Discours du trône, Québec, 12 janvier 1899

Félix-Gabriel Marchand, 1897-1900

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l’Assemblée législative,

Vous venez reprendre, après une année d’interruption, vos travaux législatifs.

Bien des événements ont marqué cette courte période, et il me semble convenable de rappeler brièvement ceux qui ont particulièrement affecté notre Province.

Le départ de lord Aberdeen est encore présent à toutes les mémoires.

C’est avec regret que nous avons vu ce gouverneur populaire s’éloigner de nous; la comtesse Aberdeen et lui ont laissé dans le coeur des habitants de ce pays un souvenir durable.

Lord Minto, notre nouveau gouverneur-général, déjà si favorablement connu ici par un séjour de quelques années, saura, nous en sommes convaincus, se faire une place honorable dans la succession des hommes éminents qui ont été appelés au poste de gouverneur de ce pays.

Lady Minto est assurée d’avance de l’affection sincère de tous les Canadiens.

Lorsqu’au mois de janvier dernier, mon regretté prédécesseur vous faisait ses adieux, à l’expiration de son terme d’office, il aurait été très difficile de prévoir qu’à peine cinq mois après, il serait brusquement enlevé à l’affection de ses concitoyens et au service de son pays. Doué de qualités transcendantes, il s’était, avant l’âge auquel le succès arrive pour les autres, placé au premier rang parmi les hommes politiques. Aussi, bien que jeune encore, lorsque la mort l’a frappé, avait-il déjà fourni une longue et remarquable carrière. Il a laissé dans la mémoire de tous, le souvenir d’un orateur puissant, d’un homme d’État distingué, et, en même temps, celui d’une personnalité éminemment sympathique.

Appelé, après un long éloignement de tout service politique ou parlementaire, à remplacer cet homme d’État rompu aux luttes des partis et au fonctionnement de nos institutions, je ne saurais me dissimuler les difficultés de la tâche qui m’incombe. J’aurai donc davantage, à faire appel à votre bienveillance; mais je suis convaincu qu’en apportant à l’accomplissement de mes devoirs publics toute la bonne volonté dont je suis capable et un ardent désir de ne rien faire qui ne tourne au bien et à la prospérité de la Province, à la sauvegarde et au maintien de ses institutions, vous ne me refuserez pas un appui que j’ai tout lieu d’attendre de votre patriotisme et de votre dévouement aux intérêts du pays.

L’Église catholique du Canada, pendant cette même période, a vu disparaître avec regret, son pasteur le plus illustre, Son Éminence le cardinal Taschereau, remarquable par le calme inaltérable d’une raison supérieure et par une sagesse que l’imprévu des événements ne mettait jamais en défaut. Parmi les événements de l’année qui vient de finir, je ne saurais passer sous silence la réunion, dans cette capitale, au mois d’août dernier, de la conférence internationale, chargée d’harmoniser les rapports si nombreux qui existent entre la population des États-Unis et la nôtre. La présence au milieu de nous, des hommes considérables à qui étaient confiées des négociations si graves et si délicates, a été un sujet de satisfaction même, d’orgueil pour tous les citoyens de cette ville, eu même temps qu’un hommage rendu à la plus ancienne des provinces confédérées. Je suis heureux de constater que l’accueil fait à nos hôtes distingués a démontré, une fois de plus, que l’antique réputation d’urbanité de la population de Québec est pleinement méritée.

C’est, pendant que cette Commission siégeait ici, qu’eût lieu, en septembre dernier, l’inauguration de la statue que la ville de Québec a élevée à Champlain. Jamais spectacle plus solennel et plus grandiose n’a été donné à la population de cette cité. Les deux grands pays qui ont concouru au peuplement de cette Province ont tenu à honneur d’y être représentés : l’Angleterre, par le gouverneur-général, lord Aberdeen ; la France, par le représentant autorisé de la République française, M. le consul général Kleczkowski. Les membres de la conférence internationale, l’amiral commandant l’escadre de l’Amérique du Nord, le commandant général des forces, les officiers et les marins des frégates anglaises et américaines ont aussi voulu, par leur présence, rendre hommage à la mémoire du fondateur de Québec.

Des projets de loi d’une grande importance vous seront soumis durant la présente session. Ils ont pour but d’améliorer l’administration de plusieurs branches du service public.

Au nombre de ces projets de loi, je signale à votre attention toute particulière, celui qui a trait à l’instruction publique.

Sans affecter aucunement les principes qui font la base de notre système scolaire, cette législation contribuera sensiblement à la diffusion et au perfectionnement de l’enseignement primaire.

La décision rendue récemment par le comité judiciaire du Conseil Privé au sujet des droits respectifs du gouvernement du Canada et des gouvernements provinciaux sur les pêcheries de ce pays a nécessité une législation sur cette importante matière.

Les amendements nombreux faits presque à chaque session de cette Législature aux lois de la chasse, ont décidé mon gouvernement de vous en proposer une refonte complète.

L’agrandissement du territoire de cette Province, résultant de la législation concurrente de cette Législature et du Parlement du Canada lors de leurs dernières sessions, donne lieu à l’organisation civile et judiciaire du territoire nouvellement acquis.

Vous serez en même temps appelés à définir, de nouveau, les limites nord, nord-est et nord-ouest des comtés qui avoisinent ce territoire.

La bonne administration des terres publiques rend indispensable des amendements importants aux lois qui les régissent.

Des projets de loi pour ces différents objets seront soumis à votre considération.

Messieurs de l’Assemblée Législative,

Les comptes publics pour la dernière année financière et le budget pour l’exercice de 1899-1900 vous seront soumis sans délai.

En présence de la situation financière à laquelle il avait à faire face, lors de son avènement au pouvoir, le gouvernement actuel s’est trouvé dans l’obligation de réduire, autant que possible, la dépense publique et d’activer la perception du revenu, afin d’arriver à l’équilibre indispensable entre les recettes et les dépenses annuelles. Cette tâche était d’autant plus difficile que le gouvernement précédent, après avoir diminué la recette ordinaire par l’extinction de plusieurs sources de revenu et augmenté la dépense par des dispositions statutaires dépassant de beaucoup ce qu’il avait prévu par son budget, avait détruit les bases sur lesquelles il s’était appuyé dans les calculs de son dernier exposé financier.

Malgré toutes ces difficultés, mon gouvernement est parvenu, sinon à effacer complètement, dans son premier exercice annuel, le déficit de l’année précédente, au moins à le diminuer dans des proportions considérables, comme vous aurez occasion de le constater par l’examen des comptes publics. Ce premier résultat est une source d’encouragement qui nous donne à espérer qu’en continuant à pratiquer la stricte économie qu’il a exercée jusqu’ici, mon gouvernement arrivera, dans un avenir très prochain, à cet équilibre désiré.

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l’Assemblée législative,

Mon gouvernement s’est occupé tout spécialement des moyens les plus efficaces de favoriser le progrès agricole, et, à cette fin, il lui a paru urgent d’encourager, autant que ses revenus annuels le lui permettaient, l’amélioration des chemins municipaux. C’est ce qu’il a fait par une contribution libérale à l’achat de machines à concasser la pierre et à réparer les chemins. L’efficacité de cette politique est démontrée par le fait que, dans le cours des derniers quinze mois, au-delà de 100 conseils municipaux se sont pourvus de ces machines, au moyen desquelles plus de 1200 milles de bons chemins ont été parachevés.

L’excellente réputation acquise par nos fruits sur le marché européen, où l’exportation n’en a été dirigée, jusqu’ici, qu’à titre d’essai, a décidé mon gouvernement d’accorder à cette branche importante de notre production agricole, une attention toute spéciale. Cinq stations expérimentales d’arboriculture fruitière ont été établies, dans le cours de l’année, sur différents points de la Province.

Nous avons lieu d’être satisfaits des travaux accomplis. Leur continuation devra donner à notre culture fruitière une orientation plus sûre, et établir d’une manière méthodique et raisonnée les principes générant qui doivent la diriger.

La colonisation a été aussi l’objet de l’attention toute particulière de mon gouvernement. Des chemins nouveaux ont donné accès à des régions naguère inhabitées, qui se remplissent aujourd’hui rapidement d’une population de colons industrieux. A côté de ces groupes agricoles, d’immenses établissements industriels ont fait surgir au milieu de la forêt des centres de population ouvrière, qui comptent déjà des milliers d’habitants, auxquels ces établissements fournissent de l’emploi en utilisant, par la fabrication de la pulpe et du papier, nos ressources forestières. Tous ces progrès ont donné au domaine public un accroissement de valeur, qui produira, dans un avenir prochain, une augmentation de notre revenu.

Ces industries ne sont sans doute qu’à leur début, mais nous avons la satisfaction de constater que nos immenses et nombreux pouvoirs d’eau

jusqu’ici inexploités, ainsi que nos forêts illimitées et inépuisables, en assureront l’extension pendant plusieurs générations à venir. Je fais des vœux pour que la divine Providence éclaire vos délibérations sur toutes les questions qui vous seront soumises et qu’elle répande ses bienfaits sur vous et sur vos familles.

Share