Autres discours officiels

[QLESG19600825]

[Discours de l’hon. Jean Lesage, Premier Ministre du Québec Devant les participants à la Conférence de l’UNESCO]

[Montréal. Jeudi le 25 août 1960.]

Messieurs,

À titre de Premier Ministre et au nom du gouvernement de la province de Québec, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue. La décision de l’Unesco de convoquer au Canada, et plus particulièrement dans le Québec, la seconde Conférence Mondiale de l’Éducation des Adultes nous honore et nous réjouit.. En choisissant la ville de Montréal, l’Unesco situait vos délibérations dans un cadre symbolique à cause du caractère polyculturel de sa population et de son statut de métropole d’un pays qui est à vivre une phase extrêmement active de son expansion industrielle.

Je suis profondément heureux que la présence, ici, d’un Prince de l’Église symbolise si éloquemment l’importance de la religion dans le climat qui est le nôtre.

Pour ceux d’entre vous qui entrez au Canada pour la première fois, vous trouvez à Montréal une reproduction presque fidèle de la grande mosaïque culturelle que constitue la population canadienne. Vous avez déjà constaté la variété et l’abondance que nous vaut cette diversité culturelle tant au point de vue intellectuel qu’au point de vue artistique. Qu’il me suffise de mentionner les deux institutions de haut savoir que sont les Universités de Montréal, de langue française, et Mc Gill, de langue anglaise, dont les réputations ont franchi les frontières de notre pays. Montréal est également le siège de la Société Radio-Canada et de l’Office National du Film, tous deux relevant du gouvernement du Canada et dont les contributions à l’éducation populaire sont particulièrement remarquables. Enfin, vous avez déjà eu l’occasion d’apprécier les expositions de peinture et d’oeuvres d’art que la ville organise dans ses parcs publics sans compter les autres manifestations de la vie artistique à Montréal.

Mais Montréal est aussi au coeur d’un pays et à la tête d’une province qui viennent de traverser une période d’expansion industrielle très rapide qui n’a pas été sans effet sur nos structures sociales, économiques et politiques. À ce point de vue, nous n’avons pas été soustraits à cette réalité que l’homme du vingtième siècle vit dans un univers mouvant et qu’aucune partie du monde n’échappe aux assauts d’une civilisation de plus en plus modelée par la technique qui, elle-même, obéit à l’accélération du progrès scientifique. Voilà pourquoi je disais qu’en choisissant Montréal, l’Unesco situait vos délibérations dans un cadre symbolique. Elle vous propose, Messieurs, d’étudier le rôle de l’éducation des

adultes dans un monde en évolution. Cette étude, vous l’avez commencée depuis quelques jours et vous la poursuivrez pendant une autre semaine. J’ai retenu, de l’examen de l’agenda de votre Conférence, que vous abordez l’éducation des adultes sous des aspects d’une importance capitale, tels que l’éducation civique et sociale, l’éducation et les loisirs, les relations entre l’éducation des jeunes et les programmes d’éducation des adultes. Simultanément, vous étudierez les problèmes pédagogiques spécifiques à l’éducation des adultes ainsi que le rôle des gouvernements et des organisations bénévoles dans l’organisation de cette éducation. Les études d’ensemble, vous les faites à la lumière des expériences que vous avez vécues dans vos pays respectifs, compte tenu des situations particulières que vous y rencontrez.

Néanmoins, vous vous rejoignez tous dans une même croyance que l’éducation des adultes est une nécessité permanente qui s’inscrit dans la nature même de l’homme. Celui-ci doit réaliser sa condition d’homme dans un contexte nouveau. Le progrès scientifique et la technique affectent le cadre matériel et les conditions psychologiques de son existence, ils ne changent pas pour autant la nature de l’homme. Et je crois que c’est sur cette réalité fondamentale que doit reposer l’éducation des adultes. À mon point de vue, elle doit aider chaque individu à procéder à une prise de conscience lucide du monde dans lequel il vit. J’entends ici l’acquisition des connaissances qui fortifieront sa compréhension, son jugement, se liberté et son courage et le rendront apte à maîtriser ses propres innovations et à participer efficacement à l’élaboration des structures nouvelles qu’elles postulent. Personnellement, je crois que les efforts que nous faisons pour élargir la fréquentation scolaire à toute la jeunesse prépare un terrain fertile à l’éducation des adultes. De fait, l’éducation doit devenir une activité permanente d’autant plus nécessaire que nous vivons dans des sociétés où les relations entre les hommes deviennent de plus en plus complexes.

Voilà pourquoi nous éprouvons une si grande admiration pour l’oeuvre de l’Unesco dans le monde. L’accroissement du nombre des pays qui y participent témoigne de la vision des gouvernements qui l’ont instituée. Depuis 16 ans, l’Unesco a provoqué des initiatives de qualité, favorisé la compréhension internationale en permettant aux pays de mieux se connaître par des échanges de services et de personnes à l’occasion de projets spécifiques. Il en résulte un enrichissement mutuel pour tous les participants. Cette conférence que vous tenez présentement en est un témoignage. Elle fait appel à la coopération des pays membres pour, d’une part, établir le bilan des réalisations en matière d’éducation des adultes depuis la conférence d’Elseneur, et, d’autre part, élaborer un plan d’action pour assurer l’application, au cours de la prochaine décennie, d’objectifs aussi précis que: Rendre l’éducation extra scolaire accessible à tous les êtres humains sans distinction de sexe, de nationalité, de race ou de couleur; D’examiner si de nouvelles techniques peuvent être favorablement appliquées dans l’éducation des adultes; Et enfin d’étudier les méthodes et les moyens d’utiliser au mieux les mouvements d’éducation des adultes pour atteindre les objectifs de l’Unesco relativement au projet majeur Orient-Occident.

Ces questions indiquent bien l’intention de l’Unesco de tirer parti de votre expérience et de votre sagesse: dans le but de définir les conditions d’expansion de l’éducation des adultes dans le monde en tenant compte de facteurs locaux tels que les traditions, les aspirations et les besoins des troupes. J’en conclus que la qualité de vos délibérations actuelles déterminera l’expansion de l’oeuvre de l’Unesco. Pour leur part, les Canadiens ont toujours répondu aux entreprises de l’Unesco. Les organisations bénévoles, à ce sujet, ont contribué à éveiller et à soutenir un intérêt vivant pour les oeuvres de l’Unesco. Depuis deux ans le Canada créait sa Commission nationale pour l’Unesco dans le cadre du Conseil des arts. Cette commission a déjà largement contribué à articuler la collaboration des services du gouvernement et des associations bénévoles dans l’étude des questions pertinentes à l’oeuvre de l’Unesco en même temps qu’elle a resserré les liens de notre pays avec l’Unesco. Dorénavant, nos relations réciproques seront plus étroites et plus complètes. Je puis vous assurer que la province de Québec entend participer étroitement aux travaux de la Commission canadienne nationale pour l’Unesco. Tous seront heureux de partager avec d’autres pays le résultat de nos propres expériences dans des essais de solutions à des problèmes similaires à ceux qu’ils rencontrent.

Messieurs, je formule les meilleurs voeux pour le succès de vos travaux. Je souhaite que votre séjour parmi nous vous soit agréable. Soyez assurés que votre présence à ce dîner honore à la fois le gouvernement et la population de la province de Québec.

[QLESG19600831]

[Union des Municipalités de la province de Québec Congrès, Hôtel Reine Elizabeth, 31 août 1960 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]

Vous ne sauriez croire tout le plaisir que je ressens à prendre contact, aujourd’hui, avec les administrateurs des municipalités de la province de Québec.

Je sais l’esprit qui anime vos délibérations; je connais le sérieux que vous apportez à l’examen de vos problèmes et je connais aussi la valeur des travaux et des études présentés par les experts que vous invitez à vos congrès.

Je pense que s’est affirmée définitivement l’utilité de ces réunions annuelles, qui vous permettent de faire le point, d’examiner certaines questions d’administration municipale et de trouver des solutions à des problèmes particulièrement difficiles.

Des réalisations fort intéressantes figurent au palmarès de l’Union des Municipalités de la province de Québec. C’est même à la demande de votre groupement que le gouvernement du Québec créait, il y a plus de quarante ans, le département des Affaires municipales. Plusieurs des recommandations que vous avez faites à l’autorité provinciale, au cours de vos congrès antérieurs, se retrouvent, aujourd’hui, dans les statuts et contribuent à rendre plus efficaces la gestion et le fonctionnement de cet important secteur de l’administration publique que constituent les corporations municipales et scolaires.

Il ne faut donc pas s’étonner que le gouvernement accueille avec tant d’intérêt et de sympathie les recommandations que vos travaux et vos études suggèrent. C’est ainsi que le gouvernement provincial a accepté de verser aux corporations municipales qui feront des travaux en vertu du programme d’encouragement des travaux d’hiver dans les municipalités un octroi représentant 40 % du salaire payé à la main-d’oeuvre en chômage ou qui le serait si ces travaux n’étaient exécutés. Cet octroi porte donc à 90 % le montant de la subvention que recevait les corporations municipales qui exécuteraient des travaux au cours de l’hiver prochain.

L’honorable ministre des Affaires municipales vous a mentionné, en outre, au début de ce congrès, que des mesures législatives seraient proposées dans la prochaine session pour répartir, suivant des normes établies d’avance, les revenus de la province.

N’hésitez donc pas à nous proposer les améliorations ou modifications que vous considérez utiles ou impératives, les mesures que vous jugez propres à rendre plus efficace l’administration municipale dans la province. Nous vous en saurons gré car elles nous aideront à réaliser le bien-être de toute la collectivité québécoise, qui reste, naturellement, notre grande préoccupation, notre but premier.

Dans la conduite des affaires publiques, vous vous situez au palier la plus rapproché du peuple. Il vous est donné de tâcher constamment le pouls de la population, de connaître ses aspirations, d’être mis au fait, et tout de suite, des besoins de vos concitoyens, des améliorations qu’ils souhaitent, des services qu’ils désirent et qu’ils réclament. Je pense qu’on ne connaît pas assez, dans le public, et c’est dommage, le rôle extrêmement important que jouent nos administrateurs municipaux, la tâche éminemment utile qu’ils remplissent et les sacrifices énormes qu’ils doivent consentir dans le but d’assurer le bien-être de la communauté. Chaque gouvernement accomplit, dans les limites

de sa juridiction, une tâche utile et nécessaire. Mais il serait difficile de surestimer l’importance du gouvernement municipal. Dans ses activités de tous les jours, le citoyen est constamment mis en présence de l’administration municipale. C’est le rôle, entre autres choses, du gouvernement local d’assurer la protection des personnes et des propriétés. Le policier et le pompier occupent une place bien précise dans l’organisation civique. L’installation et le maintien de services appropriés sont aussi des devoirs qui ressortissent aux administrateurs publics.

Il appartient aussi au maire et aux membres du conseil d’ouvrir, de construire et de paver les rues afin de faciliter le mouvement des personnes et des marchandises; il leur incombe de bien éclairer et nettoyer la voie publique. L’aménagement du territoire selon les principes de l’urbanisme, la santé publique, les transports en commun, le déneigement, le budget, le financement des travaux publics, la règlementation de la circulation et du stationnement des véhicules automobiles, etc., sont autant de responsabilités confiées aux administrateurs municipaux par l’autorité provinciale.

Ce sont là des responsabilités que j’appellerais officielles. Il faut ajouter à cela les multiples tâches obscures, les déplacements, les interventions, les démarches que monsieur le maire ou monsieur l’échevin doivent faire pour le compte de tel contribuable, de telle mère de famille, de tel étudiant, de telle personne abandonnée ou en difficulté; et cela à longueur de semaine.

Qui saurait dire le nombre d’heures qu’il vous faut consacrer à la conduite des affaires publiques et la municipalité des devoirs que vous devez accomplir dans l’exercice de vos fonctions municipales ?

Les citoyens réclamant de vous, souvent à des heures très matinales ou très tardives, les services les plus variés, et, parfois, les plus inattendus. On demande à monsieur le maire de jouer le rôle de père, de confident, d’arbitre et de guide; tout cela en dehors de ses fonctions dites officielles.

Ce qui me renverse et provoque, en même temps mon admiration, c’est de voir monsieur le maire, oubliant ses fatigues et renonçant souvent à certains plaisirs légitimes, répondre toujours de bonne grâce à ces sollicitations multiples. C’est assez dire le travail harassant qu’il vous fait abattre.

Vous avez accepté, sollicité même, la tâche de conduire, au nom de vos concitoyens, les affaires de la communauté. Mais, pour bien jouer votre rôle, pour bien remplir les devoirs et exercer les pouvoirs que la loi attribue aux conseils municipaux, vous devez vous sentir appuyé par la population. Il faut que le citoyen participe directement et constamment à l’administration municipale. Il s’impose qu’il vous signale certaines erreurs ou omissions,

qu’il vous soumette certaines recommandations et vous propose des améliorations. Car l’intelligence d’un peuple, son dynamisme, son esprit d’entreprise jouent un rôle important dans le développement d’une collectivité.

La cité existe pour l’homme, qui est plus précieux que toutes les inventions les plus perfectionnées, et toute la production, quelle qu’elle soit, doit être mise à son service. Dans un régime politique libre et responsable comme le nôtre, la fonction publique ne s’accomplira entièrement et efficacement que si le citoyen participe au gouvernement. Le peuple doit avoir une bonne connaissance de nos structures gouvernementales et du travail des gouvernants et prendre une part active à la réalisation des projets devant déterminer et hâter l’expansion de la collectivité. Il est nécessaire que le citoyen pratique le civisme à jet continu et traduise, dans ses activités de chaque jour, sa volonté de contribuer au mieux-être de la cité. Comme on l’a écrit, « pour être honnêtes et prospères, il suffit encore aux nations démocratiques de le vouloir ». Le

développement de l’esprit civique doit donc être une des grandes préoccupations des hommes public.

Le civisme n’est pas une vertu qu’on vient de découvrir. Il existe depuis les origines de la civilisation et il a contribué à la prospérité des peuples. À l’époque des Césars, c’était un honneur insigne que d’être reconnu citoyen romain. Créé pour vivre en société, l’homme a des devoirs envers cette société. C’est là la raison d’être du vrai civisme.

Le civisme s’adresse sans doute à tous les échelons du gouvernement. Mais il intéresse davantage l’homme sur le plan local; car là commence la démocratie. C’est au niveau municipal, d’abord, que le citoyen fait l’apprentissage de la liberté, en régime démocratique.

Notre liberté politique restreint, il est vrai, avec notre consentement, certaines libertés individuelles. Mais ce qui fait la beauté de notre liberté, c’est que, même quand nous nous joignons à nos voisins pour réaliser une chose qui est bonne pour tout le monde, nous gardons notre personnalité, nous restons nous-mêmes. Bien des définitions ont été données du civisme. Je voudrais vous rappeler une réflexion que faisait, sur le sujet, lors de la Semaine Sociale de 1955, Son Éminence le cardinal Paul-Émile Léger:

« Le civisme, écrivait-il, réclame d’être étudié et approfondi pour retrouver, partout et chez tous, sa place et ses droits, tant dans la vie des sociétés que dans l’estime des individus. La situation: internationale actuelle et les besoins particuliers des nations donnent à cette question difficile et complexe entre toutes une raison d’actualité. Le civisme est une vertu, c’est-;-dire une disposition permanente de la volonté, éclairée par des principes sains. Il se loge donc au plus intime de l’activité individuelle avant d’apparaître dans les institutions sociales. »

Aux dernières lignes de son étude magistrale sur « La Démocratie en Amérique », Alexis de Tocqueville écrit: « La Providence n’a créé le genre humain ni entièrement indépendant, ni entièrement esclave. Elle trace, il est vrai, autour de chaque homme, un cercle fatal dont il ne peut sortir; mais, dans ses vastes limites, l’homme est puissant et libre; »

Et Tocqueville ajoute:

« Les nations, de nos jours, ne sauraient faire que, dans leur sein, les conditions ne soient pas égales; mais il dépend d’elles que l’égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou à la misère »,

Plus d’un siècle après avoir été écrites, ces lignes ont gardé tout leur sens, toute leur valeur actuelle. Elles nous rappellent combien nous devons apprécier notre mode de gouvernement, qui convient singulièrement à notre manière de penser, à notre façon de vivre. Nous sommes vraiment libres si nous vivons dans un pays indépendant où l’homme a le droit et la faculté de choisir et de censurer ses gouvernants; dans une société où le citoyen peut faire un usage de sa liberté personnelle; dans un milieu où l’homme peut s’assurer un gagne-pain en rapport avec ses aptitudes, ses goûts, ses efforts et où il lui est possible, en toute liberté, d’affirmer sa valeur et d’exprimer sa personnalité.

Parce que leurs peuples sommeillaient, qu’ils étaient enveloppés dans une indifférence engourdissante, la liberté démocratique a disparu en certains pays. Une telle éventualité nous répugne, à nous qui avons fait une longue expérience de la démocratie. Mais n’oublions jamais que la liberté ne se conserve que par la vigilance et la pratique. Aussi longtemps que notre peuple se montrera vigilant et voudra pratiquer un civisme véritable, bien orienté, il n’y aura pas lieu de craindre.

Quand je regarde une assemblée comme celle-ci, je suis tranquille. Quand je vois des hommes publics, si près du peuple, si dévoués au bien commun, réunis pour discuter avec autant de sérieux et d’application les problèmes qui réfèrent au progrès de la société, je me crois justifié de prévoir que de ces études, de ces échanges d’idées vont naître des choses intéressantes, des mesures positives, propres à assurer le bon fonctionnement et le développement du gouvernement municipal. Souhaitons de garder toujours ce privilège de contempler le spectacle de l’homme qui, exercent sa liberté individuelle en accord avec le bien de la société, fait marcher la démocratie par son suffrage ou par sa participation directe aux affaires publiques.

Ai-je besoin de vous dire quel stimulant, quel réconfort représentent pour un chef de gouvernement, cet enthousiasme, cette atmosphère qui marquent tous vos congrès et qui ont marqué celui qui se termine. Souhaitons que le résultat soit digne de vos efforts. Pour ma part, je suis convaincu que les discussions que vous avez eues ne pourront avoir que d’heureuses répercussions sur la conduite des affaires municipales dans la province.

Messieurs, au nom du gouvernement de la province, je vous remercie et vous félicite des travaux que vous avez accomplis.

[QLesage19600908]

[Notes d’une allocution prononcée par monsieur Lesage, jeudi, le 8 septembre, 1960 lors du dîner du « Mérite du Défricheur »]

L’Ordre de Mérite du Défricheur constitue un hommage à la fois émouvant et solennel, à l’occasion de cette dignité qui consiste à faire de quelqu’un le Commandeur de l’Ordre de « Mérite du Défricheur, car les colons, dans leur ensemble, s’il n’y avait qu’eux, ignoreraient probablement l’oeuvre créée par leur talent et leur labeur fécond. L’éclat qui entoure cette appréciation de mérite est nécessaire, parce qu’il donne plus de valeur aux médailles et aux diplômes qui ne sauraient garder de présence durable sans l’attention des hommes, sans la chaleur d’un hommage.

Pour qui veut s’y intéresser, si la colonisation conduit à des découvertes et à des actes méritoires, l’Ordre de Mérite du Défricheur apparaît comme un soutien dans la poursuite d’un idéal qui exige, à la fois, du travail,de la »compétence et la vertu d’économie. La colonisation d’expansion agricole dans la province de Québec, ne représente pas quelque chose d’un autre âge. Sans doute la colonisation remplit les archives de l’Histoire. Elle demeure non seulement à la source de nos traditions, non seulement la pierre d’assise de nos paroisses rurales, mais aussi le jalon important de la vie agricole chez nous.

Aujourd’hui, le défricheur cherche à tracer la voie vers l’agriculture de l’avenir. La préoccupation qui anime les autorités civiles et religieuses de changer la colonisation dans ses principes et dans ses méthodes, est activée par les progrès d’une civilisation industrielle qui double aujourd’hui notre civilisation rurale.

Les industries peuplent maintenant le paysage que nos ancêtres ont connu libre, eux qui cultivaient avec beaucoup plus d’amour que de science. Ce complexe industriel et humain continuera de s’accroître avec les années, mais nos regards devront s’accoutumer au voisinage des troupeaux avec les grandes industries.

D’ailleurs le paysan avec sa ferme qu’il cultive

à volonté, qu’il organise en fonction de la sécurité qu’il désire pour lui-même et sa famille, constitue la base première et stable de tout le système de l’entreprise privée dans lequel nous vivons.

Une agriculture saine et florissante est aussi importante à la prospérité de la province que le sont nos plus grandes industries.

Enfin, l’Ordre de Mérite du Défricheur en associant le labeur des missionnaires colonisateurs, des curés de paroisses rurales à celui des défricheurs, a pour but de développer davantage dans l’esprit de tous une fierté rurale qui protège contre les préjugés et les erreurs.

[QLESG19601001]

Il y a quinze ans, presque jour pour jour, plusieurs d’entre nous se trouvaient ici même à Frelighsburg, pour participer à une fête marquant le 53e anniversaire de naissance de l’honorable Adélard Godbout.

Les orateurs à qui revenaient alors l’agréable tâche de souligner les grandes qualités de coeur et d’esprit de Monsieur Godbout, disaient en substance: [« Monsieur Godbout est un grand Canadien. Il a fait pour les siens des choses que tout coeur reconnaissant ne saurait oublier. »]

Avec le recul du temps, la population est, encore plus en mesure de juger aujourd’hui l’oeuvre impérissable qui a été la sienne.

Ce 22 septembre 1945, celui à qui nous rendons aujourd’hui un témoignage d’estime et de reconnaissance, nous donnait le conseil suivant; [« Jeunes gens de ma province, continuez d’être Canadiens. »] Par ce précieux conseil, Monsieur Godbout incitait notre jeunesse à travailler à la grandeur de notre province et de notre patrie.

C’est lors de cette manifestation mémorable que Monsieur Godbout, un homme de pensée, d’idéal et de justice, avait déclaré: [« Le libéralisme est l’orientation de toutes les forces d’une nation vers le bien de ses plus humbles citoyens. »] C’est en pensant à toutes ces choses, à ses réalisations, à ses déclarations, dont certaines constituent presque des leitmotive, que nous nous penchons aujourd’hui sur sa tombe pour lui rendre un hommage sincère et bien mérité.

Réunis devant ce monument, nous sentons tous monter dans nos coeurs les sentiments les plus nobles et, dans nos esprits, les pensées les plus inspiratrices de dévouement réel et sincère à la patrie québécoise d’abord, puis à la patrie canadienne et à cette autre grande patrie qui, de nos jours, s’impose de plus en plus à notre sollicitude; l’Humanité.

Comment se fait-il, mesdames et messieurs, que

le souvenir d’Adélard Godbout nous émeuve encore à ce point, cinq longues années après son départ.

C’est que Adélard Godbout fut l’un de ces véritables hommes d’élite que la Providence, à certains moments de l’histoire, charge d’éclairer leurs contemporains sur la route du destin, et dote des grâces d’état nécessaires à 1’accomplissement d’une mission aussi glorieuse que périlleuse, dont les événements se chargent d’illustrer dans la suite la bienfaisance fécondité.

Le chef d’État à qui nous rendons hommage en ce moment est indiscutablement l’un de ces disparus que le temps ne cesse de grandir.

Toute la carrière de ce brillant chef de la province n’est-elle pas une démonstration vivante de la parfaite harmonie de la grandeur et de l’humilité dans la personne des démocrates authentiques, c’est-à-dire des hommes politiques entièrement, sincèrement et passionnément dévoués au service de leurs concitoyens ?

En effet, Adélard Godbout, comme tous les grands humanitaires, était d’une modestie exemplaire.

Ce fils de cultivateur, né dans une petite paroisse éloignée des grands centres, a gardé durant toute sa vie, même au faite des honneurs, cette magnifique simplicité qui caractérise notre noblesse rurale canadienne-française. Comme elle était admirable, cette triple association de la modestie et du talent, de la culture et du courage, du patriotisme et du sens chrétien, chez cet homme devenu, par les seuls moyens de ses qualités et de son irrésistible magnétisme, le chef de son peuple.

Dès son accession au poste de Premier Ministre, Adélard Godbout s’est classé parmi les grands hommes d’État démocrates de son époque.

En cinq années d’administration seulement, à une phase de l’histoire extraordinairement difficile pour nous comme pour le monde entier, il a su accomplir des oeuvres prodigieuses, qui ont orienté notre province vers la modernisation progressive de ses institutions.

Toute sa politique fut le fruit d’un esprit supérieur, qui veut sortir des sentiers battus, qui voit clair dans la synthèse des grands besoins nationaux, dont le courage se mesure à la difficulté des tâches et qui méprise toute popularité acquise par des moyens équivoques.

Permettez, Mesdames et Messieurs, qu’en ce jour de pèlerinage national au tombeau de l’un de taos plus grands disparus, j’évoque brièvement quelques unes de ses principales réalisations.

Le plus grand mérite du gouvernement Godbout, c’est incontestablement d’avoir donné un vigoureux coup de barre en matière d’instruction publique, lorsqu’il a fait voter les lois d’instruction obligatoire et gratuite, prenant

ainsi le moyen d’augmenter au même rythme que chez les peuples les plus avancés de notre temps le potentiel intellectuel de notre entité ethnique.

Àce moment, il était moins facile qu’aujourd’hui de comprendre l’urgence de répandre l’instruction et de perfectionner l’enseignement à tous les degrés. Mais les esprits clairvoyants et généreux, en tête desquels figuraient feu le Cardinal Villeneuve et la grande majorité des membres du Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique, ont fermement appuyé les projets de Monsieur Godbout sur ce point; et la partie fut gagnée. De leur côté, les protestants favorisaient eux aussi la modernisation de nos lois scolaires. Il n’y a pas longtemps, le Doyen de la Faculté de Théologie à l’Université McGill ne disait-il pas que la civilisation occidentale, pour survivre, a besoin du meilleur système d’éducation que l’esprit humain puisse concevoir?

Le geste courageux posé par Adélard Godbout et tous ceux qui ont appuyé cette réforme devenue nécessaire de la législation scolaire, marque chez nous le début d’une ère toute nouvelle pour l’enseignement. Depuis ce coup de maître en politique scolaire, l’éducation préoccupe beaucoup plus nos familles, nos législateurs, nos administrateurs publics, nos élites et tout le monde enseignant.

Adélard Godbout n’a pas fait que passer des lois en faveur de l’instruction publique. Dans ses discours qu’une haute culture et une chaude éloquence rendaient si persuasifs, il ne manquait jamais une occasion d’inviter ses compatriotes à s’instruire, puis à rechercher la compétence dans tous les domaines, par tous les moyens possibles.

Si le gouvernement Godbout était resté au pouvoir quelques années de plus, la province de Québec eût été la première, et non pas la

dernière du pays, à posséder un plan d’assurance-hospitalisation, car le Premier Ministre avait alors adopté une législation à cet effet, il avait nommé des commissaires compétents pour étudier la question et prouvé sa détermination de réaliser ce vaste projet de bien-être social.

Le Conseil d’orientation économique aujourd’hui en voie de réorganisation, et dans lequel tout le monde voit l’instrument d’expansion économique par excellence qui nous

manquait, n’est rien autre chose que la résurrection du Conseil d’orientation économique fondé par Adélard Godbout, en 1943, et mort d’inanition, faute de crédits, après le changement de gouvernement en 1944.

Agronome et propriétaire d’une ferme qu’il cultivait avec amour et succès, Adélard Godbout était le protecteur le plus vigilant de l’Agriculture québécoise et l’ami de tous les cultivateurs. C’est quand il parlait d’agriculture que sa verve s’animait davantage. Les cultivateurs du Québec ne pourront jamais exagérer l’amour de ce Premier Ministre pour eux

et pour l’Agriculture. C’est précisément afin de leur rendre plus de services qu’il s’était réservé l’administration des deux départements de l’Agriculture et de la Colonisation.

Une de ses initiatives fort intéressantes fut l’établissement d’une industrie de la betterave à sucre, créée pour fournir un nouveau marché aux producteurs agricoles de toute une région. Nos lois ouvrières les plus justes et les plus progressives, c’est au gouvernement Godbout que nous les devons.

Afin d’intéresser davantage notre peuple à la gestion de la chose publique et de rendre la vie politique plus digne, monsieur Godbout a accordé le droit de suffrage aux femmes.

En dépit des énormes difficultés causées par la guerre, celui dont nous honorons la mémoire a considérablement modernisé l’administration provinciale dans tous les domaines.

Il a eu le courage d’instituer une véritable Commission du Service civil, qui eût rendu justice aux fonctionnaires et pourvu la province d’une équipe de serviteurs compétente et mieux organisés, si on n’avait pas violé dans la suite l’esprit et la lettre de cette bienfaisante législation.

Il faudra qu’un jour s’écrive l’histoire véridique de ce grand Québécois, l’un des plus beaux types d’hommes politique non seulement de chez nous, mais du monde démocratique; un homme qui n’a caressé qu’une seule ambition celle de donner à sa province une politique propre – une politique d’honnêteté, de grandeur morale et de prospérité matérielle.

Si le disparu que nous pleurons toujours était vivant parmi nous, il apprécierait sans doute les bons sentiments que nous exprimons à son endroit. Mais je crois rappeler fidèlement son attitude en signalant qu’il a toujours préféré à la fumée de l’encens le parfait accomplissement de son devoir.

On dit souvent que le temps atténue tout. Il est bon qu’il en soit ainsi pour les douleurs humaines, afin que les éprouvés d’hier puissent accomplir leurs tâches d’aujourd’hui.

Mais il m’est impossible d’évoquer la mémoire d’un homme, comme Adélard Godbout, et de croire ensuite que puisse s’atténuer la douleur de sa disparition.

En retrouvant ici la noble compagne de sa vie et ses enfants, je ne puis m’empêcher de leur redire la profonde sympathie qui m’envahit encore irrésistiblement à leur égard, car je les devine évoquant en eux mêmes avec émotion la chaude atmosphère de leur vie familiale d’autrefois, autour du chef aimé et respecté. Mais une immense fierté consolatrice doit également les envahir, non seulement à la pensée de ce que fut ce mari et ce père, mais aussi de ce que, eux, ils furent pour lui.

Nous ne pouvons vénérer l’homme, sans rendre par le fait même hommage à l’épouse admirable et aux enfants qui furent le secret de sa force intérieure. Et, c’est pourquoi, je ne crains pas d’affirmer que notre dette envers Adélard Godbout s’étend jusqu’à eux. Cette dette, nous la paierons de la façon qu’ils le désirent le plus … de la façon que le voudrait Adélard Godbout lui-même … Cette façon, c’est de servir de toutes nos forces les causes qui lui furent chères et auxquelles il consacra, sans se ménager jamais, toutes les ressources d’une magnifique intelligence et toute l’ardeur d’un coeur noble et généreux.

[QLESG19601007]

[FEDERATION DES FEMMES LIBÉRALES DU QUÉBEC Journée d’étude du 7 octobre 1960

Hon. Jean Lesage, Premier Ministre Remerciements d’usage ]

Le gouvernement et le parti que j’ai l’honneur de diriger sont redevables aux membres de votre Fédération d’avoir éveillé les femmes à leurs responsabilités politiques et d’avoir accompli une oeuvre d’éducation populaire sans laquelle la victoire libérale du 22 juin n’aurait pas été possible.

Si l’on analyse les chiffres du 22 juin, on se rend facilement compte que ce sont les gains réalisée par les libéraux et non pas les pertes subies par l’Union Nationale qui ont libéré notre province du régime corrompu et corrupteur qui l’accablait depuis plus de quinze ans. Alors que le vote UN demeurait stable ( 977,318 en 1960 contre 956,082 en 1956 ), les libéraux enregistraient un gain de plus de 235000 votes ( 1,077,135 en 1960 contre 839,890 en 1956). C’est dire que les libéraux ont su gagner l’appui des nouveaux électeurs

( 214,799 en 1960) ainsi que des indifférents qui, cette année, ont jugé nécessaire de se prévaloir de leur droit de vote (80.39 p. 100 en 1960 contre 77 p. 100 en 1956 des électeurs inscrits.) Les femmes étant autant sinon plus nombreuses que les hommes dans notre province, on peut dire que dans les deux catégories ci-dessus, elles ont favorisé davantage le Parti libéral du Québec que l’Union nationale. Ce succès que nous avons connu tant auprès des jeunes qu’auprès de ceux qui d’habitude demeurent indifférents à la chose publique nous le devons surtout à notre programme ainsi qu’au dynamisme et à l’ardeur qu’ont déployés les militants pour gagner la population à notre cause. Dans les deux cas, une grande part du mérite revient à vous de la Fédération des Femmes Libérales du Québec qui avez su contribuer à l’élaboration de notre programme et avez poursuivi inlassablement votre oeuvre d’éducation populaire par le truchement des associations féminines que vous avez fondées et maintenues actives dans la plupart des comtés de la province. Ce n’est pas par hasard que le Parti libéral du Québec a présenté à la population un programme de justice sociale répondant aux besoins réels de la famille chez nous. L’activité des femmes et leur précieuse participation aux travaux de la Fédération libérale du Québec – que ce soit à l’échelon du comté, dans les congrès régionaux ou dans les congrès généraux comme celui qui débute ce soir – n’ont pas été sans exercer une grande influence dans l’élaboration du programme libéral et dans l’édification des structures du parti.

Je l’ai dit à maintes reprises et je tiens à le répéter encore aujourd’hui la victoire du 22 juin a été avant tout celle de nos militants et de nos militantes. Ce sont tous ces hommes et ces femmes des quatre coins de la province qui ont rendu possible le succès de notre marche de la libération.

La province est enfin libérée du joug de l’Union nationale. N’allons pas croire que notre tâche est terminée pour autant. L’oeuvre de restauration que nous entreprenons est immense. Elle ne s’accomplira pas sans qu’il soit nécessaire de combattre certaines habitudes politiques qui sont ancrées dans notre peuple et aussi de faire accepter à celui-ci certains sacrifices. Déjà, certaines décisions que nous avons prises ont été soit mal comprises, soit mal interprétées; il en est résulté un certain malaise du fait que ces décisions – qui exigeaient un effort de compréhension – ont bousculé des habitudes qu’on croyait immuables. Tout ceci reflète certaines faiblesses au point de vue civisme qu’il va nous falloir corriger rapidement si nous ne voulons pas que, soit entravée notre oeuvre de restauration.

Il va falloir nous discipliner. Nous nous sommes battus vous vous en souvenez – je l’ai assez dit et répété, non pas pour un changement de « patroneux », non pas seulement pour un changement de gouvernement – mais pour un changement de vie.- Un changement de vie demande courage et persévérance. Qui mieux que la femme peut nous aider, nous supporter et nous faciliter la tâche.

Le gouvernement à la victoire duquel vous avez tant contribué, compte sur vous, Mesdames, pour l’aider à accomplir son oeuvre de grandeur nationale, qui ne peut être possible sans l’assainissement de nos moeurs politiques et une nouvelle conception du rôle de l’État dans la vie de la collectivité. L’oeuvre d’éducation populaire que vous avez entreprise avec tant de succès, vous vous devez de la poursuivre avec encore plus d’ardeur et de conviction. Personne mieux que vous comprend la nécessité de la tâche que nous nous sommes engagés à accomplir; personne mieux que vous n’est en mesure d’en instruire notre population. Nul doute que ce sont là des problèmes sur lesquels vous vous pencherez au cours de cette journée d’étude. Je souhaite de tout coeur que cette confrontation vous permette d’entrevoir des horizons neufs et vous révèle des moyens nouveaux et efficaces d’étendre vos activités et d’accomplir votre oeuvre si méritoire et si nécessaire à toute notre population.

Le gouvernement que je dirige compte sur vous; le parti que je dirige compte sur vous. Je sais que vous ne nous décevrez pas.

[QLESG19601008]

[Discours .prononcé, le samedi, 8 octobre, a 10h00 heures 6e Congrès de la Fédération Libérale du Québec Montréal, les 8 et 9 octobre 1960 Honorable Jean Lesage, Premier Ministre ]

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs « Gouvernement et Démocratie », voilà le thème de notre sixième congrès qui débute ce matin. Ce congrès, en lui-même et à lui seul, est un accomplissement de l’idéal que les présentes assises de la Fédération se proposent d’approfondir.

En effet, cette rencontre, ce dialogue ou cette confrontation entre le personnel d’un gouvernement et le personnel de ses structures démocratiques est un fait sans précédent dans l’histoire politique de notre province, C’est un événement neuf. C’est, sous un aspect fondamental et inédit, une nouvelle alliance entre le gouvernement et la démocratie au pays du Québec.

Quel sera l’esprit de cette nouvelle alliance? Quelles en seront les modalités et les structures? Quels sent ses buts et quels seront ses moyens?

La démocratisation du Parti libéral était déjà un fait nouveau et révolutionnaire, quand il s’est agi de rassembler les effectifs et la pensée des forces oppositionnistes. Ce fut le triomphe que vous savez.

Le Parti libéral et notre Fédération ont été, comme force d’opposition, le creuset d’un renouveau de la, pensée politique dans notre province et les organes de la conquête du pouvoir. Comment et à quelle condition le Parti libéral et la Fédération peuvent-ils maintenant s’adapter au pouvoir, en demeurant une démocratie en action et la pensée d’un gouvernement?

En d’autres termes, les structures nouvelles du Parti avaient forgé une arme admirable de combat. La victoire électorale, aussi bien que les tâches de l’avenir, nous imposent désormais de perfectionner l’arme de combat en instrument de gouvernement.

Notre combat ne se limitait pas, en effet, à la destruction d’une administration en décadence. Notre combat était – et demeure- la reconstruction de la province. Essentielles de la simple bataille électorale, les armes du parti le sont bien davantage encore pour le

combat qui reprend sur un champ désormais plus vaste et plus décisif le combat de la restauration du Québec et la conquête de l’avenir national. Lors des congrès précédents, le chef du parti rendait compte de son mandat dès la première séance. Je remets cette tâche, qui sera très agréable, à demain soir pour aborder de front ce matin trois problèmes concrets et urgents qui se rattachent directement au thème d’études que nous avons choisi.

Nous avons devant nous des tâches trop pratiques et trop nombreuses pour nous livrer aux phrases inutiles. Un rappel des principes est toutefois une préparation indispensable aux décisions, de même que la pensée prépare l’action. « Gouvernement et Démocratie »: ces deux mots sont donc le sujet de nos délibérations. Sujet difficile, puisque ces deux mots résument, à eux seuls, la contradiction interne de la société qui doit concilier la, nécessité de l’autorité et les droits de la liberté; l’unité de direction et d’objectif avec la diversité des opinions. Sujet à jamais controversé, depuis que des hommes délèguent à d’autres hommes – leurs égaux et leurs pairs la responsabilité d’administrer le bien commun, en leur mon et en vertu d’une autorité qui découle du consentement de tous.

Voilà la théorie et voilà le principe qu’on ne saurait ignorer sans détruire les fondements de nos institutions; c’est-à-dire, les valeurs de la démocratie et de ses libertés aussi bien que l’autorité et la signification elle-même du gouvernement.

La théorie et le principe révèlent donc le dilemme normal et constant dans lequel se trouve n’importe quel parti politique, une fois qu’il est porté au pouvoir, par suite de la dualité du mandat qui engage tout gouvernement sous le régime de la démocratie parlementaire.

C’est pourtant à la lumière de ces principes qu’il faut envisager le noeud du problème qui nous réunit aujourd’hui. Le noeud de notre problème est de définir les relations qui doivent exister entre le gouvernement libéral désormais au pouvoir et le parti qui l’y a porté, qui s’identifie au gouvernement sans pourtant s’y confondre, de même que « Gouvernement et Démocratie » sont deux notions qui se distinguent sans s’exclure.

En pratique, qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que, sous le régime de notre démocratie, nous avons un gouvernement de parti; mais le parti n’est pas le gouvernement. L’un est issu de l’autre et l’un ne vit pas sans l’autre; ils s’identifient, mais ils ne se confondent pas. La vitalité du parti et le libre exercice de cette vitalité sont conditions de la vie du gouvernement; mais la discipline de l’un est aussi condition de l’autorité de l’autre. Un gouvernement est mandataire du parti qui a, choisi ses chefs et ses candidats, qui a rédigé son programme, qui a combattu ses combats et qui soutient son oeuvre. Ainsi les candidats et le chef du parti deviennent, par le scrutin, les élus du peuple, de même que le programme du parti, par l’adhésion populaire, devient la volonté du peuple tout entier et son droit.

De cette façon, l’intérêt commun a la priorité sur l’intérêt du parti.

Rôle ingrat du parti et des partisans, dira-t-on au gouvernement actuel comme on l’a dit à tous les gouvernements démocratiques dignes de ce nom. C’est pourtant l’honneur et la raison d’être du Parti – aussi bien que le véritable intérêt personnel de chacun de ses membres – de réunir l’élite qui est l’aile marchante du bien commun et de constituer en temps d’épreuve comme ce fut le cas pour les libéraux du Québec – la minorité qui travaille, persévère et triomphe pour l’avenir de tous.

Comment ajuster le rôle en apparence ingrat du parti au pouvoir à la mesure des services qu’il a rendus dans l’opposition et qu’il continue de rendre dans le gouvernement?

En ajustant l’intérêt du parti et de chacun de ses membres à la mesure de l’intérêt de la collectivité; c’est-à-dire, en opérant le ralliement sans cesse compromis des citoyens autour de son programme, en faisant rayonner la connaissance et la volonté de ses objectifs, en élevant le peuple tout entier à l’harmonie de son idéal. Alors s’accomplit l’unité de fonction dans la personne du premier ministre qui est en même temps chef de parti; l’unité des intérêts du parti et des intérêts publics; l’unité elle-même du peuple, puisque la justice envers tous et envers chacun – qui est le voeu profond de la démocratie – est, désormais, l’oeuvre du gouvernement.

Tout cela, les libéraux que vous êtes le savent depuis toujours, car tout cela est la moelle et la substance du libéralisme.

Mais peut-être n’était-il pas inutile d’allumer ensemble ces lumières des principes, au moment d’aborder des questions aussi controversées et aussi complexes que l’application du programme libéral dans les domaines suivants : le rôle de la législature et des députés, le rôle de l’État comme client ou comme employeur, ce qui pose tout le fameux problème du patronage; le rôle de la Fédération et du Parti comme instrument de gouvernement.

[ The I epZ slature •and the Members.

With f ree men living in a free country, this saine unity of spirit and objectives cannot be achieved without the free alliance of

Government and Democre.c•r.

We know to what depths governments who have

I

decried democracy have fallen, under pretext of achieving unity for their people.

The parliamentary system continues to be the main and the most brilliant expression of this alliance between government and democracy. !~’aced with the decline of order and the humiliation suffered in the only Prench language Legislature in America, the Liberals vowed tb restore the dignity of this institution which is

the very heart of our

• democracy.

‘Vhat have we done? As soon as the bouses convened we set out to establish the authority of the Speaker on the basic of absolute impartiality. With the desire for order and discipline in mind we

w reintroduced the time-honoured tradition of aseociating the Opposition with the choice of he who would be the arbitrator of our debates. The Opposition willin;ly subycribed to the r;esture which bases the prestige of the Assembly on the authority of the Speaker. this did not prevent them from contestin^, shortly after, the Speaker’s first decision by a useless vote, a procedure whicb undermines presidential authority unless

reserved for very serious matters.

W?iat else have we done? The day after the government Iras formed, calling a caucus of members and Liberal candidates together, we proclaimed our determination to restore the dignity and the honour appertaining to the representatives of our people.]

Je l’ai dit alors et je le répète: le député à, la Législature du Québec doit être rétabli dans sa dignité de législateur, et il le sera. J’ai dit alors et je le répète: le député de chez nous ne sera plus la caricature humiliée des parlementaires d’ailleurs. Au Québec, le député ne sera plus le jouet des patroneux, ni patroneux lui-même. Il sera le représentant honnête et libre d’une population libre et honnête. Il ne sera plus le pion silencieux que les puissances d’un gouvernement invisible manipulent à leur gré sur l’échiquier de la province. Il sera le lien effectif et vivant du législatif et de l’exécutif, le point de rencontre de l’État et du peuple: l’associé du ministère et sa conscience.

Dans notre province, la conception du rôle véritable du député avait tellement été faussée par des années de dictature que mes paroles sur une vérité aussi simple ont crée de la confusion. On a dit qu’en restaurant le député dans son rôle de législateur, je voulais briser le contact intime qui l’unit à, ses électeurs.

Quelle stupidité: Le rôle du législateur, en démocratie, est précisément fondé sur l’union intime avec les électeurs et leur volonté. Le législateur reste le représentant du peuple; c’est-à-dire, son conseiller et son confident, son intermédiaire auprès du gouvernement et des ministères, en un mot, son délégué, son député, celui que l’on envoie pour se faire représenter et défendre sa cause.

Je le répète une fois de plus: sous notre gouvernement, le député ne redeviendra jamais le commissionnaire et le porte-paquet d’un soviet de petits « patroneux » gouvernant son comté, comme le soviet des « grands-Patroneux » gouvernait son parti tout entier, depuis le chef démissionnaire jusqu’au dernier cantonnier. Mais, sous notre gouvernement, au zèle du député

s’ajoutera le prestige du législateur, de telle sorte que chacune de ses interventions au bénéfice de ses commettants aura un poids nouveau et une efficacité nouvelle.

Je ne mentionne qu’un seul exemple pour illustrer à cet égard ma pensée que beaucoup ont mal interprétée. Quand j’ai dit qu’à l’avenir les Commissions scolaires pouvaient suivre directement les canaux administratifs en ce qui concerne les octrois, certains ont vu là un coup porté au rôle du député. C’était absurde! Bien au contraire, la tâche primordiale d’un député élu sous le programme libéral est de promouvoir de toutes ses forces les progrès de l’éducation dans son milieu. Dans ce but, plus l’Association du député et des corporations scolaires sera étroite dans les comtés, plus la cause de l’éducation progressera dans la province.

C’est cela que nous voulons!

D’autres ont voulu que les commissions scolaires viennent manger dans la main du patroneux et que la photographie de leur humiliation fasse le tour de la province. Nous, les libéraux, nous voulons que le député législateur soit profondément lié aux problèmes des corporations scolaires de son comté et qu’il leur facilite l’obtention des octrois, non plus comme un cadeau personnel mais comme un droit public. Voilà, je crois, un exemple concret et qu’on peut appliquer à toutes les gammes des relations du député avec ses électeurs de ce que j’entends quand je dis que le député doit être rétabli dans son rôle de législateur.

Que ferons-nous encore pour la restauration de la Législature et de la fonction de député? Je n’envisage, évidemment, que l’avenir immédiat. Nous donnerons un sens nouveau et une utilité réelle aux postes de secrétaires parlementaires qui, vous le savez bien, n’ont été jusqu’ici à Québec qu’une pitance additionnelle et une prime à la paralysie plutôt qu’un ordre d’action. L’étude que vous ferez sur les méthodes électorales servira également la promotion de la Législature et des députés, car nous ne visons pas tellement à étaler les plaies de la province qu’à les guérir. Par exemple, le mode de financement des élections – que les réformes apportées par notre Fédération ont tellement amélioré au sein du Parti libéral que le chef démissionnaire de l’Union Nationale les citait récemment comme un modèle à imiter par son propre parti – fournira l’un des sujets importants de vos discussions.

Enfin, nous voulons restaurer le rôle du député en l’intégrant à l’oeuvre de la Fédération dont je vous parlerai tantôt, lorsque nous envisagerons les problèmes de structures et d’avenir propre à la Fédération. Voilà, Mesdames et Messieurs, la contribution que l’administration actuelle a promis d’apporter et apportera dans ce domaine fondamental du gouvernement et de la démocratie.

Le Patronage

Je vous parlais tantôt d’unité. Il y a une unité, mes amis, dont le gouvernement n’a pas à se réjouir. C’est celle qui concentre les critiques – et je l’admets – le mécontentement, sur un seul point des politiques du gouvernement. Il s’agit du fameux patronage! Qu’il existe du mécontentement, je ne cherche pas à le nier. Beaucoup de libéraux et beaucoup d’indépendants qui ont travaillé au renversement du régime s’impatientent parce que le changement de gouvernement ne s’accompagne pas d’un changement complet et immédiat d’appareil administratif; parce que les injustices dans la structure du fonctionnarisme régi par la seule règle du favoritisme risquent maintenant d’être immobilisées et consacrées par notre respect de la loi; parce que l’appel des soumissions publiques paraît mettre sur le même pied que les autres ceux qui se sont rendus coupables d’une majoration éhontée des dépenses gouvernementales.

À ceux-là, je dis que je les comprends. À ceux-là, je dis que réparation s’impose. Mais à ceux-là je dis aussi que jamais une injustice n’a été réparée et ne sera jamais réparée par une autre injustice.

D’un autre côté, le gouvernement est accusé de retourner au système du patronage. De nombreux journaux de la province, et certains de l’extérieur, nous ont reproché avec amertume le remplacement de certains employés temporaires. Signalons que tous ces journaux ont assisté dans un silence de vingt ans à l’édification du plus formidable empire de « patroneux » jamais vu dans un pays libre! Applaudissons à leur réveil c’est la meilleure preuve que la victoire libérale n’a pas été vaine et que la liberté n’est plus en prison dans la province de Québec!

Mais je dis à ces moralistes de la dernière heure que les absolus de la pureté sont l’idéal du gouvernement aussi bien que le leur. Ils n’ont que la liberté de parler, tandis que le gouvernement assume la lourde responsabilité d’agir. En effet, l’absolutisme en ces matières conduit, en pratique, à des intolérances qui vont jusqu’à la persécution. L’exigence totale de renouveau et de pureté administrative, quand elle est trop pressée, ne peut avoir d’autres corollaires que la fièvre de châtiment et l’appétit de vengeance qui ont conduit tant de peuples à la folie des tribunaux populaires où coupables et innocents sont sacrifiés dans le même aveuglement.

En d’autres termes, que l’on pousse l’intransigeance devant les actes du nouveau gouvernement jusqu’à l’excès, si l’on veut! Mais qu’on n’aille pas oublier qu’il est impossible d’arrêter l’intransigeance à moitié chemin et qu’elle irait fatalement atteindre tout ce qui reste de l’ancien régime. Les moralistes de la dernière heure peuvent se demander si telle est la voie de la charité et du pardon:

Entre ces deux feux, quelle est l’attitude du gouvernement? Elle est simple. Dans tous les cas où la loi existe, c’est le respect de la loi et l’application rigoureuse de la loi. Dans tous les cas où il serait possible d’instaurer son

ordre et son règne, ce sera encore le respect de la loi et l’application rigoureuse de la loi. Dans tout le reste, la justice et l’équité.

Je répète donc aux uns qu’ils auront réparation. Je répète aux autres que, sans cette réparation envers ceux qui ont souffert, d’un ostracisme de vingt ans pour préparer la liberté des autres, l’esprit de vengeance ne cessera de lutter contre l’esprit de justice.

Aux uns comme aux autres, je dis que le gouvernement ne peut détruire en trois mois la pyramide infâme du patronage, achevé jusqu’à sa perfection totale depuis vingt ans, et dont la base reposait sur un siècle de mauvaises habitudes et d’immaturité civique.

Appliquons maintenant ces considérations aux relations concrètes du gouvernement avec tous les citoyens qui lui offrent des services ou des marchandises, c’est-à-dire, à l’ensemble du domaine qui était jusqu’ici la chasse gardée du patronage.

Dans le fonctionnarisme, la politique du gouvernement est claire, simple et nette. C’est le respect intégral de la loi! Tant que le gouvernement actuel sera au pouvoir, pas un seul fonctionnaire ne sera privé de la sécurité de son emploi, aux conditions garanties par la loi du service civil. Pas un seul ne sera démis de ses fonctions pour aucune considération et pour aucun motif que ceux spécifiquement décrits par la loi et sous le contrôle de la Commission du Service Civil.

La Commission du Service Civil a la responsabilité de réorganiser sur une base d’efficacité administrative les cadres qui s’étaient constitués, en bien des cas, au hasard de la routine ou du favoritisme. Elle a la responsabilité de procéder à la classification qui doit régir les promotions et mettre de l’ordre dans les hiérarchies établies selon les mêmes hasards.

Cette réorganisation est, nécessairement, une oeuvre de longue haleine. La Commission du Service Civil aura le personnel nécessaire, elle aura par surcroît l’assistance de la commission d’enquête dont je parlerai tantôt, afin d’effectuer cette réorganisation dans les plus brefs délais compatibles avec la prudence et l’équité. Nous avions promis de chasser la politique du fonctionnarisme. Nous prenons les moyens nécessaires, et elle le sera.

Aux deux extrémités de la hiérarchie des employés gouvernementaux, il y a des catégories qui ne sont ni régies, ni protégées par la Loi du service civil. Au sommet, il y a certains employés supérieurs comme les officiers des commissions, les secrétaires de ministres, les substituts de la Couronne et autres. Par la nature de leurs fonctions et par l’étendue des pouvoirs qui leur sont délégués par les membres du gouvernement, il est évident que le gouvernement doit conserver au moins la liberté de choisir ces collaborateurs immédiats et confidentiels, dont il assume la responsabilité. Dans ce cas, la pratique est à peu près la même à Québec que dans les autres démocraties. Au bas

de l’échelle, il y a les employés temporaires qui sont, dans la plupart des cas, des salaries à temps partiel. Par tradition, on n’exigeait d’eux aucune qualification, sauf celle de la couleur politique. Par tradition également, ils étaient changés avec chaque changement de gouvernement. Sur ce point – et sur ce point seulement – nous avons été incapables de rompre complètement avec la tradition. Je le déclare avec franchise, cette pratique nous répugne et il faut trouver une alternative. En fait, tout le monde sait que ces employés temporaires étaient versés, bon gré mal gré dans l’armée personnelle du député au pouvoir en périodes électorales.

C’est un système néfaste à tous les points de vue. Il détruit les libertés civiles de l’employé qui est conscrit au service du parti politique s’il veut conserver son emploi. Il est souvent une tragédie familiale pour des hommes qui peuvent être ainsi des employés temporaires pendant dix ou quinze ans. Il est surtout néfaste pour l’administration publique parce qu’il encourage l’incompétence, protège les corruptions et conduit à la démoralisation des services ainsi constitués. À titre d’exemple, ,je vous signale les protestations répétées de nos groupements sportifs et des associations consacrées à la protection de notre faune, qui ont maintes fois soutenus que notre système de gardes-chasses n’était pas autre chose qu’une bonne association de braconniers.

Le système doit être changé. Il faut établir en règle générale que tout emploi gouvernemental, dans n’importe quel ministère, sera assujetti à la Loi du service civil, dès qu’il offre le moindre caractère de permanence. Il faut établir en règle générale que les emplois temporaires ne sont pas autre chose qu’un recours d’exception. Le barème des qualifications exigées élèvera la qualité des services concernés, tout en stimulant l’éducation chez des gens qui n’en

voyaient pas toujours la nécessité quand un clin d’oeil du patronaux local suffisait pour décrocher une « job » du gouvernement.

Nous sommes donc déterminés à restaurer le service public sur la sécurité de l’emploi, sur la compétence et sur 1’impartialité dans l’examen des candidats qui seront appelés publiquement. Tel est notre but et telle est la promesse de tous les libéraux qui ont rédigé notre programme. Nous atteindrons notre objectif progressivement, on procédant avec autant de méthode que d’énergie.

Les mêmes considérations s’appliquent aux entreprises, aux professions et aux commerces qui font affaires avec le gouvernement. Là, aussi, il y a eu un quart de siècle d’injustices.

Le système du patronage qui a édifié la nouvelle classe des millionnaires de l’Union Nationale est aboli depuis le premier jour de notre élection. Jamais notre gouvernement n’y retournera. Que cela, soit compris et bien entendu. Jamais !

Nous avons commencé d’appeler des soumissions publiques pour les travaux gouvernementaux et nous avons accordé les contrats aux plus bas soumissionnaires.

Nous ne dévierons pas de cette ligne de conduite qui est la ligne de l’honnêteté.

Mais la question se pose: notre respect de la loi va-t-il aboutir à immobiliser l’injustice d’hier dans la sécurité d’aujourd’hui?

Je dis Non. Voici les moyens que nous prendrons pour rétablir au moins un équilibre.

Je viens d’annoncer le début de l’enquête que nous avions promise sur l’administration de l’Union Nationale. Nous ne visons pas tellement à étaler les plaies de la province, nous sommes déterminés à les guérir! Cependant, ceux qui se seront rendus coupables de malversation – soit à l’intérieur de l’appareil administratif, soit à l’extérieur selon une preuve clairement établie à l’enquête, devront être punis ou tout au moins mis hors d’état de nuire. À ce côté négatif mais nécessaire de l’enquête, le gouvernement veut allier une œuvre positive. L’enquête qui commence par son côté positif doit servir les fins qu’a obtenu l’enquête Hoover aux États-Unis.

De cette façon, non seulement nous pourrons réorganiser les cadres de l’administration selon les techniques les plus modernes que nous conseilleront les experts attachés au personnel de l’enquête, mais le gouvernement libéral pourra se prémunir contre les désordres où se sont abîmés ses devanciers.

Or, la cause principale du mécontentement actuel chez les libéraux et chez tous ceux qui n’étaient pas liés au régime de 1’Union Nationale, c’est que l’appel des soumissions publiques s’adresse indistinctement à ceux qui sont soupçonnés d’avoir prévariquer pendant un quart de siècle, comme à ceux qui ont été trop honnêtes pour s’engrener dans ce que j’ai toujours appelé la machine infernale.

Mes amis, jamais le premier ministre actuel et jamais un gouvernement libéral ne condamneront un homme sur de simples soupçons, si légitimes soient-ils. Jamais le premier ministre actuel et son gouvernement ne retourneront aux contrats sans soumissions et au brigandage général érigé en système de gouvernement.

Quelle est, alors la solution? La justice exige une réparation, quelle sera cette réparation? Tous ceux que l’enquête démontrera coupables de profitages ou malversations, avec des preuves formelles à l’appui, ne seront pas admis à offrir leurs services et leurs marchandises au gouvernement.

Il est une liquidation qui est immédiate et sans retour. C’est la liquidation du « patroneux » professionnel, ce parasite de la société, ce chancre de l’industrie et du commerce aussi bien que de la politique, qui vit d’une vie d’entremetteur en monnayant ses prétendues influences. Ces intermédiaires étaient fourrés partout sous l’ancien régime. Ils tiraient une rançon sur tout ce que le gouvernement achetait,

depuis les graines de semence jusqu’aux matériaux de construction. Ils vivaient de chantage auprès des commerçants aussi bien que de leurs amitiés honteuses auprès des gouvernants.

Cette race est disparue. Si elle tente de renaître, elle sera écrasée. Le gouvernement ne traitera qu’avec le commerce et l’industrie légitime, par leurs agences légitimes, selon les pratiques tires du marché. Le gouvernement que je dirige ne paiera jamais de rançon aux patroneux. Mes amis, membres de la Fédération et du parti, tels sont esquissés rapidement et dans leurs grandes lignes seulement les moyens que le gouvernement entend prendre pour réaliser le programme que vous avez vous-mêmes rédigé pour lequel vous avez combattu et dont le premier objectif était l’épuration de la vie publique dans la province de Québec.

La Fédération

Je vous disais au début que la Fédération libérale, au moment d’ajuster ses structures aux conditions qui ont changé depuis le 22 juin, devait perfectionner ses armes pour le combat qui commence sur un champ plus vaste. L’épuration de nos moeurs publiques demeure notre premier objectif, après l’élection comme avant l’élection. Le combat doit reprendre sur ce front, non seulement contre le passé, mais pour l’avenir.

C’est un trait de l’histoire politique du Québec que les gouvernements qui ont eu, chez nous, une longue durée ont tous succombé dans l’humiliation.

Votre gouvernement aura une longue durée. Il pourra être vaincu dans la défense de ses politiques. Ne permettons jamais qu’il s’anéantisse par sa propre humiliation. Telle est l’oeuvre principale à laquelle la Fédération doit se consacrer désormais. Il n’est plus tellement question pour elle de surveiller l’ennemi terrassé- que les amis au pouvoir. Elle doit être le chien de garde de l’honnêteté de ses mandataires et de ses militants, de telle sorte que nous nous abaissions jamais à adorer ce que nous avons brûlé avec tant d’ardeur et de promesses.

Une autre tragédie de notre histoire politique, c’est que notre peuple a toujours voté contre un gouvernement et rarement pour un programme et pour un idéal. Il faut orienter notre peuple vers la puissance de la pense positive, et vers les réalités de l’action positive. Un peuple est contre par déception et par découragement. Un peuple est pour par enthousiasme et seul l’enthousiasme déclenche les énergies nécessaires à l’action.

Insuffler et communiquer cette orientation positive à notre peuple telle est la seconde mission de notre Fédération. Elle l’a admirablement commencé avec le programme qui nous a conduits à la victoire. Il est essentiel qu’elle reprenne le combat, sans retard, pour conduire ce programme à sa réalisation.

Pour cela, la Fédération doit remettre en oeuvre toutes les pièces de sa structure, depuis les

associations de paroisses et de contés, les groupements régionaux et jusqu’à 1’exécutif, dans une entreprise coordonné et périodique d’éducation populaire sur les politiques qui commencent.

Les patroneux de l’Union Nationale essayaient parfois de se justifier en disant que les membres des corporations scolaires ou municipales ne connaissaient guère les octrois qu’ils pouvaient réclamer ou que les simples citoyens ne savaient pas à quelle porte frapper pour obtenir la part des mesures sociales à laquelle ils avaient droit. N’existe-t-il pas là comme ailleurs une carence d’éducation populaire? Passez en revue n’importe quel secteur de la vie provinciale et n’importe quel secteur des relations entre le gouvernement et notre démocratie, depuis l’éducation jusqu’aux pêcheries et l’agriculture, depuis les problèmes ouvriers jusqu’à la question constitutionnelle, et vous constaterez la même carence et le même besoin.

Qu’on ne parle pas de démocratie quand elle est ainsi dissociée du gouvernement par l’indifférence des populations! Or, je le répète, notre but et notre devoir est d’opérer l’alliance du gouvernement et démocratie. Seule, à l’heure actuelle dans la province de Québec, la Fédération libérale possède les structures et les armes pour y parvenir.

Par ailleurs, mes amis, le programme dont vous les libéraux et le peuple entier nous avez confié le mandat changera bien des choses dans la province de Québec. Tout changement même pour le mieux rencontre des obstacles et soulève des oppositions. Les obstacles et les oppositions sont toujours à la mesure des changements. L’envergure elle-même du programme libéral condamne donc les libéraux à la permanence du combat. Nous ne pouvons atteindre nos objectifs sans l’adhésion pleinement éclairée et sans la volonté positive de l’opinion publique. Nous n’obtiendrons cette adhésion et cette volonté qu’en diffusant la connaissance de nos moyens et de nos objectifs. La Fédération en étroite collaboration avec les députés et les anciens candidats, doit donc dresser immédiatement un programme d’éducation populaire, qui utilisera tous les moyens modernes de diffusion dont le province est abondamment pourvue, qui ajoutera à ces moyens la vertu de la persuasion des contacts personnels et des études en commun, qui puisera dans l’expérience des ministres, des experts, des hauts-fonctionnaires, des députés et des membres du parti, afin de faire rayonner partout dans la province de Québec la pensée positive sans laquelle l’action du gouvernement est vouée à l’échec.

Jamais, libéraux, un parti politique n’a été convié au Québec ou au Canada, à une oeuvre qui comporte à la fois tant de travail et d’utilité démocratique, tant, de dévouement et tant d’honneur!

Mes amis, dès mes premières paroles j’ai voulu mettre ce congrès libéral sous le signe de

l’unité au sein de notre peuple. Ce n’était pas un vain artifice oratoire, ni une tentative de confondre l’intérêt du parti et de chacun de ses membres avec l’intérêt commun, ni même un espoir de résoudre le conflit personnel d’un premier ministre qui se trouve en même temps chef de parti.

C’était une nécessité de l’heure. Dans 1e tourmente

universelle des jours présents, le temps n’est plus aux mesquineries qui divisent, mais aux oeuvres de justice et de réparation qui, si imparfaites soient-elles parmi les hommes, n’en demeurent pas moins un élément d’unité pour notre parti dans la province de Québec, il faut livrer le combat contre le patronage, le combat de l’éducation, le combat de la conquête des ressources naturelles, le combat de la santé, celui de la moralité et celui de la famille et, par dessus tout, le combat de la justice parmi des citoyens qui sont des frères.

Que la Fédération soit à la tête du combat et nous triompherons de la même façon et avec les mêmes armes que la Fédération a utilisé pour rendre la liberté à tous les citoyens de notre province.

[QLESG19601012]

[International Chamber of Commerce Montréal, October 12, 1960 Hon. Jean Lesage. Prime Minister]

Une des questions les plus discutées à l’heure actuelle est celle des rapports qui doivent exister entre l’État et l’économie. Tout gouvernement qui veut mener à bonne fin ses entreprises et qui a plusieurs moyens d’action à sa disposition doit avoir une idée précise du rôle qu’il entend jouer dans l’économie de la nation qu’il dirige. Il doit posséder une notion claire du degré d’influence qu’il juge à propos d’exercer sur cette économie.

Cette idée précise est d’autant plus importante maintenant, et d’autant plus nécessaire, que des facteurs d’ordre économique et social nous obligent depuis déjà quelques années à une révision de nos conceptions traditionnelles des relations entre l’État et l’Économie.

En effet, l’évolution économique et sociale du monde moderne, en particulier du Canada et surtout de la province de Québec, a été extrêmement rapide. Elle s’est faite à une cadence qui ne cesse d’accélérer. On note par exemple des changements profonds dans la mentalité des citoyens; certaines idées que l’on prenait pour définitivement acquises sont remises en question, pendant que de nouvelles surgissent. Les techniques de production changent elles aussi. On peut même dire qu’elles sont en révolution permanente; de nouveaux procédés de fabrication succèdent aux anciens qui eux-mêmes en avaient remplacé d’autres il n’y a pas tellement longtemps. La concentration industrielle, ou mieux la concentration économique, a provoqué la formation d’entreprises gigantesques dont la capacité de production est à la mesure de leur taille.

À tous ces facteurs qui influencent la vie quotidienne et le comportement de centaines de milliers de citoyens s’en ajoute un autre plus récent mais nullement négligeable. Je veux parler ici du défi que présentent au monde libre les économies des pays communistes. Leur production commence à envahir de nombreux pays jusqu’ici indépendants; leurs agents commerciaux ouvrent chaque jour de nouveaux marchés pour ces produits et leurs agents culturels élargissent de façon alarmante une sphère déjà trop étendue. Ce sont tous ces facteurs qui nous incitent à réviser nos conceptions des relations entre l’État et l’économie et qui nous forcent en quelque sorte à les moderniser et à les rendre plus conformes aux exigences de la vie moderne. Mais cette révision ne peut pas se faire à l’aveuglette; elle ne peut pas se faire arbitrairement. Elle doit, de fait, être basée sur un critère sérieux. On ne change pas ses idées, ni ses conceptions, pour le seul plaisir d’en avoir de nouvelles. Il faut qu’une révision soit justifiée par les améliorations qu’elle peut apporter; il faut en d’autres termes qu’elle permette une plus grande efficacité, aussi bien dans l’usage des ressources productives, que dans l’emploi maximum des ressources humaines.

Au cours de l’histoire moderne, on a déjà effectué de ces révisions. Elles étaient orientées, ou bien par le libéralisme économique, ou bien par le socialisme, ou bien encore par des variétés de l’une ou l’autre de ces tendances. Je crois que la révision qui s’impose actuellement doit aller au-delà de ces deux courants traditionnels, qu’elle doit en somme les dépasser. De ce fait même, elle sera plus réaliste, car le libéralisme économique, comme le socialisme, ne sont plus pour nous que des mythes.

[Economic Liberalism

Let us now take the case of economic liberalism. When we talk about it today, we forget most of the time that at the beginning of the last century, economic liberalism was more a liberation from the commercial and industrial restrictions of the previous years, than a permanent ideal of economic organization. In itself, liberalism was not looked upon as being a permanent way of life; it was no more than a system of economic organization, based on free enterprise, but adapted to the situation of that period of history

and apt to solve its problems. There is nothing in it which makes

It is important to point out that economic liberalism has never taken for granted that the State should completely refrain from any intervention in the economy. Its most enthusiastic supporters

have always admitted that the State had an

important economic function. The State, even in the liberal era, played a definite rôle, for example, in the construction and maintenance of roads, canais, railways, etc. It used tariffs to direct commercial exchanges, it granted subsidies to certain types of industries, it provided certain necessary public services, as military protection, post offices, etc. Therefore, those who desire a return to the economic liberalism system because they want to abolish ail intervention on the part of the State, are simply endeavouring to realize a myth. Moreover, it is quite imprac go tical to try to adapt to an economy as complez as ours a solution

which may have had sonie relevance more than a century ago, in a com

it good for ail countries at ail time. Of course, in it we find constituent elements that modern society must proteét and keep. Individuel freedom is one of them. But I think it is a myth to believe that we need only to reestablish it in its integrity to solve the problems modern economies are faced with. As I said before, the economic and social background has changed so much compared to what it was in the days of economic liberalism, that we now live in an almost new world.

w 0

pletely different context.

• At any event, no one ignores that if economic liberalism no longer existe as such, that is to say unadulterated, it is because it became the victim of the problems it naturally gave rise to. Economic liberalism had., we may say, the defects of its own qualities.

• The full freedom it granted to the citizens

brought about many excesses and provoked a general insecurity, the main source of which was absolute competition. The insecurity did not affect the working (but frequently unemployed) class only; it affected the businessmen and industrialists themselves. They were the victime of their own competition. It is not surprising that, with time, the world could witness more and more numerous agreements and deals between those

people. These agreements concerned territory, prices, advertising methods, etc. In many cases, such agreements léd to industrial and financial concentration. There were also more and more market surveys undertaken, more and more research projects on production metjods, etc. There was also much improvement in more efficient advertising techniques in order to insure the various concerna a more stable market. On the whole, by controlling the instances in which free enterprise was giving rise to too many risks, there was an effort to curtail the effects of « laissez-faire ». In doing so, there was an inevitable departure from the spirit of economic liberalism. À few firme became bigger and more powerful according as integral economic liberalism gradually decreased.

One of the main arguments which is often used to prove the value of economic liberalism is the way it succeeded in the priva te sector of western economy. Those who use this argument say that the high standard of living attained by the western countries, namely

the United. Statep and Canada, is the conséquence of free enterprise only. èfee~ly~believe that free enterprise certainly contributed very much to this.h’iigh standard of living and to the higher and’higher

• industrial production which are characteristic of North American economy. It permitted the realization of courageous ambitions and gave a free course to the numerous initiatives of competent industrialists.

tir » ~conomic liberalism is the only progressive factor; I do not have the impression either that it is the mort important one. I would rather feel inclined to grane much credit to the dynamic spirit of the businessmen themselves who knew how to exploit their inventions and how to concretize their intuitions. They also knew how to consolidate their first successes by their tenacity.. I would aise grant some credit to the new techniques of production which revolutionized the rythm of economic progress. Neither would I forget the new methods of transportation and the new uses of raw materials, nor the recent discoveries of greater and sometimes almost unlimited natural resources. I would not want to neglect the improvements which took place in the level of education

i resources of those countries now enjoying a high stàndard of living.

J In other words, I do not believe that we should attribute to ~he prin

of the workers; it made them much more efficient and much more competent in their trade. Finally I would give much credit to the natural

ciples of economic liberalism more than they actually brought about.

c

I consider them as being one of the important factors in the succesa

of the private sector of western economy, but in my opinion it’is far from being the only one. I have the impression that by isolating it from all the others, which is dons too often;, we make it the only responsible element of a situation which is the result of numerous other factors. It is in this way, by taking it out of its real context, that economic liberalism became a social myth.

Economic liberalism has never in fact been in a position to solve the main economic problems of modern times. On the contrary, we may even say that it bequeathed them to us. If the average standard of living has improved, there are still too many citizens who enjoy only a minimum level of subsistance and are etill deprived, to a great extent, of the benefits of culture. If those citizens are

! longer exists as such; it is because we have been able to mitigate it I

chanisms which, like social security, do not take into consideration

not more numerous, it is paradoxically because economic liberalism no

by introducing into the economy and into the social institutions, me profit motives only.

Socialism ~~

Now, what should we think of the other alternative that is socialism? We must say right now that, as well as economic liberalism, socialism is based on a great idea= human mutual aid and economy at the service of the human being. But, unfortunately, this great ides could never be put into practice on a large scale. On the oontrary, the so-called socialistic States which endeavoured to apply it have, mort of the time, succeeded onlbr in ourtailing the citizens’ freedom, when they did not abolish it completely. Through a desire to protect the population against the excesses of laissez faire, through a desire to give more security, the Governments of those countries have impaired some of the fundamental rights of the individual, like the right of property, the freedom of initiative and even the freedom of speech and religion. To go as far as that, it has been necessary to use various excuses often based on an erroneous perception of economic and social phenomena. It has been believed, for instance, that the happiness of the human race could be measured in terme of its degree of security, that the common good naturally required the control of individual actions, that the improvement of the human being as a whole supposed its liberation from religious beliefs. Consequently in many cases, mostly in the socalled « People’s Democracies », a universe of restrd.ints has been created in which the individual becomes a being taken care of by the sollicitudes of the State, fesi but anonymous, easily replaced and discarded. and condemned to the service of an omnipotent State.

• In economic terme, the socialist experience has failed, or rather never took place. Private capitalism was replaced by a State capitalism, still more impersonal and farther away from the preoccupations and the desires of individuals. This State capitalism, because of the needs of a rapid industrialization, justified by the purpose of surpassing and doing more than the western economies, has sacrificed the consumer, as a person, to the producer, as a citizen. If the standard of living has recently improved in those countries, it has been due to a tactical necessity rather than to a deliberate choice of the State authorities. If, on the other hand, their production has considerably increased, it is as a weapon of the economic warfare, rather than as an instrument in the edification of a greater • welfare for the citizen.

On the rare occasions when, during the lest

century, ideal socialism was put into practice, all efforts failed. The

le normal human behaviour had simply been forgotten. There was a flagrant neglect of the fact that motives of personal interest can be powerful and completely legitimate. An unrealistic conception of human nature had. been adopted. Socialism, as it is presented by some thinkers, could never then be applied with success. Socialism, as it is practiced by the communist leaders, is nothing more than a distortion of an idea which at one time had some greatness and some human appeal. Ail this

• incites me to believe that socialism is also a myth. If a few of its constituent elements deserve some attention, the economic systems which now bear its narre and in which a class of bureaucrate has become prosperous, cannot provide us with a valid solution to the economic pro

10 blems of our society.

Democratic Planning

a

0

The re-establishment of economic liberalism le not, in

my mind, more acceptable, nor more desirable, than the establishment of socialism. However, under the present economic and social circumstances, the State cannot neglect the economy completely; neither can it take the complete responsibility as is done in the socalled « People’s Democracies ». In the first case, an absolete instrument would be used to solve our problems. In the second case, the means would be totally inefficient and incompatible with our way of life and the liberties we enjoy.

In my opinion, the only way to avoid this dilemna is to go beyond it. The State does not have to choose between socialism and economic liberalism; it can direct itself in another way be keeping the advantage of the two economic systems mentioned, while doing away with their defects and shortcomings. This third way is what I call « democratic planning ».

I suppose it would be useful if I made the meaning of the word « planning » clearer. A plan is essentially an act of intelligence in the organization of the realities which we can control. Nobody would contemplate, et this stage of scientific development, making a plan of the weather to coure; we do not as yet control the climats. However, a young ‘en can plan his future because he knows that he can exert some influence on his personal progress. In the

saine way, an engineer or an architect make plans; industries also plan their production. a plan appears then to be the result of an act of intelligence, of perception, of reflection. In this context, planning can be looked upon as the preparation and the carrying out of many particular or general plans.

In our days, the modern State that wents to avoid the dilemna between laissez-faire and socialism, can fulfill its tank adequately only

if it uses economic planning. Such planning has becorne an indispensable mode of action for many reasons, as a result of the conditions of modern life and, in particular, because of the massive industrialization of North American economy. Because of the sums it spends each year, because of the influence that even the least important of its devisions can have on the rest of the economy, the State owes it to the people to let them know where it is going. It must endeavour to know in advance what may be the social and economic repercussions of its actions; most of all, it must know what action must be taken and when it may be taken. In fact, the citizens must have confidence and be convinced that•the State will not act blindly or at random.

Very often, in the decisions taken by business concerns ,and industries, many factors or economic sectors over which the State has an exclusive, or at least partial control, enter into consideration. For instance, in matters of taxation and social security, or in matters of natural resources or transportation. The industries affected by those sectors of governmental control muet be informed about the State’s plans so as to establish their own plans. They must be free from the doubts that are usually provoked by arbitrary State action. In this way, carefully established planning injecta into the entire economy an element of stability capable of sustaining the pace of economic progress.

However, it is mostly in the study of economic problems, in the elaboration and in the application of the solutions of these problems and of the shortcomings of the economy in general, that economic planning comprises its most important contribution. In order to solve a difficulty, it is necessary te be well acquainted with its nature, its extent and its effects. It is for this reason that economie research is se indispensable. It furnishes the raw materiai from which solutions can be extracted, se te speak. As te the solutions themselves, they must,be put into order and used according te the logic and the requirements of the economic and social environments. The role of economic planning is first, te discover the problems in all their manifestations; second, te promote an awareness of the adéquacy as well as the potential efficiency of the solutions and, finally, te determine the way in which the appropriate solutions may be applied.

This type of planning is done at :he government level.

It must net however become an invitation te state socialism. That is why I consider it te be absolutely essential that the private sector

be incorporated into the decisions taken by the State. In other words, governmental decisions must net tome exclusively from a « brain trust » made up of specialists and technicians who would consult among themselves only and whose decisions and directives would assume an obvious anti-democratic character.

It is possible te look upon the Economic Council

recently established by the Provincial Government as an excellent example of what I have in mind when I talk about democratic planning. Government management, labour and universities are all represented on the Council. Still, this Council is only one example, a prototype we may sait of the way the democratic character of the planning process tan

be safeguarded through representation and consultation. I think it

is possible to act in the saure way wherever it may be deemed necessa

ry te apply the planning process. In fact, the consultation of

• interested groupa is, in any undertaking, one of the most important

conditions of the successful outcome of a

common action. Economic

planning must be done by the government and the private sector

toaether; not by the government for the private sector and the rest of the economy.

Most of all, it must be done realisticaliy and efficiently. To this end, although its ultimate purpose may be the solution of the difficulties of a country or of a province, economic

planning cannot achieve its aim without paying attention to the characteristics, the problems and the’resources of the various regions which compose the country or the province. Therefore, planning must be well ordered but deoentralized. This decentralization movement becomes necessary if we desire to formulate policies which will take into account local circumstances and which will rely on the capital assets existing in a given region. Those capital assets, so far idle or unprofitably invested, viii thus be in a position to accelerate the improvement of the community or region where they are found.

At all levels planning must be carried out democratically, but not under any coercion. Social, industrial and business croups in each region will be consulted and will be parties to decisions made concerning them in view of giving a definite orientation to the overall economy of the region where they live and work.

Economic planning, based on democratic principles, gives new dimensions to the relations between the State and the Economy. It makes it possible to avoid thq dilemna into which too many govern

qu mente were thrown in the pasts a choice between economic liberaliam and socialism. It

provides modern governments, which are conscious of the efficiency of their policies, with ways and means adapt3d to the problems of our times.]

L’État dans l’économie moderne

Je reviens en terminant à une idée que j’ai mentionnée au tout début de cette conférence. J’ai dit à un endroit que les événements des dernières années avaient modifié plusieurs de nos conceptions traditionnelles. Une de celles que j’avais à l’esprit à ce moment est la nouvelle attitude que la population en général

[QLESG19691026]

[NOTES DU DISCOURS DE L’HONORABLE JE » M SAGE, PREMIER 14INISTRE DE LA PROVINCE DE QUEBEC, LORS DE L’ÉTUDE DU PRCBLEME DU CHÔMAGE PAR LA CONFERENCE FISCALE FEDERALE-PROVINCIALE

DES 26, 27 et 28 OCTOBRE 1960]

Je désire tout d’abord remercier le premier ministre du Canada et ceux des provinces d’avoir accepté la suggestion contenue dans la lettre que j’adressais au chef du gouvernement canadien, le 29 septembre dernier, et dans laquelle je demandais avec instance que le problème du chômage soit discuté durant la présente conférence.

Notre pays tout entier traverse sa période la plus difficile depuis la guerre. J’ai signalé ce

problème de l’heure dès le mois de juillet. Vous-même, monsieur le premier ministre, l’avez reconnu lors d’une allocution télédiffusée le 21 septembre. Depuis, une multitude de nouveaux indices sont venus confirmer la gravité de la situation.

Les experts prétendent que la présente récession a débuté au mois de février 1960 et qu’elle sera peut-être la plus prononcée depuis la crise économique des années 1930. Au cours du second trimestre de cette année, la baisse de notre production nationale brute a été de 1.5%. C’est la diminution la plus marquée depuis qu’on a commencé à publier des données trimestrielles en 1947. De plus, il est fort possible qu’une nouvelle baisse se manifeste au cours du troisième trimestre. Si cela se produit, ce sera la première fois, pendant la période d’après-guerre, que notre production nationale aura diminué au cours de deux trimestres consécutifs. La présente récession est donc une des principales causes du chômage anormal dont nous souffrons.

Mais ce n’est pas tout. La récession actuelle suit la période d’expansion la plus courte et la plus faible depuis celle de 1927-29. On estime que le volume de notre production nationale par tête sera plus faible en 1960 qu’en 1956. C’est donc dire que nous traversons une période de stagnation qui est une autre cause de chômage.

Le chômage de structure est aggravé par le chômage technologique attribuable au progrès technique et à l’automatisation en particulier. Si l’on ajoute à ces catégories de chômage le chômage saisonnier que l’hiver nous apporte régulièrement, on a une juste idée de la gravité de la situation à laquelle nous devons faire face.

En juillet dernier, lorsque j’ai soulevé la question du chômage, j’ai conclu mon exposé en disant:

« Nous n’avons pas l’intention de suggérer au gouvernement fédéral comment il devrait s’acquitter de sa responsabilité à l’égard du chômage, mais nous osons espérer qu’il est prêt à mettre en application une politique énergique

et efficace et qu’il sera bientôt en mesure de communiquer avec les provinces pour nous indiquer, au moins de façon générale, quelles mesures il entend prendre pour faire face à la situation. Quant à nous de la province de Québec, nous sommes prêts à entamer des pourparlers à ce sujet afin de coordonner nos projets respectifs. » Monsieur le premier ministre, dans la lettre que vous m’avez adressée le 11 octobre, vous mentionnez la participation fédérale aux travaux d’hiver, l’assistance financière à l’habitation et le programme fédéral de travaux publics comme des mesures vigoureuses prises par le gouvernement central, mesures qui, dites-moi, indiquent l’intention de votre gouvernement de remplir tout son rôle dans la lutte contre le chômage, présentement et au cours des prochains mois d’hiver.

Le programme de travaux d’hiver est sans doute utile, mais il a aussi des faiblesses que je me propose de souligner plus loin. De l’avis de plusieurs constructeurs d’habitations, l’assistance fédérale annoncée récemment n’est pas suffisante et vient trop tard. Enfin, d’après les relevés faits par le ministère fédéral du Commerce, le programme d’investissements du gouvernement central sera inférieur au cours de la présente année à celui de l’an dernier.

En raison des différents aspects de la situation actuelle, je crois devoir dire que ce programme paraît nettement insuffisant. Il prend pour acquis que le chômage n’existe que dans l’industrie de la construction – ce qui n’est pas le cas – et il ne suffira même pas à créer des conditions satisfaisantes d’emploi dans cette industrie particulière. La situation actuelle au pays est beaucoup plus généralisée dans sa gravité que ne le laisse entrevoir le programme fédéral. Celui-ci, par exemple, n’apporte aucune véritable solution au chômage technologique et de structure qui sévit à l’heure actuelle. Comment devons-nous aborder ce problème? Une grave faiblesse de la structure de notre économie se trouve dans le secteur domestique de notre industrie manufacturière. Ce sont surtout les industries de biens de consommation qui éprouvent présentement des difficultés. Pour que ces industries puissent faire face à la concurrence étrangère, il leur faut diminuer leurs frais de production. Ce résultat ne pourra être obtenu que si elles peuvent avoir accès à de plus vastes marchés et se spécialiser davantage. À cette fin, un programme d’assistance gouvernementale devrait être préparé et mis à exécution en collaboration avec les représentants du travail et de l’industrie. C’est le gouvernement fédéral qui devrait prendre l’initiative dans ce domaine, mais le gouvernement du Québec est prêt à participer à une action conjointe dans les limites de ses responsabilités.

Pour ce qui est du chômage technologique, il y a certaines mesures à prendre qui sont du ressort des provinces. La période de fréquentation

scolaire obligatoire pourrait être prolongée et nos jeunes pourraient recevoir un meilleur entraînement professionnel ou technique. Cela aurait pour effet de retarder l’arrivée des jeunes sur le marché du travail et de les mieux préparer à s’y présenter. Dans notre société moderne, le jeune travailleur non spécialisé devient un véritable handicapé. Dans le même ordre d’idées, il importe d’accorder une aide généreuse et efficace à ceux qui sont déjà sur le marché du travail mais qui ont perdu leur emploi à cause de leur manque de qualification ou parce que leur métier n’est plus requis. Un tel plan, conçu et exécuté par les provinces, aurait des effets tant immédiats que lointains sur le niveau et la structure de l’emploi dans notre pays, car ce sont présentement les jeunes travailleurs et les ouvriers non spécialisés qui sont les principales victimes du chômage.

À ce sujet, nous sommes complètement d’accord avec le gouverneur de la Banque du Canada, monsieur Coyne, qui, lors d’un récent discours à Calgary, déclarait:

[« In order for Canada to do this we need, in the first place, to

improve our educational facilities iamnensely, we need to have

more universities and technical institutions and training establishments of all kinds, and many times as many students and

workers in training as at present. »]

Je n’ai mentionné que deux causes de chômage parmi celles que des travaux publics ne sauraient faire disparaître, et je pourrais en signaler d’autres. Il y a aussi les cas où les travaux publics ne constituent pas le meilleur remède à apporter; le chômage cyclique dont nous souffrons au cours de la présente récession en est un exemple.

Il n’en reste pas moins qu’un programme de travaux bien conçu peut être utile, surtout l’hiver, en contribuant à stimuler l’industrie de la construction et les industries connexes. À ce sujet, je voudrais faire une proposition pratique qui pourrait, semble-t-il, accroître considérablement les effets bienfaisants du programme conjoint de travaux d’hiver. À l’heure actuelle, les contributions versées aux municipalités sont uniformes et ne couvrent qu’une partie du coût de la main-d’oeuvre. La part la plus importante du financement de ces travaux reste donc à la charge des municipalités.

Une telle situation ne présente pas trop d’inconvénients aux municipalités plus fortunées, qui comptent peu de chômeurs. Les subventions fédérales et provinciales leur permettent d’alléger leurs charges financières par contre, le système actuel de contributions uniformes ne permet pas aux municipalités pauvres de participer pleinement au programme

de travaux d’hiver, même si, règle générale, on y trouve proportionnellement le plus grand nombre de chômeurs. Nous pourrions établir, sous la surveillance directe des provinces, un

système de subventions graduées selon la proportion de chômeurs. Dans ce cas, les contributions maxima devraient couvrir une partie du coût des matériaux, de la machinerie et de l’équipement. Nous espérons que cette idée sera discutée plus en détail au cours de cette réunion. Le chômage, comme je le disais tout à l’heure, est devenu un problème aigu. Contrairement à nos prédécesseurs, nous avons accepté une part de responsabilité dans la lutte contre le chômage et nous avons fermement l’intention de remplir notre rôle le mieux possible dans les limites de nos ressources financières. Le gouvernement du Québec participe maintenant au programme des travaux d’hiver dans une proportion de 40% du coût de la main-d’oeuvre et nous sommes prêts à faire davantage pour les localités où le chômage est spécialement élevé, à condition que le gouvernement central imite notre action.

Nous faisons en sorte que les travaux publics se poursuivent au cours de l’hiver. Nous procédons le plus rapidement possible à l’aménagement de nos ressources afin de créer de l’emploi. Nous avons également l’intention, dès la prochaine session, d’améliorer sous plusieurs aspects notre programme de sécurité sociale, ce qui aura pour effet non seulement de diminuer la misère, niais aussi d’accroître le pouvoir d’achat.

Nous voulons prendre des mesures efficaces pour prolonger la fréquentation scolaire afin de mieux préparer nos jeunes à exercer un métier ou une profession. Nous désirons enfin aider les chômeurs qui n’ont pas de métier ou qui doivent on acquérir un autre à se réadapter en fonction du marché du travail. À cette fin, nous tenterons dès cet hiver de diffuser l’enseignement technique et professionnel par tous les moyens possibles.

Comme je le disais au mois de juillet dernier, « nous serions toutefois bien naïfs de croire que nous pouvons à nous seuls, même avec la collaboration des municipalités, régler le problème du chômage ». D’un autre côté, je crois devoir le dire, l’action du gouvernement fédéral a été jusqu’ici nettement insuffisante car elle s’est limitée surtout à la lutte contre le chômage saisonnier. À mon avis, sa politique doit être beaucoup plus large et viser également à combattre le chômage technologique, cyclique et de structure qui sévit présentement. Le gouvernement fédéral devrait nous dire, dès cette: réunion, ce qu’il entend faire pour améliorer les conditions de l’emploi dans notre pays.

Au fait, les difficultés économiques que nous connaissons sont tellement complexes et graves que seule une planification coordonnée pourra les surmonter. Les gouvernements fédéral et provinciaux, s’ils veulent remplir pleinement leur rôle, n’ont plus le choix de ne pas planifier. Toutefois, pour être bienfaisante, cette planification ne doit pas être théorique et centralisée. Il faut, au contraire, qu’elle se fasse en fonction de la prospérité de chacune de nos industries et qu’elle soit fondée sur les

zones économiques – nos plus petites unités géographiques.

Toutefois, une planification sans coordination intergouvernementale ne saurait être pleinement efficace. Au sein du fédéralisme, les différentes sphères de gouvernement sont interdépendantes surtout dans le domaine économique. Aucun gouvernement ne peut raisonnablement ignorer les projets des autres. Pour ces raisons, je le répète, le gouvernement fédéral devrait dès maintenant nous dire ce qu’il entend faire pour améliorer le niveau de l’embauchage au Canada.

Nous devrions savoir, du moins de façon générale, ce que chaque sphère de gouvernement est disposée à faire pour remédier au ralentissement de notre activité économique. Nous devrions également décider comment nous pouvons le plus efficacement coordonner notre action pour ramener au travail les centaines de mille Canadiens qui souffrent présentement du chômage.

[QLESG19601120]

[Conseil consultatif de l’Association des Hommes d’Affaires de Montréal

Montréal. Dimanche le 20 novembre 1960

Pour publication après 7 hrs. p,m.

Hon. Jean Lesage. Premier Ministre Le 20 novembre 1960.]

Je veux vous rassurer tout de suite. Là où j’ai lu « une heure », vous pouvez entendre plutôt vingt minutes, et probablement moins.

Il se produit parfois des coïncidences troublantes. Au moment où j’allais mettre en ordre les quelques idées que je voudrais vous exposer, le hasard d’une lecture a placé sous mes yeux la phrase suivante de René Benjamin qui, je vous l’avoue, m’a un peu ébranlé [« C’est extravagant, (dit cet auteur) d’oser parler tout seul, une heure, devant un millier de personnes qui se taisent. Quelle inconséquence … ou quelle audace! »]

Le maître des cérémonies à un dîner-causerie avait dit un jour, en souhaitant la bienvenue aux invités:

[« Mesdames, Messieurs, mangez, buvez et soyez heureux … car bientôt viendront les discours. »]

‘Le mien, en plus de sa brièveté, aura une autre excuse. C’est que je ne pouvais vraiment pas résister à une invitation courtoise venant d’un groupe aussi important et, disons le mot, aussi admirable que le vôtre.

Votre Association combine les deux caractéristiques les plus importantes et pas du tout contradictoires de l’entreprise privées, concurrence et collaboration.

La concurrence produit d’excellents résultats qui profitent au bien commun. La collaboration, à un niveau supérieur, unifie les volontés vers

le progrès sous le commandement d’un idéal. Et l’idéal qui règne ici, c’est le progrès du Montréal Métropolitains la foi en son avenir, la volonté de l’assurer aussi grand que possible. Cette foi, je vais tâcher de le prouver, ne repose pas sur des chimères, sur des désirs qui se prennent pour des réalités.

Je pense à ce propriétaire d’hôtel qui avait fait venir un agent de publicité afin de discuter des moyens d’attirer une clientèle plus nombreuse. Il lui demanda:

Comment trouvez-vous le lac sur les bords duquel mon hôtel est construit?

L’agent de publicité répondit: Excusez-moi, mais j’ai beau regarder à droite et à gauche, en avant et en arrière, je ne vois pas ici le moindre lac:

Alors, dit le propriétaire, vous n’êtes pas du tout l’homme qu’il me faut! Contrairement à cette histoire, tous les atouts sont dans le jeu de ceux qui ont confiance dans l’avenir merveilleux de Montréal: il s’agit simplement de les jouer comme il faut. Si le développement de la région métropolitaine est au premier plan de nos préoccupations, c’est pour une raison qui saute aux yeux de tous.

C’est que la province entière bénéficiera de ce progrès. Il arrive souvent que le progrès accompli par un individu lui permette de mieux servir la communauté. De même, la meilleure manière pour la région de Montréal de servir toute la province, c’est de se développer d’une façon rationnelle et dynamique.

L’importance de Montréal se juge à la place occupée par la zone métropolitaine et la région économique adjacente, la Cité de Montréal ayant des frontières trop arbitraires pour qu’on puisse l’isoler totalement du milieu environnant. Selon le recensement de 1956, la zone métropolitaine d Montréal compte 34 % des habitants du Québec. Elle fournit cependant 58 % de la production industrielle de la province, et, en ajoutant la production des comtés immédiatement adjacents et dépendant du complexe économique montréalais, on atteint les deux tiers de la production industrielle provinciale.

Il n’est pas possible de déterminer quelles sont exactement les relations qui unissent l’économie de la zone de Montréal au marché de la province de Québec. À cause, cependant, de la très grande diversité de la production montréalaise, on peut assez facilement présumer qu’une large part de cette production approvisionne le reste

de la province, la croissance de l’industrie montréalaise devant alors être d’autant plus marquée que la province se développe elle-même plus rapidement.

Cette observation prend une importance considérable quand on note que c’est l’industrie manufacturière qui constitue l’activité principale de la zone de Montréal, l’industrie employant à peu près trois fois plus de travailleurs que l’ensemble du commerce de gros et du commerce de détail réunis. Le port constitue l’un des moyens de communications, à

peu près au même titre que la route et le rail et il n’a d’importance que dans la mesure où, comme les autres moyens de transport, il facilite ou bloque le développement de l’industrie elle-même. La croissance industrielle explique d’ailleurs une bonne part de l’expansion des services commerciaux; les bureaux d’administration se multiplient aussi en fonction de l’industrie, une part de la croissance de son activité étant cependant due à la place stratégique occupée par Montréal dans l’ensemble des réseaux d’échanges provinciaux et nationaux. La construction actuelle de nombreux gratte-ciel serait alors le résultat, à la fois de cette expansion industrielle locale et du développement de l’économie provinciale ou même nationale.

Considéré ainsi, l’avenir de Montréal semble donc lié d’abord au développement de la grande industrie manufacturière, bien que je doive ici ouvrir une parenthèse pour souligner que, dans mon esprit, ce développement ne peut aller de pair qu’avec une décentralisation de plus en plus accentuée de l’industrie secondaire. L’avenir de Montréal dépend aussi des voies de communications qui relient, d’une part, la zone de Montréal au reste de la province et du pays, et d’autre part, les différentes parties de la région économique entre elles. Il faut cependant remarquer que les activités économiques sont en train de se redéployer de telle sorte, que c’est surtout la question des communications qui passe au premier plan, du moins au niveau des responsabilités provinciales. Bien entendu, les problèmes de financement doivent aussi être examinés avec une certaine attention. Les phases successives de la croissance de Montréal permettent de poser avec plus de précision le problème actuel des communications, tel qu’engendré par le développement industriel et par celui des opérations commerciales et administratives.

Jusqu’en 1931, Montréal a attiré non seulement l’industrie, mais aussi la main-d’oeuvre et la population. Un grand nombre des comtés de la province, surtout aux abords immédiats de Montréal, ont vu décroître leur population dont des contingents importants allaient, semble-t-il, grossir celle de Montréal. Sous ce rapport, on peut affirmer que la croissance de Montréal s’est, dans une bonne mesure, substituée à l’émigration vers les États-Unis.

Mais à partir de 1931, la congestion du centre de Montréal devient visible, et les plus vieux quartiers situés en bordure du port commencent à perdre de leur population. Cependant, la zone de Montréal continue de progresser dans les quartiers périphériques de la Cité et dans les villes de la banlieue immédiate.

De 1941 à 1951, la congestion s’étend rapidement. Au cours de cette période, 14 seulement des 35 quartiers enregistrent un gain; les quartiers en déclin remontent du port vers le nord et occupent une zone restreinte mais continue, de près d’un mille et demi de profondeur et contenant la moitié de la population de la Cité. Pendant ce temps, les quartiers périphériques et les villes de banlieue voient progresser leur population à un rythme extraordinaire.

Depuis 1951, les tendances signalées plus haut se sont intensifiées, les quartiers en croissance accentuent leur progrès, les quartiers en déclin se dépeuplent de plus en plus. La force de croissance se déplace alors à l’extrême périphérie de la région économique à mesure que la montée très rapide de la population de la prochaine banlieue amène ces quartiers à faire progressivement le plein. Cette force de croissance qui s’exerce maintenant au delà des limites de la zone métropolitaine elle-même affecte différemment les comtés concernés; le transfert de l’impulsion en vagues concentriques successives se poursuit avec cependant des déformations nettes qui sont liées, semble-t-il, aux grandes routes terrestres.

Tout autour de la zone métropolitaine, les comtés suivants manifestent une vigueur remarquables : Vaudreuil, Deux-Montagnes, Terrebonne, l’Assomption, Verchères, Chambly, Laprairie, Châteauguay et Beauharnois.

À cette ceinture viennent s’ajouter des prolongements constitués par Napierville, Saint-Jean et Shefford au sud-est, et Richelieu au nord-est. Avec Saint-Jean et Shefford, on constate déjà une certaine diminution de la pression démographique, mais au delà, le contraste est net. La population s’accroît à peine et les gains sont récents. Cette dernière zone comprend les comtés de Yamaska, Bagot, Saint-Hyacinthe, Missisquoi et Huntingdon. Le reflux de la population de Montréal s’accompagne de changements dans la localisation des quartiers résidentiels et des activités économiques. Si le centre de Montréal tend à perdre de sa population résidentielle, une expansion considérable des quartiers d’habitation a eu lieu dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Ouest, l’Est et le Nord. De nouveaux quartiers apparaissent en outre sur l’Île Jésus et au divers points de la Rive-Sud. Enfin, il semble bien que certaines parties des comtés de Vaudreuil et des Deux-Montagnes soient aussi en voie de devenir des zones surtout résidentielles liées aux activités économiques de la métropole. Parmi celles-ci, l’industrie manufacturière a manifesté la tendance la plus forte à la décentralisation. L’encombrement du centre de la ville, le prix élevé du terrain et les nouvelles normes de construction se sont conjugués pour repousser l’industrie manufacturière vers la périphérie. En 1948, la production industrielle de la Cité de Montréal représentait 78 % de la production totale de la région métropolitaine. Huit ans plus tard, le rapport était tombé à 58 %. Une zone industrielle extrêmement importante s’est créée le long de l’actuel Boulevard Métropolitain et l’industrialisation de certaines municipalités indépendantes, de l’Est en particulier, s’est accélérée.

Ce déploiement de l’industrie de Montréal a cependant largement dépassé les limites statistiques de la zone métropolitaine. L’expansion industrielle des comtés de Terrebonne et de Verchères, par exemple, est dans une bonne mesure le résultat du reflux des activités économiques vers la périphérie.

Les activités commerciales ne contribuent qu’en partie seulement à ce phénomène de décentralisation. Par l’intermédiaire des centres d’achat, une partie du commerce de détail a émigré vers la périphérie. Dans l’ensemble cependant les quartiers des grands magasins continuent de jouer leur rôle traditionnel.

Enfin, la centralisation des bureaux reste entière. Sans doute, le quartier des immeubles de bureaux s’est-il considérablement élargi, mais il n’a pas tendance à éclater. Il continue de drainer une main-d’oeuvre de plus en plus considérable.

L’industrie manufacturière, on l’a noté, constitue la base de l’expansion de Montréal. Ce qui favorise l’industrie favorise en même temps la croissance de la ville et les activités tertiaires qui en sont une des expressions. Or, plusieurs phénomènes tendent maintenant à s’opposer à l’expansion de l’industrie manufacturière. Le premier de ces phénomènes est la congestion et l’encombrement des voies de circulation. La décentralisation des activités et des habitations n’a pas réglé le problème. La congestion au centre est restée très grande et les artères périphériques se sont révélées insuffisantes.

La construction du Boulevard Métropolitain a permis cependant d’établir un grand axe de circulation rapide à travers la région, sans que la nouvelle route ne touche, en aucun de ses points, le vieux centre de la ville, c’est-à-dire la partie la plus encombrée.

Bien d’autres voies doivent être prévues dans un avenir rapproché. Leur disposition doit être telle, qu’elle réponde aux objectifs suivants: relier les quartiers résidentiels en voie de développement aux quartiers industriels, en ménageant des « zones réservées » utilisables dans l’avenir; relier les quartiers industriels à l’extérieur; faire en sorte que le centre soit facilement accessible, sans cependant être le lieu de rencontre de toutes les voies de circulation.

Pour satisfaire ces objectifs, l’axe du Boulevard Métropolitain présente une utilité considérable. Déjà un embranchement vers le Nord (l’autoroute des Laurentides) y est relié. Un autre vers la Rive-Sud s’impose, qui puisse passer à peu de distance du centre des affaires. D’autres embranchements vers le nord et l’ouest de l’Île de Montréal devraient sans doute être étudiés.

Ici, le ministre des Finances a un sursaut et il glisse à l’oreille du Premier Ministre : « Ne prends pas tes désirs pour des réalisations immédiates.' » Mais emporté par son enthousiasme, le Premier Ministre lui impose silence d’un air

impérieux et il continue:

Advenant le développement industriel intensif du comté de Verchères, il deviendra essentiel de relier cette région à Montréal, autrement que par le pont Jacques-Cartier. Un pont ou un tunnel reliant la région au Boulevard Métropolitain permettrait d’utiliser le même axe pour éviter une trop forte congestion du centre de Montréal. Il serait d’ailleurs

utile, pour faciliter le développement de la région, de relier ce pont ou ce tunnel aux environs de Saint-Hyacinthe, de façon à créer, derrière la nouvelle zone industrielle, des zones domiciliaires ou d’industrie légère.

Ce premier axe des transports, appelé à un avenir considérable, forme la diagonale du carré approximatif de 50 milles de côté qu’est maintenant devenue la région économique de Montréal d’autres voies sont à l’étude, dont certaines ont une importance particulière. Tel est le cas de la voie à circulation rapide le long du port de Montréal. Pour ce qui est des liaisons de la région avec l’extérieur, on doit distinguer d’une part, les installations portuaires, ferroviaires, et d’autre part les voies routières. On a tendance à exagérer l’influence de certaines fonctions du port de Montréal sur la prospérité de la ville. Si, historiquement, le port a joué un rôle important comme point de transit et de transbordement, sa valeur véritable est de nos jours industrielle. L’importance relative des autres fonctions est secondaire. L’essentiel semble bien être de moderniser les installations, d’en dégager l’accès et de faire en sorte que l’absence de quais ne retarde pas le développement industriel de certains points de la Rive-Sud. Lés installations ferroviaires ne posent pas non plus, semble-t-il, de graves problèmes. Quant aux voies routières, trois d’entre elles sont essentielles et je me dépêche de le dire avant que le ministre des Finances me mette le baillon leur aménagement doit être accéléré. Il s’agit d’abord de la route vers Toronto qui sur toute sa longueur, en Ontario, sera bientôt transformée en autostrade, des routes vers Québec et vers Sherbrooke.

La décentralisation d’une industrie croissante et d’une population de plus en plus nombreuse risque cependant, à la longue, de provoquer des difficultés de circulation, non pas pour les produits industriels mais pour la main-d’oeuvre. On a noté qu’aucune décentralisation ne se produisait dans certaines activités tertiaires et qu’un quartier d’immeubles à bureaux se développait au centre d’une vieille zone urbaine qui se dépeuple graduellement. Dans ces conditions, il serait souhaitable que le reflux de la population vers la périphérie soit en partie contrecarré par l’établissement, au centre de Montréal et à proximité des quartiers d’affaires, d’ensembles domiciliaires formés d’immeubles de plusieurs étages. À cette fin, le recours à la loi nationale d’habitation semblerait s’imposer. Ainsi pourrait être résolue l’opposition assez radicale des besoins

d’espaces de l’industrie manufacturière et des besoins de main-d’oeuvre du centre des affaires. L’industrie manufacturière n’est pas seulement dépendante de l’excellence des transports. L’industrie recevra une impulsion considérable le jour où un complexe sidérurgique important sera mis en place, sur la Rive-Sud. Il dépendra des entreprises mais aussi du gouvernement provincial et du Conseil d’orientation économique que les premiers pas faits en ce sens depuis quelques années soient suivis par d’autres plus importants et plus décisifs.

D’une façon plus générale encore, la croissance de Montréal sera très directement influencée par l’état de l’industrie manufacturière nationale. Les démarches entreprises par les gouvernements fédéral et provincial pour accélérer le développement industriel du pays ou de la province auront des répercussions immédiates sur le développement de Montréal. On s’entend pour reconnaître depuis quelques années certaines faiblesses à l’industrie manufacturière canadienne, en raison surtout des importations de produits étrangers. Ces faiblesses sont une des causes d’inquiétude que l’on peut avoir à l’égard de l’expansion de Montréal, une fois que seront terminés quelques grands travaux spectaculaires. Que les autorités publiques facilitent aux entreprises manufacturières l’emprunt de capitaux, qu’ils les protègent d’une façon ou d’une autre, qu’ils leur redonnent une certaine vigueur, et l’avenir de Montréal ne présentera alors aucune difficulté, dans la mesure où les problèmes de transport auront été réglés.

On peut s’étonner de ce que ces réflexions sur les perspectives d’avenir de Montréal soient à ce point basées sur des projets ou des mesures à recommander, La région de Montréal se trouve maintenant placée dans une situation où des politiques municipales, provinciales ou fédérales appropriée peuvent lui assurer une croissance très rapide et où le report à plus tard de ces mesures contribuerait à ralentir son développement d’une façon extrêmement sensible. En ce sens, Montréal n’est plus porté par une conjoncture nationale en expansion.

Sa croissance à venir dépend, dans une bonne mesure, de décisions précises et de programmes d’urbanisme d’autant plus faciles à tracer que la Métropole et sa région offrent peu de contraintes historiques ou architecturales aux reconstructeurs.

Tout ce que je viens de dire est-il un rêve stérile? … un rêve éveillé qui est un dérivatif trompeur à l’action? …une excuse pour ne pas agir en se payant de mots?

Je ne le crois sincèrement pas. Nous voulons non seulement que la Métropole du Canada devienne pour nous un sujet d’orgueil de plus en plus grand, mais qu’elle soit plus qu’une agglomération matérielle. Nous lui voulons une âme bien à elle, une âme qui soit un témoignage de son éternel renouvellement – une âme qui soit faite du commun idéal et de l’acte de foi de tous ceux qui ont travaillé fièrement à

l’édifier. Avec le plus grand professeur d’énergie de notre siècle, Sir Winston Churchill, je crois qu’il n’y a pas de limites à l’esprit d’initiative quand il se met énergiquement à l’oeuvre dans des circonstances que favorisent la paix et la justice.

[QLESG19601203]

[Bank of Montreal – New Head Office Building For release after

Montreal. December 3. 1960 3.30 P.M. Hon. Jean Lesage. Prime Minister of Quebec]

Je veux tout d’abord vous remercier de l’aimable invitation que vous m’avez faîte d’assister à cette inauguration. J’ai accepté avec empressement et j’en suis très heureux, aujourd’hui, puisque j’ai l’occasion de participer à une fête, aussi magnifique.

[I would like to take this opportunity to stress two ideas which perhaps one has a tendency to overlook. Every one knows the role of banks in a modern economy. If, however, this role can be played, it is because, in my opinion, banks are essentially dynamic institutions. Banks themselves may not etart new industries, exploit oue naturel resources, build the housse we live in or carry consumer goods.

But it is the banks that, very often, have understood what the initiative of certain businessmen or finance people could achieve and that have accepted to help these men by making available to them the capital they needed for their undertakinge.

Canada’a and Quebec’s economic growth has its origin in the joint effort of bankers and businessmen who were apt to

visualize the long run results of costly and difficult enterprises. One can wonder how many of our present industries would exist, how many of our resources would now be exploited, how many of our products would now be known and used if, in the past, the businessmen’s initiative had not been backed by the banker’s dynamism.

I have no exact statistics to give you on that matter, but I have a definite impression that if such had not been the case, our country and our province might not now enjoy the high standard of living which characterizes them in comparison with other nations of the world.

This brings me to the second idea I vent to point out to you. On account of the economic and social progress which they ….2

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make possible, through the profitable use of the capital deposited by the public, banks have become public services of ‘an extreme importance. In a society, such as ours, where free enterprise prevails, banks are economic institutions at the service of the community. They are an important source of the capital necessary for the safeguard of the high standard of living our society has reached. This very

particular role they play bestows a very great responsibility upon the banking institutions. Their past undertakings helped to take our country, our province and our people where they are now. It may very well be that their present and future devisions which will be largely responsible for the further improvement of a standard of living our people have learned to appreciate and which it would not want to ses jeopardized.

As you know, our country as well as our province, although their natural resources are enormous, have problems to face • and mostly to solve if our present standard of living is to keep on rising. The situation of employment is one of these problems. The government of the province of Quebec has initiated measures in order to improve it. It. is also currently working on other ways of reaching the same end. However, the government cannot undertake such a big task alone. In fact, it dose not intend doing it alone. We believe in what I already called « democratic planning », but we do not believe in a state-run economy. Thus we will need the collaboration of business, financial and trade-union groupe. In its common effort towards a better orientation of its economy, our people will need a particularly understanding cooperation from the banking institutions.

Our province still has plenty of land, plenty of natural resources, plenty of industries to develop. There are still many profitable opportunities for progressive and foreeeeing investors. I am confident then that the banking institutions in general, and the Bank of Montreal in particular, will have their great share of responsibility in the bright future which our province will

achieve through the cooperation of all its citizens.

While reading the very handsome brochure you prepared for today’s ceremonies, I was able to notice the remarkable progress accomplished by the Bank of Montreal, Canada’s first permanent financial institution. Its previous building has now been replaced by a very modern and very impressive structure. In this I ose a double symbole solid links to a past your institution may well be proud of and also a great vitality animated by a deep awareness of the conditions of our time.

You know that, from Confederation up to the early nineteen twenties, the Bank of Montreal was, by and large, the provincial administration’s sole Bank. For motives which, even here,

will be readily appreciated, our Government then apportioned its business amongst an increasing number of chartered banks with the result

that the Bank of Montreal’s virtual monopoly ceased in 1924 when the

• province’s total payments reached some thirty-five million dollars. Since that time your Bank’s share of our Government’s accounts has fluctuated but, over all, transactions have risen markedly.

Moreover, up to the first World War bond issues were effected almost entirely in the United Kingdom and our registered stocks and other debentures were made payable principally at your London City Office. Changed circumstances have completely modified the picture in this respect and some oldtimers felt genuinely sorry when, as recently as six years ago, we paid off our last sterling issue.

May I say, in conclusion, how deeply I have appreciated the wise counsel and round advice tendered to me from time to time

by the Bank of Montreal since I became Minister of Finance last July? It is indeed heartening to feel that, whenever we are faced with difficult problems, we can rely on the fullest cooperation of Canada’s leading financial institutions.

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Let me finally thank you warmly for your invitation. I congratulate you on your achievements and I venture to express the confident hope that during the next one hundred and forty years, to the mutual benefit of our province and of-your venerable institution,

• the Bank of Montreal may continue to progress as smoothly and as significantly as during the petiod which has elapsed since 1817.]

Messieurs, je ne vous apprends évidemment rien en vous disant que les perspectives économiques de la province de Québec demeurent fort encourageantes. Le gouvernement de la province tient à ce que ces perspectives ne se démentent pas et a fermement l’intention de travailler de concert avec ceux qui veulent, par leur talent, leur travail ou leurs capitaux, en accélérer le progrès. La tâche à accomplir est considérable, mais je suis profondément convaincu que, par l’orientation rationnelle de notre économie et par la collaboration de toutes les classes de notre société, nous arriverons ensemble à atteindre ce but commun qu’est la prospérité de la province.

[QLESG19610120]

[Université Laval de Québec

Doctorat « honoris causa » – 20 janvier 1961, Hon. Jean Lesage, Premier Ministre

Pour publication aprbs 5.00 hr. le 20 janvier 1961 L’UNIVERSITE l’ÉTAT la CULTURE]

Au moment où, après tant d’années, je me trouve une fois de plus sur cette même estrade, dans cette même salle des Promotions, ce sont les plus grandes joies d’une vie d’homme qui accourent du plus profond de sa jeunesse.

Comme je ressens, en ce moment, la signification poignante de « l’Alma Mater » et l’émotion de la reconnaissance. Ici, je suis aux sources qui ont abreuvé ma pensée et mon âme. Vous tous, dans cette enceinte académique qui est celle d’autrefois, vous avez le visage des amitiés qui ne vieillissent jamais. Prêtres-éducateurs du Séminaire et professeurs de l’Université qui ont

nourri ma génération d’exemples, de dévouements et de sciences; condisciples et camarades, tous ces témoins de l’espoir; ceux qui sont morts et ceux qui oeuvrent encore; nous nous retrouvons tous dans le miracle du souvenir, aussi bien que dans la continuité vivante de ces lieux. Séminaire de Québec, Université Laval quels trésors pour ceux qui ont eu le privilège d’être vos fils : Quels trésors pour tous ceux qui, en cette Salle des Promotions, ont fait l’apprentissage des grands moments qui couronnent les efforts et les labeurs : Les initiations solennelles à l’Académie St-Denys, les fêtes qui servaient de prétextes à l’art dramatique, les fanfares de la Société Ste-Cécile, ces autres fanfares qu’étaient nos concours oratoires; tous ces événements précieux qui reflétaient l’âme de la maison et qui nous orientaient vers « la prise des rubans », ce mystère à la fois triomphant et douloureux de la vocation qui était une rupture avec l’adolescence et le cher Séminaire, en même temps que le pas décisif vers l’Université et vers 1’affrontemont de la vie

Aujourd’hui comme hier, Laval entoure l’un de ses fils de la même sollicitude et de la même générosité, en m’octroyant ce doctorat d’honneur. Encore cette fois, aujourd’hui comme hier, ce sont les maîtres et les guides qui ont tout le mérite. Tout au plus l’occasion me permet-elle, enfin, d’offrir mon chant de gratitude.

Quelles sont donc ces sources que j’ai trouvées ici et qui abreuvent la pensée et l’âme des générations canadiennes-françaises ?

C’est le patrimoine tout entier de la civilisation occidentale, sous la lumière universelle de la Révélation et du Christianisme.

C’est la filiation grandiose qui intègre chaque homme au destin millénaire de l’humanité et qui donne une direction collective et un sens infini à sa vie personnelle et finie. C’est la théologie et la philosophie. C’est l’Histoire et ce sont les Sciences. Ce sont les Arts et les Lettres. Bref, c’est l’humanisme chrétien qui suit la trace de l’homme et lui ouvre les voies, depuis les conquêtes matérielles de son milieu et l’organisation progressive de sa vie en société, jusqu’aux aboutissements mystérieux et jusqu’aux sommets secrets de sa confrontation avec l’Éternel.

Dans toutes les disciplines dans les Sciences qui sont un humanisme quoi qu’en prétende la dialectique matérialiste, aussi bien qu’aux degrés les plus élevés du savoir spéculatif, se maintiennent, ici à Laval, les attaches essentielles avec l’universel et avec l’humain. On m’excusera cependant d’un préjugé encore plus favorable en faveur du Droit que j’ai puisé à Laval, qui est ma carrière et qui me vaut l’honneur que vous me faites aujourd’hui. Quelle autre Faculté universitaire, ou quelle autre activité professionnelle, est-elle plus

visiblement dans les liens de la tradition humaine, depuis que les hommes ont peu à peu dégagé leur individualité du bloc de l’inconscience barbare, ont ensuite harmonisé leurs rapports entre eux, en poursuivant le rêve dont ils sont autorisés par une part de leur nature, d’une harmonie poussée à une perfection sublime parce qu’elle est fondée sur les rapports de l’homme avec Dieu, au point ultime où le concept du Droit doit rejoindre la vérité de la Justice ?

Les maîtres qui nous ont formés, à Laval, étaient inspirés par cette notion à la fois historique et métaphysique du

Droit; pour eux, le droit romain, le code Napoléon ou la loi commune des Britanniques n’étaient, à la vérité et profondément, que les étapes d’un mouvement constant de la conscience vers ce point de rencontre des lois humaines et de la justice divine. Leur enseignement n’était ni un entraînement technique, ni une simple préparation professionnelle; mais le pur alliage de l’illumination spirituelle, de la connaissance intellectuelle et de la formation morale qui sont les matériaux d’un caractère d’homme et les éléments d’une sagesse.

Est-il possible de demeurer fidèles, aujourd’hui, à l’humanisme chrétien, idéal de tant de générations qui étaient en quête de l’homme complet ? Le patrimoine des connaissances s’est tant multiplié qu’il est impossible à l’individu d’en porter désormais tout le fardeau. L’homme complet de la Renaissance et de l’époque classique que pouvait encore réunir la somme de l’acquit humain. Quel cerveau électronique pourrait aujourd’hui réussir le même exploit ?

Il faut donc maintenant choisir dans l’abondance des nourritures offertes à l’esprit et tout choix implique une privation. La spécialisation, devenue absolument inévitable, doit-elle marquer la mort de la culture générale et de cet humanisme chrétien qui était la sève de notre enseignement classique et universitaire ?

Le problème nous bouleverse, dans notre pays du Québec comme partout ailleurs. Nos meilleurs esprits se consacrent avec énergie et une patience méthodique aux solutions. D’autres, plus pressée que prudents, font mine d’aller aux extrêmes. Un vent de réforme – une sorte de renaissance – court sur notre enseignement à tous ses degrés et, pour la première fois peut-être, la masse de notre population en est atteinte. Cette passion populaire pour l’éducation est même l’un des signes salutaires de l’époque.

Faut-il s’inquiéter des rajustements nécessaires ? Ils s’effectuent déjà, dans les programmes et dans les institutions, sans anarchie comme sans hésitations. On modifie l’accessoire, mais on consolide l’essentiel. On réaménage les accidents sans toucher à la substance. On pratique un choix dans le bagage des connaissances humaines, mais on ne veut rien sacrifier de ce qui est humain. Nos institutions, notre Université, notre Séminaire

possèdent en eux toutes les puissances de l’adaptation, puisque ce sont les puissances de la vie. Ils ne sont prisonniers d’aucune contingence car jamais ils ne se sont identifiés à ce qui passe; tout leur effort, au contraire, a été de tourner la face des générations vers ce qui est éternel.

Cela, rien ne devra jamais le changer ! Rien ne pourra jamais le changer ! C’est immuable, comme la Vérité.

Axée sur le double universalisme des humanités et du Christianisme, l’Université a été et demeure néanmoins le foyer, créateur, en même temps que le moyen d’expression, d’une culture nationale canadienne-française.

Tous les mouvements culturels du Canada français sont issus, jusqu’ici, presque exclusivement de l’Université, qu’il s’agisse de l’avancement des sciences, de la recherche sociologique, de l’essor des lettres et même d’une éducation populaire encore en germe. Tous les grands mouvements de la survivance ethnique et culturelle, depuis les congrès de la langue française, la documentation historique jusqu’à la thésaurisation folklorique ont eu leur origine à l’Université, ou tout au moins ont trouvé leurs meilleurs appuis chez le personnel universitaire.

C’est bien là, en effet, le rôle d’une véritable Université; elle est la manifestation par excellence de la culture d’un peuple. Mais l’Université ne peut être abandonnée à ses seules forces. La communauté qu’elle inspire doit faire fructifier son oeuvre et l’étendre en l’assimilant. L’État, comme émanation de cette communauté et comme responsable de son avenir, doit accomplir la tâche qui est la sienne, de concert avec l’Université, en collaboration avec elle, et selon les fonctions respectives de leur ordre et de leur liberté. C’est pourquoi le gouvernement du Québec propose actuellement la création d’un ministère des Affaires culturelles, dans lequel nous plaçons de grands espoirs. Ses devoirs ne seront pas nouveaux. L’Office de la langue française s’associe aux fidélités maintenues depuis nos origines. Le Département du Canada français d’outre-frontières correspond à la fraternité qui a résisté à toutes les séparations imposées par les dures nécessités. Le Conseil provincial des Arts est la manifestation d’un peuple exceptionnellement doué pour le culte de la Beauté et, enfin, la Commission des Monuments historiques est l’illustration de nos attachements sans défaillances.

Tous ces objectifs assignés au ministère des Affaires culturelles étaient déjà poursuivis, non seulement par l’Université, mais par l’admirable floraison de nos sociétés nationales qui, dans leurs domaines particuliers, travaillent depuis toujours à la grande oeuvre du patriotisme et de la culture.

Combien de dévouements se sont exercée avec fruit dans tous ces groupements qu’il est si heureusement impossible d’énumérer; dans cette

Société St-Jean-Baptiste aux longues traditions, dans l’ACFAS consacré à des impératifs nouveaux, dans le Conseil de la vie française, ce clairon sonnant le rassemblement de la « diaspora » canadienne-française, et jusque dans ces chapelles plus modestes où éclate notre personnalité si riche de diversités dans les lettres, les beaux-arts et la musique

Aucune de ces initiatives ne peut être remplacée par un ministère du gouvernement ou par des organismes de l’État. La culture d’un peuple est un jaillissement spontané de son âme; elle est un élan de la liberté, du travail et de la pensée. Elle ne peut être imposée du dehors et tous les États qui ont voulu établir une culture nationale sur l’artifice des lois ou des contraintes, n’ont abouti qu’à tarir les sources elles-mêmes de la création; la culture, chez eux, n’a été que le masque nouveau des barbaries antiques. Si l’art est une collaboration entre Dieu et l’artiste, il va de soi que moins le gouvernement fera intrusion dans le dialogue sacré, mieux il aura tenu son rôle.

Là, comme dans tout ce qui touche à l’individualité du citoyen en ce qu’il possède de plus précieux, partout où la frontière des valeurs spirituelles et des données matérielles demeure dans un équilibre délicat, le rôle de l’État ne peut se résumer qu’à un supplément d’efforts, à une collaboration, à une coordination. L’État n’abolit rien, ne remplace rien; il aide, soutient et renforce le tout. Aussi, l’Université dans sa liberté académique; nos groupements artistiques, nos sociétés savantes, nos associations patriotiques dans leur action innombrable, ne trouveront-ils toujours au nouveau ministère des Affaires culturelles que ce qu’ils ont le droit d’attendre de l’État et de la communauté; une aide et un soutien qui donneront plus de force à leur libre rayonnement.

Depuis les premiers jours de notre histoire, cette volonté de rayonnement culturel, et notre existence ethnique elle-même, ont été bien des fois considérées comme la folie d’un défi à toutes les données matérielles de la nature et des faits. La nécessité de cet îlot français et catholique, dans la masse étrangère d’un continent, a soulevé autant de doutes que de difficultés. Plus encore aujourd’hui, dans l’éclatement du monde et la confusion des peuples, la durée de cette poussière perdue au sein d’un univers en bouleversement n’obéit-elle pas à des raisons que la raison elle-même ne connaît pas?

Quelle serait cette raison d’être du peuple canadien-français? Quelle est donc cette certitude intérieure de son destin, invisible du dehors, mais si profondément vivante que jamais les s’il était demeuré consciemment à l’écart et en marge – de toute une époque dont les formes d’organisation et les méthodes d’action ne correspondaient ni à son tempérament, ni à son histoire, ni à son idéal.

Mais l’époque nouvelle n’impose-t-elle pas que soit comblé désormais l’abîme entre la matière et l’esprit? L’état matériel de l’humanité ne clame-t-il pas aujourd’hui la nécessité de l’avènement de l’esprit? La solution des problèmes les plus essentiellement matériels, comme ceux de la production et de la distribution des biens de la terre dont dépendent la paix ou la guerre – n’est déjà plus exclusivement la solution des économistes. La seule solution apparaît, de plus en plus, comme celle des philosophes qui exigent de l’humanité, ainsi qu’on l’a dit, un « supplément d’âme », comme condition de son salut même matériel. Manquaient-ils de réalisme les maîtres et les guides du peuple canadien-français, alors que les événements leur donnent aujourd’hui raison? Des impératifs nouveaux nous attachent donc à l’idéal ancien d’un humanisme chrétien et d’une vocation spirituelle. Malgré leurs faiblesses et leurs fautes, malgré, en particulier, les défaillances de leur vie publique qui apparaissent trop souvent aux yeux scandalisés des autres comme la trahison des valeurs qu’ils professent, les Canadiens français continueront de faire tout simplement de leur mieux pour ne pas enfouir l’humble talent qui leur a été confié. Ils continueront d’apporter leur pierre à la construction du monde.

C’est l’oeuvre qui doit unir l’Université, l’État et la communauté.

La tâche peut parfois paraître disproportionnée à nos forces. Il ne faut ni s’en étonner, ni perdre confiance, car cette disproportion a toujours été pour nous une constante et une logique de l’histoire.

Aussi, en guise de conclusion, je voudrais vous offrir les paroles de sérénité et de foi que prononçait au Canada le très jeune homme qui, en ce moment même de notre réunion, assume à Washington les responsabilités les plus lourdes qui aient peut-être jamais été chargées sur les épaules d’un homme d’État. Il y a près de quatre ans, M. John Kennedy ignorait qu’il deviendrait le président des États-Unis. Il prononçait ce qui, est probablement jusqu’ici son unique discours en terre canadienne. C’était une fête académique absolument semblable à celle-ci. Il recevait un doctorat d’honneur à l’Université du Nouveau-Brunswick comme celui que Laval me décerne aujourd’hui.

Ses dernières phrases étaient un appel à la jeunesse du Canada, comme à celle de son pays. [« Nous voulons de vous, disait-il, non pas le scepticisme des cyniques, ni le désespoir des faibles de coeur. De cela, nous avons déjà une abondance. Nous vous demandons d’apporter la connaissance, la vision et l’illumination à un monde plein de trouble ».] C’est le même appel que j’adresse à l’Université Laval.

Phare de l’humanisme, qu’elle continue d’illuminer non seulement les voies de notre peuple, mais aussi celles où doit progresser la caravane humaine, depuis les profondeurs de l’histoire jusqu’à son arrivée glorieuse.

[QLESG19610217]

[Salon National de l’Agriculture, Pour publication après Montréal0 le 17 février 1961 le 17 février n1961 Hon. Jean Lesage. Premier Ministre de la province de Québec.]

Pour le peuple canadien, et surtout pour le peuple canadien-français, un Salon de l’Agriculture n’est pas que la manifestation publique des progrès et des tendances d’une industrie qui ne le concerne que de loin. Car, quelle que soit notre occupation actuelle, nous sommes tous d’origine agricole. Nous le sommes évidemment à des degrés divers, mais même ceux qui vivent maintenant et depuis longtemps dans les villes ont conservé une sorte de nostalgie de la vie rurale. Dans notre milieu, ce qui touche à la vie agricole intéresse aussi bien les cultivateurs que ceux qui n’ont jamais vécu sur une ferme; ces derniers ont le sentiment d’être familiers avec elle et aiment, à l’occasion, renouer connaissance avec certains de ses aspects. C’est pourquoi je suis assuré que le IXe Salon National de l’Agriculture remportera tout le succès qu’en espèrent ses organisateurs. C’est pourquoi aussi, à titre de Premier Ministre de la province dans laquelle se tient ce Salon de l’Agriculture, il me fait grand plaisir d’en faire ce soir l’inauguration officielle. Je profite de l’occasion pour inviter instamment toute la population à venir le visiter. Elle y trouvera grand profit et, j’en suis convaincu, sera impressionnée des progrès récents de la technique agricole. Elle verra combien demeure vivante notre plus ancienne et notre plus importante industrie primaire. Je désire également féliciter les organisateurs de ce Salon du travail utile qu’ils accomplissent. Pour le rendre possible, ils se sont assurés la collaboration d’un grand nombre de personnes et de groupes privés ou publics. Une telle collaboration constitue en quelque sorte la garantie du succès de l’entreprise commune à laquelle ils se sont consacrés.

Le Salon National de l’Agriculture comporte beaucoup de points de ressemblance avec les salons industriels, mais il s’en distingue aussi de plusieurs façons. Je crois que de sont justement ces éléments distinctifs qui en font plus, et même beaucoup plus, qu’un Salon industriel ordinaire. D’abord, il répond à un besoin profond. Comme vous le savez, l’industrie agricole comprend des milliers et des milliers de producteurs individuels, dont l’exploitation est souvent de dimensions modestes et que parfois des distances assez considérables séparent les uns des autres. Isolés et aux prises avec des problèmes de marché, de revenus, de mécanisation ou de consolidation qu’ils ne peuvent individuellement résoudre à cause de la multiplicité même de leurs entreprises, il faut

aux cultivateurs des occasions de se réunir, des occasions de faire le point et d’étudier ensemble les solutions possibles aux difficultés qui les assaillent. Bien entendu, le Salon National de l’Agriculture n’est pas la seuls occasion de ce genre; les efforts d’un organisme comme l’Union Catholique des Cultivateurs, ceux des nombreuses coopératives, ceux aussi des associations de producteurs, concourent tous au même but général par des moyens différente. Mais le Salon de l’Agriculture ajoute un élément nouveau: il s’adresse à toute la classe agricole et à tous ceux qui y sont reliés par des attaches économiques comme les fabricants de machinerie ou les commerçants. Il leur fournit une possibilité de rencontre et d’échange de vues profitable. Il permet aussi au grand public de comprendre mieux la nature et la complexité de l’exploitation agricole moderne.

Le Salon est donc conçu à la fois comme un instrument de publicité et comme un instrument d’éducation. L’aspect publicitaire se retrouve dans tous les salons industriels, et vous pouvez le voir présent ici dans les exhibits de machinerie agricole que tous les cultivateurs ont grand intérêt à visiter attentivement. L’effort éducatif se constate partout et vise tout autant le producteur, que le commerçant ou le grand public. Au Salon de l’Agriculture, le producteur, c’est-à-dire le cultivateur se tient au courant des développements récents dans le domaine de la machinerie, se familiarise avec de nouvelles méthodes de production, apprend le résultat d’expériences conduites ailleurs et découvre de nouveaux moyens d’écouler ses produits sur un marché toujours plus vaste, mais aussi toujours plus concurrentiel. Le commerçant, de son coté, s’instruit sur le processus de la production, sur les nouvelles variétés de produits, sur les problèmes de la concurrence entre produits et entre régions agricoles ou sur ceux qui découlent du climat et du transport des produits de la ferme. Cependant, tout cet effort éducatif serait notoirement incomplet s’il n’englobait pas le grand public. À ce propos, le Salon rend un grand service à toute l’industrie en apprenant au public consommateur ce qu’est l’agriculture moderne et ce qu’elle produit, et en l’incitant par l’intérêt qu’il suscite chez lui à une consommation plus considérable des produits de la ferme et surtout de ceux qui, jusqu’à présent, ont moins bénéficié de ses faveurs pour une raison ou l’autre. Je crois bien que ce n’est pas par hasard que le Salon de l’Agriculture a lieu non seulement dans un centre urbain, mais dans la métropole du pays, plutôt, par exemple, que de se tenir au coeur d’une région agricole. Je sais bien que les facilités de transport et d’exhibit de même que la proximité des marchés et des producteurs de machinerie agricole sont pour quelque chose dans le choix de Montréal. J’ai aussi l’impression qu’on a voulu atteindre le plus de consommateurs possible, et surtout qu’on y a réussi.

Le Salon de l’Agriculture, pour réaliser son

oeuvre, avait nécessairement besoin de la coopération des organismes privés ou publics qui s’intéressent à l’agriculture. Cette collaboration, il l’a reçue, grâce au travail immense de ceux qui ont la responsabilité d’organiser cette manifestation annuelle. Le dépliant publicitaire préparé pour le Salon de cette année montre que de nombreuses entreprises ont prêté leur concours à cette manifestation. C’est également le cas d’un grand nombre d’associations rurales ou patriotiques. Je note par exemple l’enquête concours sur la famille terrienne, commanditée par la Fédération des Sociétés St-Jean-Baptiste du Québec. Il y a aussi l’apport des Cercles de Fermières, de l’Union Catholique des Femmes Rurales, de l’Association des techniciens en industrie laitière et évidemment celui de l’Union Catholique des Cultivateurs. Je pourrais nommer beaucoup d’autres collaborateurs à ce Salon, mais la liste en serait trop longue. Vous verrez d’ailleurs leur présence en parcourant ce Salon et en suivant les diverses activités qui sont prévues au programme.

Il me fait plaisir de souligner en passant l’intérêt que le gouvernement de la province a accordé à cette entreprise. En effet, six des ministères du gouvernement se partagent ici dix-huit kiosques. Je vous invite à les visiter. Vous y trouverez une mine de renseignements aussi bien sur l’agriculture, ce qui est tout à fait normal dans un Salon agricole, que sur les pêcheries, l’électrification rurale, les mines ou la protection de la santé. Je suis heureux aussi de remarquer la participation du ministère fédéral de l’Agriculture, dont le titulaire est d’ailleurs parmi nous ce soir. Tout cela démontre l’attention que l’État, au niveau fédéral ou au niveau provincial, apporte à des initiatives privées dont le but immédiat ou éloigné est de provoquer une prise de conscience par un milieu donné, de ses problèmes et de ses ressources.

Le Salon de l’Agriculture conduit en effet à une telle prise de conscience. Celle-ci est double. Les citadins, d’une part, y saisissent mieux l’importance que revêt pour eux et pour notre économie toute entière l’industrie agricole avec laquelle ils ne sont en contact que par les produits qu’elle leur fournit pour leur consommation quotidienne. D’autre part, chez les cultivateurs et c’est d’après moi ce qui est primordial, leur prise de conscience les incitera à être fiers du rôle qu’ils jouent dans notre économie et de la place qu’ils occupent dans notre société.

On a souvent parlé, au Canada français, de la place du cultivateur et du rôle de l’agriculture dans notre société. Je n’ai pas l’intention, ce soir, de m’arrêter à un sujet aussi vaste. Je voudrais seulement, en terminant, insister sur une idée qui n’est certes pas nouvelle, mais sur laquelle je trouve qu’on ne revient jamais assez.

On a fait remarquer, avec beaucoup de justesse, que l’agriculture avait été, dans le passé, le

facteur le plus important de la survie nationale du peuple canadien-français. Elle a en quelque sorte isolé le Canada français des influences qui auraient pu s’attaquer à ses traits culturels et profonds. D’une certaine façon, l’agriculture a. été la pierre d’achoppement d’un processus d’assimilation presque inévitable chez tout peuple minoritaire.

Ce qui est peut-être plus important encore, c’est que la vie rurale et agricole a transmis aux Canadiens français une façon de vivre et de voir les choses qu’on continue de percevoir même dans le comportement de ceux qui vivent depuis longtemps en milieu urbain. Elle a aussi donné à notre peuple la grande stabilité que les observateurs reconnaissent facilement à ses attitudes en matière religieuse ou sociale. Conscient du rôle qu’elle a joué dans notre histoire, le gouvernement de la province reconnaît aussi l’importance économique que revêt, pour le Québec, son industrie agricole. Il a fermement l’intention de ne pas se dérober à la responsabilité qui lui incombe de la protéger, mais ne le fera pas toutefois en lui créant un cadre artificiel qui pourrait en engendrer la stagnation. Évidemment, il existe certaines formes de production, certaines valeurs sociales et économiques, qu’il faut conserver. La ferme familiale entre dans cette catégorie et le gouvernement entend bien l’aider à s’aider elle-même. Mais, il verra à donner à l’agriculture les moyens de faire face aux problèmes nouveaux provoqués par l’expansion économique de la province et du pays.

En agissant ainsi, le gouvernement n’empêche pas, comme certains l’ont dit, le déclin nécessaire d’une industrie périmée, dépassée par les événements. Au contraire, il ne fait que remplir son devoir en permettant à la plus stable,

à la plus noble et à la plus indispensable des industries humaines de prospérer dans un monde qui a, malheureusement, peut-être tendance à oublier trop facilement les services insignes qu’elle lui rend.

[QLESG19610225]

[Chambre de Commerce des Jeunes dit District de Montrés Montréal, le samedi 25 février 1961

Pour publication après 6.00 Hres P.M.

Hon Jean Lesage, Premier Ministre du Québec le 25 février 1961]

Permettez-moi d’abord de vous remercier bien sincèrement du geste amical que vous avez posé en me remettant un certificat de gouverneur honoraire de votre Chambre. Je considère cet honneur comme une marque d’estime personnelle de votre part et veuillez croire que j’en suis très touché. Un certificat de ce genre ne confère peut-être pas de pouvoir particulier à son détenteur, mais il l’associe intimement aux efforts et aux ambitions du groupe qui le lui remet. C’est dans cet esprit que je l’accepte;

il continuera à soutenir le grand intérêt que j’ai toujours porté à votre mouvement.

Dans la lettre que votre président me faisait parvenir en octobre dernier pour me demander de faire partie des vôtres aujourd’hui, il mentionnait justement cet attachement que je manifestais pour votre mouvement. Votre président avait raison d’insister sur ce point car, comme je viens de le dire, je n’ai jamais été indifférent au travail utile que vous accomplissez. Au contraire, j’ai toujours profité le plus possible des occasions qui m’étaient données de vous rencontrer. Malgré le surcroît de travail causé par la session surtout une première session – j’ai été heureux de pouvoir me rendre à votre invitation et je me réjouis maintenant de vous adresser la parole. Je ne sais pas qui a inventé les anniversaires, ni pourquoi on l’a fait, mais je crois qu’ils constituent une excellente occasion de faire le point. Ce doit être pour cette raison qu’ils sont si populaires auprès des groupes ou des associations et qu’à chaque fois qu’on en célèbre un, il se trouve quelqu’un pour retracer le chemin parcouru et surtout s’interroger sur les perspectives d’avenir. Les anniversaires ne sont donc pas seulement des prétextes socialement acceptables d’organiser des réjouissances ou des occasions de revoir de vieux amis. Ils proviennent du besoin que tous éprouvent, à un moment donné, de s’arrêter pour réfléchir. Ils tendent à indiquer qu’on a franchi une étape et qu’on s’apprête à poursuivre le mouvement déjà lancé. C’est peut-être la façon que les hommes ont choisie de se rappeler qu’ils sont en perpétuel « devenir » et que les tâches qui les attendent demain découlent souvent de celles qui ont été accomplies hier. Chaque groupement, chaque organisation a sa logique interne, son dynamisme propre, sa tendance particulière. Il importe périodiquement de remettre tout en question; c’est le meilleur moyen d’éviter de sombrer dans un conservatisme de mauvais aloi oh pourraient se scléroser sans espoir des initiatives pourtant prometteuses au départ.

J’imagine bien que vous n’attendez pas de moi que je procède à un tel examen en ce qui concerne votre mouvement. Comme je le connais surtout de l’extérieur, je serais assez mal placé pour le faire. D’ailleurs, je ne crois pas que cette sorte de remise en question s’impose. Je serais plutôt porté à penser, du moins si j’en juge par votre travail intense et toujours renouvelé, que vous surveillez de très près l’évolution de votre mouvement. Si vous ne l’aviez pas fait, si vos prédécesseurs ne l’avaient pas fait non plus à l’occasion, vous ne célébreriez pas aujourd’hui votre trentième anniversaire de fondation.

Car, ce qui me frappe, c’est justement que vous puissiez le célébrer ce trentième anniversaire de fondation. Un mouvement de jeunes, par définition, est un mouvement dont on se retire lorsqu’on atteint un certain âge. Il se produit souvent, dans des organismes similaires, que le

groupe initial, plein d’enthousiasme et de bonnes intentions, s’effrite avec le temps et qu’il n’y ait personne pour prendre la relève. Cela aurait pu vous arriver, il y a déjà quinze ou vingt ans; votre mouvement aurait alors perdu de son élan, graduellement, et se serait tranquillement éteint. Ou bien encore, il aurait pu survivre mais en se métamorphosant et en remplaçant ses objectifs de départ par d’autres moins conformes à l’esprit qui animait le mouvement à ses débuts.

Rien de tel pourtant dans votre cas. Vous êtes demeurés fidèles aux buts poursuivis, tout en adaptant vos méthodes d’action aux exigences et aux caractéristiques de la vie moderne. Les jeunes gens d’aujourd’hui ont remplacé ceux d’hier et les résultats de votre action témoignent de l’intérêt que suscite votre organisation dans la jeunesse. À Montréal, vous groupez 1,200 membres, ce qui me semble un chiffre impressionnant, même si je ne suis pas statisticien. Je dois cependant reconnaître que la vitalité démontrée par votre groupe n’est pas exclusive à la région montréalaise. Elle est peut-être intrinsèque au mouvement Jeune Commerce. Dans toute la province, en effet, on compte plus de 110 chambres locales, alors que le Jeune Commerce canadien groupe un total de plusieurs milliers de membres. Ces faits doivent faire réfléchir ceux qui pensent que les entreprises des jeunes sont inévitablement éphémères.

Vous savez mieux que moi ce qu’il en a fallu de dévouement et de désintéressement pour remporter un tel succès. Je ne peux que me l’imaginer, mais, croyez-moi, je me représente assez bien les efforts que des centaines de jeunes ont dû accomplir. Je tiens d’ailleurs à rendre ici hommage à tous ceux qui, par leur travail bénévole et souvent obscur, leur esprit de continuité et de persévérance, ont su conserver à votre mouvement le dynamisme qui le caractérise si bien. Pendant des années, ces jeunes gens et ceux qui participaient au mouvement avant eux ont largement puisé à cette source de bonne volonté qu’on trouve chez les jeunes qui n’ont pas voulu perdre trop vite cet idéalisme créateur dont leurs aînés ont la nostalgie.

Il ne faudrait surtout pas croire que la source de bonne volonté dont je viens de parler s’est tarie avec le temps. Je dirais même que, contrairement à toutes les lois physiques et psychologiques, elle est plus abondante que jamais. J’en vois une preuve éclatante dans ce réseau varié d’activités poursuivies par votre Chambre. En préparant ces quelques notes, j’ai consulté ce que vous appelez votre « Carnet d’Activités » pour les mois de janvier, février et mars. J’y ai vu un nombre surprenant, presque audacieux, de manifestations diverses. Il y en a pratiquement chaque jour de la semaine. Un soir,

c’est un concours oratoire, l’autre soir un Ciné-Club ou une visite industrielle. À d’autres moments, un conférencier vous rend visite pour vous entretenir de problèmes économiques,

politiques ou sociaux. J’ai vu aussi que vous ne négligez pas le sport, du moins en fin de semaine. Il y avait même, la semaine dernière je crois, un défilé de mode ! On ne dit pas sur votre « Carnet d’Activités » à l’intention de qui il était présenté, mais j’ai pensé qu’on a peut-être voulu amadouer les épouses qui trouvent que leurs maris consacrent trop de leur temps au Jeune Commerce.

Quoi qu’il en soit, il est certain que par vos multiples comités et vos activités de toutes sortes, vous couvrez tous les champs d’intérêt.. Vous ne laissez pas grand chose de côté et là-dessus, vous avez raison. Vous visez à cultiver aussi bien les qualités personnelles de vos membres que leurs connaissances; vous élargissez leurs horizons.

L’appellation « Jeune Commerce » ne signifie d’ailleurs pas que les membres du mouvement ne songent qu’à la carrière des affaires, ni que la Chambre de Commerce des Jeunes n’est que l’antichambre ou la succursale de la Chambre sénior. Elle est avant tout un mouvement d’éducation et de culture pour les jeunes et par les jeunes; elle est, pour ainsi dire, une sorte d’école de la vie. Le Jeune Commerce tend à constituer une élite par la formation qu’il leur aide à acquérir ou à compléter, par la camaraderie qu’il sert à établir et à maintenir entre eux et par le développement et la coordination de leurs initiatives.

Ainsi, par votre adhésion au groupement, vous vous efforcez de devenir des citoyens plus complets et plus aptes à remplir les tâches que la vie publique ou privée vous réserve. C’est tout ce programme d’action qui, à mon sens, se trouve reflété dans la belle devise du mouvement « Jeune Commerce » « Le progrès par l’étude et l’action ». Mais la devise d’un groupement est un peu comme une arme à double tranchant. Elle est d’abord un symbole conçu pour stimuler l’action, pour la soutenir et pour rappeler à ceux qui voient ce symbole le but ultime poursuivi par l’association. Elle comporte aussi et surtout un plan d’action en résumé, un programme que le groupement se doit de réaliser s’il veut être fidèle à lui-même et à l’esprit qui animait ses fondateurs.

Dans votre devise, il y a le mot « progrès ». Je trouve que voilà un mot lourd de conséquences, un mot presque dangereux qui vous engage comme membres à orienter vos efforts vers un dépassement constant de ce que vous êtes maintenant, vers un dépassement de ce qu’est la société qui vous entoure. Vous érigez le dynamisme en principe. On pourrait même dire que vous vous condamnez au changement perpétuel. Vous êtes en somme les ennemis de la stagnation – automatiquement – du fait même que vous adhérez au mouvement Jeune Commerce. Une telle ambiance, dans un groupe de jeunes, rassure ceux qui n’en font pas partie. Elle les rassure en ce sens qu’elle leur montre qu’il y a ‘encore, dans notre société, des éléments de renouvellement sur qui on peut compter, des éléments qui, par

leur présence même, empêcheront en quelque sorte de dormir tranquilles ceux qui croient béatement que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. À titre de premier ministre de la province, je serais l’homme le plus heureux du monde si je pouvais vous dire ce soir que vous pouvez dorénavant vous reposer, qu’il n’y a plus de problèmes dans la province de Québec et qu’il n’y a maintenant rien d’autre à faire que de jouir en paix des biens abondants que notre économie nous assure à tous. Mais je ne le dirai pas, parce que ce n’est pas vrai. Il y a encore des problèmes de tout genre dans notre province, il y en a même beaucoup et je suis le premier à le reconnaître. Autrement, nous n’aurions pas besoin de nouvelles lois, il ne nous servirait à rien de nous réunir en session pendant de longs mois, il ne nous serait pas nécessaire de penser à l’avenir, ni de le préparer dans la mesure de nos moyens.

De plus, en vous parlant ainsi, j’aurais l’impression de manquer à mon devoir. Un gouvernement, n’importe quel gouvernement, du fait qu’il est élu par le peuple, ne devient pas pour autant omniscient, ni tout-puissant. Il demeure composé d’êtres humains, remplis de bonne volonté peut-être, mais pas nécessairement infaillibles; d’êtres humains qui, en toute humilité devant Dieu, font leur possible croyez-moi – pour améliorer le sort du peuple qui les a choisis. C’est là une tâche qui est loin d’être facile; elle est à la fois grandiose et routinière, stimulante et ingrate. Pour l’aider dans cette tâche, pour l’orienter, un gouvernement démocratique non seulement permet à l’opinion publique de se manifester; je dirais qu’il en a besoin et qu’il en a d’autant plus besoin que celle-ci est éclairée. Je crois que votre mouvement, à cause de sa vitalité et de son importance, participe à cette opinion publique éclairée et la nourrit. Pour cette raison, je vous encourage à conserver l’élan intérieur qui vous anime, je vous encourage à demeurer fidèles à votre devise de progrès.

Le progrès toutefois n’existe pas en soi. Il se fait par l’action sur les structures, par l’action sur le milieu. Mais, il faut d’abord qu’il se fasse sur les individus qui veulent exercer une action simultanément utile et durable. C’est ce qui me porte à dire que le progrès que votre mouvement recherche est double, il concerne la personne et aussi la société.

Parmi les articles de votre « Crédo Jeune Commerce », je remarque le premier qui s’énonce ainsi:  » La personne humaine est la plus précieuse des richesses ». Vous complétez cette idée généreuse par un autre article du même Crédo oh vous dites que  » nos institutions n’ont de raison d’être que si elles concourent à ennoblir la personne humaine « .

Votre conception de la personne humaine reflète la dignité que vous y attachez et que vous vous efforcez de sauvegarder et d’augmenter par les occasions de progrès personnel que vous donnez à vos membres.

Les responsabilités que vous prenez vous obligent à faire preuve d’initiative, vous donnent des expériences variées et vous révèlent à vous-mêmes des aptitudes que vous ignoriez peut-être. Je pense ici au travail magnifique que doivent accomplir des comités comme celui de la Parole et de la Personnalité, ou encore celui des Affaires Culturelles. Je pourrais même ajouter tous les autres comités car ils s’adressent avant tout aux membres comme personnes, même s’ils portent moins que les deux autres sur leur personnalité ou leur culture. Comme vous le dites, ils s’en servent pour « Remplir avec compétence leur rôle de citoyens ». Le rôle de citoyens, on peut le jouer partout, et pas seulement le jour des élections en allant voter. Vous êtes des citoyens utiles lorsque vous faites consciencieusement votre travail, au bureau ou à l’usine, lorsque vous poursuivez sérieusement vos études, lorsque vous vous employez à faire progresser votre entreprise. Une nation a toujours besoin d’une élite vigoureuse, d’un levain. Elle a besoin de dirigeants, conscients de leur responsabilité. Elle peut les puiser dans des organisations comme la vôtre. Si elle ne les y trouve pas, ou s’ils se dérobent aux tâches qu’on leur propose, la formation personnelle qu’ils y ont reçues sera stérile. Elle se retournera sur elle-même et s’appauvrira, car les responsabilités économiques, sociales ou politiques, si parfois elles accaparent le temps d’un homme, permettent à celui-ci de s’enrichir au contact de ses semblables et de s’humaniser à cause des services qu’il peut leur rendre. La formation personnelle, comme la culture ou la richesse, sont des biens individuels, mais n’auraient pu naître sans l’apport des autres membres de la société.

Ce progrès de la personne n’a pourtant son sens complet que si ceux qui en profitent s’efforcent, par leur politique de présence, d’en faire bénéficier la société qui les entoure. Ils y ont indirectement participé et ceux qui en bénéficient le plus doivent en transmettre partiellement les fruits à leurs compatriotes.

Au Québec, nous avons besoin, plus que jamais peut-être, d’élites dynamiques et progressives. Vous avez probablement déjà entendu parler du phénomène de l’accélération historique. Il signifie que l’humanité fait maintenant plus de chemin en quelques mois, qu’autrefois en plusieurs années. Vous en avez des exemples tous les jours. Il y a eu plus de progrès matériel dans le monde pendant la première moitié de ce siècle que pendant tout le Moyen-Âge.

J’ai dit « progrès matériel », mais je n’ai pas dits « progrès spirituel ». Je n’ai pas dit non plus « amélioration des idées, des sentiments », parce que, justement, il n’y a pas correspondance entre les deux types de progrès. C’est d’ailleurs là un des problèmes cruciaux du monde actuel. Ce problème, nous l’avons aussi dans la province de Québec depuis le début de son expansion industrielle. J’ai même

l’impression que, d’une certaine façon, il est plus sérieux qu’ailleurs,. du moins par certains de ses aspects. Car ici, ce que le progrès matériel trop rapide met en danger, ce n’est pas la culture en tant que valeur humaine, c’est la culture canadienne-française en tant que valeur nationale. Notre niveau de vie matérielle est en général élevé, mais notre niveau de vie nationale l’est-il autant ? Nous laissons-nous bercer par le souvenir des réalisations parfois héroïques de ceux qui nous ont précédé ? Osons-nous croire la partie gagnée ? Pensons-nous plutôt que nous jouons une partie qui recommence sans cesse et dont le résultat n’est jamais définitif ?

Il y a une chose qui m’encourage pourtant. C’est cet éveil de notre conscience nationale dont on perçoit depuis quelque temps des traces dans tous les journaux que nous lisons, dont on voit les preuves dans les objectifs que se fixent certaines associations. Mais la conscience d’un problème, même si elle est remplie de promesses, doit s’actualiser dans des tentatives de solution; elle doit se matérialiser. Le Canada français fait maintenant partie du monde. Il n’est plus, comme avant, replié sur lui-même. Il ne lui est plus possible de l’être. Trop de voies de communications, physiques ou intellectuelles, trop de réseaux d’intérêts, l’attachent au reste du monde et notamment à ses voisins les plus proches. Le Canada français s’est déjà consolidé de l’intérieur; c’est ce qui lui a permis de subsister, de survivre. Mais survivre, n’est pas nécessairement vivre, ni vivre pleinement. À l’occasion, des explorateurs visitent des peuplades indigènes isolées qui conservent quelques-unes de leurs caractéristiques particulières. S’ils les visitent, c’est qu’ils les savent destinées à l’extinction et qu’ils s’empressent de recueillir tout ce qui persiste encore d’une civilisation autrefois florissante. Ces peuplades ont survécu, mais elles ne font maintenant qu’exister; elles ne vivent même plus.

Elles ne vivent plus parce que des forces extérieures trop puissantes leur empêchent de se manifester, parce que leurs institutions n’ont pu résister à cet assaut. Mais les nôtres, au Québec, ont pu résister pendant trois cents ans. Elles ont résisté par repliement sur elles-mêmes si je peux dire, par courage intérieur. Elles ont pu résister, je pense, parce qu’elles n’ont pas changé, un peu comme un bloc de granit résiste au vent ou à la mer. Elles ont servi d’enveloppe protectrice au petit peuple que nous étions.

Aujourd’hui, ce n’est plus la même chose. L’influence extérieure, qui nous pénètre, n’arrive plus à nous par la force ou la violence. Bien au contraire. Elle revêt un visage attrayant, emprunte la voie de la facilité, se fait séduisante. Elle n’en est que plus dangereuse, car les défenses déjà érigées et auxquelles nous sommes habitués ne sont souvent plus adaptées à ce genre nouveau de

menace. Il faut maintenant que nos institutions culturelles se transforment, mais qu’elles le fassent dans le sens qui nous est propre. Il faut qu’elles s’affirment par leur aptitude à faire face d’égales à égales avec celles dont les sous-produits culturels nous envahissent. Elles ne le feront pas d’elles-mêmes, automatiquement, par une sorte de servo-mécanisme culturel. Elles doivent être animées, renouvelées de l’intérieur, par la génération actuelle et par celle qui lui succédera; par les jeunes d’aujourd’hui qui demain se lèveront pour accepter de plein gré, conscients qu’ils seront de leur devoir de citoyens, les charges que la communauté canadienne-française exigera qu’ils assument dans le monde économique, social ou politique. Vous et les autres associations de jeunes faites partie de cette source de bonne volonté, de cette source de citoyens remplis d’initiatives et d’idées qu’ils mettront au service de leur peuple.

Il est réconfortant pour un gouvernement de penser qu’il n’est pas seul à accomplir sa tâche, seul au milieu de l’indifférence générale. C’est une preuve que la démocratie est vivante au Canada français. L’existence de groupes comme le Jeune Commerce garantit aux chefs politiques que leur action ne sera pas sans lendemain, car ils savent qu’il y a des jeunes gens qui les écoutent, qui apprennent, des jeunes qui s’intéressent à la chose publique, aux affaires, à la culture, et qui finiront par prendre la relève dans tous les domaines où le Canada français entend s’affirmer comme entité nationale distincte et faire fructifier les valeurs qu’il a si abondamment reçues en héritage.

[QLESG19610304]

[Semaine de l’Éducation

Montréal, le 4 mars 1961

Hon. Jean Lesage. Premier Ministre]

J’éprouve toujours un plaisir bien particulier à adresser la parole à des groupes qui se consacrent à l’étude des grands problèmes de notre société et qui, par leur travail et leur énergie, s’efforcent d’en découvrir les solutions. Ce plaisir que j’ai se double, ce midi, d’un certain sentiment de fierté. J’ai en effet conscience d’être au milieu de personnes dont la valeur professionnelle et la compétence reconnue permettent d’espérer que l’éducation chez nous accélérera sa marche vers le progrès. Le besoin que nous ressentons tous de faire le point à diverses époques, le besoin que nous avons de nous arrêter et de réfléchir sur l’évolution passée et future des mouvements ou des causes que nous avons à coeur, le simple besoin, en somme de voir, de regarder, de comprendre semble surgir d’une tendance innée chez l’espèce humaine. De cette tendance, naissent bien des entreprises comme les sessions d’études, les congrès et les groupes de discussion. C’est aussi pour la même raison que

l’on réserve pendant l’année des périodes de temps au cours desquelles on met l’accent sur une idée ou sur un projet. La Semaine de l’Éducation entre dans cette catégorie et, comme les autres semaines consacrées à telle ou telle question, donne à ceux qui y participent une excellente occasion de réfléchir sur les problèmes qui les concernent. Mais la Semaine de l’Éducation a ceci de particulier qu’elle porte sur un sujet d’une très grande actualité et dont, de plus en plus, toutes les classes de notre société sont conscientes, surtout depuis quelques années.

Elle vise entre autres buts à accroître dans notre milieu cette prise de conscience collective des problèmes éducationnels. Dans chaque région de la province elle donne lieu depuis 1959, à des conférences, des débats ou des forums; ainsi, notre population prend un contact vivant avec ces problèmes, dont la solution, au moins partielle, incombe à chacun des secteurs de notre société.

Cette année, le thème de la Semaine est « L’éducation garantie de l’avenir ». À la vérité, il était difficile de choisir un thème plus approprié et surtout plus apte à provoquer des réflexions salutaires; il ouvre beaucoup de perspectives et justifie bien des commentaires. Je vois, d’après le programme de la Semaine, qu’il sera question au cours des jours prochains de l’enfant, du foyer, de l’école, de la cité et de l’Église. Je ne voudrais pas, ce midi, passer en revue tous ces sujets, ni m’arrêter aux facteurs d’ordre proprement pédagogique qui peuvent influencer le processus éducationnel. Je sais qu’il y a, parmi vous, des spécialistes beaucoup mieux placés que moi pour vous entretenir de ces questions. J’aimerais plutôt m’en tenir à quelques-unes des réflexions que m’inspire le thème de cette année et vous exposer rapidement certaines idées qui me paraissent prendre une importance spéciale en cette Semaine de l’éducation.

On peut considérer l’éducation de plusieurs façons différentes selon qu’on est professeur, spécialiste en méthodes pédagogiques ou simplement étudiant. Pour le profane cependant, c’est-à-dire la majorité de la population, l’éducation peut, à mon sens, apparaître à la fois comme un moyen de mise en valeur de la personne humaine d’enrichissement de la société et de participation à la culture universelle.

La mise en valeur de la personne se fait par le développement de ses aptitudes à faire et à comprendre, grâce à l’acquisition de techniques et à l’ouverture d’esprit qu’entraîne chez elle sa soumission à un programme éducatif conçu pour la préparer aussi bien à affronter le pratique de la vie quotidienne, qu’à accéder à la culture. Il s’agit, en somme, par l’éducation, d’actualiser chez l’être humain les qualités, les aptitudes et les habiletés qu’il possède en puissance. Ces pouvoirs, le jeune enfant les a à l’état embryonnaire, pour ainsi dire, et il appartient à l’éducation et à tout ce qu’elle

implique d’entraînement et de travail de les découvrir et, littéralement, de les cultiver. Sans l’éducation, l’être humain est un peu comme une matière brute à laquelle on n’a encore imprimé aucune forme, une matière brute qui n’a pas été traitée et dont l’utilité pour la société peut être fort réduite. Par l’éducation, il devient un être complet, équipé, transformé au plus profond de lui-même et capable, s’il a été bien dirigé, de rendre les services les plus éminents à ceux qui l’entourent et à ceux qui espèrent en lui.

C’est ainsi que l’homme éduqué, au sens où je l’entends ici, enrichit la société dont il fait partie. Les services directs ou indirects qu’il lui procurera dans l’activité qu’il choisira d’exercer, pourront être inestimable s’il a su profiter de l’entraînement intellectuel et même moral auquel il a été soumis. Mais l’attitude et la compréhension de l’individu face à l’éducation ne sont pas les seuls facteurs à entrer en ligne de compte. Les méthodes par lesquelles on le forme, le système éducatif qui le prend en charge au moment où sa raison s’éveille pour le rendre à la société lorsqu’il devient adulte, l’ambiance culturelle du milieu où il évolue, l’échelle des valeurs qu’on l’habitue à respecter, sont tous des facteurs dont l’action est lente, mais dont les effets sont durables et peuvent faire la grandeur ou la déchéance des peuples. À ce propos, on peut avec raison dire qu’une nation vaudra, dans ses réalisations matérielles ou intellectuelles, ce que vaut son système éducatif. S’il n’est pas adapté aux besoins du monde moderne, s’il n’encourage pas l’effort suivi et s’il ne conduit pas au respect des valeurs humaines fondamentales, il engendre l’imprécision, la peur du travail, la dispersion intellectuelle et le culte de la facilité. Si, par contre, il érige le travail en principe, s’il est constante adaptation aux nécessités nouvelles, s’il diffuse la véritable culture, il permet des réalisations étonnantes et justifie de grands espoirs chez les peuples qui attribuent à l’éducation l’importance qu’elle mérite. Nous avons des exemples frappants de ce phénomène dans l’histoire ancienne et récente de plusieurs nations. La Grèce antique et la France moderne témoignent de ce fait. D’autres nations, plus petites, pauvres et négligées par les grandes puissances, ont donné au monde beaucoup plus que leurs dimensions matérielles ne pouvaient le laisser croire.

L’éducation permet aussi, à celui qui en bénéficie, de participer à la culture universelle, de goûter aux réalisations intellectuelles des autres nations, de les apprécier et de s’en pénétrer pour s’enrichir lui-même. L’homme éduqué vit une vie plus intense, plus remplie et aussi plus intéressante; il satisfait un de ses besoins les plus fondamentaux: celui de connaître et de comprendre. Il communie à la pensée des autres peuples, s’en inspire et transmet le fruit de ses études et de ses expériences au peuple dont

il fait lui-même partie. Si, par la suite, il produit quelque chose dans quelque domaine que ce soit, il y sera dans une large mesure arrivé en puisant au trésor universel des connaissances humaines. Il enrichira de ce fait sa propre nation par l’apport indirect de ce qu’il aura reçu des autres cultures et des autres civilisations. À l’époque actuelle, où il est impossible de vivre isolé du reste du monde, l’homme instruit et cultivé profitera pour lui-même et pour la société qui l’entoure d’un rapprochement forcé avec les autres cultures. Jusqu’à maintenant je n’ai parlé que de l’apport de l’éducation en général. Cependant, comme celle-ci n’existe pas par elle-même, mais qu’elle agit dans un contexte social et culturel donné, il importe de nous arrêter quelques moments à la signification particulière qu’elle prend par rapport à la situation et aux aspirations de notre peuple. Il me semble, à ce propos, que l’éducation, du moins dans les formes qu’elle prend et dans les effets qui en découlent ici au Québec, constitue un moyen d’affirmation de notre entité nationale en même temps qu’elle lui fournit un moyen de sauvegarde.

L’humanité a tendance à oublier les petits peuples. Ceux-ci risquent en quelque sorte de passer à côté de l’Histoire, à moins qu’ils ne se signalent à l’attention des autres nations plus grandes par des réalisations tout à fait particulières. Au Québec, nous courons toujours le risque d’être inaperçus, d’être oubliés. Nous ne sommes que 5000000 à vivre le long du St-Laurent et, d’après les lois historiques les plus normales, il y a longtemps que nous aurions pu disparaître comme entité nationale. C’est le sort malheureux que l’Histoire réserve le plus souvent aux minorités nationales, aux petits pays, ou aux populations qui n’ont pas su se manifester aux autres par une originalité quelconque. Le Canada français a toujours refusé et refuse toujours obstinément de disparaître. Il ne veut pas passer à côté de l’Histoire, il veut entrer dans le concert des peuples.

Bien sûr, il n’y arrivera pas par la force. Le voudrait-il qu’il en serait totalement incapable. Nous n’avons pas au Canada français la puissance matérielle de nos voisins du nord et du sud; nous ne disposons pas de la richesse des grandes nations, ni de leur population. Mais nous pouvons impressionner ceux qui nous entourent, nous pouvons nous signaler à l’attention du monde, nous pouvons conquérir sur le plan intellectuel la place qu’il nous est impossible d’obtenir sur le plan de la force matérielle.

J’ai dit tout à l’heure que l’éducation pouvait nous donner un moyen de sauvegarde de notre entité nationale. De fait, j’aurais dû dire qu’elle était à mes yeux un moyen d’en arriver à cette fin, car c’est par la promotion de l’éducation que nous pourrons préserver les facteurs qui jusqu’à ce jour nous ont permis de survivre à notre langue et notre culture. Non seulement notre langue et notre culture peuvent-

elles se perpétuer par le truchement de l’éducation, mais elles peuvent aussi en être améliorées et revivifiées. De ce fait, l’assimilation de notre peuple danger que tout groupe national minoritaire ne doit pas oublier – deviendra impossible puisqu’elle rencontrera une résistance farouche, née non pas d’un réflexe de défense, mais du dynamisme interne d’une culture vivante et productive. Une telle culture traduite dans nos institutions et transmise par elles peut, sans danger, assimiler les découvertes et les progrès des peuples étrangers. Ceux qui en sont animés peuvent, sans danger encore, se lancer à la reconquête économique de nos richesses et, par leur action, empêcher que les progrès des valeurs intellectuelles chez les nôtres ne résulte, comme cela s’est déjà produit, en une absence de réalisations matérielles. Il n’y a en effet pas d’opposition entre les deux, comme on est souvent porté à le croire, et il appartient justement à notre système éducatif de transmettre cette idée aux jeunes générations.

On peut donc dire que l’éducation est vraiment, pour le Canada français, la garantie de son avenir. Cependant, le rôle énorme que nous demandons à celle-ci de jouer dans notre milieu entraîne, vous l’imaginez facilement, des responsabilités dont l’ordre de grandeur correspond aux répercussions étendues de son action sur le présent et le futur de notre peuple en général et de notre jeunesse en particulier.

Ces responsabilités, elles n’incombent pas à un seul groupe de notre société, ni à une seule profession; elles sont au contraire partagées par toute la communauté, par toutes les classes et par tous les citoyens, car l’éducation n’est le fief exclusif de personne. La part respective de responsabilité varie évidemment d’un groupe à l’autre, d’un individu à l’autre, mais elle n’en est pas moins présente pour chacun d’entre nous. Chez les parents, les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, elle exige compréhension du travail de ceux-ci, et acceptation de leur rôle comme stimulateurs de ce désir d’apprendre qui est inné chez tout jeune enfant et qu’il ne faut absolument pas laisser perdre. S’il est en effet naturel de veiller à conserver et à augmenter les richesses matérielles que nous possédons, il devrait l’être encore davantage d’éveiller les jeunes esprits à la connaissance du monde qui les entoure et surtout de susciter chez eux la soif du savoir. Seuls les parents peuvent jouer ce rôle, car ce sont eux qui les premiers prennent contact avec la jeunesse qui plus tard se dirigera vers les institutions et les maisons d’enseignement. Si la flamme de la connaissance a été éteinte au départ par un manque de compréhension de leur rôle par les parents, il sera difficile aux éducateurs de la rallumer. Les parents ont aussi un devoir de participation dans les organismes communautaires qui s’occupent d’éducation à un titre ou l’autre. Je

pense ici aux commissions scolaires, aux associations de parents et maîtres, aux cercles d’études. Je pourrais en mentionner d’autres, car ces organismes et ces moyens d’expression sont heureusement nombreux chez nous. Ce qu’il faut vaincre par là, c’est une tendance naturelle à l’indifférence comme si l’éducation qui est l’affaire de tous les citoyens devenait, pour une raison quelconque, « l’affaire des autres ».

Il est bien évident, cependant, que les parents, malgré toute leur bonne volonté, ne sont pas automatiquement des experts dans tous les domaines. C’est à ce point-ci que les éducateurs professionnels commencent à agir. Ils consacrent leur vie d’aujourd’hui à préparer les citoyens de demain. À mon sens, c’est là une des professions humaines les plus nobles. Les éducateurs doivent l’exercer, dans la limite de leur compétence, mais toujours en collaboration avec les parents qui ont préparé l’esprit de ceux auxquels ils transmettent la science. Pour ce faire, et le faire adéquatement, il faut que les éducateurs aiment leur travail, comprennent la portée immense de leur rôle dans la formation des esprits et conservent toujours vivant le souci d’augmenter leurs propres connaissances et leurs aptitudes. Que dire maintenant de la part de responsabilité en éducation des associations, des groupes, des clubs sociaux et autres mouvements ? À mon avis, leur apport peut être considérable.

Ils peuvent soutenir l’intérêt en matière d’éducation et combattre l’indifférence qui s’installe trop facilement dans n’importe quel milieu. Ces groupes doivent être des ferments dans la société où ils évoluent. Ils sont en mesure, grâce à leur situation et grâce aux membres qu’ils comprennent, de faire part à l’État de leurs vues en matière d’éducation et de communiquer aux pouvoirs publics leurs observations à ce propos. Ils ne doivent pas le faire comme groupes, de pression soucieux de réaliser ou de faire réaliser tel ou tel objectif particulier; ils doivent au contraire, comme d’ailleurs c’est leur devoir, viser à la réalisation du bien commun en suscitant des améliorations toujours nécessaires.

Au sujet des associations et de leur rôle, je

voudrais ici rendre hommage à la vôtre et à l’influence positive qu’elle a dans notre milieu. L’Association d’Éducation du Québec est, vous le savez évidemment, un organisme privé, né d’un effort constructif de cohésion et de coordination. Elle est animée d’un dynamisme qui la caractérise parmi les autres associations du genre et réunit pour une tâche commune des représentants de tous les secteurs de notre système d’enseignement. Par la propagande que fait l’Association, elle attire l’attention du public sur les problèmes de l’éducation et soulève l’intérêt de la masse. Par les recherches qu’elle conduit, elle apporte une lumière indispensable à la compréhension de ces problèmes et facilite la découverte de solutions adéquates et réalistes. Je pense à ce sujet, à

« l’Enquête sur la Persévérance scolaire » entreprise par l’Association d’Éducation du Québec. Les résultats et les conclusions de cette enquête, une fois terminée l’analyse complète des données recueillies, s’avéreront certainement d’une grande utilité pour ceux, et j’en suis, que préoccupe la fréquentation trop peu poussée de nos institutions d’enseignement par nos jeunes.

Mais, parmi ceux qu’ont toujours préoccupés tous les problèmes relatifs à l’éducation, il faut que notre admiration réserve la place d’honneur aux prêtres et aux religieux.

Le rôle de l’Église dans le domaine de l’éducation, rôle qui vient immédiatement après celui des parents, est assez connu dans notre province pour que je n’aie pas besoin d’en parler longuement. Ce que je tiens à dire, cependant, c’est que notre peuple tout entier a une immense dette de reconnaissance envers les prêtres, les religieux et les religieuses qui, pendant des générations, ont été presque les seuls à se donner à l’éducation des jeunes. Si nous existons encore comme peuple distinct, il est certain que c’est en grande partie la résultante du dévouement, de la ténacité et de l’action de notre clergé.

Aujourd’hui, des laïques de plus en plus nombreux viennent continuer la tâche si bien commencée. L’Église canadienne-française, j’en suis certain, est heureuse de constater que sa mission d’éducatrice donne des fruits aussi abondants. Elle doit se féliciter de voir les laïques déployer une activité aussi grande dans le domaine qui lui est si cher et auquel elle a consacré et consacre encore tant d’énergie. Les jeunes gens et les jeunes filles qui adoptent l’enseignement comme profession devront, pour être fidèles à ce que notre peuple attend d’eux, s’inspirer des magnifiques exemples de désintéressement que lui ont fournis et que continuent de lui fournir les éducateurs religieux dont ils viennent maintenant seconder les efforts.

Il me reste maintenant, en terminant, à vous entretenir des responsabilités de l’État, telles que je les vois, en matière d’éducation. C’est là, vous l’admettrez, un sujet fort complexe, d’autant plus que l’État dans le Québec doit toujours garder comme but immédiat ou éloigné la promotion du groupement canadien-français. On conçoit donc que c’est à un double titre, l’avènement et le maintien du bien commun, d’une part, et ses devoirs vis-à-vis le groupe canadien-français, d’autre part, que l’État du Québec se voit actuellement imposer une immense part de responsabilité dans le domaine de l’éducation. Cette responsabilité, ce défi devrais-je dire, je puis vous assurer que le gouvernement a fermement l’intention de l’accepter, sans pour cela tomber dans le paternalisme d’État, car il se reconnaît, en éducation, un triple devoir qu’on peut résumer en ces mots: coordination, prévoyance et progrès. C’est pour l’aider à réaliser ces objectifs qu’il vient d’instituer une Enquête Royale sur l’Éducation. Comme vous le savez, celle-ci a pour mandat d’étudier tous les aspects du problème de l’éducation dans notre province. Je ne veux pas revenir maintenant sur des détails qui ont été publiés dans les journaux et dont vous avez entendu parler. Je tiens seulement à rappeler que l’Enquête sera complète et qu’elle ne négligera aucun secteur, aucun niveau de notre système d’éducation. Une telle étude approfondie de tous les aspects de l’enseignement au Québec est devenue indispensable à cause, entre autres facteurs, de l’évolution socio-économique rapide de notre province. Nous voulons faire le point, connaître la situation exacte, établir les faits pertinents, découvrir les lacunes. À partir des recommandations des enquêteurs, le gouvernement sera en mesure d’effectuer les réformes qui s’imposeront, tout en établissant entre elles des priorités nécessaires. Il pourra, grâce à la connaissance fournie par l’Enquête et à cause aussi de sa conviction des bienfaits de l’éducation, en faciliter le progrès par un soutien financier adéquat et par l’adaptation possible des structures éducatives aux nécessités du monde actuel. Toutefois, pour que l’État puisse accepter l’immense et difficile tâche qui lui incombe en matière d’éducation, il faut qu’on consente à lui laisser jouer pleinement le rôle qui lui revient comme responsable du bien commun de la société. En effet, il existe encore certains malentendus dont la présence gêne une action de l’État qui pourrait être constructive. Beaucoup de personnes pensent, par exemple, que l’État est à sa place quand il n’y est pas, quand il est absent, quand il ne prend aucune responsabilité ou presque. D’après moi, une telle façon de voir les choses si elle est poussée à sa limite logique, peut facilement devenir aussi dangereuse que la tendance à confier la solution de tous les problèmes aux autorités publiques. Si je dis qu’une telle interprétation est dangereuse, c’est pour des motifs bien précis qui résultent de notre situation particulière dans le contexte démographique nord-américain et qui nous forcent, tous tant que nous sommes, à considérer l’État nous l’éclairage d’un raisonnement nouveau. Car, il faut bien comprendre que l’État québécois, c’est le point d’appui collectif de la communauté canadienne-française et, à l’heure actuelle, l’instrument presque nécessaire de son progrès économique et social. Il nous faut savoir l’utiliser sans excès, mais aussi sans fausse crainte. L’État québécois n’est pas un étranger parmi nous, au contraire, il est à nous. Il nous appartient et il émane de notre peuple. Avec la collaboration de tous, il peut faire beaucoup pour protéger notre entité nationale et assurer le progrès de nos institutions culturelles. L’éducation accrue, mieux comprise, mieux coordonnée, rendra notre population apte à faire ce bond en avant. Le gouvernement est nettement conscient des exigences que ces objectifs supposent et croit qu’il n’a pas le droit de ne pas s’intéresser davantage dans l’avenir aux problèmes de l’éducation chez nous. Il n’accomplirait pas son devoir s’il s’en détournait et si son comportement en la matière était dicté par une prudence excessive. Nous ne prétendons pas tout recommencer à zéro, ni modifier du tout au tout notre système éducatif. Les générations qui nous ont précédé ont déjà fait leur grande part. Cependant, c’est à nous, à notre génération, qu’il appartient de prendre la relève et d’insérer dorénavant dans notre système d’éducation le souci de la coordination, de l’ordre et de l’adaptation. Le gouvernement de la province se fait un point d’honneur de participer à la réalisation de cette tâche difficile et compte beaucoup, pour y parvenir, sur la collaboration indispensable des personnes et des organismes intéressés. C’est à cette condition essentielle que l’éducation sera vraiment, au Québec, la garantie de notre avenir commun.

[QLESG19610313]

[Les Associés de l’Université de Montréal Montréal. lundi le 13 mars 1961 Pour publication après 7:30 hres P.M., le

lion. Jean Lesage, Premier ministre 1 mars, l961]

Lorsque, il y a quelques semaines, j’ai reçu l’aimable invitation du recteur de l’Université de Montréal, Monseigneur Lussier, d’adresser la parole au dîner annuel

des Associés de l’Université, je n’ai pas hésité un seul moment à l’accepter. Le travail sessionnel, extrêmement intense au moment où je vous parle, aurait pu triompher, je vous l’avoue, de la tentation à laquelle j’ai très facilement cédés le plaisir de vous rencontrer le plus tôt possible.

J’avais vraiment hâte de prendre contact avec le groupe des Associés dont je sais le dynamisme et l’esprit d’initiative. L’idée de former autour de l’Université de Montréal un réseau d’amis, un réseau d’Associés, me paraît excellente et laisse espérer l’établissement de liens toujours plus étroits entre l’Université et la communauté qu’elle s’emploie à servir. Nul doute que les financiers, les industriels, les commerçants et les professionnels qui font partie des Associés pourront appuyer les administrateurs de l’Université et faire bénéficier ceux-ci de leur précieuse expérience. Je suis certain, d’autre part, que les administrateurs eux-mêmes ont été touchés de l’intérêt qu’ont manifesté autant d’hommes d’affaires envers l’Université en adhérant au groupe des Associés. Les relations de plus en plus nombreuses qui pourront se nouer entre ceux qui administrent l’Université et ceux qui, de l’extérieur, y consacrent une part importante de leur attention profiteront à l’institution elle-même d’abord et aussi à toute la population.

De fait, à une période de notre vie nationale et politique comme celle que nous vivons présentement et où il est tellement question d’éducation dans notre province, le chef du gouvernement ne peut qu’être réconforté de constater l’ampleur, du mouvement que vous avez provoqué. Elle est la preuve tangible que notre population, par son élite, comprend et accepte la responsabilité qu’elle doit assumer envers l’Université. Celle-ci, désormais, n’est plus en quelque sorte isolée, seule aux prises avec ses problèmes; elle est assurée de ce que j’appellerais une dimension communautaire de son entité. Si vous me permettez une comparaison, je dirai que, de même que le progrès matériel abolit les distances géographiques, de même la collaboration des Associés abolit les distances psychologiques qui risquent toujours d’exister entre ceux qui sont à l’intérieur de l’Université et ceux qui la regardent évoluer de l’extérieur. Si l’existence du groupe des Associés ne faisait qu’accroître, dans notre milieu et plus particulièrement dans le milieu que vous représentez, la compréhension de la vie universitaire et des préoccupations qu’elle entraîne chez ceux qui la suivent de près, je dirais qu’une grande partie de son but a été atteint. Mais je sais très bien qu’elle aboutira à beaucoup plus que cela et qu’elle provoquera à la longue, comme elle a déjà commencé à le faire, la généralisation, dans notre société, d’une inquiétude salutaire pour un niveau élevé de vie culturelle. Je souhaite de tout coeur que votre activité comme Associés de l’Université finisse par alerter l’ensemble de notre population au soutien actif des valeurs intellectuelles. Vous donnez en somme un exemple que tous ne peuvent évidemment imiter, mais dont tous peuvent s’inspirer.

[I wish now, to pay a special tribute to our Englishspeaking compatriote and to the representatives of other cultures who have consented to act as members of the Group of Associates and who thus show how highly they consider French culture in Canada and in America. I am very deeply touched by their presence here tonight, and by the support given to one of the greatest cultural institutions in French Canada. Their cooperation facilitates the protection of all the cultural

characteristics, not only of French Canada, but also of the entire Canadian nation which is our aim. For when French Canada manifesta the attachment it has always had toward its culture, it does not only seek the assurance of its survival, it is maintaining a Canada différent from the great American people to which it is bound by more than three thousand miles of frontier.

I hope this is not a narrow-minded attitude, it stems from the realization that the two cultures of our great nation are the best defence against the easy invasion of a culture which in many of its aspects is foreign to us.]

Je voudrais profiter de l’occasion que j’ai ce soir de vous adresser la parole pour revenir rapidement sur deux sujets dont l’importance me semble maintenant acquise, mais qui soulèvent quand même plusieurs commentaires. L’élément français du Canada peut, s’il le veut, devenir un important trait d’union entre les pays occidentaux et ceux qui appartiennent à ce que nous appelons le tiers-monde. Un grand nombre de ces pays sont d’expression française – je pense ici aux nouveaux États d’Afrique et d’Asie – et ils ont besoin de l’appui culturel et technique du Canada français. Tous ces nouveaux États ne partagent pas le même degré d’industrialisation et le même niveau de vie, mais tous, à cause de leur situation nouvelle et à cause de leur indépendance récente, sentent la nécessité de frôler les coudes des nations qui peuvent les comprendre. Il est indéniable que le Canada français appartient à ce groupe. Je suis d’ailleurs convaincu que les citoyens d’expression française de notre pays comprennent leur devoir et nourrissent une sympathie agissante à l’égard de ces nouveaux États.

C’est un peu pour cela que je suis heureux de l’initiative, née dans la province de Québec, de grouper les universités de langue française du monde entier. Comme vous le savez, ce projet suggéré par l’Union culturelle française prendra corps en septembre prochain. Grâce à ce qui en résultera, la culture du Québec profitera d’une résonance universelle qui ne pourra manquer de la fortifier et de l’enrichir. Les jeunes États de langue française, dont je parlais, pourront tirer parti de ce rapprochement entre les universités pour se sentir mieux intégrés à la culture des peuples d’expression française, à laquelle, d’ailleurs, leur apport futur pourra s’avérer très utile.

L’autre sujet dont je tiens à vous parler ce soir est également d’une très grande actualité. D’autres personnes que moi en ont souvent parlé dans les milieux universitaires et j’ai nettement conscience que ce que j’ai à vous dire n’est pas tellement nouveau pour vous qui vous intéressez de si près à l’éducation supérieure au Québec.

On demande souvent l’aide de l’État dans la poursuite, par des groupements privée, d’objectifs tout à fait recommandables. Ces groupements privés ont parfois fort raison d’espérer que l’État écoutera leurs demandes et qu’il accordera son concours à des entreprises bénévoles ou humanitaires socialement désirables. Cependant, si l’État est prêt à faire éventuellement sa large part, il estime qu’il appartient d’abord au secteur privé de faire tout en son pouvoir pour tirer le meilleur usage possible de ses propres ressources. Il croit, en somme que le secteur privé doit, avant de faire appel à l’État, montrer toute l’initiative dont il est capable dans la mise en action des moyens dont il peut disposer pour la solution de ses propres problèmes.

Je crois que l’on peut appliquer ce principe d’ordre général aux méthodes de financement des universités. Comme il est impossible actuellement de faire porter par les étudiants tout le coût de l’enseignement supérieur, il est indispensable que les universités trouvent ailleurs les fonds qui leur permettront de poursuivre leur travail. Dans le Québec, il me semble qu’il existe un appui financier qu’on n’a peut-être pas suffisamment, si vous me permettez l’expression, mis à contribution. Je pense ici à toutes nos maisons d’affaires canadiennes-françaises dont l’apport présent à notre société pourrait, sans trop de difficulté probablement, se doubler d’une sollicitude particulière envers nos institutions d’éducation. Je pense, de fait, qu’elles pourraient de plus en plus dans l’avenir faire beaucoup pour alléger le fardeau financier des universités. Certaines font déjà leur part, mais j’ai l’impression que leur nombre pourrait s’accroître. J’avoue que je me sens assez optimiste à ce propos ce soir, à cause justement de l’existence d’un groupe comme celui des Associés que je trouve très prometteur.

Mais cette sollicitude financière, si je peux dire, ne peut se limiter aux maisons d’affaires et aux entreprises commerciales. Il existe chez nous des personnes qui ont l’avantage de disposer d’une fortune assez considérable et qui, j’en suis presque convaincu, se demandent parfois avec quelle entreprise charitable ou philanthropique elles pourraient la partager. Les universités seraient sûrement heureuses de bénéficier des largesses de ces personnes qui participeraient ainsi, à leur façon, à la vie culturelle et éducative du Québec. La même remarque s’appliquerait à des fondations canadiennes-françaises qui encourageraient tel ou tel projet d’étude ou qui associeraient leur nom à l’expansion future de nos maisons d’enseignement supérieur.

[In the saure vein, I make a special appeal to our English ki fid idutilit buidfild speaking speangrens,nsrass,sness an proessona men, an I invite them to take an active interest, for example in our program of scientific research. Certain business establishments, certain English-speaking industrialists as well as affiliates of American companies, distribute scholarships to our students, American Foundation have financed research programs, notably social research’ in our Quebec universities. I hope that this gesture is but the

• beginning ci a sustained financial collaboration which will continue

and increase throughout the years. I would ses in this action on

their part a real desire to facilitate the tank that our universities

are willing to undertake in the economic and scientific progress of

• Canada as a whole.

Miss Virginia Gildersleeve, dean emeritus of Barnard College, in her autobiography entitled

« MANY A GOOD CRIISADE » recollects the celebration of the fiftieth anniversary of her college.

For me (she says) the most moving moment of the celebration came when a short telegram from an absent alumna was …. opened. « DON’T EVER DARE » read the message (…) « TO TAKE POUR COLLEGE AS A METTER OF COURSE, BECAUSE LIKE FREEDOM AND DEMOCRACY, MANY PEOPLE YOU WILL NEVER KNOW ANYTHING ABOUT HAVE BROKEN THEIR HEARTS TO GET IT FOR YOU. »]

Si j’ai dit que le secteur privé pouvait jouer un grand rôle dans le financement actuel et futur de nos universités, je ne veux quand même pas laisser l’impression que le gouvernement que je représente a l’intention de se désintéresser désormais des problèmes de l’enseignement supérieur au Québec. Bien au contraire, c’est parce qu’il s’y intéresse grandement qu’il désire, comme je viens de vous l’exprimer, voir une mobilisation générale des énergies pour la découverte de solutions adaptées aux besoins de notre époque. Le gouvernement se sentira épaulé s’il sait que d’autres que lui entretiennent les mêmes préoccupations envers notre vie universitaire.

Il n’aura pas l’impression, par sa législation à ce sujet, d’imposer à une population non alertée des solutions dont l’ampleur et la portée dépasseraient les désirs de la majorité.

Il y a un peu plus d’une semaine, j’assistais, ici même à Montréal, à l’ouverture de la Semaine de l’Éducation. Dans le discours que j’ai prononcé à cette occasion, j’ai essayé, entre autres choses, de définir comment se répartissaient entre les secteurs et les classes de notre société, les responsabilités nombreuses envers l’éducation. J’ai parlé du rôle des parents, de celui des éducateurs et de celui des associations de citoyens. Je me suis aussi arrêté assez longuement à préciser ce que le gouvernement du Québec considérait être sa tâche en matière d’éducation.

Cette tâche peut se résumer en trois mots: coordination, prévoyance et progrès. Par la coordination, le gouvernement veut, comme le terme l’indique, intégrer encore plus étroitement les pièces multiples de notre système d’éducation. Ces pièces ont été conçues parfois sous le coup de la découverte subite d’un besoin aigu non encore satisfait. On a souvent couru au plus pressé, sans toujours se soucier de voir comment les nouvelles initiatives se greffaient à l’ensemble de ce qui existait déjà. Il faut reconnaître qu’il est impérieux maintenant de faire le point et de savoir oh nous allons. L’Enquête Royale sur l’Éducation devrait à ce sujet nous fournir des lumières dont nous avons besoin et que ne pourraient dénigrer que ceux qui mettent la torche sous le boisseau, au lieu de profiter des vérités fécondes.

Cette enquête permettra aussi au gouvernement de poursuivre sa seconde tâche, celle de prévoyance, en lui révélant les besoins exacts

de notre société, les tendances démographiques de notre population et les lacunes du système actuel. Nous voulons en définitive adapter notre système aux exigences futures qu’entraînera la complexité grandissante de la vie en société.

La tâche de progrès, le gouvernement entend l’accomplir en même temps que les précédentes, mais aussi grâce à elles, car il existe entre celles-ci un lien indissoluble qu’aucun programme d’action ne peut négliger sous peine de faillite. Le progrès de notre système d’éducation, et notamment de nos institutions universitaires, est beaucoup plus qu’une question de financement. Elle est aussi une question de compétence et d’ouverture d’esprit. Mais pour que la compétence et l’ouverture d’esprit puissent se manifester, il importe que le facteur financier ne soit plus un obstacle, comme il l’a été trop longtemps.

Évidemment, les capacités financières de l’État ne sont pas infinies. Il y a bien d’autres programmes de législation, en particulier la législation sociale, qui nécessitent des dépenses considérables. Dans la limite de ses moyens, le gouvernement de la province demeure convaincu qu’il lui faut accomplir encore davantage. Il ne pourra peut-être pas le faire immédiatement de façon aussi intense qu’il le désirerait, mais il ne tentera pas, sous quelque prétexte que ce soit, de diminuer la part considérable de responsabilité qu’il se reconnaît en matière d’éducation. Il n’a pas l’intention, en cela, de remplacer ce que le secteur privé est en mesure d’accomplir; il vise seulement, comme gardien du bien commun.

En terminant, laissez-moi vous réitérer ma conviction profonde que les universités, celle de Montréal comme les autres, jouent un rôle de premier plan dans la formation des chefs, dans la fabrication d’élites, que c e soit dans le domaine de l’enseignement, dans le monde des affaires ou dans celui de la politique. Au Québec, ce rôle est capital à cause de la situation géographique et démographique de la province dans le contexte nord-américain et à cause de l’apport qu’on est justifié d’exiger de notre groupe ethnique dans la communauté canadienne.

À mon point de vue, les universités constituent la clef de voûte de tout notre système d’enseignement et c’est à ce titre qu’elles doivent faire l’objet des constantes préoccupations du gouvernement de la province, ainsi que de celles de tous les citoyens qui ont à coeur le progrès culturel de leur patrie.

[QLESG19610507]

[Congrès régional des Associations libérales féminines de la Mauricie

Trois-Rivières, le 7 mai 1961 Pour publication après 8h00 P.M. le 7 mai 1961, Hon. Jean Lesage, Premier ministre]

Je n’ai pas souvent l’habitude, pendant la session parlementaire, d’accepter les invitations – et elles sont nombreuses – qui me

sont faites d’adresser la parole à des groupements d’action politique. Cette règle de conduite n’est pas de l’indifférence pour ceux et celles qui militent si généreusement dans les rangs de notre parti. Bien au contraire, ils ont toute ma reconnaissance car je sais fort bien que, dans une très large part, la victoire du 22 juin dernier provient des efforts enthousiastes, quoique anonymes et désintéressés, de milliers de citoyens qui avaient à coeur le renouveau politique, économique et social de notre province.

Si je m’abstiens généralement pendant la session de faire ce qu’on appelle des « discours politiques », c’est pour une raison bien simple. Les tâches du Premier ministre sont tellement absorbantes qu’elles laissent peu de loisirs au chef du parti libéral. Croyez bien que je regrette cet état de choses. Mais voilà que soudain mon regret s’est transformé en une tentation de déroger à une règle qui me pesait et que cette tentation est devenue d’autant plus irrésistible que … les tentatrices, c’étaient vous: Or, comme disait quelqu’un:  » À quoi bon la tentation, si on n’y succombe pas: » Comme membres actives de la Fédération des Femmes Libérales du Québec, vous vous attendez peut-être à ce que je vous décrive le rôle de la femme en politique. Je ne sais pas si vous serez déçues mais ce n’est pas de cela que j’ai l’intention de vous parler. De fait, j’ai bien l’impression qu’avec tout ce que vous avez fait pour le parti libéral, vous savez aussi bien, sinon mieux que moi, l’importance essentielle de l’apport féminin dans l’action politique.

Je voudrais plutôt revenir ce soir sur un sujet auquel j’ai fréquemment fait allusion à la Chambre. Je ne vous cacherai pas que j’attendais l’occasion d’en faire le thème d’une causerie politique. Ce sujet, je pense qu’on pourrait l’appeler « la mythologie de l’Union Nationale ». Tous les partis, à un moment ou l’autre, font ce qu’on appelle de la propagande politique. En d’autres termes, tous les partis font de la publicité. Ils tentent par là de porter leurs oeuvres, leurs aspirations ou leurs projets à là connaissance des électeurs. C’est là une façon d’agir tout à fait normale, et on pourrait même s’étonner qu’un parti quelconque ne s’y conforme pas.

Cependant, dans le domaine de la propagande politique, comme dans celui de la publicité, il existe ce que l’on appelle l’éthique professionnelle. Certaines choses sont acceptables, d’autres le sont moins et enfin, il en est qui ne le sont pas du tout. Vous avez pu vous rendre compte, par exemple, que le parti libéral – qui fait de la propagande politique comme tous les autres groupements du genre s’en est toujours tenu en cette matière à la plus stricte dignité. Cela ne nous a pas empêchés de frapper durement lorsqu’il le fallait, ni de dévoiler des faits sur lesquels il importait de faire la lumière. Mais vous savez que nous n’avons jamais utilisé le préjugé, le mensonge ou la calomnie comme arme politique. Le peuple nous a jugés sur notre sincérité et non selon une image fausse de nous-mêmes que nous aurions fabriquée de toutes pièces.

On ne peut pas en dire autant des méthodes de nos adversaires. Je ne veux pas ici relever tout ce qui a été dit lors de la dernière campagne électorale contre nous ou contre notre programme. Je désire m’en tenir exclusivement à l’attitude prise par l’Union Nationale depuis le début de la présente session. Je crois que j’aurai amplement de matière pour exposer ce qui est devenu la « mythologie » de ce parti. Le cas de l’Union Nationale est tragico-bouffon. Quelques jours encore avant les élections générales, elle paraissait extrêmement puissante. Mais, comme Thomas Masaryk, fondateur et premier président de la république tchécoslovaque, le disait: [« Une dictature n’a jamais l’air aussi dangereusement puissante que dix minutes avant de s’écrouler. »] Par la démagogie, l’achat des consciences, le patronage et la caisse électorale, le régime que nous avons connu s’était fabriqué une armure qu’on pouvait croire redoutable, mais qui, de fait, ne tenait qu’à un seul boulon mangé par la rouilles la dictature. C’est ce boulon corrodé que nous avons pulvérisé le 22 juin et, depuis ce temps, le public assiste, un peu étonné, à l’effondrement vertigineux et au dégonflement massif du colosse aux pieds d’argile.

Les publicistes de l’Union Nationale ont souvent dit que leur parti n’était pas comme les autres. Je crois que c’est vrai et que nous en avons la preuve aujourd’hui. Dans n’importe quel parti, la défaite peut devenir une occasion salutaire de réviser certaines positions, de repenser un programme ou de restructurer l’organisation. Or, l’Union Nationale est totalement incapable de se livrer sincèrement à cet effort parce qu’elle n’a jamais eu d’autre idéal que celui qu’elle pouvait déposer dans sa caisse électorale! Pour donner le change, elle fait semblant de se chercher un programme qui ne peut être que faux, artificiel ou inconséquent et qu’elle n’a pas plus envie d’appliquer que celui de 1936 qui avait séduit tant de nationalistes sincères vite désabusés. Elle n’a pas d’autre pensée politique véritable, je dirais même « de raison d’être », que le culte de l’immobilisme. Tout comme l’hypocrisie, selon La Rochefoucauld, [« est un hommage que le vice rend à la vertu »,] le faux programme que se cherche l’Union Nationale est un hommage envieux qu’il rend au programme du parti libéral.

Ce n’est pas une défaite qu’a subie l’Union Nationale, c’est une débandade, un étalage indécent de son vide intérieur. Rapidement, elle s’enfonce dans l’histoire du passé. Elle est périmée. Démantelée sur la place publique, elle ressemble à ces vieilles machineries abandonnées, rongées par la rouille et dans lesquelles vont s’amuser les enfants, au grand désespoir de leurs mères qui voudraient les garder aussi propres que possible.

Pourtant, elle fait du bruit. Vous entendez ses porte-parole à la Chambre. Dans leur haine de toute législation sociale, ils parlent tellement qu’ils retardent le travail sérieux de la session. Mais ils ne disent rien et ils ne remplissent même pas leur rôle de membres de l’Opposition. Comme je vous le dirai tout à l’heure, ils pérorent pour s’épater mutuellement et faire, monter leurs parts respectives dans le but que vous devinez. Jamais, ils n’ont prouvé aussi clairement combien leur chef et fondateur avait raison lorsqu’il disait d’eux avec un mépris qu’il ne cachait même pas devant des témoins libéraux: [Sans moi, ils ne seraient rien.] Il ne croyait pas si bien dire!

Pour se donner l’illusion de survivre et pour prolonger son agonie, l’Union Nationale utilise ce qui lui semble être sa dernière ressources elle invente des mythes qui trouvent leur écho, non pas auprès du public qui a autre chose à faire que d’écouter des sornettes, mais dans les colonnes malpropres de certaines feuilles de chou qui ont érigé la calomnie en principe et le mensonge en système.

Parmi les outils modernes que le parti libéral ne craint pas d’utiliser, il y a l’enquête en profondeur qui permet de prendre avec certitude le pouls de l’opinion publique. Grâce à des méthodes d’une surprenante efficacité qui expliquent ma confiance inébranlable d’avant le 22 juin, on peut savoir avec précision l’effet qu’a produit tel ou tel avancé. Or, le mythe, par exemple, du gauchisme, jusqu’à quel point est-il pris au sérieux par la population? D’après une enquête scientifique, je dois admettre que le pourcentage est plus élevé que je ne le pensais il est de deux %. Comme l’Union Nationale a pris; le 22 juin, 46% du vote, il faut en conclure avec amusement que 44% des électeurs de l’Union Nationale ne croient pas eux-mêmes aux bobards de leur parti! Mais alors, me direz-vous, pourquoi parler de mensonges que 98% des électeurs n’ont pas gobés? Pour la raison bien simple que si les députés de l’Union Nationale sont assez complaisants pour prêter le flanc au ridicule, nous aurions bien tort de ne pas nous payer une pinte de bon sang à leurs dépens. Puisqu’ils veulent faire des pitreries, nous aurions mauvaise grâce de ne pas nous en amuser. Après seize ans de tragédie, la province a droit à une détente comique. Même quand les munitions ratent la cible, elles nous en révèlent long sur l’intelligence et l’honnêteté de ceux qui les utilisent. Et sur l’honnêteté intellectuelle de l’Union Nationale, rappelons cette constatation troublante que ce parti se complaît tellement dans le mensonge, qu’il déteste tellement la vérité, que le jour où son chef, dans un sursaut d’honnêteté ou une crise de nausée, a voulu la dire, il a été forcé de remettre sa démission.

J’ai donc pensé qu’il serait divertissant de passer en revue quelques bobards classiques de l’Union Nationale. D’abord, il y a celui déjà cité du gauchisme. À en croire ceux qui se

servent de cet épouvantail à corneilles, l’avènement au pouvoir d’un gouvernement libéral aurait, mystérieusement et à l’insu de tous, donné le contrôle occulte de la province à une cinquième colonne quelconque relevant directement du Kremlin. Vous vous rendez compte facilement du caractère hautement ridicule d’une telle prétention. Si je ne connaissais pas ceux qui tentent de propager des idées aussi fantaisistes, je croirais qu’elles ont germé dans l’esprit délirant de quelque lunatique. Seulement, je les connais et je regrette d’avoir à dire qu’ils n’ont pas l’excuse d’être des lunatiques. Bien au contraire, il faut leur concéder un certain type d’intelligence à base de ruse, et c’est justement ce qui rend leurs inventions aussi odieuses. Ils savent fort bien l’étendue du mal qu’ils essaient de faire et, ce qui est encore pire, ils ne croient pas, de leur aveu même, le premier mot des bêtises qu’ils débitent automatiquement comme par un réflexe conditionné. Ce qui est affreusement grave et tout à fait révélateur de leur fierté patriotique, c’est la piètre opinion en laquelle ils tiennent l’intelligence du peuple pour lui servir une nourriture aussi insultante. Mais l’électeur n’est pas la dupe qu’ils espèrent et, surtout, n’est pas aussi naïf qu’ont l’air de se l’imaginer ceux qui essaient de lui faire peur. Mais le mythe du gauchisme en englobe beaucoup d’autres de même nature. Je pense aux gens qui de bonne foi craignent le socialisme et auxquels on a fait croire que tout effort de planification, que ce soit dans la mise en valeur de nos richesses ou dans l’administration, est un pas vers l’étatisme. On essaie de convaincre ces personnes que l’immobilisme est la garantie même du maintien de la liberté et qu’il vaut mieux ne rien changer à ce qui existe parce que, dit-on, toute évolution est dangereuse. Or, le parti libéral croit au contraire que le progrès social et économique, donc le mouvement, est la meilleure façon de promouvoir le bien-être commun. C’est pour cela qu’au cours de la dernière campagne électorale nous disions : « C’est le temps que ça change ». Déjà nous avons donné des preuves que nous étions fidèles à notre slogan. Il y a bien des choses de changées dans le Québec depuis le 22 juin dernier et il reste encore énormément à faire. Le peuple le sait et nous le savons aussi. Nous n’avons pas l’intention de nous arrêter à mi-chemin. D’ailleurs, nous n’en sommes même pas à mi-chemin; nous venons à peine de débuter. Cependant, il y a des gens à qui notre volonté de progrès déplaît. Où ils ont à sauvegarder des intérêts personnels opposés. à ceux de la province, ou ils se rendent compte, à leur grand désarroi, que nous sommes en train d’accomplir des réformes dont la population du Québec nous sera reconnaissante parce qu’elle-même les souhaitait depuis longtemps. Ils veulent nous mettre des bâtons dans les roues en soulevant des mythes poussiéreux et en essayant, bien vainement, de convaincre le peuple que le progrès est dangereux et que le salut réside dans la momification à laquelle l’Union Nationale a essayé de contraindre la province pendant trop d’années. Les bâtons qu’ils mettent dans nos roues ont à peu près la force d’une allumette car ils n’ont nullement ralenti le rythme que le gouvernement libéral a décidé d’adopter. Mais je suppose que, réduite à se contenter des satisfactions les plus puériles, l’Union Nationale considère comme une victoire d’avoir pu, par son obstruction systématique, retarder de quelques jours l’adoption d’une loi sociale.

Toujours dans le même ordre d’idées, les mêmes fabricants d’illusions prétendent que le parti libéral menace nos institutions les plus chères, comme l’Église, l’école confessionnelle et la famille. En toute sincérité, je dois vous dire que j’ignore absolument à partir de quoi on a pu inventer de pareilles sottises. Quand on dit que nous formons un gouvernement gauchiste, je comprends que c’est parce que le parti libéral est plus à gauche que l’Union Nationale. Cela, je l’admets avec fierté, car l’Union Nationale représente le conservatisme dans sa forme la plus arriérée et la plus stagnante. C’est une eau dormante, et vous connaissez le proverbe au sujet de l’eau qui dort. Il n’est donc pas difficile d’être à gauche de ce qui fut un monument fossile élevé à la préhistoire de l’économie et de la sociologie. En fait, il est impossible d’être ailleurs qu’à la gauche de l’Union Nationale. À sa droite, c’est le néant, et à sa place même, c’est le cloaque: Quand on dit que nous avons des tendances socialistes, je peux encore comprendre en traduisant le mot « socialistes » par le mot « sociales », car nous n’avons pas peur d’affirmer que l’État, dans la situation actuelle et à cause de la position du Canada français comme minorité culturelle, doit jouer le rôle qui lui revient.

Cependant, quand on dit que notre parti menace nos institutions, vraiment je ne peux m’empêcher de penser que nous sommes témoins des manifestations délirantes d’un groupe d’illuminés. Mais, il arrive que ceux qui affirment de telles énormités savent qu’ils inventent leurs accusations, qu’ils se livrent en somme à la calomnie et qu’ils sont obligés d’avoir recours à des méthodes aussi honteuses parce que leurs autres mythes leur ont éclaté en pleine figure.

Vous noterez d’ailleurs que l’accusation que je viens de relever est la plus récente. Je ne dis pas qu’on ne nous calomniait pas ainsi avant; je dis que ce n’est que tout dernièrement qu’on s’est mis à exploiter aussi ouvertement les sentiments profonds du peuple québécois en matière religieuse ou familiale pour des fins tellement mesquines que toute la province en est révoltée. S’il faut juger l’arbre à ses fruits, le Québec doit se sentir heureux aujourd’hui d’avoir mis un terme au règne des mystificateurs de l’Union Nationale.

On nous accuse de menacer l’Église, l’école confessionnelle et la famille. Je ne parle même

pas du danger imaginaire que nous représentons pour l’Église et la famille d’après certains fumistes; la calomnie est trop grossière pour que je perde mon temps à la relever. J’aurais fait subir le même sort à l’autre calomnie sur l’école confessionnelle si, au cours des dernières semaines, on n’avait pas mis en oeuvre une odieuse technique qui, fort heureusement, a lamentablement échoué. Vous vous souvenez des centaines de lettres que j’ai reçues de la part d’écoliers qui me demandaient, à peu près tous dans les mêmes termes, de conserver l’enseignement religieux dans les écoles. Chose étrange, toutes ces lettres venaient de la même région. Je veux bien n’y voir qu’une simple coïncidence. Je veux bien ne pas y déceler une relation de cause à effet entre certaines déclarations emportées et sciemment trompeuses du plus mythomane de nos adversaires et l’influence néfaste qu’il a pu avoir sur l’esprit de certains de ses électeurs. Je ne sais pas, mais l’opinion, publique croit que, tout comme « l’affaire des faux billets », ce viol de la conscience et de l’idéalisme naturel des enfants a éclaté dans le « vrai visage de l’Union Nationale ».

Quoi qu’il en soit, il faut vraiment être rendu au bout de son rouleau pour, utiliser des calomnies apparentées à celles que les régimes totalitaires les plus pervertis ont lancées pour accéder ou pour se cramponner au pouvoir.

Entre nous, quel danger peut bien courir l’école confessionnelle depuis que les libéraux sont au pouvoir? Vous connaissez mes opinions à ce sujet. Nos plus hautes autorités religieuses sont les premières à admettre comme nous que notre système d’éducation a besoin d’être amélioré. Cela veut-il dire que nous allons le détruire? Il n’en a jamais été question! Si nous voulons l’améliorer, c’est pour le rendre plus fort, pour lui permettre de faire face aux immenses tâches patriotiques qui l’attendent. Lorsqu’un chirurgien entreprend d’opérer un malade, c’est pour le remettre à la santé et non le tuer. Faudrait-il condamner les opérations chirurgicales parce qu’elles sont parfois douloureuses?

Je sais bien qu’il existe des personnes timorées qui aiment mieux tolérer un mal parce qu’elles le connaissent, parce qu’elles sont familières avec lui, plutôt que d’entreprendre les réformes que l’évolution historique réclame. Ces personnes ont peur; elles sont demeurées en panne le long de l’Histoire et craignent d’être remorquées dans notre ère parce qu’elle comporte des problèmes dont leur esprit se refuse à reconnaître l’existence ou dont, tout au moins, la solution le dépasse. Ils prennent leur peur pour de la prudence, leur impuissance pour de la sagesse. Leurs porte-parole se sont manifestés à plusieurs reprises au cours de la présente session. Chaque fois que nous esquissions une réforme, il fallait les voir surgir, bardés de sophismes, et refusant de constater les faits regrettables et les abus que nous avions entrepris de corriger. Je ne dirai pas que ces personnes presque toujours les mêmes étaient toutes de mauvaise foi, mais j’ai nettement l’impression que leur conservatisme agressif était stimulé par certains honorables mythomanes moins sincères qu’elles.

Un ancien ministre, deuxième ténor de la troupe d’opéra comique de l’Union Nationale, et qui a pour cheval de bataille l’air dans LAKME, « Fantaisie, ô divin mensonge », a même fait, il y a quelques semaines, la déclaration suivante. Il s’étonnait de voir combien, depuis le 22 juin, la province était envahie d’idées nouvelles, peu orthodoxes et pernicieuses, qui n’avaient pas cours sous l’administration de l’Union Nationale. Il en concluait que la victoire de notre parti avait en quelque sorte livré le Québec aux propagandistes de l’anticléricalisme, du laïcisme et du socialisme marxiste. Un peu plus, il nous aurait accusés de favoriser les témoins de Jéhovah, les francs-maçons ou Dieu sait qui, au détriment des catholiques et des Canadiens français. Ces accusations sans preuves prouvent malgré tout une chose: c’est que, pour le culot, l’Union Nationale demeure championne: Si l’on imposait une taxe sur le culot, l’Union Nationale pourrait, à elle seule, faire vivre la province!

Qu’il y ait des idées nouvelles dans le Québec depuis le 22 juin, d’accord! Le programme de notre parti est fondé justement sur des idées nouvelles et nous avons commencé à les mettre en application. S’il y a eu aussi des manifestations nouvelles de laïcisme, il n’y a par contre aucun lien entre elles et la victoire de notre parti. Il me semble, de fait, que les gens qui émettent maintenant ces idées, ne le font pas pour la première fois. Il y a plusieurs années qu’un lécheur de bottes de l’Union Nationale a commencé à semer les germes de la mythologie actuelle de ce parti en parlant de ce qu’il appelait « l’infiltration gauchiste au Canada français ».

Cependant, ce qui me frappe dans la déclaration de l’ex-ministre dont je parlais, c’est l’aveu implicite qu’il fait du climat de liberté intellectuelle et du soulagement éprouvé par tant de citoyens depuis la victoire libérale. Il craint en somme que l’abolition de la dictature virtuelle qu’était l’Union Nationale n’entraîne un foisonnement d’idées susceptibles de miner à la base les dogmes réactionnaires d’une époque révolue. Monsieur le second ténor, vous l’avez reconnu aux couacs qu’il fait dans un rôle trop élevé pour lui, monsieur le second ténor ferait bien de prendre le deuil; l’époque de la bêtise érigée en système, l’époque ou les plus sérieux problèmes de notre société faisaient tout au plus, de la part du Grand Chef l’objet d’un calembour usé tiré de l’Almanach Vermot, cette époque, dis-je, est bel et bien finie; le Québec ne sera jamais plus une nation sous cloche. Nous croyons que notre population est assez adulte pour se conduire sans oeillères. Si certains esprits sectaires profitent des circonstances pour énoncer leurs idées, c’est bien regrettable. Mais, nous ne croyons pas que pour empêcher cinquante personnes de se complaire dans des opinions auxquelles le peuple n’apporte d’ailleurs aucune attention, il faille restreindre la liberté de penser de 5000000 de citoyens. Du reste, il y a longtemps que l’on ne parlerait plus de nos laïcisants si certains pharisiens politiques ne leur avaient donné de l’importance en poussant des cris effarouchés.

Madame la Présidente, Mesdames et chères amies, je pourrais continuer encore longtemps. Mais, comme c’est le cas pour les contes de fées, tous les mythes se ressemblent. J’en laisse donc de côté, car ils ne sont que des variantes de ceux auxquels je me suis arrêté.

Je ne m’attends pas non plus à ce qu’on en invente de nouveaux puisque l’Union Nationale est devenue un parti politique intellectuellement desséché. Elle a perdu tout pouvoir créateur et il lui reste tellement peu d’idées qu’elle base toute son argumentation contre nous et nos oeuvres sur des distorsions d’une réalité qu’elle perçoit à travers l’esprit brumeux de ses fabricants de mythes. D’une certaine façon, le gouvernement libéral regrette de ne pas avoir en face de lui une Opposition réelle et constructive, car nous ne prétendons pas à l’infaillibilité et nous acceptons de prendre conseil. Une Législature pourrait être comparée à une paire de ciseaux. Une lame ne peut bien couper que si elle en rencontre une autre qui lui fait opposition. Mais si la seconde est ébréchée ou si elle est tordue, elle ne permet pas à la première de fonctionner comme il se devrait dans des circonstances idéales pour l’intérêt public. À moins que je me trompe, le rôle d’une Opposition doit être de surveiller les agissements du gouvernement et de prendre les intérêts du peuple. Actuellement, l’Union Nationale ne considère que ce qu’elle croit être les intérêts de son parti.

Et c’est là qu’elle se trompe. Car si le peuple a voté contre l’Union Nationale, c’est précisément parce qu’il en avait assez d’un gouvernement qui n’était motivé que par les intérêts d’un parti et qui avait perdu tout sens du bien commun. Même à l’intérieur du parti, l’intérêt particulier prime les intérêts généraux. Qu’a fait l’Opposition depuis le début de la session? Elle nous a donné le spectacle d’un duel de deux aspirants chefs avec tout le cabotinage que cela implique.

Il est à la fois pathétique et amusant de voir les expressions navrées des simples soldats de l’Opposition qui ne peuvent entretenir l’espoir de devenir chefs. Ils assistent, avec un enthousiasme de conscrits, c’est-à-dire la mort dans l’âme, à des discours aussi nus que leur programme et aux manoeuvres infantiles des deux principaux candidats qui cherchent à les impressionner.

Il était particulièrement cocasse, lorsque le Chef de l’Opposition a répondu au discours du budget, de le voir tourner le dos au Président de l’Assemblée législative avec une constance qui devenait un manquement sérieux au protocole parlementaire. Et ce n’était pas pour s’adresser à la droite. Non, c’était pour quêter des approbations sur les propres banquettes de l’Opposition. C’était la tentative d’un homme qui veut s’accrocher au rôle qui excite l’appétit du second ténor, c’était un discours non pas à l’Assemblée législative, mais un discours de congrès.

Et tout ce mal pour rien! Avec son passé, L’Union Nationale n’a pas d’avenir. Pas un seul, soyez-en sûres, mesdames, pas un seul député de l’Opposition actuelle ne siégera à droite. Si jamais l’Union Nationale reprend le pouvoir, ce sera parce qu’une nouvelle génération, lasse d’avoir été si longtemps sa dupe, aura signifié leur congé à ceux qui se son t crus propriétaires de leur parti. Non, pas un seul député actuel de l’Union Nationale ne se retrouvera au pouvoir car ce parti est totalement discrédité aux yeux du public et il a entièrement perdu la confiance des citoyens du Québec. Il est devenu le symbole de la corruption et du patronage. Il s’est écroulé avec fracas sous le poids de ses propres scandales, et le citoyen moyen est ahuri de découvrir l’étendue de son immoralisme politique.

Dans sa réponse au discours du budget, le Chef de l’Opposition a cherché une citation qui pourrait nous fustiger dans notre politique financière. Incapable d’en trouver, il a dit: [« Je parodierai une phrase de Pagnol pour dire au gouvernements « Le crédit, c’est comme les allumettes; ça ne sert qu’une fois ».]

Eh bien, nous, pour parler de l’Union Nationale, nous n’avons pas besoin de transformer les citations et de forcer leur sens. Nous n’avons qu’à rétablir textuellement le conseil que donne César à son fils Marius, conseil qui rappelle le destin de l’Union Nationale: l’honneur, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois!

En plus d’être déshonorés, l’Union Nationale est déracinée et décapitée. Elle a perdu toute attache avec le peuple et essaie bien en vain de renouer le contact en évoquant des croquemitaines. Malgré tout le bruit qu’elle tente encore de faire, l’Union Nationale est une « faiblesse qui s’ignore ». Lorsqu’un navire coule, il provoque toujours un remous: c’est ce qui arrive à ce triste parti aujourd’hui. C’est pourquoi il ne faudrait pas se méprendre et croire que le vacarme dont il s’entoure est un indice de vitalité. Fidèle à sa technique de l’illusion massive, l’Union Nationale veut donner l’impression qu’elle est présente. Mais les moyens qu’elle prend pour le faire démontrent jusqu’à quel point sa cause est désespérée.

Enfin, l’Union Nationale est désorientée. De fait, elle est prise dans un terrible dilemme car elle est hantée par les fantômes contradictoires, les fantômes rivaux de son fondateur et de celui qui lui a succédé. Quelle voie prendra-t-elle si par hasard elle survit, ce qui serait étonnant, à son premier congrès? Et, soit dit en passant, puisqu’un congrès est une bonne chose, pourquoi n’en avait-elle pas avant? Ou bien elle s’enfoncera dans un duplessisme réactionnaire, moyenâgeux et discrédité; ou bien elle adoptera le conservatisme moins obtus de son successeur et, par le fait même, reniera son passé.

Du reste, quelle chance le conservatisme traditionnel aurait-il? Rappelons-nous que c’est l’état désespéré du conservatisme, son impasse définitive, qui a fait recourir en 1935 à la formule « Union Nationale ». Quelle chance aura ce parti en redevenant conservateur? À peu près la même que celle que connaîtra aux prochaines élections fédérales le parti qui veut étrangler l’essor économique et social de notre province par ses dernières inventions vexatoires en matière de fiscalité.

D’une part, donc, la déstalinisation de l’Union Nationale est trop avancée pour qu’elle s’imagine pouvoir recourir avec quelque succès au duplessisme; et, d’autre part, il y a encore trop de traces de duplessisme dans ses méthodes pour qu’elle puisse se sauver avant le dernier soupir, par une confession « in extremis ». En somme, l’Union Nationale est un peu comme un voyageur exténué qui se trouve soudainement à une bifurcation; il veut prendre la route la moins ardue, mais il, ignore qu’au bout de l’une ou de l’autre des routes qu’il peut choisir il y a un précipice.

Quand on veut dire que quelqu’un doit s’attendre à rencontrer des difficultés, on dit souvent « que son avenir n’est pas rose ». Dans le cas de l’Union Nationale, je ne peux même pas me servir de cette expression, car ce parti n’a plus d’avenir. Ses membres, ce sont quarante députés, quarante veuves demeurées inconsolables de la disparition de leur chef, et quant à son chef présent, il est comme certains horaires, « sujet à changement sans avis préalable »; son programme inavoué, c’est l’immobilisme.

Le parti libéral a déjà éprouvé des difficultés dans le passé, mais il ne s’agissait que de revers temporaires de fortune. Nos épreuves ne dépendaient pas de contradictions internes, de conflits mentaux ou d’une névrose politique, mais d’un climat que nous n’avons pas créé et qu’il fallait combattre avec patience et acharnement. Nous avons finalement résolu nos problèmes et nous sommes sortis de l’épreuve plus forts que jamais. Mais l’épreuve actuelle de l’Union Nationale lui sera fatale, car elle n’a plus d’épine dorsale. Elle n’a aucune pensée politique à laquelle elle pourrait s’agripper. Elle vivait lorsque le pouvoir la nourrissait, mais maintenant que le pouvoir ne lui permet plus de saigner le peuple, elle tombera d’inanition.

La déconfiture de l’Union Nationale conserve une certaine grandeur historique, si je peux dire. Jamais en effet, à ma connaissance, une formation politique s’est effondrée de façon aussi spectaculaire. À une fausse impression de puissance a succédé une certitude de néant. Un peu comme dans le cas d’une ville atomisée, il n’en reste que des vestiges croulants. L’Union

Nationale appartient désormais à l’Histoire du Passé. Elle se survit péniblement et la seule consolation qui lui reste, c’est qu’elle peut, dans un moment de lucidité, se payer le luxe d’inviter le peuple à assister à son enterrement;

Je m’excuse du « libers » un peu trop long que je vous ai chanté, ce soir, mais au lieu de suivre l’Union Nationale jusqu’au cimetière, il faut se rappeler la phrase de l’Évangile: « Laissons les morts ensevelir les morts ». Rappelons-nous que le monde appartient aux vivants et que, de tous les partis au service de notre peuple, aucun n’est plus vivant que le parti libéral. Celui qui n’avance pas, recule. Aussi éloigné du socialisme que d’un conservatisme antédiluvien, le libéralisme s’adapte au monde moderne.

Dans l’industrie, il faut que le propriétaire, au lieu de bouder le progrès, marche avec lui et se procure, si besoin en est, les instruments les plus perfectionnés et les services des spécialistes les plus qualifiés.

Il en est de même dans la vie d’une nation. Pour marcher avec son époque, un peuple doit savoir tourner pour toujours le dos aux impotents de la politique. Il doit confier ses destinées à un parti qui, comme le nôtre, possède un nom et un programme évoquant de plus en plus irrésistiblement l’idée de liberté, de souplesse, de générosité, de progrès social et de patriotisme agissant, au lieu de se créer des mythes qui feraient un jour sa honte.

[QLESG19610513]

[Corporation des Maîtres-Electriciens de la province de Québec

Congrès – Château Frontenac – 13 mai 1961

Pour publication après 7930 hres

Hon Jean Lesage Premier Ministre le 13 mai 1961]

Même si je suis un profane en ce domaine, j’aurais pu cependant vous entretenir des progrès et des perspectives de l’industrie hydroélectrique de la province. Cela, à mon avis, aurait été un excellent sujet, mais il comportait un risque; en effet, il nous aurait presque inévitablement conduits, vous et moi, dans une jungle statistique où il est assez peu recommandable de s’aventurer après un trop copieux banquet. C’est un risque soporifique que je me refuse à courir comme conférencier!

J’ai plutôt voulu profiter de l’occasion que vous m’offriez pour revenir sur l’un des plus importants sujets de l’heure. Ce sujet, auquel, il me semble, vous ne pouvez demeurer indifférent puisqu’il concerne l’électricité de près, c’est l’exploitation des richesses naturelles du Québec. Laissez-moi d’abord vous dire que j’ai été très touché de l’invitation que vous m’avez faîte de prendre la parole au banquet de clôture de votre Congrès annuel. Il m’a fait grand plaisir de l’accepter bien que, dans la mesure du possible, je m’efforce actuellement de conserver tout le temps dont je peux disposer aux travaux de la session en

cours.

Quand vous m’avez demandé de vous rencontrer, j’ai bien l’impression que vous ne vous attendiez pas à ce que je vous fasse une conférence sur les bienfaits de l’électricité. Malgré l’expérience et les connaissances que j’ai acquises dans ce domaine au cours de ma vie politique, je ne saurais atteindre le niveau de votre Président.

Vous n’êtes pas sans savoir que, dans son programme d’action, le gouvernement que je dirige accorde une très grande importance à la façon dont devraient être exploitées les immenses richesses naturelles de la province. Voua n’êtes pas non plus sans savoir que, depuis qu’il a accédé au pouvoir, lé gouvernement s’efforce de suivre ce programme à la lettre. On nous a même reproché, dans certains milieux, de trop le respecter et d’avoir fait imprimer comme Discours du Trône le programme de notre parti. Je n’ai pas besoin de vous dire que ceux qui raisonnent ainsi ont souvent des raisons bien précises de désirer que certaines réformes que nous nous sommes engagés à réaliser ne le soient pas trop rapidement. Ces personnes s’imaginaient que le programme détaillé que nous avions présenté à la population avant notre arrivée au pouvoir avait surtout un but électoral et qu’il était, de ce fait, condamné à moisir dans les tiroirs de l’administration provinciale.

Mais la population sait maintenant à quoi s’en tenir. Elle sait que notre programme d’action en est véritablement un et qu’il n’a rien de commun avec la propagande électorale ordinaire. L’attitude que nous avons adoptée à l’égard de l’ensemble de ce que nous avions promis de faire, nous sommes fermement décidés à la prendre dans le domaine particulier des richesses naturelles. De fait, comme je vous le montrerai tout à l’heure, nous avons déjà commencé à traduire dans les faits les principes d’action qui nous guident en cette matière.

Le premier de ces principes peut s’énoncer assez banalement comme suit pour nous, les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. J’avoue qu’en lui-même, à première vue, ce principe peut sembler ne pas vouloir dire grand chose. Je suis même le premier à reconnaître qu’on peut facilement en faire une phrase creuse et sans portée. Pour arriver à ce résultat, on n’a qu’à le répéter souvent, à tort et à travers, sans jamais s’arrêter aux lourdes conséquences qu’il peut entraîner. En agissant ainsi on n’avancerait pas plus, dans l’ordre des réalisations concrètes, que celui qui, au lieu de se conduire selon les règles de la morale, se contenterait d’affirmer qu’il faut faire le bien et éviter le mal! On en resterait dans l’ordre des grands principes généraux sans jamais les appliquer aux réalités qui nous entourent. Ce qui démontre combien il demeure facile de sa gargariser de mots lorsque, pour toutes sortes de raisons, on ne veut pas ou on ne peut pas passer à l’action, parce que l’interdiction vient d’une puissance occulte qui se manifeste dans un parti.

C’est pourquoi, ce soir, je pense que j’aurais pu vous présenter une conférence qui aurait exclusivement porté sur une élaboration de ce grand principe. J’aurais pu vous prouver, en citant tel ou tel auteur ou en analysant telle ou telle donnée historique, que les citoyens du Québec sont vraiment les propriétaires des richesses naturelles de la province. Mais à quoi cela aurait-il servi? Plus précisément, comment auriez-vous pu, à partir des déclarations contenues dans ma conférence, vous faire une idée précise des intentions réelles du gouvernement? Comment auriez-vous pu savoir si le gouvernement entendait effectivement mettre en pratique un si beau principe? Je pense que vous n’y seriez pas arrivés parce que l’avantage des grandes déclarations générales est justement de laisser dans un arrière-plan obscur et indéterminé les projets qu’on n’aime pas annoncer ou, surtout, l’inaction qu’on ne veut pas avouer.

Or, ce soir, je veux précisément quitter le terrain de tout repos que pourrait m’offrir la simple élaboration du premier principe que je viens de mentionner. Je désire au contraire en explorer les conséquences et voir avec vous jusqu’où il peut nous conduire en pratique.

Il existe deux corollaires à la proposition selon laquelle les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. C’est lorsqu’on les énonce qu’on commence à percevoir les conséquences lointaines d’un point de départ d’apparence anodine.

Le premier de ces corollaires est que les richesses naturelles de la province doivent, d’abord et avant tout, être exploitées au bénéfice de ses citoyens. En effet, puisque nous avons reconnu qu’ils en sont les propriétaires, il est naturel et logique que ce soit eux qui tirent le plus d’avantage de leur exploitation. Or, dans le Québec, actuellement, cette exigence n’est que partiellement satisfaite. La population retire certains avantages de l’exploitation des richesses de notre sol et de notre sous-sol, mais le gouvernement estime que ceux-ci sont nettement insuffisants.

Il y a trois raisons à cela. D’abord, dans une très large mesure, le Québec est encore sous-développé. Je veux dire par là que nous possédons collectivement d’immenses richesses dont nous ne connaissons pas toute l’étendue ou auxquelles nous n’avons pas encore accès. Le Québec est en quelque sorte un large réservoir de ressources minières et de pouvoir hydroélectrique auquel nous venons à peine de commencer à puiser.

D’ailleurs, quand je dis que « nous » commençons seulement à exploiter nos ressources, j’utilise un pronom qui n’est pas tout à fait exact. Car, et c’est là la seconde raison pour laquelle le gouvernement juge insuffisants les avantages que la population du Québec retire de ses richesses naturelles, ce sont presque invariablement d’autres intérêts que les nôtres qui mettent présentement en valeur les richesses dont le Québec est si généreusement doté.

Ces deux facteurs – le sous-développement relatif de la province et l’insuffisance de capitaux québécois dans l’exploitation de nos propres ressources – se compliquent de la présence d’un troisième qui, lui, peut-être plus que les autres, établit que l’exploitation de nos richesses naturelles ne se fait pas à l’heure actuelle d’abord et avant tout au bénéfice de la population du Québec. Ce facteur, si je peux l’exprimer ainsi, c’est la non transformation dans la province même des matières premières qu’on y extrait. Présentement nous exportons ces matières premières, mais l’opération la plus rentable du point de vue de la population, c’est-à-dire la transformation de ces matières premières en produits finis, se fait en grande partie à l’extérieur de la province. On peut presque dire que nous sommes trop souvent les témoins passifs du travail que font les autres sur des richesses qui constituent pourtant notre héritage propre. Je sais bien qu’il se trouve quantité de raisons économiques et historiques pour expliquer cet état de choses et il me serait facile de vous en citer plusieurs. Il existe aussi certaines raisons d’ordre politique sur lesquelles on me permettra de ne pas insister. Toutefois, je ne crois pas que cette situation soit pour autant justifiée, surtout à une époque où tellement de nations deviennent conscientes du danger que représente pour leur indépendance la mainmise des autres sur leur économie.

Même si le phénomène qui existe dans le Québec peut se retrouver à l’échelle du Canada tout entier, je pense qu’il commence à être temps que, de notre côté, nous réagissions. Je puis vous assurer que le gouvernement est très conscient de tous ces problèmes et surtout qu’il se propose de faire tout en son pouvoir pour les résoudre. Il a d’ailleurs déjà commencé. Si vous le voulez bien, je me permettrai de passer rapidement en revue quelques-unes des mesures qu’il a jugé bon d’adopter et qui, je crois, nous mettent carrément sur la voie dans ce que nous nous étions engagés d’accomplir.

Le gouvernement a permis, en février dernier, le jalonnement de claims miniers sur tout le territoire du Nouveau-Québec. À première vue, cette décision n’a rien de tellement impressionnant puisqu’elle découle tout bonnement des exigences de la Loi des mines votée depuis longtemps. De fait, cependant, elle inaugure un régime nouveau puisqu’on sait que depuis 1955 le territoire entier du Nouveau-Québec était soustrait au piquetage pour toute entreprise ou toute compagnie autre que celles qui s’y livraient déjà. En somme, le monopole virtuel de la prospection minière est désormais brisé et chaque citoyen du Québec peut maintenant s’intéresser activement aux immenses richesses de notre sous-sol.

Une autre mesure, prise il y a un peu plus d’un mois, concerne la procédure à suivre pour l’obtention des permis de recherche minière. Je tiens à vous faire remarquer qu’elle ne s’appliquait qu’aux compagnies incorporées en

vertu des lois de la province de Québec. Celles-ci ont été invitées par le ministère des Richesses naturelles à déposer des soumissions par voie d’enchères publiques pour le droit d’effectuer des recherches sur des terrains situés dans le territoire du Nouveau-Québec. Auparavant, comme vous le savez, ces permis n’étaient pas octroyés de cette façon et ils étaient consentis gratuitement. Maintenant, le gouvernement – et c’est très normal – exige une rente annuelle qui augmente chaque année et qui devient plus considérable par la suite si le permis est renouvelé. Nous croyons que c’est là un moyen de retirer plus de revenus des richesses naturelles du Québec.

Dans le domaine de l’hydroélectricité, le gouvernement n’a pas été inactif. Comme vous le savez aussi, il entreprend ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’opération Manicouagan », la plus vaste du genre au Canada. Celle-ci a deux aspects; elle accroîtra énormément le potentiel hydroélectrique de la province d’ici quelques années et donnera lieu à la récupération de milliers de cordes de bois qui autrement seraient inondées et définitivement perdues. L’électricité étant notre source d’énergie la plus abondante et la moins coûteuse, le gouvernement veut mettre tout en oeuvre pour lui conserver son caractère dynamique dans la croissance industrielle du Québec.

Mais tout cela n’est qu’un début. Je dirais même que c’est un faible début si on compare ce qui a été fait à date à ce qui reste encore à faire. À ce propos, le gouvernement envisage la réalisation de projets très précis qui devraient prendre corps d’ici quelques années.

Il entre d’abord dans nos intentions de procéder, lors de l’échéance des ententes avec les sociétés qui exploitent les richesses naturelles du Québec, à une révision complète du taux des redevances versées par elles. Nous verrons à ce que ces redevances correspondent davantage à l’importance des revenus que ces sociétés retirent de leur exploitation. À l’heure actuelle, des économistes s’emploient à étudier tous les facteurs qui devront entrer en ligne de compte dans la détermination des nouveaux taux. Nous voulons par là, et sans spolier qui que ce soit, faire disparaître l’arbitraire qui a trop longtemps régné dans ce domaine. Nous y arriverons en basant nos décisions sur des faits d’ordre économique et en n’oubliant pas que ceux qui s’intéressent à nos richesses le font moins par humanitarisme et par condescendance, que parce qu’ils ont un réel besoin de la matière première qu’ils trouvent chez nous. Le fait est que les entreprises qui exploitent nos richesses naturelles exploitent un bien qui appartient au patrimoine commun de tous les citoyens de la province. Si, comme on peut s’y attendre, elles retirent des profits de leurs opérations, il faut se souvenir que ces profits proviennent de l’extraction, de la transformation et de la mise en marché d’une richesse qui, au départ, leur a pour ainsi dire

été prêtée. D’après nous, les richesses naturelles de la province ne sont pas des biens commerciaux ordinaires et leur importance économique dans le Québec est trop grande pour que le gouvernement, comme gardien du bien commun, néglige d’apporter toute l’attention qui s’impose aux modalités selon lesquelles on peut permettre à des intérêts privés de venir les exploiter chez nous. Toutefois, le gouvernement estime que, même après l’établissement de taux de redevances plus équitables, il sera loin d’avoir accompli la tâche qu’il s’est tracée pour être fidèle, jusque dans les faits, au principe selon lequel les ressources du Québec doivent, d’abord et avant tout, être exploitées au bénéfice de ses citoyens. Il nous faut aller plus loin et viser à la réalisation d’un objectif auquel souscrit toute la population de la province. Cet objectif, c’est la transformation au Québec même de la matière première qu’on y trouve. Pour y arriver, il est absolument nécessaire que les citoyens de la province s’intéressent davantage à leurs propres richesses en investissant dans les entreprises québécoises qui auront justement pour but de les extraire et de les transformer à l’intérieur des frontières du Québec. Il ne s’agit pas là de la simple traduction dans la réalité d’un désir chauvin ou d’un objectif patriotique mal compris. Si nous voulons exploiter nos propres richesses, si nous voulons les transformer chez nous, ce n’est pas seulement parce que cela nous ferait plaisir ou que cela flatterait un sentiment naturel de fierté québécoise. Les projets du gouvernement à ce sujet se fondent sur des motifs beaucoup plus profonds; en effet, le Québec n’a pas le choix. S’il devait arriver, en effet, que notre caractère de minorité ethnique se doubla d’une négligence que je qualifierais presque de coupable envers la mise en valeur de nos richesses, le Québec risquerait, et pour longtemps, d’être relégué et confiné à l’arrière-garde des nations modernes. En soi le désir de survivre comme entité distincte est louable, mais, il faut tout de même conserver les moyens matériels d’en assurer la réalisation.

L’avenir économique de notre population dépend donc de nous-mêmes. Il ne faut pas s’imaginer que les autres viendront résoudre nos difficultés pour nous. Ils viennent lorsque cela leur plaît ou, plus exactement, lorsque c’est rentable. C’est à nous, en dernière analyse, qu’il appartient d’établir nos propres industries secondaires de transformation et c’est en les établissant que nous pourrons le mieux lutter contre la persistance d’un chômage dont la province depuis un grand nombre d’années, a le triste honneur de revendiquer plus que sa part proportionnelle.

Le gouvernement est cependant assez réaliste pour savoir que, malgré tout l’attrait qu’ils peuvent comporter, tous ces projets ne se réaliseront pas d’eux-mêmes. Il leur faut un point de départ, un catalyseur. C’est pourquoi nous étudions actuellement la possibilité de

former des sociétés mixtes – ce qu’on appelle en Europe des « compagnies de gestion » – dont le but serait d’accélérer le développement et de faciliter la transformation au Québec de nos richesses naturelles. De cette façon, le gouvernement se trouverait à donner l’exemple, car un exemple est nécessaire. En effet, notre population n’a pas trop l’habitude de risquer ses capitaux. Elle préfère les placements sûrs, quoique moins rentables. C’est là un trait de notre mentalité qui, en l’occurrence, s’avère négatif puisqu’il empêche le dynamisme qui s’impose en matière de développement de nos richesses naturelles. En somme, nous visons à une alliance heureuse de l’initiative privée et de celle de l’État. J’ai déjà dit que, dans le Québec, à cause de notre situation démographique et économique, l’État provincial doit être le point d’appui collectif dont il nous faut nous servir pour hâter l’avènement de conditions de vie meilleures. L’usage que le gouvernement se propose d’en faire dans le domaine des richesses naturelles vous montre comment nous entendons lui faire jouer son rôle.

Tout à l’heure, j’ai dit qu’il y avait un deuxième corollaire au principe général sur lequel est basée toute la politique du gouvernement en matière de richesses naturelles. Je voudrais m’y arrêter brièvement en terminant. À cause de l’étroite et indissoluble relation qui existe entre la façon dont nos richesses sont exploitées et le niveau de vie général des citoyens, nous croyons que le bien-être collectif sera d’autant plus élevé que l’exploitation des ressources se fera de façon rationnelle, conformément à un plan d’ensemble élaboré à partir de données précises. Nous n’avons moralement pas le droit de gaspiller ou de dilapider les richesses abondantes dont la Providence nous a comblés. Il nous faut au contraire les mettre en valeur, les exploiter, les extraire du sol, les harnacher, les transformer. Notre devoir collectif réside dans la mise en valeur rationnelle de cet actif commun. En d’autres termes, nous instaurons en cette matière le régime que nous entendons suivre ailleurs. Nous voulons mettre de l’ordre là où régnait le désordre et remplacer l’improvisation par le souci d’une planification bien comprise. La création d’un ministère des Richesses naturelles répond justement à ce souci car nous avons uni des forces qui étaient autrefois dispersées. Nous avons donné à ce ministère des buts bien précis sur lesquels je ne veux pas revenir ce soir puisqu’ils sont connus du public. Je mentionne seulement que c’est à ce ministère qu’il appartient de favoriser l’expansion de l’Hydro-Québec, de régir les taux d’électricité qui sont, comme vous le savez, un important facteur de localisation industrielle, d’encourager avec le Conseil d’Orientation économique l’investissement domestique dans les richesses naturelles et de faciliter l’établissement au Québec d’industries de transformation. Ces deux derniers objectifs ne se réaliseront certes pas

du jour au lendemain, car, pour certaines des réformes que nous voulons accomplir, il faut du temps et de la réflexion. Cela ne veut pas dire que nous remettons à un avenir incertain la réalisation de projets aussi primordiaux que ceux qui touchent l’exploitation de nos richesses naturelles. Si nous voulons être logiques avec nous-mêmes et si nous voulons éviter l’improvisation dont les résultats furent et sont encore néfastes, il importe de ne pas brûler les étapes. Après tout, les décisions que nous prendrons aujourd’hui se répercuteront, par leurs effets, sur des générations à venir.

Le fait que le Québec soit si bien pourvu de richesses de toutes sortes vaut à toute notre population plusieurs avantages indéniables. Ce que le gouvernement s’est engagé à faire, c’est d’accroître l’étendue de ceux-ci. Il s’y reconnaît une responsabilité de premier ordre et est disposé à accepter toutes les conséquences qui en découlent. Ce n’est pas là une tâche facile; je dirais même qu’elle est redoutable. Mais elle demeure fascinante lorsqu’on songe qu’elle suscitera à la longue l’épanouissement économique d’un peuple qui aura su, par les moyens qui s’imposent, mettre en valeur les richesses qui l’entourent et que lui envient souvent les autres nations.

[QLESG19610515]

[La Corporation des Entrepreneurs en Plomberie & Chauffage Assemblée générale – le 15 mai 1961 Montréal Hon. Jean Lesage, Premier Ministre

Pour publication après 11:00 hres A.M. le 15 mai 1961]

Malgré le travail de la présente session, j’ai voulu profiter de mon passage éclair à Montréal pour venir vous rencontrer à l’occasion de l’ouverture de votre 12e Congrès annuel. Je ne peux, surtout pendant la session, accepter toutes les demandes qu’on me fait d’adresser la parole. Cependant je suis très heureux d’avoir pu me rendre à votre aimable invitation ce matin, car, même si je dois malheureusement vous quitter presque immédiatement, il me fait toujours plaisir de prendre part, au moins dans une certaine mesure, aux manifestations publiques des groupements sociaux comme le vôtre. En démocratie, les groupements civiques ou professionnels sont nombreux et souvent très actifs. Les représentants des pouvoirs publics non seulement s’intéressent à ce travail mais, lorsque c’est possible, tiennent à montrer par leur présence à des manifestations comme celle d’aujourd’hui, la sympathie agissante qu’ils nourrissent à leur endroit.

Je ne suis pas suffisamment au courant des développements techniques ou autres dans votre domaine pour me risquer à vous en parler, ne serait-ce que pendant quelques minutes. Une des vertus qu’un Premier ministre doit pratiquer est la prudence. J’y manquerais si, pour les besoins de la cause, je m’engageais dans un sentier aussi périlleux.

Il y en a d’autres où je me sens plus à l’aise. Vous m’avez d’ailleurs suggéré vous-mêmes, indirectement il est vrai, celui que je devais choisir ce matin. En consultant le mémoire que votre Corporation a présenté au gouvernement de la province en septembre dernier, mon attention a été attirée par une remarque que vous y faites dès la première page de votre texte. Vous dites que l’éducation a toujours fait l’objet de la part de la Corporation d’une attention particulière. Si vous le voulez je voudrais profiter du fait que je vous rencontre pour vous livrer sans prétention et très rapidement deux ou trois des réflexions que ce passage a suscitées chez moi. Laissez-moi vous dire – et ce n’est pas de la flatterie combien il m’a fait plaisir de constater qu’un groupement spécialisé comme le vôtre ne perdait pas de vue un objectif aussi vaste que celui de l’éducation. L’intérêt que vous manifestez à ce propos est d’autant plus louable qu’une Corporation professionnelle a de nombreux autres objectifs plus immédiats et plus concrets à atteindre. J’ai d’ailleurs vu, dans votre Mémoire, que bien des sujets attiraient votre attention. Il eût été tout à fait normal que vous vous limitiez à ceux-là, en laissant à d’autres le soin de promouvoir la cause de l’éducation dans la province. Cependant, – et c’est justement ce qui me frappe, vous indiquez votre souci à ce propos en tout premier lieu et vous décrivez brièvement le travail que vous accomplissez avec l’aide de professeurs que vous avez choisie. Je vous félicite bien sincèrement de l’attitude que vous nourrissez à propos de l’éducation et je vous encourage à poursuivre les efforts que vous faites actuellement pour traduire cette attitude dans les faits. Je trouve que par là vous faites preuve d’une ouverture d’esprit qu’il est réconfortant de découvrir chez des groupements sociaux.

De fait, j’ai l’impression que l’intérêt en matière d’éducation devrait être partagé, à des titres divers bien entendu, par tous les groupements sociaux et par toutes les associations professionnelles. Il me semble en effet que, dès qu’une association se forme, elle acquiert automatiquement une fonction sociale. Je veux dire par là qu’elle devient, à sa façon, une cellule vivante de la société qui nous entoure. Mais une cellule vivante peut être active ou non. À mon sens elle n’est active que lorsqu’elle ajoute à ses préoccupations particulières, des objectifs d’un ordre plus général. C’est ainsi qu’elle peut le mieux participer à la réalisation du bien commun. Or l’avancement de la cause de l’éducation n’est-il pas justement un objectif éminemment social? Ne peut-il pas, plus que tout autre, contribuer énormément à la réalisation et au maintien du bien commun?

C’est à cette tâche grandiose et tellement nécessaire pour notre population que le

gouvernement actuel de la province consacre une grande partie de ses efforts. Je suis heureux, comme chef de ce gouvernement, de l’appui que votre Corporation nous accorde. Vous acceptez vos responsabilités de citoyens et, par là, vous nous facilitez la tâche redoutable que nous avons assumée il y a quelques mois. Encore une fois, je regrette que des fonctions particulièrement absorbantes à cette période de l’année me forcent à me disperser dans un nombre excessif de tâches urgentes et me privent du plaisir de demeurer plus longtemps avec vous. Mais en m’excusant de vous quitter d’une façon aussi abrupte, je veux souligner le plaisir que j’éprouve d’ouvrir votre 12e Congrès annuel. Je sais que vos assises se tiendront, même à partir de certains problèmes très concrets, dans l’optique d’un effort éducatif sincère. Vous en témoignez dans votre Mémoire; je vous en félicite de nouveau et permettez-moi aussi de vous en remercier.

[QLESG19610527]

[Association Dentaire de la province de Québec Sherbrooke, le 27 mai 1961

Pour publication après 1:OO,hre, samedi le Hon. Jean Lesage. Premier Ministre 27 mai 1961]

Laissez-moi d’abord vous dire qu’il me fait grand plaisir de venir vous rencontrer à l’occasion du 6e Congrès de l’Association Dentaire de la province de Québec. Je vous suis aussi très reconnaissant d’avoir bien voulu modifier quelque peu votre programme de la journée pour me permettre de prendre part à votre banquet de clôture à titre de convive et – j’en suis sûr – à titre d’ami.

Vous savez, que cette journée du 27 mai est très remplie; j’arrive à peine de Québec et je dois y retourner dès cet après-midi, après une visite à l’Université Bishop de Lennoxville, une de nos plus anciennes institutions d’enseignement dans le Québec. C’est à cause de cet horaire chargé que mon séjour parmi vous ne pourra malheureusement pas être aussi long que je l’aurais souhaité.

Aujourd’hui, c’est la première fois que je rencontre des dentistes autrement que comme patient un peu craintif et même parfois, très craintif. Par dessus le marché, j’ai même l’audace de les rencontrer en groupe. Quoique, à bien y penser, c’est plus rassurant de vous rencontrer nombreux qu’individuellement. D’habitude, les dentistes ont sur moi l’avantage des armes, si je peux dire, et – je vous l’avoue franchement – je ne peux jamais m’empêcher de nourrir quelque appréhension lorsque je me vois dans l’obligation d’avoir recours à leur art. Je sais que mon attitude est un peu injuste, car je leur dois beaucoup, comme d’ailleurs tous leurs patients. Pour me racheter un peu, je vous dirai que je suis le premier, malgré tout, à reconnaître la valeur sociale et individuelle des services professionnels qu’ils nous rendent à tous.

Vous êtes vous-mêmes conscients – et avec raison – du rôle indispensable que vous jouez auprès de vos concitoyens. Des congrès comme celui qui se termine aujourd’hui vous fournissent justement des occasions de réfléchir sur la façon dont la pratique de ce rôle essentiel peut être améliorée. Vous tenez à perfectionner vos méthodes et à accroître l’étendue des services que vous pouvez fournir. Comme chef du gouvernement de la province, je ne peux que voua encourager à persister dans vos efforts, car je sais que, tôt ou tard, toute notre population en bénéficiera.

Les travaux et les études que vous poursuivez dans votre domaine propre visent ainsi à la réalisation d’un des principaux objectifs que le gouvernement du Québec s’est lui-même fixés : l’amélioration constante du niveau de santé des citoyens. Le gouvernement, cependant, n’entend pas tout faire lui-même. D’ailleurs, il ne le pourrait pas.

Pour réussir dans l’action à longue portée qu’il a entreprise, il a besoin de la collaboration de tous ceux qui, d’une façon ou de l’autre, partagent les mêmes soucis que lui. L’Association Dentaire de la province de Québec fait partie de ce groupe sur lequel compte le gouvernement, pour trois raisons bien précises. D’abord, les personnes qui se consacrent actuellement à la protection et à l’amélioration de la santé chez nous ont une connaissance intime et profonde des problèmes qu’ils rencontrent et qu’ils doivent s’efforcer de résoudre pour poursuivre leur travail. Elles sont les mieux placées pour fournir au gouvernement les données dont celui-ci a absolument besoin pour élaborer et appliquer la législation qui s’impose en matière d’hygiène et de santé. De plus, la conscience professionnelle, qu’elles manifestent se traduit et se confirme par le souci qu’elles ont d’assurer à la population des services de plus en plus efficaces et de plus en plus conformes aux nécessités. Il est certain que si la durée moyenne de la vie a augmenté au cours des dernières années et si le niveau général de la santé s’est accru, c’est en grande partie à cause de l’application judicieuse par le corps médical, j’entende cette expression dans son sens le plus large – de techniques et de méthodes nouvelles.

Enfin, tout le monde connaît le sens civique des professionnels de la santé et l’intérêt qu’ils portent aux affaires des communautés humaines dans lesquelles ils vivent et dont ils font partie. Ils n’hésitent pas, malgré leurs occupations nombreuses et souvent harassantes, à donner d’eux-mêmes pour l’avancement économique, social et culturel du milieu auquel ils sont intégrés. Un tel sens social facilite au gouvernement la lourde tâche qu’il a à accomplir: il peut compter sur l’apport désintéressé de ceux qui se préoccupent du maintien et de la protection de la santé de leurs concitoyens.

Les membres du gouvernement ne sont pas des spécialistes dans tous les domaines. Le fait qu’ils aient accédé à une fonction publique n’a pas fait d’eux des êtres omniscients. Je dirais même qu’ils manqueraient à leur devoir s’ils se croyaient tels. Il leur faut, au contraire littéralement écouter le peuple, écouter surtout ceux dont les connaissances et l’expérience peuvent lui être utiles dans sa recherche du bien commun. Je ne veux pas dire ici que le gouvernement doit se contenter de faire tout ce qu’on lui demande ou tout ce qu’on lui recommande. J’insiste seulement sur le fait qu’il n’agit pas seulement pour la communauté, mais qu’il doit agir avec elle, joignant aux recommandations et aux représentations particulières qu’on lui fait la nécessité dans laquelle il se trouve constamment, de par sa fonction propre, de poursuivre des objectifs plus vastes.

Il lui importe donc d’instaurer une politique de dialogue et de la respecter. Cette politique résulte, à mon sens, des exigences de la vie en démocratie. Le gouvernement de la province entend se conformer à ces exigences; il l’a fait au cours des derniers mois, par exemple au moment de la conception et lors de la mise en marche du programme d’assurance-hospitalisation, et il continuera de le faire. C’est pourquoi, chaque fois que j’ai l’occasion de prendre la parole devant une élite comme la vôtre, je n’hésite jamais à lui demander les leçons de son expérience. C’est ce que je fais aujourd’hui avec vous. Les projets que le gouvernement veut mettre à exécution sont tellement nombreux et auront une telle portée que nous avons le devoir de réfléchir sérieusement avant de les appliquer et d’écouter avec grand soin ceux qui ont quelque chose à nous dires Nous ne vivons pas dans une tour d’ivoire; nous voulons être présente aux problèmes de notre époque. Nous voulons, dans la mesure du possible, corriger ce qui nous y déplaît; les moyens pour le faire seront d’autant plus efficaces que les groupes sociaux et professionnels divers se seront mis de la partie et auront collaboré avec nous, chacun à sa façon.

Je disais tout à l’heure que vous aviez profité de votre Congrès pour réfléchir, étudier et discuter. Les problèmes auxquels vous vous êtes arrêtés appartiennent sans doute à votre domaine propre d’action, mais l’effort de pensée que vous avez fait à leur propos est, à mon sens, une oeuvre d’éducation. Une oeuvre d’éducation d’abord pour vous, comme délégués au Congrès, mais aussi une oeuvre d’éducation pour le public qu’on met au courant de vos travaux par les journaux et autrement.

Par la tenue d’un tel Congrès – et c’est le cas des autres groupes qui en font autant – vous vous êtes associés, d’après moi, à un autre des grands objectifs visés par le gouvernement que je dirige. Cet objectif, vous le connaissez, c’est celui de l’éducation.

L’éducation est véritablement le sujet de l’heure. On en parle quotidiennement dans tous les journaux et elle suscite une attention extraordinaire par toute la province. Je crois que cette publicité que reçoit la cause de l’éducation est extrêmement salutaire. Elle a rendu – et rend encore – notre peuple conscient de son importance et provoquera, à la longue, une acceptation enthousiaste des réformes et des améliorations qui s’avéreront nécessaires. Déjà on nous demande d’agir, et d’agir vite. Mais s’il y a un domaine où la hâte peut être mauvaise conseillère, c’est bien celui de l’éducation. Les conséquences des mesures que le gouvernement adoptera dans un avenir prochain se feront sentir sur des millions de citoyens, pendant des générations. Il est donc important d’examiner tous les détails pertinents et de connaître tous les faits. La Commission Royale d’Enquête que le gouvernement a récemment instituée s’attaquera à tous les aspects de cette grave question et fournira des éléments de solution aptes à guider l’action de l’État, et celé, pour le plus grand bien de toute la population.

Il existe en effet une chose dont le gouvernement est convaincu. Notre peuple est, à cause de la géographie, de l’histoire et de la démographie, dans une position telle que l’éducation et la culture sont devenues les conditions de sa survivance comme entité distincte et de son appartenance au monde moderne. On a déjà dit que notre destinée ne se trouvait pas dans la richesse matérielle, ni le pouvoir militaire. Je ne sais jusqu’à quel point c’est vrai, mais je suis certain cependant que c’est surtout par nos réalisations intellectuelles que nous nous ferons collectivement une place dans ce monde. Le gouvernement veut agir de telle sorte que cet objectif soit atteint. Il accorde en conséquence une bonne part de son attention aux problèmes de l’éducation chez nous, sans négliger, bien entendu, les autres questions qu’on lui soumet. Vous formez un groupe professionnel assez spécialisé et l’éducation comme telle n’est pas votre préoccupation immédiate. Du reste, il est normal qu’il en soit ainsi. Je vous dis quand même ces choses pour deux raisons.

Vous avez vous-même bénéficié d’un enseignement supérieur. Vous en connaissez les avantages et vous êtes en mesure, à cause de la formation que vous avez repue, de vivre une vie plus remplie, plus complète et plus intéressante.

Vous faites aussi partie, chacun dans votre milieu, d’une élite. Vous avez, pour la plupart, des responsabilités civiques et sociales variées. Je n’ai pas l’habitude de donner des conseils à ceux qui me font l’honneur de m’inviter à leur adresser la parole. Je ne le ferai pas aujourd’hui non plus, mais je me permettrai tout de même d’exprimer un souhait. Je voudrais que, de retour chez vous, vous gardiez en mémoire non pas nécessairement tout ce que je vous ai dit, mais l’insistance que j’ai mise à souligner l’importance de l’éducation pour notre peuple. À mes yeux – et je le répète encore – elle nous permettra de survivre et de nous réaliser comme peuple socialement et culturellement différent des 190000000 de personnes qui nous entourent. Comme Premier ministre du Québec, je ne peux pas passer ce fait sous silence, et vous, dans votre milieu, je crois que vous ne devriez pas l’oublier. Vous êtes capables, par votre prestige et à cause de vos responsabilités comme citoyens éclairés, de transmettre cette idée à ceux avec qui vous venez en contact. Vous êtes capable de la faire valoir. Vous êtes surtout capables – avec les autres citoyens qui, comme vous, possèdent les avantages de l’éducation – de provoquer et de nourrir une prise de conscience par toute la population, de l’importance vitale de l’éducation et de la culture chez nous.

En vous acquittant de vos obligations professionnelles et en participant à votre façon à la diffusion de ces quelques idées sur l’éducation, vous aurez, je pense, facilité grandement à votre gouvernement la réalisation des objectifs qu’il s’est fixés et qui tendent tous à une seule fini la rénovation économique et sociale de notre peuple.

[QLESG19610531]

[Doctorat Honorifique Université de Montréal

Le 31 mai 1961

Pour publication après

Hon. Jean Lesage, Premier Ministre 2830 hres le 31 mai 1961]

Une cérémonie de graduation universitaire est toujours un moment merveilleux d’angoisse et d’exaltation. Tous les grands départs sont ainsi chargés d’une anxiété devant l’aventure qui commence et d’une espérance devant les conquêtes à venir. Combien plus émouvants encore cette investiture d’une génération nouvelle, cette libération d’énergies tendues, ce grand départ qui est, plus que tout autre, plein de mystère et d’espoirs, puisqu’il lance sur les mers du devenir cette chose à la fois fragile et presque toute puissante qui est une vie d’homme!

Comment pourrais-je remercier votre Université du doctorat qu’elle me décerne aujourd’hui? Ce n’est pas uniquement un honneur académique que l’on fait au Premier ministre. C’est un retour aux sources de sa jeunesse qu’on lui offre, en l’associant à l’envol de la jeunesse d’aujourd’hui. C’est la fusion de deux générations qu’on favorise en abolissant les griefs d’incompréhension dont elles ont, depuis toujours, l’habitude de s’accabler mutuellement. C’est la perspective unique et irremplaçable de ceux qui prennent le grand départ dont on me permet de bénéficier, puisque cette occasion me hisse de nouveau, et avec vous tous, jusqu’à ces sommets de l’absolu d’où la jeunesse tient sa vision à la fois cruelle et émerveillée du

monde.

Quelle est cette vision du monde? En apparence, c’est le chaos d’avant le premier jour.

Des nations voient le jour, des civilisations meurent.

Les continents réimprovisent leur unité, pendant que l’humanité se fragmente. Les idées ne sont ni contemplation, ni joie de l’intelligence; elles sont des armes que les peuples braquent contre les peuples et les frères contre les frères. Le royaume de la terre est étendu jusqu’aux astres, mais les trois-quarts des populations souffrent toujours de la faim. L’homme se libère de sa prison et demeure esclave de lui-même.

Le peuple canadien-français échappe-t-il à ce mouvement universel de l’Histoire qui s’accélère jusqu’au vertige ? Notre, environnement matériel s’est transformé en notre temps; la communauté rurale est devenue prolétariat urbain. Notre régime politique établit une sorte d’anachronisme entre les formes parlementaires et les pressions du pouvoir exécutif, tandis que la démocratie impose désormais un supplément d’intelligence et de connaissances aux citoyens qui n’avaient même pas totalement réussi leur apprentissage du système alors qu’il n’en était encore qu’au stade primitif. Notre appareil économique pose, autant qu’ailleurs, les problèmes du capital et du travail, de l’aliénation des richesses nationales et du bien commun, de la production automatisée et du chômage, de la liberté personnelle et des intérêts de la collectivité. Chez nous comme ailleurs, il se manifeste un désaccord, une sorte de désynchronisation entre le mécanisme de la société et les fonctions qu’elle est désormais obligée de remplir; entre la tâche des individus et les moyens dont ils disposent pour l’accomplir.

Tous ceux qui envisagent ces déséquilibres purement matériels, qui en recherchent les explications et les remèdes, débouchent nécessairement sur les données spirituelles où se meuvent les hommes, selon la dualité de leur nature.

Au Canada français, les structures extérieures sont ébranlées; il est inévitable que l’on remette en cause la philosophie qui les avait inspirées, aussi bien que les valeurs spirituelles qu’elles semblaient avoir favorisées dans le passé. Chez nous, nous avions été longtemps protégés par surcroît contre les flots étrangers de la pensée, alors qu’il était nécessaire de nous refermer sur nous-mêmes, pour concentrer toute nos énergies d’instinct ou de raison sur le devoir exclusif et élémentaire de la survivance. La jeunesse d’aujourd’hui, comme d’ailleurs celle de toujours, se révolte aisément contre ces protections dont elle ne saisit plus l’utilité et qui ont pourtant arrêté aux frontières trois siècles de bouleversements pour permettre au peuple canadien-français d’organiser instinctivement sa durée. N’est-ce pas ce paysage chaotique qui provoque les jugements amers de la jeunesse? Vos journaux d’étudiants ne sont-ils pas remplis de ces perspectives désenchantées et ouvertes dans le réel par la lucidité cruelle des âmes ardentes, par vos exigences d’absolu et d’idéal? Vos attitudes invitent plus de sympathie que de critique. Elles sont dans l’ordre de la nature, depuis que « les pères ont mangé les raisins trop verts » et que « les fils ont eu les dents agacées ». Mais les fils n’ont jamais pu accepter l’expérience des pères. Chacun doit découvrir son propre univers; l’expérience ne se transmet point. Dans ce sens limité et précis – et sans rejeter l’existence de la vérité objective – on peut souscrire au défi de la jeunesse d’aujourd’hui et de la jeunesse de toujours.  » À chacun sa vérité. » Car c’est la grandeur de l’homme, le privilège de la raison et de la liberté, que ce perpétuel recommencement de la vie des générations à l’intérieur d’une individualité. À défaut donc, des conseils qu’on ne sollicite pas, à défaut d’une expérience qu’on juge toujours dépassée, que peuvent offrir les aînés à ceux qui les suivent, sinon leur affection et un gage, le plus discret possible, de compréhension?

Or, la compréhension ne sera toujours, au fond, que la conscience des épreuves subies en commun! Les mêmes épreuves, les mêmes irritations devant le désordre apparent des choses, les hommes de ma génération les ont connues. Les articles que j’ai moi-même signés dans nos feuilles universitaires, sur ce que nous appelions alors « notre génération sacrifiée », étaient écrites, avec un peu plus de romantisme peut-être, de la même encre noire que vous affectionnez aujourd’hui!

Quelle était notre vision du monde, au moment où on nous remettait ces mêmes parchemins que vous recevez en cette journée? Au moment même où l’on nous gratifiait enfin d’un passeport pour l’avenir, tous les ports, tous les havres étaient bloqués devant nous. Des années de préparation et des années d’ambitions s’abîmaient sur la muraille de la crise économique. Plusieurs de ceux qu’on désignait suivant la formule consacrée comme « les élites de demain » allaient dissimuler bientôt leur humiliation parmi les chômeurs à vingt cents par jour, tandis que la plupart de leurs confrères plus heureux prenaient encore le pain de leurs parents, dans une nouvelle prolongation de l’enfance imposée par un monde où il ne semblait plus y avoir de place pour de nouveaux hommes. Je me rappelle encore avoir eu parfois l’impression d’être un intrus dans un monde dont nous dérangions les cadres.

Nos inquiétudes et nos rancoeurs d’alors ont-elles été justifiées? Nos tentations d’alors devant l’efficacité terrible des régimes totalitaires, qui accusaient les faiblesses de nos institutions et de nos libertés, ont-elles été soutenues par les faits?

Vous connaissez la réponse des faits. La liberté et la démocratie ont été régénérées dans l’épreuve. La génération issue de la crise économique s’est acharnée à épargner aux fils les misères dont les pères avaient été abreuvés.. Est-ce que la jeunesse apprécie l’immensité de cet effort? Est-ce que l’on mesure, en particulier, l’étendue de l’avance sociale accomplie en moins de vingt ans, dans les cadres de nos structures politiques et à l’intérieur même de notre régime économique? Que l’étudiant d’aujourd’hui compare seulement la sécurité plus que relative dont il jouit et la condition qui est la sienne, avec le sort qu’éprouvait son père, à la même époque de sa vie. Il aura déjà la mesure de la route parcourue!

Les fantômes qui hantaient notre collation des diplômes se sentent donc évanouis, dans la mesure où nous avons lutté contre eux, de toutes nos forces d’hommes. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi des anxiétés qui vous hantent aujourd’hui ?

Le problème n’est plus le même, c’est entendu. La génération d’hier n’a connu, en somme, que la faim du pain quotidien. C’est d’une autre faim dont souffre la génération d’aujourd’hui. C’est d’un autre pain qu’elle est en quête. Ce qui se résumait à un réflexe physique chez vous, dit la jeunesse, a dépassé chez nous ce palier instinctif. Notre crise, à nous, est la crise de l’intelligence. Notre inquiétude, à nous, est une inquiétude métaphysique! J’admets volontiers que, sur la plan matériel, les jeunes n’ont plus pour établir leurs revendications les raisons que nous avions C’est même ce qui fait dire à ceux qui ne voient pas plus loin qu’à la surface des choses que les jeunes d’aujourd’hui sont des « rebelles sans cause ».

Pour notre part, nous n’avons jamais été accusés d’être des « rebelles sans cause », car les causes étaient là, matérielles, tangibles et évidentes jusqu’à la tentation du désespoir! Mais si les étudiants d’alors avaient perdu confiance dans les hommes, ils n’ont jamais perdu leur foi dans les valeurs spirituelles!

Ce ne fut ni parce qu’ils étaient meilleurs, ni parce qu’ils étaient rompus à plus de docilité. Ce fut parce que l’inventaire de leur univers n’alla jamais plus loin que l’extérieur des données immédiatement pratiques et que les événements ne leur laissèrent, ni le loisir ni l’occasion, de remonter aux explications supérieures. Ils n’ont pas eu le temps de relier l’état de fait qu’ils condamnaient à un état spirituel mis en question. Si nous n’avons pas fait notre « voyage au bout de la nuit », c’est sans doute parce que nous fûmes soudainement éclairés par les feux terribles qui tombèrent alors sur l’humanité.

La situation a évolué, nous le savons bien. Les cadres éclatent de partout. Les villages sont dévorés par les villes et les clochers de Montréal sont perdus parmi les gratte-ciel en construction. Les réalités anciennes de la société canadienne-française se rompent et, avec elles, disparaissent certaines vertus civiques liées, semble-t-il, aux cadres de jadis.

Les conséquences de ce progrès qui nous bouleverse sont considérées avec la sévérité propre à la jeunesse. « Puisqu’il faut juger l’arbre à ses fruits, dit-elle, englobons dans un même refus la cité temporelle qui disparaît et les valeurs spirituelles qui la soutenaient. La confusion entre le spirituel et le temporel, entre laïcs et religieux, entre liberté et autorité, est toujours une source de conflits et d’erreurs. Toutefois, une telle confusion ne résiste guère à un examen conservant le sens des relations et la sérénité du jugement

Au Canada français, la liberté des cultes est garantie par la loi, mais l’État est officiellement chrétien. Il est en même temps, par la tradition et par la pratique, gardien de la liberté de conscience. Sa tolérance envers tous les particularismes est assurée par l’égalité des citoyens devant la loi. Ces principes ont été le fondement de nos lois et la lumière de nos mœurs.

Sans doute, tout n’est-il pas parfait. De perpétuels rajustements doivent être apportés, comme dans tout ce qui est humain, pour que l’application serre toujours de plus près les principes. Mais rajustement et correctifs signifient modalités et accident; non point principes et substance. Lorsqu’on ajoute un ornement à une structure, on ne commence pas par en saper les fondations.

Qui pourrait nier, chez nous, l’efficacité et la rapidité elle-même de ces rajustements entre le monde laïc et le monde religieux? L’Église canadienne-française – comment peut-on oublier un fait historique aussi élémentaire chez ceux qui se piquent de dialectique? – a dû suppléer, dès nos origines, à tout ce qui manquait à un peuple vaincu. Elle nous a tout donné: élites, institutions, cadres sociaux. Elle nous a donné,les syndicats et les coopératives et elle nous a donné l’université. Aujourd’hui encore, elle supplée toujours à d’autres carences et elle s’adapte à d’autres besoins quelle organisation de loisirs existe-t-il pour notre jeunesse, en dehors de la déformation des sports commercialisés, sinon celle des dévouements paroissiaux et celle des initiatives lancées également par l’Église? Est-ce que l’Église se cramponne à ses rôles de suppléance, comme à un fief médiéval, ainsi que le répètent les esprits plus enclins à imiter chez nous, avec un bon demi-siècle de retard, quelque aventure étrangère, au lieu d’approfondir nos données nationales pour en pousser plus loin l’épanouissement?

Par exemple, il y a un quart de siècle à peine, on comptait les professeurs laïcs sur les doigts de la main, dans l’enseignement classique et secondaire. Dans nos villes, l’enseignement primaire était assumé, sauf rares exceptions, par les religieux et religieuses. Or, le professorat est déjà une carrière puissante et croissante, où les laïcs constituent cette élite intellectuelle qui fait le plus grande richesse d’un peuple. En fait, le retard de l’accession des laïcs à l’enseignement n’est imputable, ni à la méfiance de l’Église, ni à un esprit de routine chez elle. La vraie responsable est une époque qui ne savait pas encore donner aux éducateurs la place qu’ils méritent dans la hiérarchie sociale la première.

L’Église a-t-elle transformé son rôle de suppléance dans l’hospitalisation en un fief médiéval? Ce sont les autorités elles-mêmes des hôpitaux religieux qui ont organisé chez nous la profession laïque d’infirmière et qui favorisent actuellement la mise au point de l’assurance-hospitalisation, avant de se soumettre aux législations prochaines associant plus étroitement l’État et notre système hospitalier. Dans le monde syndical, l’Église n’a-t-elle pas sacrifié, dans l’intérêt général, un rôle et une priorité sur lesquels elle avait pourtant le titre de fondateur?

Et au niveau universitaire, la nomination d’un vice-recteur à votre université de Montréal n’est pas la réponse à quelques cris puérils. C’est le simple développement de notre tradition universitaire, où les laïcs ont toujours été associés à l’oeuvre de l’Église. C’est un autre aspect, parmi tous les autres, de la liberté académique qui a toujours été la vie de nos universités, accueillantes aux races comme aux religions.

En fait comme en Droit, au Canada français, l’Église et l’État sont tous les deux souverains dans leurs domaines respectifs. Mais dans ce qui touche à l’intériorité de l’homme, là où s’estompe le délicat partage du spirituel et du temporel, l’État doit rechercher la lumière de l’Église, non pour s’évader de ses responsabilités, mais pour s’éclairer sur elles. L’État québécois recherche cette lumière auprès de la hiérarchie catholique, qui est le guide spirituel de l’immense majorité des citoyens. Il recherche et respecte en même temps le conseil et l’expérience des autres confessions religieuses auxquelles appartiennent nos concitoyens.

Au Canada français, nous avons cette harmonie. Nous allons la conserver.

Notre organisation scolaire reflète cette harmonie. Elle continuera de la refléter.

Mais cette harmonie confessionnelle n’est plus du goût de quelques intellectuels, qui s’empressent d’aller tenir leur débat intérieur et intime sur la place publique.

Ils sont bons apôtres; ils veulent donner des écoles aux minorités, même s’il faut risquer pour cela de renverser l’école qu’exige la majorité. « Il faudrait un secteur d’enseignement neutre, disent-ils, où le petit Juif, le petit Canadien-français et le petit Protestant pourraient se coudoyer à l’école, chacun recevant l’enseignement religieux à son église ».

Mais, en pratique, quels sont les parents qui formeraient ces commissions scolaires neutres. Car, ne l’oublions pas, l’éducation au Canada français est entre les mains des parents.

Qu’on ne vienne pas demander à l’État un traitement de faveur, en marge de toutes nos lois, pour la création d’écoles athées qu’il prendrait à sa charge, en violant les droits et les responsabilités que le Canada français reconnaît aux parents.

État où existe juridiquement la liberté des cultes, État officiellement chrétien et pratiquement tolérant, le Québec applique exactement ses principes de l’égalité des citoyens devant la loi. Il doit aux athées la même mesure de justice qu’aux autres citoyens et il leur offre les mêmes lois ni plus, ni moins. Jamais l’État du Québec, par contre, ne se fera complice de la propagation de l’athéisme, cette maladie de l’esprit qu’il faut, certes, traiter avec autant de charité que de justice, mais non pas favoriser par un traitement d’exception, en trahissant la presque totalité d’un peuple qui se sent en possession tranquille de la vérité.

Chers amis et confrères de graduation, je m’étais prévalu de cette occasion pour vous rejoindre dans la jeunesse et pour considérer votre propre vision du monde, avec vos yeux de sévérité et d’idéal. Quelle conclusion pouvons-nous tirer, pour nous-mêmes et pour notre peuple? Même le matérialisme historique nous indique que la voie les hommes et les peuples qui survivent et triomphent, sont ceux

qui s’adaptent à leur milieu et qui sont soutenus par la vitalité d’une idéologie.

Ne méritez pas le reproche de Péguy lorsqu’il parle « du monde qui fait le malin, le monde des intelligents, ironise-t-il, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre, le monde de ceux qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement: le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent. » Vous rencontrerez des blasés, comme nous, autrefois, nous en avions. Ils vous diront qu’ils ont découvert le vide, le néant et l’absurde. Mais vous constaterez aujourd’hui, comme nous constations autrefois que ces faibles avaient peut-être essayé de tout excepté du dévouement à une noble cause! L’ambiance des faits, de l’époque et des pensées peut nous paraître comme une forêt insurmontable. Imitons la sagesse paisible de nos pères: la forêt innombrable d’un continent ne les a pas immobilisés dans l’impuissance de la peur. Bravons l’anxiété du monde et abattons nos arbres, les uns après les autres, dans une humble acceptation du devoir quotidien.

Comme vient de le rappeler le jeune président des États-Unis, si les hommes possèdent désormais les moyens d’anéantir la vie humaine, ils possèdent en même temps les moyens d’anéantir la misère humaine. Chez nous, il y a tant de ces misères physiques et surtout morales qu’il faut anéantir. Il y a tant de tâches qui s’offrent aux spécialistes sortant de nos universités, dans l’aménagement de nos ressources et de notre milieu, dans la coordination de nos virtualités financières, dans l’économique et dans l’urbanisme, dans la sociologie et dans la recherche, dans la Médecine comme dans le Droit et le Commerce, dans la politique comme dans le civisme.

Tout bouge, chez nous. Tout est en mouvement. Canalisez ce mouvement un peu désordonné vers des aboutissements de stabilité et de progrès. La tâche est là, concrète, présente et immense, qui attend tous vos labeurs et toutes vos énergies. Nous avons relevé, avec succès, les défis du passé, affrontons d’un même coeur les défis du présent. Aujourd’hui comme hier, le peuple canadien-français ne triomphera de son entourage nouveau qu’à la condition d’être soutenu par une idéologie qui tienne à toutes les pages de son histoire et à toutes les fibres de son âme.

Du sommet privilégié de votre jeunesse, regardez au-delà d’un horizon limité et cruel. Et si le désarroi devant le furieux conflit des choses et devant la nébuleuse des idées vous accule parfois au mur de l’absurde, sachez que toutes ces ténèbres sont promises à la Lumière, par un acte d’une simplicité aussi totale que le fait originels.  » Et la Lumière fut. »

La vision cruelle devient émerveillement. C’est dans cette lumière que vous pouvez prendre aujourd’hui votre grand départ, puisque vous êtes appelés à la conquérir, avec tout l’élan de vos forces, d’hommes dans la main de Dieu.

[QLESG19610603]

[Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste Ottawa. samedi_ le 3 juin 1961 Pour publication après 7200 P.M.

Hon. Jean Lesage. Premier ministre le 3 juin 1961 ]

C’est un plaisir de venir rencontrer les représentants d’un mouvement national dont le dynamisme, la vigueur et le réalisme ont rendu tant de services au groupement canadien-français. Mais c’est aussi un devoir, car j’estime que le gouvernement de la province qui compte le plus de Canadiens d’origine française n’a pas le droit de se désintéresser des activités d’une société nationale comme la Saint-Jean-Baptiste, surtout à un moment où celle-ci tient un congrès conjoint, sous le thème « Les relations françaises interprovinciales ».

En préparant ma conférence, j’ai constaté certaines similitudes entre le gouvernement du Québec et votre groupement. Je m’explique. D’après moi, les deux ont, chacun dans sa sphère respective, une responsabilité commune. Ils visent tous les deux, mais par des moyens différents, à encourager l’avancement de la cause canadienne-française.

La Société Saint-Jean-Baptiste est, dans la communauté canadienne, un organisme en éveil; d’une certaine façon, elle représente la conscience nationale du Canada français. Son rôle n’est pas seulement de préserver ou de conserver ce que nous avons. Si elle se limitait à cette action, elle perdrait beaucoup de son efficacité et se cantonnerait dans un conservatisme économique et social mal adapté aux nécessités changeantes de la vie moderne. Il lui faut donc, en plus de ce qui précède, et c’est là l’autre facette de son rôle -avoir les yeux tournés vers l’avenir pour être en mesure de le préparer et surtout préparer le groupement canadien-français à y faire face.

Si je parle ainsi, c’est parce que nous, Canadiens français, nous éprouvons constamment, sans toujours nous en rendre compte, la tentation de nous consoler collectivement de ce qui nous déplaît dans le présent par des réminiscences nostalgiques d’un passé glorieux. Il y a dans ce comportement, normal par ailleurs chez une minorité ethnique, certains dangers que vous comprendrez facilement, notamment celui d’une démission virtuelle en face des problèmes actuels. Comme société nationale des Canadiens français, la Saint-Jean-Baptiste peut faire énormément pour canaliser l’énergie de notre peuple vers des fins plus utiles et des entreprises plus urgentes que la seule contemplation passive et facilement stérile de notre histoire et de nos traditions….Nous devons nous inspirer du passé, nous devons l’aimer et le vénérer, mais il ne faut jamais perdre de vue les tâches redoutables du présent et les défis de l’avenir. Je sais que c’est là l’esprit qui anime votre Société; je vous encourage à maintenir cette attitude, car c’est ainsi que vous pourrez le mieux, selon moi, parvenir aux objectifs que vous vous êtes fixés et dont tout notre peuple attend la réalisation. Je ne veux pas dire par là que c’est à la Société Saint-Jean-Baptiste seule qu’en incombe toute la responsabilité et que c’est elle seule qui doit travailler à l’avancement de la cause canadienne-française. Si le gouvernement de la province de Québec était de cet avis, vous auriez tout à fait raison de l’accuser d’infidélité nationale.

Il arrive cependant que c’est loin d’être le cas. J’ai dit il y a quelques instants, que des similitudes existaient entre l’action de la Société Saint-Jean-Baptiste et celle du gouvernement de Québec. Je viens de vous exposer brièvement ma conception du travail qu’accomplit votre Société. Si vous me le permettez, je voudrais maintenant profiter de la première occasion que j’ai de vous rencontrer comme conférencier depuis que j’occupe le poste de Premier ministre, pour vous indiquer dans les grandes lignes la façon dont le gouvernement du

Québec a entrepris de s’acquitter de ses obligations envers le groupement canadien-français.

Je souligne, en passant, que ces obligations ne sont pas nouvelles et que nous ne sommes pas les premiers à les assumer. D’autres administrateurs l’ont fait avant la nôtre. Toutefois, ce qui est nouveau actuellement, c’est, je crois, le caractère systématique, coordonné et étendu de notre action. Nous n’avons pas en effet l’impression que l’épanouissement du peuple canadien-français sera assuré par la seule sauvegarde de la langue ou par la réalisation exclusive de tel ou tel autre objectif donné. Nous croyons plutôt que ce but sera atteint par la poursuite simultanée de plusieurs objectifs partiels, pourvu qu’ils soient logiquement agencés les uns aux autres et qu’ils se complètent mutuellement. En somme, nous croyons que la cause de l’avancement de notre minorité nationale dans tous les domaines ne sera bien servie que si le gouvernement du Québec — la seule province à prédominance canadienne-française – adopte ce que j’appellerais une politique globale, en ne négligeant de cette façon aucun des domaines d’activité capables de favoriser l’épanouissement économique, social et culturel de notre groupe ethnique. La bataille que notre situation particulière dans la nation canadienne nous oblige à livrer doit donc se dérouler sur plusieurs fronts à la fois.

Le gouvernement de la province de Québec a conçu toute son action selon cette optique et il l’a fait à partir d’un principe fondamental sur lequel j’aime à revenir à l’occasion.

Le gouvernement part du principe que l’État du Québec non seulement appartient à ses citoyens, mais qu’il constitue aussi le levier, le point d’appui commun dont nous pouvons, et devons nous servir dans la poursuite des tâches que nous imposent notre présence dans la réalité canadienne et notre survivance au sein d’un monde dont la culture est étrangère à la nôtre. Notre conception du rôle de l’État – du rôle de notre État ne s’inspire nullement d’une quelconque idéologie socialiste. Je dirais plutôt qu’elle provient d’un souci bien pragmatique. Nous n’avons tout simplement pas le choix de procéder autrement. Car il faut bien nous rendre compte d’une chose que l’histoire et la démographie nous dévoilent d’ailleurs brutalement. Comme groupe ethnique, nous formons environ 30% de la population canadienne. Nous ne représentons même pas un trentième de toute la population de l’Amérique du Nord, 6000000 , par rapport à 190000000 ! Nous sommes collectivement un sujet d’étonnement pour les historiens. Il y a longtemps en effet que nous aurions pu être assimilés, mais en dépit des lois de l’histoire, nous avons survécu.

Il y a, dans notre situation actuelle, quelque chose de grandiose et de tragique à la fois. Ce qui est grandiose, c’est notre volonté de persister; ce sont « nos traditions, notre langue et notre foi », selon l’expression consacrée. Ce qui est tragique, c’est que ces facteurs ne suffisent plus désormais. Le progrès moderne a fait disparaître les frontières et d’une certaine façon, nous ne sommes plus chez nous seulement sur les bords du Saint-Laurent. Que nous le voulions ou non, il nous faut faire face au reste de l’univers. D’autres influences que celles que nous avons appris à connaître commencent à se faire sentir chez nous. Toutes ces influences ne sont pas nécessairement mauvaises, loin de là. Mais certaines d’entre elles, notamment l’américanisme, offrent des dangers nouveaux contre lesquels nous ne sommes pas préparés.

La conjoncture présente nous force à repenser nos positions traditionnelles. Il nous faut des moyens puissants non seulement pour relever les défis inévitables que nous rencontrerons dans les années qui viennent, mais aussi pour mettre le peuple canadien-français au diapason du monde actuel. Or le seul moyen puissant que nous possédions, c’est l’État du Québec, c’est notre État. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de ne pas l’utiliser. Je n’ai pas le droit, comme Premier ministre du gouvernement de cet État, de vous dire qu’il faut nous en remettre en cette matière aux seuls efforts des individus ou des groupements organisés. Je n’ai pas non plus le droit de vous dire qu’il faut nous contenter, comme par le passé, de faire confiance à notre culture pour la bonne raison que, justement, c’est elle qui est en danger.

Si nous refusions de nous servir de notre État, par crainte ou préjugé, nous nous priverions alors de ce qui est peut-être l’unique recours qui nous reste pour survivre comme minorité ethnique et pour progresser comme peuple conscient des exigences du monde dans lequel nous sommes dorénavant appelée à vivre.

Ce principe d’action, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger s’y conforme depuis bientôt un an. Un tel laps de temps est trop court pour que nous puissions déjà entrevoir les résultats concrets des décisions que nous avons prises. Il est assez long toutefois pour que la population commence à se rendre compte du soin constant que nous mettons à traduire dans les faits les principes auxquels nous déclarons croire. Il est assez long aussi pour qu’elle constate que, loin de nous limiter à un domaine d’action restreint, nous avons plutôt résolu de nous attaquer à plusieurs secteurs importants de notre vie économique et culturelle. Nous nous efforçons ainsi de mettre en application cette politique globale dont je vous parlais tout à l’heure, et qui, selon nous, est la condition même du succès d’une aussi vaste entreprise d’affirmation nationale. Les mesures que nous avons adoptées dans le domaine des richesses naturelles par exemple, et, plus encore, celles que nous adopterons avant longtemps tendent à matérialiser ce que nous avons toujours prétendu. Les richesses naturelles du Québec appartiennent en propre aux citoyens de la province; elles doivent être exploitées d’abord et avant tout à leur avantage et cela, de façon rationnelle, pour obéir aux impératifs de l’économie moderne. À ce propos, je voudrais signaler que le gouvernement que je représente favorise le principe de la formation de sociétés mixtes – c’est-à-dire de « sociétés de gestion » – dont le but sera d’accélérer le développement et de faciliter la transformation au Québec de nos richesses naturelles, par une alliance heureuse de l’initiative privée et de celle de l’État. Si je ne me trompe, les sociétés Saint-Jean-Baptiste de la province de Québec ont longtemps préconisé cette formule d’exploitation susceptible de fournir les capitaux que rendent nécessaires des projets de cette envergure. En acceptant de suivre cette recommandation, nous nous rendrons au désir de ceux qui l’ont énoncée et nous fournirons au peuple canadien-français un instrument de libération économique.

Il entre aussi dans nos intentions de procéder, lors de l’échéance des ententes avec les sociétés qui exploitent les richesses naturelles du Québec, à une révision complète du taux des redevances que celles-ci versent présentement à la province. Nous verrons, entre autres, à ce que ces redevances correspondent davantage à l’importance des revenus que ces sociétés retirent de leur exploitation. Nous voulons également faire tout en notre pouvoir pour inciter ces mêmes sociétés à employer plus de personnel technique et administratif formé dans le Québec.

Prenons maintenant un autre domaine d’activité du gouvernement, celui des relations fédérales-provinciales. Vous savez que si la vie en confédération comporte des avantages, elle peut aussi recéler certains risques auxquels les minorités nationales sont facilement exposées, à moins qu’elles ne portent une vigilance constante aux relations qui existent entre le gouvernement qui les administre et le pouvoir central. Nous avons, pour cette raison, doté le Québec d’un nouveau ministère, celui des Affaires fédérales-provinciales. Il concrétise une attitude plus réaliste en matière de fédéralisme, attitude fondée sur l’esprit nouveau que le Québec veut faire régner en ce domaine au Canada. Déjà, nous avons commencé à la manifester par les suggestions que nous avons faites aux conférences fédérales-provinciales. Je ne veux pas revenir sur les détails techniques de ces suggestions; je tiens seulement à vous dire que nous avons tenté, en quelque sorte, de réintégrer le Québec dans la Confédération. Si nous l’avons fait, ce n’est pas – comme certaines personnes mal informées ou mal intentionnées l’ont prétendu – parce que nous avons abandonné la lutte pour les droits que le peuple du Québec a si durement acquis dans le passé; au contraire, c’est parce que nous valorisons l’autonomie de notre province et que nous voulons directement et activement prendre part aux décisions qui nous touchent de près.

On dit souvent que la solidité de la famille canadienne-française est un des facteurs responsables de la survivance de notre peuple. Cela est certainement vrai lorsqu’on songe de quelle façon la famille de chez nous a su conserver bien vivantes nos traditions. Elle a préservé nos traits culturels et a rendu possible, en deux cents ans et pratiquement sans immigration, la multiplication par cent des 60000 Canadiens d’origine française qui ont eu le courage de demeurer au pays après la conquête.

Le gouvernement du Québec comprend parfaitement le rôle éminent qu’a joué l’entité familiale dans notre histoire et sait que notre avenir est intimement lié à l’évolution de la famille chez nous. Pour l’aider dans l’accomplissement de ses devoirs et pour garantir son intégrité, nous avons jugé bon d’instituer un ministère de la Famille. Ce ministère est chargé de repenser en fonction de la famille toute la législation sociale du Québec. Nous voulons augmenter, dans la mesure du possible, le niveau de vie matériel des personnes et des familles qui en ont besoin. Cependant, nous voulons aussi et c’est probablement ce qui, en ce domaine, nous distingue le plus des autres gouvernements de l’Amérique du Nord – nous voulons, dis-je, soutenir du même coup et rendre encore plus solide une institution qui, dans la forme qu’elle a prise chez nous, a valu à notre peuple sa survivance et sa conception chrétienne de la vie. Nous savons que les Canadiens français doivent beaucoup à l’institution familiale, mais nous savons surtout qu’elle les armera, dans les temps à venir, des qualités humaines qu’il leur faudra pour s’acquitter des tâches nouvelles qui les attendent.

Dans ce qui précède, je me suis permis de vous donner un aperçu de l’action systématique que le gouvernement du Québec avait entreprise dans plusieurs secteurs. Je dois avouer, toutefois, que cette action n’aurait que peu de portée si elle ne s’accompagnait pas d’un vaste mouvement éducationnel et culturel. Car, quoi que nous fassions et même si nous parvenions à vivre dans le confort idéal, nos richesses matérielles et financières, malgré leur étendue, ne pourront jamais se comparer au total à celles d’autres pays comme les États-Unis. Je veux dire par là que nous ne serons jamais matériellement ou militairement très puissants. Nous sommes trop peu nombreux pour cela et il est inutile de nous faire illusion là-dessus. Il ne nous servirait à rien de rechercher, par des réalisations gigantesques, la renommée de nos voisins du sud; nous n’y arriverions pas. Nous y perdrions notre temps et nos énergies et nous négligerions de nous engager dans une voie capable de nous conduire à l’affirmation de nous-mêmes. Cette voie, c’est celle de l’éducation et de la culture.

Dans ces deux domaines, le peuple canadien-français est tout à fait apte à faire sa marque et à se manifester à l’attention des autres peuples du monde. La capacité d’apprendre, de comprendre, d’enseigner, et de créer ne lui manque pas; les oeuvres de nos savants, de nos écrivains et de nos artistes le prouvent. Je dirais cependant — au risque d’être un peu injuste — que beaucoup de ces personnes ont pu mettre leurs talents en valeur malgré l’ambiance qui les entourait, malgré l’indifférence générale. C’est cette situation d’exception que nous ne pouvons et que nous ne voulons pas tolérer. Par certaines des décisions qu’il a prises, le gouvernement du Québec veut changer le climat intellectuel de la province et favoriser le rayonnement de la culture canadienne-française au Canada et ailleurs.

Vous connaissez notre souci de l’éducation. Vous êtes au courant des mesures que nous avons adoptées pour munir nos maisons d’enseignement de ce qui leur manquait pour remplir leur fonction première; vous savez quelle attention nous voulons accorder à la formation des éducateurs; vous connaissez aussi notre désir de rendre, le plus tôt possible, l’éducation accessible à tous. Je ne veux donc pas revenir là-dessus maintenant.

J’aimerais plutôt vous dire quelques mots de notre action dans le domaine culturel. Le Québec est actuellement la seule province du Canada à avoir un ministère des Affaires Culturelles. Par la création de ce ministère, nous considérons avoir doté le Canada français d’un merveilleux instrument pour la diffusion et l’épanouissement de ce que nous appelons le fait français en Amérique. Pour le gouvernement du Québec, la formation d’un tel ministère constituait un devoir; il était le seul à pouvoir l’accomplir et le seul en mesure de répandre notre culture commune à l’extérieur des frontières de la province et même du pays.

D’ailleurs, d’une certaine façon, ces frontières ne veulent plus dire grand chose. La majorité des Canadiens français demeurent dans le Québec, mais des centaines de milliers d’entre eux vivent dans d’autres provinces du Canada et aux États-Unis. De ce fait et à cause de sa cohésion et de sa force numérique, le Québec doit en quelque sorte se considérer comme la mère-patrie de tous ceux qui, en Amérique du Nord, parlent notre langue. Notre province est donc presque moralement obligée d’accorder son concours à ces groupes de nos compatriotes qui, par leur situation, sont en plus grand danger d’être assimilés ou de perdre contact avec la culture française. Par son intérêt à leur égard, elle aidera ces groupes à sauvegarder leur entité propre et se protégera elle-même grâce à l’appui que ces groupes éloignés de Canadiens français pourront lui donner. C’est pour cette raison que le nouveau ministère des Affaires Culturelles a sous sa juridiction le Service, également nouveau, du Canada français d’outre-frontière. L’organisation matérielle de ce Service n’est pas encore complète, mais vous me permettrez, en terminant, de m’arrêter un instant à quelques-unes des fonctions qu’il pourra remplir.

Il pourra d’abord mettre sur pied tout un programme d’échanges culturels. Grâce à ce programme, les Canadiens français des autres provinces pourront, en nombre plus grand que maintenant, s’inscrire à nos maisons d’enseignement. Le Québec participera ainsi à la formation des cadres dont nos compatriotes de l’extérieur de la province ont souvent besoin.

Un tel programme d’échanges culturels ne se limitera pas à la venue ici d’étudiants de l’extérieur. Par des visites et des tournées de conférences régulières, nos professeurs et instituteurs du Québec seront en mesure de faire profiter nos compatriotes de leur expérience et de leurs sciences, sans compter qu’ils retireront eux-mêmes un grand bénéfice de leur séjour hors des frontières de la province.

Les artistes du Québec, quel que soit leur champ d’activité, pourront aussi nous représenter avantageusement en dehors de la province. Ils ont déjà beaucoup accompli dans ce domaine. Le Service du Canada français d’Outre-frontières systématisera leur participation et la rendra plus conforme aux désirs des publics qui ont besoin de recevoir et aux désirs des artistes qui ont besoin de donner. Le Service pourra enfin diffuser la littérature canadienne-française dans les autres provinces et dans les centres franco-américains. Ce sera là, si je ne m’abuse, un précieux encouragement à tous ceux qui ont la vocation littéraire.

Il y aurait bien d’autres choses à ajouter en ce qui concerne le travail qu’accomplira ce Service, notamment auprès des Néo-canadiens que le gouvernement essaiera d’intégrer à notre culture en aussi grand nombre que possible.

J’en aurais, aussi, encore long à dire si je voulais esquisser devant vous tout ce que nous espérons – et ce que vous-mêmes espérez sans doute – du ministère des Affaires Culturelles. Je pense ici en particulier à l’influence durable et profonde que pourra avoir le Conseil provincial des Arts et l’Office de la langue française sur l’épanouissement culturel de notre peuple. J’aime mieux cependant ne pas m’engager dans ce sujet, ce qui m’obligerait à vous retenir ici au moins encore une heure. Je tiens plutôt à vous dire que le gouvernement du Québec considère qu’il vient à peine de commencer l’action qu’il s’est proposé d’entreprendre dans le domaine culturel. Il en est de même dans presque tous ses autres champs d’activités. Il y a tellement à faire et, justement parce que notre tâche est aussi étendue, vous ne pouvez savoir combien il est réconfortant pour nous de recevoir, de la part d’organismes comme le vôtre, ou de simples citoyens, les témoignages d’appréciation et les commentaires approbateurs qu’on a bien voulu nous faire parvenir sur le travail accompli jusqu’ici. Lorsque quelqu’un tente d’innover en matière artistique et culturelle, il rencontre souvent l’incompréhension ou l’indifférence de ceux qui ont l’habitude du conformisme. Un gouvernement est en butte un peu au même problème, surtout si l’action qu’il entreprend ne comporte pas d’effets tangibles immédiats. On a tendance à oublier que le futur est une époque qui se prépare, et que cette époque, pour notre province, est déjà arrivée. Nous devons faire vite, mais nous devons faire bien.

Au Québec, tout en repensant notre notion traditionnelle de patriotisme, nous posons présentement les jalons d’une ère nouvelle. Le gouvernement de la province est pleinement conscient de tout ce que la population attend de lui; il sait aussi qu’il faut du temps pour réaliser l’entreprise de

rénovation et d’affirmation nationale à laquelle

il s’est attaquée; il sait surtout qu’il a besoin de la collaboration de tous et de chacun — de la collaboration de tout Canadien d’expression française — pour surmonter les obstacles et résoudre les problèmes qu’il rencontrera sur sa voie.

Le gouvernement du Québec — comme tout gouvernement est formé de personnes, d’êtres humains qui ne sont ni infaillibles malgré les difficultés qui pourront surgir, une chose demeure toutefois certaine nous ne permettrons pas, nous ne permettrons jamais si c’est humainement possible, que soit déçu cet immense espoir que nous avons soulevé chez tous les Canadiens français.

[QLESG19610615]

[Institut des Comptables Agréés Québec, le 15 juin 1961

Hon. Jean Lesage. Premier Ministre

Pour publication après 3:00 hres P.M. le 15 juin 1961]

Je ne sais pas si vous m’avez invité à vous adresser la parole cet après-midi à titre de Premier ministre ou à titre de Ministre des Finances. De toute façon, veuillez croire que je suis très heureux de venir vous rencontrer à l’occasion du Congrès Provincial Annuel de votre Institut, et heureux aussi de constater que vous avez choisi la capitale provinciale comme siège de vos délibérations.

Un ministre des Finances n’a jamais l’impression d’être en territoire étranger lorsqu’il se trouve au milieu de gens qui, comme vous, sont, de par leur profession, appelés à vérifier, à contrôler et à clarifier les états financiers des entreprises qui font appel à leurs services. Il existe évidemment des différences entre les responsabilités de ce ministre et celles des comptables agréés. J’ai pensé cependant qu’il existait assez de similitudes pour que je me permette, cet après-midi, si vous le voulez bien, de vous entretenir d’un sujet qui est à la fois d’intérêt public et d’intérêt privé. Ce sujet – les tâches actuelles du gouvernement québécois – est d’intérêt public parce qu’il concerne l’ensemble de notre population. Il est aussi d’intérêt privé parce que la population est composée de citoyens qui ont le privilège, pas toujours apprécié – c’est entendu, de participer selon leurs moyens au coût de l’administration gouvernementale. Celle-ci en échange – cela on l’oublie facilement – leur fournit les nombreux services que rend nécessaires la vie dans une société toujours plus complexe.

À cause du développement industriel et des nouvelles conceptions sociales, on demande de plus en plus à l’État. Il y a à cela deux raisons bien précises.

Dans bien des cas, les services fournis par le gouvernement ne pourraient être assurée par l’initiative privée seule, parce qu’ils ne sont pas économiquement ou immédiatement rentable. La construction d’un réseau de routes modernes, l’édification d’écoles et d’hôpitaux ou encore l’établissement de bibliothèques publiques appartiennent à ce premier groupe.

Il existe aussi certains services dont la nature même oblige l’État à les prendre à sa charge. Je pense ici aux forces armées, à l’administration de la Justice ou, dans un autre domaine au système postal. Ici encore, les divers niveaux de gouvernement se répartissent la tâche selon leur juridiction propre.

Enfin, à cause des circonstances, l’État a graduellement été amené à fournir aux citoyens qui en ont besoin une tranche de plus en plus imposante d’assistance sociale. Pour garantir un degré de sécurité convenable aux individus et aux familles menacées par le chômage, la maladie ou la vieillesse, il a organisé un vaste régime de protection sociale. Il a également eu, pour la même raison, à prendre des responsabilités accrues dans le domaine de la santé et de l’hygiène publique.

En plus de cet éventail impressionnant et varié d’activités, l’État s’est en quelque sorte vu confier, par ses citoyens eux-mêmes, le soin de façonner, à l’intention du secteur privé, le cadre à l’intérieur duquel celui-ci évolue. Il peut arriver à remplir cette responsabilité nouvelle au moyen de la législation qu’il adopte ou grâce à la politique économique qu’il décide de suivre. En d’autres termes, non seulement accepte-t-on que le gouvernement entre dans des domaines d’activités comme ceux dont je viens de donner de brefs exemples, mais on a fini à la longue par le rendre responsable de la stabilité et de la croissance économique de la nation tout entière. Cela est tellement vrai que, si quelque chose ne va pas de ce côté – augmentation du chômage, par exemple, ou exploitation non rationnelle des richesses naturelles – c’est d’abord au gouvernement qu’on s’en prend. Je signale le fait pour démontrer jusqu’à quel point l’idée est maintenant ancrée dans l’opinion publique que l’État n’a plus le droit de ne pas intervenir lorsque l’intérêt commun est en jeu. Vous pouvez voir combien nous sommes loin – non pas chronologiquement, mais psychologiquement – des anciennes théories qui voulaient que l’État s’immisce le moins possible dans la vie économique de la nation.

La province de Québec n’a pas échappé à l’évolution de la pensée sociale dans ce domaine. Du reste, cette pensée, construite sur des faits patents et justifiée par la nécessité des réformes à accomplir dans un univers économique qu’on avait trop longtemps laissé à lui-même, cette pensée, dis-je, a trouvé des applications d’intensité variable dans tous les pays du monde, notamment dans les pays occidentaux. La population du Québec ne peut pas toutefois demander à son gouvernement d’assumer des responsabilités aussi étendues que celles du gouvernement central, par exemple dans le domaine de la stabilisation économique. Comme province, le Québec ne dispose pas de tous les moyens à court et à long terme dont peut se servir l’administration fédérale. Il ne contrôle pas la monnaie; il n’a pas non plus d’influence directe sur le volume des échanges commerciaux avec les autres pays.

Néanmoins, le gouvernement que je représente ne peut pas, pour cette raison – si bonne semble-t-elle – adopter une attitude passive et se retirer à l’écart en attendant le résultat des événements. S’il choisissait d’agir ainsi, il n’accomplirait pas sa tâche puisqu’il est en mesure, de par les pouvoirs législatifs et fiscaux dont il dispose tout de même, d’exercer une influence appréciable sur la vie économique et sociale de la province. Ce n’est pas à lui, bien entendu, qu’appartient la responsabilité de tout mettre en oeuvre et de tout diriger. Il n’a pas non plus l’intention de se substituer aux efforts des individus et des groupes privés. Mais il a le devoir d’être présent; il a le devoir de faciliter aux citoyens du Québec la réalisation de leurs objectifs communs; il a surtout le devoir de leur fournir les instruments dont ils ont un urgent besoin: sinon, ces objectifs risquent de demeurer des mirages inaccessibles.

J’ai utilisé à dessein l’expression « urgent besoin », car, s’il nous faut, comme toute nation, nous équiper collectivement pour l’avenir, il nous faut aussi, et dans le plus bref délai possible, rattraper des retards inquiétants. Évidemment, le Québec, à bien des points de vue, est plus avancé qu’un grand nombre de nations du monde. Notre niveau de vie est très élevé si on le compare à celui qui prévaut dans certains pays d’Asie ou d’Amérique

Latine. Quand je dis, donc, que nous avons des retards à combler, je situe le Québec non pas dans un continent hypothétique composé de pays sous-développés, mais bien là où il est géographiquement localisé, c’est-à-dire en Amérique du Nord. Et il arrive qu’en comparaison avec le reste de cette partie du monde, nous sommes en retard. À ce propos, il ne faut pas se laisser tromper par les apparences. Nous avons beaucoup de jolies villes, nos établissements de commerce sont modernes, nos industries sont bien équipées. Pour peu qu’on aille plus loin que cette surface parfois resplendissante, on s’aperçoit facilement des graves lacunes qui demeurent, par exemple dans le domaine de l’éducation et celui de la culture, dans celui des services sociaux, dans celui de la voirie, dans celui de l’habitation, dans celui de l’agriculture et dans bien d’autres encore.

Lorsque je qualifie tous ces retards d’inquiétants, c’est que notre caractéristique de minorité nationale nous rend plus vulnérables à la puissance économique, financière et culturelle des nations plus grandes qui nous entourent et dont les produits de toutes espèces traversent nos frontières. Tous les gouvernements du monde ont au moins deux choses en commun: lorsqu’ils exercent le pouvoir, ils le font après avoir succédé à d’autres dont le comportement a inévitablement laissé des traces et dont souvent la philosophie était différente. De plus, les ressources financières grâce auxquelles ils peuvent mettre en application les programmes qu’ils se sont tracés sont forcément limitées. Ces deux constantes forment, si l’on veut, l’arrière-plan concret sur lequel s’édifiera leur politique. Elles peuvent plus ou moins compliquer leur tâche, mais elles restreignent toujours l’ampleur de leur action. Le gouvernement actuel du Québec, a, lui aussi, succédé à un gouvernement antérieur dont l’optique administrative différait de la sienne et dont les traces ne se sont pas encore effacées. Deux de ces traces, peut-être les plus persistantes, sont d’abord les retards dont je parlais il y a un instant et ensuite la somme surprenante des engagements de l’ancien régime pour les vingt prochaines années: comme je le disais dans mon discours du budget, ceux-ci atteignaient, au 5 juillet 1960, le sommet de $344000000.

Si vous ajoutez ce chiffre à la deuxième difficulté à laquelle tout gouvernement doit faire face, c’est-à-dire les ressources financières limitées, vous comprendrez facilement combien se compliquait la tâche déjà difficile pour le gouvernement que je dirige de mettre en oeuvre le vaste programme de rénovation nationale qu’une étude sérieuse de la situation du Québec lui avait permis de dresser. Pourtant, il ne pouvait être question de repousser à plus tard l’instauration des réformes prévues. Celles-ci étaient depuis longtemps d’ailleurs tellement urgentes qu’on peut s’étonner de ce qu’elles n’aient pas été appliquées par l’ancien régime.

Nous avons par exemple un capital humain précieux à mettre en valeur. Nous comptons y arriver, comme l’ont fait d’autres nations, par un effort intense d’éducation et de culture. Mais pour cela il faut doter nos institutions d’enseignement de l’équipement matériel indispensable, il faut les rendre capables d’absorber un nombre grandissant de jeunes.

Nous devons aussi moderniser tout notre réseau de routes, construire des voies nouvelles, ouvrir de nouveaux territoires à l’exploration et au peuplement, relier les villes entre elles par des routes adaptées au siècle dans lequel nous vivons.

Nous avons également de grandes responsabilités à assumer dans le domaine du développement urbain rationnel et dans le réaménagement de certaines villes; nous devons favoriser l’habitation familiale, faciliter l’accès à la propriété domiciliaire.

Notre action en matière de santé nous force à améliorer les services hospitaliers actuels et à accroître le nombre des hôpitaux et des cliniques.

Le gouvernement doit aussi établir tout un ensemble de services, moins tangibles peut-être que ceux que je viens de nommer, mais aussi nécessaires. Je pense ici aux services techniques de recherche, presque inexistants il n’y a pas encore une année, qu’il nous a fallu développer au sein de l’administration provinciale et qui devront prendre de plus en plus d’expansion, à mesure que le réclameront les efforts de planification du gouvernement. Toutes ces tâches qu’il nous faut entreprendre je suis loin, en passant, de les avoir toutes mentionnées – nous devons nous en acquitter non pas seulement pour l’unique raison que nous nous sommes engagés à le faire;. disons plutôt que, si nous nous sommes engagée à les accomplir, c’est parce que la situation du Québec le réclamait. Il y a là une nuance, nuance que perçoivent facilement les nombreuses associations professionnelles, les groupes d’hommes d’affaires, les sociétés nationales et les mouvements ouvriers qui ont longtemps insisté pour que le gouvernement de la province s’attaque aux lacunes que nous avons commencé à combler. En nous rendant à ces désirs, si souvent exprimés, nous suivons tout simplement la voie que nous ont indiquée les citoyens de cette province en nous confiant l’administration de celle-ci.

Mais, comme vous le savez bien, vous qui êtes professionnels des domaines de la comptabilité et de l’administration, nous vivons dans un monde oh la réalisation des projets les plus louables est subordonnée à la quantité des ressources matérielles disponibles. Dans le cas d’un gouvernement, ces ressources matérielles sont surtout d’ordre financier. « Grosso modo », un gouvernement pourra accomplir ce qu’il s’est proposé de faire dans la mesure où ses ressources financières disponibles le lui permettront. Là-dessus, je pense que tout le monde s’entend, du moins en principe.

Il arrive cependant qu’on confond souvent les ressources disponibles, selon l’expression que je viens d’utiliser, avec les revenus courants. En d’autres termes, au lieu de s’exprimer comme je le faisais il y a une seconde, on dira qu’un gouvernement accomplira ce qu’il s’est proposé de faire « dans la mesure oh ses revenus courants le lui permettront ». Dès qu’on est victime de cette confusion, on s’enferme dans un raisonnement sans issue.

D’après moi, le gouvernement est un peu comme une entreprise du genre de celles avec lesquelles vous êtes familiers. Je sais que toute comparaison cloche et la mienne n’échappe pas à la règle. Néanmoins, elle me permettra de mieux vous exposer ce que j’ai à l’esprit. Lorsqu’une entreprise veut financer une expansion devenue nécessaire, elle peut le faire de deux façons. La première vient immédiatement à l’idée; elle peut puiser à même ses revenus courants ou ses réserves et en affecter une partie à l’achat d’équipement ou à la construction de bâtisses nouvelles. Si cette première méthode de financement est insuffisante, comme c’est fréquemment le cas, il lui en reste une autre également très connue et acceptée de tous les hommes d’affaires: elle peut emprunter, quitte à répartir l’amortissement de l’emprunt sur un certain nombre d’années. Si elle choisit la seconde méthode de financement, personne n’ira dire que l’entreprise en question est en déficit, puisqu’elle agit de la sorte justement pour augmenter ses revenus, grâce à une production accrue et améliorée.

Un gouvernement provincial procède un peu de la même façon. S’il établit comme règle inéluctable et définitive de se limiter à ses seuls revenus courants, il devient incapable de stimuler une expansion rapide, si impérieuse soit-elle. Tout comme l’entreprise, il lui faut donc à l’occasion, avoir recours à l’emprunt. Quand cet emprunt est destiné à financer un programme d’expansion, on ne saurait, pas plus que dans le cas de l’entreprise, brandir l’épouvantail du déficit et s’inquiéter d’une soi-disant mauvaise administration des deniers publics.

Quand, durant une guerre, un gouvernement défend la liberté de ses citoyens, il est logique et juste que ceux de la prochaine génération participent financièrement aux sacrifices qui leur ont permis de naître libres.

Quelle est la personne malade qui choisirait de mourir plutôt que de se faire traiter par un médecin qu’elle ne pourrait payer que plus tard? Quel est l’homme qui considère comme une dette à éviter une hypothèque sur une maison où il peut assurer le bien-être de sa famille? Au contraire, il estimera comme un actif la partie de la maison que cette façon d’agir lui aura permis de payer.

Il en est de même du gouvernement dans des projets dont la bienfaisante influence se fera sentir dans le monde de demain, et, là encore, il est logique et juste que ceux qui en bénéficieront participent financièrement à nos efforts. En face des responsabilités urgentes que les besoins du Québec l’obligent à assumer, le gouvernement de la province a résolu de recourir temporairement à l’emprunt. Ses revenus courants, bien que supérieurs à ses dépenses ordinaires, n’auraient pas du tout suffi à financer les investissements de tout genre qu’il doit présentement effectuer. Car il s’agit bien d’investissements. Quel autre terme peut-on en effet utiliser pour décrire les vastes projets que nous voulons mettre en oeuvre et dont les résultats heureux se répercuteront sur des générations de citoyens. Nous investissons dans notre capital humain, dans la mise en valeur de nos richesses, dans le meilleur état de santé de notre population, et que sais-je encore. Tous ces investissements, comme vous le savez, augmenteront la capacité productive de toute la province. Cette capacité accrue permettra non seulement le remboursement des intérêts et du capital emprunté, mais améliorera le niveau de vie des citoyens du Québec.

Évidemment, si nous n’avions pas eu à supporter les engagements énormes de nos prédécesseurs et si le gouvernement central n’avait pas manoeuvré, lors des récentes conférences fiscales, comme s’il voulait mettre un frein à l’expansion économique et sociale du Québec, la dimension de nos emprunts aurait pu être moindre.

Tout de même, il y a des besoins à rencontrer, et à rencontrer immédiatement. C’est pourquoi comme l’ont d’ailleurs signalé un très grand nombre d’observateurs impartiaux, dont des membres éminents de votre profession – je me permets de croire que nous avons choisi la politique financière la plus sensée et la plus logique dans les circonstances. Nous n’acceptons pas en effet que des théories périmées nous interdisent l’usage de l’emprunt public; après tout, l’emprunt lancé pour des fins comme celles que j’ai invoquées il y a quelques instants est une ressource disponible, pratiquement au même titre que les revenus courants.

Du reste, je pense que lorsqu’on considère des investissements seulement en fonction des dépenses temporaires qu’ils provoquent, on en oublie le véritable sens. Il faut plutôt s’efforcer d’en entrevoir les résultats. Car on n’investit pas pour le plaisir de dépenser; on investit pour produire davantage. Et produire davantage, dans le sens où je l’entends ici, cela veut dire pour la population du Québec une vie plus remplie et plus heureuse.

[QLESG19610629]

[CORPORATION DES AGRONOMES DE LA PROVINCE DE QUEBEC Montréal, le 29 juin 1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.

Hon Jean Lesage Premier ministre le 29 juin 1961]

J’ai craint un moment, monsieur le Président, que la prolongation de la session m’empêche d’accepter votre aimable invitation à adresser la parole à ce congrès annuel des agronomes du Québec. J’en aurais été déçu. J’ai eu peur de nouveau quand je me suis rendu compte de l’impossibilité absolue où je me trouvais d’être avec vous ce soir. Inutile de vous dire combien j’apprécie la courtoisie dont vous avez fait preuve à mon égard en retardant notre rencontre jusqu’à ce soir pour ne pas m’enlever le plaisir de vous adresser la parole.

Je suis, en effet, tellement heureux d’avoir cette occasion d’expliquer, un peu plus en détail que les circonstances ne me l’ont permis en ces derniers temps, les positions très fermes que j’ai prises sur une double question qui englobe toutes les préoccupations de votre groupement: les progrès de l’agriculture et l’avancement de la profession d’agronome dans la province de Québec.

Deux mots, tout d’abord, sur notre agriculture. Avions-nous raison de parler de la stagnation relative de nos exploitations agricoles? Je n’ai jamais prétendu, remarquez-le bien, au titre d’expert en agriculture. Mais, comme l’honnête homme du dix-septième siècle, un chef de parti politique se doit, sur tous les grands problèmes de l’heure, d’acquérir quelques clartés, de se renseigner auprès de ceux qui savent, et de regarder les choses d’un point de vue objectif et réaliste. Or, pour me renseigner sur la question que je pose, je n’avais qu’à entendre les doléances des porte-parole des cultivateurs et je n’avais, messieurs les agronomes, qu’à parcourir le compte rendu de vos congrès annuels et de vos journées d’études régionales. Je tiens, messieurs, à vous rendre immédiatement ce témoignage que, depuis la formation de votre association professionnelle, vous n’avez cessé, fidèles à votre devise, « Servir », d’étudier en commun les besoins de notre agriculture, de faire constamment le point, et d’indiquer, au meilleur de votre connaissance, et les objectifs que nous devions nous imposer et les moyens de les atteindre. Vous aviez le courage de situer notre agriculture, non pas en rapport seulement avec un lointain passé, mais en fonction de la concurrence qu’elle avait à subir à l’heure présente et qu’elle devrait affronter dans un proche avenir, face à l’accélération du progrès technologique agricole. De toutes vos études, une conclusion principale se dégageait, à savoir que dans le contexte nord-américain, l’agriculture du Québec accusait un retard des plus inquiétants. Vos études suggéraient bien qu’un vigoureux coup de barre devenait impérieusement nécessaire si nous voulions conserver et étendre nos marchés, et assurer, dans cette province, la survivance d’un nombre suffisant de fermes familiales rentables.

Mon premier geste a été de nommer à la direction des ministères de l’Agriculture et de la Colonisation un homme possédant une connaissance pratique et théorique des problèmes du colon et du cultivateur, un travailleur acharné, l’un de vos confrères, mon collaborateur intime, Alcide Courcy. La tâche que je lui ai confiée, vous le savez beaucoup mieux que moi, est difficile et complexe. Cependant, elle se rattache à cette oeuvre de planification que je considère essentielle au progrès du Québec et, tout particulièrement, à l’épanouissement économique, social et culturel de notre groupe ethnique.

Je me suis aussi empressé, à la demande de vos porte-parole et sur la recommandation de mon ministre de l’Agriculture, de faire adopter le bill 249 (Loi modifiant la Loi constituant la corporation des agronomes) et le bill 35 (Loi concernant l’exercice de la profession d’agronome).

Le bill 249 vous a permis d’apporter à votre constitution originale les changements que 19 années d’expérience et d’évolution avaient rendus nécessaires. Le bill 35, d’autre part, vous redonne, auprès de l’État provincial, les privilèges corporatifs que vous aviez perdus en 1945. Cette loi constitue à la fois un acte de reconnaissance et un acte de foi. Nous reconnaissons l’attitude altruiste, véritablement professionnelle, que votre corporation

a manifesté jusqu’à ce jour, et nous avons confiance que les agronomes du Québec continueront d’évoluer dans le plein sens de leurs responsabilités individuelles et collectives, scientifiques et sociales. Je reviens à ce but ultime que je mentionnais à l’instant: l’épanouissement du Québec et de notre groupe ethnique. Ce but, nous ne pourrons l’atteindre que par ce que j’appellerais une politique globale, c’est-à-dire par la poursuite simultanée de plusieurs objectifs partiels, s’agençant logiquement les uns aux autres et se complétant mutuellement. Soyez assurés, Messieurs, que dans l’élaboration et l’application de cette politique globale, le gouvernement réserve une place de choix au relèvement de l’agriculture québécoise et à l’action du corps agronomique. Se faisant en cela le porte-parole de tous ses collègues, M. Courcy a souligné, à maintes reprises, l’importance économique et sociologique de l’agriculture pour nous, Canadiens français, pour qui la possession et l’utilisation rationnelle du sol constituent encore, et représenteront toujours, des éléments majeurs de survivance et d’épanouissement.

L’élaboration d’une véritable politique agricole, s’intégrant à la politique globale dont je viens de parler, ne peut résulter que de la méthode démocratique qu’on a pu croire, chez nous, en voie de disparaître.

La méthode démocratique, c’est celle du dialogue avec les administrés, leurs élites, leurs porte-parole. Elle vise tout d’abord à réaliser l’unanimité des esprits sur les solutions essentielles aux problèmes qui se posent. Elle tend ensuite à établir des compromis entre les idées et les intérêts qui sont ou semblent inconciliables. Elle demande de la part des gouvernants un réel courage. Car, par suite des dialogues constants qu’elle suscite avec les divers groupements de la population, elle contribue à poser les problèmes devant l’opinion publique, plutôt qu’à les escamoter; elle engage les gouvernants à trancher les débats qui se prolongent après tous les essais de conciliation; elle les place en face de leurs responsabilités et les pousse irrésistiblement à l’action.

Pouvons-nous dès maintenant juger cette méthode, comme on juge l’arbre à ses fruits? Quel a été le résultat de cette première année d’expérience, dans le domaine qui vous intéresse? Je ne saurais entrer dans les détails; je laisse aux experts le soin d’y aller de leurs commentaires. Mais il me semble que le bilan agricole de notre première session montre un actif très encourageant.

Des actes législatifs ont été posés touchant la revalorisation de la profession d’agronome, le financement et la consolidation des fermes familiales, la stimulation de la production agricole, l’organisation ordonnée des marchés des denrées alimentaires, l’expansion du syndicalisme et du coopératisme agricoles, l’aide aux régions rurales désavantagées; en tout cela, et par d’autres mesures de politique générale, il me semble que nous avons manifesté notre volonté de travailler à l’intégration sociale de notre classe agricole.

Loin de nous le sentiment d’avoir réglé tous les problèmes, de même que toute velléité d’abandonner la course entreprise pour rattraper le temps perdu. Au reste, ce bilan législatif ne constitue que la partie visible du travail effectué en cette première année d’administration.

Qu’on me laisse seulement mentionner les efforts que nous avons déjà déployés en vue de rendre plus efficace les ressources humaines et budgétaires des ministères de l’Agriculture et de la Colonisation, en vue aussi d’élaborer, avec votre concours, MM. les agronomes, un programme à long terme de consolidation de nos paroisses rurales, et qu’on me permette de consacrer le reste de mon temps à ce que nous considérons tous, vous, tous mes collègues et moi, comme le problème numéro 1 de l’agriculture québécoise: l’organisation de notre enseignement agricole et agronomique.

Dans le mémoire qu’ils présentaient, en 1954, devant la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, les porte-parole de votre corporation avaient justement et courageusement posé ce problème. À preuve, les quatre lignes suivantes de ce mémoire:

 » C’est par la qualité et non par le nombre de ses habitants que l’agriculture continuera à remplir sa mission nécessaire au pays du Québec. Pour atteindre cet objectif, il faut une politique de l’instruction et de l’éducation, de la maternelle à l’université, à la campagne comme à la ville, de l’enfant à l’adulte.  »

Et cet excellent mémoire, que je n’ai pas le temps de citer ici plus longuement, recommandait fortement la formation d’un comité d’enquête sur les questions se rapportant à l’enseignement agronomique.

Au programme du gouvernement que je représente, le perfectionnement de notre système éducatif occupe le tout premier rang. J’ai dit souvent, et ne me lasserai jamais de répéter, que l’éducation est vraiment, pour le Canada français, la garantie de son avenir. L’affirmation vaut autant pour l’agriculture que pour tout autre champ d’activité de notre vie provinciale.

C’est pourquoi, à la recommandation de M. Courcy, le gouvernement a institué en octobre 1960 un Comité d’étude sur l’enseignement agricole et agronomique, y compris la recherche et l’extension. Le nom même que nous avons donné à ce comité vous suggère le vaste champ d’investigation que nous lui avons attribué. Tout récemment, ce comité nous a présenté un compte rendu partiel de ses travaux. Le conseil des ministres n’a pas encore eu le loisir d’étudier ce rapport préliminaire, dont l’indispensable complément nous sera remis en novembre prochain. Pour ces raisons, et d’autres que je dirai à l’instant, je ne saurais encore dévoiler les recommandations les plus précises du Comité ni, il va sans dire, présumer la décision que devra prendre le gouvernement sur une question aussi importante et aussi complexe que celle qui est à l’étude. Mais je me crois absolument tenu, à l’occasion du congrès de 1961 des agronomes du Québec, d’extraire du rapport préliminaire du Comité d’étude sur l’enseignement agricole et agronomique, pour vous les présenter très succinctement, certains exposés de faits et certaines affirmations qui réclament de nous tous la plus grande attention.

Tout d’abord, le problème fondamental résiderait dans la carence de formation générale, professionnelle et scientifique de ceux qui ont directement en main le destin de notre, agriculture il y a chez nous rareté de cultivateurs de haute formation professionnelle, carence de techniciens agricoles, et carence d’agronomes savants, aptes à former d’une part de véritables techniciens agricoles, et à former d’autre part des agronomes voués à la recherche. Nous manquons aussi de professeurs d’agronomie dans tous les secteurs qui en ont un immense et pressant besoin, y compris ceux de la biologie agricole, de l’économie et de la sociologie rurales.

De très importantes réformes ou innovations s’imposeraient aux quatre paliers suivants de l’enseignements : Cours secondaire; Cours technique digne de ce nom; Cours universitaire agricole menant au baccalauréat; Cours universitaire agricole menant à la maîtrise et au doctorat. Les membres du Comité, dont plusieurs sont des professeurs universitaires de haute culture et de grande compétence, ont visité divers endroits du Québec, de l’Ontario, des États-Unis, et découvert chez les Américains des faits d’une incalculable portée.

De quoi s’agit-il? Il s’agit tout d’abord de l’existence aux États-Unis, et cela depuis plus de dix ans, d’un réseau d’instituts de technologie agricole, industrielle et commerciale, instituts donnant une sorte d’enseignement qui est entièrement inconnu au Canada, en ce sens que cet enseignement est de qualité telle, qu’il établit le pont entre l’enseignement secondaire et l’enseignement universitaire. Rien de comparable, par conséquent, avec nos écoles actuelles d’arts et métiers.

L’État de New York compte six centres d’instituts de technologie, dont le centre de Farmingdale, situé près de la ville de New York, a fait l’objet des études du comité à titre de cas-type. Cette institution compte 1,600 élèves réguliers, tous munis d’un diplôme du cours secondaire (High School Leaving Certificate) et dont 25%, soit 400 élèves, étudient diverses techniques agricoles, par exemple l’aviculture, l’industrie laitière, l’outillage et la machinerie agricoles, la floriculture, etc. Les cours, d’une durée de deux ans, plus exactement de 18 mois, ne sont pas des cours préparatoires mais des cours complets. Le but de cet enseignement est d’entraîner des hommes et des femmes à exercer des métiers ou des fonctions qui se situent entre la main-d’oeuvre spécialisée et les professions hautement scientifiques. À retenir que le programme des sciences de base enseignées à l’Institut technique de Farmingdale est l’équivalent du programme des sciences de base de nos institutions agronomiques d’Oka et de Sainte-Anne de la Pocatière. Aussi bien, 25% des diplômés de Farmingdale passent-ils à l’université pour devenir par la suite des professionnels, et plus particulièrement des agronomes. L’importance de ces faits ne saurait vous échapper.

Si aux États-Unis et il en sera probablement de même très bientôt au Canada l’enseignement technique croit devoir se hausser à un tel niveau scientifique, que dire des exigences grandissantes que l’enseignement universitaire doit et devra s’imposer à lui-même?

L’ingénieur saurait-il se contenter de la même préparation fondamentale que le technicien en outillage industriel ou en construction de bâtiments, et l’agronome saurait-il se satisfaire de la même préparation de base que celle du technicien en aviculture, en industrie laitière ou en conservation des aliments par le froid? Il faut penser à l’image que l’ingénieur et l’agronome de demain voudront et devront se faire d’eux-mêmes et de leurs rôles.

Qu’il s’agisse d’enseignement technique ou d’enseignement universitaire, mais beaucoup plus encore de ce dernier, il importe de tenir compte en pratique, et non pas seulement par des paroles, de l’incessant et prodigieux avancement des sciences dont celles qui trouvent leur application à l’agriculture.

Je vous disais à l’instant que notre Comité d’étude sur l’enseignement agricole et agronomique, y compris la recherche et l’extension, complétera d’ici novembre prochain le, compte rendu global de ses investigations. Il nous faudra de toute nécessité intégrer les résultats de ces investigations à ceux de trois autres organismes qui oeuvrent présentement dans le vaste champ de l’éducation, à savoir le Comité national d’étude sur l’enseignement technique et agricole, le Comité provincial d’étude de l’enseignement technique et notre Commission d’enquête sur l’enseignement.

Vous voyez tout l’intérêt que suscitent la question de l’enseignement technique et celle de l’enseignement en général. C’est, d’une part, qu’il nous faut prévoir les besoins de l’avenir, mais c’est aussi pour une raison actuelle et de la plus grande importance, à savoir que le manque de formation générale et d’instruction technique constitue, dans une mesure qu’on n’a pas le droit de négliger, l’une des causes du chômage. Vous savez aussi que beaucoup de chômeurs viennent de nos milieux ruraux. Et vous savez enfin que votre travail agronomique porterait beaucoup plus de fruits, si vous vous adressiez à des cultivateurs possédant une meilleure instruction générale et une meilleure formation professionnelle.

C’est pourquoi on nous demande avec instance de donner à l’enseignement agricole et agronomique, à tous les niveaux, le même statut qu’à tout autre enseignement, autrement dit de ne pas dissocier l’enseignement agricole et agronomique de l’enseignement général.

Je puis vous rapporter, pour ce qui a trait à l’enseignement agronomique, qu’on nous recommande fortement de considérer les responsabilités sociales et économiques de notre future Faculté d’agronomie et d’édifier, pour la première fois dans l’histoire du Canada français, une école de haut savoir dans le domaine des sciences agricoles.

Nous avons dans ce domaine un immense retard à rattraper et il importe au plus haut point de faire vite et bien. Le gouvernement devra donc très bientôt prendre une décision relative au site et au statut de la Faculté d’agronomie d’expression française. Il devra la prendre non pas en fonction des désirs contradictoires de groupes régionaux, mais en fonction du bien commun; non pas en fonction d’un vénérable passé, mais en fonction des impératifs de l’avenir et en tenant compte de la présence d’autres institutions d’enseignement et de recherche dans le Québec.

À ce moment-là, le gouvernement voudra recourir à la méthode démocratique et devra pouvoir compter sur l’appui collectif, éclairé, exempt de toute confusion, des principaux intéressés, tout particulièrement des agronomes et des cultivateurs.

J’aurais aimé, mais je vous ai déjà, retenus trop longtemps, vous dire toute mon admiration pour cette profession qui est la vôtre, qui réunit déjà ou devrait réunir des hommes travaillant dans de nombreuses sphères de la biologie, du génie, de l’économique et de la sociologie.

Pour thème de ce congrès, vous avez choisi et avec raison: « l’Agronomie, profession d’avenir ». Vous n’ignorez, certes pas que cet avenir dépendra beaucoup non -seulement de l’attitude sympathique du gouvernement, qui vous est acquise, mais aussi de ce que sera votre future faculté d’agronomie, de sa capacité d’adaptation à l’évolution accélérée de notre époque. D’un texte de Mgr Irénée Lussier, recteur de l’Université de Montréal, texte intitulé « La Profession », permettez-moi de citer quelques lignes appropriées à la circonstance:

[ » L’homme de profession a l’obligation sociale d’être au fait des courants sociaux, des courants d’idées, des implications diverses de toute initiative, des diverses conséquences lointaines des attitudes présentes… Il doit être un homme de vision. « ]

Puissions-nous tous répondre à ces exigences, prévoir les diverses conséquences lointaines de nos attitudes présentes, et prendre les décisions qui nous éviteront de passer à côté de l’histoire.

[QLESG19610709]

[Centenaire de Portneuf Dimanche, le 9 juillet 1961 Pour publication

après f:00 P.M.Hon. Jean Lesage Premier ministre juillet 1961]

Dans la vie, on n’a aucun mérite dans le choix de ses parents… ce qui ne diminue en rien l’orgueil légitime que l’on éprouve à leur sujet.

Je n’irai pas jusqu’à dire que l’on a un immense mérite à choisir ses beaux-parents, puisque l’on obéit alors à des sentiments et à des émotions qui ne doivent pas toujours laisser à la volonté son plein exercice! Mais on peut au moins affirmer que le « OUI » sacramentel des époux comporte tout de même un élément de liberté suffisant pour donner satisfaction aux autorités religieuses et civiles!

Eh bien, tout comme le mariage nous associe à une nouvelle famille et nous donne des parents par alliance, il étend du même coup notre patrie intime. Aussi… tout comme on parle de beaux-parents, de beaux-frères, de belles-soeurs, d’oncles, de neveux et de cousine par alliance, on devrait parler de petite patrie par alliance! Comme on parle de ses beaux-parents, on devrait parler de comté par alliance, de son… « beau » comté!

Et quand je dis mon « beau » comté de Portneuf, c’est, vous l’avez deviné, dans les deux sens du terme. En effet, c’est dans ce comté qu’en 1935, je participais libre, insouciant et célibataire à une campagne électorale. Mais mon autonomie fut victime d’une guerre-éclair à laquelle il me fut impossible de résister. Quoique solidement accroché, je fis une belle lutte sportive. Avec l’énergie du désespoir, je résistai pendant trois ans!

Mais, le 2 juillet 1938, je capitulais sans conditions! Vous avez peut-être eu l’occasion de remarquer que, depuis la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne ne s’est jamais si bien portée, économiquement, que depuis sa capitulation sans conditions. Je vous avoue que, de mon côté, je n’ai pas eu trop à me plaindre du sort qui a été le mien depuis ce complot victorieux contre ma liberté. Et je vous ramène aujourd’hui votre Portneuvienne de 1938 pour que vous puissiez constater sur sa figure sereine les bons effets de ma conduite exemplaire comme mari!

Je n’étonnerai probablement personne – sauf elle! – en vous disant que l’appui qu’elle m’a donné avec un merveilleux et inlassable dévouement a joué dans ma vie un rôle dont je n’aurais pu me passer. À tous les jeunes célibataires qui se proposent un jour de devenir premiers ministres, je n’ai qu’un conseil à donner, mais je crois qu’il est excellent.

Épousez une jeune fille de Portneuf en venant assister au centenaire de votre ville, car il s’agit bien d’une ville aussitôt que seront émises les lettres patentes qui ont été décrétées par un arrêté ministériel adopté il y a quelques jours.

Lorsque votre Conseil a demandé son érection en ville par un bill privé, je lui ai conseillé d’attendre l’application des dernières modifications à la Loi des cités et villes, modifications qui permettent l’incorporation, en certaines circonstances spéciales, de villes de moins de 2000 âmes, et cela sans payer des frais d’environ $2,500 peut-être pour un bill privé de ce genre.

Tout s’est donc passé conformément à la nouvelle loi, et vous voilà citoyens d’une ville exactement cent ans après l’érection canonique de votre paroisse.

Votre premier centenaire se célèbre donc sous les plus heureux auspices et je vous en félicite en vous engageant à commencer votre deuxième siècle avec le même dynamisme que vos fondateurs d’il y a cent ans.

En venant assister à vos fêtes et en jetant mes pensées sur le papier, j’évoquais ce que fut Portneuf il y a cent ans. Il y a un fait de votre petite histoire que je n’ai jamais oublié depuis le jour où ma femme me l’a racontés

Pour élever une église à Portneuf, le zèle et l’enthousiasme collectifs qui furent déployés frisaient l’héroïsme. Non seulement on vit la plupart des habitants charger pour leur part jusqu’à 150 voyages de pierre, non seulement on en vit cinq autres qui ne craignaient pas d’hypothéquer leur terre pour $1,500, mais on vit le curé qui, soutane relevée, chargeait des bateaux de pierre et de tuf sur les grèves de Cap-Santé.

En évoquant cette période de détermination et de sacrifices héroïques, on sent grandir sa fierté, mais en même temps on se pose la question inévitables : Nous sommes fiers d’eux, mais eux, seraient-ils fiers de nous ?

Eh bien, au risque d’en étonner plusieurs, ma réponse ne sera pas la conclusion pessimiste que l’on a l’habitude de donner oratoirement à une telle question.

L’héroïsme et le courage ne doivent pas être des idées figées pour toujours. Tout ce qui est vivant est souple et ces qualités dont je viens de parler s’adaptent au climat où elles fleurissent.

Or, notre climat n’est pas celui qui existait il y a cent ans. Si nos ancêtres vivaient de nos jours, ils seraient des hommes d’aujourd’hui et ils s’adapteraient à leur milieu et leurs vertus non seulement seraient de notre temps mais elles seraient celles dont notre temps a besoin. L’honnête homme d’aujourd’hui, la mère de famille de 1961, tous les êtres de bonne volonté qui, sans ostentation, accomplissent leur devoir avec simplicité, sont tout aussi digne d’admiration que celui qui, dans une circonstance exceptionnelle s’est montré exceptionnellement héroïque. L’important, c’est, non pas de rechercher l’héroïsme, mais d’obéir à l’inspiration du devoir. Cette inspiration peut changer selon l’époque, mais, même si les actes sont différents, le caractère qui les produit possède les mêmes qualités profondes. Si vous aviez vécu au temps de vos ancêtres, vous vous seriez conduits comme eux. Si eux vivaient de nos jours, c’est dans l’exécution de leurs devoirs quotidiens qu’ils feraient preuve des mêmes qualités qui excitent notre admiration quand nous les retrouvons dans l’histoire au lieu de les voir dans notre entourage.

Entre les deux conceptions du devoir, entre l’héroïque et le quotidien, il y a plus qu’une harmonies il y a, je le crois sincèrement, une ressemblance essentielle et, peut-être même, une identité parfaite. Et cette harmonie, cette identité, on doit, je le pense, les rechercher et les transposer dans notre comportement comme peuple. Je crois que tous les extrémistes font fausse route. Je crois que la prudence et le progrès peuvent faire bon ménage dans une conception qui unit à la sagesse du traditionalisme l’audace des conceptions plus nouvelles.

Pourquoi la science politique ferait-elle exception aux autres sciences, aux autres arts, y compris l’art de vivre? Ceux qui font progresser les autres sciences et les autres arts ne sont ni ceux qui s’accrochent désespérément au passé ni ceux qui en font table rase. Ce sont ceux qui savent considérer la tradition non pas comme une momie, non pas comme un fossile, mais comme une force projetée dans le présent et l’avenir.

Je me sentirais désorienté si mon esprit était vide de toute tradition, si je ne sentais clairement remonter en moi toutes les choses du passé dont j’ai la certitude, peut-être naïve mais intense, d’être l’héritier. Mais je me sentirais traître envers ce même passé si je me contentais d’en copier l’image au lieu d’en perpétuer la vitalité.

Ce qui est aujourd’hui tradition fut un jour très moderne et très audacieux. Le véritable traditionaliste a hérité non pas tant du progrès d’autrefois que de la capacité d’en créer un nouveau, adapté aux circonstances présentes et aux devoirs de l’heure, que ce soit en économie, en sociologie ou en éducation.

Ce progrès, que sera-t-il au juste pour nous? En quoi consistera-t-il? J’ignore jusqu’où les moyens que m’a donnés la Providence me permettront d’aller. Je ne sais qu’une chose: j’aime mieux présumer de mes forces que de les mettre trop prudemment – voire lâchement – en veilleuse. Même en marchant avec circonspection, il n’y a plus de temps à perdre, puisque l’enjeu, c’est la réalisation de notre destinée comme groupe ethnique.

Est-ce à moi qu’appartiendra la consolation d’avoir mené la tâche à bien? Je ne me contenterai que d’une satisfaction: c’est la conviction que quelque chose a bougé dans la bonne voie. Et c’est déjà énorme pour un homme de penser qu’il a travaillé, même modestement, pour sa patrie. Un proverbe qui se trouvait dans mon livre de lecture du cours élémentaire m’est resté gravé dans la mémoire: [ » Celui qui a planté un arbre n’a pas passé en vain sur la terre. « ]

Suis-je dans la bonne voie quand je rêve d’une politique qui soit à mi-chemin entre celle des attardés et celle des partisans du changement à tout prix?

Je le pense très sincèrement et si vous voulez bien me le permettre, je vais me servir d’une image très familière mais qui, dans l’inspiration du moment, me paraît assez juste. Vous connaissez ces automobilistes irritants que le langage populaire ne veut même pas désigner d’une expression française et que l’on appelle, sans même prendre la peine de traduire, des [« SUNDAY DRIVERS »] ? Vous connaissez également ceux que l’on appelle les casse-cou ?

Eh bien, il y a en politique des [« Sunday drivers »] et il y a des casse-cou. Il y a ceux qui piétinent sur place et qui exaspèrent tellement ceux qui voudraient arriver à destination, qu’ils causent souvent un accident fatal.

Il y a aussi les casse-cou pour qui rien ne va assez vite en politique. Eux aussi provoquent des tragédies, et comme dans le cas des tragédies de la route, ils ne sont pas les seuls à en souffrir, puisque des innocents paient souvent de leur vie l’audace des irresponsables. Je n’ai pas besoin de m’expliquer davantage: la comparaison saute aux yeux. Les arriérés de la politique sont ceux-là mêmes qui exaspèrent et même provoquent une révolution impatiente, et les révolutionnaires casse-cou ne se soucient pas des innocents qu’ils plongent dans la tragédie.

Voici les réflexions qui me sont venues à l’esprit en pensant au contraste fécond entre le passé et le présent de votre ville. Si vous étiez demeurés comme il y a cent ans, vous seriez un objet de curiosité! Si vous aviez renié le passé, vous seriez des traîtres. Vous avez choisi la voie la plus simple, la plus naturelle, la plus logique: vous avez choisi d’être ce que seraient vos fondateurs s’ils vivaient aujourd’hui, puisque, en somme, chaque époque a droit à son type d’idéal, pourvu que ce soit un idéal.

Je crois, je vous l’ai dit, je crois à la fois au progrès et à la tradition. Je crois surtout en un progrès qui était contenu en puissance dans la tradition et qui en découle tout naturellement. Je crois en un idéal qui est l’anticipation d’un ordre plus fécond que celui que l’on connaît déjà… en un idéal qui est une généreuse émulation à détruire l’injustice… en un idéal, enfin, qui est l’espérance indestructible de préparer un monde plus logique où l’homme trouvera de plus en plus facilement les moyens de réaliser sa vocation terrestre et sa vocation surnaturelle.

[QLESG19610802]

[Hon. Jean Lesage. Premier ministre L’Association parlementaire du Commonwealth (Section canadienne) Québec. mercredi le 2 août 1961 Pour publication après 1800 P.M.. le 2 août 1961]

C’est avec grand plaisir et beaucoup de fierté que je souhaite aujourd’hui la bienvenue aux délégués de la section canadienne de l’Association parlementaire du Commonwealth. Comme Premier ministre de la province, je suis flatté que votre conférence se tienne chez nous et soyez assurés que mes collègues de l’Assemblée législative, de quelque parti qu’ils soient, partagent mon sentiment à cet égard. Comme citoyen et député de la Vieille Capitale, je suis heureux de votre présence. Je pense que vous aimerez notre ville et que vous en goûterez le charme. Ceux d’entre vous qui viennent ici pour la première fois verront vite que, pour ses habitants, Québec est beaucoup plus qu’une ville. Québec a une valeur de symbole. C’est par Québec que la civilisation occidentale a fait son entrée dans le territoire qui devait devenir le Canada; c’est par elle aussi que la culture française s’est établie dans notre pays et c’est en grande partie grâce à elle qu’elle a pu y survivre. Par son existence même, notre cité a en quelque sorte pris figure de monument élevé à la fidélité qu’éprouve le peuple canadien-français pour ses origines et ses institutions.

[Québec, however, is not just the capital of our province. It is one of the great cities of our country and is part of the common héritage of all Canadians. It is also one of the cities of our Commonwealth and its citizens are happy to welcome the delegates to this meeting.

I would like to take advantage of this opportunity that I have been giv’en of speaking to you, to express the hope that the gathering that you are holding in our city will be a mort profitable one. I am no,t expressing this hope merely as a polite way of welcoming ypu here. Through your work, you are helping the cause

of democracy, and as a result, all the people in the world may eventually gain something from your discussions. I won’t go so far as to say that your meeting will settle the fate of the world. Your immediate aim is lesa ambitions, but it is nevertheless a very important one.

As you know, Canada’s traditional role in Commonwealth affaire has been one of leadership, assistance and co-operation.

Our fellow-members from all over the world know that we have « no axe to grind » and that we have always given unbiased advice and help whenever we have been asked. In this modern age, parliamentarians in the Commonwealth and in Canada face a greater challenge than ever before. To-day, a member of parliament is

weighed down by heavy responsibilities at the local, provincial and federal levels, and thie meeting in Quebec could lead to important reforme affecting Senatore and Legislative Councillors, as well as members of parliament and legislative assemblies.

e

The parliamentary system, like any man-made institution, is in a constant state of evolution. It was not perfect when it began, and it is not perfect to-day, and being familiar as you are with the normal human endeavour to strive for perfection, you and I naturally corne to realize that the parliamentary system never will be perfect. Nevertheless, in spite of its shortcomings, I think that it would be difficult to find a form of government that has a greater respect for the dignity of the individual or which offere better protection for the rights of the citizen.

There is, however, one indispensable condition attached. Before the parliamentary system can give the resulte that we can expect to derive from it, it must be set up within a democratic framework. We forget all too often that parliamentary government is an institution and a form of government. Parliamentary government la not necessarily democracy, because democracy is a way of

life as well as being a form of government. We all know of countries where a form of parliamentary government existe, but where democracy

is conspicuous by its absence. We ail know of countries where the citizens may exercise their right,to vote, but where there is no true democracy. In this case, of course, the right to vote is fictitious, but the fart remains that these countries have a parliament or an institution resembling one, and they sometimes even have political parties. In some ways these countries may appear to be

democratic, but they do not have a democratic spirit. Democracy does not exist as an abstraction. It materializes in human institutions and is expressed through collective behaviour. As a result, it can be easily distorted and can be easily misrepresented. The democratic way of life is never fully acquired. The degree of liberty that it gives to the individual can, in certain cases, lead to abuses that may bring about its graduai decline and abandonnent. Undesirable and unscrupulous elements can take advantage of circumstances and undermine the confidence of the people in democracy. You know as well as I do that these things have happened, and that even those countries which have a strong tradition of a democratio way of life are never completely free from this danger.]

Car, il ne faut pas oublier que l’espèce humaine est encore à faire l’apprentissage de la démocratie. Lorsque l’on considère l’histoire de l’humanité, l’on est bien obligé de conclure qu’elle vient à peine de sortir de l’époque du despotisme, de l’autoritarisme, de l’arbitraire. Ce qui est plus grave, c’est que des nations entières n’en sont pas encore libérées. Au lieu donc de prétendre comme certains le font trop souvent que l’expérience démocratique n’a pas réussi, il convient plutôt de s’efforcer de vivre d’abord cette expérience. Rares sont, encore aujourd’hui, les pays où la démocratie authentique, comprise dans le sens où nous entendons habituellement ce terme, a pu être réalisée. Il n’y a à cela rien d’étonnant car, pour qu’elle existe vraiment, il faudrait que l’être humain réussisse à vaincre certains des automatismes, certains des comportements naturels qu’ont créés chez lui des siècles de lutte brutale pour la vie. Le souci du bien de la communauté, le respect de l’opinion des autres et des droits de ses semblables sont des réactions relativement nouvelles de l’être humain. D’aucuns diront que la nature humaine est telle que jamais la démocratie réelle ne pourra être intégralement vécue. Cela est bien possible, mais ce n’est pas une raison pour croire qu’on ne peut se rapprocher de cet idéal. Aucun médecin par exemple ne croit qu’il réussira à vaincre la mort; pourtant, aucun médecin n’abandonne la lutte pour la santé.

À l’heure actuelle, plusieurs nations jouissent de régimes démocratiques même imparfaits. Ce sont ces premières expériences de la démocratie qu’il faut s’efforcer de protéger, de faire comprendre et de rendre encore plus efficaces. Chaque peuple a sa façon bien à lui de vivre en démocratie. Ce régime de gouvernement, même s’il repose sur les mêmes principes fondamentaux partout dans le monde, s’actualise chez des peuples dont la culture, le tempérament et l’histoire diffèrent. Il n’existe pas d’après moi de comportement démocratique unique et valable pour tous les pays; j’admettrai cependant qu’un même esprit, qu’un même idéal, avec tout ce que cela suppose, doit animer tous les régimes qui se disent démocratiques.

Je le répète, la cause de la démocratie n’est jamais définitivement gagnée. Elle demande une vigilance constante et ne sera authentiquement réalisée qu’à deux conditions essentielles. D’abord, il est nécessaire de promouvoir constamment la cause du parlementarisme et de se rappeler que celui-ci ne peut être sain que comme instrument de progrès pour l’ensemble de la communauté et non comme gardien des intérêts particuliers. En effet, le gouvernement doit s’efforcer d’augmenter le bien-être de toute la population; il ne peut être au service de groupes de pression qui canaliseraient à leur avantage la législation qu’ils réussiraient à lui faire adopter. Lorsqu’une administration publique oublie ou néglige de se conformer à cette règle de conduite, elle éloigne le jour où pourra se réaliser un régime démocratique véritable.

[Furthermore, public opinion should be wellinformed,

wide awake and even exacting. I would say that

this requirement is even more important than the former for the safeguarding of democratic institutions. When the people take no interest in the work of its government, when the legislation that is drawn up dosa not create any reaction that is either favourable or unfavourable, the administration’ feels alone and forgotten. Or rather, it feels that it is no longer being watched by those to whom it is responsible for its actions. The administration can easily get the impression that it is being left to work in its own way in a sphere of activity that is of no interest to anyone. I say that it is then that the danger of abuse becomes great; the party in power, particularly if it is not deeply convinced of the value of the democratic way of life, may end by no longer being able to distinguish between party and government. If this heppens, favouritism, nepotism, the use of influence and arbitrary measures arise quite naturally, and the cause of true democracy loses ground. Every democratic government in the world is exposed to the risks that I just mentioned. The Government of Quebec is not exempt from these risks any more than those of the other provinces. Like them, the Government of Quebec is taking the necessary steps to ease tke progress of true democracy. It is also doing its best to restore the dignity of public office, and to create, through education and culture, a better informed public opinion.

To me, it only seems right that a gathering such as the one that you are holding in our province should, in addition to strenghtening the parliamentary system through your discussions and reflections, contribute to the enlightenment of public opinion. It will give, I am certain, to the people of Canada an awareneas of the great advantage that the western peoples have of living under a form of government that respects fundamental human liberties. In one way, we beconie accustomed to it too easily. We forget the long hard road that the human race had to travel to get where we are to-day, and we

also forget the long road that is still ahead.

As Premier of Quebec, I am particularly happy to have

you here, because the government which I have the honour to direct

is — at this very moment — bending every effort towards the building and strengthening of democratic institutions in the province.

One again, I bid you welcome and express the fervent wish that your discussions will have met with all the success that their importance to our parliamentary form of government justifies.]

[QLESG19610803]

[L’Association parlementaire du Commonwealth (Section canadienne)

Assemblée Législative jeudi le .Jag 1 61 Pour publication après 10:30 A.M.

Hon_ Jean Lesage, Premier ministre le 3 août 1961 ]

Hier, j’avais le grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue dans notre capitale. Aujourd’hui, je suis heureux

de vous accueillir à l’Assemblée législative. Comme Premier ministre de la province, je tenais à ce que vous visitiez notre parlement.

Il y a quelques semaines à peine, l’endroit où vous vous trouvez maintenant bourdonnait d’activité, Nous terminions une des plus longues sessions qu’ait connues la Législature. Elle fut, je crois, l’une des plus remplies et, – dois-je ajouter, sous peine de me faire accuser de vantardise – une des plus fructueuses.

J’aurais vraiment aimé que vous assistiez au moins à quelques-unes des séances que nous y avons tenues pour vous rendre compte par vous-mêmes de la façon dont elles étaient conduites. Si je m’exprime ainsi, c’est que l’administration provinciale du Québec évolue dans un cadre que les circonstances historiques lui ont donné sans qu’elle ait elle-même à en déterminer tous les détails.

Je m’explique. Comme vous le savez, la grande majorité de la population du Québec est d’origine canadienne-française. Il en est naturellement de même des représentants qu’elle élit. Cependant, notre régime parlementaire est de type britannique. On pourrait ainsi être porté à croire que, lorsque le député canadien-français siège à l’Assemblée législative, il se trouve à l’intérieur d’une structure parlementaire qui lui est étrangère et à laquelle son tempérament est mal adapté. Pourtant, tel n’est pas du tout le cas, car le peuple canadien-français a non seulement su s’habituer à des institutions d’origine britannique, mais il les a littéralement acclimatées.

La population les accepte d’ailleurs comme siennes. Personne par exemple ne songe à proposer que notre régime parlementaire soit radicalement modifié ou qu’il soit remplacé par un autre. Nous apprécions celui que nous avons parce qu’il a su permettre à notre peuple, même à l’intérieur d’une institution transplantée ici, de se gouverner comme il l’entendait et de se donner les lois qu’il désirait.

[There is nothing to be astonished about the fact that

the only population in North America of which the majority is Frenchspeaking was able to adapt itself to the British form of parliamentary government. History is full of similar antitheses, and particularly contemporary history, where population shifts take place so often and so frequently, and where communications are being speeded up more and more. The process of adaptation, for adaptation there ie, does not always take place without some difficulties, but it does, eventually, take place.

The most striking thing about French Canada is the almost total absence of these difficulties and sudden impulses that often appear when new institutions are established in a place where there is the ultimate possibility that they will

result in causing changes. I will not go so far as to say, as others have dons before me by misquoting a saying and twisting its meaning, that we are « a people without history », but the fact is that ve do not have « a history of violence ».

Historians and sociologiste will probably ses in this the recuit of the influence of British institutions on our people, institutions sufficiently flexible for people to become adapted to them little by little, but institutions, nevertheless, that are authoritative in their structure. On the other hand, I dont think

• that this is the principal reason for a growing people to have behaved so well. I believe, on the contrary, that it has seldom been necessary for us to resort to violence in

the course of our history. The French Canadians have been able to make the mort of their rights and have been able to defend them through the workings of these came institutions that they adopted.

They learned to use the British form of parliamentary

9b government et the same time as they learned the meaning of the democratic way of life. They accept this form of government today, and in it they can ses one of the reasons for their survival in this part of the world where they form only a minority. As for the democratic way of lite, it is the crystallization of their innate sense of s.*cial and political justice. For amongst the French Canadiens, injustice, oppression and arbitrary conduct have always produced what.I would cala an instinctive reaction. As a national minority, they understand minority peoples whose rights are knowingly or unknowingly neglected. I will even go as far as to say thet they have a sort of natural instinct to sympathize first and foremost with the victime of what appears to be an injustice. Anyone who has had the experience of suffering injustice ia able to associate himself, morally at least, with those nations of the world whose deep aspirations are not respected.

I could say a great deal about these « deep aspirations ». In French Canada we often epeak about our own deep aspirations, and we are doing our utmost to realize them. We are equally proud of our cultural heritage and what we call our « own characteristics »; they give us a character of our own and make a definite contribution te that « Canadian accent » which distinguishes the citizens of our Canada from our neighbours to the south.

One of our characteristics which vreates the greatest impression upon foreign observera is the way that Quebec’s political life expresses itself, even within the framework of the British parliamentary system. I would say that we have remained « typically Latin ». We like political life and political struggle. Very few of our people remain indifferent to these two thinga, as

can be seen during the election campaigns that take place in our province from

time to time.

As you know, the French-Canadian people like to argue, discuss, and exchange opinions. There is probably nothing that they appreciate more than freedom of speech, and they would find it very difficult indeed if they were deprived of it.

I firmly believe that the Members of Parliament share

this sentiment and react in the saure way as their fellow citizens who elect them. Everybody agrees to the fact that the sittings of our Legislative Assembly are often very lively. Believe me, my friends, – and I apeak from experience – there are members of each party who take it upon themselves to keep them that way: Those who have something

to say like to say it; those who do not agree there are always some Z want to make sure that the public and their opponents know about it. There follows, as you can well imagine, exchanges — which are often noteworthy for the strength and originality of the expressions used. We like to prove, disprove, and convince the member toppositel that he really should never have stood up to make proposals or to pass remarks which at least this is what every member believes – the truth contradicts so brutally! And there you are. When one is sure that one is right, – it is very difficult, in fact it is really heroic,

to have to wait patiently until someone who is making a long (and obviously wrong statement) has finished expressing his views. And then the old Latin spirit – always on the look out for an opening at any meeting of Quebecers – comes to the surface to make rejoinders or short interruptions which have the knack of turning the most pompous speeches into oratical disasters.

In my opinion, we should not be misled by all this and say that the rules of parliamentary procedure are not respected in this province. We must accept the Latin temparament as it is and remember that the rules of parliamentary procedure were never designed to prevent Legislative sessions from being lively.

I really feel that by carrying on in this way, the French Canadian is showing to what extent he believes in democratic procedure and how much he has assimilated it. We see the same

phenomenon not only at political meetings but everywhere that public discussions are held. Everyone has the right to’express his opinion, but each one of us must expect to be disagreed with.]

Des attitudes comme celles dont je viens de parler ne sont pas à mon sens étrangères à la conception que les Canadiens français ont de l’autorité. En effet, j’ai bien l’impression, si j’en juge par mon expérience de député et

de premier ministre et par celle de mes collègues, que celle-ci au Québec s’exerce d’un commun accord entre celui qui commande et celui qui exécute. Je veux dire par là que le Canadien français sera prêt à se conformer aux désirs de ceux qui détiennent l’autorité pour autant que celle-ci ne s’exercera pas arbitrairement et qu’il sera convaincu du bien-fondé de ce qu’on attend de lui. Avant d’agir, il demande en quelque sorte à être persuadé que les actions qu’on réclame de lui sont rationnelles et sont justifiées par un respect bien compris du bien de la communauté. Lorsque, au contraire, on veut lui interdire telle ou telle action, il aime bien à savoir pourquoi. En d’autres termes, le Canadien français comprend mal l’obéissance aveugle; il n’est pas porté au fanatisme. Il prend difficilement au sérieux ceux qui lui semblent se prendre au sérieux: Il a moins le sens du solennel que celui de l’humain. L’homme politique du Québec, le personnage public, lorsqu’il est au milieu de ses concitoyens, se sent accepté d’eux moins comme représentant de l’autorité civile que comme ami. On sera enclin à le trouver d’autant plus sympathique, qu’il sera moins distant. On l’aimera d’autant plus qu’il se considèrera l’égal de ceux avec qui il se trouve.

Je pense être justifié de dire qu’en général le héros désincarné et inaccessible ne plaît pas au Canadien français! Au contraire, ce dernier trouvera attachant l’homme honnête et dévoué, le citoyen qui, sans être parfait, a néanmoins le sens du devoir, de la responsabilité et de l’idéal.

[It seems to me that the French-Canadian people, in fact, corne to realize that their form of parliamentary government encourages the broadening of these qualities amongst those’of its citizens who are called to public life. It constitutes a framework vithin which the democratic way of life that they have assimilated has found a means of expression. Evidently, as I was saying a few moments ago, our people have transformed pariiamentary government through their use of it. They have not transformed its spirit, but they have transformed its application, and have made it conform to

their own cultural characteristics.

Through our ability to adopt an institution such as this, as well as to appreciate the intellectual and material achievements of other nations, while at the time remaining resolutely faithful to our past, we too have become a modern nation. To-day we are proud of what we have succeeded in becoming. We can now hope that to-morrow, those who corne alter us vill be proud of what we shall have permitted them to be.]

[QLESG19610803a]

[Etudiants des Cours d’été de Laval

Château Frontenac, jeudi le 3 août 1961 Pour publication après 5:00 P.M.

Hon. Jean Lesage. Premier ministre le 1 août 1961 ]

Il m’est impossible d’imaginer un groupe plus sympathique que celui que vous formez. Ce qu’il y a de plus noble dans l’homme, c’est son désir de perfectionnement, et ceux qui y donnent libre cours au point de lui sacrifier une partie importante de leurs vacances méritent toute notre admiration.

Je dis admiration quand j’aurais dû dire envie. On envie ceux qui sont heureux et il me semble qu’il y a peu de joies sur terre qui soient supérieures à celle de comprendre.

À mesure qu’il me devient de plus en plus impérieux de juger les hommes avec autant de sûreté que possible, je me rends compte que le barème le plus efficace, c’est de se fier à la largeur d’esprit et à la capacité de comprendre. Je ne sais pas si la nature dont on disait autrefois qu’elle avait horreur du vide a horreur de la stagnation. Mais une chose est certaines la nature est impitoyable à la stagnation. Pour durer, il y a une condition essentielle que les hommes et les institutions doivent remplir: c’est de demeurer jeunes… d’une jeunesse qui n’a rien à voir avec le calendrier, mais plutôt avec une certaine attitude intellectuelle. Pour vivre pleinement, il faut une fraîcheur d’esprit qui se traduit par un appétit insatiable de savoir, par une constante adaptation au milieu, au climat, aux phénomènes de l’heure.

Je n’ai qu’un souhait à vous faire pour votre bonheur et peut-être le mien: tachons de demeurer toute notre vie jeunes étudiants.

Je vous remercie d’avoir choisi Québec et Laval comme site de vos études de vacances, mais je crois que Québec et Laval ont été à la hauteur de l’honneur que vous leur avez fait et de la confiance que vous leur avez manifestée. Nous sommes très fiers des réalisations de l’Université Laval et de la façon dont elle comprend et remplit sa mission de servir la culture dans un rayonnement aussi étendu!

À ceux qui, plus particulièrement, venaient parfaire ici leur connaissance du français, permettez-moi de dire avec un orgueil légitime que nous croyons vraiment les avoir servis en leur apprenant à mieux utiliser le merveilleux instrument qu’est la langue française pour le travailleur intellectuel. J’espère que vous n’oublierez jamais la route qui mène à Québec. Nous avons été ravis de vous accueillir et nous espérons que le souvenir que vous conserverez de nous sera tellement agréable et tellement vivace que vous ne laisserez jamais l’herbe croître sur le chemin de l’amitié.

[QLESG19610810]

[Centenaire de Victoriaville,

Jeudi, le 10 août 1961, Pour publication après 8s00 P.M. Hon. Jean Lesage Premier ministre le 10 août 1961]

Chaque fois que j’entends prononcer le mot centenaire, je ne peux m’empêcher de penser à

Léon XIII à qui un jeune prêtre souhaitait de vivre cent ans: Mon fils, lui dit doucement le pape, ne fixons pas de limites à la bonté de Dieu. Ne fixons pas non plus de limites aux dons qu’il vous a si généreusement versés, car il ne faut pas oublier une choses un centenaire n’est pas un point d’arrivée mais plutôt un jalon qui marque un nouveau départ.

Depuis le début de ma visite ici, je ne cesse d’être en proie à un sentiment que je ne réussis pas à nommer, parce qu’il est composé en réalité de plusieurs sentiments. Il est fait de vénération, de respect et de reconnaissance pour le passé … d’admiration pour le présent … et surtout de confiance sereine dans l’avenir.

Tout ici vous est sujet d’orgueil comme tout est, pour vos visiteurs, sujet d’envie.

Il est évident que tous les patriotismes, que ce soit celui du Canadien, de l’Anglais, du Français, de l’Italien, du Chinois ou du Russe, sont légitimes. Il faudrait avoir le coeur et l’esprit bien malades … même viciés … pour ne pas aimer le sol où nos racines ont puisé leurs nourritures. Cependant, rares sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir une petite patrie aussi attachante que la Reine des Bois-Francs. Oui, tout, je le répète, vous est sujet d’orgueil. Non seulement votre passé, non seulement la ténacité de vos fondateurs, leur courage et leur foi, mais aussi la façon dont vous avez appris la leçon du passé pour demeurer dignes de votre héritage.

Abraham Lincoln disait: [ Je m’inquiète peu de ce qu’était mon grand-père je m’inquiète plutôt de ce que sera mon petit-fils.]

Je crois, pour ma part, qu’il y a moyen de concilier le culte des ancêtres avec l’émulation de continuer leur oeuvre. Songez que si vous célébrez aujourd’hui votre centenaire, vos descendants par contre se réuniront dans un siècle d’ici pour vous honorer vous!

Peut-être vous demandez-vous avec une humilité fort sympathique mais, j’en suis sûr, excessive, peut-être vous demandez-vous si vous mériterez alors d’être mis sur le même pied que vos fondateurs?

Pour ma part, je crois que le devoir quotidien, simplement et courageusement accompli, est l’une des plus admirables, l’une des plus efficaces et, surtout, l’une des plus méritoires manifestations de la véritable noblesse de caractère. Je crois puisque « Bon sang ne peut mentir » que si vous êtes fiers de vos pionniers, vos descendants sauront, à leur tour, être fiers de ceux qui auront alimenté et transmis la lampe du progrès.

La lampe du progrès: Voilà une image qui acquiert une signification tout à fait éloquente ici, puisqu’elle se retrouve dans vos armoiries même. Cette lampe allumée est un symbole émouvant de l’importance que vous attachez à l’éducation.

Ai-je besoin de vous dire combien mes collaborateurs dont votre dévoué député, combien mes collaborateurs et moi-même sommes ravis et touchés de nous trouver en harmonie de pensée avec vous à ce sujet? Nous sommes convaincus qu’on ne peut pas être patriote sincère … qu’on ne peut pas aimer réellement son pays, sa province, sa ville, son village ou son lopin de terre, si l’on ne fait pas de l’éducation le premier de ses soucis.

Se désintéresser de l’éducation, c’est croire que la patrie ne compte qu’aujourd’hui, parce que c’est aujourd’hui que l’on vit! Se désintéresser de l’éducation, c’est croire que la seule importance de la patrie, sa seule raison d’être, consiste dans les avantages qu’elle procure! Se désintéresser de l’éducation, c’est croire que des intérêts mesquins et immédiats sont supérieurs à la vision généreuse d’un idéal.

Et l’on n’est pas digne du passé en se contentant de le prolonger; il faut le dépasser! Parce que, ne l’oublions pas, la leçon de l’histoire est là quand les hommes ne se décident pas à avancer, ce sont les événements qui décident à leur place d’avancer: Et alors, les conséquences deviennent tragiquement imprévisibles puisque les événements aveugles ne sont pas, comme l’homme, soumis à la raison et à la mesure. Le nageur qui est entraîné par un courant ne peut plus choisir lui-même le rythme de sa course.

Par contre, penser à l’éducation, c’est penser à la grandeur future de sa patrie; c’est vouloir cette grandeur digne du passé.

Des amoureux platoniques du passé nous ont accusés d’aller trop vite, tout comme des partisans du changement à tout prix nous ont accusés d’aller trop lentement. Non seulement ces critiques se détruisent l’une l’autre, mais elles forment le plus beau compliment que nous pouvions souhaiter. Je dis « le plus beau compliment » pour l’éloquente raison qu’il est involontaire!

Pendant deux siècles, le Canadien français a été fort justement obsédé par l’idée de sa survivance. Toutefois, quand on contemple des réalisations comme celles qui se dessinent un peu partout et comme il en foisonne dans votre admirable ville, on se rend compte combien dépassée et combien futile est devenue la crainte de disparaître.

Il ne s’agit plus d’avoir peur mais de prendre résolument sa place au soleil. Il n’est pas question de survivre, mais de vivre. Et vivre, c’est lutter, c’est progresser, c’est non pas calquer servilement le passé – c’est matérialiser le rêve qu’il contenait.

De la sorte, nous prouverons que ce ne sont pas des oeillères que nous avons reçues en héritage du passé non, c’est une vision lucide et courageuse des phénomènes sociaux modernes. Voilà des pensées qu’il est non seulement facile mais tout simplement naturel d’exprimer dans une ville aussi vouée au progrès qu’est la vôtre … et voilà pourquoi également, si tout le monde vous félicite de vos cent ans, voilà pourquoi j’ai tenu, pour ma part, à venir spécialement ici pour vous féliciter … de votre jeunesse!

[QLESG19610826]

[Shawinigan. le 26 août 1961

25e Anniversaire de la Fédération des Chambres de Commerce des Jeunes de la province de Québec]

C’est toujours avec un immense plaisir que j’accepte d’adresser la parole à des groupements de jeunes. Je ne dis pas cela seulement par politesse, car j’exprime un sentiment vraiment sincère. Je suis heureux d’être au milieu de vous et je remercie ceux qui ont pensé à m’inviter.

Vous fêtez présentement le 25e anniversaire de la fondation de votre Fédération. Vingt-cinq années, c’est un quart de siècle, et un quart de siècle, dans la vie d’un homme, c’est beaucoup. Mais lorsqu’il s’agit d’un organisme comme le vôtre, un quart de siècle, ce peut être ou bien une très longue période, ou bien un très court laps de temps. Tout dépend de ce qui s’est passé durant ces vingt-cinq années. Si cette période en a été une d’inactivité, si elle n’a pas permis une évolution toujours nécessaire, si elle n’a pas été marquée, au moins par moments, d’un renouveau créateur, alors elle apparaîtra longue. Si, au contraire, ces vingt-cinq années ont donné lieu à de nombreuses réalisations, si elles ont été fertiles en innovations dont toute la communauté a bénéficié, si en somme elles ont permis à un mouvement de remplir, ou au moins de commencer à remplir, la mission que lui avait confiée ses fondateurs, alors un quart de siècle c’est bien peu. Car, lorsqu’on travaille, lorsqu’on pense et surtout lorsqu’on atteint les buts qu’on s’est fixés, le temps passe vite. Il peut même sembler s’écouler trop vite, car le temps manque pour réaliser tous les projets mis de l’avant par des membres dynamiques.

J’ai bien l’impression aujourd’hui que la Fédération des Chambres de Commerce des Jeunes de notre province a dû trouver le temps court depuis 1936 : Elle n’a certainement pas végété puisqu’ elle groupe aujourd’hui plus de 10000 membres actifs, répartis dans 155 Chambres différentes. Vous rendez hommage, ce soir, à vos anciens présidents provinciaux et à votre Bureau des Dix. J’imagine, surtout pour vos présidents d’il y a une dizaine, une quinzaine et une vingtaine d’années, qu’ils doivent être fiers de ce que le mouvement Jeune Commerce est devenu, de l’expansion qu’il a prise dans tous les milieux et dans toutes les régions de notre province. Le véritable hommage que vous leur rendez, c’est d’être aussi vivants, aussi actifs, – en un mot, aussi présents que vous en donnez la preuve à tous ceux qui vous observent. Je ne sais pas combien vous êtes ici ce soir certainement plusieurs centaines; pour qu’une organisation de jeunes réussisse à réunir autant de convives, il faut une conscience peu commune de la

participation à un même corps, il faut un esprit de cohésion qu’à mon sens on ne retrouve pas assez souvent chez un peuple comme le nôtre, qui conserve beaucoup de traces de l’individualisme latin. Un tel esprit de corps ne peut exister que s’il a été façonné par une collaboration constante des membres à des tâches communes et à la réalisation d’objectifs compris et voulus par tous. Cette volonté unique de servir la communauté dans laquelle il s’insère, le mouvement Jeune Commerce la possède à un rare degré; elle a permis à votre Fédération non seulement de durer un quart de siècle – ce qui serait déjà remarquable pour un groupement de jeunes – mais aussi d’agir, de progresser et d’être utile.

Si, à l’occasion de votre anniversaire, quelqu’un d’étranger à votre mouvement essayait de faire le bilan de votre action au cours des vingt-cinq dernières années, il rencontrerait peut-être certaines difficultés car vos réalisations ne sont pas toutes immédiatement perceptibles à l’oeil. Lorsqu’un gouvernement veut parler de ses réalisations à lui, cela lui est beaucoup plus aisé; il peut se servir de statistiques, montrer des routes, des ponts, des édifices. En d’autres termes, l’action d’un gouvernement peut souvent avoir des résultats matériels évidents, tandis que votre action à vous ne se situe pas, comme telle, au niveau des manifestations concrètes. Je dirais qu’elle les transcende et, d’une certaine façon, qu’elle les dépasse. Si, pourtant, comme il arrive, votre action provoque de tels résultats d’ordre matériel, c’est surtout parce que votre mouvement a donné une impulsion initiale à un processus parfois long et laborieux.

En effet, chaque Chambre de Commerce des Jeunes dans le milieu où elle se situe est, selon moi, d’abord et surtout une source d’initiatives. Et si elle est une source d’initiatives, dont les résultats peuvent être concrets, c’est parce qu’elle constitue un ferment d’idées neuves. Votre rôle, comme membres de l’une ou l’autre de ces Chambres, n’est pas surtout de faire vous-mêmes, mais d’agir de telle sorte que quelque chose se fasse.

Vous avez une devise qui dit: « Le progrès par l’étude et l’action ». Je pense qu’elle résume admirablement bien votre raison d’être. Vous recherchez le progrès, celui de votre communauté et le vôtre comme membres d’un organisme communautaire et vous y arrivez par l’étude et l’action. Cependant il ne s’agit pas de n’importe quelle étude et de n’importe quelle action. Votre étude est plutôt une réflexion intelligente sur les problèmes de votre milieu, et votre action réside plutôt dans les suggestions et dans les solutions que vous pouvez formuler après vous être familiarisés avec les problèmes auxquels votre communauté fait face. Ces suggestions, vous les faites à ceux qui, par les pouvoirs qu’ils détiennent, sont en mesure de les appliquer ou de les adapter: conseil municipal, commission scolaire et combien d’autres groupements publics et privés. Naturellement, vous devez d’abord agir dans votre propre milieu, dans votre propre localité, mais ne croyez pas pour autant que vous devez vous en tenir à cela. Nous vivons en démocratie et les gouvernements non seulement tolèrent, mais souhaite entendre la voix dos jeunes. C’est du moins l’avis de celui que j’ai l’honneur de représenter, et à titre de Premier ministre, je puis vous assurer que vous trouverez toujours chez mes collègues et moi-même, une oreille attentive.

Le fait d’être une source d’idées et d’initiatives, dans un milieu donné, n’est pas une tâche facile, ni de tout repos. Car les idées que vous avez à émettre doivent être neuves et les idées neuves ne sont pas toujours bien acceptées par ceux qui considèrent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comme disait quelqu’un: « Les idées neuves, ça dérange.' » Eh oui: « ça dérange », comme c’est d’ailleurs le cas dans l’industrie lorsque des moyens de production plus conformes aux exigences modernes remplacent des techniques périmées. Ce genre de « dérangement » est la condition même du progrès économique et social, lequel, comme vous le savez, est fondé sur le dépassement perpétuel des positions acquises par des positions nouvelles.

Chacune des Chambres locales de votre Fédération dans son milieu propre doit donc être en quelque sorte une « cause de dérangement ». Il ne s’agit pas évidemment pour vous de troubler la paix publique – ce n’est pas ce que j’entends ici par « dérangement » -, mais plutôt d’être par votre présence et surtout par votre action une sorte de défi constant à une certaine quiétude, à un certain conservatisme stérilisateur où s’enlisent les initiatives et où se perdent les énergies. En somme, votre rôle est moins de protéger ce qui existe, que de préparer ce qui vient. Vous êtes jeunes, et ce serait vraiment désolant s’il fallait qu’un mouvement comme le vôtre consacre le plus clair de ses efforts à la conservation, plutôt qu’à la création. D’ailleurs, ne vous inquiétez pas: la cause de la conservation a déjà beaucoup de partisans et d’adeptes. Il n’est que normal – et souhaitable – que, pour votre part, vous vous attachiez plutôt à celle de la création. Il en résultera un équilibre salutaire car, dans toute société, le véritable danger est

bien moins l’accélération voulue que la stagnation inconsciente. Et votre groupement, par sa structure et sa raison d’être, est l’ennemi par excellence de la stagnation inconsciente.

Bien entendu, en vous opposant au danger permanent qu’est l’immobilisme social, il se peut que vous fassiez des erreurs, que vous alliez trop loin. Il y a là un risque à courir, mais c’est le risque que courent tous ceux qui veulent agir, dans quelque domaine que ce soit. Mais je pense qu’il vaut mieux se tromper en essayant au moins de faire quelque chose, que de s’imaginer avoir raison en ne faisant rien. Pour cela, j’admets qu’il faut une certaine dose de courage, mais j’ai tout lieu de croire que cette dose de courage vous l’avez. L’appartenance à un mouvement comme le Jeune Commerce fournit aussi, d’après moi, une occasion unique d’acquérir une formation de citoyen responsable et averti. Vous dites vous-mêmes, dans une de vos devises, que la formation est une « source de progrès ». Le travail que vous faites en groupe, les démarches que vous accomplissez, la nécessité dans laquelle vous vous trouvez constamment de connaître votre milieu, les discussions qui animent vos réunions tout cela à mon sens, constitue un magnifique apprentissage de la démocratie.

Vous ne devez pas vous objecter à l’expression « apprentissage ». Elle ne signifie pas que vous apprenez ce qu’est la démocratie et ce qu’elle comporte, alors que les autres le savent déjà. Au contraire, elle veut dire que vous, vous avez la chance de vous pénétrer des avantages et des exigences du mode de vie démocratique, alors que beaucoup d’autres n’en ont pas l’occasion. Car la façon de vivre démocratique, ce n’est pas quelque chose qui est acquis à la naissance, du seul fait que vous venez au monde dans un pays dont le régime politique permet et protège la liberté individuelle. Elle est plutôt un mode de vie qui se comprend à l’expérience et qui s’apprécie à l’usage.

La démocratie, comme je viens de le dire, a ses exigences. Une des plus importantes est la participation consciente du citoyen à la chose publique. Le simple exercice du droit de vote ne suffit pas. Le citoyen n’a pas rempli son devoir s’il se contente seulement d’enregistrer périodiquement son vote en faveur de tel ou tel parti et surtout s’il croit que le gouvernement est la responsabilité exclusive de ceux que l’électorat a favorisé. On dit souvent – mais on l’oublie en pratique tout aussi fréquemment que ceux qui sont élus ne sont que les mandataires du peuple et qu’ils devront lui rendre des comptes. Mais si, par contre, ceux qui sont élus ont l’impression nette que le public se désintéresse du travail qu’ils essaient d’accomplir, ils en viendront graduellement à la conclusion que le gouvernement est de fait leur responsabilité à eux seuls. Ils pourront même finir par penser que ceux qui continuent à leur faire des suggestions ou à leur indiquer les lacunes de la législation ou de l’administration outrepassent leurs droits.

Des organismes comme le vôtre empêchent justement ce danger de se matérialiser, puisqu’ils favorisent la compréhension des problèmes auxquels il faut trouver des solutions et puisqu’ils canalisent vers les législateurs les suggestions éclairées de leurs membres. En un mot, par votre action, vous contribuez à créer et à soutenir une opinion publique intelligente et éveillée. Et l’opinion publique que vous nourrissez a ceci de remarquable qu’elle n’est pas guidée par des intérêts égoïstes et qu’elle ne vise pas à la réalisation d’objectifs particuliers. Ce que je dis maintenant est d’ailleurs vrai d’un bon nombre de groupements fondés dans le même esprit de service à la communauté que les Chambres de Commerce des Jeunes. Une telle opinion publique, informée et capable de s’exprimer en toute liberté, est aussi nécessaire au mode de vie démocratique que, par exemple, la consultation populaire périodique que sont les élections. Nous avons conscience qu’il se forme actuellement une opinion publique de ce genre dans le Québec et le gouvernement de la province en est heureux. Nous voulons, et surtout nous espérons, qu’elle continuera désormais de se manifester aussi clairement qu’elle a commencé à le faire.

Selon moi, l’opinion publique a deux moyens principaux d’expression. D’abord la presse, y compris des canaux de communication comme la radio et la télévision; ensuite les associations de citoyens, les groupements de travailleurs, les clubs sociaux et autres organismes du genre. C’est à ce deuxième groupe que le mouvement Jeune Commerce appartient. Comme association, il permet au citoyen seul de joindre sa voix à d’autres citoyens qui ont les mêmes opinions et donne à chacun de, ses membres, lorsqu’ils expriment leur avis, le prestige du groupe entier. Comme votre mouvement est politiquement indépendant et qu’il n’a aucun intérêt particulier à sauvegarder ou à promouvoir, les opinions qu’il émet et qui sont celles de l’ensemble de ses membres peuvent avoir une portée considérable. Elles contribuent à leur tour, une fois exprimées, à façonner l’opinion publique parce qu’elles suscitent de nouvelles idées en rendant la population plus consciente de ses problèmes.

J’ai dit qu’on percevait maintenant dans le Québec l’existence d’une opinion publique plus éclairée. Je dois dire également que celle-ci est de plus en plus sévère en ce qui concerne la législation, l’administration et le comportement de l’homme politique. Nous

la sentons de plus en plus présente et le gouvernement que je dirige estime qu’il doit en être ainsi. Un de ses objectifs primordiaux est justement la valorisation de la fonction publique et l’établissement de l’efficacité administrative. Cette tâche que nous avons résolu d’accomplir nous sera d’autant plus facile si nous savons que la population s’intéresse à nos efforts et si au moment où des difficultés se présentent, nous sommes assurés de son soutien moral et de sa compréhension sympathique. Nous ne demandons pas qu’on nous loue toujours des initiatives que nous prenons, ni qu’on vante constamment nos réalisations; nous ne voulons pas non plus qu’on se contente seulement de monter en épingle les lacunes et les défauts auxquels nous n’avons pas encore eu le temps de nous attaquer ou ceux qui ne disparaissent pas assez vite. Tout ce que peut souhaiter un gouvernement démocratique, c’est une opinion publique éclairée; si elle est éclairée, elle saura bien faire la part des choses et servira alors vraiment de guide à ceux qui ont la responsabilité immédiate du gouvernement.

Si une telle opinion publique commence maintenant à exister dans le Québec, c’est en grande partie grâce au travail et à la présence des mouvements de jeunes. Les premiers résultats que nous constatons tous doivent vous encourager à persévérer dans la voie où vous vous êtes engagés.

Une nation a toujours besoin d’une élite vigoureuse, d’un levain. Elle a besoin de dirigeants conscients de leurs responsabilités. Ces dirigeants, elle peut les puiser dans des organisations comme la vôtre.

Le peuple québécois compte plus que jamais sur les jeunes d’aujourd’hui car l’évolution historique et économique le force à renouveler sa vision du monde et l’oblige à accepter ce qui est peut-être le plus grand défi de son histoire.

Pendant les deux cents dernières années, il s’est efforcé de survivre et il y a réussi. Mais la bataille dont il a gagné la première manche, ne se terminera par une véritable victoire qui si notre peuple, maintenant solide et assuré de son présent, a l’audace d’entreprendre la conquête de son avenir. Pour celle-ci, il nous faut cependant d’autres moyens que ceux qui nous ont permis de survivre. Ces moyens nous les connaissons, mais nous ne les possédons pas encore tous.

Le gouvernement que je représente ici, par ses lois sur l’éducation, par son souci de la culture, par ses conceptions en matière de développement économique et par l’attention qu’il apporte au bien-être matériel de la communauté québécoise espère fournir ces moyens à notre peuple et matérialiser ainsi la volonté d’affirmation nationale qui l’anime. Il n’y arrivera toutefois vraiment que s’il a, pour atteindre un objectif d’une aussi grande envergure, l’appui de notre jeunesse et la collaboration de notre élite. Nous construisons aujourd’hui ce qui sera demain votre monde à vous. Nous savons que vous allez nous y aider par votre présence et votre sens social. Car en nous aidant, vous ne vous préparerez pas seulement un avenir meilleur; vous assurerez à tout notre peuple canadien-français la place que lui réserve l’Histoire.

[QLESG19610901]

[ Exposition provinciale de Québec

Le ler septembre 1961 Pour publication après 8:30 P.M.

Ho n. Jean Lesage, Premier Ministre le ler sept. 1961]

L’Exposition provinciale de Québec est un événement annuel dont l’importance se mesure à l’intérêt considérable qu’elle soulève auprès de toute notre population.

Ce soir, c’est la cinquantième fois qu’a lieu cette Exposition constamment renouvelée. Je suis donc particulièrement honoré de ce qu’on m’ait, à cette occasion, invité à procéder à son ouverture officielle.

Un cinquantième anniversaire est toujours en lui-même une grande date. Un tel anniversaire est encore plus remarquable lorsqu’il s’applique à une entreprise comme l’Exposition provinciale; en effet, lorsqu’une initiative communautaire réussit à l’atteindre, c’est qu’elle a acquis un caractère de solidité que les événements à venir ne sauraient désormais lui faire perdre. L’Exposition provinciale est ainsi devenue aujourd’hui une institution bien établie, à tel point que l’activité intense qui l’entoure et l’afflux des visiteurs qu’elle amène à Québec font maintenant partie du visage permanent de notre ville.

Comme Québécois, je suis heureux ce soir de m’associer personnellement à cette manifestation qui, chaque année au début de septembre, fait de Québec le centre d’attraction de la province entière. À titre de premier ministre, il me plaît aussi beaucoup que cet événement se tienne dans notre capitale provinciale; cela à mon sens donne à l’Exposition une envergure plus grande et une portée beaucoup plus étendue.

D’après moi, toute exposition produit deux effets distincts. Elle constitue d’abord une excellente source d’information, et suscite en même temps des occasions de réflexion.

Je pense qu’elle est d’abord une source d’information pour le public en général, pour ceux qui visitent les différents comptoirs où sont exposés les produits qu’on veut porter à leur attention. Ce public est à même de constater les progrès de notre industrie et même à un degré plus remarquable ceux de notre agriculture, pivot de notre survivance comme groupe ethnique et, pendant longtemps, condition même de notre existence matérielle. Le public apprend ainsi à connaître l’immense progrès accompli dans notre production agricole et industrielle, et il peut de ce fait formuler un jugement sur leur qualité en les comparant aux autres de même nature. Cette possibilité de comparaison fournit un stimulant aux producteurs. Ceux-ci savent en effet fort bien que leurs produits seront pour ainsi dire scrutés par des milliers de visiteurs qui profiteront de l’occasion unique qu’ils ont d’apprécier les produits similaires que leur offrent des concurrents. Comme la concurrence est un élément essentiel du régime d’entreprise privée dans lequel nous vivons, les expositions agricoles, industrielles et commerciales jouent donc un rôle de premier plan dans le progrès économique.

De plus, par la publicité qui en découle, elles font naître chez les clients – car tous les visiteurs sont des clients éventuels – le désir de se procurer des produits utiles et attrayants qui leur sont offerts.

Je ne dirais cependant pas que c’est là leur principale fonction. Je pense plutôt que de telles expositions fournissent la preuve du génie créateur de l’homme et que, à cause de cela, elles peuvent provoquer de salutaires réflexions. Elles montrent, entre autres choses, quelles étapes l’homme à franchi dans l’effort qu’il poursuit constamment en vue de tirer de la nature les biens nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Elles montrent comment il a réussi à se donner une vie matériellement plus confortable. Elles montrent surtout que sa tâche en ce sens est loin d’être terminée puisque chaque année des innovations importantes rendent souvent désuets des produits dont on vantait les mérites l’année d’avant..

Ce que je viens de dire est vrai pour toutes les expositions, pour toutes les foires agricoles, industrielles, scientifiques, ou autres. Mais, dans l’Exposition provinciale de Québec, il y a quelque chose de plus. Elle constitue pour nous le miroir de l’activité de notre peuple. Tous les domaines d’activité de notre population sont touchés: l’agriculture, l’industrie, le commerce, les arts et quoi encore. Dans ce « miroir de notre activité », nous pouvons trouver bien des motifs de contentement: notre niveau de vie se compare favorablement à celui de n’importe quelle nation évoluée, la qualité de notre production équivaut à celle des autres pays, nos travailleurs donnent de multiples preuves de leur habileté remarquable et nos artistes nous présentent les résultats prometteurs de leur grand talent.

Mais devons-nous, collectivement, nous arrêter seulement à ces motifs de satisfaction? N’est-il pas plutôt de notre devoir, comme citoyens du Québec et comme Canadiens français, de réfléchir – et très sérieusement – non pas sur ce que nous sommes et sur ce que nous possédons déjà, mais sur ce que nous pourrions et devrions être, sur ce que nous pourrions et devrions posséder.

J’ai dit tout à l’heure qu’une exposition comme celle qui s’ouvre ce soir permettait de souligner les progrès accomplis dans diverses sphères d’activité. Mais le progrès lui-même implique le changement. Dans l’époque où nous vivons actuellement, les changements sont très rapides et ceux qui ne sont pas continuellement en alerte risquent d’être vite dépassés par les événements. C’est là un risque qu’un petit peuple comme le nôtre n’a pas le droit de courir car il y va de son existence même. Les nations qui nous entourent sont trop grandes et trop puissantes pour que nous nous contentions d’être ` leur remorque.

Nous n’avons qu’un parti à prendre: nous affirmer par notre présence dans tous les domaines. Nous avons déjà fait beaucoup, mais ce n’est pas suffisant, ce n’est plus suffisant. Pendant les jours qui suivront, toute notre population pourra voir dans les édifices qui nous entourent des exemples de ce que nous avons pu réaliser matériellement. Il faut aussi qu’elle voie ce qui nous reste à faire, ce qui nous manque encore.

Et il se peut, je le souhaite même, qu’elle se pose une très grave question: sommes-nous, comme peuple, assez présents dans ce progrès technologique de l’agriculture – au sein de cette industrie – dans ces maisons de commerce et dans ces institutions financières dont la concurrence nous menace? Je devrais plutôt dire: nous intéressons-nous assez à la mise en valeur de notre propre économie? Ou bien, au contraire, est-ce que nous n’avons pas plutôt tendance à prendre pour acquis, par une sorte de conditionnement historique, que ce genre d’activités appartient à d’autres que nous?

Le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger a déjà plusieurs fois manifesté son désir de corriger cette situation manifestement anormale, qui provient en grande partie de notre propre attitude en matière d’économie, de finances et de commerce. Il veut que désormais notre peuple, sans détriment ou injustice pour qui que ce soit, joue le rôle qui lui revient dans le développement matériel du Québec. Mais pour accomplir un tel dessein, il lui faut l’appui de tous les éléments de notre société. Il lui est en somme difficile d’agir s’il rencontre l’indifférence générale, si notre peuple qui, d’une part, veut sincèrement et résolument le renouveau économique de notre province, n’est pas consentant d’autre part à accorder sa collaboration agissante.

Il est un domaine, entre autres, qui ne laisse personne indifférent: nos richesses naturelles. L’Exposition provinciale de cette année a d’ailleurs reçu comme thème « La Faune québécoise », une de nos richesses les plus abondantes. Je suis très heureux de ce choix car il permettra à tous les visiteurs de l’Exposition de prendre conscience d’un de nos actifs les plus précieux.

Ce que je souhaite en terminant, c’est qu’ils étendent leur prise de conscience non pas à l’existence ou à la valeur même de ces richesses naturelles – je suis convaincu que c’est déjà fait – mais à ce qu’impliquera concrètement pour le peuple du Québec et pour son gouvernement la mise en valeur systématique de ces richesses qui nous appartiennent en propre.

Déjà, nous avons développé les richesses de notre sol en une agriculture rationnelle dont vit encore une proportion imposante de notre population. Il nous reste à consolider les progrès accomplis et à résoudre les problèmes qui subsistent par une adaptation de notre industrie agricole aux exigences du marché moderne.

Quant aux richesses de notre sous-sol, elles nous posent un défi à la mesure de notre volonté nationale de reconquête économique. Il y aura, dans ce domaine, un effort intense à fournir. Le gouvernement du Québec entend faire sa part. Il faut aussi que le peuple du Québec, le moment venu, accepte de faire la sienne. Monsieur le Président, il me fait maintenant plaisir de déclarer officiellement ouverte la cinquantième Exposition provinciale de Québec.

[QLESG19610904]

[Fête du Travail (Confédération des Syndicats Nationaux) Québec. lundi 4 septembre 1961

Pour publication après 9:30 A.M.

Hon, Jean Lesage, Premier ministre, le 4 septembre 1961,]

Les chefs de gouvernement ont toujours l’habitude, à la Fête du Travail, de transmettre leurs meilleurs voeux à l’ensemble des travailleurs et à la classe ouvrière en particulier. Je suis vraiment très heureux ce matin de pouvoir le faire de vive voix et de me trouver au milieu des représentants de la Confédération des Syndicats Nationaux. Je profite donc de l’occasion qu’on m’a offerte de vous rencontrer pour vous faire part, à vous qui êtes ici présents et à toute la classe ouvrière, de mes sentiments personnels d’amitié, ainsi que, de ceux de tous mes collègues.

La Fête que nous célébrons le premier lundi de septembre, chaque année, est celle de tous les travailleurs, mais à mon sens elle est surtout celle des ouvriers. J’y vois la fête par excellence, le jour de commémoration qu’on a choisi pour rappeler à ceux qui vivent aujourd’hui, tous ces travailleurs souvent inconnus dont la largeur de vue, le courage et l’abnégation ont fait franchir à la classe ouvrière les premières étapes dans sa marche vers la libération économique et sociale. Car la Fête du Travail n’est pas simplement un jour chômé, un jour de réjouissances. Je crois plutôt qu’elle est une sorte de « fête du souvenir », un hommage collectif que la classe ouvrière d’aujourd’hui rend à ceux des siens qui, hier, ont payé de leur liberté et parfois même de leur vie les droits dont elle jouit maintenant.

Un de ces droits les plus chèrement acquis est celui de l’association libre. Alors qu’il était à peu près inconnu, il y a seulement quelques dizaines d’années, il est maintenant devenu, par la ténacité du peuple ouvrier lui-même, la règle normale dans le domaine des relations ouvrières. Mais, comme dans toute règle, il subsiste des exceptions. Ces exceptions, toujours trop nombreuses même si elles ne sont pas fréquentes, une société vraiment démocratique ne peut les souffrir, car dès que le droit d’association est menacé, la justice sociale est en danger. Je pense bien que le respect de cette justice sociale est un des premiers objectifs que doit s’employer à atteindre tout gouvernement soucieux du bien commun. De toute façon, celui que j’ai l’honneur de diriger veut que les droits des travailleurs et les libertés conquises par des générations d’ouvriers, autant dans notre province que dans d’autres pays, ne soient désormais plus mis en danger par les attitudes despotiques et réactionnaires d’intérêts particuliers davantage préoccupés de leur bien propre que de celui de l’ensemble de notre société.

La fête du Travail n’est pas seulement l’occasion d’un rappel historique. Elle permet aussi de faire le point. À ce propos, elle est une suspension salutaire du travail habituel et quotidien; elle donne lieu à la réflexion aussi bien sur le chemin parcouru par les travailleurs vers la promotion véritable de la classe ouvrière que sur les problèmes auxquels cette classe fait aujourd’hui face.

Je ne veux pas non plus commenter longuement les statistiques officielles du chômage publiées vers la fin du mois d’août. J’aimerais tout au plus profiter de la circonstance pour souligner que la situation s’est quelque peu améliorée au Québec. Entre juin et juillet derniers, le chômage a diminué proportionnellement plus dans notre province que partout ailleurs au Canada. Le niveau de sous-emploi correspond maintenant à peu près à celui de l’an dernier à pareille date; depuis plusieurs mois, à cause du ralentissement économique que le pays a connu, il avait eu tendance à être plus élevé. Cette amélioration relative que l’on note dans notre province n’a pas été aussi marquée dans le reste du Canada. Quoi qu’il en soit, le nombre des travailleurs sans emplois reste encore trop nombreux chez nous. Le gouvernement du Québec est parfaitement conscient de la situation angoissante de ceux qui sont incapables, malgré tous leurs efforts, de se procurer

un emploi stable; il est aussi parfaitement conscient de l’état d’esprit de ceux dont la vie est souvent tissée d’incertitudes et de déceptions. Il comprend les difficultés des familles que le chômage touche et celles des communautés humaines dont le développement économique demeure lent et insuffisant.

Même s’il n’a pas à sa disposition tous les moyens que possède par exemple le gouvernement central de notre pays, il est résolu à faire sa part dans la lutte contre la plus pernicieuse maladie sociale de notre époque. Depuis un an déjà, il a adopté d’importantes mesures à cette fin. Je mentionne seulement notre politique de travaux d’hiver ou, plus précisément, la participation du gouvernement provincial aux coûts de ces travaux.

Même si, d’après les statistiques compilées au cours des derniers mois, cette politique a pu donner du travail à des milliers de personnes qui autrement se seraient trouvées sans emploi, il n’en reste pas moins qu’une telle mesure est presque uniquement palliative. Elle corrige une partie des effets du chômage; elle n’en attaque pas la cause profonde. Pour pénétrer jusqu’aux racines du mal, d’autres méthodes s’imposent, plus appropriées et d’efficacité plus durable. Nous devons par exemple nous employer à faciliter l’établissement, dans le Québec, d’une industrie secondaire de transformation, capable d’employer des milliers de travailleurs. C’est là le but de certaines démarches que mes collègues et moi avons déjà faites; c’est aussi un des buts poursuivis par des organismes comme le Conseil d’Orientation économique et des ministères comme celui de l’Industrie et celui des Richesses Naturelles. Le travail accompli récemment en ce sens devrait bientôt donner des résultats tangibles, à l’avantage de toute notre population et particulièrement à celui de la classe ouvrière de notre province.

Mais il ne suffit pas de provoquer la naissance d’industries nouvelles pour que le problème du chômage disparaisse de notre scène économique. Il faut aussi que la population laborieuse soit capable de remplir les emplois offerts par ces entreprises nouvelles; il faut qu’elle soit prête à s’intégrer à une structure d’emplois qui peut comporter des exigences plus sévères quant aux connaissances requises. Il y a une raison bien simple à cela, car il existe un rapport inverse entre le niveau de chômage et celui de l’éducation. Des études démontrent que les personnes dont le niveau de scolarité est insuffisant courent énormément plus de risques d’être touchées par le chômage que celles qui ont longuement fréquenté les institutions d’enseignement. Cette situation découle du progrès technique qui demande de plus en plus de préparation académique chez ceux qui recherchent des emplois. Avec l’arrivée de la mécanisation et de l’automatisation, ce phénomène social s’est précisé et exerce déjà ses effets. L’administration des commerces, des entreprises et des gouvernements est également plus compliquée. De nouvelles occupations sont créées, mais elles réclament toutes de ceux qui y aspirent un degré de préparation élevé. Nous découvrons même le paradoxe suivant: d’un côté, il y a beaucoup plus de travailleurs que d’emplois disponibles, alors que, de l’autre, c’est le contraire: on manque de main-d’oeuvre. Par moments, surtout l’été, il arrive dans certaines régions qu’il y a presque autant d’emplois offerts que de personnes sans travail. Mais ces emplois ne peuvent être occupés par ceux qui chôment à cause de l’absence des qualifications qu’il leur faudrait pour cela. On peut donc dire qu’une partie, parfois assez forte, du chômage est provoquée par le manque de connaissances techniques et administratives de ceux qui se trouvent sans travail.

On comprend aisément dès lors pourquoi le gouvernement du Québec accorde autant d’importance aux réformes à accomplir dans le domaine de l’éducation. Pour les mêmes raisons, il a cru urgent de faciliter à la population l’accès aux maisons d’enseignement, en instituant dès cette année, au moins partiellement, le régime de l’éducation gratuite. Ce n’est là encore qu’un début car il nous reste beaucoup à faire dans ce domaine. Nous sommes cependant persuadés que c’est par l’éducation accrue et étendue à tous que non seulement le peuple canadien-français pourra s’affirmer et développer ses qualités intellectuelles et morales, mais encore qu’il pourra enfin voir le jour pas trop lointain où le chômage forcé de sa jeunesse et de ses pères de famille aura fini d’être une menace permanente.

En cette Fête du Travail, j’ai voulu vous faire part à titre de Premier ministre, du souci qu’a le gouvernement actuel d’assurer à la classe ouvrière et à la population en général la justice et la sécurité dans l’ordre et le progrès.

[QLESG19610908]

[Institut d’Administration Publique du Canada Québec, vendredi le 8 septembre 1961, Pour publication aprbs 7:30 hres P.M.

Jean Lesage, Premier Ministre le 8 septembre 1961]

Laissez-moi d’abord vous dire combien je suis heureux de vous recevoir ici ce soir au nom de la population du Québec et au nom du corps administratif de la province. Je vois dans la salle de nombreux représentants de notre haut fonctionnarisme et il me fait plaisir de constater l’intérêt qu’ils manifestent envers l’Institut d’Administration Publique du Canada et l’appui qu’ils accordent à ses travaux.

[I want especially to welcome those members of the Institute tute who have corne here from the other provinces of our country, or who have been sent as delegates by public bodies outside Quebec. I would like them to know that Quebec’s specialiets in public administration are happy to co-operate with them in a common work which is becoming more and more necessary just as much in Canada as in the other advanced countries of the world.

The general and greatly increasing industrialization of modern nations has, in effect, created a gradual relative decrease of those occupations which were traditionally known as primary ones; it has, at the saure time, increased the importance of the secondary group. As for the services — of which you all forrn a part they have developed a great deal as the result of the creation of new professions designed to cope with new needs. It is, of course, a recognized fart that the greater the development of the economy, the greater the number of people employed in industry. Through constant progress in the economic sphere, production becomes diversified and the markets increase; techniques change and the various types of activity multiply. Education, transport and communications, social services, pure or applied research, advertising, business, government services and all kinds of other occupations require a greater and greater number of people. As industry and finance develop more and more, co-ordination, which used to be merely useful, becomes essential. Administrative functions take on a heretofore unsuspected importance and can

become, through the efficiency of those who carry them out, one of the basic conditions for the social and economic progress of a nation. At the present time, we have a better understanding of

the bearing and the great importance of administrative tasks in a

world where they are commanding an increased respect. It must be

pointed out, however, that those who wish to become administrators

must be endowed with something more than mers willingness. For this

reason, the technique of administration now forets part of the curricu

lum of several institutions of higher learning, and those who apply

• these techniques are receiving better and better remunerations for their services. In short, as the result of circumstances and the fact that all types of organisme interested in administration have taken on a new awareness, it has aroused the interest of the progressive elements of our society in the sphere of public and private administration. It was the general opinion for a long time – at least people acted as if it was the general opinion – that administrative work was unproductive, and this type of work was restricted as much as possible. Today, this way of thinking has become obsolete, and the close relationship which existe between an adequate and wellordered administration and the quality of production is much better understood. Even the word /production » has been enlarged to include

I

the administrative services as well as production in terme of physical or quantitative effort.]

Je ne sais pas au juste à quoi tient le nouveau courant de pensée en cette matière, mais je suis convaincu que des groupes et des associations comme l’Institut d’Administration Publique du Canada ont beaucoup contribué à son avènement. Vous avez compris que les changements rapides dont notre monde est témoin rendraient nécessaire l’adaptation constante des techniques administratives à la réalité ambiante. Pour que cette adaptation puisse se faire, il importe que ceux qui la recherchent soient ouverts aux solutions possibles des problèmes qu’ils rencontrent dans leurs tâches quotidiennes respectives. Si j’en juge par le programme et les communications à la réunion que vous tenez cette année à Québec, vous remplissez parfaitement cette exigence. Le dynamisme de votre Institut et la largeur de vue de ses membres me semblent être non seulement une garantie du succès de ses entreprises actuelles, mais préparent aussi notre avenir commun; en effet, l’évolution naturelle de la conjoncture économique et sociale nous conduit inévitablement vers un mode de vie – vers un monde, pourrait-on dire – où s’amplifiera graduellement l’emprise du secteur administratif sur l’ensemble de la vie communautaire.

[It seems quite obvious that the increase in the spheres

of government activity has had an enormous influence on the slow but steady transformation of our economy into an economy of administrative services. a few decades ago, in accordance with the idealogical position of the then predominating economic liberalism, the part played by the State was not as widespread as it is today. As a matter of fart, it was almost non existant when we compare it with the tasks that modern governments must assume if they are fully aware of their responsibilities and the farreaching effect of government activity on the human element in the sphere of social security as well as that of economic policy, the problem of the relationship the administrative personnel and those whom it administers now requires to be solved. There are times when this relationship is very close, for example when it is a question of presenting proof of eligibility for such and suoh a government grant. At other times, the relationship between the administrative personnel and the general public is far less obsious but still exists, because dicisions made by members of Parliament and Government or certain highly placed civil servants can still affect thousands of individuals.

In the administrative sphere, therefore, it is always a good ides to keep the human touch, and to remember that even it is easiér to draw up legislation and the regulations which go with it in definite and categorical terme, the citizen who considers himself

a particular case, does not always fit precisely into any one particular class of the socially insured, either as a beneficiary or as a contributor. There are always exceptions to any rule to remind the administrator of the deep complexity of the human being, and each case’ must be judged in the most enlightened manner. Furthermore, real efficiency of the administration very often reste not so much on the speed with which the administration of a department is carried out, but really reste on the common sense of the decisions that it makes. In other words, the administrative process consiste of reconciling two things that are not always compatibles the simplicity of the regulations that are to be kept or enforced, and the respect for justice towards those who corne under the administration. The simpler the regulations, the faster their application, but the less easy it is to fulfil the requirements of true distributive justive. On the other hand, the harder we try to give each one what he should get in accordance with his needs or his rights, the more we need to provide a multiplicity of regulations, and the exceptions become more and more numerous. It becomes inevitable, therefore, that there cornes a time when we must draw the line, and the point at

which we must draw this line can never be determined in advance or once and for all. In the drawing up of laws for example, all particular cases must be reduced to a common denominator as far as possible, without, however,’ simplifying things to the extent that they would result in creating more problems than they would provide solutions. The prior judgment of the legislator must be implemented by the judgment of the administrator who must see to the application of the laves thus conceived. Those who are responsible for the administration of laws and

regulations and to seeing that the regulations are carried out are faced by two dangers: arbitrariness and red-tape. These two dangers are not in themselves incompatible, even though they can stem from causes that are, as for example vagueness in the meaning of the law, or too much attention to detail on the part of the adrninistrator.

Naturally, in this case as in many others, the attainment of perfection in practice is too much to expect. While perfection as always to be hoped for, we know that it is not always possible to attain, and trying to attain it without understanding could result in the drawing up of laws that would be inapplicable to human beings endowed with liberty, initiative and judgment, and also — we must admit — with a spirit of contraririess.

Administration, like government, as a human undertaking.

A great deal can be expected of it, but we certainly cannot expect it to perform miracles. Also, we must not lose sight of the fart that even if it is built up along ideal lines, its value as an instrument for the common good is in direct proportion to the level of competence of the people who run it.

There is not a single government or administrative service in this world that can escape from this problem. It is inherent with them in one way or another. There are two ways of solving this problem — by simply ignoring it — or by accepting the challenge that it presents.

The first way is obviously the easiest because it is simply a motter of making negligence a principle. This attitude is very easily justified by saying that no one expects public administration to be efficient anyway. Furthermore, one can always cite some instances where it did not come up to expectations. One therefore concludes that civil servants are merely a necessary evil that modern nations have allowed to take root and to which they will have to become resigned. Once such an ides Je adopted, and once its logical conclusions are accepted, it is almost impossible to make the necessary changes to get the administrative personnel to become more competent. In fact, we do not encourage them at all to reach this end. Further

more, we frighten away those people who could enrich and renovate civil service from the

inside.

The other solution naturally calls for far more courage. Not only is it contrary to an all too fréquent conception of civil service, but it also attacks a state of affairs that has been built up by the collective behaviour of whole generations of people. Nevertheless, this is the,solution that we have chosen to adopt in Quebec. I should say, rather, that this is the solution that was called for in view of the new tasks that the Quebec Government will have to take on and which, furthermore, the population of the province has called upon us to carry out.]

Ces tâches sont à la fois nombreuses et étendues. Le peuple du Québec attend dorénavant de son gouvernement qu’il fasse sa grande part dans le domaine de l’éducation et de la culture, qu’il intensifie, par l’effort de coordination et de planification qu’il peut y apporter, le développement rationnel de notre territoire et la mise en valeur de ses richesses naturelles et aussi qu’il y participe – et qu’il augmente le niveau de santé et de bien-être de toute la population. Bien entendu, un tel programme ne peut se réaliser rapidement, ce que tout le monde admet. Mais tout le monde reconnaît aussi qu’il doit éventuellement se réaliser et cela, non pas dans un futur incertain, mais dans l’avenir immédiat.

Afin de s’acquitter des responsabilités nouvelles, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger a cru devoir orienter son action vers un double objectif: la réforme des structures administratives, et, parce que ce premier objectif est en lui-même insuffisant, la valorisation de la fonction publique. C’est à ces deux conditions que nous croyons pouvoir entreprendre la réalisation du programme à long terme dont le peuple du Québec nous a confié le soin. En ce qui concerne le développement économique, nous avons d’abord remis sur pied le Conseil d’Orientation économique, resté inactif pendant plusieurs années. Nous lui avons donné une perspective nouvelle et nous lui avons confié un mandat plus précis.

Ce Conseil est un organisme voué à la recherche et à la réflexion; il agit comme consultant auprès du gouvernement et, par ses suggestions et ses recommandations, accentue le progrès matériel du Québec.

Comme d’autre part, le peuple de la province est plus que jamais conscient de l’importance de ses richesses naturelles et de la nécessité de les exploiter d’abord à son avantage, puisqu’il en est le propriétaire, nous avons résolu de coordonner toutes les activités du gouvernement qui ont trait à ces richesses. À cette fin, nous avons réuni sous la juridiction d’un seul ministère, celui des Richesses naturelles, tous les services gouvernementaux axés sur les mines et les ressources hydrauliques.

Dans le même ordre d’idée, nous avons réorganisé le ministère de l’Industrie et du Commerce en y créant de nouveaux services et précisant leurs fonctions. De la sorte, nous croyons disposer désormais d’un véritable ministère de l’Économie, grâce auquel le souci de planification du gouvernement actuel pourra se traduire dans les faits.

Dans le domaine social, en plus de toutes les nouvelles lois à caractère proprement humanitaire que nous avons adoptées, nous avons transformé l’ancien ministère du Bien-être social en ministère de la Famille et du Bien-être social. Il ne s’agit pas là que d’un simple changement de nom. Le nouveau ministère a en effet pour mandat de repenser toute notre législation actuelle en fonction de la famille qui, comme vous le savez, est un des facteurs principaux dans la survivance du groupe ethnique canadien-français.

Notre culture particulière est un autre de ces facteurs. Pour la favoriser et pour lui donner plus d’occasions de s’épanouir, nous avons créé le ministère des Affaires culturelles. Celui-ci a sous sa juridiction des organismes comme l’Office de la Langue française, le Département du Canada français d’outre-frontière, le Conseil provincial des Arts et la Commission des Monuments historiques. Pour la population canadienne-française, ces divers organismes ont une signification profonde; ils sont en quelque sorte la cristallisation de sa volonté de vivre et de faire connaître sa culture. Ils sont aussi le symbole de l’acceptation par l’État du Québec du rôle nouveau qu’il doit dorénavant assumer dans le maintien et l’expansion du « fait français » en Amérique.

[French Canada, in Canadian Confederation, cannot live turned inward upon itself, nor can it live « against » the other ethnie groups., Our country is made up mainly of two ethnies groups’and its future depends entirely upon the co-operation which should exist between these two groupe. The French Canadians want te be accepted as full citizens, for they no longer believe that their « country » stops at the boundarios of Quebec. In order to reach this objective, we decided te create a Department of Federal-Provincial Affaire whose principal task will be te integrate Quebec into Confederation, without allowing Quebec te lose any part of

its identity in the process.

Se far, I have only mentioned structural reforme. As I have already mentioned, we must go even further. For this reason, we have taken a serious look at the problem of administration as well as the, problem of personnel. We have, for example, given new strength te the Treasury Office and we have created the post of Controller of th e Treasury. In this way, we have decentralized the tanks of the Cabinet and ensured a better supervision of the spending of public moneys. We have also reintroduced the system of calling for public tenders and we have applied the same system in the purchasing service. In connection with the granting of permits, in the case of liquor, for instance, we

have set up a better process for the issuing of permits by creating a quasi-judicial body known as the Quebec Liquor Board. We have also begun te reorganize the Quebec Provincial Police Force from top to bottom in which we have also introduced the merit system. We want our Provincial Police Force to be an exemplary body of men and a model for others to copy.

In order te ensure the selection of competent administrative personnel, we have increased the number of Commissioners in our Civil Service Commission, and we have adopted the system of public competitions as regular procedure.

Ail these decisions and many others that we have made stem from the new spirit that we wish to instil into every aspect of our provincial administration. A great many of the services that I have mentioned already existed, but they had almost never been allowed to render the services that were expected from them. We have revived them so that they will be able to carry out the functions which the necessary progreas of our society calls for.

We are only beginning the reforms that must be made. Our province, which is the common lever of the French Canadians and at the same time an active member of Confederation, has entered into a new phase of its history. The population will, from now on, scrutinize much more than in the past the steps which the Provincial Government takes to carry out the tanks that the citizens have given it. For this reason we need a Civil Service whose members will be competent, efficient and who will take pride in the part that they play in the proper administration of the province. The Government of Quebec is happy, in this case, to know that the mont dynamic elements of the private sector are mort interested in raising the prestige of the Civil Service. It is aise pleased to know that many members of the administrative personnel are interested in improving their professional knowledge. The Government is also giving every encouragement to universities to develop study programmes for future Civil Servants and to improve those programmes which are already in force.

A far-reaching effort in this sphere will substantially change the face of our Civil Service. As a result of the reforms that we have introduced we can already ses encouraging signe of change. These changes are very promising because they allow our present personnel to give its full contribution, and allow the Government to carry out its newly assumed responsibilities. The Government is mont pleased to accept these new responsibilities, because they constitute the first stop towardo the achiovement of the kind of society in which the citizens of Quebec have chosen to live.]

[QLESG19611021]

[Journée des Anciens de Laval

Québec. le 21 octobre 1961 Pour publication, après 7:00 hres P.M.’

Hon. Jean Lesage Premier Ministre le 21 octobre 1961]

Je voudrais d’abord vous exprimer, mes chers amis et chers confrères d’Université, combien je suis heureux de me retrouver aujourd’hui parmi vous. J’ai l’occasion par cette rencontre de renouer connaissance avec des camarades qui, comme moi, ont eu le privilège de fréquenter l’Université à laquelle nous devons tant; je revois de vieux amis que le sort ou les occupations différentes tiennent loin du milieu où je dois évoluer. Il y a aussi de ces vieux amis – car je les considère toujours tels – dont les opinions politiques ne correspondent pas toujours aux miennes. Ils ne m’en voudront pas, j’en suis certain, de signaler cette différence, car ils savent, comme moi, qu’il faut de tout pour faire un monde … Je leur dis, à eux aussi, qu’il me fait plaisir de les rencontrer, car, en définitive, nous avons au moins une chose en commun, une qualité dont tous ceux qui sont ici présents sont fiers: cette chose, cette qualité, ce titre de gloire, c’est d’être ancien de Laval. Je profite de l’occasion qu’on me donne ce soir de vous adresser la parole pour remercier tout particulièrement ceux qui ont pensé à me remettre la médaille des Anciens pour l’année 1960-61. C’est avec grande joie que j’accepte cet honneur qui me touche. Je l’accepte non pas parce que j’ai la prétention d’y avoir droit, mais parce que j’y vois de votre part une marque d’amitié et de confiance dont je vous suis reconnaissant. Veuillez croire que j’essaierai de me montrer aussi digne de l’honneur que vous me faites, que vous y avez vous-mêmes mis de sincérité à me l’offrir.

Je vous ai dit, il y a un instant, que nous étions tous des Anciens de. Laval; c’est d’ailleurs pour cette raison que nous pouvons tous nous réunir ici. Mais, je ne sais pas si vous vous êtes fait la même réflexion, nous ne sommes pas à proprement parler des Anciens. Car le mot « ancien » a une résonance additionnelle que je n’aime pas, du moins par rapport à Laval; il laisse supposer que les liens que nous avions avec l’Université de notre temps d’étudiants sont maintenant coupés et que, si nous nous réunissons une fois par année, lors des journées des Anciens, c’est parce que nous voulons ensemble remuer de vieux souvenirs.

En réalité je ne crois pas qu’il y ait d’Anciens, de Laval dans ce sens-là. Je ne pense pas qu’aucun de nous ait l’impression que ses liens avec l’Institution qui, l’a formé ont été coupés au moment où il l’a quittée. L’Université Laval a justement ceci de remarquable qu’on ne la quitte jamais. Elle nous suit partout, ou plus exactement elle nous accompagne. Les connaissances que nous y avons puisées, nous nous en servons encore tous les jours; l’esprit qu’elle nous a insufflé, il continue de marquer toute notre personnalité; son influence sur notre comportement est désormais indélébile. Quand je dis que l’Université Laval nous accompagne, je pense aussi à autre chose. Notre Université, car c’est notre Université, évolue constamment. Elle nous accompagne dans le temps, elle suit le progrès de toute notre province, et, souvent, elle le précède. Sans Laval, le Québec d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’il est devenu; sans Laval, il nous manquerait quelque chose que nous chercherions vainement à remplacer. Je doute qu’on puisse un jour établir précisément l’étendue du rôle que Laval a pu jouer au cours de notre histoire, mais nous savons tous instinctivement que ce rôle est immense. Nous nous en rendons compte à chaque moment, et à chaque moment nous découvrons dans quelle mesure notre Université a fourni à notre peuple l’armature intellectuelle et spirituelle dont il jouit présentement et qui a pour beaucoup contribué à assurer sa survivance.

Si notre peuple, en général, doit tant à l’Université Laval – et aussi aux autres institutions d’enseignement de tout genre répandues à travers toute la province – il est difficile d’imaginer quelle dette ont, à son égard, ceux qui ont eu, personnellement, le privilège de la fréquenter. En effet, il s’agit d’un privilège, et d’un privilège auquel ne peuvent encore aspirer un trop grand nombre de nos citoyens. Cette situation a quelque chose de navrant. Il arrive que, dans notre société, comme dans bien d’autres du monde, un bien aussi précieux et aussi indispensable à l’heure actuelle que l’éducation, et surtout l’éducation universitaire n’est accessible qu’à une minorité de la population. Si encore cette minorité groupait tous les jeunes citoyens dont le talent permet d’entreprendre des études approfondies, la situation serait moins grave. Mais tel n’est pas le cas. Vous savez tous, aussi bien que moi, que le critère d’entrée dans nos institutions universitaires est non pas le seul talent, mais aussi la situation sociale ou le degré de fortune de la famille d’où provient le jeune étudiant.

Je ne prétends pas que, idéalement, tous les citoyens d’un pays devraient ou pourraient posséder une éducation universitaire. Ce genre d’éducation ne convient pas à tous les talents, ni à tous les goûts. De plus, il existe d’autres branches de l’activité intellectuelle oh les aptitudes individuelles peuvent s’épanouir pour le plus grand bienfait de la société.

Il n’en reste pas moins, vous en conviendrez, que l’accession à l’éducation supérieure à trop souvent dépendu de critères socialement injustes.

Bien entendu, des pères de famille de conditions modestes ont parfois pu, au prix de sacrifices énormes, et j’en sais quelque chose, donner à leurs enfants une éducation supérieure. Des étudiants peu fortunés ont parfois aussi réussi à s’instruire grâce à leur travail pendant l’été ou pendant l’année ou encore grâce à des emprunts, cela aussi, j’en sais quelque chose. Les gouvernements ont également fait leur part en accordant des bourses aux étudiants les plus doués. Des sociétés patriotiques, des groupements d’hommes d’affaires ou encore des entreprises commerciales ont, de leur côté, agi un peu dans le même esprit en encourageant par leur support financier beaucoup d’étudiants à poursuivre leurs études.

Tous ces efforts méritent d’être signalés parce qu’ils ont atténué, dans bien des cas, les résultats néfastes de l’inégalité des chances au point de départ. On ne peut cependant s’attendre que de telles initiatives – ce que reconnaissent d’ailleurs ouvertement ceux qui les suscitent rendent l’éducation supérieure accessible à tous ceux qui pourraient et devraient en profiter. Elles touchent trop peu d’étudiants pour cela et, surtout, elles n’atteignent généralement ceux-ci qu’au moment où ils sont prêts à entreprendre des études universitaires. À ce moment, la sélection par le critère financier, si je peux m’exprimer ainsi, est presque terminée. Ceux qui ont jugé ne pas en avoir les moyens ont déjà depuis longtemps, abandonné tout espoir; plusieurs, de ce fait n’ont même pas commencé leurs études secondaires. Fondamentalement donc, et malgré les corrections qu’on a pensé apporter à ce processus naturel de sélection, celui-ci demeure injuste. Il nous faut toujours en revenir à la même conclusion: la possibilité d’acquérir un niveau élevé d’éducation continue aujourd’hui encore de dépendre beaucoup plus des ressources financières des intéressés que de leurs talents. Lorsqu’on est obligé, dans une société, de porter un tel jugement, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c’est qu’il y a un mécanisme de faussé quelque part. Car on ne peut considérer l’épanouissement intellectuel, la culture, la formation comme des privilèges réservés à quelques élus; ce sont des droits que tout citoyen intelligent et capable d’en profiter acquiert du fait même qu’il naît dans une société démocratique faisant partie d’un monde évolué.

Mais ce n’est pas tout. Au Canada français – comme je l’ai souvent mentionné — nous avons une raison de plus de mettre un terme à la situation que je viens de décrire. Notre histoire, notre géographie nous ont situés dans le continent nord-américain de telle sorte que nous ne formons qu’une très petite minorité par rapport à une énorme population d’origine et de mentalité anglo-saxonne. Nous avons donc besoin de toutes nos forces pour nous affirmer, pour nous réaliser collectivement. Il nous est désormais impossible de vivre repliés sur nous-mêmes comme ce fut le cas pendant plusieurs générations.

Il nous faut aussi entreprendre de façon dynamique la reconquête économique de notre territoire, il nous faut planifier le développement de notre économie. Nous ne pouvons plus laisser à des forces aveugles le soin de résoudre les nombreux problèmes avec lesquels nous sommes encore aux prises. Notre peuple doit au contraire participer à l’édification du monde dans lequel il désire vivre. Or ce n’est pas seulement en investissant des capitaux, en construisant de nouvelles usines, en exploitant de nouvelles richesses que nous réussirons à nous acquitter pleinement des tâches qui nous incombent en ce domaine. Le capital le plus précieux est le capital humain. C’est ce capital qu’il importe de rendre plus efficace et c’est par un effort intense en matière d’éducation qu’il deviendra tel. En somme, par l’éducation accrue, non seulement nous assurerons la permanence du fait français en Amérique, mais nous donnerons aussi à notre population les moyens d’acquérir le niveau de vie matériel qu’il est en droit de désirer. Comme vous le savez, le gouvernement du Québec est tout à fait conscient, pour ces raisons, du rôle qu’il doit jouer dans le domaine de l’éducation et de la culture. Il a aussi compris que l’éducation accrue, dans l’époque où nous vivons, protégera mieux l’entité propre de notre peuple et lui permettra de mieux se réaliser tant au point de vue culturel qu’au point de vue économique.

Je n’ai pas l’intention de vous présenter une revue de la législation que nous avons adoptée à ce propos. Même si elle est abondante, je sais qu’elle demeure incomplète, je sais surtout qu’il faudra un certain délai pour que ses effets profonds commencent à se faire sentir. Nous n’avons fait qu’établir les premiers jalons d’une véritable politique de grandeur nationale. Il nous reste énormément à accomplir et nous comptons beaucoup, à ce sujet, sur les conclusions de la Commission d’Enquête que préside le vice-recteur de Laval.

Certains diront peut-être que nous avons surestimé l’aptitude du Québec à entreprendre une tâche d’une telle envergure, que nous aurions dû en somme nous contenter d’apporter au problème de l’éducation chez nous de nouveaux palliatifs.

Cependant, si nous avions choisi d’agir ainsi je crois sincèrement que nous aurions manqué à notre devoir. En d’autres termes, nous avions le choix entre une démission virtuelle en face des tâches que l’avenir immédiat impose au Canada français et l’acceptation réfléchie des défie qui l’attendent.

Nous avons préféré la voie la plus difficile car nous sommes convaincus que c’est en nous y engageant que nous pourrons, avec la collaboration de tous les éléments dont se compose notre société, commencer dès aujourd’hui à édifier le Québec de demain.

L’esprit dans lequel nous nous attaquons aux problèmes de l’éducation est le même que celui qui nous inspire dans le domaine, par exemple, des richesses naturelles, de la santé ou du bien-être. Nous n’avons jamais prétendu réaliser de miracles; nous voulons seulement faire notre possible. Et c’est en nous consacrant pleinement à atteindre cet objectif que nous croyons pouvoir assurer l’affirmation de notre groupe ethnique et la grandeur de la communauté québécoise.

[QLESG19611023]

[Conférence sur les Ressources et notre Avenir Montréal le 23 octobre 1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.

Hon. Jean Lesage. Premier, Ministre le 23 octobre 1961]

Je veux d’abord, à titre de Premier Ministre, vous souhaiter la bienvenue dans la province de Québec et vous dire toute l’importance que je vois à la Conférence qui vient de s’ouvrir. Je sais que cette Conférence a été préparée de longue date et avec beaucoup de soin. Nul doute que les résultats de vos délibérations comme spécialistes serviront à éclairer l’action des divers gouvernements du pays dans la mise en valeur des richesses renouvelables.

[Because of the repercussions which will, no doubt, result from this Conference, it is necessary, I think, for all of you to express your opinions freely, which is exactly what I intend to do myself. Your governments have invited you to take part in these deliberations, but this does not mean that you agree with their policies in any way, or that you are acting as their spokesmen. On

the contrary, whether you are from government, industrial, professional or university circles, you will take part in the discussions as individuals – in your personal capacity. In this way, you will have an excellent opportunity to express those thoughts which you have in common and to state your views as well as any new ideas which you may have. The only aim of the Conference on « Resources and our Future » is, in fact, to analyse the deficiencies which exist in the development of our renewable resources and to give us an ides of the norms required for their proper exploitation while taking into account the various uses of waters, lands, forests, wild life and fish.]

Au Québec, nous avons pris conscience de ces problèmes et nous savons qu’il reste énormément à faire pour les résoudre et pour atteindre ainsi les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous sommes cependant confiants de les réaliser parce que nous constatons que la population de la province se rend compte non seulement du fait que les richesses de son sol et de son sous-sol lui appartiennent en propre, mais que c’est elle qui est responsable de leur mise en valeur. Le potentiel énorme dont elle jouit, elle veut l’utiliser à son propre avantage; en planifiant son exploitation, elle veut garantir le progrès matériel de toute la communauté québécoise. Le gouvernement du Québec connaît les citoyens de la province en ce qui touche leurs richesses et croit qu’il est de son devoir de faire en sorte que ce sentiment soit respecté. C’est pourquoi nous visons actuellement à donner à l’administration provinciale le cadre institutionnel qui lui permettra de s’acquitter des tâches qu’il a assumées en vue de favoriser le développement du territoire québécois. Dans toute cette entreprise nous sommes guidés par un principe primordial qu’ont commencé à traduire dans les faits plusieurs des ministères qui s’intéressent à la mise en valeur de l’une ou l’autre de nos ressources. Ce principe, cette règle d’action, devrais-je dire, on le retrouve dans le souci de planification auquel nous voulons nous conformer et que nous nous employons à instaurer dans tous les domaines de notre vie économique qui avaient été jusqu’à maintenant abandonnés à l’arbitraire, au laisser-faire ou à l’expédient dicté par la partisannerie politique. Pour que, dans un pays comme le nôtre, l’effort de planification puisse être efficace, pour qu’il puisse diriger dans le sens désiré l’exploitation et la transformation des richesses sur lesquelles il s’exerce, un certain nombre de conditions doivent être réalisées. Il faut, par exemple, une connaissance précise des faits, il faut un personnel compétent et ouvert aux problèmes que pose l’interrelation des ressources et de leurs usages, il faut aussi que chacun des gouvernements provinciaux se donne des structures administratives adéquates, il faut surtout – et c’est là-dessus que je voudrais insister – tenir compte des différences régionales dans l’élaboration du plan à suivre. En effet, cela est indispensable car, même si la planification est conçue à la fois aux niveaux intermédiaires et supérieurs de gouvernement, elle se concrétise, en dernière analyse au niveau régional. C’est à ce niveau, comme vous le savez, que se manifestent la plupart des problèmes d’aménagement et d’utilisation des ressources.

Nous vivons au Canada dans un pays immense dont les régions économiques sont nombreuses. Cela ne simplifie évidemment pas la tâche de ceux qui croient qu’un effort sérieux de planification s’impose, surtout si les responsabilités de chaque structure administrative ne sont pas, au départ, clairement définies.

Je crois qu’il existe une façon relativement simple de les définir. Mon opinion se fonde sur deux constatations, que d’ailleurs tout le monde est à même de faire.

La première – et je viens de l’énoncer – c’est que la planification doit tenir compte des différences régionales et cela pour des raisons bien pragmatiques d’efficacité. La seconde, c’est que notre régime constitutionnel attribue la juridiction aux administrations provinciales en ce qui a trait aux richesses naturelles, renouvelables ou non.

Le champ d’activité très vaste qu’est la planification économique, la nature même de l’action à entreprendre, le fait aussi que nous vivons dans une confédération où nous sommes tous solidaires, sont autant de facteurs qui incitent, d’une part, l’administration fédérale à donner son importante contribution à une entreprise aussi vitale. Mais cette contribution, nous la voyons surtout d’ordre général. Elle peut être axée par exemple sur la connaissance qu’a notre

gouvernement central des exigences de la situation du peuple canadien dans le commerce international, ou encore sur l’influence que sa position lui permet d’apporter sur d’autres variables, comme la monnaie et certaines catégories d’impôts.

La constitution, d’autre part, confie aux provinces la responsabilité du développement économique de leur territoire. Les éléments immédiats de ce développement et de l’aménagement des richesses du sol sont également de leur ressort. Ce sont elles qui peuvent contrôler la plupart des facteurs grâce auxquels une politique de planification peut se matérialiser et avoir certaines chances de succès. Les provinces sont aussi en mesure d’influencer le ton de leur progrès industriel par leur action sur la localisation de l’industrie secondaire, par le tracé, de communications pour faciliter l’accès aux ressources de base et par leur juridiction absolue sur les structures municipales. Elles peuvent de plus participer directement à l’investissement dans le développement des ressources et l’aménagement de l’industrie là où les conditions économiques l’exigent. L’examen des faits que je viens d’énoncer, la réflexion à leur propos, suggère une conclusion qui – je pense bien correspond entièrement à l’esprit de la constitution canadienne. Il nous apparaît que les provinces de notre pays sont, en droit et en fait, les premières responsables de la planification, aussi bien celle des richesses naturelles, renouvelables ou non, que celle de l’industrie secondaire de transformation.

Cette responsabilité – à laquelle le gouvernement fédéral peut naturellement fournir l’apport précieux que lui permet sa situation dans le contexte canadien – cette responsabilité, dis-je, oblige cependant les provinces à faire preuve entre elles d’une collaboration constante, car la tâche qui est dorénavant la leur est d’une importance telle qu’il serait dangereux de la minimiser. Sa complexité même doit les pousser à établir entre elles des contacts fréquents. À ce sujet, je me permets de rappeler le rôle très étendu et très utile que pourrait jouer le Secrétariat interprovincial permanent dont j’ai déjà eu l’honneur de proposer la formation l’an dernier à Ottawa.

[In this sphere, as in many others, the Government of quebec is ready to co-operate, but this co-operation will be, as I have repeated so often since July 1960, in spite of all the publicity

that has been given to the voice of a very few -an active one.

The people of Quebec are more than ever aware of their rights, but mark my word — they no longer wish to live apart. This evening, I have openly expressed our views. If I have done so, I have not done it in a spirit of misplaced provincialism — because we who live in Quebec feel that in our way of doing things, in our way of living,

we can be a positive element and an additional

source of survival and pride to the whole of’the population of Canada.]

[QLESG19611025]

[Corporation des Ingénieurs Forestiers

Québec. le_ 25 „octobre ,1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.

Don. Jean Lesage, Premier Ministre le 25 octobre 1961,]

De tous les groupements organisés de la province, vous êtes probablement un de ceux qui suivent le plus attentivement la politique nouvelle qu’entend appliquer au domaine des richesses naturelles le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. La Corporation des Ingénieurs Forestiers de la province de Québec – on l’imagine facilement – est en contact quotidien, pour ainsi dire, avec l’une de nos plus abondantes richesses: la forêt. Dès lors, il est naturel que vous consacriez une grande partie de vos énergies à assurer le progrès constant de l’industrie forestière, que vous vous préoccupiez intensément des tendances qui s’y manifestent et des perspectives qui s’y dessinent.

Je suis certain que c’est dans cet esprit que vous m’avez soumis, au mois d’août, le mémoire de votre Corporation. Du moins, c’est ce qui découle clairement de vos commentaires et des suggestions constructives que vous avez jugé utile de nous transmettre.

J’ai eu récemment l’occasion de parcourir votre intéressant mémoire et je dois vous dire, en toute sincérité, qu’il m’a agréablement impressionné. Et la chose qui m’a le plus frappé, cela je tiens à le souligner, non pas pour vous faire plaisir, mais parce que c’est la vérité, ce qui m’a le plus frappé, dis-je, c’est « l’atmosphère de votre mémoire », si vous me permettez l’expression. Votre attitude est totalement objective. On sent, j’ai senti, devrais-je dire, qu’en soumettant vos recommandations vous visiez non pas à promouvoir les intérêts de votre profession ou de votre Corporation, ou encore ceux des compagnies forestières, mais bien plutôt ceux de la communauté tout entière.

C’est peut-être d’ailleurs parce que vous êtes si familiers, comme groupe, avec les problèmes de l’industrie forestière que, dans votre remarquable mémoire, vous manifestez aussi clairement votre souci d’une planification bien comprise de ce secteur important de l’activité économique de notre province. À ce sujet, vous rejoignez une des préoccupations fondamentales de l’administration provinciale actuelle. Comme vous le savez sans doute, nous avons résolu, en ce qui a trait aux richesses naturelles dont notre province est si abondamment fournie, d’orienter notre politique à partir de principes d’action que l’ensemble de notre population accepte et qu’elle veut nous voir mettre en pratique.

Le plus important de ces principes peut s’énoncer assez banalement comme suit: pour nous, les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. J’avoue qu’en lui-même, à première vue, un tel énoncé peut sembler ne pas vouloir dire grand-chose. Je suis même le premier à reconnaître qu’on peut facilement en faire une phrase creuse et sans portée. Pour arriver à ce résultat, on n’a qu’à le répéter souvent, à tort et à travers, sans jamais s’arrêter aux lourdes conséquences qu’il peut entraîner. En agissant ainsi on n’avancerait pas plus, dans l’ordre des réalisations concrètes, que celui qui, au lieu de se conduire selon les règles de la morale, se contenterait d’affirmer qu’il faut faire le bien et éviter le mal! On en resterait dans l’ordre des grands principes généraux sans jamais les appliquer aux réalités qui nous entourent. Ce qui démontre combien il demeure facile de se gargariser de mots lorsque, pour toutes sortes de raisons, on ne veut pas ou on ne peut pas passer à l’action. Il existe deux corollaires à la proposition selon laquelle les citoyens du Québec sont les propriétaires des richesses naturelles de la province. C’est lorsqu’on les énonce qu’on commence à percevoir les conséquences lointaines d’un point de départ d’apparence anodine.

Le premier de ces corollaires est que les richesses naturelles de la province doivent, d’abord et avant tout, être exploitées au bénéfice de ses citoyens. En effet, puisque nous avons reconnu qu’ils en sont les propriétaires, il est naturel et logique que ce soit eux qui tirent le plus d’avantages de leur exploitation. Or, dans le Québec, actuellement, cette exigence n’est que partiellement satisfaite. La population retire certains avantages de l’exploitation des richesses de notre sol et de notre sous-sol, mais le gouvernement estime que ceux-ci sont nettement insuffisants.

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, dans une très large mesure, le Québec est encore sous-développé. Je veux dire par là que nous possédons collectivement d’immenses richesses dont nous ne connaissons pas toute l’étendue ou auxquelles nous n’avons pas encore accès. Le Québec est en quelque sorte un large réservoir de ressources minières et de pouvoir hydroélectrique auquel nous venons à peine de commencer à puiser. D’ailleurs, quand je dis que nous commençons seulement à exploiter nos ressources, j’utilise un pronom qui n’est pas tout à fait exact. Car et c’est là la seconde raison pour laquelle le gouvernement juge insuffisants les avantages que la population du Québec retire de ses richesses naturelles ce sont presque invariablement d’autres intérêts que les nôtres qui mettent présentement en valeur les richesses dont le Québec est si généreusement doté.

Je puis vous assurer que le gouvernement que je représente est très conscient de ces problèmes et surtout qu’il se propose de faire tout en son pouvoir pour les résoudre. Il a d’ailleurs déjà commencé, comme le prouvent nos décisions relatives au mode d’exploitation des richesses naturelles du Québec et comme le démontre si clairement notre intention d’établir une Société Générale de Financement grâce à laquelle toute la population du Québec – les citoyens aussi bien que les groupements dont ils font partie comme les sociétés de finance et d’épargne collaborera à cette oeuvre grandiose que sera pour nous le développement de notre province. Cette Société Générale de Financement n’est qu’une des nombreuses innovations auxquelles pense le gouvernement du Québec. D’autres suivront, car l’effort qu’il nous faut collectivement fournir doit toucher tous les secteurs de notre vie économique et toutes les industries de notre province. Le gouvernement n’a évidemment pas l’intention de tout régenter, ni de tout diriger; nous ne croyons pas que ce soit nécessaire. Mais il veut prendre ses responsabilités et jouer, dans notre communauté, le rôle qui lui revient. Il veut aller de l’avant et influencer par le dynamisme de son attitude l’allure de l’expansion économique du Québec.

Vous comprendrez qu’il n’est pas facile de s’acquitter d’une telle tâche. Les difficultés qu’elle recèle sont nombreuses et imprévisibles. Nous sommes résolus à mettre toute la bonne volonté nécessaire pour les résoudre, mais nous n’avons jamais prétendu pouvoir y parvenir seuls. Ce que nous voulons accomplir, nous le ferons pour la population de notre province, mais aussi et surtout avec elle. À la vérité, nous comptons sur elle pour nous seconder dans nos efforts, nous comptons sur les groupements organisés pour nous présenter leurs suggestions. C’est là notre façon de comprendre la démocratie; nous voulons associer la communauté entière au processus de la décision politique et nous voulons qu’elle participe librement à l’élaboration des lois et des politiques qui la touchent de près.

En présentant son mémoire au gouvernement, votre Corporation s’est conformée exactement à ce que nous pouvions attendre d’un groupe de citoyens pénétrés de leur idéal professionnel et conscients de leurs devoirs sociaux. Nous considérons que vos suggestions viennent à point et qu’elles sont inspirées, comme je l’ai dit tout à l’heure, par votre souci d’aider les intérêts fondamentaux de l’ensemble de notre population. Naturellement, vous ne vous attendez pas à ce que je vous dise ce soir que le gouvernement a décidé de mettre immédiatement en pratique tout ce que vous nous proposez. Le document que vous nous avez soumis mérite beaucoup de réflexion et les réformes administratives et autres sur lesquelles vous insistez feront – veuillez m’en croire l’objet d’une étude attentive de la part de mes collègues et de moi-même.

Il y a tout de même un grand nombre de points que vous soulevez à propos desquels je ne puis que vous exprimer mon accord complet.

Ce que vous dites de l’inventaire de tout notre domaine forestier, de son exploitation, de son utilisation, ainsi que du reboisement et de la conservation de la forêt québécoise rejoint plusieurs de mes préoccupations et concorde précisément avec les politiques que nous avons commencé à appliquer en matière de richesses naturelles. Bien entendu, tout ne sera jamais parfait et il n’est pas non plus possible de traduire rapidement dans les faits le programme à longue portée que vous tracez. Vous pouvez toutefois être assurés que nous nous y mettrons sans tarder et que nous essaierons de réaliser, dans le plus bref délai possible, au moins les plus importantes de vos recommandations.

Il y a plusieurs années, en 1949, vous souligniez la nécessité de créer un comité de refonte et d’amendements de notre code forestier. Comme vous le mentionnez vous-mêmes, cette recommandation n’eut pas de suite. À ce sujet je peux vous dire que nous remettrons bientôt de l’ordre dans les lois et règlements affectant les forêts publiques et leur utilisation car nous voulons procéder sans plus de retard à cette importante refonte. Nous ferons aussi la classification économique des terres afin que nous puissions séparer définitivement les domaines forestiers des domaines agricoles.

Il est, de fait, indispensable que nous entreprenions cette tâche poux pouvoir, comme nous nous le proposons, aménager rationnellement le territoire de notre province.

À cause de la politique nouvelle que le gouvernement entend suivre en matière d’éducation, vos recommandations relatives à l’éducation forestière entreront certainement en ligne de compte dans les décisions que nous aurons à prendre. Il en est de même aussi de vos suggestions sur l’urgence des recherches que nous devons encourager ou auxquelles le gouvernement devrait participer. Je reconnais que le Québec est très en retard à ce sujet, et qu’il nous faut nous hâter si nous désirons que l’expansion de l’industrie forestière puisse se poursuivre.

Vous insistez également sur le problème social que représente la situation actuelle de la main-d’oeuvre forestière et vous avez parfaitement raison de recommander que des recherches sociologiques d’envergure soient entreprises à ce propos. Le gouvernement comprend les difficultés dans lesquelles se trouvent autant de travailleurs en forêt. Il ne s’agit pas seulement, bien au contraire, d’une simple question de salaire. Le travailleur en forêt est particulièrement touché par le caractère saisonnier de son emploi et par son éloignement du milieu familial. Il importe sûrement de trouver des remèdes appropriés aux conditions du Québec et de faire en sorte que le travail forestier devienne plus humain.

J’aurais bien des choses à ajouter sur les nombreuses recommandations que vous nous faites. Je n’ai voulu, ce soir, que vous faire part de mes premières impressions et vous dire que nous accorderons à votre mémoire toute l’attention qu’il mérite.

Nous allons étudier vos suggestions et réfléchir sérieusement sur leurs implications profondes car, à mes yeux et à ceux de mes collègues, elles nous tracent admirablement la voie que nous devons emprunter d’ici les prochaines années pour nous conformer au programme dont le peuple nous a confié la réalisation. Nous sommes assez réalistes toutefois pour prévoir qu’il nous sera parfois peut-être difficile d’accomplir tout ce qui devrait être fait. Chose certaine, nous nous sommes engagés à faire notre possible, et même, d’une certaine façon, plus que ce qu’un certain conservatisme social dépassé considérerait comme possible. Aux problèmes anciens, nous avons résolu d’apporter des solutions nouvelles et nous voulons maintenant poursuivre l’édification du mode de vie nouveau que tout notre peuple désire. Je vous ai dit tout à l’heure, en d’autres termes, que, pour nous, la démocratie ne devait pas seulement être un vague concept qu’on mentionne de temps à autre, sans vraiment y croire. Nous pensons au contraire que ses applications sont multiples. Elle existe dans le domaine politique; on doit la trouver aussi dans le domaine économique. Par les mesures que nous avons adoptées et, plus encore, par celles auxquelles nous songeons, nous voulons instaurer la démocratie économique au Québec. Grâce à des recommandations comme celles que vous nous avez faites, il nous sera plus facile de réaliser un tel projet.

Nous ferons ainsi du Québec, tous ensemble, un monde nouveau, un monde où le dynamisme aura succédé à la passivité, un monde en somme où à la qualité de citoyen s’ajoutera celle, aussi noble, d’artisan de l’avenir.

[QLESG19611031]

[Ecole Joseph-François Perrault

Québec, mardi le 31 octobre 1961 Pour publication après 6200 hres P.M.

Hon. Jean Lesage, Premier ministre le 31 octobre 1961]

Chaque fois que l’on inaugure une école, quelle qu’elle soit, on pose un geste symbolique. Ce geste consiste moins à consacrer officiellement l’existence d’un nouvel édifice scolaire, qu’à marquer un pas de plus dans la voie du progrès économique, social et culturel. Et quand cette école on l’inaugure dans le Québec, le symbole devient plus profond. C’est alors tout le groupement canadien-français qui voit s’accroître la somme des moyens matériels qu’il a à sa disposition pour mener à bonne fin les tâches que sa situation particulière en Amérique du Nord l’oblige à entreprendre. L’école dont il s’agit aujourd’hui porte le nom de Joseph-François Perrault. Cet homme est mort il y a déjà plus d’un siècle. Il fut, en son temps, un éducateur reconnu, mais de nos jours – il faut bien l’admettre – la plupart d’entre nous ignorons l’oeuvre féconde que son courage et sa ténacité remarquables lui avaient permis d’accomplir. Je suis heureux que l’on ait donné son nom à une école aussi importante que celle que nous inaugurons maintenant. De cette façon, les Québécois d’aujourd’hui – les citoyens de la province, comme ceux de la vieille Capitale – se rappelleront l’apport d’un Québécois d’hier à la grande cause de l’éducation.

Je n’ai pas l’intention à ce moment de vous relater la vie de Joseph-François Perrault, ni même vous la résumer. Des historiens riens peuvent beaucoup mieux que moi s’acquitter de ce travail.

Je me permettrai seulement, si vous le voulez bien, de tirer un enseignement de sa vie. Perrault fut en effet un des précurseurs de l’éducation gratuite chez nous. Avec l’aide de Mgr Plessis, d’autres religieux et de nombreux laïques, il fonda une société philanthropique dont le but était d’instruire gratuitement les enfants dont les parents étaient peu fortunés. Il ne se contenta pas cependant d’établir une institution, il manifesta aussi une activité pédagogique extraordinaire, en écrivant plusieurs volumes ou manuels scolaires à l’intention des élèves qui, à cette époque, en avaient grand besoin.

Ce ne sont pas ces faits précis que je veux retenir aujourd’hui, mais bien plutôt le caractère fondamental de son apport. Car Perrault fut avant tout un initiateur.

Et, dans n’importe quelle société, le rôle d’initiateur n’est pas facile. Les obstacles à surmonter sont abondants, les préjugés sont profondément ancrés, sans compter que l’incompréhension mine souvent les volontés les plus obstinées.

Perrault ne céda jamais à ces difficultés car il croyait, avec raison, que sa cause était juste et qu’en définitive elle finirait par triompher. À l’heure actuelle, nous lui devons beaucoup, car il a imprimé à l’éducation canadienne-française un élan qui persiste encore. Parfois, cet élan a pu sembler s’amoindrir au point de disparaître. Parfois, les circonstances ont pu laisser croire que le domaine de l’éducation chez nous avait atteint sa forme finale et que tout progrès, tout renouvellement était désormais inutile, voire nuisible.

De fait – vous le savez – il n’en est pas ainsi. Tout notre peuple veut aujourd’hui que ses institutions d’enseignement, que les méthodes qu’on y pratique s’adaptent aux conditions dans lesquelles nous vivons, Notre peuple veut en somme que se perpétue l’esprit d’initiative, l’esprit de création, l’esprit de renouveau qui animait un homme comme Joseph-François Perrault, soucieux du bien de sa communauté et pénétré de la grandeur de son action. Naturellement, il y a des gens qui craignent l’innovation, parce que justement l’innovation risque de modifier des modes de penser et d’agir auxquels ils sont habitués et qui leur apparaissent confortables. Pour ces gens, tout va bien lorsque rien ne change. Or, s’il est un domaine où le conformisme intellectuel est dangereux, s’il est un domaine qui exige l’adaptation aux réalités nouvelles, c’est bien celui de l’éducation. À ce propos, JosephFrançois Perrault nous donne une leçon. Dans son temps à lui, il y avait certainement des gens qui trouvaient ses entreprises hasardeuses et qui s’effrayaient des résultats qu’elles pourraient comporter. Pourtant, il a continué dans la voie qu’il s’était tracée, non pas parce qu’il voulait tout transformer pour le plaisir de la nouveauté mais parce que, d’après lui et d’après ceux qui le secondaient dans ses efforts – Mgr Plessis, son évêque, appartenait à ce groupe – il fallait à l’époque insuffler un esprit nouveau à l’éducation canadienne-française.

Au Moyen-Âge, il y avait d’excellents éducateurs. Au dix-huitième siècle aussi. Au temps de Joseph-François Perrault également.

Personne toutefois n’irait aujourd’hui proposer que nous revenions aux formes anciennes d’enseignement, car ces formes ne sont plus de notre époque; elles y seraient hors de place, dépaysées en quelque sorte et, surtout inefficaces. Les besoins du Canada français ne sont plus les mêmes qu’autrefois, qu’on le veuille ou non. On peut garder du passé une certaine nostalgie; mais il ne faut pas, si vous me permette l’expression, que cette nostalgie soit « agissante », il ne faut pas, en d’autres termes, formuler nos politiques actuelles en fonction de ce qu’était le Canada français d’hier. Si Perrault vivait aujourd’hui, il serait sans doute le premier à nous interdire de copier ce qui était valable dans son temps. Car, toutes proportions gardées, nous vivons dans un autre monde.

Ce monde, c’est celui que s’efforce de comprendre le gouvernement que j’ai l’honneur de représenter. Ses caractéristiques générales sont déjà connues. Le Canada français, le Québec en particulier, groupe une minorité ethnique isolée en quelque sorte dans une population trente fois plus considérable, de mentalité et du culture différentes. Pendant des générations entières, le souci de la survivance nationale a primé sur toutes les autres préoccupations. Maintenant, la survivance est assurée, mais elle ne suffit plus. Il nous faut dorénavant nous affirmer, non pas seulement exister, mais aussi vivre, car la rapidité de la vie moderne, les facilités de communications, l’interpénétration des cultures peuvent, si nous ne réagissons pas – et le plus tôt possible – reléguer notre peuple au rang des nations de second ordre.

Cela le gouvernement du Québec le comprend et, à cette fin, il a entrepris de doter la province des instruments qui permettront à notre population de hausser le niveau moyen de sa culture et d’influencer l’allure de son développement économique. Toute notre législation, aussi bien sur l’éducation que sur d’autres secteurs d’activité, vise de près ou de loin à faciliter la réalisation de cet objectif, qui soulève chez nous tant d’espoirs.

Dans le domaine plus précis de l’éducation, nous n’avons pas voulu nous en tenir seulement à une législation d’ordre général, fondée certes sur de bons sentiments, mais dont la portée réelle aurait été douteuse. Nous avons d’abord voulu connaître les faîtes en détail, et c’est pour cette raison que nous avons établi une Commission Royale d’Enquête sur l’éducation, présidée, comme vous le savez, par le vice-recteur de Laval.

La présence de cette Commission n’a cependant pas servi entre temps de prétexte à l’inaction législative. Nous possédions déjà des données très nettes sur certains problèmes et il importait que nous nous attaquions à leur solution le plus tôt possible. Nous avons ainsi posé les premiers jalons d’une politique globale en matière d’éducation et nous avons commencé à appliquer certaines réformes qui ne pouvaient subir de retards. Vous avez là la raison d’être de plusieurs des lois que nous avons adoptées et dont l’effet concret devrait se faire sentir assez rapidement. Lorsque nous parviendront les recommandations de la Commission d’Enquête, nous appliquerons de faon encore plus systématique les mesures dont les faits nous démontreront la nécessité.

Mais ce n’est pas seulement à la Commission d’Enquête qu’il appartient dans notre province de réfléchir sur une question aussi importante. Ce n’est pas parce qu’elle est maintenant à l’oeuvre que les citoyens doivent se croire libérés du souci de travailler, eux aussi, à la solution des problèmes d’ordre éducationnel dont ils sont conscients. Une telle attitude, si elle se manifestait, équivaudrait à une démission virtuelle en face d’un devoir primordial celui, pour les membres éclairés d’une démocratie, de prendre leurs responsabilités.

Je les encourage fortement, entre autres, à faire part à la Commission d’Enquête de leur opinion, de leurs projets ou de leur expérience dans le domaine de l’éducation. Ils peuvent collaborer à ses travaux à titre individuel ou encore par l’entremise des groupes auxquels ils appartiennent. Je veux aussi qu’ils sachent combien leur apport peut être utile. Si la Commission a été formée ce n’est d’ailleurs pas dans le but de trouver les moyens d’appliquer une politique déterminée au départ. Au contraire, elle vise à aider le gouvernement à élaborer une politique précise qui, pour la première fois peut-être dans le Québec, tiendra compte de tous les facteurs pertinents. Ces facteurs, la Commission peut certes les découvrir au moyen d’études scientifiques, mais elle ne les comprendra vraiment dans toute leur complexité que si les citoyens, qui en vivent les effets, coopèrent avec elle.

Il va sans dire que les commissions scolaires, les groupements d’instituteurs, en un mot, tous ceux que cette importante question touche doivent d’abord s’interroger eux-mêmes pour ensuite soumettre leurs vues aux organismes capables d’appliquer les solutions qui conviennent. Ainsi nous pourrons mieux, tous ensemble, édifier les structures d’enseignement les mieux adaptées aux nécessités présentes. Chaque type d’organisation, comme les écoles publiques, les collèges, les écoles professionnelles, chacun des groupements intéressés, comme les enseignants et les administrateurs de maisons d’enseignement, doit avoir de l’éducation la vue d’ensemble qu’exige, je vous prie d’excuser le néologisme technique, qu’exige la complémentarité des multiples secteurs de l’éducation dans notre province. C’est à cette condition essentielle qu’il deviendra possible de coordonner ceux-ci pour les rendre plus efficaces.

D’aucuns peuvent parfois être tentés de croire que les objectifs que nous poursuivons dans le domaine de l’éducation sont trop vastes ou encore que les ressources matérielles du Québec ne suffiront pas pour les réaliser. Je reconnais que notre programme est ambitieux, mais c’est ainsi que le veut le patron dont nous exécutons les désirs: le peuple de la province. Il sait qu’il a des retards à combler, il sait aussi qu’en les comblant et en faisant preuve de dynamisme, il prépare son avenir.

Il se souvient également que la liberté politique, pour être durable et réelle, doit se fonder sur la liberté économique. Or le peuple du Québec s’apprête actuellement à acquérir sa liberté économique. Il essaiera de l’atteindre en prenant activement part au développement de ses propres richesses et en participant directement à la mise en valeur de son territoire. Mais il n’y réussira vraiment que s’il est en mesure d’exercer les fonctions administratives et techniques, nouvelles chez nous, qui rendront possible un tel développement et qui en découleront. Il n’existe à cela qu’une seule solution: un niveau d’éducation accru, capable de préparer les jeunes d’aujourd’hui à prendre la place qui revient aux nôtres dans l’industrie, le commerce et les finances. Pendant longtemps, nous avons vainement souhaité qu’on nous donne, cette place; nous n’avions pas encore compris qu’il fallait en quelque sorte que nous la prenions, aussi bien en investissant dans nos ressources, qu’en nous imposant par notre compétence et par nos connaissances. En somme l’investissement financier que le Québec fournira bientôt à notre industrie n’aura les résultats que nous espérons que s’il s’accompagne d’un investissement dans notre potentiel humain.

C’est là le sens de la « politique globale » dont je parlais il y a quelques minutes et que nous avons la ferme intention d’appliquer. Nous comptons pour cela sur la collaboration de tous les éléments de notre société qui veulent que soit couronnée de succès l’oeuvre d’affirmation collective à laquelle la population du Québec a désormais résolu de consacrer ses efforts.

[QLESG19611109]

[Fédération des Femmes Libérales du Québec Québec. le 9 novembre 1961 Pour publication après 1:00 hre P.M.

Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 9 novembre

1961]

C’est toujours un plaisir renouvelé pour moi que de me trouver parmi vous. Surtout en une journée d’étude comme celle-ci où, j’en suis convaincu, les travaux que vous accomplissez contribueront grandement à éclairer les délibérations du grand congrès libéral qui débutera ici même demain soir et au cours duquel j’aurai l’occasion d’exposer longuement toutes les choses que nous avons pu accomplir en seulement seize mois de pouvoir. Dans la même circonstance l’an dernier, je vous disais combien le gouvernement et le parti que je dirige comptaient sur vous pour renseigner notre population et l’aider à mieux comprendre l’oeuvre de restauration nationale que nous avons entreprise et que nous ne saurions mener à bien sans l’appui de tous et chacun. Et je souhaitais que vous trouviez des moyens nouveaux et efficaces d’étendre vos activités et d’accomplir votre oeuvre si méritoire et si nécessaire au bien-être et au progrès général. Mon souhait a été magnifiquement réalisé puisque votre Fédération compte maintenant des associations bien vivantes et très actives dans plus de quatre-vingt comtés de la province, et que les congrès régionaux, que vous avez tenus au cours de l’année ont contribué à rendre notre population plus consciente des problèmes qui nous confrontent et à mieux apprécier les efforts que nous multiplions pour leur trouver des solutions adéquates le plus rapidement possible. Vous méritez des félicitations chaleureuses pour le remarquable travail que vous avez accompli au cours de l’année, et je sais me faire l’interprète de tous les militants libéraux de la province en vous disant combien nous apprécions votre collaboration et l’appui indéfectible que vous nous accordez.

Je vois que vous avez inscrit à l’ordre du jour de votre réunion, l’étude et l’adoption d’une nouvelle constitution. Je ne sais dans quel sens exactement sont orientés les réformes et les changements que vous désirez apporter à la structure et aux règlements qui régissent votre vie et vos activités politiques. Cependant, j’imagine facilement que les transformations dont est témoin notre province depuis le 22 juin 1960 et l’expansion vraiment remarquable que connaissent les cadres de votre Fédération, vous incitent à assumer de nouvelles responsabilités et à vous associer davantage encore au Parti Libéral du Québec, à tous les paliers de sa structure pyramidale. Dans le Parti Libéral, nous avons toujours considéré la femme l’égale de l’homme; nous lui reconnaissons les mêmes droits et nous désirons vivement qu’elle assume au sein du parti les mêmes responsabilités que son compagnon d’armes. Je ne doute pas que vous saurez vous inspirer d’idées aussi généreuses envers les militants libéraux de l’autre sexe, et dont je suis dans l’élaboration et l’adoption de votre nouvelle constitution.

D’ailleurs, les libéraux n’ont-ils pas démontré dans le passé, alors qu’ils étaient au pouvoir à Québec, leur volonté d’accorder a la femme les mêmes droits que 1′ homme dans toutes les sphères d’activités, comme cela se passe à l’intérieur même de notre parti. Ai-je besoin de rappeler que c’est un gouvernement libéral qui a donné le droit de vote aux femmes dans notre province? Que c’est encore un gouvernement libéral qui, par exemple, a accordé l’admission des femmes au Barreau, c’est-à-dire à la pratique du Droit au Québec? Nous-mêmes n’avons pas hésité, depuis le 22 juin, à faire appel aux talents de la femme pour remplir d’importantes fonctions sur plusieurs organismes gouvernementaux. Je ne voudrais pas vous imposer une nomenclature peut-être monotone, mais vous me permettrez sûrement de rappeler qu’une femme, Me Marguerite Choquette, est l’un des cinq membres de la nouvelle Régie des Alcools du Québec, que le secrétaire de la Commission Royale d’Enquête sur l’ancienne administration de l’Union Nationale est également une femme, Me Gervaise Brisson, et que nous avons nommé une femme au Bureau de la Censure du Film, Madame Florence Martel, fondatrice de la Société des Femmes universitaires de Montréal. Des femmes siègent également sur le Comité consultatif de l’assurance-hospitalisation, sur le Comité d’Étude de l’Enseignement technique et professionnel, à la sous-commission de l’enseignement aux enfants exceptionnels, ainsi que sur plusieurs autres organismes. Nous ne considérons pas cependant que tout a été fait pour l’égalité de la femme dans une province où elle va être appelée de plus en plus à assumer d’importantes responsabilités et à faire bénéficier notre population de ses talents et de ses dons. Je sais que l’une des mesures les plus urgentes à cet égard est la révision du statut juridique de la femme mariée. Déjà, le programme politique que nous avons soumis à l’approbation de l’électorat, comportait deux articles bien précis à ce sujet. Mais vous avez voulu pousser plus avant l’étude de la question, et le comité que votre Fédération avait formé à cet effet a fait ratifier par le congrès général de l’an dernier un rapport très fouillé, que j’ai lu. avec grand intérêt. Laissez-moi vous dire qu’il contient d’excellentes suggestions qui ne sauraient laisser indifférent le gouvernement que je dirige. Cependant, le rapport de votre comité reconnaît lui-même que les réformes demandées auront des répercussions sur de nombreux chapitres du code civil. Ce n’est pas là une chose qui pouvait se faire du jour au lendemain, surtout lorsqu’on sait la somme de travail que le gouvernement a eu à abattre dans tant de domaines, dans un laps de temps aussi court que seize mois. Je reconnais néanmoins que plusieurs des réformes préconisées par votre Fédération sont urgentes. Nous en sommes bien conscients et c’est notre ferme intention d’agir dans ce domaine avec toute la célérité possible. Je ne puis vous dire si cela se fera à la session qui s’ouvre le 9 janvier ou à celle qui suivra, mais soyez assurées que nous agirons de manière à donner satisfaction à la femme mariée québécoise,

et cela de façon positive, avant la fin de notre premier mandat.

Encore une fois, vous aurez fait la preuve de la nécessité et de l’efficacité de l’action que vous exercez. Il n’est donc pas besoin pour moi d’insister davantage sur le rôle que votre Fédération doit continuer de jouer avec autant de détermination et de succès, tant au sein du parti que chez notre population. Tout ce que je veux ajouter, c’est que tant et aussi longtemps que la femme travaillera avec autant d’enthousiasme et militera en aussi grand nombre dans le Parti Libéral du Québec, le gouvernement que je dirige pourra poursuivre en toute sérénité d’esprit son oeuvre de restauration nationale.

[QLESG19611110]

[Congrès de la Fédération Libérale du Québec Séance d’Ouverture, le 10 novembre 1961 Pour publication après 9:00 hres P.M.

Hon. Jean Lesage. Premier ministre le 10 novembre 1961,]

Vous vous souvenez tous qu’en septembre 1958, trois mois à peine après que vous m’aviez fait l’insigne honneur de m’élire chef du Parti libéral du Québec, je déclarais formellement considérer le congrès général de la Fédération libérale du Québec comme les états généraux du Parti et qu’en conséquence, je rendrais annuellement compte de mon mandat à votre assemblée qui est souveraine en toutes matières de son ressort. Je précisais que cette procédure, que j’ai inaugurée dès le congrès de 1958, se poursuivrait même après que je serais Premier ministre de la province. À ce moment, bien des gens qui n’étaient pas au fait de l’immense effort de démocratisation déployé par notre parti – et même certains de nos militants qui ne se laissent pas facilement emporter par l’enthousiasme ont douté de la possibilité de réaliser un tel engagement une fois la victoire acquise. On semblait croire à tort que la Fédération était avant tout un instrument de combat, qu’elle n’aurait plus d’utilité véritable une fois le parti porté au pouvoir, et que ses dirigeants ne sentiraient plus alors le besoin de réunir annuellement les militants.

Seize mois. S’il est vrai que, de par sa nature même, tout gouvernement a généralement une vie beaucoup moins longue que celle des hommes qui le composent, seize mois de pouvoir n’en constituent pas moins une période vraiment courte pour réaliser un programme aussi vaste et aussi complexe que celui pour lequel a voté l’électorat de la province. Ceci est d’autant plus vrai pour nous que nous avons trouvé l’administration et les finances de la province dans un fouillis indescriptible, que nous avons eu à faire face dès le début à des problèmes urgents que nos prédécesseurs avaient négligé ou refusé de solutionner. Et c’est d’autant plus vrai qu’il nous a fallu tenir deux élections partielles pour combler des vacances créées par la démission de deux membres de l’Opposition et assurer ainsi que les comtés de Joliette et de Rouville soient représentés en Chambre; et, enfin, qu’une très grande partie de notre temps a été littéralement accaparée par la session la plus longue de toute l’histoire politique du Québec.

Pourtant, et malgré toutes les difficultés auxquelles nous avons da faire face, que de choses nous avons pu accomplir en seize mois. Dois-je rappeler ici que la Fédération s’est révélée plus vivante que jamais au lendemain du 22 juin 1960? Non seulement a-t-elle démontré par les nombreux travaux quelle a accomplis au cours des seize derniers mois que son utilité demeure toute aussi grande au pouvoir, que dans l’Opposition, mais elle a continué à réunir et à consulter régulièrement les électeurs aux trois paliers de sa structure pyramidale, c’est-à-dire dans le comté, dans la région et dans la province. C’est ainsi que cette année comme l’an dernier et les années précédentes, l’occasion m’est donnée de venir vous dire ainsi qu’à toute la province comment le gouvernement que je dirige s’est efforcé depuis son accession au pouvoir de traduire dans la législation et la réalité quotidienne le programme politique que vous nous aviez tracé et dont nous sommes devenus les mandataires de par la volonté du peuple.

[Indeed, the longest session of the.Quebec Legislature has also been the most fruitful of our whole political history.

No less than ninety bills were presen ted by the Government, and voted upon during the last session. I shall spare you the monotony of a long enumeration. Still, I would like to stress the fact that our whole legislative action of the last session was aimed at restoring liberty and justice in our province.

The thousands of Quebec taxpayers who, since January lst, have taken advantage of our hospital insurance Plan … the thousands of family heads for whom the education of their children has ceased to be a nightmare to become a right which they fully enjoy … the thousands of old-aged, of widows, of unmarried women, of crippled, of blind and of other persons in need who are about to receive from September lst supplementary new allowances … the thousands of farmers and settlers who now obtain more generous loans at more

• advantageous conditions … each and all are living witnesses to the government’s effort to render, through its legislation, justice to the whole population of the province.

But justice does not corne without liberty. One needs but look around to ses how freedom — which might have been believed dead forever in the province of Quebec — is more alive than ever and proves itself with great vigor in all spheres of activities. The

• « rediscovered freedom » of our written and spoken press is ample proof of the climate of

liberty we now enjoy in our province under a Libera} Government.

Together with our legislative action, we have taken the necessary means to put order and coherence in public affairs, particularly in the finances of the province. A Treasury Board has been set up so as to insure a close control of publie expenditure. The

Ob system of public tenders has been enforced, as stipulated by our program. The Purchasing Office has been reorganized so as to set it free from all political tie-ups and to insure, at the same time, that services and products manufactured in Quebec with Quebec materials be given preference, within the bounds of possibility.

There is no need to go into further details, I think,

• to show clearly that the government has spared no effort to restore

justice, liberty and order in the province, as instructed to do so

by the electorate on June 22nd, 1960.]

Oui, amis libéraux, que de choses nous avons pu accomplir en seize mois. Dans le domaine législatif, le gouvernement a fait voter par les Chambres pas moins de 90 lois … 90 lois dont notre province avait grand besoin pour rattraper le temps perdu au cours des seize dernières années. Ceux d’entre vous qui ont suivi de près les travaux de la dernière session – sûrement la plus fructueuse qu’ait jamais connue notre province – ont pu facilement se rendre compte combien nous nous sommes appliqués à faire passer dans la législation le plus grand nombre possible d’articles du programme sur lequel nous nous sommes fait élire. Je vous fais grâce d’une nomenclature qui risquerait d’être longue sans rien vous apprendre de neuf. Je ne saurais trop insister cependant sur les préoccupations de justice et de liberté qui ont animé toute notre action législative, qu’il se soit agi d’éducation, de santé publique, de rayonnement culturel, de politique agricole, de grandes réformes administratives et autres.

Dans le domaine de la santé publique, par exemple, nous avons voulu garantir à tous les citoyens de la province le droit de se faire hospitaliser gratuitement, tout en respectant la liberté et les caractéristiques propres tant de notre population que de nos hôpitaux. Nous avions pris un engagement solennel à cet effet: la loi instituant l’assurance-hospitalisation fut la première à être inscrite au feuilleton de l’Assemblée législative, et dès le premier janvier de cette année, les contribuables pouvaient se prévaloir des bénéfices de cette loi, ainsi que nous l’avions promis à l’électorat. Les améliorations que nous apportons à cette loi à mesure que son application en démontre le besoin nous convainquent que l’expérience pratique que nous avons pu acquérir depuis dix mois qu’elle est en vigueur, nous permettra d’en parfaire les modalités beaucoup plus rapidement que si le plan était encore à l’étude, ainsi qu’on l’aurait voulu dans certains milieux. Le vieux dicton: « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », s’applique ici magnifiquement!

Je m’en voudrais de ne pas mentionner également la Loi pour remédier à la pollution des eaux, qui est une mesure efficace pour prévenir la maladie et améliorer la santé générale de notre population. Vous me permettrez de rendre ici hommage à la mémoire du regretté Docteur Kirkland, le si dévoué député de Jacques-Cartier qui a été le principal instigateur de cette importante mesure législative, ainsi qu’à celle de son collègue de Chambly, M. Robert Théberge, qui a si bien servi ses compatriotes tant comme député que comme adjoint parlementaire du Secrétaire de la province.

Ce n’est pas sans raison qu’on a dit et écrit que la dernière session avait été celle de l’éducation. Si l’on consulte rapidement la nomenclature des lois votées au cours de cette session, on constate qu’une douzaine d’entre elles – allant des allocations scolaires à la Commission royale d’enquête sur l’enseignement s’attaquent à ce problème crucial dont la solution est la plus sûre garantie de notre réalisation nationale. Sans préjuger aucunement des résultats de l’enquête sur l’éducation, nous avons voulu établir immédiatement la gratuité de l’école publique et rendre l’enseignement secondaire et universitaire accessible au plus grand nombre en apportant un début de solution aux problèmes financiers auxquels ont à faire face tant les parents que les maisons d’enseignement. C’est dans ce sens qu’on a pu dire que le gouvernement avait réalisé une première étape dans son action pour doter le Québec d’une grande charte de l’éducation.

Qui dit éducation dit épanouissement culturel. En même temps que nous faisions porter nos efforts dans le domaine de l’éducation, nous avons voulu que le Québec affirme, par sa langue et sa culture, la présence française sur le continent nord-américain, ainsi que nous engageait à le faire le programme politique que vous nous aviez tracé. La poursuite des tâches que nous imposent les réalités canadiennes et notre survivance au sein d’un monde américain dont la culture est étrangère à la nôtre, exigeait que le Québec devienne la première province du Canada à se doter d’un ministère des Affaires culturelles. Un tel ministère et les organismes qui le composent ne peuvent s’édifier en quelques semaines ou quelques mois. Pourtant, malgré des moyens encore restreints, le ministère des Affaires culturelles fait déjà sentir son action même à l’extérieur du Québec. Je ne vous redirai pas l’accueil inoubliable que nous a fait la France lors de l’inauguration de la Maison du Québec à Paris. Je voudrais simplement souligner quel rôle important ont joué les liens culturels qui nous unissent à la France dans les pourparlers que nous avons eus à Paris tant avec les autorités gouvernementales qu’avec les représentants de la finance, de l’industrie et du commerce. C’est par la culture que le dialogue trop longtemps interrompu a été renoué avec la France. C’est par la culture également que le Québec se constituera la mère-patrie de tous les parlants français qui, en terre d’Amérique, vivent au-delà de nos frontières. La visite officielle que je viens de faire au New Hampshire, la première du genre jamais accomplie par un premier ministre du Québec, m’en a facilement convaincu.

Si l’on a pris l’habitude d’appliquer plus généralement le mot culturel aux grandes manifestations de l’éducation et de la civilisation, tels les arts, les sciences et les lettres, le dictionnaire nous informe, au cas où nous serions tentés de l’oublier, que la culture est avant tout l’action de cultiver la terre. Le gouvernement que je dirige n’a pas oublié cette vérité fondamentale au cours de la dernière session, il a fait voter plus de douze lois qui améliorent sensiblement le sort de nos cultivateurs et réalisent ainsi la plus grande partie du programme agricole que nous préconisons. Sans vouloir les énumérer toutes, je rappellerai que les plus importantes d’entre elles ont ajouté $20000 000 aux sommes à prêter par l’intermédiaire du Crédit agricole; encouragé et aidé les cultivateurs à emprunter à meilleur compte pour améliorer leurs fermes et leurs troupeaux; favorisé l’expansion des coopératives agricoles; protégé à la fois les cultivateurs et les consommateurs en prohibant la vente des succédanés du beurre colorés; rendu plus efficaces la loi des marchés agricoles; permis au gouvernement de réglementer l’achat, la vente, le prix et le mesurage du bois de pulpe coupé sur les terres des cultivateurs et des colons.

Cela suffit, je crois, pour démontrer que le gouvernement libéral comprend l’importance d’une agriculture progressive et prospère dans l’expansion économique de notre province et qu’il entend procurer à nos cultivateurs les moyens de se réaliser pleinement.

Nous avons légiféré également dans plusieurs autres domaines. Je voudrais, avant d’en venir aux grandes réformes administratives que nous avons déjà effectuées, vous parler brièvement de deux lois que je considère d’une grande importance. Il y a d’abord la loi pour assurer l’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile. Voici une loi qui s’imposait depuis longtemps. Au rythme où augmente le nombre des véhicules moteurs sur nos routes et, proportionnellement, les occasions d’accidents, il devenait indispensable d’instituer un Fond d’indemnisation pour les victimes de la route et, sans rendre l’assurance obligatoire, exiger une preuve de solvabilité des automobilistes. C’est là une mesure humanitaire dont tous doivent se réjouir.

Puis il y a la loi qui a créé la nouvelle Régie des alcools du Québec, dont l’application a été confiée à un organisme composé d’un juge-président et de quatre membres. Cette réforme de la loi régissant la vente, la possession et le transport des boissons alcooliques dans le Québec s’imposait, elle aussi, depuis longtemps. L’ancienne loi prêtait à bien des abus, encourageait l’hypocrisie, servait souvent d’instrument de chantage, et était désuète dans son application car elle ne tenait pas compte des réalités de notre temps.

Sans prétendre que nous ayons atteint à la perfection, nous croyons sincèrement avoir réalisé un réel progrès. D’ailleurs, nous l’avons dit lors de sa présentation en Chambre, cette loi est sujette à des améliorations à mesure que son application nous en révèlera les faiblesses. En même temps que nous mettions de l’ordre et de la justice dans un domaine où tout n’était qu’incohérence et arbitraire, nous légiférions de façon à intensifier la lutte contre l’alcoolisme. Là comme partout ailleurs, nous avons appliqué une politique, positive qui est, je crois, la grande caractéristique de toute notre législation.

J’ai eu l’occasion, lors du récent congrès de la Fédération des Jeunes libéraux du Québec, d’esquisser les grandes lignes de la réforme administrative que nous avons entreprise depuis seize mois que nous sommes au pouvoir. Nous avons restructuré la Commission du Service Civil et nous avons réinstitué le système des concours pour les emplois permanents, du bas en haut de l’échelle de l’administration provinciale. Nous avons sorti la police provinciale de la politique et l’avons dotée de cadres nouveaux de manière à en faire le corps policier le plus compétent et le plus efficace de tout le Canada. Nous avons entrepris la réévaluation des tâches dans tous les domaines de l’administration, en même temps que la reconstitution des divers départements et services nécessités par la création de nouveaux ministères et des transferts de responsabilités. Alors que s’accomplissaient ces changements importants de structures et de cadres, nous prenions les dispositions nécessaires pour rétablir l’ordre et la santé dans les affaires publiques, particulièrement en ce qui concerne les finances de la province que nos prédécesseurs avaient laissées dans un état plus que lamentable. Un Conseil de la trésorerie a été créé afin d’assurer une étroite surveillance de l’usage qui est fait de l’argent des contribuables. Le système des demandes de soumissions publiques a été rétabli, comme l’exige la loi. Le Service des Achats a été réorganisé de façon à le libérer de toute ingérence politique et à assurer en même temps que les services et produits fabriqués au Québec avec des matériaux du Québec obtiennent toujours la préférence dans la mesure du possible. Dans le même esprit, nous exigeons des architectes et constructeurs qu’ils fassent appel aux talents de chez nous pour l’ornementation, la décoration et l’esthétique de nos grands édifices publics. Ce qui est une autre application d’une politique culturelle qui doit bénéficier à toute la population.

Ce sont là quelques-unes des grandes réalisations que nous avons pu accomplir en seulement seize mois, de pouvoir. Je sais que vous pourriez vous-mêmes en nommer plusieurs autres, comme par exemple le Conseil d’orientation économique, la Commission d’aménagement et d’embellissement de la capitale du Québec, etc. Pourtant, il ne faudrait pas croire que tout a été fait, que notre programme a été réalisé dans son entier, et qu’il ne nous reste plus qu’à nous reposer sur nos lauriers.

Beaucoup reste à faire, et vous êtes les premiers à le savoir, vous de la Fédération libérale du Québec, puisque depuis votre dernier congrès vous n’avez pas cessé de multiplier vos travaux et vos activités dans le but d’aider le gouvernement que vous avez fait élire à poursuivre jusqu’au bout son oeuvre de restauration nationale. C’est ainsi que vous avez choisi pour thème de votre septième congrès annuel, la réforme électorale. Il arrive que c’est là l’une des principales mesures que nous aurons à réaliser au cours de la session qui débute en janvier, et nul doute que les travaux que produiront vos délibérations seront d’une grande utilité au gouvernement dans la préparation de sa législation. J’aurai d’ailleurs l’occasion de vous en causer plus longuement au banquet de demain soir. J’ai dit à maintes reprises que l’expansion et le rayonnement de l’État du Québec ne sauraient s’accomplir sans la reconquête économique. C’est dans ce but que nous avons fait porter jusqu’ici nos efforts les plus grands sur l’éducation. Car la compétence et le savoir sont à la base même du succès dans ce domaine oh nous avons tant à faire. Mais en même temps que nous prenions les moyens pour faciliter aux nôtres l’accès à la connaissance, nous posions les premiers jalons d’une action gouvernementale qui va enfin permettre à notre peuple d’accéder à la liberté économique. C’est ainsi que le Conseil d’orientation économique, entre autres, va nous permettre d’entreprendre dès la prochaine session une action positive et déterminante pour l’avenir du Québec.

Cette action dynamique et positive en matière économique va nous permettre d’attirer chez nous de nouveaux capitaux. La source cependant en sera beaucoup plus diversifiée, ce qui va nous aider à contrebalancer l’influence par trop envahissante des capitaux américains, auxquels sont attachés des techniques, un comportement et un vocabulaire qui constituent une réelle menace à notre culture propre. Les transformations que va ainsi connaître notre vie industrielle et commerciale ne seront pas sans avoir d’importantes répercussions sur le marché du travail. Nos ouvriers, nos techniciens et nos experts devront être mieux qualifiés que jamais pour occuper les postes de commande partout où nous nous affirmerons économiquement. Mais en même temps ils devront pouvoir compter sur une législation ouvrière qui leur garantira stabilité et sécurité. Notre programme est très précis à ce sujet. Déjà nous avons commencé d’agir dans ce domaine. Plusieurs lois ont été votées à la dernière session et c’est notre ferme intention d’améliorer encore et de compléter notre législation ouvrière le plus rapidement possible.

Ai-je besoin de préciser que notre action, tant dans le domaine de l’éducation que dans celui de l’économie, aura pour résultat d’apporter enfin une solution, peut-être pas définitive, mais sûrement satisfaisante, à l’angoissant problème du chômage. Alors que nos prédécesseurs n’ont jamais voulu rien faire dans ce domaine sous prétexte que cela ne regardait qu’Ottawa, nous avons courageusement reconnu que le chômage étant avant tout un problème familial, le gouvernement du Québec avait sa part de responsabilité dans la recherche d’une solution. C’est ainsi qu’à la dernière session, nous avons passé plusieurs lois, comme celle favorisant l’exécution de travaux d’hiver par les municipalités qui ont apporté du travail à des milliers d’ouvriers québécois et aider ainsi à diminuer le chômage dans notre province. Mais nous ne sommes pas sans savoir que tous les palliatifs que nous pouvons apporter dans ce domaine ne sauraient constituer une solution permanente au chômage. Le mal est plus profond; la guérison viendra du relancement d’une économie dont nous serons enfin les maîtres ainsi que d’un plus haut degré d’éducation qui permettra au plus grand nombre des nôtres d’affronter victorieusement les exigences des techniques modernes. C’est ce à quoi s’applique le gouvernement que je dirige et il n’aura de cesse tant et aussi longtemps que le chômage existera chez nous.

Vous tous, amis libéraux, savez que c’est notre ferme intention de mettre sur pied le plus tôt possible une Société générale de financement qui, tout en bénéficiant du stimulant que constituera la participation financière, même minoritaire, du gouvernement, va enfin permettre à tous les citoyens du Québec de participer directement à l’exploitation des richesses naturelles qui lui appartiennent en propre, et de prendre ainsi leur place dans l’industrie, le commerce et les finances. Je le répète: cette société de financement constitue le meilleur moyen de faire enfin servir les capitaux québécois – ceux des petits épargnants comme ceux de nos sociétés d’épargne et de finance, et même du gouvernement – dans l’intérêt du peuple du Québec et de son économie propre, au lieu, comme c’est trop souvent le cas présentement, d’être dispersés et noyés dans des entreprises improductives ou dans des entreprises étrangères à nos préoccupations collectives. En faisant jouer ainsi à l’État du Québec son rôle de magnifique instrument de libération économique et d’affirmation nationale, le gouvernement que je dirige sait qu’il a avec lui toute la population de la province et qu’elle l’approuve.

Un tel effort de renouveau national au Québec ne va pas sans soulever de nombreux problèmes dont la solution – je vous l’avoue franchement – n’est pas chose facile pour le gouvernement. Il faut savoir le degré d’anarchie que nous avons trouvé dans tous les domaines de l’administration provinciale, après seize ans de « grande noirceur », pour comprendre l’ampleur de la tâche qui nous incombe. Les difficultés qui nous confrontent peuvent être classées dans deux grandes catégories: les moyens encore imparfaits dont nous disposons pour traduire dans la réalité quotidienne la législation que nous avons votée, et donner ainsi forme au plan d’ensemble de gouvernement que nous nous sommes tracé; les défauts de structure d’une administration dont les cadres demeurent inadaptés aux besoins modernes et qui, dans trop de domaines encore, sont dominés par des gens qui ne pensent pas comme nous et qui, inconsciemment ou volontairement, entravent notre action et ralentissent la réalisation du changement de vie que nous avons annoncé à la population qui veut ce changement de vie

Les nombreuses lois que nous avons votées dans les domaines de l’éducation, de la santé publique, du bien-être social et autres, ont exigé au sein de l’administration provinciale des transformations d’importance et la création de nouveaux rouages dont l’ajustement demande du temps. Tant et aussi longtemps que ces transformations et ces nouveaux rouages n’auront pas été parfaitement intégrés, l’application de la nouvelle législation sera lente à produire les fruits qu’en espère notre peuple. Et la réalisation du plan d’ensemble que nous avons élaboré pour le plus grand bien de la province paraîtra plus ou moins cohérente.

Je sais bien comme vous, amis libéraux, – et tous les membres du gouvernement en sont parfaitement conscients, que la clef de ce problème crucial se trouve dans la revalorisation de notre fonctionnarisme. D’ailleurs, aurions-nous voulu l’oublier que

vous vous êtes chargés vous-mêmes, militants libéraux, soit individuellement, soit par le truchement de notre Fédération ou de notre journal libéral « LA REFORME », de nous rappeler constamment l’urgence qu’il y a de doter l’administration provinciale d’un fonctionnarisme qualifié, compétent et imbu du renouveau national que désire si ardemment notre peuple.

Nous sommes bien d’accord qu’il nous faut remplacer, comme vous dites, le « bois mort » ou le « bois récalcitrant » qui entravent inutilement l’action du gouvernement, mais veuillez m’en croire, cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, même pas après seize mois de pouvoir. Il y a deux raisons pour cela. J’ai lu dans un certain numéro de « LA REFORME », et je cite : [ » Le gouvernement Lesage n’a pas pris le pouvoir à la faveur d’une révolution et il n’entend pas avoir recours à des lois d’exception pour accomplir le « grand ménage » que réclame la population. « ]

Effectivement, le gouvernement que je dirige respecte les institutions démocratiques qui nous régissent, s’efforce de les revaloriser et de les solidifier, et c’est dans le cadre de ces institutions et avec les moyens qui sont ainsi mis à notre disposition que nous entendons accomplir la réforme du fonctionnarisme. Cette réforme, elle est déjà commencée, et je puis vous assurer qu’elle sera menée jusqu’au bout.

La seconde raison est beaucoup plus grave. Je l’ai dit au congrès des jeunes libéraux: le long règne de nos prédécesseurs, en même temps qu’il privait notre jeunesse des moyens d’acquérir les connaissances qui lui permettraient aujourd’hui de prendre la relève, a systématiquement écarté du fonctionnarisme provincial nos compétences qui ont dû faire fructifier dans d’autres sphères le savoir et les talents qu’ils possédaient. L’État du Québec souffre terriblement du vide créé par le passage combien pénible et douloureux de l’Union Nationale Heureusement la lumière luit de nouveau dans notre province depuis le 22 juin 1960. Le peuple est non seulement le témoin, mais participe activement au plus grand effort de renouveau national qu’ait jamais connu notre province et le Canada français tout entier. À votre exemple, militants libéraux, le peuple nous fait confiance. Il sait, comme vous, que les difficultés et les obstacles que nous pouvons rencontrer sur notre chemin, ne nous arrêteront pas dans notre marche triomphale vers la libération économique et sociale de l’État du Québec. La province et sa population ont une oeuvre grandiose à accomplir en terre d’Amérique, et c’est dans l’unité de volonté que nous l’accomplirons tous ensemble

[QLESG19611118]

[Congrès des Affaires Canadiennes de l’Université Laval Québec. le 18 novembre 1961 Pour publication après 1:00 hre P.M.

Hon, Jean Lesage, Premier ministre, 1e 18 novembre 1961]

Je tiens d’abord à vous exprimer le plaisir que j’ai de recevoir, au nom des citoyens de la province de Québec et en mon nom personnel, les participants au Congrès des Affaires Canadiennes de l’Université Laval.

[I would like te welcome here, among others, the delegates from the other provinces, and I hope that their stay with us is a most agreeable one.]

Le gouvernement du Québec n’a pas voulu demeurer étranger à vos assises. Même s’il n’y a pas pris part de façon officielle, il désire, par la rencontre de ce midi, vous témoigner l’intérêt considérable qu’il a porté à vos délibérations.

Je sais que pour ma part – et il doit en être de même de mes collègues – j’ai suivi avec grande attention les compte-rendus de vos débats dans les journaux. Les questions que vous y avez soulevées, vous le devinez facilement, ne pouvaient nous laisser indifférents.

[I have been particularly impressed by the frankness and broadness of outlook which your guest speakers as weli as all those taking part have shown in expressing their opinions. I am sure that this will result in improving mutuel understanding between the two most important ethnie groups of the population of Canada.]

J’aimerais féliciter bien sincèrement les dirigeants et les membres de l’Association Générale des étudiants de Laval de la magnifique idée qu’ils ont eue d’organiser ce Congrès. Quand j’ai pris connaissance du thème que vous vous proposiez d’examiner, quand j’ai vu le soin qu’on avait apporté à préparer chacune des sessions plénières, quand j’ai compris surtout l’esprit dans lequel le Congrès avait été conçu, je me suis senti fier – je l’avoue – des étudiants de l’Université dont je suis moi-même un ancien élève. Je veux que vous sachiez, notamment vous qui vous y êtes le plus dévoués, combien j’apprécie les efforts que vous avez si habilement déployés et que vous avez su rendre si fructueux.

Je suis certain, par exemple, qu’il s’en trouvera plusieurs, dans divers milieux, pour dire que le thème de votre Congrès était vraiment osé et qu’il aurait peut-être mieux convenu de s’en tenir, dans la conjoncture politique actuelle, à l’étude de problèmes moins litigieux.

Si vous me permettez de vous exprimer mon opinion personnelle, je vous dirai cependant qu’il faut, dans n’importe quelle société, que quelqu’un à un moment donné fasse ouvertement prendre conscience à l’ensemble de la population des problèmes qui la touchent de près. Ce quelqu’un, à mon sens, c’est probablement la jeunesse et particulièrement les étudiants qui ont le loisir de penser et qui, surtout, sont peut-être la classe sociale la plus libre. Les autres classes, riches ou pauvres, instruites ou non, urbaines ou rurales, ont quelque chose à défendre, ou à proposer. En somme elles ont toutes des intérêts à mousser ou à sauvegarder.

Je crois bien que c’est le propre des étudiants de ne pas faire la partie facile à leurs aînés. Dans tous les pays du monde, ils ont le don de soulever des questions difficiles ou même épineuses à des moments que leurs aînés peuvent juger inopportuns ou prématurés.

Ce phénomène est évidemment normal et si je le mentionne ce n’est pas que je regrette qu’il en soit ainsi; c’est tout simplement parce que je veux rappeler un fait connu de tous. Mais puisqu’il arrive que la classe étudiante est libre de penser à sa guise, même si cette liberté est par définition provisoire, il est dès lors de son devoir, pendant qu’elle le peut, de soulever des questions que les autres groupes de la société, aimeraient mieux parfois esquiver. Je préfère d’ailleurs, voir un problème délicat discuté à un moment qualifié d’inopportun par ceux pour qui le calme et la tranquillité prennent le pas sur la vérité et la justice, que de le voir négligé ou même oublié.

[Ail this, to tell you my firm belief that you have been right in choosing this difficult « terrain » and to refuse « to talk about something else ». I am convinced that the time has corne for us to ask ourselves if Canada is « a successful experiment or one that has failed ». We will soon be celebrating the hundredth anniversary of Confederation, and I think that this is an excellent occasion for each one of

us to ask himself this question. We are all Canadiens, and we live within a framework that was thought up by those who came before us. Therefore, it is only right for us to ask ourselves if this frarnework still meets present requirements or if, on the contrary, it should be set aside and replaced by a better one. In short, has the Canadian experiment, which commenced in 1867, succeeded, or has it proven to be a failure ?

This is the problem that jour Convention has given us

to investigate. There can be no question of evading it. Therefore, it would be wrong for me

to corne here and sidestep the issue by speaking to you on some other subject. This is not one of my habits, particularly as I have very definite ideas on the questions that you have raised and about which I would now like to talk to you.]

Vous nous demandez donc si le Canada est une expérience ratée ou réussie.

Pour savoir si une expérience est un succès ou si au contraire elle est une faillite, il faut à mon sens deux conditions essentielles. La première est que l’expérience soit d’abord arrivée à son terme, c’est-à-dire qu’on ait donné le temps et la possibilité aux éléments qu’on a mis en présence d’agir les uns sur les autres. La deuxième, c’est que l’on ait réuni sans exception tous les éléments pertinents. Ainsi, pour continuer à me servir de cette image, dans une expérience chimique valide, on aura contrôlé à la fois la température et la pression atmosphérique et on aura réuni dans des proportions déterminées les ingrédients dont on veut connaître les réactions. Personne ne prétendra que l’essai tenté est concluant, négativement ou positivement, à moins que l’on n’ait satisfait à toutes ces conditions.

Je sais que l’expérience canadienne ne saurait se réduire à de simples phénomènes physico-chimiques. De fait, il s’agit d’une aventure humaine à laquelle on ne peut appliquer les critères de succès ou de faillite que l’on utilise dans les laboratoires. Vous me permettrez tout de même de revenir, sans prolonger la métaphore, aux deux conditions essentielles dont je viens de parler. D’après moi, elles fournissent des éléments de réponse à la question qu’on a posée à ce Congrès.

Peut-on d’abord s’imaginer que l’expérience canadienne soit arrivée à son terme? Je pense pour ma part – et vous aussi sans doute – qu’il n’en est rien et que nous sommes au contraire en train de la vivre. En fait, nous ignorons quel en sera l’aboutissement. Notre pays, découvert et fondé il y a quelques centaines d’années, n’existe sous forme fédérale que depuis un peu moins d’un siècle. Dans l’histoire humaine, cent ans, c’est bien peu. J’admets cependant que cela peut suffire pour nous faire une idée au moins approximative de la façon dont les choses se déroulent.

Mais nous ne pourrons alors apporter une réponse intelligente au problème soulevé que si nous tenons compte de l’autre condition essentielle dont j’ai parlé. L’expérience canadienne a-t-elle réuni vraiment et activement tous les éléments qui y ont, pour ainsi dire, participé. Tous les groupes ethniques de notre pays -ce sont là les ingrédients à partir desquels l’expérience se fait ils sont d’une façon ou de l’autre présents dans l’immense laboratoire canadien.

Ils sont présents, mais cela ne suffit pas pour que l’on puisse dire que la deuxième condition essentielle est nécessairement remplie. Je voudrais ici qu’on me comprenne bien

Nous vivons à l’intérieur d’une Confédération qui, encore une fois, aura bientôt cent ans. C’est en fonction de ce cadre qu’il faut, je pense, nous demander comment s’est manifestée la présence des divers groupes ethniques dont se compose la population canadienne, et notamment des groupes d’expression française et d’expression anglaise. Je fais donc entrer ici en ligne de compte un autre ingrédient: le régime confédératif. C’est en examinant comment il a rempli sa fonction ou, plus exactement, comment les deux principaux groupes ethniques l’ont utilisé que nous pourrons savoir jusqu’à quel point l’expérience canadienne est une réussite ou, peut-être, une faillite, de toute façon inachevée en ce moment

La plupart du temps, quand on parle de la Confédération, on le fait en termes de « cadre » ou de « pacte ». On n’en parle à peu près jamais comme d’un « moyen » – et je trouve que c’est un peu regrettable – car on oublie ainsi un de ses aspects les plus importants, et cela aussi bien pour les Canadiens français que pour nos compatriotes de langue anglaise.

Si elle est un moyen, en plus évidemment, selon les points de vue adoptés, d’être un cadre ou un pacte, la Confédération doit donc servir à atteindre une fin donnée. Quelle est cette fin?

Je n’ai pas l’intention maintenant de faire l’exégèse de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, ni de m’interroger sur tous les facteurs économiques, sociaux ou politiques qui ont provoqué au Canada l’émergence du régime confédératif. Je me contenterai seulement de répondre qu’une Confédération, n’importe laquelle, doit permettre à chacun des groupes qui en font partie – et c’est vrai surtout au Canada où la population n’est pas homogène – de réaliser leurs aspirations propres dans les domaines sur lesquels on leur a donné juridiction. Au Canada, le régime confédératif s’applique à 18000000 de citoyens vivant dans dix provinces distinctes. Les frontières de ces provinces ne correspondent pas exactement à la répartition géographique des deux principaux groupes ethniques; il y a des Canadiens français et des Canadiens anglais dans toutes les parties du pays. Tout de même, l’acte confédératif, par les pouvoirs multiples qu’il a confiés aux gouvernements provinciaux, rend possible à des populations de mentalité et de culture différentes de vivre dans des institutions qui leur conviennent mieux, de garder leur identité propre et de se réaliser authentiquement. C’est du moins ce qu’elle permet, comme moyen, de faire.

Or, ce moyen a-t-il toujours été utilisé comme il aurait pu l’être? En d’autres termes, a-t-on, au cours du siècle qui s’achèvera en 1967, mis à profit tout ce que l’on pouvait tirer du régime confédératif? Peut-on dire que nous avons véritablement vécu l’expérience confédérative ? Pour nous, je ne crois pas qu’on l’ait encore pleinement vécue. Et j’appuis mon opinion sur deux arguments. Souvent dans le passé, certaines provinces – dont le

Québec, je l’admets – ont, pour des raisons de commodités administratives ou tout simplement parce qu’elles craignaient de prendre des initiatives nouvelles, laissé assumer par le gouvernement central des responsabilités qui, constitutionnellement, leur appartenaient. Même si les raisons avancées étaient excellentes au moment où on les faisait valoir, elles ont ainsi faussé en quelque sorte, ou laissé fausser, le mécanisme confédératif qu’il devient dès lors difficile de juger à sa réelle valeur.

Le deuxième argument est le suivant. Dans les cas d’urgence nationale – la guerre, par exemple – il était utile et même indispensable de centraliser, c’est-à-dire de laisser pour un temps au gouvernement fédéral certains pouvoirs normalement détenus par les provinces. Mais à l’heure actuelle, alors que l’urgence du temps de guerre est disparue, il y a pour ainsi dire « urgence provinciale » en ce sens que les provinces ont des besoins prioritaires fondés sur la nécessité dans laquelle elles sont d’accélérer leur développement économique, de doter leurs populations de services éducationnels accrus et d’augmenter le niveau de bien-être de l’ensemble des citoyens. Ce sont toutes là des responsabilités qui leur appartiennent en vertu de la Constitution. Pourtant, à cause d’arrangements antérieurs, valables en leur temps mais désuets à l’heure actuelle, les provinces ne peuvent pas toujours s’acquitter adéquatement de ces tâches qui leur reviennent. Là encore il y a accroc au régime confédératif.

Les deux arguments dont je viens de me servir sont fondés sur des faits relativement récents, mais il serait facile d’en découvrir de semblables à d’autres périodes de notre histoire.

Pour ces raisons, je crois que l’expérience confédérative n’a à peu près jamais, depuis le début, été conduite à fond dans notre pays. Bien entendu, nous ne le savons que trop, la réalité mouvante ne fournit pas toujours des conditions idéales d’expérimentation. Je ne dis pas qu’il faudra attendre, pour porter un jugement final sur la Confédération, que ces conditions idéales surviennent. Je prétends cependant que ce jugement on ne pourra le rendre que lorsque toutes les possibilités du régime confédératif auront été sérieusement explorées et appliquées. C’est cela qui, pour toutes sortes de motifs, n’a pas encore été fait; c’est cela qu’il nous appartient de faire à nous de la génération présente.

Pour répondre plus précisément à la question que vous avez agitée au cours de votre Congrès, je dirais que le Canada n’est ni une « expérience ratée » ni non plus une « expérience réussie ». En d’autres termes, les données dont nous disposons ne sont pas concluantes à cause de l’utilisation qu’on a faite, ou qu’on n’a pas faite, d’un de ses éléments de base: le régime confédératif.

Est-ce à dire qu’il faut maintenant repartir sur un pied nouveau, refaire en somme l’acte confédératif parce qu’il nous est impossible de dire aujourd’hui carrément et sans nuance que le Canada est une réussite ou bien, qu’il est une faillite ?

Je ne crois pas du tout que ce soit nécessaire, car nous avons en main tout ce dont nous avons besoin, comme citoyens canadiens, ou comme citoyens de l’une ou de l’autre des dix provinces, pour faire un succès véritable de la grande entreprise commencée il y a à peine cent ans.

Je veux dire par là que si nous savons utiliser pleinement, nous du Québec par exemple, les pouvoirs que la Confédération nous a confiés, alors le bi-culturalisme de notre pays, les richesses intellectuelles de chacun des deux grands groupes ethniques, toutes nos différences elles-mêmes, pourront servir à l’édification car celle-ci est encore à faire – à l’édification, dis-je, de notre pays le Canada. Je ne préconise pas un retour pur et simple à la lettre de l’acte confédératif car je sais fort bien que les conditions sociales et économiques ont considérablement changé depuis un siècle. Des adaptations sont sûrement nécessaires et tous les spécialistes de la question le reconnaissent. Ce qu’il faut réexaminer, c’est plutôt l’usage actuel que nous faisons du régime, afin de trouver tous ensemble les moyens de le mieux adapter à nos besoins présents et prévisibles.

Au Québec, nous nous sommes engagés dans cette voie. Nous croyons que c’est par une attitude positive que nous sauvegarderons vraiment les droits provinciaux. Une attitude négative comme celle qui a déjà prévalu pendant trop longtemps chez nous – est au

contraire nuisible; les torts qu’elle a causés à l’idée de l’autonomie provinciale qu’elle a dévalorisée et même à celle de la Confédération sont tels que plusieurs sont prêts à rendre cette dernière responsable des problèmes que le Québec, et d’autres provinces éprouvent. Or justement comme je le disais il y a un instant, toutes les possibilités du régime confédératif, et elles sont nombreuses, n’ont pas été explorées.

Une attitude positive en cette matière serait, donc la première condition de la réussite canadienne. J’en vois une seconde: l’acceptation et la compréhension, non pas seulement verbale, mais concrète des deux groupes ethniques, l’un par l’autre. Si on est réaliste, on conviendra que ce rapprochement est encore loin d’avoir été accompli; il n’y a aucune illusion à se faire à ce sujet.

Mais quand je parle du rapprochement nécessaire entre les deux groupes, je ne le vois pas comme étape à franchir dans la voie de l’uniformité nationale. Personne qui soit vraiment canadien ne désire cette uniformité, car notre pays perdrait ainsi une de ses caractéristiques les plus remarquables: celle d’avoir permis à des populations différentes de conserver leurs traits culturels particuliers. Le peuple du Québec est plus que jamais conscient de ce qu’il représente – et de ce qu’il peut représenter au sein de la population du pays. Il veut collaborer à l’oeuvre commune, il exige d’y être présent à tous les niveaux et à part entière, mais à cause de son histoire, de sa langue et de sa culture, il ne peut le faire sans être assuré de pouvoir sauvegarder les valeurs qui sont pour lui essentielles. Pour lui, le régime confédératif constitue une garantie suffisante, à condition qu’il soit appliqué dans son essence, et qu’il soit repensé au plus vite en fonction des besoins prioritaires des provinces et de leurs exigences économiques et financières.

La Confédération canadienne, comme cadre d’action et comme moyen de sauvegarde culturelle, peut prendre dorénavant l’une ou l’autre de deux directions: elle peut se perpétuer telle que nous la connaissons maintenant, et alors elle n’aura pas le rendement qu’on pourrait en espérer, et elle pourrait finir par compromettre ainsi son existence même. Elle peut au contraire être réorientée, afin de permettre aux provinces de mieux remplir envers leurs citoyens les obligations que la Constitution leur a confiées. Ce qui, dans le cas du Québec, aiderait à résoudre de graves problèmes, qui sont tout autant nationaux que purement provinciaux.

Si cette seconde direction est celle que l’on choisit, le thème du Congrès des Affaires Canadiennes pourra être repris dans quelques années. Je suis convaincu qu’il sera alors possible d’affirmer que l’expérience canadienne a véritablement réussi. D’ici ce temps, les citoyens du Québec, comme je l’ai dit, veulent faire leur part en ce sens; ce sera leur façon à eux de faire de notre pays la réussite grandiose qu’envisageaient ceux qui l’ont jadis mis sur pied et c’est la réussite qu’il peut encore devenir, à condition que tous, comme vous l’avez fait, acceptent d’abord de regarder bien en face les données, même déplaisantes, de toutes nos situations.

[QLESG19611207]

[La Chambre de Commerce de Québec

Québec. le 7 décembre 1961 Pour publication aprbs 7200 hres P.M.

Hon. Jean Lesage, Premier ministre le 7 décembre 1961]

Comme vous l’imaginez sans doute, la fonction de chef de gouvernement m’oblige souvent à quitter la région de Québec et à me rendre ailleurs dans la province et même dans d’autres villes du pays. Il me fait toujours plaisir de rencontrer mes concitoyens québécois et canadiens, mais ce plaisir, ce soir, est d’autant plus grand que l’occasion m’est donnée, grâce à votre aimable invitation, de rencontrer des concitoyens et de renouer connaissance avec quelques bons amis. Je suis heureux aussi de remarquer parmi vous plusieurs personnes domiciliées dans le comté que j’ai l’honneur de représenter à la Législature, et je m’empresse de les saluer bien amicalement.

Dans vos occupations d’homme d’affaires ou d’administrateurs d’entreprises, vous êtes fréquemment amenés à vous interroger sur la situation économique. Un tel souci est tout à fait normal car vous vous devez de connaître les grands mouvements de l’économie qui sont susceptibles d’influencer à la hausse ou à la baisse le niveau de vos affaires. Si vous tenez ainsi à vous informer, c’est parce que vous sentez à un moment donné le besoin de faire le point et de savoir à quoi vous pouvez vous attendre dans la conjoncture dans laquelle vous évoluez. Cette attitude peut vous aider à prendre des décisions importantes quant à la direction à donner à vos propres affaires.

De même, vous surveillez de près tout ce qui touche le commerce ou l’industrie dont vous êtes les propriétaires ou les administrateurs. Vous étudiez le marché, vous essayez de prévoir les goûts et les réactions de la population, vous jugez de la concurrence à laquelle vous avez à faire face, en un mot vous voyez à vos affaires! De cela, personne ne peut vous tenir rigueur. Bien au contraire, on aurait droit de vous accuser de négligence si tout cela ne vous préoccupait pas et on pourrait dire que vous manquez de prévoyance.

Or le gouvernement est lui-même une énorme entreprise. C’est la plus vaste de toutes celles qui existent présentement dans la province. Elle a un chiffre d’affaires annuel qui atteindra bientôt le milliard de dollars. Mais le gouvernement n’est pas une entreprise comme les autres, comme celles avec lesquelles vous êtes familiers.

D’abord l’entreprise gouvernementale appartient à toute la population. Je n’en suis moi-même qu’un des administrateurs. Mes collègues et moi administrons des biens qui ne nous appartiennent pas. Nous devons tous les quatre ans environ rendre compte de notre mandat à ceux qui nous l’ont confié. S’ils sont satisfaits de nous, j’aime à croire qu’ils nous inviteront à poursuivre notre travail. S’ils ne le sont pas, je suis convaincu qu’ils nous le feront savoir clairement.

Le gouvernement, de plus, vise à rendre service. Son but n’est pas d’accumuler des profits, ni de vendre, ni d’acheter. Il est là pour donner à la population les instruments que celle-ci désire pour s’acquitter des tâches qu’elle s’est fixées.

À cause donc de sa nature propre et de ses fonctions, le gouvernement doit lui aussi, peut-être plus que l’entreprise privée, connaître la réalité et prévoir le cours de son action. Il doit se donner les cadres administratifs les plus efficaces et établir une priorité entre les besoins qu’il doit satisfaire et les objectifs qu’il doit réaliser. En d’autres termes, il lui est interdit de marcher à l’aveuglette et de résoudre les problèmes au jour le jour, à mesure qu’ils se présentent. Il faillirait à sa tâche nous faillirions à notre mandat – si aucune vue d’ensemble ne permettait de guider les décisions à prendre.

En somme, essayer de voir et de comprendre, essayer de mesurer la portée des lois qu’il propose, essayer de saisir l’envergure des difficultés qui se présenteront, et agir en conséquence, c’est cela la planification que le gouvernement doit instaurer dans son régime administratif. Vous en faites vous-mêmes tous les jours la planification et si vos affaires se portent bien, la plupart du temps c’est que vous avez su prévoir et agir au moment où il fallait le faire. Et si vous êtes les administrateurs de vos entreprises, ceux qui vous ont confié ce rôle vous sauront gré d’avoir, par votre souci d’ordre et de cohérence, assuré la prospérité de leurs sociétés eu de leurs commerces. Il est donc logique et souhaitable que l’immense entreprise collective qu’est le gouvernement soit elle-même planifiée. C’est l’opinion que partage l’administration provinciale actuelle. C’est d’elle que sont nées les nombreuses réformes de structure que nous avons apportées à l’organisme gouvernemental. C’est d’elle aussi qu’est née notre volonté de constituer un fonctionnarisme compétent, persuadé de la noblesse de son travail et heureux de servir le peuple québécois. Cependant, le gouvernement ne peut se contenter d’être une machine bien huilée. Il a, comme je l’ai dit il y a un instant, des services à fournir à une population qui compte énormément sur lui car il est, pour elle, un levier sur lequel elle doit pouvoir s’appuyer afin de concrétiser les objectifs qu’elle s’est donnés. Vous les connaissez déjà ces objectifs. Vous savez qu’ils touchent à peu près tous les domaines, aussi bien celui de la santé et du bien-être que celui de l’éducation, aussi bien celui des richesses naturelles que celui de la libération économique. Le mandat que nous nous sommes engagés à remplir est très étendu et nous forgeons présentement pour le peuple du Québec les outils qui, jusqu’à maintenant, lui ont manqué pour affirmer sa culture et la propager, relever le niveau de son éducation et prendre la place qui lui revient dans le monde économique. Nous croyons que le gouvernement serait inexcusable de ne pas apporter sa collaboration essentielle à l’action rénovatrice que notre peuple vient d’entreprendre. Il serait coupable de demeurer indifférent devant le dynamisme qui se manifeste enfin chez nous et qu’il a lui-même en partie provoqué. La désillusion serait grande chez nous s’il fallait, après avoir suscité tant d’espoirs, que le gouvernement tire son épingle du jeu et abandonne maintenant cette politique de présence qui peut servir de catalyseur aux velléités dont font actuellement preuve toutes les classes de notre société québécoise. La population ne demande pas que le gouvernement fasse tout pour elle, la population n’a nullement l’intention de démissionner en face de ses responsabilités. Lorsqu’elle désire la présence dont je viens de parler, elle veut tout simplement que le gouvernement – que son gouvernement collabore avec elle, qu’il l’aide à réaliser ses ambitions. Elle ne veut pas, en somme que son associé le plus puissant la laisse se débrouiller dans des tâches auxquelles elle n’est pas encore habituée et qu’elle n’a pas toujours les moyens financiers de mener à bonne fin. Et quand je parle de la population en général, je n’exclus personne; je ne pense pas seulement aux individus qui ne jouent pas de rôle économique de premier plan, je pense aussi aux hommes d’affaires, aux industriels, aux commerçants et aux financiers de chez nous dont notre communauté québécoise a un immense besoin et sur qui elle compte également.

Bien entendu, le gouvernement peut de plusieurs façons collaborer avec la population pour la seconder dans son action économique. La Société Générale de financement qui sera instituée dès la prochaine session offre un excellent exemple d’une des méthodes que le gouvernement peut employer. Par sa participation à cette Société, il fournira en quelque sorte une garantie à ceux des nôtres qui voudront bien, pour leur propre avantage et pour celui de l’ensemble des citoyens de la province, venir collaborer à l’oeuvre qu’elle entreprendra. Nous inviterons aussi les capitaux étrangers à se joindre aux nôtres, mais nous espérons que le peuple du Québec saisira de grand coeur l’occasion historique qui lui sera donnée de prendre lui-même part – et pour la première fois de son histoire – à une initiative devant ultimement conduire à la mise en valeur de ses propres richesses et à l’établissement chez nous d’une vaste industrie secondaire.

Il y a d’autres façons pour le gouvernement de collaborer à l’essor économique du Québec. Il lui est possible, entre autres, de le faire par la planification. Si celle-ci rend, dans l’organisation administrative même, les services qu’on sait et que j’ai évoqués tout

à l’heure, on conçoit facilement la portée qu’elle peut avoir sur l’ensemble de la production industrielle de la province, sur l’exploitation de nos ressources et sur d’autres activités comme le commerce et la finance.

Le monde économique est devenu, de nos jours, tellement complexe que seule une connaissance approfondie de tous les éléments de la conjoncture peut permettre, de la part des agents économiques, des décisions sûres, prises en tenant compte de tous les facteurs pertinents. L’établissement industriel ou commercial ordinaire peut, à la rigueur, orienter son action à partir d’une connaissance assez précise du secteur économique où il opère habituellement. Toutefois, certains éléments plus généraux lui manqueront toujours. Le gouvernement, de son côté, peut acquérir de cet ensemble une notion objective et raisonnablement exacte; seul le gouvernement est en mesure, à cause de ses fonctions elles-mêmes, d’orienter le développement économique de son territoire selon une politique à long terme.

Le gouvernement du Québec n’échappe pas à cette règle et entend bien, à ce propos, jouer le rôle qui lui revient. Ce rôle, comme je viens de le dire, est d’orienter le développement, en quelque sorte de le guider. Il n’est donc pas question en principe que ce soit lui-même qui directement et autoritairement, crée des industries, exploite des mines, se livre au commerce ou encore finance la croissance économique. Dans certains cas particuliers, une action aussi directe pourra se révéler nécessaire, mais planification ne signifie pas inévitablement nationalisation ou étatisation. Ce sont d’ ailleurs là des solutions de dernier recours et les gouvernements modernes préfèrent de beaucoup, comme cela se fait dans certains pays d’Europe, donner au secteur privé un cadre à l’intérieur duquel il peut fournir toute sa mesure et trouver de nombreuses occasions profitables. Lorsque nous parlons de planification au Québec, c’est cela que nous voulons dire. Le gouvernement pourra alors, le moment venu, déterminer précisément les politiques à suivre et donner à ces politiques les formes concrètes que les circonstances et la nature du problème exigeront. Il me semble que c’est là l’attitude la plus sage à adopter. Nous reconnaissons au gouvernement un rôle essentiel à jouer en cette matière, tout en regrettant qu’on ait aussi longtemps négligé au Québec de le mettre à profit; cependant, nous ne voulons pas pour autant rendre le gouvernement seul responsable du développement économique de la province. Je viens de vous parler de planification économique et je viens de vous préciser le sens que nous donnons à cette expression. Nous devons toutefois bien nous rendre compte tous ensemble d’une chose qu’on a peut-être la tentation d’oublier. Le pouvoir, pour le gouvernement du Québec, d’orienter l’économie de la province dans les directions qui s’imposent, demeure un objectif vers lequel nous tendons. Nous sommes convaincus que lorsqu’il qu’il sera atteint, les industriels, les commerçants et l’ensemble de la population en tireront grand avantage. Pour le moment nous nous efforçons encore de donner à l’administration provinciale les moyens de s’acquitter de cette responsabilité, nouvelle chez nous et nouvelle aussi dans notre mentalité.

Nous avons d’abord, comme je le mentionnais il y a quelques minutes, réorganisé la structure de plusieurs ministères, notamment celui des Richesses Naturelles et celui de l’Industrie et du Commerce. Nous nous sommes aussi assurés des services de spécialistes en matière économique, mais ceux-ci demeurent encore trop peu nombreux. Nous avons remis sur pied le Conseil d’Orientation économique, dont les recommandations conduiront, comme vous le savez, à l’établissement d’une Société Générale de Financement.

Tout cela, je l’admets avec vous, n’a pas automatiquement résolu des problèmes concrets et quotidiens comme le sous-emploi, la mauvaise allocation des ressources ou encore la transformation à l’extérieur du Québec de nos richesses naturelles. Il faut comprendre que, dans ce domaine, il est par définition impossible de faire vite. La planification suppose la réflexion et la réflexion suppose l’étude. Cela demande du temps et de l’énergie. L’énergie nous l’avons, mais nous savons aussi que le temps presse. On ne peut pas cependant réparer en seize mois l’héritage des générations qui nous ont précédé et qui croyaient aux vertus intrinsèques d’un laissez-faire économique quasi intégral. Nous sommes tout de même en bonne voie. Cela également il faut le remarquer. Le peuple n’exige pas de nous que nous fassions des miracles; il nous demande de faire ce que nous savons possible et ce que nous croyons juste et utile.

Je pense bien que jusqu’à présent nous n’avons pas déçu cette attente. Comme il se devait, certaines réformes que nous avons entreprises se sont avérées plus difficiles à conduire que nous l’escomptions; d’autres, par contre, ont été plus faciles à réaliser que prévu. C’est dans l’ordre des choses, et l’administration publique doit s’y attendre. Si j’avais cependant, en terminant, une leçon à tirer de notre expérience des derniers mois, je dirais que le gouvernement de la province, comme n’importe quel autre gouvernement, ne peut appliquer à lui seul toutes les réformes et établir au Québec l’ordre nouveau auquel toute la population aspire. Il faut, de fait, que la population soit derrière lui, qu’elle le surveille, qu’elle l’appuie, qu’elle le guide. Il ne suffit pas, pour que les réformes soient fructueuses, que la population se conforme passivement aux lois nouvelles. Il importe qu’elle en vive selon l’esprit ou qu’elle demande qu’on leur apporte des corrections si nécessaires; elle remplira ainsi sa fonction véritable dans une société que, tous ensemble, nous voulons démocratique.

Au Québec actuellement, on sent dans tous les milieux que le peuple veut un changement de vie. Le gouvernement que je représente ne dirige pas ce mouvement; il l’accompagne et, par les moyens dont il dispose, il veut le faciliter. Nous ne faisons que préparer la voie aux citoyens du Québec; ils savent maintenant qu’ils peuvent s’y engager. Pour notre part – comme administrateurs de la propriété commune qu’est le gouvernement de la province – nous souhaitons seulement qu’ils le fassent et nous sommes complètement disposés, dans la mesure de nos moyens, à continuer l’oeuvre de rénovation nationale à laquelle nous consacrons présentement tous nos efforts. La démocratie réelle, dans l’ordre et la justice, il n’appartient pas au gouvernement de l’imposer, pas plus qu’il ne peut imposer la liberté. Le peuple doit d’abord la désirer et, s’il le faut, modifier pour cela certains comportements traditionnels.

[QLESG19611211]

[Club des Anciens du Collège Ste-Marie Montréal, le 11 décembre 1961 Pour publication après 7:00 hres P.M.

Hon, Jean Lesage, Premier Ministre le 11 décembre 1961]

Tout le monde s’entend actuellement à reconnaître que, depuis quelques mois, la province de Québec est entrée dans une période d’évolution rapide dont on trouve peu d’exemples dans notre histoire. Ce qui me frappe dans cette évolution – et ce qui vous frappe peut-être vous aussi – c’est le fait qu’elle est désirée et réclamée par l’ensemble de notre population et le fait également qu’elle touche à peu près tous les secteurs de notre vie économique, sociale et politique. Je pense bien que nous n’avons jamais, comme Québécois, vécu un mouvement sociologique aussi profond et aussi étendu.

Il se trouve évidemment des personnes pour craindre ces changements, et même pour les dénoncer sous prétexte qu’ils mettent en danger notre culture et nos traditions. Ces gens ont fini par croire que celles-ci étaient indissolublement liées à une certaine forme de conservatisme dont notre mentalité et notre façon de vivre n’ont pas toujours été exemptes. Pour notre part, nous croyons au contraire qu’une attitude plus dynamique en cette matière donnera à notre culture et à nos traditions les moyens de mieux résister aux dangers nouveaux qui les menacent. Nous croyons aussi que celles-ci ne sont pas des pièces de musée à être, comme telles, gardées sous cloche; nous voulons plutôt qu’elles servent de point d’appui à notre peuple dans la vaste entreprise d’affirmation nationale à laquelle il consacre maintenant le plus clair de ses efforts. Elles ne pourront le faire que si elles sont constamment revivifiées et que si elles savent s’adapter au climat nouveau né, en ce vingtième siècle, de l’abolition des distances et de la compénétration des cultures. En d’autres termes, s’il y a actuellement au Québec cette profonde évolution qui en inquiète quelques-uns, mais qui enthousiasme l’immense majorité des citoyens, c’est que notre peuple s’est rendu compte que sa survivance comme groupe ethnique ne saurait désormais être assurée sans un renouvellement par l’intérieur de notre mode collectif de vivre et de penser, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus seulement exister sur cette terre d’Amérique, mais qu’il devait dorénavant y vivre et s’y affirmer sous peine d’être graduellement absorbé par la masse qui l’entoure.

Le mouvement de renouveau a, comme je l’ai dit, touché à peu près tous les secteurs de la vie québécoise. Vous en voyez des effets dans le désir de libération économique que notre peuple manifeste et pour lequel il se donnera bientôt les institutions financières, comme la Société Générale d’Investissement, qui lui manquent encore. Vous en voyez aussi des résultats dans le souci qu’il a de garantir sa sécurité en face des imprévus de la vie et dans des solutions comme l’assurance-hospitalisation ou les allocations familiales aux étudiants. Il en est de même de nos institutions et de certaines de nos coutumes politiques et administratives qui ont, d’après l’opinion générale, besoin d’être réformées; dès la prochaine session, par les corrections qu’il apportera à la Loi électorale, le gouvernement entend bien traduire dans les faits l’esprit nouveau qui souffle présentement sur le Québec. Quant à notre vie culturelle, nous avons commencé à lui fournir les moyens de s’exprimer authentiquement et de se diffuser à l’extérieur de nos frontières; nous avons ainsi souscrit au désir évident de toute notre population.

Je crois bien cependant que le domaine de l’éducation demeure l’un de ceux qui soulèvent le plus d’intérêt chez nous à cause de son importance propre et en raison du nombre élevé de citoyens qui, comme pères ou mères de famille, comme contribuables, comme enseignants, ou étudiants, s’y rattachent directement. Si on faisait aujourd’hui un relevé des préoccupations des Québécois, je suis convaincu que celles qui ont trait à l’éducation seraient les plus marquées. On conçoit donc facilement que le gouvernement actuel de la province ait dû, dès sa première session, accorder autant d’attention à ce sujet et prendre à son propos des décisions d’importance majeure. Nous avons voulu, de la sorte, apporter au moins un début de solution aux problèmes les plus urgents.

Je dis bien un début de solution, car malgré la portée des lois adoptées, nous ne visons pas du tout à donner l’impression que nous avons accompli tout ce qu’il y avait à faire. Il n’est pas question de jeter de la poudre aux yeux à personne. Nous sommes assez réalistes pour savoir – et pour le reconnaître publiquement qu’on ne peut résoudre en quelques mois, même avec la meilleure volonté du monde, des problèmes transmis d’une période de notre histoire où l’on n’a pas toujours, pour toutes sortes de raisons, fait preuve de la prévoyance et de l’esprit d’adaptation nécessaires. Aujourd’hui, nous avons devant nous une triple tâche que je veux résumer en ces trois mots : disponibilité, adaptation et accès. Il nous faut d’abord doter le Québec de l’équipement matériel indispensable à l’acquisition par les citoyens d’un niveau d’éducation compatible avec les exigences de la société industrielle et hautement spécialisée vers laquelle nous nous dirigeons. Nous devons en somme rendre cet équipement disponible. Il importe de plus que le peuple de la province, à cause de sa situation minoritaire, soit parfaitement préparé au point de vue intellectuel pour s’affirmer comme entité distincte et pour s’imposer en quelque sorte à l’attention des autres nations. Le Québec ne possédera jamais une puissance militaire ou financière qui puisse se comparer avec celle de ses voisins américains; ce n’est donc pas de ce côté surtout qu’il doit orienter ses efforts s’il veut attirer sur lui l’attention des autres peuples. Il lui appartient plutôt d’apporter sa contribution au monde par ses réalisations d’ordre intellectuel et cela il ne pourra le faire qu’en élevant le niveau moyen d’éducation. Un tel objectif ne sera atteint que si tous les jeunes doués de talent ont accès à nos institutions d’enseignement, quelle que soit leur fortune ou celle de leurs parents. Il se produit actuellement, comme vous le savez et comme vous le déplorez sans doute, un gaspillage regrettable et particulièrement nocif pour le peuple du Québec de talents que des considérations purement pécuniaires empêchent d’être cultivés. Cette situation doit absolument cesser car nous ne pouvons pas nous payer le luxe, chez les Canadiens français, de perdre ainsi chaque année des centaines et même des milliers de jeunes gens qui, une fois formés dans les disciplines qui les intéressent, contribueraient énormément à l’avancement économique et culturel de notre groupe ethnique.

Tout citoyen, du fait même qu’il naît dans une société démocratique, acquiert au départ un certain nombre de droits. Un de ces droits est la mise à profit de ses talents. Par contre, la société entière a à son égard un devoir bien précis : lui fournir l’occasion, s’il ne le peut lui-même, de cultiver l’actif intellectuel qu’il représente pour la communauté. C’est là l’avis que partage le gouvernement actuel du Québec et qu’il désire transposer dans les faits par la gratuité de l’enseignement à tous les niveaux; en effet, l’éducation coûte tellement cher aujourd’hui que l’immense majorité des étudiants ne pourraient en profiter s’ils ne bénéficiaient d’aide extérieure, comme c’est déjà partiellement le cas. Évidemment, personne ne croit que cette importante réforme et les autres dont j’ai parlé pourront dès maintenant être mises entièrement en application.

Il y a deux raisons fondamentales, à cela. La première est que de telles réformes doivent s’effectuer par étapes, en raison des déboursés imposants que la collectivité devra consentir pour les mener à bonne fin. Car, il faut bien comprendre à ce propos le sens de l’expression gratuité de l’enseignement. Grâce à elle, l’accès des maisons d’éducation ne sera interdit à personne, pour autant que le talent dont fait preuve l’étudiant, à quelque classe sociale qu’il appartienne, justifie une formation poussée; cependant, comme nous

1’avons toujours dit et comme le saisissent bien tous les contribuables, le coût de ce service, qui d’ailleurs profitera à tous directement ou indirectement, sera nécessairement réparti sur la totalité de la population. En somme nous prendrons tous ensemble une assurance contre l’ignorance. C’est pour que le poids de la prime, si l’on peut dire, ne soit pas trop lourd que nous devons en cette matière avancer graduellement.

La deuxième raison, peut-être plus importante que la précédente, est que nous ne possédons pas encore, ni vous ni moi, tous les éléments du problème. En nous fondant sur les données dont nous disposions, nous avons pu au cours de notre première session, adopter quelques lois sur l’éducation, mais nous ne pouvions vraiment faire davantage. Les décisions relatives à l’éducation ont tellement de portée qu’il serait dangereux de les tirer de considérations superficielles ou d’observations rapides et incomplètes de la réalité. C’est pourquoi nous avons formé une Commission Royale d’Enquête sur l’Éducation. Cette Commission, au terme de ses études, nous transmettra ses recommandations appuyées sur une vue à la fois générale et détaillée des faits et nous permettra de légiférer en connaissance parfaite de cause; au moment où je vous parle elle a déjà commencé ses audiences publiques et vous avez pu constater la teneur des mémoires qui lui ont été présentés. Par l’entremise de la Commission d’Enquête, nous consultons en somme ceux qui, au Québec, désirent exprimer une opinion sur notre système d’éducation, sur les programmes d’études ou sur la formation du personnel enseignant. Ce procédé, véritablement démocratique, souligne des aspects de la réalité ou des problèmes qui, autrement, pourraient fort bien être négligés.

On conçoit donc la nécessité d’une telle Commission; elle était, de fait, pré requise à toute politique nouvelle dans le domaine de l’éducation. Comme je l’ai dit il y a un instant, il nous a tout de même fallu adopter, dès les premiers mois de notre mandat, certaines lois dont l’urgence ne faisait aucun doute. Elles ont, depuis, été appliquées et les services que la population en a retirés apparaissent déjà considérables.

Je dirais même qu’elles ont modifié assez profondément le paysage scolaire du Québec, si vous me permettez cette expression. Et, comme il est normal en face de réformes, la population a dû vivre une période d’adaptation aux lois nouvelles. Elle a dû s’habituer à de nouveaux règlements, elle a dû apprendre à se prévaloir de nouveaux avantages. Tout cela et, encore une fois, c’est naturel, a dérangé quelque chose à des façons de vivre, à des comportements familiers.

Ainsi, le même phénomène s’est produit avec l’assurance-hospitalisation et je suis convaincu qu’on le reverra pour d’autres mesures à venir. Nous ne nous en étonnons pas du tout car lorsqu’on adopte une loi, c’est un peu comme lorsqu’on construit un édifice; il faut un certain recul pour en comprendre l’ensemble et pour en apprécier l’architecture.

Remarquez qu’il existe deux façons bien simples d’éviter cette période de réajustement: ne rien faire ou encore légiférer en tenant compte le moins possible des cas particuliers.

Dans le premier cas, le gouvernement ne remplirait pas ce que j’appellerais son devoir d’État. Il démissionnerait en quelque sorte devant les responsabilités qu’il devrait prendre. Cela – vous le savez aussi bien que moi – est déjà arrivé dans le passé; vous n’ignorez pas quelles furent les conséquences de cette inaction puisque notre société doit aujourd’hui supporter l’héritage onéreux d’un régime voué à l’immobilisme systématique.

Quant au second cas, il représenterait une solution de facilité, mais risquerait d’entraîner des injustices. Les lois trop simples sont rarement adéquates. La personne humaine est complexe, les situations à corriger sont multiples et remplies d’imprévus; on ne peut songer à résoudre celles-ci entièrement ou même partiellement au moyen de lois fondées davantage sur la commodité administrative que sur le besoin à satisfaire. Par contre, il serait illusoire de désirer une législation qui puisse prévoir toutes les situations individuelles. Le gouvernement du Québec, comme il l’a abondamment démontré, veut jouer pleinement le rôle qui lui revient en matière d’éducation, aussi bien que dans les domaines de la santé, du bien-être, de l’économie ou de la culture. Nous avons, pour cette raison, entrepris de fournir à la province une législation qui soit à la mesure de ses besoins réels et qui soit la plus complète possible. Au cours des années qui viendront, nous poursuivrons l’oeuvre de longue haleine dont le peuple nous a confié la réalisation.

Ce peuple souhaitait une impulsion nouvelle en éducation, car il y voit la garantie de son avenir et la sauvegarde de son entité propre. Cette impulsion nous venons de la donner et en la donnant nous avons commencé à forger l’instrument dont le Québec a besoin pour se réaliser intégralement, pour s’affirmer davantage et pour prendre sa place dans l’économie nord-américaine.

Le gouvernement de la province sait qu’il reste énormément à faire, il sait également qu’il a suscité bien des espoirs. En s’attaquant résolument à la tâche, en matière d’éducation comme en d’autres secteurs d’activité, il essaie simplement, avec toute la bonne volonté dont il est capable, de ne pas décevoir l’attente des millions de citoyens de chez nous qui lui font confiance.

[QLESG19611220]

[La Chambre de Commerce de Sillerv Mercredi, le 20 décembre 1961

Hon. Jean Lesage, Premier ministre,]

Je voudrais ce soir, si vous me le permettez, profiter de l’occasion que vous me donnez de vous rencontrer à un moment de l’année propice aux examens de conscience, pour vous offrir mes commentaires sur un des objectifs que s’est fixés le gouvernement du Québec et dont, depuis un an et demi, il veut hâter la réalisation. Cet objectif, comme nous le concevons nous à qui le peuple a confié l’administration de son patrimoine commun, pourrait se décrire ainsi nous voulons rendre chaque Québécois conscient de sa dignité de citoyen, nous voulons le rendre conscient de ses droits et aussi de ses devoirs, car nous voyons dans la concrétisation, pour ainsi dire, d’une telle attitude, la condition indispensable de l’avènement au Québec d’une démocratie véritable. Qu’est-ce que la dignité de citoyen ? Par cette expression, je l’admets, on peut entendre bien des choses. La première qui vient à l’esprit est que le citoyen, en vertu des droits dont il jouit, doit s’acquitter de ses obligations envers la société qui l’entoure. Et pour s’acquitter de ses obligations, il doit prendre une part active dans les affaires de la communauté. Il doit, par exemple, fournir son apport aux organismes qui font appel à lui; il doit, même si la victoire de son candidat semble lui rendre son devoir moins impérieux, il doit exercer son droit de vote; il doit payer ses impôts, rendre service à ses semblables et que sais-je encore.

Tout cela est vrai et découle réellement de la dignité que la société démocratique reconnaît à ses membres. En vous le rappelant, je sais que je ne vous apprends rien de neuf; il s’agit de choses dont on vous a parlé à maintes reprises depuis des années et dont vous comprenez bien le sens. Je sais d’ailleurs, puisque vous êtes membres d’une Chambre de Commerce, que vous n’hésitez pas à jouer pleinement, dans votre milieu, votre rôle de citoyens éclairés.

Mais ce soir, justement, je voudrais aller au-delà de cette notion, disons traditionnelle, qu’on a chez nous et ailleurs, du citoyen. Cette notion n’est pas fausse, loin de là; je dirais plutôt qu’elle est incomplète car elle ne tient aucun compte, en soi, des conditions dans lesquelles s’exerce ce rôle de citoyen, ni du sentiment qui l’anime. En effet, voter pour un candidat, payer ses impôts, se conduire honorablement ne sont en quelque sorte que les accessoires visibles du citoyen; de fait, sa dignité se fonde sur quelque chose de beaucoup plus profond.

Ceux qui vivent sous des régimes dictatoriaux votent, même s’il n’y a qu’un parti, payent leurs impôts et peuvent se conduire tout à fait honorablement. Pourtant, jouissent-ils de la dignité de citoyen? Nullement, car le cadre social dans lequel ils vivent, l’atmosphère politique qu’ils respirent, le régime administratif qu’ils subissent, les réduisent à l’état de numéro, leur enlèvent le droit et même le besoin de penser et d’agir et, de ce fait, les rendent dépendants de la société et non plus d’eux-mêmes.

Quand je dis que la dignité de citoyen se fonde sur quelque chose de beaucoup plus profond que le vote ou la participation à des groupements sociaux, je veux parler du milieu culturel, politique et administratif comme facteur déterminant de cette dignité. En d’autres termes, pour que soit nourrie et sauvegardée cette qualité du citoyen véritable qu’est sa dignité d’homme, il faut qu’il soit d’abord libre dans son choix et qu’il accepte d’être, malgré certains risques que cela peut comporter, un élément social actif. Pour être libre, vraiment libre, il ne faut pas que son choix, que ses décisions soient gouvernées par des préjugés, par l’ignorance ou par la crainte. Pour être actif, et pour le demeurer, il ne faut pas que les lois qui régissent ses actions et celles de ses concitoyens le forcent à dépendre de la société, il ne faut pas qu’elles briment son initiative ou la détruisent avant même qu’elle ne se manifeste. S’il en était ainsi, la société finirait par ressembler à une immense usine peuplée de robots sans individualité propre, apathiques et incapables de se diriger eux-mêmes. À la pensée originale et à la réflexion créatrice, aurait succédé le conformisme stérile; à l’activité auraient succédé la passivité et la dépendance. Il n’est pas nécessaire pour justifier cette conclusion, que le libre mouvement des citoyens, ou même leur liberté de parole soit menacés; il suffit tout simplement que, pour une raison ou pour une autre, leur mentalité soit faussée dans le sens de la dépendance ou de la passivité, il suffit en somme que les citoyens songent davantage à ce qu’on peut faire pour eux qu’à ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes.

Je me suis peut-être exprimé en termes trop abstraits, mais je crois que les considérations que je viens de faire peuvent facilement s’appliquer, avec les nuances qui s’imposent, au Québec et à sa population. J’ai dit au début que le gouvernement de la province voulait rendre chaque Québécois conscient de sa dignité de citoyen. Or, comme vous l’imaginez sans doute, on n’atteint pas un tel objectif par la seule persuasion; il faut en quelque sorte lui donner les moyens de se matérialiser, de se traduire dans les faits. Nous ne croyons pas y arriver dans un avenir immédiat, mais nous savons fort bien que si nous ne nous mettons pas tout de suite à la tâche, un jour viendra où il deviendra extrêmement ardu, sinon impossible, de renverser un courant qui jamais, chez nous, rencontré d’obstacles vraiment sérieux. Les velléités réformatrices de certains de nos prédécesseurs n’ont eu que peu de résultats parce que, à mon sens, elles n’ont jamais dépassé le stade de l’exhortation bienveillante. Nous voulons, pour notre part, agir sur trois plans bien précis : éclairer les citoyens, valoriser la fonction publique et corriger la conception que, trop souvent chez nous, on se fait de l’État. Ces trois plans se touchent de fait, et il ne peut être question de se consacrer à l’un d’entre eux, en négligeant les deux autres. Comment former des citoyens éclairés? C’est là le problème auquel doit faire face toute nouvelle démocratie. Ce peut aussi être le problème de démocraties plus anciennes. La nôtre appartient à ce second groupe.

Ainsi, nous ne partons pas de zéro. On peut présumer au départ que les Québécois savent à quoi s’en tenir sur le régime de vie démocratique, qu’ils connaissent leurs devoirs et qu’ils exercent leurs droits.

Mais il y a place pour une nette amélioration. C’est pourquoi nous avons voulu, dès cette année, commencer à mettre en application une politique d’éducation qui soit à la hauteur des exigences multiples auxquelles doivent satisfaire ceux qui, comme les Québécois d’aujourd’hui, sont appelés à vivre dans un monde fortement industrialisé et de plus en plus complexe. En acquérant les connaissances qui leur sont indispensables, ils obtiennent du même coup une compréhension plus aigue des phénomènes économiques et sociaux dont ils sont les témoins. Ils peuvent mieux les juger et, parfois, résoudre les problèmes qui en découlent. Ils saisissent mieux le sens de leur participation et de leurs responsabilités dans les affaires de la communauté et peuvent se faire une idée plus précise des programmes politiques ou autres qu’on leur soumet.

Même s’ils sont mieux informés, il se peut cependant que la publicité mensongère ou exagérée dans un sens ou l’autre, la fraude ou l’intimidation ouverte ou voilée faussent le jugement des citoyens ou les empêchent de faire librement valoir leur opinion, au moment des élections par exemple. Ce problème n’est pas nouveau chez nous, mais nous n’en avons pas moins résolu d’y mettre fin car nous y voyons une violation flagrante de la dignité du citoyen. La réforme électorale que nous effectuerons dès la prochaine session mettra un terme que nous espérons définitif à des pratiques que la population québécoise a appris à réprouver.

Par cette réforme, nous nous engagerons en même temps sur le second plan de notre action, la valorisation de la fonction publique, Nous augmenterons le prestige du représentant du peuple, auquel, comme vous le savez, nous voulons aussi redonner son rôle véritable, celui de législateur. Mais si la fonction publique est législative, par l’entremise de ceux que le peuple élit, elle est aussi administrative par ceux qui appartiennent au fonctionnarisme. Nous nous proposons également, comme nous avons commencé à le faire, de valoriser le rôle de ces serviteurs de l’État. Nous voulons que la fonction publique devienne une carrière pour les jeunes gens de chez nous qu’intéresse la vie administrative. De plus en plus, nous exigerons de ceux qui aspirent au fonctionnarisme, une préparation adéquate; de plus en plus, nous donnerons à ceux qui y appartiennent déjà, l’occasion de parfaire leurs connaissances ou d’acquérir une expérience enrichissante pour eux et aussi pour toute notre communauté.

On nous a reproché à ce propos – oui, on nous l’a reproché, aussi étrange que cela puisse paraître – de tendre à employer des experts, comme on a dit, des spécialistes de l’administration, de l’économique, des sciences, du bien-être social, etc. … Je n’ai pas besoin de vous dire combien j’ai été surpris de cette attitude. Je m’attendais de fait à ce qu’on regrette, avec nous, qu’il n’y ait pas plus de ces experts, dans notre province. Songerait-on à reprocher à un hôpital d’employer les meilleurs spécialistes de la médecine? J’imagine bien que non: On s’étonnerait plutôt du contraire. Cependant, certaines personnes en sont rendues dans le Québec à dédaigner le travail, pourtant capital, de fonctionnaires dont on devrait, bien au contraire, soutenir les efforts et encourager la formation. Il y va en effet de l’intérêt de toute la province. En nous efforçant d’amener au service de l’État québécois les gens les plus qualifiés que nous puissions trouver, c’est cet objectif que nous poursuivons. Nous le poursuivons aussi à travers les réformes administratives dont certains de nos ministères ont été l’objet. Je ne veux pas vous énumérer ces réformes de structure ce soir, mais je veux simplement souligner en votre présence notre espoir de rendre ainsi l’immense entreprise qu’est le gouvernement plus utile au peuple québécois et plus efficace dans les services qu’il lui demande de fournir.

En donnant à notre population les moyens de juger par elle-même l’étendue de ses problèmes et la validité de leurs solutions possibles, en valorisant d’autre part la fonction publique et en perfectionnant cet instrument d’affirmation collective que peut devenir le gouvernement de la province, nous sommes persuadés que nous aidons les Québécois à sauvegarder leur dignité de citoyens.

Mais, nous ne nous faisons pas illusion. Pour que cette dignité soit plus qu’un vain mot, il faut absolument que nous continuions, tous ensemble, de corriger, par tous les moyens dont nous disposons, cette conception erronée de l’État que trop de nos concitoyens partagent. Il s’agit là je l’admets – d’une vaste campagne de rééducation. Elle ne fait que commencer et, déjà, elle se révèle difficile; nous avons à renverser des comportements qui existent chez nous depuis des générations et l’administration provinciale ne pourra y arriver seule. Il lui faut la collaboration de tous les Québécois de bonne volonté, de toutes les associations qui, comme la vôtre, recherchent à leur façon propre, le bien de leur communauté et celui de leur province.

J’ai dit, il y a plusieurs mois, que nous voulions instaurer au Québec un nouveau régime de vie. C’est ainsi, en effet, que nous interprétions le mandat qu’on nous avait confié. Ni mes collègues ni moi n’avons, depuis, changé d’avis à ce propos. Nous sommes plus résolue que jamais à continuer dans la voie où nous nous sommes engagée. Généralement, il faut bien le reconnaître, les administrations nouvellement élues perdent vite l’enthousiasme et l’idéal assez fondées, pour retomber dans les ornières qu’elles voulaient qu’elles avaient au départ. Elles se trouvent des excuses, parfois assez fondées pour retomber dans les ornières qu’elles voulaient pourtant quitter.

Or, au risque de paraître présomptueux, je tiens à vous affirmer ce soir que nous n’avons encore rien perdu de l’esprit de renouveau qui nous animait il y a plus d’un an. Vous pouvez vous en rendre compte tous les jours et il est même possible que vous vous en étonniez car c’est probablement la première fois que cela se produit au Québec. Car, si nous sommes francs avec nous-mêmes, nous devrons admettre que pendant des décennies, l’État, pour beaucoup de Québécois, a constitué une ressource dont on a essayé de retirer le plus d’avantages possibles. L’État, qu’on appelle plus couramment le gouvernement, c’était l’employeur peu exigeant, la société de bienfaisance par excellence, la riche oncle dont on espérait des faveurs, le bon père de famille qui venait payer les pots cassés par ses enfants turbulents, l’ami un peu bonasse qu’on tentait de rouler, le pourvoyeur de contrats payants. En somme, pour employer une expression dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est de saison, c’était l’État Père Noël! On pouvait tout avoir du gouvernement, pensait-on, pourvu qu’on se présentait à lui comme un partisan convaincu, pourvu, comme on dit, qu’on votât du bon bord. Comme vous voyez, le costume du Père Noël n’était pas toujours rouge!

Si encore des avantages qu’on recherchait avaient été au bénéfice de toute la population. Mais non, on a fini par considérer le gouvernement comme une propriété non plus collective, mais personnelle, que l’on s’efforçait d’exploiter à son avantage particulier avant qu’il ne s’en aperçoive et, surtout, avant qu’un changement d’administration ne détourne ses faveurs vers d’autres. Et ainsi, pendant des années et des années, une mentalité néfaste a détourné notre seul instrument d’affirmation nationale de sa fonction véritable; pendant des années et des années, on a appris à dépendre du gouvernement et à recourir à ses services, non pas en dernière instance comme il se doit, mais en tout premier lieu.

Aujourd’hui, tous tant que nous sommes, nous subissons les conséquences d’une abdication presque séculaire de leurs responsabilités par trop de nos citoyens et par certaine des groupes auxquels ils appartiennent. Nous avons instauré la dépendance en système. Qu’une localité quelconque pense à attirer de nouvelles entreprises chez elle ou qu’un citoyen boucle son budget familial avec difficulté, on pense immédiatement à avoir recours au gouvernement. Et cet esprit de dépendance qu’on a ainsi développé, non seulement il n’a pas été combattu par les administrations qui se succèdent chez nous depuis des générations, mais il a été soutenu et encouragé parce qu’on y voyait un excellent moyen de contrôle de l’électorat. Le plus tragique, c’est que celui-ci, dans une grande mesure, a fini par voir dans certains programmes de sécurité sociale et dans certaines subventions une source de faveurs de la part d’un gouvernement omnipotent, alors qu’il ne s’agissait en réalité que de droits garantis par la loi.

En m’exprimant comme je viens de le faire, je n’ai nullement l’intention de prétendre qu’il faille dorénavant revenir à cette conception antique du gouvernement selon laquelle le rôle de l’État se borne à légiférer et à assurer la paix publique. Bien au contraire, c’est justement parce que je vois à l’État moderne une responsabilité capitale dans le développement économique, dans le maintien du plein emploi et dans la sauvegarde d’un niveau de vie convenable pour la population, que je souhaite le voir abandonner, et le plus rapidement possible, des fonctions qui non seulement ne lui appartiennent pas, mais qui lui empêchent de jouer le rôle indispensable qui est le sien. Nous n’avons pas le droit, dans notre situation actuelle, de distraire l’État québécois – notre État – de ses tâches primordiales. Nous avons tout à perdre; nous n’avons rien à y gagner. La nouvelle conception de l’État que nous avons entrepris de faire prévaloir chez nous ne se répandra pas d’elle-même parmi les citoyens du Québec. J’ai parlé, il y a quelques minutes, de l’effort de rééducation qu’il nous importe de fournir, et qu’il importe aux citoyens de bonne volonté de soutenir et d’animer. De fait, il s’agit aussi de réhabiliter l’État, de lui redonner la place qui doit désormais lui revenir et d’apprendre à la population à l’accepter dans sa fonction propre.

C’est ainsi, et seulement ainsi, que sera, au Québec, préservée la dignité du citoyen. Pour me servir d’une expression connue, je dirai qu’en cette matière nous revenons de loin. Il nous reste à parcourir un chemin semé d’embûches et où le moindre manque d’attention ou la moindre absence de vigilance peut nous faire perdre les quelques progrès déjà accomplis.

La pire embûche, cependant, n’est pas l’obstruction que peuvent mettre à notre action certaines personnes qui se souviennent nostalgiquement du temps où l’État pouvait être leur serviteur particulier; elle prend surtout la forme de l’incompréhension ou de l’indifférence chez cette partie de notre population qui, comme ce serait pourtant son devoir, ne s’intéresse pas suffisamment à la chose publique et à ses problèmes.

Ainsi donc, au cours des derniers mois, nous avons commencé à créer le climat favorable au sentiment que nous voulons donner aux Québécois de leur dignité de citoyen. Pendant les années qui viennent, nous poursuivrons notre tâche. Elle fait partie du mandat que nous avons accepté; le peuple attend de nous que nous y soyons fidèles. Nous voulons, de notre côté, qu’il nous aide à mener cette tâche à bonne fin. Et il le fera d’autant mieux qu’il comprendra vraiment la portée réelle du rôle que le citoyen peut et doit jouer dans un régime où la démocratie n’est plus seulement un mot creux que l’on sonne comme une fanfare, mais un idéal vécu.

[QLESG19620108]

[The Canadian Club of Montreal

Mondav, Januarv 8, 1962, For publication after 1300 P.M. Non. Jean Lesage. Prime Minister January 8. 196]

Il y a quelques jours à peine nous terminions une année sur laquelle les historiens futurs de la province de Québec auront beaucoup à dire. Je suis convaincu, en effet, que nous venons ensemble de vivre le début d’un mouvement dont nous connaissons déjà l’ampleur mais dont la portée véritable se manifestera surtout au cours des années qui viennent.

Le peuple du Québec, avec toute l’énergie dont il est capable, s’est engagé dans le renouveau qu’il souhaitait depuis des années.

À cause de cet élan qui le transporte, il a eu tôt fait de réclamer la collaboration du gouvernement de la province à son entreprise. Il savait d’ailleurs que ce gouvernement, que j’ai l’honneur de diriger, s’était à plusieurs reprises montré favorable aux projets qu’il nourrissait et que, de fait, il les avait inclus dans son propre programme d’action. C’est ainsi que des groupements d’hommes d’affaires, des formations syndicales, des sociétés culturelles et de nombreux organismes de citoyens sont venus demander l’appui du gouvernement qu’ils considéraient comme seul capable, à cause des moyens dont il disposait, de les aider à traduire dans les faite les aspirations de la population tout entière. En somme, désireuse de se procurer les instruments qui lui manquaient, s’adressait par la voix des groupes qui la constituent à la plus puissante structure administrative de la province, son gouvernement.

Nous ne pouvions raisonnablement refuser de coopérer avec des citoyens chez qui nous sommes conscients d’avoir, en partie, allumé cette volonté de renouveau qui étonne aujourd’hui plusieurs de nos concitoyens. Nous étions même heureux d’accorder l’appui qu’on nous demandait car, en le faisant, nous nous rendions, comme il se doit en toute démocratie, au désir d’une population dont il ne fallait pas

décevoir l’attente.

[This is the reason why we hante put so much effort during the last few months into introducing innovations the number and variety of whioh are without preoedent in this province. At the administrative level, for example, severai Departmente have been reorganized to enable them to funotion more efficiently, the better to serve our population. We have also made every effort to give back to public office its real meaning, by restoring its Crue value and by trying to interest competent persons and gifted young people in taking up careers in administration.

From the eoonomic view point, we have prepared several projects. The General Investment Trust is one of them and will corne into being at the

next session of the Legislature. In the sphere •f

social legislation, we have set up the huge hospital insurance »,gramme which is well known to ail of you, and whioh has already helped thousands and thousands of £acoilies to receive treatment that their state of health required. À great many of these people have also profited from the new school allowances and from the increase which we granted to the recipients of certain social security measures.

In the case of culture and education, we have undertaken the carrying out of a long term plan some of the effects of which are already being felt. We now have a Department of Cultural Affaire -the only one of its kind in America thanks to which Arts and Letters wiil receive a new stimulus in our province. In the field of education itself, a great deal of legislation was passed. This was very necessary because the lag which we had to make up — and which we still have to make up — permitted of no delâ.y in that part of our programme which could be realized at once. As for the rest of our programme, we are not yet in possession of all the elements we absolutely need in order to fuifil it. The Royal Commission on Education will give us valuable information on these points.

In short, if I avers to sum up what we have done during the last few months, I would say that we have, on the one hand begun te anewer the needs which had to be filled at the earliest possible moment; this applies particularly to our social policy, through which we hope to approach this ideal of authentic social justice which

go

Ob

should inspire any government that is conscipus of its responsibilities.

You will admit as I do, however, that no really efficient polioy can get along on purely curative measures. Otherwise, in spite of the temporary improvements that may result from these measures, there is always the risk that sooner or later the unhappy situations whioh we wanted to do away with will arise again. Our action must therefore have another dimension; I would say that it must be a preventive one in the senne that it will strike at the roots of the problems we are facing today, and which our so-called « curative » measures can do no more than lessen.

This is why, on the other hand, we decided to provide the people of Quebec with the means which, we hope, will allow them to find definite solutions not only to their present difficulties, but also and especially to those difficulties that would otherwise continue to make themselves felt and which, as the experience of all countries has shown, would certainly become more serious. What we want then,If I may say so, is to cure the sickness before it spreads and forces

us into taking much more costly measures later on, when today’s unsoived problems will

inevitably have become much more important. There is no need for me to go into a great deal of details to prove what I am saying. In fact, a good part of the expenses incurred today by the Provincial Government — and consequently by

the oitizens of Quebec — is really the result of what part generations were unable to do, for reasons that were probably valid at that time, to solve probleme the consequences of which we are now suffering. In a way, the present generation is paying the heavy price of past inaction.

Today we have a wide knowledge of things, and we also have abilities which were unknown to those who came before — and I ….

am not epeaking here of the provincial administration that we succeeded;

• as a matter of fart that particular government could have used those meana because they were available just as they are now. What I mean to say is that we are living in an era in which it is almost forbidden not to act. Science has made great progress, techniques have been perfected, our conception of the yole of the State has changed, our relative wealth ie more abundant, the economic theory is more precise, our knowledge of the society that surrounds us is greater. We are no longer totally helpless in the face of the blind forces of the economic world;

i we can oppose resistance and to a certain extent correct the conditions in which we live. Better still, we can prepare for the future by making necessary decisions now, for exemple by allowing the people to develop along intellectual as weil as material lines. In this way

they will be better able to accomplish the tasks which await them, the fulfilment of which will guarantee their future well being.

For all these reasons, therefore, we must take action in

• two directions at onces solve our present problems, and prepare for

Quebec’s future. The tank to be undertaken -and which has in large

part already been undertaken — is far from being an easy one, and you

can easily understand why. We muet coordinate a considerable number

• of different fields of activity; we must take into account not only the consequences of the probieme we are attacking, but also those of the solutions that we put forth and of which several have begun to be carried out. We muet never forget that any action taken with the aim of modifying social conditions or generally widespread behaviour ‘ brings in a new Étate of affaire to which we must sometimes give our attention; in fact, we can never be sure beforehand that the steps we

• have taken will end with the ideal result which is our final aim. In that case, readjustments are called for, followed by new solutions. This is a perfectly normal phenomenon, and public administrators muet

expect to meet it.

There existe another phenomenon which is just as serious. Our population, as I have said all along, has needs which it intends ….

to satisfy. They want to have better government services, to encourage the proper development of their natural resources, to promote the industrial development of the province, to stimulate agricultural progress; they also want to give themselves a form of social seourity that will take family responsibilities more into account, and they want more adequate health services. And finaily, they wish, and this wish –

I should say this demand — is of prime importance to us – they want to raise the level of education and culture in the province.

These are all vital needs. It is not a question of providing the population of Quebec with sumptuous institutions or services, if I can so express it. On the contrary, the needs that I have just mentioned are absolutely essential, because they are linked with the intellectual and material development which is the basis of all modern societies, and with which we must of necessity endow Quebec.

a

These essential needs must be satisfied if we want to give Quebec the place it deserves in our country. However — and this is the other phenomenon I referred to a minute ago – these needs will call for considerable disbursements. In order to meet these disbursemente Quebec’s financial resources will have to be increased, it will have to have greater revenues.

Through direct or indirect taxation the citizens of Quebec are already contributing a great deal to the financial resources which their government spends, and which it uses for the common good. But this source of revenue is not inexhaustible; it would even be pretty unjust to make it carry the whole load of present or future innovations at a time when the sharing of tax revenues between various levels of government in the country needs to be reexamined in the light of the economic and social conditions which prevail in Canada at this time. Today we are living to a great extent within a framework te which was designed ta’fulfil a function that has long since been made

obsolete by the course of events. The present distribution of sources

of revenue between governments was thought out, applied, and instituted for the mont part during the last war. It was continued during the post was period and is etill practically the saure. However, it so happens that the motives of the federal government at that time have now bat a great deal of their relevance.

During the war, it was normal that the whole country’a human and financial resources ahould, whether we liked it or not, be pointed toward one goal — victory. The central government therefore was justified in claiming all the sources of revenue that it needed from the provinces, of course, fully understood the

seriousness of the situation and cooperated with the central government.

After the war and during the years which followed it, the readjustment of the Canadian economy to new conditions, the latent dangers of a major economic slow-down, the impetus which had to be given to certain investments that were intended to profit the whole country, all these reasons necessitated that the old arrangements ahould continue. At that time, Canada had certain needs which, we admit, took priority over those of the provinces; it was necessary that these needs be filled because the future of the country was at stake. This period of relative emergency lasted for about fifteen years.

Such is not the case today. The provinces are the ones who now have priority needs. À state of war no longer existe; the immediate post war readjustment of our economy is now an accomplished fart. Of course, the federal government

continues to have a great responsibility as far as economic policy is concerned, because in accordance with the constitution it keeps control of the money and can influence the trends and volume of international trade. The

• balanced economic development of our country requires that the central government act in those spheres which corne under its jurisdiction; in so doing, it plays a role which no one would seriously think of contesting. However, we of the province of Quebec — because of the great needs of our population, because of the enormous investments which our population must make in ail fields of its social and economic life in order to fill all these needs – we feel that it is no longer right for the revenues of the federal government to keep on being as large as they are now. On the contrary, it is the sources of revenue of the provinces which should be increased. In Quebec we do not like to ses the federal government spending its money for useful things when we could be using it to carry out,essential, things such as I mentioned a few moments ago.]

Dans une grande mesure, ne l’oublions pas, nous vivons aujourd’hui à l’intérieur d’un cadre conçu en fonction d’une situation depuis longtemps dépassée par les événements. La répartition actuelle des sources de revenus entre les gouvernements, même si elle s’est quelque peu modifiée depuis, a été pensée, mise en application et institutionnalisée en grande partie à l’occasion de la dernière guerre. Elle a été conservée dans l’après-guerre et persiste maintenant à peu de choses près. Cependant, il arrive que les motifs sur lesquels s’était fondé le comportement du gouvernement fédéral dans le temps, ont perdu aujourd’hui beaucoup de leur pertinence. Ce sont maintenant les provinces qui ont des besoins prioritaires. L’état de guerre n’existe plus; la réadaptation de notre économie à l’après-guerre immédiat est maintenant chose accomplie. Le gouvernement fédéral continue évidemment d’avoir une grande responsabilité en matière de politique économique car il détient toujours, selon la constitution, le contrôle de la monnaie et peut influencer le volume et la direction des échanges internationaux.

Mais il reste que notre population a des besoins qu’elle tient à satisfaire. Elle veut jouir de services gouvernementaux meilleurs, favoriser l’aménagement rationnel de ses richesses naturelles, encourager le développement industriel de son territoire, stimuler le progrès de son agriculture; elle veut aussi se donner un régime de sécurité sociale qui tienne mieux compte des charges de famille et elle désire des services de santé plus conformes à ses besoins.

Elle souhaite enfin – et ce souhait, cette exigence devrais-je dire est pour nous d’une importance capitale – elle souhaite hausser le niveau de l’éducation et de la culture dans la province.

Il s’agit là de besoins vitaux. Il n’est pas question en effet de fournir à la population du Québec des institutions ou des services de type somptuaire, si je peux m’exprimer ainsi; au contraire. À cause de ces besoins immenses de notre population, à cause des investissements énormes qu’elle devra effectuer dans tous les secteurs de sa vie économique et sociale pour y répondre, nous considérons que les sources de revenus du gouvernement fédéral n’ont plus de raison d’être aussi étendues. Au contraire, ce sont celles des provinces qui doivent être élargies. Nous acceptions mal, au Québec, que le gouvernement fédéral consacre les sommes dont il dispose à des fins utiles, alors que nous pourrions les employer à la réalisation d’objectifs essentiels, les besoins dont je viens de parler sont absolument essentiels parce qu’ils se rattachent à l’équipement intellectuel et matériel qui se trouve à la base des sociétés modernes et dont il faut, de toute nécessité, doter le Québec.

[All this will explain why we, at this juncture, are insieting so strongly upon the necessity for our province to obtain the sources of revenue for which it has such an urgent need. lie have every reason to believe that our needs have an obvious priority over

• those of the central government; we have no reason, or almost none, to accept the continuation of a state of affaira which should be discussed as aoon as possible — because a state of emergency does exist.

The argument that I have just put forward is always behind our attitude on questions of federal-provincial relations. You may have noticed it in our proposais on fiscal affaira and in our desire that a complets reexamination of the present distribution of revenue sources be made both by the provinces and the central government.

This could be followed — by a major overhaul of

the Canadian Constitution — which would be a good thing. It is certain, no matter what happens on this subject, that the future of our country itself will depend to a great extent over the coming years upon the attention we *ive to the primary needs of the provinces which make up thia Canada of ours.

In the other provinces of our country, there are projects the preciae details of which I do not know. In Quebec, at any rate, we are concentrating all our efforts towards the building of a better world in which to live. In order to do so, it is abaolutely necessary for us to get the materials that we lack. This is the deepest wish of the whole of Quebec’s population; it is also the deepest wish of its government.

[QLESG19620126]

[Inauguration du nouvel édifice de la Croix-Rouge

Québec. le 26 janvier 1962 Pour publication après 5:00 hres P.M.

Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 26 janvier 1962]

Il y a des chefs d’oeuvre de l’esprit qui sont l’honneur du cerveau humain. Mais il y a aussi des chefs d’œuvre du cœur qui sont l’honneur de l’humanité!

Je ne saurais vous exprimer à quel point je suis fier de participer à l’inauguration de cet édifice, car je ne connais pas un seul mouvement qui fasse davantage honneur à l’humanité tout entière que la Croix-Rouge.

Je n’aurai pas l’outrecuidance de raconter, même brièvement, l’histoire de la Croix-Rouge internationale, canadienne et québécoise, vous la connaissez mieux que moi. Pour agir ainsi, il faudrait du reste n’avoir appris que tout récemment ce qui fait la grandeur de votre rôle et, avec l’émerveillement tout frais de la découverte, en parler avec un enthousiasme naïf comme si l’on était seul à connaître toute l’histoire de votre mouvement. Il n’en faut pas moins signaler avec orgueil que la ville de Québec a été le berceau de la Croix-Rouge au Canada puisque votre Société a été fondée ici en 1900, neuf ans avant la Croix-Rouge canadienne. C’est depuis cette date que vous n’avez cessé de vous dévouer au bien-être de la population. L’esprit de solidarité et l’efficacité dont vous avez fait preuve au cours, par exemple, de sinistres comme ceux de Rimouski et de Cabano, ont conquis l’admiration générale.

Il est rare de voir un mouvement réaliser une telle unanimité dans la population québécoise. Je suis depuis trop longtemps l’admirateur des héros et des héroïnes anonymes de votre Société pour entretenir l’illusion qu’il reste un seul éloge nouveau à vous adresser. Il me faut me contenter de citer ceux qui ont eu des bonheurs d’expression qu’on ne saurait dépasser. Parmi ces expressions, il n’en est pas de plus justes, de plus heureuses, de plus inspirées que celle de François Poncet qui disait ne croire qu’à une seule Internationale, l’Internationale de la Bonté, c’est-à-dire la vôtre.

Dans le monde de 1962, il n’est pas facile de porter un jugement absolument sûr, catégorique et définitif sur toutes les causes que les hommes peuvent épouser avec la plus entière bonne foi.

L’idéal d’une partie de l’humanité n’est pas celui de l’autre. Mais dans tous ces conflits dont quelques-uns sont même intérieurs dans l’homme, dans tous ces conflits, quel doit être le bonheur de celui qui ne peut pas douter de l’idéal auquel il s’est voué! Quelle source de joie et de satisfaction de se dire que l’on ne peut pas se tromper puisque l’on se consacre au bonheur de ses semblables! Quelle consolation d’avoir un idéal que l’on peut servir aveuglément sans entretenir, sur sa valeur, l’ombre d’un doute pendant l’ombre d’un instant! Ce bonheur, cette joie, cette satisfaction, cette consolation sont les vôtres. C’est là que je trouve l’explication de la gaieté et de la bonne humeur qui vous sont traditionnelles puisque rien n’influe aussi heureusement sur le caractère que la certitude de faire du bien.

Parmi les vers qui, depuis le collège, se sont accrochés à ma mémoire, il est un de Lamartine qui me revenait tout à l’heure et que j’ai voulu noter: [ » Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. « ]

 » Borné dans sa nature « , l’homme est un être, hélas! qui parfois se rend compte avec désespoir combien sont puissantes les attaches matérielles qui semblent le condamner à la petitesse.  » Infini dans ses voeux « , l’homme, cependant, se grandit et se réhabilite à ses propres yeux. Et je ne peux pas imaginer un mouvement qui réhabilite davantage l’homme que celui de la Croix-Rouge. S’il fallait un jour que l’humanité en bloc passe en jugement pour ses erreurs ou pour ses crimes, j’imagine l’avocat qui, prenant sa cause en main, invoquerait dans la preuve de caractère la Croix-Rouge.

La Croix-Rouge, c’est, dans le procès de l’humanité, la circonstance atténuante et le trait rédempteur.

[QLESG19620217]

[Congrès des Gérants de Rédaction,

Québec. le 17 février 1962, Pour publication après 7×00 hres P.M.

Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 17 février 1962 ,]

Après dix ans, vous revenez à Québec, messieurs les gérants de rédaction, pour tenir votre conférence annuelle sur les problèmes de votre profession. Soyez les bienvenus. Vous êtes accueillis parmi nous avec la joie entourant les bons amis qui se retrouvent après une trop longue absence. Personnellement, je suis très heureux de cette occasion qui m’est fournie de renouer avec de vieilles connaissances du Québec comme de tout le Canada et de lier des amitiés nouvelles. Je le suis d’autant plus que c’est la première fois que je rencontre la direction de la presse quotidienne, depuis que je suis Premier ministre. Tour à tour, j’ai participé aux assises de la presse hebdomadaire et au congrès des journalistes de langue française, mais c’est mon premier contact avec ceux à qui nous sommes redevables des journaux quotidiens du Canada tout entier.

Acceptez mon hommage de citoyen et ma reconnaissance d’homme politique pour les services que vous rendez à notre société, au Québec comme au Canada, jour après jour, avec une constance et un labeur qui sont votre servitude et votre grandeur.

[Gentlemen of the press, since your lest visit here ten years ago, a few changes have taken place in this Quebec of ours, where, it was once said, nothing would or could ever change. As a matter of fact, there are a great many things in Quebec that have never changed and which will never change

One of them is our traditional enjoyment in welcoming the visiter within our gates, and, above ail, our deep sense of brotherhood towards our fellow-Canadians from the other provinces or other ethnie groupe.

The holding of your convention coincides with the preliminary fireworks of the Quebec Llinter Carnival, and I hope that you will be able te combine some of the pleasures of our Carnival with the hard work which you viii do during your stay in Quebee.

In keeping with the carnaval spirit, let me recall a couple of very recent incidents which happened at our own expense, whether ve are

• newspapermen or politicianss

Only a few days ago, I am told, one of our more pondereue dailies published a large advertisement asking for cats te be delivered te the General Post Office te be sent te the Congo : On the saure day, a competitor across the street ran an advertisement solliciting financial contribution for the widow of the Unknown Soldier. Both newspapers were the victime of a practical joke and,

• with the usual rivalry that exista between the management and the editorial department of any newspaper, you can appreciate the effects of a joke such as this one.

Recently, the editorial department has had its troubles toc. Someone, let’s eall him an « official » or « semi-official » source of information, stated that newspapers in Quebec

were only fifty percent objective, which was a highly subjective job of reporting the Tacts: According to later pronouncements, from even higher sources, the situation for the whole of Canada may be even worse, and there is talk of a « servile press » and other remarks of a similar nature.

But let me give you a glimpse of a publia man’s inner secrets. The Press is the mirror of public opinion. It becomes very

• tempting et times to throw atones into the pond to disturb its mirrorlike surface and break up the reflection of the surrounding scenery! Old political hands have taught me this lesson, so that I have always been careful never to

join any « Bureau of Misquoted Persona », and never to throw atones – at least not at the press – because the last nord is always … the printed word.

Nevertheless, gentlemen, the fact is – the real and comforting faot is – that in Canada, the press is truly the mirror of public opinion, and is therefore the vert’ image of the Canadian people.

From the small political pamphlets of past generations, our Press has developed into the mass information medium that it ie today. In its process of development it has managed for the most part to have avoidedd the gaudy period of sensationaliam which dominated the American press at the start of the century, and which et the present time ia reaching more and more into the old civilizations of Europe.

Like the Canadian people, our press is serious, some people might aven go so far as to say that it is serious to the point of drabnese, but dont foreign observera say the saure thing about us

• Canadians in our northern placidity? Our Press, like our people, is steady and reliable, not easy to roues, but stubborn in its convictions.

It has been laid that a people gets the government that it deserves, and the came thing applies to a country’s press. Patience, soundness and reliability make up the fabric of the Canadian character and the character of our daily press. These are qualities that do not generate superficial brilliancy or splendid flights into nowhere. They are, however, the rock upon which are built institutions Chat will endure.

Of course, gentlemen, the daily press in Canada has its own problems juat like everyone elle, otherwise you would not be gathered here at this time, notwithstanding the Quebec Winter Carnival.[

Ces problèmes de la presse quotidienne sont multiples et considérables. À la fois inquiétants et pleins de promesses. C’est une crise de croissance; mais c’est aussi un élan du progrès. Bref, la presse s’identifie si étroitement à notre société, qu’elle en subit tous les bouleversements et toutes les évolutions. Profondes transformations matérielles, comme l’abolition des distances et les tendances universelles vers l’unité, qui posent aux Canadiens les problèmes de l’identité nationale au sein de l’internationalisation des économies et de la pensée. Transformations sociales, alors que le Canada doit passer, pour ainsi dire du jour au lendemain de la cellule familiale et d’une société rurale au complexe industriel et à la civilisation de masse. Transformation psychologique du Canadien qui se découvre ainsi citoyen du monde, en même temps que sujet et partie d’un corps social toujours du plus en plus organisé et croissant, au sein duquel l’individu éprouverait le sentiment d’être écrasé ou perdu, s’il n’était constamment éclairé sur sa place et sur sa responsabilité dans la vie de l’État à laquelle il participe. Et, par-dessus tout, la soif de connaître, la curiosité innombrable, l’insatiable besoin d’obtenir des réponses à toutes les questions qui sont posées aujourd’hui aux intelligences humaines, à l’homme de la rue comme aux savants, par l’extraordinaire développement des moyens de diffusion qui apportent, même dans les foyers les plus modestes, l’actualité des faits, les actes de la politique, les données de l’économie, les secrets de la science et jusqu’aux spéculations de la philosophie.

Votre tâche, Messieurs les gérants de rédaction, est d’adapter les journaux à ces transformations matérielles et psychologiques. Que de difficultés elle présente!

Les grandes agences internationales créent, certes, des liens avec le monde, mais encore faut-il que les Canadiens, par leurs journaux, puissent se fier non seulement aux témoignages étrangers, mais considérer le monde avec leurs yeux de Canadiens. Et quel fardeau financier que la représentation de nos journaux à l’extérieur! Par ailleurs, la civilisation de masse gonfle, évidemment, les tirages des quotidiens; mais l’élimination des faibles et la puissance toujours accrue des forts n’en sont-elles pas la conséquence? Enfin, les exigences de la curiosité et la volonté de s’instruire, – le plus exaltant phénomène de notre époque poussent encore les quotidiens vers le même aboutissement : seuls les plus riches deviennent en mesure de fournir l’abondance qu’on exige d’eux!

De tous ces facteurs et de bien d’autres résulte un processus de concentration de la presse qui est universel. Chaque année voit disparaître quelques grands quotidiens, en Europe et en Amérique. Au Canada français, nous avons eu plus que notre part de ces disparitions. Pourtant, le seul quotidien qui soit né, en Amérique du Nord, en ces dix dernières années, vient d’apparaître dans la province de Québec. Le fait ne contredit en rien l’universalité des difficultés de la presses il souligne peut-être que Québec n’est pas une province comme les autres, ou que son dynamisme de transformation est actuellement plus aigu qu’ailleurs, ou encore que ses retards étaient plus marquée… car la diffusion des quotidiens, proportionnellement à la population, demeure encore sensiblement inférieure, au Québec, à ce qu’elle est en d’autres parties du Canada.

Dans ces conditions, le problème le plus important qui se pose à un congrès comme le vôtre n’est-il pas d’enrayer ce processus d’une liberté de la presse qui se dévore elle-même, à la fois par le jeu de la concurrence, les nécessités du progrès et par le coût de la production ?

Les quotidiens du Canada se sont déjà engagés dans la voie d’une collaboration qui a permis la coexistence des quotidiens régionaux avec celle des grands organes métropolitains. L’agence coopérative que constitue la « Presse Canadienne » fut, à cet égard, un succès. L’expansion des services français au sein de l’agence, en particulier, est un développement assez récent qui sera suivi, nous l’espérons, par d’autres progrès et par d’autres initiatives absolument nécessaires à la dualité culturelle du Canada.

A-t-on épuisé, au Canada et plus spécifiquement au Québec, les possibilités de la formule coopérative, à la fois sur le plan de la concurrence, de l’expansion et sur le plan du coût de production, afin de maintenir une saine multiplication des quotidiens à travers le pays? C’est à des groupements spécialisés comme le vôtre qu’il appartient d’approfondir la question. Mais justement, les groupements spécialisés comme le vôtre, et les divers organismes professionnels qui existent à l’heure actuelle chez les journalistes comme chez les administrateurs et les propriétaires de journaux, ont-ils eux-mêmes épuisé les possibilités de leur collaboration? La coordination des efforts de ces associations professionnelles qui, à vrai dire, parait à peine ébauchée jusqu’à présent, serait peut-être la clé des problèmes de la presse quotidienne, depuis les soucis financiers des administrateurs jusqu’au code d’éthique que veulent s’imposer les journalistes. Car, Messieurs, aux défis que pose une civilisation de masse, il faudra répondre par la synchronisation des actes de l’initiative individuelle, autrement la civilisation de masse ne pourra être autre chose qu’un totalitarisme où iront mourir les libertés de tous.

Les problèmes des quotidiens découlent donc directement des transformations de notre société. Or, les problèmes des gouvernements viennent exactement de la même source. Vous, messieurs, comme gérants de rédaction, et moi, comme chef de gouvernement, nous nous ressemblons comme des frères, en face de nos responsabilités et de nos devoirs quotidiens. Vous avez la responsabilité de créer l’opinion publique, nous avons la tâche de la satisfaire! L’opinion publique éclairée fait les gouvernements sages. Une opinion publique est véritablement éclairée, lorsqu’elle est aussi consciente des réalités que de ses désirs; lorsqu’elle accepte ses devoirs avec autant de fermeté qu’elle réclame ses droits. Éclairer de cette façon l’opinion publique telle est l’oeuvre que vous accomplirez, non pas seulement comme les juges des gouvernants, mais surtout et avant tout comme leurs auxiliaires.

Dans l’infini des travaux qui s’imposent désormais aux gouvernants dans la phase de reconstruction, de difficultés et d’espoirs que nous traversons, la plus pure lumière de l’opinion publique est, plus que jamais, l’esprit positif qui s’oppose au néant des négations, l’objectivité des faits qui écarte les fantaisies du subjectivisme; en un mot, la vérité qui est splendeur de la connaissance et lien de l’amour entre les hommes!

Oh! je sais bien, messieurs les journalistes, que la verve de la critique est plus brillante que l’exposé positif des travaux et des jours d’une société. Mais tout le monde sait, aussi, qu’il est plus facile de démolir que de construire. Alors qu’il y a tant à construire, au Québec et au Canada, prenons garde de paralyser nos populations dans la stérilité des critiques et dans le défaitisme des démolitions. Prenons garde, aussi, de créer artificiellement une opinion publique qu’il soit physiquement impossible de satisfaire.

Je sais bien, aussi, que pour lutter contre l’imagerie de la télévision et pour se donner un ton et une individualité, la presse n’a souvent d’autre recours que l’interprétation subjective des faits. C’est une tendance qui se manifeste, de plus en plus, même dans les colonnes de pure information. Si le nouvelliste devient commentateur, qui fournira la nouvelle au public? Si les faits ne sont présentés qu’à travers le prisme d’une opinion ou d’un caprice, où seront les faits? Si chacun possède sa vérité, que sera la vérité ?

Le commentaire, l’interprétation ou l’explication des faits sont nécessaires, mais les faits ont la priorité. Un éditorial sans la nouvelle, c’est un jugement sans procès. Car dans une démocratie, les citoyens sont libres de former leur propre jugement. Leur jugement ne peut être formé que s’ils sont en possession des faits. La présentation subjective des faits dans le journalisme n’est pas, comme on pourrait s’illusionner, une manifestation de la liberté démocratique; car cette pratique ne trouve son application parfaite et définitive qu’au sein d’une dictature, à laquelle la déformation des faits finit par conduire, ne serait-ce que par l’anarchie qu’elle produit dans le jugement des citoyens comme dans leurs actes. Au Canada et en Amérique, la presse a établi son prestige et son utilité sur les faits. Vous êtes les témoins de la vérité et vous avez charge d’âme, l’âme de la collectivité. [Truth, gentlemen, is the basic material for the development of mutual love and understanding among men. Give the objective truth to the peoples of all nations, and you will give peace to the world.

Now, more than ever, Canadians need the binding force

of truth to unite them. We are fortunate to have a few – too few -journaliste representing nome of your newspapers from the other provinces here in Quebec. Our own French language dailies have representatives in Ottawa, but Gloser practical contacts should be maintained between newspapers as they are between provincial governments, because Canadians know far too little about the local problems of their fellow Canadians at the provincial level, where their mutual understanding should really begin. As Premier of Quebec, the development of friendship amongst all Canadians based upon mutual knowledge of one another was one of the main objectives in promoting the inter-provincial conferences which were held with such promising results in Quebec and Charlottetown, with the next one to be held soon in British Columbia.

Gentlemen, the truth, like happiness, is often salent. There are, at times, noises in Quebec and the rest of Canada noises that may sound disturbing to you and to us. However, let us not be distracted by these noises, let us look ahead, instead, to the truth of Quebec and Canada, where lies our fellowship, our hopes, and our future.]

[QLESG19620311]

[Alliance Française de Montréal

Montréal, le 11 mars 1962 Pour publication après 7430 P.M.

Ron. Jean Lesage. Premier Ministre le 11 mars 1962]

Au moment où je me lève ce soir pour saluer la présence parmi nous d’un délégué spécial de la France, je suis encore sous le charme de notre propre visite à Paris, au début du mois d’octobre.

Avant mon départ, je n’avais jamais osé rêver que les manifestations dont nous fûmes l’objet seraient émouvantes à ce point. Sous chaque geste officiel perçait une amitié véritable, et ce sentiment si précieux pour nous, nous en trouvions constamment la preuve dans nos contacts personnels avec la population elle-même, car si le protocole peut ordonner admirablement tous les gestes extérieurs, il ne pouvait commander à la foule de nous donner aussi spontanément et aussi sincèrement qu’elle l’a fait des preuves constantes de la cordialité du peuple français à notre égard. Je me suis rendu compte alors que ce n’étaient pas seulement les progrès de la navigation aérienne qui avaient supprimé les distances, mais qu’entre la France et le Québec, il n’y a plus, pour pasticher le mot célèbre de Louis XIV au sujet des Pyrénées, il n’y a plus d’Atlantique De tous les gestes qui m’ont touché, aucun peut-être ne m’a laissé un souvenir plus vivace que celui, Monsieur Chastenet, qu’a posé à mon égard votre illustre compagnie.

Dans le Grand Larousse encyclopédique, qui est tellement récent que seuls quatre volumes sur dix en sont jusqu’ici parus, je lis cette phrase à l’article Académie française : [ » L’Académie se réunit toujours en comité secret, sauf pour la séance publique annuelle et pour les réceptions des nouveaux élus. « ]

L’invitation que vous avez faite à quatre ministres du Québec d’assister à une séance de la rédaction de votre dictionnaire, aura donc il est amusant de le souligner rendu désuète une phrase d’un autre dictionnaire avant qu’il soit publié.

Veuillez croire que je ne me fais pas d’illusions: Je sais bien que c’est à ma province et non à moi que s’adressait cette invitation. Mais je n’en suis que plus reconnaissant aux sentiments qui m’ont valu un privilège aussi rarement accordé.

Car seule une atmosphère de fraternité totale pouvait justifier ce geste exceptionnel, vous nous avez reçus comme si nous étions des vôtres, comme si nous étions entre Français. Comprenez-vous maintenant pourquoi le charme auquel je faisais allusion en commençant ne s’est pas évanoui et pourquoi il me tient toujours sous son empire? D’ailleurs, qui peut résister à la France lorsqu’elle se veut séduisante ?

Mais peut-être mon admiration même fera-t-elle excuser la seule critique que j’oserai exprimer au sujet de votre pays: il vient de faire un geste qui nous a désolés, en nous enlevant – et ce n’est pas un lapsus que je vais commettre en nous enlevant un compatriotes monsieur Francis Lacoste

Ce n’est pas l’amitié personnelle qui m’aveugle lorsque j’affirme que personne n’a su se faire admirer et aimer des Canadiens autant que monsieur Lacoste. Peu d’hommes nous auront autant et si bien compris: c’est vraiment un des nôtres que nous voyons partir. Vous allez, Mesdames, Messieurs, penser que je compte les jours comme un prisonnier, mais je viens de me rendre compte qu’il y a exactement 199 ans, 1 mois et 1 jour (soit le 10 février 1763) le traité de Paris cédait le Canada à la Grande-Bretagne.

La France avait rêvé une Nouvelle-France, mais elle connaissait un brutal réveil. Et c’est à nous qui étions ce rêve qu’il appartient de le continuer et de le réaliser. Cela ne veut pas dire qu’il faut copier servilement la France. Il faut, au contraire, prouver que notre ancienne mère-patrie savait mener ses enfants jusqu’à l’âge adulte. Notre devoir, c’est d’être nous-mêmes et non une pâle réplique des Français. C’est ainsi que nous prouverons la valeur, la force et la vitalité des traditions dont nous avons hérité; c’est ainsi que nous prouverons que vivre, c’est, non pas imiter un modèle, fût-il le plus beau de tous, mais conquérir notre personnalité à nous en réalisant, en matérialisant le rêve que notre ascendance commune contenait en elle-même. Le vrai maître est celui qui n’écrase pas la personnalité du disciple, mais qui la fait s’épanouir, et la richesse de la culture française, c’est de permettre à ceux qu’elle forme, non pas de demeurer, mais de devenir eux-mêmes. Car trouver sa personnalité, c’est la suprême conquête, c’est l’ultime devenir.

Un héritage ne donne pas que des droits, il crée des devoirs auxquels on ne peut se dérober. Nous avons la responsabilité, non seulement de conserver notre héritage intact, nous avons la responsabilité non seulement de le garder vivant, actif et de le faire fructifier comme les talents de la parabole, mais nous avons aussi celle de la propager, comme la France elle-même l’a fait et continue de le faire. Ce sera ainsi, plus que par tout autre moyen, que le groupement canadien-français pourra, en ce vingtième siècle, demeurer fidèle à ses ancêtres et demeurer fidèle à lui-même tout en étant fidèle à (le mot n’est pas trop fort) à sa vocation.

Notre fierté se justifie du fait plus que jamais indéniable que la culture et la langue que nous avons héritées de la France constituent un ensemble de valeurs qui enrichissent le Canada tout entier.

En sauvegardant cette culture, nous nous sommes tout d’abord protégée comme groupe, mais tout comme l’instinct de conservation de chaque individu sauvegarde en fin de compte la nation tout entière, notre instinct de survivance a servi le Canada tout entier.

Monsieur John W. Pickersgill, député à la Chambre des Communes, disait récemment:

[ » À l’heure actuelle, la culture canadienne-française est probablement plus dynamique que la culture anglaise, et un grand nombre de Canadiens anglais souhaitent que les Canadiens français prennent l’initiative d’un progrès culturel plus marqué dans tout le Canada. « ]

Cette idée, celle de l’apport canadien-français au pays tout entier, est en train de faire son chemin dans tous les esprits. Je ne vous surprendrai donc pas en disant que les Canadiens des autres provinces commencent à nous être reconnaissants d’être Canadiens français d’une façon aussi intransigeante.

Je suis sûr que nous perdrions leur estime si nous abdiquions nos caractéristiques et je crois que je puis affirmer un principe qui a le rare mérite d’être à la fois utilitaire et généreux: il faut nous enrichir tous de nos différences mutuelles

Voilà donc pourquoi il existe au Canada ce délicieux paradoxe qui est la plus douce revanche dont pouvait rêver la France depuis le traité d’il y a 199 ans: les Canadiens anglais souhaitent tout aussi ardemment que nous la survivance de la culture française.

Mais soyez assurés, Monsieur l’Ambassadeur et Monsieur Chastenet, que si nous réussissons à demeurer dignes de notre mission, le mérite premier en reviendra à la nation envers laquelle nous avons contracté une dette semblable à celle d’un enfant pour ses parents. Cette dette, il ne peut l’acquitter que d’une façon: en transmettant à son tour, à la génération suivante, le flambeau qu’il a lui-même reçu. Cette loi est partout dans la nature et dans l’histoire, mais aucun peuple n’en peut tirer un orgueil plus grand que le nôtre, puisque celui de qui il a tant reçu est le peuple français.

[QLESG19620407]

[Sir George Williams University Silver Anniversary Montréal, le 7 avril 1962 Pour publication

après 7×00 hres PM

Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 7 avril 1962]

Votre Université célèbre aujourd’hui son [« Silver Anniversary »]. Je suis heureux, à cette occasion, de me joindre à vous et de vous souhaiter, de la part du gouvernement de la province, tout le succès futur que votre institution peut escompter après les vingt-cinq années de services qu’elle a rendus. Je ne suis, pour ma part, nullement inquiet de ce que l’avenir vous réserve. Votre [Silver Jubilee] vous fournit une excellente occasion de mesurer le trajet parcouru et de constater, par vous-mêmes, la dimension des progrès accomplis. Le dynamisme et l’esprit de création dont votre institution a fait preuve depuis qu’elle existe constituent, à toutes fins utiles, la meilleure garantie possible par rapport aux années qui viennent. Sir George Williams University a toujours su non seulement s’adapter aux conditions toujours changeantes de la vie moderne, mais aussi les prévoir. C’est ainsi, par exemple, que par les cours nombreux qu’elle donne le soir, elle a pu procurer une précieuse formation à des centaines de personnes que l’on retrouve maintenant à des postes administratifs responsables dans les maisons de finances, les industries et les établissements commerciaux de notre province. Sans votre institution, toutes ces personnes, tant de langue anglaise que de langue française, n’auraient peut-être pas pu apporter une contribution aussi valable que celle qu’elles fournissent maintenant à la vie économique et financière du Québec. Presque tous vos diplômés, et leur nombre dépasse 5000 , demeurent et travaillent dans la province. Il est facile, dès lors, même sans faire d’étude statistique poussée, de voir le rôle important qu’a pu jouer Sir George Williams dans l’évolution du Québec au cours des dernières années et de comprendre pourquoi la communauté l’a, dans le passé et encore aujourd’hui, soutenue avec autant de conviction. Par l’expérience qu’elle a faite d’un type d’enseignement nouveau, votre université a répondu à un grand besoin et a permis aux autres maisons d’éducation de poursuivre des expériences similaires pour d’autres groupes de notre population et souvent en d’autres domaines. En continuant son expansion, elle pourra multiplier ses services et les rendre disponibles à un plus grand nombre de nos concitoyens.

Je dirais que votre Alma Mater participe, à sa façon et dans le secteur, qui lui est propre, à l’immense oeuvre qu’a entreprise le gouvernement de la province dans le domaine de l’éducation. Cette oeuvre, vous la connaissez déjà dans ses, grandes lignes et je ne voudrais pas ce soir revenir trop longuement sur un sujet avec lequel vous êtes sans doute familiers. Il n’en reste pas moins, toutefois, que l’éducation suscite tellement d’intérêt chez nous que je ne puis m’empêcher, surtout devant un auditoire comme le vôtre,

de vous soumettre quelques-unes de mes réflexions sur la question. Je ne m’étendrai pas sur l’importance que revêt l’éducation pour notre peuple, car je crois que tout le monde en est convaincu. Si j’en juge par les nombreux témoignages que nous recevons, les citoyens du Québec appuient avec enthousiasme la politique mise de l’avant par le gouvernement dans ce domaine vital. Ils comprennent tous les avantages qu’ils en retireront et regrettent que les réformes que nous proposons n’aient pas été élaborées il y a déjà quelques années. La première idée qui vient à l’esprit d’un ministre des Finances, occupation qui est loin d’être une sinécure, notamment à quelques jours de la présentation du discours du budget, est le coût énorme que représente une politique d’éducation qui se veut complète et conforme aux besoins. Nous avons, en cette matière, des retards considérables à combler et, comme dans n’importe quel secteur d’activités où il faut exercer un effort intense, c’est à la génération présente qu’il revient de donner le coup de barre que la situation exige.

Au cours de l’exercice financier qui vient de commencer, le ministère de la Jeunesse et le Département de l’Instruction publique, à eux seuls, consacreront une somme totale de plus de $303000000 à des fins d’éducation. Sont inclus dans cette somme, les quelque $35000000 réservés aux investissements des universités. De fait, cependant, les montants réservés à ce poste dans le budget de la province pour 1962-63 sont encore plus élevés que ce chiffre impressionnant en lui-même. En effet, d’autres ministères, par exemple ceux de l’Agriculture, des Pêcheries, du Travail, des Terres et Forêts, etc., dépensent à des fins semblables dos sommes importantes qui ne sont pas incluses dans les $303000000 que je viens de mentionner. C’est donc dire que l’éducation, de quelque type qu’elle soit, constitue le plus important poste du budget du gouvernement.

Nous ne sommes pas étonnés qu’il en soit ainsi, Au contraire, nous le désirons, car, dans l’ordre des priorités que le gouvernement doit établir devant toutes les tâches qu’il a à assumer, l’éducation occupe nettement la première place. C’est de ce côté, croyons-nous, qu’il nous faut, d’abord et avant tout, fournir le plus d’efforts. L’éducation, en effet, est pré requise à la réalisation de tout autre objectif. Il est impossible, par exemple, de songer à accélérer le progrès économique si nos citoyens ne sont pas préparés à soutenir ce progrès et à occuper les emplois nouveaux et spécialisés qui seront inévitablement créés. Le bien-être social est aussi une de nos importantes préoccupations, mais la politique de bien-être la plus sensée n’est-elle pas justement de donner à la population les moyens de s’assurer elle-même un niveau de vie et de culture convenable? Or, elle ne peut y réussir que par l’éducation. De cela, semble-t-il, tout le monde est convaincu.

Est-ce à dire, toutefois, que la somme sans précédent de $303000000 est suffisante dans les circonstances actuelles? Il serait fort erroné de le croire, car ce montant n’est, en réalité, que le minimum nécessaire au maintien de la politique de longue haleine adoptée par le gouvernement de la province. Il ne vaut que pour 1962-63 et il est possible que, l’an prochain il soit encore plus élevé. On peut s’étonner et même s’inquiéter de la hausse remarquable des dépenses qui se produisent dans ce domaine, mais lorsqu’on s’arrête à mesurer l’acuité des besoins qu’il

faut absolument satisfaire, car ils sont essentiels et primordiaux, on est vite convaincu qu’il ne peut en être autrement.

Il faut non seulement construire des édifices scolaires, agrandir les universités, équiper les laboratoires, créer des centres de recherche ou améliorer ceux qui existent, mais aussi accorder une attention toute particulière à la formation du personnel enseignant à tous les niveaux et attirer vers la profession d’éducateur les jeunes qui peuvent y employer leur talent à l’avantage de tous. Il faut, de plus, donner à tous les jeunes la chance égale de bénéficier, s’ils en sont aptes, d’un enseignement approprié à leurs goûts et aux besoins de notre communauté.

En effet, notre objectif est double: donner à tous les citoyens La possibilité de recevoir un niveau d’éducation correspondant à ses aptitudes et rendre notre système d’éducation le plus complet et le plus possible conforme aux nécessités.

Je n’ai pas besoin de vous dire que personne ne s’attend à ce qu’un tel objectif puisse être atteint rapidement. Il nous faut tout de même commencer dès maintenant à franchir les premières étapes d’une marche en avant qui sera longue, mais qui rapportera vite des fruits. Déjà depuis un peu plus d’un an, les progrès dans le secteur de l’éducation ont été très marquée. Ce qui est remarquable, c’est que l’amélioration s’est produite non seulement dans la législation proprement dite, mais aussi dans notre mentalité collective. Je veux dire par là que notre population n’a plus, au sujet de l’éducation, le même comportement qu’avant. Elle est maintenant imbue de son importance et a transformé l’éducation en sujet de discussions quotidiennes. Je trouve personnellement que cette attitude est très saine, car il est excellent, en démocratie, que les citoyens s’intéressent de près à une question aussi vitale et aux problèmes qui la touchent. Naturellement, tous ne peuvent être des experts en cette matière, mais tous ont des raisons profondes, comme parents, comme contribuables ou comme étudiants, de suivre avec attention son évolution.

On a aussi compris – et c’est cela à mon sens qui est le plus nouveau – que l’instruction n’est pas une marchandise que peuvent se procurer seulement ceux dont les ressources financières permettent de l’acheter. En somme, l’instruction, à cause de sa nature, n’est pas un produit qu’on peut laisser au libre jeu du marché. Elle n’est pas non plus un privilège dont on doit réserver la jouissance à un petit groupe d’élus, comme ce fut le cas pendant trop longtemps, et pas seulement dans notre province. Je dirais même à ce propos que notre philosophie actuelle de l’éducation nous situe à l’avant-garde des nations évoluées; nous avons franchi en quelques mois un espace historique énorme et nous nous préparons maintenant à nous donner les instruments qui nous permettront d’atteindre les objectifs nouveaux que notre peuple s’est fixés.

Le gouvernement, on l’imagine bien, ne peut demeurer indifférent et à l’écart de toutes ces préoccupations. D’ailleurs, il serait mal venu de le faire puisqu’il est, en bonne partie, responsable de l’état d’esprit nouveau qui règne maintenant chez nous. Il jouera donc, à ce sujet, le rôle qui lui revient et qui, parfois, l’obligera même à prendre l’initiative des réformes à être effectuées. Car si, avant tout, la fonction du gouvernement est de soutenir, coordonner et même diriger les efforts des groupements privés, il peut fort bien arriver que, dans certains domaines, notamment celui de l’éducation, l’action à entreprendre dépasse nettement les possibilités du secteur privé. Alors, en toute logique et conformément à son rôle primordial, qu’est la sauvegarde du bien commun, il lui appartient d’agir. Mais, s’il doit agir, il est essentiel qu’il le fasse en pleine connaissance de cause, selon un plan d’ensemble conçu en tenant compte de toutes les valeurs qu’il lui faut protéger, de tous les problèmes que son action peut susciter et de tous les buts dont il doit rechercher et faciliter la réalisation. C’est pourquoi – on s’en doute bien – le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger attache une aussi grande importance au travail qu’accomplit actuellement la Commission Royale d’Enquête sur l’Enseignement. Il sait que, de cette enquête, pourront provenir des recommandations susceptibles d’influencer profondément le développement futur de l’éducation au Québec. Il sait que la population de la province en retirera un énorme bénéfice.

J’ai dit, il y a un instant, que nous poursuivions un double objectif: éducation accessible à tous, indépendamment de la situation financière de l’étudiant, et enseignement le mieux adapté possible à nos besoins. On comprend facilement que l’application d’une politique nouvelle fondée sur de tels objectifs apportera inévitablement des modifications à notre système d’éducation; mais comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, à la Chambre ou en public, noue n’avons nullement l’intention de tout détruire et de recommencer à zéro; ce serait là une façon de procéder tout à fait irréaliste.

Nous nous rendons bien compte toutefois que n’importe quel changement, si minime soit-il, à des comportements ou des modes d’agir auxquels toute une population a fini par s’habituer, provoque inévitablement des difficultés passagères. Ce changement vient en quelque sorte troubler un ordre existant, même si l’ordre existant est devenu inacceptable pour quelque raison que ce soit, même s’il a grand besoin d’être réformé et même si l’ensemble de la population reconnaît l’urgence des améliorations à faire. La nature humaine est ainsi faite qu’elle voudrait qu’à une situation imparfaite succède immédiatement, dès qu’on applique des réformes, une situation parfaite. Or, cela est complètement impossible car, si nous sommes réalistes, nous devons reconnaître que les institutions humaines, si bonnes soient-elles, ne peuvent être parfaites. De fait, ce que les citoyens doivent rechercher, ce que le gouvernement doit s’efforcer de créer, c’est une amélioration, la plus grande possible, aux conditions antérieures. Cela est vrai dans le domaine de l’éducation; cela l’est aussi dans tout autre secteur d’activités. Dans le Québec, nous avons déjà commencé, là où il fallait agir sans délai, à mettre en application certaines réformes urgentes; au début, comme nous nous y attendions, il s’est produit une certaine période d’adaptation. Puis, avec le temps et à mesure que le public comprenait mieux la portée et le sens de ces réformes, les changements voulus ont fini par faire partie du comportement habituel de la population. On s’y est, en somme, habitué et on les a appréciés pleinement. Ce phénomène n’est pas propre au domaine de l’éducation; on le retrouve aussi, par exemple, dans le cas de l’assurance-hospitalisation dont actuellement la population est nettement satisfaite.

Le gouvernement est donc décidé, comme le désire le peuple du Québec, à aller de l’avant. Pour les raisons que je viens de vous donner, nous savons qu’en adoptant l’attitude dynamique qui est la nôtre nous nous rendons la vie moins aisée que si nous étions guidés par un conservatisme qui n’est désormais plus de mise, pas plus en matière d’éducation, qu’en matière de santé, de bien-être ou de développement économique. Je pense bien que nous avons, à date, donné plusieurs preuves de l’esprit nouveau qui nous anime et qui anime également tous les Québécois. Ce que je vous ai dit de l’éducation n’est qu’un aspect – un important aspect cependant – du type d’action que nous entendons poursuivre. Nous croyons qu’en agissant comme nous le faisons, avec toute la bonne volonté que nous pouvons y mettre, nous saurons répondre à l’attente de notre population et que nous pourrons, dans la mesure du possible, réaliser les espoirs de tous les citoyens de notre province qui ont bien voulu nous faire confiance. C’est là notre objectif ultime et c’est à la réalisation de cette tâche que, depuis bientôt deux ans, nous employons toute l’énergie dont nous sommes capables. Et nous sommes d’autant plus heureux d’accomplir notre devoir que nous nous sentons appuyés et aidés par le peuple du Québec dans l’entreprise si difficile, mais si exaltante, qu’est la rénovation économique, sociale et politique de notre province.

[QLESG19620425]

[Conseil des Pêcheries du Canada

Québec. le 25 avril 1962 Pour publication après 1:00 hre p.m.

Hon. Jean Lesage, Premier ministre le 25 avril 1962]

[I would like, first of ail, to bid you welcome to the capital of oUr province, and to cohgratulate you on having,chosen Quebec City as the site of the seventeenth arinual meeting of the Fisheries Council of Canada. As Prime Minister, and as a resident of the City of Quebec, I am indeed happy to welcome you here, and I have no doubt that your discussions will be crowned with succesa.]

J’ai pris connaissance de votre programme de travail pour les jours qui viennent. J’y ai remarqué un souci évident de couvrir tous les aspects importants de l’industrie qui vous intéresse et d’examiner toutes les solutions possibles aux problèmes auxquels celle-ci fait face.

[As you know, several of these problems result from the fact that our countryes economy has been developing at an extremely rapid pace for the last few years. I am not an expert in the domain of maritime fisheries, and I would prefer to leave the question of discussing technical problems with you to someone sise. Nevertheless, it seems to me that the fishing industry has three important problems to solve, amongst others: the modernization of its equipment, the finding of steady markets and conservation.

If I speak of the modernization of equipment, it is not because this equipment is defective or that it dose not suffice for present needs. I only mean to say that insofar as the fishing industry ia concerned, perhaps more than for any other industry, it is necessary to improve constantly the methods of production and processing. Ail in ail, the fishing industry muet be in a Étate of perpetual evolution. Our country is one of the world’s greatest providers of sea food, and furthermore the beginning of our history is intimately linked with the fishing industry. Today, however,

it muet face competition from many other nations and even from certain ones which corne and fish in the proximity of our shores. These nations produce for their own consumption and also with a view to selling their catchez to other countries. As Canada exporta about two thirds of the production of its fishing industry and also has the United States as its best customer, competition in the international market becomes a serious problem. For this reason, the fishing industry muet put forth a serious effort in this quarter, for example by finding new markets, by increasing sales in those markets which it

already has, and by encouraging a greater consumption of sea food by the citizena of our own country.

As for cnnservation, we must remember that even if the sea ia an important source of wealth and necessary products, it is

• not, however, in inexhaustible one. In this aphere, as in the case of any other renewable resource, it is important to rationalize production and to start thinking of protecting the future now; because abuses, in spite of passing gains, always endanger the industry which is guilty of them.

It is not for me to tell you how to reach these objectives; I know that you are exerting yourselves energètically con

9b oerning them, and that you will discuss them during your present meeting. Following your studies and meetings, you will certainly find a basis for the solution of these problems. Your Fisheries Council, made up as it is of fishermen’s associations, producers,

The questiors which I have just mentioned concern the ceuntry as a whole, but they also concern Quebec. I will net go so far as to claim that we have found answers to them and that you vill learn, during this convention, how the reat of Canada shouid selve them by following what we are doing here at home. We are, hewever, very conscious of them and the Government has already adopted certain measures which, we think, will greatly improve the lot of the fishermen and which will also encourage production in their industry.

You probably know that Quebec is the only Canadian province which administers its own maritime fisheries, and this since 1922. This is the reason why our Department of Game and Fisheries has spread out and now is involved in so many different activities. I will not give you a -description of its whole organization – I will only point out that it has helped the province’s fishermen to modernize their equipment and that it has increased the trade and consumption of fish and other sea produce by educational and advertising campaigne in newspapers and magazines.

Government interest has assisted greatly in the eensiderable progress made by the fishing industry over the part few years. For a long time, this industry was a family or local type of business which consisted, for the most part, of coastal fishing. However, this type of fishing gradually came to an end because less profitable, and it became necessary to improve the fishing fleet in order to help the fishermen earn their living at their trade. At the came tune as the production aide was being improved, ancestral ways of preparing the fish for market were giving way to more modern methods. The demand for both fresh and frozen fish increased greatly and made the provision of modern mechanized processing plants a necessity at the principal unloading points in Gaspé, on the North Shore, and in the Magdalen Islands.

Co-operative enterprise, while increasing the

standard of living of the fishermen, has aise rendered great service in the processing and marketing of Quebec production. It has

made for

the rationalization of production, the stabilization of the markets and the establishing of commercial connections both in Quebec and Canada as well as with foreign countries.

However, in order to understand the way in which Quebecers look at the fishing industry, it muet be placed within a larger framework.

You are aware of the Tact that the citizens of Quebec are now vert’ wide awake concerning the development of their natural resources. In this development is mirrored their economic progress and the gusrantee of a brilliant future. Natural resouroes, never

• theless, do not consist only of hydroelectric power and mines, as we are sometimes inclined to think; they also include fishing and everything that goes with it. This is why the Government has, in this field as in all other fields, put forth a very etrong effort during the part year. In addition to the subsidies granted for the modernization of the fishing industry or for the construction of small fishing boats, we have increased the Maritime Credit services to help coastal fishermen; in the case of loans made by

• the Department of Game and Fisheries, the Government reimburses 4% interest and assumes the total cost of the loan insurance. In this way, the borrower has very little interest to pay and can use the amounts advanced to him to improve his equipment. The initial distributors and exportera, can pool their

experience and their individual knowledge, and, in this way, promote the interests of the Canadian fishing industry. amount which he must provide to obtain a modern boat has been reduced from 200 to 10%, and the premium for the insurance on these

• bats ia now also entirely paid by the Government. It is still toc early to know the exact results of this new policy, but up to now they have been very encouraging.

I should mention at this point, the putting into service, in 1961, of a new type of steel trawler, the tiret of its kind in the province. It has a hold capacity of 100000 pounds of fish. While it ia etill only undergoing its trials, the firet fishing

Ob experiments made with it have been conclusive, and we anticipate that twelve similar boats will be built in 1962. The Government will help in financing their construction.

I would also like to say a few words about sport fishing fer which our province is so renowned. One of our firet tasks in thia connection has been to follow a policy of making the many and

• widespread lakes and rivers of our province accessible to the whole population, and not just to those who have wealth. To do this, we have to reduce the number of so called « private » lakes and build accesa roads by which it will be easier to reach them. We believe that all classes of the population should be able to benefit from the abundant resources with which nature has endowed us. We should. be able, in the near future, to provide for the ever increasing demanda of our Quebecers.

We have also decided to put an end to the selfish squandering of a resource which belongs to the whole population of Quebec. Our corps of fish-wardens is now better trained and we are sure that it will greatly reduce the abuses and even the ruin of certain water courses which have been the victime of too much fishing.

These are but a few examples of the overall policy which the provincial administration intends to set up in Quebec, in the fishing industry as well as in other spheres of activity. -Our needs romain enormous and it is net humanly possible to do everything at once. We will net relax our efforts, but we muet be realistic and face the Tact that we cannot make an accumulation of problems of all kinds disappoar in a few month.]

On a souvent dit que le mode de vie du pêcheur ressemblait un peu à celui de l’agriculteur. En effet, tout comme le travailleur de la terre, le travailleur de la mer ne peut, dans un pays comme le Canada, exercer son activité à longueur d’année. Il doit nécessairement ralentir et même arrêter complètement ses opérations à certaines périodes. I1 en a toujours été ainsi, mais le progrès technique a permis à la production de croître sans cesse, sans qu’il soit pour autant nécessaire, pour le pêcheur ou l’agriculteur, de travailler davantage.

Pendant ses périodes d’arrêt de travail, le pêcheur s’est habitué, souvent par nécessité, à recourir à un emploi secondaire qui lui permet d’augmenter ses revenus et d’obtenir un meilleur niveau de vie. Je pense par exemple aux emplois occasionnels dans l’agriculture, l’industrie de la construction ou celle du déchargement de bateaux. Tel n’est pas le cas de tous les pêcheurs mais c’est celui d’un assez grand nombre pour qu’il vaille la peine de s’y intéresser.

À cause des facteurs en présence, personne ne peut croire que le gouvernement soit capable de résoudre entièrement le problème et d’assurer au pêcheur une stabilité parfaite d’emploi et de rémunération. Toutefois, la législation nouvelle, dont je pariais il y a un instant, atténuera certainement le problème presque séculaire de ce groupe de citoyens, tout en permettant une production plus considérable. Les facilités de financement des bateaux et de l’équipement en général visent justement à aider le petit producteur, celui en somme qui est le plus sujet aux incertitudes du marché et de la température.

Le pêcheur doit aussi compter sur lui-même et sur les associations dont il est membre. J’ai parlé, à ce propos, du rôle social essentiel et remarquable joué par les coopératives et je croie que celui-ci peut et doit continuer à s’exercer. Je suis aussi d’avis qu’un organisme comme le vôtre, le « Conseil des Pêcheries du Canada », a une action importante à exercer. Je n’insiste pas sur la nature de ce rôle, car je me rends bien compte que vous en saisissez pleinement tous les aspects.

[In closing, I would like te give you a thought which

ften cornes into my mind.

At the present time we hear a great deal about the

rapid inorease in the world population. We even wonder hew human

ingenuity will manage te ensure the feeding of future generati•ns.

Some people suggest sowing the ocean beds, fertilizing the deserts,

colonizing the planets, etc. And yet, fishing, which is the eldest

• of ail occupations, has net been overtaken

by avents.

It still off ers man an important part of hia diet, and there is nothing ti prevent us frais thinking that this rôle

can beeome even greater if, te the vert’ necessary renewing of equipment, there ia added a sensible conservation policy. I know that you are looking into this question, and that over and above the immédiate problems that you must solve, you will net loose sight of thia longer term pr.blem. In this way, you are doing your part in your particular field and with the means at your disposai, net only te impreve the quality nf the service which you provide for your fellow ceuntryman, but also te provide Canadians and citizens of other countries who depend on Canada for the food that they need. In your own way, you are contributing te the serieus problem which the feeding of an ever growing humanity has now become, and which might prove te be alarming as time goes on.

Thus, though momentarily forgotten because of technical progreas, partie ularly from the time of the industriel revolution te the era of automation, a primary industry – I ehould say a « primordial » industry – such as fishing has now corne back te being front page news. Through your vigilance and dynamism, you will give it back the place it should have among the great modern industries.]

[QLESG19620428]

[Inauguration de l’immeuble de la C-I-L Montréal. le 28 avril 1962, Pour publication aprbe 3:00 hres p.m.

Hon. Jean Lesage, Premier ministre Le 28 avril

1962]

Nous sommes aujourd’hui les témoins d’un événement depuis longtemps préparé dans ses moindres détails, d’un événement qui devait être – et qui est, en fait – un exemple concret de la valeur de l’effort planifié des hommes.

Ceux qui sont ici appartiennent à deux groupes. Le premier est celui des réalisateurs remplis d’un légitime orgueil devant une réussite qu’il faut bien qualifier de sensationnelle. Le second est composé de tous ceux qui sont conquis par l’admiration qu’inspire cette réussite.

Il serait impossible de rendre hommage à tous ceux pour qui ce jour représente le point culminant de plusieurs années d’un travail soigneusement ordonné dans ses moindres détails. Depuis le germe du projet jusqu’à son parachèvement, qui pourra rendre compte des tâches énormes qui ont été accomplies par une armée plus énorme encore? Je ne puis qu’englober tout le monde dans des félicitations enthousiastes qui s’adressent à ceux qui ont conçu le plan et à tous ceux qui l’ont exécuté. L’utilisation judicieuse des matériaux les plus modernes a permis de créer une oeuvre architecturale dont la simplicité fonctionnelle est une beauté en soi. Vu dans l’ensemble des lignes qu’il projette dans le ciel de la métropole, cet immeuble à la fois riche et dépouillé semble un monument élevé à la conception antique que tout ce qui est inutile est mauvais et que tout ce qui peut s’enlever, doit s’enlever. Ce qui prouve que la beauté de l’antiquité classique et la beauté moderne peuvent, tout en différant radicalement en apparence, obéir intérieurement à une même loi où se rencontrent tous les arts, la fameuse loi si sage du « rien de trop ».

Mais, transcendant la réussite matérielle et la réussite artistique, je vois ici plus qu’une masse, – si bien organisée soit-elle – de matériaux, je vois plus que le triomphe de la beauté fonctionnelle. Dans ce monument – car c’en est un – dans ce monument qui fera partie de l’histoire de Montréal et qui prouvera que cette ville a fait plus que marcher avec le progrès et qu’elle lui a servi de guide, d’éclaireur et d’avant-garde, dans ce monument, dis-je, je vois un symbole de notre marche en avant et l’une des plus belles preuves de confiance dans l’avenir de notre vie économique. De quoi – sans faux mysticisme – cet immeuble est-il fait? Beaucoup plus que de matériaux, il est fait de la certitude que Montréal et la province de Québec sont des endroits où il fera encore bon de vivre dans l’avenir!

Le geste des constructeurs et ce dernier mot inclut tous ceux qui ont collaboré à cette réussite d’envergure, le geste des constructeurs dépasse la matière, il devient la signature d’un contrat avec l’avenir, d’un contrat que seuls peuvent signer ceux qui sont profondément convaincus de la santé économique du milieu où ils vivent.

Même si je puis leur dire que leur confiance est entièrement justifiée, je ne veux pas que leur victoire d’aujourd’hui, leur certitude d’avoir eu raison depuis si longtemps, leur enlève la moindre parcelle du mérite d’avoir eu foi sans cesse au succès. Les hommes qui ont fait prospérer leur nation ont toujours été, partout et toujours, ceux dont la confiance en l’avenir était inébranlable. Leur courage les a fait triompher de tous les obstacles et leur vision claire leur a toujours fait considérer l’avenir comme le lieu d’élection de leurs rêves. Je pense à la prière du philosophe chinois qui répétait tous les jours: Faites que je vois aujourd’hui avec les yeux de demain. Voilà donc achevé le cadre que vous avez créé. Je souhaite qu’il n’y règne que le succès et la prospérité; j’espère que toutes les entreprises qui s’installeront ici seront comme un échantillonnage, un prélèvement réconfortant de la situation générale de l’économie de la province. Nous nous efforçons de l’administrer avec la même confiance, la même vision de l’avenir dont ont fait preuve ceux qui ont construit cet immeuble. Nous savons que seule une politique de dynamisme confiant peut permettre à notre province de réaliser entièrement les possibilités latentes qui sont depuis longtemps les siennes. Pas plus que dans les affaires que la plupart d’entre vous dirigez, le gouvernement n’a le droit de se laisser imposer le rythme de ses activités. Gouverner, ce n’est pas assister en spectateur au développement de l’État, pas plus qu’administrer une entreprise ne consiste à se laisser ballotter par les circonstances. Gouverner, – le mot le dit – c’est être au gouvernail. Et quand un bateau n’a pas d’autre ambition que de demeurer à l’ancre, il n’a pas besoin de gouvernail. Avancer, progresser est une loi naturelle, et ce n’est pas dans l’inaction que l’on entre dans l’avenir

Je vous félicite tous d’avoir si bien compris cette loi. Nul ne peut vous approuver plus sincèrement que celui qui s’est efforcé dans son récent discours du budget de prouver que c’est ruiner demain que de ne vivre que pour aujourd’hui. On suffoque, on se sent perdu quand on n’a pas la sensation d’avancer. Et pour avancer, il faut tout mettre au service de l’avenir, y compris l’instrument financier qui doit rendre demain meilleur.

Voilà pourquoi, entre hommes qui ont en quelque sorte posé des gestes identiques, entre hommes qui, chacun dans sa sphère, sont résolus à ne se laisser distancer en rien, voilà pourquoi c’est avec une immense satisfaction que je dédie cet immeuble à l’esprit d’entreprise.

Puisse un tel esprit régner dans tous les milieux de notre peuple, et c’est ainsi que nous pourrons tous nous pencher avec respect sur un passé admirable, mais surtout retrousser nos manches devant un avenir rempli de promesses plus admirables encore! [QLESG19620519]

[Congrès des Chevaliers de Colomb de la province de Québec, Québec, le 19 mai 1962 Jean Lesage, Premier ministre le e 19 mai 1962]

Je cherchais, depuis une couple de jours, les mots qui me rendraient digne de répondre ce soir à la santé de la province. Une citation obsédait mon esprit. Est-elle littéralement exacte?

Je ne saurais le dire. Je me rappelle seulement qu’elle est de Tacite et qu’elle doit se trouver dans Vie d’Agricola.

En passant, inutile de vous dire que le merveilleux reconstituant moral et intellectuel qu’est la lecture est mesuré avec parcimonie à un premier ministre qui, la plupart du temps, est plongé dans des mémoires et des rapports d’une épaisseur parfois terrifiante. Il en est forcément réduit à la portion congrue, à ce minimum vital sans lequel on ne peut être vraiment et complètement un homme. Mais si, par la radio ou le journal, un jeune étudiant apprend mon triste sort de frustré de la lecture, qu’il profite de la leçon et se hâte, dès aujourd’hui, de mettre les bouchées doubles en s’efforçant d’emmagasiner tout ce qu’il pourra. Et, surtout, qu’il n’aille pas hausser les épaules en disant qu’il ne risque pas de devenir premier ministre. Je vous assure en toute connaissance de cause qu’on ne sait jamais ce qui peut nous arriver!

La citation dont je parlais est à peu près la suivantes : Pressé par l’ennemi, un patriote ne me demandez pas son nom – encourage ses soldats par un cri sublime qui termine sa harangue. Pensez, dit-il, à la fois à vos ancêtres et à vos descendants. À ses ancêtres … à ses descendants. » Car un homme ne vit pas que sa propre vie. Elle ne le contient pas tout entier. Entre les divers âges d’une nation, il y a comme une interdépendance qui les transcende et les relie. Entre les ancêtres qu’il vénère et les descendants dont il veut préparer le bonheur, l’homme éprouve la fierté d’être un anneau essentiel. Il sait qu’il ne vit pas seulement pour lui et pour son épouse, qu’il est associé à la fois à la grandeur du passé et à celle de l’avenir. Cette intuition donne un sens à sa vie et un rôle à sa volonté en lui enseignant que, « spectateur éphémère d’un spectacle infini », il ne doit pas se borner à admirer les faite glorieux de l’histoire et croire que l’avenir sera beau parce que le passé l’a été.

Le patriotisme est facile quand il se borne à demeurer un sentiment – si sincère soit-il mais il est exigeant et impérieux quand il faut le transformer en actes, en attitude positive devant les problèmes de l’heure, tout en méprisant les solutions de facilité. Fils de pionniers courageux, nous devons à notre tour être les pionniers courageux de l’avenir.

Chaque fois que l’on étudie la vie d’un homme qui a laissé sa signature dans l’histoire, on se rend compte qu’il a su discerner dans la situation parfois confuse de son époque les conséquences morales qui s’en dégageaient. Malgré le bruit – parfois assourdissant – des événements quotidiens, il a su prêter l’oreille aux solutions même austères que lui dictait la voix de sa conscience.

Être patriote, ce n’est pas marcher derrière une musique en bombant le torse … ce n’est pas agiter un drapeau pendant quelques minutes pour retourner ensuite à des préoccupations mesquines … ce n’est pas présenter une motion à la Chambre pour parler de la noblesse de ses sentiments à peu près comme Tartuffe parle de son cilice et de sa discipline. Être patriote, c’est beaucoup moins théâtral mais combien plus difficile, car le patriotisme exige les trois vertus cardinales: la foi en la nation, l’espérance en son avenir, et, surtout, oui surtout, la charité envers tous, la charité non pas seulement pour le groupe social, professionnel ou même géographique auquel des intérêts peuvent nous lier, mais la charité qui va même au delà de sa génération afin de préparer le bonheur de celles qui lui succéderont.

Un patriote croit à ce qui unit autant dans le temps que dans l’espace et non à ce qui divise. Il croit que la stabilité de la nation dépend du bonheur du plus grand nombre et non de la sauvegarde dangereuse de certains privilèges aux dépens de la paix sociale de demain. L’homme n’est pas au service d’un système, ce sont les systèmes qui doivent docilement, souplement s’adapter à sa dignité et à son idéal.

L’idéal est l’espérance, et même l’anticipation, de l’ordre; le refus d’accepter avec veulerie l’imperfection du présent comme une chose définitive et un mal incurable. L’idéal, c’est le ferment de l’avenir, semblable au levain de la parabole. L’idéal, c’est le zénith qui est à l’antipode du pharisaïsme économique et social, du pharisaïsme repu que satisfait un « statu quo » avantageux pour ses intérêts particuliers … un « statu quo » dont parfois s’accommodent ceux-là mêmes qui en souffrent mais qui, par peur de la marche en avant et de l’inconnu, préfèrent une inertie qui n’inquiète pas leurs préjugés.

Racine nous dit que les « détestables flatteurs sont le présent le plus funeste que puisse faire aux rois la colère céleste ». Mais on ne flatte pas que les rois. Et ceux que les « patriotes professionnels » savent le mieux flatter sont les gens à courte vue, les myopes de l’économique dont le regard n’a pas la puissance de se porter sur l’avenir.

« Ne songer qu’à soi et au présent, source d’erreur dans la politique », écrivait la Bruyère. Combien mieux inspirée, je crois, est la sagesse généreuse du patriotisme lorsqu’elle n’a pas peur d’un sacrifice d’aujourd’hui, qui non seulement évitera d’en accomplir un plus grand demain mais qui rendra demain meilleur. Chaque bloc de marbre contient en puissance une sculpture d’art, à condition qu’il se trouve un artiste qui entretienne un rêve dans son coeur.

Ce que le sculpteur est au marbre, le patriote l’est au pays. Il en sculptera la destinée, sans tenir compte des obstacles dressés par ceux qui préféreraient voir le bloc demeurer informe. Pour un peu, ces derniers l’enfouiraient dans la terre, comme le talent de la parabole, afin d’être bien sûrs de n’avoir pas de décision à prendre. Mais ils ne savent pas que les mesures les plus faciles en théorie sont les plus compliquées dans leurs conséquences imprévisibles, car l’inaction finit toujours par rendre une situation intenable et rien ne complique davantage la tâche de demain que la désertion d’aujourd’hui.

Le diable n’a besoin que de la neutralité des honnêtes gens: il se satisfait de l’inaction qui est sa plus précieuse alliée. Notre devoir est donc de résister à la tentation de laisser l’avenir s’édifier de lui-même, se façonner au gré des circonstances sociales et économiques.

Plaignons ceux qui ont érigé leur indifférence en système et qui n’aspirent qu’à ressembler à leur portrait d’hier qui croient que « charité bien ordonnée » commence – et surtout finit – par sa seule époque. Oui, plaignons-les: il doit faire bien froid dans leur âme.

Contre les penseurs négatifs, dressons-nous en partisans du progrès. Vous avez entendu avant moi le représentant de l’Église et le représentant de Sa Majesté. Même la gardienne de la vérité immuable évolue … même la monarchie évolue. Devant des exemples venant de si haut pouvons-nous rester insensibles? Tout nous enseigne que nous devons marcher sans hésitation vers un but qui, je le reconnais, ne sera jamais atteint, mais qui au moins s’embellit d’une étape à l’autre. Notre mérite sera d’avoir accompli notre destin qui est, non pas d’atteindre un idéal, mais de marcher courageusement vers lui.

[QLESG19620527]

[Doctorat d’honneur de l’Université d’Ottawa Dimanche le 27 mai, 1962, Pour publication après 3s00 hres P.M. Hon. Jean Lesage. Premier Ministre le 27 mai 1962]

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier bien sincèrement du grand honneur que vous me faites en me conférant ce doctorat « honoris causa ». J’y vois plus qu’une marque personnelle d’estime, car si c’est le Premier ministre du Québec qui reçoit ce doctorat, c’est, j’en suis certain, à toute la population de la province qu’il lui appartient d’en transmettre le sens.

Je ne saurais en effet accepter pour moi seul un honneur dont il ne m’aurait pas été possible d’être l’objet si nous n’avions pu, mes collègues et moi-même, compter sur la bonne volonté, l’esprit de renouveau et le dynamisme

de la population du Québec.

[In Quebec, we have undertaken an immense task which requires the co-operation of every one of our people. This great task — I should say the enormous responsibility which we have undertaken, is nothing more than the preparation for a future which we want to be as brilliant as possible, and in which the abundant promises of today will be realized. At the present time, our people are devoting their energies, in one way and another, towards attain

• ing this goal, and Quebec, for perhaps the first time in its history, is beginning a forward movement from which it bas every reason to expect the most remarkable results.

This is the reason why, for exemple, the government of the province is devoting such a large part of its budget to every level of education. Our people are, in fact, convinced that it will be impossible for them to bring to a conclusion a real policy of national renovation, economic progress and intellectual development, unless our citizens are well prepared to assume the new obligations stemming from them. In our complex and highly specialized world, it is essential that our youth have at its disposai the means of obtaining the education, culture and development which they are still lacking, but which they have the right to obtain. Because youth is in itself a promise; it holds an enormous potential which it is the

• duty of ail Quebecers to develop. Consequently, we

cannot allow ourselves to loose the talents which have ail too often been left undeveloped amongst a community who should seek its strength in the quality of its members rather than in their number.

The saure thing applies to any nation. We are living in an era where the discovery of new techniques, the multiplication of means of communication and information, the size of public and private administration, the rapid development of cities and towns and many other factors tend to reduce the importance of the individual. By means of education and culture, this dehumanizing movement can be contained, because education and culture are the two things that can stabilize the human being by increasing his ability to think as well as his intellectual creativeness.

Under these circumstances, universities constitute, in their own way, one of the best pledges of security for the individuel. It is they which maintain and constantly increase the high level of knowledge in ail those spheres where the human mind devotes itself to study and research. It is the universities again which, without being subject to prejudices that are founded on the defence of particular interests, examine the world around us coldly and scientifically the better to understand it and

improve it. It is in the universities, finally, that freedom of research, no matter what this research is applied to, comes to its full fruition.]

Et les étudiants, ceux qui ont l’avantage de venir y puiser des connaissances, de venir y acquérir des techniques et des méthodes précises et éprouvées d’action et de pensée, de venir s’y préparer à affronter la vie et à jouer dans leur milieu un rôle positif, ceux-là sont vraiment privilégiés. L’Université – et je parle ici de l’institution universitaire en général l’Université leur a donné beaucoup- elle les a transformés, elle les a, dans le sens littéral du terme équipés d’outils intellectuels et leur a montré comment s’en servir.

Mais l’Université, c’est d’une certaine façon la société tout entière qui la supporte, directement ou indirectement. De ce fait, ceux qui ont eu l’avantage de la fréquenter, même s’ils ont dû y investir de leur propre avoir, ont contracté une dette non seulement envers leur université, mais envers la communauté. En effet, même si les frais de scolarité peuvent paraître élevés, ils n’arrivent jamais à correspondre entièrement à la valeur réelle de l’éducation que les étudiants reçoivent en échange et qui les rend mieux préparés à faire leur chemin dans le monde que ceux de leurs jeunes concitoyens qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas bénéficié du même privilège.

Je dis que les étudiants ont contracté une dette envers la communauté, mais la dette dont je parle ne peut pas s’effacer, comme d’autres dettes, seulement par de l’argent. Les étudiants, les professionnels et les spécialistes de demain – et dans votre cas, il s’agit bien de demain peuvent s’en acquitter par les services qu’ils sont en mesure de rendre à leur communauté.

On vous a certainement parlé, à plusieurs reprises, de la conscience professionnelle, du sens du devoir, dont vous devez faire preuve. Je n’ai pas l’intention de m’y arrêter maintenant, mais je voudrais plutôt insister sur une autre forme de service, à laquelle on est moins porté à penser.

En effet, ce qui me frappe souvent dans la situation que j’occupe, c’est le manque de participation d’une certaine élite sociale et intellectuelle aux affaires de leur milieu. Il y a, de ce côté, une absence parfois déplorable de ceux qui, justement, seraient les plus capables, par leur formation et leurs connaissances, de faciliter le développement et le progrès tant du groupement immédiat auquel ils appartiennent que de leur communauté municipale, scolaire, provinciale ou même nationale. Je m’empresse immédiatement de dire qu’il n’y a pas seulement la vie politique – bien que celle-ci soit importante – où cette élite a un rôle évident à jouer; il y a aussi toutes les autres formes de la vie en société qui réclament l’apport inappréciable de leurs talents et de leur compétence.

Parce que nous vivons en régime démocratique, nous pouvons et nous devons améliorer constamment le mode de vie qui est le nôtre, car rien n’est jamais parfait. Une des façons de rendre notre démocratie plus réelle, plus complète et plus éclairée, réside justement dans cette participation accrue de ceux qui peuvent le plus y contribuer. Puissiez-vous, messieurs les finissants, toujours vous rappeler qu’une province et qu’un pays ne progressent que dans la mesure où leurs intellectuels, leurs professionnels et leurs spécialistes joignent leurs efforts à ceux des autres classes de la société dans la poursuite d’objectifs communs.

Et, à ce propos, le rôle que vous avez à assumer demain est immense. Toute la communauté compte sur vous et je sais que vous ne la décevrez pas. Il est un bonheur qu’il est important de connaître très tôt dans la vie, car il apporte avec lui une certitude tellement sereine que la volonté de l’homme, éclairée pour toujours, ne peut plus hésiter, ne peut plus fléchir. Je vous souhaite de découvrir très tôt le plus grand bonheur que l’homme puisse éprouver sur terre: servir de toute la force de ses dons l’humanité tout entière au sein de sa patrie.

[QLESG19620604]

[Canadien Manufacturera’ Association

Montreal. June 4, 196a Pour publication après 7300 hres p.m.

Hon. Jean Lesage. Prime Minister, le 4 juin 1962 ]

Il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue à la [Canadian Manufacturer Association] dans la province de Québec. Comme Premier ministre de cette province, je suis heureux que vous ayez choisi le Québec comme site de vos assises annuelles. Vous en êtes à votre 91e réunion générale et votre Association a au, depuis autant d’années, prendre une part très active au progrès industriel et commercial de notre pays.

Nous sommes aujourd’hui en 1962 et, même s’il est impossible de prédire l’avenir, personne ne doute que le Québec soit à la veille d’une expansion aussi notoire, sinon plus remarquable que celle dont a bénéficié notre pays de 1945 à 1957. Je ne manifeste pas en cela un optimisme exagéré auquel la réalité ne correspondrait pas; j’exprime tout simplement une constatation fondée sur l’ampleur des richesses que nous ne cessons de découvrir chez nous et sur le dynamisme d’une population, celle du Québec d’abord et aussi celle de tout notre pays, qui souhaite la mise en valeur de toutes ces ressources et qui s’apprête à prendre les moyens d’y arriver.

[It is not my intention to draw you a picture of the industrial possibilities of Quebec, starting with the naturai resources which our province has et its disposal. Even if we do not know the full extent of these resources, we are fully aware of their importance, and everyone else is aware of thia, not only in Quebec, but in the rest

• of Canada and in foreign countries as well. We also know that these resources are still inaufficiently developed and that they often exist in the form of huge reservea upon which we will be able to draw for years to coure.

But the naturel wealth which is found in our rivers, our soil, and underneath the ground is not sufficient to make a people wealthy. Something else is needed, and I believe that we in Quebec are

i finally on the way to obtaining it; it is a question of capital – not just — as we might be led to believe — of financial capital, but aise of human capital.

As far as financial capital is concerned, by which I mean those aums which we must invest in our commercial and industriel growth, we do not lack them oollectively in Quebec, but what each citizen of the province possesses individually cannot suffice to speed up the economic expansion to which the population of Quebec wants to devote a good part of its efforts. In this connection, the Government of Quebec vanta to be realistic. It has realized that it would have to bring together the available capital of individuals which vas spread all over the province, and direct it towards a common goal and into something from which the whole population could benefit.’ The Government knew that the great majority of the French-Canadian people who, for historical reasons that I will not dwell upon, were ûnaccustomed to investing their savings in more or less risky undertakinga, could nevertheless change their traditional behaviour on condition that they would have what would appear to them to be reasonable guarantees. This is the reason why the Government of Quebec will establish a General financing company in these next few days. The Government itself will take an active part in this company and will also invite those citizens of Quebec who wish to invest their money in an undertaking which will be likely to promote the economic expansion of our province, to do the same. Capital investments from Quebec institutions and £rom those outside the province will not only be accepted but will be welcomed. As a matter of fact, the Government of Quebec hopes that those to whom this capital belongs viii want to put some of it into the development 0

of thie huge territory called Quebec. At first, naturally, there will be no question of the General financing company plunging into any

risky

• projects; with time, and as its capital increases, it will become an essentially dynamic factor in Quebec’s progress.

As for human capital — which we are often inclined to forget, and this is regrettable from every point of view – the Government of Quebec has not neglected it. Through its constant efforts in matters of education, it ie preparing citizens who will be better equipped to carry out the taeks which the economy of the present day has a

• tendenoy to create. The Government knows that one of the best ways to fight unemployment ie to raies the educational level of the population as a whole. Today we

need competent specialists, technicians, and administratoxs. The Government which I have the honour to direct is aware of this – and is acting accordingly, because it is convinced that the éducation of the greatest possible number of citizens is an investment from which the whole community will profit. Thanks to the policy that we have adopted in this sphere, investors will be able to find the specialiste that they need right here at home. À noticeable improvement has already begun to be felt in this regard. Thinking along these same lines, we are increasing the fitness of Quebec’s population because of our policy in the sphere of social welfare and because of the steps which we have taken in the field of health. All the devisions taken, tied in with the increase

• in the level of education, will allow each citizen to develop completely as a human person, and will make him capable of taking a more active and efficient part in our economic and social life.

The brie£ description, I should say the very incomplete description which I have just given you of a few of the policies that

le the government has put into effect to cover urgent needs, has certainly caused several amongst you to wonder what part we intend to play from now on the economic and social life of the province. It is even possible that certain people are occasionally worried about present developmente, because they wonder which way we are going to turn.

In this connection, I would like to recall two things.

The firet is that in doing what it has dons, the government was only fulfilling the wishes which had been expressed for a long time by our population. We have only assumed the responsibilities which the people wanted us to assume. The second is that, in this matter, the position of the government which I represent has never deviated. I have stated it on many occasions, and some of you who are attending this present meeting have heard me say it. I wish, nevertheless, to come back to it briefly today, because I realize, just as everyone who is present here, that the problem is one which is widespread and also one to which we muet give

a great deal of thought.

In this respect, I am sure that there is one fact that everyone will admit: the present government wants to assume the role that it should play in the economic as well as ‘in the social sphere.

I mean it when I say, « the role that it should ylav », because I believe that this precieion is of capital importance if we want fully to understand the meaning and the extent of government action. Otherwise, there is the risk of confusion and misunderstanding.

It is often said that modern economy has become so complex and so interrelated that government, whichever one it may be, should direct the economy according to a plan set up by its experts. In my opinion, this is not quite correct. It is true that problems are not

• as simple as they were – let us say, a century ago but this dosa not necessarily mean that the government must unilaterally become the great planner of economic progress. It should, rather, and this is the point of view of the administration which I represent — it should take part in the economic life of the country, because of the services which it can render to the community as a whole, – but it should do this in coopération with private enterprise and not by imposing its views upon it

• in a dictatorial manner, In this way, economic progress becomes the result of joint action, and if the government

takes part in it, it is not because it is pursuing the illusionary and evil object of controlling all sectors of production, just for the cake of control and power, but because its presence and the special outlook that it has from its position give it a knowledge of events which allow it to render valuable service to its citizens, and to avoid problems that would otherwise unavoidably arise.

An example might perhaps make my point clearer. Everybody knows that the increased mechanization and automation in industry do help towards greater production. But this obvious advantage also has its bad points in the number of workers who are laid off because they do not have and cannot quickly acquire, the technical knowledge that would enable them to get a specialized job. Well, here is a difficulty

• which government can prevent or solve up to a point by providing the population with the required educational and technical training. But this is not enough: the government should be able, in co-operation with private enterprise, to direct the economy in such a way that it will be advantageous to both the investors and the population in general. In all this, we must never forget that what works to the detriment of the workers also works to the detriment of those who produce the goods intended to be consumed or used by the workers. When we say that today’p

. economy is interrelated in its parts and components, this phenomenon is one of the main points of the question.

Another example. It happens occasionally that an industrial concern starts to open up some undeveloped part of the country. In order to do this, it must carry out several operations: build access roads, put up buildings, processing plants and I do not know what else

Once all this preliminary work has been completed about three or five years later, what happens then to the hundreds or thousands of workers of have left their homes and their old jobs, and who are now settled in an isolated area of their province or their country, where their services are no longer required? À certain number of them may find work in the newly opened mine, in the processing plant that has been built, or in transporting the raw or semifinished product; but what about the others? When a development such as this takes place suddenly, when there is no planning to foresee its consequences, the whole community finds itself under the moral obligation of having to support a population for which private enterprise, because of its nature, is no longer responsible. There is no question here of blaming private enterprise, because its conduct is perfectly normal. However, the government which allows such things to happen without taking an interest in them, and especially without having foreseen them, even if this kind of thing does not happen too often, then that government, I say, should be held to blame.

This second example, like the preceding one, is a good illustration of what we mean when, speaking of government, we mention « the part that it should plat' ». This part can,be of greater or lesser extent, depending upon circumstances, but in the present world – and this is accepted by the majority of businessmen, industrialists and

• merchants – it cannot be non-existent. And if it is accepted in this way, it is precisely because these people have corne to realize that the government can be a partner: – that it can, because of ita position and its power, create an economic climate from which everybody will benefit.

Both here in the province of Quebec and elsewhere, I have already spoken about « democratic planning ». My colleagues have also spoken about it. Now, what we have talked about and what we have dons to date in this regard is the complete opposite to planning of a dictatorial and unilateral kind. The government of Quebec dosa not avant to dictate the economy, it has no intention of taking in hand the different sectors of the economy and it does not want to control the market. It is not interested in doing so, because it does not believe that this is its role. The government’s general objective is the maintenance of a reasonable standard of living for the greatest possible number of citizens, the ordered acceleration of economic progress, the balanced localization of industries, and the prevention of those problems Which this economic progress is likely to create. For these reasons, it is the duty of the

government to get business concerns, and particularly those which have a large influence over the rest of the economy, to co-operate together and with the government in order to reach this objective. The advantages of this policy are perhaps less easy to see immediately, but in the end they become obvious, as can be seen in several western European countries.

If a spirit of co-operation such as this can dominate the relationship which should exist between government and private enterprise, there cannot be any harm. This la the spirit that my colleagues and I want to see prevailing in Quebec. In the course of its actions, the government will, however, and this is quite normal, have definite policies to apply. It will always apply them only with a full knowledge of the situation, and after having oonsulted those who are in the best position to give it advice. In other words, nobody needs fear that the government of Quebec will make decisions which are hasty or unjustified. Ycu may also rest assured that no matter what may have happened or might happen elsewhere, the rights of Capital no more than those of Labour, no more than those of any other group of citizens, will be endangered. As long as the government which I represent is responsible for the administration of the province, it will establish ite programme of action in co-operation with the interested parties, and in a complete spirit of justice.]

Nous croyons jusqu’ici nous être engagés dans la bonne voie et nous recevons chaque jour des témoignages approbateurs. On sait où le gouvernement du Québec se dirige; on le sait soutenu par la population de la province et on l’encourage à compléter l’oeuvre commencée.

Nous tirons, je l’admets, quelque fierté de la confiance qu’on nous manifeste aussi ouvertement. Cette confiance, qui ne s’est pas encore démentie et qui, nous l’espérons, ne se démentira jamais – car nous nous en tiendrons toujours, en matière économique, aux principes fondamentaux que j’ai énoncés il y a un instant – cette confiance, dis-je, nous incite à poursuivre nos efforts dans la voie que la population nous a tracée.

[In this way, thanks to the co-operation of all the interested parties, Capital, Labour and Government, we will succeed in making Quebec the modern, industrialized, stable and happy province that it can become.]

[QLESG19620606]

[Public Personnel Association,

Québec, le 6 juin 1962, For release after 7330 P.M.

Hon. Jean Lesage, Pri.me Minister June 6th, 1962,]

La [Public Personnel Association] termine aujourd’hui son congrès. Je suis donc malheureusement en retard pour vous souhaiter la bienvenue dans la capitale de la province de Québec, mais je suis convaincu que vous avez apprécié votre séjour ici et que vos réunions et vos sessions d’études ont été fructueuses. Le but que poursuit votre Association justifie tout l’intérêt que vos membres y apportent et mérite que tous les citoyens conscients de leurs responsabilités y donnent leur appui.

[You have set for yourselves the task of giving emphasis te the worth and dignity of the public service. On this score, governments, whichever ones they may be, owe you a great debt of appreciation. They realize that the work of associations such as yours, together with their own efforts, will, in the end, provide the taxpayers with competent administrative personnel, proud of their work and especially keen te make their contribution te the progress of their town, their province, or their country. You are rendering an even more essential service because it is only recently, both here and elsewhere, that a new day has dawned for those who are employed in public administration. The citizens have a greater and greater tendency te thrust more and more responsibility upon their public administrations. •Today’s realities make this necessary, because the size and nature of present social problems are such that government must take a hand in solving them. Certain people regret this tendency, but in most cases it is because they think that the expansion of goveenment action is nothing more than state management, pure and simple. As far as I am concerned, I can sec no danger in this — as long as the government only assumes those responsibilities which fall within its proper scope for the safeguarding of the common good, without insinuating itself into things wh-.ch privato enterprise can bring to a successful conclusion through its own efforts.

Be that as it may, ail the world’s public administrations, great or small, need qu.e+.lified personnel. The difficulty with which several of them are faced is that they are still short of this type of personnel. The Governm:~ent of Quebec knows this problem very well, because we are facing it and its consequences every day.

I do net mean to say that the civil servants whom we have at present are net doing their work well or that their output is

• not satisfactory. This is net what I mena. And there is no need for me to take the whole of rmy alloted time to give you a summary of the history of our province over the last few years, and te show you that what I would call the « a’bient conditions » did not always faveur the emergence of careers in public administration here in this province.

Naturally, after the people of Quebec entrusted us with the administration of the province, almost two years ago, the number of problems

with which tige were faced was terrifie. As ail Quebecers will remember, one of the first things vie did was te tackle one of the principal causes of’ the very discouraging state in which we found the civil service of our province. We made a concerted effort to free our methods of recruiting from politics, which, ail too often in the past, had dominated the choice of candidates for one appointment or anothor in public service positions.

I must tell you right away – because in this sphere as in any other I intend te be realistic, and because I want to speak to you frankly, te you who are devoting your efforts

to the development of an even more efficient public service – that in doing what

we did, we never expected ta be able ta solve, within a week, a problem that had been in existence for several generations. I believe,

• nevertheless, that we have made a great deal of progress in this respect, in spite of the short time that has elapsed since we took over the administration. Today, everyone agrees that the atmosphere has changed in Quebec’s civil service, and that a new spirit now prevails.

Dose this mean that we should be satisfied with the results already achieved and that we shouldeease our efforts ta improve even further the standard of our civil service? In my opinion it would be dangerous ta think sa. I have just said that we cannot, from one day ta the next, break habits which have been acquired over a number of years. À form of behaviour which I can only call traditional cannot be changed very quickly. This applies anywhere, and I cannot ses any reason why it would not also be the case in Quebec.

This is the reason why as Premier of this province, I am fully aware — as are my colleagues — of the constant struggle that we muet carry on in this regard. We cannot claim ta have achieved perfection, but we are certainly on the right road, judging by the commente that we receive.]

Ce n’est pas tout de dissoudre le lien qui a pu exister étroitement entre l’affiliation politique réelle ou présumée et l’admission à des fonctions administratives publiques. Il faut aussi que les fonctionnaires de l’État québécois reçoivent, d’une façon ou de l’autre, la formation qui leur est nécessaire. Cette exigence, et cela est normal, s’applique davantage à certains niveaux de l’administration qu’à d’autres.

Nous avons actuellement, dans le fonctionnarisme québécois, des personnes qui ont toutes les aptitudes naturelles nécessaires pour devenir des administrateurs exemplaires. Ils se rendent toutefois compte que, malgré leur expérience, ils bénéficieraient grandement d’une formation systématique plus poussée que celle que les circonstances leur ont permis d’obtenir dans le passé. Le gouvernement que je représente ne peut pas se permettre le luxe de ne pas exploiter au maximum les qualités et surtout la bonne volonté dont ces personnes font preuve. Je parle de leur bonne volonté parce que ces fonctionnaires l’ont manifestée bien clairement au cours des derniers mois. Un bon nombre d’entre eux – je ne saurais vous dire exactement combien parce qu’il est très difficile de compiler tous les efforts individuels que ceux-ci fournissent en vue d’acquérir une formation plus complète – un bon nombre, dis-je, ont accepté de s’inscrire à des cours en administration publique. Ces cours qui ont lieu, par exemple à l’Université Laval, se donnent le soir et le samedi, donc après la période normale de travail; on nous dit que l’assiduité et l’esprit de travail de nos fonctionnaires sont remarquables et qu’on sent chez eux le désir de se rendre plus utiles et plus efficaces. Je me permets, ici ce soir, de les féliciter publiquement et de les encourager dans leurs études.

[It is obvious, and everybody is aware of this, that we cannot count on a scattered and limited number of people ta make up the shortages which will persist just as long as the production of qualified personnel is not undertaken by both the Government of the province and the universities of Quebec. This systematic effort cannot be improvised, and it

is se difficult ta carry out that the Government is faced with a dilemna; either, in co-operation with the universities and other institutions of the saure kind, give temporary leave ta all its employees who avant ta take advanced courses in public administration, during which period we will have ta do without their essentiel services at a time when there is sa much ta be dons; or ta avoid the difficulty, resign ourselves ta letting each civil employee get some form of additional training outside of working hours, as is the case at present, which results in too few persons getting this additional training.

We are at present looking into ways of getting out of this dilemna. We feel that the solution lies in finding a happy medium, and it is in applying this happy medium, if such it may be called, that the difficulty arises. We are in a complets state of transition, not only as far as the civil service is concerned, but in many other fields, and it is impossible to achieve immediately the ideal which is called for by the present situation.

Yes — the question of our civil service — is far from being the only thing that is occupying our minds. We have to take action in every field at once, and in Quebec as elsewhere, those who are responsible for government administration are, after all, only human beings. Nevertheless, in proportion to all the problem that we are trying to solve, we are giving an even greater amount of thought to the establishment in our province of a competent civil service, whose

members will be interested in their work.

With the saure thought in mind, that of making our civil service more efficient, we did not hesitate, right from the start of our administration, to obtain the services of a good number of specialists from ail branches of learning, who came either from private firme or from other governments. These specialists, most of whom are relatively young, were very keen to coure and work for a government that had a programme of action which was in keeping with their hopes and ambitions. Today, we can congratulate ourselves on the wonderful support that they have given us. In addition to the care which we have taken to give back value and dignity to our civil service — a cars which must never be allowed to slip — because a civil servent must always be ready to adapt itself to new developments, and should always surpass himself

in the search for an ideal — we have also gone ahead and made certain changes in the administration. I will not bore you with the liat of the changes we have made in the machinery of government in Quebec, but I would like to point out briefly, because this subject is of

spscial interest to -ou, sono

• of the objectives that we pursue.

First of -Tl, we avant the huge structure which is the Government of Quebec to become as efficient as possible. I know perfectly well that certain sincere people take it for granted that government, as such, must inevitably function less efficiently than private enterprise. Personally, I do not believe that this idea ie alwaya well founded. As a matter of fact, it is quite possible for government administration to become efficient if it is net so already. It is only a matter of making an honest effort to assume the task of coordinating government activities. Furthermore, private firms are not all automatically efficient simply because they happen to be operated by private enterprises.

There are a thousand proofs to the contrary.]

On dit parfois que l’administration publique a tendance à être lente, tant dans ses décisions que dans ses actions. C’est fort possible, et même probable. Comme je l’ai mentionné il y a un instant, ainsi qu’au début de ma causerie, les gouvernements actuels sont devenus de dimensions impressionnantes. Le progrès économique et social le veut ainsi. Il faut également se rappeler que toute administration vraiment démocratique doit fonctionner sans brusquerie et en tenant compte de tous les éléments en présence, de même que des expressions d’opinions de la part des intéressés. C’est cela qui exige du temps, des délais. Une dictature peut agir vite; elle n’est pas pour cela nécessairement efficace. Il importe de ne pas confondre.

Nos réformes administratives ont un second objectif, corollaire au premier. À cause des tâches considérables que le peuple du Québec désire confier à son gouvernement, – et qu’il a de fait déjà commencé à lui confier, il est indispensable que celui-ci devienne assez souple pour exercer des fonctions nouvelles.

Je ne prétendrai pas que jusqu’ici nous avons déjà prévu toutes et chacune de ces fonctions nouvelles, et cela pour des années à venir. Je ne prétendrai même pas que la réorganisation à laquelle nous avons procédé dans plusieurs ministères soit entièrement à point à l’heure actuelle. Chose certaine, avec l’aide de mes collègues et à la demande de la population du Québec, nous avons résolu de doter notre province d’un gouvernement de type moderne. Comme vous le savez, – et je l’ai souvent répété, nous ne considérons pas le gouvernement du Québec comme un organisme purement administratif. Notre conception de la structure gouvernementale va plus loin; nous l’envisageons comme un instrument dont notre peuple peut et doit se servir pour réaliser les objectifs qu’il s’est fixés.

[In short, the government has an active part to play in this province. It is at present preparing to assume this role, and

I wanted to speak to you this evening about this process of adaptation and even of transformation. This process may take longer and be more difficult than we would perhaps like it to be, but it is essential that it be carried out.

It is essentiel because the future of the population itself is intimately tied in with the degree of success which we will be able to achieve in this effort, which is part of the renewal which we began two years ago, and which we have been carrying on ever since with strength and confidence.]

[QLESG19620611]

[Lancement du Voilier du Centenaire Académie de Québec, le 11 juin 1962 Pour publication après 8:00 hres p.m. Hon. Jean Lesage, Premier ministre, le 11 juin 1962]

J’ai été très touché que l’on ait eu la délicatesse de souligner mon anniversaire de naissance. En effet, je suis, depuis 24 heures, un quinquagénaire.

Ce qui me console, c’est que tous ceux qui ont voulu m’appeler ainsi ont bafouillé. C’est un titre qu’il n’est pas facile de décerner parce que, phonétiquement, il faut prendre tout un élan pour appeler quelqu’un un [ » ku-in-kouagénaire « ], et le rythme de la vie moderne ne nous donne pas le temps nécessaire pour prononcer avec sérénité des mots aussi laborieux.

Hé oui ! … j’ai la moitié de l’âge de l’Académie de Québec. Et quand je vois les extraordinaires projets qui sont les siens, j’éprouve le plus réconfortant des sentiments: l’émulation.

Loin de me déprimer, mes cinquante ans me font un effet tonique et je me dis que je commence mon deuxième demi-siècle avec au moins autant d’entrain que je commençais mon premier.

Et puis, ma foi, comme ça fait cinquante ans que je suis jeune, je ne peux plus en perdre l’habitude. J’ignore la date précise à laquelle fut lancé votre premier voilier. Mais je pense bien que depuis plusieurs dizaines d’années les imaginations ont découvert toutes les figures de style d’ordre nautique qui pouvaient s’adapter aux circonstances. Je ne vous servirai donc pas une nouvelle métaphore en vous remerciant, au nom de ma femme et en mon nom, de nous avoir invités à faire un petit tour de bateau en votre compagnie.

Laissez-moi vous dire, cependant, que quand on conduit la barque de l’État – même si elle ne navigue pas sur un volcan, comme me le soufflerait le bon monsieur Joseph Prud’homme c’est une véritable détente que de monter à bord de votre voilier à vous.

Il fait bon d’admirer la façon dont il est conduit par des navigateurs qui ne quittent pas des yeux l’étoile qui leur indique la route.

Comment ne me sentirais-je pas en confiance parmi vous? Nulle part plus qu’ici je ne peux espérer voir mieux compris l’effort que nous faisons dans le domaine de l’éducation. Cet effort, je l’espère, montre mieux que des paroles creuses ou des motions théâtrales que notre principale préoccupation est le Québec de demain, c’est-à-dire la jeunesse d’aujourd’hui.

On demandait au grand magnat de l’acier Andrew Carnegie s’il ne craignait pas que les jeunes gens auxquels il fournissait généreusement les moyens de se préparer aux responsabilités futures, ne finissent par le supplanter. Il répondit: La seule chose qui pourrait me tracasser, c’est qu’ils ne me supplantent pas. « La jeunesse est une si belle chose », disait Bernard Shaw, « que c’est bien dommage de la voir réservée aux jeunes. » Mais ce qu’il faut le plus leur envier, c’est l’énergie et l’enthousiasme qu’ils peuvent mettre au service des plus belles causes. L’enthousiasme, l’étymologie du mot nous le rappelle, c’est le sentiment d’être « habité par un dieu ». C’est cet appétit de servir qui est le plus magnifique signe de santé morale. Il est bien fortuné celui qui peut entretenir cette inspiration toute sa vie et qui conserve son coeur d’enfant pendant que son intelligence devient celle d’un homme.

Oui, il est fortuné, car – je le crois profondément – le seul secret du bonheur et ici je voudrais tellement m’exprimer avec une simplicité qui aurait horreur des mots boursouflés, le seul secret du bonheur, c’est, quoi qu’en disent ceux qui se croient malins, d’aimer le vrai et le beau, désirer le bien et faire humblement de son mieux. Y a-t-il un homme qui ait eu la détermination d’être sincère, magnifique et héroïque s’il le faut, et qui l’ait par la suite regretté? Je suis sûr que non, comme je suis sûr que la satisfaction d’avoir vécu une telle vie a toujours triomphé même en certains jours de fatigue – de l’envie que peut inspirer le succès matériel. Puisqu’il est indéniable, et cela dans les philosophies les plus disparates, que l’homme aspire avant tout au bonheur, il vaut mieux alors être farouchement, obstinément idéaliste qu’être un désespéré de l’égoïsme cynique … un désespéré qui est peut-être arrivé, mais, comme le disait un ironiste, « il faut voir en quel état. Je sais bien que ce n’est pas facile. Le scandale du monde matérialiste est toujours là … du monde des cyniques … du monde de ceux à qui on ne la fait pas … du monde de ceux qui ne croient à aucune mystique, à aucun dévouement, à aucun sacrifice … du monde des blasés et des profiteurs … du monde des opportunistes qui se disent: « Tirons notre épingle du jeu » et « Après nous le déluge » du monde, enfin, de ceux qui sont en possession tranquille de ,leur mensonge. Oui, je le répète, il est difficile de ne pas se scandaliser, et cela il faut le comprendre. Quand on a cessé de comprendre les jeunes, c’est signe que l’on a vécu trop longtemps. Il faut savoir que le plus grand défi que doive relever le jeune homme, c’est d’apprendre la morale sans la voir toujours appliquée. « Qu’est-ce que c’est que ce monde », a-t-il la tentation de se dire, « où tant d’hommes prêchent une morale qu’ils ne pratiquent pas? » Les jeunes, ne l’oublions pas, ont, pour dépister l’hypocrisie, une acuité de perception que l’âge détruit malheureusement très vite par suite d’une déplorable immunisation.

On ne scandalise pas que les tout petits dont parle l’Évangile. L’amoralité politique peut, par son arrogance par les avantages matériels qu’elle étale, scandaliser le jeune homme, si elle demeure impunie … si des secrets qui ne sont même plus honteux, hélas. … si des secrets que tous les gens connaissent mais qui leur font hausser les épaules, ne sont pas dénoncés, et si l’attitude cynique qu’ils révèlent n’est pas combattue.

La punition terrible annoncée « à celui par qui le scandale arrive » doit faire réfléchir autant celui qui scandalise le jeune homme que celui qui scandalise le tout petit, car je ne crois pas qu’il existe de plus grand crime contre la patrie que de rendre cynique sa Jeunesse. Nous avons trop besoin de son enthousiasme, de sa merveilleuse capacité de dévouement et de son refus de pactiser avec les mensonges confortables.

Aux jeunes gens qui pourraient m’entendre, je n’ai qu’une recommandation à faire:

Puisque vous êtes, en somme, les fiduciaires de notre avenir, jugez vos actes par le seul critère que voici en vous demandant:

Que pourrais-je faire aujourd’hui qui puisse me donner – non pas le plus de confort physique mais le plus de fierté, lorsque je me rappellerai ma jeunesse le jour où je serai … quinquagénaire.

[QLESG19620909]

[Convention de la Société des Artisans Montréal, le 9 septembre 1962 Pour publication après 1:00 hre p.m. Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 9 septembre 1962]

Quand j’ai reçu votre aimable invitation à assister à cette manifestation et à y adresser la parole, j’avais deux raisons principales de l’accepter. La première est votre président général, Me René Paré. La seconde est le caractère même de la Société des Artisans. Je m’explique.

En ce qui concerne votre président, je vais faire vite car je ne veux pas trop heurter sa modestie. Je connais Me Paré depuis longtemps et j’envie la Société des Artisans d’avoir un tel président. S’il a fait autant pour aider votre Société que pour rendre service à la cause de notre peuple, vous lui devez certainement beaucoup. Car Monsieur Paré est un des artisans – c’est le cas de le dire – de certaines des initiatives les plus louables qui ont récemment vu le jour chez nous. Je pense, par exemple, au Conseil d’Orientation économique du Québec qui, sans son apport, n’aurait pas pu être aussi utile qu’il l’a été et surtout qu’il le sera au gouvernement de la province. Je pense aussi à la Société Générale de Financement, née du Conseil d’Orientation et dont la conception doit beaucoup à votre président général. Et il y a, en plus de cela, quantités d’autres recommandations du Conseil auxquelles Monsieur Paré a participé. Toutes n’ont pas encore pu être appliquées, mais le gouvernement, n’en doutez pas, saura en tenir compte au cours des mois qui viennent.

Votre président fait ainsi partie du groupe de ces Québécois qui ont suscité le renouveau actuel et sa prise de conscience. Il fait aussi partie de ceux, toujours plus nombreux, sur qui s’appuie notre peuple et en qui il espère. Je remercie Monsieur Paré de son esprit de collaboration et de dévouement, et je veux publiquement lui exprimer ma reconnaissance.

Je passe immédiatement à ma deuxième raison d’être avec vous aujourd’hui.

Votre Société des Artisans est une entreprise coopérative et ce caractère, je crois, mérite d’être souligné d’autant plus que votre institution s’est engagée à fond dans le mouvement coopératif de la province de Québec et lui a, de ce fait, apporté une assistance considérable. Votre Société a aussi, comme toute autre entreprise d’assurances, consenti des prêts hypothécaires, mais ces prêts ont une valeur sociale particulière. En effet, ils ont, entre autres, permis le développement de la Coopérative d’habitation de Montréal, une des plus grandes sociétés de construction domiciliaire de la Métropole. Vous avez, en quelque sorte, canalisé les capitaux des nôtres vers des fins utiles aux nôtres.

Vous ne vous êtes pas cependant limités au domaine strictement économique. Vous avez – et il me plait de le mentionner – consenti des prêts à de nombreux étudiants, plusieurs milliers, je crois, secondant ainsi l’action gouvernementales dans sa politique d’éducation. Vous avez aussi contribué largement à la cause de la langue française en Nouvelle-Angleterre, par une initiative originale dont on a peu d’exemples.

Je vous félicite bien sincèrement de toutes ces réalisations et je vous engage à poursuivre votre oeuvre. Vous avez clairement démontré par votre travail, la portée du mouvement coopératif chez nous et vous en avez exploité les possibilités. Votre succès actuel ne fait que présager, à mes yeux, d’un avenir encore plus prometteur.

L’entreprise coopérative m’a toujours paru être la traduction, dans la vie économique, de l’idéal démocratique que, depuis des générations, l’humanité s’efforce d’instaurer dans la vie politique. C’est cela qui fait que, paradoxalement, les uns doutent de l’efficacité de la coopération en matière économique, alors que d’autres y voient au contraire l’occasion d’allier la participation consciente du citoyen à la recherche d’une vie meilleure. Pourquoi certains doutent-ils de l’efficacité du régime coopératif? Il y a, je pense, plusieurs explications à cette attitude. Celle-ci peut provenir, d’abord, d’une observation superficielle de la réalité. On s’est étonné, en effet, de ce que des entreprises de type coopératif n’aient pas toujours été couronnées de succès. on a remarqué qu’à l’enthousiasme du départ ont succédé les écueils suscités par les divergences d’opinion ou encore par la complexité du marché. Et souvent ces difficultés ont malheureusement raison d’une bonne volonté qui apparaissait indéfectible. Cependant, même en jugeant l’entreprise coopérative d’après son degré de succès disons commercial, la comparaison n’est pas nécessairement à son désavantage. En effet, toutes proportions gardées, les entreprises de type capitaliste ordinaire subissent elles aussi des échecs, et même des échecs fréquents si l’on en croit le nombre de faillites qui se produisent chaque année.

En réalité, dans tout cela – tant pour le secteur coopératif que pour le secteur capitaliste traditionnel – les insuccès proviennent beaucoup plus du manque de préparation des responsables de l’entreprise ou d’une mauvaise connaissance du marché, que de la non-rentabilité de l’entreprise en elle-même. Si l’on ajoute que, dans le secteur coopératif, il y a en plus le caractère démocratique, avec tout ce que cela implique de compréhension humaine, on peut conclure qu’une coopérative qui réussit a plus, pour ainsi dire, de mérite qu’une entreprise ordinaire. Une coopérative ne peut passer outre à l’opinion de ses membres. La valeur sociale de la démocratie, économique ou politique, est incomparablement plus grande que celle de l’autocratie. Ceux qui la pratiquent et y réussissent en sortent grandis; ils ont réalisé des buts immédiats et ont, en plus, joué pleinement leur rôle de citoyens responsables. Ils y sont devenus des hommes plus complets, plus dignes.

Dans une démocratie économique comme dans une démocratie politique, le départ est souvent difficile, la poursuite de l’action représente un défi constant à des défauts bien humains, mais lorsque le terme est atteint, lorsque le succès s’affirme – l’homme a franchi un pas de plus dans la voie vers une société meilleure. Avec la coopération, le pivot de l’activité économique se déplace. On ne cherche plus, comme dans l’entreprise capitaliste ordinaire, le profit en tant que tel. Sans négliger ce profit, on tend aussi à des fins supérieures. La coopération donne ainsi une dimension sociale à des actions qui ne pourraient être que commerciales. La combinaison de ces deux préoccupations suscite évidemment des difficultés dans un monde où la recherche du profit demeure la raison d’être de la presque totalité de l’activité économique.

Pour ce second motif, un certain nombre de personnes n’ont pas confiance au régime coopératif. Ils y voient des éléments étrangers à ce qu’ils croient être la conception normale et obligatoire des affaires. Pour eux, la coopération est une excroissance temporaire sur un système foncièrement individualiste et devant se perpétuer comme tel.

Pourtant ils ont tort. L’évolution récente de la société démontre que la recherche du seul profit laisse graduellement sa place, comme motivation à des objectifs que j’appellerais sociaux. Ainsi, l’émergence du secteur public de l’économie – c’est-à-dire ce secteur contrôlé directement ou indirectement par le gouvernement – s’est produite, entre autres à cause des déficiences du secteur privé. Et chaque jour le secteur public s’accroît davantage parce que, de plus en plus, les citoyens ont besoin de services que ne peut leur procurer l’entreprise capitaliste ordinaire. Je pense ici aux écoles, aux routes, aux hôpitaux, à la sécurité sociale, à la défense nationale, à la recherche scientifique, et que sais-je encore? C’est la nature même de l’évolution des groupements humains qui force le secteur disons social de l’économie à prendre une ampleur qu’on ne soupçonnait même pas il y a une ou deux générations.

Mais il ne faut pas que cette tendance finisse par confier au gouvernement l’ensemble de l’activité économique. Autrement il en résulterait, comme cela s’est vu dans d’autres pays, un esprit de dépendance qui viendrait à l’encontre du but poursuivi par la démocratie, soit la valorisation de la personne humaine. Le citoyen intelligent se transformerait en une pièce anonyme à l’intérieur d’une vaste machine administrative.

Entre le secteur public qui comporte certains dangers comme celui que je viens de mentionner et le secteur privé de type capitaliste axé exclusivement sur la recherche du profit et, de ce fait, déficient quant à la recherche d’objectifs sociaux, il y a l’entreprise coopérative. Celle-ci allie des avantages propres à chacun des deux autres régimes et peut s’exercer dans à peu près tous les domaines. L’expérience des pays scandinaves le prouve d’ailleurs fort bien.

Est-ce à dire qu’il suffit de formuler le souhait que la coopération prenne davantage d’ampleur, pour qu’il en soit immédiatement ainsi? Ou encore, suffit-il que le gouvernement facilite ce type d’entreprise pour qu’automatiquement celle-ci multiplie ses activités? Vous connaissez vous mêmes la réponse à ces questions. En effet, la coopération ne s’ordonne pas; elle se comprend et ensuite elle s’applique. Et la meilleure façon pour elle de s’étendre est de démontrer les services nombreux qu’elle peut rendre. C’est ce que votre Société a fait, c’est ce qu’ont fait quantité de coopératives agricoles, de coopératives d’habitation, etc. Dès la reprise de la session, le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger présentera une refonte des lois coopératives. Nous sommes convaincus qu’elles faciliteront le progrès de la coopération au Québec, mais nous savons aussi que c’est la population elle-même qui rendra ces lois utiles en s’en servant et en étendant leur champ d’application dans toutes les directions possibles.

On parle de plus en plus chez nous de libération économique et c’est avec plaisir et fierté que, personnellement, j’assiste à la prise de conscience de notre population à ce sujet. Mais cette libération, cette émancipation économique – comme on dit aussi – il n’appartient pas seulement au gouvernement de la réaliser. Il y apportera évidemment son concours – la Société Générale de Financement en est la preuve, la politique de planification économique que nous appliquerons bientôt en sera aussi un autre exemple – mais dans ce domaine l’action ne peut être unilatérale. Il faut en quelque sorte une réponse de la part de la population. Il faut que, parallèlement à l’action du secteur public, le secteur privé prenne lui aussi des initiatives dans la même direction.

Or, dans le secteur privé, entendu dans son sens le plus général, les entreprises de type coopératif sont peut-être les mieux orientées vers cette action émancipatrice. D’abord ce sont des entreprises québécoises, fondées par les nôtres pour se rendre service à eux-mêmes. De plus, leurs membres sont déjà alertés à la nécessité d’un effort commun; en d’autres termes, leur éducation, pour ainsi dire, est faite. Enfin c’est notamment le cas des sociétés coopératives d’assurance – elles détiennent des capitaux abondants qui peuvent être canalisés vers des fins utiles à la population québécoise.

Nous avons prévu l’apport de ces capitaux coopératifs dans la Société Générale de Financement. Par la refonte des lois coopératives que nous présenterons à la session d’automne, nous leur ouvrirons aussi d’autres possibilités. En outre, au moment où nous commencerons à appliquer une véritable politique de planification économique, il est certain que cette politique, qui aura été pensée en collaboration avec les éléments intéressés de notre population (industriels, hommes d’affaires et, également, coopératives), fera appel au concours de l’énergie et des capitaux coopératifs.

En somme, la libération économique de notre peuple se fera avec lui et par lui. Autrement, il est inutile d’y penser. Nous aurons fait un beau rêve mais il n’aura pas de lendemain. Pourquoi, vous demandez-vous peut-être, insister tellement sur la participation de notre peuple à son émancipation économique? Est-ce qu’il ne conviendrait pas plutôt, comme c’était la coutume jusqu’à maintenant, de demander la collaboration des hommes d’affaires, des financiers et des industriels canadiens-français et de laisser de côté ceux qui n’ont ni entreprises, ni capital? Pourquoi, en d’autres termes, ne pas s’en remettre exclusivement à ceux qui font partie de ce que j’appellerais notre élite économique?

Je dois d’abord, pour répondre globalement à ces questions, dire que beaucoup des nôtres qui ne sont ni industriels, ni commerçants ont des épargnes qui pourraient servir à la mise en valeur de notre patrimoine commun. Il ne faut donc pas les négliger parce qu’on se priverait ainsi d’un capital éventuellement précieux.

J’ajoute aussi que, dans le passé, il y a eu, à quelques reprises, des campagnes d’opinion auprès des nôtres. On a déjà essayé de mobiliser les énergies et les capitaux; les résultats ont parfois été intéressants et encourageants, mais dans l’ensemble ils sont demeurés limités, surtout parce que la majorité de notre population était demeurée étrangère à ces efforts et parce que le gouvernement du Québec, levier potentiel de notre progrès économique, était en pratique indifférent à la situation. Il manquait à ces efforts une certaine articulation, une certaine coordination centrée sur un objectif précis. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons en mains les éléments qui nous ont toujours manqué; il ne nous reste qu’à nous en servir.

Mais la mobilisation générale de toutes nos forces économiques repose sur un motif encore plus important que les précédents. Pour que l’action à entreprendre devienne le résultat d’un effort constant, il faut que l’opinion publique soit pénétrée de son urgence et de sa nécessité, il faut que tous et chacun de nos citoyens se sente responsable de sa conduite à bonne fin. Il n’y a pas seulement que les capitaux à mobiliser, il y a aussi les idées, sans compter qu’il faut créer chez les nôtres le sentiment d’appartenir à une communauté qui peut, si elle le veut, devenir dynamique.

Il ne saurait être question, dans l’effort à fournir, d’utiliser la contrainte, pas plus que ce n’est la coutume dans les coopératives. Il importe donc d’indiquer à notre peuple, à chacun de ses membres, comment il peut s’affirmer économiquement et d’instaurer – comme nous le ferons dans quelque temps avec la Société Générale de Financement – des moyens commodes et pratiques de participer à sa propre émancipation, et cela quel que soit le niveau de sa fortune personnelle ou de son expérience des affaires.

Je crois que c’est ainsi que nous pourrons réaliser chez nous une vraie démocratie économique. Naturellement, c’est là un objectif ultime qui ne sera pas atteint demain, mais, comme Premier ministre du Québec, j’ai une confiance absolue que notre peuple voudra enfin réussir cette nouvelle entreprise, après tant d’années d’hésitation, d’initiatives louables mais fragmentaires et même de crainte.

Votre Société des Artisans nous donne l’exemple de ce à quoi peut arriver l’effort conscient d’un groupe d’hommes résolus et animés du même idéal. D’autres entreprises coopératives nous livrent des preuves similaires.

Ainsi, je pense, il y a suffisamment d’énergie chez notre population pour que tous les espoirs nous soient permis. Ce n’est pas être sentimental que de le reconnaître; c’est simplement être réaliste.

[QLESG19620929]

[41° Congrès annuel de l’Union des Municipalités de la province de Québec, le 29 septembre 1962 Pour publication après 1:00 hre P.M.

Hon. Jean Lesage, Premier-Ministre, le 29 septembre 1962]

C’est un grand plaisir pour moi de rencontrer aujourd’hui, à l’occasion du 41e congrès annuel de l’Union des Municipalités, les maires des cités et villes de la province de Québec ainsi qu’un grand nombre d’échevins et d’officiers municipaux. Vous représentez un très important secteur de l’administration publique et, croyez-moi, je m’intéresse beaucoup à vos travaux.

Il n’est pas nécessaire de rappeler que tous les gouvernements qui ont présidé aux destinées de la province depuis les quarante ans qu’existe votre association ont prêté une oreille attentive à vos suggestions qu’ils savaient appuyées sur des études sérieuses et reliées à des besoins précis.

On ne compte plus, il m’a fait plaisir de le souligner, les recommandations que l’Union des Municipalités a faites aux autorités provinciales et qui ont aidé à bonifier la législation municipale et à rendre plus efficace l’administration des collectivités locales. Comment, dans ces conditions, ne pas vous inviter à continuer à proposer au gouvernement les améliorations ou les corrections suggérées par vos études et par votre confrontation quotidienne avec les problèmes municipaux.

Les études que vous faites, les travaux auxquels vous vous livrez augmentent la somme des connaissances utiles aux administrateurs publics, améliorent les techniques administratives, vous aident à résoudre les questions souvent difficiles, facilitent votre tâche et contribuent au bien-être et au progrès de la collectivité. Vous ne vous attendez pas, bien sûr, que je fasse de l’éducation le sujet de cette allocution qua vous m’avez si aimablement invité à prononcer. Je n’en ai d’ailleurs pas l’intention. Il est à propos, je pense, de porter à votre connaissance une politique qui a un caractère de grande actualité et qu’il est facile de relier à vos travaux.

S’adressant aux participants à la 38e session des Semaines sociales du Canada qui vient de se tenir à Montréal, un conférencier de marque, M. Jean Lacroix, affirmait ceci: [ Qu’elle le veuille ou non, dans l’ère spatiale où nous entrons, chaque nation qui désire survivre doit se modifier radicalement en modifiant tout son système d’éducation. Jusqu’ici, l’éducation a été surtout un facteur de transmission des valeurs traditionnelles reflétant certes l’évolution de ces valeurs, l’accélérant parfois, mais évoluant dans une perspective de continuité; désormais, elle devient un facteur de transformation de l’homme et du monde qui l’entoura, et s’inscrit dans la perspective de progrès accéléré qui la détermine et auquel elle a elle-même tant contribué. »]

Il ne fait pas de doute que, en face de l’accélération non seulement de l’histoire mais aussi des connaissances, l’éducation », ainsi que le fait remarquer ce philosophe français, devient peu à peu l’accompagnatrice de toute l’existence humaine. Nous vivons, sans bien le savoir, une extraordinaire mue de l’humanité; celle de l’éducation de tous les hommes.

Ici s’arrêtent mes remarques sur l’éducation. Mais j’ai cru convenable de vous les faire parce que, je pense bien, des rencontres comme celle-ci, appuyées sur une préparation et une participation très sérieuse s’inscrivent justement dans le contexte d’une éducation permanente qui est devenue un besoin essentiel de toute société démocratique.

On ne peut, c’est entendu, demander à un homme de tout savoir. Mais je crois que les administrateurs publics, et ce besoin est singulièrement pressant en ce moment, doivent sans cesse tendre à être des hommes bien informés, en possession des données essentielles propres à leur permettre de saisir les problèmes dans une perspective globale et de trouver des formules, des solutions véritablement conformes aux besoins et aux aspirations de la population.

Je crois que vous êtes par ailleurs bien conscients de cette nécessité quand vous vous proposez, comme la chose est arrivée au cours de ce congrès-ci, d’étudier les « responsabilités et les ressources des municipalités ». Je vois dans le choix de ce thème votre souci de vous arrêter un moment pour réfléchir à des formules susceptibles de faire agir le gouvernement municipal jusqu’à la limite de ses possibilités. Dans notre monde moderne, les différentes disciplines et spécialités se complètent de plus en plus et nous devons prendre conscience que chaque réalité a de multiples dimensions. L’ignorer, ce serait nous acheminer vers des solutions fausses, des solutions tronquées.

Vous n’êtes pas sans savoir que le gouvernement de la province doit faire face simultanément à de nombreuses tâches requérant des études et des décisions reliées au progrès et à l’avenir de notre propre action. Il faut, dans plusieurs secteurs, élaborer des programmes à longue échéance; il faut orienter, innover, formuler des politiques nouvelles, articuler des programmes d’action dynamiques et bien pensés. Nous devons donc faire des options, choisir, établir un ordre des obligations et des urgences.

Il est à peine nécessaire de vous assurer que nous nous préoccupons beaucoup des obligations financières des municipalités et que nous nous efforçons de rechercher des solutions aptes à répondre à ces besoins, qui sont immenses et combien actuels, il faut en convenir. Il se produit, dans le secteur municipal, des transformations, des mouvements démographiques, économiques et sociaux dont il faut tenir compte et qui sont la marque de notre société en évolution. Dans cette perspective, les tâches que vous assumez se multiplient et deviennent de plus en plus lourdes et difficiles. Vous administrez des budgets considérables qui atteignent des dimensions imposantes à côté des minces budgets d’il y a dix ou quinze ans.

La statistique officielle établit à près de $334000000 les dépenses totales faites au cours de l’année 1960 par toutes les municipalités du Québec. C’est environ $225000000 de plus qu’en 1950. En 1945, le budget total des municipalités de la province dépassait à peine $80000000 . On voit la formidable augmentation enregistrée au cours des quinze dernières années au titre des dépenses faites par les administrations locales afin de réaliser les entreprises jugées nécessaires au bien-être de la population.

Mais la progression apparaît encore plus nettement peut-être quand on s’arrête à considérer que le budget,de la seule ville de Montréal, pour 1962-63, se situe au palier de $150000000 , alors que, il n’y a pas si longtemps, le budget total du gouvernement de la province était inférieur à ce chiffre. Les comptes publics montrent, en effet, qu’il était de $133000000 pour l’exercice de 1946-47. Évidemment, vous aurez vite compris que, depuis ce temps, et en accord avec l’expansion démographique, économique et sociale, le budget du gouvernement de la province a grossi lui aussi dans des proportions énormes pour s’établir à $953000000 pour le présent exercice fiscal. Mais, et c’est ce qu’il faut retenir, les chiffres que je viens de mentionner indiquent assez bien l’ampleur des responsabilités et des besoins des administrations municipales. Et nous nous en préoccupons, croyez-m’en. Pour que les gouvernements locaux s’accomplissent pleinement, pour qu’ils jouent leur rôle entier, leurs ressources financières doivent correspondre aux responsabilités assumées, aux besoins à satisfaire.

Dans le but d’arrondir les revenus des municipalités et de leur permettre de faire face à leurs obligations croissantes, nous avons songé à établir un système de péréquation capable de réaliser l’équilibre recherché. Car ce qu’il faut implanter, c’est un système qui colle à la réalité, qui répond aux besoins et qui permet des paiements ou rajustements basés sur des barèmes équitables et réalistes. Ce n’est pas une mince tâche, vous en conviendrez. Il s’agit là d’une question extrêmement complexe qui nécessite des études longues et très sérieuses. Le comité interdépartemental que nous avons mis sur pied avec la mission de nous fournir les éléments devant conduire à la mise en application d’une formule appropriée poursuit ses travaux. Et nous avons bon espoir de réaliser ce projet dans un avenir prochain.

Nous sommes très conscients des besoins financiers des municipalités. Si, par hasard, il subsistait, dans le monde municipal, une inquiétude suscitée par l’annonce que je faisais voici quelques jours d’un très important projet du gouvernement, qu’il me soit permis de la dissiper définitivement en réitérant ici l’assurance que l’Hydro-Québec va assumer désormais le paiement, aux taux courants, de toutes les taxes municipales et scolaires des entreprises nationalisées. Au surplus, dans toutes les municipalités où elle a présentement des propriétés, l’Hydro paiera, à l’avenir, les taxes municipales et scolaires, non plus seulement sur les fonds de terre et les bâtiments, mais aussi sur tous ses biens immobiliers, à l’exception des centrales et des barrages. En bref, la nationalisation des compagnies d’électricité, n’entraînera aucune perte de revenu pour les municipalités.

L’aspect financier de l’administration municipale est certes très important. Mais il y a une multitude d’autres questions auxquelles les gouvernements locaux ont à faire face. Ainsi, la pollution de l’eau pose un problème grave à beaucoup de cités et villes. La lutte concertée qui s’amorce contre la pollution de l’eau est bien caractéristique de notre société industrialisée et urbanisée. Indispensable à la vie, l’eau est essentielle à l’industrie, à l’agriculture, à la conservation de la faune et à l’exploitation des ressources naturelles qui font notre richesse.

Partout dans le monde, on s’inquiète devant le danger que représente pour l’homme la pénurie de plus en plus accentuée d’eau potable. Il y a deux ans, des spécialistes de trente-trois pays se réunissaient à Paris afin d’étudier la question. Ces scientistes se sont rendus compte qu’en certains points du globe l’eau est puisée dans le sol mille fois plus vite qu’elle n’est remplacée par les pluies, Il est donc devenu nécessaire d’utiliser plusieurs fois la même eau.

Je n’ai pas besoin de définir pour vous ce qu’est la pollution. Il a été constaté que les principaux agents polluants de l’eau sont les égouts d’agglomérations et les résidus chimiques provenant de différents établissements industriels.

L’homme n’est pas seul exposé ail, danger de l’empoisonnement de l’eau. La pollution menace les oiseaux, les poissons, les autres animaux aquatiques ainsi que la végétation.

La Régie d’épuration des eaux, que nous avons créée, il y a un peu plus d’un an, à la demande de nombreux corps publics qui s’inquiétaient à bon droit de l’empoisonnement graduel de nos cours d’eau, de nos sources d’approvisionnement d’eau potable, a accompli jusqu’ici un travail très constructif, malgré de grandes difficultés. La Régie doit veiller à ce que les municipalités aient l’équipement voulu pour fournir à la population une eau saine. Mais vous savez que la construction d’une usine de filtration ou de traitement des eaux-vannes requiert habituellement des déboursés considérables. Un aspect financier très sérieux s’ajoute donc aux questions techniques.

Afin de rendre plus efficace l’action du gouvernement de la province dans la lutte contre la pollution de l’eau, nous entendons prendre très prochainement les mesures nécessaires pour placer sous la juridiction du ministère des Affaires municipales la Régie d’épuration des eaux, qui relève actuellement du Conseil Exécutif.

Ce transfert de juridiction va faciliter l’examen non seulement des problèmes techniques mais aussi du financement des entreprises nécessaires, financement auquel le gouvernement provincial veut participer par des subsides.

Par ailleurs, le ministère des Affaires municipales est déjà responsable du paiement des subventions au titre de la Loi pour faciliter l’établissement de réseaux d’aqueduc et d’égouts dans les municipalités. Il voit aussi au paiement d’octrois pour la protection contre les incendies.

Le transfert de juridiction de la Régie va permettre au ministère des Affaires municipales de réaliser une meilleure coordination en ce qui concerne l’aide financière et technique accordée par le gouvernement de la province aux municipalités.

Les administrateurs municipaux s’inquiètent, avec raison, de l’inactivité forcée que doivent subir périodiquement de nombreux travailleurs. Conscients des difficultés causées par le chômage saisonnier, nous décidions, il y a deux ans, de participer au Programme d’encouragement des travaux d’hiver dans les municipalités en versant une contribution égale à 40% du coût de la main-d’oeuvre. Étant donné que le gouvernement fédéral paie 50% des salaires versés pour l’exécution de ces travaux, la part des municipalités à ce chapitre a été réduite à 10%. C’est ainsi que nous avons payé aux municipalités, au cours des deux dernières années, une somme de $21000000 en vertu du programme d’encouragement des travaux d’hiver. Il est intéressant de remarquer que, grâce à ce programme; et selon des calculs préliminaires, plus de 65000 travailleurs qui, autrement, se seraient trouvés en chômage, ont été employés à des entreprises utiles à la collectivité tout en assurant, dans la dignité, leur subsistance et celle de leur famille. À noter que ces 65000 travailleurs ont fourni 2,698,527 journées de travail pendant cette période.

Évidemment, d’autres mesures, positives, sont envisagées par le gouvernement de la province afin de permettre au marché du travail d’absorber la main-d’oeuvre accrue résultant de l’expansion démographique. Qu’il me suffise ici d’en faire la mention.

En dehors de toute considération politique, il faut convenir que la participation du gouvernement provincial au programme d’encouragement des travaux d’hiver est à l’origine de la progression très sensible notée dans le nombre et la valeur des entreprises réalisées.

Pour la période du 15 octobre 1961 au 31 mai de cette année, 986 municipalités (192 urbaines et 794 rurales) de la province de Québec ont soumis 2,602 projets d’une valeur totale de $101000000 . Pendant la période précédente, 639 municipalités avaient réalisé 1,774 entreprises au coût total de $77000000 . Quand le Programme fut inauguré, en 1958-59, 230 projets d’une valeur de $17000000 avaient été exécutés par 71 municipalités. La province ne participait pas financièrement alors au Programme.

On voit donc que le nombre et la valeur des entreprises a augmenté considérablement. Et tout indique que ce rythme va être maintenu au cours de la période de 1962-63 puisque déjà 138 projets représentant un coût de plus de $4000000 ont été soumis au ministère des Affaires municipales.

Nous sommes soucieux de voir la province de Québec dotée de l’équipement économique et social approprié aux réalités du moment. Par exemple, l’automation, en libérant l’homme de la machine, en remplaçant le muscle et, jusqu’à un certain point même, le processus mental, appelle une redistribution du travail et des rajustements dans l’emploi du temps. Dans cette optique, l’organisation des loisirs communautaires revêt une importance de plus en plus grande. Il sied donc d’accorder à cette question toute l’attention qu’elle mérite. Je me réjouis du fait que vous en ayez discuté au cours de ce congrès. Soyez assurés que le gouvernement s’intéresse de près à cette question si étroitement rattachée au développement et à l’épanouissement complet du citoyen. Il y aurait encore beaucoup à dire quant aux multiples sujets qui s’imposent de toute urgence à l’attention de ceux qui sont responsables de la gestion des affaires publiques. Mais je dois m’arrêter. De plus en plus, dans notre monde moderne, l’État requiert, pour la formulation et la mise en oeuvre de ses politiques, la coopération et l’adhésion des différents secteurs de la société. Dans cette perspective, vous qu’accompagnent quotidiennement les problèmes municipaux et qui, peut-être plus rapidement que nous, êtes mis au courant des besoins de la population, je vous invite à nous proposer les rajustements ou les améliorations qui vous paraissent propres à assurer le mieux-être de toute la collectivité québécoise. Nous vous écouterons avec beaucoup d’attention et de sympathie.

Messieurs, je vous remercie de votre attention et je vous assure de l’appui et de l’encouragement du gouvernement dans l’accomplissement de vos tâches souvent si difficiles.

[QLESG19620930]

[Dîner de la Fédération libérale du Québec Montréal, le 30 septembre 1962 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre

Pour publication après 7:00 hres P.M. le 30 sept. 1962 ]

Pendant les prochaines semaines, mes amis, nous allons au Québec vivre des moments historiques. Je ne parle pas tant de la campagne électorale proprement dite que de l’occasion que cette campagne donnera à tous et à chacun des citoyens de notre province de décider du sort de notre nation.

Nous en sommes rendus à la période du choix. Certains ont dit que ce serait la minute de vérité. C’est vrai. Le Parti libéral du Québec, conscient des exigences de la démocratie dans laquelle nous vivons, a voulu, une fois sa propre décision prise, demander à la population entière de se prononcer catégoriquement sur la plus importante des questions jamais soumises à son attention. Il veut savoir d’elle si, oui ou non, elle veut enfin poser le geste dont ont rêvé nos ancêtres depuis des générations. Il veut savoir si elle accepte d’orienter elle-même son propre avenir.

Mes chers amis, je vous dirai que j’ai une confiance absolue dans l’issue de cette lutte qui met aux prises les forces les plus vives de notre peuple contre le trust de l’électricité. Je suis persuadé, comme je ne l’ai jamais été dans toute ma vie, que la population ne laissera pas passer l’occasion exceptionnelle qui lui est offerte de mettre un terme à une situation devenue intenable.

Cette situation, vous la connaissez. C’est celle d’une société qui a été privée des moyens qui lui auraient permis de s’épanouir pleinement. C’est celle d’une société où les clefs d’une économie moderne appartiennent à des intérêts étrangers à nos préoccupations nationales et indifférents à nos aspirations légitimes.

Comme peuple adulte, nous ne pouvons plus supporter de croupir dans l’immobilisme forcé, immobilisme imposé par une clique politique à qui il plaît que notre province demeure une source de matière première, un réservoir de main-d’oeuvre à bon marché ou un pays vieillot que l’on visite en touriste. L’époque du colonialisme économique sera définitivement morte, oubliée même, le 14 novembre prochain. En ce jour qui méritera de devenir une seconde fête nationale, le peuple du Québec aura signifié leur arrêt de mort aux intérêts égoïstes qui s’opposent directement ou hypocritement à la marche en avant d’un peuple jeune à qui, désormais, l’avenir peut et doit appartenir.

Je n’ai pas encore ouvert officiellement la campagne électorale de notre parti, que je m’aperçois déjà – et mes collègues de même combien la population du Québec a soif d’une puissance qui, normalement, logiquement et moralement même – oui moralement – aurait toujours dû lui appartenir.

Tout le monde chez nous comprend maintenant qu’on ne pourra jamais rien réussir de durable au Québec si, une fois pour toutes, on ne s’attaque à la racine du mal. Et la racine du mal, c’est que notre économie ne nous appartient pas. C’est aussi simple que cela, mais c’est aussi grave que cela.

[I know that there are some who say: « Let the•foreigners corne and invest their money here and everything will be fine ». Now, this is wrong, • because it is not enough. Foreigners only corne here when it pays them to do so, and I can understand why. They come here when they can exploit natural wealth which will earn them a profit. This is their aim, and it is a perfectly normal one.

For us, however — yes, for us, Quebecers of any origin – is

this enough, in spite of the advantages that we get out of it? Will we always be the victime of a mental attitude which condemns us to gather nothing but the crumbs that fall from the table of those who corne from elsewhere, These crumbs can become momentarily more plentiful, but they are still nothing but crumbs. Have we not had enough of being looked upon as a nation of drifters whose wealth is exploited by everyone else except ourselves and which leaves us better off? Have we not got enough pride to make us, stand up at last and demand*for ourselves not presents, handouts or empty honours, but rather what is our due, because

after all, the wealth that Providence has given this province belongs to us and to nobody elsel

My dear friends, I firmly believe that the people of Que’ec have made their choice. I firmly believe that they want to become the masters of their own economy. This is a legitimate désire. This la a necessary objective. The age of half measures is over. Let us leave the patchwork policy to those who; unfortunately for themselves, have still failed to underatand the deep aspirations of our people, Let us leave the patchwork policy to those toadies who have already begun to go about the province in a vain attemps to make our people believe that it la their destiny to live on bended knees before the Golden Calfl For our part, we have understood for a long time that it is no use to dream of a better to-morrow if we do not take control of our economy to day.

Believe me, ail our legitimate désires are in for an

unavoidable disappointment if we do not take steps now to achieve them.

Chez nous, comme partout ailleurs au monde, le père de famille veut, pour ses enfants, un niveau d’éducation qui leur permette de réussir dans la vie, l’ouvrier désire un emploi stable, le cultivateur souhaite que les produits de son labeur se vendent, le petit industriel pense à assurer l’avenir de son entreprise, le travailleur, de quelque catégorie qu’il soit, compte sur un revenu suffisant; en somme tous les citoyens veulent un niveau de vie acceptable et convenable.

Ce sont là des désirs normaux. Une société moderne doit s’employer à les satisfaire. C’est là son devoir et c’est ce qu’on est en droit d’attendre d’elle.

Mais quand cette société – comme je l’ai dit il y a un instant n’a pas les moyens de satisfaire à ces désirs, un gouvernement vraiment responsable doit, en conscience, prendre les mesures qui s’imposent pour les lui procurer. I1 n’y a pas à en sortir. Rien ne sert de tergiverser, ni de s’illusionner; quand on n’a pas la clef, on ne peut pas entrer dans la maison.

Or, notre clef, au Québec, c’est l’électricité. Notre province est immensément riche en pouvoir électrique. Nous possédons, comme territoire, une puissance énorme.

J’ai dit comme territoire, parce que, comme peuple, nous sommes bien pauvres. Actuellement, l’électricité, c’est la clef d’une économie moderne. Nous voulons en faire la clef de coûte d’un régime de vie où, enfin, après tant de générations, nous serons ma^tres chez nous.

La question n’est pas de savoir s’il faut que le peuple du Québec prenne contrôle d’une partie ou de tout l’actif économique impressionnant qu’est l’industrie électrique. La question est de savoir s’il veut entreprendre, avec des moyens efficaces, l’oeuvre de libération économique dont il rêve. Et pour entreprendre cette oeuvre, pour en faire un succès, il lui faut contrôler la production et la distribution hydroélectriques du Québec. Pas les secteurs les moins rentables, non, la production et la distribution globales. C’est là la condition même du succès.

Pendant des mois, le gouvernement libéral a étudié la question. Pendant des semaines, il a soupesé toutes les solutions possibles. À l’aide de données techniques, il a examiné le problème à fond. Et, il en est venu à la conclusion que la seule voie possible était celle d’une nationalisation complète. Pas de demi-mesures du genre de celles dont nous avons toujours fait les frais. En gros, nous avions trois solutions possibles la première était de ne rien faire, c’est-à-dire de laisser se perpétuer la situation actuelle dans laquelle la clef de notre avenir nous échappe. Alors, notre parti aurait pu continuer à diriger la province, sans rien changer de fondamental, sans rien déranger. Et nous aurions fait comme trop de gouvernements qui nous ont précédés: nous aurions été des rois nègres. Vous savez ce que c’est qu’un roi nègre au sens où je l’entends ici? Dans les peuplades africaines dont le territoire avait été conquis par les blancs, au début de ce siècle, les vainqueurs devaient naturellement diriger des populations qu’ils connaissaient mal et dont les réactions étaient imprévues. Ils ne trouvèrent rien de mieux que de confier à des indigènes le soin de garder les peuplades nouvellement acquises fidèles aux conquérants. En échange de ce service, les conquérants fermaient les yeux sur la façon parfois peu orthodoxe dont les rois nègres s’acquittaient de leur tâche. Pourvu que le pouvoir conquérant restât tranquille, tant pis pour la population indigène; la démocratie, c’était pour les conquérants, pas pour les peuplades indigènes qui devenaient, à cause des rois nègres, des serviteurs perpétuels d’intérêts étrangers. Or Dieu sait combien, dans notre province, nous avons eu de rois nègres ! Vous en voyez encore qui font le tour du Québec, obéissant à leurs maîtres d’ailleurs.

I1 y avait une seconde solution, la plus lâche et la plus pernicieuse de toutes, mais aussi la plus facile. Nationaliser les entreprises les moins rentables et conserver les autres aux intérêts privés. Aucun roi nègre n’aurait rien pu inventer de plus malhonnête envers les citoyens du Québec. Ainsi, par cette politique, on leur ferait supporter les coûts additionnels d’entreprises non rentables, sans leur donner les avantages d’une nationalisation ordonnée. D’après nous, c’était là la solution la plus lâche.

Comme citoyen du Québec, j’ai vraiment honte maintenant de vous dire, ce que vous savez déjà, que d’autres nous proposent cette fausse et inefficace solution. De toutes les façons possibles de s’attaquer au problème de l’électricité, c’était là la moins acceptable de toutes. Or, il fallait que quelques valets du trust se chargent de tromper notre peuple et s’emploient à lui faire croire que sa destinée, c’est d’être à jamais soumis aux intérêts privée de groupes qui recherchent le profit pur et simple avant le service à la communauté. Oui vraiment, je n’aurais pas voulu que des Québécois nous arrivent avec cette prétendue solution, véritable plan de nègre s’il en fut un.

On peut soutenir que la nationalisation des industries électriques est mauvaise en soi. Ce point de vue ne vaut pas, à mon sens, mais il peut au moins se défendre! Cependant, promettre de nationaliser deux des compagnies les moins importantes, c’est se moquer de la population. La dernière méthode envisagée par notre parti et rejetée par l’autre devient la première à laquelle pensent ces faux Québécois qui parcourent la province pour la perte des nôtres! Si la solution de lâcheté a eu des adeptes, vraiment il devient vrai ce proverbe qui dit « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ». Quand on s’acoquine avec un trust pour fouler aux pieds les intérêts primordiaux de notre peuple, on devient traître à la nation!

Il n’est pas surprenant alors que de telles gens, l’Union Nationale puisqu’il faut bien la nommer, se soient rendus coupables, il y a quelques années à peine d’un crime odieux que notre population ne pourra jamais leur pardonner. En effet, ces gens qui ont dénationalisé à leur profit personnel un secteur public – celui du gaz naturel voudraient aujourd’hui nous faire croire qu’ils recherchent le bien des Québécois. Quelle farce!

Oui, quelle farce! Ou plutôt quel cynisme! Ce sont ces gens qui, pour obtenir un profit égoïste, n’ont pas hésité à priver notre province d’un bien qui appartenait à toute notre collectivité. Ce sont ces gens qui ont trompé le peuple, qui l’ont volé, oui, volé! Et aujourd’hui, ces serviteurs des trusts veulent donner un coup de poignard dans le dos de notre peuple en faisant mine de l’aider, alors qu’en réalité ils lui proposent la plus nocive des solutions possibles. Heureusement, personne ne sera dupe. C’est Abraham Lincoln qui, je crois, disait: « On peut tremper tout le monde quelque temps. On peut tromper quelques-uns tout le temps. Mais on ne peut tromper tout le monde tout le temps. Or, l’Union Nationale, illusion qui lui sera fatale, essaie de tromper tout le monde tout le temps. Et de cela, notre peuple en a assez! Des partis comme celui de l’Union Nationale, il en a assez! Des politicailleurs, il en a assez! Des gens qui se moquent de lui, il en a assez! Il veut qu’on s’attaque enfin aux véritables problèmes, celui de la libération économique, par exemple.

Or c’est l’objectif que le parti libéral du Québec propose aux nôtres. Pendant des années, on n’a fait que courir au plus pressé dans le Québec, on n’a fait qu’éteindre des feux. Il commence à être temps de voir à ce que ces feux ne s’allument plus!

Mesdames et messieurs, l’enjeu de la lutte actuelle, c’est l’avenir même du Québec. Il n’y a pas à en sortir. Les adversaires en présence dans cette lutte sont: le peuple du Québec versus le trust! Celui qui est pour le trust est contre le peuple du Québec. Celui qui est pour le peuple est contre le trust. Là non plus il n’y a pas à en sortir.

Mesdames et messieurs, à la face de la province, j’accuse l’Union Nationale d’être lâche en refusant de s’attaquer au fond du problème … d’être hypocrite en tentant de faire croire à la population que ce qu’elle appelle son programme est autre chose quo du patinage de fantaisie… d’être renégate envers les intérêts fondamentaux de notre peuple en refusant, comme par le passé, de collaborer à l’oeuvre capitale de la libération économique … d’être traître envers notre nation en prenant la part d’influences occultes qui tiennent à l’asservir .

Mesdames et messieurs, je défie publiquement, ce soir, le chef imposé de l’Union Nationale de se prononcer catégoriquement et sans détour sur le fond du problème. Va-t-il dire, une fois pour toutes lui, l’ancien ministre des Ressources hydrauliques – si, oui ou non, il considère la nationalisation de l’électricité comme l’outil devant permettre au peuple du Québec de devenir enfin maître chez lui? Va-t-il finalement adopter une position claire – lui, l’ancien ministre des Ressources hydrauliques ? Le peuple du Québec veut savoir!

Mesdames et messieurs, je défie publiquement le chef imposé de l’Union Nationale d’expliquer pourquoi, oui pourquoi il a, pour son bénéfice personnel, participé à la destruction d’un patrimoine commun en profitant de la vente à des intérêts privés du réseau de gaz naturel de l’Hydro-Québec? Cela, le peuple du Québec veut le savoir! Mesdames et messieurs, je défie publiquement le chef imposé de l’Union Nationale de révéler quelle sorte d’avantages, directs ou indirects, son parti reçoit pour faire campagne on faveur des compagnies d’électricité? Cela aussi le peuple du Québec veut le savoir!

Mes chers amis, la campagne électorale du Parti libéral n’est pas encore officiellement ouverte. Bientôt elle le sera, et alors j’aurai l’occasion de revenir avec plus de détails sur des sujets qui feront regretter à l’Union Nationale, sa lâcheté, son reniement et sa traîtrise envers la population de notre province. Pour le moment, oublions ces gens chez qui les historiens de l’avenir sauront déceler les vestiges du colonialisme économique dont notre peuple veut maintenant se défaire à jamais!

Je vous ai dit, il y a quelques minutes, qu’il y avait, en gros, trois solutions au problème de l’électricité. Vous connaissez les deux premières: celle de la facilité et celle de la lâcheté.

Il en restait une autre, celle du courage, et nous, du Parti libéral du Québec, nous l’avons choisie. Elle est la seule à fournir au peuple de la province, entièrement et définitivement, la clef de toute économie moderne. Elle est la seule à satisfaire aux exigences de la justice et de l’efficacité. C’est pourquoi nous nous y sommes arrêtés, après mûre réflexion, après maintes recherches. Nous la proposons aujourd’hui à la population du Québec. Pour notre part, notre décision est prise. Nous savons où nous voulons aller, et nous y allons avec détermination et confiance. Il faut nationaliser toutes les compagnies exploitant et distribuant l’électricité dans le Québec. Le geste est sérieux, mais il est aussi indispensable. À l’heure actuelle, la situation financière de la province lui permet d’envisager de grands projets. Il en est de même pour l’Hydro-Québec. L’occasion est donc excellente, et il importe de la saisir. Notre décision arrêtée, nous voulons démocratiquement la soumettre au peuple et obtenir de lui un mandat péremptoire. Il fallait de l’audace et nous en avons eu. Finis les gouvernements de rois nègres.

Par la nationalisation de l’électricité, étape indispensable d’une politique vraiment nationale, notre population bénéficiera d’avantages directs et indirects. Tous les citoyens du Québec en profiteront d’une façon ou de l’autre. Je me permets de vous rappeler ces avantages. Baisse de taux dans plusieurs régions de la province. Dans les territoires nationalisés, les tarifs domestiques et commerciaux seront rajustés de façon à supprimer la confusion et les injustices flagrantes qui règnent présentement. Bref, non seulement personne, nulle part, ne paiera plus qu’il ne paie maintenant, mais un grand nombre d’usagers verront leurs comptes diminuer.

Aux frais de l’Hydro-Québec, conversion de 25 à 60 périodes (cycles) de l’électricité en Abitibi, et modernisation des structures électriques dans le Bas-du-Fleuve et en Gaspésie. Du coup, on permet un nouveau départ à des régions trop longtemps négligées.

Politique dynamique de décentralisation industrielle. Des régions entières seront ouvertes à l’industrie, ce qui contribuera à augmenter le nombre d’emplois disponibles. Dans son travail de développement et de décentralisation économique, le gouvernement pourra compter sur une puissante Hydro, devenue vraiment capable de mener à bien une politique rationnelle et dynamique de tarifs industriels. Diminution des coûts de production de l’électricité par suite des économies réalisées. Cela placera le Québec en meilleure position sur les marchés internationaux où s’écoulent certains de nos produits dont la fabrication exige l’utilisation intensive d’énergie électrique.

La nouvelle Hydro assumera le paiement, sur la base courante, de toutes les taxes municipales et scolaires des entreprises nationalisées. De plus, dans toutes les municipalités où elle possède actuellement des biens, la nouvelle Hydro paiera à l’avenir les taxes municipales et scolaires, non plus seulement sur les fonds de terre et les bâtiments, mais aussi sur tous ses immeubles, sauf les centrales et les barrages.

La nouvelle Hydro deviendra la propriété collective de 5300000 actionnaires à part entière, fiers de leur avoir commun et fiers de leur puissance nouvelle. Comme acheteurs de nombreux matériaux et services, la nouvelle Hydro favorisera avant tout les gens du Québec. La nouvelle Hydro permettra la formation plus poussée et la promotion de nos jeunes techniciens du Québec qui eux pourront, par la suite, participer de façon efficace à la poursuite de notre oeuvre de libération économique.

Le Québec conservera les quelques $15000000 d’impôt que chaque année les compagnies privées versaient au gouvernement central.

L’Hydro-Québec fera face aux dépenses de la nationalisation grâce à son expansion normale et aux revenus additionnels provenant de ses nouveaux territoires. De plus, pourront servir à cette fin les $15000000 que les compagnies versent présentement à l’impôt fédéral chaque année.

[It will aise be necessary to borrow capital by means of longterm loans. These loans X ll mot necessarily have to be made on the Canadian market. If conditions continue to be as favourable as they are now, these loans may also be made on the American or European markets, either in whole or in part.

. This would ensure the entry into Canada of

the foreign

capital that we need,

but in auoh’a way that control if this capital will be kept in our hands. Furthermore, the capital that many Quebecers have invested in nationalized power

ompanies would become available for investment in other sectors of our economy.

The employees of these companies will become employees of QuebecHydro, and shah not lose either their rank or their acquired rights.

The shareholders of these companies will receive fair compensation, to be fized in taking into strict account the legitimate interests of the shareholders and the taxpayers. This compensation shall be subject to final determination by the courts.

Needless to say, the Government will not engage in any general policy of nationalization. Its so’e aim is to give to Quebec-Hydro a stature commensurate with the province’s needs and ambitions.]

La nationalisation de l’électricité est clairement la mesure économique la plus vaste et la plus féconde jamais proposée dans notre histoire.

C’est pourquoi, ayant longuement examiné et discuté le problème, le Parti libéral du Québec est convaincu que la nationalisation de l’électricité est une grande et fructueuse affaire, non seulement pour le bien-être matériel du Québec, mais tout autant pour la santé sociale et l’avenir national du Canada français.

Le Parti libéral du Québec fait confiance au peuple de la province. Il sait que ce peuple ne permettra jamais de laisser passer l’occasion sans précédent qui lui est offerte de choisir, une fois pour toutes, entre la libération économique, gage d’un avenir meilleur, et la sujétion à des intérêts indifférents à nos préoccupations nationales et étrangers à nos aspirations légitimes de peuple adulte.

Le Parti libéral du Québec, sûr que les années qui viennent verront l’émancipation économique du peuple québécois, et convaincu de l’idéal auquel il se consacre, a accepté de mettre son existence en jeu sur cette question vitale dont tous les Québécois comprendront l’importance et l’étendue. Le Parti libéral du Québec a confiance, comme ont confiance toutes les nations jeunes qui, un jour, ont résolu de s’affirmer …Pour la première fois dans son histoire, le peuple du Québec peut devenir maître chez lui ! L’époque du colonialisme économique est révolue. Nous marchons vers la libération. C’est maintenant ou jamais, soyons maître chez nous.

[QLESG19621005]

[Association des Bonnes Routes

Québec, le 5 octobre 1962 Pour publication après 7:00 hres p.m.

Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 5 octobre 1962]

La route est aujourd’hui reconnue comme un des instruments les plus modernes de développement économique. Pour sien rendre compte on n’a qu’à imaginer ce que deviendraient nos principales villes si on fermait soudainement à la circulation les grandes voies d’accès qu’empruntent quotidiennement, pour s’y rendre, des milliers de citoyens. Ces milliers de citoyens vont à la ville pour y exercer leur métier ou leur profession, ou encore pour y conduire leurs affaires. En somme, sans le lien que constitue la route entre la ville elle-même et le reste de la province ou du pays, la vie économique s’étiolerait bientôt et laisserait la place à une stagnation néfaste.

Qu’on imagine aussi ce que deviendraient nos campagnes et nos petites villes si elles n’étaient rattachées entre elles par une multitude de voies carrossables. Elles étoufferaient, elles péricliteraient. Elles formeraient chacune des petites communautés repliées sur elles-mêmes, fermées à l’apport de l’extérieur. Les possibilités d’échange étant pratiquement disparues, la grande entreprise deviendrait impossible et le marché, tel que nous le connaissons, serait inexistant.

On peut dire d’une certaine façon que le vingtième siècle, celui plus précisément de l’Amérique du Nord avec tout son progrès, son dynamisme et ses perspectives brillantes, a été rendu possible par l’existence même d’un réseau routier rapide et en constante expansion. Sans la voirie moderne, nous ne serions peut-être pas encore sortis de l’économie pastorale. Notre pays lui-même doit une grande part de son progrès des dernières années à toutes ces routes qui rapprochent l’une de l’autre des régions économiques souvent très variées.

Si la route est un facteur de développement aussi important, cela tout le monde l’admet, son expansion ne peut être laissée au hasard. Sa modernisation non plus. En construisant dos voies de communication, un gouvernement doit songer non seulement aux investissements qu’il lui faut effectuer, mais aux effets que peuvent imposer ces investissements sur l’économie régionale et, de là, sur l’économie de la province. Évidemment, je parle ici comme chef du gouvernement d’une province, mais je n’oublie pas que le réseau routier d’une province peut influer sur l’allure du développement économique d’un pays.

De toute façon, que nous le voulions ou non, l’aménagement des voies de communication modernes doit se concevoir et s’effectuer à partir d’un plan directeur. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire au Québec. Les montants dont nous disposons pour la modernisation de notre réseau routier n’étant pas infinis, il fallait trouver le moyen d’utiliser au meilleur escient possible les sommes à être dépensées. C’est pourquoi on parle maintenant de voirie en termes de planification et d’intégration. Qui pourra censément nous le reprocher? S’il est un domaine où il importe de prévoir, de penser d’avance, de peser et de soupeser longuement les décisions qui engagent dans une large mesure le crédit de la province pour des années à venir. C’est bien, il me semble, en matière de voirie.

Quand on y réfléchit quelque peu, ne faut-il pas admettre que dans toute entreprise privée digne de ce nom, la planification est devenue une fonction universelle. Qu’il s’agisse de la haute direction, de la sous-direction ou des chefs d’équipe, chacun travaille à utiliser efficacement la main-d’oeuvre, à choisir les meilleurs matériaux, à acquérir l’outillage le plus moderne, à recourir à des procédés qui abaisseront le coût de production sans pour autant nuire à la qualité du produit, La mise en marché est étudiée avec soin. Des experts colligent une documentation considérable sur les goûts et les habitudes du consommateur, sur son pouvoir d’achat, sur le potentiel industriel et commercial du secteur, sur les facilités da transport et quoi encore! Puisque planifier permet à une industrie privée d’épargner du temps et de l’argent, pourquoi en serait-il autrement pour le gouvernement, à coup sûr l’un des plus gros entrepreneurs de la province?

Nous avons donc fait des études afin de déterminer quelles opérations s’imposaient d’ici les cinq prochaines années et d’orienter en conséquence la distribution des sommes qui peuvent être attribuées à cette fin. Nous avons, dans l’établissement de ce plan d’ensemble, tenu compte, aussi largement que possible, des perspectives de développement commercial et d’expansion industrielle susceptibles de modifier et d’accentuer l’intensité de la circulation dans les diverses régions de la province. Le programme que nous avons établi pour les cinq prochaines années reste souple et adaptable à des nécessités nouvelles. L’accroissement de la circulation dans la province de Québec comme partout ailleurs pose sans cesse des problèmes nouveaux. Il exige de plus en plus l’aménagement de routes plus larges, plus confortables et plus résistantes à des charges plus lourdes et répétées à un rythme de plus en plus rapide. Il faut envisager pour l’avenir l’élargissement des emprises, la prévision de tracés nouveaux et la réalisation systématique du contournement des agglomérations. Il faut tenir compte du problème complexe des aménagements urbains dans les grands centres et de l’amélioration du réseau secondaire.

On pourrait être porté à croire, en entendant parler de planification en matière de voirie, que le gouvernement ne se préoccupe que des grandes voies de communication et qu’il néglige ce qu’il est convenu d’appeler la voirie de comté. On aurait tort de le penser. La voirie de comté, moins spectaculaire peut-être que la grande voirie demeure une des principales préoccupations du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger. Il est impossible en effet de la dissocier de l’ensemble du réseau routier, car elle en fait partie. Il n’y a pas, à proprement parler, de voirie de comté, mais une voirie provinciale avec des ramifications au niveau régional et au niveau local. Il s’agit alors, pour le gouvernement, de distribuer ses crédits en tenant compte, non plus de considérations purement politiques, mais de l’équilibre qui doit exister entre les trois niveaux: local, régional et provincial. Cela est une des conditions du progrès économique cohérent de toutes les parties de la province.

Le gouvernement, conscient de l’importance d’un réseau routier de premier ordre, mettait à la disposition du ministère de la Voirie, au cours de l’année 1961-62, un montant de plus de $150000000 pour l’élaboration d’un vaste programme d’amélioration générale de voirie, conforme aux besoins de toutes les classes de la population et aux exigences de la prodigieuse expansion de la circulation. Au cours de 1961, le ministère de la Voirie a entrepris la modernisation des principales voies de communication qui relient les grandes villes entre elles, et la province aux provinces et aux États américains voisins, ainsi que l’amélioration de nombreux chemins ruraux dans toutes les régions, même les plus éloignées. Des entreprises de construction, de réfection et d’asphaltage furent effectués sur une longueur de 2975 milles.

Dans les comtés du bas du fleuve Saint-Laurent, de Montmagny à l’extrémité de la péninsule de Gaspé, des travaux furent exécutés sur une longueur de 471 milles et ont nécessité des déboursés de l’ordre de $6035000. Des travaux considérables furent exécutés sur la route de ceinture de la Gaspésie ainsi que sur plusieurs chemins à l’intérieur de la péninsule.

Sur la côte nord du Saint-Laurent, le ministère de la Voirie a dépensé $3550000 pour la construction et la réfection de 224 milles de chemins, particulièrement sur la route 15, de Tadoussac à Sept Îles et de Mingan à Hâvre Saint-Pierre. Dans les régions de Chicoutimi et du Lac Saint-Jean, des routes ont été construites ou améliorées sur une longueur totale de 126 milles nécessitant des déboursés pour un montant de $3250000. Parmi les entreprises les plus considérables, il y a lieu de mentionner la construction des routes Chicoutimi-Tadoussac et Roberval-La Tuque. Pour l’aménagement du réseau routier de la région métropolitaine de Québec, le ministère a dépensé, au cours de 1961, $ 2000000 et a fait d’autres travaux dans les comtés avoisinants sur une distance de 122 milles pour un montant de $2790000. Dans la région de Trois-Rivières et de la Mauricie, une somme de $1980000 a été dépensée pour l’amélioration de 130 milles de chemins. Les travaux les plus considérables furent exécutés aux approches du nouveau pont de Shawinigan, qui sera terminé au cours de 1962 par le ministère des Travaux Publics.

Sur la rive sud du Saint-Laurent, du comté de Lévis au comté de Chambly, des travaux d’amélioration furent exécutés sur 205 milles de routes pour un montant de $3350000. Des entreprises de réfection furent salement exécutés dans la région de la Beauce et des comtés avoisinants ainsi que dans les Cantons de l’Est pour un montant de $8180000 couvrant une longueur totale de 736 milles.

Dans la région métropolitaine de Montréal ainsi que dans tous les comtés contigus de la métropole, nous avons commencé la réfection complète de notre réseau routier, demandée depuis plusieurs années par la population. On a dépensé, au cours de 1961, $7930000 pour le début d’aménagement de 366 milles de routes. Parmi ces entreprises, on doit faire mention particulièrement de l’aménagement des approches du pont Champlain, qui fait partie d’un vaste plan d’ensemble d’un réseau moderne de routes à voies divisées et à accès contrôlés sur la rive sud du Saint-Laurent dans les comtés de Chambly, Laprairie et Châteauguay, ainsi que la construction d’une route à voies divisées et à accès contrôlés afin de relier notre province a la route 401 dans la province d’Ontario.

Dans la région des Laurentides, les routes furent améliorées sur une longueur de 200 milles nécessitant des déboursés de l’ordre de $4800000. Dans la partie nord-ouest de Montréal, du comté de Deux-Montagnes jusqu’au comté de Pontiac, aux limites de la province d’Ontario, nous avons dépensé $1985000 pour la réfection de 105 milles de chemins. Enfin, les routes des régions de 1’Abitibi et du Témiscamingue subirent, au cours de 1961, d’importantes transformations, et le gouvernement a dépensé $3150000 pour l’amélioration de 280 milles de chemins afin de favoriser l’essor de l’industrie minière dans cette importante partie de la province.

Je vous rappelle, en passant, que les chiffres que je vous mentionne maintenant sont ceux du dernier exercice financier. Ceux de l’exercice actuel ne sont pas encore définitivement établis. Cependant, au cours de cette année le gouvernement a continué dans la même voie et le vaste programme de construction routière se poursuit constamment. Les voyageurs qui parcourent notre province s’en aperçoivent d’ailleurs facilement. Nôtre réseau routier est en train de changer de visage.

Toutefois, en ce qui concerne les routes secondaires, on peut dire que la province de Québec est assez bien équipée, si on procède par voie de comparaison. Malheureusement, la situation n’est pas aussi brillante au chapitre des routes de grande classe. Québec possède environ 150 milles de voies divisées avec accès contrôlé, tandis que sa voisine, Ontario, en a plus de 1,500. Il est vrai que l’incidence économique de nos grandes artères est parfois difficile à apprécier, mais cela ne nous excuserait nullement d’ignorer le problème. En effet, nos artères principales risquent d’être congestionnées par l’accroissement de l’industrie du transport et la progression rapide des véhicules en circulation. C’est pourquoi le gouverneront a adopté plusieurs mesures visant à résoudre le problème posé par l’absence de grandes voies de circulation. Son action a porté sur la construction de la route transcanadienne et sur celle des autoroutes.

La construction du tronçon de la route transcanadienne qui traverse le Québec est, sans contredit, une des plus importantes entreprises du gouvernement de la province. Cette construction qui a débuté en 1961 constitue la plus considérable jamais mise en chantier chez nous par un ministère de la Voirie.

Le gouvernement avait inscrit au budget 1961-62, à cette fin, une somme de $3171300. Avec la contribution de l’administration fédérale, qui était de $21685000, nous pouvions exécuter des travaux pour un montant de $53398000 .

Cette route moderne, dont le coût final s’établira aux environs d’un milliard de dollars, en plus de raccourcir la distance d’un océan à l’autre, sera pour le Québec l’occasion d’un développement économique considérable. En améliorant sensiblement les conditions de transport, nous favorisons incontestablement la décentralisation de la grosse et de la moyenne industrie actuellement cantonnée dans les grandes agglomérations ou à leur périphérie. Par la construction de la route transcanadienne, c’est toute notre province qui prendra un nouvel essor. Dans le domaine des autoroutes, il y a eu depuis deux ans un effort gigantesque. Notre province ne peut plus se permettre d’être privée de ces voies de communication modernes et rapides; son économie l’exige, sa population le demande. Le gouvernement a déjà entrepris le prolongement de l’autoroute des Laurentides, de St-Jérôme à Ste-Adèle au nord de Montréal. On estime que le coût de cette amélioration importante à notre réseau routier s’établira à environ $20000000.

De plus, comme chacun le sait, les Cantons de l’Est seront bientôt reliée à la métropole par la construction de l’autoroute des Cantons de l’Est que la population réclame depuis déjà longtemps. L’Office des autoroutes a été autorisé à préparer les plans et devis. La construction proprement dite devrait débuter au cours de 1963.

Quant à la rive nord du fleuve, des études sont actuellement en cours; celles-ci nous permettront de prendre ultérieurement des décisions précises en vue de doter cette partie de la province de moyens de communication adaptés aux besoins de la vie économique moderne.

Tout le monde est donc à même de constater la dimension de la tâche entreprise par le gouvernement du Québec pour doter tous les coins de notre province d’un réseau routier adapté à ses besoins et conçu en fonction des nécessités de la vie actuelle.

Je dois dire que nous sommes assez fiers de ce qui a déjà été fait. Nous avons conscience d’avoir fourni un effort utile qui n’est cependant que le prélude à des progrès encore plus considérables. En effet, le plan que nous avons commencé à réaliser doit se poursuivre sur plusieurs années. Bientôt, notre province n’aura plus grand chose à envier à ses voisines. Dans quelques années, toutes nos grandes villes seront reliées par des voies modernes, rapides et sûres. Déjà cette vision de l’avenir se dessine. Il ne s’agit plus de promesses; il s’agit de travaux concrets qui viennent de commencer, qui sont en voie de réalisation.

C’est ainsi que notre voirie non seulement établira des liens plus étroits entre chaque partie de notre province, mais elle donnera au Québec un des instruments les plus importants de son progrès économique futur.

[QLESG19621013]

[Club Richelieu International

Québec, le 13 octobre 1962, Pour publication après 7:30 hres P.M.

Hon, Jean Lesage, Premier Ministre le 13 octobre 1962]

C’est avec grand plaisir que le gouvernement de la province vous a priés ce soir d’accepter son invitation. Pour ma part, comme vous le savez sans doute, je suis passablement occupé ces temps-ci. Mais comment pouvais-je résister à la perspective d’un dialogue avec les membres d’un Club qui symbolise à mes yeux l’expression organisée du désir d’entraide sociale. Il émane de notre milieu et s’étend à travers toute la province. On trouve des Clubs Richelieu dans toutes les régions du Québec, et partout ils poursuivent la même oeuvre magnifique: l’aide à l’enfance malheureuse. Le mouvement s’étend aussi à l’extérieur de nos limites territoriales et, par là, il poursuit la même oeuvre de rayonnement national que celle à laquelle s’est attaqué notre gouvernement. Le Richelieu est donc une sorte d’ambassadeur de notre langue et de notre culture. Il en favorise l’épanouissement et le progrès, et manifeste la présence du Canada français dans le reste du pays et même aux États-Unis.

Ce n’est pas seulement notre langue et notre culture qu’il diffuse, c’est aussi notre esprit, notre façon de voir les choses, notre interprétation de la réalité. Le mouvement Richelieu nous représente donc dans ce que nous avons de plus authentique.

Comme Premier ministre du Québec, je n’ai pas besoin de vous dire combien j’apprécie le rôle de vos clubs dans la politique d’affirmation nationale que tout notre peuple désire. Je vous en remercie bien sincèrement, je vous en félicite et je vous encourage fortement à toujours continuer dans la voie qui s’est avérée si fructueuse déjà.

Mes chers amis, il est réconfortant de savoir que des citoyens consacrent tant de leur temps et de leur argent à une bonne cause. Dans une démocratie, il convient que des groupements privés s’organisent pour faire leur part dans l’amélioration du niveau de bien-être. De fait, l’action de ces groupements privés – et particulièrement celle de clubs sociaux comme le vôtre – est absolument essentielle. Il n’existe pas de statistiques démontrant l’envergure de votre action, mais notre société serait différente – elle serait probablement moins humaine – si des groupements comme le vôtre n’existaient pas. En plus des immenses services qu’ils rendent, ils ajoutent une note de charité dans le vaste champ d’action qu’est l’assistance sociale chez nous. Ils perpétuent l’esprit d’entraide qui a marqué, au Québec, toute l’évolution de notre régime de sécurité sociale. Cet esprit d’entraide, la société moderne a tendance à le perdre. À mesure que s’accroît la dimension des services de bien-être social, surtout à mesure que s’accroît la part gouvernementale à ces services, il devient nécessaire d’adopter des normes administratives efficaces. Inévitablement, le contact humain risque alors de laisser place à des relations de lointains fonctionnaires entre la personne aidée et l’organisme qui lui accorde le secours dont elle a besoin. Ce danger existe dans tous les pays du monde et, au Québec, nous en sommes conscients. C’est pourquoi, par exemple, nous avons résolu de décentraliser le ministère de la Famille et du Bien-être social afin de le rapprocher de la population. De cette façon, la personne secourue sera toujours considérée comme une personne, et non comme un nom ou comme un numéro dans un dossier.

Par la présence des organismes d’assistance bénévole, comme nos Clubs Richelieu, cet effort de personnalisation est plus facile. La société aide l’individu à la fois grâce aux sommes versées par le gouvernement et grâce aux services que peuvent lui rendre des groupes de citoyens et des institutions privées. La collaboration et la complémentarité de l’initiative publique et de l’initiative privée ne peuvent qu’avoir des effets heureux. Le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger le comprend parfaitement et désire que des modes de coopération encore plus nombreux établissements entre le secteur privé et le secteur public du bien-être social.

Les immenses services qu’a rendus l’initiative privée dans le domaine de l’assistance sociale au cours de notre histoire peuvent ainsi acquérir une efficacité et une portée nouvelles. Le réseau d’institutions et d’oeuvres charitables qui existe déjà à travers notre province doit être utilisé, selon nous, le plus possible. Le gouvernement doit s’efforcer de lui donner une efficacité maximum en lui faisant une large place et en lui laissant exercer des responsabilités étendues dans tous les domaines où l’efficacité de l’initiative publique serait moindre. C’est dans cet esprit qu’a été conçu notre ministère de la Famille et du Bien-être social et c’est dans cette perspective qu’il continuera d’agir.

Le ministère de la Famille ne s’est pas seulement attaché à découvrir des modes de collaboration plus étroite entre le gouvernement et le secteur du bien-être social relevant de l’initiative privée. Il lui a fallu aussi parce que les besoins des personnes et des familles passent avant ceux des structures administratives, améliorer grandement le régime de sécurité sociale de la province.

Je n’ai pas l’intention ici – soyez sans crainte – de vous énumérer une longue liste de ce que le gouvernement a entrepris dans ce domaine au cours des deux dernières années. Je veux seulement vous donner quelques exemples pour vous montrer comment nous nous sommes attaqués à certains des problèmes auxquels une partie de notre population avait à faire face. Si nous partons de l’année 1960, nous constatons que le ministère de la Famille est, depuis ce temps, venu en aide à plus de 360000 citoyens du Québec. Comme la plupart de ces personnes vivent dans des familles, l’objectif du ministère est de secourir la famille par l’individu, on peut donc dire que, depuis deux ans, environ un million de personnes vivant dans le Québec ont reçu, à un moment donné, une aide directe ou indirecte du ministère de la Famille. Dans les deux années qui ont précédé 1960 – je vous présente ces chiffres rapides à titre de comparaison – environ 135000 personnes ont été aidées de cette façon, soit, en tenant compte des familles où elles vivaient, environ 400000 personnes au total. Ainsi, à cause des nouvelles mesures de sécurité sociale et à cause également de l’amélioration des mesures déjà existantes, on peut dire que 600000 personnes de plus ont été directement ou indirectement aidées au cours des deux dernières années. Au cours de ces deux mêmes années, les sommes versées par le ministère de la Famille sous forme d’assistance sociale ou autrement ont dépassé $340000000.

Évidemment, toutes les personnes aidées par le gouvernement ne sont pas indigentes au sens strict du terme. Pour un grand nombre d’entre elles, ce n’est pas leur subsistance complète qui est assumée par le gouvernement. C’est plutôt une aide supplétive que le ministère leur accorde pour leur permettre de vivre une vie meilleure.

Parmi les mesures d’assistance sociale qui ont été grandement améliorées je vous signale l’assistance versée aux personnes inaptes au travail pour plus de 12 mois, mais non de façon permanente, et l’assistance publique qui est maintenant accordée à un beaucoup plus grand nombre de personnes qu’avant. À eux seuls, ces deux postes du budget de la sécurité sociale ont dépassé $160000000 au cours des deux dernières années,

Nous avons aussi adopté plusieurs mesures nouvelles. Je pense par exemple aux allocations scolaires actuellement versées aux parents de plus de 130000 étudiants de 16 à 18 ans. Il y a aussi l’assistance aux veuves et célibataires de sexe féminin âgées de 60 à 65 ans. Cette assistance n’existait pas auparavant. Les allocations supplémentaires de montant variable n’existaient pas non plus; elles sont destinées à améliorer, selon leurs besoins, le sort des personnes qui reçoivent l’une ou l’autre des allocations suivantes: assistance-vieillesse (personnes de 60 à 65 ans), pensions de vieillesse (personnes de plus de 70 ans), allocations de cécité, d’invalidité ou de mères nécessiteuses. Une autre mesure importante de sécurité sociale – une des mesures les plus attendues et les plus nécessaires – a été l’assurance-hospitalisation. Jusqu’ici, depuis son établissement, l’assurance-hospitalisation a bénéficié à 1510000 personnes. Son coût total, à la province, aura été en deux ans de $160000000. Il faut ajouter à ce montant la part fédérale qui est également de $160000000 . Ce qui fait un total de $320000000 . Selon les recherches faites au ministère de la Santé, il semble bien que, pour l’année 1962 seulement, l’assurance-hospitalisation aura bénéficié à plus de 933000 personnes. Dans l’avenir, on prévoit que le nombre de bénéficiaires augmentera encore davantage. En somme, l’assurance-hospitalisation a répondu à un besoin pressant de notre population. Il en est résulté – et c’est de cela surtout que le gouvernement est fier – une sécurité nouvelle pour nos citoyens: celle de savoir que, quoi qu’il arrive, ils ne seront plus jamais écrasés par des frais d’hospitalisation disproportionnés à leurs revenus. L’assurance-hospitalisation a si bien répondu aux besoins des Québécois que le gouvernement vient d’en étendre les bénéfices aux cliniques externes pour les traitements psychiatriques, les soins d’urgence et la chirurgie mineure. Nous nous promettons d’ailleurs de continuer dans cette direction dès que ce sera possible, même si nous nous rendons bien compte que le progrès réalisé depuis deux ans, tant en matière de santé que d’assistance sociale, est énorme.

Mes chers amis, j’arrête ici cette courte nomenclature. J’ai voulu vous donner une idée rapide de l’action du gouvernement dans un domaine qui vous intéresse. Il m’eût été possible de vous citer des chiffres pendant une heure entière, mais je crois que ce que j’ai dit suffit pour vous faire voir le souci qu’a le gouvernement d’appliquer une politique familiale qui tient compte des besoins de chacun. Il vise à ce que cette politique englobe, comme une de ses parties essentielles, l’action des organismes privés et des groupements qui, comme le vôtre, sont formés de membres conscients de leur rôle de citoyens.

Je pense cependant qu’il convient de dépasser le cadre du bien-être social et de la santé pour nous arrêter, avant que je ne termine cette causerie, à ce que j’appellerais la condition indispensable du progrès économique et social de notre province.

Je vous ai parlé de l’activité du gouvernement en matière de sécurité sociale. J’ai insisté sur le rôle de l’initiative privée dans ce domaine. Mais je voudrais ajouter – car je crois que c’est essentiel, surtout maintenant – que dans tout cela nous ne nous attaquons qu’à des effets et non à des causes. Je veux dire que l’action du gouvernement doit viser à corriger des situations qui, autrement, seraient socialement inacceptables. Elle vise à les corriger, à les atténuer, et même à les faire disparaître, mais pour les empêcher de se produire, il faut agir sur les causes. Ainsi, le véritable moyen de venir en aide à une personne sans travail, c’est de lui donner de l’emploi et non de lui verser de l’assistance sociale. L’assistance sociale est nécessaire, indispensable en autant qu’elle rencontre des besoins immédiats et inévitables, mais il serait souverainement illusoire de compter exclusivement sur elle pour résoudre des problèmes économiques profonds dont le chômage est la conséquence ou l’effet. Je pense d’ailleurs que tout le monde est d’accord là-dessus. C’est pourquoi le gouvernement a pensé s’attaquer à la racine du mal, tout en ne négligeant pas – comme je viens de vous le démontrer les besoins immédiats d’une partie de notre population. Il a choisi de conduire une action en profondeur dont les résultats seront de nature à faire disparaître les causes qui conduisent aux effets que nous nous employons à corriger lorsqu’ils se manifestent.

Cette action au niveau des causes est multiple dans ses moyens, mais unique dans son but. Ce but est le progrès économique du Québec. Le progrès économique du Québec se fera, croyons-nous, grâce à la création et à la décentralisation d’industries nouvelles. Il n’y a pas à en sortir; autrement, nous nous condamnons à piétiner sur place et à attendre que les autres veuillent bien venir s’installer chez nous pour exploiter nos richesses.

Quels sont les moyens à employer pour atteindre ce but? Ils sont nombreux et l’un d’entre eux existe déjà: la Société Générale de Financement. Cette Société est maintenant formée et ses directeurs temporaires sont nommés. Bientôt elle se mettra à l’oeuvre.

D’autres moyens n’existent pas encore, mais nous serons en mesure de les créer, probablement cette année. Je pense par exemple au réaménagement régional rural et à la planification économique. Les structures administratives nécessaires sont prêtes car nous nous sommes employés à les définir au cours des derniers mois. Le Québec saura ainsi où il va et pourra utiliser ses ressources humaines et économiques le plus rationnellement possible.

Je vous ai jusqu’ici parlé avec l’objectivité des statistiques ou des principes d’économie qui sont au-dessus des convictions politiques. Malgré le climat électoral et la tentation qu’il fait naître chez les chefs de parti de vanter les solutions qu’ils ont déjà proposées, je ne pousserai pas plus loin, devant un aréopage voué comme tel à la neutralité politique, l’énumération des autres forces que nous espérons harnacher au profit de notre avancement dans tous les domaines. Je veux m’abstenir de tout ce qui

est sujet à controverse pour le moment, même si je crois qu’on doive s’étonner un jour que la controverse ait pu existera Quoi qu’il en soit, je ne veux à l’heure actuelle que formuler un principe qui doit planer au-dessus des politiques de parti:

Il faut soulager les symptômes, d’accord!… mais c’est le mal qu’il faut supprimer!

Mes chers amis, je vous laisse sur cette idée que je me permets, même si le mot n’est pas au dictionnaire de l’Académie, de qualifier de: apolitique. Si jamais l’on m’invite de nouveau à une séance du dictionnaire, j’en proposerai l’adoption! En attendant, je veux vous dire avec admiration que, comme citoyens éclairés et conscients de vos responsabilités, vous vous consacrez à une œuvre magnifique; et le souhait le plus sincère que je puisse faire à ma province, c’est de se voir totalement envahie par un esprit qui, comme celui de votre mouvement, soit marqué au coin de la générosité sociale et de l’entraide humaine.

[QLESG19621118]

[Congrès des journalistes de langue française Québec, le 18 novembre 1962 Hon. Jean Lesage, Premier Ministre]

En 1960, mon premier discours après l’élection s’était aussi adressé aux journalistes. En effet, j’avais été, le 20 août, le conférencier invité à la réunion des hebdos à la Malbaie. Le premier événement d’un mandat que le peuple de notre province vient de renouveler, c’est ce rendez-vous d’aujourd’hui avec la presse. Est-ce le fruit du hasard? Peut-être, mais alors il est heureux, car il correspond étroitement aux impératifs de la gratitude et aux voeux de l’amitié.

Entendons-nous bien. À aucun moment de la lutte électorale qui vient de se terminer vous avez eu le désir ni l’impression d’être au service d’un parti politique. Vous avez exercé librement votre profession d’informateurs et de communicateurs, sans autre but que celui de servir, au meilleur de votre connaissance, cette grande réalité qui s’appelle le bien commun. Je vous en félicite et l’on ne m’en voudra certainement pas d’ajouter que je me réjouis du fait qu’au cours des dernières semaines il ait été évident que la conception que la majorité d’entre vous vous faisiez du bien commun et celle que nous nous en faisions nous-mêmes aient été substantiellement les mêmes.

Conscient de l’importance vitale de la liberté de la presse, une liberté retrouvée que vous défendez maintenant avec ferveur, je me sens à l’aise pour vous remercier de l’immense effort d’information que vous avez fait au cours de l’élection qui s’est terminée il y a quelques jours. Quantitativement et qualitativement vous avez couvert la campagne électorale de la façon

la plus brillante et la plus objective qui soit. Nous n’allons certes pas nous livrer aujourd’hui à un « post-mortem » des dernières élections. Cependant, il y a des constatations qu’il convient de mettre en lumière, à la fois parce qu’elles sont à l’honneur de la presse du Québec aussi, je l’affirme sans fausse modestie – à l’honneur du pouvoir que le peuple du Québec vient de consacrer.

Par leur origine commune, vous disais-je; il y a deux ans, la presse et le pouvoir sont des frères siamois, engendrés tous les deux dans les flancs de l’opinion publique. Par leur fonction différente, ils ont souvent l’occasion – et ils ont parfois le devoir – de s’affronter en frères ennemis. Par leur but et par leur idéal, ils se réconcilient au point de s’identifier, dans la mesure où la presse et le pouvoir sont tous deux intégralement fidèles au bien de la communauté, qui est leur poursuite conjointe aussi bien que leur seule raison d’être.

Ce sont ces alternances d’unité et de divergence, ces jeux d’opposition ou de collaboration, qui constituent la substance des relations entre la presse et le pouvoir et qu’on ne peut définir qu’en référant aux thèmes éternels de la liberté.

Confrontons cette théorie avec la pratique, comparons ces formules idéalistes à la réalité et aux faits que nous avons pu observer depuis deux ans et plus concrètement encore au cours de la dernière campagne électorale.

Mesdames, messieurs, la presse de chez nous a été libre, agissante et efficace devant un pouvoir qui a respecté sa liberté. L’un et l’autre sont demeurés distincts dans leur ordre et séparés dans leur fonction. Tous les deux ont conjugué leurs efforts au point de les identifier, parce que la presse comme le pouvoir étaient intégralement au service de la communauté.

Un incident révélateur illustre, à lui seul, jusqu’à quel point l’appui spontané que vous avez accordé au pouvoir était un jaillissement de votre liberté.

Après que l’Union Nationale eut repoussé diverses formules pour procéder au choix des journalistes qui devaient participer au débat télévisé ouvert aux chefs de partis, il fut proposé que chacun des camps désignerait lui-même trois journalistes.

Or, Messieurs, quand il s’est agi pour nous de trouver trois journalistes qui représenteraient directement le Parti libéral, la chose fut impossible. Tous ceux qui ont été pressentis ont tenu à affirmer leur indépendance. Tous ces journalistes, dont la plupart soutenaient jusqu’à la passion le thème principal de la campagne électorale, refusaient d’engager une responsabilité qui ne soit point exclusivement personnelle, par loyauté envers la liberté de la presse. Voués à une cause, à un idéal, ils refusaient de se lier à un parti politique.

Et bien, Messieurs, n’allez pas penser que j’ai cru que nous n’avions plus d’amis parmi les journalistes: Bien au contraire, je me suis réjoui aussi, permettez-moi de le souligner que, sous un gouvernement libéral la presse puisse être le critique objectif du pouvoir et jamais son esclave. Je ne suis surtout réjoui de constater que la liberté de la presse a refleuri dans le Québec et que les journalistes eux-mêmes entendent s’en faire les défenseurs. Je vous en félicite et je compte sur votre vigilance constante pour que cette liberté, qui est en somme la gardienne de toutes les autres, ne soit plus jamais menacée dans notre province.

Il y a exactement deux ans, presque jour pour jour, je vous entretenais, ici même, des relations de la presse et du pouvoir. Il y a deux ans, également, votre union me présentait un mémoire sur tout un ensemble de considérations, de requêtes et de voeux relatifs à la profession du journalisme.

Nous avions posé des prémisses: Quelles conclusions pouvons-nous tirer aujourd’hui? Quelles ont été, depuis, les relations de la presse et du pouvoir? Quel chemin ont parcouru les projets que vous suggérait votre idéal professionnel. Un congrès comme celui-ci est l’occasion de faire lé point, d’examiner le travail accompli et d’inventorier le travail qui reste. Reprenant le mémoire que vous m’aviez présenté, il y a deux ans, j’ai fait, moi aussi cet examen de conscience. Et, mes amis, je dois vous dire que je m’en suis tiré avec le ferme propos … de recommencer. Sur les sept propositions majeures relatives à votre profession, six sont déjà réalisées ou en voie de réalisation.

Il y a une explication à ce succès: vos recommandations avaient en vue, certes, le bien de votre corps professionnel; mais elles visaient, par delà ces légitimes préoccupations particulières, le bien commun de notre société. Vous réclamiez la coordination et la diffusion des informations fournies à la presse par les divers ministères et organismes gouvernementaux. Un effort fructueux a été fait dans ce sens, principalement par la réorganisation des services d’information dans les ministères, grâce à un personnel puisé largement dans les rangs du journalisme. Mais dans ce domaine, il y a des limites qu’il ne faut point dépasser: un gouvernement doit mettre à la disposition du public les moyens de se renseigner, mais il doit se garder de mettre sur pied une machine de propagande. À cet égard, les vues du gouvernement actuel coïncident exactement avec celles de votre profession.

Vous souhaitiez les indispensables instruments de travail que sont les publications statistiques. Vous savez quelles réformes nous avons apportées à l’Annuaire statistique, ainsi qu’à la diffusion périodique des bulletins qui enregistrent, presque au jour le jour, le rythme de notre vie économique et sociale.

Vous aviez recommandé un rôle spécifiquement journalistique à l’Office de la linguistique. Encore là, les débuts sont prometteurs et vous avez commencé à recevoir les bulletins dont vous pouvez vous servir pour faire rayonner chez notre peuple la correction de notre langue.

Vous espériez aussi l’institution d’un Journal officiel des débats au Parlement provincial: nous nous sommes appliqués à rencontrer vos vœux et ceux de la population, malgré bien des difficultés techniques à surmonter, et je crois bien qu’à la prochaine session nous aurons le journal des débats.

Votre union, soucieuse de l’avancement moral et matériel de ses membres et du progrès de la profession, a voulu que l’État contribue à des bourses d’études et de perfectionnement. Depuis votre requête, nous voyons avec plaisir que trois des vôtres vont, chaque année, bénéficier d’un stage à Strasbourg, et c’est la somme de votre expérience professionnelle qui s’en trouve collectivement enrichie.

Depuis deux ans, les relations de la presse et du pouvoir dans notre province ont donc été ce qu’elles doivent être: une collaboration dans la liberté, la poursuite en commun du bien de la communauté.

Journalistes, continuez d’éclairer ces vies parfois si difficiles, et nous pourrons encore célébrer en commun, comme aujourd’hui, l’honneur du devoir accompli, du travail bien fait, en même temps que les promesses d’avenir.

[QLESG19621124]

[Message de l’honorable Jean Lesage, Premier ministre de la province de Québec, à l’adresse des participants au Congrès des Affaires Canadiennes au Château Frontenac, le 24 novembre 1962. Ce message a été lu par monsieur Guy Frégault, sous-ministre des Affaires Culturelles.

Pour publication après 1:00 hre P.M., le 24 novembre 1962

]

Seul un voyage en dehors de la province pouvait m’empêcher de revenir à temps pour adresser la parole au Congrès des Affaires Canadiennes; car s’il est un rendez-vous auquel je voudrais toujours être présent dans la mesure de l’humainement possible, c’est bien celui qui doit exister en permanence entre la jeunesse étudiante et le gouvernement d’un État, c’est-à-dire la conférence de l’avenir et de l’instrument qui doit le préparer.

Parmi toutes les satisfactions que peut procurer la tâche de Premier ministre, l’une des plus consolantes que j’aie éprouvées est le dialogue spontané qui s’est renoué avec la jeunesse. Jamais le courant de sympathie, de compréhension mutuelle, n’a été aussi évident, aussi fort et aussi prometteur.

J’ai eu récemment plusieurs occasions de rencontrer les étudiants de diverses universités. Chaque fois, j’ai été profondément ému du ton de confiance avec lequel on m’a parlé. Chaque fois, j’ai été émerveillé par le patriotisme si adulte qui inspirait à ceux qui m’ont interrogé des questions précises exigeant des réponses précises, des questions qui révélaient un souci profond de la dignité et du bien-être du peuple du Québec, des questions qui ne pouvaient être posées que par ceux qui ne se paient pas de mots

et dont l’enthousiasme national ne se nourrit pas d’ombre mais de substance.

Je suis sûr de ne pas me faire d’illusions en croyant que l’on m’a parlé sur ce ton précisément parce que je suis demeuré – et espère demeurer toujours – très près de cette jeunesse.

Jamais je ne m’en éloignerai, car j’ai besoin d’elle, j’ai besoin de son intransigeance, j’ai besoin de son regard lucide sur tous les problèmes de fierté nationale. Nous avons présentement la jeunesse la plus réfléchie, la plus sérieuse et chose paradoxale, mais en apparence seulement, la plus enthousiaste de notre histoire!

Quand la lucidité de l’intelligence s’allie à la chaleur du coeur, tous les espoirs sont permis pour un peuple qui possède une jeunesse étudiante aussi harmonieusement équilibrée! L’atmosphère n’est jamais plus malsaine que lorsqu’une jeunesse se tait avec résignation et désespoir devant un gouvernement au cynisme contagieux. Il n’est par contre rien de plus réconfortant, de plus tonique que de se savoir dans la ligne politique qui répond aux exigences impitoyables de la conscience sans compromis des jeunes.

Un peuple est en santé lorsque sa jeunesse s’intéresse aussi sérieusement que la nôtre aux affaires de la nation; c’est la meilleure assurance que l’on puisse avoir contre la sclérose intellectuelle. C’est pourquoi, tout en me désolant de ne pouvoir lire moi-même mon message, je veux y exprimer quand même la joie que j’éprouve à voir les étudiants s’attaquer résolument à nos problèmes, à les voir donner ainsi la preuve qu’ils ne démissionnent pas de leur poste de sentinelles de notre avant-garde nationale.

[QLESG19630126]

[Comité Ukrainien de Montréal Pour publication après 7:00 hres P.M.

Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 26 janvier 1963]

Il y a un mot de l’humoriste américain Will Rogers qui m’a toujours bien amusé. On sait que, dans la république voisine, il y a tellement de gens qui voudraient que leurs ancêtres fussent venus sur le Mayflower en 1620, qu’on se demande si ce minuscule bateau n’était pas une flotte de plusieurs transatlantiques gigantesques. Mais Will Rogers qui était de descendance indienne disait: Mes ancêtres ne sont pas venus ici sur le Mayflower. Ils l’ont vu arriver. Je suis moi-même très fier de porter le nom et le prénom d’un Jean Lesage qui arriva en Nouvelle-France il y a trois cents ans. Mais c’est la fierté d’un mérite qui fut le sien. On ne choisit pas ses aïeux … et très peu ses descendants! L’important, c’est d’être dignes de ceux qui sont venus avant nous, en préparant la place de ceux qui viendront après. Ne jamais oublier que l’on n’est qu’un chaînon de l’Histoire, c’est faire preuve à la fois d’humilité et de fierté.

Or, le mérite qui fut celui de mes ancêtres français, c’est celui que je retrouve chez ceux qui ont, plus récemment que mes aïeux, choisi cette terre pour être leur patrie d’adoption, cette terre sur laquelle ils n’ont pas des ancêtres reculés dans l’Histoire, mais où ils seront, eux, des ancêtres !

Ce que je veux dire, c’est que le patriotisme n’est pas une affaire de date, mais de noblesse de caractère et d’intelligence. Je dis bien d’intelligence, car un sentiment même aussi incarné, aussi près du charnel qu’est l’amour de la patrie, ressortit aussi à l’intelligence, tout comme le mariage d’amour peut fort bien s’harmoniser et se confondre avec le mariage de raison !

Et puisque nous parlons de mariage, pourquoi, ma foi! – ne passerions-nous pas chez le notaire pour examiner la précieuse dot des divers groupes ethniques qui sont venus enrichir notre pays ?

[Even a perron who is completel.y ignorant of history would net date te question the contribution made by those who have colle te New France since the beginning of the sevente3nth century. Let us think for a moment what our country would be without thia chanter in our history. À blank which we would look upon as being inccnceivable in our past history can open our eyes te the importance,

in the twentieth century, of warnly welcoming -because only a narrow-minded man’ is suspicious of an offer of friendship — te the importance, I say, of giving a vrarm welcome te those v:ho corne here-to enrich our common horitage. They enrich it through their intellectual strergth, the treasures of their folklore, the moral strength that they have shown in choosing a free land, the will te work which they already had, and s:h.ich the circumetances surrounding their establishment in a ne-or country will forci them

te increase. They enrich their new land with the traditions of their country of origin, and it is in keeping vrith the spirit of Canada that theso traditions should be all.rnced te grow, because our social and political philosophy is net based on the uniformity of a common cracible into which differences bety:een ethnie groupe are put te be melted down, with the result that they disappear. Our philosophy is based on whist has been justly called « tho Canadian mosaic ».

This diversity dois net mean that the various elements of the population will look lapon one another with suspicion but that, on the contrary, the certainty that each one vrill have of remaining himself and net becoming just another robot vrill contribute te the creation of a fruitful and peaceful atmosphere in which te live.

Nor dose thi3 diversity mean that certain characteristiès will never change. In a marrio.go or in a friendship, it is impossible for one party net te influence the other eventually, and vice versa. When a tree is transpianted, it can undergo certain changes by accliimriatization through the new sap

which it tesla rising in itself from the roots that it sinks deeper and deeper into its land of adoption, while at the saure time essentially keeping its original characteristics.]

Tout cela est sain, tout cela est normal, tout cela est souple comme la vie, tout cela est rempli de promesses de grandeur pour le Canada comme pour l’État du Québec.

Cette expression « État du Québec » a eu récemment la vedette de l’actualité. Si j’y fais une fois encore allusion en cette circonstance, c’est pour souligner que le phénomène de la mosaïque canadienne ne concerne pas seulement les Canadiens arrivés au vingtième siècle mais aussi les Canadiens français qui ont au moins ce problème commun avec vous.

Quand je parle de l’État du Québec, ce n’est pas pour soutenir que le Canada serait composé de neuf provinces plus un État. C’est pour affirmer plus fortement encore – comme je vous le dois à tous la personnalité du Québec.

[This in whr I believ3 that vrith mature determination there will be no problems that we will not be able to solve. We must however adopt a dignified and resolute attitude in the face of goodt;,,Ill that has net always been enlightened. But did the fault always lie exclusively with the others? That is the question! And I am not too sure that thero ought not te be nome « mea culpa » in the answer.]

[Tout en étant physiquement une province de la Confédération canadienne, le Québec représente plus qu’une division territoriale. Dans les responsabilités – tacites mais impérieuses dont son gouvernement est investi par l’Histoire, il y a la mission de sauvegarder la culture des Canadiens français. La preuve qu’il s’agit d’une attitude dictée par l’origine ethnique, c’est que nous ne traduisons pas en anglais le mot État par [State]. Pourquoi? Parce que l’affirmation de personnalité impliquée dans l’emploi du mot État traduit un phénomène socio-culturel typiquement canadien-français, alors que le mot province, convient, sans nécessité d’établir des nuances – à nos compatriotes québécois de langue et de culture anglaises.

Je soutiens que, dans l’esprit du pacte confédératif, province de Québec signifie État du Québec, à cause précisément de la mission et du phénomène dont je viens de parler. Nous pouvons donc, entre Québécois imbus de cette conception, employer l’une ou l’autre de ces expressions, tout en nous rappelant qu’en français universel, dans la définition du mot province prédomine le sens de division d’un État. C’est ce sens que nous corrigeons aussi souvent que possible en français par l’emploi de l’expression État du Québec. Elle ajoute à l’expression pratique mais incomplète de province un commentaire sur notre mentalité, sur notre détermination, sur notre rôle, sur notre souveraineté de Canadiens à part entière que nous sommes tous, quelle que soit notre origine ethnique.

[U’hen I believe in the recuits of a firmer stand, I know that my optimiem is justified and that it cannot be called blind optimism. It does•not refuse te accept abncrmal situations wnich should be corrected, I might say, by mon of

goodwill. I am convinced that the remedy exista in the spirit of our partnership itself and that we must not got discouraged by the incomplete use of this partnerehip that has been made by both sides.]

On dit que, dans une association, lorsque deux personnes sont du même avis, l’une des deux est de trop! Dieu sait qu’en se basant sur ce critère, il n’y a pas beaucoup de gens de trop dans cet immense pays! Mais je continue de placer ma, foi en d’innombrables hommes de bonne volonté et je suis sûr que notre féconde diversité, loin de nous paralyser, loin de susciter constamment des antagonismes, nous permettra d’aspirer à des lendemains glorieux. Et alors, vos enfants et les miens chanteront d’un même coeur cette phrase presque banale pour un Canadien mais lourde de sens et d’espoir pour celui qui, plus récemment; a choisi de le devenir … cette phrase que vos descendants vous remercieront, – chers futurs ancêtres! – de leur avoir permis de chanter avec émotion: 0 Canada, terre de … nos aïeux.

[QLESG19630202]

[Discours prononcé à Charlottetown Île-du-Prince- Edouard le samedi 2 février 1963 par Jean Lesage Premier ministre de la province de Québec à l’occasion de la cérémonie marquant le début des travaux d’un monument commémoratif élevé à la mémoire des Pères de la Confédération]

C’est certainement un très grand honneur qu’on me fait de m’inviter à la cérémonie qui se déroulera aujourd’hui à quelques pas d’ici. Je vous en remercie bien sincère double titre: d’abord au nom des citoyens du Québec que je représente en ma qualité de Premier Ministre de la province, comme président de la dernière conférence des Premiers ministres. Vous m’avez demandé, Messieurs les directeurs de la Fondation, d’adresser la parole à cette assemblée. J’en profite pour transmettre à votre Fondation tous mes voeux de succès et pour saluer les citoyens de l’Île-du-Prince-Edouard.

Si nous sommes réunis ici aujourd’hui, mes chers amis, c’est parce que nous voulons marquer d’une façon toute particulière le début de la construction de l’édifice commémoratif des Pères de la Confédération. La Fondation des Citoyens, chargée de mener cette entreprise à bien, a eu raison je pense, d’organiser la présente cérémonie. Car les Pères de la Confédération sont, en quelque sorte, les fondateurs de notre pays, le Canada, tel qu’il existe aujourd’hui, et il importe de leur en rendre hommage. Ils ne l’ont pas découvert, bien entendu, mais c’est en grande partie à cause d’eux que le Canada a pu prendre l’essor remarquable qui l’a caractérisé depuis la Confédération. C’est à cause d’eux qu’ont été associés dans un but commun des territoires étendus, éloignés et divers qui, si nous avions vécu en Europe, auraient peut-être constitué autant de pays différents.

À leur époque déjà, il y a une centaine d’années environ, ils avaient perçu le sérieux danger que comportait pour la survie d’une population canadienne distincte la présence, à ses portes, de la dynamique nation américaine. Nous n’avons pas à reprocher leur dynamisme à nos voisins du sud et il ne nous appartient pas non plus de leur attribuer globalement des intentions annexionistes, même si cet objectif a déjà été mentionné, en toute sincérité, par quelques-uns d’entre eux. Il n’en reste pas moins qu’au siècle dernier notre population devait faire un choix: vivre par elle-même selon le sens de ses traditions historiques et de son biculturalisme, ou se laisser tranquillement, imperceptiblement même, devenir partie intégrante du grand complexe américain. Elle a choisi, grâce aux Pères de la Confédération, de vivre par elle-même. Cette décision, il faut bien s’en rendre compte, renfermait un défi implicite. En jetant un regard en arrière, nous saisissons aujourd’hui combien ce défi était redoutable. En regardant la situation actuelle nous voyons aussi avec quelle acuité ce défi, toujours redoutable même s’il a quelque peu changé de nature, continue de s’offrir aux canadiens de 1963. La Confédération était d’abord un défi à la nature du territoire couvert par les dix provinces actuelles. Quiconque examine une carte géographique s’aperçoit vite que l’orientation naturelle du continent nord-américain est nord-sud. Les montagnes de l’Ouest font partie de la même chaîne rocheuse que celle qui traverse l’ouest américain. Les plaines du centre du Canada sont le prolongement du centre américain. La région industrielle du sud de l’Ontario ressemble énormément à la région industrielle qui se trouve juste de l’autre côté de la frontière canadienne. Et je pourrais ainsi multiplier les exemples.

Pourtant la Confédération a voulu donner une orientation est-ouest à cette immensité de territoire où sur une étroite bande de 3000 milles de long vit une population dix fois moins considérable que celle des États-Unis. Et ce pari, car c’en était un à toutes fins utiles, a été gagné. Les Canadiens ont en quelque sorte forcé par la nature et se sont construits un pays qui leur appartient bien à eux et qui présente aux yeux des Américains des caractéristiques particulières et qui jouit d’une autonomie véritable.

Il fallait aussi, dans cette Confédération, rattacher ensemble des groupements humains d’origines différentes. Notre pays, sans être aussi cosmopolite que les États-Unis, n’est pas ethniquement uniforme. Actuellement, on y trouve deux groupes majeurs: les

Canadiens d’expression anglaise et les Canadiens d’expression française, mais il ne faut pas oublier qu’au départ et par la suite une assez forte minorité de notre population appartenait, et appartient encore, à des groupes d’autres origines. De fait, cette minorité, avec le temps, et le processus continue, s’est jointe à l’un ou l’autre des deux groupes majeurs, particulièrement au groupe d’expression anglaise. Je n’ai pas aujourd’hui à retracer les raisons de ce phénomène, mais j’en signale la présence indéniable car il fait partie des facteurs qui déterminent l’évolution de la population canadienne en général.

Or, un des défis qui se présentaient à la Confédération était d’associer les principaux groupes ethniques dans la poursuite d’un même destin, et non de les unir dans un « melting pot » où se seraient effacés les traits propres de chacun. Plus exactement, le but de la Confédération était, entre autres choses, de permettre à chacun de ces groupes de s’épanouir par le respect et la diffusion de sa culture et de sa langue. En somme, il fallait que le groupement d’expression française et celui d’expression anglaise trouvent, en vivant la Confédération, un milieu favorable à leur croissance comme groupements humains distincts, tout en coopérant très étroitement à l’édification d’un pays nouveau. À la veille de célébrer le centenaire de cette Confédération, nous avons, chers amis, à porter un jugement réaliste sur le résultat de cette entreprise, incertaine au point de départ même.

Je pense qu’il nous faut, comme Canadiens conscients de leur rôle dans notre société et soucieux de l’avenir de notre pays, regarder les faits bien en face. C’est seulement si nous avons le courage de voir ce qui existe en réalité que nous pourrons acquérir la détermination de nous préparer collectivement un avenir plus satisfaisant.

La Confédération canadienne en effet n’a pas relevé tous les défis qui se présentaient à elle. De façon générale, elle a permis l’émergence d’un peuple canadien, fier de son pays, confiant dans son avenir et respecté sur la scène internationale. C’est beaucoup, mais ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas suffisant parce qu’un de ses buts essentiels n’a pas été atteint. Comme je l’ai déjà dit ailleurs, l’expérience confédérative n’est pas encore terminée et elle ne le sera jamais vraiment que lorsque nous y aurons mis tous les ingrédients. Pour le moment, elle se poursuit, mais depuis quelques années ses tendances nous incitent à revenir à une foi plus agissante que j’oserais comparer, par désir d’émulation, à celle des premiers chrétiens.

Vous savez que les Canadiens d’expression française s’interrogent tout particulièrement sur la place qui est la leur dans la Confédération telle qu’elle existe maintenant. Dans le Québec notamment les expressions d’idées à ce sujet sont nombreuses et variées, mais rares sont celles où l’on ne perçoit pas un degré plus ou moins marqué d’insatisfaction. Car, et c’est ce à quoi je faisais allusion il y a un instant, les Canadiens français n’ont pas l’impression d’appartenir au Canada dans la même mesure que leurs compatriotes de langue anglaise. Pourtant, le sentiment d’appartenance, et de là de coopération intéressée, est un des buts primordiaux d’un régime confédératif réussi. Et sur ce point particulier, je ne puis dire, comme Premier ministre du Québec et comme représentant des Canadiens français, que la Confédération est une réussite, même si elle l’est à d’autres points de vue, comme ceux que j’ai moi-même mentionnés. On ne peut dire que la Confédération canadienne est une réussite, car un des groupes majeurs qui constituent notre population n’y a pas trouvé l’ambiance que son affirmation comme peuple distinct et son épanouissement culturel auraient exigée. Il peut sembler étrange – et même quelque peu irrévérencieux – de prononcer de telles paroles au moment où, à l’endroit même où la Confédération a débuté, nous nous apprêtons à commencer l’érection d’un édifice commémoratif dont le but sera de nous rappeler à nous et à ceux qui viendront après nous les responsables de cette Confédération. Pourtant, je n’hésite nullement à exprimer les réserves qui, à mon avis, s’imposent. Je me sens même, devant vous, encouragé à le faire puisque, comme moi, vous désirez sincèrement la réussite de l’oeuvre entreprise il y a près de cent ans.

On peut en effet, comme nous le faisons aujourd’hui, rendre un hommage profond à ceux qui nous ont donné le Canada moderne; on peut leur témoigner notre reconnaissance envers l’idéal qu’ils nourrissaient; on peut même les remercier du mouvement dont ils sont à l’origine. Il n’est pas nécessaire pour autant d’accepter sans aucun sens critique la situation que leurs successeurs nous ont légués. Aucune entreprise humaine n’est parfaite et la Confédération canadienne n’échappe pas à la règle.

Il y a une autre raison qui m’incite à déclarer mes sentiments aussi franchement. C’est que les successeurs actuels des Pères de la Confédération, ce sont les Canadiens de 1963, comme ce furent les Canadiens de 1933, ou de 1903. Ainsi, c’est à nous qui vivons aujourd’hui qu’il appartient de donner à la Confédération les éléments qui lui manquent encore pour réaliser l’objectif fondamental de la coexistence constructive de deux groupements ethniques différents par leur culture et par une bonne partie de leur histoire. Je n’ai pas de raison de croire, sauf preuve évidente du contraire, que la Confédération, si elle était authentiquement vécue avec tout ce que cela comporte de largesse d’esprit et de compréhension mutuelle, ne pourrait pas s’avérer un succès que nous envieraient les autres nations du monde dans une situation semblable à la nôtre et qui nous permettrait à nous-mêmes, à quelque origine que nous appartenions, de devenir le peuple progressif et uni que les Pères de la Confédération avaient entrevu.

Mais cette réorientation- car c’est bien de cela qu’il s’agit, et non d’une simple retouche -ne pourra se faire que si, de part et d’autre, on tient compte d’un fait ancien et d’un facteur nouveau.

Le fait ancien c’est le biculturalisme canadien. Je crois qu’il constitue le point de départ de toute action future car il contient à la fois un état de fait et un actif à développer. On a toujours admis qu’il existait au Canada deux cultures; la culture canadienne-française et la culture canadienne-anglaise. Mais il ne suffit pas de l’admettre; il faut transposer dans les faits cet arrière-plan sociologique. Il faut, puisque c’est elle qui, à cause des circonstances et de la négligence du sens profond de la Confédération, se trouve désavantagée, que la culture canadienne-française obtienne les moyens de s’affirmer et de s’épanouir. Or, la culture canadienne-française ce n’est pas seulement la langue parlée, c’est toute la mentalité, c’est tout le comportement d’un groupe. Pour que la culture ainsi comprise s’épanouisse, pour qu’elle se greffe en terrain fertile, il faut que soit acceptée et désirée la présence de ceux qui la possèdent, c’est-à-dire les Canadiens d’expression française. Il faut qu’on apprécie leur apport éventuel sur la scène canadienne et qu’on se départisse de certains préjugés fondés sur des phénomènes vus de loin en dehors de leur contexte. Il faut qu’on comprenne le peuple canadien-français comme il est maintenant et non pas à partir de ce qu’on a pu, dans le passé, croire qu’il était.

Le facteur nouveau c’est le Québec d’aujourd’hui. À travers tout le Canada on s’aperçoit que le Québec vient d’acquérir une nouvelle stature, qu’il s’est engagé dans une voie qui le dirige vers le progrès économique et social et la satisfaction de ses aspirations. Si, à cause des nouvelles attitudes qui prévalent maintenant au Québec, il s’ouvre davantage au reste du Canada, ce n’est pas parce qu’il devient moins soucieux de son entité propre ou qu’il a résolu de se contenter de compromis ou d’abandonner des exigences antérieures. Au contraire, il est plus authentiquement lui-même qu’il ne le fut peut-être jamais dans le passé, mais il veut l’être d’une façon positive, en faisant profiter le reste de notre pays d’un apport qu’il croit précieux. Et précieux, il l’est; en effet, la présence même du groupement canadien-français dans l’ensemble de la population canadienne est une garantie contre l’envahissement culturel américain. Beaucoup de nos compatriotes d’expression anglaise ont d’ailleurs déjà reconnu ce fait.

Mais il y a plus. Comme Premier ministre du Québec, s’il est une chose que je puis affirmer, c’est que le peuple de cette province, d’ici quelques années, étonnera le reste du Canada par ses entreprises et ses réalisations de toutes sortes. Nous ne nous prenons pas, au Québec, pour autres que ce que nous sommes vraiment, mais nous avons l’intention ferme de ne négliger aucune de nos possibilités et de mettre en oeuvre toutes nos ressources, tant intellectuelles que matérielles. Actuellement, le gouvernement de la province a été chargé parle peuple québécois, à deux reprises déjà, en 1960 et en 1962, de hâter la marche en avant, d’accélérer le rythme du progrès. C’est ce que nous faisons depuis. C’est cela notre « révolution pacifique », et elle ne fait que commencer. Notre participation à la vie canadienne deviendra donc ainsi encore plus riche. Mais, pour cela, il y a une condition absolument indispensable: qu’on nous fasse confiance, non seulement en reconnaissant verbalement notre présence dans la Confédération, mais en posant des gestes concrets qui soutiendront les volontés positives du peuple québécois. Et surtout, oui surtout, il ne faudrait pas que par indifférence ou action négative on déçoive le groupement canadien-français à un moment où il est porté à douter des avantages possibles de la Confédération. Ce serait vraiment regrettable pour l’avenir de notre pays.

Mes chers amis, je suis cependant convaincu que si nous entreprenons un effort commun, nous pourrons enfin, tous ensemble, vivre véritablement la Confédération. Tous les défis qu’elle comportait au point de départ auront ainsi été relevés avec succès. Notre pays sera non seulement grand géographiquement, mais il sera grand de l’oeuvre humaine qu’il aura pu mener à bien: la collaboration éclairée, amicale et positive de groupements humains culturellement distincts, mais animés d’un même idéal.

Nous devons aujourd’hui rendre hommage à ceux qui, il y a un siècle, nous ont donné les moyens constitutionnels d’atteindre un tel objectif. Il ne nous reste plus, à nous qui avons succédé, aux Pères de la Confédération, qu’à adapter ces moyens aux situations actuelles et à nous en servir pleinement.

Si, et j’en suis certain, l’édifice commémoratif qui sera érigé tout près d’ici nous incite à appliquer aujourd’hui l’esprit qui régnait, il y a cent ans, dans la salle où nous sommes maintenant, la Fondation qui en aura été responsable aura droit à la reconnaissance de tout le peuple canadien.

Au nom des citoyens québécois et en mon nom personnel, je félicite bien sincèrement la Fondation de son initiative et je l’en remercie. Elle pose véritablement un geste historique.

[QLESG19630203]

[Congrès des Jeunes Libéraux du Québec

Québec, dimanche le 3 février 1963 Pour publication après 7:00 hres P.M.

Hon. Jean Lesage, Premier Ministre du Québec]

C’est la première fois, ce soir, que j’ai l’occasion, depuis le 14 novembre dernier, de vous rencontrer en groupe. Je veux d’abord vous remercier de l’aide que vous avez apportée à nos candidats dans tous les comtés du Québec. Vous l’avez fait chacun d’entre vous à votre façon et c’est à la conjugaison du travail de centaines de jeunes comme vous que nous devons une bonne partie de notre éclatante victoire. Je vous en suis personnellement reconnaissant car vos efforts et ceux de tous nos partisans m’ont donné une équipe de députés encore plus considérable qu’en 1960 sur laquelle je peux compter et sur laquelle -c’est plus important encore toute la province peut compter.

Depuis les élections beaucoup de personnes m’ont demandé à quoi particulièrement j’attribuais la victoire que nous avons remportée. Il est bien évident que le thème même de la campagne électorale – la libération économique du Québec – a énormément plu à notre population parce que, pour la première fois dans notre histoire, une administration provinciale lui a fourni enfin l’occasion tant rêvée de prendre en main son propre développement économique et industriel. Cela ne s’était jamais vu dans le passé et il s’est trouvé des gens pour dire que nous prenions un risque formidable car, disaient-ils, la population n’était pas prête à poser un tel geste.

Mais nous, du Parti Libéral du Québec, nous avons fait confiance au peuple. Nous savions qu’il comprendrait le sens tout à fait spécial que prendrait son vote le 14 novembre. C’est ce qui s’est effectivement produit et aujourd’hui nous avons, comme gouvernement, un mandat clair et précis à. exécuter.

Le thème de la libération économique du Québec n’est toutefois pas le seul facteur qui peut expliquer notre victoire. Il y en a un autre que je crois d’une importance peut-être plus grande, c’est ce que le gouvernement libéral représente maintenant pour la population du Québec.

En effet, pensons à ce que nous nous sommes efforcés de faire depuis 1960. Rassurez-vous, je ne veux pas maintenant passer en revue toutes nos réalisations, mais j’aimerais plutôt extraire la signification profonde.

Nous avons voulu donner au peuple de la province un gouvernement honnête, efficace et dynamique. Je pense bien soit dit sans trop nous vanter que nous pouvons être fiers de ce que nous avons réussi en si peu de temps.

Évidemment, dans ce bas monde rien n’est parfait. Mes collègues et moi sommes les premiers à reconnaître qu’un idéal, n’importe quel idéal, est difficile à atteindre et que ses exigences sont difficiles à satisfaire. Pourtant notre désir de progrès et de renouveau demeure aussi intense aujourd’hui qu’en 1960 et nous avons bien l’intention de poursuivre sans relâche la réalisation complète de la tâche exaltante que nous nous sommes fixée, à la demande même des citoyens du Québec. Vous admettrez qu’on ne rencontre pas souvent de gouvernement qui, après quelque temps de pouvoir, conserve aussi vivantes les préoccupations de réformer qui l’animaient au début. J’ai dit que nous avions entrepris de doter le Québec d’un gouvernement honnête, efficace et dynamique. Pour y arriver entièrement, il nous faut toutefois la collaboration éclairée des éléments de notre société qui partagent le même idéal que nous. Vous, les jeunes libéraux, vous faites partie de ces éléments et nous sommes convaincus que vous vous empresserez de nous accorder votre appui comme vous l’avez toujours fait dans le passé.

Vous comprendrez que les ministres et les députés, malgré toute la ténacité qu’ils peuvent y mettre, sont incapables à eux seuls de modifier tous les comportements traditionnels qui peuvent freiner parfois le mouvement de renouveau que nous avons lancé. Prenez le cas des partis politiques. Trop longtemps chez nous, les partis – et c’était vrai pour le nôtre comme pour les autres – n’ont pas été autre chose que de puissantes machines électorales dont on se servait tous les quatre ans. Il faut, dans l’avenir, qu’ils deviennent des organisations structurées, formées de citoyens partageant des idées politiques communes et construisant ensemble des programmes d’action bien déterminés. Les partis politiques doivent également, et c’est leur droit absolu en démocratie, informer le reste de la population des propositions qu’ils avancent pour résoudre les problèmes économiques et sociaux qui se posent constamment dans une société en évolution. Ils doivent faire connaître leurs opinions ouvertement et franchement, et les présenter à l’examen critique et réfléchi de l’ensemble des citoyens en vue d’obtenir leur adhésion.

La Fédération libérale du Québec s’est déjà engagée dans cette voie et elle ne doit pas lâcher prise. Vous, les Jeunes Libéraux, pour, votre part, vous pouvez chacun dans votre milieu propager cette notion nouvelle que notre peuple doit acquérir des partis politiques. Vous formez un groupe jeune, vous désirez l’action, vous cherchez moins votre intérêt personnel et particulier que l’existence d’un gouvernement qui réponde à vos aspirations; alors vous pouvez vous constituer en quelque sorte comme mouvement d’avant-garde dans notre parti et vous préparer ainsi à jouer plus tard des rôles politiques que vous aurez vous-mêmes contribué à définir.

Il y a aussi – dans cet ordre d’idées – tout le rôle du député à repenser. Il ne peut plus, il ne doit plus être le distributeur des faveurs gouvernementales auprès de ceux qu’il représente. Il est entendu qu’il doit être au service de ses électeurs pour les informer, les aviser et les aider dans leurs relations avec l’administration. Mais il lui revient d’abord, comme je l’ai dit souvent, de participer à l’élaboration des politiques gouvernementales. La connaissance du milieu qui l’a choisi, son expérience de la vie ou des affaires peuvent s’avérer indispensables en cette matière. Nous avons commencé à lutter contre le patronage systématique et nous allons continuer avec autant d’ardeur que jamais. Nous mettrons sur pied les structures qu’il faut pour y réussir. Déjà le danger du patronage éhonté est moindre qu’il ne le fut jamais, grâce à l’octroi des contrats par soumissions publiques, au contrôle plus adéquat sur les dépenses gouvernementales, aux normes administratives plus précises, aux nominations fondées sur le mérite, etc. Le gouvernement du Québec est devenu une grande entreprise; c’est le plus gros employeur de la province. Il importe de mettre fin aux méthodes folkloriques d’administration et d’établir des procédures et des politiques administratives efficaces qui permettent au gouvernement de s’acquitter des tâches immenses que lui ont confiées et que lui confieront encore les citoyens du Québec. Car – il ne faut jamais l’oublier – le gouvernement de notre province est la propriété collective de tous ceux qui vivent dans le Québec. Il n’est pas le fief exclusif des partisans d’une formation politique, quelle que soit cette formation politique. Notre devoir – et votre devoir à vous Jeunes Libéraux – est de propager cette idée et de la faire respecter. N’oublions jamais non plus que, le 14 novembre dernier, le peuple du Québec a voté pour nous parce qu’il savait que nous étions en voie d’établir un type nouveau de gouvernement. Il veut que nous poursuivions cette oeuvre et je vous demande de m’aider à y arriver. Nous avons encore beaucoup à faire; votre collaboration et celle de tous nos partisans de bonne volonté est plus nécessaire que jamais. Vous savez, notre parti court un risque. Il court le risque auquel ont à faire face tous les partis qui ont été élus pour en remplacer un autre dont l’inaction et le conservatisme étaient devenus la règle de vie. En effet, en prenant le pouvoir il s’est trouvé tellement de choses à reprendre, à réparer, à corriger; il s’est trouvé tellement de retards à combler qu’une très grande partie de nos énergies a dû être consacrée tout simplement à remettre un peu d’ordre dans une administration vétuste, poussiéreuse et décadente. Cela peut nous faire tous ensemble tomber dans une illusion qui serait désastreuse pour toute la province car nous risquons d’oublier que c’est en fonction de l’avenir qu’il nous faut travailler et non pas seulement en fonction des négligences d’une administration disparue. Jusqu’à maintenant le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger s’est attaqué aux deux aspects du problème dans-la mesure de ses moyens mais nous sommes encore aux prises, dans bien des secteurs, avec les séquelles du régime qui nous a précédé. C’est cette double tâche – rattraper les retards et préparer l’avenir – qu’il nous incombe de poursuivre, mais pour cela il nous faut conserver le dynamisme dont nous avons fait preuve jusqu’à maintenant. Nos bonnes intentions présentes doivent continuer à guider notre action. Nous comptons en particulier sur vous les jeunes libéraux, pour nous soutenir dans cette voie.

Je viens de vous faire part d’un des problèmes que nous aurons à résoudre – ou plutôt d’une des embûches que nous aurons à éviter – au cours des prochaines années. Il y a deux autres problèmes que je considère particulièrement importants. Nous devons voir à ce que, de plus en plus, les politiques décidées par le Conseil des ministres, ainsi que les directives qui en découlent, soient rapidement et intégralement appliquées par le personnel de l’administration provinciale. Cette déclaration, dans ma bouche, peut vous sembler étrange car vous direz-vous le Conseil des ministres est, après tout, avec l’Assemblée législative, la plus haute autorité au gouvernement du Québec et on doit, au niveau de l’administration proprement dite, traduire leurs décisions en actes.

C’est vrai, mais il y a de fait beaucoup plus que cela. Il ne suffit pas de transmettre des ordres, ni d’adopter des arrêtés ministériels ou même des lois pour qu’automatiquement la réalité en soit changée. On doit, par l’application de ces arrêtés-en-conseil ou de ces lois, transmettre un certain esprit, celui que veut la population et qu’elle manifeste ouvertement en choisissant un parti politique plutôt qu’un autre. Dans ce contexte, les fonctionnaires, comme serviteurs de l’État, participent à l’élaboration des politiques en soumettant leur avis et en fournissant la documentation pertinente. Une fois les décisions prises par l’autorité voulue par le peuple, ils ont le devoir de les appliquer avec le même esprit que celui dans lequel elles furent conçues. Ils n’ont surtout pas le droit d’y mettre d’obstructions, au contraire; ni le droit d’en faire bénéficier leurs amis au détriment des autres; ni, encore moins, le droit de ne pas donner suite, d’une façon ou de l’autre, aux volontés de l’autorité exprimées sous forme de lois ou de règlements.

J’admets que, depuis 1960, il a pu y avoir, dans quelques cas, brisures entre les décisions et les actes qui normalement devaient s’ensuivre. Certains de mes collègues ont déjà parlé de sabotage. Cette expression, un peu imagée, ne s’applique évidemment pas partout dans l’administration provinciale car la très grande majorité des fonctionnaires s’acquittent de leurs fonctions consciencieusement, selon le mode que je viens d’indiquer. Il s’est trouvé aussi de nos amis libéraux pour nous dire que le patronage se continuait de plus belle, mais en faveur de nos adversaires. Cela est peut-être vrai dans certains cas mais on a certainement exagéré. Après tout, il est impossible à une équipe d’hommes, même la mieux intentionnée, de suivre à tout moment ce qui se passe dans chacun des services d’une entreprise aussi étendue que le gouvernement du Québec. De toute façon, je puis vous assurer aujourd’hui que nous mettrons ordre aux excès qui ont pu se produire, mais que nous ne tomberont certainement pas dans le défaut contraire. Ainsi, nous n’avons nullement l’intention, pas plus en 1962 qu’en 1960, de remplacer graduellement les fonctionnaires par des gens que nous choisirions à cause de leurs sympathies libérales. Le critère fondamental, dans le choix des fonctionnaires et dans leur promotion, doit être la compétence et non l’affiliation politique. Nous tenons absolument à cette règle.

Il n’entre pas non plus dans nos projets de remplacer le patronage qui s’est fait systématiquement contre nous, par du patronage qui se ferait systématiquement en notre faveur. C’est peut-être ce que regrettent certains de ceux qui se sont plaints, mais là non plus nous ne modifierons pas notre façon actuelle d’agir. Le gouvernement du Québec est au service de toute la population et c’est ainsi que le peuple qui nous a élus désire qu’il demeure. L’époque du favoritisme politique et de l’arbitraire administratif doit être finie dans le Québec.

Le second problème que nous avons à résoudre est celui du contact avec la population. Vous n’ignorez pas combien peut être absorbante la responsabilité qu’on nous a confiée d’administrer le patrimoine commun du Québec. Si nous ne réagissons pas, nous pouvons facilement être conduits à une situation où nous serions constamment occupés à l’administration proprement dite. Ce serait regrettable car ainsi nous perdrions facilement contact avec la population. Est-ce à dire qu’il faille moins travailler et se consacrer davantage à la publicité? Dans ce cas, c’est le risque inverse qui nous menacerait.

Dans tout cela, il y a un juste milieu. Il ne s’agit pas de faire de la propagande politique à outrance, ni de nous engager dans le lavage de cerveaux, mais bien plutôt d’informer la population de ce que nous faisons, de ce que nous avons l’intention d’accomplir et de leur faire part des problèmes et des difficultés que nous y rencontrons. C’est exactement le but que je poursuis dans la série d’émissions de télévision qui a débuté le 25 janvier.

Cette information doit être transmise sous le signe de la sincérité et de la franchise. Il ne peut plus être question de bâtir des mythes ni de cacher la vérité aux citoyens. Laissons cette façon d’agir aux partis qui ne se sont pas encore aperçu que, depuis plus de dix ans, nous sommes dans la seconde moitié du vingtième siècle et que la population est plus renseignée que jamais. Elle a le droit de savoir la vérité et c’est notre devoir de la lui faire connaître, même si parfois cette vérité n’est pas rassurante.

Si vous aviez, comme moi, fait le tour de la province à l’occasion de la dernière campagne électorale, vous vous seriez vite rendu compte combien nos gens ont besoin d’avoir confiance en quelqu’un et combien aussi ils méprisent – et avec raison – ceux qui ne font pas confiance à leur jugement et à leur intelligence. Ils tiennent à ce qu’on leur parle clairement, sans détour, sans faux-fuyant. Les citoyens savent fort bien que les hommes politiques ne sont pas des personnages tout puissants ou omniscients. Ils savent que les hommes politiques peuvent se tromper. Cela ne les étonne pas. Ils veulent tout simplement être convaincus que ceux qu’ils ont élus mettent toute leur bonne volonté à remplir leur devoir. Et nous ne pourrons les convaincre qu’en leur parlant franchement et souvent.

D’ailleurs le mode de vie démocratique, s’il doit être pleinement vécu, exige qu’il en soit ainsi. Il suppose des échanges de vues entre le peuple et ceux qui le gouvernent. Il suppose des explications. Il suppose que les gouvernants disent clairement au peuple où ils veulent le conduire. Il suppose surtout que ces gouvernants savent où ils vont.

Pour notre part, nous du Parti libéral du Québec, nous le savons. Nous l’avons exprimé en détail dans notre programme politique de 1960 et dans notre manifeste, de 1962. Dès 1960, nous nous sommes mis à l’oeuvre sans attendre, trop vite, ont dit certains. En 1961, nous avons continué. En 1962, nous avons voulu consulter le peuple sur un projet grandiose auquel nous étions arrivés après maintes études et consultations: la nationalisation de l’électricité. Le peuple nous a approuvés et maintenant, en 1963, nous nous attaquons à cet objectif nouveau.

Je voudrais, en terminant, vous laisser une idée à vous qui appartenez à notre parti et qui êtes son avenir. Ce qui importe pour les années qui viennent, c’est moins de lutter contre nos adversaires que d’appliquer toutes nos énergies à la diffusion d’un idéal qui convienne aux aspirations et aux besoins de notre peuple. Pour cela, il faut que notre idéal se colle à la réalité qui nous entoure, qu’il s’en nourrisse. Si nous réalisons cet objectif, nous aurons laissé nos adversaires loin derrière nous. D’une certaine façon nous n’aurons plus à en tenir compte car ils symbolisent les forces qui s’opposent à l’idéal que recherche le peuple du Québec. Ils seront du fait même rejetés par lui et cela pour d’autant plus longtemps que nous ferons nous-mêmes partie d’une formation politique qui sera toujours aux aguets, qui se renouvellera constamment et qui conservera bien agissant le dynamisme dont vous êtes vous, les Jeunes Libéraux, l’expression actuelle et le gage de persévérance.

[QLESG19630211]

[11 e Salon National de l’Agriculture Montréal, lundi le 11 février 196 Pour publication après 7:00 hres p.m. Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec le 11 février 1963]

J’avais deux raisons bien particulières d’accepter avec plaisir l’aimable invitation que vous m’avez transmise de me joindre à vous à l’occasion de votre banquet annuel.

Je dirai d’abord que j’aime toujours m’associer à des organismes qui, comme le vôtre, s’efforcent d’accélérer par des moyens efficaces le progrès d’une industrie aussi vitale chez nous que celle de l’agriculture. Dans notre société actuelle, les problèmes qui confrontent l’administration publique sont d’une complexité telle que leur solution dépendra beaucoup plus d’une coopération éclairée des groupements de citoyens avec les divers gouvernements, que de ces gouvernements eux-mêmes s’ils devaient agir seuls. Ce que je viens de dire est particulièrement vrai de l’agriculture, et la collaboration de tous ceux qui s’y emploient ou qui en vivent d’une façon ou de l’autre y est peut-être encore plus utile qu’ailleurs. En effet, s’il est isolé, le producteur ne peut pas trouver une solution durable à ses problèmes; si, au contraire, il se groupe avec d’autres producteurs en vue d’une action commune, il peut espérer le succès. C’est du moins ce que démontre clairement l’expérience coopérative dans le domaine agricole.

L’autre raison pour laquelle je devais, me semble-t-il, me rendre à votre invitation, c’est que le gouvernement du Québec est maintenant prêt à apporter aux problèmes de l’agriculture de notre province des solutions qui auront, croyons-nous, l’avantage de s’attaquer aux racines du mal plutôt qu’à ses seules manifestations. Je suis heureux, ce soir, non pas de vous exposer ces solutions en détail j’imagine que vous en connaissez l’essentiel mais de tenter d’en dégager le sens.

Nous avons voulu, en tout premier lieu, adopter dans le domaine agricole une attitude réaliste. Par là, je veux dire que nous avons voulu carrément reconnaître les problèmes qui existent dans cette industrie et aussi accepter, pour le gouvernement du Québec, une part importante de responsabilité dans la découverte de solutions véritables et durables. Il ne sert à rien, je pense bien – d’ailleurs il peut même être très néfaste – de nous illusionner sur la nature des difficultés de l’agriculture moderne et de nous faire croire qu’elles ne sont que temporaires. Au contraire, elles sont bel et bien l’indice d’une situation en profondeur que nous devons attaquer de front, même s’il faut pour cela réorganiser presque entièrement la nature de l’exploitation agricole dans certaines régions du Québec.

Je ne vous apprends rien évidemment en vous disant que trop de cultivateurs québécois ne réussissent pas à vivre de leur terre. La situation existe chez nous depuis déjà longtemps on la retrouve aussi dans d’autres provinces et les moyens habituels d’aide à l’agriculture ne sont plus suffisants pour parer à tous les cas de cette nature. Les subventions diverses, les primes et beaucoup d’autres politiques d’encouragement à la production, à la mécanisation et à la mise en marché ont eu leur utilité, et même leur nécessité, pendant un certain temps et elles l’ont encore. Mais ce serait être injuste envers certains producteurs marginaux, à qui elles sont destinées, que de leur donner l’impression qu’il peut en être ainsi indéfiniment et qu’ils pourront réussir. L’aide que le gouvernement leur accorde ainsi, à ces producteurs marginaux, ne fait que retarder une échéance qui sera d’autant plus désastreuse qu’elle aura été longtemps reportée à plus tard.

C’est pourquoi d’autres politiques s’imposent. Le programme d’Aménagement des Ressources et de Développement Agricole (ARDA) dans lequel le Québec s’engage appartient à ce groupe de politiques. Évidemment, il ne faut pas en attendre la solution finale et définitive de tous les problèmes auxquels l’agriculture peut faire face, et encore moins leur solution immédiate par des subsides versés aux individus, Mais ARDA contient des éléments de solution qui apporteront une direction nouvelle à l’agriculture de nos régions particulièrement défavorisées.

[Because ARDA (the Agricultural Rehabilitation and Development Act) contains such elements capable of changing the marner in which farming is being carried out in several ragions, I must stress the spirit in which the provisions of this Act are applied in Quebec. This, I believe, is an essential point, because agriculture is far’more a way of life than a simple foret of employment. And if it is a way of life, it is influenced by the dominant racial culture in the ares in which it is being carried on. In Quebec, for exemple, the behaviour of our farmers and the way they live are rot necessarily similar to those of farmers living in other parts of Canada.

ARDA is’a joint programme. The attitude of the Quebec Government towards joint programmes is already well known. Amongst other things, we accept the ones which are at present in force, on condition that they respect the cultural characteristics which we in Quebec cherish and intend to save. And I will not hide from you the fact that ARDA could, if badly directed, prove itself to be contrary to these cultural characteristics.

In this way, and rightly so, the Quebec faner intends to keep his individuality — and the farmers from the rest of Canada are very much

like him in this respect. Furthermore, and this is what sets him spart from his fellowcountrymen of other cultures, the agricultural life both to him and to us

• is so bound up with our origine and with the survival of French Canada that it cannot be radically changed without risking the disappearance of the deeply rooted family and social traditions of our province. Consequently, we look upon ARDA as an instrument that will allow us to facilitate developments which have already been started, such as the consolidation of fan lands, and to bring about the return of unprofitable agricultural land to the forent. But I do not look upon ARDA as a programme that will be used to force-changes for which ourfaners are neither prepared nor to which they will consent, such as, for exemple, a kind

• of dictatorial collectivisation of fans. Our Department of Agriculture interprets ARDA within a completely democratic context, and from this fact, takes into account the underlying realities to which this programme must be adapted. And these realities are not the sanie here in Quebec as the ones to be found, for instance, in the western provinces.]

Pour ces raisons, nous mettons l’accent sur la coopération entre les cultivateurs car ce sont eux qui, en définitive, auront à accepter ou refuser les possibilités que leur offre un programme comme ARDA. Nous ne voulons forcer personne à quoi que ce soit, mais par un processus d’éducation qui, il faut le reconnaître, peut être assez long, nous voulons inciter les cultivateurs des régions défavorisées à s’aider eux-mêmes.

Cela ne veut pas dire que notre attitude générale en sera une de passivité ou de laisser-faire. J’ai dit que nous entreprendrions une oeuvre d’éducation et de persuasion. Des équipes de travailleurs communautaires, terme que j’emploie faute d’une expression plus précise, expliqueront aux intéressés les avantages du programme d’aménagement et de développement, et insisteront sur la nécessité de la coopération entre cultivateurs.

Il est d’ailleurs certains faits qui portent à réfléchir sérieusement. Le plus évident, c’est qu’il faut absolument, en toute justice sociale, améliorer le revenu de la classe agricole du Québec. Parfois, en milieu urbain, on est porté à croire que le faible revenu de trop de cultivateurs est le symptôme d’une inefficacité marquée de la production. Il y a peut-être du vrai dans cette opinion pour autant qu’elle concerne certains producteurs marginaux victimes de situations défavorables. Mais, dans l’ensemble, l’agriculteur québécois produit aujourd’hui suffisamment de nourriture pour satisfaire aux besoins d’une trentaine de consommateurs, soit trois fois plus qu’il y a vingt ans. Quant au citadin qui, lui, est davantage porté à croire que l’agriculture est une industrie peu efficace, il achète beaucoup plus de pain, de beurre et de lait aujourd’hui avec le fruit d’une heure de travail qu’il ne le faisait il y a vingt-cinq ans. Si le revenu agricole est faible, ce n’est pas le résultat de l’inefficacité de certains cultivateurs qui sont, je le répète, beaucoup plus souvent victimes d’un état de choses dont ils ne sont pas responsables, qu’artisans de leur propre niveau de vie la mécanisation accrue – et de là la production plus abondante – et les difficultés de mise en marché sont aussi et pour beaucoup la cause de revenus relativement moins élevés par unité de production agricole. La hausse des coûts d’exploitation est également une des raisons majeures de cette situation.

Le ministère de l’Agriculture du Québec, conscient comme ministère de toutes les difficultés qui ont surgi, ne croit pas qu’il soit capable de résoudre seul les nombreux problèmes qui se posent.

J’ai parlé, il y a un instant, de la collaboration qui devait exister entre les producteurs agricoles. Le ministère de l’Agriculture veut, lui aussi, mettre en pratique ce principe de collaboration qu’il souhaite voir adopté par les intéressés dans la poursuite des plans d’aménagement et de développement. Il ne se renferme pas sur lui-même en vertu d’une compartimentation administrative qui serait mal indiquée dans le cas présent. Il collabore au contraire avec des organismes comme le Conseil d’Orientation économique du Québec, et il participe à un Conseil interdépartemental formé de représentants de neuf ministères intéressés. Il travaillera aussi en étroite collaboration avec les comités locaux d’aménagement et les conseils régionaux d’orientation économique.

Au moment où je vous parle il a déjà préparé des plans d’aménagements paroissiaux et régionaux. Comme vous le savez, la région pilote d’aménagement rural sera la région du Bas-St-Laurent-Gaspésie.

[In short, I would say,that not only the point of view that it suits us to adopt in Quebec concerning the application of ARDA is designed to include the traditional characteristics andthe needs of the citizens of the province, particularly those of the farmers, but the spirit of cooperation which we want to see at work everywhere in the lire of action that is being followed by our Department of Agriculture.

I do not say that everything we do will inevitably be crowned

with success, but I do believe that we are on the right

road. In any case, it is probably the first time in Quebec that a government has shown so much determination to get to the root of the evil. À major reorientation is called for in our agriculture, especially in the less favoured regions, and we have the firm intention of

sparing no efforts in this respect.]

Pourtant, comme Premier ministre du Québec – et je l’avoue bien sincèrement – il est un fait qui me cause bien des soucis. Je suis témoin de l’effort que nous fournissons du côté de l’agriculture, comme d’ailleurs dans d’autres domaines, mais je suis tout à fait conscient que ce que nous faisons présentement, malgré toute l’énergie que nous y mettons, ne donne pas nécessairement des résultats immédiats. En d’autres termes, les plans que nous élaborons en détail, les programmes que nous traçons, les études que nous poursuivons ne résoudront pas ce soir les problèmes financiers du cultivateur dont le revenu, je l’admets, est nettement insuffisant pour les besoins de sa famille. Je vous dirai franchement qu’il n’existe pas de solutions immédiates et magiques aux problèmes agricoles. Je crois que nous devons être francs envers une population qui nous a fait confiance et lui dire nettement ce qui en est. D’ailleurs, notre population ne croit pas aux solutions miracles. Le cultivateur du Québec est assez réaliste pour savoir que si des solutions simples et faciles existaient, elles auraient déjà été appliquées.

En conséquence, nous aurons au moins pour un temps, à continuer l’application des méthodes habituelles d’aide à l’agriculture même là où nous savons que leur efficacité est limitée. Nous aurons à aider de toutes sortes de façons ceux de notre population agricole que le sort a défavorisés. Dans l’intervalle, cependant, nous mettons sur pied les programmes qui, comme ARDA et les autres auxquels nous songeons, apporteront aux problèmes agricoles des solutions durables.

Nous savons que la population du Québec comprend et accepte le point de vue de son gouvernement. Nous savons qu’elle l’approuve d’agir comme il le fait à l’avantage de toutes les classes de notre société. Or, la classe agricole est plus particulièrement aux prises avec des difficultés qui réclament, de la part du gouvernement, une action hardie et conforme aux besoins actuels. Notre action est déjà commencée et elle se continuera dans la même direction. Nous avons foi en l’avenir et surtout en notre milieu agricole. Et, ce qui est plus encourageant encore, notre classe agricole, j’en suis convaincu, a confiance en elle-même.

[QLESG19630216]

[lle Congrès du Barreau de la province de Québec Montréal, le 16 février 1963 Pour publication après 7:00 hres p.m.

Hon. Jean Lesage, Premier Ministre le 16 février 1963]

Je me trouve ce soir parmi des confrères et des amis. Je vous remercie sincèrement de me fournir cette occasion de renouer les liens de fraternité qui nous unissent. Il m’arrive souvent de parler à des groupes de professionnels. Ceux que j’ai été à même de rencontrer, depuis que je suis Premier ministre, appartiennent à toutes les disciplines et à presque tous les secteurs d’activité humaine. Je me trouve ce soir devant une imposante assemblée d’avocats et de professionnels du droit qui vivent et exercent dans le Québec, et je suis sûr que certaines réflexions que je me suis faites sur l’évolution actuelle de notre province correspondent à celles qui vous sont vous-mêmes venues à l’esprit. Je voudrais, ce soir, vous en faire part brièvement, car la réalité qui les a provoquées vous intéresse, comme spécialistes du droit et donc des institutions humaines, peut-être plus que n’importe quel autre groupe professionnel. On entend fréquemment des gens nous dire que la province de Québec traverse aujourd’hui une période de changements économiques et sociaux rapides et que ces changements dépassent, par leur ampleur, tout ce qui a pu se produire de ce genre dans le passé. Pour certains, il n’y a dans tout cela qu’une manifestation temporaire dont on exagère la portée; ils croient que bientôt on retournera à l’équilibre antérieur et que l’effervescence présente apparaîtra, avec le temps, beaucoup moins profonde dans ses causes et ses effets qu’on ne se l’imagine maintenant.

Pour d’autres; par contre, le Québec vient d’entrer dans une ère de transformations majeures de nature à changer entièrement le visage qu’il affichait traditionnellement; ces personnes croient à une brisure complète entre le passé et l’avenir du Québec. Pour elles, nous serions actuellement en train de vivre cette brisure et les changements dont nous sommes tous témoins ne seraient que les signes avant-coureurs d’autres changements encore plus marqués.

J’ai bien l’impression, pour ma part, que la réalité se situe à mi chemin entre ces deux opinions. Au fond, ce qui se produit, c’est que le Québec est tout simplement occupé à se donner les institutions économiques et sociales qui lui manquaient pour avancer dans la voie du progrès. Tout cela crée évidemment un certain bouleversement dans la façon de vivre et de penser d’une partie du peuple québécois, mais je m’empresse d’ajouter que celui-ci, dans son ensemble, ne sentirait aucunement la nécessité d’institutions nouvelles si son mode de vie et sa mentalité n’avaient pas commencé à se transformer eux-mêmes de l’intérieur. En effet, il y a une interaction réelle entre le comportement d’un peuple et ses institutions; à leur tour, ces institutions influencent le comportement, et ainsi de suite. Il ne s’agit pas, à ce propos, de tomber dans l’erreur du matérialisme historique, mais seulement de constater des faits dont le Québec est la scène.

D’ailleurs, toutes proportions gardées, de tels faits ne sont pas particuliers à notre province; d’autres sociétés que la nôtre les ont vu survenir et leur évolution subséquente s’en est ressentie.

[For exemple, let us think back to the beginnings of western capitalism. There came a certain moment in history when, as a result of the pressure of liberal ideas of the tire, sooiety wished to throw off restrictions which dated, for the most part, from the middle ages. There restrictions were gradually abolished, and a new kind of society began to emerge. But in addition to a strong desire for freedom, this society held to the ideal of increased material progress. Individuals felt the neceosary strength and dynamisn to devote ail of their.energies towards reaching this goal; but in order to reach it, they needed ways and means which did net thon exiet. It was in this manner that the limited liability company was born, and has rince becone the modem corporation. This type of enterprise, and overything that lias tome from it in methods of financing, was precisely the thing that was laoking at thut time for people to risk

important

0

• amounts of capital in what were somecimes risky undertakings, and which resulted in giving a atrong forward movement to trade and industry. It is to this foret of business enterprise that the western world oves for a large part, as you know, the development of its standard of living in the few last generations.]

Ce qu’il importe de noter toutefois, c’est qu’une fois créée l’entreprise à responsabilité limitée a eu une énorme influence, par ses effets, sur le comportement de toute la société. Elle l’a, pour ainsi dire, transformée et, à la mentalité traditionnelle de l’époque antérieure, a succédé une mentalité nouvelle où la liberté entière d’action était considérée comme la condition première du progrès économique et social. Nous qui vivons dans la seconde moitié du vingtième siècle savons évidemment que libéralisme économique a, à son tour, en plus de donner des résultats positifs indéniables, suscité des problèmes dont les conséquences se sont répercutées, à travers le temps, jusqu’à nous. Plusieurs des efforts de la société contemporaine visent à corriger ces défauts, tout en conservant certains des avantages obtenus.

Et aujourd’hui encore, nous assistons à la création d’institutions nouvelles dont le but est, maintenant comme dans le passé, de fournir à la société les moyens d’action nécessaires à la poursuite des objectifs qu’elle s’est fixée. Je pense, par exemple, au Marché Commun ou aux sociétés d’entreprise mixte, fréquentes en Europe continentale.

Je pourrais continuer pendant longtemps à vous citer des faits illustrant la façon dont les sociétés humaines, à un certain moment de leur histoire et face à des problèmes nouveaux, ressentent le besoin de se donner des instruments leur permettant de réaliser leurs aspirations de façon plus efficace. Je pense cependant que les quelques exemples apportés suffisent pour démontrer que les sociétés sont en constante évolution et que les institutions qu’elles créent sont à la fois des conséquences et des causes de cette évolution. Revenons maintenant au cas du Québec moderne. Les transformations qui s’y produisent actuellement prennent un sens beaucoup plus juste si on les considère dans la perspective dont je viens de donner un exemple. Ainsi, on voit qu’il ne s’agit, dans ces transformations, ni d’un sursaut passager d’éléments instables de notre société, ni d’un renversement définitif et brutal d’un mode de vie auquel nous étions habitués. De fait, le Québec vient de prendre conscience de lui-même et, du même coup, de se rendre compte de la tâche immense qu’il lui faut entreprendre pour atteindre les objectifs nouveaux que cette prise de conscience lui révèle être indispensable à sa vie comme entité distincte et à son progrès comme collectivité humaine.

Les objectifs de la société québécoise actuelle sont l’affirmation économique et l’affirmation culturelle. Le premier provient de ce que le peuple du Québec se rend bien compte qu’il est, comme je lai déjà dit à plusieurs reprises, trop absent du monde de l’industrie, du commerce et de la finance; et que des décisions s’y prennent sans qu’il ait même à donner son avis sur des décisions le touchent parfois de très près. Il voit aussi que souvent le Québec se développe non pas en fonction des besoins de notre population mais en fonction des besoins des entreprises qui exploitent nos richesses et nos matières premières. Il sait surtout que sa vie comme groupement humain distinct au Canada et en Amérique du Nord ne sera pleine et entière que si elle s’appuie sur des assises économiques fortes.

Pour toutes ces raisons le temps venu de créer des institutions économiques permettant à notre peuple de s’affirmer dans un domaine où il est jusqu’à maintenant presque étranger. C’est de ce sentiment qu’est née la Société Générale de Financement et l’Hydro-Québec prendra, avec la nationalisation des onze compagnies privée, d’électricité, une dimension à la mesure des besoins du Québec moderne. Le Conseil d’orientation économique se place dans le même courant d’idées, en ce sens que grâce à la planification économique de type démocratique à laquelle il se prépare il visera à ce que le développement économique du Québec se fasse de façon cohérente et équilibrée. La création d’un ministère des Richesses naturelles obéit aux mêmes préoccupations générales. Il en est ainsi des modifications que la Législature vient d’apporter aux lois coopératives. En somme, le Québec se donne les moyens d’affirmation économique dont il a un besoin pressant, ou bien encore il modernise ceux qu’il a déjà. Quant à l’affirmation culturelle, elle constitue en réalité une aspiration déjà ancienne chez nous, mais dans la situation actuelle elle prend valeur d’objectif primordial. Dans le passé on ne lui a pas suffisamment donné d’appui vraiment efficace. Aujourd’hui, le peuple du Québec a accepté de repenser son système d’éducation, ce qui pourra aussi l’aider du strict point de vue économique. Par l’entremise du gouvernement, il s’est également enrichi d’un ministère des Affaires culturelles.

L’affirmation culturelle ne peut toutefois pas être limitée au seul territoire du Québec. Pour être vivante, une culture doit s’épanouir à l’extérieur de ses frontières naturelles, car elle tire profit du contact avec les autres cultures. Le peuple de la province veut s’affirmer sur le plan canadien et aussi sur le plan international. C’est là le but poursuivi par notre ministère des Affaires culturelles et par l’établissement de nos délégations générales à Paris et à Londres. Là encore il y avait un vide à combler et le Québec a vu à créer les institutions nécessaires à cette fin.

Maintenant que ce vaste mouvement est en bonne voie, à la suite d’un regain de dynamisme que certains qualifient de subit, il va se continuer de telle sorte que le peuple québécois pourra dorénavant disposer de tous les éléments dont il peut avoir besoin pour s’affirmer.

[With your indulgence, I would now like to bring out the lesson that can be learned from the present changes that are taking place in our province.

First of all, what appears to a lot of people to be a period of instability and reappraisal is nothing more than a return to normal. In other words, what I mean is that the people of Quebec have given themselves, in the space of a few months, social and economic institutions £rom which they could have benefited years ago. After a long period of calm and passivity — a period caused by a great number of factors which would take too long to discuss tonight — our people are trying to make up for lost time, and to do this, they must make an effort of which there are few examples in our history. It is therefore normal for them to be takipg up

matters anew, even some of those things which we had all learned to look upon as being definitely settled.]

Mais ce qui me frappe dans tout cela, c’est que les Québécois, dans leur immense majorité, ne sont pas inquiets du lendemain. Au contraire, ils ont en l’avenir une confiance qui étonne les observateurs étrangers. Ils viennent de se rendre compte de leur force véritable; cela leur donne un sentiment de puissance et confère à leur volonté d’affirmation une portée à laquelle s’attendraient peu nos compatriotes des autres provinces. De son côté, le gouvernement du Québec est devenu en quelque sorte le levier dont les citoyens ont résolu de se servir pour mener à bien leur entreprise d’affirmation économique et culturelle. Il a lui aussi, comme institution, changé de sens; il est devenu actif et plus que jamais s’est mis au service de la collectivité. Il y a plus encore et c’est sur cette idée que je voudrais terminer. On a pu remarquer, dans bien des pays, que le peuple subissait les effets des institutions nouvelles créées par les gouvernements, sans avoir lui-même participé à leur élaboration. Cela est vrai notamment des régimes dictatoriaux. Or, je ne crois pas que cela pourrait survenir chez nous. Je suis même prêt à dire que les politiques actuelles du gouvernement ne sont que les conséquences des désirs que la population exprime par la voix de ses représentants, des associations dont elle fait partie ou encore des médias d’information et de publicité. Il n’en a peut-être pas toujours été ainsi, mais avec la prise de conscience qui s’est produite chez nous depuis quelques années et l’augmentation du degré d’éducation, il n’y a aucune

raison de croire que le peuple du Québec perdra contact avec son gouvernement et que l’opinion publique se désintéressera des affaires de l’État.

De cette façon, l’action que le gouvernement pourra dans l’avenir avoir sur l’évolution de la société québécoise ne fera en définitive que résulter du désir même qu’aura cette population de modifier son comportement et sa façon de vivre. En d’autres termes, le gouvernement ne pourra damais devenir étranger aux préoccupations du peuple, non plus qu’y être indifférent.

S’il obéit à la population, comme je viens de le laisser entendre, le gouvernement la guide aussi, mais il ne la guide que dans des directions où elle veut bien s’engager. Je crois que c’est là l’essence même de la démocratie. Quand on prend l’avion, on a déjà choisi sa destination; mais quand on est dans l’avion, on s’en remet à l’esprit de décision du pilote.

Et, dans cet esprit, la condition première du progrès m’apparaît être l’adaptation constante de nos institutions économiques et sociales aux réalités qui nous entourent, de telle sorte qu’elles réussissent à satisfaire les aspirations profondes des Québécois.

C’est cette oeuvre d’adaptation nécessaire que nous avons entreprise. Elle trouble peut-être le calme dont s’accommodaient certains groupes; mais à la demande même de la majorité, nous avons la ferme intention de la poursuivre.

[QLESG19630318]

[L’ÉVANGELINE – Campagne de souscription

Québec. le 18 mars 1963 Pour publication après 7:00 hres P.M.

HOn. Jean Lesage. Premier Ministre le 18 mars 1963]

Il n’est pas habituel, en cette période de l’année – alors que le Parlement est en pleine session et que le Conseil exécutif de la province s’occupe activement à la préparation du budget – il n’est pas habituel, dis-je, que le Premier ministre accepte l’une ou l’autre des nombreuses invitations qui lui sont faites de porter la parole en public. Si j’ai consenti à déroger ce soir à la règle établie, c’est pour, deux raisons bien particulières.

Les quotidiens et les hebdomadaires de langue française du pays ont accepté avec joie et empressement de conjuguer leurs efforts pour venir en aide à l’un des leurs. Cette unanimité de notre presse – qui ne se produit pas tous les jours, on l’admettra – démontre sans équivoque l’importance de la cause que nos journaux ont entrepris de faire triompher. Il s’imposait que le Premier ministre de la seule province française du pays contribue de sa personne à cette cause, en acceptant l’invitation qui lui était faite conjointement par l’Association des quotidiens de langue française et par l’Association des hebdomadaires de langue française du Canada.

Mais il est une autre raison que je crois plus importante encore. Dans le petit dépliant publicitaire que nos journaux ont fait imprimer pour les fins de la campagne d’aide à 1’Évangéline, il est dit que laisser mourir le seul quotidien français des Maritimes [« serait une catastrophe nationale et marquerait un recul considérable dans la conquête des droits des Canadiens français en ces provinces »]. Voilà qui est grave – voilà qui nous impose des obligations. Et il n’est pas difficile de constater où se situe notre devoir. S’il est un domaine où le gouvernement de l’État du Québec possède déjà le mandat d’agir, c’est bien celui de notre langue et de notre culture. En effet, à deux reprises déjà en l’espace de vingt-sept mois, le peuple du Québec a démontré sa volonté d’affirmer, par la langue et la culture, notre présence française sur le continent nord-américain. Et il a consenti, pour cela, à ce que le Québec se constitue la mère patrie des trois ou quatre millions de Canadiens français et d’Acadiens qui vivent au-delà de nos frontières, en Ontario, dans les Maritimes, dans l’Ouest, en Nouvelle-Angleterre et en Louisiane. Dans ces conditions, je crois bien qu’il n’est pas nécessaire pour moi de préciser qu’il nous appartient à nous, du gouvernement de la province, d’encourager et de seconder les organisateurs de la campagne d’aide à l’Évangéline qui veulent faire une réussite de cette souscription nationale en faveur du journal des Acadiens! Je suis sûr d’ailleurs qu’ils connaîtront le succès.

Il n’est pas dans mes intentions de résumer, même brièvement, l’histoire à la fois émouvante et étonnante du peuple acadien, peuple de langue française et de foi catholique qui a connu en terre d’Amérique un destin bien différent de celui des descendants des pionniers du Québec. Vous tous ici ce soir, qui avez accepté d’unir vos efforts pour faire triompher la cause de l’Évangéline, savez les terribles épreuves qu’ont subies les Acadiens et les obstacles multiples qu’ils ont dû surmonter pour survivre, se regrouper et réussir finalement à faire entendre leur voix dans cette partie du Canada qu’on appelle les provinces maritimes.

Je me contenterai de rappeler qu’ils constituent de nos jours un groupe compact et bien organisé – que les progrès qu’ils ont accomplis depuis trois quarts de siècle ont été édifiants qu’ils exercent une influence indispensable, surtout au Nouveau-Brunswick où ils constituent près de quarante % de la population. Comme le soulignait récemment le président de 1’Évangéline Limitée devant la Chambre de Commerce de Montréal: [« Les Acadiens ont fait en sorte que le Nouveau-Brunswick est peut-être la province qui constitue la meilleure réplique du Canada lui-même par rapport à la composition de ses principaux groupes ethniques »].

Il est sans doute vrai, comme le disait encore Me Adélard Savoie, que l’Acadien se distingue suffisamment du Canadien français pour incarner un type différent – qu’il parle différemment qu’il s’amuse autrement – que ses chansons, ses légendes et ses traditions n’ont pas le même souffle que les nôtres. Mais sa voix est française et il appartient, de ce fait, à cette grande famille dont l’État du Québec se veut être à la fois le défenseur et le héraut sur notre continent.

Il y a quelques jours à peine, nous avions une preuve nouvelle de l’appartenance indéniable de la communauté acadienne à la nation canadienne-française. C’est en effet au directeur de 1’Évangéline, monsieur Emery LeBlanc, que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a accordé cette année son Grand Prix de Journalisme – le prix « 0livar Asselin 1963 » du nom de l’un des plus grands journalistes qu’ait connus le Québec.

Je sais me faire ici l’interprète de toute la population française du Canada, et même des États-Unis, en présentant à monsieur LeBlanc les félicitations les plus chaleureuses pour l’honneur qu’il vient de se mériter et qui rejaillit sur tout le peuple acadien.

À plusieurs reprises déjà, il m’a été donné de dire publiquement l’importance que représente pour notre groupe ethnique sa presse écrite et parlée. Ai-je besoin de rappeler que notre histoire – et à cet égard celle de l’Acadie s’apparente à celle du Canada français – que notre histoire, dis-je, démontre que le journalisme fut longtemps presque la seule profession qui, à côté du clergé, a maintenu les valeurs de la culture et les oeuvres de la pensée chez nous.

Les choses ont évidemment bien changé depuis. Le journalisme, comme toutes les autres professions et toutes les autres entreprises, a dû se transformer progressivement afin d’être toujours bien de son temps et d’en refléter fidèlement toutes les réalités. Le journalisme connaît donc lui aussi de plus en plus les spécialisations. Cependant, malgré toutes les préoccupations nouvelles qui l’assaillent en cette époque de difficultés et d’évolution, notre presse sait demeurer fidèle à sa mission première: celle d’être un dynamique instrument de diffusion de notre langue et de notre culture. En ce sens, elle est pour nous plus qu’un service public: elle est véritablement une vocation, avec tout ce que ce mot renferme d’austère et de consolant.

Un dîner comme celui-ci, qui réunit un grand nombre de journalistes et d’administrateurs de journaux désireux d’aider un confrère, présente une certaine tentation pour celui qui vous parle. C’est celle de vous entretenir des rapports entre la presse et le pouvoir. Je m’en voudrais cependant d’y succomber. D’abord, parce que j’ai déjà eu l’occasion de traiter ce sujet passionnant devant l’Union canadienne des Journalistes de langue française, peu après que je fus devenu Premier ministre du Québec – ce qui est encore assez récent! – ensuite, parce qu’au plan de la langue et de la culture, la presse et le pouvoir chez nous, loin de s’affronter, partagent le même but et le même idéal. Je dirai même que, dans ce domaine tout au moins, tous deux sont à ce point fidèles au bien de notre groupe ethnique que leur action les identifie presque l’un à l’autre. N’est-ce pas là d’ailleurs la raison qui fait se retrouver ce soir à la même table les représentants de la presse et du pouvoir?

Une assemblée comme la vôtre sait déjà quel appui non équivoque nos journaux apportent au mouvement que je dirige dans ses efforts pour faire du Québec notre État national et mieux faire ainsi rayonner le fait français en terre d’Amérique. Dans le même esprit, notre province à son tour n’éprouve aucune hésitation à seconder officiellement et tangiblement la presse de chez nous dans sa décision combien louable d’assurer la survivance et le progrès du journal national des Acadiens.

Je me souviens d’avoir déjà dit à un groupe de journalistes qu’il n’y a de citoyens responsables que les citoyens éclairés, et qu’il n’y a de citoyens éclairés que là où existe une presse responsable. Si l’on regarde jusqu’à quel point les Acadiens, en dépit des difficultés énormes qu’ils ont eu à vaincre, ont su assumer constamment leurs responsabilités, il ne fait pas de doute qu’ils sont des citoyens éclairés. Et une très large part du mérite en revient surtout à l’Évangéline, le seul quotidien de langue française des Maritimes.

Tous conviendront, je crois, que le journal l’Évangéline est irremplaçable dans son milieu. Comme l’a écrit un quotidien de la métropole, l’Évangéline est en quelque sorte le catalyseur des nouvelles des centres français des quatre provinces atlantiques et nous lui sommes redevables de les diffuser quotidiennement au reste du Canada. C’est l’Évangéline encore qui polarise toutes les bonnes volontés, tous les mouvements d’affirmation française, tous les efforts économiques des nôtres, toute l’impulsion donnée à l’expansion de l’éducation en milieu acadien.

Je ne puis m’empêcher de songer ici à une pensée célèbre du philosophe Sénèque que beaucoup d’entre nous auraient avantage à méditer souvent. Ce penseur romain aimait répéter: « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ».

Depuis quatorze ans qu’il est devenu quotidien, le journal l’Évangéline a osé constamment. Les choses n’en ont pas toujours été faciles pour autant, mais il a démontré qu’elles étaient tout au moins possibles. Et elles vont le devenir encore davantage avec la mise en oeuvre du programme d’expansion auquel vise la présente souscription.

Non, vraiment, les Acadiens ne sauraient se dispenser d’un quotidien comme celui qu’ils ont réussi à établir à Moncton, dans ce Nouveau-Brunswick qui est appelé à devenir la deuxième province à majorité de langue française. De là la nécessité pour nous de souscrire généreusement à la campagne qu’inaugurent ce soir les journaux d’expression française du pays. L’État du Québec se devait de donner l’exemple. On a déjà annoncé que sa souscription était de $15,030. Ce montant représente dix % de l’objectif de $150000 . Et nous pouvons peut-être y trouver un symbole du désir que nous entretenons tous de voir l’Évangéline entreprendre avec confiance et sérénité sa quinzième année de publication quotidienne.

D’avance nous sommes convaincus que la population du Québec suivra l’exemple que lui donne son gouvernement et qu’elle souscrira généreusement le montant que nos quotidiens et hebdomadaires jugent indispensable pour assurer définitivement la stabilité financière de l’Évangéline. C’est le moins que peuvent faire

les citoyens d’un État qui se veut la mère patrie de tous les parlants français d’Amérique.

[QLESG19630522]

[University of Western Ontario.

London, May_22 th,_ 1263.

Hon. Jean Lesage, Premier of Quebec.

For release:

after 3 otclock P.M. Friday, May 24th, 1963.]

Je voudrais tout d’abord remercier bien sincèrement l’Université Western Ontario du témoignage d’amitié qu’elle me rend aujourd’hui en me conférant ce doctorat d’honneur en droit civil. J’en suis extrêmement flatté, mais j’aimerais dire que j’accepte ce doctorat au nom du Canada français. Je n’ai pas la prétention de croire que mes propres qualités me valent à elles seules l’honneur dont je suis aujourd’hui l’objet. Lorsqu’une université rend un tel hommage à une personne, elle pose en réalité un geste symbolique. Je considère donc plutôt ce doctorat comme une marque de confiance et d’estime à l’endroit du peuple que je représente ici et, à ce titre, je vous en suis très reconnaissant.

[Those of you who are graduating today are ending a course of study which has brought you to the doorstep of your careers.

I .- s very kindly asked to say a few words to you on this occasion, and it gives me great pleasure to do so.

With your permission, I would like to suggest a subject for ocrious thought. You now belong to the Canadian élite, and as a result you will be called upon to accept certain responsibilities. You cannot remain indifferent to the difficulties which are at present disturbing our country. You are perhaps not yet in a position to solve them, but to a graat many amongst you, the opportunity to take part in the solution of these problems will probably present itself more quickly than you think. All the citizens of Canada are facing a common problem today: the very future of their country. I know that we often have the habit of speaking about the prospects for Canada’s progress in the most encouraging terms*. And – it must be admitted the abundance of our natural resources, the size of our country and the energy of our people justify thes optimistic expectations to a great extent. Nevertheless, for some time now, a new factor has taken shape in our country which may somewhat modify these forecasts. lie are not all equally

aware of it, and this is the unfortunate part. This factor is extremely complex, but it can be given an approximate definition in a single sentence: it seems that a great many Frenchspeaking Canadians do not feel really at home in Canadian Confederation.

This feeling obviously does not date from yesterday; it is present throughout the history of the last hundred years. What is more recent, however, is the awareness that has auddenly appeared in French Canada, and particularly in Quebec, of the part which the French-speaking Canadians should play from now on in our country. As I mentioned a moment ago, it raises an acute problem of a very urgent nature.

4lhat is the cause of this new awareness? It tomes first of ail from the fact that Quebec has developed enormously over the past few years. For a long time, the people of Quebec, like any minority people, lived unto themselves, looking backward upon a glorious past. Today, this is no longer the case, and it will never be so again. ïhe bucolic image which people had of us and which many still have must be definitely abandoned. Quebec, and with it the whole of French Canada, has just entered a new era. And just as any adult nation would do, it now wants to grow in all the sectors of human activity.

At the moment when I am speaking to you, we have made an important step in the economic sphere, which has traditionally been our weakest point. We are still living in an era when we must get our inspiration from experience gained elsewhere. We must still

have the help and support of others to achieve the economic objectives that we have set for ourselves. We are still going through a period in which we are seeking ways to channel all our energies in order to assert ourselves economically. However, a day will corne – the day is coming – which you of the present generation will see, I am sure when it will be the others who will corne to Quebec to see how we have carried out our work of renewal.

It must not he forgotten that the rapid development of Quebec has produced another outstanding phenomenon. No new development takes place without raising the question of the former order of things. This order of things includes several elements. Certain ones have to do with our educational system, others with our social welfare activities, others – and I have just spoken about them concern the part that we are playing in the economy as a people. Now, one of these elements is Confederation itself. It too, and I will not hide it from you because you are certainly aware of it through the newspapers, it too is being questioned. This was to be expected because it forms part of the framework of Quebec political life, one of the sectors which has historically interested us the

• most.

Of course, throughout their history, the French Canadians, especially those of Quebec, have often reproached our federal system for a great many things. However, they did so at certain precise moments, particularly at times when they were having economic and social difficulties. Periods of popular restlesness were followed by

several years of apparent indifference, and so on. Ode can there

• fore be led to think that the critical examination to which Confederation is at present being subjected by our people will not last long and that very soon no one will

taik about it any more. In my opinion, we would be seriously mistaken if we were to interpret the French Canadianst present dissatisfaction with Confederation as being a capricious and passing tendency. On the contrary,_ it must be looked upon as being deeply permanent, and we must convince ourselves that only a radical reorientation of our federal system and everything that

• it calls for will succeed in removing the causes of this dissatisfaction. The present state of mind, in Quebec and in the rest of French Canada, is not a surface manifestation; it is the logical result of the rapid development which has taken place there, and has nothing to do with motives of a sentimental nature. It results more from a close and realistic examination of our general situation as an ethnie group. This is why the aspirations of the French Canadians would not

• be satisfied by half-measures from now on. I have just mentioned the reorientation of our federal system. Many of our English-speaking fellow-countrymen are wondering just what we maan by this.

It is not my intention at this time to get involved in a technical or legal dissertation. In the first place, I would not have the time. It is possible, however, to give you, in a few words, the substance of what we mean by Il reorientation 11, or rather, what we hope to get from a ‘t reorientation «.

First of all, we want a way of life that will be favourable to our growth as a distinct ethnie group, having its own language and culture. As a people, we want to grow in a manner which suits us. We refuse to accept that ways of thinking and living be imposed upon us, and from this fact, we object to courses of action which do not take our own priority needs into account.’ I am thinking particularly here of joint plans which are made up of conditional payments in one way and another. Often, the conditions which are laid down – and which, from certain points of view, may be very sensible – do not respect our institutional structure and the mentality of our people. They often force us into spheres of action in which we are perhaps not yet ready to act, while other

sectors, on the other hand, require our urgent attention.

As I mentioned a few moments ago, we also want our culture to grow and to spread. This will only be possible if a growing number of Canadians understand our language, and if, especially, they are ready to recognize bilingualism and biculturalism. I am well aware of the fact that legal texts and judicial

decisions can’ be found which establish precedents, and that they can be interpreted as signifying that bilingualism and biculturalism should be limited to Quebec. Now the French Canada of today can no longer accept an argument of this kind.

• On the other hand, it is not a question of going to the other extreme. This is why it is our duty to discover in a vert’ short time how we in Canada can from now on make a greater place for the French cultural element, as much in those spheres where it is now present as in those where it has not had the chance to develop. In this connection, Quebec is depending a great deal upon the results of the Royal Commission on biculturalism that the federal government has promised to appoint. We would be deluding ourselves, however, if we were to believe that a Royal Commission can solve all our problems. It cannot change

opinions that are deep-rooted and often kept up by prejudices that have existed for generations. À rapprochement is imperative between the two great founding groups of Confederation, but it must have new scope: it must work both ways. I will admit that the French Canadians often look with suspicion upon the way in which the hand of friendship is habitually extended to them. To us, this has often maant concessions on our part without any being made in return. Exchanges of this kind must no longer have a place in a country which truly wants to safeguard the cultural features of a population that is made up of distinct elements.

For, we have the choice of two things: either we accept the coexistence of two cultures and we must then accept its logical consequences~ or else we do not believe in it, and then the French Canadians appear as a minority that is tolerated but which we hope to see disappear. In this second case, if ever Confederation falls apart, it will not be because Quebec – the political voice of French Canàda – has separateU_-from it. It will~be because the way to keep Cuebec in it has not Eeen7f ound

Finally, we want the means to act in order to reach the goals that we have set ourselves. As a province, Quebec is not asking for any special or unduly advantageous treatment in comparison with the other provinces. This would be unfair. pile ask, however, for freedom of action in keeping with its position as the mother-country of all those people living in Canada who speak our language and share our culture. We are aware that we are giving our country a cultural difference which enriches it and which protects it from an ever threatening americanization in a world where international boundaries are disappearing. If Canada wants to preserve its own identity, Quebec should be given should be given back – I should say – the economic,.financial and political powers which wili allow French Canada to grow at every level within a Confederation that is lived in

accordance with a new spirit. Back home we often say:  » Quebec is not a province like the others  » This is a true saying, and it must be understood in the way in which I have just described it.

The reorientation of the federal system of which I have

just spoken is therefore a great deal more than a simple touching-up of the Constitution. It can naturally suggest this, but it calls first of all for a change of attitude towards the place and the role of the French element in Canada. It suggests tangible demonstrations – several tangible manifestations – but French Canada will only be able to accept them if they are based on a firm and sincere understanding and acceptance on the part of English Canada.

If I am speaking in this way to you who are graduating today, it is because you, like myself, have the future of our country at heart. Ip the first place, I am speaking to you much more as the representative and spokeman of French Canada than I

am as Premier of Quebec. And yet, it is difficult if not impossible to dissociate one role from the cher.

I would like to end my speech on an optimistic note which is generally the thing to do in similar circumstances, by saying, for example, that – in spite of everything – things will end by straightening themselves out. But, alas, we have reached a point where things cannot straighten out by themselves. This is what characterizes the present situation. It is my duty to tell it

to you and to the rest of Canada. It is not very agreeable, but it is necessary.

Nevertheless, I remain confident, because an obvious goodwill exists amongst a greater and greater number of our Englishspeaking fellowcountrymen. We are counting on them to seek out, with us, concrete solutions which are called for by present problems. They in their turn can count on us to cooperate with them in what has become a vital effort.

I admit that our position, because it is firm and because it reflects the unanimous wish of a whole population, may surprise many people, for they see in it•the symptoms of a deep unrest about which they perhaps knew nothing. I will also admit that in expressing our views we are forcing many of our fellow-countrymen to reevaluate a balance which they thought in good faith to be stabilized and definite. However, we must always remember that it is by first of all being themselves that the French Canadians can become better Canadian citizens. This is their own way of contributing actively in the building of the Canada of Tomorrow.]

[QLESG19630529]

[Fédération Libérale du Québec Dîner-bénéfice Commission de Finance Château Frontenac, Québec le 29 mai 1963 Hon. Jean Lesage, Premier ministre du Québec

Pour publication après $:00 hres P.M. le 29 mai 1963 ]

Il y a quelques mois avait lieu à Montréal le premier dîner-bénéfice organisé par la Commission de finance de la Fédération libérale du Québec, dans le but de permettre aux plus fortunés de nos supporteurs libéraux d’apporter une contribution tangible au financement démocratique de notre parti.

C’était le 30 septembre. Des élections générales venaient d’être annoncées. Le gouvernement que je dirige avait décidé de demander au peuple du Québec de se prononcer catégoriquement sur la plus importante des questions jamais soumises à son attention.

La campagne électorale n’était pas encore officiellement engagée. L’invitation que m’avait transmise la Commission de finance – invitation que j’avais acceptée avec grand plaisir, tout comme aujourd’hui – m’offrait l’occasion unique d’exposer à la population le thème d’une lutte devenue maintenant historique: la libération économique du Québec.

L’heure n’était pas alors aux félicitations ni aux remerciements. L’avenir du Québec reposait entre les mains de l’électorat. Il importait que, comme Premier ministre de la province et chef du Parti libéral du Québec, je m’en tienne, dans mes remarques, au seul enjeu de l’élection: la nationalisation de l’électricité, clef de notre devenir économique.

Aujourd’hui, notre oeuvre de libération économique est en bonne voie de réalisation. Beaucoup a été fait depuis le 14 novembre, et nous préparons pour les années à venir des projets d’une envergure encore plus grande. Toutefois, avant de vous parler de ces choses dont dépend l’avenir économique à la fois de la province et de la nation canadienne-française, je voudrais m’arrêter quelques instants pour souligner l’heureuse initiative prise par la Fédération, lors de ses deux derniers congrès, de rechercher

les moyens d’assurer de façon démocratique le financement de la permanence de notre parti. Les dîners-bénéfice, comme celui auquel nous avons été conviés ce soir, sont de ceux-là. Et l’on comprendra que je tienne à signaler le mérite bien particulier de la Commission de finance et de son président, monsieur Jean Morin, d’avoir assumé avec enthousiasme et compétence la responsabilité d’une telle entreprise.

En tant que chef de notre parti, je dis merci à monsieur Morin et à ses dévoués collaborateurs pour avoir ainsi conduit à bien une tâche aussi ardue. Et je dis merci à vous tous qui, par votre présence ici ce soir, rendez possible la réalisation d’un projet aussi méritoire.

D’autre part, en tant que Premier ministre de la province, je me réjouis et je suis fier de ce que le Parti libéral du Québec poursuive en son propre sein une réforme qui est en quelque sorte un complément de l’oeuvre entreprise par le gouvernement que je dirige pour assainir et démocratiser le financement des élections dans l’État du Québec.

Tout au long de la campagne électorale, les libéraux ont dit au peuple de la province que la nationalisation de l’électricité serait une grande et fructueuse affaire, non seulement pour le bien-être matériel du Québec, mais tout autant pour la santé sociale et l’avenir national du Canada français. Personnellement, j’ai affirmé partout – dans les assemblées publiques, à la radio et à la télévision – qu’un gouvernement libéral ferait de l’électricité une des clefs de voûte d’un régime de vie où enfin, après tant de générations, nous serions maîtres chez nous.

On sait quel accueil la population du Québec a fait à notre programme. On sait quels ont été les résultats du 14 novembre. En accordant au Parti libéral du Québec 56.4 % des suffrages, l’électorat a donné au gouvernement que je dirige un témoignage de confiance comme n’en avait reçu aucun autre gouvernement dans notre province depuis au moins trente ans.

Le 14 novembre, le peuple du Québec a manifesté de façon éclatante sa foi dans l’avenir. Il a exprimé sa volonté bien arrêtée de permettre à son gouvernement de prendre les moyens qui s’imposent pour que nous devenions, enfin, maîtres chez nous.

C’est un mandat clair et précis que nous recevions de la population. Il nous appartenait dès lors de traduire le plus rapidement dans les faits le slogan « maîtres chez nous » qui symbolise l’esprit de décision de tout un peuple de se réaliser pleinement.

Nous nous sommes immédiatement mis à l’oeuvre. Désireux d’éviter les retards qu’aurait sûrement subis la nationalisation de l’électricité par la présentation en Chambre d’une loi d’expropriation, le gouvernement a décidé de procéder par une offre juste et équitable aux actionnaires des compagnies concernées.

Chose qui mérite d’être soulignée: alors que nos adversaires politiques avaient prétendu que la nationalisation de l’électricité coûterait à la province de $ 800000000 à $1000000000, j’avais affirmé lors d’un certain débat télévisé que le coût de l’opération s’élèverait à $600000000 et que j’étais prêt à me battre pour ce chiffre.

Dès le 28 décembre, je pouvais annoncer la décision de l’Hydro-Québec de faire des offres fermes et définitives aux actionnaires des compagnies d’électricité dont la nationalisation avait été décidée par le peuple. Je soulignais alors que le coût total approximatif de ces offres – soit $604000000 – garantissait aux actionnaires, suivant l’engagement pris lors de l’annonce des élections, une juste compensation, fixée en tenant rigoureusement compte de leurs intérêts comme aussi d