Discours du trône, Québec, 1er décembre 1966

Daniel Johnson (père), 1966-1968

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Madame et Messieurs de l’Assemblée législative,

C’est la première fois que j’ai l’agréable devoir d’accueillir les représentants du peuple. Aux élus du 5 juin, j’offre mes félicitations et des vœux pour une carrière fructueuse.

Je désire rappeler avec émotion le souvenir de mon prédécesseur décédé dans des circonstances tragiques au cours de la dernière session. Qu’il me soit permis d’offrir aux membres de la famille de feu l’honorable Paul Comtois les profondes condoléances du gouvernement et de tous les membres de la Législature.

De façon à bien marquer la volonté du gouvernement d’instaurer une démocratie de participation, cette première session de la 28e Législature s’ouvre en présence de représentants de corps constitués.

Le Québec prendra dans quelques mois une dimension internationale en accueillant sur son territoire les millions de visiteurs qui, de tous les continents, se donneront rendez-vous à l’exposition universelle et internationale de 1967.

Le gouvernement entend faire tout ce qui dépend de lui pour que l’Expo 67 soit un prestigieux succès. Il sollicite à cette fin la coopération de tous les citoyens afin que soient mis en valeur les traits historiques et culturels qui composent la physionomie particulière du Québec et la tradition d’hospitalité qui fait l’honneur de sa population.

L’année 1967 sera également celle du centenaire de la confédération canadienne. Le gouvernement envisage cette échéance historique en tournant ses regards vers l’avenir plutôt que vers le passé. Il croit que la meilleure façon de célébrer cet anniversaire ne consiste pas à se complaire dans un immobilisme constitutionnel en profond désaccord avec les réalités sociologiques d’aujourd’hui, mais à accélérer les préparatifs d’un nouveau départ.

Conformément au mandat qu’il a reçu de la population, il entend donc travailler de toutes ses forces à l’avènement d’un nouvel ordre constitutionnel, qui soit l’instrument non pas d’une factice unité, mais d’une alliance véritable entre deux nations égales. Compte tenu des droits des minorités et des impératifs de l’interdépendance, il veut contribuer à bâtir un Canada nouveau, où nos deux grandes familles culturelles pourront s’épanouir librement, chacune dans le sens de ses aspirations propres, et participer ensemble à la gestion de leurs intérêts communs.

Les projections bouleversantes faites par le comité du régime fiscal, à la suite des études les plus sérieuses qui aient jamais été entreprises sur l’évolution des revenus et des dépenses des divers gouvernements au Canada, incitent le Québec à poursuivre ses efforts en étroite solidarité avec les autres membres de la fédération canadienne pour obtenir un transfert net de ressources fiscales mieux accordé à ses obligations présentes et aux meilleurs intérêts des contribuables.

Le temps est venu de repenser non seulement la constitution canadienne, mais également la constitution interne du Québec, qui a grand besoin d’être modernisée. Il importe de mettre en place les organismes nécessaires pour que ces problèmes constitutionnels puissent être étudiés et résolus dans le meilleur climat possible et dans le plus profond respect de la volonté populaire. En conséquence, le comité de la constitution sera ravivé avec un mandat élargi et vous serez appelés à voter une loi-cadre permettant de tenir des référendums.

En attendant ce nouvel ordre constitutionnel, le gouvernement tendra au plein exercice des pouvoirs que lui confère déjà la constitution actuelle. Le Québec moderne veut affirmer son dynamisme et croit nécessaire de coordonner et d’accroître ses relations non seulement avec le reste du pays, mais également avec le monde extérieur dans les domaines qui relèvent de sa compétence. C’est pourquoi des mesures vous seront soumises pour étendre les responsabilités du ministère des Affaires fédérales-provinciales.

Le Québec, en plus des tâches qu’il assume à l’instar de toutes les autres provinces, a des responsabilités particulières envers la nation canadienne-française dont il est le principal foyer. Ces responsabilités concernent en particulier le domaine de la sécurité sociale, qui est si intimement lié à la culture et au mode de vie de la population. C’est d’ailleurs là un domaine où la législature possède clairement des droits exclusifs ou prioritaires en vertu des articles 92 et 94A de la constitution.

Au moment où se dessine une nouvelle orientation de la sécurité sociale suivant le concept du revenu garanti, il est essentiel que le gouvernement du Québec devienne seul responsable sur son territoire de toute loi et de toute dépense publique relatives à la sécurité de la vieillesse. Vous serez appelés à voter la législation nécessaire à cette fin.

Vous serez également invités à intégrer nos diverses mesures d’aide sociale dans une loi-cadre qui permettra de tenir plus rigoureusement compte de l’évolution des besoins et du coût de la vie.

D’autres législations vous seront soumises à mesure qu’avancera le travail de la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social.

L’éducation est à juste titre l’une des préoccupations majeures de la communauté québécoise. Le gouvernement veut en faire une œuvre vraiment communautaire, grâce à une étroite participation de tous les intéressés, dans le respect des droits fondamentaux des parents et des enfants.

Pour favoriser davantage l’accessibilité de l’enseignement, vous serez appelés à légiférer sur un nouveau régime de bourses et de prêts aux étudiants. Plusieurs autres législations vous seront également proposées, notamment pour reviser les subventions aux collèges classiques et autres institutions indépendantes désireuses de continuer leur œuvre constructive; établir un mécanisme de planification et de coordination de l’enseignement universitaire; modifier le régime de retraite des enseignants; autoriser les ententes entre commissions scolaires et institutions privées; et donner un cadre juridique aux institutions qui veulent se regrouper pour dispenser l’enseignement pré-universitaire et professionnel.

Les premiers jalons seront posés en vue de la création d’un ministère qui mettra en œuvre une politique des loisirs et des sports.

La culture étant l’un des éléments les plus vitaux du bien commun du Québec et le signe par excellence de son identité, il est essentiel que, dans l’exercice de la plénitude de ses droits, le gouvernement en assure l’épanouissement et la diffusion sur toute l’étendue de notre territoire. Ce qui exigera qu’on y consacre non seulement de plus vastes ressources, mais aussi un effort méthodique de planification. Pour aider et conseiller le gouvernement en ce domaine, une loi vous sera soumise portant création de l’Académie des Arts, des Lettres et des Sciences du Québec. Le gouvernement mettra en œuvre une politique de déconcentration culturelle et de revalorisation de la langue française.

En même temps que s’accroissent les moyens d’éducation et de culture, il faut stimuler le développement de notre économie afin que nos diplômés puissent trouver au Québec les emplois qui leur conviennent et contribuer du même coup à l’avancement du milieu. La recherche scientifique et la planification économique sont parmi les principaux moyens qui nous permettront d’accélérer cette croissance.

Une mesure vous sera présentée pour encourager et coordonner les travaux de recherche, tant dans le domaine des sciences pures que dans celui des sciences appliquées, en vue particulièrement de répondre aux besoins de l’industrie québécoise et de favoriser une utilisation plus diversifiée et plus profitable de nos richesses naturelles.

Pour ce qui est de la planification économique, il est essentiel d’en préciser et d’en parfaire les structures, afin de les rendre à la fois plus efficaces et plus démocratiques. Vous serez invités à modifier la composition et le statut du Conseil d’Orientation économique et à créer un Office du Plan, de telle façon que les techniciens de la planification puissent travailler en étroite liaison avec les représentants des corps intermédiaires et des divers secteurs de l’économie. Ces structures nous achemineront graduellement vers la création d’un véritable ministère.

Le ministère de l’Industrie et du Commerce s’applique à mettre au point une politique d’incitation financière au développement industriel en vue d’aider particulièrement la petite et la moyenne entreprise.

Une attention particulière sera apportée à l’aménagement régional et au relèvement de l’agriculture. Les impératifs d’un développement harmonieux et les prescriptions de la justice distributive exigent que nous fassions bénéficier toutes les régions du Québec et toutes les classes de la société des avantages du progrès. L’amélioration de la voirie rurale et de la voirie régionale est l’un des moyens qui nous permettront d’atteindre cet objectif.

Par la création d’une Chambre agricole, le gouvernement veut assurer une présence démocratique de la population rurale au sein d’un organisme consultatif, où il pourra participer à l’élaboration des politiques qui le concernent et conseiller le ministre de l’Agriculture et de la Colonisation sur les législations à adopter pour hausser les revenus des cultivateurs et stimuler le progrès de l’agriculture québécoise.

Parmi les autres mesures agricoles qui seront portées à votre attention, l’une des plus importantes aura pour objet d’établir un régime d’assurance-récolte, avec contribution gouvernementale, afin de garantir le rendement des grandes cultures et des cultures spéciales contre l’action nocive des éléments naturels. Cette nouvelle législation contribuera à stabiliser l’ensemble de l’économie agricole, en y introduisant un facteur de sécurité qui lui fait lamentablement défaut.

Des lois vous seront également proposées pour assurer un aménagement plus rationnel de notre patrimoine forestier, dans le cadre d’une politique générale visant à permettre une utilisation meilleure et plus complète de toutes les essences, à procurer aux industries existantes les matières premières dont elles ont besoin et à favoriser la création de nouvelles entreprises en fonction des ressources et des besoins de chaque région. Pour élaborer dans cette direction une politique vraiment dynamique, le gouvernement est conscient de la nécessité de donner une impulsion nouvelle à la recherche forestière.

On vous soumettra une loi consacrant de nouveaux crédits à la modernisation de notre flotte de pêche.

Des amendements au code du travail et à d’autres lois ouvrières auront notamment pour objet d’aider à prévenir les conflits en agissant dès l’origine sur les causes qui sont susceptibles de les provoquer; de favoriser la collaboration patronale-ouvrière au sein de l’entreprise; de prévoir les conséquences de l’automation et autres progrès technologiques de façon à mieux protéger les intérêts des travailleurs affectés par ces changements; et de reviser les prestations versées aux victimes d’accidents de travail ou à leur dépendants.

Le ministère du Travail sera également modernisé et adapté aux besoins de l’heure. Avec les autres ministères concernés, il sera appelé à mettre en œuvre un programme dynamique de recyclage de la main-d’œuvre et d’éducation permanente.

Afin de revaloriser en profondeur la fonction publique et d’assurer à l’administration gouvernementale le maximum d’efficacité, vous serez appelés à voter une loi instituant un ministère de la Fonction publique.

Une étape importante sera franchie vers la création d’un ministère de l’équipement, grâce à un projet de loi qui donnera au ministère de la Voirie la responsabilité de la construction et de l’entretien des ponts. D’autres changements permettront de rendre plus entièrement justice aux expropriés.

Le gouvernement intensifiera ses efforts dans les secteurs du tourisme et de l’immigration.

Une société québécoise de l’habitation sera créée pour permettre au gouvernement d’entreprendre, de concert avec les municipalités, de vastes projets de rénovation urbaine, dans le cadre d’un programme de lutte contre la pauvreté.
Diverses mesures seront proposées pour stimuler le progrès de notre capitale et de sa zone métropolitaine et mettre en pleine valeur les attraits uniques qu’elles tiennent de la nature, de l’art et de l’histoire.

Des modifications au code de la route vous inviteront à reconsidérer sous plusieurs aspects le problème de la sécurité routière.

Vous aurez encore à étudier un certain nombre de mesures visant à améliorer l’administration de la justice et à assurer un plus grand respect des libertés civiles et des droits de la personne humaine. Vous serez invités à contribuer à l’élaboration d’une charte des droits de l’homme et d’une loi instituant un protecteur du peuple (ombudsman). On vous soumettra aussi une révision de la loi des coroners et de la loi de la prévention des incendies, ainsi qu’une loi prévoyant l’établissement de normes de qualification pour les policiers et l’énoncé des règles qui doivent régir l’action policière dans tout le territoire du Québec.

Il est très important de revaloriser nos institutions parlementaires en les adaptant au rythme et aux exigences de notre époque. Vous serez invités à collaborer dans la poursuite de cet objectif, notamment par la nomination d’un président permanent de l’Assemblée législative.

Madame et Messieurs de l’Assemblée législative,

Vous serez appelés à scruter les comptes publics et à voter les crédits nécessaires à l’administration du Québec.

Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Madame et Messieurs de l’Assemblée législative,

Nous prions Dieu de vous éclairer dans l’exercice de vos responsabilités, afin qu’à votre exemple, toute la communauté québécoise puisse participer d’un même élan et d’un même cœur à la recherche et à la réalisation du bien commun.

[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]

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