Autres discours officiels

[QBTRD19681026]

[ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC INAUGURATION DU NOUVEL EDIFICE DE LA BANQUE CANADIENNE NATIONALE PLACE D’ARMES le samedi, 26 octobre 1968]

Je suis extrêmement heureux de participer avec vous tous à l’inauguration de ce splendide édifice, qui s’appuie solidement sur le sol historique du vieux Montréal pour mieux prendre son élan vers l’avenir.

Dans cette fière construction de verre et de granit, je vois l’illustration éclatante de la solidité et du dynamisme de la Banque Canadienne Nationale qui y aura son siège social; et je tiens à en féliciter très chaleureusement les dirigeants et le personnel de notre plus grande institution financière d’expression française.

L’installation de ce nouvel immeuble en bordure de la Place d’Armes constitue un événement heureux pour toute la communauté québécoise. Quand une entreprise comme la Banque Canadienne Nationale est en pleine croissance, c’est tout le Québec qui grandit avec elle.

Car entre une collectivité et les institutions qui en sont l’armature économique et financière, il existe une solidarité bien évidente. Solidarité qui joue d’ailleurs dans les deux sens.

Plusieurs des firmes financières les plus prestigieuses de notre pays ont a Montréal leur principale place d’affaires. Elles contribuent puissamment à la prospérité de la métropole et de tout le milieu québécois. Par leur appartenance à l’une ou à l’autre de nos deux communautés culturelles, elles reflètent aussi ce caractère pluraliste, ce climat d’émulation et de créativité qui a fait le succès unique de l’Expo et qui rendra toujours la vie agréable et enrichissante dans ce qui est en même temps la première ville du Canada et la deuxième ville française du monde.

Pour bâtir un Québec fort, nous avons besoin de ces institutions financières qui nous aident à grouper nos épargnes, à les investir dans notre croissance, à en faire des multiplicateurs d’emplois et de richesses. Nous devons prendre les moyens voulus pour garder au Québec celles qui y sont déjà et pour en inciter d’autres à venir travailler avec nous.

Il va sans dire que, de leur côté, ces institutions ne sauraient rester étrangères ou indifférentes aux préoccupations de notre milieu. Elles ont tout intérêt à établir des relations harmonieuses avec la population québécoise et ses institutions, à contribuer avec compréhension à la solution de ses problèmes, à en respecter aussi le patrimoine linguistique et culturel.

L’argent doit être un serviteur et non pas un maître; et sans doute y aurait-il lieu de se demander, chez nous comme ailleurs, comment cet outil pourrait être mis davantage au service de l’homme.

Je souhaite enfin que le succès de la Banque Canadienne Nationale, tel que symbolisé par cet imposant immeuble, fasse grandir en chacun de nous l’ambition de participer de plus en plus à l’essor économique du Québec et de l’Amérique du Nord.

Des causes historiques, jointes à notre individualisme latin, ont fait que dans le passé, nous nous sommes, intéressés surtout aux affaires de taille modeste. Je sais que même dans cette opulente Amérique du Nord dont nous sommes partie intégrante, la petite et la moyenne entreprise jouent encore et continueront de jouer un rôle extrêmement important; mais l’exemple que nous avons devant nous, et qui s’ajoute à bien d’autres, montre que rien ne nous empêche désormais de regrouper nos forces, nos capitaux et aussi nos entreprises, de façon a pouvoir passer plus rapidement des réussites personnelles ou familiales aux grandes réussites collectives.

Dans cette optique, pour accélérer la modernisation de nos structures, de notre législation et de notre mentalité elle-même le nouveau ministère des Institutions financières, Compagnies et Coopératives a été créé. Je vous invite à profiter de ses services et épauler ses efforts afin que, tous ensembles, nous puissions en faire un instrument efficace de solidarité, d’innovation et de progrès économique, dans le meilleur intérêt de la communauté québécoise et de chacune de ses parties composantes.

[QBTRD19681125]

[ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CONGRES DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DE LA RADIO ET TELEVISION DE LANGUE FRANCAISE CLUB CHAUDIERE CHAUDIERE – HULL Lundi, le 25 novembre 1968 ]

Vous aurez l’occasion pendant vos assises d’entendre les dirigeants de cet organisme et de causer avec eux. Je voudrais pour ma part vous exposer brièvement la politique d’ensemble du gouvernement du Québec en matière de radio et de télévision.

Votre aimable invitation est d’abord parvenue à mon prédécesseur et je m’en voudrais de ne pas évoquer ici sa mémoire. L’honorable Daniel Johnson comptait parmi vous de nombreux amis personnels. Comme groupe, vous le saviez attentif à vos problèmes. Je tiens à vous remercier au nom du Québec d’avoir posé un geste éloquent en retardant votre congrès, qui était tout organisé, pour vous associer à nos jours de deuil national. Après avoir assuré sa survie et affirmé son identité, le Québec veut maintenant se forger les instruments essentiels qui lui permettront d’atteindre sa véritable stature dans un Canada nouveau.

Parmi ces instruments essentiels, il y a la radio et la télévision qui font eux-mêmes partie d’un ensemble plus vaste: celui du domaine des communications par l’électronique, à partir du simple magnétophone jusqu’au plus complexe des satellites, en passant par les ordinateurs. Les principes de notre action dans ce domaine sont clairs. Il n’est pas question pour le Québec de chercher à remplacer ou à concurrencer ce qui existe déjà en matière de diffusion et de communications. Des organismes privés seront au contraire appelés à s’associer à nous et à s’intégrer à notre planification d’ensemble.

En radiodiffusion – entendons que cela inclut la télévision – il est évident que le Québec doit se réserver un rôle exclusif en matière d’enseignement et, d’éducation formelle, et un rôle nécessaire en matière de culture et d’éducation au sens plus large. Dans ce dernier cas, des radiodiffuseurs privés de plus en plus conscients de leur rôle social offrent au public des émissions culturelles de bonne tenue et nous ne pouvons qu’encourager cette évolution. Dans le cas de l’enseignement et de l’éducation, c’est l’évidence même que le Québec ne saurait céder une parcelle de sa compétence, quels que soient les moyens techniques employés, anciens, nouveaux ou futurs. Pour ce qui est de la culture, nous jugeons prioritaire l’autorité des États fédérés; ceux-ci doivent pouvoir réclamer au moins les mêmes moyens qui sont déjà à la disposition d’organismes régis par l’autorité centrale. Nous savons bien sûr que les ondes hertziennes les fréquences – doivent être régies par le pouvoir central pour des raisons de bon ordre et de cohérence. Mais allouer des fréquences, c’est bien autre chose que de régir la radiodiffusion; et le fait que le même organisme fédéral remplit aujourd’hui les deux fonctions ne constitue aucunement la preuve qu’elles sont toutes deux du ressort de l’autorité centrale. La Commission royale de la radiodiffusion de 1929 – la commission Aird – disait dans son rapport unanime [ » Les autorités provinciales devraient avoir un contrôle absolu sur les programmes de la station ou des stations situées sur le territoire respectif de chaque province ».]

Cet intérêt est maintenant plus évident par suite du développement spectaculaire de la radio et de la télévision éducatives, par suite aussi de l’urgence de doter de communications rapides et modernes plusieurs secteurs de l’administration publique, les grands services subventionnés, et à long terme, toute l’infrastructure québécoise de qui dépendra notre essor économique. Nous poursuivons présentement avec les autres gouvernements une longue et patiente recherche d’un terrain commun sur lequel édifier un Canada nouveau, qui réponde aux aspirations actuelles de ses citoyens et de ses groupes. Commencée aux conférences constitutionnelles de Toronto et d’Ottawa, cette recherche doit se poursuivre dans un climat qui soit avant tout marqué par l’ouverture au dialogue. En matière de radio et de télévision, je regrette de dire que nous avons été récemment fortement déçus à ce sujet.

Je veux parler de l’annonce faite par le Secrétaire d’État du Canada qu’une loi fédérale va bientôt créer un Office canadien de la radiodiffusion éducative pour contrôler certaines installations techniques et en régir l’usage, Ottawa s’arrogeant le pouvoir de définir ce que sont la radio et la télévision éducatives. ‘Des précisions apportées plus tard par le ministre, tout en nous éclairant sur les intentions précises du gouvernement fédéral, nous ont montré la faiblesse des arguments qu’il invoque pour défendre ce projet.

Nous avions demandé que toute la question de la radio et de la télévision soit discutée à la conférence constitutionnelle. La récente déclaration du Secrétaire d’État du Canada semble vouloir mettre fin à cette partie du dialogue avant même qu’il ne soit amorcé.

Le gouvernement du Québec ne peut accepter la politique du gouvernement central suivant laquelle le Conseil canadien de la radio et de la télévision ne serait pas autorisé à émettre des permis -de diffusion aux provinces ou à leurs agents. Je ne conçois pas comment on pourrait se justifier de refuser un permis au Québec, surtout s’il s’agit d’émissions éducatives, quand déjà des individus et des entreprises privées obtiennent de tels permis pour diffuser une programmation variée.

C’est avec étonnement – j’allais dire avec indignation – que j’ai lu dans les remarques du Secrétaire d’État que la principale raison serait d’ordre politique. Il allègue en effet qu’il serait délicat de retirer un permis à une province qui se lancerait dans la propagande.

S’il se glissait aujourd’hui de la propagande politique dans les manuels scolaires du Québec, est-ce que le gouvernement central se croirait justifié de nous surveiller ? Non. Pas plus que le Québec n’a eu le pouvoir de surveiller la publicité déficiente qui s’est faite depuis cent ans dans les bureaux d’immigration du gouvernement d’Ottawa. En matière de radio et de télévision éducatives, la compétence du Québec est pleine et entière et elle le demeurera.

Ai-je besoin d’ajouter que nous n’avons nullement l’intention de faire de la propagande. Le Québec est une société assez mûre et assez évoluée pour se donner un agent diffuseur responsable, compétent, indépendant de toute partisanerie, et surtout désireux d’exprimer une culture propre par une création originale, de qualité internationale, digne de faire l’objet d’échanges avec les autres provinces et avec le monde francophone. Lorsque nous présenterons la nouvelle législation sur Radio-Québec, on verra que nous sommes parfaitement capables de donner à un organisme de diffusion des structures qui lui permettent de jouer son rôle sans avoir à céder aux pressions politiques.

Il est d’ailleurs bien étonnant qu’on ait soulevé cet argument, quand, dans la déclaration du Secrétaire d’État du Canada, on peut lire – et je cite: [« Jusqu’à l’adoption de sa nouvelle loi, le gouvernement fédéral serait disposé, au besoin, à donner instruction officielle à la Société Radio-Canada de fournir à titre provisoire les installations de radiodiffusion éducative qui sont requises d’urgence ».]

Ainsi, tout en rappelant que la Société Radio-Canada est indépendante de son pouvoir, le gouvernement central n’hésite pas à s’en servir d’autorité pour occuper à la hâte un champ auquel il sait très bien que nous nous intéressons, et risquer ainsi de compromettre notre planification.

Car j’arrive maintenant au point b plus important. Ce n’est pas par caprice que nous parlons ainsi, que nous réclamons l’équivalent fiscal plutôt que des mesures législatives d’Ottawa qui sont le plus souvent des cadeaux de Grecs, parce qu’on y attache des conditions qui ne correspondent presque jamais à nos priorités. Nous pensons maintenant au Québec en fonction d’une période de dix, quinze et vingt ans; la radio et la télévision éducatives sont pour nous des pièces essentielles d’un instrument plus complet à bâtir, sans lequel le Québec ne peut pas survivre à l’époque de l’électronique, des ordinateurs et des satellites, comme ,point d’appui d’une culture francophonie en Amérique du Nord.

Cet instrument, c’est un système global et intégré de communications électroniques, polyvalent et au service de tout le Québec, dans tous les domaines de sa compétence. Et toutes les installations techniques, les outils, doivent être implantés en fonction de ce développement. Les besoins de télécommunications ne se font pas sentir seulement dans le domaine de l’éducation, mais dans d’autres secteurs: ministères, régies ou organismes gouvernementaux, hôpitaux, universités, bibliothèques, recherche, banques de savoir, etc… Grâce à tous les moyens techniques qu’il est possible d’intégrer: le téléphone, le téléscripteur, l’ordinateur, la radio, la télévision, le cable, le satellite, nous savons qu’il nous faut faire un choix immédiatement. Ou bien assurer la cohérence, la compatibilité, l’utilisation maximum des installations, ou nous retrouver dans quelques années devant une jungle électronique qui aura coûté très cher sans pourtant permettre toutes les communications qu’elle pourrait assurer.

Le Québec n’entend pas utiliser un tel système en dehors de sa compétence. Mais il exige au moins le contrôle de tout l’outillage, et c’est normal. Parce que vous savez aussi bien que moi que dans un domaine aussi technique, contrôler l’outil, c’est être en mesure de contrôler la croissance de l’ensemble et, indirectement son contenu. Le Québec n’a-t-il pas le droit exclusif d’élaborer lui-même sa conception de l’utilisation des moyens audiovisuels dans l’éducation et d’en doser lui-même l’usage pour les divers groupes et les diverses régions, qu’il s’agisse d’enseignement, de recyclage, d’éducation permanente ou d’un effort spécial dans une région ?

C’est pourquoi nous disons qu’un réseau de radiodiffusion éducative ne peut prétendre être moderne s’il n’est pas relié aux autres modes de transmission, en particulier aux ordinateurs, pour tirer profit de toutes les nouvelles techniques audio-visuelles.

Et c’est pourquoi nous soutenons qu’aucun outil de télécommunication ne devrait être implanté au Québec par les pouvoirs publics ou les organismes subventionnés sans qu’il ne soit considéré comme un des éléments d’un système intégré. Rien dans tout cela n’échappe à la compétence du Québec.

On a déjà dit: « C’est seulement au nom de l’efficacité que le Québec pourra obtenir de nouveaux pouvoirs ». Sans discuter le mérite d’une telle affirmation, permettez-moi de souligner que c’est aussi au nom de l’efficacité que le Québec réclame ici le respect intégral de ses pouvoirs actuels. En somme , L’éducation étant de notre ressort exclusif, et son complément, la culture une responsabilité prioritaire pour le Québec, tout le domaine de la radio et de la télévision éducatives doit être contrôlé par le Québec sur son territoire, et sous tous ses aspects. De plus, nous voulons agir avec ordre et efficacité. Nous voulons un système intégré et complet couvrant non seulement l’éducation et la culture, mais aussi la transmission de données et les échanges entre les banques de savoir. C’est d’ailleurs dans cette perspective que nous avons songé aux satellites de communication. Ce système intégré, l’efficacité exige que nous le contrôlions en entier, ce qui n’empêchera pas une collaboration et des échanges avec les autres provinces et avec le gouvernement fédéral le cas échéant. La radio et la télévision ne sont pas dissociables des autres moyens audio-visuels dans l’éducation. Comme moyens techniques, la radio et la télévision ne sont pas appelés à servir exclusivement les besoins de l’éducation, mais d’autres besoins qui sont aussi de la compétence du Québec. Et tout cela fait partie d’un ensemble encore plus vaste qui fait qu’un système intégré de télécommunications n’est qu’un aspect du problème des communications en général. Dans ce domaine, nous avons plusieurs projets à l’étude. Enfin, et il convient que j’insiste là-dessus. – C’est un domaine où le Québec doit agir si les Québécois veulent sentir que leur culture et leur génie propres sont créateurs non seulement dans le domaine des arts et des lettres, mais aussi dans celui des sciences et des techniques. Notre retard risquerait de nous faire perdre ce que jusqu’ici nous avons réussi à construire pour sauvegarder et assurer l’épanouissement d’une manière d’être distincte sur le continent nord américain. Nous serons présents à toutes les techniques modernes, ou bien d’ici quelques années, au rythme oh ces techniques nous envahissent déjà, nous pourrions être définis à juste titre comme une société folklorique.

Nous n’avons pas le choix. Si nous sommes lucides, nous devons agir dès aujourd’hui en fonction de l’avenir.

[QBTRD19681222]

[22 décembre 1968 MESSAGE DE FIN D’ANNEE DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC,M.- QUEBEC, M. JEAN-JACQUES BERTRAND]

C’est la première fois qu’a titre de premier ministre, j’ai l’honneur d’offrir à la population du Québec mes voeux des fêtes. Je le ferai très simplement, mais avec tout mon coeur.

Comme la plupart des autres communautés humaines, la nôtre traverse en ce moment l’une de ces périodes de transition qui sont toujours des périodes difficiles. Beaucoup des valeurs dont nous avons vécu jusqu’à maintenant sont remises en question. Un monde est en train de naître dont nous ne savons pas encore exactement ce qu’il sera. De sorte que nous pouvons difficilement nous défendre d’un senti ment d’inquiétude en face de l’avenir, peut-être aussi d’une certaine nostalgie à l’égard des choses révolues.

C’est mon. souhait le plus ardent que nous sa chions profiter de ces grandes fêtes religieuses et familiales pour faire ample provision de calme, de sérénité, d’optimisme, de foi en nous-mêmes et en notre destin collectif.

Si nous avons des problèmes nouveaux, nous avons aussi de nouveaux moyens de les résoudre. Aujourd’hui comme il y a deux mille ans, des forces jeunes, que peut-être nous connaissons encore mal, agissent comme un levain dans la profondeur de la pâte humaine.

Et ce qu’il y a de merveilleux, c’est que nous pouvons tous épauler ces forces bienfaisantes. Dans nos familles, dans notre milieu de travail, dans les divers secteurs de la vie sociale, économique ou politique, nous pouvons tous faire en sorte qu’il y ait moins de violence et d’amertume, qu’il y ait plus de dialogue, plus d’amitié, plus de solidarité.

Nous pouvons tous contribuer à faire lever un nouveau printemps sur le Québec, sur le Canada et sur le monde.

A mes collègues du gouvernement, aux membres de notre Assemblée nationale sans distinction de partis, au personnel de la Fonction publique, à nos administrateurs municipaux et scolaires, à ceux qui ont accepté de se mettre au service de leurs concitoyens dans nos corps intermédiaires ou dans nos diverses institutions publiques ou privées, et à tous les éléments de la communauté québécoise, sans oublier bien entendu mes électeurs du comté de Missisquoi, je souhaite une large part de cette joie et de cette paix que, jour après jour et pierre après pierre, nous avons la responsabilité de bâtir ensemble pour le bénéfice de tous.

[QBTRD19690222]

[ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC INAUGURATION DES STUDIOS DE RADIO-QUEBEC MONTREAL, SAMEDI LE 2.2 FEVRIER i 969]

Il y a un an, mon prédécesseur, Monsieur Daniel Johnson donnait vie à la loi sanctionnée le 20 juillet 1945 « autorisant la création d’un service provincial de radiodiffusion ». Il y a un an, le Conseil d’administration de Radio-Québec était formé, c’était le 22 février 1968. Un an plus tard, jour pour jour, j’ai l’honneur et la joie de présider aux cérémonies d’inauguration de Radio-Québec, dans ces locaux très modernes. Déjà deux studios de télévision, deux studios de radio, un studio de photographie, un studio de doublage se préparent à répondre aux demandes des divers ministères, offices et services gouvernementaux. Si l’implantation d’un tel complexe a été rendu possible, c’est parce que le gouvernement actuel a constamment placé Radio-Québec dans la perspective maîtresse du vingt-et-unième siècle … celle des communications. Ni des considérations académiques, ni les facteurs politiques, les facteurs constitutionnels en particulier, ne doivent ni ne peuvent freiner les efforts du Québec pour se doter des outils qui lui sont essentiels dans notre univers électronique. C’est dans cet esprit que le gouvernement a inscrit l’expérience TEVEC dont on a abondamment parlé tant au Québec que dans le reste du monde. C’est dans cette perspective que le gouvernement a mis en oeuvre les travaux de l’Office du Développement de l’Est du Québec et les anime, l’audio-visuel y apparaissant comme l’un des principaux supports de l’ensemble.

C’est encore la même philosophie qui oriente les travaux gouvernementaux à travers le Bureau de Développement Audio-Visuel depuis la normalisation jusqu’aux études sur les communications spatiales.

Radio-Québec se doit d’agir dans un cadre, un système où l’utilisation scientifique des instruments et des machines électroniques répond aux exigences comme aux besoins. Du côté des communications, ces besoins du Québec sont énormes. Ils émanent des ministères, des hôpitaux, des services publics, des écoles, des universités…. Radio-Québec, par voie de conséquence, deviendra un levier économique de première importance.

Depuis longtemps, le Québec s’est taillé dans la radio et la télévision une place de choix à l’échelle mondiale.

Depuis longtemps, grâce à la société Radio-Canada, à Télé-Métropole, au Canal 12, grâce aux entreprises techniques privées, Montréal est devenu le plus grand centre de production télévisuelle au Canada, et l’une des premières capitales du petit écran dans le monde. Radio-Québec vient aujourd’hui ajouter à cette richesse en offrant des débouchés aux artistes, aux artisans, aux concepteurs, aux réalisateurs, aux techniciens et à notre jeunesse.

Il y a plus ! Par Radio-Québec, va naître une industrie de haut calibre qui, débordant nos frontières, offrira à de nombreux marchés mondiaux un matériel de plus en plus demandé à mesure que se répand l’usage de l’audio-visuel tant dans la société post-industrielle que dans les sociétés en voie de développement.

La production des documents audio-visuels réserve au dynamisme créateur des québécois la possibilité de s’exprimer, de se confronter et de rayonner, avec et par des moyens d’action très prometteurs, inscrits à la fine pointe de la technique et du savoir faire.

Non content d’engendrer de nouveaux emplois, Radio-Québec se spécialisant dans la production de documents audio-visuels, forme, au Québec, l’instrument et y produit le matériel capables de conquérir un marché international important et en constant développement. Dans quelques jours, Radio-Québec entreprendra dans ses studios des productions qui suscitent déjà l’intérêt de représentants étrangers, soucieux de négocier les droits de distribution dans leurs pays respectifs. D’autre part, on envisage des. coproductions avec la France et l’Ontario.

Déjà, c’est un fait évident, le Québec a pris une avance considérable dans cette branche spécialisée de production. Tout laisse croire qu’il deviendra un des grands producteurs de matériel audio-visuel au Canada.

Les perspectives de Radio-Québec, on le voit, sont à la mesure de l’organisme et des hommes qui l’animent. Pour reprendre une formule connue, elles sont à l’honneur d’un Québec … d’un « Québec qui sait faire ».

[QBTRD19690223]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE MONSIEUR JEAN-JACQUES BERTRAND DINER-BENEFICE DE L’UNION NATIONALE HOTEL REINE ELIZABETH

MONTREAL, 23 FEVRIER 1969]

Quelque trente-deux mois ont passe depuis que nous avons pris le pouvoir. Trente-deux mois lourds de responsabilité, de travail, d’effort soutenu, trente-deux mois fertiles en résultats, mais aussi marqués par le destin et la fatalité.

A travers les difficultés, généralement héritées d’un régime qui avait fait miroiter au peuple la trompeuse illusion qu’il suffisait d’énumérer les problèmes pour les régler, d’évoquer des besoins pour les satisfaire, de jouer des mots pour atteindre les solutions, l’Union Nationale a oeuvre sans répit pour le peuple du Québec.

Nous n’avons pas l’habitude de claironner nos succès, nous croyons qu’il vaut mieux travailler que de faire des discours, qu’il faut attendre d’avoir réussi pour crier victoire. Entre les libéraux et nous une différence essentielle: ils parlent beaucoup! Les libéraux nous ont laissé, en juin 1966, une situation détériorée, un Québec à rebâtir. Car, tout en remettant de l’ordre dans les affaires publiques, c’est à construire un Québec plus moderne, mieux équipé que nous consacrons nos efforts. En nous fixant comme objectif de rendre les Québécois plus heureux, plus prospères, plus fiers d’eux-mêmes, nous avons conscience de bien remplir le mandat que l’on nous a confié.

Ce mandat du 5 juin 1966 nous était confié pour mettre en oeuvre le programme que nous avions soumis aux électeurs. Élaboré en commissions d’étude, à la suite des assises générales de 1965, notre plan d’action proposait une révision complète de notre société québécoise. L’avons-nous suivi? C’est ce que je vais tenter de préciser.

Au cultivateur, le grand oublié des années 1960-1966, notre programme proposait des mesures salvatrices. Qu’avons-nous fait? Nous lui avons donné l’assurance-récolte qui garantit le rendement de sa terre; nous avons assuré le paiement de sa production laitière; nous avons aidé ses coopératives, augmenté les disponibilités du crédit agricole, favorisé le syndicalisme rural; nous avons diminué la contribution de l’agriculteur au fonds de retraite et accordé une publicité provinciale aux produits agricoles.

Soucieux d’améliorer le sort des petits salariés, comme nous nous y étions engagés, nous avons accordé un dégrèvement d’impôt aux gens mariés qui gagnent moins de $ 4000 par année et aux célibataires qui gagnent moins de $ 2000. Nous avons fixé le taux minimum du salaire horaire à $ 1.25, plus encore que nous n’avions promis. Nous avons réformé le Code du Travail pour accélérer les procédures dans les conflits syndicaux, nous avons mis un terme au maraudage syndical souvent préjudiciable au travailleur, nous avons créé la direction générale de la main-d’oeuvre, dotée, pour une meilleure efficacité, de neuf centres régionaux.

Aux familles du Québec, par une plus juste répartition de l’assiette fiscale, nous avons pu accorder des allocations familiales supplémentaires, dont l’échelle des prestations s’inspire d’une véritable pensée sociale. Actuellement, ce nouveau programme distribue 88000000 $ par année à 800000 familles du Québec.

Pour mieux protéger nos concitoyens, nous avons étendu aux cliniques d’urgence les bénéfices de l’assurance-hospitalisation et, au cours de ces deux dernières années, nous avons multiplié le nombre des lits dans nos hôpitaux. Poursuivant une politique sociale qui tend à assurer la sécurité de la vieillesse, nous avons fait construire des dizaines de centres d’hébergement pour les vieillards. Mais il ne suffit pas de penser à l’immédiat. La richesse d’une nation, c’est sa jeunesse. Nous voulons que la jeunesse du Québec soit parfaitement préparée à l’avenir merveilleux qui s’ouvre à elle, dans un pays jeune, plein de promesses. Quand j’aborde l’immense secteur de l’éducation, je me rends compte qu il me faudrait dos heures pour décrire l’ampleur de la tâche que nous avons entreprise.

Certes, nous donnons la priorité à l’éducation. Cartes, nous lui consacrons une part importante de notre budget. Mais nous demandons aussi à cette jeunesse de participer avec conviction, avec conscience, avec ferveur à l’édification de la patrie québécoise, sa patrie. Nous lui demandons de travailler, de profiter de tout cet équipement fabuleux que nous mettons à sa disposition, de mettre tout son idéal au service du Québec, en remplissant son devoir unique: étudier. De quels outils ne bénéficie-t-elle pas un régime de prêts-bourses qui ouvre le chemin de l’instruction à tous les jeunes qui ont des talents à faire valoir. Des dizaines de nouveaux collèges d’enseignement général et professionnel où nos étudiants peuvent, gratuitement, gravir les degrés de l’éducation jusqu’à l’université. Une aide financière accrue permet à nos universités québécoises de se développer, de s’agrandir et de se moderniser. Un programme accéléré et bien structuré offre aux maîtres une meilleure formation et plus de chances d’avancement. Enfin, demain, sera érigée l’université du Québec, cette institution nationale qui permettra la déconcentration de l’enseignement universitaire et la normalisation de notre formation universitaire. Et pour relever le niveau éducationnel de notre population, grâce à ce merveilleux instrument de formation post-scolaire qu’est la télévision, nous offrons à des milliers d’adultes de poursuivre leurs études et de grimper ainsi de nouveaux échelons dans la qualification des travailleurs.

J’en passa. Il le faut bien. Mais qu’on me permette de dire à ce sujet que l’Union Nationale a non seulement poursuivi avec ardeur la réforme scolaire qui s’imposait, mail qu’elle a accéléré la mise en place des institutions nouvelles et évité à toute une génération de se perdre dans les dédales de la réorganisation. Et à ceux qui voudraient, sentimentalement ou par incompréhension du problème de l’avenir, retourner en arrière, revenir à l’école du rang, aux méthodes désuètes d’un système périmé, je dis qu’il faut être réaliste, qu’il ne faut pas, à l’ère de la technique, s’engourdir dans des rêves bucoliques.

Au chapitre de la culture, nous avons remédié à l’indigence dont souffrait le ministère des Affaires Culturelles en doublant les crédits affectés à cette fin, ce qui a permis d’augmenter les subventions aux compagnies théâtrales, aux bibliothèques, d’organiser des tournées en province, de dispenser la culture aux quatre coins de la Province. Québec aura bientôt son Théâtre National, sa troupe nationale. Déjà, la Bibliothèque Nationale que nous avons créée consigne un patrimoine des lettres en conservant des exemplaires de tout ce qui se publie au Québec ou sur le Québec. Dans quelques mois, de nouveaux écrans en plein air offriront les avantages des ciné-parcs aux adeptes du Septième Art. Enfin, Radio-Québec offre déjà aux stations privées des pellicules et des rubans sonores consacrés au Québec.

A une jeunesse instruite, forte, cultivée, il faut de toute nécessité assurer des débouchés dans la vie. Tout ce que nous faisons, les milliards que nous investissons dans l’enseignement et ailleurs ne ses viraient de rien si nous ne pouvions, parallèlement à l’épanouissement des individus, assurer notre développement économique. On ne peut pas dire qu’entre les secteurs de la formation et de l’économie, l’un ou l’autre soit prioritaire. Ils vont de pair. Pour avoir des entreprises nouvelles, il nous faut des cadres, et a ces cadres, nous avons le devoir de trouver. emploi.

En 1968 au Québec, les investissements industriels ont connu une croissance remarquable, puisqu’ils se sont accrus de 6.6 %, alors qu’ils baissaient partout ailleurs au Canada. C’est là l’un des premiers résultats de cette législation audacieuse qui, pour favoriser à la fois la déconcentration de l’industrie et encourager les investissements, offre des primes d’établissement dans les zones désignées et des abattements d’impôt aux nouveaux capitaux investis. En outre, notre crédit industriel apporte une aide substantielle aux entreprises nouvelles qui s’installent au Québec. Les prévisions pour 1959 s’avèrent excellentes. Le ministère du Commerce et de l’Industrie a ouvert des centaines de dossiers et le rythme de l’implantation des nouvelles industries atteint déjà un niveau sans précédent. Le gouvernement de l’Union Nationale a lui-même donné l’exemple. Cette aciérie que l’on nous promettait depuis six ans, nous l’avons réalisée, en investissant quelque 60 000000 $ . Déjà, le Québec possède ses laminoirs et un marché de l’acier. Demain, sur les bords du Saint-Laurent, se dresseront les hauts-fourneaux qui couleront le minerai du Nouveau-Québec. C’est là une autre preuve, qu’au lieu de parler, nous préférons agir. Dans le même esprit de progrès, et en prévision de l’avenir, nous avons autorisé l’Hydro-Québec à signer un contrat de service avec Churchill Falls Co. Ltd afin de mettre en oeuvre le gigantesque barrage qui alimentera dans quatre ou cinq ans les usines québécoises. Ce faisant, nous avons conscience d’une part, de pourvoir aux besoins de l’avenir et – que nos adversaires se rassurent – d’avoir fait d’autre part, une excellente affaire, car nous n’avons donné aucune garantie qui ne soit accompagnée de compensations avantageuses.

Enfin, pour mettre en valeur cette région de l’Est du Québec qui marque un certain retard sur le reste de la Province, nous avons signé des accords avec Ottawa

et mis sur pied l’Office de Développement de l’Est du Québec. Et pour établir un programme d’ensemble du développement québécois, nous avons formé l’Office de la planification.

Restaient encore d’autres secteurs où il fallait mettre de l’ordre. Cela vient d’être fait dans le domaine municipal où le ministère a procédé à une révision profonde du code des Cités et Villes, afin d’introduire un peu d’uniformité dans un secteur encombré de lois vétustes et de règlements désuets. Là encore, l’Union Nationale a poursuivi l’exécution de son programme en engageant une politique de relogement, d’habitations à loyers modiques et de rénovation urbaine.

II fallait mettre de l’ordre dans la Justice. Outre la création d’une commission d’enquête qui commence à formuler ses recommandations pour une justice plus humaine, plus axée sur la réhabilitation que sur la répression, nous avons établi de nouveaux postes de magistrats afin d’accélérer les travaux de nos Cours de justice, nous avons régularisé la situation des procureurs permanents et nous avons doté le Québec d’un organisme de coordination des forces policières. Pour protéger le citoyen contre les abus du pouvoir, nous avons établi un poste de protecteur du citoyen qui sera bientôt pourvu d’un titulaire.

II fallait mettre de l’ordre dans la fonction publique. Nous avons jeté les bases d’un ministère de la Fonction Publique. Même si parfois il y a eu des accrochages, on peut considérer l’ensemble des résultats avec satisfaction, puisque la plupart des conventions collectives ont été signées sans heurt.

Dans le cas des instituteurs, en dépit des difficultés qui sévissent encore, j’ai confiance que l’on se rendra compte, que le gouvernement offre actuellement des conditions sans égales au monde, aussi bien au plan des salaires qu’à celui des conditions de travail.

Il fallait mettre de l’ordre dans les rouages de l’État. Nous l’avons fait, d’abord en regroupant certains ministères, en modernisant la machine administrative, en créant de nouveaux organismes comme le ministère des Institutions Financières, en abolissant un corps parlementaire vétuste, le Conseil Législatif, qui en dépit des grands services qu’il avait déjà rendus, ne répondait plus aux exigences de notre époque, et en donnant à la chambre élue, le statut d’Assemblée Nationale qui devait être le sien.

Peuple instruit, peuple heureux, peuple prospère, le peuple du Québec a le droit d’être un peuple fier. Mais pour être fier, il faut pouvoir disposer d’un minimum de liberté. J’ai déjà dit que j’étais, de nature, disposé à accepter le fédéralisme. C’est là depuis sa fondation, la doctrine de l’Union Nationale: le Québec, foyer de la nation canadienne-française, associé librement au destin d’un Canada binational. Notre devise cependant, a toujours été: Québec d ‘abord. Car à nous; parlementaires québécois, investis de la responsabilité de conduire vers son destin un peuple différent du reste du Canada, par la langue, la tradition et la civilisation, il faut des coudées franches pour accomplir notre mission. Nous n’avons pas le droit de laisser à d’autres gouvernements, si bien intentionnés soient-ils, la clé des solutions à nos problèmes particuliers. C’est pourquoi, ce qui prime pour nous dans toute conception d’un nouveau contrat d’association avec nos partenaires, c’est d’obtenir d’abord une nouvelle répartition des pouvoirs. Nous avons mis en oeuvre ceux que nous possédons. Nous les avons utilisés à notre guise, non sans être obligés, souvent, de défendre nos droits expressément reconnus, contre les envahissements fédéraux; mais nous savons, en cette seconde partie du vingtième siècle, que nous avons besoin de pouvoirs nouveaux pour mener à bien notre tâche. Même si nous accueillons avec joie les bonnes dispositions dont font preuve les autres provinces à l’égard u bilinguisme, nous croyons que ce n’est. pas là, pour nous, le noeud du problème. Il ne peut y avoir de fédéralisme sans répartition des pouvoirs, sans définition précise des responsabilités. Sinon, la fédération n’est que confusion. Et c’est parce que nous sommes fatigués de la confusion actuelle, fatigués de dépenser nos énergies à faire valoir nos droits, à, palabrer inutilement que, pour permettre à chacun des partenaires de travailler à des oeuvres plus profitables, nous réclamons une constitution claire et nette.

Il me semble que notre position est facile à comprendre. Nous ne voulons ennuyer personne, au contraire. Nous demandons de disposer des droits dont nous avons besoin, pas plus. Et pour éviter que le Québec ait l’air de vouloir faire bande à part dans un statut particulier, nous proposons que toutes les provinces aient les mêmes droits, quitte à ce que celles qui n’en ont pas besoin les délèguent à Ottawa. Pourtant, si peu ambiguë que soit notre proposition, il paraît que l’on ne comprend pas encore ce que -veut le Québec. « What does Quebec want? » C’est la question que l’on nous pose depuis trente ans. Nous sommes allés à Toronto, et Daniel Johnson, durant trois jours, avec patience et intelligence, avec preuves à l’appui a défini notre position. On semblait avoir compris. Trois mois plus tard, s’ouvrait Ottawa. De nouveau, il a fallu tout reprendre. Ottawa vient de prendre fin. Québec a de nouveau été sur la sellette. De nouveau, on ne comprenait plus. Mais tout de même, des progrès sensibles ont été réalisés. La révision de la Constitution est en marche et il s’agit maintenant d’un processus irréversible.

Certes, nous avons derrière nous deux cents ans de patience et il nous en faudra encore. Mais que l’on ne s’abuse pas: La jeunesse québécoise en a de moins – en moins et veut brûler les étapes. Mieux vaudrait nous entendre une fois pour toutes et se décider à comprendre « What does Quebec want ».

Il faut établir dans la nouvelle Constitution des mécanismes de révision qui n’existaient pas dans la Constitution actuelle. Il est incroyable de constater que le Québec ait dû attendre des années pour obtenir audience dans une cause qui touche à sa vie même. Si l’Union Nationale n’avait réclamé à cor et à cri cette révision, personne n’aurait encore bougé. Pis encore, Jean Lesage aurait réussi, sans l’Union Nationale, à imposer la formule Fulton-Favreau. Lui qui voulait figer à jamais la vieille constitution de 1867, il cherche aujourd’hui à s’attribuer le mérite de la remise en question de la constitution, dans une de ses volte faces coutumières.

Seule, c’est l’Union Nationale qui peut revendiquer l’honneur d’avoir mis en branle cette lourde machine que l’on appelle la révision constitutionnelle.

Et pourquoi cela? Parce qu’il n’y a pas d’autre issue pour le Québec que de se donner les outils de son avenir. Mais cet avenir n’intéresse pas seulement les Canadiens Français du Québec, il intéresse tous les Québécois, quelle que soit leur origine ethnique. Québec n’a pas à plaider sa cause sur la question de la compréhension, de la tolérance et de la reconnaissance des droits des minorités. Nous avons toujours fait plus que nous devions faire. C’est pourquoi nous ne pouvons admettre que l’on dénature, par des actes isolés, le caractère même de notre sens de la justice.

Dans le même esprit de compréhension envers nos compatriotes québécois récemment arrivés chez nous ou pour mieux accueillir ceux qui viendront travailler avec nous à la prospérité et à la grandeur du Québec, nous avons créé le ministère de l’Immigration dont le rôle sera d’inciter des éléments valables à venir faire leur vie avec nous et de faciliter leur intégration à notre milieu québécois.

Voilà, chers amis, un bilan sommaire de notre action depuis trente-deux mois. Il suffit de faire une comparaison entre ce tableau et celui que pouvait présenter le parti libéral au bout des trente mois de son premier terme, de juin 1960 à novembre 1962, pour se rendre compte que les paroles des uns ne valent pas les actes des autres.

Vous êtes ici pour apporter votre contribution au financement démocratique de notre mouvement politique. Vous avez foi en l’Union Nationale et vous avez raison. Depuis sa fondation, l’Union Nationale est un mouvement politique qui s’inscrit dans le sens de l’histoire du Québec. Elle est l’instrument de l’émancipation du peuple du Québec. Si vous êtes ici, c’est parce que vous tenez à ce que l’Union Nationale reste libre, qu’elle ne soit pas soumise aux puissances d’argent, et qu’elle puisse utiliser des moyens modernes pour diffuser sa doctrine, disposer d’un secrétariat permanent. Je vous remercie: votre contribution est un gage de notre liberté.

Grâce aux profits que nous retirons de ces dîners-bénéfices, nous pourrons préparer la victoire lorsque sonnera l’heure de l’appel au peuple. Nous pourrons acquitter les frais de la grande réunion du Conseil National qui aura lieu à Québec les 14 et 15 mars. Quand en 1965, l’Union Nationale compléta ses structures démocratiques, se donna une constitution et forma son Conseil National, nous étions loin de penser que ces mécanismes devraient un jour se mettre en marche dans des circonstances aussi douloureuses. Mais il est bon de constater que nous avions alors pris des dispositions précises. C’est ce processus démocratique qui devra jouer lors de la rencontre des membres du Conseil à la mi-mars. Les délégués auront à prendre leurs responsabilités dans, le cadre des dispositions de notre constitution. Nous nous conformerons démocratiquement à leur décision. Car, il ne faut pas l’oublier, c’est du respect des structures établies à l’intérieur des partis que viendra le respect des partis eux-mêmes. Toute notre société reposant sur le rôle des partis dans la vie nationale, c’est le jeu de la liberté que nous devons jouer au cours de réunions comme celle-là.

La démocratie comme la liberté sont des biens auxquels on n’attache de juste prix que lorsqu’on les a perdus. Nous les croyons acquis et pourtant, ils sont sans cesse menacés. Il se passe actuellement au Québec des événements qui nous font craindre pour la liberté et la démocratie. Des énergumènes aussi lâches que criminels, commettent en ce moment des actes de terrorisme destinés à semer la panique et à discréditer le Québec. Sous le couvert de l’anonymat, ils mettent en danger la vie de nos concitoyens et défient la société. Qui voudra nous faire croire que ce sont là des nationalistes québécois qui sabotent délibérément les biens de la communauté et avilissent notre réputation? Qui peut nous faire croire que la terreur et la violence sont les signes d’une véritable contestation? Quels qu’ils soient, ces anarchistes seront démasqués et punis. Je demande à toute la population de collaborer. C’est un devoir civique pour chaque citoyen. Nous avons, quant à nous, pris des mesures énergiques pour les débusquer et n’aurons de cesse qu’ils ne soient arrêtés et traduits devant les tribunaux.

Oui, le peuple du Québec a des droits à revendiquer. Oui, il a des exigences à faire valoir. Nous le savons mieux que quiconque, nous qui nous battons depuis trente ans pour l’autonomie du Québec. Mais ce n’est pas en tuant des Québécois, en sabotant notre effort économique, en détruisant notre réputation que nous parviendrons à nos fins. Si notre société doit être améliorée, et elle peut l’être, ce n’est pas en détruisant les appareils du savoir que l’on y arrivera.

Pour faire valoir ses droits, le peuple dispose d’instruments précieux que sont les partis politiques. Les options sont actuellement assez claires entre le parti libéral et nous pour que le peuple puisse choisir entre ceux qui acceptent le statu quo et ceux qui veulent remodeler le Canada pour que les Québécois s’y sentent chez eux, entre une filiale du parti libéral fédéral et l’Union Nationale libre de toute attache fédérale. Le moment venu, les électeurs auront à juger et à choisir. Je ne crains pas ce verdict. Seule l’Union Nationale peut faire progresser le Québec sur la voie du développement économique, du bien-être et de la fierté nationale. Parce qu’elle puise ses racines au coeur même de la société québécoise, elle offre toutes les garanties de bien servir les Québécois. Nous n’avons pas d’autres raisons d’exister, mais c’est là la meilleure des raisons.

[QBTRD19690224]

Je tiens à dire d’abord quelques mots dans ma langue maternelle, ne serait-ce que pour souligner une évolution heureuse et, à mon sens, trop mal connue: je veux parler de la proportion croissante des Juifs qui parlent couramment les deux langues officielles de notre pays et aussi du nombre de plus en plus considérable des Juifs d’expression française qui habitent le Québec.

Pendant longtemps, nous avons pris pour acquis, nous les Canadiens français, que les Juifs étaient partie intégrante de la communauté anglophone. Nous avons même contribué, par notre système scolaire, à faire en sorte que leurs enfants doivent presque fatalement fréquenter les écoles anglaises.

Mais il faut croire que leur attachement à la culture française et leur désir de participer davantage à tous les aspects de la vie québécoise ont été plus forts que les structures puisque, selon des chiffres qui m’ont été signalés dernièrement, ils sont, de toutes nos minorités ethniques, celle qui compte le plus fort pourcentage de personnes bilingues.

A vrai dire, l’élite juive a toujours manifesté, au Québec comme en bien d’autres parties du monde, un goût marqué pour la langue et la culture françaises. Cet intérêt devait naturellement s’amplifier chez nous avec l’arrivée récente d’un nombre considérable de Juifs francophones venus de divers pays d’Europe, d’Afrique du Nord ou du Proche-Orient. On me dit qu’il y a présentement à Montréal dix mille Juifs dont la langue principale est le français; à quoi s’ajoutent des dizaines de milliers d’autres qui parlent couramment cette langue.

J’espère que le mouvement ne pourra que se généraliser au cours des années qui viennent. J’ajoute que je n’éprouve pas la moindre gêne à formuler ce souhait en présence de mon ami, monsieur Robarts. N’est-il pas le Premier ministre de la deuxième province française du Canada ? En dehors du Québec, c’est sans doute au Nouveau-Brunswick que l’on trouve la plus forte proportion de citoyens francophones; mais c’est en Ontario qu’ils forment le groupe le plus nombreux en chiffres absolus. Au risque d’en surprendre quelques-uns, je dirai même qu’après Montréal et Québec, c’est Toronto qui, avec ses 80, 000 citoyens francophones, est la plus grande ville française de notre pays.

Tout cela, M. Robarts le sait depuis longtemps. Et de même qu’il a été le premier à convoquer une conférence constitutionnelle dont toutes les phases, à partir du premier document de travail jusqu’au rapport final, ont fait une place strictement égale aux deux langues officielles du Canada, M. Robarts a voulu être aussi à l’avant-garde en ce qui concerne les avantages offerts à la minorité française, notamment en matière d’éducation.

Je suis heureux de lui en rendre le témoignage et de lui dire que le Québec a pour lui beaucoup d’admiration, une vive reconnaissance et, mieux encore, une profonde amitié.

Donc, je suis bien certain que vous ne m’en voudrez pas, monsieur Robarts, si j’invite la communauté juive du Québec et même du Canada tout entier à s’intéresser toujours davantage à la langue et à la culture françaises.

Pourquoi cette invitation ? Pour deux raisons principales, qui valent d’ailleurs pour tous les groupes ethniques.

D’abord, parce que le français est, et restera sans aucun doute, la langue de l’immense majorité des Québécois. On entend dire parfois que la culture française serait appelée à régresser, puis à disparaître au Canada. N’en croyez rien. On répète ces prédictions pessimistes depuis plus de deux siècles et jamais elles n’ont été plus loin de se réaliser. Les historiens nous disent qu’au moment de la Confédération, la population de Montréal était en majorité anglophone. Aujourd’hui, elle est francophone dans une proportion de 67 pour cent. Je me souviens très bien d’une époque où il était pratiquement impossible de se faire comprendre en français à l’ouest du boulevard St-Laurent. Les choses ont bien changé depuis. Elles ont changé aussi dans la ville de Québec qui, en 1867, comptait 40 % d’anglophones. Aujourd’hui, cette ville est à 95 % francophone.

Nous n’étions qu’un million de Canadiens français dans tout le pays il y a un siècle. Aujourd’hui, nous sommes tout de même six millions, dont plus de 90 % sont groupés dans le Québec et dans les regions périphériques de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick.

Je ne sache pas que notre vouloir-vivre collectif soit à la baisse, ni la qualité de notre français, ni la valeur de notre production littéraire et artistique. Tout cela, au contraire, s’affirme avec une vigueur sans précédent.

S’il arrive que des problèmes nouveaux se posent à nous, nous disposons par contre, pour les résoudre, de moyens que n’avaient pas nos pères: une éducation beaucoup plus poussée, des réseaux français de radio et de télévision, du cinéma français, un ministère québécois de l’Immigration, un ministère des Affaires culturelles et des relations beaucoup plus étroites avec la France et les autres pays francophones.

N’allez pas croire que ce soit pour des motifs de gloriole ou pour le douteux plaisir de faire la nique à Ottawa que nous tenons à multiplier ainsi nos rapports et nos échanges avec la francophonie. Il s’agit pour nous d’une nécessité vitale. Car malgré les progrès dont j’ai parlé tantôt, il est bien entendu que la langue et la culture françaises ont encore besoin, en Amérique du Nord, d’une protection spéciale. Les leçons du passé, et les attitudes présentes de ceux qui croient apercevoir des complots et du rossillonnage partout, montrent que nous ne devons pas attendre cette protection des autres. Nous sommes donc résolus à nous la donner nous-mêmes dans les sphères qui nous appartiennent depuis toujours, à commencer par celle de l’éducation. En agissant ainsi, nous n’avons pas du tout le sentiment d’être déloyaux à notre pays. Ce n’est pas être de moins bons Canadiens que d’être de meilleurs francophones.

Car, et c’est la pour vous et les divers groupes ethniques une autre raison de participer davantage à la vie culturelle du Québec, le français n’est pas seulement la langue de quelques millions de Canadiens. C’est une langue internationale d’un très grand prestige. Il a rang de langue officielle dans une trentaine de pays d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique groupant près de 200 000000 d’habitants. Il est la langue principale du marché commun, de la Commission économique européenne, du Bénélux et d’un grand nombre de sociétés savantes à travers le monde. Aux Nations Unies, 35 délégations sur un peu plus d’une centaine l’emploient régulièrement. Il est présentement la première langue de travail aux pourparlers de Paris sur le Vietnam.

De plus, c’est le français qui est principalement choisi comme langue seconde ou comme langue de culture dans la plupart des pays d’Europe, y compris la Grande-Bretagne, ainsi que dans plusieurs pays du Proche-Orient et de l’Amérique latine. Il gagne constamment du terrain aux États-Unis, où l’on éprouve depuis quelques années surtout la nécessité d’établir des communications plus directes avec les nations de culture française.

Le Canada a cette chance exceptionnelle d’avoir des fenêtres ouvertes à la fois sur le monde anglophone et sur le monde francophone. Pourquoi se diminuerait-il lui-même en obturant l’une de ces fenêtres ?

Donc, il doit continuer et il continuera sûrement d’y avoir un Canada français, ayant son principal foyer là où il est enraciné depuis plus de trois siècles et demi, c’est-à-dire au Québec. Le français sera toujours le moyen normal de participer à la vie québécoise, tout comme l’anglais restera le moyen normal de participer à la vie nord-américaine. Car on ne participe que dans la mesure ou l’on peut communiquer.

Tout cela, je félicite et remercie la communauté juive de l’avoir si bien compris. Les progrès que nous faisons, de part et d’autre, pour nous mieux connaître et nous mieux comprendre, portent déjà leur récompense. Que de vieux préjugés sont maintenant dissipés à jamais ! Plus nous nous connaissons, plus deviennent évidentes les affinités qui nous unissent. Est-ce que nous ne partageons pas le même respect du passé, le même culte de l’humanisme, le même fonds spirituel ? Est-ce que nous ne vivons pas les mêmes problèmes ? Ce n’est pas vous qui reprocherez aux Canadiens français de rester fidèles à eux-mêmes! Et nous aussi, nous savons ce que c’est que d’être une minorité.

Il vous arrive peut-être de vous inquiéter de l’avenir. Quand vous entendez parler, par exemple, de la dualité canadienne, des rapports parfois difficiles entre deux communautés, deux peuples, deux nations, vous vous demandez sans doute avec d’autres groupes ethniques si vous ne risquez pas de devenir, entre ces deux entités, des citoyens de seconde zone.

Je vous réponds là-dessus qu’il y a deux façons d’être placé entre deux entités différentes: on peut y être a la façon d’un mur qui sépare; mais on peut y être aussi à la façon d’un pont qui unit.

La cérémonie d’aujourd’hui montre que c’est bien la deuxième façon qui est la vôtre. J’ai lu sur le programme que votre Fraternité du Temple Emmanuel en est a son 42e Dîner de Solidarité. Vous avez donc commencé bien avant nous à faire de l’oecumenisme. La distinction que vous voulez bien m’attribuer aujourd’hui, monsieur le président, je l’accepte avec bonheur, comme un rappel de cet idéal de fraternité qui vous anime. Et dans le même esprit, j’ajoute, sûr de me faire ainsi l’écho de tous mes compatriotes, qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura jamais au Québec de citoyens de seconde zone.

Ce n’est pas au moment oh il s’ouvre largement au monde que le Québec va se mettre à dresser des cloisonnements chez lui. Le Québec est à tous les Québécois. Et il appartient à tous les Québécois de vivre ensemble la grande aventure du Québec moderne.

[QBTRD19690323]

[ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES ERTRAND PREMIEIlMINISTRE DU QUEBEC AU DINER OFFERT À I »0CCASION DE L`ARRIVÉE AU QUEBEC DE I!~’.MISSl01’~i 2JDI.Il1~iA.L’lONAI^F QUEBEC, LE 23 MARS 1969 ]

Depuis l’Exposition Universelle qui s’est tenue à Montréal en 1967, avec une participation africaine des plus originales et des plus remarquables, le Québec a pris une conscience plus claire de la multiplicité et de la richesse de la culture humaine.

Ce n’est pas par hasard que cet événement a coïncidé chez-nous avec l’éclosion d’un sens nouveau de la solidarité internationale. Les historiens de notre époque confirmeront sans doute la prédiction de NIETZSCHE qui voyait le 20e siècle comme celui des rationalismes. Non plus des nationalismes repliés sur eux-mêmes tels que les ont connus les siècles antérieurs, mais des nationalismes ouverts Fur les autres et qui tirent leur substance des échanges que la civilisation des supersoniques a rendu possibles.

Voici donc rassemblés à Québec des représentants de 17 pays dont nous pouvons apercevoir, au-delà des différences attribuables aux contingences du temps et de l’espace, les affinités profondes qu’elles doivent à une communauté de langue et de culture.

C’est pour moi un sujet de grande fierté que de pouvoir vous souhaiter la bienvenue en terre québécoise. Trop longtemps nous avons été éloignés les uns des autres. Voici. que votre présence au Québec va nous permettre de tisser des liens ‘d’amitié et de coopération qu’appelait depuis longtemps notre commun héritage culturel. La science nous apprend que l’Afrique a été le berceau de l’humanité, que le Sahara d’aujourd’hui a jadis été le foyer de civilisations remarquables et que l’empire de Mali faisait au quatorzième siècle l’envie du monde occidental. GHANA, MALI,. TOMBOUCTOU, voilà autant de noms qui symbolisent la richesse et la variété des cultures dont vous êtes les héritiers et les représentants.

Au long des siècles, les civilisations africaines ont développé un génie propre dont s’enrichit aujourd’hui la civilisation universelle. Grâce aux rapports nouveaux qui se sont établis, nous assistons en ce moment à une puissante symbiose afro-latine dont l’avenir nous dira a quel point elle fut bénéfique à l’humanité.

Le Québec n’existe que depuis un peu plus de trois cents ans. Rejeton de la vieille souche française, il s’est développé au contact de la culture anglo-saxonne dans le contexte nord-américain. Issu de deux civilisations et de deux cultures, le Québec présente donc un visage social et culturel bien spécifique. Pays de grands espaces et de ressources considérables, tout comme les vôtres, le Québec est tourné résolument vers l’avenir.

Voici que nous nous retrouvons aujourd’hui pour aborder ensemble la préparation de cet avenir. Conscients de la contribution spécifique et irremplaçable que chacune de nos cultures peut apporter à la civilisation mondiale, conscients de la faiblesse des abstractions en ces matières, nous voulons, en nous connaissant mieux, jeter les bases d’une collaboration vraiment efficace. Ce rapprochement qui s opère aujourd’hui trouve, dans l’éducation, un de ses plus propices champs d’application. Nous avons de part et d’autre la responsabilité de préparer l’avenir des générations qui montent. Cette responsabilité est particulièrement lourde aujourd’hui. Pour l’assumer pleinement et. dans les meilleures conditions possible, nous devons mettre en commun le résultat de nos efforts et de nos expériences.

Nous le savons tous, l’éducation est un moteur essentiel du développement. Comme vous, nous avons nos problèmes de développement. Nous croyons que c’est en fournissant, entre autres choses, à nos jeunes une éducation plus poussée que nous pourrons stimuler le plus efficacement la croissance économique du Québec.

Dans le contexte nord-américain, nous avons tenté d’adapter notre système d’éducation aux exigences de l’ère technologique. Pendant votre séjour au Québec, vous aurez l’occasion de voir comment nous avons voulu intégrer l’apprentissage des métiers à l’enseignement secondaire qui est devenu polyvalent. Au niveau des collèges, nous avons associé étroitement l’enseignement général à l’étude des techniques, ce qui permet aux étudiants de se préparer plus spécifiquement à des études universitaires ou encore de sortir de ces collèges avec des diplômes de techniciens supérieurs.

Il m’apparaît singulièrement important que les adultes de demain acquièrent dans plusieurs disciplines des connaissances suffisantes pour pouvoir s’adapter aux conditions changeantes que présentera le ‘marché du travail. Au niveau supérieur, le Gouvernement vient de créer l’Université du Québec, dont la conception peut s’adapter avec souplesse à la diversité des régions et des besoins.

En vous invitant à observer sur place notre système d’enseignement, nous n’avons nullement l’intention de vous le proposer comme modèle. Il me semble que c’est plutôt l’esprit qui a présidé à la réforme de l’éducation, comme aussi les efforts que nous faisons pour tirer le plus grand profit de nos ressources en fonction de nos besoins, qui pourront guider vos réflexions. C’est peut-être à ce niveau que pourra s’élaborer une collaboration efficace et bien adaptée aux particularités de chacun.

En ce jour où nous mettons en commun l’héritage de nos passés, en ce. jour ou il nous est donné de nous associer pour oeuvrer ensemble à l’édification de l’avenir, je lève mon verre à la fraternité et à la coopération de chacun de vos pays et du Québec.

[QBTRD19690330]

[NOTES POUR UNE ALLOCUT ION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND DINER- BENEFICE DE L’UNION NATIONALE AU CHATEAU FRONTENAC, ÀQUEBEC D IMANCHE 30 MARS 1969]

Décidément, il y a de la vie, il y a du souffle dans l’Union Nationale! Merci d’être venus si nombreux, apporter une fois de plus votre contribution pour que l’Union Nationale continue d’être un parti libre et démocratique. Merci d’être venus apporter à la cause qui nous est chère entre toutes, celle du Québec, l’appui de votre entrain, de votre bonne humeur, de votre solidarité, de votre détermination. Vous ne sauriez croire combien il est précieux, pour ceux à qui vous avez confié la responsabilité du pouvoir, de se sentir appuyés et soulevés en quelque sorte par cette vague montante, par cette immense force collective qu’est I Union Nationale.

Je ne parle pas ici uniquement pour moi et je trouverais même déplacé de profiter de l’occasion présente pour vous faire un discours de candidat à la direction du parti. Je parie au nom de tous mes collègues et ce que je veux vous dire, sur la question constitutionnelle comme sur la question économique, pourra être endossé, j’en suis convaincu, par chacun des candidats au congrès du mois de juin.

Car l’Union Nationale, quoi qu’en disent ceux qui prennent trop facilement leurs désirs pour des réalités, est un parti qui porte son nom, un parti uni.

La question constitutionnelle

Le Québec d’abord

Nous sommes tous, en premier lieu, des adeptes du « Québec d’abord »; c’est-à-dire que notre allégeance, notre loyauté, notre attachement vont d’abord au Québec et aux Québécois. À tous les Québécois. Il ne faut pas s’en étonner, puisque l’Union Nationale est un parti totalement et exclusivement dédié aux intérêts du Québec.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre parti est le plus uni et le plus logique avec lui-même. II est bien plus facile de suivre une politique en ligne droite quand on n’a qu’un seul maître: le peuple québécois.

Certains de nos adversaires, comme M. Pierre Laporte, prétendent que l’Union Nationale n’a pas une attitude claire en matière constitutionnelle. Voyons un peu la poutre qui est dans leur oeil!

Voici des gens qui, dans un caucus d’abord, puis dans un congrès de leur Fédération tenu en octobre l967; ont unanimement préconisé un statut particulier pour le Québec et la reconnaissance formelle du concept des deux nations.

Rien à redire à cela, puisque cette position se rapprochait substantiellement de celle que l’Union Nationale avait prise en 1963. soit quatre ans avant.

Mais tout le monde sait que M. Pierre-Elliott Trudeau a carrément rejeté le concept des deux nations. Il a même dit, et cela a été imprimé en gros titres dans tous les journaux du 6 septembre 1967, que le statut particulier était une « connerie ».

Or, voici que, quelques mois plus tard, s’engage une campagne électorale fédérale, avec ce même M. Trudeau comme chef du parti libéral. Qu’ont fait nos députés libéraux soi-disant québécois, qui s’étaient prononcé « solennellement » pour le statut particulier et le concept des deux nations?

Je veux être juste. Plusieurs, comme M. Gérin-Lajoie, ont respecté leur parole. Mais d’autres, PA. Laporte en tête, se sont empressés d’intervenir dans l’élection fédérale, sous la bannière de celui qui rejetait le concept des deux nations et qui qualifiait de « connerie » le statut -particulier.

N’est-ce pas le comble de l’équivoque et de l’ambivalence que de se dire à la fois pour le statut particulier et pour les dénigreurs du statut particulier? De se dire à la fois pour le concept des deux nations et pour les négateurs du même concept?

Je comprends pourquoi ils parlent toujours d’immobilisme! C’est vrai qu’eux, ils sont joliment mobiles: C’est bien le record de la mobilité que d’être un jour pour une chose et le lendemain pour ceux qui sont contre. Il n’est pas étonnant que M. Claude Ryan, dans Le Devoir du 21 juin 1968, ait parlé de « l’opportunisme gluant de certains libéraux provinciaux: »

Eh bien. ces choses-là ne peuvent pas se produire dans l’Union Nationale parce que, dans la hiérarchie de nos valeurs et de nos allégeances, la première place. a toujours été et ira toujours au Québec.

Québec dans le Canada

Est-ce à dire que nous voulions isoler le Québec du reste du Canada? Pas du tout. François Mauriac écrivait en 1956: [« La solitude, pour une nation comme la nôtre, n’est plus imaginable dans l’univers de l’atome »]. Et si la solitude n’est plus imaginable pour la France, elle l’est encore bien moins pour le Québec.

Culturellement, le Québec fait partie du monde francophone. Politiquement, il est un État membre de la fédération canadienne. Économiquement, il est lié à l’ensemble nord-américain. Tout cela parait bien compliqué, mais n’est ce pas ce qui fait la richesse et le charme de la vie québécoise?

Que le fait français soit pour nous un actif, même nos compatriotes anglophones le reconnaissent. Canadiens, nous le sommes depuis plus de trois siècles et demi et nous entendons bien le demeurer. Et qui d’entre nous oserait se dire mécontent de participer au niveau de vie et au dynamisme de cette prodigieuse Amérique du Nord? Le rêve séculaire des Québécois, c’est de créer, par une judicieuse combinaison de ces divers éléments, une synthèse originale et stable. C’est d’établir entre ces éléments un équilibre tel que nous n’ayons jamais à sacrifier l’un pour conserver les autres.

En d’autres termes, il s’agit de déterminer par quels aménagements politiques et constitutionnels le Québec pourra le mieux concilier ses objectifs culturels avec ses impératifs économiques. Vous le savez, trois options principales lui sont actuellement proposées.

Le statu quo

Première option: le statu quo, c’est-à-dire la conservation de l’état de choses actuel. Il y a des gens qui disent: c’est difficile de préparer une nouvelle constitution, ça risque de prendre du temps et de soulever des problèmes, pourquoi ne pas garder ce que nous avons depuis cent ans?

A première vue, cette attitude paraît assez raisonnable; mais en fait, elle n’est pas réaliste du tout. Car le statu quo constitutionnel, ça n’est plus possible et ça n’existe plus au Canada. Ça existerait si le gouvernement fédéral voulait bien se contenter des domaines qui lui ont été assignés en 1867; mais il ne cesse d’envahir les champs provinciaux, grâce à toutes sortes de pouvoirs élastiques qu’il s’est attribués lui-même. De sorte que ce n’est plus une situation arrêtée que nous avons, mais une situation fluide, mouvante, qu’Ottawa fait évoluer dans une direction de moins en moins fédéraliste et de plus en plus unitaire.

Ce n’est plus le statu quo, c’est le rouleau compresseur. Relisez, aux articles 92 et 93, la liste des domaines que la constitution de 1867 attribue en exclusivité aux législatures provinciales; et dites-moi s’il en reste un seul où le gouvernement fédéral ne se soit pas introduit de quelque façon.

Il se découvre aujourd’hui des responsabilités partout, même en matière de propriété et de droits civils. Car avec son impôt sur les successions, qui lui rapporte très peu et qui n’a pour lui qu’une valeur de nuisance, il est en train de chambarder complètement notre droit civil en ce qui concerne les testaments, les contrats de mariage, les donations, les substitutions, le régime de la communauté de biens et autres particularismes québécois.

Voulez-vous mesurer le chemin parcouru depuis une vingtaine d’années par le rouleau compresseur? C’est peut-être dans le domaine de la santé que l’on peut faire à ce sujet les comparaisons les plus révélatrices.

Quand le gouvernement St-Laurent, en qui les libéraux eux-mêmes voyaient un gouvernement centralisateur, a proposé l’institution d’un régime d’assurance-hospitalisation, il a tout de même pris soin d’inclure dans sa loi une clause disant qu’elle ne pourrait entrer en vigueur qu’avec l’adhésion « d’une majorité de provinces représentant une majorité de la population canadienne »

Or, le gouvernement Trudeau n’a même plus ce reste de scrupule en ce qui concerne l’assurance-santé. Il met sa loi en application bien qu’elle n’ait encore obtenu l’assentiment que de deux provinces représentant à peine le dixième de la population du pays; et il vient chercher jusqu’a $ 120 par tête dans les enveloppes de paye des contribuables, même dans les huit provinces qui ne peuvent actuellement en profiter. M. Robarts dit que c’est une immense fraude politique; j’ajoute que c’est aussi une vaste et odieuse opération de chantage. Dans un autre ordre d’idées, M. Pearson avait reconnu, en créant la commission Laurendeau-Dunton, la nécessité non seulement du bilinguisme, mais aussi du biculturalisme, ce qui est infiniment plus large et plus profond. C’était une autre façon de reconnaître que s’il y a deux langues au Canada, c’est qu’il s’y trouve d’abord deux cultures, deux sociétés, deux nations. Or, depuis l’avènement de M. Trudeau, Ottawa ne cesse de mettre l’accent sur un bilinguisme qui ne dérangerait rien pour éviter un biculturalisme qui pourrait changer quelque chose. Autre recul bien évident.

Voilà donc ce que c’est que l’option du statu quo. C’est la centralisation galopante. Et je suis sûr que dans l’Union Nationale, personne n’accepterait de galoper dans cette direction-là.

L’indépendance

À l’autre extrême, il y a l’option indépendantiste. Je n’entends pas m’y attarder longuement. Je me contenterai de répéter ici ce que j’en disais en mai 1963, quand j’ai présenté en Chambre la motion qui a donné naissance au comité parlementaire de la constitution.

Je reconnaissais d’abord que l’indépendance ne voulait pas nécessairement dire l’isolement et que les partisans sincères de cette option étaient, eux aussi, à la recherche d’une formule de coexistence. Puis j’ajoutais ceci:

« La différence entre les séparatistes et moi, c’est la suivante. Eux disent: séparons-nous d’abord et nous verrons ensuite à trouver un terrain d’entente. Moi, je dis: essayons d’abord de nous entendre plutôt que de nous lancer à l’aveuglette dans une aventure dont nous ne savons pas où elle nous conduira ».

Voilà ce que je disais en 1963, alors que la revision constitutionnelle n’était encore qu’un espoir. Maintenant que nos partenaires ont convenu d’ouvrir avec nous tout le dossier constitutionnel et de mettre sur pied les mécanismes nécessaires à cette fin, j’estime que ce n’est pas le temps de songer aux solutions extrêmes, aux solutions de dernier recours.

C’est plutôt le temps de négocier et nous allons continuer de négocier tant que nous conserverons un espoir raisonnable d’en arriver à une solution.

Un fédéralisme nouveau

Entre le statu quo dont nous savons qu’il nous conduit à l’unitarisme et une séparation dont nous ne savons pas où elle nous conduirait, il y a place pour une option de bon sens et de juste milieu qui est celle de l’Union Nationale. Si cette solution est complexe, c’est que le problème qu’elle veut régler est lui-même complexe. Mais qu’on ne vienne pas dire qu’elle manque de clarté. Il n’y a rien de plus limpide que les déclarations faites et les documents produits par le gouvernement actuel aux diverses conférences de Toronto et d’Ottawa.

De plus, la délégation du Québec au comité permanent de la conférence constitutionnelle a déposé dès le 24 juillet dernier, entre les mains de nos partenaires, un ensemble de 60 propositions, touchant tous les aspects de ce fédéralisme nouveau qui peut seul empêcher l’éclatement de notre pays. Les principes qui sont à la base de notre programme y sont réaffirmés avec force: droit à l’autodétermination des peuples, nécessité de structurer notre pays comme une association de deux nations et pas seulement comme une fédération d’États, rôle particulier du Québec dans la réalisation de l’égalité culturelle, etc. Mais ces propositions ne se bornent pas à rappeler des principes; elles précisent par quelles structures et par quelles modalités ces principes pourront se concrétiser dans une constitution entièrement nouvelle et entièrement canadienne.

Le Québec a aussi devancé de plusieurs mois tous les autres gouvernements du pays lorsqu’il a pris l’initiative de publier ses propositions. Le jour même ou je donnais une conférence de presse à ce sujet, soit le 9 octobre 1968, des exemplaires du document québécois étaient adressés à tous nos députés, y compris bien entendu ceux de l’opposition.

À Ottawa de se brancher

Comment les députés libéraux, qui ont ce document en leur possession depuis près de six mois, peuvent-ils encore prétendre que notre attitude n’est pas claire? S’il y a une chose qui n’est pas claire dans le moment, c’est plutôt l’attitude du gouvernement fédéral. Nous sommes impatients de connaître les réponses d’Ottawa aux propositions formulées par le Québec dès le 24 juillet dernier.

Ce n’est donc pas à nous que M. Laporte et ses collègues de l’opposition devraient demander de « se brancher ». Ils devraient plutôt demander cela à leurs amis d’Ottawa. Et peut-être pourraient-ils leur suggérer du même coup, eux qui ont peur de manquer d’ouvrage à Ottawa, d’aider un peu la cause du Québec! Après tout, il doit y avoir quelque chose de bon dans les soixante propositions du Québec. Ça ne doit pas être seulement des « conneries »: Pourquoi cette manie de toujours blâmer Québec? Et pourquoi nos députés fédéraux devraient-ils toujours prendre la contrepartie des thèses québécoises, des attitudes québécoises? Est-ce là une situation normale?

Quand une constitution, ou l’usage qu’on en fait, multiplie les conflits entre nos deux communautés culturelles, met en opposition les Canadiens français du Québec et ceux des autres provinces, et tend par surcroît à diviser les Québécois eux-mêmes, je dis qu’elle est bien malade. Car une constitution, c’est fait pour unir et non pour diviser.

Il ne s’agit pas, dans un pays comme le nôtre, d’imposer de force une uniformité factice, mais d’unir les esprits et les coeurs dans l’acceptation réciproque des particularismes légitimes.

C’est dans cet esprit que le Québec a formulé ses propositions. Il a hâte de connaître la réponse de ses partenaires.

Le développement économique

J’ai dit que je vous parierais aussi d’une autre grande priorité de l’heure: le développement économique du Québec. Encore là, je voudrais bien qu’on nous délivre des pessimistes, des alarmistes, des broyeurs de noir, de ces adversaires déprimés et déprimants qui semblent se complaire à peindre la situation sous le jour le plus sombre, à faire et à refaire l’inventaire de nos faiblesses, à escompter des désastres et à prédire des catastrophes.

On dirait que par leurs exagérations et leurs jérémiades, trop souvent montées en épingle dans les journaux des autres provinces, ces prophètes de malheur voudraient inciter nos voisins à faire le blocus économique du Québec pour obtenir je ne sais trop quelle reddition sans condition.

Nous avons nos problèmes, c’est entendu. Et qui n’en a pas? Mais je n’en connais aucun qui ne pourrait être rapidement réglé si nous nous déterminions à en parler Un peu moins et à agir davantage. Le blocus économique du Québec? Je n’y crois pas et pour une raison très simple: c’est que nous sommes économiquement solidaires du continent nord-américain et que cette solidarité joue dans les deux sens.

Les atouts québécois

Le Québec est l’un des territoires les plus riches et les plus prometteurs du globe. C’est aussi l’un de ceux où il reste le plus à faire. Nous avons, notamment en matière de forêts, de mines, de sol arable, de lacs et de rivières, des richesses dont nous n’avons encore gratté que la surface.

Traversé de part en part par la plus grande voie maritime du monde, le Québec est la porte d’entrée du continent nord-américain. Il est aussi le point de rencontre des deux cultures les plus prestigieuses du monde occidental.

Cette situation privilégiée fait du Québec une terre où il y aura toujours de la vie, de l’élan, du défi; une terre vibrante et exaltante; une terre où il se produit parfois des étincelles, mais où se produisent aussi quelques-unes des plus grandes réussites du génie humain, comme l’Expo 67 et, dans un autre domaine, comme le barrage Daniel Johnson.

Ajoutez à cela une population de plus en plus instruite, dont la créativité, le revenu et le pouvoir d’achat sont en augmentation constante. Et des hommes d’affaires se priveraient de venir travailler dans le Québec ou commercer avec le Québec, simplement à cause de certaines opinions ou de certaines idéologies qui ne sont ni celles du gouvernement, ni celles de l’ensemble de la population?

Le climat politique

Certains diront que le climat politique peut aussi exercer une influence sur le développement économique. Soit! Parlons un peu du climat politique. Nous vivons en Amérique du Nord, où l’entreprise privée a produit le plus haut niveau de vie au monde. Qu’est-ce qui pourrait, dans la politique québécoise, effrayer l’entreprise privée? Certainement pas le programme de l’Union Nationale, puisqu’il comporte une prise de position ferme et sans équivoque en faveur de l’entreprise privée.

Les investisseurs, dit-on, redouteraient les progrès du socialisme, de l’idéologie de gauche. Ils craindraient que le Québec ne devienne un autre Cuba. Or, rien n’est plus contraire aux convictions profondes et au tempérament des Québécois. Àtel point que le plus à gauche des trois grands partis fédéraux, le N. P. D., n’a jamais pu faire élire un seul député dans le Québec, alors qu’à chaque élection il en fait élire plusieurs en Ontario. Si donc la peur du socialisme devait entraîner un déplacement des industries, ce serait vers le Québec et non pas en sens inverse.

Est-ce que la crainte du séparatisme pourrait être plus déterminante? Personne, à ma connaissance, n’a plus souvent menacé de se séparer de la confédération canadienne que le premier ministre de Terre-Neuve, M. Smallwood. Je ne crois pas que ses propos aient mis une seule industrie en fuite, pas plus d’ailleurs que ceux du premier ministre de la Colombie, M. Bennett.

Se pourrait-il que des industries déménagent d’une province à l’autre pour protester contre des injustices faites aux minorités ethniques ou culturelles? Encore la, c’est le Québec qui s’en trouverait, depuis toujours, le bénéficiaire. La vérité, c’est que des industries qui se déplacent d’un pays à l’autre ou d’une province à l’autre, il y en a toujours eu, il y en aura toujours et dans toutes les directions. Ces migrations se font pour toutes sortes de motifs, qui sont avant tout des motifs économiques, même si l’on s’avise après coup de leur donner une teinte culturelle ou politique. J’ai hâte qu’on cesse de nous raconter là-dessus des histoires de croquemitaines.

Le climat social

Dans le discours inaugural de la présente session, nous avons dit que la paix sociale est un important facteur de progrès économique. Mais encore là, gardons-nous de noircir le tableau par des exagérations verbales qui traduiraient mieux notre tempérament latin que la réalité des choses.

A force d’entendre parler de grèves et de menaces de grèves, vous avez peut-être l’impression que le Québec en a eu plus que sa part en 1968. Or, voici les chiffres publiés par le bureau fédéral de la statistique. Il y a eu en 1968 137 grèves dans le Québec et 289 en Ontario, soit plus du double. Le nombre des travailleurs impliqués dans ces grèves a été de 34421 dans le Québec et de 131155 en Ontario, soit quatre fois plus. Le nombre des jourshommes perdus a été de 1006721 dans le Québec et de 2480113 en Ontario.

Vous voyez qu’il y a aussi des problèmes ailleurs, des problèmes qui sont souvent plus graves que les nôtres. Seulement, on en parle moins qu’ici et l’on a peut-être plus que chez nous le goût et l’habitude de la solidarité. Je ne demande à personne de nier nos problèmes; mais je propose qu’on se chicane un peu moins pour savoir qui en est responsable et qu’on se donne plutôt la main pour les régler.

La part de l’État

Le gouvernement continuera de faire sa très grosse part. Il a créé un Office du Crédit industriel qui apporte déjà une aide très efficace au financement des petites et moyennes entreprises. Il a inauguré une politique de stimulants fiscaux qui nous apporte tous les jours des résultats très positifs. Il multiplie les bureaux du Québec à l’étranger, afin de profiter de l’intérêt que manifestent à notre endroit les investisseurs américains et européens. Il a lancé aussi une campagne de publicité pour vanter un peu les produits du Québec et le savoir-faire du Québec, corrigeant ainsi les impressions fausses répandues par nos propres démolisseurs.

Les résultats sont indéniables. Presque tous les jours, on nous annonce de nouveaux investissements, la construction d’importants complexes industriels commerciaux.Il y en a, je sais, qui font la moue. Une raffinerie de Golden Eagle à St-Romuald, ce n’est pas assez pour M. René Lévesque. Il appelle cela dédaigneusement une affaire de troisième ordre. Comme je le disais l’autre jour, amenez-en, M. Beaudry, des industries de $ 70 millions! Je ne connais pas une seule ville du Québec qui ne sera pas heureuse de les accueillir.

Méfions-nous, encore une fois, du verbiage inutile, vaniteux et provocateur . Pendant six ans,- les libéraux ont parlé et reparlé d’une industrie sidérurgique. ils n’ont laissé en partant qu’un monceau de rapports et de vantardises. Avec cent fois moins de mots, l’Union Nationale a posé des actes et Sidbec est devenue une réalité.

La part des citoyens

Mais le gouvernement ne peut pas tout faire dans le domaine économique. Il faut que tout le monde soit dans le coup. Nous avons parlé, dans le discours inaugural de la session, de la nécessité de revaloriser la fonction de chef d’entreprise. Nous aurons tout revalorisé, dans le Québec, à part ceux qui sont disposés à se mettre au blanc et à risquer leur avoir pour créer de nouveaux emplois et de nouvelles richesses. C’est peut-être par là qu’il aurait fallu commencer.

Il y a des gens qui se plaignent beaucoup du chômage et qui voudraient bien voir se multiplier les industries, mais qui sont incapables de parler des patrons, quels qu’ils soient, autrement que dans les termes les plus méprisants, Ont-ils déjà pensé que si nous voulons plus d’industries, il va nous falloir aussi plus de patrons, plus de chefs d’entreprises?

D’ailleurs, cette notion que l’on se sait en certains milieux de la fonction patronale est largement dépassée et ne cadre pas du tout avec la réalité nord-américaine. De même que la propriété des grandes entreprises tend aujourd’hui à se disséminer entre les mains d’une foule d’actionnaires, qui sont en majorité de petits épargnants, ainsi en est-il de la direction de ces entreprises, qui est assumée de plus en plus par des technocrates, des diplômés d’université, des spécialistes du « management ». Ceux-ci sont des salariés, et non plus des capitalistes au sens que l’on donnait autrefois à ce terme; mais ils n’en exercent pas moins, grâce à leur compétence, une influence très considérable sur la vie économique.

Cette évolution, jointe au développement de nos CEGEPs et de nos universités, est peut-être la meilleure chance qui nous ait jamais été donnée d’acquérir d’une façon pratique, non pas par la provocation et le désordre, mais par les voies beaucoup plus sûres du travail et de la compétence, la maîtrise de notre économie.

Il y a des jeunes qui se disent inquiets de l’avenir? Qu’ils se dirigent en plus grand nombre vers les carrières économiques, les carrières industrielles, les carrières administratives.

Ils ont maintenant des facilités inouïes, des avantages incomparablement supérieurs à ceux des générations précédentes; je voudrais qu’ils en profitent pleinement et, surtout, qu’ils ne soient pas les derniers à voir et à saisir les occasions que leur offre le Québec en pleine expansion.

[QBTRD19690428]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DEVANT LES MEMBRES DU B’NAI B’RITH DE MONTREAL HOTEL MONT-ROYAL – MONTREAL LUNDI, LE 28 AVRIL 1969]

Il y a deux mois, alors que je participais avec M. Robarts, Premier ministre de l’Ontario, au 42e dîner de la Fraternité du Temple Emanuel, j’ai eu l’occasion de souligner l’intérêt croissant que porte la communauté juive du Québec au rayonnement de la langue et de la culture françaises, de .même. que sa volonté manifeste de participer davantage à tous les aspects de la vie québécoise.

De cet intérêt et de cette compréhension, je tiens à vous remercier de nouveau. Et au risque d’en abuser un peu, je vous invite à considérer aujourd’hui, avec la même amitié et la même ouverture d’esprit, un problème qui n’est pas toujours bien compris quoiqu’on en parle beaucoup: le problème constitutionnel.

Certains se posent parfois la question: pourquoi faut-il que dans un pays aussi jeune que le Canada, où il reste tant de richesses à mettre en valeur, tant de vides à combler, tant d’occasions à saisir et tant de besoins à satisfaire, nous dissipions en disputes constitutionnelles une si grande part de nos énergies et de nos ressources ? C’est la une question fort pertinente.

Toute fédération, bien sûr, repose sur la recherche d’un équilibre délicat entre la centralisation et la décentralisation, entre les forces qui tendent à unir et celles qui poussent au maintien des particularismes légitimes. De l’affrontement de ces forces naissent des tensions qui ne sont pas nécessairement mauvaises, qui peuvent même libérer des énergies latentes et stimuler l’élan créateur.

Mais ce qui est beaucoup moins normal, c’est qu’au lieu de conduire à de nouvelles synthèses et à de nouveaux modes de collaboration, ces tensions dégénèrent en antagonismes chroniques, qui finissent par installer entre le pouvoir central et les États fédérés une sorte de guerre froide perpétuelle.

Voilà pourquoi j’ai proposé, en mai 1963, la motion qui a été à l’origine de notre comité parlementaire de la constitution. Il s’agissait de susciter, au Québec d’abord, puis dans tout le pays, un travail de réflexion et de recherche qui soit l’amorce d’un fructueux dialogue constitutionnel. Avec mon prédécesseur, M. Johnson, et avec un grand nombre de concitoyens de toute origine et de toute couleur politique, je croyais le moment venu de reprendre le problème à sa base pour en arriver, si possible, à une constitution entièrement nouvelle et entièrement canadienne, capable de mettre enfin un terme aux malentendus qui nous divisent depuis trop longtemps.

L’idée a fait son chemin et les mécanismes nécessaires ont été mis en place pour permettre aux onze gouvernements du pays de revoir ensemble tout le dossier constitutionnel. Cela est très bien et le Québec est heureux de participer à ces travaux.

Il faut souligner toutefois que le résultat de ces pourparlers dépend dans une grande mesure de la façon dont on continue entre-temps d’appliquer la constitution présente. Car si les structures sont importantes, l’esprit qui les anime l’est tout autant, parfois même davantage. À quoi servirait d’élaborer une constitution nouvelle, fût-elle la plus parfaite du monde, si des faits que nous vivons maintenant se dégagent l’impression déprimante qu’en matière de relations fédérales-provinciales, la loi du plus fort finira toujours par l’emporter sur les règles du droit et de la justice ?

Arrêtons-nous un instant à observer la situation actuelle. Que voyons-nous ? D’abord, un immense problème financier. Malgré toutes les augmentations de taxes qu’elles ont dû imposer en ces dernières années, les provinces, et pas seulement les provinces, mais avec elles toutes les institutions qui en dépendent, comme les municipalités et les commissions scolaires, sont coincées dans une véritable camisole financière.

Elles n’ont accès quia l’impôt direct en vertu de la constitution présente. Normalement, elles devraient donc pouvoir se servir de cet impôt dans toute la mesure de leurs besoins. Or, elles ne le peuvent pas parce que le champ est déjà lourdement exploité par le gouvernement fédéral, qui détient en outre l’usage exclusif de toute la taxation indirecte.

Ottawa dit aux provinces: « C’est à vous de taxer pour vos propres dépenses et n’allez pas vous attendre à ce qu’on le fasse pour vous ». Très bien, c’est ce que nous voulons aussi. Mais dans quel secteur de l’impôt direct les provinces, les municipalités et les commissions scolaires vont-elles puiser ces nouveaux revenus dont elles ont tant besoin ?

Est-ce qu’à Montréal, par exemple, il serait économiquement possible et socialement sain de grever davantage la propriété foncière ?

Ceux qui s’imaginent que nous pourrions taxer indéfiniment les sociétés commerciales et industrielles ignorent tout de la réalité. Au seul titre de l’impôt sur les corporations, ces entreprises versent présentement au fisc 52 % de leurs profits, soit 40 % à Ottawa et seulement 12 % à Québec.

Serait-il sage de leur demander un plus grand effort au moment où il devient plus impérieux que jamais de susciter de nouvelles industries pour résorber le chômage et ouvrir des carrières à nos jeunes diplômés ? Au contraire, nous devons puiser à même notre petite part de 12 % les stimulants fiscaux nécessaires à l’expansion et à la décentralisation de nos entreprises manufacturières.

Quant à l’impôt sur le revenu des particuliers, n’a-t-il pas atteint un niveau au-delà duquel toute nouvelle augmentation risquerait de décourager l’épargne et d’affaiblir la productivité ? Pour que les provinces puissent taxer davantage, il faudrait qu’Ottawa consente à évacuer une marge plus considérable de l’impôt direct. Or, voyez ce qu’il fait: le Québec ayant exempté de tout impôt sur le revenu les contribuables gagnant moins de $ 2000 ou de $ 4000 par année, Ottawa s’est hâté, par sa taxe dite « de progrès social », de récupérer pour lui-même une bonne partie de ce que nous avions voulu laisser à ces pauvres gens.

Vous savez qu’au début de 1965, un Comité du Régime fiscal a été institué conjointement par Ottawa et les provinces pour étudier l’évolution prévisible des revenus et des besoins des divers gouvernements au cours de la période 1967-72. Après dix-huit mois d’un travail accompli de la façon la plus objective et la plus scientifique, suivant des modes de calcul acceptés par tous, ce comité en est venu à la conclusion très nette que, contrairement au gouvernement fédéral, les provinces se dirigeaient vers une impasse financière de proportions dramatiques. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, puisque c’est dans les domaines provinciaux, comme l’éducation, la santé et le bien-être social, que les dépenses publiques augmentent le plus rapidement.

Le Québec et les autres provinces ont donc réclamé avec insistance un partage fiscal plus conforme aux tâches constitutionnelles de chaque ordre de gouvernement. En toute logique, quand il y a disproportion entre les fonctions assignées à chacun et les moyens financiers dont il dispose, ce sont les revenus qu’il faut ajuster aux responsabilités et non pas les responsabilités aux revenus.

Mais Ottawa ne l’entendait pas ainsi. Plutôt que de consentir à un transfert net de ressources fiscales, il a préféré profiter de sa situation financière beaucoup plus avantageuse pour intervenir massivement dans les champs de compétence provinciale.

Relisez, à l’article 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la liste de ce que la constitution appelle les pouvoirs « exclusifs » des provinces, et dites-moi s’il en reste beaucoup qui n’aient pas été accaparés de quelque façon par l’autorité centrale, soit directement, soit par le biais de subventions conditionnelles ou de programmes conjoints.

Je sais qu’Ottawa prétend aider ainsi les provinces à mieux remplir leurs tâches; en fait, il ruine leurs plans, bouleverse leurs prévisions et chambarde leurs priorités. Il les force à utiliser leurs ressources déjà insuffisantes dans les secteurs qu’il choisit et suivant les barèmes, les normes, lés conditions qu’il établit à leur place. Comme il ne leur reste à peu près rien pour financer leurs propres projets, Ottawa prendra prétexte de leur inaction pour intervenir en d’autres matières.

Et c’est ainsi que, même dans les domaines où la compétence exclusive des provinces ne fait pas le moindre doute, les décisions importantes se prennent de plus en plus à Ottawa plutôt qu’à Toronto, à Québec ou à Frédéricton.

Je n’ai pas besoin de vous citer d’autre exemple que celui de l’assurance-santé. Tout le monde, y compris le gouvernement fédéral, admet qu’il s’agit là d’un domaine strictement provincial en vertu de la constitution. Il appartient donc à chaque province de décider, à la lumière de ses moyens, des ressources de son économie et de ses autres priorités, quand, comment, à quelles conditions et suivant quelles étapes elle établira chez elle l’assurance-santé.

Cela n’exclut aucunement une harmonisation raisonnable des programmes à l’échelle du Canada. Tout comme le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux sont dirigés par des Canadiens honnêtes et soucieux du bien général. Ce sont des gouvernements modernes, efficaces et responsables.

Je ne vois pas de quel droit on prendrait pour acquis qu’ils seraient incapables de prendre. leurs propres décisions dans les matières qui sont de leur compétence exclusive. Et si d’aventure il leur arrive de prendre de mauvaises décisions, c’est à leurs propres commettants qu’ils devront en rendre compte, et non pas au gouvernement central. Ainsi le veut le fédéralisme, qui implique une décentralisation politique et non pas simplement administrative, une décentralisation au niveau des décisions et non pas simplement au niveau de l’exécution.

Quand le gouvernement St-Laurent a proposé l’institution d’un régime d’assurance-hospitalisation, il a pris au moins l’élémentaire précaution de l’assujettir à la formation d’un certain consensus à travers le pays. Il a décrété que le régime n’entrerait en vigueur qu’après avoir été accepté par une majorité de provinces représentant une majorité de la population canadienne. Et au Québec qui voulait instaurer son propre système d’assurance-hospitalisation, il a accordé l’équivalence fiscale.

Il appert malheureusement que le processus de la centralisation s’est encore accéléré depuis; car le gouvernement fédéral actuel ne s’est pas embarrassé de pareils scrupules en ce qui concerne l’assurance-santé. L’Ontario n’était pas prête à y adhérer? Le Québec non plus, la plupart des autres provinces, pas davantage? Qu’a cela ne tienne! Ottawa a fixé ses conditions, il a passé sa loi et il a décrété que le plan entrerait en vigueur à la date décidée par lui, quel que puisse être le nombre de provinces disposées à s’en prévaloir.

Bien plus: il a établi dans tout le pays une surtaxe dite de « progrès social », de telle façon que les contribuables des provinces récalcitrantes soient tenus de payer comme les autres sans rien recevoir en retour. C’est ce que M. Robarts a appelé avec raison la plus grande fraude politique de notre histoire.

Comme l’écrivait M. Claude Ryan dans Le Devoir du 21 novembre dernier, certains ministres fédéraux ont une façon particulièrement odieuse de « promener sous le • nez des contribuables l’odeur équivoque de leur plats de lentilles ». On a vu cela tout dernièrement encore à propos du parc de Forillon.

L’aménagement du territoire est si étroitement lié au droit de propriété, à la régie du domaine public et à la mise en valeur des richesses naturelles qu’il est de toute évidence un secteur de compétence provinciale. Une collaboration fructueuse entre les deux gouvernements n’en est pas exclue pour autant; mais s’il en est un des deux qui est en droit d’imposer des conditions, c’est bien, il me semble, celui qui se trouve clairement chez lui.

Pourtant, je continue de croire que le Canada trouvera un jour son équilibre et qu’à cause de ses dimensions géographiques, économiques et culturelles, il le trouvera dans un authentique fédéralisme. Le fédéralisme n’est pas une cause de faiblesse, comme certains semblent le croire. Les pays les plus puissants du monde à l’heure actuelle- , comme les États-Unis, la Russie et l’Allemagne de l’Ouest, vivent et prospèrent en régime fédéral. Par ailleurs, j’estime que le fédéralisme peut être aussi le système le plus respectueux des pluralismes légitimes, le plus apte à concilier les avantages de la diversité culturelle avec ceux de la solidarité économique.

Mais il ne peut vraiment fonctionner qu’avec un minimum de bonne foi, de compréhension mutuelle et d’amitié. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, avec l’esprit qui vous anime au sein de cet Ordre bienfaisant et fraternel, vous conviendrez sans doute avec moi que ce n’est pas trop demander des Canadiens d’aujourd’hui.

[QBTRD19690512]

Le discours inaugural de la session de Québec parlait cette année un langage qu’on n’avait pas coutume de trouver dans ce très officiel document. Je ne vois, bien sûr, rien de répréhensible aux thèmes traditionnels de ce que l’on appelait jadis le discours du Trône; mais je constate qu’on y faisait la part bien mince aux affaires économiques et à ceux qui comme vous, messieurs, en sont les chefs de file.

S’il est vrai que l’une de nos grandes priorités de l’heure doit être de stimuler l’économie du Québec, de créer de nouvelles entreprises, d’accroître notre productivité et partant notre niveau de vie, il faut bien que l’homme-clé de la situation, celui que nous devons mettre à l’honneur et aider de toutes nos forces, ce soit l’industriel, l’investisseur, le chef d’entreprise. C’est justement ce que nous avons voulu souligner à l’ouverture de la session. Je ne résiste pas à la tentation de vous relire trois petits passages de ce discours inhabituel:

« … Toute prospérité repose en définitive sur le travail, l’ingéniosité, l’esprit d’initiative des citoyens, leur aptitude à mettre en commun leurs énergies et leurs capitaux pour créer de nouveaux moyens de production et de nouvelles carrières.

« Si nous voulons multiplier chez nous les industries dont nous avons tant besoin, peut-être faudrait-il commencer par valoriser davantage la fonction du chef d’entreprise, avec toutes les qualités qui s’y rattachent: goat du risque sain t productif, sens de l’efficacité, de l’action méthodique et des attitudes positives.

« Il faut également comprendre que la paix sociale, l’ordre, la sécurité et la solidarité comptent parmi les plus puissants facteurs de progrès économique… »

Voilà, messieurs, ce que disait le discours inaugural de la session à l’Assemblée nationale du Québec. Est-ce là un langage électoral ? J’en doute fort; mais il me suffit que ce soit un langage vrai.

Il est temps que nous marquions du respect pour ces hommes qui ont l’audace de lancer des entreprises et la compétence voulue pour les faire prospérer. Il est temps que nous leur donnions dans notre psychologie collective le rang u’ils occupent en fait dans notre vie économique.

C’est dans cet esprit qu’a la suggestion de mon collègue de-l’Industrie et du Commerce, M. Jean-Paul Beaudry, nous avons invité une cinquantaine d’entre vous à constituer le Conseil Général de l’Industrie, que préside avec tant de dynamisme Me Paul-A. Ouimet.

Chose admirable: aucun de ceux à qui nous avons demandé de se mettre bénévolement au service de la communauté québécoise au sein de ce Conseil général de l’industrie ne nous a refusé son concours. Tous se sont portés volontaires pour livrer avec nous la bataille économique du Québec.

Je les eu remercie de tout coeur et j’espère que la création de ce Conseil marquera le début d’un véritable « partnership » entre le gouvernement et l’industrie.

Essayons d’esquisser en quelques mots ce que pourrait être, dans cette association nécessaire, la part du gouvernement et celle de l’industrie. Ce que le gouvernement entend faire pour l’industrie, vous en trouverez une bonne indication dans le récent discours du budget.

Mon collègue des finances, M. Paul Dozois, a accompli ce tour de force d’augmenter considérablement les crédits alloués aux ministères économiques, en particulier celui de l’Industrie et du Commerce, sans augmenter pour autant le fardeau des payeurs de taxes. Ottawa ne cesse de répéter aux provinces: « Si vous avez besoin d’argent, taxez ». C’est vite dit, mais il y a une limite à ce que l’économie peut porter.

Il ne pouvait pas être question, par exemple, d’alourdir davantage le fardeau des sociétés commerciales et industrielles. Au seul chapitre de l’impôt sur les corporations, ces entreprises payent déjà au fisc 52 % de leurs profits, soit 40 % à Ottawa et 12 % à Québec. Là comme ailleurs, c’est Ottawa qui garde la part du lion. Pouvions-nous augmenter la nôtre au moment ou l’industrie québécoise doit être au contraire encouragée et stimulée ?

Nous pensons qu’il est beaucoup plus sage de rogner plutôt sur notre petite part de 12 % afin de pouvoir offrir des primes à l’investissement et des avantages fiscaux aux industries qui veulent bien s’établir ou agrandir chez nous, spécialement dans les régions les moins favorisées.

Tout comme la création de l’Office du crédit industriel, ces initiatives récentes donnent déjà d’excellents résultats, preuve qu’elles répondaient à un besoin.

Le gouvernement commencera bientôt, à Ste-Foy, l’aménagement d’un centre de recherches industrielles qui aider’ nos entreprises à résoudre leurs problèmes, à améliorer leurs procédés de fabrication et à lancer de nouveaux produits sur le marché. Quand ce centre sera complété au coût de $ 60000000, nous posséderons alors un incomparable outil, qui nous aidera à mieux utiliser nos richesses naturelles et à garder au Québec nos meilleurs cerveaux. On peut en dire autant du complexe scientifique que nous avons autorisé l’Hydro-Québec à construire à Boucherville, au coût de $ 32000000, et qui sera une réalisation unique en Amérique du Nord.

Toujours dans le meilleur intérêt de l’industrie, le gouvernement a lancé récemment une campagne de publicité illustrant l’ingéniosité, l’excellence et l’extrême variété des produits du Québec. S’il est important de soutenir nos marchés d’exportation, en ouvrant par exemple de nouveaux bureaux dans les principales villes américaines et jusqu’en Allemagne de l’Ouest comme nous allons le faire cette année, n’oublions pas que nous avons ici même, au Québec, une population de plus de 6000000 d’âmes, dont le pouvoir d’achat s’accroît constamment sous la double poussée de l’expansion démographique et de la hausse du revenu personnel.

Nous voulons que l’industrie québécoise ne soit pas la dernière à profiter de ce pouvoir d’achat; et que notre population ne soit pas la dernière non plus à reconnaître les qualités souvent uniques des produits du Québec.

C’est un peu dans le même esprit que nous avons accepté de prendre les engagements nécessaires au maintien de ce qui fut peut-être jusqu’à maintenant notre plus grande réussite collective: Terre des Hommes. Cette splendide réalisation a agi comme un véritable tonique, tant sur l’économie du Québec que sur la psychologie de sa population. Il importe d’en prolonger et d’en perpétuer si possible les effets bienfaisants.

Voilà, en quelques traits, ce que votre gouvernement fait ou entend faire pour l’industrie. Et maintenant, qu’est-ce que l’industrie peut faire pour le Québec ? Je n’étonnerai personne en disant d’abord que nous comptons sur vous pour créer de nouveaux emplois.

Le chômage est, pour l’économie québécoise, une sorte de maladie chronique. Je me refuse à croire que ce soit une maladie incurable. Nous avons tous intérêt à faire notre part pour guérir ce mal, du moins pour l’atténuer dans toute la mesure du possible. Car un chômeur de plus, c’est à la fois une charge additionnelle pour les citoyens productifs qui payent des taxes et un contribuable de moins pour partager le fardeau.

Votre contribution pour aider à remédier au problème du chômage pourrait s’identifier aux trois moyens suivants: l’utilisation de nos centres de main-d’oeuvre provinciaux ; le recours aux services que vous offrent certains de nos ministères, dont celui de l’Éducation en matière de formation de personnel, recyclage, etc., le recours au système de primes aux industries qui embauchent des assistés sociaux dans les nouveaux emplois qui sont créés, comme l’annonçaient jeudi dernier, à Québec, mes collègues de l’Industrie et du Commerce, du Travail et de la Famille et du Bien-Être.

La création de nouveaux emplois pour garder au Québec les compétences que nous aurons formées à si grands frais dans nos collèges et nos universités. Naturellement, il importe que les programmes d’étude et l’orientation des élèves tiennent compte des besoins spécifiques de notre économie. C’est encore la un domaine ou une étroite solidarité s’impose entre l’État et l’industrie.

Pour mieux concerter les efforts de tous en vue d’une expansion accélérée de notre économie, le ministère de l’Industrie et du Commerce doit procéder à des enquêtes et à des inventaires sans lesquels il n’y aurait pas de planification possible. Voiles un autre secteur ou votre concours lui est absolument nécessaire. C’est vous qui pouvez lui fournir les données et les chiffres dont il a besoin pour bien analyser la situation, pour en valoriser au maximum les éléments positifs et pour en corriger au besoin les faiblesses.

Faut-il y voir l’effet d’une certaine fièvre préélectorale ? Certains semblent plus enclins à parler des points faibles que des points forts de notre économie, plus enclins à faire état de nos problèmes que de nos réussites. Je vous demande de regarder les choses d’un oeil serein et objectif.

Nous vivons dans une période d’évolution extrêmement rapide. Un monde nouveau est en train de naître. Que ces brusques changements créent ici et la des tensions et des malaises, rien de plus normal. Il en est ainsi partout et le Québec ne fait pas exception. Mais je ne sache pas qu’il se pose chez nous des problèmes plus graves qu’ailleurs. La différence, c’est peut-être qu’avec notre tempérament latin, nous sommes plus portés que d’autres à en faire étalage sur la place publique.

Ainsi, on a tellement parlé de grèves et de menaces de grèves en ces derniers temps que vous avez peut-être l’impression qu’a ce point de vue, la situation serait plus grave au Québec que dans les autres provinces. Détrompez-vous. Les statistiques fédérales montrent qu’en 1968, il y a eu 289 grèves en Ontario et seulement 137 au Québec; que le nombre des employés impliqués dans ces grèves a été de 131000 en Ontario et de 34000 seulement au Québec; et que le nombre des jours-hommes perdus a été deux fois et demi moins élevé dans le Québec que dans l’Ontario. Ce qui ne prouve d’ailleurs rien contre le climat social ou le climat politique de la province voisine.

Pour se faire une juste idée du rythme de croissance de notre économie, il ne faut pas trop s’arrêter aux chiffres d’un trimestre ou même d’une année. Mieux vaut considérer les tendances qui se manifestent sur une période plus longue.

On constatera alors qu’au cours de la dernière décennie, le Québec a plus que doublé son produit national brut. Le revenu personnel par habitant est passé de $ 1240 à $ 2219 pendant la même période. Les investissements se sont accrus au rythme moyen de 5.5 % par année. En dix ans, la population a augmenté de 21 %; la main-d’oeuvre, de 28.3 %; et l’emploi, de 31.6 %.

Ces taux de croissance soutiennent la comparaison avec ceux des pays les plus dynamiques. Comment pourrait-il en être autrement dans un territoire ou il y a tant de richesses à mettre en valeur, tant d’espaces à aménager, tant de défis lancés à l’initiative et au génie créateur de l’homme ?

N’allez donc pas vous laisser impressionner par les sombres propos des alarmistes et des broyeurs de noir. Ayez foi en l’avenir du Québec et communiquez cette foi non seulement aux étrangers, mais d’abord aux Canadiens et aux Québécois eux-mêmes. Nous avons chez nous des capitaux de plus en plus abondants comme en témoigne l’essor de nos banques, de nos caisses populaires, de nos sociétés d’assurance et de nos autres institutions financières. Pourquoi serions-nous les derniers à investir dans notre développement industriel, les derniers à participer au succès de nos propres entreprises, les derniers à découvrir les immenses possibilités de l’économie québécoise?

Certains, semble-t-il, s’inquiètent des idées politiques ou constitutionnelles de quelques groupements minoritaires. Mais vous savez qu’au Québec, les tiers partis n’ont jamais obtenu beaucoup d’encouragement. C’est même l’une des seules provinces ou le N. P. D. , malgré la vigueur et l’habilité de ses efforts, n’a jamais pu faire élire un seul candidat, i dans une élection provinciale, ni dans une élection fédérale.

Il y a dans la population québécoise un fond de sagesse, de bon sens et de stabilité qui constitue notre meilleure garantie contre les aventures douteuses. Et ceux qui continuent de demander où va le Québec ou ce que veut le Québec devraient bien se donner la peine d’examiner, avec un esprit objectif, les multiples documents que nous avons publiés à l’occasion des conférences constitutionnelles de Toronto et d’Ottawa. Ils y trouveraient des réponses à toutes leurs questions.

Le Québec veut garder son identité particulière, son héritage culturel, ses traits distinctifs, ce qui est une aspiration tout à fait légitime que vous devez comprendre et encourager; mais il veut garder tout cela en restant politiquement solidaire de l’ensemble du Canada et économiquement solidaire du continent nord-américain.

Ce n’est pas nouveau; c’est « à ces conditions », comme l’a fort bien reconnu lord Carnavon, que nous sommes entrés dans la Confédération en 1867.

Mais on ne saurait s’attendre à ce qu’une constitution pensée il y a 102 ans, en fonction des besoins et des idées d’un autre siècle, puisse offrir des solutions à tous nos problèmes d’aujourd’hui. Cette constitution est plutôt devenue une cause de malentendus et de conflits sans fin, alors que depuis l’abolition des appels au Conseil Privé, nous n’avons aucun tribunal qui soit en mesure de trancher ces conflits en dernier ressort à la satisfaction de tous.

C’est pour mettre fin à nos interminables querelles juridiques et fiscales que le Québec réclame une constitution claire, complète et moderne.

Dès juillet dernier, nous avons présenté à nos partenaires une série de 60 propositions couvrant tous les aspects de la constitution canadienne, y compris le plus important: celui du partage des pouvoirs. On ne trouvera rien dans ce document qui soit de nature à provoquer l’éclatement du Canada. Au contraire, nous avons voulu tenir compte des besoins différents des autres provinces aussi bien que de nos propres besoins.

On ne trouvera non plus dans nos propositions rien de rigide, de péremptoire, de cassant. Nous sommes prêts à en discuter. C’est pour cela que nous les avons présentées sous la forme d’un simple document de travail. Mais qu’on ne vienne pas dire que le Québec n’est pas « branché ». De tous les gouvernements du pays, c’est le nôtre qui a été le premier à préciser ses positions et à les soumettre au crible de l’opinion publique.

Messieurs, je vous demande de nous aider à faire mieux comprendre les attitudes du Québec afin qu’une fois réglé cet épineux problème constitutionnel, nous puissions enfin consacrer toutes nos énergies au développement économique de notre si vaste et si beau territoire.

[QBTRD19690530]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION de M. JEAN -JACQUES BERTRAND -PREMIER MINISTRE DU QUEBEC RECIPIENDAIRE D’UN DOCTORAT HONORIFIQUE EN DROIT DE L’UNIVERSITE DE MONTREAL le vendredi, 30 : mai 1969 ]

À l’insigne privilège d’être fait docteur de l’Université de Montréal s’en ajoute pour moi un autre: celui de recevoir cette distinction en la compagnie de Son Excellence Mgr Paul Grégoire, archevêque de Montréal, et de M. Bertrand Schwartz, directeur de l’Institut national de France pour la formation des adultes. C’est avec plaisir que j’exprime leur gratitude en même temps que la mienne, non sans reconnaître cependant que ma dette est de beaucoup la plus lourde. Pour le pasteur de cet immense archidiocèse, comme pour l’éminent spécialiste de l’éducation permanente, le diplôme vient sanctionner des mérites et des succès abondamment établis. Mais voyez ce qui m’arrive: on me remet aujourd’hui mon parchemin, alors que c’est seulement le 21 juin que je dois soutenir ma thèse devant le jury de mon parti, en attendant de subir un examen plus rigoureux encore devant les électeurs de Missisquoi et de tout le Québec. Si bien que ce doctorat est beaucoup moins la preuve de ma réussite que celle de la générosité de mon Alma Mater et de l’indulgence de mon parrain, M. le doyen Jean Beetz.

Je dois dire que les diplômes ne s’obtenaient pas aussi facilement à la vieille université de la rue St-Denis, alors qu’avec Daniel Johnson, Jean Drapeau et d’autres excellents camarades, je fréquentais les cours de la Faculté de droit. En fait, il n’y avait rien de très facile pour les étudiants que nous étions en ce début des années quarante. Aux séquelles d’une longue crise économique s’ajoutaient les contraintes et les problèmes inhérents à l’état de guerre. Comme les jeunes de tous les temps, nous trouvions que le monde était fort mal en point; mais peut-être avions-nous des raisons particulières de le trouver tel.

Pourtant, nous ne désespérions aucunement de rebâtir ce monde sur des bases plus saines. Même si les moyens dont nous disposions à l’époque n’avaient pas l’ampleur et l’efficacité de ceux d’aujourd’hui, il me semble que la contagion du pessimisme n’avait pas alors la virulence que nous lui connaissons maintenant.

Malgré la crise et la guerre, nous n’éprouvions pas ce vertige du vide, ce sentiment d’impuissance qui porte actuellement un certain nombre de jeunes, au Canada comme en bien d’autres pays, à chercher refuge dans la contestation et la violence. Nous nous sentions plutôt attirés par la politique, conçue comme instrument normal de libération et de progrès. Remarquez que la politique, du moins telle que nous la connaissons dans nos démocraties occidentales, n’exclut aucunement la contestation. Bien loin de l’exclure, elle en fait un rouage essentiel. Qu’est-ce que l’opposition parlementaire, sinon la contestation érigée en système, bardée d’immunités et de garanties, élevée à la dignité d’une véritable institution nationale?

Seulement, il ne s’agit pas alors d’une contestation gratuite, plus soucieuse d’évasion que de dialogue. Les partis d’opposition sont bien obligés de jouer leur rôle d’une manière responsable puisque leur but est de remplacer un jour le gouvernement et d’assumer par le fait même les devoirs de l’autorité.

De plus, s’il est essentiel en démocratie que la liberté d’expression soit garantie à tous, spécialement aux groupes minoritaires, il n’est pas moins essentiel que ce soit la majorité qui gouverne. Car si le petit nombre pouvait imposer sa volonté à l’ensemble des citoyens, nous ne serions plus en démocratie.

La contestation légitime et nécessaire, c’est donc celle qui protège la liberté, pas celle qui voudrait la détruire. Telles sont les règles du jeu, que les jeunes de ma génération acceptaient comme normales. Je ne veux pas dire que nous acceptions toutes les orthodoxies; ainsi que je le disais tout à l’heure, nous étions bien déterminés à changer la société; mais nous acceptions que pour parvenir un jour à l’exercice du pouvoir, une minorité doive d’abord devenir la majorité, c’est-à-dire faire accepter progressivement ses vues par l’opinion.

Et puisqu’on n’a jamais inventé, que je sache, de meilleur instrument que le parti politique pour créer ce consensus et assumer démocratiquement le pouvoir, il nous fallait, ou bien réformer les partis existants, ou bien en créer de nouveaux.

Je n’ai pas le goût de blâmer ceux qui ont choisi cette dernière voie, qui est probablement la plus difficile et la plus ingrate. S’il est vrai que les partis mineurs n’ont jamais remporté beaucoup de succès au Québec, leur action n’a pas été inutile pour autant. Très souvent, ce qu’il y avait de valable dans leur doctrine a fini par féconder les programmes des partis traditionnels. Il arrive ainsi que des idées politiques accèdent d’emblée au pouvoir, alors que ceux qui les ont conçues n’y parviennent jamais.

Quant aux hommes de ma génération qui ont choisi d’être des agents de démocratisation et de réforme à l’intérieur des partis existants, je suis d’autant plus à l’aise pour en parler qu’il y en a eu dans toutes les formations politiques. Ils n’ont peut-être pas réalisé la totalité de leurs ambitions, mais je suis convaincu que leur action a été et demeure efficace.

En certains milieux, il est de bon ton, semble-t-il, d’afficher une hautaine indifférence, quand ce n’est pas du mépris ou même quelque chose de pire, à l’égard de la politique et de ceux qui la font. Je me demande si cette attitude n’est pas un alibi trop commode pour ceux qui cherchent a éluder leurs responsabilités comme membres de la société politique.

Le député n’est pas d’une essence différente de ceux qui l’ont élu. Il a été choisi parmi eux, il est l’un d’eux puisque pour être éligible à une fonction politique il faut d’abord être électeur. On. doit même présumer que s’il a été accepté comme candidat par les militants de son propre parti, puis comme député par l’ensemble des citoyens de sa division électorale, c’est qu’il avait un certain nombre de qualités à mettre au service des siens.

De plus, il ne faut pas oublier que cet homme devra périodiquement solliciter un nouveau mandat, donc se soumettre à un nouvel examen. Ses actes, ses paroles, ses buts, ses motifs, tout cela sera alors analysé et disséqué publiquement, par des adversaires souvent impitoyables, devant une opinion de mieux en mieux informée et qui n’a pas coutume de pécher par excès d’indulgence. À celui qui triomphe d’une pareille épreuve, ne doit-on pas accorder au moins le bénéfice du préjugé favorable?

Quant à la politique elle-même, on ne saurait la tenir pour une activité méprisable a priori puisqu’elle est essentiellement l’art du bien commun. Prenons garde d’en éloigner, par des jugements globaux et trop souvent injustes, ceux-là mêmes qui pourraient et devraient y rendre les plus grands services.

Tout cela, j’en ai peur, doit ressembler passablement à un plaidoyer pro domo. Pourtant, si j’ai voulu profiter de l’occasion présente pour replacer la politique dans sa vraie perspective, c’est que les valeurs en jeu dépassent de beaucoup les personnes et les partis. Il s’agit de ces valeurs fondamentales entre toutes que sont la paix, l’ordre public, la justice sociale et la liberté.

Monsieur le recteur, ce doctorat que veut bien me décerner aujourd’hui l’Université de Montréal, je l’accepte avec joie comme un hommage à tous ceux qui participent à la gestion de notre patrimoine collectif et à l’édification de la Cité de demain.

[QBTRD19690616]

[MESSAGE DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION DE LA FET. NATIONALE, DES CANADIENS FRANCAIS 16 juin 1969]

Le 24 juin n’est pas seulement la fête d’un groupe linguistique. C’est la fête « nationale » des Canadiens français. Le terme ne serait pas depuis si longtemps consacré par l’usage s’il n’était l’expression d’une réalité profondément sentie et vécue. La langue est un aspect très important de cette réalité, mais elle est loin d’être le seul. S’y ajoutent bien d’autres traits imprimés par quatre siècles d’histoire et de vouloir-vivre commun en terre canadienne.

Puisque les Canadiens français se voient comme une société distincte, comme une véritable communauté nationale, ne doivent-ils pas en conséquence pratiquer une solidarité toujours plus étroite ? Sachons travailler ensemble et d’un seul coeur pour le plus grand bien de tous. Sachons oeuvrer les uns avec les autres et les uns pour les autres. C’est ainsi que se construisent les nations fortes et maîtresses de leur destin.

Cette solidarité nécessaire n’exclut aucunement d’ailleurs les rapports d’amitié qui nous lient aux autres groupes nationaux ou linguistiques. C’est mon voeu le plus fervent et celui du gouvernement de Québec que la célébration de cette fête nationale soit pour tous les Canadiens français le tremplin de nouveaux progrès.

[QBTRD19690604]

[Allocution de Jean-Jacques Bertrand, premier ministre du Québec à l’occasion de la signature d’un accord de cooperation en matière d’éducation et de culture entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de l’Ontario, le mercredi, 4 juin 1969 ]

Je suis heureux, au nom de tous ceux qui se trouvent ici et en mon nom personnel, de souhaiter la bien venue au Premier ministre de l’Ontario, l’honorable John Robarts, à ses deux collègues, les honorables Davis et Guindon, et aux fonctionnaires qui les accompagnent.

Nous sommes heureux de les accueillir parmi nous en cette journée que l’on peut qualifier d’historique. L’accord de coopération et d’échanges que l’Ontario et le Québec ont décidé de signer comporte une signification profonde. Non seulement est-il le premier du genre dans toute l’histoire du pays, mais sa portée est considérable. Il couvre de nombreux sujets que je n’ai pas l’intention d’énumérer ou de décrire. Ceux qui sont ici présents ont déjà eu l’occasion d’en prendre connaissance. Tous, j’en suis sûr, constateront que l’Ontario et le Québec veulent dorénavant systématiser, approfondir et multiplier les relations amicales qui, déjà depuis des années, avaient commencé à s’établir entre les deux provinces.

[By this agreement, we are in fact confirming two constant characteristics of our relationship: under standing and co-operation. neighbouring provinces is, Understanding, between two of course, relatively easy to achieve, but it runs the risk of being only superficial unless it is coupled with concrete co-operation. Through the agreement signed today, we want to reach both these aims in a still better way.]

Toutefois, par delà cet accord entre deux provinces,nous allons plus loin. Nous confirmons une autre chose, cependant moins évidente, mais tout autant nécessaire, je dirais essentielle: c’est l’accroissement de la coopération interprovinciale, ou si on aime mieux, de la coopération entre les états-membres de notre fédération. C’est pourquoi, dès hier, en ma qualité de président de la prochaine conférence des premiers ministres des provinces canadiennes, qui se tiendra à Québec au début d’août prochain, j’ai fait parvenir à mes collègues de toutes les autres provinces copie de cet accord. Je leur ai également suggéré que, lors de notre conférence, nous pourrions étudier de nouveau tout le problème de la coopération interprovinciale. J’ai aussi, hier également, transmis à titre d’information copie de notre accord au Premier ministre du Canada.

A l’heure actuelle, nous poursuivons au pays une révision constitutionnelle en profondeur. Je suis convaincu que les relations antre états-membres constitueront un des chapitres importants de la nouvelle constitution qui se dégagera au terme de nos travaux. Il est bon, dès aujourd’hui, de nous lancer officiellement dans cette voie. Je suis certain que nous présageons de la sorte un des aspects fondamentaux du Canada de demain. Et ce Canada de demain, l’honorable John Robarts en aura été un des architectes. Il a contribué, par, la conférence des provinces qu’il a convoquée à Toronto en novembre 1967, à lancer dans l’ensemble du public canadien ce mouvement devenu nécessaire d’une revision en profondeur de notre constitution actuelle. Je tiens à souligner que l’accord Ontario-Québec est la résultante des efforts et de la persévérance d’un nombre considérable de personnes, tant du côté québécois que du côté ontarien. Il en avait été question dès 1965. L’honorable Jean Lesage, et certains de ses collègues, y avaient accordé beaucoup d’attention. En 1966, d’un commun accord, les discours du Trône de l’Ontario et du Québec faisaient tous les deux état de ce projet. Ensuite, l’honorable Daniel Johnson s’en était préoccupé. Plusieurs de nos collègues également, en particulier le ministre des Affaires culturelles, l’honorable Jean-Noël Tremblay. Quant à moi, j’ai, bien sûr, toujours considéré que cet accord était nécessaire,et ce pour les raisons que j’ai esquissées il y a un instant.

[During all this period, the Honourable John Robarts and his colleagues have never ceased to pay very close attention to this question. Today we have reached the end of this whole process and I believe that we have every reason to be proud of it.]

Nous signons dans cette salle un accord qui est excellent non seulement en lui-même, sur le plan du symbole, mais qui l’est également sur le plan concret. Nous avons de part et d’autre annoncé un programme de bourses pour. étudiants ontariens et québécois. Déjà des mécanismes précis de liaison et un budget sont prévus. Il est entendu que la première réunion de la Commission permanente de coopération aura lieu en septembre à Toronto.

En somme, nous voulons que cet accord porte des fruits et nous prenons les moyens d’y arriver.

En terminant, je tiens à répéter ma satisfaction de constater que nous venons de franchir une étape importante de la collaboration entre l’Ontario et le Québec. Nous ouvrons ici la voie à d’autres développements du genre.

Je crois que tout cela est utile, non seulement pour l’Ontario et le Québec, mais aussi pour toutes les provinces,États-membres de la fédération, et pour le Canada de demain que nous voulons construire.

[QBTRD19690816]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND

PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION D’UNE-VISITE-AUX ILES- DE- LA-MADELEINE, SAMEDI, LE 16 AOUT 1969]

Si j’ai tenu à venir vous rencontrer avec plusieurs de mes collègues, et à m’enquérir sur place de vos besoins et de vos problèmes, c’est de toute évidence parce que le gouvernement veut vous aider. Personne n’est plus désireux que mes collaborateurs et moi-même de voir grandir la prospérité et le bien-être sur toute l’étendue du territoire québécois, y compris bien entendu les Îles-de-la-Madeleine. Nous formons une équipe qui a une conscience aiguë des réalités économiques et qui travaille très fort pour stimuler la croissance de nos diverses régions.

Il y a cependant une chose bien importante que je voudrais vous dire, pas seulement à vous qui m’écoutez en ce moment, mais à toute la population du Québec: c’est que le gouvernement ne peut pas vous aider sans votre participation. Et d’abord, qu’est-ce que c’est que le gouvernement?

Ce n’est pas une sorte de puissance tutélaire qui existerait en dehors de nous-mêmes et qui aurait la faculté de nous donner ce que nous n’avons pas. Le gouvernement, c’est vous et moi, c’est l’ensemble des citoyens, c’est le principe organisateur de la société à laquelle nous appartenons.

Il ne peut donc pas distribuer ce que nous ne produisons pas. Il ne peut pas être plus riche que la société dont il est une émanation. Ce qu’il donne aux uns, il faut qu’il le demande aux autres, c’est-à-dire à ceux qui travaillent, qui épargnent, qui investissent, qui créent des richesses.

En d’autres termes, le gouvernement ne peut pas remplacer l’initiative des individus ou des groupes de citoyens. Son rôle est plutôt d’éclairer la route, de parfaire notre équipement collectif, d’orienter et de stimuler au besoin les efforts de tous. Nous ne sommes pas opposés à des interventions plus directes de l’État quand le bien commun l’exige, pour empêcher par exemple que des abus ne -oient commis au détriment des membres les plus faibles de la société, ou encore pour suppléer aux insuffisances de l’entreprise privée. C’est sous le gouvernement actuel que Sidbec est enfin devenu une réalité et nous venons d’imprimer un nouvel essor à la Société Générale de Financement par une participation accrue du trésor public. Mais ce sont là des cas particuliers, que nos moyens ne nous permettraient pas de multiplier indéfiniment.

D’une façon générale, ce n’est pas l’État qui crée l’activité économique. La prospérité commune repose sur le travail productif des citoyens eux-mêmes. Et toute dépense publique, qu’elle soit faite pour l’organisation d’un nouveau service, pour le financement d’une mesure de bien-être ou pour toute autre fin, doit forcément se traduire par un prélèvement sur la production québécoise, les emprunts n’étant en définitive que des impôts à retardement.

Les multiples demandes qui parviennent chaque jour au gouvernement, c’est donc aux contribuables qu’elles s’adressent en réalité. Il serait bien agréable pour nous de toujours dire oui, mais nous avons le devoir de penser aux possibilités de l’économie québécoise, qui ne sont pas illimitées. Nous avons le devoir de penser à ceux qui payent des taxes et qui ont de bonnes raisons de penser qu’ils en payent assez. Que les individus sont déjà suffisamment taxés, tant par Ottawa et par Québec que par leurs administrations municipales et scolaires, je pense que tout le monde en tombera facilement d’accord. Mais il y en a qui font de la démagogie facile en disant ou en laissant entendre que nous pourrions alourdir à notre gré le fardeau des compagnies. Nous n’avons pas le droit d’oublier les conséquences économiques des impôts.

Au seul chapitre de l’impôt sur les corporations, fédéral et provincial, les entreprises commerciales et industrielles versent déjà au fisc 52 % de leurs revenus. Serait-il sage de leur demander encore plus, au moment ou il s’avère impérieux de stimuler l’économie du Québec et de favoriser son expansion industrielle?

Chacun sait ou devrait savoir qu’il faut, au contraire, leur accorder des dégrèvements fiscaux et des primes à l’investissement, surtout si on veut les encourager à s’établir dans les régions qui en ont le plus besoin. C’est ce que fait le gouvernement fédéral, avec sa politique de régions désignées. C’est ce que fait aussi le gouvernement du Québec, en ajoutant ses propres stimulants fiscaux à ceux qu’offre déjà Ottawa.

Malgré tout, il y a encore des industries qui nous échappent, des industries que nous espérions attirer au Québec et qui trouvent plus d’avantages à aller s’établir ailleurs. Et quels sont ceux qui nous en font les plus amers reproches? Ceux-là mêmes, bien souvent, qui nous reprochaient la veille de ne pas taxer davantage les compagnies.

Soyons sérieux. Le Québec a, bien sûr, ses difficultés et ses problèmes: qui n’en a pas? Mais si l’on veut être réaliste, il faut regarder l’ensemble du tableau. Nous avons un territoire qui est l’un des plus riches du monde en ressources de toute nature. Ce territoire est traversé de part en part par une voie maritime qui constitue la principale artère commerciale du continent nord-américain. Il est situé au carrefour de deux mondes, au confluent des deux cultures qui sont sans doute les plus fécondes de la civilisation occidentale. Et la mise en valeur des richesses qui s’y trouvent ne fait que débuter. Le Québec est par excellence une terre d’avenir, une terre d’expansion, une terre ou il reste énormément à créer, à inventer, à bâtir.

Comme question de fait, malgré des difficultés temporaires qu’il faut se garder de noircir à dessein, la progression économique du Québec a été rapide et constante tout au long de la dernière décennie. Le revenu et le niveau de vie de sa population ne cessent de s’accroître, ainsi que chacun peut s’en rendre compte.

S’il s’est trouvé des industries qui, pour des raisons qui les concernent, ont préféré s’établir ailleurs, il s’en est trouvé un bien plus grand nombre qui ont décidé de s’établir ou de s’agrandir au Québec. Saviez-vous que depuis le début de l’année 1969, il s’est investi au Québec plus de $ 1000000 par jour dans des installations ou des extensions d’usines qui augmentent notre capacité de production et nos disponibilités d’emplois?

Mais ce n’est pas encore suffisant. J’ai la ferme conviction que nous devons faire encore davantage et que nous pouvons le faire. Nous y arriverons toutefois à une condition: c’est que pas seulement le gouvernement, mais toute la population avec lui adoptent une attitude positive à l’égard du développement économique du Québec. Ce ne serait pas un bon moyen d’encourager les investissements que de créer un climat d’agitation et de violence, quand tout le monde sait que les détenteurs de capitaux recherchent à bon droit un climat de stabilité.

Ce ne serait pas un bon moyen de multiplier les industries et les emplois que de dénigrer systématiquement les industriels et les employeurs. Ce ne serait pas un bon moyen d’assurer la croissance de l’économie québécoise que de lui demander en profits, en salaires ou en revenus plus qu’elle ne peut raisonnablement donner dans les circonstances présentes. Ce ne serait pas un bon moyen de stimuler la productivité que de créer un courant de défaitisme en parlant toujours de nos carences et de nos difficultés, jamais de nos atouts et de nos réussites.

Malgré tous les alarmistes et les broyeurs de noir, les efforts concertés du gouvernement, de nos institutions coopératives et de nos sociétés commerciales et industrielles sont en train de porter à de nouveaux sommets les indices de notre développement économique. Que tous entrent résolument dans la ronde et il n’y a pas de limite aux progrès que nous pourrons réaliser ensemble, pour le plus grand avantage de chacun de nos 6000000 de citoyens.

[QBTRD19690823]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’INAUGURATION DE LA 58e EXPOSITION PROVINCIALE QUEBEC, LE 23 AOUT 1969]

Depuis deux ans, les autorités de la ville de Québec et celles de la Commission de l’exposition provinciale ont entrepris de moderniser la, formule de cette manifestation annuelle. La nouvelle appellation « Expo-Québec « , à la fois jeune et dynamique, témoigne du désir de rajeunir le visage de cette exposition et cadre bien avec le regain de vitalité enregistrée un peu partout sur le territoire du Québec métropolitain depuis quelques années. Pour cette réalisation audacieuse, Monsieur le Maire, je suis heureux de vous en féliciter et vous souhaiter tout le succès espéré. Cette année, Expo-Québec nous permet une fois de plus d’informer la population de la région métropolitaine des nombreuses réalisations gouvernementales et des grands projets en voie d’exécution qui permettront à la ville de Québec d’accéder au statut de « grande capitale », et de conserver son charme, ses attraits et ses caractéristiques qui en font un lieu unique en Amérique. Des dizaines et des dizaines de millions de dollars sont présentement investis dans divers secteurs de l’activité économique de la région de Québec.

Je n’en veux comme exemples, la participation du gouvernement du Québec à l’érection d’un campus universitaire moderne; sa participation à l’aménagement d’une colline parlementaire qui deviendra un actif dynamique pour la capitale lorsque les complexes G, H, et la réfection du Palais de Justice auront été terminés; sa participation a la préservation du cachet historique et touristique du « Vieux Québec » et je fais allusion ici au projet de la Place Royale; sa participation à la construction du Grand Théâtre, un atout essentiel au développement d’une vie culturelle digne de notre capitale; sa participation dans le secteur non moins vital des affaires municipales grâce aux projets d’une régie de transport en commun et de communauté urbaine; enfin, sa participation à l’expansion industrielle dans toute la région métropolitaine.

Ce ne sont pas là des promesses mais des réalisations tangibles, de sorte que la participation du gouvernement du Québec à cette exposition lu_ semble tout à fait légitime. Elles cadrent admirablement bien avec les buts poursuivis par les responsables d’Expo-Québec, c’est-à-dire le dynamisme et le progrès.

Expo-Québec affiche cette année un thème qui ne laisse personne indifférent en ce siècle ou chacun recherche une plus grande liberté de mouvement.

« Québec, ses routes ’69, ’79, ’89 », voilà le grand thème qui sera traité en détail au Salon de la Voirie que vous pourrez voir au pavillon de l’Industrie. Vous y trouverez une information intéressante concernant nos études économiques, sociologiques et routières. Vous verrez également les travaux que nous effectuons chez vous présentement de même qu’une projection de ce que sera l’équipement routier de la Capitale dans vingt ans.

Je veux souligner en particulier la grande maquette du centre-ville de Québec qui reproduit d’une façon saisissante l’aspect que prendra notre Capitale d’ici 1979, d’ici 1989. Bien sûr,, c’est une extrapolation. Mais elle correspond cependant à l’objectif recherché par le présent gouvernement qui veut doter la région de Québec d’une infrastructure routière moderne et fonctionnelle entraînant dans son sillon progrès et dynamisme.

Pour terminer entièrement ce grand plan directeur et les réajustements nécessaires périodiquement, on prévoit qu’il faudra investir de $ 350 à $ 400000000 d’ici les prochains 20 ans. Dans l’immédiat, afin de donner à la région de Québec cet élan dont elle a tant besoin pour devenir un pôle d’attraction pour tout l’Est du Québec, le gouvernement se propose, selon une planification quinquennale allant de 1969 à 1974, d’investir plus de $ 100000000 dans l’implantation graduelle d’autoroutes de pénétration et de dégagement sur tout le territoire de la région de Québec.

Quant au grave problème du stationnement dans le centre-ville, je suis en mesure de vous annoncer aujourd’hui la construction d’un vaste terrain de stationnement souterrain, à étages, b proximité de l’Hôtel du Gouvernement, au coût d’environ $ 5000000. Il sera situé au sud du Carré d’Youville, dans le quadrilatère formé par le Palais Montcalm, la rue Dufferin, l’immeuble des fonctionnaires et les Murs. Il pourra accommoder au moins 1500 voitures. Les travaux d’excavation devraient commencer dans moins de trois mois. Ce projet a été préparé en collaboration avec les autorités municipales, en tenant compte, bien sûr, des besoins du gouvernement mais aussi des besoins du tourisme et du monde des affaires de la ville de Québec.

Ainsi, les grands travaux publics complétés dernièrement, ceux en cours et ceux projetés dans l’immédiat témoignent de la volonté du gouvernement du Québec d’être un initiateur au développement socio-économique de la région de la capitale et non pas seulement un observateur passif. Expo-Québec 1969 veut présenter un nouveau visage, un visage correspondant au dynamisme de la population de cette région. Je m’en réjouis et je souhaite à ses initiateurs d’atteindre leurs objectifs.

[QBTRD19690831]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION DU CENTENAIRE DE LA VILLE DE RICHELIEU RICHELIEU, LE 31 AOUT 1969]

Le nom même de Richelieu, en plus d’évoquer pour nous la ville française à laquelle votre ville centenaire s’unit aujourd’hui, nous rappelle aussi l’illustre personnage dont le souvenir est lié à une époque de notre histoire en même temps qu’a la création de l’Académie française, née du souci de conserver la pureté de notre langue.

Cette préoccupation du français, nous l’avons également. Au Québec, le combat pour le maintien et l’affirmation du français se confond, à vrai dire, avec la lutte pour la vie. Ici, la langue française, c’est plus qu’un moyen de communication; c’est un facteur de solidarité, c’est un signe de dignité, c’est une condition d’épanouissement national et humain.

Privée de ce facteur d’unité morale que constitue la langue française, notre population perdrait sa cohésion, verrait s’affaiblir ses réflexes collectifs et se dissoudrait dans l’assimilation. Tout ce qui, chez les Québécois francophones, contribue à altérer l’usage, la qualité et le prestige du français exerce un effet direct sur la solidité de leurs positions en tant que groupe national. Ce n’est qu’en français qu’ils peuvent vivre.

Longtemps, les circonstances ont voulu que la préservation de la langue et des valeurs dont elle est l’expression tienne, dans une bonne mesure, à la lenteur relative avec laquelle les courants d’idées et de vie extérieures pénétraient la masse de la société québécoise. Aujourd’hui, ce demi isolement n’est plus possible; le serait-il, du reste que tous le rejetteraient: il précipiterait le sous-développement.

Au moment où l’information, les idées, les conquêtes scientifiques et culturelles font le tour du monde à la vitesse de la lumière, le, salut ne saurait être dans le repliement, mais dans l’aménagement rationnel de relations culturelles, scientifiques et techniques propres à nous faire vivre à l’heure de notre siècle.

C’est pourquoi, d’ailleurs, il est si important que le Québec multiplie ses contacts avec la francophonie. Mais encore faut-il, dans cette perspective, que le français ne s’y dégrade pas au point de tomber au rang d’un parler régional.

C’est dire que, chez nous, la vitalité du français est l’indice de notre vigueur collective. Il importe donc au plus haut point de connaître la situation exacte de la langue française au Québec ainsi que les mesures propres à en assurer l’épanouissement. C’est ce dont nous avons chargé, en décembre dernier, une commission d’enquête de cinq membres présidée par le professeur Jean-Denis Gendron.

Le Gouvernement veut savoir avec toute la précision possible quelles sont la place, l’importance et la qualité du français dans le monde du travail, à l’ école qui y prépare, dans l’administration, dans le commerce, la finance, l’industrie, partout. Il veut des faits et des analyses qui rendent compte des faits.

Il a aussi demandé à la même commission une étude approfondie des droits linguistiques des Québécois, tant de langue anglaise que française.

Il a enfin confié à cette commission la tâche de lui présenter des recommandations propres à favoriser l’épanouissement de la langue de la majorité et la préservation des droits de la minorité.

La Commission Gendron est maintenant au travail. Elle a élaboré le plan de ses recherches et dressé le calendrier de son activité. Un certain nombre de groupements ont déjà répondu à son appel en lui adressant des mémoires et en demandant à comparaître devant elle. Elle a commencé à dépouiller une documentation destinée à s’accroître considérablement. Elle entendra tous ceux qui ont le sentiment d’avoir une contribution à apporter à la définition et à la solution de nos problèmes linguistiques. Elle tiendra ses premières audiences publiques dès le mois prochain.

En attendant, désireuse de se rendre compte par elle-même de la façon concrète dont la question linguistique se pose dans divers milieux géographiques, elle a entrepris en Abitibi, au début du présent mois, une visite régionale qui sera suivie de plusieurs .autres dans différentes parties de notre territoire.

Quant au Gouvernement, il est pénétré de la nécessité d’associer, par l’intermédiaire de cette commission, tous les Québécois qui le désireront au travail nécessairement collectif que suppose l’examen approfondi d’une situation qui met en cause les valeurs auxquelles nous sommes le plus fortement attachés.

C’est pourquoi il a procuré et continuera à procurer à la commission qu’il a constituée tous les moyens nécessaires à l’exécution de son mandat, persuadé que, de son coté, celle-ci utilisera avec le maximum d’efficacité le temps et les ressources dont elle disposera. Lorsqu’il recevra les recommandations qu’il attend, il prendra ses responsabilités.

Est-il besoin de préciser qu’il entend les prendre dans un sens positif?

Avec toute la population, je crois possible qu’un jour, le visage du Québec soit effectivement celui de sa culture, aussi bien dans les grandes agglomérations urbaines que dans les campagnes.

Je crois possible qu’au Québec la majorité puisse gagner sa vie dans sa langue, bénéficier de promotions sans pour autant devoir adopter une autre langue de travail, obtenir naturellement des services dans sa langue,. en un mot, vivre en français et voir le français partout respecté.

Je crois possible qu’assurés, eux aussi, du respect de leurs droits linguistiques, les anglophones prennent de plus en plus conscience, avec un réalisme croissant, de leur appartenance au Québec: car si le Québec appartient à tous les Québécois, tous les Québécois appartiennent au Québec.

Je crois possible que les immigrants et les Néo-Québécois ne soient plus amenés par des impératifs économiques et autres à s’intégrer en majorité à une minorité et que, n’ayant aucun motif de voir en eux des éléments qui n’alourdissent qu’un seul plateau de la balance démographique, la majorité les accueille comme ils doivent être accueillis, c’est-à-dire avec confiance, avec joie, avec empressement et avec fierté.

En un mot, je crois possible que tous les Québécois travaillent ensemble, dans la solidarité et la dignité, sans renoncer à eux-mêmes et sans diminuer personne, à édifier une société généreuse, à édifier un Nouveau Québec dont l’avenir leur sera reconnaissant. L’important pour les Canadiens français du Québec, ce n’est pas de pouvoir, individuellement, parler leur langue même dans les régions du pays oh elle a très peu de chances d’être comprise; c’est de pouvoir collectivement vivre en français, travailler en français, se construire une société qui leur ressemble; c’est de pouvoir organiser leur vie communautaire en fonction de leur culture. Sans le Québec, il pourrait y avoir encore des minorités françaises, mais il n’y aurait plus vraiment de Canada français.

[QBTRD19690901]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION DES FETES EN L’HONNEUR DE L’HONORABLE MAURICE BELLEMARE CAP-DE-LA-MADELEINE LE LUNDI, ler SEPTEMBRE 1969]

Quand Maurice Bellemare a été élu pour la première fois député de Champlain, en août 1944, le monde sortait d’une période de guerre qui avait elle-même suivi une longue crise économique. Le budget total du Québec dépassait à peine les cent millions de dollars. La part de l’éducation se situait autour de $ 25000000. On ne peut donc pas dire que ceux qui commençaient leur carrière à ce moment-là avaient été gâtés par la vie et par les générations précédentes. Ils ne songeaient pas à se plaindre de la société de consommation. C’était plutôt à une société de privation et de rationnement qu’ils étaient habitués.

Je ne sache pas que Maurice Bellemare se soit jamais promené avec des pancartes, et encore moins avec des pétards; pour « sensibiliser l’opinion » aux malheurs de son temps. Il s’est frayé un chemin dans la vie par la force de ses poignets et la vigueur de son intelligence, c’est-à-dire en travaillant. En travaillant pas seulement pour lui, mais surtout pour les autres. Et c’est un rapprochement heureux, qui ne doit pas être uniquement l’effet du hasard, qui confond ce 25e anniversaire avec la Fête du Travail. En tout cas, ce n’est sûrement pas le hasard qui a fait du député de Champlain notre ministre du Travail et de la Main-d’oeuvre, en même temps que le leader du gouvernement a l’Assemblée nationale dont il est le doyen.

Pendant un quart de siècle, cet homme s’est dépensé sans compter pour qu’il puisse y avoir chez nous plais d’activité économique, plus d’emplois, plus de production et partant plus de richesses à distribuer, plus de prospérité et plus de bien-être pour tous. Le beau comté de Champlain en a évidemment profité, la Mauricie en a profité, tout le Québec en a profité.

Il va sans dire que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas les derniers à bénéficier de tous ces progrès, qui nous permettent de consacrer maintenant près d’un milliard par année à l’éducation, au lieu des $ 25000000 d’il y a un quart de siècle. Voici donc un homme qui a donné à la société beaucoup plus qu’il n’en a reçu. Telle a été sa façon à lui de valoriser la fonction de l’homme public et je doute fort qu’il puisse y en avoir une meilleure.

La vraie mesure d’un homme, c’est en effet sa capacité de donner, sa volonté de servir, son aptitude à se mettre à la disposition des autres. Je suis bien content qu’au-dessus de toute considération partisane, on soit aujourd’hui unanime à reconnaître la valeur et les mérites exceptionnels de mon collègue et ami le député de Champlain.

Il se dit et s’écrit beaucoup de choses méchantes au sujet des hommes politiques. Généralement, ces calomnies viennent de gens qui ne peuvent pas accepter le défi de la démocratie, soit parce qu’ils se sentent incapables de faire partager leurs idées par une majorité de leurs compatriotes, soit parce qu’ils n’ont pas la générosité voulue pour se plier aux exigences et aux servitudes de la vie publique.

C’est qu’il est beaucoup plus facile de contester que de participer. Je dirais même que l’on conteste d’autant plus fort que l’on participe moins. Ceux qui acceptent de mettre la main à la pâte, de « se mouiller », de se compromettre, perdent fatalement le goût de la critique négative à mesure qu’ils acquièrent une connaissance directe des problèmes. L’engagement dans l’action, voiles l’antidote du verbalisme.

Monsieur Bellemare, lui, n’a jamais eu peur de jouer le jeu de la démocratie. Il est de ceux qui ne craignent pas de participer, de s’engager corps et âme dans l’action politique. Je voudrais que son exemple fût largement suivi. Car ce n’est pas vrai que la politique soit une chose méprisable. Elle est l’une des formes les plus hautes de l’activité humaine puisqu’elle est l’art du bien commun.

La gestion de notre patrimoine collectif, l’avenir même de la communauté québécoise en dépendent. C’est donc la carrière par excellence, vers laquelle devraient s’orienter les membres les mieux doués et les plus compétents de notre société; et il ne faudrait pas qu’à force de dire systématiquement du mal de ceux qui font de la politique, on contribue à en éloigner ceux qui devraient en faire.

L’exemple de celui que nous fêtons aujourd’hui montre heureusement qu’un homme peut affronter sans crainte le feu de la critique quand son intégrité et sa loyauté sont au-dessus de tout soupçon.

Dans sept élections consécutives, il s’en est remis, comme un livre ouvert, au jugement de ses concitoyens. Chaque fois, ceux qui le connaissent bien pour l’avoir vu quotidiennement à l’oeuvre au milieu d’eux lui ont donné ou renouvelé le mandat de les représenter à l’Assemblée nationale. N’est-ce pas le plus beau témoignage qu’il soit possible de rendre à un homme politique?

Puisse sa santé être égale à son courage et lui permettre de rester encore longtemps au service de sa ville, de son comté, de sa région et de tout le Québec.

[QBTRD19690903]

[NOTES POUR UNE CAUSERIE DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION DE LA REMISE DES DECORATIONS DU MERITE AGRICOLE ET DE L’ORDRE DES DEFRICHEURS QUEBEC, LE MERCREDI, 3 SEPTEMBRE 1969]

Je tiens d’abord à féliciter très chaleureusement les nouveaux lauréats de l’Ordre du Mérite agricole. Ils sont la preuve vivante que de grands progrès et de grandes réussites restent possibles, dans le domaine de l’agriculture comme dans tous les autres. En fait, je ne pense pas qu’il y ait, dans l’économie contemporaine, de secteur qui évolue plus rapidement que celui de l’agriculture. Au Québec comme partout ailleurs, cette évolution vertigineuse n’est pas sans causer de nombreux problèmes.

J’invite tous les organismes voués au mieux-être des cultivateurs à coopérer avec leur gouvernement prouvons pas la critique, qui peut être un élément créateur dans la recherche de voies nouvelles; mais si l’on veut résoudre vraiment les problèmes au lieu de les compliquer, il faut, dans l’intérêt même des agriculteurs, que cette critique demeure positive.

Le gouvernement actuel, à la suite de consultations avec les intéressés, a opté pour ce qu’il croit être une politique d’avenir, une politique qui s’inscrit dans le concept d’un Québec nouveau, sans délaisser pour autant les mesures d’urgence qui continuent de s’imposer pour faire face a des situations transitoires.

Pour accélérer la marche vers la rentabilité pour toutes les exploitations agricoles commerciales du Québec, et pour encourager et faciliter l’établissement des jeunes, le gouvernement a procédé à une refonte complète de la législation concernant le crédit agricole. Quatre projets de loi ont déjà été adoptés et un cinquième, la Loi favorisant la mise en valeur des exploitations agricoles, a été référé pour étude à la Commission de l’agriculture de l’Assemblée nationale. Les détails de cette législation vous sont familiers et je n’ai pas à insister. Je veux cependant préciser que cette- amorce de réforme ne constitue qu’une base au dialogue qui est déjà engagé avec les autorités fédérales dans le but de simplifier les opérations des divers organismes de crédit agricole qui opèrent au Québec.

Pour assurer une protection adéquate aux investissements démesurés que doit consentir l’agriculteur, et pour garantir à celui-ci un revenu stable, le gouvernement a institué un système d’assurance-récolte. En attendant l’introduction d’un projet d’assurance-bétail, dont les modalités d’application font couramment l’objet d’études spéciales, une mesure d’assistance protège l’agriculteur contre la perte accidentelle du bétail de ferme.

Une politique de décentralisation administrative qui s’est traduite par l’organisation de douze bureaux régionaux, comprenant des équipes de spécialistes qui oeuvrent auprès des producteurs, a permis de concentrer l’action du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation sur la gestion des exploitations. Grâce à la formation de multiples cercles de gestion, sous la surveillance de chefs d’équipe, les agriculteurs apprennent de plus en plus à prendre leurs affaires en main et à en suivre de près l’évolution.

Cette décentralisation administrative, que nos voisins a l’ouest se sont empressés d’imiter et qui suscite l’intérêt de plusieurs pays étrangers, dont l’Espagne et la Belgique, permet déjà d’accumuler à Québec des données statistiques et des renseignements pratiques dont la carence s’est toujours fait lamentablement sentir, non seulement dans l’agriculture québécoise mais dans l’agriculture du Canada tout entier.

Il est évident que dans le domaine de l’information ce n’est qu’un commencement. Vous comprendrez facilement que l’instauration d’un système adéquat de renseignements techniques aux producteurs agricoles suppose diverses étapes que le gouvernement s’applique à franchir dans le plus bref délai possible.

La recherche scientifique conçue en fonction des problèmes du Québec constitue une de ces étapes. Le complexe scientifique actuellement en construction à Sainte-Foy servira, je l’espère, à combler cette lacune.

Mais il faut encore que les résultats de cette recherche soient transmis de façon compréhensible aux producteurs individuels. Or l’existence de structures physiques, de pôles de diffusion, n’élimine pas la nécessité d’un personnel qualifié, de spécialistes dont la formation représente une autre étape que l’on ne franchit pas malheureusement à l’aide d’un projet de loi ou d’une mesure d’assistance.

Les solutions ne se présentent pas toujours avec autant de clarté et de précision dans le domaine de la commercialisation ou mise en marché. C’est dans ce domaine, précisément, que nous devrons chercher ensemble les solutions en ne perdant jamais de vue certaines données de base que ni les institutions agricoles ni le gouvernement ne peuvent seuls influencer.

Il convient de rappeler que la commercialisation des produits agricoles constitue un domaine de responsabilité conjointe ou le Québec ne peut- pas agir- seul. Nous dépendons dans une large mesure de décisions prises par le gouvernement fédéral et même par le gouvernement américain et certains organismes internationaux.

Je ne voudrais pas terminer ce bref exposé sans aborder le problème qui est peut-être le plus difficile de tous, celui de l’aménagement de nos régions défavorisées. Il s’est fait au cours des dernières années de nombreuses études qui ont abouti à un plan d’aménagement du territoire du bas Saint-Laurent.

Il semble que certaines personnes, pas toutes des producteurs agricoles, ne soient pas entièrement satisfaites de la façon dont le gouvernement a procédé à la mise en oeuvre de ce projet d’envergure. Là encore, il faut rappeler certaines données de base. Pour mettre en oeuvre de façon intégrale les recommandations du groupe d’étude, il est indispensable de trouver de nouvelles occupations pour le surplus de main-d’oeuvre agricole qui existe dans cette région, afin de pouvoir venir en aide à ceux qui sont en mesure de se consacrer entièrement à l’exploitation agricole et d’en retirer un revenu convenable.

Aussi longtemps que cette main-d’oeuvre n’aura pas été adéquatement entraînée à d’autres tâches et absorbée par d’autres industries de la région ou d’ailleurs, le réaménagement agricole envisagé par les auteurs du plan ne pourra pas se réaliser entièrement.

C’est pourquoi le gouvernement s’est empressé de mettre sur pied des structures telles que l’ODEQ et l’Office de Planification, dont la première tâche sera de .s’attaquer de front à ce problème, d’envergure provinciale, bien sûr, mais qui présente des urgences plus particulières pour certaines régions.

De nouveau, je fais appel à la collaboration de tous. Je vous invite à construire avec nous le Nouveau Québec. En cherchant ensemble, en tentant certaines expériences ensemble, et en faisant peut-être des erreurs ensemble, nous arriverons sans doute à nous rapprocher du but que s’est proposé monsieur Clément Vincent lorsqu’il a assumé les fonctions de ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, celui de rendre l’agriculture rentable pour le plus grand nombre possible de vrais agriculteurs.

[QBTRD19690910]

[ALLOCUTION DE BIENVENUE DE M. JEAN-JACQUES BE TRAND AUX DELEGUES DE L’I. D. E. F. À L’OCCASION D’UN DINER OFFERT PAR LE CONSEIL EXECUTIF DU QUEBEC LE MERCREDI, 10 SEPTEMBRE 1969 ]

Monsieur le Président,

Messieurs les ministres de la Justice,

Mesdames et messieurs de l’Institut International de droit d’expression française,

Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue dans cette ville de Québec qui est depuis plus de trois siècles et demi et qui entend bien demeurer le coeur du Canada français. Ainsi que vous avez pu le constater, Québec est une ville en pleine transformation, en plein devenir. De vastes quartiers ont été démolis pour faire place à des voies rapides et à de nouveaux complexes administratifs, commerciaux ou résidentiels,

Dans tous ces travaux, nous essayons de concilier le respect du passé avec les exigences de la vie contemporaine. La vieille cité de Champlain veut être fidèle à son héritage. Elle veut rester la plus française des villes de ce continent. D’autre part, elle ne doit pas craindre de faire appel aux conceptions les plus audacieuses de la science et de la technique pour remplir efficacement son rôle comme capitale d’un État de l’Amérique du Nord en cette seconde moitié du vingtième siècle. Et ce n’est pas toujours facile, il faut bien l’admettre, de rassembler ainsi en une synthèse harmonieuse les valeurs anciennes et les valeurs nouvelles.

Ce qui est difficile sur le plan de l’architecture et de l’urbanisme ne l’est pas moins, il va sans dire, sur le plan du droit. Au Québec, nous avons toujours considéré notre droit français comme l’un des éléments les plus précieux de notre héritage culturel. Il est, avec la langue, l’un des traits essentiels de notre personnalité collective et nous ne saurions y renoncer sans cesser d’être nous-mêmes.

D’autre part, le droit est, comme la langue encore, une matière vivante; il se modifie forcément avec les rapports sociaux qu’il a mission d’ordonner. Il doit donc évoluer pour survivre. D’où le problème qui se pose à nous comme il se pose sans doute aux autres communautés francophones: comment adapter notre droit français aux réalités nouvelles, sans du même coup le vider de sa substance, de sa richesse, de son génie propre.

Nous sommes persuadés que les rencontres et les discussions inaugurées il y a déjà cinq ans par l’Institut International de Droit d’Expression française nous aideront à résoudre cette difficile équation. Sans compter qu’on y trouve également une autre manifestation tangible de l’amitié et de la solidarité qui unissent les peuples francophones du monde.

Je tiens à vous dire aussi combien nous sommes touchés par la présence ici de l’illustre président de votre Institut, M. René Cassin. Parce qu’il est à la fois un très grand juriste et un prix Nobel de la paix, il est en quelque sorte la démonstration vivante des rapports extrêmement intimes qui existent entre le droit et l’édification d’une paix véritable.

La tenue au Canada de ce quatrième congrès de l’IDEF va nous encourager à poursuivre avec un élan nouveau et des lumières nouvelles la révision en profondeur de nos principales institutions juridiques. Depuis quelques années déjà, nous avons entrepris de repenser notre droit civil en fonction des besoins particuliers de notre temps et de notre milieu. De plus, une commission d’enquête sur l’administration de la justice en matière pénale et criminelle est à compléter son rapport final après deux années d’études et de consultations.

Dans une de ses lettres ouvertes à la Justice, Me Maurice Garçon écrivait ceci: [« Madame, il n’est question depuis quelque temps que de votre santé. Les bulletins qu’on publie à votre propos sont bien inquiétants. On repère communément que vous avez tant vieillie et que vous êtes si branlante, qu’a grand peine vous vous tenez encore debout. Déjà on parle de vous au passé, comme si vous étiez défunte et les mieux intentionnés ne cherchent que le moyen de vous faire subir une cure de rajeunissement ».]

Comme vous pouvez vous en rendre compte, ces préoccupations qu’exprimait avec sa verve coutumière, et sous une forme un peu caricaturale, Me Maurice Garçon sont assez voisines de celles qui ont cours au Québec. Nous aussi, nous procédons aux révisions déchirantes que nous impose l’évolution rapide de notre société. Nous aussi, nous sommes à la recherche d’un difficile équilibre entre l’autorité et la liberté, entre les droits de la collectivité et ceux des citoyens. Nous aussi, nous voulons que la justice soit plus humaine et plus accessible.

Il est extrêmement heureux que nous puissions, grâce à votre Institut, comparer nos expériences et travailler ensemble à la solution de problèmes qui, d’un pays francophone à l’autre, ne se posent pas d’une façon tellement différente.

Je vous souhaite donc le plus retentissant succès dans vos travaux. Puissiez-vous prolonger suffisamment votre séjour parmi nous pour voir le Québec et sa capitale dans leur parure d’automne, ce qui vous donnera sans aucun doute le goût d’y revenir souvent.

[QBTRD19690920]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CONGRES DES HEBDOS DU CANADABEAUPORT, LE SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1969 ]

Le journal régional a sur le quotidien certains avantages indiscutables, qui n’entament en rien cependant le rayonnement également indiscutable de la grande presse. Vos hebdos bénéficient, par exemple, d’un certain recul sur les événements, recul de courte portée, il est vrai, mais qui vous permet pourtant de traiter les faits survenus dans votre milieu selon une optique à la fois plus précise et plus large: vous pouvez en rendre compte d’une façon plus complète tout en en poussant l’analyse à votre gré.

De plus, parce que votre champ d’information recouvre une aire géographique moins vaste que le quotidien, il vous est loisible de consacrer à ce qui se fait ou ce qui se dit sur votre territoire une attention plus soutenue, un espace plus généreux, de sorte qu’il vous est beaucoup plus facile de faire de vos publications le miroir fidèle de votre coin de pays que ce ne l’est aux quotidiens qui doivent forcément survoler une surface humaine beaucoup plus vaste.

C’est précisément ce qui confère à votre journalisme un impact très particulier sur le secteur de population que vous servez. Plus la nouvelle en effet nous touche de prés, que ce soit par son incidence familiale, territoriale ou communautaire, plus son intérêt mord sur les individus ou les groupes. Entre une lettre qui lui vient de sa famille et le journal de son quartier, de sa petite ville où de sa région, le citoyen ouvrira d’abord la lettre; pour la même raison, il est à prévoir qu’avant de déplier les 56 pages de son quotidien, il feuillettera d’abord l’hebdo qui lui parlera de son milieu immédiat.

Cette réaction spontanée explique sans doute dans une large mesure le fait souventefois rappelé qu’en France, par exemple, les journaux de province influent davantage sur le public que les grands journaux parisiens. Il se crée en somme autour de l’hebdo régional un phénomène normal de polarisation, de la même façon que la petite ville où il est le plus souvent situé draine naturellement vers ses industries, ses commerces, ses institutions, ses foyers de culture et de loisir une large fraction de la population rurale périphérique.

Vos publications constituent donc dans les limites de leur rayonnement ce « ferment de vie générale » par quoi Vidal de la Blache définit le destin de la petite agglomération urbaine; votre rôle auprès de votre public, c’est celui que Michel Bertrand reconnaît à la petite capitale d’une région, celui « d’animatrice de la vie collective dont elle englobe tous les aspects ». Des animateurs de la vie collective. Voilà bien comment vos périodiques peuvent se définir en plus de demeurer l’écho imprimé de cette activité communautaire. En un temps ou la région prend de plus en plus d’importance dans les plans d’aménagement du territoire; où la région découpe à la fois la carte économique et scolaire du Québec, l’exercice de votre profession dépasse donc largement le cycle traditionnel de la collecte et de la diffusion de la nouvelle pour accéder à une dimension plus proprement civique: la promotion d’initiatives progressives, la lutte contre les mentalités ou les traditions rétrogrades, l’épaulement des plans de rénovation urbaine ou de développement rural.

Un écueil vous guette comme il guette tous les artisans d’un nouveau Québec oeuvrant dans un rayon géographique limité: l’écueil du chauvinisme, stérilisateur par excellence des enthousiasmes constructifs, éternel obstacle au regroupement des forces à l’échelle régionale.

Dresser une région contre l’autre, entretenir la rivalité de deux villes n’améliorent en rien le sort de l’une et de l’autre. Combien de projets, d’innovations susceptibles d’activer l’économie, le bien-être, la vie intellectuelle d’une population donnée ont été contrecarrés, retardés, bloqués, par l’esprit de clocher. Comme vous mériteriez magnifiquement de votre coin de terre si, dans certains litiges de localisation, par exemple, vous puissiez contribuer au triomphe du bien général sur le bien particulier, de l’intérêt régional sur l’intérêt local, et ce, même si momentanément la popularité de votre journal devait en souffrir !

Car si l’information présuppose avant tout un choix entre ce qui mérite la publication et ce qui ne la mérite pas, elle implique également, au plan de l’engagement communautaire, un choix entre maints intérêts souvent concurrents. C’est la qualité même de ces options qui définit la qualité de votre activité journalistique.

Cette règle vaut aussi pour le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger puisque, ainsi que vous avez pu le constater au cours des dernières années, le Québec est entré de plein pied dans le vaste domaine des communications. Désireux de mieux renseigner la population sur les différentes législations adoptées par le parlement et sur les diverses politiques établies par l’administration provinciale, le Québec s’est donné, entre autres, un Office de publicité qui fournit à la presse écrite et parlée une abondante documentation sur le travail des ministères.

À cet Office incombe donc aussi ce devoir d’objectivité que je viens d’évoquer et veuillez être assurés que comme premier ministre, et à ce titre responsable de cet Office devant l’Assemblée Nationale, je mettrai tout en oeuvre pour que cet organisme de service public r;e devienne pas le trompettiste du régime en place mais soit et demeure le vulgarisateur intègre de l’actualité gouvernementale.

Pour que l’exercice de la démocratie ne se réduise pas à un pèlerinage aux urnes tous les quatre ou cinq ans, mais se concrétise dans une réalité de tous les jours, il importe en effet que le devoir d’information de l’État se transforme en un pouvoir régulièrement exercé, en conformité du droit fondamental du citoyen à la vérité.

Or, ainsi que le souligne le sociologue J. Rovan, ce pouvoir d’information « reçoit une promotion sans précédent dans la mesure où fonctionnaires et administrateurs, techniciens et spécialistes comprennent que l’intérêt commun, celui de leur service et de leur oeuvre exigent également que leurs préoccupations se traduisent constamment dans une action de diffusion, d’information, d’éducation de leur public ».

On a d’ailleurs à cet égard remarqué avec justesse que les deux administrations qui, au début de la présente décennie, ont influé le plus sur la vie des Français ont été précisément celles qui se sont le mieux acquittées de cette fonction explicative, soit le Commissariat au Plan et la Compagnie d’irrigation du Bas-Rhône-Languedoc. Mais une presse ne peut aspirer à l’objectivité dans ses choix si des déterminismes intérieurs ou extérieurs viennent entraver la spontanéité de ces options. C’est pourquoi vous avons institué une Commission parlementaire relative aux problèmes de la liberté de presse. S’il est un droit à l’information, il est un droit corollaire, le droit a l’expression, moins absolu que le premier, il est vrai,, plus limité mais réel et très exigeant dans son exercice. L’auteur précité justifiait le souci que nous entretenons d’une information directe, non dirigée, quant il rappelait que [« la démocratie n’a pas seulement besoin de lois garantissant à chacun selon ses moyens l’accès théorique aux informations; elle a besoin d’institutions qui empêchent la création de monopoles particuliers, l’emprise d’intérêts et d’influences particulières sur les instruments de diffusion de l’information ».]

Une politique fédérale récente m’incite à formuler ici un postulat qui, en d’autres circonstances, vous paraîtrait ridiculement élémentaire: il est un droit préalable à la liberté de la presse et c’est tout simplement le droit à la vie de la presse. Vous me permettrez à ce sujet de vous dire mon effarement, et celui de tous mes collègues du cabinet, devant le nombre alarmant de périodiques hebdomadaires ou mensuels de langue française au Québec qui ont dû, ces derniers mois, mettre un « 30 » final à leur parution, par suite de la hausse exorbitante des droits de distribution postale. Quand on voit tant de publications, vouées à l’information générale ou spécialisée, tomber comme des mouches, on en vient spontanément à se demander où est la différence entre mettre un cadenas à la porte d’un journal, comme cela se pratique en pays totalitaires, et tuer- financièrement une publication par des tarifs d »‘affranchissement ».

Nous sommes entrés plus avant encore dans le champ des communications en mettant en ondes cette Radio-Québec dont la loi constitutive dormait dans nos statuts depuis près d’un quart de siècle.

Ce faisant, nous avons non seulement incarné dans les faits le principe de la compétence du Québec en matière de diffusion éducative mais nous nous sommes donné un instrument du vingtième siècle, dans un domaine essentiel, celui de l’enseignement et de la culture.

C’est l’un des moyens que nous avons pris pour occuper d’abord toute la place qui est nôtre dans les sphères où la constitution nous reconnaît une autorité exclusive. Déjà, l’Office de radio-télédiffusion du Québec a à son crédit des réalisations qui ont suscité l’intérêt non seulement des Québécois mais même de spécialistes d’outre-frontières, telles l’expérience TEVEC, les initiatives de l’Office de Développement de l’Est du Québec ou les techniques audio-visuels ont brillamment contribué à l’instruction et à l’animation de deux importants segments de notre population.

Le Québec ne peut plus se cantonner entre ses frontières. Depuis quelques années, il a enjambé l’Atlantique pour puiser d’abord aux sources vives de la mère patrie et ensuite fraterniser, échanger avec la francophonie internationale. Nous sommes en train de prendre toutes les mesures nécessaires à l’exploitation bénéfique des satellites de communication qui demain rapprocheront encore davantage les uns des autres les cinq continents. Un comité franco-québécois est à l’oeuvre qui scrute tous les aspects d’une telle exploitation, laquelle mettra pour ainsi dire le monde à notre porte. Je peux même affirmer qu’à cet égard aucune autre province canadienne n’est en avance sur nous.

Veuillez croire qu’il ne s’agit pas là pour nous d’un vain point d’orgueil. Quel autre État de la Confédération a subi comme nous deux longs siècles d’exil moral, de césure culturelle, qui auraient pu mener à l’extinction une ethnie moins forte que la nôtre? Quel autre État de la Confédération doit affronter quotidiennement le conditionnement psychologique et linguistique auquel nous condamnent l’histoire et notre statut minoritaire au sein des quelque 200 000000 d’anglophones nord-américains ? N’est-il pas des lors éminemment logique et impératif que, pour échapper à l’américanisation à outrance sans pour autant renier la réalité politico-géographique qui est la nôtre, nous sentions la nécessité de renouer avec notre civilisation d’origine, de maintenir un contact permanent, organique avec les 200 000000 de francophones du monde? Dans cette perspective, je profite de la tribune . que vous avez daigné m’offrir, et de laquelle je vous remercie chaleureusement, pour vous faire part de la nomination, à compter du 15 octobre prochain, d’un sous-ministre adjoint au ministère des Transports et Communications, qui sera en même temps conseiller du Conseil exécutif en matière de communications. Il s’agit de Me Yvon Côté, de Rimouski.

Au cours de la prochaine décennie, le monde des communications est appelé à transformer radicalement notre milieu. Les modes de communication actuels étendront leurs services à de nouvelles sphères d’activité, cependant que les satellites rempliront vraisemblablement certaines tâches dévolues jusqu’ici à la téléphonie et aux radio-télécommunications.

Conscient de l’impact qu’une telle mutation peut exercer sur l’ensemble de la collectivité, notamment dans le domaine de l’éducation et de l’industrie, le Québec, vous le constaterez, entend sonner l’heure de l’information électronique au fur et à mesure de son application à la vie courante. Il ne s’agit évidemment pas pour nous de concurrencer le gouvernement fédéral là où sa juridiction est explicite mais bien plutôt de pratiquer une politique de présence active partout ou notre compétence doit s’exercer. La nomination de Me Côté témoigne de notre ferme volonté d’agir sans délai en ce domaine.

Vous pouvez déjà percevoir l’un des traits majeurs du visage de ce « nouveau Québec » que nous voulons sculpter dans la pierre vive d’une actualité bouillonnante. C’est une tâche gigantesque que nous entreprenons, une tâche qui réclamera un long et constant travail d’équipe, ou chacun de nous devra apporter sa modeste pierre.

De cette équipe appelée à bâtir le Québec de demain, je vous invite instamment, ce soir, à devenir, de par le poste de commande que vous occupez dans vos quartiers ou régions respectives, les contremaîtres magnifiques.

[QBTRD19690923]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND
PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION D’UN DINER D’ETAT EN L’HONNEUR DE SON EXCELLENCE LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU NIGER ET DE MADAME DIORI iCAFE DU PARLEMENT – QUEBEC
LE MARDI, 23 SEPTEMBRE 1969]

J’ai eu ce matin, Excellence, l’honneur et le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à Québec, la capitale du Canada français. Ce soir, au nom de tous les Québécois, je veux vous redire notre fierté d’avoir parmi nous l’illustre homme d’État que vous êtes. À vous-même, à Madame, et à tous ceux qui vous accompagnent, j’offre, au nom de tous mes compatriotes, l’expression de notre amitié.

Nous sommes heureux de vous revoir. En 1967, lors de l’Expo de Montréal, vous êtes venu nous visiter. Puis, en février dernier, une délégation québécoise participait à l’importante conférence qui s’est tenue, à Niamey, sous votre présidence. C’est alors, sous votre impulsion, — les historiens le retiendront — qu’a été institué le Secrétariat général provisoire de l’Agence francophone de coopération culturelle et technique. La direction en a été confiée à un de nos compatriotes, M. Jean-Marc Léger. Nous, Québécois, avons des raisons naturelles, je dirais même instinctives, de nous intéresser à la langue et à la culture françaises, ainsi qu’a tout ce qui s’y rattache. Nous ne pouvons qu’encourager tout ce qui favorise leur épanouissement.

C’est bien compréhensible. La communauté humaine que nous formons au Québec, parce qu’elle est essentiellement de langue française, apparaît comme une sorte d’anomalie dans l’univers nord-américain oh vivent à côté de nous 220 000000 d’anglophones. Mais cette communauté, cette société, cette nation, sans laquelle il n’y aurait pas de Canada français, est animée d’un vouloir-vivre tenace que trois siècles de vie en Amérique du Nord n’ont pas émoussé. Bien au contraire, depuis quelques années elle prend conscience d’elle-même comme elle ne l’a jamais fait auparavant. Elle se donne des instruments d’affirmation. Elle se cherche des partenaires au Canada et ailleurs.

On a dit de nous que nous avions survécu parce que nous avions vécu repliés sur nous-mêmes. Ce fut peut-être vrai pendant plusieurs générations. Mais aujourd’hui nous savons que nous nous épanouirons, d’abord en nous affirmant comme québécois authentiques, et aussi en nous rapprochant des autres membres de la communauté francophone internationale. Il était naturel, élémentaire même, qu’en premier lieu nous rétablissions des liens étroits entre le Québec et la France. Nous l’avons fait. Il était également naturel que nous songions ensuite à prendre contact avec les autres pays de langue française. Nous avons commencé à le faire et nous avons l’intention d’aller plus loin dans cette voie car nous venons seulement de nous y engager. Il était enfin tout aussi naturel que nous cherchions à participer à ce vaste mouvement naissant qu’est la francophonie et dont vous êtes l’un des principaux animateurs.

Il nous importait aussi, comme Canadiens d’expression française, que la coopération entre le Canada et les pays francophones reflétât davantage la réalité biculturelle fondamentale de la population canadienne. Il y avait un déséquilibre majeur à corriger. Ce déséquilibre existe encore. Toutefois, il s’atténue graduellement, en bonne partie parce que le Québec a, directement ou indirectement, rappelé à l’ensemble des Canadiens qu’ils devraient dorénavant penser aussi au monde francophone auquel nous, du Québec, appartenons graduellement.

Il y a plus que cela. À même nos propres ressources, qui demeurent modestes bien sûr, nous procédons depuis quelques années à la mise en oeuvre d’un certain nombre de programmes de coopération avec des pays africains de langue française. Les ressources humaines et techniques que nous possédons chez nous, nous voulons, dans la mesure du possible, les faire aussi servir à d’autres. Nous participerons de la sorte à ce vaste mouvement mondial de coopération qui, avec le temps, prend de plus en plus d’ampleur.

Pour les Québécois, cette coopération avec l’Afrique n’est pas nouvelle car des milliers d’entre les nôtres ont vécu comme missionnaires en Afrique, et des milliers y vivent encore. Dimanche vous avez, Excellence, visité ici même à Bellechasse, la communauté d’où proviennent les religieuses enseignantes du Lycée Mariama, à Niamey. D’autres enseignants non religieux, mais des Québécois encore, se trouvent présentement chez vous et nous souhaitons qu’ils soient encore plus nombreux. Il y a plusieurs secteurs où le Niger et le Québec peuvent coopérer utilement. Nous en avons parlé ce matin. Nous préciserons de part et d’autre, au cours des prochains mois, quelle forme de collaboration peut exister entre nos deux peuples.

Le Québec s’intéresse au plus haut point, Excellence, à l’Agence de coopération culturelle et technique à laquelle votre nom est intimement lié. Nous n’avons pas le choix de ne pas nous y intéresser. Pour nous, l’appartenance à la francophonie représente un élément absolument vital de notre épanouissement et se situe dans le prolongement logique des luttes passées de notre peuple pour sa survivance. Il ne peut pas en être autrement. Le Québec est le point d’appui, le foyer par excellence du Canada français. C’est au Québec que vivent plus des quatre cinquièmes de tous les Canadiens d’expression française; ils forment ici un tout de plus de cinq millions.

En février 1969, la Conférence de Niamey a jugé opportun de jeter les bases d’une francophonie organisée en recommandant la création d’une agence de coopération culturelle et technique. Une telle institution exclut, de par sa nature même, tout concept d’alliance militaire et de bloc idéologique. Elle prend comme fondement l’utilisation commune d’une langue de grande diffusion et comme moteur l’entraide et la fraternisation.

L’Agence doit devenir un des instruments privilégiés, une des institutions clés de la francophonie. Son objectif devrait être le rapprochement des hommes des divers pays francophones par le moyen de l’entraide et des échanges en vue du développement et de l’enrichissement mutuel. L’Agence sera par le fait même un éveilleur et un catalyseur de la conscience francophone.

Voilà, Excellence, comment en gros nous concevons l’Agence. Il y aurait beaucoup plus ç. dire, mais déjà nous avons, en vue de la prochaine conférence de Niamey, réuni dans un document l’essentiel de nos opinions sur la vocation de l’Agence, ses champs possibles d’intervention et ses structures. Nous croyons que notre contribution à la définition de l’Agence pourra être utile. Nous croyons aussi pouvoir apporter à la francophonie quelque chose d’original.

En terminant, je voudrais, Excellence, vous remercier de nouveau d’avoir accepté notre invitation. Nous avons été heureux de vous recevoir. Les conversations que j’ai eues avec vous ont été fructueuses. Je suis certain que la coopération entre le Québec et le Niger sera fondée sur des bases solides dont sont garants votre dynamisme et votre compréhension.

Je lève mon verre, Excellence, à votre peuple et à son Président.

[QBTRD19690923a]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CONGRES DE- L’ASSOCIATION CANADIENNE-DE-LA RADIO ET DE LA TELEVISION DE LANGUE FRANCAISE AUBERGE DES GOUVERNEURS LE MARDI, 23 SEPTEMBRE 1969 ]

C’est un plaisir assurément, mais un plaisir redoutable, que celui d’affronter un auditoire comme le vôtre. Je ne sais pas, mesdames et messieurs de la radio et de la télévision, si vous êtes bien conscients de votre puissance; en tout cas, moi, je le suis. Je ne saurais oublier, par exemple, que suivant l’image que vous en projetez dans le public, vous pouvez faire et défaire les hommes politiques. Mais il y a plus grave que cela. Les hommes politiques passent, les nations demeurent. C’est du moins ce qu’on disait jadis, avant que par la magie des ondes, l’espace ne soit littéralement rempli de retombées visuelles et sonores. Aujourd’hui, je pense qu’on peut dire sans exagérer que vous avez même le pouvoir de faire et de défaire les nations.

Car vous atteignez, à toute heure du jour et même de la nuit, un immense auditoire. Au travail comme au repos, au foyer comme à l’usine, sur la plage comme sur la route, chacun reçoit de vous sa provision quotidienne de rythmes et d’images, d’informations et de commentaires. Si bien que les façons de voir et les façons de dire que vous mettez en circulation se propagent avec une extrême rapidité.

Que vous le vouliez ou non, pour le mieux ou pour le pire, vous êtes donc des éducateurs; des éducateurs dont l’influence dépasse immensément les limites d’une classe ou d’un collège. Chez les jeunes et chez les moins jeunes, vous avez partout d’innombrables imitateurs. Au point que le milliard et plus que les Quebecois dépensent chaque année pour l’éducation, vous pouvez contribuer à en faire le plus profitable des placements ou le plus inutile des sacrifices. Puis-je vous demander de mettre cette influence énorme au service de l’enrichissement culturel et du progrès économique de la communauté dont vous faites partie?

Ainsi Messieurs, en tant que radiodiffuseur de langue française, vous avez donc des responsabilités particulières et exigeantes à assumer. Vous avez entre les mains un instrument susceptible d’influencer pour le meilleur comme pour le pire l’ensemble de notre collectivité. Dans cette perspective, il va de soi que le gouvernement québécois, parce qu’il représente à nos yeux la volonté de cette collectivité, doit s’assurer une présence active dans le domaine des communications.

Sans vouloir relancer aujourd’hui un débat constitutionnel sur cette question, je tiens néanmoins à préciser devant vous que pour assumer efficacement ses responsabilités en matière de culture et d’éducation, le gouvernement québécois doit non seulement faire appel aux nouveaux modes de diffusion mais, par la nature des choses, il devra de plus en plus exercer sa juridiction sur certains modes de communication.

A cet égard, j’ai annoncé il y a quelques jours, comme vous le savez sans doute, la nomination d’un sous-ministre adjoint au ministère des Transports et Communications, qui sera en même temps conseiller du Cabinet en matière de communication. Cette nomination reflète la volonté qu’a le gouvernement de donner au Québec la place qui lui revient dans le monde des communications.

Vous le savez: nous ne sommes que 6000000 de Canadiens français sur un continent qui compte plus de 200 000000 d’anglophones. Voilà une situation qui nous pose de sérieux défis, même si elle comporte aussi d’indéniables avantages. Nous n’avons pas, comme nos compatriotes d’autre langue, à nous interroger sur notre identité ou sur les composantes de notre canadianisme. Nos traits culturels nous différencient nettement de ceux qui nous entourent. Par ailleurs, après trois siècles et demi d’enracinement de ce côté-ci de l’Atlantique, il est clair que nous ne sommes plus simplement d’autres Français, mais que nous sommes devenus des Français autres, des Français de l’Amérique du Nord.

Cette double appartenance, culturelle et géographique, qui est à la base de notre personnalité collective, est pour nous une double richesse. Elle nous invite à réaliser une synthèse vraiment originale dans un monde qui risque, en se rapetissant sans cesse, de sombrer dans une monotone et ennuyeuse uniformité. Mais il reste qu’a cause de la disproportion numérique dont je parlais tantôt, notre situation n’est pas sans danger. Le poids de l’environnement joue contre notre culture; et des deux langues officielles du Canada, c’est évidemment la nôtre qui est la plus vulnérable et la plus menacée, même au Québec où elle est pourtant la langue de 81 % de la population.

Voilà pourquoi le français doit bénéficier d’une attention prioritaire dans ce Québec nouveau que nous voulons bâtir. La langue nationale des Canadiens français ne saurait être un dialecte appauvri, terne, inharmonieux, corrompu dans sa syntaxe et restreint dans son vocabulaire. Il faut qu’elle soit une langue de qualité internationale, qui nous permette de communiquer pas seulement entre nous, mais aussi avec les trente autres pays ou le français a rang de langue officielle. Il faut de plus qu’elle soit une langue vivante, capable d’exprimer les multiples aspects de la réalité quotidienne, et non pas une langue purement livresque et dissociée de la vie réelle. Ce qui veut dire qu’au Québec du moins, le français devrait être normalement la langue de travail de la très grande majorité de la population.

Sans doute reste-t-il beaucoup de chemin à parcourir pour faire de notre français une langue que nous ne soyons pas tentés d’imposer par des moyens douteux, ruais qui s’impose d’elle-même par sa qualité, son rayonnement, sa richesse, sa saveur, son indispensabilité; je suis toutefois convaincu que nous y parviendrons très vite si nous savons éviter les voies sans issue de la contestation stérile et de l’extrémisme sous toutes ses formes.

La voie que propose le gouvernement, c’est celle de l’action méthodique et réfléchie. Voilà pourquoi nous avons chargé la Commission Gendron de faire une étude approfondie des divers aspects de la question.

J’espère que toute la population québécoise, anglophone comme francophone, voudra participer à cette prise de conscience collective qui est un prélude nécessaire a l’élaboration d’une grande politique linguistique. Cette enquête sera tout aussi. importante dans son ordre que l’ont été les enquêtes de la Commission Tremblay en matière constitutionnelle et de là Commission Parent dans le secteur de l’éducation. En attendant, ne nous laissons pas abattre par les propos alarmistes des frustrés et des broyeurs de noir. Ceux qui reviennent au pays après quelques années d’absence constatent, souvent mieux que nous, les rapides progrès de notre langue. Je sais que vous n’êtes pas indifférents à ces progrès et que vous voudrez faire encore davantage, si possible, pour seconder sur ce point les efforts des éducateurs et de toute la communauté canadienne-française.

Il est un autre domaine où votre collaboration peut nous être extrêmement précieuse: c’est celui da l’éducation économique.

Je ne doute aucunement de l’intérêt que vous portez à la vie commerciale et industrielle des régions que vous desservez. Vous faites partie de vos Chambres de Commerce et autres organismes de promotion économique. Vous êtes attentifs à tout ce qui peut stimuler la croissance de votre milieu, sachant que votre propre prospérité en dépend. Plus grandiront votre ville et votre région, plus vous grandirez avec elles.

Encore là, vous pouvez vous servir de l’influence énorme dont vous disposez pour agir favorablement sur les ressorts psychologiques, sur les attitudes de ceux qui vous écoutent. Il ne s’agit pas nécessairement de multiplier les programmes consacrés aux affaires économiques. Bien sûr, si vous pouvez aller jusque la, tant mieux! Mais ce que je vous demande surtout de propager autour de vous, c’est quelque chose de plus simple et peut-être de plus important que des connaissances formelles: c’est un état d’esprit, un état d’esprit positif vis-à-vis des réalités économiques.

Nous voulons tous, c’est entendu, augmenter notre bien-être et notre niveau de vie. Mais qui veut la fin devrait vouloir les moyens. Et je ne pense pas que ce soit un bon moyen de stimuler l’initiative et l’élan créateur de notre peuple que de toujours nous plaindre de notre sort, de nous répandre en récriminations, de refaire sans cesse l’inventaire de nos faiblesses et de nos lacunes. Comme s’il n’y avait que cela à considérer !

Est-ce que nous n’avons pas aussi, au Québec comme dans le reste du pays, de formidables atouts économiques? Est-ce qu’il n’y a pas chez nous des forces qui travaillent, qui produisent, qui édifient, qui inventent, qui créent de nouvelles richesses? N’avons-nous pas de grandes réussites collectives à notre crédit, comme le mouvement Desjardins, Terre des Hommes,. le barrage Daniel Johnson? Est-ce que ça ne nous rend pas très fiers de notre savoir-faire et de notre avancement technologique que de voir, par exemple, s’édifier sous nos yeux le nouveau pont Frontenac et son splendide réseau d’approches?

Bien sur, il y a chez nous du chômage. mais quel est le remède au chômage, sinon la croissance économique? Or, il ne peut pas y avoir de croissance sans investissements; et c’est par un climat de stabilité et de sécurité que l’on encourage les investissements, non par de la vaine agitation et des exagérations verbales.

Il y a aussi de la pauvreté chez nous? Oui, beaucoup trop. Mais où est le remède, sinon dans une productivité accrue? Pour distribuer plus de richesses, il faut commencer par produire davantage. Et cela se fait par le travail, non par des provocations inutiles.

Le gouvernement a mis en oeuvre plusieurs moyens nouveaux pour amener les investisseurs étrangers . établir au Québec des entreprises génératrices d’emplois et de bien-être. Ces moyens donnent d’excellents résultats, même s’ils ne sont pas infaillibles; et il ne faudrait pas, à cause d’une industrie qui nous échappe, oublier les dix autres qui s’installent sur notre• territoire.

Mais je vous invite aujourd’hui à participer à une campagne de promotion qui est encore plus importante que celle-là.. Elle consiste à vendre le Québec aux Québécois eux-mêmes, aux Québécois d’abord. Pourquoi serions-nous les derniers à voir et à saisir les occasions qui s’offrent tout autour de nous? Pourquoi envier la place des autres quand il reste chez nous tans de vides à remplir, tant de besoins à satisfaire, tant de richesses à mettre en valeur? Voilà, mesdames et messieurs, quelques vérités élémentaires qui doivent servir de point de départ à une action vraiment positive, dans le domaine culturel comme dans le domaine économique.

Un peuple jeune comme le nôtre doit avoir suffisamment de santé psychologique pour ne pas verser dans le pessimisme et le défaitisme. Je ne demande a personne de taire nos problèmes quand ils sont réels et il va sans dire que nous en avons notre part comme toutes les autres collectivités; mais je dis que les problèmes sont faits pour être réglés, non pour être contemplés et cultives.

Nous les réglerons d’autant mieux que nous saurons à l’occasion braquer les projecteurs sur les aspects positifs de la réalité québécoise et canadienne-française, c’est-à-dire sur les éléments susceptibles de tonifier notre fierté et d’affermir notre foi en notre propre destin.

[QBTRD19690926]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION DU DEVOILEMENT D’UNE PLAQUE COMMEMORATIVE AU BARRAGE DANIEL JOHNSON MANICOUAGAN, LE 26 SEPTEMBRE 1969]

Je ne pense pas qu’il y ait, dans le vocabulaire du Québec moderne, de mot plus évocateur que celui de Manic. C’est un nom qui rappelle à la fois une grande réussite collective et un bien brusque départ; un nom qui nous remplit de fierté et aussi de nostalgie; un nom qui ferme une page passionnante de notre histoire politique, mais qui nous ouvre par contre des perspectives exaltantes sur le Québec nouveau que nous devons continuer de bâtir.

En revenant ici, à Manic 5, où la mort surprenait l’an dernier notre ami Daniel Johnson, pour qui le destin du Québec comptait infiniment plus que sa propre vie, gardons-nous cependant, si nous voulons être fidèles à son ultime message, de nous laisser dominer par un sentiment de tristesse.

Car c’est une consigne d’optimisme et de foi en l’avenir qu’il s’était proposé de transmettre à ses compatriotes à l’occasion du parachèvement de ce splendide barrage à voûtes multiples, reconnu comme le plus colossal et en même temps le plus beau du genre au monde.

Dans l’allocution qu’il devait prononcer à cette occasion et à laquelle il avait mis la dernière main, avant son départ de Québec, au cours d’une journée de travail particulièrement chargée, il voulait dire en effet combien il était heureux et fier à la pensée qu’une telle merveille du génie moderne fût une oeuvre essentiellement québécoise, une démonstration péremptoire du savoir-faire québécois.

Il faut reconnaître qu’il avait des raisons bien particulières de s’en glorifier, lui qui avait participé, comme ministre des Ressources hydrauliques, à la planification et à la mise en marche des gigantesques travaux du complexe Manic-Outardes dont fait partie l’ouvrage que nous admirons ici.

N’est-ce pas à sa recommandation que le gouvernement du temps avait autorisé l’Hydro-Québec à entreprendre les premières étapes de ce projet d’un milliard de dollars, destiné à injecter dans l’économie québécoise une énergie additionnelle de trente milliards de kilowatts-heure? Et n’était-il pas ravi, à l’automne de 1959, de pouvoir exposer à la presse et au public les données maîtresses d’un aménagement plus formidable encore que celui de la Bersimis?

Rien ne pouvait l’enthousiasmer davantage que ces conceptions audacieuses de nos ingénieurs et de nos techniciens qui, faisant reculer sans cesse les frontières du possible, hissaient le Québec à la fine pointe du progrès en matière de harnachements hydroélectriques et de lignes à haute tension.

C’est toujours avec orgueil que Daniel Johnson exhibait la liste des premières mondiales de l’Hydro-Québec. Il admirait que grâce aux formidables moyens d’aujourd’hui, joints à l’adresse et à l’ingéniosité de notre main-d’oeuvre, nous puissions refaire jusqu’à la géographie de nos régions nordiques, déplaçant montagnes et rivières, créant de toutes pièces des lacs immenses et domestiquant, pour les mettre au service de l’homme, les forces les plus impétueuses de la nature.

Du texte qu’il ne devait malheureusement jamais prononcer, je détache cet hommage qu’il s’apprêtait a rendre, il y a un an, à cette grande institution qu’est l’Hydro-Québec: [ » Voici une entreprise qui, depuis près d’un quart de siècle, ne cesse de grandir et de faire grandir avec elle la communauté humaine dont elle est solidaire. Son actif dépasse maintenant les $ 3000000000 et ses revenus sont de l’ordre de $ 1000000 par jour. Notre population trouve dans l’Hydro-Québec non seulement une source d’emplois et de richesses, mais également des motif de fierté et de confiance. Pour elle, l’Hydro-Québec est la preuve que les Québécois, qu’ils soient de langue française ou de langue anglaise, peuvent réussir aussi bien dans les domaines de la science, de la technique et des grandes affaires que dans les occupations d’un caractère plus traditionnel. Elle est aussi la preuve .qu’en ces domaines comme dans les autres, le français peut être reconnu et utilisé comme principale langue de travail sans nuire d’aucune façon au succès de l’entreprise « .]

Dans notre double héritage culturel, Daniel Johnson voyait avant tout un actif, une chance exceptionnelle de l’Histoire. C’est ce facteur de diversité et d’émulation créatrice, disait-il, qui fait du Québec un « pays de haut voltage, un pays où l’on ne s’ennuie pas, ennemi du conformisme, sachant colorer de fantaisie et de joie de vivre ses qualités traditionnelles de logique, de mesure et de bon sens ».

Générateur d’optimisme et d’imperturbable assurance, celui dont nous évoquons aujourd’hui le souvenir était aussi un ardent apôtre de la solidarité nationale et internationale. Voici ce qu’on peut encore lire dans les notes qu’il avait apportées avec lui à Manic 5:

[ » Qu’aurons-nous à dévoiler dans les années qui viennent? Déjà, sur les planches à dessin de nos ingénieurs et de nos architectes comme dans les laboratoires de nos chercheurs se profilent et se précisent les traits du Québec de demain. Ce Québec fera partie d’un monde que les aérobus supersoniques, la multiplication des rapports internationaux et les télécommunications par satellites auront rendu encore plus petit et plus interdépendant qu’il ne l’est aujourd’hui. Je ne suis pas de ceux qu’effrayent ces changements. Au contraire, je suis convaincu que le Québec de l’ère spatiale sera un Québec plus confiant, plus fort et plus déterminé que jamais; à la condition bien entendu qu’il reste à la pointe de l’évolution et qu’il profite des nouveaux moyens que la science aura mis a sa disposition pour nouer des relations toujours plus étroites avec les autres communautés humaines « .]

Tel est le message que Daniel Johnson se proposait de nous livrer, ici même, le 26 septembre 1968. Il voulait que le barrage de Manic 5, avec ses voûtes et ses contreforts qui le font ressembler à une cathédrale géante, se dressât comme un monument impérissable à l’ingéniosité et au dynamisme du Québec moderne.

Je suis sûr de bien interpréter les sentiments de mes collègues du cabinet, du chef de l’opposition, des membres de l’Assemblée Nationale, de madame Johnson et de sa famille. enfin de toute la population québécoise, en disant que ce barrage de celui. dont il porte désormais le nom, celui dont le souvenir est dans tous lee’ coeurs, celui en qui se reconnaît pleinement, avec son héritage français et son appartenance nord-américaine, le Québec des temps nouveaux.

Avant même qu’on y gravât le nom de Daniel Johnson, ce barrage était vraiment le sien puisque après y avoir consacré une si grande part de son travail, de ses rêves et de sa sollicitude, il l’avait lui-même signé de sa propre vie. Il sera aussi et surtout un monument impérissable à la mémoire

[QBTRD19691006]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CLUB RENAISSANCE – MONTREAL LE LUNDI, 6 OCTOBRE 1969]

Aux Assises de 1965, vous avez conçu et mis au point, en plein accord avec les parlementaires de l’Union Nationale, les structures les plus démocratiques que se soit jamais donné un parti québécois ou canadien.

Tout a donc été prévu pour que les idées, les orientations, les initiatives puissent se transmettre aussi facilement de la base au sommet que dans l’autre sens. Et n’est-ce pas surtout pour cela que les partis existent? Beaucoup plus que des outils électoraux, ils doivent être à mon sens des instruments collectifs de réflexion et de recherche. Ils doivent servir à guider les hommes politiques et non pas seulement à les faire élire.

C’est particulièrement vrai de l’Union Nationale, qui a été créée et perfectionnée tout exprès pour être l’instrument politique du Québec et des Quebecois. Chacun a son rôle à jouer dans ce parti qui plonge ses racines au plus profond de la conscience populaire. Nous sommes tous responsables de sa vigueur et de son efficacité.

Parce qu’il est issu du peuple, notre parti sait qu’il y a dans l’âme populaire des trésors de sagesse qu’ignorent trop souvent les autres formations politiques.

C’est précisément parce qu’il y a dans le peuple cet instinct vital, ce réflexe qui ne trompe pas, ce sens politique très aiguisé et très sûr, que nous allons proposer à l’Assemblée Nationale l’adoption d’une loi-cadre sur le référendum.

Nous voulons être en mesure de consulter la population, au temps voulu, non pas sur des bagatelles mais, comme dit notre programme, « sur toute matière mettant en cause la maîtrise de son destin ».

Nous l’avons toujours dit: le Québec n’est pas une province comme les autres. Il est le foyer principal d’une communauté culturelle, d’une nation au sens sociologique du terme. Et dans l’Union Nationale, nous croyons que le peuple est assez renseigné, assez intelligent et assez adulte pour s’autodéterminer sur les questions qui engagent son avenir.

Je suis toujours abasourdi, et amusé en même temps, quand j’entends nos adversaires reprocher à l’Union Nationale de ne pas « se brancher » en matière constitutionnelle. Vous vous souvenez comment on les a vus « se brancher » solidement en faveur de la formule Fulton-Favreau, puis »se débrancher » devant les réactions populaires à la suite du cri d’alarme lancé dans le temps par l’Union Nationale. Mais ce n’était là qu’un virage mineur en comparaison de celui qu’ils devaient prendre par la suite.

A leur congrès du 14 octobre 1967, ils ont voté unanimement une résolution préconisant un statut particulier et des pouvoirs accrus pour le Québec, ainsi que l’adoption d’une nouvelle constitution canadienne reconnaissant l’existence au Canada de deux nations, C’était une position qui se rapprochait beaucoup de la nôtre et qui faisait espérer que le Québec pourrait enfin présenter un front uni aux conférences constitutionnelles. À la condition, bien sûr, que nos libéraux du Québec restent « branchés ». Mais non. Leurs amis d’Ottawa se sont donné chef qui répudiait le concept des deux nations et qualifiait le statut particulier de « connerie ». Alors, nos suiveux se sont « débranchés » une fois de plus, oubliant tout ce qu’ils avaient résolu pour se « rebrancher » sur leurs amis fédéraux. Nous avons la un avertissement très net de ce qui se produirait si les libéraux reprenaient le pouvoir à Québec. Nous serions gouvernés par des gens dont la pensée constitutionnelle dépend des fluctuations de la politique fédérale. Pensée tellement confuse qu’ils n’osent même plus l’exprimer.

Dès juillet 1968, le gouvernement de Québec a soumis à ses partenaires d’Ottawa et des autres provinces un document de travail comportant des propositions très précises sur tous les aspects du problème constitutionnel canadien, y compris son aspect le plus fondamental, celui de la répartition des pouvoirs. Et le 9 octobre 1968, j’ai communiqué ce document à la presse afin de mettre le public dans le coup, d’obtenir ses réactions, de lui permettre de participer avec nous aux revisions qui s’imposent.

Des onze gouvernements du pays, celui de Québec a été le premier à agir ainsi. Il a été le premier à dévoiler ses propositions. C’est fait depuis un an déjà. Or, jamais le parti libéral du Québec n’a osé se prononcer pour ou contre l’une ou l’autre des 60 propositions qui sont clairement énoncées et expliquées dans ce document. Jamais il n’a voulu « se brancher ».

Alors, n’ayant aucune politique autonome en cette matière, nos adversaires libéraux se sont mis à dire que les problèmes constitutionnels ne sont pas importants, que le peuple ne s’y intéresse pas, que le pain et le beurre comptent bien davantage et que la grande question à débattre aux prochaines élections, c’est la question économique.

Eh bien! L’Union Nationale les rencontrera avec autant d’assurance sur le terrain économique que sur n’importe quel autre.

Voulez-vous connaître la différence entre la façon de procéder des libéraux et la nôtre dans le domaine économique?

Rappelez-vous Sidbec: nos adversaires, y compris M. René Lévesque, se sont glorifiés pendant six ans d’un projet qu’ils n’ont jamais été capables de réaliser. Pendant six ans, ils ont empilé rapport par dessus rapport, discours par dessus discours, vantardise par dessus vantardise; mais ils n’ont jamais réussi à empiler une brique par-dessus l’autre.

Avec cent fois moins de paroles, l’Union Nationale a réalisé Sidbec. Ça ne coûtera pas des centaines de millions comme l’autre projet qui est resté accroché aux nuages; mais en agissant suivant nos moyens, nous avons quelque chose qui fonctionne, qui fonctionne même très bien et qui sera avant peu un complexe sidérurgique entièrement intégré.

Ce n’est là, qu’un exemple d’une façon de procéder que nous voulons positive, pratique, efficace. En voici d’autres: Création d’un Office de crédit industriel, pour parer aux difficultés que rencontrent si souvent nos entreprises quand elles ont besoin de capitaux pour financer leur expansion ou leur regroupement.

Aide au développement industriel régional, suivant les stipulations du bill 23 qui, en 15 mois seulement, a servi d’amorce à 600 projets représentant des investissements de plus de 300 000000 $ .

Création de la corporation du parc industriel de Becancourt. Institution d’un Conseil de l’Industrie, au sein duquel une cinquantaine d’hommes d’affaires et de financiers, parmi les plus prestigieux, travaillent bénévolement avec notre vaillant ministre de l’Industrie et du Commerce à la promotion de l’économie québécoise. Installation à Boucherville, par l’Hydro-Québec, d’un centre de recherches muni de laboratoires à haute tension comme il n’en existe nulle part ailleurs, nos ingénieurs ayant été les premiers au monde à construire des lignes de transmission de 735000 volts. Mise en chantier, prés de Québec, d’un complexe de recherche industrielle qui représentera, une fois terminé, un investissement de $ 60000000.

Mise en chantier à St-Romuald, grâce encore au beau travail de M. Beaudry, d’une raffinerie de $ 60000000 construite pour la Golden Eagle qui prendra au Québec le nom de L’Aigle d’Or.

Établissement de nouveaux bureaux du Québec dans l’Ouest et le Sud des États-Unis. ainsi qu’en Allemagne de l’Ouest, là où nous pouvons aller chercher d’autres capitaux et d’autres clients pour nos industries; à quoi s’ajoute le fait que nous avons obtenu, pour diriger notre délégation générale à New York, le concours prestigieux du général Allard.

Lancement d’une grande campagne de publicité pour faire mieux connaître les produits et le savoir-faire du Québec moderne. Nouvelle mise de fonds de 10000000 $ dans la Société Générale de Financement, qui pourra de ce fait obtenir d’autres investissements de sources privées.

Négociation fructueuse, avec Churchill Falls Corporation, d’un contrat qui, en plus de procurer des commandes à un grand nombre d’entreprises québécoises et du travail à des milliers de nos ouvriers, injectera dans notre économie, à un coût exceptionnellement bas, une quantité additionnelle d’énergie électrique de 35 milliards de kilowatts heure, soit l’équivalent de ce que produiront ensemble, une fois terminées, les sept centrales du complexe Manic-Outardes.

Mise en place d’un système en vertu duquel des avantages particuliers sont accordés aux industries qui emploient des assistés sociaux.

Lancement d’un programme de $ 50000000 pour encourager les industries de pointe, les industries de l’avenir, à s’établir au Québec; et cela s’applique même à la région de Montréal qui, à cause de son dynamisme exceptionnel, se trouve exclue de divers autres stimulants fédéraux ou provinciaux.

Création prochaine, par le ministère des Richesses naturelles, d’une Société québécoise d’initiative pétrolière (SOQUIP), avec un capital initial de $ 25000000.

Je pourrais allonger beaucoup cette énumération. Je pourrais mentionner, par exemple, l’Office du Plan, l’Office de Développement de l’Est du Québec, l’Office d’Habitation du Québec, la commission des affaires économiques et financières organisée par notre ministre des Finances et de l’Immigration, etc. ..

Je ne crains pas de l’affirmer: aucun gouvernement n’avait fait autant que le nôtre pour stimuler la croissance industrielle du Québec. Déjà, dans les sept premiers mois de l’année, 76000 nouveaux emplois ont été créés. Nous aurons tôt fait de résorber le chômage pour peu que nos jeunes veuillent bien se diriger vers les carrières économiques, les carrières de l’avenir. Certains entrevoient même le jour ou nous manquerons de main-d’oeuvre.

M. Arthur Smith, président du Conseil d’Expansion économique du Canada, déclarait, dernièrement à Halifax que le Québec, après avoir accusé du retard, est en voie de se donner « l’un des programmes d’expansion industrielle les mieux articulés et les plus complets de toutes les provinces canadiennes ».

Voilà un témoignage désintéressé, qui contraste avec les propos pessimistes de nos adversaires. Je comprends que nos amis libéraux ne soient pas très gais par le temps qui court. Leur parti ne cesse de se désagréger. M. Lapalme a été le premier à s’en aller; puis M. René Lévesque a été catapulté hors du parti; M. Kierans s’est faufilé en douce à Ottawa; M. Gérin-Lajoie a trouvé son statut particulier dans le fonctionnarisme fédéral; M. François Aquin a démissionné deux fois, d’abord comme libéral puis comme député; et voilà que M. Lesage s’en va à son tour. Dans ces conditions, il est assez compréhensible que ceux qui restaient la larme à l’oeil, le visage long et les discours amers.

Mais ce n’est pas une raison, il me semble, pour déprécier et noircir tout ce qui est québécois. Car en voulant faire tort à un gouvernement ou à un parti politique, c’est plus souvent le Québec que l’on atteint. Nos gens, qui savent faire la part des choses, ne se laissent guère impressionner par les sonneurs de fausses alarmes et les inventeurs de faux problèmes; il arrive malheureusement que, rapportées hors du Québec, les mêmes jérémiades rencontrent des oreilles plus crédules et soient utilisées contre l’ensemble de la communauté québécoise.

Je m’étais proposé de faire une revue générale de ce que nous avons accompli depuis trois ans; mais je m’aperçois que je n’ai encore effleuré que le dessus du panier, en me limitant par surcroît à deux ministères qui sont loin d’avoir les plus gros budgets: celui des Affaires intergouvernementales et celui de l’Industrie et du Commerce. Si je m’obstinais a parler des autres, à commencer par celui de l’Éducation, nous serions encore ici demain soir.

Je laisserai donc à d’autres le soin de poursuivre et de compléter cette revue. Mais je vous recommande fortement de relire notre programme de 1966. Vous allez constater comme moi qu’après trois ans seulement, il est déjà en très grande partie réalisé.

Dans une foule de domaines, nous sommes allés bien au-delà de ce que nous avions promis. Malheureusement, ce n’est pas assez connu, même de nos propres partisans. Il va falloir commencer à nous vanter un peu, ne serait-ce que pour empêcher nos adversaires de briser, par leurs rengaines déprimantes, l’élan créateur du Québec.

Québec est en devenir. Nous y participons avec enthousiasme. Je vous invite à entrer dès maintenant dans l’esprit du vingt-et unième siècle et à vous représenter ce que sera le Québec de l’an 2000, que. verront très certainement la plupart de ceux qui voteront pour la première fois l’an prochain.

Songez que dans trente ans, nous serons au moins 12000000 de Québécois. Songez que nous ne serons plus qu’à 2 ou 3 heures de vol de Paris et de Londres. Songez que par les satellites, nous serons en communication constante avec le monde entier.

Certains soutiennent que Montréal est appelée à devenir la plus grande ville de l’Amérique du Nord; mais ce que je souhaite encore davantage, c’est que nous réalisions ensemble, avec l’apport de tous ceux qui vivent avec nous ou autour de nous, pas seulement à Montréal mais dans tout le Québec, la communauté la plus originale, la plus vivante, la plus heureuse, la plus accueillante et la plus humaine de ce continent: le nouveau Québec.

[QBTRD19691011]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC AU BANQUET « RETOUR 69 » DES ANCIENS DE L’UNIVERSITE D’OTTAWA HOTEL SKYLINE – OTTAWA SAMEDI, LE 11 OCTOBRE 1969 ]

Notre présence à Retour ’69 est un témoignage de fidélité et de reconnaissance a notre Alma Mater, en meme temps qu’un signe de la solidarité qui nous unit entre nous et à l’Université d’Ottawa. C’est avec fierté que, personnellement, j’éprouve et manifeste ces sentiments et je suis heureux de constater que nous sommes nombreux à le faire.

En cette époque de transformations profondes et rapides de nos institutions politiques, sociales, pédagogiques et autres, il n’est pas rare que l’on juge sévèrement le passé à la lumière du contexte actuel au lieu de placer les hommes et les institutions dans le contexte qui était le leur.

Nos institutions d’enseignement n’ont pas été épargnées et vous savez avec quelle agressivité on les a critiquées. Pourtant, malgré leurs déficiences, elles ont rendu d’immenses services à d’innombrables individus et à la collectivité tout entière.

Dans bien des cas, elles ont même été d’importants agents de cette évolution et plusieurs d’entre elles ont joué leur rôle que l’on peut qualifier d’avant-garde. Ce n’est ni le temps ni le lieu de démontrer la vérité de cette affirmation pour l’ensemble des universités, mais je voudrais m’arrêter quelques instants à considérer un aspect bien particulier du rôle de l’Université d’Ottawa qui témoigne de son souci constant de s’intégrer à son milieu et d’adapter son organisation, ses programmes et ses méthodes aux besoins de son environnement.

On a pu discuter, et on discutera toujours, des moyens employés pour appliquer cette loi aujourd’hui universellement admise d’intégration des institutions d’enseignement à leur milieu respectif, mais je crois que tout observateur honnête reconnaîtra que l’Université d’Ottawa a depuis longtemps poursuivi cet objectif, même à l’époque où l’on parlait du splendide isolement des universités.

Localisée à la frontière qui sépare ou qui unit l’Ontario et le Québec, deux États souverains en matière d’éducation, et au point de rencontre de deux cultures, l’anglaise et la française, l’Université d’Ottawa a constamment été marquée par cette situation particulière à laquelle elle a cherché à s’adapter de son mieux, en tenant compte des implications politiques, sociologiques, culturelles et même religieuses d’une telle situation.

Si l’on considère que les diverses caractéristiques de ce milieu particulier ont subi de nombreuses évolutions au cours de l’histoire centenaire de l’Université d’Ottawa, il faut admettre qu’elle a dû faire preuve d’une capacité d’adaptation peu commune.

Bien avant la création de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, l’Université d’Ottawa était sensibilisée à ces problèmes qui ont toujours été pour elle d’une brûlante actualité. Souvent discutée, parfois approuvée par les uns et blâmée par les autres, elle s’est appliquée à apporter à cette question les solutions qui lui paraissaient les meilleures, compte tenu des circonstances déterminantes aux diverses périodes de son histoire.

Le caractère bilingue de l’Université d’Ottawa. a toujours comporté des difficultés d’application, – son histoire en fournit maintes fois la preuve -, et il en comportera toujours, car, même si l’on peut atteindre un degré convenable d’unanimité sur le principe du bilinguisme, il y aura toujours d’inévitables divergences sur les modalités de son application.

Il est tout aussi évident que le bilinguisme et le biculturalisme d’une institution d’enseignement peut comporter des risques et des dangers pour l’une ou l’autre des langues et . des cultures que cette institution prétend servir.

L’Université d’Ottawa n’a pas voulu fuir ni les difficultés, ni les risques, ni les dangers et elle a de ce fait rendu d’incontestables services aux deux groupes ethniques qui l’ont fréquentée. Sa situation géographique, à la frontière du Québec et de l’Ontario, n’était pas et n’est pas encore de nature à rendre sa tâche plus facile, surtout en certains domaines qui, comme le droit civil et l’éducation, sont de juridiction provinciale. Or, chacun sait qu’il a toujours existé des différences entre les systèmes d’éducation du Québec et de l’Ontario et qu’en matière de droit civil, l’Ontario est régi par le « common law », alors que le Québec suit le code civil français.

Soucieuse de s’intégrer au milieu et de s’adapter aux conditions particulières de ce milieu, l’Université d’Ottawa organise une faculté de droit avec deux sections, l’une de droit commun et l’autre de droit civil français. Ainsi, les étudiants des deux provinces pourront recevoir la formation juridique requise soit par leur province d’origine, soit par celle où ils se destinent à pratiquer leur profession. Recevant ses élèves de deux- systèmes d’éducation différents et devant les préparer à des études supérieures ou à des professions dont les exigences pouvaient varier d’une province à l’autre, l’Université d’Ottawa devait offrir particulièrement au niveau des études préparant au baccalauréat es

arts, des programmes d’une grande souplesse.

C’est ce qu’elle fit, pour le plus grand bien de nombreux étudiants du Québec, diplômés des écoles normales et des écoles secondaires, qui se voyaient refuser l’entrée à certaines facultés de l’université, faute de baccalauréat ès arts, et qui d’autre part pouvaient difficilement obtenir ce laissez-passer à. cause de la rigidité des règlements et des programmes régissant l’octroi du baccalauréat es arts dans le Québec.

Dans le temps, cette souplesse de l’Université d’Ottawa était considérée, par bon nombre d’universitaires et d’éducateurs québécois, comme une sérieuse déviation des objectifs de culture générale et d’humanisme du cours secondaire classique, et l’on ne se gênait pas, en certains milieux pour juger sévèrement et déprécier ce parchemin que l’on disait obtenu au rabais.

Pourtant, plusieurs québécois, dont les succès personnels et la contribution qu’ils apportent à la chose publique dans divers domaines sont la preuve qu’ils étaient des candidats de toute première valeur, doivent en grande partie au souci d’adaptation de l’Université d’Ottawa d’être devenus ce qu’ils sont devenus.

Quant au principe sur lequel s’appuyait cette politique de souplesse des. règlements et programmes, à savoir: l’adaptation de l’enseignement aux besoins, intérêts et aptitudes des étudiants, il est aujourd’hui non seulement généralement admis, il est même l’un des principes fondamentaux de la réforme scolaire au Québec.

Il serait possible, en parcourant l’histoire de l’Université d’Ottawa, de trouver d’autres exemples semblables ou d’exposer avec plus de détails ceux que je viens de citer. Il me semble cependant que ceux-là suffisent à illustrer le rôle d’avant-garde rempli par notre université et à justifier le sentiment de fierté que nous éprouvons envers elle.

A ce sentiment s’ajoute celui de la reconnaissance pour tous les services rendus a la collectivité. Je suis heureux d’exprimer publiquement ces sentiments en mon nom personnel, car je les éprouve vraiment, et aussi de me faire votre interprète, car je suis convaincu qu’ils sont également vôtres.

Il ne m’est évidemment pas possible de faire l’énumération de tous les motifs personnels que chacun de nous peut avoir d’être présent à « retour 1969 ». Ces motifs sont d’ailleurs probablement aussi variés que ceux qui nous ont amenés à fréquenter cette institution.

Je ne crois cependant pas me tromper en affirmant qu’ils sont tous plus ou moins directement reliés aux sentiments d’admiration et de fierté, de reconnaissance et d’amitié que nous éprouvons.

Que les maîtres d’aujourd’hui veuillent bien trouver, dans ce témoignage que nous apportons à nos maîtres d’hier, un encouragement à continuer l’oeuvre de leurs devanciers en l’adaptant, constamment, comme ces derniers l’ont fait, aux conditions sans cesse changeantes d’une société en pleine évolution culturelle, sociale, économique, politique et religieuse.

L’Université d’Ottawa se doit et doit au Canada tout entier de toujours remplir le rôle particulier que lui vaut sa situation géographique et culturelle unique et privilégiée, au sein de la capitale fédérale, à la frontière des deux. Plus grandes provinces du pays et à l’un des plus importants points de rencontre des deux grandes cultures qui font son originalité et sa richesse.

Exprimer ce voeu, c’est rendre hommage au passé et exprimer sa foi en l’avenir de notre université.

[QBTRD19691018]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC RECIPIENDAIRE D’UN DOCTORAT HONORIFIQUE . EN DROIT DE L’UNIVERSITE LAVAL SAMEDI, LE 18 OCTOBRE 1969]

Je suis extrêmement honoré, d’abord d’être fait docteur de l’Université Laval, et aussi de me voir attribuer cette distinction en compagnie de l’illustre directeur du Bureau International du Travail, M. Morse, et de compatriotes aussi éminents que le docteur Malcolm Brown, M. Léon Lortie et M. Frank Scott.

Je regrette comme vous tous l’absence du Dr Karl Stern, qui fait également partie de cette promotion d’honneur, mais que la maladie a empêché de se joindre à nous. Puisse-t-il être bientôt rétabli.

C’est une bien agréable tâche que celle d’exprimer à l’éminent recteur de l’Université Laval et aux membres de son Conseil la gratitude des autres récipiendaires et la mienne.

Et puisque me voilà entouré d’une aussi docte compagnie, mes réflexions porteront naturellement sur l’université vue par l’homme politique.

Des nombreuses discussions dont nous sommes présentement témoins sur le rôle de l’université, il est possible de dégager deux courants de pensée qui s’opposent, parfois radicalement.

Pour les uns, l’université est tout d’abord, quand ce n’est pas exclusivement, un agent de conservation et de transmission des valeurs humaines de culture et de civilisation et donc, un agent de conservation de la société. Pour d’autres, l’université est essentiellement un agent de transformation de ces mêmes valeurs, donc un agent de transformation de la société. Mais le citoyen, dont l’homme politique est le mandataire, se soucie fort peu de ces positions idéologiques. Pour lui, le changement ne constitue pas une fin en soi, pas plus d’ailleurs que la conservation.

Le progrès, le sien propre et celui de la collectivité, voilà son objectif. Or, dans tous les domaines, le progrès est fait pour une part de la conservation de certaines valeurs et, pour une autre part, de la transformation ou de la création de certaines autres valeurs.

Dans une société démocratique, il appartient à la collectivité de déterminer ce qu’elle entend conserver, exploiter, transformer ou créer. Chacun petit et grand doit participer à cette détermination; mais personne n’a le droit d’imposer ses conceptions ou ses idéologies à une majorité qu’il n’a pas su convaincre par des moyens rationnels et démocratiques. Pour l’homme politique, l’université doit être à l’écoute de la société, afin de pouvoir forger, selon le cas, les instruments de conservation, d’exploitation, de transformation ou de création des valeurs qui assureront le progrès de la collectivité sur tous les plans.

Pour l’homme politique comme pour le citoyen, l’université est le cerveau ou s’élaborent les idées directrices de la vie de la nation. Ce travail essentiel à l’avancement de l’humanité comporte une recherche méthodique de la vérité, une réflexion profonde sur les idées, les hommes et les choses et un enseignement objectif des connaissances ainsi acquises. Le point de départ et le terme de cette recherche, de cette réflexion et de cet enseignement, ce doit être la réalité objective sous tous ses aspects et non pas une image mythique de cette réalité.

Certes, l’imagination créatrice à sa place à l’université. Elle est même indispensable à tout progrès dans quelque domaine que ce soit, pourvu qu’elle fonctionne dans le réel et sous le contrôle de la raison. Si donc la recherche doit se faire dans toutes les directions à la fois, si la réflexion doit porter sur tous les problèmes, qui intéressent l’homme, si l’enseignement doit diffuser toutes les connaissances acquises dans tous les domaines, l’université n’est pas une arène politique ou les partis se livreraient la lutte pour la conquête du pouvoir. Elle n’est pas non plus une officine de propagande pour une idéologie quelconque, ni un champ clos où s’affrontent les adeptes de théories divergentes ou opposées.

La lutte, la propagande ou l’affrontement sont incompatibles avec le climat de calme et de paix qu’exige la recherche de la vérité sous toutes ses formes. D’ailleurs, dans le contexte actuel, les universités du Québec, quel que soit par ailleurs leur statut juridique, n’appartiennent en fait à aucun individu, à aucune chapelle, à aucun groupe en particulier.

Elles n’appartiennent ni aux administrateurs, ni aux professeurs, ni aux étudiants. Elles n’appartiennent même pas à ce que l’on appelle la communauté universitaire. Elles appartiennent à la nation dont elles constituent l’une des richesses les plus précieuses. Cette richesse, personne n’a le droit de l’exploiter à son seul profit. Elle ne peut être exploitée qu’au profit de l’ensemble de la nation.

Aucun groupe ne peut donc revendiquer pour lui seul le droit de diriger les destinées de l’université. Tous les éléments de la société ont le droit de participer, selon leur compétence respective, à l’élaboration et à la mise en oeuvre des politiques d’exploitation de cet instrument de progrès collectif. Dans cette perspective, le rôle du gouvernement à l’égard des universités est analogue à celui qu’il doit exercer vis-à-vis des autres éléments du patrimoine national. Il est clair qu’il doit d’abord les protéger et les défendre contre toute action, de la part d’individus ou de groupes, qui pourrait avoir pour résultat leur destruction ou leur détournement au profit d’intérêts particuliers.

En conséquence, il doit veiller à ce que tous, individus ou groupes puissent profiter dans le respect du droit des autres et du bien commun, des multiples bienfaits que peut procurer l’université. L’État est en effet le promoteur du bien commun, le protecteur des droits de chaque citoyen comme des droits de toute la communauté nationale.

Il doit aussi faciliter l’exercice de ces droits en favorisant, par des mesures législatives et administratives appropriées, le bon fonctionnement et l’épanouissement des universités, compte tenu de ses obligations à l’égard des autres aspects du bien commun dont il a l’ultime responsabilité.

Si le gouvernement, dans l’accomplissement de ce devoir inéluctable, doit prêter une oreille attentive aux expressions d’opinions, d’où qu’elles viennent, s’il doit être en quelque sorte à l’écoute de la nation, il ne peut permettre à qui que ce soit de disposer à sa guise de la moindre parcelle du patrimoine national, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un élément essentiel à la vie culturelle, économique et sociale de toute la nation.

Dans notre société démocratique, personne ne peut prétendre représenter l’ensemble de la nation à l’égal de ceux que le peuple a spécialement mandatés pour cette tache. Même les exigences d’une participation aussi poussée que possible ne sauraient justifier la reddition sans condition des droits, devoirs et pouvoirs de l’État à des intérêts particuliers ou à des groupes marginaux.

L’autorité politique n’a pas le droit de faillir à son mandat et elle n’y faillira pas. Elle maintiendra, contre les assauts de tous les extrémismes, le respect des libertés essentielles et du processus démocratique.

Ce doctorat dont l’Université Laval veut bien m’honorer, je l’accepte avec joie, comme un symbole des rapports étroits qui doivent exister entre la pensée et l’action, entre la sagesse spéculative et l’engagement politique, entre l’Université et le Parlement.

C’est dans la solidarité de toutes nos forces vives que grandira ce nouveau Québec que nous avons entrepris d’édifier.

[QBTRD19691110]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND
PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DEVANT LESMEMBRES DU CANADIAN CLUB ET DE L’EMPIRE CLUB HOTEL ROYAL YORK DE TORONTO LE LUNDI, 10 NOVEMBRE 1969]

Je ne crois pas nécessaire d’élaborer ici l’un de ces préambules dont on coiffe d’habitude les discours cérémonieux, car je n’ai pas du tout l’impression d’être un étranger parmi vous. En effet, il y a à peine quelques mois, soit en juin dernier, le Québec et l’Ontario ont signé une entente culturelle qui va, j’en suis sûr, servir de modèle à tout le Canada.

C’est aussi dans cette ville de Toronto qu’au cours de l’automne de 1967, en compagnie du premier ministre de l’époque, M. Daniel Johnson, et de quelques-uns de mes collègues, j’ai participé à la Conférence constitutionnelle sur la Confédération de demain, lancée et organisée par le premier ministre de l’Ontario, l’honorable John Robarts.

Que se passe-t-il au Québec? Je ne veux pas me servir d’un cliché trop commode en disant qu’un nouveau Québec est en train de naître, ou que le Québec est en voie de s’adapter au XXIe siècle, bien que ce soit vrai dans une large mesure. Ce qui se passe aujourd’hui dans le Québec n’est que l’aboutissement logique d’une définition graduelle de son identité. Et c’est à dessein que je dis « logique », parce que c’est la description qui vient à l’esprit de ceux qui observent soigneusement le cours des événements au Québec. En effet, la définition de l’identité filtre à travers toutes les pores qu’un historien de l’avenir pourrait appeler « l’histoire du Québec ».

Il ne faut pas confondre les actes de certains mouvements extrémistes, comme il y en a sous une forme ou une autre dans tout l’univers, avec la prise de conscience collective d’une identité.

Vous remarquerez que je n’ai pas employé l’expression « recherche d’une identité ». J’évite cette expression, parce que le Québec a déjà trouvé son identité, une identité façonnée par de nombreux philosophes, écrivains et créateurs qui, tout le long de son histoire, ont scruté l’âme du peuple canadien-français. Le Québec d’aujourd’hui est tout simplement à la recherche des meilleurs moyens à prendre pour appliquer sa propre définition de sa propre identité.

Il faut bien se mettre dans la tête que les nationalistes ne sont pas nécessairement des séparatistes ou des extrémistes. Nous définissons le nationalisme comme étant la fierté d’être ce que nous sommes et nous le considérons comme un élément positif et créateur du patriotisme. Si le nationalisme n’existait pas, il n’y aurait pas de Canada. Car le Canada ne tient ni à des frontières géographiques qui sont purement artificielles, ni aux courants naturels du commerce, qui tendent plutôt à s’orienter dans un axe nord-sud. Le Canada doit plutôt son existence à des idées, à des sentiments et même à des obsessions. Et c’est essentiellement ce qui constitue le nationalisme canadien.

A l’interieur de ce nationalisme canadien, il y a un nationalisme québécois qu’il faut aussi considérer comme une puissante force créatrice.La Commission Laurendeau-Dunton a clairement reconnu le fait qu’il existe au Canada deux sociétés distinctes, deux majorités, deux communautés culturelles.

Un nombre incalculable de Canadiens anglais ont reconnu ce fait à un moment ou à un autre de l’histoire de notre pays. M. Eugene Forsey a dit en 1961, et je cite: [« Nous faisons preuve, pour la plupart, d’une ignorance déplorable à l’égard du Canada français… Nous devrions nous demander constamment quels seraient nos sentiments si nous étions un flot anglophone relativement minuscule entouré d’un océan de gens de langue française, quels droits nous aurions l’impression d’avoir et quel traitement nous nous attendrions de recevoir de la part de la majorité.  » Fin de la citation.]

A la même époque, M. Murray G. Ballantyne a dit, et je cite encore: [« Nous ne comprendrons jamais les Canadiens français tant que nous n’accepterons pas de gaieté de coeur qu’ils sont très différents de nous, qu’ils ont parfaitement le droit d’être eux-mêmes et, par conséquent, différents, et que cette différence est une bonne chose et un enrichissement pour notre propre vie nationale. Vive la différence! » Fin de la citation.]

Dans une autre circonstance, M. Ballantyne avait déjà prononcé une phrase fort révélatrice lorsqu’il avait dit: [« Je ne suis pas tout à fait le même homme quand je parle français ».]

Or il n’est pas du tout fatal que ces deux nationalismes s’opposent l’un . l’autre et menacent ainsi de détruire le Canada. L’histoire démontre que ces deux forces peuvent s’épauler mutuellement au lieu de se combattre.

Les Canadiens français ont été d’ardents nationalistes canadiens avant de devenir des nationalistes québécois. Ils ont réclamé avec insistance l’indépendance du Canada bien avant qu’il soit question de l’indépendance du Québec. Ils ont milité pour un drapeau vraiment canadien avant de doter le Québec d’un drapeau distinctif en 1948. Ils ont oeuvré longtemps au sein des partis politiques canadiens avant de se donner, en 1936, un premier parti politique voué exclusivement aux intérêts du Québec. Les Canadiens français ont réclamé une nouvelle constitution canadienne plusieurs années avant de songer à une constitution québécoise. Par conséquent, les nationalismes québécois et canadien ne sont pas nécessairement dressés l’un contre l’autre.

C’est, à bien des égards, notre responsabilité de faire en sorte que ces deux forces puissent travailler ensemble. Nous devons réaliser que, sans une telle entente, ni le Canada ni le Québec ne pourront accomplir tout leur destin. Pour ma part, je répète ce que j’ai toujours dit: je suis fier d’être québécois et canadien.

Oui, le Québec est différent, mais cette différence n’est plus ce que, pendant de nombreuses années, certains ont cru qu’elle était. Pendant longtemps, on a dit du Québec que c’était une province arriérée, maintenue constamment dans cet état d’infériorité par un système d’enseignement démodé, sous l’égide d’un clergé plus intéressé à la poursuite de ses propres buts qu’à l’épanouissement d’une population surprotégée. Cette assertion m’a toujours paru très injuste. On ne saurait la considérer comme un jugement valable. Pendant nombre d’années, on a dit aussi que par suite de l’éducation qu’ils avaient reçue, nos hommes les plus brillants étaient traditionnellement enclins à devenir surtout des humanistes et des penseurs, des poètes et des philosophes; on estimait qu’à former ce genre d’élite, le Québec ne pourrait jamais faire face aux exigences économiques de l’Amérique du Nord.

Voilà encore une évaluation globale qui n’est plus valable. C’est un mythe qui ne cadre plus avec la réalité d’aujourd’hui. Il faut comprendre qu’à l’époque où presque toute l’Amérique s’affairait à conquérir, à coloniser et à organiser de nouveaux territoires, les Canadiens français avaient fort à faire pour simplement assurer leur survivance et conserver leur propre individualité.

On a souvent dit que cette lutte pour la survivance était une aventure sans lendemain; pourtant, elle a été couronnée de succès. Le fait est la: nous avons survécu. Nous existons maintenant comme entité. Une entité qui ne se contente plus de survivre, mais qui se développe avec un élan, une vitalité extraordinaires. Une entité forte de six millions, unique en Amérique. Et tout comme le Canada lui-même, le Québec d’aujourd’hui n’aurait pas été possible sans l’impulsion créatrice d’un nationalisme positif.

Le fait que les Canadiens français en général et ceux du Québec en particulier ont refusé d’accepter le principe du « melting pot » a été un élément positif dans la définition du nationalisme canadien. D’autre part, les efforts que nous déployons présentement en vue de promouvoir une connaissance et un usage plus répandus de la langue française constituent une garantie supplémentaire pour la survie du Canada. Et nous le faisons sans priver les autres Canadiens de leurs droits. La langue française est le véhicule essentiel d’une culture différente, la manifestation d’une énergie créatrice a l’oeuvre .

Et voici que nous commençons maintenant à orienter cet élan vital vers des réalisations économiques d’un genre nouveau. Dans la solitude sauvage de notre territoire, nous avons créé le plus grand complexe hydroélectrique du monde occidental. Des profondeurs du Saint-Laurent, nous avons fait surgir des îles qui ont été, aux yeux du monde entier, le théâtre de l’événement le plus extraordinaire de l’histoire du Canada. Un centre de recherches sur l’électricité, unique en son genre au monde, est en voie de construction à Boucherville, tandis qu’à Sainte-Foy on vient d’entreprendre les travaux de construction d’un immense complexe scientifique qui fera l’envie de tous les visiteurs.

Le rêve d’un sport nouveau est né de nos longs hivers, et nous avons inventé et mis sur le marché des véhicules qui ouvrent au monde des perspectives inédites dans le domaine des loisirs. Et grâce au train d’atterrissage du module lunaire, le Québec a touché la lune avant les astronautes américains. Sans entrer dans les détails, puisque le fait est déjà bien connu, je dirai que le Québec compte plus de poètes, de chansonniers, d’écrivains, de metteurs en scène, de sculpteurs, de peintres, de programmateurs de télévision, de réalisateurs de cinéma que le reste du Canada dans son ensemble. Toutes ces réalisations scientifiques, économiques et culturelles que je viens de mentionner ne sont que des manifestations particulières de la vigueur du fait français. Elles font partie d’un climat, d’une façon d’être qui doivent se maintenir pour que le Canada demeure.

Au Québec, une nouvelle génération est en voie d’atteindre sa majorité. Elle bénéficie d’un système d’éducation rénové qui a su intégrer à la discipline des techniques nord-américaines l’apport de l’imagination créatrice. Voilà une génération qui vit déjà au rythme des années 70. Très consciente de sa valeur, de ses ressources et de ses aptitudes, la génération qui pousse réclame un Québec prospère. Elle connaît l’extraordinaire ampleur des richesses naturelles que le Québec possède à l’intérieur de ses frontières et des perspectives qu’elles ouvrent pour l’avenir. Elle sait, cette jeunesse, que le Québec devra prévoir 75000 nouveaux emplois chaque année au cours des cinq prochaines années, afin de permettre à tous l’accès au marché du travail.

La jeunesse du Québec a un choix a faire. Elle devra choisir entre l’indépendance à tout prix, ou la solidarité à l’intérieur de l’ensemble dont nous faisons déjà partie. En ce qui me concerne, mon choix est fait. Et mon choix pour le Québec, c’est de demeurer dans le Canada, en essayant de découvrir, en collaboration avec les autres provinces et le gouvernement central, les moyens d’adapter le système actuel aux besoins, aux problèmes et aux aspirations de notre époque.

Voilà le terrain sur lequel nous devons nous rencontrer, puisque partout ailleurs au pays une nouvelle génération est également en voie d’atteindre sa majorité. Dans la gestion des entreprises et dans le monde de la finance, vous occupez, pour votre part, une situation enviable. Le temps que nous avons consacré a survivre et à nous affirmer, vous l’avez employé à former des planificateurs et des coordonnateurs, des administrateurs et des chefs d’entreprises, des spécialistes possédant une connaissance approfondie des mécanismes de la vie économique.

Puis-je vous rappeler que les grandes fortunes dans le monde ont été édifiées grâce à l’association soigneusement équilibrée du capital et de l’aptitude créatrice? C’est ainsi également que continueront de s’édifier les fortunes de demain; sinon les fortunes, du moins les réalisations indispensables à une expansion continue. Et tout cela est nécessaire à la survie du Canada.

Présentement, le Québec constitue un réservoir important de ressources et d’énergie créatrice; et cette puissance créatrice est un facteur essentiel d’expansion et de progrès. Le Québec est prêt à s’associer à vous, à prospérer avec vous et à continuer de bâtir avec vous cet immense pays qu’est le Canada.

[QBTRD19691129]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JAN-JACQUES BERTRAND, CHEF DE L’UNION NATIONALE, AL’OUVERTURE DE LA REUNION DU CONSEIL NATIONAL. Sherbrooke, le samedi 29 novembre 1969.]

Nous avions convenu, à l’ issue du congrès de juin, de tenir une autre réunion du conseil national de notre parti avant latin de l’automne: Nous voici au rendez-vous. Je suis extrêmement heureux de vous retrouver et je vous remercie d’être venus, de tous les comtés du Québec, représenter ici l’ensemble de nos militants, y compris comme il se doit les dames et les jeunes. Sans doute avez-vous dû consentir des sacrifices considérables pour apporter votre concours personnel au succès de cette importante réunion. Mais vous êtes de ceux qui se font un devoir d’apporter à la vie politique du Québec une contribution positive, par un usage judicieux et responsable des procédés démocratiques, Je vous en félicite et vous en remercie. Avec les parlementaires de l’Union Nationale, vous formez l’État-major d’un parti fortement enraciné dans le peuple, qui a exercé le pouvoir pendant plus de deux ans sur trois depuis sa fondation en 1936 et qui, soyez-en sûrs, sortira vainqueur des prochaines élections avec une majorité largement accrue. Il y aura en effet des élections générales au cours de 1970. Ne me demandez pas d’en préciser la date, car il n’y a rien de décidé à ce sujet. Mais il n’est pas trop tôt pour commencer à nous y préparer. Nos structures Au cours de la présente réunion, si vous le voulez bien, nous jetterons d’abord un coup d’oeil critique sur nos propres structures, afin de déterminer s’il n’y aurait pas lieu d’y apporter, quelques modifications. Je songe en particulier au bureau -du conseil national. C’est en somme l’exécutif de notre parti. Est-ce qu’il ne serait pas opportun d’en élargir les cadres, afin d’assurer par exemple une meilleure représentation aux diverses régions économiques du Québec? Nous aurons l’occasion d’en causer au cours de la journée.

Des assises Nous nous demanderons également s’il n’y aurait pas lieu de tenir avant les prochaines élections, au printemps peut-être, des assises semblables à celles qui ont remporté un si vif succès en mars 1965. Ceux qui ont participé à ces travaux se rappellent la part très large que nous y avons faite à la consultation des corps intermédiaires et des nombreux spécialistes que nous avions invités à réfléchir avec nous, tout en leur assurant la plus totale liberté de parole. À l’époque, c’était une formule tout à fait nouvelle et qui n’allait pas sans risque. Elle nous a magnifiquement réussi puisque l’Union Naionale a été reportée au pouvoir quelques mois plus tard. Pouvons-nous, dans les circonstances présentes, répéter cette expérience? Vaudrait-il mieux innover de nouveau, inventer un mode inédit de consultation qui s’inspirerait cependant du même esprit? Quelle que soit la formule utilisée, l’important, à mon sens, est de jouer franchement et résolument le jeu de la démocratie. Ce n’est pas, remarquez-le bien, ce qu’il a de moins exigeant. Travailler en équipes, cerner les vrais problèmes en étroite liaison avec ceux qui les vivent, élaborer des programmes d’action et les soumettre au feu de la critique, tout cela demande du temps, de la patience et surtout beaucoup d’amour des siens. C’est bien plus difficile que de brandir des slogans et de se pavaner dans la rue avec ceux qui affectionnent ce genre d’exercice. Mais c’est bien plus constructif et, en dernière analyse, infiniment plus efficace. Les vrais dépositaires de la légitimité nationale ne sont pas ceux qui se plébiscitent eux-mêmes. Le peuple n’est pas dupe. Il possède un flair beaucoup plus aiguisé, un sens politique beaucoup plus fin que certains ne se l’imaginent. De toute façon, je ne m’attends pas a ce que nous puissions décider dès aujourd’hui de la date et du lieu de nos prochaines assises. Plusieurs facteurs entrent ici en ligne de compte, dont les locaux et les facilités de logement qui peuvent être disponibles à un moment donné. L’important est que nous nous entendions d’abord sur le caractère et l’orientation générale qu’il conviendrait de donner à cet événement. Les détails pourront être fixés plus tard.

Le programme Par contre, je crois qu’il est urgent de hâter la préparation de notre programme électoral et de mettre sur pied les divers groupes de travail nécessaires à cette fin. Je prends pour acquis que nos commissions d’étude pourront, comme il y a quatre ans, s’adjoindre tous les spécialistes qui voudront bien les aider dans leurs recherches, qu ils soient membres ou non de l’Union Nationale. Ce fut toujours la vocation particulière de notre parti de rassembler, au-dessus des cloisonnements politiques ou idéologiques, tous les Québécois de bonne volonté. Il s’agit en somme de faire le point et de dresser, à partir des données les plus objectives, le meilleur plan d’action qu’il soit possible de concevoir pour le Québec des années 1970 à 1974.

La jeunesse Cependant, nous ne saurions planifier d’une façon réaliste pour la durée du prochain mandat parlementaire sans regarder beaucoup plus loin devant nous. Songez que parmi ceux qui voteront pour la première fois l’an prochain, il s’en trouve un bon nombre qui n’auront même pas 50 ans à la fin du présent millénaire. Il faut donc essayer de prévoir dès maintenant ce que sera notre société en l’an 2, 000. Et c’est en pensant à cette société future qu’il faut bâtir le Québec des années 70. D’où l’importance de le bâtir avec la pleine participation de la génération montante. Car les jeunes ont peut-être mieux que leurs aînés l’intuition de ce que sera le monde dans lequel ils vivront demain. Ils peuvent en effet regarder les choses avec des yeux neufs, sans être influencés par le poids des habitudes et des idées toutes faites. Par ailleurs, il ne faut pas méconnaître les leçons de l’expérience, ni rejeter ce qu’il y a de valable dans l’héritage du passé. C’est pourquoi il est si important que les jeunes et les moins jeunes apprennent à travailler ensemble et à se compléter mutuellement. L’Union Nationale est particulièment bien outillée pour faciliter les contacts entre les divers éléments de la société québécoise. Ses structures ont été conçues expressément dans ce but. Elle est d’ailleurs le seul parti qui assure aux jeunes et aux dames une place strictement égale à celle des autres militants, tant au niveau des associations de comté qu’à celui du conseil national.

La constitution canadienne Dans l’élaboration de notre programme, nous devrons, cette année encore, faire une large place aux affaires constitutionnelles. Comme vous le savez sans doute, nous avons enfin obtenu de nos partenaires d’Ottawa et des autres provinces qu’ils veuillent bien ouvrir avec nous, en vue d’une revision en profondeur, tout le dossier de la fédération canadienne. Divers mécanismes ont été institués à cette fin. Le démarrage a été plutôt lent, mais les travaux se sont accélérés par la suite et nous avons pu aborder dernièrement l’aspect le plus fondamental du problème constitutionnel: celui de la répartition des pouvoirs et des sources de revenus. Tout cela constitue déjà une importante victoire pour le Québec; car il faut se rappeler qu’avant 1967, beaucoup ne voulaient même pas entendre parler de changements constitutionnels. Dès juillet 1958, le Québec a soumis au comité permanent de la conférence un document de travail ou sont clairement énoncés et expliqués les changements qu’il réclame. À ces propositions de base, nous avons ajouté par la suite des études plus détaillées sur deux sujets qui nous tiennent à coeur: celui des relations avec l’étranger et celui des allocations familiales. Tous ces documents s’inspirent des positions prises par notre parti dans son programme de 1966. Et je suis convaincu qu’ils répondent à l’attente de l’immense majorité des Québécois, qui ne sont pas des révolutionnaires, qui ne veulent pas détruire le Canada, qui tiennent à participer au dynamisme de l’économie nord-américaine, mais qui sont bien déterminés par ailleurs à rester maîtres de leur culture, de leurs institutions particulières et de leur destin collectif. Ce n’est pas une tâche facile que de refaire la constitution dans un pays où il y a onze gouvernements, deux cultures nationales et une grande diversité de traditions et d’intérêts économiques. Ce ne sera pas terminé demain, ni l’an prochain. Avec votre appui, cependant, nous accomplirons notre- tâche jusqu’au. bout, en y mettant toute la fermeté et toute la diplomatie nécessaires à la réalisation des objectifs que vous nous avez assignés.

La constitution québécoise Mais nous n’attendrons pas la fin des pourparlers sur la constitution canadienne pour reviser et compléter notre propre constitution québécoise. En agissant sur cette constitution interne, dont nous sommes les seuls maîtres sauf en ce qui concerne la fonction du lieutenant-gouverneur, nous pouvons déjà faire beaucoup pour donner au Québec un statut conforme à ses aspirations et à ses besoins particuliers. Effectivement, nous avons déjà fait beaucoup. Nous avons aboli le Conseil législatif sans recourir, comme les libéraux s’apprêtaient à le faire, aux bons offices de Londres et d’Ottawa. À la place des deux chambres que nous avions auparavant, nous nous sommes donné une véritable Assemblée nationale. Et cela nous a permis d’imprimer une énergique poussée à la réforme parlementaire. Tout est loin d’être terminé en ce domaine; nous sommes ouverts à toutes les suggestions qu’on voudra bien nous faire; mais je puis affirmer avec la plus grande certitude que la réforme parlementaire est bien plus avancée à Québec, qu’à Ottawa!

La sécurité sociale Avec le projet de loi 26 qui est présentement à l’étude et le livre blanc que vient d publier notre collègue Jean–Paul Cloutier, il est clair que le Québec est aussi à l’avant-garde pour ce qui concerne la rationalisation des mesures de sécurité sociale. Nous voulons en faire un système à la fois plus juste et plus efficace, qui soit une incitation au travail plutôt qu’une incitation au chômage. Nous allons commencer, bien sûr, par intégrer dans ce nouveau système les mesures sociales qui dépendent déjà de nous; mais l’harmonisation serait bien plus complète si nous pouvions rapatrier entièrement les allocations familiales avec les revenus qui y correspondent. Comme le signalait un éditorial du Droit en date du 19 novembre, [« la politique du gouvernement fédéral en matière d’allocations familiales n’a jamais été vraiment sociale. Ce gouvernement était entré dans ce champ d’activité en 1944, un peu à reculons. Il n’est jamais allé de l’avant non plus depuis. Les allocations fédérales n’ont pas été ajustées au coût de la vie. Elles n’oint jamais eu de caractère progressif et elles n’ont jamais tend compte des charges supplémentaires dies familles nombreuses ».] Par contre, comme l’a signalé M. Cloutier dans son livre banc, Québec pourrait en faire un précieux instrument d’équilibre démographique en même temps que de justice sociale. Il faut espérer que nos représentants à Ottawa reconnaîtront ce besoin primordial du Québec d’aujourd’hui.

La croissance économique Mais sans amoindrir l’importance des problèmes constitutionnels et des problèmes sociaux, je crois que l’accent, dans notre prochain programme électoral, devrait porter principalement sur les problèmes économiques. Il est bien inutile d’instaurer la primauté du français comme langue d’enseignement et comme langue de travail, ainsi que nous l’avons fait par la loi 63, si nos gens sont obligés de s’expatrier pour trouver de l’emploi. L’émigration des nôtres n’aide jamais la cause du français. Pour préserver notre héritage culturel, deux choses nous sont absolument nécessaires: un gouvernement fort à Québec et un niveau de vie, comparable à celui de nos voisins de l’Ontario et des États-Unis. Il ne s’agit donc pas de choisir entre notre culture et le niveau de vie nord-américain. L’Union Nationale estime qu’il faut choisir les deux. L’Union Nationale est bien déterminée à préserver les deux. Dans ma récente causerie au Club Renaissance de Montréal, j’ai énuméré une vingtaine de mesures que nous avons commencé à mettre en oeuvre pour stimuler le développement économique du Québec. Je n’y reviendrai pas aujourd’hui, sauf pour signaler que vous devez aussi faire votre part, d’abord par vos suggestions et aussi par le climat que vous pouvez contribuer à créer. Car le climat économique, c’est quelque chose qui se définit mal, mais qui est d’une importance primordiale. C’est fait surtout de réalisme, de bon sens, de solidarité et aussi d’optimisme. Nous avons au Québec les richesses naturelles. Nous avons les talents. Nous avons de plus en plus l’instruction. Nous avons une situation géographique exceptionnelle le long de cette vallée du Saint-Laurent qui constitue déjà la plus grande voie maritime du monde et qui est appelée à devenir, selon des économistes chevronnés, la Ruhr de l’Amérique. Que faut-il pour compléter tout cela? La confiance! Et la confiance, il faut comprendre que ça ne se construit pas avec de l’agitation, des bombes, des récriminations perpétuelles, des paroles haineuses et des contestations stériles. On ne peut pas opter pour un Québec fort et, en même temps, faire tout ce qu’on peut pour le dénigrer et l’affaiblir. On ne peut pas vivre au delà de ses moyens et multiplier du même coup les investissements profitables. On ne peut pas prêcher la haine des patrons et attirer quand même, au Québec des bâtisseurs d’usines et des créateurs d’emplois. C’est bien de conserver sa langue et de la faire rayonner. Mais une culture, ce n’est pas seulement un mode d’expression. Il y a une qualité bien française qui s’appelle la logique. Il y en a une autre qui est la mesure, la modération, l’équilibre. Mais l’ostracisme, ce n’est pas français. L’intolérance, ce n’est pas français. Le refus de l’autre, le repli sur soi, le fanatisme acrimonieux et revêche, ce n’est pas français, ce n’est pas québécois et ce n’est pas dans l’esprit de l’Union Nationale. Mes chers amis, je vous invite à élaborer un programme qui soit une source de fierté et d’optimisme, un programme qui soit une proclamation de foi en l’avenir de notre peuple, un programme qui fasse du Québec une terre toujours plus française, plus libre et plus prospère.

[QBTRD19691221]

[MESSAGE DE FIN D’ANNEE DU PREMIER MINISTRE
DU QUEBEC, M. JEAN-JACQUES BERTRAND 21 décembre 1969]

Même à l’ère moderne, les célébrations de la période des Fêtes continuent de nous attendrir et de nous émerveiller. C’est sans doute parce qu’elles s’adressent au coeur autant qu’à l’esprit. Malgré tous les progrès de la science et de la technique, nous restons extrêmement sensibles aux mystères que ces Fêtes évoquent et aux traditions qu’elles continuent d’inspirer. N’allons surtout pas nous en excuser. Nous ne serions plus que des robots si nous avions perdu la faculté de nous émouvoir devant la crèche de Noël ou devant une famille assemblée pour la bénédiction paternelle.

Au fond, nous sommes tous en quête de bonheur et d’amour. C’est une aspiration de tous les temps et de tous les milieux. L’homme d’aujourd’hui, comme celui qui a vu se lever, il y a vingt siècles, l’aube de l’ère chrétienne, éprouve un immense besoin de se sentir reconnu, accepté et compris. Et il sait bien qu’il n’y a pas de compréhension possible sans amour.

Car les problèmes humains, qu’ils soient individuels ou collectifs, ne se perçoivent bien qu’avec le coeur. C’est par le coeur que l’on peut aller au-delà de la stricte justice. Les rouages sociaux, même les plus perfectionnés, grinceront toujours si l’on ne sait pas y mettre l’huile de la charité.

Mon voeu le plus ardent sera de voir grandir sans cesse parmi nous cette générosité du coeur qui est le ciment des vraies communautés humaines.

A mes électeurs du comté de Missisquoi, à mes collègues du gouvernement, aux membres de notre Parlement sans distinction de partis, à tous les éléments de la population québécoise, je souhaite de posséder en abondance la joie et la paix qui sont de tout temps promises aux hommes de bonne volonté.

[QBTRD19691218]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC SIGNATURE D’UN ACCORD DE COOPERATION et d’ECHANGES,EN MATIERE D ‘EDUCATION, DE CULTURE ET DE COACMUNICATIONS ENTRE LE GOUVERNEMENT DU QUEBEC ET le gouvernement DU NOUVEAU- BRUNSWICK LE 18 décembre 1969]

Monsieur le Premier ministre,

C’est avec grand plaisir que je me trouve aujourd’hui dans la capitale de votre province. Le Québec- et le Nouveau-Brunswick ont ensemble plus que des liens d’amitié. Je dirais qu’entre nos deux provinces il existe des liens de parenté et de voisinage. Vous avec ici un élément de langue française qui représente une forte proportion de la population totale de votre province. Cette population de langue française a toujours su manifester une fidélité que je qualifierais d’historique. Dans ces conditions et compte tenu de la fidélité historique que l’on trouve aussi chez les Québécois, il était tout à fait normal que nous songions à collaborer davantage, et ce dans tous les domaines ou cette collaboration pouvait nous être mutuellement avantageuse.

C’est pourquoi nous procédons aujourd’hui à la signature d’un accord de coopération et d’échanges en matière d’éducation, de culture et de communications. . Comme vous, j’en suis heureux. D’une part, cet accord donnera lieu à un rapprochement encore plus étroit entre deux provinces qui ont beaucoup en commun. D’autre part, il constituera une preuve de plus que la coopération interprovinciale au Canada peut être exploitée davantage. À mes yeux cette coopération, sans apporter bien sûr la solution automatique de tous nos problèmes, n’en constitue pas moins un des éléments essentiels du Canada de demain. Il faut s’en servir au maximum. Je suis persuadé qu’à l’expérience elle portera des fruits car elle conduira, avec le temps, non seulement à une meilleure compréhension réciproque, mais aussi à une collaboration à la fois plus fréquente et plus soutenue entre les états-membres de notre fédération.

L’accord que nous signons aujourd’hui est en substance le même que celui que nous avons conclu avec l’Ontario, il y a quelques mois. Il est le résultat de nombreux échanges de vues entre nos gouvernements. Son principe avait été accepté il y a déjà quelques années et je suis vraiment satisfait de constater que nous sommes maintenant en mesure de l’établir sur des bases solides. Il couvre un ensemble passablement étendu. Il touche la langue, l’administration publique, l’éducation, la jeunesse, la culture ainsi que les communications. C’est en somme un accord orienté vers l’avenir.

Car c’est aujourd’hui vers l’avenir qu’il faut orienter nos efforts. Non pas évidemment qu’il faille négliger le présent. Mais nous avons tous intérêt à construire ensemble la société dans laquelle nous voulons vivre demain, et à faire aujourd’hui tout ce qui nous est possible pour la façonner selon nos objectifs. Dans cette perspective, l’accord Nouveau-Brunswick-Québec deviendra un instrument d’action.

En terminant, Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de l’accueil chaleureux que vous avez su réserver à notre délégation. Je profite aussi de l’occasion pour vous présenter, à vous, à vos collègues et à toute la population du Nouveau-Brunswick les voeux d’amitié du gouvernement et de la population du Québec.

[QBTRD19700119]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC LA CHAMBRE DE COMMERCE DU DISTRICT DE MONTREAL HOTEL MONT-ROYAL – MONTREAL LUNDI, LE 19 JANVIER 1970]

Si la dernière décennie a été avant tout celle de l’éducation, je crois que nous venons d’entrer, avec l’année 1970, dans ce qui sera par excellence la décennie de la croissance économique. En d’autres termes, j’estime que nous devrons commencer bientôt, et que nous commencerons en effet, à récolter les fruits des investissements massifs que nous avons dirigés dans le secteur de l’éducation au cours des dix dernières années. Pour un État engagé dans une évolution aussi trépidante que celle du Québec, il est nécessaire de s’arrêter de temps à autre pour faire le point. L’entrée dans une nouvelle décennie se prête naturellement à un examen de cette nature. Il est certain que le Québec a vécu, au cours des dix dernières années, l’une des phases les plus novatrices et les plus décisives de son histoire. Mais plus les événements se précipitent, plus les transformations s’accélèrent, plus aussi il incombe aux artisans du Québec nouveau de scruter les voies de l’avenir. Il ne suffit pas de peser sur l’accélérateur: il faut savoir prévenir les virages et consulter au besoin son rétroviseur. La décennie qui vient de se clore aura été avant tout celle de l’éducation. Décennie qui empiète d’ailleurs sur la précédente puisque déjà, en 1959, les chroniqueurs parlementaires définissaient la session Sauvé-Prévost comme « la session de l’éducation ». Cette année-là, en effet, le Parlement a introduit dans nos statuts tout un éventail de lois nouvelles qui constituaient l’annonce et le prélude de changements profonds. L’institution, par exemple, de corporations d’écoles secondaires consacrait déjà le principe de la régionalisation scolaire et donnait à toutes fins pratiques le feu vert à l’établissement des premières écoles régionales. C’est dire qu’il en fut de la refonte de notre système d’enseignement comme de toutes les grandes réformes ou révolutions de l’histoire humaine: elle a été à la fois un point d’arrivée et un point de départ.

L’historien de notre régime d’éducation, M. Louis-Philippe Audet, qui fut le secrétaire de la Commission Parent, se refuse d’ailleurs à voir dans la révolution scolaire de la dernière décade le fruit d’une génération spontanée. « Cette réforme qui démarre en septembre 1959, écrit-il, n’a pu se poursuivre durant dix ans que parce qu’elle fut lentement, sûrement préparée par les années ’50…  »

Je n’entends pas rappeler ici les diverses étapes de cette réforme qui, de l’établissement du ministère de l’Éducation jusqu’à l’ouverture de l’Université du Québec, en passant par la création des collèges d’enseignement général et professionnel, devait modifier si profondément l’architecture de notre régime scolaire. Je n’entends pas discuter non plus du contenu pédagogique des nouvelles structures. Mais je crois le moment venu de poser un certain nombre de questions sur les rapports qui existent ou qui devraient exister entre le développement de l’éducation et le progrès économique du Québec.

Car si la dernière décennie a été avant tout celle de l’éducation, je crois que nous venons d’entrer, avec l’année 1970, dans ce qui sera par excellence la décennie de la croissance économique. En d’autres termes, j’estime que nous devrons commencer bientôt, et que nous commencerons en effet à récolter les fruits des investissements massifs que nous avons dirigés dans le secteur de l’éducation au cours des dix dernières années.

Peut-être est-il bon de rappeler en tout premier lieu que l’argent dépensé pour l’éducation ne cesse pas pour autant de travailler pour l’économie québécoise. C’est de l’argent qui est entièrement dépensé au Québec et qui continue de faire tourner les rouages de notre économie.

Pour ne citer qu’un exemple, le ministère de l’Éducation avait prévu l’érection de quelque 100 écoles polyvalentes à travers le Québec. 63 sont déjà ouvertes, 22 sont en voie de construction au coût de 93000000 et 9 autres seront mises en chantier sous peu au prix de $ 35000000. Pour la prochaine année financière seulement, 25 nouvelles écoles seront érigées au coût de plus de $ 100000000.

Est-ce là de l’argent perdu pour l’économie québécoise? Bien sûr que non. Tous ces millions continuent de circuler à l’intérieur de nos propres circuits économiques. Ils aident au développement de nos entreprises commerciales et industrielles. Même l’argent payé en salaires contribue à gonfler notre pouvoir d’achat, à créer une plus forte demande pour nos produits et à stimuler les affaires. Mais j’en arrive tout de suite à un aspect beaucoup plus important des rapports entre l’éducation et l’économie.

Celui qui fut l’architecte du Marché Commun et le maître-planificateur de l’économie française, Jean Monnet, n’hésitait pas à dire que, dans la compétition économique ouverte entre les nations, l’avenir appartient à celles qui se donneront le système scolaire le plus complet.

On en a eu un exemple significatif, au sortir de la dernière grande guerre, quand 5000000 de réfugiés ont été refoulés par les Slaves à l’intérieur de la République Fédérale Allemande. Beaucoup pensèrent que ces 5000000 de réfugiés iraient rejoindre les 6000000 de chômeurs d’avant Hitler. Or, douze ans après, non seulement les nouveaux venus étaient-ils parfaitement intégrés à l’économie de l’Allemagne de l’Ouest, mais il fallait même importer dans la Rhur de la main-d’oeuvre italienne.

L’explication? Nous la trouvons sous la plume d’Alfred Sauvy. [« Le motif essentiel de la reprise,, écrit-il, est que ces hommes sans capitaux sont venus avec leur savoir, leur qualification. Ils ont travaillé comme des fourmis et reconstitué les capitaux qui leur manquaient parce qu’ils comprenaient une proportion suffisante d’ingénieurs, de mécaniciens, de maîtres, de chimistes, de médecins, de sociologues, d’ouvriers qualifiés, etc. S’il était entré en Allemagne occidentale 5000000 de manoeuvres illettrés, il y aurait aujourd’hui 5000000 de chômeurs ». Le savoir crée l’emploi. C’est un postulat depuis longtemps reconnu. Une étude menée auprès de dix-sept grandes entreprises nord-américaines et publiée par le Conseil économique du Canada démontre que, selon les préférences exprimées par ces sociétés ouvrant dans plusieurs secteurs différents, « les personnes n’ayant pas terminé leurs études secondaires peuvent s’attendre, en général, à une baisse notable de leurs possibilités d’emploi ». Les enquêteurs prévoient par contre que les membres des professions libérales, les administrateurs, les techniciens peuvent espérer obtenir environ 42 % des nouveaux emplois alors que la part des simples manoeuvres s’établirait à 10 %.

Ces projections confirment un phénomène de migration qu’économistes et sociologues observent sur le marché du travail. Les travailleurs du secteur primaire, comme les agriculteurs, émigrent vers les activités de type secondaire, soit l’industrie manufacturière, alors que les salariés du secteur secondaire envahissent de plus en plus le secteur tertiaire, c’est-à-dire celui de l’administration et des services. Ce mouvement est heureux puisque, comme le rappelle Jaccard, [« ce sont les tertiaires qui mènent l’économie ».]

Cette constatation en appelle une autre, soit la tendance normale d’une société industrialisée, ou en bonne voie de l’être, vers une intellectualisation croissante de sa population, ce qui lui permettra de prendre le tournant de l’ère post-industrielle avec un maximum d’aplomb.

Tout cela pour démontrer que l’homme restera toujours la première valeur économique et que l’argent investi dans l’instruction sera toujours le premier facteur de développement. Le cas du Japon montre que même les pays qui ont très peu de richesses naturelles, qui doivent par exemple venir chercher notre vieux fer pour alimenter leurs industries, peuvent quand même parvenir à un très haut degré de croissance économique grâce à l’ingéniosité, au savoir-faire et à la compétence de leur main-d’oeuvre.

Mais je m’imagine bien que ces remarques ne répondent pas à toutes vos préoccupations touchant les aspects économiques de l’éducation. C’est un art trop facile que celui d’éluder les vraies questions pour ne pas avoir à donner les vraies réponses. J’essayerai donc de répondre aux principales interrogations qui se sont exprimées déjà dans nos milieux d’affaires sur ce sujet d’une brûlante actualité.

C’est bien beau de dire que les investissements faits dans l’éducation sont les plus rentables à long terme; mais encore faut-il s’occuper des problèmes d’aujourd’hui, surtout dans une province si lourdement affectée par le chômage. D’où la question qui a périodiquement surgi: « Est-il raisonnable de tant dépenser pour l’éducation, est-il raisonnable de consacrer annuellement un milliard de dollars à la préparation de futurs diplômés quand les ministères à vocation économique, qui ont la lourde responsabilité de trouver de l’emploi à nos jeunes, ne disposent que de budgets relativement restreints? Est-ce qu’il n’y a pas là un déséquilibre flagrant? »

Bien sûr qu’il y a déséquilibre. Vous admettrez toutefois que depuis une couple d’années surtout, nous travaillons très fort à corriger cet état de choses. En plus d’augmenter et même de doubler dans certains cas les crédits alloués aux ministères économiques, nous avons multiplié les mesures propres à stimuler les investissements industriels, à attirer chez nous des capitaux europeens aussi bien que nord-américains et à créer un intérêt accru autour des ressources et des produits du Québec.

Nous avons également ajouté à notre équipement collectif plusieurs instruments nouveaux comme le ministère des Institutions financières, compagnies et coopératives, l’Office du Crédit industriel, la Société d’Habitation du Québec, la Société Québécoise d’Initiatives pétrolières, le centre de recherches de l’Hydro-Québec, l’Institut national de Recherche scientifique et bien d’autres encore.

Nous avons doublé le nombre de nos bureaux à l’étranger. Et pour que le secteur public et l’entreprise privée puissent travailler ensemble, comme de véritables partenaires, à l’essor économique du Québec, nous avons institué ce merveilleux outil de coopération et de promotion qu’est notre Conseil général de l’Industrie.

Toutes ces mesures et bien d’autres que je n’ai pas le temps d’énumérer ici devront être perfectionnées et amplifiées au cours des prochaines années. Nous sommes encore loin de la perfection, sans doute, mais nous y tendons de toutes nos forces et dans les meilleures conditions possibles puisque les parlementaires québécois, quelle que soit leur allégeance politique, sont aujourd’hui unanimes à placer les problèmes économiques au premier rang de leurs préoccupations.

On se demande aussi en bien des milieux si nous faisons suffisamment pour intéresser nos jeunes à ces problèmes et pour développer chez eux une mentalité favorable aux investissements créateurs d’emplois. C’est certain qu’il y a beaucoup à faire de ce côté-là. Il ne faudrait pas que nous soyons les derniers à découvrir les immenses possibilités qui s’offrent en terre québécoise.

C’est bien d’intéresser les étrangers à la mise en valeur de nos ressources, mais c’est encore mieux d’y intéresser nos propres compatriotes. Faudra-t-il, comme je le disais il y a quelques mois devant les radiodiffuseurs, partir en croisade pour « vendre le Québec aux Québécois » et leur inculquer un vigoureux sentiment d’optimisme et de foi en l’avenir de leur propre territoire?

Vous savez que le ministère des Institutions financières a récemment autorisé les caisses populaires à investir davantage sur le marché des actions. De plus, pour initier dès maintenant nos jeunes à une participation directe au financement et aux bénéfices de nos sociétés commerciales ou industrielles, le même ministère, de concert avec celui de l’Éducation, va bientôt instituer des cours sur les valeurs mobilières au niveau des CEGEPS. C’est encore peu, mais je pense que c’est au moins un départ dans la bonne direction.

Il faudra sûrement songer à d’autres mesures pour inciter nos étudiants à s’intéresser davantage aux carrières économiques et technologiques. Voici encore une autre question que l’on retrouve fréquemment dans les publications ou les conversations des hommes d’affaires. On nous dit: « Que l’éducation soit un moteur puissant, nous en convenons volontiers; mais êtes-vous sûrs que ce moteur ne tourne pas à vide? Êtes-vous sûrs qu’il est bien embrayé à l’économie québécoise? En d’autres termes, est-ce que l’enseignement qui se donne aujourd’hui dans nos écoles, dans nos CEGEPS et nos universités est bien adapté aux besoins spécifiques du Québec moderne? »

Encore là, je ne saurais répondre par un oui absolu. Mais je puis au moins vous dire que c’est l’un de nos soucis majeurs, à l’heure actuelle, de voir à ce que l’éducation ne soit pas en porte-à-faux sur l’économie. Et pour assurer le contact, la synchronisation, l’embrayage entre l’une et l’autre, nous disposons maintenant de plusieurs institutions nouvelles.

C’est d’abord le ministère du Travail et de la Main-d’oeuvre, avec les nouvelles structures et les nouveaux outils qu’il s’est donnés pour être mieux en mesure de prospecter les besoins du marché du travail.

C’est ensuite l’Office de Planification et de Développement du Québec, dont la fonction principale est sans doute d’éclairer l’avenir et de concerter les efforts des divers agents de l’économie, mais qui sera extrêmement bien placé, par le fait même, pour renseigner le ministère de l’Éducation sur les exigences présentes et futures de la technologie moderne. Le fait que le directeur de l’Office soit un ancien sous-ministre de l’Éducation donne son expression la plus concrète à ce souci de coordination.

C’est encore l’Institut National de Recherche dont je parlais tantôt, et qui sera aménagé dans le complexe scientifique de Sainte-Foy avec le centre de recherche industrielle. Voilà un autre merveilleux carrefour. C’est là que les universités, l’État et l’entreprise privée travailleront ensemble à la conception de notre avenir, à l’invention de ce Québec nouveau que nous voulons bâtir.

En voilà assez, je pense, pour vous convaincre que vos préoccupations sont également les nôtres. L’impossible sera fait, soyez-en certains, pour que chaque dollar consacré à l’éducation produise un maximum de rendement pour la société québécoise.

« Nous vivons dans un monde où il n’y aura bientôt plus de place que pour les inventeurs », affirme Gaston Berger. Préparons-nous donc et préparons nos jeunes aux multiples conversions et reconversions qu’exigera de nous tous l’approche de l’an 2, 000.

Dans la décennie qui vient de se terminer, c’est l’économie qui a soutenu la réforme de l’éducation. Dans celle qui commence, il faudra que ce soit de plus en plus l’éducation qui anime et soutienne les progrès de l’économie.

[QBTRD19700207]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DU .PREMIER MINISTRE DU QUEBEC ET CHEF DE L’UNION NATIONALE M. JEAN-JACQUES BERTRAND CEGEP de SAINT-JEAN SAINT-JEAN, SAMEDI LE 7 FEVRIER 1970 ]

Je suis extrêmement heureux de reprendre contact avec la population des comtés de St-Jean et d’Iberville. Voici une région ou il y a beaucoup d’activité économique, beaucoup de savoir-faire, de créativité, d’atouts pour l’avenir. Nous sommes ici a la pointe du fameux triangle Montréal-St-Jean-Sorel, qui est et qui restera sûrement le coeur du Québec industriel; et il. est bien important que le coeur regorge d’énergie pour faire refluer la vie et la santé économiques jusqu’aux extrémités du territoire québécois.

Mais St-Jean n’est pas seulement un milieu économique. C’est d’abord et avant tout un milieu humain. Un milieu bien caractérisé, bien québécois, où l’on ne se contente pas de brasser des affaires. On y brasse aussi des idées. Il est heureux qu’il en soit ainsi, car les valeurs économiques ne sont pas les seules. Elles sont importantes, bien sur, et nul n’en est plus convaincu que votre gouvernement qui, au dire de M. Arthur Smith, président du Conseil économique du Canada, a donné au Québec « le programme de développement industriel le mieux articulé de tout le pays ». Mais de là à vouloir tout ramener à une question de pain et de beurre, il y a une marge.

Si l’argent pouvait suffire à régler tous nos problèmes et à combler toutes nos aspirations, comme l’ont prétendu à leur récent congres les anciennes et les nouvelles vedettes du parti libéral, nous n’aurions alors qu’à nous laisser doucement assimiler par le pays le plus riche du monde qui est à côté de nous. L’existence d’un Québec français et même d’un Canada politiquement indépendant serait une pure sottise.

Nous tenons pourtant à rester ce que nous sommes parce qu’en plus du dollar, dont chacun reconnaît l’importance, il y a d’autres valeurs; et quoi qu’on fasse ou qu’on dise, la campagne électorale qui s’en vient sera principalement, comme toutes les autres d’ailleurs, une lutte d’idées. C’est tout notre avenir collectif qui se jouera dans cette bataille.

On en a la preuve ici même, dans le comté de St-Jean. Si votre député a quitté l’Union Nationale pour se joindre à un groupe minoritaire, ce n’est pas à cause d’un désaccord sur un problème économique. C’est plutôt sur l’orientation politique et culturelle du Québec qu’il s’est séparé de ses collègues.

Après avoir fait route avec nous pendant trois ans et demi, il a cru bon de bifurquer sur une voie moins large et sûrement moins encombrée. Pourquoi ce virage? Avait-il raison d’agir ainsi? N’avait-il pas compris notre programme politique de 1966 sur la place du français au Québec et la place du Québec dans l’ensemble canadien.

Sur la place du français au Québec, j’admets qu’il y a eu beaucoup de confusion à un moment donné parce qu’on nous prêtait des intentions que nous n’avons jamais eues et que nous n’aurons jamais. Les partisans d’un unilinguisme absolu et intransigeant ont commencé à combattre notre projet de loi avant même que le texte en ait été arrêté par le cabinet. Ils ont dit par exemple que nous voulions établir partout l’égalité linguistique, instituer le bilinguisme d’un bout à l’autre du territoire québécois. C `était totalement faux.

Les auteurs de cette fausseté n’ont pas eu l’honnêteté élémentaire d’admettre leur erreur après la publication du projet de loi. Si bien qu’une foule de gens, avec la plus entière bonne foi, à cause de ce qu’ils avaient lu et entendu, ont combattu dans cette mesure des choses qui n’y ont jamais été.

Entre un unilinguisme intolérant et un bilinguisme généralisé, il y a une autre voie, qui est celle de la primauté du français. C’est la voie de la mesure, du progrès dans l’équilibre, de l’évolution planifiée. C’est la voie que nous avions promis de suivre dans notre programme de 1966. C’est celle que mon camarade Daniel Johnson a indiquée, la veille de sa mort, dans son testament politique. C’est celle dans laquelle nous nous sommes engagés bien avant le projet de loi 63. C’est celle que nous continuerons de suivre jusqu’à ce que la primauté du français soit instaurée partout, compte tenu des droits légitimes de la population anglophone.

Que disait donc notre programme de 1966, unanimement approuvé par les 360 membres de notre Conseil national et par nos 108 candidats, dont M. Jérôme Proulx? Il disait textuellement ceci: « L’Union Nationale reconnaît l’existence des deux langues officielles. Toutefois, au Québec, il s’agit de mettre en valeur un héritage culturel dans des conditions particulièrement difficiles. Il faut donc conférer au français, langue de la majorité de la population, le rang et le prestige d’une véritable langue nationale ».

Autrement dit, il doit y avoir au Québec deux langues officielles dont l’une, le français, aura toutefois la primauté, d’abord parce qu’elle est la langue nationale des Canadiens français qui forment 81 % de notre population, et ensuite parce qu’elle est la plus menacée dans le contexte nord-américain.

Car dualité ne veut pas dire égalité. Le fait qu’il y a deux langues officielles au Canada n’empêche aucunement l’anglais de conserver la primauté en Ontario, en Colombie et ailleurs. Le fait qu’il y a en Suisse quatre langues officielles n’implique pas non plus que le romanche, parlé par à peine quelques dizaines de milliers d’habitants, ait partout le même rayonnement que le français, l’allemand ou l’italien.

C’est cela que les partisans des solutions extrêmes n’ont pas voulu comprendre. Ils n’ont pas voulu comprendre non plus que si une langue seconde nous est et nous restera toujours nécessaire pour communiquer avec le reste du continent et du monde, quel que puisse être notre statut à l’intérieur ou à l’extérieur de la Confédération, cela n’empêche aucunement de vastes régions du Québec de rester unilingues françaises, tout comme il y aura toujours au Canada de vastes régions unilingues anglaises.

Maintenant, comment est-ce que ça se réalise, en pratique, la primauté du français? On dit en Grande-Bretagne que le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme. Il est évident qu’on ne pourrait pas non plus, par une simple loi, changer un anglophone en francophone, ni établir une fois pour toutes l’unilinguisme, ou le bilinguisme, ou la primauté de l’une ou l’autre langue.

C’est en agissant à la fois par une grande variété de moyens et dans une grande variété de secteurs que l’on arrivera progressivement à multiplier, dans le monde du travail et ailleurs, les normes, les pratiques, les situations favorables à la langue française. On procédera tantôt par des mesures législatives, tantôt par des réglementations, tantôt par des actes administratifs et tantôt par la persuasion qui n’est pas la moins efficace des méthodes.

Tous les ministères sont impliqués dans cette action. Ainsi, vous pensiez peut-être que le ministère de l’Agriculture et de la Colonisation était étranger à toute préoccupation linguistique? Détrompez-vous. Il a été l’un des premiers à agir. Dés le 15 mars 1967, plus de deux ans avant la présentation du projet de loi 63, il a fait ratifier par le conseil des ministres un règlement qui décrète ce qui suit en matière d’étiquetage des produits alimentaires. « Dans toute inscription, l’usage du français est obligatoire et aucune inscription rédigée en une autre langue ne doit l’emporter sur celle rédigée en français ».

Ce qui veut dire que seul le français est obligatoire. L’autre langue ne l’est pas. Et seul le français se suffit à lui-même. L’anglais peut être utilisé aussi, mais seulement avec le français et jamais de façon à reléguer le français au second rang. N’est-ce pas là la primauté du français? Dans l’application de ce règlement, nous coopérons pleinement avec les manufacturiers et les manufacturiers coopèrent pleinement avec nous. Nous tenons de part et d’autre à travailler dans un climat de respect mutuel, ce qui est extrêmement important. C’est ce qui nous permet de poursuivre sans provocation, sans vantardise, sans éclat inutile, mais avec un maximum d’efficacité, notre action pour la primauté du français.

Le règlement sur l’étiquetage des produits alimentaires n’est qu’un exemple parmi bien d’autres de cette action multiforme. Je n’en suis pas moins convaincu qu’à lui seul, ce règlement a plus fait pour le rayonnement de la langue française que toute l’agitation faite au Parlement ou en dehors du Parlement autour du projet de loi 63. L’agitation, ce n’est pas de l’action: ce n’en est que la caricature.

Qu’y avait-il donc dans ce fameux projet de loi 63 ? S’il y a un secteur ou il convient de proclamer formellement la primauté du français, c’est bien celui de l’enseignement. Or, cela n’avait encore été fait dans aucune de nos lois. Le gouvernement Lesage aurait dû logiquement y pourvoir quand il a présenté sa loi créant un ministère de l’Éducation; il ne l’a pas fait. C’est donc à l’Union Nationale qu’il appartenait de reconnaître formellement, pour la première fois dans un texte de loi, que le Québec est d’abord et avant tout une terre française.

Voilà ce que nous avons fait par le projet de loi 63, dont la clause principale, systématiquement ignorée par ceux qui avaient intérêt à semer le plus de confusion possible, dit en toutes lettres qu’au Québec, l’enseignement se donne en français, point. Ca, c’est la règle générale. C’est le régime commun.

Comme il y a d’autre part près d’un million d’anglophones qui vivent au Québec, qui ont le droit d’y être, qui travaillent avec nous au développement de notre territoire et qui sont comme nous des citoyens à part entière, le texte dit plus loin que l’enseignement pourra aussi être donné en anglais, mais à deux conditions:

La première condition, c’est qu’on en fasse la demande au moment de l’inscription de l’élève. Il n’y a aucune démarche à faire pour recevoir l’enseignement en français puisque c’est la règle générale; mais pour se soustraite à cette règle, il faut poser un geste.

La deuxième condition, c’est que les programmes et les examens soient conçus de telle façon que les élèves anglophones soient obligés d’apprendre aussi le français. Voilà encore une stipulation nouvelle, qui n’avait jamais été inscrite dans aucune de nos lois et dont nos compatriotes anglophones sont d’ailleurs les premiers à admettre la nécessité.

De même qu’un Canadien français a besoin d’une connaissance pratique de l’anglais pour vivre et travailler en Ontario, ainsi un Anglo-canadien doit-il posséder une connaissance pratique du français pour vivre et travailler au Québec. On retrouve donc là, la philosophie qui nous inspire dans le domaine de l’étiquetage et dans tous les autres. Seul le français est obligatoire. Seul le français se suffit à lui-même. L’usage de l’anglais n’est que facultatif; et là où il y a de l’anglais, on doit également trouver du français.

La primauté du français est donc en train de devenir la règle partout. Mais ce n’est pas uniquement l’affaire de l’État. Il faut que ce soit l’affaire de toute la communauté québécoise. La Commission Gendron a été créée spécialement pour mobiliser nos forces vives autour de cette grande idée et pour éclairer la voie. Jamais le problème n’a été posé d’une manière aussi précise.

Maintenant que la primauté du français est en train de devenir non seulement un grand principe, mais une réalité conquérante, spécialement dans le domaine de la langue de travail qui est le plus important de tous, est-ce le temps, comme le disait notre ami Daniel dans sa fameuse conférence de presse, de soumettre les immigrants à un test biologique pour déterminer leur ethnie et en faire la mesure de leurs droits? Ce n’est pas ma conception.

Le nationalisme, tel que je le conçois, n’a rien à voir avec le racisme. Je prétends qu’on peut être nationaliste sans être étroit. Je prétends qu’on peut être fier de son appartenance culturelle sans cesser de s’ouvrir largement aux autres, quelle que soit leur origine ethnique. C’est pourquoi je dis qu’en attendant le résultat de toutes ces mesures visant à instaurer la primauté du français, nous devons continuer de faire confiance à la liberté. Lorsqu’il y a un doute, un doute sérieux, j’estime qu’il faut toujours décider en faveur de la liberté. Pour moi, c’est une autre façon d’être français que d’être épris de liberté: pas seulement la sienne, mais celle des autres également.

Voilà pour ce qui est de la place du français au Québec.

Quant à la place du Québec dans l’ensemble canadien maintenant. Il s’agit en somme de la question constitutionnelle. J’en ai traité à Québec ces jours derniers et je me contenterai ici de rappeler à grands traits notre attitude. Que disait à ce chapitre notre programme de 1966? Qu’il nous fallait négocier et obtenir une nouvelle constitution, une nouvelle alliance, un nouveau fédéralisme. M. Proulx était d’accord. Avant de songer aux solutions extrêmes, il voulait, lui aussi, qu’on essaye d’amener nos partenaires à repenser avec nous le fédéralisme canadien. Les électeurs aussi ont été d’accord.

Une fois au pouvoir, nous nous sommes donc mis en frais de convertir le reste du pays à l’idée d’une constitution nouvelle. Ca n’a pas été facile. Ottawa disait non et la plupart des provinces manquaient d’enthousiasme, c’est le moins qu’on puisse dire.

Méthodiquement, avec ténacité, nous avons quand même poursuivi nos efforts, auprès de l’opinion canadienne, auprès de la presse, auprès des hommes politiques de tous les partis et de toutes les régions. Voyant qu’Ottawa ne bougeait toujours pas, M. John Robarts, qui a été l’un des premiers à saisir l’importance du problème, a eu l’obligeance de nous entrouvrir la porte en convoquant en 1967 sa conférence sur la Confédération de Demain. Naturellement, nous nous sommes hâtes de mettre le pied dans la porte, comme font tous les bons vendeurs, afin de pouvoir causer un peu. Et qui est-ce qui n’était pas content de voir les provinces causer sans lui de problèmes constitutionnels? Nul autre que le gouvernement fédéral, qui reprit à sa façon le mot célèbre de Ledru-Rollin: [« Il faut bien que je les suive, puisque je prétends être leur chef ».]

En fait, Ottawa n’est pas du tout le chef des provinces, mais c’est comme ça qu’il en est venu, depuis janvier 1968, à participer avec tous les autres gouvernements à une revision en profondeur de la constitution.

Admettons tout de suite que dans ces deux premières années de rencontres et d’études, nous avons exploré beaucoup plus de problèmes que nous en avons résolu. Comme je le disais à Québec, nous n’avons encore ni gagné, ni perdu notre pari puisque la vraie partie n’est pas encore jouée. N’empêche que tout le monde est à table, même ceux qui, en 1966, ne voulaient pas entendre parler de revision constitutionnelle.

Serait-il logique, dans ces conditions, de tout lâcher et de rompre les amarres? Serait-il sensé de quitter brusquement la table de conférence et de passer aux solutions de dernier recours avant même d’avoir pu déterminer ce que le Québec peut obtenir par la voie normale de la négociation? Est-ce la séparation à tout prix que l’on veut, ou bien le progrès et le bonheur des Québécois?

Certains prétendent que nous ne gagnerons rien à négocier, mais qu’en savent-ils? Comment prévoir ce que l’on peut perdre ou gagner tant qu’on n’a pas joué toutes ses cartes?

Nous ne pouvons d’ailleurs rien perdre puisque nous conservons toujours la faculté de dire non si l’on nous fait des propositions inacceptables. Même si le gouvernement disait oui alors qu’il devrait dire non, comme c’est arrivé sous les libéraux au sujet de la formule Fulton-Favreau, le peuple aurait toujours la faculté de renverser ou d’annuler ce consentement. C’est le peuple qui a le dernier mot en matières constitutionnelles. Et par notre loi du référendum, nous allons voir à lui fournir le moyen de dire le dernier mot.

J’aimerais bien, comme beaucoup d’autres Québécois, que les négociations avancent plus rondement. Nous avons cependant négocié pendant 27 mois avant d’en arriver à un accord avec les enseignants; et la constitution d’un pays n’est-elle pas plus importante qu’une convention collective de travail?

Tant que subsiste une possibilité d’entente, dans quelque domaine que ce soit, mieux vaut négocier que casser. L’attitude d’Ottawa est intransigeante? Admis! Mais Ottawa a déjà changé d’idée, bien des fois. M. Trudeau aussi, du reste. Il a même changé de parti puisqu’il militait autrefois dans le N. P. D. Lui qui bataillait jadis pour une « cité libre », qu’est-ce qui nous dit qu’il serait incapable de comprendre les aspirations du Québec à une liberté légitime?

Bref, ce n’est pas le temps de claquer les portes. C’est le temps de négocier, de négocier de bonne foi, entre Canadiens de bonne volonté. Si nous réussissons, et je garde le ferme espoir que nous allons réussir, nous aurons fait l’économie d’une crise majeure et nous aurons permis au Québec, comme à tout le Canada, d’entrer avec les années 70 dans une nouvelle ère de progrès, d’équilibre et de solidarité.

[QBTRD19700222]

[NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE M. JEAN-JACQUES BERTRAND PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DINER-BENEFICE DE L’UNION NATIONALE HOTEL REINE ELIZABETH – MONTREAL LE DIMANCHE, 22 FEVRIER 1970]

Je suis heureux de vous retrouver, toujours en plus grand nombre, à ce rendez-vous de la démocratie. Votre participation massive à ces dîners-bénéfices de Montréal et de Québec est plus éloquente que tous les discours sur le financement des partis. Il n’y a pas de liberté véritable pour un mouvement politique sans une autonomie de financement, sans la contribution volontaire et directe des militants de base aux ressources du parti. Ce sont les mêmes ici qui offrent leur argent et leurs énergies, qui soutiennent leurs idées de leurs deniers. C’est ça qui fait la force de l’Union Nationale, c’est ça qui démontre combien notre parti est enraciné dans le peuple du Québec. Merci à tous pour votre support financier, mais surtout, merci de venir nous rendre le témoignage de votre accord avec les principes que nous défendons. Car si votre argent nous est indispensable pour maintenir nos services de secrétariat à Montréal et à Québec, à préparer des assises, à diffuser nos idées, plus indispensables encore nous sont vos opinions, vos efforts.

Dans quelques semaines nous nous retrouverons ici même pour fixer ensemble les objectifs d’un nouveau Québec, les lignes de force de notre politique, les étapes de notre progrès. Ensemble nous dresserons le programme du parti pour la prochaine décennie qui, je ne crains pas de l’affirmer, sera la plus importante de l’histoire du Québec. Demain se prendront des options définitives, demain se livreront au niveau des idées,

des combats décisifs. Québec devra affirmer dans les mois à venir ou se situe sa volonté de vivre. Et cela non seulement sur le plan constitutionnel, mais dans toute son orientation économique et sociale.

Dans ce débat, nous voulons, nous de l’Union Nationale, offrir des solutions claires et sans équivoque. C’est ce que nous avions fait en 1965 quand se sont tenues les premières grandes assises du parti, ces assises qui ont donné naissance au programme de 1966. Ensemble parlementaires et délégués, représentants des corps intermédiaires et spécialistes de toutes disciplines, nous avions recherché et défini les objectifs du Québec et nous les avions consignés dans ce qui est devenu notre plan d’action.

Ce plan d’action, le peuple du Québec lui donna sa ratification aux élections qui suivirent. Combien d’inconscience a-t-il fallu à nos adversaires pour s’imaginer et clamer que notre victoire de 1966 fut accidentelle! Nous étions les seuls à offrir aux électeurs du Québec un programme précis, calqué sur la réalité québécoise. Nous étions les seuls à présenter une pensée organisée, à proposer des mesures bien étudiées, bien pensées. La preuve éclate quand on voit ce que fut l’opposition. Même si notre majorité parlementaire était mince, jamais nos adversaires ne purent se ressaisir, jamais ils ne purent trouver dans leurs rangs l’unité de pensée qui aurait pu leur permettre de constituer une opposition véritable. Alors que dans l’opposition un parti politique a toutes les chances de se réformer, de retourner aux sources, de se redéfinir, de réfléchir, le parti libéral s’est effrité, le parti libéral s’est écroulé.

On a vu disparaître l’un après l’autre tous ceux qui, dans le mirage des années ’60 avaient fait illusion. Les derniers survivants de ce naufrage tentent maintenant de se regrouper derrière un théoricien, mais il leur manquera toujours ce qui leur manqua en 1966, le véritable contact avec le peuple, la connaissance profonde des aspirations du peuple, que l’on ne trouve ni dans les livres d’économie, ni dans l’antichambre des grands financiers, ni dans les couloirs du parlement fédéral. Quant à nous, une fois de plus, dans un dialogue ouvert, en toute liberté d’expression, nous allons consulter notre seul maître, le peuple québécois. De cet échange d’idées, de cette consultation sortira, cette fois encore, un programme d’action qui recevra, j’en suis sûr, la ratification des électeurs. Car l’électorat sait que nous respectons nos promesses. Le programme de 1966 est presque entièrement passé dans nos lois. Le programme de 1966 c’est maintenant dans la législation qu’on le retrouve. Il est là à 90%. Il est dans le ministère de la Fonction publique. Il est dans le ministère de l’Immigration. Il est dans le Haut-Commissariat aux loisirs et aux sports. Il est dans les bureaux de l’Ombudsman. Il est dans le nouveau code du Travail. Il est dans les bénéfices de l’assurance-récolte. Il est dans le nouveau régime d’exploitation des Terres et Forêts. Il est dans la refonte du code des Cités et Villes, dans la création des communautés urbaines, dans la Société d’Habitation du Québec. Il est dans la Loterie du Québec.

Le programme de l’Union Nationale, la pensée de l’Union Nationale, on les retrouve dans le dégrèvement d’impôt des économiquement faibles, dans la mise en vigueur d’un plan rationnel d’allocations familiales, dans le remboursement aux cultivateurs de la moitié de la contribution à la caisse de retraite. Le programme de l’Union Nationale, il est passé dans les faits. Il est devenu réalité. Il inspire le nouveau ministère des Institutions financières, il est à la base de l’Assurance-dépôt. Il s’inscrit dans le programme d’assurance-santé qui entrera en vigueur le premier juillet 1970.

La philosophie de l’Union Nationale, on la retrouve partout dans les législations que nous avons fait adopter depuis quatre ans. Ces législations n’ont négligé aucun secteur de la population: ni les jeunes qui reçoivent notre effort maximum au niveau de l’éducation et des loisirs, ni les adultes à qui s’applique l’ensemble des législations sociales, ni les personnes âgées, pour qui nous avons construit des dizaines de centres d’hébergement modernes et accueillants.

Mais s’il est une classe de citoyens qui mérite toute notre sollicitude, c’est bien cette masse importante de travailleurs à la retraite, ces bâtisseurs du Québec qui souvent, encore en pleine santé et en possession de leurs moyens, sont condamnés par la rigueur de notre système de productivité à une pesante oisiveté.

A ceux-là je dis que le gouvernement de l’Union Nationale se préoccupe particulièrement de leur sort afin que les énergies disponibles et les compétences acquises ne demeurent pas improductives. Le ministère de la Famille et du Bien-être social étudie présentement cette question et se propose de demander un avis au Conseil supérieur de la Famille.

Conscients qu’à l’ère des fusées, le gouvernement ne peut plus marcher au pas, nous avons modernisé le système parlementaire, nous avons aboli le conseil législatif, nous avons généralisé la pratique des comités parlementaires. Épris de démocratie et de liberté, nous n’avons jamais hésité, au bénéfice de toute la population, à faire soumettre les politiques de nos régies et de nos commissions devant les comités parlementaires qui désiraient les entendre. Nous avons vécu la démocratie, nous avons gouverné en pleine lumière, tel que nous havions promis.

Si l’on a voulu donner à l’époque qui nous a précédés le nom de « Révolution tranquille », comment faudrait-il baptiser les quatre ans que nous venons de vivre? Révolution galopante, démocratie en marche? Je laisse le choix aux historiens. Mais ce que je sais, c’est que jamais, en si peu de temps, autant de lois, de bonnes lois, de lois conformes à l’évolution d’un peuple, n’auront été promulguées.

Plus encore. Non seulement je ne fais qu’effleurer nos réalisations en les comparant avec notre programme de 1966, quitte à revenir dans un instant sur le sujet de l’économie dont nos adversaires semblent vouloir faire leur cheval de bataille, mais encore, je puis affirmer que nous avons, au cours de ces courtes années, réussi dans des secteurs ou nos prédécesseurs avaient lamentablement échoué. Je donne comme exemple le cas de SIDBEC.

Tapage publicitaire, projets, contre-projets, $ 6000000 gaspillés en études de toutes sortes, montagne de paperasses, plans et programmes, voilà ce que fut pendant six ans l’oeuvre véritable des libéraux et de leurs grands commis dans cette ébauche d’une aciérie québécoise qui ne vit jamais le jour. Quand nous avons pris le pouvoir, il n’y avait même pas d’aciérie sur le papier. Si l’État du Québec possède aujourd’hui une aciérie qui deviendra demain un complexe sidérurgique entièrement intégré traitant sur les rives du St-Laurent le minerai du Nouveau-Québec, c’est bien à l’Union Nationale qu’en revient le mérite. Savez-vous qu’il suffirait à bien des partis d’une seule réalisation comme celle-là pour se présenter le front haut devant les électeurs? Quelle autre province, au Canada, a donné à son peuple, sous le contrôle entier de l’État, une entreprise de cette envergure?

Et ce n’est pas tout. Par une décision prudemment calculée, dans des termes où le Québec détient toutes les garanties, nous avons ouvert à notre province les ressources hydro-électriques d’un territoire contesté et nous serons, au meilleur compte possible, les seuls bénéficiaires de la mise en valeur de Churchill Falls.

Et l’on nous accuse de négligence dans le développement de notre économie? S’il est un secteur ou nous avons raison d’être fiers de notre oeuvre, c’est bien celui-là. Au cours des années ’50, nous avions mis en place les instruments de notre prospérité en accordant la priorité à l’éducation. Dès cette époque, nous avions préparé l’avenir en accélérant la formation de nos techniciens de façon à occuper sur le marché du travail les places qui nous revenaient. Ce sont ces jeunes ingénieurs, ces jeunes administrateurs, ces spécialistes qui dirigent aujourd’hui les entreprises québécoises, les grandes administrations, qui préparent les programmes d’expansion de l’Hydro-Québec, qui président aux destinées de Sidbec ou de Soquip.

Sûrs de posséder les compétences dont nous avons besoin, nous nous sommes lancés depuis quatre ans dans un programme audacieux de développement industriel. Nous avons multiplié les mesures propres à tonifier notre économie. Le ministère de l’Industrie et du Commerce a fait, depuis quatre ans, une oeuvre incomparable. Subventions à l’établissement de nouvelles entreprises, abattements fiscaux, incitation aux capitaux étrangers, missions commerciales chargées de faire connaître le Québec, ouverture de nouvelles délégations à l’étranger, tout cela rapporte en dividendes et en emplois. Certes nous savons qu’il y a une course permanente entre l’arrivée sur le marché du travail de milliers de jeunes bien formés, prêts à prendre leurs responsabilités et la création d’emplois nouveaux. Cette course, nous devons continuellement la gagner et il en sera ainsi pour des décennies à venir. Ce n’est pas un phénomène passager. C’est pourquoi j’ai demandé et je demande encore à mes compatriotes québécois de prendre conscience de l’évolution formidable du Québec, de l’immensité de ses ressources et de la nécessité de mobiliser toutes leurs réserves intellectuelles et financières pour prendre place dans cette mise en valeur du territoire. Demain, je vous le dis, Québec sera l’une des plus grandes puissances industrielles du monde. Investir au Québec, c’est miser sur l’avenir, c’est jouer gagnant dans un siècle ou celui qui possède les richesses naturelles et les matières premières est promis à la plus grande prospérité. Or, ces richesses, ces matières premières nous les avons à profusion. Nous accueillons avec enthousiasme le capital étranger, nous lui promettons la sécurité, le profit. Mais il faudrait bien que les Québécois prennent conscience qu’ils ont un rôle important à jouer dans le développement économique de leur pays. Nous sommes là pour les aider. Nous avons établi l’Office du Crédit industriel, nous avons établi des centres de recherches, des complexes scientifiques, un conseil général de l’industrie, un office de planification et d’aménagement. Il nous appartient de nous en servir.

Qui viendra encore nous dire qu’il y a eu négligence au palier de l’économie? Faut-il être économiste pour ignorer que le Québec n’est pas responsable de l’inflation, que le Québec subit les mesures d’austérité qui engendrent la récession, que les provinces n’ont pas encore réussi à se faire entendre en matière de planification fiscale. Cette année, $ 200000000 payés par des Québécois iront engraisser le surplus fédéral alors que l’argent se fait rare et qu’il nous faut emprunter à des taux exhorbitants .

Qui va nous donner des leçons en économie? Les libéraux qui nous ont laissé une aciérie sur le papier, les libéraux qui prennent leurs ordres à Ottawa?

Que nos adversaires libéraux commencent donc par mettre de l’ordre dans leur propre maison avant de nous donner des conseils. Il faudrait tout de même savoir qui mène dans « ce parti: le nouveau chef ou l’ancien chef. À moins que ce ne soit Ottawa et les puissances d’argent. De toutes façons, le peuple du Québec n’a pas grand chose à faire dans cette galère. Où est-elle donc la place du peuple québécois dans l’affrontement qui s’annonce? Est-elle avec les libéraux qui se définissent comme les vassaux d’Ottawa? Est-elle avec le P.Q. qui fonce tête baissée vers l’aventure? Ou bien est-elle au sein de ce parti exclusivement dévoué aux intérêts du Québec, dans l’équilibre et la dignité et qui s’appelle l’Union Nationale? Entre l’aventure et la servitude s’ouvre toute grande la voie de la raison. Cette voie n’est pas un couloir. Elle est large et vaste comme la pensée québécoise. Elle ne frôle pas les précipices. Elle les évite. Elle ne court ni à l’aventure et au désastre, ni à l’abandon et à l’esclavage. Ce n’est ni la voie du renoncement ni la voie de l’intolérance. C’est la grande voie de la tradition québécoise de compréhension, de persévérance, de liberté. C’est la voie sur laquelle le Québec a progressé depuis des années, qui l’a conduit à une émancipation de plus en plus grande, à l’affirmation de son identité nationale dans le respect des droits des minorités.

Et je ne parlerai même pas de ceux qui, sans idée ni chef ni programme, veulent tenter de semer la confusion dans l’esprit des électeurs. Leur apparition chronique sur la scène provinciale n’a jamais rien changé aux éléments du destin québécois. Mais, parce que l’Union Nationale offre toutes les garanties de stabilité, de dignité et de sécurité, parce que l’Union Nationale sera jugée sur ses oeuvres, parce que l’Union Nationale offrira encore à la population du Québec un plan d’action concret et réaliste pour les années à venir, je vous dis, dès maintenant, que je suis sûr de notre victoire aux prochaines élections.

Votre participation enthousiaste à cette réunion en est une preuve supplémentaire. La lutte sera dure, implacable. Mais rien n’est plus faux que de s’imaginer que nous nous cacherons derrière un écran de fumée et que nous ferons notre campagne sur le dos d’Ottawa. Nous avons assez d’oeuvres à montrer, nous avons assez de projets à entreprendre pour chercher de fausses querelles à qui que ce soit.

Mais personne ne nous empêchera de dire la vérité. La vérité elle est écrite, en noir sur blanc, dans le rapport du comité du régime fiscal dont nous venons d’obtenir la publication. La vérité, c’est que les déficits des provinces s’accumulent alors que le gouvernement central entasse des surplus. La vérité, c’est que toutes les provinces, et non seulement le Québec, et non seulement le gouvernement de l’Union Nationale, se sentent menacées par la politique centralisatrice d’Ottawa. Nous ne nous battons pas contre un homme ou contre un parti. Nous nous battons contre un système qui inquiète autant l’Ontario et la Colombie-Britannique que le Québec. Ce n’est pas une bataille électorale, c’est une bataille commune pour la survie des provinces.

[And, in this respect, you are giving us additional proof by your enthusiastic participation in the present meeting. The fight will be a tough and relentless one. But do not be mistaken, we will not hide behind a smoke screen or conduct our electoral campaign on the back of Ottawa. We have a lot of realizations to show and enough projects to carry out that we will not have time to take on false quarrels with anybody else. But nobody will stop us from telling the truth.

And the truth is written, in black and white, in the recent report published by the Committee on the system of taxation. The truth is that the provinces are accumulating deficits while the Federal Government is piling up surpluses. The truth is that all the provinces and, not only Quebec, not only the Union Nationale Government, are being threatened by the centralizing policies of Ottawa. We will not fight against a man or against a party. We will fight against a system which is disturbing Ontario and British Columbia as much as Québec. This will not be an electoral battle but a common battle for the survival of the provinces.]

J’ai confiance dans le jugement de mes concitoyens, les électeurs du Québec. Je les connais et je les sers, de mon mieux, depuis plus de 20 ans. J’ai donné à la politique, à mon parti, à mon Québec toute ma vie, tous mes efforts, tout mon coeur. Je sais qu’il reste encore un long chemin à parcourir pour que nous arrivions à assurer à tous nos concitoyens cette part de bonheur et de bien-être qui est l’unique ambition de nos efforts. Mais au moins que l’on sache qu’il n’est pas un parti qui soit à la fois plus apte et plus disposé à travailler à cet idéal que l’Union Nationale, le parti dont trois chefs sont morts à la tâche pour que vive leur patrie, notre Québec éternel.

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