nos secteurs les plus vigoureux comprennent les télécommunications, l’aérospatiale, les produits pharmaceutiques, les biotechnologies, le génie, l’hydro-électricité, le développement de logiciels, la protection environnementale et les finances. L’arrivée de la Nasdaq à Montréal complète ce tableau déjà bien fourni.
Ces résultats sont un effet direct de notre soutien enthousiaste aux accords de libre-échange. Nous avons toujours été fermement partisans des échanges commerciaux. Cette position remonte aux XVIIe et XVIIIe siècles alors que nos ancêtres canadiens-français ont joué un rôle de premier plan dans l’exploration de la vallée du Mississippi jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Depuis lors, la vaste majorité des Québécois a soutenu les initiatives de libre-échange.
Le vote du Québec aux élections fédérales canadiennes de 1988 a été le facteur décisif qui a fait pencher la balance en faveur de l’Accord de libre-échange canado-américain de 1989. L’ancien secrétaire au Commerce des États-Unis, William Daley, a fait ressortir ce point lorsqu’il a dit que l’ALENA « ne se serait jamais réalisé sans les efforts infatigables et le soutien indéfectible de la population et du gouvernement du Québec ».
Aujourd’hui, des négociations en vue de la création d’une zone panaméricaine de libre-échange, s’étendant de l’île de Baffin à la Terre de Feu, sont en cours. C’est l’un des sujets qui seront discutés au Sommet des Amériques, qui aura lieu dans notre capitale nationale de Québec en avril 2001. Nous espérons que ces discussions seront fructueuses.
Comme vous le savez probablement, le Québec a mené, ces dernières années, un important débat démocratique sur son avenir politique. Certains croient, comme moi, que l’avenir du Québec serait mieux servi si nous devenions un État souverain. D’autres se satisfont du statu quo ou persistent à croire, malgré les tentatives infructueuses des 40 dernières années, qu’il est possible de réformer le Canada de l’intérieur. Mais quelle que soit notre position, nous croyons qu’il appartient aux Québécois, et à eux seuls, de déterminer de façon démocratique quel sera leur avenir politique et constitutionnel. Et quelle que soit notre décision, le Québec a fait une fois pour toutes le choix d’être une société ouverte, profondément engagée dans l’économie panaméricaine et mondiale.
Le développement économique des petites nations dépend d’un accès libre et sûr à de grandes zones économiques.
Cette logique est largement confirmée par les faits. Depuis cinquante ans, le commerce mondial s’est accru deux fois plus que la production mondiale. Il va de soi qu’un monde plus protectionniste entraînerait moins de commerce, moins de production et moins de revenu pour tous.
Le commerce international du Québec, pour sa part, a considérablement augmenté. Nous exportons maintenant 58 % de notre PIB. Notre principal partenaire commercial demeure les États-Unis. L’économie du Québec n’équivaut qu’à 2 % de l’économie des États-Unis, mais nous sommes actuellement le sixième partenaire commercial des États-Unis, derrière le reste du Canada, le Mexique et le Japon et devant des pays de la taille de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Italie et du Brésil.
La nature des exportations du Québec s’est aussi considérablement transformée au cours des dernières années. Traditionnellement réputé pour ses exportations de matières premières, le Québec exporte aujourd’hui principalement des produits à haute valeur ajoutée. En fait, le Québec se classe maintenant avec honneur dans bien des secteurs de ce qu’on appelle la nouvelle économie.
Par exemple, plus de la moitié de la production de l’industrie aérospatiale canadienne provient du Québec. Avec 40000 emplois, Montréal est le deuxième centre de production aérospatiale au monde, après Seattle et devant Toulouse.
Le Québec s’est aussi taillé une place de premier plan dans les secteurs des télécommunications, du multimédia et des produits biopharmaceutiques. Par exemple, nos exportations de matériel de télécommunications ont augmenté de près de 500 % en dix ans, et celles de matériel de transport et de machinerie ont quadruplé.
Le soutien au libre-échange et la promotion de l’identité nationale ne nous ont jamais semblé contradictoires. Ayant une idée très claire de ce que nous sommes, nous n’hésitons pas à relever le défi de la mondialisation. Notre expérience jusqu’ici dans ce domaine ne fait qu’augmenter notre assurance. Nous estimons qu’elle nous donne le fondement économique nécessaire à notre développement culturel.
La mondialisation nous commande d’être disciplinés et compétitifs. Nous avons récemment entrepris de remettre de l’ordre dans nos finances publiques. Un net avantage de la mondialisation, c’est qu’elle impose aux gouvernements la responsabilité fiscale. La mobilité internationale du capital a tôt fait de pénaliser les déficits galopants par des taux d’intérêt élevés. La position de Québec a consisté à réduire la taille de la dette par rapport au PIB et à nous assurer que tout programme de dépenses publiques présente une valeur ajoutée réelle pour les contribuables en plus d’être exécuté au plus faible coût possible. Cela nous permet de diminuer progressivement le fardeau fiscal.
Notre société fait des efforts considérables pour forger un consensus. Nous avons établi un dialogue permanent entre le gouvernement, le milieu des affaires, les centrales syndicales et divers groupes d’intérêt. En 1996, nous en sommes arrivés à un consensus social sur la nécessité d’éliminer le déficit et de légiférer en conséquence. Les dépenses des programmes ont été strictement contenues, et le déficit budgétaire a été ramené de 6000000000 $ à zéro en 1999, un an plus tôt que prévu. Les déficits budgétaires sont désormais illégaux au Québec. Malgré d’énormes réductions unilatérales des transferts fédéraux au titre de la santé, de l’éducation et de l’aide sociale, le fardeau décroissant de la dette et la modération continue des dépenses ont permis des réductions d’impôt personnel. Mon gouvernement s’est engagé à faire encore mieux.
Bien que libre-échangistes, nous restons préoccupés par de nombreux problèmes crées par la mondialisation. Il est urgent de mieux gérer plusieurs domaines: les normes minimales de travail, le contrôle des mouvements irrationnels d’importants capitaux, la concurrence internationale des impôts, les paradis fiscaux, la protection de la santé publique, la protection de l’environnement.
Nous devons également axer nos efforts sur la promotion de la diversité culturelle dans le contexte du libre-échange. Je crois que cette question est d’importance stratégique pour toutes les nations, et surtout les petites.
La population de langue française du Québec ne représente que 2 % de la population du Canada et des États-Unis. Après 400 ans, notre différence, notre langue, notre identité sont devenues des atouts économiques.
Plus de 80 % de la population du Québec est de langue française. Nous vivons en français et travaillons en français. Les mesures que nous avons prises pour promouvoir le français ont toujours respecté les droits historiques de la minorité de langue anglaise. Cette collectivité possède son propre réseau public d’éducation, de santé et de services sociaux et d’institutions culturelles. Les langues et les cultures des communautés autochtones du Québec sont aussi protégées.
Une forte proportion de notre population active est bilingue; 60 % de la main-d’œuvre de Montréal parle couramment l’anglais et le français, et notre gouvernement met en oeuvre des programmes destinés à favoriser l’apprentissage d’une troisième langue, en particulier l’espagnol.
Dans un tel environnement, la culture compte.
La mondialisation ne doit pas priver les pays et les gouvernements de toute souplesse. Elle doit permettre aux sociétés de conserver les outils dont elles ont besoin pour développer la solidarité.
Si les pays et les gouvernements perdaient la possibilité de protéger et de promouvoir leur culture, la plus grande partie du patrimoine humain serait menacée.
Les produits culturels, comme les livres ou les films, ne peuvent être considérés comme de simples produits. Les arts, la créativité et la culture sont affaire d’identité car ils sont liés à des valeurs fondamentales qu’on ne peut laisser aux seules forces du marché.
C’est pourquoi le gouvernement du Québec, comme celui du Canada et de bien d’autres pays, soutient que la culture doit jouir d’un statut particulier dans les accords de commerce international. Ce statut doit aussi être garanti par un traité ou tout autre instrument international approprié.
Pour le Québec, la mondialisation n’est pas un système, ni une philosophie, ni une idéologie. C’est une réalité avec laquelle les Québécois composent chaque jour avec de plus en plus de profit.
Le message que je veux transmettre, c’est qu’il est possible de prospérer dans l’univers de la mondialisation sans perdre son âme. J’ai tenté de vous démontrer les efforts que le Québec a consentis pour réaliser, à sa façon, l’équilibre entre ces deux impératifs. Chaque nation doit trouver sa propre voie. J’espère que notre démarche peut être un enseignement utile pour d’autres.
Je vous remercie.

[BOUC=20000922]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution devant les intervenants socio-économiques des Îles de la Madeleine – 22 septembre 2000]
Monsieur le Ministre,
Mesdames,
Messieurs,
Depuis près d’un an bientôt, le gouvernement du Québec a lancé une offensive sans précédent pour relancer l’économie de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine. Mais avant même de penser à la relance, il a fallu d’abord parer au plus urgent et colmater les brèches laissées par le moratoire sur le poisson de fond et les modifications aux règles de l’assurance-emploi qui ont fait des trous béants dans le revenu des familles d’ici.
Le gouvernement du Québec a soutenu la population des Îles dans cette période difficile, mais nous savions tous qu’il fallait rapidement trouver de nouvelles assises et de nouveaux projets pour relancer l’économie des Îles.
Vous avez fait votre travail, nous avons apporté l’appui et le soutien financier dont vous aviez besoin pour explorer de nouvelles productions, chercher de nouveaux débouchés, et consolider ce qui avait été affaibli.
Le bilan du Plan de relance aux Îles
L’effort de relance que nous avons entrepris ensemble commence à donner des résultats concrets ici aux Îles. Vous vous souviendrez qu’en novembre dernier nous avons dégagé une enveloppe spéciale pour soutenir la relance économique de la région. Cela a bien fonctionné, et nous avons ajouté d’autres montants lors du Budget de mars dernier. De plus, j’avais demandé à tous les ministères et organismes d’unir leurs efforts pour faire débloquer tous les projets qui pouvaient être mis en marche dès cette année. De cette façon, on a pu avancer sur plusieurs fronts à la fois.
Aujourd’hui, je suis heureux de vous confirmer que notre effort de relance génère des investissements de 16200000 $ et ajoute 573 emplois aux Îles.
Les budgets de la relance ont permis au gouvernement de soutenir le démarrage de nouveaux projets économiques aux Îles; de financer des projets de recherche dans de nouveaux créneaux; de poursuivre l’amélioration des infrastructures; de consolider ce qui existait; de créer de nouveaux emplois et de garder le plus de travailleurs possible en emploi.
Soutenir le développement des produits de la mer
Un des impacts les plus importants de l’effort de la relance est certainement l’impulsion donnée au développement de nouveaux projets dans le secteur des produits de la mer.
Certains de ces projets sont particulièrement importants pour l’avenir économique des Îles. Je pense entre autres aux investissements dans la transformation de produits à base de loup-marin qui offrent des débouchés sur l’Asie. Je sais qu’une délégation chinoise était aux Îles à cet effet il y a quelques jours. En phase commerciale, idéalement l’an prochain, ce projet pourrait générer environ 80 emplois et contribuer de façon importante à la relance de Madelipêche.
Je pense également au projet pilote de deuxième et troisième transformation du homard, chez Pêcheries Norpro. Ce projet a permis de créer ou stabiliser une quarantaine d’emplois et il ouvre la voie à une percée de l’entreprise pour le homard transformé « haut de gamme », sur le marché japonais.
Je pense également à la diversification de la production chez Madelimer avec de nouveaux produits à base de moules et de maquereaux.
Vous savez, quand on investit en recherche et développement, on n’est jamais sûr à 100 % du résultat commercial. Aussi est [-]il est important de travailler sur plusieurs projets pour se donner les meilleures chances de réussite. Comme le dit si bien mon ami Maxime Arseneau: « On n’est pas pour rester assis à attendre le retour de la morue! » Le travail que vous faites pour trouver de nouveaux débouchés, explorer de nouveaux procédés de transformation et conquérir de nouveaux marchés est fondamental, et le gouvernement continuera à vous soutenir dans cette voie.

De nouveaux projets
Ce matin, je visitais les installations de l’Association des pêcheurs de pétoncles, et j’ai bien vu le potentiel de ce nouvel élevage pour l’économie des Îles. Les pêcheurs ont innové dans leur façon de faire et ils ouvrent maintenant de nouveaux créneaux de production et d’exportation. On m’a expliqué que le montage financier comportait des difficultés parce qu’il s’agit d’un élevage qui met cinq ans avant de pouvoir être mis en marché, ce qui est assez inhabituel si on le compare à d’autres élevages. Mais croyez-moi, si les pêcheurs des Îles ont su faire preuve d’innovation pour développer cette nouvelle culture, le gouvernement aussi se devait de faire preuve d’innovation pour les soutenir financièrement. C’est pour ça qu’il y a un Plan de relance. J’étais heureux de leur annoncer l’appui financier du gouvernement du Québec pour les cinq prochaines années.
De plus, j’ai pu confirmer à la Société de développement de l’industrie maricole la contribution du gouvernement du Québec aux efforts de recherche pour la production de la mye commune, ce que l’on appelle la coque, sur une base commerciale.
Ces deux projets apporteront des investissements de 7400000 $ et créeront 44 emplois directs, auxquels pourraient s’ajouter, à terme, au moins une centaine d’emplois additionnels dans les usines de transformation.
Enfin, toujours dans le cadre de l’effort de relance, je suis en mesure également de confirmer le soutien du gouvernement à quatre autres projets de recherche ou de concertation visant à soutenir l’industrie des produits marins aux Îles.
Voilà je pense de bonnes nouvelles pour l’économie des Îles. Des nouvelles qui nous permettent de penser que si la partie n’est pas encore gagnée, nous sommes cependant sur la bonne voie.
Consolider les infrastructures.
Par ailleurs, tout en travaillant à diversifier l’économie, il est important de ne pas laisser aller ce que nous avons acquis. C’est pourquoi, avec les budgets additionnels de la relance, nous avons également travaillé à consolider et à développer les infrastructures existantes. Ainsi, nous avons pu répondre à certaines demandes du milieu qui dataient d’au moins 20 ans, comme la route de Havre-Aubert. Nous avons financé la rénovation de logements sociaux et nous avons soutenu le développement d’équipements récréotouristiques sur le territoire.
Aujourd’hui même, le ministre responsable des Régions, Jean-Pierre Jolivet, confirmait l’extension du programme RénoVillage de la Société d’habitation du Québec à toutes les municipalités de la Gaspésie et des Îles. Des investissements de 320000 $ seront ainsi consacrés à la rénovation des maisons aux Îles-de-la-Madeleine.
Soutenir l’emploi.
Enfin, j’ai le plaisir de confirmer le financement de différents projets municipaux touchant l’aménagement ou la consolidation d’équipements à caractère récréotouristique ou environnemental dans le cadre du Fonds de création d’emplois municipaux. Ces projets devraient permettre à 180 travailleurs et travailleuses des Îles d’intégrer le marché du travail ou de se maintenir en emploi.
Dans les périodes difficiles, comme celle que traverse actuellement la région, je sais toute l’importance que peuvent représenter ces 180 emplois pour tous ceux et celles qui doivent régler leur fin de mois. Le processus d’embauche doit démarrer dans les prochains jours, et je tiens, à cet égard, à souligner le travail du député-ministre des Îles, celui des municipalités, d’Emploi-Québec et du ministère des Régions dans ce dossier.
Le lien maritime.
L’effort de relance est donc bien parti aux Îles, mais il nous faut maintenant garder le rythme.
Nous avons d’autres projets sur la table, comme celui du lien maritime Montréal-Chandler-Les-Îles. Ce dossier progresse. Le gouvernement a déjà fait savoir qu’il avait réservé 10000000 $ pour financer la liaison maritime et les aménagements portuaires à Chandler. La semaine dernière, le promoteur CTMA a déposé un nouveau plan d’affaires, et, de part et d’autre, nous avons réitéré notre volonté de voir se concrétiser ce projet.
Les deux parties ont convenu que ce projet devra garantir le maintien de la qualité du service de marchandises entre Montréal et les Îles tout en développant un projet de croisière et de traverse viable et profitable pour la région.
Une mesure fiscale propre à la région
Par ailleurs, plusieurs rencontres de travail ont déjà eu lieu afin de définir les paramètres de ce que pourrait être une mesure fiscale propre à développer les avantages concurrentiels de la région. Rappelons que le vice-premier ministre, Bernard Landry, avait pris cet engagement lors de son passage dans la région au printemps dernier.
Les travaux sont très avancés, et je crois que c’est là le genre d’initiative qui peut avoir un effet structurant sur l’économie de la région et sur le développement d’emplois durables.
La confiance revient.
Aux Îles, la situation de l’emploi s’améliore. En 1999, 900 emplois créés. Depuis le début de l’an 2000, 1100 emplois de plus. La population et les entreprises reprennent confiance en l’économie de leur région. Ils ont raison. Le taux de chômage, qui avait connu un sommet 23,5 % en 1997, est d’abord descendu à 20,8 % en 1999. Il se situe actuellement à 16,1 %, et il faut continuer.
Cette amélioration des perspectives d’emploi a des retombées bénéfiques sur la population. Elle a notamment pour effet de freiner l’exode des travailleurs vers les grands centres.
Un autre phénomène particulièrement encourageant mérite d’être souligné : le nombre de prestataires de l’aide sociale est en chute. Depuis 1996, on observe une baisse de 26,4 %, soit 4600 bénéficiaires de moins. Ajoutez à cela une hausse des investissements des entreprises qui, selon Statistique Canada, devraient augmenter de près de 9 % cette année. Les gens des Îles-de-la-Madeleine ont raison de reprendre confiance. La relance est concrètement sur la bonne voie. Merci!

[BOUC=20000926]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Symposium annuel de la Wisconsin Biotechnology Association – 26 septembre 2000]
Madame Brenda Blanchard, Secrétaire au Commerce,
Monsieur le Président de la Wisconsin Biotechnology Association,
Chers amis,
Je suis très heureux de pouvoir vous adresser la parole dans le cadre de votre symposium annuel et d’y constater l’intérêt des milieux d’affaires à l’égard du Québec.
Nous avons organisé cette mission au Wisconsin suite à l’aimable invitation que nous a faite le gouverneur de votre État, Monsieur Tommy Thompson. Il s’agit de la première mission qu’un premier ministre du Québec dirige au Wisconsin, et nous avons ciblé un secteur en pleine expansion, celui des biotechnologies. Une vingtaine de représentants d’entreprises et d’institutions de ce secteur m’accompagnent ici aujourd’hui.
Ensemble, nous voulons vous démontrer que le Québec constitue un centre d’importance en biotechnologies et un joueur d’impact dans ce que l’on appelle la nouvelle économie.
En 1999, le Québec a réalisé une excellente performance économique, l’une des meilleures de la décennie. Le taux de chômage a atteint son plus bas taux depuis 1976. Et ce qui est particulièrement encourageant, c’est que le Québec a connu sa plus forte hausse de l’emploi chez les jeunes depuis 27 ans.
L’année dernière, le taux de croissance des investissements privés au Québec a non seulement rattrapé celui du Canada, il a été six fois plus élevé.
Ce succès est en particulier visible à Montréal, notre métropole.
Dans cette région, les emplois associés à la nouvelle économie ont fait un bond de 25 % au cours des dix dernières années, et quatre emplois sur dix en sont tributaires. Voilà pourquoi la région de Montréal a maintenant la plus forte concentration d’emplois de haute technologie en Amérique du Nord.
Le réputé magazine Wired plaçait récemment Montréal au 12e rang des technopoles du monde, soit au même rang que New York. Aucune autre ville canadienne n’apparaissait sur la liste.
Ce ne s’est pas fait en un jour. Depuis plusieurs décennies, l’innovation ainsi que la recherche et le développement sont au cœur de notre stratégie industrielle. De toutes les provinces canadiennes, c’est le Québec qui alloue la part la plus importante de son PIB à la recherche et au développement. De 1986 à 1997, la croissance moyenne des dépenses des entreprises dans ce secteur s’est établie à 7 %, nettement au-dessus des autres pays du G7.
Et nous sommes résolument entrés dans la nouvelle économie en investissant dans des secteurs d’activité comme les biotechnologies.
C’est au Québec que l’on retrouve les principaux laboratoires de recherche fondamentale de grandes sociétés pharmaceutiques canadiennes comme Astra Zeneca, BioChem Pharma, Bio-Mega Boehringer, Ingelheim et Bristol-Myers Squibb.
À l’heure actuelle, 40 % du secteur canadien de la biotechnologie est implanté au Québec où quelque 80 entreprises emploient plus de 2000 personnes. Le Québec se positionne ainsi comme l’un des dix premiers centres de biotechnologie au monde, et ce, avec une population de 7300000 d’habitants.
Alliant les meilleurs éléments des modèles nord-américains et européens, le Québec offre une synergie unique entre les entreprises, que ce soient les sociétés pharmaceutiques transnationales ou les petites et moyennes entreprises, les PME, les hôpitaux, les centres de recherche, les universités, les institutions financières et le gouvernement.
L’un des principaux centres de recherche dans le monde se trouve aussi chez nous. Il s’agit de l’Institut de recherche en biotechnologie, qui compte plus de 500 chercheurs dont près de la moitié sont des chercheurs invités provenant de l’industrie et des universités, ce qui montre bien l’esprit de collaboration qui entoure ses activités.
En fait, le Québec compte quelque 5000 emplois dans le secteur public de la recherche en santé.
Un des avantages comparatifs du Québec demeure la qualité de sa main-d’œuvre. Le Québec occupe le sixième rang, parmi 46 États industrialisés, pour la qualification de ses ressources humaines. Dans le groupe des 18 à 25 ans, la fréquentation des études postsecondaires est maintenant plus élevée au Québec que dans le reste de l’Amérique du Nord. Dans le seul secteur biopharmaceutique, on compte près de 4 600 nouveaux diplômés chaque année.
Au printemps dernier, le prestigieux New York Times concluait que, et je cite: « Montréal devance maintenant Boston pour la proportion d’étudiants universitaires parmi les grandes villes de l’Amérique du Nord. »
Le Québec est un État francophone où la main-d’œuvre, en plus d’être bien formée, dynamique et polyvalente, est aussi bilingue à plus de 50 %. Ce taux atteint 60 % dans la région de Montréal.
Nous avons adopté pour l’entreprise une approche fiscale compétitive. Les entreprises qui investissent en recherche et développement ont droit à un crédit d’impôt entièrement remboursable tout en bénéficiant d’un taux d’imposition des profits se situant parmi les plus faibles en Amérique du Nord. Notre ministre des Finances a aussi récemment annoncé une exemption fiscale complète de dix ans pour tout projet majeur d’investissement.
Mais cette impulsion aurait été insuffisante sans la disponibilité de capital de risque. Les sociétés de capital de risque au Canada réalisent actuellement près de 50 % de leurs affaires au Québec, et nous comptons sur des partenaires financiers tels que Investissement Québec, Sofinov, une filiale de la Caisse de dépôt et placement, Biocapital et la Société générale de financement.
Cette convergence d’actions nous a permis d’attirer au Québec près de 40 % du capital de risque canadien en biotechnologie entre 1992 et 1999 alors que nous représentons 25 % de la population du Canada.
Nos initiatives touchent aussi à la recherche. Comme vous le savez déjà, la génomique risque de bouleverser le monde médical. Aussi, le Québec s’est associé à la création de Génome Québec, un consortium de chercheurs issus des universités, de l’industrie et des laboratoires gouvernementaux. Les travaux qui y sont entrepris permettront le développement de nouvelles approches en médecine préventive et donneront lieu à la découverte de nouveaux médicaments.
Par ailleurs, d’autres applications dans les domaines de l’agriculture et de la transformation des aliments tireront potentiellement profit des biotechnologies. C’est dans cette optique que l’Université Laval, située à Québec, a mis sur pied le plus important contingent au Canada de chercheurs en science des aliments en créant l’Institut de recherche sur les aliments fonctionnels et nutraceutiques.
Nous sommes aussi préoccupés par les questions éthiques. Ces nouvelles avancées scientifiques ouvrent certes un nombre infini de possibilités. Même si ce problème demeure mondial, notre gouvernement poursuit une importante réflexion sur le sujet. Un groupe restreint de ministres creuse ces questions. Nous devons espérer que le plus de nations possible se penchent sur ce sujet.
La participation du Wisconsin au sein de la Governor’s Biotechnology Partnership devrait aussi assurer une analyse approfondie des questions éthiques.
Pendant cette mission, nous voulons conclure des partenariats et des alliances mutuellement profitables, tant pour le Wisconsin que pour le Québec. Vous trouverez au Québec une grande diversité de compagnies biotechnologiques possédant une expertise scientifique indéniable et des avantages compétitifs.
Le Québec veut s’allier au Wisconsin dans ce secteur qui est considéré à juste titre comme celui qui initiera la prochaine révolution technologique. Les espoirs placés dans le secteur des biotechnologies sont énormes. Plusieurs découvertes devraient contribuer grandement à l’amélioration du bien-être des personnes. L’humanité pourra en arriver à lutter plus efficacement contre quelques-uns de ses plus grands fléaux: les nouveaux virus, la malnutrition et les effets de la pollution.
Les représentants des groupes et des entreprises qui m’accompagnent seront en mesure de vous présenter un portrait plus détaillé de notre secteur de la biotechnologie et répondre adéquatement à vos questions. Ils sauront sans doute vous convaincre, si ce n’est déjà fait, des possibilités de collaboration en biotechnologie entre le Wisconsin et le Québec. Je vous encourage aussi à utiliser le CD-ROM qui vous a été distribué.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite de fructueuses rencontres.

[BOUC=20000927]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à l’Institute of World Affairs à Milwakee – 27 septembre 2000]
Monsieur John Norquist, Maire de Milwakee,
Monsieur William Vocke, Président de l’Institute of World Affairs,
Madame Nancy Zimpher, Chancelière de l’University of Wisconsin in Milwaukee
Monsieur Chris Pole, Consul General of Canada,
Distingués invités,
Chers amis du Québec,
C’est avec grand plaisir que je prends la parole devant vous aujourd’hui. En effet, la présence d’une délégation québécoise importante à Milwaukee, dont j’ai l’honneur comme premier ministre d’être le porte-parole, s’inscrit dans la continuité de notre histoire commune en Amérique du Nord. Je tiens à remercier les dirigeants de l’Institute of World Affairs et leurs différents partenaires de me donner l’opportunité de m’adresser à vous.
Les liens entre le Québec et le Wisconsin sont bicentenaires. Dès 1634, Jean Nicolet posait le pied sur les rives de GreenBay. Les années suivantes ont amené plusieurs Canadiens français à s’établir au cœur du continent. En 1818, l’un de ceux là, Salomon Juneau, quitta la région de Montréal pour établir un comptoir commercial tout près d’ici.
Récemment c’est par les échanges économiques que nos relations se sont intensifiées. Dans le secteur agroalimentaire, les producteurs québécois sont des habitués du fameux « World Dairy Expo ». Nos entreprises ont aussi participé à divers degrés aux réunions annuelles de la Wisconsin Biotechnology Association à Madison, mais jamais notre présence n’avait été aussi importante que lors de leur réunion annuelle, tenue hier, à laquelle une vingtaine d’entreprises et centres de recherche du Québec ont participé.
La mission de cette semaine s’inscrit dans un cadre économique. Les entreprises qui en font partie proviennent des secteurs les plus dynamiques de notre économie, tels que les biotechnologies, le transport, les technologies de l’information et l’agroalimentaire.
Comme nous désirons aussi établir un plus large dialogue ayant des incidences en éducation, dans les secteurs culturel et social, des représentants de diverses institutions oeuvrant dans ces domaines sont aussi du voyage.
Mais avant d’aller plus loin, laissez-moi vous parler de ce qu’est devenu le Québec en l’an 2000.
L’économie québécoise a connu une progression importante au cours des dernières années. L’an dernier, le Québec a enregistré une croissance de son produit intérieur brut de 4,1 %, ce qui constitue l’une de nos meilleures performances depuis 11 ans. Il s’agit d’une croissance supérieure à celle de la moyenne des pays du G7 (+ 2,7 %) et qui se compare avec celle des États-Unis, qui s’établit à 4,2 %.
Le marché du travail au Québec a été dynamique. En 1999, près de 76000 nouveaux emplois ont été créés. En 1998, plus de 86000, ce qui correspond à une croissance de l’emploi de 2,7 % en 1998. Il s’agit de la meilleure performance depuis 12 ans.
Cette création d’emplois profite d’abord aux jeunes (15-24 ans). En 1999, ils ont décroché plus du tiers (37 %) des nouveaux emplois, alors qu’ils représentent 16 % de la population active. Cela constitue la plus forte création d’emplois chez les jeunes depuis 1973. En 2000, les investissements privés s’inscrivent à la hausse pour une septième année d’affilée. D’ailleurs, les experts du secteur privé prévoient une poursuite de notre croissance économique et une baisse du taux de chômage.
Nous exportons maintenant 58 % de notre PIB, ce qui fait aussi de notre économie l’une des plus ouvertes sur le monde. Depuis 1990, la valeur de nos exportations internationales a plus que doublé. Une augmentation de 130 %. La croissance de nos ventes vers le reste du Canada a augmenté seulement de 12 %, tandis que la croissance de nos exportations vers les États-Unis a fait un bond de 135 %.
Le Québec est aujourd’hui le septième partenaire commercial des États-Unis, après le reste du Canada, le Japon et le Mexique, vos trois premiers partenaires commerciaux. En fait, le Québec est, pour l’économie américaine, plus important que des pays comme la France, Taiwan, la Corée du Sud ou le Brésil!
Certes, le Québec, comme d’autres pays, a profité d’une conjoncture favorable, dont la solide performance de votre économie nationale. Mais ces bonnes nouvelles sont aussi le fruit d’actions entreprises par notre secteur privé et notre gouvernement.
Le nouveau positionnement du Québec est particulièrement visible à Montréal.
En effet, selon la firme internationale Price Waterhouse, Montréal et sa région, avec plus de 3000000 d’habitants, se classe au quinzième rang des grandes agglomérations d’Amérique du Nord pour ce qui est de la population. Elle est neuvième pour le nombre d’entreprises de pointe, septième pour le nombre d’emplois en technologies de l’information, sixième dans les secteurs pharmaceutique et biotechnologique, cinquième dans le domaine aéronautique, et première pour ce qui est de la proportion de la population qui travaille dans les technologies de pointe.
En juillet dernier, la revue américaine Wired publiait une étude qui classait Montréal au douzième rang mondial des 46 régions les plus performantes dans les technologies de pointe. Aucune autre ville canadienne ne fait partie de cette liste sélecte, et notre métropole devance même des pôles d’attraction comme Singapour, Tokyo, Los Angeles, Hong Kong et Copenhague.
Quant à Québec, notre capitale nationale, elle se transforme chaque jour davantage pour devenir un centre de haute technologie. Elle se démarque notamment dans le secteur de l’optique, en technologies de l’information, en biotechnologies et dans ce matériau d’avenir qu’est le magnésium.
Dans le secteur de l’aéronautique, c’est chez nous que se situe plus de la moitié de la production de l’industrie canadienne, qui y regroupe 70 % des activités en recherche et développement. Montréal est la seule ville au monde où il est possible de trouver tous les éléments nécessaires à la construction d’un avion ou d’un hélicoptère dans un rayon de 30 kilomètres. C’est ainsi la deuxième concentration mondiale en aéronautique après Seattle et devant Toulouse, royaume de l’Airbus.
Toujours dans le domaine des transports, le Québec est réputé pour son expertise dans la construction de camions, d’autocars, de trains, de wagons de métro, sans oublier les motoneiges, de plus en plus populaires au Wisconsin.
Quant au secteur agroalimentaire, les entrepreneurs québécois connaissent un succès enviable sur les marchés internationaux. Ils sont reconnus pour leur expertise en génétique bovine et porcine. Notre Centre d’insémination vend ses produits dans plus de 140 pays. Nos exportations comptent le porc, les fruits et légumes, le soya, les produits de l’érable. Elles ont atteint un nouveau sommet en 1999 se chiffrant à 1800000000 $ US.
Nos producteurs laitiers sont nombreux, ce qui permet au Québec, comme au Wisconsin, de produire des fromages de haute qualité. Saputo est l’une de nos entreprises les plus dynamiques dans le domaine. Cette dernière possède aussi de nombreuses installations aux États-Unis dont 11 dans le seul Wisconsin.
Enfin, notre secteur des biotechnologies, qui est aussi en expansion ici, joue un rôle de premier plan dans notre économie. Avec ses nombreuses universités, ses centres hospitaliers universitaires de recherche et ses entreprises, le Québec se classe parmi les centres en Amérique.
Plusieurs raisons expliquent ces progrès. Nous croyons que notre environnement d’affaires et notre émergence comme interface entre l’Europe et l’Amérique du Nord en sont deux éléments déterminants.
Selon une récente étude de la firme KPMG, société internationale d’experts-conseils en gestion, c’est au Québec que les coûts d’implantation et d’exploitation d’une entreprise sont les plus bas comparativement aux principaux pays industrialisés.
À titre d’exemple, les coûts d’entreprise au Québec sont de 2,1 % inférieurs à la moyenne canadienne et de 9,7 % moins élevés qu’aux États-Unis. Ajoutons à cela des incitatifs fiscaux parmi les plus intéressants en Amérique du Nord et un taux d’imposition des sociétés parmi les plus faibles du continent nord-américain. Au printemps dernier, notre ministre des Finances a en plus annoncé une exemption fiscale complète de dix ans pour tout projet majeur d’investissement.
Les entreprises présentes au Québec peuvent compter sur la plus grande disponibilité de capital de risque au Canada. De plus, notre gouvernement a récemment conclu une entente avec les dirigeants du NASDAQ afin de mettre en place une bourse électronique située à Montréal.
Nous avons aussi développé des instruments originaux. Je pense notamment à la Société générale de financement (SGF) et à Investissement Québec, dont des représentants sont avec nous aujourd’hui.
Mais nos succès économiques ne sont pas seulement une question de coûts de production. Nous avons fait de notre différence un avantage concurrentiel.
600 grandes entreprises des États-Unis et 600 grandes entreprises européennes travaillent côte à côte dans nos grappes industrielles en technologies de pointe. Nous nous sommes imposés comme une véritable interface entre les États-Unis, l’Europe et le Québec.
Les cadres, les chercheurs et les travailleurs spécialisés du Québec jouissent d’un avantage certain en matière de recherche et développement, de conception, de production et de commercialisation. Cela peut aider à comprendre pourquoi une nation de 7000000 de personnes figure maintenant parmi les dix premières du monde dans le secteur de l’économie du savoir.
Nous misons sur un atout: la qualité et la stabilité de notre main-d’œuvre. Ce sont d’ailleurs les raisons le plus souvent évoquées par les investisseurs étrangers qui choisissent le Québec. S’ajoutent à cela les compétences linguistiques de notre population active. Le Québec est un État francophone où la moitié de la population active est bilingue, 60 % à Montréal. Ce pourcentage atteint 80 % chez les hauts cadres. Nous implantons également des programmes afin d’augmenter le nombre de Québécois capables de s’exprimer dans une troisième langue, comme l’espagnol.
Cette nouvelle force économique du Québec, nous voulons l’arrimer encore davantage aux États-Unis, et plus particulièrement au Wisconsin. Notre ouverture aux autres ne date pas d’hier. L’avènement du libre-échange en est un excellent exemple. Dans les années 80, le Québec s’est fait l’avocat du libre-échange. Grâce au support massif de la population en faveur d’un accord entre les États-Unis et le Canada, puis en faveur d’un accord nord-américain, l’entente historique est entrée en vigueur en 1989. Sans elle, nous ne pourrions envisager, aujourd’hui, la création d’une zone de libre-échange s’étendant de la Terre de Baffin à la Terre de Feu.
Comme vous le savez, le Québec a mené, ces dernières années, un important débat démocratique sur son avenir politique. Certains croient, comme moi, que l’avenir du Québec serait mieux servi si nous devenions un État souverain. D’autres se satisfont du statu quo ou persistent à croire, malgré les tentatives infructueuses des 40 dernières années, qu’il est possible de réformer le Canada de l’intérieur. Mais quelles que soient les positions respectives, nous croyons qu’il appartient aux Québécois, et à eux seuls, de déterminer de façon démocratique quel sera leur avenir politique et constitutionnel. Et quelle que soit notre décision, le Québec a fait une fois pour toutes le choix d’être une société ouverte, profondément engagée dans l’économie panaméricaine et mondiale.
Compte tenu de ce choix et de l’avènement probable d’une zone de libre-échange panaméricaine, nous allons accentuer notre présence un peu partout en terre d’Amérique en appuyant ces efforts sur trois piliers stratégiques: l’économie, l’éducation et la jeunesse.
En économie, certains d’entre vous pensent peut-être déjà: « C’est une bonne chose pour le Québec, mais où y trouve-t-on notre compte? » La réponse: les emplois. Même si la balance commerciale actuelle est favorable au Québec, nous importons de plus en plus de produits américains, et les investissements québécois sont en hausse aux États-Unis. En conséquence, pas moins de 250000 emplois sont directement reliés aux produits américains vendus au Québec, alors que 60000 emplois en sol américain sont directement créés par nos différentes compagnies qui y sont établies.
Le second pilier de nos efforts demeure l’éducation. Nos établissements d’enseignement supérieur québécois ont la volonté d’amorcer ou d’intensifier les échanges de connaissances et de favoriser la mobilité étudiante.
J’ai eu le plaisir de présider hier, en compagnie du gouverneur Thompson, une séance de signature où le Québec et le Wisconsin se sont résolument engagés sur la voie d’une coopération renforcée. D’une part, par la voie d’un cooperation agreement qui permettra d’intensifier et d’élargir la coopération. D’autre part, par la signature concurrente d’ententes entre les partenaires intéressés en matière d’études universitaires (avec l’University of Wisconsin), d’enseignement technique [(avec vos Technical Colleges System)] et de développement de l’emploi des jeunes [(avec le Wisconsin Department of Workforce Development)].
Quant à notre jeunesse, nous avons annoncé récemment la création de l’Office Québec-Amériques pour la jeunesse. Cette agence permettra, chaque année, à des jeunes des trois Amériques de se familiariser avec leur culture respective. Ces 3000 jeunes effectueront des séjours au Québec et dans d’autres pays de notre hémisphère. Cet office est d’ailleurs partenaire du projet d’échanges de jeunes stagiaires avec le Wisconsin.
J’ai tracé là les grandes lignes de force du Québec et j’ai esquissé les avenues d’un renforcement significatif des liens entre le Québec et le Wisconsin. Je ne voudrais pas que l’on laisse en veilleuse le grand potentiel d’échanges entre le Québec et le Wisconsin et la qualité des liens établis entre des représentants et des leaders de nos deux sociétés.
Je vous remercie, au nom des membres de Mission Québec, pour votre accueil chaleureux. En deux jours, nous avons beaucoup appris de votre expérience et de vos idées. Cela nous permettra sans doute de raffermir les liens qui nous unissent. Nous avons encore bien des choses à nous dire et à découvrir. Nos racines historiques communes et le succès de cette mission économique nous facilitent la tâche et nous permettent d’envisager avec confiance les années qui viennent.
Merci.

[BOUC=20001004]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Inauguration des 13e entretiens Jacques Cartier – Lyon – 4 octobre 2000]
Monsieur le Recteur,
Monsieur le premier Ministre et Député-Maire de Lyon,
Monsieur le Maire,
Madame la Présidente du Conseil Rhône-Alpes,
Monsieur le Directeur du Centre Jacques-Cartier,
Distingués invités,
Au nom du gouvernement du Québec et en mon nom personnel, au titre de liens de plus de dix ans avec le Centre Jacques-Cartier, il me fait grand plaisir de m’associer à l’inauguration des treizièmes Entretiens du Centre. En particulier, je souhaite la plus cordiale bienvenue à ceux qui, venus de la région Rhône-Alpes ou d’ailleurs en France et de nombreux autres pays, nous font l’honneur de leur présence au Québec à cette occasion.
Toujours sous l’impulsion de celui qui en a été l’initiateur, Monsieur Alain Bideau, les Entretiens du Centre Jacques-Cartier témoignent davantage chaque année de l’intensité de la relation entre la France et le Québec. Ce qui me frappe, c’est que l’approfondissement de cette relation s’accompagne d’une ouverture de plus en plus marquée aux apports d’autres cultures et d’autres sociétés. Il y a là un enrichissement dont nous devons nous réjouir, celui « du bilatéral par le multilatéral », selon l’expression de Monsieur Bideau.
Comme le révèle le riche programme des treizièmes Entretiens du Centre Jacques-Cartier, ceux-ci sont devenus un événement universitaire et scientifique d’envergure internationale. Ils se situent à la pointe de la réflexion prospective sur les grands enjeux de la société du savoir qui se met en place dans un contexte de mondialisation des échanges, économiques mais aussi culturels et politiques.
Je me tiendrai plus spécialement informé des résultats de certains « entretiens ». Je retiens notamment, cela va de soi, la table ronde sur « la mondialisation et ses effets sur la nation » qui a eu lieu cet après-midi sous la présidence du premier ministre et député-maire de Lyon, Monsieur Raymond Barre. J’y ajoute le colloque, qui en est un peu le prolongement, sur le thème « États-nations, multinations et organisations supranationales ».
J’attache de même un intérêt tout particulier au forum « De l’idée au produit », lieu de rencontre exemplaire de l’université et de l’entreprise, autour des défis de l’innovation dans des domaines comme le design de mode, les biotechnologies et les technologies de l’information.
Nos politiques gouvernementales pourront, par ailleurs, tirer profit de bon nombre d’autres retombées des Entretiens, qu’il s’agisse des débats sur les conséquences des changements démographiques sur le contrat social, de l’obligation de résultats en éducation ou de nouvelles orientations en matière de justice, pour ne mentionner que quelques thèmes de colloques.
Les responsables de ces treizièmes Entretiens méritent éminemment nos remerciements et nos félicitations. À celui de Monsieur Alain Bideau, il faudrait joindre bien d’autres noms, mais je m’en tiendrai à souligner l’apport déterminant du recteur de l’Université de Montréal, Monsieur Robert Lacroix, et de deux de ses collaborateurs immédiats, Messieurs les vice-recteurs Alain Caillé et Patrick Robert.
Il y aura tout à l’heure, dans le cadre même de l’ouverture des treizièmes Entretiens Jacques-Cartier, une séance universitaire d’un caractère assez exceptionnel. Quatre établissements universitaires du Québec décerneront le titre de docteur honoris causa à quatre personnalités. Qu’il me soit permis de leur présenter dès maintenant mes hommages.
Il s’agit de ma quatrième participation aux Entretiens. J’y viens depuis le début des années 90. Cette amitié m’est précieuse. De plus, la qualité des échanges et la préoccupation des organisateurs de maintenir un lien privilégié entre le Québec et la France sont autant de motifs qui m’amènent à vous souhaiter de fructueux entretiens.
Merci.

[BOUC=20001018]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Visite officielle de Boutros Boutros Ghali – 18 octobre 2000]
Monsieur le Secrétaire général,
Madame Boutros-Ghali,
Distingués invités,
Je ne saurais vous dire, Monsieur le Secrétaire général, à quel point nous sommes heureux de vous accueillir, ainsi que votre épouse madame Leia Boutros-Ghali, à l’occasion de votre visite officielle au Québec.
Vous voici maintenant à l’Assemblée nationale, dans l’un des plus anciens parlements du monde. Deux siècles de parlementarisme ont fait écho aux paroles de Louis-Joseph Papineau, d’Honoré Mercier, de Jean Lesage, de René Lévesque, et de tant d’autres représentants du peuple québécois épris de justice, de liberté et d’égalité. Malgré les aléas de l’histoire, depuis plus de deux siècles, les femmes et les hommes d’ici n’ont eu cesse d’affirmer leur existence. C’est sans doute cette volonté qui a poussé le Québec à rechercher le contact de ceux qui partagent sa langue et à construire cette Francophonie institutionnelle dont vous êtes le plus éminent porte-parole.
Notre situation particulière en Amérique du Nord renforce ce lien qui nous unit à la langue française en même temps qu’elle en révèle la fragilité inhérente. D’où ce sens du devoir qui anime les Québécois lorsqu’il est question non seulement de la défendre mais de la préserver.
Avant la structuration formelle de la Francophonie, parmi les visionnaires qui mirent en place des organisations francophones, on trouve nombre de Québécois. Parmi eux, il en est un que je saluerai particulièrement. Il s’agit de Jean-Marc Léger, premier secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique.
Dès 1968, le Québec devient membre de la Conférence des ministres de l’Éducation des pays ayant le français en partage et, l’année suivante, de la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports des pays d’expression française. Par la suite, à Niamey, le Québec est aux côtés de la France et des autres pays francophones pour donner naissance à l’Agence de coopération culturelle et technique. Il prend part, depuis 1986, au Sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage avant d’être l’hôte du second en 1987.
La Francophonie est essentielle pour le Québec. Elle représente un espace politique international privilégié. Isolé sur le continent nord-américain et témoin de taux d’assimilation importants partout au Canada, le Québec compte d’abord sur lui-même, mais aussi sur l’appui de la Francophonie, pour préserver et promouvoir sa langue et sa culture.
La Francophonie est donc importante pour le Québec, mais le Québec, Oserai-je dire, est également important pour la Francophonie. Tous les adhérents à la Francophonie ont un intérêt vital à ce qu’existe un regroupement politique fort au sein duquel on communique directement en français.
L’attachement particulier des Québécois à la Francophonie vient aussi du fait que nous croyons que chacun des États francophones gagne à ne pas faire face, seul, aux nouveaux enjeux scientifiques, culturels, sociaux et économiques de notre époque. C’est ce qui explique qu’en plus de l’Agence universitaire de la Francophonie, le Québec abrite aussi des bureaux de TV5, l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie, le Forum francophone des affaires et l’Association internationale des maires et responsables des villes et métropoles entièrement ou partiellement de langue française.
Comme vous le savez, Monsieur le Secrétaire général, la Francophonie, comme le reste du monde par ailleurs, a beaucoup évolué depuis 1970. De quelque vingt membres à l’origine, elle en compte désormais plus de cinquante.
Dès votre entrée en fonction, en 1997, vous vous êtes mis à la tâche sans tarder. Vous avez réuni la première Conférence des ministres de l’Économie et des Finances de la Francophonie. Vous avez été de toutes les tribunes et avez signé de nombreux accords de coopération au nom de la Francophonie avec d’autres organisations internationales. Vous vous êtes engagé avec vigueur dans le difficile dossier de la démocratie et des droits de la personne.
Au dernier Sommet, des organisations internationales des droits de la personne ont rappelé que nos progrès en cette matière se faisaient attendre. Les chefs d’État et de gouvernement réunis à ce sommet ont dû prendre acte de cette lecture. Je vous sais décidé à agir sur ces questions, et je vous en remercie. J’en profite aussi pour souhaiter vivement que le symposium de Bamako sur la démocratie et les droits de la personne soit l’occasion d’un débat de fond sur un certain nombre de valeurs politiques.
Dans votre rapport au dernier Conseil permanent à Alexandrie, vous avez évoqué, Monsieur le Secrétaire général, l’ensemble des interventions que vous avez faites afin que progressent les idéaux francophones. La paix est au centre des valeurs qui nous réunissent même si elle est menacée dans plusieurs États membres. La nécessité d’un dialogue politique franc au sein de la Francophonie apparaît donc incontournable.
Sur le plan de la paix, de la démocratie et des droits de la personne, le Québec sera là à vos côtés, Monsieur le Secrétaire général, soyez-en assuré. Et il ne sera pas seul, j’en suis certain.
Vous permettrez aussi de dire quelques mots sur le rayonnement de la Francophonie. Devant le Sénat français, vous avez dit il y a quelque temps, et permettez que je vous cite: « Concernant notre rayonnement international, je le dis clairement: la diffusion et la promotion du français restent la vocation première de notre organisation! C’est notre mission essentielle et, pour moi, elle passe notamment par le renforcement de son rôle dans les organisations internationales et un meilleur ancrage dans la société civile. »
Le Québec applaudit à de tels propos. Sa jeunesse tout particulièrement doit découvrir et s’approprier le poids mondial de la langue française, assortie de l’influence que peuvent exercer collectivement les pays francophones.
La lutte que mène la communauté francophone en faveur de la diversité culturelle prend ici tout son sens. Le Québec, comme tant d’autres sociétés, vit la diversité culturelle. Il la vit dans la rue, en affaires, au cinéma, à la télévision, dans les journaux, partout. C’est sa réalité quotidienne.
Il nous faut mener ensemble une bataille pour sauvegarder la capacité de créer en français. Ce droit ne doit pas être remis en question par une mondialisation effrénée. Dès juin 1999, mon gouvernement a pris une position sans équivoque quant aux principes de base du combat pour la diversité culturelle. Les œuvres culturelles ne sont pas de simples marchandises; elles sont au cœur de la diversité, laquelle constitue un patrimoine d’une richesse inestimable.
Chaque année, des langues disparaissent, des cultures s’assimilent. Il s’agit là d’une grande perte et, comme vous le dites si bien, un appauvrissement, chaque fois, pour l’humanité tout entière.
La Francophonie doit se faire le défenseur de la diversité culturelle. Mais la Francophonie doit être, d’abord et avant tout, la Francophonie.
Elle doit aussi faire certains gestes concrets visant à redonner au français la place qui est sienne au sein des grandes organisations internationales. Votre engagement personnel dans ce dossier me réjouit. Il faudrait que la prochaine rencontre de Cotonou exige, tout simplement, le respect des textes qui sont à la base de ces organisations internationales. Je suis assuré qu’à terme une telle attitude ferait beaucoup pour la diversité culturelle.
Monsieur le Secrétaire général, vous avez ouvert d’importants chantiers ces trois dernières années. Grâce à vous, la Francophonie se présente de plus en plus comme une entité internationale ouverte sur le monde et agissant au coeur des grands débats de notre époque.
C’est donc un grand honneur pour moi d’accueillir chez nous un éminent porte-parole francophone et un fidèle ami du Québec. Puissent les années qui viennent nous permettre de mener à bien les luttes communes.
Vive la Francophonie !
Vive le Québec !

[BOUC=20001019]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Dévoilement du monument d’Adélard Godbout – 19 octobre 2000]
Au nom du gouvernement du Québec et en mon nom personnel, je me joins avec chaleur et respect à l’hommage rendu aujourd’hui à celui qui fut premier ministre du Québec brièvement en 1936 et de 1939 à 1944, monsieur Adélard Godbout.
On vient de souligner les qualités de l’homme, sa compétence, sa probité, sa générosité, son attachement aux valeurs familiales. On sait qu’il fut aussi un parlementaire de forte stature et l’un des orateurs les plus remarquables de son temps.
Mais c’est avant tout le premier ministre Adélard Godbout qu’en la présente circonstance nous honorons.
La liste des réalisations du gouvernement Godbout est vraiment impressionnante. Dès 1940, donnant suite à un engagement électoral, malgré de fortes réticences dans la société et l’opposition de l’Union nationale de Maurice Duplessis, il accorde le droit de vote aux femmes. Au terme d’un long débat de société et toujours sans l’appui de l’Union nationale, il établit en 1943 la fréquentation scolaire obligatoire de 6 à 14 ans et, l’année suivante, la gratuité de l’enseignement primaire.
La nationalisation des compagnies d’électricité de la région de Montréal et la création d’Hydro-Québec sont sans contredit des initiatives progressistes. Il faut y ajouter bon nombre d’autres mesures très souvent novatrices dans le domaine social (assistance aux mères nécessiteuses, protection de l’enfance, commission de l’assurance-maladie), dans le domaine de l’économie et en particulier de l’agriculture (lancement de l’électrification rurale, notamment), dans celui du travail (modernisation de la législation et rétablissement de la pleine garantie du droit d’association). Ce gouvernement a, par ailleurs, été le premier à prendre des mesures contre le patronage et à viser l’équité dans l’octroi des contrats gouvernementaux.
On peut considérer l’action du gouvernement Godbout comme préfigurant en quelque sorte la Révolution tranquille. L’œuvre du gouvernement dirigé par Adélard Godbout est très largement méconnue, c’est là une réalité incontestable. Tout comme le fait que l’homme qui en a été l’inspirateur et l’acteur majeur ait été voué à l’oubli presque aussitôt après la défaite de 1944 et, à vrai dire, jusqu’à maintenant.
Le nom d’Adélard Godbout était à peu près absent de la toponymie et du paysage québécois jusqu’à ce jour. Le monument érigé à sa mémoire apparaît d’abord, d’une certaine manière, comme une interrogation. Pourquoi en a-t-il été ainsi, pourquoi cet oubli? Il me semble légitime de soulever la question et de suggérer quelques pistes qu’éclaireront davantage les historiens. Leur travail est à peine amorcé par la publication d’une seule biographie du premier ministre Godbout, celle de Jean-Guy Genest, et il sera peut-être stimulé par le documentaire récent du cinéaste et écrivain, mon ami Jacques Godbout, président du Comité Adélard-Godbout.
Redevenu premier ministre en 1939, quelques semaines après le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, il est certain qu’Adélard Godbout a été desservi par la conjoncture quant à la place qu’il a tenue dans la trame des relations entre le Québec et le Canada, trame essentielle, la plus déterminante, de notre évolution politique.
Au moment où le Canada déclare la guerre à l’Allemagne, la crise de la conscription de 1917 n’avait pas encore vraiment été éliminée de la conscience collective. La question revient vite au centre du débat public; elle est complexe, déchirante même.
Convaincu du bien-fondé de la participation du Canada à la guerre, persuadé également que le recrutement de volontaires permettrait d’éviter le recours à la conscription, fort des assurances reçues à cet égard d’Ernest Lapointe et de Mackenzie King, le premier ministre Godbout s’oppose à la mesure. Pourtant, comme le souligne l’historien Genest, il ne se prononce pas « de façon catégorique sur la question posée au plébiscite » de 1942, à laquelle plus de 70 % des Québécois ont voté « non ». Ceux-ci refusaient de délier le gouvernement fédéral de son engagement, pris au début de la guerre, de ne pas recourir à la conscription.
Le « oui » l’ayant emporté dans l’ensemble du Canada, Adélard Godbout continue de croire que le premier ministre fédéral King n’imposera pas la conscription. Celle-ci devient un fait en novembre 1944; alors devenu chef de l’opposition, Adélard Godbout manifeste son désaccord en dissociant l’aile québécoise du Parti libéral de l’aile fédérale.
C’est dans le contexte de la guerre que le premier ministre Godbout a cru justifié de consentir, en 1942, à l’invasion soi-disant « temporaire » par le gouvernement fédéral des champs de taxation du Québec: impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises, impôt sur les successions. Son acceptation de l’intervention fédérale en matière d’allocations familiales et, surtout, d’un amendement constitutionnel assurant la compétence fédérale sur l’assurance-chômage a eu une portée dépassant largement les justifications liées à la conjoncture.
Au-delà du contexte que je viens d’évoquer, le premier ministre Godbout a été l’homme d’une époque, alors que, paradoxalement, il a manifesté un esprit d’avant-garde sur les plans économique et social.
Adélard Godbout a en effet été d’une époque où le nationalisme au Québec était pour l’essentiel un nationalisme « canadien », celui qu’a d’abord incarné Henri Bourassa et qui s’exprime par exemple dans la Ligue pour la défense du Canada ou dans le Bloc populaire d’André Laurendeau, de Maxime Raymond et de Jean Drapeau.
On est peut-être à la fin d’une période, celle de l’idéologie de la survivance, mais on n’en est pas encore résolument à une période d’affirmation nationale, encore moins à une percée un peu significative de l’idée de souveraineté, présente mais toujours timidement depuis les années 1830.
Marquées par la dynamique d’un temps de guerre, les relations entre Québec et Ottawa sont aussi tributaires, sous le gouvernement Godbout, du caractère encore très défensif de la volonté autonomiste du peuple québécois.
Pour bien situer les orientations et l’œuvre du premier ministre Godbout, il faut faire une place très importante, capitale même, à une autre dimension du contexte politique d’alors, celle créée par la mainmise de l’aile fédérale du Parti libéral sur l’aile québécoise. Dans les jugements portés sur le premier ministre Godbout, on n’a pas suffisamment tenu compte de cette situation objective. On ne saurait rendre correctement justice à son action sans analyser et évaluer en même temps celle de ses vis-à-vis fédéraux. À ces hommes, Adélard Godbout a fait confiance; il n’a pas toujours été payé en retour.
L’événement d’aujourd’hui nous invite à prolonger et à affiner des observations que je ne pouvais que présenter très brièvement. Ce serait une excellente façon de poursuivre l’hommage que nous rendons aujourd’hui au 15e premier ministre du Québec.

[BOUC=20001102]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Remise de la médaille de l’Assemblée nationale à Michel Auger – 2 novembre 2000]
Monsieur le Président,
Lorsque l’on m’a informé, en Conseil des ministres, de l’attentat dont avait été victime Michel Auger, j’ai été non seulement bouleversé mais aussi profondément choqué. C’est avec soulagement que j’ai appris par la suite que son état de santé n’inspirait plus de craintes.
Le Québec n’a jamais été une société où règne la violence. Nous avons la chance de vivre dans un endroit où les libertés, en particulier la liberté d’expression, sont des valeurs reconnues. Nous préférons régler nos problèmes en débattant civilement et en acceptant les différences. Nous refusons de considérer la menace ou l’intimidation comme outil de changement.
Au fil des années, plusieurs ont probablement pensé que la violence d’opinion à l’égard de citoyens ou de journalistes, observée malheureusement dans d’autres pays, ne pouvait atteindre le Québec. Le mercredi 13 septembre dernier, l’actualité nous a brutalement rappelé que nous n’étions à l’abri de rien.
Je suis personnellement très sensible à la présence de Michel Auger parmi nous aujourd’hui. Mes premiers mots seront pour l’homme. Il est rassurant et réconfortant de le voir revenir à la vie normale, de constater qu’il a repris la forme, qu’il a conjuré le mauvais sort.
J’ai aussi une pensée pour les membres de sa famille et ses intimes. J’imagine l’angoisse qu’ils ont vécue dans les heures qui ont suivi ces événements, où le temps s’égrène toujours trop lentement. À voir Monsieur Auger aujourd’hui, ses proches peuvent sans doute envisager sereinement les années qui viennent.
Bien sûr, on ne peut parler de Michel Auger sans parler de sa passion: son travail de reporter. La qualité première qui a toujours guidé ses actions est le courage. Il lui en a fallu une bonne dose depuis une trentaine d’années pour faire son travail. Vous-même, Monsieur le Président, pouvez témoigner des difficultés inhérentes au travail et aux révélations d’un journaliste d’enquête. Michel Auger, lui aussi, n’a jamais fait le choix du silence. Sa plume est au service de l’information.
Plusieurs ont aussi souligné, avec raison, l’intégrité de Michel Auger. Malgré la sensibilité des dossiers dont il assure la couverture, la nécessité d’obtenir des informations de sources diverses et l’implacable loi du silence, il a conservé une rigueur sans faille.
C’est ce sentiment d’admiration qui nous unit aujourd’hui. Même si l’humilité de ce journaliste est bien connue, il symbolise maintenant la lutte incessante que nous devons mener contre le crime organisé. Et c’est avec force que je réitère que nul ne nous fera taire, nul ne nous intimidera, nul ne nous empêchera de lutter sans relâche contre ces criminels pour qui la vie d’un homme ou d’une femme n’a aucune valeur.
Il faut réaffirmer haut et fort que les droits fondamentaux des citoyens du Québec ne peuvent être limités ou bafoués par des attaques de cette nature. Si nous acceptons cette alternative, nous aurons perdu le combat de la liberté.
C’est pour cela qu’au-delà de la personne à qui un hommage bien mérité est rendu aujourd’hui, je veux rappeler l’importance des droits et libertés acquis au fil des siècles et dont la préservation demande une attention constante. Des dizaines de collègues de Monsieur Auger et des milliers de gens au Québec ont manifesté dernièrement leur attachement à ces valeurs, qui motivent aussi notre engagement politique.
Je vous souhaite donc la bienvenue dans cette assemblée Monsieur Auger. Nous sommes heureux de vous voir parmi nous. Votre courage et votre refus du silence nous inspirent et nous incitent à réitérer notre détermination à bâtir une société tolérante et exempte de violence.
Merci.

[BOUC=20001114]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Réception offerte aux athlètes ayant participé aux jeux olympiques et paralympiques – 14 novembre 2000]
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le Chef de l’opposition,
Monsieur le Ministre,
Chers amis,
Je voudrais, moi aussi, joindre ma voix à ceux qui m’ont précédé. Je voudrais vous féliciter pour les magnifiques performances que vous avez réalisées au cours des Jeux olympiques de Sydney. Je sais que, depuis les Jeux olympiques, vous avez dû rencontrer beaucoup de gens. Vous avez dû recevoir beaucoup d’honneurs. On a dû vous décerner beaucoup de compliments et on vous a certainement rappelé que vous êtes devenus des modèles. Je me dis que vous êtes peut-être un peu fatigués de vous faire mettre sur le socle des modèles, parce que c’est toute une responsabilité d’être un modèle! Je pense que, bon gré mal gré, vous devez l’accepter.
Vous devez accepter cette responsabilité, puisque les Jeux olympiques, c’est, bien sûr, un grand moment de déploiement, de jeunesse, de capacité physique. C’est aussi, pour les gens qui vous regardent, un moment de grande admiration pour ce que vous avez fait avant. Il n’y a pas que l’instant où ça se passe, nous le savons bien. Nous savons tous que vous misez et que vous jouez en quelques secondes, quelques minutes, des années d’efforts, parfois l’essentiel de votre vie active. Quand on a vingt ans, qu’on va aux Jeux olympiques et qu’on s’entraîne depuis le tout jeune âge, on a passé sa vie dans l’entraînement, dans la préparation.
Les gens savent bien que c’est un moment où vous devez assurer une maîtrise totale de vous-mêmes. Les véritables Jeux olympiques, au fond, c’est quand on se mesure à soi plutôt que de se mesurer aux autres. Il faut d’abord se mesurer à soi, se maîtriser soi-même avant de prétendre affronter la compétition avec les meilleurs qui se trouvent dans ces grands événements tous les quatre ans. Alors, nous savons, bien sûr, que vous vous êtes bien préparés avant de participer à cette compétition qui vous oppose à des gens qui, comme vous, y ont consacré leurs meilleures énergies, leur plus grande volonté. Des gens qui, comme vous, ont eu l’appui de leur famille, qui ont même bénéficié d’un soutien collectif, souvent. Il est certain que, avant d’en arriver là, vous avez dû franchir mille étapes. À ce moment d’exaltation que représentent les Jeux olympiques, succèdent des années qui, pour certains bien sûr, représentent la continuation dans le domaine du sport et de l’effort personnel, mais, bientôt aussi, les carrières de vie qui se préparent.
Il est certain que personne ne s’est davantage prémuni que vous pour se donner les meilleures chances de réussite dans la vie. C’est pour cela que les jeunes se comparent à vous. Les jeunes savent bien que vous avez fait preuve de discipline, que vous avez déployé les plus grands efforts pour combattre vos propres ambitions personnelles. Qui n’en a pas? Chacun de nous a des obstacles à surmonter pour réussir dans la vie. Je peux vous dire que les jeunes du Québec, et pas seulement les jeunes, les gens un peu moins jeunes, comme moi par exemple, nous vous regardons.
Vous êtes un grand sujet d’admiration et d’encouragement pour continuer. Parce qu’il n’y a pas que les Jeux olympiques. Il y a d’autres efforts. Chacun dans sa vie a des efforts à déployer. C’est vrai dans la politique, c’est vrai dans la vie quotidienne de tous les travailleurs, de tous les travailleuses, de tous ceux qui élèvent des familles, qui vivent en société. Dans le quotidien, tout le monde a besoin de votre courage. Tous s’inspirent de ce que vous avez réussi pour continuer à donner le meilleur d’eux-mêmes dans leur propre vie personnelle.
Alors, je serai très heureux, moi aussi, de participer à cette petite cérémonie où nous vous remettrons des témoignages de cette admiration et de cette reconnaissance que nous vous exprimons aujourd’hui.
Merci et à bientôt.

[BOUC=20001115]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Dépôt d’un projet de loi portant sur la réforme municipale – 15 novembre 2000]
Mesdames, Messieurs,
Bonjour,
Le dépôt du projet de loi portant sur la réforme de l’organisation territoriale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais marque une étape fondamentale de cette immense tâche que s’est assignée le gouvernement d’améliorer l’efficacité municipale, de favoriser le développement économique et de régler de véritables problèmes d’équité fiscale.
Le dépôt du projet de loi intervient le jour anniversaire de l’élection du premier gouvernement du Parti Québécois. Je ne peux m’empêcher de dire que je suis persuadé que la réforme municipale d’aujourd’hui marquera autant l’avenir du Québec que certaines des grandes réformes du gouvernement de M. Lévesque. La réforme de Mme Harel sera aussi importante pour le Québec que l’ont été l’assurance-automobile, et la Loi sur le zonage agricole ou la Charte de la langue française.
Depuis 40 ans, le Québec cherche désespérément à solutionner l’épineux problème de l’organisation de nos villes, les plus grandes comme les moins grandes. La tâche est toujours apparue comme insurmontable.
Un nombre quasi incalculable d’études, de rapports, d’engagements politiques sont restés lettre morte, se heurtant à un concert d’intérêts divergents, pas toujours guidés par la poursuite du bien commun.
Je me dois aujourd’hui de rendre hommage à bien des hommes et des femmes qui ont rendu possible la démarche d’aujourd’hui. La ministre des Affaires municipales, Mme Harel, a su piloter le dossier avec doigté et fermeté dans le respect des opinions des autres et dans le souci constant de faire progresser le débat d’idées.
Elle a été appuyée de façon magistrale par l’équipe du ministère, dont le travail, pas toujours visible, n’en est pas moins remarquable. Je me dois aussi de souligner les travaux indispensables de Messieurs Louis Bernard, Jean-Louis Lapointe et Antoine Grégoire, les mandataires gouvernementaux. Ils ont débroussaillé les principes, les ont transformés en propositions concrètes, après avoir accepté d’entrer dans ce qui, à certains moments, ressemblait à la cage aux lions. La plupart des recommandations ont été suivies, certaines ont été modifiées. Sans leurs rapports, le projet de loi d’aujourd’hui n’existerait pas.
Dès mon arrivée à Québec, le dossier municipal m’est apparu comme incontournable. Les problèmes soulevés pendant 40 ans n’étaient pas résorbés. Bien au contraire, ils avaient empiré. Montréal, en particulier, était dans une situation dramatique. Son économie dépérissait, ses finances publiques étaient si mal en point, que, chaque année, il nous fallait lui accorder une aide d’urgence. Partout ailleurs, chez nos concurrents économiques, tant au Canada qu’ailleurs, on assistait à la consolidation des municipalités. Voilà pourquoi, dans le discours inaugural du 25 mars 1996, j’insistais sur la création du ministère de la Métropole, tout comme sur le mandat donné au ministre des Affaires municipales de proposer rapidement une carte proposant la fusion et la consolidation des municipalités du Québec.
Bien évidemment, la réforme municipale ne fait pas l’unanimité. En société, l’unanimité est une donnée bien rare. C’est à la fois sain et normal. Il faut dire cependant que l’opinion a énormément évolué. Si cela est vrai partout, c’est particulièrement frappant dans la région de l’Outaouais, sur la Rive-Sud de Québec et celle de Montréal. Le dépôt du projet de loi de même que les comparaisons sur les impacts fiscaux de la réforme vont contribuer à alimenter le débat et l’opinion.
Les seuls critères qui ont guidé la réflexion et les décisions du gouvernement sont l’intérêt général et l’équité. Une société ne peut progresser si elle se confine à l’immobilisme ou au statu quo. Il serait extrêmement dangereux et irresponsable que la peur du changement ou le goût de la facilité fassent en sorte de transformer les erreurs et les inéquités d’hier en stratégie pour demain.
La refonte municipale proposée aujourd’hui est une occasion unique de positionner le Québec pour l’avenir. Pour moi, elle s’inscrit dans la foulée de ce que nous avons déjà entrepris au chapitre de la relance de l’emploi et de l’économie, et du rétablissement de finances publiques saines et équilibrées. Cette refonte s’inscrit tout autant, peut-être même davantage, dans notre volonté de promouvoir la social-démocratie. Parce qu’elle mettra fin à beaucoup d’inéquités fiscales, (la simple lecture des documents sur les impacts fiscaux le démontre) cette réforme est socialement aussi importante que la politique familiale et les garderies à 5 $.
Le dépôt du projet de loi n’est pas un aboutissement, c’est une étape charnière. Le travail des comités de transition demeurera crucial. C’est là aussi un travail que nous suivrons de très près.

[BOUC=20001121]
[Lancement des opérations boursières de Nasdaq]
Mesdames, Messieurs,
Il me fait plaisir aujourd’hui d’accueillir Monsieur Zarb, Monsieur Wall et l’ensemble des représentants de Nasdaq à Montréal afin de participer à la concrétisation de l’implantation de cette Bourse à Montréal.
[It’s a pleasure for me today to welcome Monsieur Zarb, Monsieur John T. Wall and all the agents of Nasdaq in Montréal to take part at the realization of the implantation of the stocks exchange in Montréal. I am also pleased to notice the presence of numerous members of the financial community and of the business world in Québec as the rest of Canada.]
Ce lancement des opérations de Nasdaq à Montréal donne suite à l’annonce d’avril dernier de sa venue au Québec.
Le gouvernement du Québec s’était engagé à appuyer cette initiative majeure afin d’en assurer son succès. Cet engagement s’est traduit dans un premier temps par l’adoption du projet de loi 125 par l’Assemblée nationale en juin dernier afin, rappelons-le, de procéder rapidement. La renommée et la crédibilité de Nasdaq ne sont plus à faire, et je suis heureux que ses dirigeants aient choisi Montréal pour son implantation au Canada.
Le lancement des opérations de Nasdaq Canada à Montréal visant l’ensemble du marché canadien se veut une confirmation éloquente du dynamisme qui caractérise l’économie du Québec, en particulier dans les secteurs de croissance comme ceux des technologies de l’information ou de la biotechnologie, qui sont fortement représentés sur la Bourse Nasdaq.
Nous partageons les mêmes objectifs: offrir à l’ensemble des entreprises canadiennes le meilleur accès possible à un vaste bassin de capital nécessaire à leur croissance; et offrir aux investisseurs la possibilité de transiger le plus grand nombre de titres possible au meilleur prix.

[It is worth repeating that Nasdaq’s international expansion fits in perfectly with Québec’s approach of openness to the world. Québec played a major role in the successful conclusion of the North American free trade agreements in the late 1980s. These agreements have allowed freer trade in goods. It is now time to turn our attention to the financial sector, and Nasdaq’s arrival in Montréal is a significant step in that direction.]
Les entreprises d’ici ont bénéficié et continueront de bénéficier de cette libéralisation des marchés. Ces entreprises peuvent être assurées du support constant du gouvernement du Québec qui vise à leur offrir un environnement favorable au développement des affaires.
Depuis trois ans, plus de 250000 emplois ont été créés au Québec. La collaboration avec Nasdaq constitue un geste additionnel en faveur du développement économique afin de continuer à favoriser cette création d’emplois pour les femmes et les hommes, jeunes et moins jeunes, du Québec.
Monsieur Zarb, [I would like to conclude by reiterating our support. You can rely on us to work towards making Nasdaq’s arrival in Montréal a success that meets the needs of Canadian companies as well as those of investors.]
Merci de votre attention.

[BOUC=20001130]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – 60e anniversaire de la Délégation du Québec à New York – 30 novembre 2000]
Monsieur le Secrétaire au trésor,
Madame la Déléguée générale,
Chers collègues de l’Assemblée nationale du Québec,
Monsieur Daniel Johnson, ancien premier ministre du Québec,
Membres du Syndicat financier représentant le Québec,
Distingués invités,
Chers amis,
Mes premiers mots seront pour remercier le secrétaire Regan qui a eu l’amabilité de me présenter à vous. Votre seule présence, Monsieur le Secrétaire, rehausse l’événement d’aujourd’hui. C’est un honneur pour moi que vous ayez accepté de me précéder sur cette tribune où l’occasion m’est offerte de souligner le 60e anniversaire de notre toute première délégation générale, celle de New York.
Au cours des six dernières décennies, les relations du Québec et de New York se sont profondément transformées. Revêtant autrefois la simple dimension d’échanges entre un emprunteur et son banquier, ces relations prennent désormais l’allure d’un partenariat multiforme, autant économique que scientifique et culturel.
Permettez-moi d’illustrer brièvement cette évolution. Dès 1879, le gouvernement du Québec devient le premier emprunteur étranger à lancer sur le marché new-yorkais une émission d’obligations. Cet emprunt de 3000000 $ (environ 55000000 $ d’aujourd’hui) vise à financer la construction du [Québec, Montréal and Occidental Railway]. La firme Kuhn Loeb & Co. de New York et la Banque de Montréal dirigent ce syndicat financier. Dans ses éditions du 27 février et du 8 mars de la même année, le quotidien New York Evening Post rapporte avec une pointe de fierté: [« An English syndicate competed for the loan, but the New York bankers offered more satisfactory terms to the government. » « It should go on the record that the first foreign loan ever offered in New York was successful beyond expectation. »]
Jusqu’en 1939, le Québec procède à une dizaine d’émissions d’obligations sur le marché de New York afin principalement de financer le développement de son infrastructure routière.
En 1940, la Délégation générale ouvre ses portes sous l’impulsion du premier ministre Adélard Godbout. Durant son mandat, ce même premier ministre décide de créer une petite société d’État qui fera rapidement parler d’elle sur Wall Street: Hydro-Québec.
1953 est une année charnière. Hydro-Québec lance un premier emprunt de 50000000 $ sur le marché américain, piloté par un syndicat financier ayant à sa tête la First Boston. Il s’inscrira alors dans la suite des choses de compter sur l’appui des marchés américains afin de réaliser le regroupement des sociétés québécoises d’électricité au début des années 60 et la construction subséquente de gigantesques barrages hydroélectriques.
Hydro-Québec a depuis ce temps effectué certains emprunts d’importance, dont celui de 1976 à hauteur de 1000000000 $, l’un des plus gros placements privés effectués à l’époque par un emprunteur étranger sur le marché yankee; celui de 1986, le premier portant une échéance aussi longue que 40 ans, et celui de 1991, la plus importante transaction à taux fixe jamais réalisée sur le marché public new-yorkais.
L’an dernier, le gouvernement du Québec et Hydro-Québec ont poursuivi cette tradition en lançant avec succès deux émissions d’obligations mondiales: l’une en février, de 1000000000 $, et l’autre en septembre, de 1500000000 $. Mais nous aimons réussir dans d’autres domaines que l’emprunt.
Il y a près de cinq ans, le gouvernement du Québec faisait face à une situation financière difficile. Nous avons alors décidé, comme société, de faire le nécessaire pour mettre fin à quarante années de déficits, équilibrer notre budget et relancer notre économie. Il s’agissait non seulement d’assurer l’intégrité de notre État, mais aussi de maintenir la confiance des marchés financiers intérieurs et étrangers.
Non seulement avons-nous accompli notre tâche, comme en témoigne l’amélioration de la cote accordée au gouvernement par les principales maisons de crédit, mais avons-nous aussi réussi, selon les indicateurs économiques, à propulser le Québec dans une ère que Monsieur Greenspan (Réserve fédérale américaine) qualifierait sans doute d’« exubérance rationnelle ».
La croissance économique du Québec par habitant dépasse celle du Canada depuis 1994. L’an dernier, l’investissement privé non résidentiel au Québec a progressé six fois plus rapidement qu’au Canada. Les exportations du Québec ont rapidement augmenté en une décennie, passant de 44 % à 59 % du PIB. Cela consacre le Québec, et ses 7500000 d’habitants, comme septième exportateur sur le marché américain. Et les bonnes nouvelles ne vont heureusement pas à sens unique, puisque le Québec est désormais votre cinquième marché d’exportation devant une puissance économique comme l’Allemagne.
Ce qui frappe davantage l’imagination, c’est ce vent de modernité qui métamorphose le Québec et, par voie de conséquence, la nature de nos échanges. Ce n’est plus seulement la provenance québécoise du papier utilisé par le Wall Street Journal, le New York Daily News ou d’autres journaux nord-américains qui retient l’attention, mais ce que l’on peut y lire. En mai dernier, le New York Times a publié un article concernant le renouveau économique de Montréal: [« Concentration of brain power has helped to move Montréal away from its old industrial base into a mix of biopharmaceutical companies and other technology-based concerns. »] Le Washington Post relatait récemment: [« Aided by generous tax credits from the Québec Government, Montreal companies put more money into R & D than those elsewhere in Canada. » ]
Ce même journal évoque, dans une récente chronique, le confort et la rapidité de l’Acela Express construit par un consortium dirigé par la firme québécoise Bombardier qui, aux dires du secrétaire aux Transports Rodney E. Slater: [« symbolizes the beginning of a new era in American transportation, not only for the northeast, but eventually for the entire country. »] Cette percée fait suite au Regional Jets de la même entreprise, appareil qui a littéralement réinventé le marché des réactés régionaux.
Pour ce qui est de notre métropole, Montréal, son rôle de plaque tournante en haute technologie s’affirme de jour en jour. Une étude publiée par Price Waterhouse en octobre montre que Montréal se classe quatrième parmi les 15 plus grandes régions métropolitaines en Amérique du Nord pour la concentration des emplois en haute technologie per capita. En juillet dernier, le magazine Wired l’a classée au cinquième rang mondial des villes de haute technologie, à égalité avec Seattle et New York, mais devant Los Angeles, Paris et Tokyo. C’est sans doute à cause de cela si certains films à succès comme Jurassic Park, Titanic et The Matrix ont produit leurs effets spéciaux à l’aide de logiciels conçus par des firmes de chez nous.
À l’instar de certaines capitales, la région de Québec a su créer davantage d’emplois au sein de la haute technologie qu’elle n’en a perdu lors de notre nécessaire opération de réduction des effectifs de l’administration publique intervenue au cours de la dernière décennie. Sa Cité de l’optique, notamment, draine chez nous des chercheurs et des gens d’affaires d’un peu partout au monde.
Mais l’explosion des nouvelles technologies déborde la Cité du multimédia de Montréal, et leur accès s’étend maintenant à l’ensemble du territoire québécois. Ainsi pouvait-on lire dans le Globe and Mail de Toronto, le 17 novembre dernier, que:
[« About 42 % of households in [Québec] are now wired to the Web, (as compared with 43 % in the US) up from only 29 % last year, as more and more French-language Web sites are created. Montréal continues its rise as a hotbed for the high-tech industry. In addition to the increase in French-language sites, there is more emphasis by the [Québec] government in making its residents Internet-literate. »] Compte tenu de tout ce qui précède, ce n’est pas une surprise si Nasdaq a choisi Montréal afin d’y établir une de ses premières antennes en dehors des États-Unis. Nos entreprises, dont certaines comme Alcan sont inscrites à la Bourse de New York depuis les années 50, pourront maintenant avoir accès à un bassin encore plus vaste de financement. Les places financières de Montréal et de New York deviendront plus interconnectées que jamais. Cette situation est directement reliée à la conclusion du traité de libre-échange qui a bénéficié d’un large appui au sein de la population québécoise.
Ces nombreux exemples ne peuvent plus être considérés comme la somme de cas d’espèce. Ils sont l’expression d’une dynamique d’ensemble: le Québec est non seulement entré dans l’ère du savoir, mais il compte parmi ses pionniers. Bien que notre secteur industriel demeure vigoureux, nos échanges se complexifient et se diversifient.
Il est bon de rappeler que l’expérience québécoise se caractérise par une dualité fondamentale: notre ouverture sur le monde se conjugue à l’affirmation de notre langue et de notre culture. Les artistes et les créateurs québécois sont très présents sur la scène new-yorkaise. Les noms de Robert Lepage, l’Orchestre symphonique de Montréal et le Cirque du Soleil vous viennent sans doute spontanément à l’esprit. Notre façon de vivre et notre culture sont en pleine effervescence, et nous souhaitons vous les faire connaître davantage. C’est pour cette raison que nous présenterons, l’automne prochain, une saison du Québec à New York. J’aurai l’occasion, dans les heures qui viennent, de dévoiler les grands axes de cet événement qui saura vous réserver d’agréables surprises.
Je voudrais tout d’abord exprimer toute ma gratitude et mes remerciements aux anciens délégués généraux et aux employés de cette délégation, qui tout au long des dernières années ont su bien représenter le Québec à New York. Je tiens aussi à remercier Mme Diane Wilhelmy qui, depuis plus de deux ans, dirige une équipe de gens dévoués et déterminés à multiplier les maillages avec vos entreprises. Le rôle de cette délégation sera en outre accru puisque notre gouvernement a décidé de lui allouer des ressources financières et humaines additionnelles, afin d’en optimiser le rayonnement et de consacrer l’importance de notre présence aux États-Unis. J’ai aussi tenu à ce que notre réseau se déploie sur Boston, Chicago, Los Angeles et Miami.
La longue et féconde tradition d’échanges que j’ai évoquée aujourd’hui voit donc poindre un tournant qui coïncide avec la mondialisation de notre économie, l’accession de nos sociétés à un nouveau paradigme technologique et la gestion plus rigoureuse et mieux ciblée des deniers publics. Notre commerce revêt désormais des formes plus complexes, mieux diversifiées et plus prometteuses qu’il y a quelques années à peine. Les forces vives du Québec, l’ingéniosité de ses entrepreneurs, la très haute qualité de ses universités et centres de recherche, la créativité de ses scientifiques et l’originalité de ses artistes s’y sont avantageusement préparés.
Le Québec et New York ont bien changé au cours des 60 dernières années, mais deux choses se sont maintenues: la passion new-yorkaise pour l’avant-gardisme et l’amitié indéfectible qui nous unit. Quant à la première, je n’ai pas de crainte que la nouveauté sera toujours chez elle dans le [Big Apple]. Quant à la seconde, elle est acquise, et les années qui viennent ne feront sans doute que la conforter.
Merci beaucoup.

[BOUC=20001206]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à l’occasion du centenaire du Mouvement desjardins – 6 décembre 2000]
Mesdames, Messieurs,
Il y a cent ans, jour pour jour, Alphonse Desjardins et son épouse Dorimène fondaient, ici même à Lévis, la première coopérative d’épargne et de crédit en Amérique du Nord. Ils jetaient alors les bases de ce qui allait devenir un formidable outil d’organisation économique pour les Québécoises et les Québécois.
À cette époque, la majorité de la population était établie en milieu rural et les gens n’avaient pas vraiment accès à l’épargne ou au crédit. Le chômage, la maladie et les autres imprévus de la vie les rendaient vulnérables. Cette situation préoccupait Alphonse Desjardins. C’est une chance pour nous qu’il ait été scandalisé par cette inéquité, puisque c’est ce qui l’a amené à créer une coopérative d’épargne et de crédit. La première caisse populaire est née de cette idée. Six ans après la première, il y en avait quatre. Vous connaissez la suite.
Pour permettre la croissance du coopératisme, Monsieur Desjardins devait obtenir une reconnaissance légale. Il a dû faire preuve de persévérance et de détermination pour obtenir cet encadrement. Comme la question relevait du gouvernement fédéral, il a d’abord entrepris des démarches à Ottawa. Même s’il avait des appuis auprès de certains députés à la Chambre des communes, sa démarche s’est avérée infructueuse. Finalement, c’est le gouvernement du Québec qui, en 1906, a adopté la Loi concernant les syndicats coopératifs, une loi qui plaçait les caisses sous la juridiction provinciale.
Fortes de ce nouveau statut, les caisses populaires se sont multipliées partout au Québec. Le réseau s’est enraciné dans les milieux et s’est ramifié en un ensemble imposant d’institutions financières. Aujourd’hui, après un siècle de développement, le Mouvement Desjardins figure parmi les joyaux du coopératisme à l’échelle internationale. C’est un outil collectif qui a contribué de manière significative à l’essor économique et social du Québec. Le Mouvement Desjardins peut être fier d’avoir contribué à donner aux gens l’habitude et les moyens d’épargner. Il a agi pour consolider de nombreuses entreprises locales et artisanales. Il a participé activement au progrès des communautés québécoises.
Desjardins est une coopérative qui nous appartient et qui nous ressemble. 5000000 de membres québécois sur une population d’un peu plus de 7000000 de personnes. Avec près de 40000 employés, Desjardins est le plus important employeur privé au Québec. Il dispose d’un actif de 77000000000 $. Malgré cette taille impressionnante, le réseau des caisses Desjardins est demeuré près des gens. Le Mouvement Desjardins a été très actif dans le développement économique du Québec moderne. Citons quelques exemples. Un investissement majeur à la Société générale de financement du Québec dans les années 60. La création de la Société d’investissement Desjardins au début des années 70. Je pense aussi au lancement de plusieurs fonds de développement régional. Desjardins s’est aussi engagé dans le développement international. Il nous a permis de partager notre expertise avec d’autres sociétés à travers le monde. On reconnaît là, encore une fois, l’esprit de solidarité qui caractérise les Québécoises et les Québécois.
Avec la création des guichets automatiques, des services informatisés, du paiement direct et de l’Internet, Desjardins a véritablement pris le virage technologique. Il est bien outillé pour entrer dans le troisième millénaire. Notre couple visionnaire du début du siècle serait fier de voir le fruit de leur initiative. En l’an 2000, Desjardins est devenu un vaste réseau financier moderne, dynamique et novateur. Avec ses cent ans d’existence, le Mouvement Desjardins constitue un fleuron de l’économie québécoise. Il est présent partout dans la vie quotidienne des Québécoises et des Québécois. Je souhaite vivement qu’il continue de servir les intérêts de la population comme il le fait déjà si bien depuis un siècle. Merci!

[BOUC=20001207]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Adoption du projet de loi 99 – Québec – 7 décembre 2000]
Monsieur le Président,
Il y a plus de 200 ans, nos ancêtres ont décidé de doter le Québec, ce qu’on appelait alors le Bas-Canada, d’une assemblée législative. Depuis lors, les élus de notre peuple, en provenance d’un peu partout au Québec, s’y sont rassemblés afin de débattre, parfois âprement, d’enjeux fondamentaux et d’adopter les lois qui encadrent notre vie collective.
Notre Parlement, plus ancien que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, reste au cœur de ce que nous sommes et au centre des activités de notre État. Pendant tout le 20e siècle, notre État s’est affirmé et notre peuple lui a, à maintes reprises, réitéré son attachement. Les changements de gouvernement et l’avènement de nouveaux partis politiques n’ont jamais altéré cette conviction profonde que nous partageons, celle de considérer cet État comme le seul qui nous appartient en propre et sur lequel nous avons le plein contrôle.
Au début de la Révolution tranquille, lorsqu’est venu le temps de prendre en mains notre vie collective et en particulier notre économie, c’est naturellement sur lui que nos dirigeants se sont appuyés. Et peu à peu, les Québécois sont devenus de plus en plus maîtres chez eux.
Au tournant des années 80, la plate-forme politique du Parti libéral, connue sous le nom de Livre beige, a bien résumé le cheminement historique du Québec et de son État, et je cite: […] on parle de plus en plus couramment de l’État du Québec: ce changement de vocabulaire n’est pas un accident sémantique, il traduit un changement de perception. On perçoit de plus en plus nettement, en effet, le caractère distinctif de la société québécoise et les défis historiques nouveaux auxquels elle fait face; on considère de plus en plus que cette société, pour survivre et s’épanouir, doit posséder chez elle le contrôle des leviers majeurs de son développement; on conclut de plus en plus que le gouvernement du Québec est l’instrument privilégié dont dispose le peuple québécois pour assurer son épanouissement et son affirmation suivant son génie propre.
Le grand mouvement collectif de la Révolution tranquille a déclenché un bouillonnement social et intellectuel dont les effets ont été ressentis dans toutes les sphères de notre société. Il eut d’importantes répercussions sur le plan politique. Guidés par une nouvelle volonté d’autonomie, certains se mobilisent et affirment haut et fort qu’il faut aller plus loin que les simples revendications traditionnelles. D’une minorité représentant un infime pourcentage d’électeurs, le mouvement souverainiste commence à essaimer un peu partout. Rapidement, en seulement deux scrutins, un électeur sur trois vote pour la souveraineté-association. En 1976, René Lévesque et son parti reçoivent la confiance populaire et forment un gouvernement majoritaire.
Cette élection fut une première. Elle place les Québécoises et les Québécois devant un choix nouveau : continuer à vivre dans le régime fédéral, hérité de l’Acte de 1867, ou faire du Québec un État souverain, associé à ses voisins.
Face à cette situation, le premier ministre fédéral Pierre Trudeau affirme, en février 1977, et je cite:
« Il faut avoir le courage de se poser la question […] il ne faut pas avoir peur de perdre ou de gagner la bataille […] J’ai l’impression qu’on va la gagner. Mais il faut que j’accepte les règles du jeu. » Ce choix fondamental est soumis à la population québécoise en 1980. Un vigoureux débat s’engage. Les partis politiques du Québec sillonnent notre territoire pour rencontrer le plus de gens possible. Le gouvernement fédéral s’implique et investit même des sommes colossales dans la défense de son option. Nos concitoyens se rendent voter le 20 mai 1980. Ce rendez-vous emporte la reconnaissance par tous, ici comme ailleurs, du droit inaliénable de notre peuple de décider de son avenir.
Les résultats du référendum marquèrent une victoire du camp fédéraliste. Par la suite, les leaders fédéralistes reconnurent d’emblée le droit des Québécois à décider de leur avenir.
Onze ans après le scrutin référendaire, en 1991, Monsieur Jean Chrétien, alors chef de l’opposition à la Chambre des communes, réaffirmait ce droit inaliénable des Québécois, soulignant que le gouvernement fédéral, s’il ne l’avait pas reconnu, n’aurait jamais participé à un référendum au Québec en 1980.
L’importance du rendez-vous de 1980 a aussi été reconnue en 1997, par l’actuel chef de l’opposition à l’Assemblée nationale. Il a alors affirmé, et je le cite :
« Soyons clairs sur une chose, le droit du Québec de décider lui-même de son avenir a été réglé en 1980. Il n’est plus question de revenir là-dessus. »
Ce droit, notre plus fondamental comme peuple, fut exercé à deux reprises par la suite.
Rappelons tout d’abord que, en 1992, le premier ministre du Québec, Monsieur Robert Bourassa, a proposé à la population québécoise, cette société libre et capable d’assumer son destin, un projet d’accord politique connu sous le nom d’Entente de Charlottetown. La question posée fut soumise, débattue et adoptée par l’Assemblée nationale. Comme on le sait, cette entente fut rejetée, à la majorité des voix exprimées.
Il est utile de rappeler aussi que ce second référendum fut tenu suivant les règles de la démocratie québécoise. L’organisation, les règles de financement des deux options et le contrôle de l’exercice du droit de vote, tout cela fut confié au Directeur général des élections et soumis à la Loi sur les consultations populaires du Québec. Le gouvernement fédéral de l’époque, pourtant un ardent défenseur de l’entente, ne mit jamais en cause la capacité de la démocratie québécoise d’assurer un déroulement satisfaisant du scrutin et un résultat incontestable.
Puis vint 1995. Faisant suite aux échecs encourus par les accords du lac Meech et de Charlottetown, le gouvernement nouvellement élu de Monsieur Jacques Parizeau convie les Québécois à un troisième scrutin référendaire. C’est à nouveau de leur avenir politique qu’il est question. La liberté de choix de nos compatriotes ne fait pas partie du débat et n’est pas contestée. Chaque camp consacre ses efforts à la promotion de son option comme il se doit. Aux quatre coins du Québec, on en débat en famille, entre amis et entre collègues de travail. Tout le monde chez nous se sent interpellé. Mais tout le monde au Québec sait aussi que ce sont les Québécoises et les Québécois, seuls, qui prendront cette importante décision.
Le chef du NON de l’époque, Monsieur Daniel Johnson, défendait l’option fédéraliste. Mais jamais il n’a remis en question cette vérité fondamentale. Comme premier ministre, il avait reconnu le droit de ses concitoyens à la liberté de choisir :
« Il m’apparaît extrêmement clair qu’au Québec, […] nous avons déjà exercé, en 1980, le droit à l’autodétermination. »
Les résultats du 30 octobre 1995 ont démontré à la face du monde la solidité et la vigueur de la démocratie québécoise. Près de 94 % des électeurs inscrits se sont rendus aux urnes. Le OUI a remporté 49,4 % des voix, et 54000 votes ont fait la différence entre les deux options. Au regard de l’actualité politique, il est approprié d’insister sur le taux de participation populaire: 94 % des électeurs inscrits ont voté.
Mais cet exercice démocratique, couvert par les médias du monde entier, ne connut pas les suites attendues par plusieurs. Certains avaient espéré qu’une victoire aussi courte induirait le gouvernement fédéral à rechercher activement une solution au problème québécois. On pouvait s’attendre à des efforts pour corriger 1982 ou à tout le moins une tentative d’ouverture à l’égard du Québec. Ce fut plutôt le contraire. Au lendemain du scrutin, on passa vite des promesses fédérales de lendemains qui chantent à la dure réalité qui déchante. Une vague résolution du Parlement fédéral, reconnaissant le Québec comme une société distincte, fut perçue pour ce qu’elle était : vide de sens. Elle tomba bien vite dans l’oubli.
Les observateurs avertis remarquèrent plutôt le fait que ce résultat obligea Ottawa à faire un désagréable constat: l’option fédéraliste pouvait perdre et avait plus à perdre en 1995. Les stratèges fédéraux, même dans leurs pires cauchemars, n’avaient pu imaginer un scénario de victoire souverainiste.
C’est alors que leur vint une inspiration: attaquer la démocratie québécoise, attaquer les institutions du Québec, attaquer la liberté de choisir du peuple québécois. Le sort en était ainsi jeté. Il fallait contrôler au maximum les aspirations en provenance du Québec. On était bien loin des promesses du premier ministre fédéral qui, en octobre 1995, à quelques jours du scrutin référendaire, s’était solennellement engagé, dans une déclaration télévisée, à ce qu’aucun changement affectant les pouvoirs du Québec ne s’effectue sans le consentement des Québécois.
Le gouvernement fédéral a alors fait appel à la Cour suprême du Canada en lui soumettant trois questions dont même le libellé en partant fut critiqué par des experts internationaux. Lors des audiences, le Procureur général du Canada va même jusqu’à nier l’existence du peuple québécois. Mais en août 1998, la Cour suprême du Canada rend un avis qui en surprend plus d’un. Son contenu crée une véritable commotion à Ottawa.
Pendant des années, le gouvernement fédéral avait maintes fois laissé entendre que le projet souverainiste était illégitime. La Cour affirme le contraire.
Depuis les résultats serrés du troisième référendum, celui de 1995, Ottawa contestait également le libellé de la question et le seuil de la majorité nécessaire à une victoire du OUI. Or, la Cour suprême n’a d’aucune façon remis en cause le droit de l’Assemblée nationale de décider, seule, de la question et du seuil de la majorité.
Mais ce qui a fait le plus mal aux chantres de la ligne dure, c’est la position de la Cour sur la conséquence logique de la légitimité du projet souverainiste: l’obligation de négocier de bonne foi. Non seulement la Cour affirme qu’une victoire souverainiste oblige le reste du Canada à négocier, mais elle fait de la tenue de ces négociations une obligation constitutionnelle.
Le gouvernement fédéral décide de ne pas s’en laisser imposer, même par sa propre Cour, dont il nomme tous les juges. Il emprunte la voie législative, ce qui est moins compliqué que de changer d’un coup les neuf juges de la Cour. Il dépose le projet de loi C-20.
L’objectif et le contenu de ce projet de loi sont aussitôt dénoncés par tous les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale du Québec, auxquels se sont joints plusieurs groupes et institutions issus de divers horizons. Comme le résume si bien l’ancien chef du Parti libéral du Québec, Monsieur Claude Ryan:
« Le projet de loi accrédite l’impression qu’au Québec, la démocratie, c’est pas une affaire trop sûre, que l’on ne peut pas les laisser marcher tout seuls [les Québécois] et qu’il faudrait leur donner des balises. Alors qu’au fond, la démocratie québécoise est en avance sur la démocratie fédérale. »
Au-delà de l’option souverainiste, l’intervention fédérale attaque deux fondements cruciaux de tout notre système de consultation populaire: le libellé de la question et la majorité requise.
J’en profite aussi pour insister sur le fait que, sur le fond des choses, ce ne sont plus nos différentes options politiques qui sont en cause, c’est notre liberté démocratique.
Sur le libellé d’une possible question d’abord, il transpire de la loi fédérale une arrogance manifeste. Il semble que les Québécoises et les Québécois ne soient pas capables de comprendre ni le sens des mots, ni le sens des phrases, ni le sens des questions. La Chambre des communes va s’en mêler et donner son assentiment. Ce n’est plus le Québec qui décide, c’est une autre juridiction. Comme si nous étions moins clairvoyants que les autres et qu’il serait nécessaire de nous protéger de notre propre jugement. À cet égard, nul n’a mieux résumé le ridicule de la situation que le député de Châteauguay et whip en chef de l’opposition officielle, qui, après le référendum de 1995, déclarait, et je cite: « Il y a un devoir de clarté. Mais c’est la population qui, par son jugement, va décider s’il y a clarté ou pas. En ce sens, je pense que le premier ministre [fédéral] devrait faire confiance au bon jugement de la population du Québec. »
Au cœur du projet de loi 99, l’article 3 prescrit que le peuple québécois détermine seul, par l’entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités de l’exercice de son droit de choisir le régime politique et le statut juridique du Québec.
Cet énoncé n’invente rien. Il ne vise qu’à empêcher toute intervention extérieure dans nos débats relatifs à l’avenir du Québec et affirme clairement que nous n’avons pas besoin collectivement d’un grand frère.
Mais il y a pire encore, si c’est possible. Le gouvernement fédéral a aussi décidé de changer les règles du jeu, même s’il les a acceptées à trois reprises. Il a inventé une nouvelle façon de calculer les votes pour se sortir, avec l’élégance d’un éléphant, des règles fondamentales de la majorité. Il a créé la majorité flottante. Cette majorité, le vote des Québécois, devient un simple bouchon de liège qui flotte sur l’eau montante. À une règle fondamentale de la démocratie, le Parlement fédéral tente de substituer un indigne stratagème.
Cette nouveauté, contestée par les leaders d’opinion québécois et par les partis politiques, a même eu un écho à l’étranger. En avril dernier, un éminent ancien premier ministre de France, Monsieur Raymond Barre, avouait se trouver perplexe devant une telle pratique, et je cite: « Ceci me paraît assez singulier et curieux. Vouloir fixer une majorité que je qualifierais d’opportuniste ne semble pas acceptable du point de vue de la démocratie. »
Le projet de loi 99 répond à cette dérive démocratique. Il le fait en s’appuyant sur la valeur intrinsèque de tous et chacun des votes. Il énonce que lorsque le peuple québécois est consulté par un référendum tenu en vertu de la Loi sur la consultation populaire, l’option gagnante est celle qui obtient la majorité des votes déclarés valides, soit cinquante % de ces votes plus un vote.
Mais puisque toutes nos institutions se trouvent attaquées, la loi soumise à cette Assemblée couvre toutes les prérogatives de l’État québécois. Les différents chapitres de la loi édictent, en résumé, que l’État du Québec tient sa légitimité de la volonté de notre peuple, que le français est la langue officielle du Québec, que notre minorité anglophone a des droits inaliénables, que notre territoire est inviolable, que les nations autochtones doivent se développer et qu’il faut favoriser leur épanouissement.
La disposition finale prévoit qu’aucun autre parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l’autorité, la souveraineté et la légitimité de l’Assemblée nationale ni contraindre la volonté démocratique du peuple québécois à disposer lui-même de son avenir.
C’est donc plus qu’une simple loi. Cela tient plutôt d’une charte des droits politiques du peuple du Québec.
Certains ont affirmé que ce projet de loi s’inscrirait plutôt dans une dialectique souverainiste et que, en conséquence, les fédéralistes devaient s’en tenir loin. La défense des pouvoirs de l’Assemblée nationale n’est pas l’affaire d’un camp ou de l’autre. Il s’agit aujourd’hui d’adopter une loi qui réaffirme le droit de chaque citoyenne et de chaque citoyen, chacun d’entre nous, d’exprimer son vote, rien qu’un vote, mais tout un vote, pour décider de son avenir.
A-t-on besoin d’être souverainiste pour réaffirmer les pouvoirs de l’État du Québec, pour proclamer haut et fort l’intégrité de notre territoire, pour réitérer les règles de la démocratie, pour préserver le droit des Québécoises et des Québécois de choisir leur avenir, au moment où il est brutalement assailli par l’instance fédérale?
Même si la réponse est évidente, je pense approprié de citer simplement les paroles d’un de mes prédécesseurs, Monsieur Robert Bourassa, qui mentionnait en 1992, et je cite: « Dans le fédéralisme [canadien], le Québec vise à obtenir tous les pouvoirs pour gérer son développement social, culturel et économique. Il constate aussi que dans ce fédéralisme, il conserve son droit à l’autodétermination ou son droit à la souveraineté qu’on lui a reconnu de facto en 1980. »
Je pense que si l’opposition officielle avait besoin d’un blanc-seing pour soutenir la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, elle le trouvera dans cette déclaration de Monsieur Bourassa.
Après toutes ces générations d’hommes et de femmes qui ont consacré les meilleures années de leur vie au service public, après la tenue de tous ces rendez-vous électoraux et référendaires, après ces millions de Québécois qui sont allés déposer, génération après génération, leur vote dans les urnes, après toutes ces années où nous avons pu choisir librement nos gouvernements et notre statut politique, nous n’accepterons pas qu’un autre Parlement travestisse les règles démocratiques qui ont fait et feront notre histoire.
Cette législation préserve nos droits fondamentaux. Elle édicte que notre liberté ne peut être entravée. Elle nous permet de maintenir toutes les options ouvertes et d’envisager l’avenir avec la sérénité d’un peuple sûr de lui et conscient de tout ce qu’il peut réussir.
J’aurais l’impression de trahir la mémoire et les actions de mes prédécesseurs si nous acceptions le carcan de la loi C-20. Nous ne devons pas être les complices muets de l’offensive fédérale. Nous avons, en cette assemblée et ailleurs, le devoir sacré de défendre l’intégrité des institutions qui nous ont été transmises.
Il faut garder toutes grandes ouvertes les portes de l’avenir du Québec, de l’épanouissement de notre peuple, de son développement et de ses choix.
En terminant, je laisserai la parole à un autre ancien premier ministre du Québec, Monsieur René Lévesque, et je cite: « Le droit de contrôler soi-même son destin national est le droit le plus fondamental que possède la collectivité québécoise. »
Nous sommes conviés ce matin à affirmer et à défendre hautement ce droit fondamental, face à l’histoire.
Merci.

[BOUC=20001220]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Bilan de la fin de la session parlementaire – 20 décembre 2000]
Bonjour,
Nous voici à nouveau réunis pour faire ensemble le bilan de cette session parlementaire d’automne, ma dixième depuis que j’occupe les fonctions de premier ministre du Québec.
Mes premiers mots seront pour souligner le travail de Jacques Brassard, notre leader parlementaire. Ce dernier n’a pas fait mentir sa réputation de leader aguerri et respecté. J’aimerais le remercier chaleureusement.
Bien sûr, cette session qui s’achève a été marquée par le débat sur les fusions municipales. Mais la loi la plus fondamentale que cette assemblée a adoptée est la loi 99, celle sur les droits et prérogatives de l’Assemblée nationale et du peuple du Québec. Le printemps dernier, j’avais déjà annoncé notre intention de faire en sorte qu’elle soit adoptée avant la fin de l’an 2000. Nous avions aussi souhaité jusqu’à la fin que cette loi soit appuyée par le Parti libéral. Cela n’a pas été possible. Ce parti portera le poids de cette décision. Par ailleurs, je souligne que le chef de l’Action démocratique, en défenseur des intérêts du Québec, a appuyé cette initiative, déjà qualifiée de charte des droits politiques. Le Québec a maintenant un instrument pour s’opposer à la loi fédérale dite sur la clarté et le cadenas politique qu’elle constitue. Nous détenons maintenant la clé qui nous garde l’avenir ouvert.
À l’égard des regroupements municipaux, la loi 170 a été adoptée ce matin. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ce projet. Tous les quotidiens et les médias électroniques en ont parlé. La population a participé à cette discussion publique. Bien des chiffres ont circulé. De multiples opinions ont été émises. Bref, le débat a eu lieu. Il fallait décider.
Depuis plus d’une génération, nos concitoyennes et concitoyens ont été confrontés périodiquement à ces débats. De multiples groupes de travail avaient produit d’aussi multiples études. Aucun gouvernement n’avait eu la possibilité et le courage de s’attaquer au plus gros morceau: le regroupement des régions métropolitaines de Hull, Montréal et Québec, les trois plus populeuses. Nous l’avons fait à visière levée, sans détour, avec toute la solidarité de notre équipe parlementaire.
Je l’ai dit et je le répète : cette législation comptera parmi les grandes réformes mises de l’avant par les différents gouvernements du Parti québécois.
Dans le domaine municipal, je ne peux passer sous silence l’adoption de la loi 150, mieux connue sous le nom de pacte fiscal. Il faut souligner l’importance de cette entente entre le gouvernement du Québec et ses partenaires municipaux, entente qui leur permettra de compter sur des revenus appréciables au cours des prochaines années.
Nous souhaitons aussi que la loi 164 sur la création de partenariats privé-public en transports permette la réalisation de projets importants pour le transport dans chacune des régions du Québec. Nous explorons ainsi une nouvelle façon de développer nos infrastructures tout en respectant certains principes comme celui du maintien, pour chaque projet, d’une alternative gratuite et accessible.
S’ajoutent à notre bilan législatif, la Loi sur la Financière agricole, la loi sur l’accès à l’égalité dans les organismes publics et le dépôt de la loi portant sur la réforme du Code du travail.
Au cours des derniers mois, tous ont pu remarquer les pas de géant faits par l’économie du Québec. Des périodiques d’un peu partout dans le monde parlent de notre vigueur économique. Notre taux de chômage se situe à 8,3 % alors que, en 1993, il atteignait 13,3 %. Neuf régions du Québec, la majorité, ont un taux de chômage inférieur à notre moyenne nationale.
Depuis le début de cette année, près de 85000 emplois ont été créés, en majorité à temps plein. Chez les jeunes, notamment grâce à la mobilisation reliée au Sommet du Québec et de la jeunesse, la croissance de l’emploi est maintenant supérieure au Québec par rapport au Canada. Je suis aussi fier de signaler, même si beaucoup de travail reste à faire, que depuis 1996, 209000 personnes ont quitté la sécurité du revenu pour s’intégrer au marché de l’emploi.
Le 20 novembre dernier, le Mouvement Desjardins, dont nous venons de célébrer le 100e anniversaire de fondation, mentionnait que le Québec connaît ses meilleurs moments depuis au moins un quart de siècle, et qu’une autre très bonne année est en vue pour 2001.
Cette opinion est aussi partagée par la Banque Nationale qui, dans sa toute dernière étude, précisait que la morosité et le pessimisme prévalant il y a à peine cinq à six ans ont fait place à un dynamisme jamais observé en 30 ans.
Dynamisme, optimisme, ce sont ces mots qui vont caractériser nos actions dans les prochains mois. L’année 2001 commencera par la mise en place des comités de transition dans les cinq territoires visés par la réforme municipale. Nous recevrons aussi, au début de février, le rapport des mandataires pour les régions de Sherbrooke, Trois-Rivières et Chicoutimi-Jonquière.
Dans le dossier de la santé, la commission Clair déposera son rapport à la mi-janvier, ce qui amènera sûrement un débat de fond sur l’avenir de notre système public de santé auquel les Québécoises et les Québécois sont si profondément attachés.
Sur le front de l’économie, j’aurai l’occasion, à la fin du mois de janvier, de diriger une mission de prospection et d’investissement en Allemagne et en Italie avec un arrêt à Bruxelles.
Je me rendrai aussi en Chine avec les dizaines de gens d’affaires du Québec qui feront partie de la délégation de Équipe-Canada.
Mais notre priorité gouvernementale sera celle des régions. Nous mobiliserons à nouveau pour elles des énergies accrues, en particulier pour les régions-ressources. Toutes sont essentielles à l’essor social et économique du Québec. Non seulement nous maintiendrons nos efforts de soutien envers chacune d’elles, mais nous les accentuerons. Les libéraux devaient en faire le cœur de leur stratégie parlementaire. Ils ont créé un comité. Le silence règne depuis.
J’ajouterai que la grande priorité du gouvernement, comme je l’ai dit tout à l’heure à l’Assemblée nationale, continuera d’être le progrès social du Québec. Donc, tout ce qui concerne la lutte contre la pauvreté et l’intensification des mesures que nous prenons pour perfectionner notre système de santé. Tout cela ne peut pas se concevoir sans le situer dans une perspective plus large qui est celle de l’identification des moyens et des ressources grâce auxquels nous pouvons atteindre nos objectifs.
Je le répète,c’est le cas du Québec et c’est le cas de plusieurs autres provinces au Canada, mais c’est le cas du Québec notamment, nous sommes dans une situation de carcan fiscal qui faits, que nous n’avons pas toutes les ressources fiscales requises pour satisfaire aux besoins de la population. Il y a des choix collectifs importants qui devront être fait et tout cela fait partie du débat que nous aurons l’année prochaine.
Je ne peux terminer sans dire un mot sur notre équipe de députés ministériels. Leur détermination et leur solidarité n’ont pas fait défaut depuis 1996. Tout au long de la lutte au déficit, et plus récemment durant les débats entourant la réforme municipale, ils et elles ont été aux premières lignes des échanges et ont fait valoir les points de vue de leurs commettants.
J’aimerais les en remercier. Cela augure bien pour les années qui viennent, et surtout pour ce grand projet qui motive notre engagement politique, le leur comme le mien : donner aux Québécoises et aux Québécois un pays à la hauteur de leurs aspirations.
Je vous souhaite à toutes et à tous de très joyeuses fêtes.
Merci!

[BOUC=20010111]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution à l’occasion de la démission du premier ministre – 11 janvier 2001]
Chers concitoyens, chères concitoyennes,
J’ai mis à profit les vacances des Fêtes pour me livrer à une réflexion approfondie sur mon engagement dans la vie publique. Ce répit m’a surtout permis de faire le point sur l’efficacité de mon apport à la promotion de la souveraineté.
J’ai décidé de mettre fin à ma participation aux affaires publiques et de résigner ma fonction de premier ministre du Québec.
C’est avec fierté que j’ai rempli cette charge au cours des cinq dernières années. Malgré ce qu’elle exige d’énergie, d’ouverture d’esprit et d’endurance, j’ai eu beaucoup de satisfaction à l’assumer. Il n’est pas de mon propos aujourd’hui de dresser la liste de nos réussites gouvernementales. Il suffira de rappeler que mon gouvernement a réorienté l’avenir du Québec en matière de finances publiques, d’économie, de fiscalité, de santé, d’éducation, de progrès social et d’organisation municipale. On m’accordera que je n’ai jamais hésité à prendre les problèmes de front et que j’ai toujours voulu faire avancer le Québec, avec la constante préoccupation d’être le premier ministre de toutes les Québécoises et de tous les Québécois. J’avais dit que j’oserais et je crois l’avoir fait dans toute la mesure du possible.
Depuis plus de dix ans, je mène dans des postes électifs le combat de la souveraineté. À cet égard, il me faut bien constater que les fruits de mon action sont moins probants, les temps forts ayant alterné avec les revers. Je me suis astreint à faire sans complaisance en particulier le bilan de mes efforts pour réaliser la souveraineté du Québec, depuis que je dirige le Parti Québécois. Car en plus de ses obligations de premier ministre, un chef de parti est également lié par les engagements politiques qu’il partage avec sa formation et, dans le cas du Parti Québécois, le premier d’entre eux est de réaliser la souveraineté du Québec.
C’est dans le but de contribuer à la construction d’un Québec souverain que j’ai fondé un parti à la Chambre des communes où il a ultimement formé l’opposition officielle. Le même combat m’a jeté, avec toute la persuasion et la détermination dont j’ai été capable, dans la campagne référendaire, aux côtés de monsieur Jacques Parizeau.
Je me suis assigné le même objectif, au moment de prendre charge de la direction du parti, en 1996. Nous sortions d’une campagne référendaire qui nous avait amenés aux portes du nouveau pays. Il est vrai qu’une amère déception avait succédé, le soir du référendum, à l’exaltation que la quasi-assurance d’une victoire nous avait fait auparavant éprouver. Néanmoins, la poussée souverainiste avait été telle qu’elle justifiait l’espérance d’atteindre l’objectif dans un proche avenir. J’avais encore en mémoire la vision de ces foules enthousiastes qu’aucune salle n’arrivait à contenir, durant les dernières semaines de la campagne. Je revivais la solidarité du Parti Québécois, du Bloc Québécois, de l’ADQ et des autres partenaires du camp du changement. Je me disais que cet élan magnifique, qui avait porté si près du but le peuple québécois, le propulserait à nouveau en avant, et très tôt.
L’heure n’est pas aux longues analyses, mais le fait est que ces espoirs ont été jusqu’à maintenant déçus.
Sans doute des problèmes pressants nous ont-ils tout de suite interpellés. Sans doute avons-nous réussi à dégager les consensus qui nous ont permis de juguler le déficit chronique du Québec, de relancer l’économie à Montréal et dans les régions et de créer des emplois qui ont permis, entre autres, d’intégrer au marché du travail un grand nombre d’assistés sociaux.
Mais, fait-on remarquer, avec raison, nous n’avons pas réussi pour autant à accroître la ferveur souverainiste.
La prise en charge de nos obligations gouvernementales devait-elle fatalement retarder la réalisation de la souveraineté? D’une part, l’intérêt public et les responsabilités gouvernementales dont nous étions investis nous faisaient obligation de redresser la situation économique et financière du Québec. D’autre part, nous avions bien vu qu’en mettant la maison en ordre, nous donnerions plus de crédibilité à la construction d’un Québec souverain. J’ai cru et je crois encore que l’un des meilleurs moyens de convaincre le peuple québécois de sa capacité de se gouverner lui-même, avec toutes les ressources et tous ses pouvoirs, c’est de lui faire la démonstration concrète de son potentiel et de celui de son État. En rompant une séquence de 40 années de déficits, en restaurant la crédibilité de notre gestion financière, en réduisant le taux de chômage à son niveau le plus bas depuis un quart de siècle, en entrant de plain-pied dans la nouvelle économie et en accentuant notre progression sociale, n’avons-nous pas pourvu d’assises plus solides l’avenir politique que choisiront les Québécoises et les Québécois?
Tout cela étant dit, je reconnais que mes efforts pour relancer rapidement le débat sur la question nationale sont restés vains. Il n’a donc pas été possible d’engager une démarche référendaire à l’intérieur de l’échéancier rapproché que nous aurions souhaité. De même les Québécois sont-ils restés étonnamment impassibles devant les offensives fédérales comme l’union sociale, le programme de bourses du millénaire, la création de chaires universitaires de recherche, l’adoption de la loi C-20, laquelle vise à rien moins que de restreindre notre capacité de choisir notre avenir politique. En tous les cas, s’il y avait mécontentement, les résultats du dernier scrutin fédéral ne l’ont guère exprimé.
Pourtant, les enjeux sont plus pressants que jamais. Il faut de toute nécessité secouer l’indifférence affichée envers l’asphyxie que nous prépare le déséquilibre fiscal entre les deux niveaux de gouvernement. Il importe de faire voir combien précaire demeure l’équilibre de nos finances publiques. Alors qu’Ottawa ne cesse d’engranger les surplus, notre État national ploie sous des dépenses croissantes, avec des revenus qui ne pourront manifestement pas suivre la même courbe. Conjugué avec les brutales et innombrables intrusions fédérales dans nos champs de compétence, ce phénomène acculera inexorablement l’État québécois à l’incapacité de financer le coût de ses missions essentielles. Cela le rendra encore plus vulnérable aux visées d’un gouvernement fédéral déterminé à nier l’existence du peuple québécois et à restreindre le champ d’action de son État. Cette menace est imminente et elle pèse sur nous tous, de quelque allégeance que nous soyons.
J’assume toute la part de responsabilité qui m’échoit pour n’avoir pas réussi à raviver la flamme et à sensibiliser nos concitoyens à la gravité de la situation. Je tire donc pour moi les conclusions qui s’imposent.
Ce gouvernement a encore deux ou trois ans de mandat. Je me résous à ouvrir aux membres du Parti Québécois la possibilité de se donner un chef qui saura, mieux que moi, raffermir le militantisme, intensifier le sens identitaire du peuple québécois et faire avancer la cause de la souveraineté, le seul projet qui puisse offrir une voie d’avenir aux Québécois. Cela doit passer par la revitalisation du projet souverainiste, qui ne peut se faire autrement qu’en droite ligne avec l’héritage de René Lévesque, c’est-à-dire dans un esprit de respect démocratique, de générosité et d’ouverture à toutes et à tous, sans égard à leur origine ethnique et culturelle. Je vois ainsi dans mon départ l’occasion d’un débat de fond, comme plusieurs le souhaitent, et même le moyen d’un renouveau pour le parti.
J’ai confiance dans l’avenir des Québécoises et des Québécois car je les sais capables de grandes choses, individuellement et collectivement.
On me permettra d’ajouter, sans qu’il s’agisse d’une cause de mon départ, que je n’ai pas le goût de poursuivre quelque discussion que ce soit sur l’Holocauste et sur le vote des communautés ethniques et culturelles. Je ne parviens toujours pas à comprendre comment le débat linguistique en est venu à dévier vers la quantification comparée des souffrances du peuple juif et l’intolérance que manifesteraient des citoyens québécois en ne votant pas pour la souveraineté du Québec.
Comme il fallait s’y attendre, les déclarations en ce sens ont fait du tort à la réputation du Québec à l’étranger. Ici même, elles n’auront certes pas amélioré la capacité des souverainistes de convaincre ceux et celles qui sont visés. On peut aussi penser qu’elles outragent des membres des communautés concernées qui ont déjà manifesté de l’ouverture, voire une adhésion, à la réussite du projet souverainiste. J’ai la conviction que sans l’intervention de l’Assemblée nationale le dommage eût été beaucoup plus lourd.
C’est pourquoi j’ai été surpris par les protestations qu’a suscitées l’adoption de la résolution unanime de cette assemblée sur le caractère inacceptable des propos qui ont lancé cet étrange et dangereux débat.
Plusieurs dizaines de personnalités ont signé une condamnation publique de la résolution de l’Assemblée nationale. D’autres ont endossé leur intervention.
Certains parlent de négociation. Nous sommes ici bien au-delà de la gestion de ces difficultés épisodiques qu’un chef de parti doit savoir résoudre par la flexibilité et la recherche du moyen terme. Dès lors que les enjeux campent sur le champ des principes, il n’y a pas de place pour la négociation. Nous voici, sans conteste, au cœur de l’essentiel. J’affirme, premièrement, que les citoyens québécois, sans distinction quelconque, peuvent exercer leur droit de vote comme ils l’entendent, sans encourir des reproches d’intolérance; et deuxièmement, que l’Holocauste est le crime suprême, l’entreprise systématique d’élimination d’un peuple, une négation de la conscience et de la dignité humaine. On ne peut reprocher aux Juifs d’en être traumatisés. Cette tragédie innommable ne peut souffrir de comparaison.
On pardonnera peut-être à un acteur politique censément endurci de s’être laissé atteindre personnellement en entendant qualifier de duplessistes et de mesquins les motifs qui ont inspiré son appui à la résolution de l’Assemblée nationale.
Au-delà de l’émotion, je persiste à penser que les membres de l’Assemblée nationale, forum démocratique par excellence, n’ont fait qu’exercer leur droit de libre expression le plus élémentaire en se dissociant des propos concernés et en les déclarant inacceptables. C’est bien à tort qu’on y a vu un acte de censure. Les parlementaires ont agi dans la plus stricte légitimité en prenant leurs distances par rapport à des propos qui, de façon irresponsable, mettent en cause des valeurs fondamentales en démocratie. La députation ministérielle devait d’autant plus prendre position que c’est à elle que cherche à se joindre l’initiateur de la controverse.
Je comprends mal que certains puissent reconnaître le caractère inacceptable de tels propos pour un candidat déclaré du Parti Québécois et, du même souffle, déplorer la résolution de l’Assemblée nationale. Si les déclarations concernées ne sont pas acceptables pour les membres du Parti Québécois, elles ne pouvaient pas l’être davantage pour les parlementaires de l’Assemblée nationale.
Je ne doute pas que, si leur auteur devait donner suite à ses intentions, les militantes et militants du Parti Québécois fermeront la porte à sa candidature dans Mercier.
Je tiens à dire toute ma gratitude à mes concitoyens et concitoyennes pour la confiance qu’ils m’ont manifestée en me conférant le privilège de les servir. Merci de tout cœur aux électeurs de Jonquière et aux militants et militantes de ce comté qui m’ont accueilli les bras ouverts. C’est avec tristesse que je dois renoncer au mandat qu’ils m’ont confié. J’adresse mes sincères remerciements à tous les militants et militantes du Parti Québécois. Je garderai le souvenir de leur engagement admirable et de leur authentique désintéressement.
Il me faut aussi souligner le travail et les efforts consacrés par les députés de l’Assemblée nationale au service de leurs commettants. Leur président, le député de Borduas, monsieur Jean-Pierre Charbonneau, a toujours rempli sa tâche dans le respect de nos institutions, et je l’en remercie.
À mes collègues du caucus ministériel, je réitère mon attachement et ma reconnaissance pour le solide et affectueux soutien qu’ils m’ont prodigué tout au long de notre parcours commun. Sans eux, rien de ce que le gouvernement a accompli n’aurait été possible. Je n’ai jamais cessé de trouver chez eux les plus sages conseils et les encouragements les plus vivifiants.
Je ne saurais exprimer tout ce que je dois à mes compagnes et compagnons du Conseil des ministres. Comment me rappeler sans une profonde émotion les heures innombrables que nous avons passées ensemble à la recherche de solutions à tant de problèmes épineux? En toutes circonstances, ils ont fait montre envers moi d’une solidarité sans faille et d’une générosité que je n’oublierai pas. Je les assure de toute mon amitié.
Le moment est venu de conclure. Je quitterai mes fonctions de premier ministre du Québec et de député de Jonquière. À la demande du caucus des députés, tout à l’heure, ces démissions deviendront effectives au moment où le Parti Québécois aura comblé la vacance à la présidence. J’assumerai donc la transition. Conséquemment, je quitte aujourd’hui même la direction du Parti Québécois pour lui permettre de mettre en branle la procédure de mon remplacement.
[At this point, I wish to express my gratitude to my fellow citizens for the confidence they placed in me and for having given me the opportunity to represent and serve them these past years. It is now time for my involvement in politics to come to an end. I will leave my duties as Prime Minister of Québec and as MNA for Jonquière. At the request of the caucus, both these resignations will become effective when a new president has been elected by the party. Therefore, in order to allow our Party to set into motion the process of electing its new leader, I am resigning today as president of the Parti Québécois.]
Je suis en politique active depuis bientôt 13 années. Ces années m’ont apporté beaucoup de compensations, mais elles ont aussi prélevé leur tribut. Je regrette seulement de pas avoir fait mieux et davantage; et surtout de n’avoir pu réaliser mon rêve pour notre avenir collectif, pour l’achèvement de la nouvelle nation québécoise. J’y ai mis toute ma passion et toutes mes forces. S’il m’est arrivé de blesser des adversaires ou qui que ce soit, je m’en excuse sincèrement et les assure que ce ne fut jamais par mesquinerie ou par manque de respect. Je remercie la Providence de mon excellente santé. Mais j’ai célébré mon soixante-deuxième anniversaire alors même que je me livrais à cette réflexion sur mon avenir. Les années nous sont comptées, et j’ai une jeune famille, d’autant plus précieuse qu’elle m’est venue sur le tard. Audrey a donné plus que je ne pourrai jamais lui rendre. Je veux aussi vivre pleinement cette aventure merveilleuse de l’éducation de garçons de onze et neuf ans. Alexandre et Simon ont besoin de moi. Et moi, j’ai besoin de les retrouver tous et de leur consacrer désormais le meilleur de mes énergies et de mon temps. Merci.

[BOUC=20010214]
[Lucien Bouchard – Premier ministre du Québec – Allocution lors d’une visite officielle de la mission Équipe Canada en Chine – 14 février 2001]
Distingués invités,
Chers amis du Québec,
C’est pour moi un grand plaisir de vous rencontrer aujourd’hui. La présence d’une délégation québécoise importante à Shanghai s’inscrit dans la continuité des bonnes relations que le Québec entretient avec la Chine.
Une relation étroite, comme en témoignent les visites officielles au Québec en 1993 de Monsieur Zhu Ronger, puis en 1999 de votre maire, Monsieur Xu Kuangdi. Il faut se rappeler l’importante Mission Québec que j’ai dirigée en 1997, avec près de 200 gens d’affaires.
Au fil des ans, des liens plus serrés se sont tissés, parce que les gens d’affaires et les décideurs du Québec ont su échanger avec ceux d’ici, dans le respect et la confiance. Les missions économiques s’inscrivent dans cette dynamique et sont en quelque sorte l’aboutissement d’une foule de petits pas et d’efforts quotidiens. Cette mission est l’occasion de récolter les résultats déjà acquis et poser de nouveaux jalons qui déboucheront sur d’autres ententes.
La Chine est un partenaire stratégique et incontournable, pour le Québec. Notre gouvernement a ouvert en 1997 des bureaux du Québec à Beijing et à Shanghai. Je tiens à souligner la présence de nos deux directeurs, soit Monsieur Jean Marchand et Monsieur René Milot. Les liens privilégiés développés entre le Québec et la Chine datent véritablement de 1980, alors que le Québec signait une entente avec le ministère chinois de l’Éducation. Au cours des quatre années qui suivirent, les premiers ministres de Chine et du Québec se sont rencontrés à deux reprises.
Depuis ce temps, des ententes ont été conclues avec les Commissions de la science et de la technologie de Chine et de Shanghai. Plus récemment, c’est par l’économie que nos échanges se sont intensifiés. Au tournant du millénaire, la Chine se situait au douzième rang de nos pays clients et au cinquième rang de nos fournisseurs.
Des entreprises qui ont fait notre réputation d’excellence et de vitalité à l’échelle mondiale se retrouvent aujourd’hui chez vous. Elles proviennent de secteurs variés comme les transports, le génie-conseil, les technologies de l’information, l’agroalimentaire et la construction. Elles représentent le Québec moderne, ouvert, celui qui fait notre fierté. Ce Québec, j’aimerais vous le faire connaître davantage.
L’économie québécoise a connu une progression importante au cours des dernières années. En 1999, elle a enregistré une croissance supérieure à celle de la moyenne des pays du G7 (+ 2,7 %), une de nos meilleures performances depuis douze ans. Elle se compare avec celle de notre voisin du sud, les États-Unis. Les nouvelles sont bonnes, aussi, au chapitre des investissements. En 2000, les investissements privés se sont inscrits à la hausse pour une cinquième année d’affilée. Nous exportons maintenant 58 % de notre PIB, ce qui fait de notre économie l’une des plus ouvertes sur le monde. Depuis 1990, la valeur de nos exportations internationales a plus que doublé, augmentant de 130 %.
Le nouveau positionnement du Québec est particulièrement visible dans la métropole de Montréal. Le maire de Montréal, Monsieur Pierre Bourque, est, comme vous le savez sans doute, un grand ami de votre ville. Nous avons le plaisir de compter sur sa présence à ce petit déjeuner.
Le rôle de Montréal comme plaque tournante de l’aérospatiale, de la biopharmaceutique et de la haute technologie s’affirme de jour en jour. Une étude publiée récemment par Price Waterhouse montre que, même si Montréal se classe au quinzième rang en Amérique du Nord en ce qui concerne sa population, elle se situe, per capita, au quatrième rang pour la concentration des emplois en haute technologie. En juillet dernier, une importante publication américaine, Wired, classait Montréal au cinquième rang mondial des 46 régions les plus performantes dans les technologies de pointe. Aucune autre ville canadienne ne fait partie de cette liste. Notre métropole devance même des pôles reconnus comme Singapour, Tokyo, Los Angeles, Hong Kong et Paris. Ce n’est donc pas un hasard si les dirigeants new-yorkais de la Bourse électronique Nasdaq ont choisi Montréal.
Il est donc révolu le temps où l’on décrivait l’économie du Québec comme essentiellement tournée vers les richesses naturelles. Le Québec possède toutes les caractéristiques d’une économie moderne, le secteur tertiaire occupant une place dominante avec 71 % de notre PIB.
Quant à nos échanges commerciaux avec la Chine, ils ont quadruplé au cours des années 90. C’est là une croissance supérieure à celle de l’ensemble du commerce international du Québec. Votre pays prend donc une place de plus en plus importante au sein de nos partenaires internationaux. En 1999, la valeur des échanges commerciaux entre la Chine et le Québec atteignait 1440000000 $ américains. La balance commerciale de nos échanges est, par ailleurs, à votre avantage.
Le Québec exporte en Chine des aéronefs, du papier, de la pâte à papier, des produits électriques et électroniques, du matériel de transport et des produits métalliques. Un bel exemple est celui de GE HYDRO, une compagnie qui contribuera à alimenter en électricité la région de Shanghai en fournissant des turbines pour le projet des Trois Gorges. Pour sa part, la firme SNC-Lavalin est engagée dans l’assainissement de l’environnement en rapport avec une usine de pâtes et papiers de la province de Anhui. Une autre firme, Dessau-Soprin, en collaboration avec les compagnies locales, a favorisé l’électrification d’une partie de l’ouest et du sud-ouest de la Chine. Enfin, Q-Web, un regroupement d’exportateurs de bois du Québec, vient d’ouvrir un bureau ici même à Shanghai. Cette compagnie évaluera le potentiel du marché chinois pour la vente de planchers de bois franc fabriqués à partir d’essences québécoises. Dans ce projet, la firme québécoise Tecsult s’associera au Groupe Huili de Shanghai.
Quant à la Chine, elle exporte chez nous des produits électroniques, des produits manufacturés, des accessoires de cuir et des vêtements. Le China WorldBest Group de Shanghai, une entreprise d’État, investira 30000000 $ américains dans une usine de teinture et de textile. Je salue en passant son président, Monsieur Zhou Yu Cheng, qui nous fait l’honneur d’être avec nous ce matin. Le China WorldBest Group s’établira au cœur du Québec, à Drummondville, à la jonction d’axes routiers majeurs qui lui donneront accès au reste du continent. Nous espérons que d’autres entreprises de Shanghai et d’ailleurs suivront bientôt les traces du China WorldBest Group.
Il y a maintenant près de 250 entreprises québécoises qui exportent en Chine. Ces sociétés constituent le fer de lance de notre économie et contribuent grandement à faire de notre économie l’une des plus diversifiées au monde. Je vous en donne quelques exemples.
Dans le secteur de l’aéronautique, c’est au Québec que se fait plus de la moitié de la production de l’industrie canadienne. Montréal est la seule ville au monde où il est possible de trouver, dans un rayon de 30 kilomètres, tous les éléments nécessaires à la construction d’un avion ou d’un hélicoptère. C’est le deuxième centre mondial en aéronautique après Seattle, royaume de Boeing, et devant Toulouse, berceau d’Airbus. Le Groupe Bombardier Aéronautique est un exemple éloquent de notre dynamisme dans ce secteur. Le Groupe Bombardier Transport, par exemple, a formé une coentreprise avec Power Corporation du Canada et le groupe Sifang pour construire une usine de fabrication de véhicules au Shandong.
Les entrepreneurs québécois connaissent aussi un succès enviable sur les marchés internationaux en agroalimentaire. Notre expertise en génétique bovine et porcine est reconnue et notre Centre d’insémination vend ses produits dans plus de 140 pays. Nos exportations dans ce domaine ont atteint un nouveau sommet en 1999, se chiffrant à 1800000000 $ américains.
Par le biais de sa technologie hydroponique, la compagnie HydroNov inc. connaît un grand succès à Beijing, Shenzhen, et bientôt Dalian et Shanghai. L’entreprise produit des laitues de première qualité, tout en permettant la conservation de l’eau et l’élimination des résidus de terreau.
Ces succès n’auraient pas été possibles sans la participation de nos institutions d’enseignement. Avec ses universités, ses centres universitaires de recherche et ses entreprises, le Québec se classe dans les premiers parmi les pôles de croissance les plus dynamiques en Amérique.
Compte tenu de l’avènement probable d’une zone panaméricaine de libre-échange, nous allons accentuer notre présence un peu partout en terre d’Amérique. Mais nous ne voulons pas oublier nos partenaires d’Europe et d’Asie, notamment ceux de Chine. La nouvelle force économique du Québec, nous voulons l’arrimer encore davantage à votre pays. Je l’ai déjà mentionné, la balance commerciale est favorable à la Chine, et nous importons de plus en plus de vos produits. Avec le phénomène de globalisation qui nous interpelle tous et l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, nous souhaitons que plusieurs autres entreprises québécoises accèdent à votre marché. Nous offrons nos connaissances, notre sens de l’innovation, notre imagination et notre originalité. Mais nous avons aussi besoin de votre expérience et de votre savoir-faire.
C’est avec plaisir que je vous invite à considérer le Québec comme porte d’entrée pour le vaste marché nord-américain. Nous avons développé des instruments originaux pour favoriser les investissements étrangers, je pense notamment à Investissement Québec dont je tiens à souligner la présence de son président, Monsieur Louis Roquet. Cette société d’État coordonne les actions gouvernementales en matière d’accueil et de soutien aux projets d’investissement, en agissant à titre d’interlocuteur privilégié auprès des investisseurs.
Vous trouverez au Québec une infrastructure technique et financière de haute qualité et le cadre d’affaires requis pour accéder au plus grand marché au monde, celui de l’Amérique du Nord. À ces avantages, il faut ajouter les coûts d’implantation et d’exploitation les plus bas parmi les principaux pays industrialisés, des incitatifs fiscaux intéressants, un taux d’imposition des sociétés parmi les plus faibles du continent nord-américain, une exemption fiscale complète de dix ans pour tout projet majeur d’investissement et surtout une main-d’œuvre stable et hautement qualifiée.
Le développement spectaculaire de l’industrie de la haute technologie au Québec aurait été impossible sans la présence de cette main-d’œuvre de très grande qualité. Nous croyons fermement, que dans une économie de plus en plus orientée vers le savoir, la qualité de la main-d’œuvre est fondamentale. C’est cette raison qu’invoquent le plus souvent les investisseurs étrangers qui choisissent le Québec.
La Chine, nous le savons, a entrepris de vastes et impressionnantes réformes en éducation. Le Québec peut certainement être un partenaire privilégié dans cette voie. Les institutions d’enseignement québécoises figurent parmi les meilleures en Amérique du Nord. En outre, nous possédons une expertise reconnue sur la scène internationale. Nos universités, nos collèges peuvent collaborer avec vos institutions d’enseignement, avec vos gouvernements, avec vos entreprises pour la formation et la mise en place de projets de développement. Le département d’oncologie Bethune-Laval de l’Université Jilin en est bel un exemple, comme celui de la formation de cadres du Liaoning en MBA à l’École des hautes études commerciales, comme d’ailleurs la formation des juges de tribunaux supérieurs de Chine aux universités de Montréal et de McGill. Le Québec veut profiter de ce vingtième anniversaire de son dialogue avec la Chine dans le secteur de l’éducation pour élargir et intensifier ce champ de coopération. J’ai tracé là les grandes lignes de force du Québec moderne, et j’ai esquissé les avenues d’un renforcement significatif de nos liens avec la Chine. Je voudrais que notre passage chez vous soit le signe de l’importance que le gouvernement du Québec accorde au vaste potentiel d’échanges entre le Québec et la Chine.
Au nom des membres québécois de cette mission et en mon nom personnel, je vous remercie pour votre accueil chaleureux. En quelques jours, nous avons beaucoup appris de votre expérience et de vos idées. Cela nous permettra sans doute de raffermir les liens qui nous unissent et d’envisager avec confiance les années qui viennent.
Merci.

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