Discours du trône, Québec, 16 mars 1887

Honoré Mercier, 1887-1891

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l’Assemblée législative,

Je suis heureux d’être appelé à ouvrir cette sixième Législature de la province de Québec, au nom de notre Souveraine, l’année même de son Jubilé Royal; cette circonstance doit être considérée comme un bon augure pour le succès de vos travaux législatifs.

En vous souhaitant la bienvenue dans cette enceinte parlementaire, je fais des vœux pour que vos délibérations soient conduites avec dignité, que vos discussions soient faites avec calme et modération et que toutes les mesures que vous adopterez soient marquées au coin d’un patriotisme véritablement éclairé.

Je regrette, et vous regretterez avec moi, j’en suis sûr, que la santé de Son Excellence le Lieutenant-Gouverneur, l’ait mis dans la nécessité de demander un congé temporaire, mais je suis heureux de vous apprendre que bientôt il reprendra ses travaux, qu’il a toujours dirigés, comme chef de l’exécutif, avec tant de tact et d’habilité.

Les habitants de cette province, sans distinction de races ou de croyances, se réjouissent avec ceux des autres parties de l’Empire Britannique, de ce qu’il ait plu à la divine providence de conserver les jours de notre Gracieuse Souveraine assez longtemps, pour qu’elle puisse célébrer le cinquantième anniversaire de son couronnement et recevoir, à l’occasion de ce joyeux événement, les hommages et les félicitations de plus de trois cent millions de sujets reconnaissants.

Vous ne manquerez pas, j’en suis convaincu, de vous réunir dans un sentiment de commune loyauté, pour me donner l’occasion de faire déposer aux pieds du trône l’expression de vos respects pour la femme distinguée qui nous gouverne, et de votre admiration pour la sagesse qui a illustré son règne glorieux.

La crise ministérielle, survenue au commencement de cette session et les circonstances exceptionnelles qui m’ont fait appeler mes présents aviseurs, me justifient de vous dire que mon gouvernement ne pourra point vous soumettre plusieurs mesures importantes qui sont actuellement à l’étude et qui devront recevoir votre attention à une époque ultérieure.

Cependant vous n’en serez pas moins appelés à examiner quelques mesures d’urgence ce qui imposent à votre considération immédiate.

La question financière occupera le premier rang parmi ces mesures.

La construction d’une immense voie ferrée et celle des édifices parlementaires, du palais législatif, et du palais de justice à Québec, et les subsides généreux, accordée aux compagnies de chemin de fer, ont forcé les gouvernements précédents à recourir à des emprunts considérables durant les dernières douze années.

L’emprunt de 1882, destiné à compléter ces travaux de construction, à payer la balance de ces subsides et à acquitter toutes les réclamations flottantes qui pouvaient alors exister contre la province, a été dépensé en entier, et n’a satisfait qu’une partie de ces besoins.

Il reste encore à payer un montant considérable de l’ancienne dette flottante qui a été augmentée par la mise en force, l’an dernier, de la loi de 1886, autorisant la transformation, en sommes d’argent, des subsides en terres, accordés à certaines compagnies de chemin de fer. Plusieurs de ces compagnies ont réclamé et obtenu dès avant le 1er février dernier, le bénéfice de cette loi.

Afin de vous permettre de vous bien rendre compte de la nature et du montant de ces engagements, mon gouvernement a fait préparer par les chefs de départements, et vous soumettra sans retard, un état complet et détaillé de toutes les réclamations anciennes et nouvelles, en sus de la dette consolidée, qui sont actuellement pendantes et qui constituent la présente dette flottante, dont il faut acquitter, à courte échéance, la partie non contestée, si l’on veut conserver le crédit et sauver l’honneur de la province.

Mon gouvernement n’a pas eu le temps de mûrir aucun projet propre à créer les ressources nécessaires aux éventualités du moment et il ne lui reste d’autre alternative que de vous suggérer de faire un nouvel emprunt suffisant pour payer tout ce qui peut être légitimement dû.

Mon gouvernement se propose d’inviter les gouvernements des autres provinces et celui de la Puissance à examiner une question d’une importance vitale : celle des relations financières et autres des provinces avec le gouvernement fédéral.

L’obscurité, à certains égards, de l’acte de l’Amérique britannique du Nord, 1867, et l’interprétation donnée à quelques clauses de cet acte, dans certaines circonstances, ont fait naître des craintes légitimes sur le maintien de nos institutions locales et rendent nécessaire une entente, entre les gouvernements provinciaux et de la Puissance, en vue d’arriver à un état de choses plus satisfaisant pour tous.

Les vingt années écoulées depuis l’établissement de la Confédération ont démontré l’insuffisance des arrangements financiers.

En entrant dans la Confédération la province de Québec, à l’instar des autres provinces, a abandonné au pouvoir central sa part des revenus des douanes et de l’accise qui ont plus que doublé depuis et elle n’a reçu, en retour, qu’une subvention annuelle, fixe et déterminée.

Pendant que les provinces abandonnaient ainsi le plus clair et le plus important de leurs revenus, elles restaient chargées de fortes dépenses pour le maintien de leur gouvernement et de leurs institutions locales, lesquelles dépenses devaient nécessairement augmenter avec la population et le développement du pays.

Dans ces circonstances et pour ces raisons, mon gouvernement croit le moment venu pour les provinces d’envisager sérieusement la situation et d’aviser ensemble aux moyens de porter remède aux difficultés du présent et d’empêcher leur retour à l’avenir.

Vous serez tenus au courant des négociations qui pourront avoir lieu à ce sujet et appelés à adopter, au besoin, des résolutions convenables aux circonstances.

La colonisation rapide des nouveaux cantons de la province est la cause nationale par excellence. Ainsi mon gouvernement se propose-t-il d’apporter un soin particulier au succès de cette cause. Dans ce but il vous proposera une mesure créant un ministère spécial de colonisation et d’agriculture et s’efforcera de favoriser davantage les colons de bonne foi, tout en protégeant les revenus des terres de la Couronne. Mon gouvernement voit avec sollicitude les pénibles efforts des colons et s’efforcera de contribuer autant que possible à améliorer leur condition.

Les graves difficultés soulevées au sujet des asiles d’aliénés et à l’occasion de la mise en force du statut relatif à ces asiles, passé en 1885, rendent nécessaire la nomination d’une commission royale, chargée de rechercher, auprès des autorités les plus compétentes, les causes réelles de ces difficultés et les moyens propres à les faire cesser et à guider mon gouvernement dans la préparation de toute mesure qui sera jugée convenable.

Le travail de la Commission, nommée pour la refonte des statuts qui concernent la province, est terminé et une mesure vous sera soumise pour lui donner force de loi et permettre à mon gouvernement de livrer ces statuts au public dans le cours de l’été prochain.

Je n’ai pas encore reçu le rapport du Commissaire, nommé en 1884, pour faire une enquête sur l’administration du chemin de fer de Québec, Montréal Ottawa et Occidental ; mais mon gouvernement fait des démarches dans le but d’obtenir ce rapport afin de vous le soumettre avant la fin de la session.

La part que le département de l’Instruction Publique de notre province a prise à l’exposition coloniale de Londres, l’an dernier, a été de nature à faire connaître notre système scolaire au monde entier et à faire honneur à la province.

Des faits récents et bien regrettables ont prouvé que notre système de comptabilité ministérielle était imparfait et exigeait certaines modifications que mon gouvernement se propose de faire aussitôt que possible.

Messieurs de l’Assemblée législative,

Les comptes publics vous seront soumis et des subsides vous seront demandés pour la prochaine année fiscale. Le service public exige aussi que vous soyez appelés à voter un montant supplémentaire assez considérable, pour satisfaire aux besoins de l’exercice courant.

Mon gouvernement se propose la plus stricte économie, d’opérer quelques réformes urgentes dans l’administration de la justice, au point de vue de la célérité et de l’économie dans les procès, et de permettre, dans toutes les branches du service public, que les dépenses indispensables aux besoins et à l’efficacité du bon gouvernement de cette province.

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l’Assemblée législative,

La disproportion qui existe entre la population de certaines divisions électorales de cette province nécessitera, avant longtemps, l’adoption d’une mesure propre à assurer une représentation plus juste pour certaines localités et plus directe pour certains intérêts supérieurs ; et vous êtes invités à vous occuper de ce sujet important.

Je prie Dieu de bénir vos travaux, de faire régner au milieu de vous l’union et la concorde si nécessaire dans les circonstances, et de vous inspirer les meilleurs moyens à adopter pour assurer la prospérité de notre chère province.

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