Autres discours officiels

[QJHSN19660729]

La presse hebdomadaire est sans contredit la plus proche du peuple, la plus enracinée dans le milieu» la mieux intégrée à la pâte québécoise. En quoi je dirais qu’elle ressemble à l’Union Nationale, si je n’avais peur de piquer de bien sympathiques adversaires. Le caractère régionaliste de la presse hebdomadaire lui permet de s’intéresser de très près à des événements et à des problèmes que les grands organes d’information doivent forcément survoler de plus haut, mais qui ont une importance et une saveur particulières pour les gens du cru. Il lui permet aussi de parler sur un ton plus intime» plus familier, plus personnel. D’où l’influence profonde et durable qu’elle est en mesure d’exercer. Il en résulte pour la presse hebdomadaire une première responsabilité qu’elle est seule à pouvoir exercer pleinement: celle de travailler a la formation d’une véritable conscience régionale. C’est là une mission qui me paraît singulièrement importante à l’heure actuelle, pour deux raisons

D’abord parce que dans un monde qui semble glisser de plus en plus sur la pente de la standardisation et de l’uniformité le régionalisme bien compris est une force positive qui travaille pour l’homme et qui lui évitera peut-être de sombrer un jour dans un ennui mortel. À force de vouloir tout systématiser, tout réduire à des normes et à des moules communs, on finit par oublier la réalité concrète qui, elle, n’est jamais simple. Pour faire échec à la frénésie des solutions unitaires, il faut imposer le respect de la complexité naturelle des personnes et des choses. En travaillant à conserver et a enrichir ce qu’il y a de valable dans les particularismes régionaux, vous défendez, messieurs de la presse hebdomadaire, un droit que je considère fondamental: le droit à l’originalité, le droit à la fantaisie, le droit au non-conformisme, le droit de ne pas être et de ne pas penser tout a fait comme les autres.

La citadelle que vous maintenez, c’est en définitive celle de la liberté humaine.

Cette première raison, qui en est une d’humanisme, suffirait amplement à légitimer la promotion, dans vos divers milieux, d’une mentalité ou d’une conscience régionale. Mais il y en a une autre, qui est d’ordre économique.

On parle beaucoup, depuis quelques années, d’aménagement régional. Comme je le disais en Chambre des 1962, les besoins, les richesses à développer, les possibilités matérielles et humaines diffèrent tellement d’une région à l’autre qu’il est impossible de penser un programme d’aménagement qui puisse s’appliquer partout de la même façon.

Toutes les régions n’ont pas atteint le même degré de croissance économique. Certaines, parce qu’elles sont plus défavorisées que d’autres, ont besoin d’être plus vigoureusement épaulées par les pouvoirs publics. C’est en partant de tous ces facteurs régionaux qu’on peut en arriver à un plan coordonné et harmonieux de développement économique pour l’ensemble du territoire. D’autre part, une planification qui ne serait pas conçue et appliquée en étroite coopération avec les agents de l’économie, les corps intermédiaires et la population elle-même n’aurait rien de démocratique. On aurait sur le papier des schémas d’autant plus impeccables qu’ils auraient été dressés en vase clos, sans tenir compte de la complexité des situations et des réactions souvent imprévisibles de la liberté humaine; mais ces plans trop beaux pour être réalistes, il faudrait alors les imposer d’autorité à une population très mal préparée à les recevoir. Et l’on aboutirait aux abus, aux frustrations et aux usurpations stérilisantes des régimes totalitaires.

Donc, à la base, la planification doit être assez souple pour tenir compte de la vocation naturelle et des besoins particuliers de chaque région; et elle doit se faire avec la participation active des populations intéressées. C’est le processus démocratique, plus lent peut-être que le processus totalitaire» mais combien plus efficace et plus fécond en définitive» puisqu’il tend à stimuler» plutôt qu’à réprimer, cet esprit d’initiative qui est le véritable moteur de la vie économique.

Cela suppose, dans chaque région, la formation d’une conscience communautaire, c’est-à-dire d’un sentiment d’appartenance à un territoire qui a ses caractéristiques et ses traditions particulières, son centre de gravité, son réseau de communications et d’échanges et qui, sans verser dans l’isolement ou le chauvinisme, doit normalement posséder tous les instruments et tous les services nécessaires à l’épanouissement d’un dynamisme interne et d’une autonomie relative, tant sur le plan culturel que sur le plan économique.

Or, je ne vois pas comment cette conscience régionale pourrait se développer et s’exprimer sans une presse comme la vôtre. Les grands organes d’information et de publicité ont d’autres préoccupations et d’autres centres d’intérêt, ce qui est tout à fait normal. Ils sont le miroir des vastes agglomérations urbaines où se recrute le gros de leur clientèle.

Par la force des choses et sans qu’il y ait mauvaise volonté de leur part, ils agissent comme des facteurs de nivellement et de « massification », si vous voulez bien me pardonner ce néologisme. Car leur pente naturelle est celle du plus commun dénominateur et ils répandent partout les mêmes idées, les mêmes images, les mêmes slogans, les mêmes goûts et les mêmes produits.

Si bien que dans un monde en mal d’uniformité et de centralisation, vous êtes, vous qu’on appelle parfois avec hauteur les journalistes de province, les seuls à organiser la résistance et à préparer la riposte. Vous êtes les gardiens et les promoteurs des particularismes légitimes, les hérauts des valeurs authentiques qui plongent leurs racines hors des sentiers battus. Vous êtes les militants d’une décentralisation qui ne doit pas être celle de l’industrie seulement, mais aussi des capitaux, des services, de l’administration, du savoir et de la culture.

Sans vous, qui donc pourrait faire écho aux besoins et aux ambitions de ceux qui vivent hors du rayonnement immédiat de la capitale et de la métropole? Comment pourrait s’exprimer cette vie régionale qui est à la fois si féconde et si profondément humaine?

En un mot, vous donnez une voix et une conscience à toutes ces petites patries sans lesquelles il ne saurait y avoir de grande patrie.

Telle est votre première responsabilité, celle qui vous est particulière et que vous êtes seuls à pouvoir assumer pleinement. Mais il en est une autre que vous partagez avec la presse quotidienne, comme d’ailleurs avec tous ceux qui, par leur compétence ou par la nature de leurs fonctions, sont en mesure d’exercer une influence dans leur milieu. Je veux parler de la formation, au Canada français, d’une véritable conscience nationale.

Vous trouverez peut-être étrange que d’un même souffle, je préconise à la fois le développement d’une conscience régionale et d’une conscience nationale. C’est qu’à mon sens, il n’y a aucune opposition entre les deux. Ce n’est pas en détruisant, mais en renforçant les communautés élémentaires, comme la famille, la municipalité et la région, qu’on peut réaliser au maximum la communauté nationale et, sur un plan encore plus vaste, la grande communauté humaine.

Tel est l’ordre naturel des choses. La perception sociale suit en somme le processus ordinaire de toute connaissance humaine: son cheminement va du particulier au général, du concret à l’abstrait, du plus immédiat au plus universel. Et on ne gagne rien à vouloir supprimer les premiers anneaux de la chaîne. Celui qui n’a pas eu la chance de faire au sein même de sa famille, de son village ou de son quartier l’apprentissage des liens d’interdépendance qui l’unissent à ses semblables n’en devient pas un meilleur citoyen de son pays ou du monde. Vous savez tous que c’est le contraire qui est vrai. Si l’on est asocial dès le départ» il y a toutes les chances qu’on le soit sur toute la ligne.

La région est une composante de la nation. Et pourvu qu’il ne verse pas dans le chauvinisme et qu’il reste ouvert à des perspectives plus hautes dans l’échelle des relations humaines, le régionalisme ne détruit rien et renforce tout. C’est tellement vrai que les plus fervents régionalistes sont d’ordinaire de non moins ardents nationalistes.

Je n’ai donc pas l’impression de vous proposer des objectifs contradictoires quand je vous demande de travailler, chacun dans votre milieu» au développement d’une conscience régionale et, tous ensemble» à la maturation d’une véritable conscience nationale. Il y a des gens qui se demandent encore s’il y a quelque chose de changé» depuis le 5 juin» dans le domaine des relations entre les divers gouvernements du pays et, plus spécialement, dans celui des relations entre le Canada anglais et le Canada français. Bien sûr qu’il y a quelque chose de changer.

Le nouveau gouvernement que vous avez élu détient un mandat très clair: celui de faire reconnaître partout la nation canadienne-française. C’est le mandat que nous avons sollicité par notre programme et c’est celui que vous nous avez donné. Nous nous ferons un devoir et une fierté de le remplir intégralement.

À noter que c’est la première fois dans l’histoire du Québec que cette expression de « nation canadienne-française » fait partie du vocabulaire gouvernemental. Et je vous prie de croire que ce n’est pas Une simple question de vocabulaire. Nous en faisons l’un des principes cardinaux de notre doctrine et de notre politique.

Cela veut dire entre autres choses que le Québec étant le principal foyer de la nation canadienne-française, il faut que le gouvernement du Québec exerce tous les droits et assume toutes les responsabilités d’un véritable État national.

Cela veut dire que le français, comme langue de la majorité de la population québécoise, doit avoir le statut et le prestige d’une langue nationale. Cela veut dire encore que tout ce qui serait entrepris ou tenté pour restreindre le champ de compétence ou la liberté fiscale de l’État du Québec serait, par la force des choses, entrepris ou tenté contre la nation canadienne-française.

Car la nation est une communauté naturelle dont les droits sont inscrits dans la nature avant d’être inscrits dans les textes; et s’il arrive que les textes juridiques contredisent un droit naturel, ce sont les textes qu’il faut changer.

Voilà pourquoi nous avons fait tout ce qui dépendait de nous, et avec le succès que vous savez, pour écarter définitivement la formule Fulton-Favreau, qui non seulement ne tenait aucun compte de l’existence d’une nation canadienne-française, mais équivalait même à nier cette réalité sociologique.

Si elle avait été adoptée, cette formule d’amendement constitutionnel aurait définitivement fait du Québec une province comme les autres car elle aurait soumis toute extension ultérieure de ses pouvoirs à la volonté unanime ou majoritaire des onze gouvernements du Canada. Or, il est clair qu’au moins dans les matières socio-culturelles puisqu’il n’y a pas de commun dénominateur possible, notre gouvernement est seul à assumer, à l’égard de la communauté canadienne-française, des responsabilités que les dix autres gouvernements assument ensemble a l’égard de la communauté anglo-canadienne.

Voilà aussi pourquoi, au lieu de nous agripper à une constitution désuète qui, dans ses dispositions comme dans ses silences» ou dans les applications qu’on en fait, s’avère incapable d’assurer la coexistence harmonieuse des deux communautés, nous proposons hardiment une nouvelle alliance qui permettrait a celles-ci de s’épanouir librement, chacune dans le sens de sa culture particulière et de coopérer ensemble, dans l’égalité, à la gestion de leurs intérêts communs.

Nous sommes parfaitement conscients des impératifs de l’interdépendance. Nous savons qu’il y a une foule de problèmes administratifs, économiques et même fiscaux sur lesquels il est possible et éminemment désirable de trouver un terrain d’entente. J’ai déjà dit que je n’irais pas à Ottawa avec un fusil et aucun gouvernement ne sera plus disposé que le notre a la coopération; mais cette coopération sera d’autant plus facile qu’on aura, au départ, reconnu nos responsabilités particulières envers la nation canadienne-française.

Ces responsabilités sont telles qu’elles doivent nécessairement occuper la première place dans nos préoccupations. Quand je dis que le destin de la nation canadienne-française doit primer sur le sort de la Confédération elle-même, je ne fais que proclamer un principe conforme a l’évolution actuelle du droit international et consigné notamment dans la charte des Nations Unies, celui du droit de toute nation, petite ou grande, à l’autodétermination, c’est-à-dire à la maîtrise de son destin.

Autrement dit, il n’y a pas de structure juridique, il n’y a pas de constitution qui tienne contre la vie d’une nation. Et pour trouver quelque provocation dans cette attitude, il faudrait être intéressé à voir disparaître la nation canadienne-française.

C’est en vertu du même principe que le nouveau gouvernement du Québec refuse de rejeter a priori la solution de l’indépendance. Si, comme je refuse encore de le croire, cette solution s’avérait la seule compatible avec la survie et l’épanouissement de la nation canadienne-française, il faudrait y recourir.

Encore là, c’est la première fois dans l’histoire du Québec qu’un gouvernement tient un pareil langage. Il y a des gens qui paraissent fonder beaucoup d’espoirs sur le fait que les partis indépendantistes ont été rejetés par l’électorat. C’est vrai que le peuple les a rejetés; mais il a également rejeté le seul parti qui écartait comme solution possible l’entière souveraineté du Québec.

Quant à nous, nous disons que ce n’est pas la seule, ni la meilleure solution et nous ferons tout ce qui dépend de nous pour concilier autrement, par la voie du dialogue et de la négociation» les libertés essentielles d’une nation et les impératifs de l’interdépendance» mais nous croirions manquer à notre devoir en renonçant d’avance a toute autre option» fut-elle de dernier recours.

Tout cela pour dire que l’existence de la nation canadienne-française est le fondement même de notre doctrine et de notre action sur le plan constitutionnel .Mais cette nation dont nous nous réclamons dans nos rapports avec les autres» il faut que nous nous attachions à la parfaire et à la consolider de l’intérieur. D’où l’importance de travailler à la maturation de cette conscience nationale dont je vous parlais tout à l’heure.

Nous aurons d’autant moins de difficultés à nous faire accepter comme une nation que nous agirons nous-mêmes comme une nation, c’est-à-dire une communauté humaine partageant non seulement la même langue, la même culture, le même patrimoine historiques le même territoire et le même vouloir-vivre commun» mais aussi les mêmes ambitions et les mêmes objectifs, au moins en ce qui concerne les orientations essentielles de notre vie collective.

Cela ne signifie pas que nous devions tous penser la même chose sur tous les sujets, ce qui serait bien désolant et bien ennuyeux. Une nation n’est pas un bloc monolithique. Mais il faut quand même que ce soit une vraie communauté, c’est-à-dire autre chose qu’un assemblage d’intérêts égoïstes.

Il faut que sur certaines questions primordiales, nous partagions un sentiment de solidarité qui soit plus fort que nos divergences d’opinions. Il faut qu’entre tous les éléments de la nation, le dialogue reste constamment ouvert et qu’il incline moins à un affrontement des droits qu’à une convergence des devoirs.

En d’autres termes, nous devons vivre, penser et agir les uns pour les autres et non pas les uns contre les autres. C’est ce sentiment de cohésion nationale que je vous demande de développer. Dans chacune de vos régions d’abord, puis à la grandeur du Québec et du Canada français, tissez drus, forts et serrés les liens qui font les vraies nations. Vous rendrez ainsi plus facile la tâche que vous avez confiée a votre gouvernement: celle de faire reconnaître, avec toutes les conséquences qui en découlent, que les Canadiens français ne sont pas une minorité comme une autre et que c’est dans la liberté et l’égalité, comme une nation adulte, qu’ils veulent désormais coopérer a l’édification d’un Canada plus uni et d’un monde plus fraternel.

[QJHSN19660829]

[TOUS SOLIDAIRESCAUSERIE_DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBECASSOCIATION DES MANUFACTURIERS CANADIENSHOTEL WINDSOR MONTREAL 29 AOUT 1966POUR PUBLICATION À 12.30 P.M, LUNDI. LE 29 AOUT 1966. ]

Il y a eu beaucoup de grèves et de conflits de toutes sortes depuis quelque temps. Pas seulement dans l’industrie privée, mais également dans le secteur public. De tous les employeurs, c’est en fait l’État qui, directement ou indirectement a subi les pires assauts. Certaines de ces grèves ont ému et même choqué l’opinion publique. Surtout quand on a vu des syndiqués défier ouvertement les lois et les tribunaux, alors que la santé et même la vie de milliers de gens étaient en jeu. De tels abus sont évidemment intolérables. Il n’est permis à aucun citoyen ni à aucun groupe, si important soient-ils., de se mettre au-dessus de la loi.

Car la loi, c’est l’expression, imparfaite sans doutes mais qu’il faut sans cesse travailler à parfaire démocratiquement de l’ordre public et de l’intérêt général. Agir contre la loi, c’est donner à des égoïsmes individuels ou collectifs la priorité sur le bien commun. C’est abuser de sa propre liberté pour violer la liberté des autres.

Devant cette situations plusieurs se sont étonnés et même scandalisés de la patience du gouvernement. Certains ont dit: « Pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour interdire la grève dans les Services publics? » D’autres ont même ajoutés « Pourquoi ne pas prendre des mesures radicales pour enlever aux syndicats les droits dont ils ont abusé et mettre fin une fois pour toutes a l’escalade des augmentations de salaires? »

C’est ma ferme conviction qu’un tel remède eut été pire que le mal. Le syndicalisme reste une force positive qui est nécessaire au progrès de notre société. On n’a pas plus le droit de l’abattre à cause des abus de certains syndiqués qu’on au- rait celui de supprimer la propriété privée a cause des abus ou des imperfections du capitalisme.

Si nous voulons régler nos problèmes en profondeur, plutôt que de recourir à des palliatifs qui ne résolvent rien à longue échéances il faut y mettre de la compréhension bien plus que de la répression; de l’intelligence et du coeur bien plus que des matraques.

N’oublions pas que nous sommes dans une période de mutation sociale. Ce n’est pas seulement dans le Québec qu’il y a des revendications, des conflits et des grèves, mais partout dans le monde. Vous autres, les manufacturiers, vous savez très bien que vous ne pouvez pas vous contenter de toujours fabriquer les mêmes produits. Vous seriez vite déclassés par vos concurrents, car les goûts changent, les besoins changent et les découvertes scientifiques font naître sans cesse de nouvelles possibilités.

De la même façon devons-nous modifier nos habitudes mentales pour nous adapter au contexte mouvant d’une société en pleine transformation. À l’unanimité, la Législature a décidé l’an dernier d’accorder le droit de grève aux employés des services publics. Elle faisait ainsi un acte de foi dans la maturité et le sens des responsabilités des syndicats comme des employeurs. En même temps, elle établissait des mécanismes qu’elle croyait de nature à faciliter les négociations et à prévenir les abus possibles.

Nous n’aurions pas été logiques si après avoir accordé le droit de grève à certaines conditions, nous avions supprimé ce droit pour le seul motif que les syndicats décidaient de l’exercer. Avant d’en venir a des mesures plus rigoureuses, il fallait d’abord tenter d’obtenir le règlement du conflit par les voies normales de la négociation et de la médiations puis, devant une situation devenue dangereuse pour la santé ou la sécurité publiques, mettre à l’épreuve le seul recours que nous donnait la loi.

Que l’injonction ait été insuffisante et inefficace, tous en conviennent maintenant. Le calme et la maturité que nous étions en droit d’attendre des parties en cause, nous croyons en avoir donné nous-mêmes l’exemple. Il nous restait alors comme seul remède une loi du Parlement. Mais la grève s’étant terminée avant l’ouverture de la session d’urgence que nous avions convoquées nous avons préféré attendre une période de réflexion plus sereine pour procéder aux modifications nécessaires.

Mais, plus encore que des instruments législatifs, c’est un état d’esprit qu’il faut construire à neuf. Et cela vous regardes vous les employeurs, tout autant que les syndicats ou le gouvernement lui-même. Nous sommes tous solidairement intéressés au progrès social et à la croissance économique du Québec. Nous sommes tous membres d’une même communauté. La prospérité de l’un rejaillit nécessairement sur tous les autres; et la pauvreté de l’un devient vite un fardeau pour tous les autres.

Il ne suffit pas de répartir aussi équitablement que possibles entre les divers éléments de la communautés les fruits de la production globale du Québec; il faut voir à ce que cette production augmente sans cesse, par une utilisation maximale de nos ressources matérielles et humaines» de façon qu’il y ait davantage a partager et qu’il en résulte à la fois plus de bénéfices, plus d’emplois, plus de salaires et plus de sécurité pour tous.

Or, ce double objectif d’équilibre social et de croissance économique, personne ne peut l’atteindre seul. Il faut que tous y contribuent. J’ai foi en l’entreprise privée. Elle sera toujours, selon mois le principal moteur du progrès économique et nous avons pris là-dessus, dans notre programme électoral des positions fermes et sans équivoque qui n’ont pas changé après le 5 juin.

Car si le Québec tient à rester un pays bien français, conformément a la culture de la majorité de sa populations il tient tout autant à rester un pays de l’Amérique du Nord, ou l’entreprise privée s’avère le système le plus propre à élever le niveau de vie de la population et a favoriser l’épanouissement de la liberté et de la dignité humaines.

Je n’ignore pas en particulier le rôle capital que joue l’industrie manufacturière dans l’économie du Québec et de tout le pays. C’est le secteur qui procure le plus d’emplois et qui contribue davantage, tant par ses impôts que par l’activité dont il est la source à la prospérité générale. À tel point que dans l’esprit de bien des gens, progrès industriel et progrès économique sont devenus synonymes.

Pourtant, si importante qu’elle soit, l’industrie ne saurait à elle seule réaliser le bien commun. S’il n’y avait pas d’écoles pour former un personnel compétent; s’il n’y avait pas de services de santé et de bien-être pour prendre soin de notre capital humains s’il n’y avait pas de voie de communication pour alimenter les usines en matières premières et acheminer les produits vers les marchés de consommation; s’il n’y avait pas, en plus de cet outillage collectifs toute une organisation communautaire consacrée à la protection des personnes, des biens et de l’ordre public, on ne voit pas comment l’industrie elle-même pourrait survivre.

Et puis, le progrès général ne résulte pas d’une simple addition des progrès particuliers. Comment l’entreprise privée laissée à elle-même pourrait-elle spontanément conjuguer ses efforts et les orienter toujours dans le sens le plus favorable au bien de la communauté?

En faits l’entreprise privée n’existe pas en soi; ce qui existe, c’est une multitude d’entreprises dont chacune est portée, par sa logique internes a prendre les orientations qui lui paraissent les plus conformes à son intérêt propre. Tant mieux si ces orientations coïncident avec l’intérêt général; mais il n’en est pas nécessairement ainsi, surtout dans le Québec ou le patronat n’est pas encore arrivé à se donner des structures communes et une voix commune.

Nous sommes donc en présence d’une foule de décisions qui, n’étant pas coordonnées entre elles, peuvent se contredire et se faire mutuellement obstacle. Ce n’est pas tout d’avoir un moteur puissant; il faut savoir où l’on va et comment s’y diriger. Il faut une carte routière et un volant. Les syndicats non plus ne sauraient, à eux seuls, réaliser le bien commun. Ils y contribuent sans doute par l’action qu’ils exercent sur les salaires, les conditions de travail, le bien-être et la dignité des employés. Ils peuvent même, s’ils sont conscients de leurs responsabilités, jouer un rôle de tout premier plan dans l’amélioration de la législation ouvrière et l’établissement de relations plus harmonieuses entre le capital et le travail, ce qui est aussi un puissant facteur de prospérité générale.

Il reste cependant que les salariés ne sont pas tous syndiqués, loin de la. Ceux qui le sont ne constituent qu’une minorité; et d’une façon générale il s’agit de ceux qui travaillent pour les entreprises les plus puissantes et qui, de ce fait sont les plus faciles à grouper et à organiser.

Comme il est assez normal que les syndicats s’occupent d’abord de leurs membres, leur action ne s’exerce donc pas nécessairement en faveur des groupes les plus défavorisés. Ceux-ci doivent chercher ailleurs, par exemple dans la loi des salaires minima, les mécanismes de protection qui leur sont absolument nécessaires. Au risque d’en surprendre un certain nombre, j’ajouterai que l’État non plus ne peut pas, à lui seul, réaliser le bien commun. L’intérêt public est, bien sur» sa responsabilité propre; mais si l’on veut qu’il s’acquitte au mieux de cette responsabilité, il ne faut pas lui demander d’assumer en plus celles des autres.

Certains ont l’air de penser qu’il suffit de confier une fonction à l’État pour que cette fonction soit automatiquement remplie avec un maximum de compétence et de profit pour l’ensemble de la communauté. Ce n’est malheureusement pas vrai. Il y a des tâches que les chefs d’entreprises, les syndicats, les corps intermédiaires ou les citoyens eux-mêmes peuvent accomplir beaucoup mieux que lui.

L’État n’est pas tout-puissant. Il ne remplit bien son rôle que lorsqu’il reste dans son rôle: celui de guide, de coordonnateur, d’architecte et d’arbitre du bien commun. Il ne suffit pas, par exemple, que ce soit l’État qui paye pour que l’on puisse lui demander d’élever indéfiniment les salaires. D’abord, ce sont en définitive les contribuables qui en font les frais et Dieu sait que leurs moyens ne sont pas illimités; et puis, il faut penser aux répercussions que les décisions prises dans le secteur public ne manquent pas d’avoir sur le régime des salaires et des conditions de travail du secteur privé.

Si l’on fait la somme des traitements payés directement ou indirectement par le trésor québécois, on en arrive à une masse salariale de l’ordre de $ 900000000 par année. Le gouvernement a-t-il le droit de manier une telle masse sans se soucier des conséquences qui peuvent en résulter pour les autres employeurs et pour l’ensemble de l’économie québécoise?

Tout cela fait ressortir la nécessité d’une politique générale des salaires, dont le champ de vision soit plus large que celui d’un secteur particulier de l’activité économique; d’une politique qui tienne compte a la fois des ressources actuelles et des objectifs de croissance de l’économie québécoise; d’une politique qui nous sorte enfin de l’improvisation et de l’incohérence pour placer dans l’optique des intérêts supérieurs de la collectivité.

Et cette politique ne saurait être conçue en vase clos. Elle doit être le produit d’une étroite coopération entre tous ceux qui sont à la fois les artisans et les bénéficiaires de la croissance économique. Car ces objectifs de bien commun que ni le capital, ni le travail, ni l’État ne peuvent atteindre lorsqu’ils agissent chacun pour soi et en ordre dispersés les trois peuvent les réaliser ensemble s’ils se comportent comme de véritables partenaires.

En 1966, quand tant de problèmes se posent sur tous les plans à la fois, nous n’avons pas le droit de dépenser en conflits stériles une partie de nos ressources et de nos énergies. L’heure est à la coopération, à la solidarité, à l’interdépendance. Employeurs, syndicats et administrateurs publics doivent apprendre a vivre ensembles a dialoguer ensemble, à planifier ensemble leur action pour le plus grand bien de tous. Cela suppose la mise en place de mécanismes nouveaux de consultation et de coopérations où les divers agents de l’activité économique puissent échanger leurs informations, s’entendre sur des orientations communes et trouver le moyen non pas seulement de régler les conflits, mais de les prévenir dans toute la mesure du possible.

Cela suppose surtout un esprit nouveau, une aptitude à écouter et à comprendre les autres, à faire équipe avec eux et, sans sacrifier ses intérêts propres, à les situer dans la perspective plus large de l’intérêt général. Le capital, le travail et l’État doivent réaliser enfin qu’ils ne sont pas des ennemis, mais des associés, solidairement responsables de l’avenir du Québec et du progrès de la communauté québécoise.

[QJOHN19660907]

[Prière de ne pas publier avant 7.30 heures, mercredi le 7 septem­bre 1966.CAUSERIE DE Me DANIEL JOHNSON Dîner en l’honneur des lauréats de l’ordre du Mérite agricole et de l’ordre du Mérite du défricheur Palais central de l’Exposition provinciale]

Une tradition qui remonte très loin en arrière veut que le premier ministre du Québec, quels que soient son parti, son milieu d’origine, sa formation et ses aptitudes personnelles, assiste au banquet du Mérite agricole et y fasse étalage de ses vastes connaissances en agriculture, même s’il n’a jamais de toute sa vie planté un oignon ou conduit un tracteur.

Au risque de bousculer un usage aussi vénérable, j’entends vous avouer tout de suite, en toute franchise, que je ne suis ni cultivateur, ni fils de cultivateur, ni détenteur du moindre diplôme en agriculture, fut-ce même « honoris causa »»

Je suis donc venu ici, non pas pour vous donner des conseils, mais pour écouter et pour apprendre. Mes électeurs de Bagot m’en ont déjà appris passablement, mais l’agriculture est aujourd’hui un domaine tellement vaste et tellement complexe qu’il me reste beaucoup à faire pour compléter ma formation en ce domaine. Et j’aime cent fois mieux être un bon écolier qu’un mauvais professeur.

Je pourrais évidemment vous parler de la noblesse et de l’excellence de la profession agricole et là, j’aurais au moins le mérite d’être sincère. Mais ce sont des choses que vous avez entendues cent fois et qui n’ont jamais réglé le quart d’un seul de vos problèmes.

Seulement, le fait d’avoir ainsi comme premier ministre un profane, en matière d’agriculture, a peut-être pour vous plus d’avantages que d’inconvénients.

D’abord, cela m’a forcé à aller chercher, comme ministre de l’Agriculture, un cultivateur, un vrai, qui n’a pas seulement de vos problèmes et de vos difficultés une connaissance théorique, mais une connaissance pratique et quotidiennement vécues. M. Vincent a même eu ce courage et cette audace de démissionner comme député fédéral pour mieux servir le « Québec d’abord » et pour oeuvrer là où il pouvait être le plus utile à sa profession. Vous n’aurez donc pas de difficulté à lui faire comprendre dans quelle situation vous vous débattez présentement, puisqu’il est « dans le bain » avec vous.

De plus, peut-être parce que votre premier ministre est assez conscient de ses limites pour admettre qu’il n’a pas de solution-miracle à vous offrir, il se trouve qu’il est mieux disposé que quiconque à vous faire confiance, à écouter vos suggestions, à compter sur vos lumières, sur votre initiative, sur votre aptitude à opérer vous-mêmes les virages qui s’imposent.

Je ne veux pas dire par là que le gouvernement doit abandonner les cultivateurs à leur propre sort, quitte à les aider, comme certains l’ont suggéré, à déserter en masse une occupation dont ils n’arrivent plus à vivre convenablement. Le marasme de l’agriculture est tel, présentement, qu’il ralentit l’essor des autres secteurs de l’économie québécoise. C’est devenu une oeuvre de salut public que de redresser la situation et l’État, comme gardien du bien commun, doit s’y employer de toutes ses forces.

Plus le Québec s’industrialise, plus il a besoin de l’agriculture pour nourrir une population qui grandit et s’urbanise avec une extrême rapidité. Déjà, les surplus agricoles dont on s’inquiétait il y a quelques années fondent comme beurre dans la poêle et l’on est rendu à importer de plus en plus des produits que nous pourrions tirer de notre propre sol, pendant que certaines de nos meilleures terres sont converties à d’autres usages ou tout simplement laissées en friche. Mais ce dont je suis convaincu et l’exemple des lauréats du Mérite agricole m’en fournit une preuve additionnelle c’est que les cultivateurs seront toujours les meilleurs artisans de leur propre relèvement. Que l’État leur fournisse les outils nécessaires et ils feront eux-mêmes la besogne bien mieux que tous les faux docteurs qui prétendent se pencher sur leurs malaises.

Telle est la philosophie qui anime le gouvernement actuel. Ni les cultivateurs seuls, car ils ne disposent pas actuellement des moyens d’action qui leur sont indispensables, ni les, gouvernants seuls ne peuvent résoudre les problèmes agricoles. Mais ce que ni les uns ni les autres ne peuvent faire isolément, ils peuvent y arriver ensemble, s’ils savent non seulement se parler et se comprendre, mais coordonner leurs efforts.

C’est pourquoi notre premier geste, au cours de la session qui vient, sera d’organiser sur des bases solides et permanentes une véritable Chambre agricole, qui ne sera pas encore une solution en soi, mais qui sera l’amorce de solutions vraiment réalistes parce qu’elle établira des liens organiques entre la profession agricole et le gouvernement.

Ce n’est pas tout de se proclamer, de part et d’autre, ouvert au dialogue et à la collaboration; encore faut-il établir des structures qui rendent possibles cette collaboration et ce dialogue. Et ces structures doivent être assez souples pour s’adapter à des conditions qui évoluent à une vitesse accélérée. On peut affirmer qu’au rythme actuel, les cultivateurs changent de siècle tous les dix ans.

Ce Parlement de l’agriculture québécoise comprendra évidemment des représentants de l’U.C.C, des coopératives, des syndicats de producteurs et autres organismes qui opèrent déjà dans les divers domaines de la production et de la commercialisation des produits agricoles. Il comprendra aussi des représentants de la Faculté d’Agriculture, de la Corporation des Agronomes et du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation. Il appartiendra à la Chambre agricole de concevoir et d’élaborer les mesures immédiates qui s’imposent pour régler les problèmes les plus urgents; de préparer une politique de planification à court et à long terme; de coordonner le travail des divers comités consultatifs; de conseiller le ministre de l’Agriculture en tout ce qui concerne l’économie rurale et l’aménagement régional; de faire des enquêtes et d’orienter les recherches qui s’imposent pour améliorer la production, la transformation et la mise en marché des produits agricoles. Ainsi, les cultivateurs pourront participer activement non seulement à la préparation, mais aussi à l’exécution des lois qui les concernent.

Il va de soi que cette Chambre ne remplacera aucunement le syndicalisme agricole que nous avons également promis d’instituer, pas plus que le Conseil supérieur du Travail ne saurait remplacer les centrales ouvrières. En fait, nous n’avons oublié aucun des articles du programme que vous avez approuvé le 5 juin, Mais nous commencerons par la Chambre agricole parce que cet organisme nous aidera à orienter et à mettre au point toutes nos autres politiques conformément aux voeux et aux besoins de la classe agricole.

Le code du syndicalisme agricole est évidemment l’une des mesures les plus urgentes qui s’imposent pour permettre aux cultivateurs d’agir efficacement sur la structure des prix et de se donner ainsi une sécurité qui leur est aussi indispensable qu’à tous les autres groupes de la société. Mais justement parce que cette loi aura une importance primordiale, nous vou­lons que la classe agricole nous aide à la rendre aussi parfaite que possible, que les cultivateurs puissent accéder, comme toutes les autres classes de la société, aux bienfaits du progrès économique et de la civilisation moderne.

Je sais que certains, comme nos décorés d’aujourd’hui, y parviennent déjà grâce à une compétence et à une énergie exceptionnelles; c’est pourquoi ils ont bien mérité d’être investis dans cet ordre de noblesse rurale qui en vaut bien d’autres. Mais on ne peut pas demander à tout le monde de pratiquer l’héroïsme à longueur d’année. Et ce ne sont pas seulement quelques individus, c’est toute la classe agricole qui doit avoir l’avantage de participer pleinement à l’essor économique, social et culturel du Québec d’aujourd’hui.

Si nous savons conjuguer nos efforts, je suis convaincu que nous pourrons atteindre rapidement cet objectif. C’est la grande ambition du ministre de l’Agriculture et soyez assurés que tous ses collègues, y compris le premier ministre, travailleront d’un seul coeur avec lui pour en hâter la réalisation. Je me permets d’être indiscret et de vous annoncer que le ministre de l’Agriculture espère mettre au point pour la prochaine session une loi d’assurance-récolte qui sera plus tard complétée par une loi d’assurance-bétail.

Si l’on fait une revue des grandes mesures qui ont le plus aidé l’agriculture au cours des trente dernières an­nées, comme le crédit agricole, l’électrification rurale et la loi des marchés agricoles, on réalise qu’elles ont toujours été conçues et réclamées par les cultivateurs eux-mêmes. Mais pour obtenir ces mesures, les intéressés ont dû exercer des pressions énormes et revenir très souvent à la charge. Plus récemment, ils ont dû organiser des manifestations publiques et des marches sur le Parlement pour obtenir, par exemple, un allégement partiel de l’impôt foncier.

L’institution de la Chambre agricole leur donnera un moyen beaucoup plus direct, plus rapide et plus efficace pour orienter et stimuler l’action des pouvoirs publics. Ils pourront agir en quelque sorte de l’intérieur au lieu d’exercer simplement du dehors une influence qui, souvent, n’aboutit à des résultats concrets qu’après des années de lutte. Le grand objectif, dans tout cela, c’est, bien sûr, de relever le niveau moyen du revenu agricole.

[QJHSN19660911]

[CAUSERIE DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBECCONGRES GÉNÉRAL DE L’ASSOCIATION DES DETAILLANTS EN ALIMENTATION DU QUEBEC, SALLE DE BAL – CHATEAU FRONTENAC – QUEBEC,DIMANCHE, LE 11 SEPTEMBRE 1966]

Mon ami le député de Lafontaine faisait tout à l’heure ressortir certaines analogies entre l’Union Nationale et les détaillants en alimentation. Il est un autre point de ressemblance que M. Beaudry aurait pu mentionner également: c’est qu’après avoir traversé des années un peu difficiles, les membres de votre groupements tout comme ceux de notre partis n’ont pas tardé à relever le défi et à reprendre le terrain qu’ils avaient temporairement cédé à leurs concurrents.

Il y a cinq ans, les épiciers indépendants devaient admettre qu’ils étaient en perte de vitesse, leur part du commerce de détails dans le secteur de l’alimentation, ayant été graduellement réduite à 66 % du total enregistré pour le Québec. C’était encore beaucoup, mais c’était déjà moins que quelques années auparavant; et l’on pouvait croire que la proportion serait appelée a baisser encore davantage devant les méthodes agressives des grandes chaînes.

Or, d’après les chiffres les plus récents qui m’ont été fournis, nous assistons à une re-conquête rapide du marché par les détaillants indépendants, qui en détiennent aujourd’hui 70 %; ce qui est énorme si l’on considère qu’en Ontario, ce sont les chaînes qui dominent le commerce de l’alimentation avec 74 % du volume des ventes.

Comment êtes-vous parvenus a redresser ainsi la situation et, sans renoncer a votre indépendance, a reprendre votre marche conquérante à l’avant-garde, du progrès? C’est une histoire qui vaut d’être racontée parce qu’elle comporte des leçons qui peuvent servir à d’autres.

Avant toutes choses, vous avez appris à travailler ensemble, dans la pratique quotidienne de la solidarité. Au lieu de vous retrancher dans un individualisme négatif et destructeur, vous avez décidé de grouper vos forces, en vous donnant d’abord une association dynamique qui compte actuellement près de 2000 membres, puis en recourant à diverses formules de coopération ou d’entraide qui vous permettent d’atteindre collectivement une puissance égale et même supérieure a celle de vos plus gigantesques concurrents.

Vous avez compris en somme que dans un monde de plus en plus organisés planifiés rationalisés vous ne pouviez conserver votre indépendance qu’en déterminant vous-mêmes, par une discipline librement acceptées les conditions de votre interdépendance. C’est grâce aux normes que vous vous imposez entre vous, d’un commun accord qu’il vous devient possible de concilier un maximum d’efficacité avec un maximum de liberté.

De plus, cette pratique de la solidarité vous a permis de vous donner les instruments nécessaires à l’étude et a la solution de vos problèmes. Le succès de toute entreprise, vous le savez, est en raison directe de la préparation et de la compétence qu’on y apporte. Un travail bien fait est d’abord un travail bien conçu. Et le premier effort que chacun doit consentir, dans quelque domaine que ce soit, est toujours un effort de pensée, un effort d’intelligence.

Le commerce exige aujourd’hui des connaissances très vastes. Il faut explorer sans cesse les conditions variables du marché, de même que les besoins, les goûts, les motivations des acheteurs. Il faut être à l’affût des changements qui s’opèrent constamment dans les méthodes de gestion, de publicité, de présentation et de vente. Le jeu de la concurrence est impitoyable. Il ne laisse aucune place à la médiocrité et à la routine.

Malgré l’étendue de votre savoir et de votre expérience, vous ne sauriez, en travaillant isolément et chacun pour soi, recueillir et utiliser au maximum les multiples renseignements qui vous sont nécessaires pour vous orienter et vous maintenir à la fine pointe du progrès. Mais grâce a une action conjointe, vous disposez aujourd’hui de tous ces services d’information et de recherche, de tous ces services techniques que vous n’auriez pu vous procurer individuellement.

Vous avez la des spécialistes, des hommes extrêmement compétents qui vous aident a mieux servir votre clientèle et à remplir votre tâche d’une façon a la fois plus satisfaisante pour vous-mêmes et plus utile pour la communauté dont vous faites partie. C’est ainsi qu’au Québec, les détaillants indépendants en alimentation sont parvenus, par un effort collectif de modernisation et de progrès, à reprendre et a occuper avec excellence des positions dont ils semblent irrémédiablement délogés en d’autres provinces. Et tout cela sans subventions, sans aucune aide spéciale de la part de l’État, mais tout simplement par une utilisation intelligente et méthodique des diverses formules de solidarité qu’ils ont su concevoir ou adapter a leur situation particulière.

Cette réussite prouve bien des choses. J’en tirerai pour ma part quatre conclusions principales. Votre succès démontre d’abord que l’initiative privée, sous ses diverses formes, reste le ressort par excellence du progrès économique. Notre parti a pris là-dessus des positions fermes et sans équivoque, qui n’ont pas changé après le 5 juin.

Sans doute l’État a-t-il un rôle essentiel à jouer, comme coordonnateur et gardien du bien commun. Il lui appartient de parfaire l’équipement économique de la communauté, de créer un climat favorable aux investissements productifs et de faire respecter les règles du jeu, de telle sorte que les plus forts ne se servent pas de leur puissance pour brimer la liberté des plus faibles. Mais en tout état de cause, ses interventions doivent avoir pour effet de stimuler, non pas de restreindre l’esprit d’initiative qui est la bougie d’allumage de tout élan créateur.

Votre remontée victorieuse démontre aussi que même en 1966, le gigantisme est loin d’être la seule formule de succès. Il y a encore et je crois qu’il y aura toujours de la place pour les petites entreprises qui, à cause même de leur dimension mieux accordée à l’échelle humaine, ont cet avantage de pouvoir s’adapter avec plus de souplesse aux conditions du milieu et nouer avec leur entourage des relations plus personnelles et plus chaleureuses. Il en résulte une ambiance qu’on ne saurait trouver ailleurs et qui ajoute a la qualité des services fournis. Les Français que nous sommes demeurés à tant d’égards, tout en étant conscients et heureux de vivre en terre d’Amérique, sont particulièrement sensibles à ce qui présente un caractère d’originalité, de fantaisies de touche personnelle.

Je ne veux pas dire par là que nous devrions nous confiner dans la petite industrie et le petit commerce; il faut que de la boutique artisanale à la grande entreprise, nous arrivions à prendre toute notre place dans la vie économique du Québec et du continent. Mais même aux États-Unis, pays par excellence du gigantismes les établissements de taille modeste continuent de jouer, par leur multitude et leur diversité» un rôle économique d’une très grande importance.

Je n’ai d’ailleurs pas besoin de chercher des exemples ailleurs, puisque les épiceries de détail au Québec ont vendu en 1965 pour $ 1265000000 et payé 50000000 $ en salaires. Ces chiffres expriment un ordre de grandeur dont vous pouvez être légitimement fiers.

Vos réalisations démontrent en outre que les Canadiens français peuvent réussir en affaires aussi bien que quiconque et doivent se dépouiller au plus vite de tout complexe d’infériorité en ce domaine. La réussite des détaillants en alimentation est très largement, en effets une réussite canadienne-française. Non seulement avez-vous tiré le meilleur parti de ce qui se fait de bien ailleurs, mais vous avez même inventé des formules parfaitement adaptées aux exigences de notre milieu. C’est ainsi que par vos affiliations volontaires à des centrales ou à des groupes bien organisés, vous avez su concilier la puissance et l’efficacité de l’action collective avec les avantages que comportent des services plus personnels et souvent exclusifs.

Vos succès démontrent enfin qu’on y gagne toujours à rester solidaire de son milieu. Nous sommes tous membres de la même communauté québécoise; et nous avons tous intérêt à ce que grandisse le patrimoine matériel et culturel de cette communauté. Quand il y a du travail, de l’activité, de la richesse autour de soi, on en profite toujours d’une façon ou d’une autre; mais quand il y a du chômage, de la pauvreté et de la misère, on en subit fatalement le contrecoup.

C’est dire que nous avons tout avantage à nous aider les uns les autres. Je sais que vous le comprenez très bien et que vous êtes parmi les plus fermes soutiens de nos oeuvres communautaires. Je vous en félicite. La même interdépendance existe aussi entre les différents secteurs de l’économie. La où il n’y a pas suffisamment d’industries pour employer la main-d’oeuvre disponible, l’activité commerciale s’en trouve ralentie; et les cultivateurs ne peuvent pas être de bons clients s’ils n’arrivent pas eux-mêmes a vendre leurs produits a des prix convenables.

L’agriculture est probablement le secteur qui a le plus besoin d’être épaulé a l’heure actuelle. Même si vous faites déjà beaucoup, je vous demande de faire encore davantage, si possibles pour populariser auprès des consommateurs les produits des fermes québécoises. Je conviens qu’en ce domaine, il y a bien des problèmes de classification, d’entreposage ou de présentation qui continuent de se poser. Nous voulons les résoudre de notre mieux, en étroite liaison avec tous les intéressés. Et vous êtes précisément de ceux dont le concours peut nous être le plus utile.

En retour, je suis convaincu que vous recevrez de la population et des pouvoirs publics tout l’encouragement que vous méritez. J’entends dire que dans votre détermination à augmenter sans cesse votre compétence et la qualité de vos services, vous souhaitez ardemment qu’une école technique et pratique soit bientôt mise à la disposition des épiciers du Québec. Vous avez même posé des gestes concrets pour hâter la réalisation de ce beau projet. Vous avez obtenu la collaboration efficace de plusieurs groupes et vous espérez obtenir aussi celle de votre gouvernement.

C’est bien dans notre philosophie d’aider ceux qui, comme vous, commencent par s’aider eux-mêmes. Il faudra évidemment que j’en parle a mes collègues, à commencer par le ministre des Finances. Mais c’est une cause que j’ai le goût de plaider et je vous promets d’y mettre toute la ferveur dont je suis capable.

M. le présidents messieurs, songez que vous ne travaillez pas seulement pour vous, mais pour toute la communauté dont vous faites partie. En vous appliquant à exceller toujours davantage dans le domaine qui vous est particuliers vous contribuez du même coup à bâtir un Québec plus fort, plus prestigieux, plus rayonnant. Et c’est de tout coeur que je vous souhaite le plus éclatant succès dans vos délibérations.

[QJOHN19660914]

[Déclaration de l’ honorable Daniel Johnson, C.R., M. P.P,Premier ministre, ministre des Affaires fédérales-provinciales et ministre des Richesses naturelles Quatrième réunion du Comité du régime fiscal, Ottawa, 14 et 15 septembre 1966.]

Les représentants du nouveau gouvernement du Québec à cette conférence sont heureux de l’occasion qui leur est fournie de prendre contact avec les délégués des autres gouvernements du pays.

Les questions à étudier sont d’une portée telle qu’un haut niveau de franchise et de réalisme nous semble être de mise. Aussi est-ce dans cet esprit que la délégation québécoise aborde l’ordre du jour proposé. Les décisions prises à la suite de cette conférence et de celles qui lui succéderont non seulement détermineront les arrangements fiscaux fédéraux-provinciaux pour la période de 1967-72, mais elles fourniront au Québec une indication de la façon dont ses aspirations profondes et ses caractéristiques socio-culturelles sont perçues et acceptées par le reste du pays.

[LES OBJECTIFS DU QUEBEC]

Nous voulons, dans ce qui suit, nous arrêter le plus succinctement et le plus clairement possible à certaines notions que nous croyons fondamentales et qu’il nous semble de notre devoir d’exposer. Car pour bien comprendre les positions que le Québec veut faire valoir au cours de cette conférence, il est essentiel de voir dans quelle perspective se placent les citoyens que notre délégation représente ici. Cette perspective n’est pas nouvelle; d’autres avant nous, et cela pendant plusieurs générations, ont partagé des vues similaires aux nôtres. Nous croyons qu’il existe au Canada, dans le sens sociologique du terme, une nation de langue française dont le foyer est au Québec. Cette nation a la ferme intention de poursuivre son affirmation en se donnant, dans l’ordre et la justice, tous les instruments nécessaires à son développement.

Plus précisément, que veut le Québec ? Comme point d’appui d’une nation, il veut être maître de ses décisions en ce qui a trait à la croissance humaine de ses citoyens (c’est-à-dire à l’éducation, à la sécurité sociale et à la santé sous toutes leurs formes ), à leur affirmation économique ( c’est-à-dire au pouvoir de mettre sur pied les instruments économiques et financiers qu’ils croient nécessaires ), à leur épanouissement culturel ( c’est-à-dire non seulement aux arts et aux lettres, mais aussi à la langue française) et au rayonnement de la communauté québécoise ( c’est-à-dire aux relations avec certains pays et organismes internationaux) .

À cet égard, le nouveau gouvernement du Québec s’est fixé une tâche fondamentale: celle de faire reconnaître juridiquement et politiquement la nation canadienne-française, entre autres moyens, par l’élaboration d’une nouvelle constitution, qui reconnaisse dans notre pays des droits collectifs égaux aux Canadiens de langue anglaise et aux Canadiens de langue française, et qui confie au Québec toutes les compétences nécessaires à la sauvegarde de l’identité québécoise. Bien entendu, il n’appartient pas au Comité du régime fiscal de se prononcer à ce sujet, mais les questions qui relèvent de son mandat ont une portée telle que nous avons cru devoir attirer l’attention de tous sur le problème global qui nous préoccupe et que nous avons la ferme intention de résoudre. En effet, si le partage des ressources entre gouvernements est distinct dans une bonne mesure du problème socio-culturel né de l’existence et du désir d’affirmation de la nation canadienne-française, il ne peut pas en être dissocié.

[LES PROGRAMMES CONJOINTS]

Cet énoncé, bien sommaire, des objectifs du Québec pose, à notre avis, le problème des programmes conjoints dans sa véritable perspective. En effet, pour nous, les programmes conjoints, malgré tous les avantages financiers immédiats que l’on peut parfois y déceler à prime abord, prennent en définitive figure d’obstacles à la libre croissance de notre collectivité. En effet, ils lui imposent des priorités d’action susceptibles de bousculer celles qu’elle établirait autrement, sans compter qu’ils réduisent son autonomie budgétaire réelle. Pour une province, les programmes conjoints peuvent être considérés comme une aide financière accompagnée de conditions plus ou moins tracassières. Pour une nation comme la nôtre, les programmes conjoints gèlent ses ressources fiscales et lui enlèvent le plein contrôle de domaines d’activité qui lui reviennent de droit. Il y a donc, de façon générale, incompatibilité entre le régime des programmes conjoints et la poursuite, par la nation canadienne-française, de ses objectifs essentiels.

C’est pourquoi, au terme de la période actuelle de transition, le Québec n’envisage pas de renouveler les programmes conjoints dont il s’est déjà retiré. Il veut, au contraire, que ce retrait soit définitif, après l’établissement d’une compensation fiscale fondée sur une estimation juste des coûts actuels et futurs. Il demeure toutefois disposé à participer aux conférences fédérales-provinciales qui pourraient, après la période de transition, être convoquées pour discuter de questions relatives à ces programmes.

Le Québec n’entend pas non plus s’engager dans de nouveaux programmes conjoints portant sur des domaines exclusivement provinciaux. Il exigera plutôt de recevoir en retour une compensation inconditionnelle qui lui permettra d’assurer à la population québécoise des services conformes à ses besoins propres. Les modalités de cette compensation seront déterminées en tenant compte de la nature et de la durée des programmes.

Quant aux programmes conjoints auxquels le Québec participe encore, notre attitude sur chacun d’entre eux sera prise à la lumière des principes énoncés ici. Le Québec souhaite que I ‘ on comprenne une fois pour toutes que, pour des raisons socio-culturelles, il tient de façon absolue et intégrale au respect de ses compétences constitutionnelles et qu’il n’accepte, à leur propos, aucune ingérence fédérale, directe ou indirecte.

Nous tenons incidemment à mettre le gouvernement fédéral en garde contre une solution illusoire. En effet, à cause des objections que le Québec entretient à l’égard des programmes conjoints en général, le gouvernement fédéral peut être tenté de mettre fin, contre compensation, aux programmes conjoints dont le Québec s’est déjà retiré mais qui ont été maintenus dans les autres provinces. De cette façon, il forcerait ces provinces, même si celles-ci peuvent ne pas le désirer pour des raisons que nous comprenons et acceptons, à adopter un régime qui, somme toute, a été conçu pour résoudre un problème particulier au Québec.

Nous croyons que cette façon de faire face à une situation causée par des attitudes qui sont propres au Québec et qui sont fondées sur des motifs qu’on ne retrouve pas nécessairement dans les autres provinces, ne peut que conduire à un vaste malentendu. Elle ne réussirait qu’à donner au gouvernement fédéral une impression éphémère de leadership tout en risquant fort de ne convenir ni aux autres provinces, ni au Québec. Il en résulterait ultérieurement des difficultés nouvelles. On n’aurait pas vraiment compris qu’il existe, au Canada, non pas dix territoires identiques appelés provinces, mais dix entités dont aucune n’est réellement semblable à l’autre et dont une, le Québec, est le principal foyer d’une nation. Ce sont là, d’après nous, des vérités élémentaires. Leur respect, bien loin de signifier l’effritement automatique du pays tout entier, prouverait plutôt au Québec que l’appartenance à l’ensemble canadien ne l’oblige pas nécessairement à entrer dans un moule commun et à menacer, par là, des caractéristiques culturelles qui, dans notre cas, constituent une raison de vivre.

[LE REAMENAGEMENT DES RESSOURCES ET DES FONCTIONS]

Le gouvernement du Québec croit fermement que la stabilité du Canada est fondée sur la possibilité, pour le Québec, d’atteindre ses objectifs fondamentaux. Il est donc essentiel, au point de départ, de respecter intégralement toutes les compétences que la constitution actuelle confie aux provinces. Pour cette raison et en prévision de la nouvelle constitution, il importe aussi que l’on procède sans tarder à un réaménagement des ressources et des fonctions entre le gouvernement fédéral et le gouvernement québécois. En vertu de ce réaménagement, le gouvernement du Québec deviendrait graduellement seul responsable sur son territoire de toute dépense publique relative à l’éducation sous toutes ses formes, à la sécurité de la vieillesse, aux allocations familiales, à la santé, au placement et à la formation de la main-d’oeuvre, au développement régional et, en particulier, aux programmes d’aide aux municipalités, à la recherche et aux beaux-arts de même qu’à la culture et, généralement, à tout autre service d’ordre socio-culturel de notre compétence en vertu de la constitution actuel le. Les programmes fédéraux existant dans ces domaines seraient assumés par le Québec qui, le cas échéant, en maintiendrait le caractère transférable.

Tout cela suppose logiquement un nouveau partage des ressources. Ce nouveau partage devrait, à notre avis, avoir les deux caractéristiques suivantes. D’abord, pour corriger la situation actuelle, il devrait permettre un transfert net vers le Québec, tout comme vers les autres provinces, de ressources présentement détenues par le gouvernement fédéral, et cela afin de combler l’écart que les travaux du Comité permanent sur les questions économiques et fiscales ont mis à jour entre les ressources actuelles des provinces et le coût des responsabilités qu’elles assument déjà. Ensuite, il devrait compenser adéquatement le Québec pour les nouvelles tâches que celui-ci assumera.

Le Québec croit que la façon la meilleure de réaménager les ressources entre lui et le gouvernement fédéral est de réserver au Québec l’entier usage, à 100 %, des sources de revenus fiscaux auxquelles il a constitutionnellement droit, soit l’impôt sur le revenu personnel, l’impôt sur le revenu des sociétés et les droits sur les successions. Nous avons calculé, en effet, que les revenus que le gouvernement fédéral retirerait de ces trois sources au Québec, en 1971-72, correspondent assez exactement au montant que le Québec devrait recevoir cette année-là soit au titre du transfert net de ressources nécessaires pour combler l’écart entre ses responsabilités présentes et ses sources actuelles de revenus, soit en guise de compensation fiscale pour les fonctions nouvelles qu’il aura assumées, soit enfin sous forme de péréquation.

Voici comment, selon nos calculs, se répartit ce montant.

[ Le transfert net de ressources]

Le Comité du régime fiscal a été institué il y aura bientôt deux ans. Depuis ce temps, on a pu accumuler la documentation la plus considérable qui ait jamais été rassemblée sur les revenus et les dépenses à prévoir dans tous les secteurs et pour tous les gouvernements au pays durant une période quinquennale. Ces données, compilées scientifiquement selon des modes de calcul acceptés par tous, fournissent à tous ceux ici présents un instrument de travail qu’il faut, selon nous, utiliser au maximum.

Le résultat de ces données est clair: il démontre à l’évidence – et le Québec insiste là-dessus avec vigueur – la nécessité et l’urgence qu’il y a, même dans la situation présente, d’effectuer vers les provinces un transfert considérable de ressources actuellement détenues par le gouvernement fédéral.

En effet, des calculs effectués depuis plus d’un an et demi, on peut retenir deux conclusions objectives et certaines: En s’acquittant des seules responsabilités qu’elles assument présentement, les provinces vont inévitablement faire face, au cours de la période 1967-1972, à des dépenses considérablement supérieures à leurs ressources financières.

L’écart entre les ressources et les responsabilités des provinces sera de beaucoup plus élevé que celui qui, en vertu des mêmes calculs, existera pour le gouvernement du Canada. En d’autres termes, les projections démontrent que, si rien ne vient corriger le déséquilibre entre leurs ressources et leurs responsabilités, les provinces, contrairement au gouvernement fédéral, se dirigent inéluctablement vers une impasse de proportions dramatiques. Cette impasse est de nature à mettre en cause leur caractère de gouvernement responsable. Car un gouvernement dont les ressources financières et fiscales sont insuffisantes devient incapable d’accomplir convenablement ses tâches. Pendant plusieurs années, les provinces, les mouvements syndicaux, les groupements d’hommes d’affaires et les observateurs indépendants ont soupçonné un tel état de choses. Cependant, cette situation n’a jamais pu être démontrée aussi nettement qu’aujourd’hui. Nous sommes maintenant devant des données précises qui ont été établies non pas par le gouvernement fédéral seul, ni par le gouvernement du Québec seul, mais par des spécialistes représentant tous les gouvernements du pays au sein du Comité fédéral-provincial permanent sur les questions économiques et fiscales.

Ou bien, nous acceptons ces données pour nous guider dans l’établissement des futurs arrangements fiscaux. Dans ce cas, la conduite à suivre est claire: comme nous l’avons dit, on devra absolument effectuer un transfert net de ressources du gouvernement fédéral vers les provinces.

Ou bien, nous rejetons le résultat des travaux accomplis pendant plus de dix-huit mois. Cela équivaudrait à reconnaître que toutes les relations financières et fiscales entre les gouvernements au Canada sont régies uniquement par l’affrontement purement politique. Nous renoncerions alors à la discussion objective des droits et des besoins de chacun pour nous en remettre à la loi du plus fort et à des compromis qui ne satisfont personne parce que personne n’en voit le bien-fondé.

Pour sa part, le Québec accepte les données en question. Il considère qu’elles fournissent à ceux qui sont responsables des arrangements fiscaux pour la période 1967-72 des indications susceptibles de guider leur jugement. Nous croyons fermement que le transfert net de ressources qui s’impose doit être suffisant pour corriger des inégalités que les négociations et arrangements fiscaux des vingt dernières années n’ont pu, malgré des améliorations successives, vraiment faire disparaître.

Le Québec propose que, dans son cas, ce transfert soit le suivant. Pour l’année 1967-68: 25 points additionnels au titre des droits sur les successions et tout ce qui reste à récupérer au titre de l’impôt sur le revenu des sociétés qui exploitent les richesses naturelles, exception faite pour le moment de la part de cet impôt qui est réservé pour la sécurité de la vieillesse. Pour les quatre années suivantes de la période: 3 points additionnels par année au titre de l’impôt sur le revenu des autres sociétés. De cette façon, à la fin de la période, c’est-à-dire en 1971-72, la part du Québec sera, à cet égard, si I ‘ on tient compte de la part de ces impôts qu’il détient déjà, de 100% des droits de succession, de 100% de l’impôt de base sur le revenu des sociétés qui exploitent les richesses naturelles et de 24 points sur le revenu des autres sociétés, soit environ 46 % du produit de cet impôt.

[ La compensation fiscale pour les fonctions nouvelles]

Parmi les nouvelles fonctions que le Québec doit assumer en vertu du réaménagement dont nous avons parlé au début ( si on y ajoute certains montants qui, présentement, font l’objet d’un transfert monétaire ), on peut déjà discerner, pour 1971-72, des dépenses additionnelles de l’ordre de $ 725000000. Nous proposons que la compensation fiscale correspondante soit prise à même l’impôt sur le revenu personnel jusqu’à concurrence de 53 points additionnels (compte tenu des 47 points dont dispose déjà le Québec) et l’impôt sur le revenu des sociétés pour cette partie des sommes qui ne seront pas couvertes par les 53 points en question. On estime cette portion à 6 points d’impôt sur le revenu des sociétés. C’est donc dire qu’à mesure que le Québec prendrait à sa charge des programmes. La compensation fiscale pour les programmes conjoints dont le Québec s’est déjà retiré ne peut évidemment devenir définitive qu’au terme de la période de transition. La différence éventuelle entre la compensation actuelle et la compensation finale n’entre donc pas en ligne de compte dans le présent document.

Les équivalences de points d’impôt utilisées dans ce texte sont tirées de projections du Comité du Régime fiscal actuellement administrés par le gouvernement fédéral, il recevrait une compensation fiscale correspondante qui, progressivement d’ici 1971-72, porterait sa part de l’impôt sur le revenu personnel à 100 %, de 47 % qu’elle est maintenant, et augmenterait de 6 points sa part de l’impôt sur le revenu des sociétés. Si on ajoute à cette part celle qui lui viendra du transfert net de ressources mentionné dans la section précédente, on obtient une part totale pour le Québec de 100 % de l’impôt sur le revenu personnel, de 100 % des droits sur les successions, de 100 % de l’impôt sur le revenu des sociétés qui exploitent les richesses naturelles et 30 points sur 52, soit au moins 58 %, de l’impôt sur le revenu des autres sociétés.

[La péréquation]

Nous estimons que les 22 points (ou 42 %) de l’impôt sur le revenu des sociétés qui, en 1971-72, resteront au gouvernement fédéral correspondront à peu près aux sommes que le Québec recevra alors au titre de la péréquation. Le Québec n’a cependant pas l’intention d’exiger. Les impôts de sécurité de la vieillesse compris dans le cadre des présentes discussions, le remplacement des sommes qu’il reçoit sous forme de versements de péréquation par le transfert de points d’impôt sur le revenu des sociétés. Nous n’ignorons pas les difficultés administratives et les ajustements qui, étant donné le partage actuel des fonctions gouvernementales entre le Québec et le gouvernement fédéral, découleront du réaménagement que nous proposons. Nous préférons donc, pour le moment, conserver la péréquation sous sa forme actuelle, de façon à garder une certaine flexibilité aux discussions et aux arrangements divers auxquels on devra procéder au cours de la période 1967-72.

Pour ce qui est de la formule qui, en attendant, doit être utilisée pour calculer le montant de la péréquation, le Québec croit qu’elle doit être la plus objective possible et tenir compte de la richesse relative réelle des provinces. Nous croyons à cet égard que la formule proposée lors de la dernière réunion du Comité permanent sur les questions économiques et fiscales représente une amélioration appréciable par rapport aux formules antérieures. Il sera en outre possible d’utiliser cette formule même en regard du réaménagement des fonctions et des revenus demandé par le Québec; il suffit de faire abstraction, pour les fins de la péréquation, de la compensation fiscale additionnelle accordée au Québec pour les charges nouvelles qu’il assumera d’ici 1971-72.

[d) Les formules de rechange]

Comme nous venons de le dire, le Québec n’ignore pas les problèmes de tout genre que peuvent susciter ses demandes. Il croit cependant que tous ces problèmes peuvent trouver leurs solutions. En ce qui concerne les droits sur les successions, par exemple, il est prêt à conclure avec le gouvernement fédéral un accord permettant à celui-ci d’obtenir tous les renseignements dont il pourrait avoir besoin pour détecter la fraude fiscale. En ce qui concerne l’impôt sur le revenu, le Québec est également prêt à examiner avec le gouvernement fédéral les mesures à prendre pour permettre l’application des conventions internationales à ce sujet et pour assurer, comme nous le mentionnons plus loin, une coordination étroite des politiques fiscales. D’ailleurs, les transformations envisagées s’échelonneront vraisemblablement sur une certaine période d’années, et il sera possible d’attaquer ces problèmes un à un, à mesure qu’ils surgiront.

Le Québec ne veut pas non plus fermer d’avance la porte à toute proposition fédérale comparable à celle que nous avançons ici. Le Québec croit néanmoins que l’arrangement global qu’il propose a l’immense avantage de réduire au minimum les frictions entre gouvernements, de respecter l’esprit et la lettre de la présente constitution canadienne et de préparer la voie à une nouvelle constitution.

[-IV -LA COOPERATIONINTERGOUVERNEMENTALE]

Tout en étant désireux de s’affirmer dans toute la mesure du possible, le Québec sait fort bien que son progrès demeure intimement lié au maintien de l’harmonie tant dans le domaine des relations entre Canadiens de langue anglaise et Canadiens de langue française, que dans celui des politiques économiques et sociales de tous nos gouvernements.

À ce sujet, le Québec est conscient de l’importance qu’ont prise, au cours des dernières années, les investissements publics des provinces, de même que leurs emprunts et autres activités semblables. Les provinces, comme on le sait, perçoivent déjà elles-mêmes une forte proportion des impôts et elles influencent le niveau des salaires par leur législation et leur réglementation. Par ailleurs, il est évident que la venue successive sur le marché financier de onze autorités gouvernementales différentes risque, si elle n’est pas coordonnée, de créer des conditions d’emprunt moins favorables.

Tout cela démontre que la consultation intergouvernementale, dans le domaine de la politique économique et financière, s’impose absolument. Cette question qui entre dans le mandat du Comité du régime fiscal sera vraisemblablement abordée plus à fond l’an prochain. Le Québec aura alors des propositions précises à faire. Chose certaine, nous sommes convaincus que si la nation canadienne -française doit, pour s’épanouir, disposer des droits et des pouvoirs dont nous avons fait état, le Canada, lui, ne peut fonctionner comme une économie moderne et efficace si I’ on n’établit pas des instruments de coordination beaucoup plus développés que tous ceux que nous avons connus jusqu’ici. En particulier, la politique d’investissements publics, la politique d’emprunt au Canada ou à l’étranger, la politique monétaire et commerciale et la politique fiscale doivent donner lieu à des arrangements dont l’absence est, depuis quelques années, une source d’incohérence ou d’inefficacité. Sur certaines de ces questions, comme sur bien d’autres, la constitution de 1867 est muette. L’élaboration d’une nouvelle constitution permettrait de combler cette lacune.

Il faut aussi se rappeler que, chaque année, les relations fédérales-provinciales deviennent de plus en plus complexes et que les réunions, à tous les niveaux, se font de plus en plus nombreuses. On estime par exemple qu’il existe à l’heure actuelle plus de 150 conférences ou comités fédéraux-provinciaux qui se réunissent périodiquement. Il est évident qu’une telle situation exige la présence de mécanismes capables de coordonner les activités et de leur donner une orientation générale. Déjà plusieurs provinces se sont organisées pour coordonner leurs propres relations avec le gouvernement fédéral. Il faut maintenant faire un pas de plus et mettre sur pied des mécanismes de coordination intergouvernementale. À ce propos également le Québec aura des suggestions à présenter.

La survie et le progrès d’une fédération ne sont jamais définitivement assurés. Produit de l’homme et de la raison plutôt que du seul jeu des tendances naturelles des communautés, un régime fédératif ne peut durer qu’en s’adaptant continuellement aux conditions changeantes du pays où il a pris naissance. Il exige de ceux qui sont chargés de diriger son destin la clairvoyance et le courage nécessaires pour effectuer à temps les ajustements requis. Arrivé à ce qu’il croit être un tournant de son histoire, le Québec attend des choses précises du régime constitutionnel actuel. Il veut d’abord avoir la preuve que le partage des responsabilités inscrit dans la constitution n’est pas un trompe-l’oeil et qu’il peut en conséquence compter sur des ressources fiscales et financières suffisantes pour s’acquitter adéquatement des tâches qui sont les siennes. Cela veut dire que le Québec demande, compte tenu de la capacité de payer du contribuable, un accroissement net de ses ressources qui lui permette d’aborder la prochaine période quinquennale sans être, par rapport au gouvernement fédéral, handicapé dès le point de départ par une répartition inadéquate des ressources et des responsabilités. Le Québec veut aussi être assuré de pouvoir exercer pleinement et sans ingérence de qui que ce soit tous les pouvoirs que lui confère la constitution actuelle. Il veut voir le gouvernement fédéral se retirer de domaines qui ne sont pas les siens ou qui appartiennent en priorité aux provinces. Ce faisant, il ne s’attarde pas à juger le passé, mais se tourne résolument vers l’avenir. Le Québec par ailleurs, respectant comme tout gouvernement démocratique est tenu de le faire la volonté manifeste de l’immense majorité de ses citoyens, insiste pour que l’on remplace le plus tôt possible la constitution actuelle par une autre qui reconnaisse pleinement l’existence au Canada d’une nation de langue française avec tous les droits que cela comporte. Ces demandes du Québec ne visent pas à la destruction du Canada. Au contraire, elles assureront à notre pays, si on y satisfait à temps, un équilibre beaucoup plus stable que celui qu’il connaît présentement. Les Canadiens de langue anglaise et de langue française pourront alors vivre en harmonie. Une étroite collaboration entre gouvernements deviendra possible là où, à cause des exigences de l’interdépendance, elle est vraiment nécessaire et chaque Canadien pourra sans hésitation ni tiraillement donner son allégeance aux deux ordres de gouvernement qui, chacun dans sa sphère respective, seront chargés de voir au bien commun. Telle est donc, en ce mois de septembre 1966, l’attitude du Québec face à la fédération canadienne. Il s’agit, en définitive, d’une attitude d’attente. Il dépend de ceux qui sont ici présents – et en particulier des représentants du gouvernement fédéral – de faire en sorte que cette attente ne soit pas déçue.

[QJHSN19660916]

[CAUSERIE DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBECCONGRES GENERAL DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUEBEC CHATEAU FRONTENAC – QUEBEC VENDREDI, LE 16 SEPTEMBRE 1966]

Comme vous le savez, j’arrive d’Ottawa où j’ai participé, avec quelques-uns de mes collègues, à la première étape d’une nouvelle conférence fédérale-provinciale sur la fiscalité. C’est là un domaine que les Chambres de Commerce du Québec ont toujours placé au premier rang de leurs préoccupations. Et puisque votre congrès a pour thème général « l’homme d’affaires et l’État », je pense que l’occasion est excellente de rappeler le rôle primordial que vous n’avez jamais cessé de jouer, au cours des vingt dernières années, dans l’évolution de la question constitutionnelle et fiscale.

Ce rappel de faits historiques auxquels plusieurs d’entre vous avez été personnellement mêlés, mais que personne, même parmi les plus jeunes, ne devrait ignorer parce que le présent et l’avenir en découlent dans une très grande mesure, illustrera par des exemples bien concrets les, quelques remarques que je me propose de faire sur le thème de vos assises» Et il aura cet autre avantage de montrer que l’homme d’affaires n’est pas, comme certains semblent le croire, rivé à ses intérêts particuliers, mais qu’il est au contraire soucieux de s’élever à des perspectives beaucoup plus hautes, embrassant le sort de la communauté tout entière.

Dès 1947, alarmée par la situation que faisait au Québec le régime des ententes fiscales, la Chambre de Commerce de la Cité et du District de Montréal présentait aux deux gouvernements un mémoire pleinement endossé par la Chambre de Commerce de la province de Québec et par plusieurs autres corps publics. Pour ceux qui peuvent l’avoir oublié, il est peut-être bon de rappeler dans quel contexte s’inscrivait ce mémoire. Par les ententes fiscales de 1942, le gouvernement fédéral s’était fait concéder pour la durée de la guerre le monopole de la perception des impôts sur le revenu des particuliers et des corporations. Il avait formellement promis d’y renoncer après la fin du conflit.  » Je tiens à préciser, avait dit M. Ilsley, que nous ne voulons nullement tenter d’enlever en permanence ces sources d’impôts aux provinces… Ce moyen d’atténuer les embarras présents n’est nullement parfait et n’est censé être autre chose qu’une mesure provisoire de temps de guerre ».

[(Débats de la Chambre des Communes, session 1941, volume III, pages 2397 – 2398)]

Mais la guerre n’était pas encore terminée quand le gouvernement fédéral convoqua ce qu’on a appelé la « conférence du rétablissement », qui s’ouvrit en août 1945. Son but était d’obtenir je renouvellement des ententes fiscales pour une autre période quinquennale, soit de 1947 à 1952. En termes précis, sa proposition était la suivante:

« Qu’après la guerre les gouvernements provinciaux conviennent de ne prélever aucun impôt sur le revenu des particuliers, sur les sociétés commerciales et les successions et qu’ils laissent au gouvernement fédéral l’accès complet et exclusif à ces sources de revenus ». [(Conférence fédérale-provinciale, 1945, page 121)]

En retour, Ottawa offrait une subvention annuelle de $ 12 per capita, avec ajustement possible à la hausse suivant la courbe du revenu national» Lors de la reprise de la conférence en mai 1946, ces propositions furent rejetées carrément par le Québec, l’Ontario et d’autres provinces, dont la Nouvelle-Écosse. Le mémoire de l’Ontario disait notamment ceci: « Les dispositions fiscales de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’auraient comporté aucune signification s’il n’avait pas été bien entendu que les gouvernements provinciaux avaient la priorité dans le domaine de l’impôt direct ». [(Ibid., page 442)]

Mais dès le mois suivant, Ottawa formulait de nouvelles offres en se disant prêt à conclure des ententes séparées avec les provinces qui le désireraient» On assista alors à une série de marchandages auxquels toutes les provinces finirent par céder les unes après les autres, sauf l’Ontario et le Québec, qui décidèrent de rétablir leur propre impôt sur les revenus des corporations et en fixèrent le taux à 7 %, bien que la déduction permise à ce moment-là par la loi fédérale n’était encore que de 5 %.

C’est dans ce contexte que les Chambres de Commerce du Québec présentèrent en 1947 un mémoire dans lequel elles revendiquaient fortement l’autonomie fiscale des provinces, réclamaient pour celles-ci l’exclusivité des droits successoraux et suppliaient les deux gouvernements de coordonner leurs politiques pour mettre fin au régime anarchique issu des ententes séparées. Le mémoire préconisait même une certaine forme de péréquation financière en faveur ides provinces les plus défavorisées.

Mais loin de s’améliorer, la situation devait s’aggraver singulièrement pour le Québec quand, en 1952, l’Ontario décida à son tour de conclure une entente fiscale avec Ottawa. Ainsi, le Québec se trouvait virtuellement isolé. Ses contribuables étaient taxés par Ottawa aux mêmes taux que ceux des autres provinces, notamment en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, des particuliers, et il était seul à ne recevoir aucune compensation en retour. Il était, en somme, financièrement puni pour sa fidélité à la constitution de 1867. Et la propagande centralisatrice ne manquait pas de faire flèche contre lui des millions qu’il perdait annuellement.

C’est alors que votre Chambre de Commerce posa un autre geste historique qui devait avoir une portée incalculable sur l’avenir du Québec et du Canada. Le 26 novembre 1952, une délégation de six cents membres venus des principales villes du Québec et ayant à leur tête M. Laurent Paradis, qui était à ce moment-là votre président général, vint présenter au gouvernement, sur le parquet même de l’Assemblée législative, un mémoire préconisant la création d’une commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels et fiscaux.

Ce fut un spectacle extrêmement émouvant, dont le jeune député que j’étais gardera toujours un impérissable souvenir. Le mémoire, lu par Me Bernard Couvrette, alors vice-président de votre Chambre, soulignait la nécessité de faire échec à la propagande centralisatrice en étayant sur une base vraiment scientifique la thèse de l’autonomie fiscale des provinces et en mobilisant au service de cette cause le poids de l’opinion publique. Il posait notamment en principe que les provinces devaient jouir d’une pleine liberté d’action en matière d’imposition directe, surtout, précisait-il, quand il s’agit du Québec, « seul État auquel se trouve assignée spécifiquement la garde des traditions françaises ».

C’est donc cette démarche spectaculaire de la Chambre de Commerce du Québec, qualifiée de « sublime coup de clairon » par M. Duplessis, qui provoqua la création de la Commission Tremblay, instituée par une loi sanctionnée le 12 février 1953, cette Commission déposa son rapport en 1956, il y a donc exactement dix ans.

À cause du phénomène bien connu de l’accélération de l’histoire, il est possible que certaines conclusions du rapport élaborées à une époque où les revenus et les dépenses des gouvernements étaient loin d’atteindre l’ordre de grandeur que nous connaissons aujourd’hui, aient vieilli plus vite que d’autres» Mais cela ne diminue en rien l’importance de l’enquête, qui a donné lieu à la présentation de 253 mémoires et qui a mobilisé pendant trois ans, au-dessus de toute considération partisane, les meilleurs cerveaux du Canada français.

Ce fut le plus vaste examen de conscience jamais entrepris par notre peuple et l’inventaire le plus objectif qu’il ait encore dressé de ses ressources, de ses besoins et de sa situation particulière dans la Confédération canadienne. C’est à partir de là que nous avons commencé à nous considérer non plus comme une perpétuelle minorité, mais comme une véritable nation ayant son principal foyer dans le Québec.

En un mot, c’est dans le sillon tiré par la Chambre de Commerce que devait germer l’idée d’une constitution nouvelle, donnant au Québec tous les pouvoirs et tous les instruments d’action qui lui sont nécessaires comme État national des Canadiens de culture française.

Je pourrais encore rappeler votre démarche de 1954, quand vous êtes allés à Ottawa réclamer la pleine déduction de notre impôt provincial sur le revenu. Même si la première réponse fut un « non » bien tranché, votre intervention, jointe à celle d’autres corps publics, contribua encore une fois à renverser la situation et à promouvoir l’élaboration de formules moins injustes pour le Québec et pour les contribuables. Eh bien, voilà un aspect des relations entre l’homme d’affaires et l’État dont vous pouvez légitimement vous féliciter, Quand vous agissez ainsi collectivement, en vous plaçant dans l’optique de l’intérêt général, vous exercez sur les pouvoirs publics une influence qui favorise grandement l’essor de la communauté et, par ricochet, le progrès de chacun d’entre vous.

Il y a, bien sûr, une façon a la fois plus individualiste et plus discrète de faire pression auprès des gouvernants, pour les incliner à agir dans un sens favorable à certains intérêts particuliers ou à certains groupes» C’est ce qu’on appelle communément le « lobbying », un terme qui n’est évidemment pas de notre langue, mais qui semble universellement répandu, tout comme la chose qu’il désigne. Même quand le but poursuivi est parfaitement honnête, ce qui n’est pas toujours le cas, ce jeu de ficelles que l’on tire en coulisses et d’une façon plus ou moins clandestine est contraire aux exigences d’une saine démocratie. Il procède plutôt d’une conception paternaliste et même totalitaire de l’État. Les décisions d’ordre politique doivent s’élaborer en pleine lumière, sous l’oeil vigilant de l’opinion publique. Toute autre façon de procéder ne peut conduire qu’à l’arbitraire et à l’injustice.

De plus, le « lobbying » s’oppose à l’idée même de planification. Si les hommes politiques sont constamment assiégés et mobilisés pour la solution de problèmes particuliers, comment voulez-vous qu’ils aient le temps et la quiétude d’esprit nécessaires pour concevoir les grandes mesures d’ensemble nécessitées par le bien commun? L’improvisation, l’inefficacité, les lenteurs administratives, la prolifération monstrueuse des réglementations mal mûries et souvent contradictoires sont des maux qui coûtent très cher aux contribuables que vous êtes» Mais songez que s’il y a trop de lois, c’est peut-être parce qu’il n’y a pas assez de législateurs, c’est-à-dire d’hommes dont toutes les énergies et toutes les ressources intellectuelles sont vraiment consacrées à la recherche et à la réalisation de l’intérêt général.

C’est donc par une action collective et publique que vous pouvez nous aider le mieux, comme vous l’avez fait si puissamment! déjà, à assurer dans tous les domaines le progrès de la communauté; québécoise. Votre gouvernement croit au dialogue» Il compte sur la participation active des corps intermédiaires. Il veut instaurer au Québec une démocratie vraiment organique, où force ouvrière, patronat, technocrates et administrateurs publics pourront coordonner leurs efforts et poser ensemble les bases d’une véritable solidarité nationale.

Cela implique des structures à parfaire et d’autres à édifier de toutes pièces. Le président de la F.T.Q., M. Louis Laberge, suggérait récemment la tenue d’une conférence au sommet où le mouvement syndical, le patronat et le gouvernement pourraient s’entendre sur certains objectifs à atteindre. L’idée me plaît énormément et j’espère de tout coeur que nous pourrons y donner suite, non seulement pour trouver une solution à des problèmes immédiats, mais pour préparer l’avènement d’une coopération permanente. Elle nous force toutefois à constater une fois de plus que nous n’avons pas encore au Québec d’organisme qui puisse parler au nom de l’ensemble des employeurs.

Le thème de votre congrès indique que vous consacrerez à ce problème une large part de vos réflexions et de vos travaux. Vous contribuerez ainsi à mettre en place les rouages nécessaires au fonctionnement d’une économie concertée et d’une planification vraiment démocratique.

[QJHSN19660929]

[Allocution prononcée par monsieur Daniel Johnson premier ministre du Québec, lors de la réception offerte à monsieur Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères de France, à Québec, le vendredi 29 septembre 1966.]

Monsieur le ministre,

C’est avec une joie légitime que nous vous accueillons aujourd’hui à Québec. Notre satisfaction tient aussi au lustre que fait rejaillir sur nous le prestige dont s’entoure votre nom qu’à la portée du geste que vous avez posé en acceptant de nous rendre visite au coeur même de la patrie québécoise. Depuis que le général de Gaulle vous a confié la direction de la politique étrangère de la France, vous vous êtes acquis dans le monde une réputation des plus enviables. Votre pondération dans la parole, votre sérénité et votre courage dans les moments difficiles, votre modestie en toutes choses font de vous l’un de ces grands serviteurs de l’État et de sa raison, dont la France a su produire, au cours de sa longue histoire, de si nombreux et si célèbres exemplaires.

Qui aurait dit, jadis, que le destin du Québec pût un jour intéresser de nouveau la France au point d’amener celle-ci à y envoyer le chef de sa diplomatie ! Notre séparation, monsieur le ministre, a été douloureuse et certainement prématurée. Je n’insisterai pas sur ce qu’elle nous a valu d’humiliations et de sacrifices. Mais nous nous sommes retrouvés et nous nous sommes reconnus. Depuis quelques années, ce sont des rapports directs qui existent entre nos deux peuples, particulièrement dans des domaines où les oeuvres de l’esprit ont la part la plus considérable. Nous tenons cependant à vous dire que rien, d’après nous, ne doit rester étranger à ce mouvement d’échanges qui se développe entre nos deux communautés.

Les voies dans lesquelles se sont récemment engagées nos relations sont pleines de promesses. Nous avons confiance qu’elles seront fondées, dans la mesure du possible, sur le principe de la réciprocité. Ainsi, nous avons hâte d’entendre dire que l’enseignement français s’intéresse de plus en plus à notre histoire et à notre littérature, que les salles de concert et les galeries françaises accueillent, en nombre toujours plus grand, nos créateurs et nos interprètes.

Derrière la France, monsieur le ministre, se profile une réalité naissante où se joue peut-être notre destin: la francophonie. Nous en avons reçu, la semaine dernière, l’un des hérauts authentiques, le président Senghor. Nous lui avons dit l’espoir que suscite en nous cette vaste communauté des peuples de langue et de culture françaises qui est en train de prendre naissance dans quatre continents. Nous vous répétons, monsieur le ministre, l’intérêt que nous portons à la consolidation de la francité dans le monde et à son rôle civilisateur.

Avant de lever mon verre à la santé de monsieur Maurice Couve de Murville, je désire présenter, au nom du Gouvernement du Québec, mes hommages et mes voeux à Madame Couve de Murville, qui nous honore ce midi de sa présence.

Mesdames et Messieurs, à la France et à nos illustres hôtes.

[QJHSN19661007]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON Premier ministre du Québec. CONGRES DE L’UNION DES MUNICIPALITES DU QUEBEC hôtel Reine Elizabeth, Montréal, Vendredi, le 7 octobre 1966.]

Depuis quelques années, il est de bon ton, en certains milieux, de regarder de haut les administrations municipales de les considérer comme des rouages démodés et encombrants, d’y voir une sorte de survivance d’un passé révolu. Il faut se méfier de cette tendance. Elle n’est pas du tout dans la ligne d’une authentique démocratie.

Que l’on veuille repenser nos institutions municipales à la lumière des exigences de la vie contemporaine, fort bien, pourvu que ce soit non pas avec l’idée de réduire constamment leur influence et leur efficacité, mais au contraire, dans le but de les rendre plus aptes à bien remplir leur rôle.

Car la municipalité restera toujours la première ligne de défense de la démocratie. Elle est l’expression politique de la communauté locale, c’est-à-dire la première, après la famille, qui permette à l’homme de prendre conscience des liens de solidarité et d’interdépendance qui le tient aux autres hommes. C’est là d’abord que germe et s’enracine le sens du bien commun qui est à la base de toutes les vertus civiques.

On a souvent dit de la municipalité qu’elle était le centre d’apprentissage par excellence de nos hommes politiques. Ce qui est tout à fait exact, comme l’établit le nombre considérable de députés, de ministres et aussi de hauts fonctionnaires qui ont commencé leur carrière dans le champ municipal.

Une étude parue dans l’Action du 30 septembre, sous la signature de M. Roger -J. Bédard, signale que 48 des 108 candidats de l’Union nationale aux élections du 5 juin dernier occupaient ou avaient occupé récemment des postes de commande dans les municipalités ou les commissions scolaires. Vingt-huit ont été élus et douze siègent au conseil des ministres. D’où l’auteur conclut que les pouvoirs locaux sont vraiment « des écoles de leadership ».

Mais ce qu’on n’a peut-être pas assez souligné à mon sens, c’est que les administrations locales, y compris bien entendu les commissions scolaires, sont aussi des centres de formation pour les citoyens eux-mêmes, qui peuvent y faire, dans les meilleures conditions possibles, l’apprentissage d’une participation active et quotidienne à la vie communautaire.

Les problèmes à résoudre y sont généralement moins complexes qu’au niveau des administrations supérieures; je ne veux pas dire par là qu’ils sont moins importants, mais qu’ils sont plus concrets, plus proches de l’homme, plus à la portée du citoyen ordinaire. Chacun peut en saisir d’emblée les implications et chacun a un intérêt direct et personnel à contribuer à leur solution.

C’est là par conséquent que l’électeur peut le plus facilement fixer son choix parmi les candidats et les programmes; c’est là qu’il peut exercer sur ses élus le contrôle le plus direct et le plus continu; c’est là qu’il peut suivre de plus près l’emploi que l’on fait de ses impôts; c’est là en un mot qu’il peut percevoir le plus nettement ses droits et ses devoirs de citoyen.

Et de même que le processus normal de la connaissance humaine va du connu à l’inconnu, ainsi en est-il de la perception sociale qui s’appuie d’abord sur les communautés les plus proches et les plus élémentaires pour s’élever graduellement vers des ensembles plus vastes; de sorte que l’expérience acquise à l’échelon local par les administrateurs et les citoyens eux-mêmes les aide à mieux maîtriser les problèmes plus complexes qui se posent sur les divers plans de la politique québécoise, de la politique canadienne et de la politique internationale.

Voilà pourquoi, entre autres raisons, il est si important de sauvegarder l’autonomie des administrations locales. Une démocratie authentique, fondée sur le dialogue et la participation de tous les intéressés à la solution de leurs problèmes communs, doit commencer à la base même de la pyramide sociale. Le respect du peuple implique le respect de toutes les institutions qui lui permettent de s’exprimer et de se gouverner lui-même dans les matières qui le concernent de plus près.

À l’opposé du réflexe démocratique, il y a le réflexe totalitaire, qui tend à réduire constamment la liberté et les moyens d’action des gouvernements locaux comme des autres corps intermédiaires, de façon qu’il n’y ait plus en face de l’État qu’une poussière d’individus sans cadres et sans défense contre les usurpations du pouvoir. Pareil déboisement social ne saurait conduire qu’à l’érosion des forces vives de la nation.

Votre gouvernement est trop soucieux de sa propre autonomie pour attenter à celle des autres; et il est trop soucieux de bien régler ses propres problèmes pour chercher à s’immiscer dans des champs qui ne le concernent pas et que vous connaissez d’ailleurs mieux que lui.

Maires, échevins, conseillers, vous avez été élus pour remplir un mandat précis, un mandat qui n’a été confié qu’à vous par des électeurs qui vous connaissent bien et qui ont jugé que vous étiez les mieux qualifiés pour le remplir. Notre rôle n’est donc pas de nous substituer à vous, mais de vous donner les pouvoirs et les moyens d’action qui vous permettront de bien assumer vos responsabilités, compte tenu évidemment du bien général et de la coordination qui doit exister entre tous les paliers de l’administration.

Je sais d’ailleurs avec quel dévouement et quel souci du bien public vous remplissez vos fonctions. Dans vos villes, vos villages, vos paroisses, vous êtes non seulement des administrateurs, mais de véritables animateurs sociaux. Vous travaillez à créer autour de vous cet esprit communautaire qui est le principe vital d’une véritable démocratie.

Vous exercez ainsi une influence qui s’étend bien au-delà des frontières municipales et qui contribue à rendre le Québec toujours plus beau, plus libre et plus prospère. Je vous en remercie de tout coeur et je vous souhaite le plus éclatant succès dans vos délibérations.

[QJOHN19661009]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON Congres de l’Association du Barreau rural Granby, dimanche le 9 octobre 1966]

L’Association du Barreau rural milite, très activement et très intelligemment, en faveur d’une décentralisation de l’administration judiciaire. Sur ce point, entre autres, je puis vous dire que la philosophie qui vous anime concorde parfaitement avec celle de votre gouvernement.

Dans l’un des mémoires que vous avez soumis l’an dernier à l’appui de votre thèse, j’ai trouvé une démonstration qui ne m’a pas surpris, mais qui a dû en surprendre d’autres. On y établit en effet que loin de remédier aux lenteurs de la justice, la centralisation fait obstacle à la solution de ce problème.

Beaucoup de gens s’imaginent que plus on centralise, plus on y gagne en efficacité. Or, c’est généralement le contraire qui est vrai. C’est en laissant régler les problèmes, dans toute la mesure du possible, par ceux qui en ont une connaissance directe et quotidienne qu’on évite les détours et les complications inutiles. Il en résulte d’importantes économies de temps et d’argent.

Voilà pourquoi j’ai toujours été, pour ma part, un partisan convaincu de la décentralisation, pas seulement sur le plan constitutionnel, mais sur tous les autres plans. Quand on parle de revitaliser les régions rurales du Québec, on est porté à penser d’abord à la décentralisation industrielle ou, pour être plus exact, à l’aménagement décentralisé de l’industrie, puisqu’il ne s’agit pas de transporter ailleurs les entreprises déjà installées en milieu urbain, mais de favoriser l’implantation d’entreprises nouvelles là où il est important de créer de nouveaux pôles d’attraction, de façon qu’il n’y ait pas seulement, comme l’écrivait jadis M. Gérard Filion, « Montréal et le désert québécois ». À y regarder de plus près cependant, on s’aperçoit que l’équilibre industriel n’est pas le seul qu’il faille rechercher. Non seulement n’est-il pas le seul, mais il devient lui-même impossible à réaliser si l’on ne fait pas porter l’effort de décentralisation sur bien d’autres domaines en même temps.

Je ne mentionnerai que quelques-uns de ces domaines, à titre d’exemples. Décentralisation des élites d’abord. Car si les régions rurales se vident de leurs meilleurs éléments, où trouvera-t-on les animateurs capables de leur insuffler une vitalité nouvelle? Vous, du Barreau rural, vous êtes précisément de ces élites qui, loin d’avoir perdu contact avec le milieu dont elles sont issues, continuent de faire corps avec lui et peuvent en conséquence le comprendre mieux que quiconque et contribuer à le transformer de l’intérieur.

Décentralisation du savoir et de la culture. Car je ne vois pas comment on pourrait dissocier le progrès matériel du progrès intellectuel. Le premier ne peut être que l’incarnation dans les faits d’un effort d’intelligence. C’est pourquoi il est extrêmement important de rendre accessibles aux régions rurales non seulement les moyens d’acquérir une instruction de base de plus en plus poussée, mais aussi le bénéfice de tous ces instruments indispensables de culture qui ne doivent pas être l’apanage exclusif des grandes agglomérations urbaines, comme le théâtre, les concerts, les expositions d’arts plastiques et, bien entendu, les bibliothèques.

Décentralisation des capitaux. Car il n’y a pas d’industrialisation possible sans investissements. Si les épargnes des populations rurales sont constamment drainées vers les villes, par toutes sortes de canaux, comment répondre aux besoins des économies régionales? Décentralisation administrative aussi, ce qui n’implique pas seulement l’installation de bureaux où les populations locales pourront traiter sur place avec les principaux ministères ou services de l’État, mais surtout le respect de l’autonomie des municipalités, des commissions scolaires et autres corps intermédiaires démocratiquement constitués, par lesquels les citoyens d’une localité ou d’une région peuvent se gouverner eux-mêmes dans les domaines qui sont de leur ressort. En d’autres termes, il ne faut pas décentraliser seulement les hauts-parleurs, pour mieux transmettre partout les directives de l’État, mais aussi les microphones, les lieux de décision, les organes qui permettent au peuple de s’exprimer et de participer à l’élaboration du bien commun, Autrement, comment instaurer entre gouvernants et gouvernés un dialogue constructif et permanent? Nous n’aurions qu’un immense monologue, et l’on sait trop ce qui en résulte.

Décentralisation enfin de tous les services, y compris bien entendu celui qui vous préoccupe davantage, celui de l’administration judiciaire, des tribunaux. Je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd’hui quelles décisions prendra le cabinet, sur la recommandation de mon collègue et ami le ministre de la Justice. J’ai voulu simplement vous montrer quelle est la philosophie qui nous anime et dans quel esprit nous étudierons vos demandes. Les décisions qui vous concernent, nous ne voulons pas les prendre seuls, mais avec vous. Nous voulons qu’elles résultent d’une confrontation sereine de tous les points de vue, à la lumière du bien commun.

Vous avez raison de dire qu’il ne peut pas y avoir de justice égale pour tous si l’on ne prend pas les mesures nécessaires pour mettre l’appareil judiciaire à la portée de tous. Vous avez raison de dire qu’il faut accélérer la marche de la justice. Nous proposons dans notre programme un certain nombre de mesures qui devraient aider à atteindre ces objectifs. Je songe non seulement à l’augmentation du nombre des juges, mais aussi à d’autres réformes comme celles-ci: – abaissement de l’âge de la retraite obligatoire pour les membres de la magistrature; – faculté pour les tribunaux de tenir des séances du soir en certains cas;- multiplication des arbitrages conventionnels, le gouvernement assumant le paiement des arbitres; – établissement d’un tribunal spécial pour les causes résultant d’accidents d’automobile; – adoption des mesures nécessaires pour que seuls les prévenus accusés en vertu du code criminel soient jugés par les cours criminelles; – obligation pour le gouvernement de payer les déboursés de la défense lorsque le prévenu est libéré ou acquitté; etc.

Je vous demande d’étudier ces propositions et de nous aider à les mettre en pratique sans jamais perdre de vue le but à atteindre, qui est d’assurer le prestige et l’efficacité de notre système judiciaire, dans le meilleur intérêt de toute la communauté québécoise.

[QJHNS19661030]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DINER DU 20e ANNIVERSAIRE DE FONDATION DES SOCIETES ST-JEAN-BAPTISTE DE ST-HYACINTHE CENTRE NOTRE-DAME DE ST-HYACINTHE DIMANCHE LE 30 OCTOBRE 1966.]

Je pense qu’il est temps d’apporter des réponses bien nettes à certaines interrogations qui se posent au sein de la communauté québécoise au sujet de notre politique en matière d’éducation. Beaucoup de gens m’ont écrit depuis le 16 juin pour me faire part de leurs réactions et me demander des éclaircissements à ce sujet. Le programme que vous nous avez présenté, disent-ils, formulait au chapitre de l’éducation des critiques justifiées. Il posait des principes et faisait espérer des redressements avec lesquels nous étions d’accord. C’est pour tout cela que nous avons voté. Maintenant que vous êtes en mesure d’appliquer votre programme, allez-vous le mettre au rancart pour poursuivre et même accélérer la politique que vous dénonciez hier et qui était la source de tant d’inquiétudes’ »

Eh bien non. C’est notre programme que nous allons appliquer; et cela, je vous le dis en plein accord avec tous mes collègues, à commencer par ceux qui sont directement responsables de ce secteur vital. D’ailleurs, nous n’avons pas le choix. Car il n’y a pas d’équivoque possible sur le sens du mandat qui nous a été confié par la population. Et nous sommes trop respectueux de la démocratie pour résister à une volonté collective aussi clairement exprimée.

Entendons-nous bien cependant. En matière d’éducation comme en tout le reste, nous n’avons pas été élus pour arrêter le progrès, mais pour le remettre fermement sur ses deux rails, que j’appellerai l’ordre et le bon sens. C’est dans cet esprit que nous avons parlé d’accélération. La locomotive ayant déraillé, il fallait la sortir du bourbier pour lui permettre de reprendre son élan.

Je sais que d’aucuns s’attendaient à des virages plus radicaux et plus spectaculaires; mais nous n’avons pas voulu répéter les erreurs que nous avions dénoncées en jetant indistinctement par terre le bon avec le mauvais pour tout recommencer à neuf. Ce n’est pas ainsi que l’on met de l’ordre à la place du désordre. Et nous ne sommes pas de ceux qui ne trouvent rien de valable dans l’apport de leurs devanciers. Le progrès, comme je l’ai dit souvent, ne consiste pas à détruire le passé, mais le parfaire.

Nous avons été assermentés le 16 juin, soit à peine deux mois et demi avant la rentrée scolaire. Nous ne pouvions pas risquer à ce moment-là de bloquer la machine sous prétexte de la réparer. Il y avait des urgences à rencontrer et une continuité à assurer.

C’est donc en cours de route qu’il nous fallait, avec toute la sérénité nécessaire pour ne pas nous exposer à commettre des injustices, apprécier la valeur des éléments en place et distinguer entre ce qui devait être conservé et ce qui devait être changé. Tout cela exige réflexion et temps. Il y aura sûrement beaucoup de changements à faire, mais nous serions mal avisés de vouloir les faire tous en même temps.

Certains exigeront d’ailleurs des projets de loi, dont plusieurs sont en préparation. Il y a d’autre part bien des choses qui devront être continuées, mais pas nécessairement au même rythme ni dans le même esprit qu’avant le cinq juin.

Je vous rappelle qu’au lendemain de son assermentation, mon collègue et ami Jean-Jacques Bertrand a fait, devant tout le personnel du ministère de l’Éducation, une déclaration très importante et très au point, qui ne pouvait prêter à confusion. J’espère, a-t-il dit, que vous avez lu notre programme; si vous ne l’avez pas lu, lisez-le; et si quelqu’un d’entre vous n’est pas d’accord avec ce programme et n’est pas disposé à collaborer à son implication, c’est à lui de me le dire. Jusqu’à maintenant, ni au niveau des sous-ministres, ni a aucun autre niveau, personne ne nous a fait savoir qu’il aurait quelque scrupule à se conformer à la volonté de l’électorat.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de problèmes; nous y verrons en temps et lieu. Fiais ce serait injuste et malsain de prendre pour acquis que des fonctionnaires, parce qu’ils auraient été nommés par un autre gouvernement, ne seraient pas disposés à coopérer loyalement avec les élus du peuple.

Donc, je vous demande de ne pas porter de jugements prématurés et de prendre patience, même si vous trouvez que les choses ne changent pas assez vite. Nous veillons au grain et nous verrons à faire respecter les orientations très nettes qui découlent du verdict du cinq juin.

L’éducation, disions-nous dans notre programme, doit correspondre à l’identité du peuple auquel l’on appartient; elle doit permettre à l’homme et à la nation de s’épanouir pleinement et librement. C’est dire qu’au Québec, le système d’éducation doit s’inspirer des valeurs propres de la civilisation québécoise … Il doit s’inspirer d’une philosophie conforme à la nature profonde des Québécois. Or les valeurs propres de la civilisation québécoise, ce ne sont pas seulement celles qui touchent à la langue et à la culture; ce sont aussi les valeurs chrétiennes. Celles-ci ont contribué tout autant que celles-là à forger l’âme de notre peuple. Et un système d’éducation qui ne tiendrait compte que de l’aspect culturel, loin d’être ordonné à l’épanouissement complet de la civilisation québécoise, travaillerait en fait à l’altérer dans ce qu’elle a de plus profond et de plus essentiel.

Pour ma part, je le dis sans ambages et sans complexe d’aucune sorte devant cet Alma Mater à qui je dois le meilleur de moi-même, je ne me battrais plus avec autant de goût ni avec autant de ferveur pour la nation canadienne-française si elle était pour ainsi dire vidée de contenu spirituel.

Les droits de tous les groupes minoritaires seront pleinement respectés, car cela aussi fait partie de l’héritage que nous voulons conserver et enrichir; mais ce ne sera jamais au détriment des droits, des libertés et des aspirations clairement exprimées de l2immense majorité de la population québécoise.

[QJHNS19661119]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC 13e CONGRES DE L’ ACRTF – (Association canadienne de la radio et de la télévision de langue française) -HOTEL WESTBURY — TORONTO – LUNDI, LE 7 NOVEMBRE 1966 ]

Un congrès des radiodiffuseurs de langue française dans la ville de Toronto, voilà un événement qui me paraît particulièrement lourd de signification et de promesse. Mieux que tous les discours que l’on pourrait faire sur le sujet, cet événement démontre que les différences de langue et de culture, bien loin de constituer des barrières infranchissables, multiplient au contraire les occasions d’échanges et d’enrichissement mutuel; et si j’ai accepté avec tant d’empressement de participer à votre congrès, c’est qu’il est à l’image de ce Canada nouveau que nous voulons construire ensemble, où deux communautés culturelles pourront s’engager d’autant plus à fond sur la voie de la solidarité et de la coopération économique que sera mieux assuré au départ le respect de leur identité et de leur particularismes légitimes.

J’étais en fin d’octobre à Ottawa où, avec M. Robarts et les autres délégations provinciales, j’essayais de convaincre nos interlocuteurs fédéraux de la nécessité de régler à sa base, par des solutions fondamentales et non plus par de simples palliatifs, le problème du partage des ressources fiscales. Ce fut un dialogue franc, viril et parfois dramatique.

Je ne dirai pas que je suis revenu satisfait de cette conférence, puisqu’elle n’a encore donné lieu qu’à des arrangements provisoires; mais’ je dirai que j’en suis revenu avec de nouveaux motifs d’espoir. Et l’une des raisons de cet optimisme, c’est la remarquable identité de vues qui s’est manifestée entre les diverses provinces. Par exemple, la déclaration faite le 26 octobre par t~.M Robarts, et à laquelle ont concouru spontanément plusieurs autres premiers ministres, débouchait sur une perspective d’avenir qui concorde singulièrement avec les aspirations du Québec d’aujourd’hui. Je ne puis résister à l’envie de vous relire cette conclusion:

[« Si nous parvenons à satisfaire les exigences actuelles en vue d’un nouveau partage des impôts, disait M. Robarts, il nous sera alors possible de porter toute notre attention sur les questions plus vastes et plus fondamentales du remaniement de la fédération canadienne avant de conclure des accords de caractère plus irrévocable.]

Voilà un objectif que partage entièrement le gouvernement de Québec. J’ai hâte, moi aussi de m’attaquer enfin aux problèmes essentiels qui touchent à l’avenir même du Canada. J’ai hâte qu’une fois assurée, dans la justice et l’égalité, par de nouveaux aménagements fiscaux et constitutionnels, la coexistence harmonieuse de nos deux grandes familles culturelles, nous puissions enfin, tous ensemble, consacrer toutes nos énergies au développement économique du Canada et de chacune de ses parties.

Car l’avenir du Canada ne dépend pas seulement de la solution de nos problèmes fiscaux et constitutionnels. Il dépend davantage encore de la solution de nos problèmes économiques. Et quel que soit le statut que puisse avoir le Québec dans le Canada de demain, une coopération plus étroite sur le plan économique sera toujours un impératif et pour le Québec, et pour le reste du pays.

Quand donc nous réclamons une plus large autonomie et une plus grande liberté fiscale pour le Québec, comme foyer principal de la nation canadienne-française, ce n’est pas pour coopérer moins avec l’ensemble du Canada, mais pour coopérer davantage et plus efficacement. Car on ne coopère bien que dans l’égalité.

M. Sharp disait aux provinces, au cours de cette conférence, qu’elles devraient assumer davantage leurs propres responsabilités en matière fiscale en percevant elles-mêmes les impôts dont elles ont besoin. Je le veux bien, mais à condition que le gouvernement fédéral, qui a déjà l’exclusivité de l’impôt indirect, ne vienne pas accaparer en plus le seul champ qui nous soit accessible en vertu de la constitution actuelle, celui de l’impôt direct, au point de considérer comme un don ou une faveur le peu qu’il veut bien nous en laisser. Il n’y a pas de responsabilité sans liberté. On ne demande pas à un homme qu’on a réduit à l’état de mendiant d’assumer ses responsabilités.

Il se trouve heureusement que les provinces ne sont pas des mendiantes en vertu de la constitution. Sous le titre: « Les pouvoirs exclusifs des législatures provinciales », l’article 92 dit expressément ceci. [« Dans chaque province, la législature a le droit exclusif de légiférer sur les matières qui rentrent dans les catégories de sujets ci-après énumérés : Les contributions directes dans la province en vue de prélever des revenus pour des fins provinciales ».]

Si donc les provinces n’ont que l’impôt direct pour tout partage, il est clair qu’elles ont le droit de l’utiliser dans toute la mesure de leurs besoins. Elles n’ont pas de permission à demander à qui que ce soit pour exercer ce droit. Et je comprends mal qu’un ministre fédéral, faisant la liste des prétendues générosités d’Ottawa, ose y inclure les impôts directs que nous percevons nous-mêmes, suivant la constitution du pays.

Dans le mémoire que j’ai présenté en septembre au comité du régime fiscal, mémoire avec lequel le chef de l’opposition, M. Lesage, s’est déclaré d’accord, j’ai dit que le Québec devrait éventuellement réclamer la totalité des impôts directs pour exercer dans toute leur ampleur les obligations qui lui incombent à l’égard de la communauté de culture française. Cela suppose de toute évidence le rapatriement de plusieurs fonctions très onéreuses qui sont présentement exercées par Ottawa. En attendant, nous demandions avec toutes les autres provinces un transfert net de ressources fiscales, transfert qui nous est absolument nécessaire pour assumer nos responsabilités présentes.

Certains ont cru que nous voulions obtenir tout de suite la totalité des impôts directs, sans discerner la distinction très nette que nous faisions dans notre mémoire entre nos obligations présentes et celles que nous envisageons d’assumer dans l’avenir, en vertu d’un réaménagement des responsabilités constitutionnelles. Cette distinction est pourtant très importante. Il nous faut dès maintenant des revenus additionnels pour financer les fonctions que nous exerçons déjà, en quoi nous sommes exactement dans la même situation que toutes les autres provinces; et à mesure que nous assumerons d’autres fonctions présentement exercées par Ottawa, nous devrons avoir accès aux revenus qui y correspondent.

Dans un cas comme dans l’autre, cependant, il nous fallait bien situer nos réclamations dans le champ de l’impôt direct, puisque c’est le seul qui nous soit accessible en vertu de la constitution. Et s’il arrive que la somme de nos besoins représente 100 % des impôts directs perçus dans le Québec, comment pourrions-nous réclamer moins? Est-ce que la constitution ne nous autorise pas à puiser à cette source unique dans toute la mesure de nos besoins?

Nous n’avons cependant pas fermé la porte à un réaménagement fiscal qui nous ouvrirait d’autres sources de revenus que l’impôt direct. Pour nous, la constitution de 18,67 est loin d’être un absolu, puisque nous ne cessons d’en réclamer une nouvelle, qui soit faite au Canada, par les Canadiens, en fonction des réalités d’aujourd’hui. Mais en attendant, nous ne pouvons pas chercher ailleurs que dans la constitution présente la mesure de nos droits et de nos devoirs.

C’est dans cette perspective d’un réaménagement constitutionnel que nous avons inclus dans notre mémoire ce paragraphe dont les vastes implications n’ont peut-être pas été suffisamment perçues dans le public. Le Québec ne veut pas non plus fermer d’avance la porte à toute proposition fédérale comparable à celle que nous avançons ici. Le Québec croit néanmoins que l’arrangement global qu’il propose a l’immense avantage de réduire au minimum les frictions entre gouvernements, de respecter l’esprit et la lettre de la présente constitution et de préparer la voie à une nouvelle constitution ».

Non seulement n’avons-nous pas fermé la porte à des formules de compromis et nous avons insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’une coopération entre les divers gouvernements du pays. Qu’on me permette d’en citer encore le passage suivant: « Ces demandes du Québec ne visent pas à la destruction du Canada. Au contraire, elles assureront à notre pays, si on y satisfait à temps, un équilibre beaucoup plus stable que celui qu’il connaît présentement. Les Canadiens de langue anglaise et de langue française pourront alors vivre en harmonie.

Une étroite collaboration deviendra possible là où, à cause des exigences de l’interdépendance, elle est vraiment nécessaire et chaque Canadien pourra sans hésitation ni tiraillement donner son allégeance aux deux ordres de gouvernement qui, chacun dans sa sphère respective, seront chargés de voir au bien commun ».

Même si le Québec croit qu’il est dans une situation particulière, vu qu’il assume à peu près seul à l’égard de la communauté de culture française des responsabilités que les dix autres gouvernements assument ensemble à l’égard de la communauté anglo-canadienne, son but n’a jamais été de s’isoler du reste du pays. Il croit au contraire que pour être vraiment fidèle à lui-même et pour jouer pleinement son rôle comme point d’appui de la nation canadienne-française, il doit établir des relations harmonieuses, tant sur le plan économique que sur le plan humain, avec la totalité du Canada.

Il va sans dire qu’une telle coopération s’impose avec une particulière évidence entre provinces voisines, comme c’est le cas du Québec et de l’Ontario. L’histoire est d’ailleurs ici en parfait accord avec la géographie et les impératifs économiques.

Il ne faut pas oublier en effet qu’après avoir été politiquement séparés pendant un demi-siècle, le Haut et le Bas-Canada ont fait, de 1841 à 1867, l’expérience d’une vie commune sous l’Union. Je ne dis pas que cette expérience ait été pleinement satisfaisante, mais il en est quand même resté des habitudes de compréhension et de respect mutuel sans lesquelles il n’y aurait probablement jamais eu de Confédération. C’est sous l’Union qu’a été promulgué notre code civil et qu’ont pris naissance plusieurs des institutions les plus importantes du Canada français. C’est dire qu’en dépit d’un Parlement unique, chaque communauté restait largement maîtresse de sa vie intime. Il est bien évident que si le Québec et l’Ontario ne s’étaient pas entendus en 1857, il n’ y aurait jamais eu ce Canada tel qu’il existe aujourd’hui.

Et sans minimiser l’importance des autres provinces, on peut dire sans crainte de se tromper que la coopération entre l’Ontario et le Québec reste la charnière maîtresse de notre pays.

Nous avons à l’est d’autres voisins avec lesquels nous avons également beaucoup d’intérêts communs. Le Nouveau-Brunswick est, en dehors du Québec, la province qui compte la plus forte proportion de Canadiens de langue française, bien que ce groupe soit numériquement moins important que la communauté franco-ontarienne. Quant à Terre-Neuve, personne n’ignore évidemment que nous avons avec elle un très vieux problème de frontière: cela ne nous a pas empêchés d’autoriser l’Hydro-Québec à conclure une entente qui sera extrêmement profitable.

Et qui sait si cette coopération économique ne contribuera pas à faciliter le règlement des problèmes qui peuvent se poser sur d’autres plans? Chose certaine, c’est que nous avons tous intérêt à vivre au milieu de voisins prospères et que c’est en nous épaulant les uns les autres que nous pourrons accélérer le progrès du Canada et de chacune de ses parties composantes. Ce n’est donc pas pour s’isoler, et encore moins pour affaiblir l’ensemble du Canada que le Québec réclame une plus large mesure d’autonomie fiscale et politique. C’est pour se mieux réaliser sur tous les plans et être, par le fait même, en mesure d’apporter une contribution plus efficace à l’enrichissement culturel et à la croissance économique du pays tout entier.

Vous qui disposez de ces incomparables moyens d’information que sont la radio et la télévision, je vous demande de projeter aux quatre coins du pays l’image vraie du Québec d’aujourd’hui. En présentant sous leur vrai jour nos aspirations et nos buts, je pense que vous favoriserez singulièrement la coopération et l’harmonie entre les divers éléments de la population canadienne.

[QJHNS19661110]

[CAUSERIE PRONONCEE PAR M.DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU ( UEDEC -XIXe CONGRES FEDERATION DES COMMISSIONS SCOLAIRES CATHOLIQUES DU QUEBEC HOTEL REINE E LIZAEETH – MONTREAL JEUDI, 10 NOVE »AERE 1966.]

En cette période de profonde mutation sociale, les problèmes qui touchent à l’éducation sont parmi les plus délicats et les plus difficiles que nous ayons à résoudre. Et cela, pas seulement dans le Québec, mais partout dans le monde. Il fut un temps; pas tellement éloigné, où la grande difficulté consistait à convaincre les jeunes et leurs parents de la nécessité d’une instruction plus poussée. Aujourd’hui, cette nécessité est tellement évidente qu’on n’a plus à la démontrer. Le problème ne consiste plus à créer la demande, mais à faire face à ce qu’on a appelé en France « l’explosion scolaire ». Partout, même dans les pays les plus évolués, on se plaint de retards à rattraper. On n’arrive pas à bâtir suffisamment d’écoles et à recruter suffisamment de maîtres compétents pour répondre à tous les besoins.

Et les problèmes d’ordre matériel que posent l’organisation et le financement de toutes ces écoles, si aigus soient-ils, ne sont encore rien à côté des problèmes d’ordre pédagogique que pose l’évolution extrêmement rapide de la société contemporaine. Les dimensions et les coûts sont quand même des choses que l’on peut prévoir et mesurer assez bien. Ce qui est beaucoup plus difficile à évaluer, c’est le contenu de la formation intellectuelle et morale qui est nécessaire à nos écoliers d’aujourd’hui pour leur permettre de s’insérer dans le monde de demain et d’y jouer un rôle utile.

Nous n’avons pas le droit de préparer les jeunes pour des occupations ou des métiers qui n’existeront plus dans cinq ou dix ans. L’école n’existe pas en fonction du présent, mais de l’avenir. Et quand il est déjà si difficile de saisir dans tous ses éléments le monde d’aujourd’hui, comment prévoir avec précision ce que sera le monde de demain?

Voilà pourquoi, dans toutes les provinces canadiennes comme dans tous les pays du monde, les réformes scolaires sont à l’ordre du jour: réforme des structures, réforme des programmes, reforme des méthodes d’enseignement. Il faut multiplier les expériences, inventer de nouvelles formules, scruter les voies de l’avenir sans renoncer pour autant à ce qui reste valable dans l’héritage du passé. Car le progrès n’est pas rupture, mais croissance et maturation.

C’est dire l’immense effort de réflexion, d’adaptation et de synthèse qui nous est demandé à tous. Ce n’est pas tout de presser le pas; encore faut-il savoir où nous allons. L’agitation n’est que la caricature du mouvement. À courir dans toutes les directions à la fois, on risque de gaspiller des ressources qui ne sont malheureusement pas illimitées. Les contribuables en savent quelque chose, puisque ce sont eux qui payent la facture, Si nous avons le droit, au nom du bien commun, d’exiger de chacun un effort maximum, nous avons en contrepartie l’obligation de faire fructifier au maximum chaque dollar perçu pour l’éducation.

Le grand danger que j’entrevois dans la conjoncture actuelle, c’est que devant la multiplicité et la complexité des problèmes à résoudre, les premiers responsables de l’éducation ne soient tentés de s’en remettre trop exclusivement à l’État. Je sais bien que l’État, de nos jours, ne peut plus se limiter aux taches qui lui étaient traditionnellement assignées. Instant responsable au premier chef du progrès économique, social et culturel de la communauté québécoise, il ne peut pas permettre que des talents se perdent à cause de l’état de fortune des parents ou du manque d’équipement scolaire d’une région donnée. Il doit voir en particulier à ce que l’enseignement soit vraiment accessible à tous, quels que soient leur origine sociale, leurs moyens financiers ou leur lieu de résidence. Et cet objectif exige aujourd’hui une telle mobilisation et une telle coordination de ressources qu’il serait impossible de l’atteindre sans une intervention efficace de l’État.

Toutefois, il serait déplorable qu’en définitive, l’État reste à peu près seul à s’occuper d’éducation. Je veux bien qu’il joue pleinement son rôle comme gardien et architecte du bien commun, mais je le vois mal dans un rôle de maître d’école ou de docteur universel. La où-il tente de s’imposer comme tel, c’est la démocratie qui écope. Vous conviendrez, j’espère, qu’il n’est pas dans la mentalité de votre gouvernement d’aujourd’hui de jouer un pareil rôle. Mais attention l’étatisation de l’enseignement peut dépendre de tout autre chose que de l’esprit totalitaire des gouvernants; il peut être aussi la conséquence de la démission des gouvernés. Et c’est contre ce danger que je voudrais vous mettre en garde.

Il est en effet certains principes cardinaux qui gardent aujourd’hui toute leur valeur et qui doivent nous servir de points de repère dans la complexité de la situation présente. Je n’en mentionnerai que deux, qui me paraissent les plus importants.

Le premier de ces principes, c’est celui de la primauté du droit des parents en matière d’éducation. Primauté des droits à laquelle correspond évidemment une primauté des responsabilités. Je sais ce que certains parents seront tentés de répondre à cela: que les manuels, les programmes et les méthodes ont tellement changé qu’ils n’arrivent plus à s’y reconnaître; et que dans l’incapacité où ils se trouvent d’aider leurs enfants dans leurs difficultés scolaires et de vérifier leurs progrès, le mieux qu’ils ont à faire est de s’en mêler le moins possible.

Pourtant, on peut se demander si, pour un bon nombre de parents, il ne s’agit pas là d’un prétexte trop commode pour fuir leurs responsabilités. Ces changements qui les déroutent, ont-ils fait le nécessaire pour en comprendre le pourquoi et le comment? Ont-ils multiplié les contacts avec les professeurs et avec les commissaires d’écoles qui sont leurs mandataires auprès de leurs enfants? Combien assistent aux réunions spécialement convoquées pour eux? Combien participent aux délibérations des commissions locales ou régionales? Combien acceptent d’épauler le travail des associations de parents? Je conviens que tout dialogue doit se faire à deux et que les dirigeants des institutions, les membres du personnel enseignant et tous les organismes qui s’occupent d’éducation doivent faire tout ce qui dépend d’eux pour mettre les parents « dans le coup » et les amener à s’exprimer, à collaborer à l’oeuvre commune. Je pense que la plupart le font de pics en plus. Mais en tout état de cause, rien n’empêche les parents de prendre l’initiative de pareilles rencontres. Personne ne saurait le leur reprocher, car ils ne font en cela que s’occuper de ce qui les regarde au premier chef.

Que ce soit au plan de l’institution, au plan local, au plan régional ou au plan québécois, les parents ont le droit strict de s’organiser pour se faire entendre partout où se prennent des décisions qui touchent à l’éducation de leurs enfants.

Le second principe que je voulais vous rappeler, c’est le principe de subsidiarité, qui n’est pas nouveau, mais qui reste essentiel à l’établissement d’une véritable démocratie de participation. Vous en connaissez le sens: il est contraire à l’ordre social d’enlever aux groupements les plus rapprochés du peuple, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’intervention de l’État doit avoir pour objet d’aider les corps intermédiaires, non pas de les absorber ni de les détruire. En matière d’éducation, les commissions scolaires sont les administrations les plus proches des besoins, les mieux enracinées dans le milieu. De plus, ce sont des corps élus, directement mandatés par les citoyens eux-mêmes. Il y a donc des tâches que les commissions scolaires peuvent remplir mieux que quiconque. Le devoir de l’État est alors de les aider, non pas de les absorber et encore moins de les détruire. Car elles sont pour ainsi dire les premières lignes de défense de nos libertés scolaires.

Cela n’exclut aucunement les adaptations et les regroupements qui peuvent être nécessités par l’évolution même des circonstances et des besoins de notre milieu. Comme tout organisme vivant, les commissions scolaires doivent s’adapter pour survivre. Elles doivent s’appliquer constamment à repenser leur rôle et à se redéfinir en fonction des réalités nouvelles.

Je sais que ce n’est pas une tâche facile. Si le métier de parent est aujourd’hui bien compliqué, celui de commissaire d’écoles l’est encore davantage. Nous savons que les difficultés en rebutent plusieurs. Presque toutes les semaines, le conseil des ministres doit prendre sur lui de nommer des commissaires d’écoles parce qu’il ne se trouve pas assez de volontaires pour se porter candidats. C’est là un état de choses qui me paraît inquiétant.

Car rappelez-vous ce que je vous disais tout à l’heure: les usurpations de l’État peuvent être provoquées non seulement pas un esprit totalitaire des gouvernants, mais aussi par la démission des gouvernés. À vous de défendre vos libertés et d’exercer vos droits si vous voulez les conserver.

C’est bien ce que vous entendez faire, comme le démontre le thème de votre congrès. En étroite liaison avec les parents, vous voulez assumer pleinement vos responsabilités dans un système scolaire qui est constamment en devenir. Je vous en félicite et vous en remercie.

Vous contribuez ainsi à faire de l’éducation une entreprise vraiment communautaire, une entreprise qui soit l’affaire non seulement de l’État, mais de toute la nation.

[QJHSN19661123]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CONGRES DE L’ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES INDUSTRIELS HOTEL REINE ELIZABETH – MONTREAL MERCREDI, 23 NOVEMBRE 1966.]

Ce fut un choc pour plusieurs d’apprendre, la semaine dernière, par une délégation suédoise en tournée dans le Québec, qu’il n’y avait pas eu de grève en Suède depuis 1947. Ainsi que l’un d’entre vous l’observait à la télévision, il y a en Suède une grève tous les vingt ans, alors qu’au Canada, il y en a une toutes les vingt minutes.

Cette situation paraît d’autant plus paradoxale à première vue qu’en dépit de son étiquette socialiste, la Suède est fondamentalement un pays d’entreprise privée. Il y a chez nous des gens qui ne ratent jamais l’occasion d’attribuer à l’entreprise privée la responsabilité des maux économiques qui nous affligent, comme le chômage et les grèves. Or, comme l’a signalé l’un des porte-parole de la délégation, 95 % de l’économie suédoise est entre les mains de l’entreprise privée. Pourtant, il n’y a en ce pays ni chômage, ni grèves.

Comment a-t-il été possible d’atteindre un pareil niveau de stabilité et d’harmonie? L’explication est très simple. Elle m’avait déjà été fournie lors d’un trop bref séjour que j’ai fait en Suède il y a quelques années. C’est une question de coordination, de concertation des efforts dans une optique d’intérêt commun. Autrement dit, c’est une question de planification démocratique.

Le chef de la délégation suédoise, M. Belfrage, vous a dit comment on procédait là-bas. Les représentants du patronat, des syndicats ouvriers et de l’État se réunissent et commencent par évaluer ensemble ce que sera le revenu national au cours des prochaines années. Une fois qu’on s’est entendu sur les possibilités de l’économie suédoise, il ne reste qu’à partager équitablement le gâteau, en faisant la part des dépenses gouvernementales, des hausses de salaires, des profits, du financement des entreprises, etc. Les chiffres ainsi établis pour l’ ensemble de la communauté servent ensuite de guides pour les projections à faire dans les différents secteurs de l’économie. Voilà. C’ est aussi simple que l’œuf de Colomb. C’est même génial à force d’avoir du bon sens. Il suffit de savoir se rencontrer, de savoir mettre en commun les renseignements que l’on possède et de savoir dialoguer.

Seulement, attention. Il n’est -pas si facile que cela de dialoguer. Et beaucoup parlent de dialogue qui n’en ont pas encore appris l’ABC. Pour dialoguer, il faut deux choses: un état d’esprit et des institutions appropriées. L’état d’esprit nécessaire est peut-être ce qu’il y a de plus difficile à acquérir et à cultiver. Dialoguer, ce n’est pas chercher à imposer sa vérité; c’est se mettre plusieurs pour chercher ensemble la vérité. Cela suppose au départ .une grande ouverture d’esprit, un grand respect de l’autre, et pour tout dire, une grande humilité. Car il faut être capable de placer au-dessus de son triomphe personnel le triomphe du bien général. Il ne suffit donc pas de savoir parler; l’essentiel est plutôt de savoir écouter et comprendre. On ne saura jamais dialoguer si l’on ne sait pas se dépasser soi-même.

Tout Latins que nous sommes, je suis convaincu que nous pouvons, aussi bien que les autres peuples, apprendre à travailler en équipes, dans un esprit vraiment communautaire. Mais l’aptitude au dialogue ne suffit pas. Il faut de plus qu’il y ait de la base au sommet de la société, tout un réseau d’institutions conçues et structures de telle façon qu’elles favorisent les rapprochements plutôt que les divisions, la convergence des forces plutôt que leur opposition, la participation sereine et responsable de tous les membres du corps social aux décisions qui affectent l’ensemble de la communauté.

Vous avez par exemple le syndicalisme ouvrier qui est une force très puissante, une force nécessaire au progrès de la société. Et vous avez le patronat, qui est aussi une force absolument essentielle puisque c’est elle qui crée l’emploi. Ces deux forces ont un intérêt égal et solidaire au maintien et à la croissance de l’activité économique. Pourtant, on les voit bien plus souvent travailler l’une contre l’autre que travailler ensemble à la poursuite de leurs objectifs communs. Si toutes les énergies et toutes les ressources qui sont actuellement dépensées, d’abord en luttes intersyndicales ou interpatronales, puis en conflits entre employeurs et employés, étaient consacrées plutôt à l’avancement économique, social et culturel de la communauté québécoise, que de progrès nous pourrions réaliser, et à quel rythme’. Encore faut-il que nous ayons les structures voulues pour permettre à ces forces de se conjuguer au lieu de se retrancher chacune d’un côté ou de l’autre de la barricade.

Ce qui m’amène à parler des institutions nécessaires à une planification vraiment démocratique. Le temps est en effet venu de repenser le statut, la composition et le rôle du Conseil d’Orientation économique du Québec et de situer du même coup la place que cet organisme doit occuper dans l’ensemble des mécanismes de planification dont le Québec a besoin.

Le Conseil lui-même est conscient de la nécessité de cette revision. Il a même présenté à ce sujet des suggestions avec lesquelles le cabinet est substantiellement d’accord et qui seront étudiées avec le plus grand soin. Là comme ailleurs, le gouvernement actuel se gardera bien d’imposer des réformes qui ne seraient pas suffisamment mûries. Notre but n’est pas de tout chambarder, en faisant table rase des résultats acquis. Mais à partir de ce qui s’est fait de valable jusqu’à maintenant et en procédant par étapes, à la lumière de l’expérience acquise, nous voulons parfaire les instruments dont nous disposons déjà et nous donner ceux qui nous manquent encore pour mieux prévoir et mieux orienter le développement économique du Québec.

Les changements que nous envisageons ont pour objet de rendre à la fois plus démocratique et plus efficace le processus de la planification. Je l’ai dit bien des fois: nous ne voulons pas que ce soit uniquement l’affaire de l’État ou d’un groupe de spécialistes travaillant en vase clos. Nous voulons au contraire que tous les agents de l’économie participent étroitement à l’élaboration des plans, de façon qu’ils puissent ensuite y conformer librement leurs propres décisions.

L’efficacité va ici de pair avec la démocratie. Je ne crois pas en l’efficacité de programmes qu’il faudrait imposer d’autorité à des gens mal préparés à les recevoir parce que, n’ayant pas participé à leur genèse, ils en comprendraient mal l’importance et le fonctionnement. Ce qu’il faut rechercher plutôt, c’est l’adhésion des agents de l’économie à des objectifs, à des ordres de priorité et à des moyens d’action qu’ils auront appris à déterminer ensemble, non pas en renonçant à leurs intérêts particuliers, mais en les faisant converger dans le sens d’un intérêt communautaire dont chacun recueillera les fruits.

Or, si l’on veut que la planification soit vraiment le résultat d’un effort concerté, il faut bien se garder d’en faire l’apanage exclusif de quelques initiés, comme s’il s’agissait d’une sorte d’alchimie secrète et mystérieuse. Il faut de toute nécessité la sortir des catacombes.

Je conviens que pour saisir dans l’évolution à moyen et à long terme, il faut des spécialistes d’une très haute compétence. Il y a toute une technique de la planification qui ne peut être confiée qu’à des techniciens spécialement rompus à cette discipline. Mais leur rôle est d’éclairer ceux qui doivent prendre les décisions et non pas de décider pour eux.

C’est dans cet esprit que nous envisageons de transformer l’actuel Conseil d’Orientation pas suffisamment raccroché aux divers secteurs de l’économie ni aux éléments les plus dynamiques de la communauté québécoise. Nous voulons en élargir les bases pour en faire un véritable conseil économique

et social, où les représentants de l’industrie, du commerce et des classes ouvrières pourront travailler ensemble, en étroite liaison avec les services techniques de l’État, à la construction du Québec de demain.

toute sa complexité la réalité

À cause de ce qui s’ est produit dans des pays moins démocratiques que le nôtre, certains semblent voir dans la planification économique une menace pour leur liberté, une façon pour l’État de tout régenter, de s’immiscer par exemple dans les affaires des entreprises ou des syndicats. Cette conception totalitaire n’est pas du tout celle de votre gouvernement.

Au contraire, nous voulons vous donner l’occasion et le moyen de participer davantage aux décisions qui concernent l’ensemble de la communauté. Le bien commun n’est pas uniquement l’affaire de l’État; c’est l’affaire de tous; et les structures que nous voulons créer ou parfaire ont précisément pour but de permettre à tous de s’en mêler davantage.

Les syndicats ouvriers me paraissent disposés à jouer pleinement leur rôle dans ces structures. Dans les déclarations récentes de plusieurs

de leurs dirigeants, on sent une aspiration à dépasser, si possible, le syndicalisme revendicateur pour participer à l’élaboration d’une société nouvelle.

J’ose croire que les employeurs seront tout aussi empressés de répondre à l’appel, surtout quand ils auront réussi à se donner une plus grande cohésion en mettant sur pied un véritable conseil du patronat, comme il en existe en plusieurs pays d’Europe, et en l’équipant du personnel nécessaire pour lui permettre de constituer un interlocuteur valable en face de l’État et des centrales syndicales.

Quant au gouvernement du Québec, il est déterminé plus que jamais à préparer les plans nécessaires au plein épanouissement de chacune de nos régions et il espère encore obtenir la coopération du gouvernement fédéral dans la mesure où elle est nécessaire à l’exécution de ces plans.

Ainsi, le dialogue entre patrons, ouvriers et gouvernements ne sera plus un simple souhait, mais une réalité vivante et quotidienne. Et nous aurons, tous ensemble, instauré dans le Québec une démocratie de participation, une démocratie vraiment communautaire.

[QJHNS19661225]

[MESSAGE de NOEL DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC, 25 décembre 1966]

Voici que nous revient cette période radieuse des Fêtes où, sur la « terre des hommes » transfigurée par le mystère de Noël, à la jonction de l’année qui s’achève et de l’autre qui commence, tout ne parle que de joie, de paix et de bonheur.

Au nom du gouvernement, en mon nom personnel et au nom de ma famille je veux offrir à tous mes compatriotes, sans distinction d’origine, de rang, de fortune ou d’allégeance politique, mes voeux les plus fervents.

Dans l’éclat de nos cérémonies religieuses, dans la chaleur de nos réunions familiales, dans les décorations qui ornent nos foyers et nos villes, dans les souhaits et les cadeaux que l’on échange, tout nous invite ‘a oublier ce qui nous divise et ‘a nous unir dans un même élan de confiance et d’amitié.

Meure au Vietnam, grace aux efforts concertés et persévérants des plus hautes autorités morales, on a convenu de suspendre les combats afin que dans l’esprit des fêtes de Noël et du Nouvel An, les hommes puissent retrouver partout le sens de leur fraternité et de leur commune espérance.

Il est à souhaiter que cette trève devienne le prélude d’une paix juste et durable. Mais nous pouvons faire mieux encore que de le souhaiter. Tous nous pouvons apporter notre pierre à la construction de la paix. Car ce n’est pas seulement en pays lointains qu’il faut combattre la haine, la violence et l’injustice. Chacun, dans son milieu, peut contribuer à abattre les cloisons qui divisent les hommes. Chacun peut s’employer à nouer les dialogues qui font tomber les méfiances et les préjugés.

La recherche du bonheur est une aventure commune, dans laquelle nous sommes solidairement engagés. Personne ne peut être pleinement heureux qu’avec les autres. Et nos plus grandes joies sont toujours celles que nous avons le plus généreusement partagées.

Il n’est même pas nécessaire d’être comblé de tous les biens pour donner beaucoup. Souvent, ce sont ceux qui possèdent le moins qui donnent davantage parce que, n’ayant rien d’autre à offrir, ils se donnent eux-mêmes.

Je vous souhaite donc une abondante moisson de joie, fruit de tout le bonheur que vous aurez réussi à semer autour de vous. Je vous souhaite de récolter au centuple la paix dont vous aurez déposé les germes à profusion. Je souhaite que grâce à chacun de vous, il y ait du baume sur toutes les plaies, des ponts sur toutes les solitudes, de l’amitié dans tous les coeurs.

Je souhaite enfin que, faisant fructifier au maximum son héritage culturel et spirituel, notre cher Québec poursuive allégrement sa marche vers le progrès et contribue à l’édification d’un monde plus humain et plus fraternel.

[QJHNS19661229]

[MESSAGE DU JOUR DE L’AN DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC]

Puisque le Jour de l’An évoque au Québec, spécialement dans nos familles canadiennes-françaises, de si belles et si nobles traditions, je n’hésite pas à me servir de la formule séculaire pour souhaiter, à tous et chacun d’entre vous, une Bonne et Heureuse année, avec le paradis à la fin de vos jours.

S’il suffisait de faire adopter une loi pour que nous puissions avoir le paradis même sur la terre, croyez que je m’en ferais volontiers le parrain. Je suis convaincu que personne au Parlement ne ferait opposition à une pareille mesure. Mais à y bien songer, cette loi existe déjà. Il y aura bientôt deux mille ans qu’elle a été promulguée sur la terre des hommes. C’est la grande loi d’amour: aimez-vous les uns les autres.

Avez-vous déjà songé à ce qui se produirait si tous les humains, sans exception, se mettaient résolument à observer cette loi? Il n’y aurait plus de guerre entre les peuples, donc plus d’armées, plus de casernes, plus de budgets militaires. Crimes et délits deviendraient impensables, si bien qu’on n’aurait plus besoin de tribunaux, ni de corps de police, ni même d’avocats. Plus besoin de contrats écrits, puisque la parole de chacun vaudrait de l’or. Les conflits entre patrons et ouvriers seraient inconnus, et à plus forte raison les grèves. Tous s’appliquent à rendre à chacun ce qui lui est du et les plus forts se portant spontanément à l’aide des plus faibles, ce serait vraiment le paradis dés ici-bas.

Nous n’en sommes pas encore là, malheureusement. Bien des rouages de notre société ne tournent qu’en grinçant parce qu’il y manque l’huile de la charité. Pourtant, il faut faire confiance aux forces de l’amour qui travaillent sans bruit, mais sans cesse, au fond de la conscience humaine. Même si le progrès moral n’est pas toujours aussi apparent que le progrès matériel ou technologique, je crois que des mutations actuelles, qui ne se font pas sans douleur, sortira en définitive un monde plus compréhensif et plus humain.

L’Expo 67, qui permettra à des gens de tous pays, de toute langue et toute culture de se coudoyer en terre québécoise, servira sans aucun doute la cause de la paix et de la coopération internationale. Quelle merveilleuse aventure ce sera pour nos visiteurs et pour nous tous de d5couvrir, sur une île du St-Laurent agrandie et embellie par l’ingéniosité des hommes, les créations les plus audacieuses de toutes les civilisations du globe.

Il est à souhaiter aussi qu’en cette année qui marquera le centenaire de la Confédération canadienne, nos deux nations puissent travailler ensemble à l’élaboration d’un nouveau cadre constitutionnel, où il y aura plus de véritable coopération parce qu’il s’y trouvera aussi plus de liberté et une véritable égalité. Je souhaite enfin que, fidèle aux valeurs qui lui ont permis de durer et de s’épanouir en dépit des pires difficultés, la communauté québécoise continue de grandir et de s’affirmer avec éclat en ce pays fécondé par plus de trois siècles de labeurs. À ma femme et à mes enfants que je bénis de tout coeur suivant la plus touchante de nos traditions familiales, à mes collègues du cabinet, à tous les membres de notre Parlement sans distinction d’allégeance politique, à tous les corps publics qui sont l’armature de notre nation, à tous nos chefs religieux et civils, à toute la population du Québec je souhaite joie, paix, santé, travail et bonheur.

[QJHNS19670117]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON DEVANT LA CHAMBRE DE COMMERCE DE MONTREAL LE 17 JANVIER 1967
HOTEL- MONT-ROYAL]

Avec mon collègue Paul Dozois, ministre des ‘Finances, je suis allé la semaine dernière à Toronto, puis à New-York, rencontrer les sommités du monde financier, en particulier les banquiers, courtiers et administrateurs de portefeuilles qui ont investi ou qui sont susceptibles d’investir des capitaux soit dans l’industrie québécoise, soit dans les obligations du gouvernement, de l’Hydro ou autres institutions publiques du Québec.

C e n’était là que le début d’une série de rencontres que j’entends multiplier surtout dans le Québec. Ce que j’ai dit à Toronto et à New-York, je le répète aujourd’hui à Montréal et je me propose de le dire également devant d’autres groupes d’hommes d’affaires du Québec ainsi que nos centrales ouvrières et agricoles, d’abord parce que vous êtes les premiers intéressés à connaître la politique économique et financière de votre gouvernement, et aussi parce que j’ai toujours eu comme ligne de conduite de parler exactement de la même façon, que ce soit dans le Québec ou hors du Québec . La vérité est la même partout et c’est bien la meilleure façon de ne jamais se contredire que de toujours dire ce que l’on pense.

La première chose que je me suis appliqué à démontrer, c’est la stabilité foncière de la politique québécoise, quelle que soit la couleur des partis qui se succèdent au pouvoir. Nous savons tous que les Canadiens français aiment la politique. Avec leur tempérament latin, ils ont conservé un goût marqué pour les luttes spectaculaires et les grands débats sur la place publique. Ce qui, aux yeux de ceux qui les connaissent mal, pourrait les faire paraître légers et inconstants. Pourtant, si l’on s’élève au-dessus de l’immédiat pour considérer les choses dans une plus large perspective, on s’aperçoit qu’il y a dans la politique québécoise une continuité et une logique qui transcendent de beaucoup les discussions partisanes.

C’est du reste ce qui nous a permis de survivre et de nous épanouir, comme communauté de culture française, au milieu de 200000000 d’Anglophones.

Il y a dans la conscience de notre peuple un fonds très riche de sagesse, d’attachement aux valeurs durables, de réalisme politique qui finit toujours par surmonter toutes les crises et tous les engouements passagers. Les aventures risquées ne sont pas notre fort. Voilà sans doute pourquoi les tiers partis n’ont jamais eu de veine dans le Québec.

J’ai cité, notamment à Toronto, deux exemples concrets pour illustrer cette stabilité vraiment remarquable de la politique québécoise malgré les vicissitudes de nos luttes de partis. Le premier concerne l’Hydro.

Je ne connais guère de sujet qui ait soulevé plus de controverses politiques au Québec depuis plus de trente ans que le harnachement de nos immenses richesses hydroélectriques. Il reste cependant qu’à partir de la mise en chantier de notre première centrale d’État sous l’ Union Nationale en 1938, tous les partis ont contribué à tour de rôle à faire de l’Hydro-Québec l’une des plus gigantesques et des plus solides entreprises du genre au monde.

Vous vous souvenez sans doute qu’en 1944, lorsque le gouvernement Godbout présenta une loi pour nationaliser la Montreal Light,Heat and Power, M. Duplessis vota contre cette mesure parce qu’il n’en approuvait pas certains aspects. C’est pourtant M. Duplessis, reporté au pouvoir quelques mois plus tard, qui appliqua la loi après l’avoir considérablement modifiée. C’est également lui qui décida de réserver à l’Hydro-Québec le harnachement de toutes les grandes sources d’énergie jusque là inexploitées, notamment celles de la Côte-Nord. Si bien qu’entre 1945 et 1930, l’actif de l’entreprise passa de moins de 2000000 à près de 1250000000.

L’aménagement du complexe Manicouagan-Outardes s’est poursuivi sous la dernière administration libérale conformément à des plans commencés bien avant 1930; et le résultat des élections du 5 juin dernier n’a apporté aucune modification substantielle dans la marche de l’entreprise, pas en ce qui concerne les accords qui se préparaient depuis 1963 au sujet de l’exploitation par l’Hydro-Québec des chutes Churchill.

Il arrive qu’on discute ferme sur les modalités, mais les objectifs fondamentaux ne changent pas d’un gouvernement à l’autre parce qu’ils sont commandés par les impératifs de l’économie et par les intérêts permanents de la. population québécoise. L’Hydro-Québec est d’ailleurs, par son statut et sa structure, à l’abri des aléas de la politique partisane. C’est une entreprise dont notre peuple peut être légitimement fier puisqu’elle illustre avec éclat l’habilité, la compétence, l’audace créatrice des ingénieurs et des administrateurs, en grande majorité canadiens-français, qui en ont fait l’une des Grandes réussites du génie moderne.

Comme autre exemple de la continuité de la politique québécoise, j’ai mentionné un sujet d’une brûlante actualité, celui des pensions de vieillesse.

En 1951, un amendement a été apporté à la constitution canadienne pour permettre au gouvernement fédéral de légiférer en cette matière. Il a été cependant convenu, et accepté par Ottawa aussi bien que par chacune des provinces, que celles-ci conserveraient un droit de priorité dont elles pourraient toujours se prévaloir, même après l’adoption d’une loi fédérale.

C’est un gouvernement d’Union Nationale, dirigé par M. Duplessis, qui a insisté pour que ce droit de priorité soit formellement réservé et garanti par l’article 94A de la constitution. Et c’est un gouvernement libéral, dirigé par M. Lesage, qui s’est prévalu pour la première fois de ce droit de priorité pour établir au Québec un régime de rentes d’ailleurs unanimement adopté par la Législature. D’autre part, lors de la conférence fédérale-provinciale de 1963, M. Lesage a annoncé formellement l’intention du Québec d’assurer éventuellement, toujours suivant le droit de priorité garanti par l’article 94A, l’administration entière de la sécurité de la vieillesse. Voici qu’un autre gouvernement d’Union Nationale s’apprête à donner suite à cette intention.

Les inconvénients d’une législation uniforme conçue pour l’ensemble du Canada n’étaient pas bien grands lorsque les mêmes pensions de 40 $ 50 $ ou 75 $ par mois étaient versés à tous les Canadiens sans autre considération que leur âge; mais tout le monde sait qu’au Canada comme ailleurs, on tend à intégrer ces pensions dans un système de sécurité sociale fondé sur le concept du revenu garanti. Et cela change bien des choses. Il est clair en effet que ne sauraient coexister deux régimes de sécurité sociale, l’un fédéral et l’autre québécois, fondés tous deux sur le revenu garanti et s’appliquant à la même population. C’est le Québec qui doit en prendre charge, d’abord parce qu’il dispose déjà de tous les outils nécessaires à cette fin, du fait qu’il possède son propre régime de rentes, son propre système d’assistance sociale et son propre impôt sur le revenu des particuliers, et surtout parce qu’il s’agit là d’un domaine qui, comme l’éducation et le droit civil, met directement en cause nos particularismes socio-culturels.

Voilà pourquoi, dans le discours du Trône qui a marqué l’ouverture de la session québécoise, nous avons annoncé que le Québec entendait se prévaloir désormais de son droit prioritaire en matière de sécurité de la vieillesse, et il est manifeste qu’il y aura accord des deux partis, au moins sur le principe d’une telle mesure.

En sommes-nous de plus mauvais Canadiens? Je ne pense pas que l’on puisse en venir à une pareille conclusion. D’autant moins que, dans deux points extrêmement importants: d’abord, que nous tenons à coopérer avec le reste pays pour assurer la transférabilité complète des prestations de sécurité sociale, tant dans le secteur des pensions de vieillesse que dans les autres; et ensuite, que nous n’avons nullement l’intention de réclamer une compensation fiscale supérieure aux prestations actuellement payées dans le Québec bien que nos contribuables versent à la caisse fédérale de sécurité de la vieillesse plus qu’ils n’en retirent sous forme de pensions.

En d’autres termes, nous croyons que le Québec ne doit pas accepter la péréquation seulement lorsqu’elle lui est avantageuse, mais également lorsqu’elle profite à d’autres parties du pays. Cette attitude est loin d’indiquer une volonté d’isolement ou de séparation. Elle marque au contraire un désir de vivre à l’intérieur du Canada, en acceptant les obligations aussi bien que les avantages de l’interdépendance.

Pour ma part, j’ai toujours soutenu que l’indépendance du Québec n’était pas la seule ni la meilleure solution aux problèmes que pose la coexistence de deux grandes familles culturelles au sein d’un même pays; et je suis plus convaincu que jamais de la possibilité d’un aménagement constitutionnel qui respecte les libertés essentielles des deux nations, au sens sociologique ou terme, tout en leur permettant de travailler d’un même coeur, dans l’harmonie.

Cette nouvelle constitution, qui paraît désirable à un nombre croissant de Canadiens de toutes les parties d u pays, nous voulons y contribuer dans l’ordre et par les voies normales de la réflexion, du dialogue et du parlementarisme. C’est pourquoi nous avons été unanimes, à la Législature de Québec, à confier l’étudie de ces problèmes à un comité parlementaire de la constitution, qui est temporairement disparu lors de la dissolution des Chambres, mais que nous ferons bientôt revivre et qui continuera, je l’espère, de se situer au-dessus de toute division partisane.

Mais, quelles que soient les options politiques ou constitutionnelles que nous serons appelés à prendre dans l’avenir, il y a une chose dont nous devrons toujours tenir compte: c’est la nécessité d’une solidarité économique à la dimension du Canada et même du continent nord-américain.

En 1967, aucun pays, et à plus forte raison aucune province ne peut seulement songer à vivre en vase clos. Les impératifs de la coopération commerciale, industrielle et financière sont inéluctablement inscrits dans les faits et il n’y a pas un parti politique au Québec, fut-il indépendantiste, qui pourrait refuser de s’y conformer.

Pour ma part, ainsi que je l’ai déclaré à Toronto et à New-York., le gouvernement actuel a dû prendre un certain nombre de décisions qui lui sont imposées par la conjoncture économique et par la situation dans laquelle se trouvait le Québec lorsqu’il a assumé le pouvoir le 16 juin dernier.

Tout d’abord, il :nous faudra réduire d’une façon radicale la dimension de nos déficits et de nos emprunts . Il y a des gens qui disent qu’il ne faut pas restreindre les dépenses pour ne pas nuire à la croissance économique. M. Kierans devrait pourtant savoir qu’il ne peut y avoir de véritable croissance économique sans des finances saines. Michel Debré, ministre français de l’économie et des finances, vient de le proclamer avec force à Sherbrooke.

M Debré considère avec effroi, rapportait Le Devoir d’hier, les conceptions qui prévalent dans certains pays et qui veulent que la croissance économique l’emporte sur la stabilité financière; car, estime M. Debré, « l’instabilité ne conduit jamais à la prospérité et au progrès social ».

La grandeur d’une politique ne se mesure pas à la dimension des déficits encourus. Toute collectivité qui vit au-delà de ses moyens se prépare des lendemains difficiles. Et le réveil sera d’autant plus pénible que l’euphorie aura été plus grande. C’est facile de dépenser sans compter. Ce qui est beaucoup plus difficile, c’est d’ajuster ses dépenses à ses revenus. Mais c’est la condition même d’une croissance équilibrée et continue.

C’est aussi la condition même de la liberté. Il en est des États comme des individus plus ils s’enfoncent dans les dettes, moins ils sont libres. Et ceux qui voudraient que le Québec continue de dépenser et de s’endetter au même rythme qu’entre 1960 et 1966 ne travaillent sûrement pas à nous rendre maîtres chez nous. Ils se conduisent au contraire comme si leur secret désir était de contraindre le Québec à faire la politique de ses créanciers. C’est pour éviter une pareille tutelle que nous voulons d’abord rétablir l’équilibre de nos finances . La situation que nous avons trouvée le 16juin dernier ne nous laisse d’ailleurs pas d’autre choix. Il ne s’agit pas de choisir entre la stabilité financière et la croissance économique; il s’agit de choisir les deux, puisque l’une est la condition essentielle de l’autre.

Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie et dès le prochain exercice, nous entendons payer à même nos revenus non seulement les dépenses ordinaires , mais aussi la plus grande partie des immobilisations. Cela ne se fera pas sans douleur, mais nous y arriverons même s’il nous faut retarder l’exécution de certains projets et augmenter ou réaménager certains impôts .

De plus , dans notre programme budgétaire, nous donnerons une nette priorité aux dépenses et aux investissements qui ont une incidence directe sur la croissance de l’économie québécoise. Il va sans dire que l’éducation entre dans cette catégorie: tout ce qui contribue à grossir notre capital intellectuel augmente du même coup notre productivité.

Sans doute nous faudra-t-il encore recourir aux marchés financiers; la majeure partie de nos emprunts sera toutefois consacrée à l’Hydro-Québec, dont la solidité ne peut faire de doute puisqu’elle réinvestit chaque année 10000000 à même ses propres revenus; mais c’est loin d’être suffisant pour faire face aux besoins d’énergie qui s’accroissent très rapidement, en particulier dans le domaine industriel.

Je dois vous faire observer ici que la production d’une quantité donnée d’énergie additionnelle nécessite des immobilisations beaucoup plus considérables lorsque cette énergie est produite par des centrales hydroélectriques que lorsqu’elle provient de centrales thermiques; cependant, le coût de revient de l’électricité est beaucoup moindre dans le premier cas que dans le second, ce qui constitue à long terne un avantage économique certain.

Enfin, sans rechercher l’éclat, ni les chicanes inutiles, ni les prouesses verbales, nous entendons donner au Québec une administration moderne, méthodique et vraiment efficace. Dans son programme électoral, l’Union Nationale a pris une position ferme et sans équivoque en faveur de la liberté d’entreprise, ce qui a toujours été d’ailleurs l’un des points cardinaux de sa philosophie politique. Il est clair que l’État a un rôle important à jouer dans le domaine économique; mais ses interventions doivent avoir pour effet de stimuler l’esprit d’entreprise et non pas de la brimer ou de l’anéantir par les politiques tatillonnes et des contrôles plus nuisibles qu’efficaces.

En un mot, nous entendons instaurer au ,Québec ce climat de confiance, de sécurité et d’équilibre qui stimule les investissements et la croissance de l’économie.

J’ai dit à Toronto que les Canadiens français n’aspirent qu’à se sentir pleinement chez eux au Canada, ce qui ne serait plus possible s’il fallait que leur fidélité à leur langue et à leur culture les expose à des sanctions économiques. Et il n’y a sûrement rien d’explosif ou de révolutionnaire dans ces propos, puisque le même jour, dans la ville de Toronto, le ministre fédéral des Finances, M.Sharp, disait en somme la même chose dans les termes suivants [Dans le domaine politique, nous Canadiens … devons résoudre de délicats et difficiles problèmes si nous voulons être administrés d’une manière efficace et unis quant à nos loyautés et nos aspirations. Nous avons une constitution qui nous a raisonnablement bien servis, et plusieurs bonnes institutions publiques et privées. Ces dernières sont menacées par l’existence d’un problème d’importance et dont nous ne nous sommes pas assez préoccupés. nous , Canadiens de langue anglaise, n’avons pas fait notre part pour que nos institutions nationales fonctionnent à partir du gouvernement du Canada, de nos grandes entreprises privées et jusqu’à nos diverses organisations bénévoles petites et grandes, de façon à permettre à nos compatriotes de langue française de sentir que ces institutions étaient également les leurs, auxquelles ils peuvent participer aussi entièrement et efficacement que nous. Tant qu’ils ne sentiront pas que ces institutions sont autant les leurs que les nôtres, ils seront portés à rechercher d’autres remèdes, remèdes qui ne favoriseront pas notre unité et qui ne procureront à aucune des deux parties autant que le peut une véritable coopération. Nous avons accompli certains progrès en améliorant le caractère bilingue de nos institutions de façon à ce que les Canadiens français se sentent davantage partie du Canada. renons donc cette année la résolution d’agir avec plus de célérité dans cette direction.]

Il va sans dire qu’une politique d’accueil s’impose à l’endroit des capitaux étrangers. Il y a tellement à faire chez nous que nous ne saurions y arriver seuls. N’oublions pas cependant que nous sommes les premiers responsables de notre progrès économique et que le meilleur moyen d’y intéresser les autres est encore de manifester nous-mêmes, par notre façon de travailler, d’épargner et d’investir, notre confiance inébranlable en l’avenir du Québec.

[QJHNS19670206]

[CAUSERIE PRONONCEE PAR M. DANIEL JOHNSON,PREMIER MINISTRE DU QUEBEC,A L’OCCASION DE LA SEMAINE NATIONALE DE L’ELECTRICITEHOTEL REINE ELIZABETH – MONTREAL LUNDI, LE 6 FEVRIER 1967]

Je suis doublement heureux, comme premier ministre et comme ministre des Richesses naturelles, d’ouvrir avec vous tous la Semaine Nationale de l’Electricité. J’ai déjà eu l’honneur de participer plusieurs fois à cet événement annuel, notamment lorsque j’étais ministre des Ressources hydrauliques. Cette année, cependant, la Semaine de l’Électricité prend un caractère un peu spécial du fait qu’elle coïncide avec le 120e anniversaire de la naissance d’Edison. C’est en effet le 11 février 1847 que naissait dans l’Ohio ce grand bienfaiteur de l’humanité.

Edison a inventé bien des choses, entre autres la lampe à incandescence. Mais à la lecture des notes préparées à l’occasion de cet anniversaire, j’ai été surtout intéressé d’apprendre qu’il a été l’initiateur du travail de recherche en équipe. Si l’électricité augmente dans une proportion fantastique l’énergie musculaire de l’homme, on peut dire que le travail d’équipe est aussi le grand multiplicateur de la puissance du cerveau humain.

Cet anniversaire tombe bien, car je vous apporte une nouvelle qui constitue peut-être la meilleure commémoration que l’on puisse faire du souvenir d’Edison, à la fois comme inventeur de nombreuses applications industrielles de l’électricité et comme initiateur des travaux de recherche en équipe.

Nous venons en effet d’autoriser l’Hydro-Québec a créer un institut de recherches dont les laboratoires seront uniques au monde et qui aura une envergure vraiment internationale puisqu’il sera outillé pour répondre aux besoins non seulement de l’industrie québécoise, mais aussi de nombreux organismes canadiens et américains.

Cette initiative comportera un investissement de $ 28000000 et la mobilisation d’une équipe de 200 chercheurs et techniciens. Le centre sera construit à la limite de Sainte-Julie et de Varennes, près de Boucherville, sur un terrain de plus d’un mille carré.

Vous n’ignorez pas que le Québec est l’un des territoires les mieux pourvus; du globe en fait d’énergie hydroélectrique. Le rendement de nos centrales représente 41 % de l’énergie produite par l’ensemble du pays.

Cette situation privilégiée a les conséquences les plus heureuses sur le niveau de vie de notre population et le développement de notre économie. La production d’énergie électrique est en effet l’industrie qui alimente et soutient toutes les autres.

Puisque nous sommes aux tout premiers rangs des pays les plus avancés du monde pour la production et la consommation de l’électricité: il est normal que nous voulions être également à l’avant-garde pour la recherche en ce domaine. Car il n’est guère de secteur ou l’évolution soit plus rapide que celui-là. Il n’en est guère non plus où notre avenir soit plus directement engagé.

Nous n’avons pas le droit de nous laisser dépasser dans la course au progrès scientifique et technologique. Les dollars investis dans la recherche sont en définitive ceux qui rapportent les plus gros dividendes en fait d’emplois nouveaux, de croissance industrielle et de bien-être.

Déjà, les ingénieurs de l’Hydro-Québec ont à leur crédit nombre d’innovations qui témoignent de leur compétence, de leur ingéniosité et de leur audace créatrice. Dans la réalisation du complexe Manicouagan – Outardes, ils ont battu des records mondiaux qu’ils avaient eux-mêmes établis lors de l’aménagement de la Bersimis, notamment en ce qui concerne les lignes de transmission à haut voltage. Notre ligne de transport d’énergie à 735000 volts est une réalisation qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.

Il reste cependant que pour la solution de certains problèmes de recherche et d’expérimentation, dans les domaines du transport et de la distribution de l’électricité, nous devons encore, à grands frais, recourir aux services de laboratoires étrangers.

Cette situation n’est pas particulière au Québec. Elle existe aussi pour l’ensemble du Canada et même pour les États-Unis. En effet, si étonnant que cela paraisse, seuls quelques laboratoires européens sont actuellement équipés pour répondre aux besoins des Canadiens et des Américains dans ces domaines particuliers.

C’est là une situation vraiment paradoxale si l’on considère que l’Amérique du Nord consomme à elle seule presque la moitié de l’énergie électrique produite dans le monde. Il n’existe sur notre continent aucun laboratoire d’envergure internationale ou nous puissions faire étudier nos problèmes de transport d’énergie. Il nous faut traverser l’Atlantique et faire appel a des laboratoires comme ceux de l’électricité de France, de KEMH en Hollande ou de CESI en Italie.

Sans doute une certaine collaboration s’imposera-t-elle toujours entre savants du monde entier; mais cette collaboration sera d’autant plus facile et d’autant plus efficace que nous aurons pris les moyens voulus pour sortir de notre colonialisme technologique et pour nous donner des instruments de recherche bien à nous, spécialement dans le domaine énergétique.

Voilà pourquoi nous avons autorisé l’Hydro-Québec à faire les immobilisations nécessaires pour créer un institut de recherches et lui donner un rayonnement international.* Cette autorisation est conforme à la politique que nous avons établie, politique qui consiste à donner une nette priorité aux investissements qui ont une influence directe sur la croissance de l’économie québécoise.. L’Hydro-Québec a conçu ce projet en tenant compte non seulement de ses propres besoins, mais également de ceux de divers organismes canadiens qu’il a consultés et dont il espère obtenir la collaboration, notamment l’Association canadienne de l’Électricité, la Canadian Electrical Manufacturers Association, le Conseil National de Recherches et le ministère fédéral de l’Industrie. L’institut pourra également procéder à des études et à des essais pour le compte de plusieurs entreprises américaines.

Son équipement sera unique au monde et la compétence de son personnel lui assurera un prestige international. Ce sera un grand actif pour le Québec et un singulier stimulant pour la recherche et l’enseignement universitaires.

En Angleterre, le Central Electricity Generating Board affecte à la recherche un personnel qui est passé de 200 à 2000 entre 1957 et 1964 et un budget qui est monté d’e $ 2 a $ 18000000 dans la même période. En Suède, pays que nous prenons souvent comme exemple quand il s’agit de progrès technique ou de progrès social, on constate la même augmentation du personnel et des immobilisations consacrés à la recherche. L’Électricité de France, qui a un effectif de 1700 chercheurs, dépense $ 17000000 annuellement pour la recherche. L’institut de recherches de l’Hydro-Québec se propose d’étudier et d’approfondir sept domaines en autant de laboratoires différents: haute tension, grande puissance, basse tension, commande et automation, mathématiques appliquées, électrochimie, mécanique et thermodynamique.

La décision d’étudier chacun de ces sujets n’a été prise qu’après une étude complète des besoins présents et futurs. Les ressources hydrauliques qui sont de plus-en plus éloignées et les nouvelles sources d’énergie qui seront de plus en plus puissantes demanderont des tensions de lignes plus élevées et un appareillage de capacité plus grande. Il faudra vérifier, dans les laboratoires « haute tension et grande puissance », l’influence des tensions sur les matériaux, étudier le comportement des lignes et faire des essais de prototypes.

Le réseau électrique de l’Hydro-Québec constitue un système complexe et unique dont l’analyse et l’exploitation exigent l’usage de calculatrices numériques et analogiques et de nouvelles méthodes de calcul numérique. Il devient donc essentiel de constituer un groupe de spécialistes en mathématiques appliquées qui seront en même temps des consultants pour toutes les autres sections du laboratoire, car les solutions des problèmes sont ordinairement présentées sous des formes mathématiques.

La nécessité de trouver des sources d’énergie nouvelles pour satisfaire les besoins des endroits isolés, ainsi que le désir de maintenir les connaissances dans les nouveaux domaines de conversion de l’énergie ont conduit à la formation d’un groupe de chercheurs en électrochimie dont,le rôle principal sera d’étudier la pile à combustible, un des sujets, les plus rentables pour l’Hydro-Québec, tout en étudiant les caractéristiques des matériaux utilisés dans les autres laboratoires.

Le nombre et la puissance des centrales thermiques dans le réseau de L’Hydro-Québec augmenteront dans l’avenir; les principaux problèmes d’exploitation de ces centrales sont la corrosion des matériaux et le rendement des échangeurs de chaleur. Afin de mieux comprendre ces problèmes, un laboratoire d’études et de recherches de thermodynamique appliquée sera construit.

Les difficultés rencontrées dans les circuits de distribution d’énergie doivent être analysées. En particulier, le problème des mesures à distance des charges doit pouvoir trouver une solution. Toutes ces études seront faites dans un laboratoire général de basse tension.

Finalement, l’exploitation et le transport de l’énergie électrique produite par des sources dont les caractéristiques sont des plus variées nécessitent des commandes à distance et l’automation la plus poussée. Le groupe responsable des études d’automatisation devra aussi servir comme expert en mesures électroniques pour l’ensemble de l’institut.

J’ai dit il y a un instant que l’institut de recherches serait construit près de Boucherville; il sera situé exactement près du poste de la ligne à 735000 volts dans la petite localité de Sainte-Julie et s’étendra au territoire de Varennes. Le choix de cet emplacement ne tient aucunement du hasard ou du favoritisme. En effet, seul le poste Boucherville de l’Hydro-Québec peut fournir la puissance nécessaire à la réalisation des essais de l’institut.

De plus, le maintien d’une liaison solide entre le personnel technique de l’Hydro-Québec et le service des recherches est essentiel au succès de l’institut de recherches dans la solution des problèmes proposés.

Cet emplacement de Sainte-Julie-Varennes permettra de recevoir des appareillages extrêmement lourds, à cause de ses voies d’accès faciles, par mer, chemin de fer et routes. D’autre part, le caractère internationalde l’institut demande d’excellentes liaisons aériennes avec toutes les grandes villes du Canada et de l’Est des États-Unis pour recevoir les clients éventuels ou pour permettre au personnel chercheur de se déplacer facilement.

L’emplacement de l’institut près d’un milieu industriel facilitera les réunions techniques et les échanges d’informations et aidera au recrutement des chercheurs.

L’institut sera installé sur un terrain de un mille et demi par un mille. L’ensemble comprendra des laboratoires spécialisés de « haute tension » et de « grande puissance » et des laboratoires universels légers, constitués par un groupe de bâtiments de caractéristiques différentes et complémentaires.

D’après les experts qui ont fait les études préliminaires, il sera possible de trouver le personnel clé en grande partie parmi les chercheurs canadiens déjà bien préparés. Il faudra naturellement retenir les services de quelques-uns des meilleurs éléments étrangers, à l’exemple des pays les plus avancés dans la recherche.

L’ensemble des chercheurs et de leurs assistants constitue l’élément le plus important du centre; l’expérience prouve que de 80 % à 85 % des dépenses d’exploitation des laboratoires industriels sont des dépenses de personnel. La création de l’institut nous laisse donc entrevoir un excellent débouché pour les diplômés de nos universités.

Pour réaliser les objectifs fixés, il faudra environ 75 chercheurs dont plus de la moitié devront avoir des diplômes de maîtrise ou de doctorat en sciences techniques, et un personnel de soutien de 125 personnes. Ce dernier groupe comprendra des techniciens spécialisés et des assistants. En considérant que l’entraînement d’un jeune chercheur prend de trois à cinq ans, on a déterminé que les cadres pourraient être complets en 1972.

J’ai été particulièrement fier de vous communiquer cette nouvelle, à l’occasion de la Semaine de l’Électricité. Je ne pouvais trouver d’auditoire mieux disposé à l’entendre, puisque vous représentez ce monde de la technologie moderne grâce auquel un Québec nouveau s’édifie sous nos yeux.

Je remercie donc chaleureusement ceux qui m’ont fait l’honneur de m’inviter, et je souhaite que cette Semaine nationale que nous inaugurons remporte tout le succès qu’elle mérite.

[QJHNS19670209]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER-MINISTRE-DU-QUEBEC CONFERENCE BIENNALE FEDERATIONS ET CONSEILS DES OEUVRES DU CANADA CHATEAU FRONTENAC – QUEBEC JEUDI,-LE-9-FEVRIER-1967]

Je suis extrêmement heureux d’accueillir ce soir, au nom du gouvernement, les délégués des Fédérations et Conseils des oeuvres du Canada, qui servent de point d’appui à deux mille organismes de bienfaisance et de service social d’un bout à l’autre de notre pays. À tous, et particulièrement à ceux qui nous sont venus des autres provinces, je souhaite la plus cordiale bienvenue en terre québécoise.

En jetant un coup d’oeil sur votre programme, j’ai remarqué que l’ouverture de votre conférence biennale avait coïncidé en quelque sorte avec la clôture du Carnaval d’Hiver de Québec. Je présume que vous en avez profité pour entrer dans la ronde et participer aux réjouissances populaires avant d’entreprendre vos austères travaux. Vous avez dû constater alors que la joie de vivre restait l’un des traits caractéristiques de la population canadienne-française.

Cette tradition date de très loin. Vous savez tous que Champlain a fondé Québec en 1608. Mais vous devez vous rappeler aussi que quelques années auparavant, en Acadie, il avait également fondé avec de Monts et d’autres joyeux compères l’Ordre de Bon Temps. Ce n’était pas un organisme aussi sérieux que les vôtres, mais c’était quand même une façon de grouper les bonnes volontés pour créer de la joie et du bien-être, en tirant le meilleur parti possible de nos longs hivers canadiens.

Si notre carnaval remporte chaque année le succès que vous savez, ce n’est pas seulement parce qu’il renoue avec une tradition aussi ancienne, mais surtout parce qu’il répond à une impulsion naturelle du tempérament québécois. L’adhésion spontanée et exubérante de toute la population est l’élément essentiel de sa réussite.

Pour peu que vous prolongiez votre séjour parmi nous, vous découvrirez bien d’autres traits de l’âme canadienne-française. Vous constaterez alors que le français, langue de plus de 80 % des gens du Québec, n’est pas seulement pour eux une façon différente de s’exprimer, mais quelque chose de plus profond: une façon différente

Dans le domaine du bien-être social, comme dans tous les autres domaines qui se rattachent de près à notre héritage socio-culturel, nous avons au Québec des conceptions particulières qui se sont naturellement incarnées dans des institutions particulières. Si bien qu’il ne suffit pas de traduire en français des formules qui peuvent très bien convenir ailleurs pour qu’elles deviennent automatiquement valables au Québec.

Et l’inverse est également vrai. Ce qui a été conçu en fonction de la culture, de la mentalité, des besoins propres du Québec ne convient pas nécessairement aux autres et nous ne songeons aucunement à le leur imposer.

Cela n’exclut pas une collaboration fructueuse entre les gouvernements et les agences de bien-être des diverses parties du Canada; mais nous croyons que cette collaboration sera d’autant plus féconde qu’elle sera plus respectueuse de notre dualité culturelle et sociologique.

Voilà pourquoi le Québec tient à conserver la plénitude de son autonomie en matière de bien-être social comme en matière d’éducation et de culture.

Cette attitude n’est pas l’effet d’un caprice, et encore moins d’une volonté d’isolement. Il y a des problèmes devant lesquels le Québec n’est pas une province différente des autres parce qu’ils affectent tous les Canadiens de la même façon, quelles que soient leur origine, leur langue et leur culture; mais il y en a d’autres auxquels on ne saurait apporter des solutions uniformes qu’au mépris des aspirations et des particularismes légitimes de l’une ou l’autre de nos deux grandes familles culturelles.

Nous croyons qu’il faut distinguer nettement entre ces deux ordres de problèmes si nous voulons donner à l’édifice canadien un maximum d’harmonie, d’équilibre et de solidité. C’est en séparant ce qui doit être séparé que nous viendrons à mieux unir ce qui doit être uni. À cause des responsabilités particulières qu’il assume à l’égard de la communauté de culture française dont il est le principal foyer, le Québec doit exercer intégralement les pouvoirs qu’il possède en matière de sécurité sociale. La preuve que cette attitude répond à une nécessité profonde, c’est qu’elle a été, sous tous les gouvernements, une constante de la politique québécoise.

En 1951, sous le gouvernement Duplessis, le Québec a consenti à ce qu’un amendement soit apporté à la constitution canadienne, par l’article 94A, pour permettre au gouvernement fédéral de légiférer en matière de sécurité de la vieillesse. Il l’a fait pour répondre à un désir manifeste des Canadiens des autres parties du pays.

Le Québec ne voulait donc pas, en s’attachant étroitement à la lettre du pacte fédératif, entraver la liberté des autres. Mais il tenait aussi à sauvegarder la sienne et c’est la raison pour laquelle M. Duplessis a insisté pour que soit expressément réservée dans l’article 94A la priorité de toute loi provinciale présente ou future.

Le gouvernement Lesage s’est prévalu de ce droit de priorité pour établir, avec l’approbation unanime de la Législature, un régime de rentes entièrement administré par le Québec.

Et dès 1963, il a annoncé la ferme intention du Québec d’assumer éventuellement l’entière responsabilité sur son territoire de la sécurité de la vieillesse. Les mesures annoncées dans le dernier discours du Trône ne sont que la suite logique des jalons posés par les gouvernements précédents.

Le temps est en effet venu d’intégrer en un tout cohérent les divers éléments d’un système de sécurité sociale qui évolue rapidement suivant le concept moderne du revenu garanti. Au lieu de multiplier des mesures d’assistance trop souvent disparates, qui entraînent une dispersion des ressources et des efforts tout en laissant subsister nombre de misères et d’injustices, il s’agit de coordonner tout cela dans un ensemble logique qui assure à chacun le revenu nécessaire pour faire face à ses besoins essentiels.

Mais cela suppose une intervention accrue de l’État, qui seul dispose des ressources et des moyens d’action nécessaires pour prendre charge de cette coordination. Il est évident qu’en 1967, on ne peut plus s’en remettre uniquement à la charité privée du soin de secourir les indigents et même les économiquement faibles.

Sans compter qu’il ne s’agit pas uniquement de les secourir, mais de les réadapter dans toute la mesure du possible en leur fournissant les moyens de sortir de leur misère et de devenir des citoyens productifs et responsables. Et cela implique des recherches en profondeur, afin d’agir avec méthode et efficacité sur les causes mêmes de la pauvreté et non pas seulement sur ses effets extérieurs.

Ce qui veut dire que dans une société moderne, la sécurité sociale ne peut pas être considérée comme un rouage indépendant des autres. Elle doit entrer dans une planification générale qui tienne compte également des besoins et des ressources de l’économie et où l’État doit de toute nécessité tenir le premier rôle.

Je crois vous avoir démontré qu’en ce qui concerne le Québec, c’est l’État provincial qui doit tenir ce rôle.

Voilà pourquoi nous avons confié à une commission d’étude la tâche primordiale d’étudier dans leur ensemble tous les problèmes qui touchent à la santé et au bien-être social. Des recommandations que formulera cette commission, il nous appartiendra ensuite de dégager une politique claire, organique et conforme aux réalités d’aujourd’hui.

Mais ces responsabilités accrues de l’État font surgir une autre question, qui vous met directement en cause. Y a-t-il encore une place, dans cette ère de socialisation, pour des organismes bénévoles comme les vôtres? À côté du secteur public, dont le champ d’action grandit sans cesse, y a-t-il encore une place pour le secteur privé?

Je réponds oui, et pour bien des raisons. L’État, il faut bien le dire, est mieux outillé pour la justice que pour la charité. Ce qu’il donne, il doit le donner dans les cadres fixés par la loi; et il est essentiel que la loi soit la même pour tous.

Je sais qu’en matière de bien être social, on tend avec raison à substituer la notion de justice à la notion de charité. C’est d’ailleurs ce qui motive l’intervention croissante de l’État. Chaque citoyen a droit à un minimum de protection de la part de la société. Et c’est justice que de lui fournir ce minimum.

Pourtant, comme dit saint Paul dans son épître aux Corinthiens qu’on nous lisait dimanche dernier, « la charité ne passera jamais ». Il y aura toujours des détresses que les lois communes ne pourront atteindre. Il y aura toujours des cas où il faudra aller au-delà de la justice.

Les organismes privés peuvent justement assurer la présence de la charité et de la philanthropie dans le domaine du bien-être et assouplir ce qu’il y a de rigide et d’impersonnel dans l’action de l’État et des fonctionnaires publics. Ils peuvent être à la fois plus humains que les institutions gouvernementales et plus alertes pour déceler les problèmes et répondre à des nécessités urgentes. Je crois que s’ils savent s’adapter aux besoins de l’heure, ils resteront toujours à l’avant-garde du progrès social.

De plus, les organismes privés restent nécessaires pour prévenir les dangers du paternalisme d’État et assurer la démocratisation du bien-être. Il importe en effet que tous les secteurs de la population participent aussi étroitement que possible à la planification des politiques de bien-être. Et comme ils constituent en quelque sorte les cadres intermédiaires entre l’État et la population, les organismes privés peuvent mieux que quiconque assurer la communication dans les deux sens, c’est-à-dire renseigner les administrateurs sur les besoins réels de la population et renseigner la population sur les objectifs et les modalités des mesures gouvernementales.

En d’autres termes, secteur privé et secteur public doivent se complémenter l’un l’autre, ce qui exigera dans bien des cas une meilleure répartition et une plus grande coordination des tâches, de façon à éviter les dédoublements coûteux et les chevauchements inutiles.

Le temps est révolu où le gouvernement et les agences privées pouvaient planifier et agir chacun pour soi, en ordre dispersé. Il y a tellement à faire que toutes les ressources et toutes les énergies disponibles doivent être utilisées au maximum. Nous ne sommes pas des concurrents, mais des partenaires. J’ai pour ma part la plus grande admiration pour tous les citoyens charitables et éclairés qui, au milieu de leurs affaires ou de leurs occupations professionnelles, consentent à se dévouer bénévolement au sein de vos fédérations, de vos conseils et même de certains organismes publics de bien-être. Ceux-là – et je sais qu’il y a un grand nombre parmi vous qui m’écoutez en ce moment – ne se contentent pas de donner de l’argent; ils donnent en plus de leur temps, de leur expérience, de leur savoir-faire; ils se donnent eux-mêmes et agissent, à l’intérieur des structures sociales, comme un levain dans la pâte.

Je dois aussi rendre hommage aux entreprises industrielles et commerciales qui en plus de fournir, par leurs impôts, une grande part des revenus de l’État, participent encore avec tant de générosité au succès des multiples campagnes de souscription organisées dans nos villes et nos régions. Parce qu’ils sont fécondés par tant de dévouement et appliqués, directement à la solution de problèmes bien définis et bien localisés, ces dons ont une efficacité et un rendement social qu’ils n’auraient certainement pas s’il fallait les remplacer par d’autres impôts.

Puisque nos objectifs sont les mêmes, sachons nous épauler mutuellement et concerter nos efforts afin de réduire d’une façon méthodique et d’éliminer si possible les zones de misère, de pauvreté et de sous-développement qui freinent les progrès de la collectivité et constituent une sorte de scandale dans une société d’abondance comme la notre.

Tous ensemble, mettons-nous à la tâche pour construire un monde plus juste plus fraternel et plus humain.

[QJHNS19670211]

[DECLARATION DE DANIEL JOHNSON, PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CEREMONIE D’INAUGURATION DES PREMIERS JEUX D’HIVER À QUEBEC LE SAMEDI 11 FEVRIER 1967]

Le thème des Premiers Jeux d’Hiver est « L’unité par les sports ». Il s’agit là d’un thème approprié, convenant bien à une année historique comme celle que nous vivons maintenant.

Les Canadiens, aujourd’hui, s’interrogent sur leur unité. Cette préoccupation est saine car elle permettra de reconstruire le pays sur des bases plus conformes aux aspirations profondes des deux grandes communautés qui vivent sur notre territoire.

Mais de quelle unité doit-il s’agir? Peut-être est-il bon d’indiquer comment, nous du Québec, comprenons cette unité?

Disons, tout d’abord, qu’il ne peut être question d’uniformité, ou d’assimilation. Bien entendu, la façon la plus efficace d’assurer l’unité est de faire disparaître les différences. Mais ce serait là une unité malheureuse, à laquelle d’ailleurs le Québec n’a jamais pu ni ne pourra jamais souscrire.

Je crois plutôt que nous devons rechercher à instaurer une telle unité par l’harmonie, par ce même genre d’harmonie qui existe entre les membres d’une équipe sportive victorieuse.

Les Canadiens, puisqu’ils vivent sur un même territoire, sont appelés à faire équipe, qu’ils le veuillent ou non. Ils sont interdépendants. Il nous faut donc dorénavant nous efforcer d’introduire, dans cette équipe, une harmonie qui sera fondée à la fois sur l’unité des objectifs généraux et sur la diversité des moyens et des techniques employées pour atteindre ces objectifs.

La majorité des Québécois souhaitent demeurer canadiens, mais veulent le faire comme Canadiens d’expression et de culture française. Ils désirent également, comme groupe, disposer des moyens d’affirmation collective nécessaires.

Ils veulent, en somme, que soit instaurée, entre la nation qu’ils forment au sens sociologique et le Canada d’expression anglaise, une égalité sans laquelle l’harmonie ne pourra jamais vraiment exister.

[QJHSN19670213]

[CONGRES ANNUEL DE L’ASSOCIATION QUEBECOISE DES TECHNIQUES DE L’EAU LUNDI », 13 FEVRIER 1967]

Vous avez invité le premier ministre à prendre part à vos délibérations pour qu’il s’intéresse, encore plus que d’habitude, à vos travaux. Permettez que je vous dise, en retour, que le législateur a à apprendre de ceux qui bâtissent notre pays. De ceux qui sont les artisans de notre époque.

Mes collègues et moi-même constituons, en effet, « votre » gouvernement. Vous constituez, avec d’autres groupes, les forces vives de la nation. Par votre volonté et à l’aide de vos conseils, nous dirigeons l’État. Mais l’État, dans son ensemble, c’est vous tout comme nous. C’est l’expression politique de la communauté dont vous faites partie.

Votre association est un organisme relativement jeune. Le gouvernement actuel l’est encore davantage. Mais ce jeune et encore nouveau gouvernement doit résoudre les problèmes qui ne se posaient même pas en 1958 et en 1959.

La Direction générale des eaux du ministère des Richesses naturelles n’existe que depuis 1961. Elle est née un peu avant votre association mais, au fait, l’une et l’autre sont contemporaines. On peut dire que l’une et l’autre correspondent largement aux mêmes besoins.

La Direction générale des eaux a été créée pour mieux assurer la conservation, la mise en valeur et l’exploitation des ressources hydrauliques; c’est une de ses principales raisons d’être. Or ces buts ne sont-ils pas aussi ceux que votre Association cherche à atteindre?

Nous, du gouvernement, vous, de l’Association québécoise des techniques des eaux devons donc travailler en commun. Vous avez besoin du gouvernement. Le gouvernement a besoin de vos conseils. Le gouvernement, l’administration pourraient sans doute agir plus vite sans vos conseils. Peut-être plus vite, mais pas aussi sûrement.

Vous nous expliquez votre point de vue. Vous nous suggérez des solutions. Les représentants d’autres corps intermédiaires nous font aussi connaître leur façon de voir. C’est à nous de faire le point.

Votre Association est québécoise. Vos tâches s’exercent donc sur ce continent où les frontières sont pas mal plus des traits d’union que des obstacles. Les eaux de nos rivières et de nos fleuves coulent souvent d’une province à l’autre. Parfois d’un pays à l’autre.

Elles unissent les pays et en même temps elles enrichissent les patries.

Les. eaux constituent, peut-être, la plus grande de toutes nos richesses naturelles. Il va de soi qu’une grande masse de nos eaux nous vient d’ailleurs que de chez nous. Mais elles coulent chez nous avant d’atteindre la Mer.

Or nous entendons demeurer propriétaires de ces eaux qui coulent chez nous. Propriétaires aussi du sous-sol que recouvrent ces eaux.

Cette volonté s’exprime dans tous les domaines de la juridiction de « votre » gouvernement. Nous collaborerons d’autant mieux avec nos voisins que nous serons véritablement maîtres chez nous.

Ce désir de collaborer, nos eaux dont vous êtes les techniciens et dont nous sommes les tuteurs en deviennent le vivant symbole. Car nous n’avons pas plus le droit de dilapider nos richesses naturelles que le père de famille n’a le droit de dilapider l’héritage qu’il a reçu des ancêtres et qu’il devra léguer à ses enfants. Mais « on » n’a pas le droit non plus de tarir les sources d’où viennent les eaux qui alimentent nos rivières, qui animent nos industries, qui font nos terres arables. Nous n’avons, par ailleurs, pas le droit d’abuser de nos eaux sous prétexte qu’elles seraient inépuisables.

Sans doute l’État du Québec est-il abondamment pourvu de cette grande richesse que sont nos eaux. Mais la répartition géographique des Québécois et des centres industriels du Québec crée, déjà, dans la zone méridionale de notre province, certains problèmes d’approvisionnement.

Si nous ne ménageons pas avec intelligence nos eaux, si nous en abusons, si nous les gaspillons sans compter, et surtout sans prévoir, nos eaux ne constitueront peut-être pas toujours une richesse inépuisable. Je n’ai pas à vous apprendre que l’on peut, en avion, déceler des traces de ce qui fut jadis tout un réseau de rivières et de fleuves à l’endroit du Sahara d’aujourd’hui.

Sans doute n’aurons-nous jamais à déplorer un tel état de choses au Québec. N’empêche qu’il a failli se produire dans les plaines de l’Ouest du Canada et des États-Unis au cours de la sécheresse des. années 20.

La Direction générale des eaux prévoit que si la population, l’industrialisation et le niveau de vie au Québec continuent à croître au rythme actuel, nos besoins en eau doubleront d’ici 20 ans. Lorsque le Québec était un territoire essentiellement agricole, il ne se posait à peu près pas de problème de pénurie des eaux. Mais il n’en est plus de même aujourd’hui.

Quoique ministre des Richesses naturelles et ancien ministre des Ressources hydrauliques, j’ai relu avec étonnement qu’il faut dans une usine de pâte à papier 40000 gallons d’eau pour produire une seule tonne de papier-journal. Soit des millions de gallons pour permettre d’imprimer les éditions quotidiennes d’une seule journée dans la seule ville de Montréal.

On utilise 14000 gallons d’eau pour produire une seule tonne d’acier.

On utilise 500 gallons d’eau pour produire dans nos raffineries un seul gallon d’essence. Je ne chercherai pas à multiplier par 500 le nombre de gallons que l’on brûle, chaque jour, dans les automobiles du Québec. J’avoue que ces chiffres me font perdre le sens des proportions.

La demande d’eau, aujourd’hui au Québec, est encore bien inférieure à la capacité d’approvisionnement de notre territoire. La demande globale est inférieure à la capacité globale d’approvisionnement. Mais il faut tenir compte du fait que les sources de nos eaux se trouvent partout au Québec alors que la masse de la population et les grands centres industriels sont groupés surtout dans la zone méridionale.

S’il fallait que la consommation double en 20 ans, comme prévu, il faut que les techniciens do votre Association et les ministres de « votre » gouvernement se préparent, dès aujourd’hui, à faire face aux problèmes qui surgiront dans un cinquième de siècle, et peut-être plus vite encore si l’on songe au problème crucial de la pollution des eaux.

Les techniciens de la Direction générale des eaux s’efforcent d’évaluer le potentiel de nos sources d’approvisionnement. De voir à ce que cet approvisionnement soit exploité avec intelligence. De voir à ce que l’on évite, à tous les niveaux, le gaspillage toujours inutile et toujours stérile. Encore faut-il qu’ils puissent s’appuyer sur une législation adéquate.

Or, la loi du régime des eaux courantes, adoptée par la législature de Québec en 1918, est presque la même aujourd’hui qu’il y a 49 ans.

On l’a amendé par-ci par-là. Mais à une exception près, ce ne furent que des amendements de détails. Tant et si bien qu’elle est complètement à refaire.

II faut d’abord que l’on assure une fois pour toutes au ministère des Richesses naturelles un meilleur contrôlé sur les cours d’eau domaniaux et autres. Le ministère des Richesses naturelles est tuteur de nos eaux. Il est dans l’ordre que la loi confère au tuteur le pouvoir de défendre les droits de la personne morale dont il est le représentant.

Il faut que la loi défende l’empiétement auquel se livrent les riverains de nos lacs et de nos rivières. Le ministère doit pouvoir exproprier pour agir plus rapidement et permettre l’exécution des travaux qui s’imposent. Dans le cas par exemple où il faut construire des barrages.

L’an dernier, les membres de votre Association présentaient un mémoire au gouvernement pour recommander que l’on codifie toutes les lois du Québec relatives à l’eau. C’était en quelque sorte demander un Code des eaux comme il y a un Code de la route, un Code du travail et un Code civil.

Cette suggestion était fort heureuse et l’on est en train de l’étudier au mérite.

Grâce à un Code des eaux, la loi deviendrait plus facile à comprendre. Elle deviendrait aussi plus facile à appliquer, il serait alors possible d’élaborer une politique globale de l’administration des eaux. Et sans doute est-il à souhaiter que l’on groupe un jour tous les services de l’État qui se rapportent à cette ressource vitale.

Je ne voudrais pas conclure avant de connaître tous les résultats des études qui découlent des suggestions de votre mémoire de l’an dernier. Vous avez permis au gouvernement d’élargir ses horizons.

Le premier ministre vous en remercie.

Le projet de Code des eaux nous fait mieux comprendre que si l’État a des devoirs, dont celui d’administrer le plus efficacement possible la chose publique, il a, par ailleurs, des droits qui ne sont pas ceux des ministres personnellement mais bien les droits de la collectivité toute entière.

La Direction générale des eaux a le devoir de veiller à ce que les sources d’approvisionnement ne tarissent pas. À ce devoir correspond un droit: celui de permettre ou de défendre de puiser à telle ou telle source. Si ce devoir et ce droit n’existaient pas, la situation pourrait devenir nettement anarchique et toute la communauté québécoise en souffrirait.

Aussi la Direction générale des eaux se propose-t-elle d’entreprendre, au cours de la prochaine année budgétaire le dénombrement des barrages construits pour emmagasiner l’eau et assurer avec, systèmes d’aqueducs une alimentation uniforme. La section sept de la loi du régime des eaux courantes lui permet d’exécuter ce travail. Les événements l’y obligent.

La loi du régime des eaux courantes ne permet pas aux conseils municipaux de procéder à la construction de barrages et autres ouvrages nécessaires à l’emmagasinement des eaux pour alimenter les systèmes d’aqueducs sans avoir d’abord – je dis bien, d’abord – obtenu l’approbation du cabinet. Or, les conseils municipaux ne tiennent, en général, aucun compte de cet article de la loi. On soumet les plans à la Régie des eaux afin d’obtenir les emprunts nécessaires à la réalisation des projets, mais c’est tout. S’il est vrai que la Régie a juridiction première pour la qualité, des eaux, reste que la Direction des services hydrauliques du ministère des Richesses naturelles est gardienne du droits de l’État sur les cours d’eau.

La Direction doit veiller à ce que l’on observe la loi du contrôle des eaux courantes. Elle doit assurer le travail de conservation, de mise en valeur et d’exploitation rationnelle de nos ressources.

J’insiste sur le fait que les dirigeants des conseils municipaux qui projettent de construire des barrages éviteraient bien des retards inutiles s’ils soumettaient leurs plans du même coup au ministère des Richesses naturelles et à la Régie des eaux. Les ingénieurs-conseils qui préparent ces plans rendraient bien service aux administrations municipales s’ils leur suggéraient d’agir en conséquence.

La conservation des richesses naturelles n’est pas uniquement l’affaire des administrateurs de l’État. C’est l’affaire de tout le monde. C’est l’affaire de la communauté québécoise. C’est particulièrement votre affaire à vous, membres de l’Association québécoise des techniques de l’eau.

J’estime donc que ce n’est pas vous imposer des contraintes, que ce n’est pas verser dans le dirigisme que de faire appel à votre instinct de conservation. Ce n’est pas imposer des contraintes que de défendre les droits de la communauté québécoise en imposant des devoirs à ceux qui empêchent, volontairement ou non, l’exercice de ces droits. Il y a eu de dangeureux accidents: vous le savez.

Ce n’est pas tout de faire des enquêtes. De noter ce qui aurait dû être fait avant que le malheur ne se produise. De déterminer le rôle des uns et des autres dans le déroulement de la tragédie. La meilleure façon d’enrayer le mal, c’est de le prévenir lorsqu’il est encore temps de le faire.

N’allons surtout pas, puisque l’on parle ainsi, confondre l’immobilisme avec ce que Raimbeau appelait « une ardente patience ». Au Québec, à l’heure actuelle il faut faire vite et bien.

Qui donc rappelait cette parole qu’il attribuait au maréchal Lyautey disant à son chauffeur: « Je suis trop pressé pour que vous alliez vite ».

Ce n’est pas faire vite que de faire mal. Ce n’est pas bien faire que d’agir sans savoir où l’on va… Comme le maréchal Lyautey, nous sommes trop pressés, il y a trop à faire dans le Québec moderne pour que nous puissions nous permettre d’agir sans avoir consulté, dialogué, planifié. Continuez à approfondir les problèmes et de chercher des solutions dans l’optique d’un bien commun qui n’est pas seulement l’affaire de l’UDLAT, mais l’affaire de tous.

Nous avancerons d’autant plus vite que notre route aura été mieux éclairée par la réflexion et l’exercice d’une authentique démocratie.

[QJHNS19670226]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON DINER-BENEFICE DE L’UNION NATIONALE HOTEL REINE-ELIZABETH Montréal, 26 février 1967 ]

En vous retrouvant ce soir, si nombreux et si enthousiastes, j’ai la curieuse impression d’être revenu douze mois en arrière. Le 27 février 1966, il y a donc un an presque jour pour jour, nous étions ici, dans cette même salle. Vous étiez venus, comme aujourd’hui, offrir à votre parti le concours de votre présence, de votre entrain et de vos deniers. Vous nous avez fait, à ce moment-là, à madame Sauvé, aux organisateurs de la fête, aux parlementaires du parti et à moi-même, un accueil que jamais je ne pourrai oublier et qui était comme le prélude et le gage d’une victoire prochaine.

Mais je me souviendrai toujours aussi de ce qui s’est passé en Chambre quelques jours plus tard. Brandissant une copie du journal Le Temps où apparaissait une photo de cette extraordinaire démonstration, monsieur Lesage, avec les « insuffisances » que tous lui connaissent, nous interpella en disant: « C’est avec ça que vous allez nous battre? »

Eh bien! oui, monsieur Lesage. C’est avec cet entrain, cette ferveur collective, cet esprit d’équipe; c’est avec cette volonté de servir qu’illustrait si bien notre ralliement de février 1966 que l’Union Nationale vous a battu.

Et c’est avec les mêmes armes qui attiraient l’an dernier vos sarcasmes que nous vous battrons encore dans quatre ans, pas avant, puisqu’il n’y a aucune raison au monde, du moins je n’en vois aucune dans le moment, pour qu’il y ait d’autres élections générales avant quatre ans.

Ménagez donc votre souffle et vos forces, monsieur Lesage. Vous avez une longue route à parcourir. Aux dernières élections, vous êtes parti une semaine et demie avant nous et nous étions les premiers au fil d’arrivée. Imaginez-vous ce qui vous attend si vous partez quatre ans plus tôt!

Le climat que je retrouve ici ce soir est bien le même qui régnait lors de notre rencontre d’il y a un an. Je reconnais aussi les mêmes visages, sauf qu’il s’en est ajouté d’autres. Non seulement nos soutiens de l’an dernier nous sont-ils restés fidèles, mais ils ont pratiqué avec bonheur l’art de recruter d’autres amis. L’Union Nationale est un parti en pleine croissance.

Les mauvaises langues diront que c’est parce qu’elle est au pouvoir, mais ce ne sera qu’une calomnie de plus. Depuis le 16 juin dernier, je n’ai pas été le premier ministre d’un groupe ou d’un parti seulement, mais de toute la communauté québécoise,

Ceux qui nous ont combattus aux dernières élections, ceux, moins nombreux de jour en jour, qui nous combattent encore, n’en sont pas moins des citoyens à part entière. Le patrimoine que nous administrons est le patrimoine de tous. Nous ne craignons pas la critique. Elle est nécessaire dans une démocratie. Au peuple de juger. Et Dieu merci, il est bon juge.

C’est d’ailleurs la première fois, depuis l’élection du 5 juin, que je participe à une manifestation de notre parti. Je n’en ai sûrement pas abusé. Le danger qui nous menace, avec tous les problèmes que nous avons reçus en héritage, ce n’est pas celui de verser dans la partisanerie ou le favoritisme, mais plutôt celui de perdre contact avec le peuple, avec ceux qui ont une connaissance concrète des problèmes parce qu’ils les vivent tous les jours.

Je vous l’ai dit l’an dernier: ce qui a fait jusqu’ici la force de l’Union Nationale, c’est d’être un parti profondément enraciné dans les couches populaires. J’en connais, et vous en connaissez aussi, qui n’ont que morgue et mépris pour ceux qu’ils appellent avec hauteur les « non-instruits ». Ceux-là ne sont pas de l’Union Nationale.

Certains députés libéraux, soi-disant de la nouvelle vague, ont même raffiné sur cette trouvaille de leur chef. Croyant sans doute faire montre de plus d’esprit et de culture, ils ont importé un autre terme méprisant pour parler du peuple: la chouannerie. Mais s’ils s’étaient donné la peine de rafraîchir leurs souvenirs historiques, ils auraient réalisé que la flèche se retournait contre leur propre parti, puisque les chouans étaient des royalistes; Comme monsieur Lesage.

Eh bien! Ce peuple qui travaille et qui paye toutes les factures, ce peuple des campagnes, des villages et des villes sur le dos de qui se font toutes les révolutions, les verbales comme les autres, ce peuple fidèle aux valeurs durables sans lesquelles il n’y aurait plus de Canada français, ce peuple a plus de sagesse, plus de bon sens, plus de courage et plus de véritable grandeur que ceux qui le méprisent.

L’Union Nationale est fière d’être issue de ce peuple-là, d’en être la voix, l’instrument, l’expression politique. S’il arrivait qu’elle perde contact avec lui, elle se trouverait coupée de ses sources et de son inspiration profonde.

Grâce à vous tous, l’Union Nationale restera à l’écoute du peuple. Elle restera sensible à ses aspirations et à ses besoins. C’est pour cela qu’elle a été fondée. C’est pour cela qu’elle est un parti totalement et exclusivement québécois. Elle manquerait à sa vocation propre si elle cessait d’incarner l’espérance collective de la communauté québécoise.

Vous êtes, vous les militants et les militantes de l’Union Nationale, les antennes grâce auxquelles les communications resteront constamment ouvertes entre gouvernants et gouvernés. Vous n’ignorez pas qu’en ce moment, pas seulement dans le Québec mais partout dans le monde, l’exercice du pouvoir est une tâche absorbante et difficile. La civilisation des loisirs, ce n’est pas pour le premier ministre, ni pour ses collègues du cabinet, ni pour les députés. Malgré tout le plaisir que nous en aurions, il est bien évident que nous ne pouvons pas communiquer quotidiennement avec tous et chacun d’entre vous.

Pourtant,il est absolument essentiel que nous maintenions nos contacts. Il faut que le courant passe, si nous voulons, comme nous l’avons promis, gouverner en pleine lumière. C’est pourquoi il est extrêmement important d’organiser et d’institutionnaliser le dialogue, d’abord au sein de l’Union Nationale, et aussi bien entendu entre l’Union Nationale et les groupements de toute nature que l’on désigne sous le nom de corps intermédiaires et qui sont, ne l’oublions jamais, les forces vives de la nation.

Il y a des libéraux, comme le député de Gouin, qui n’ont que sarcasmes et moqueries pour les corps intermédiaires. Brandissant le spectre du « corporatisme salazarien », ce nouveau chef de file de l’intelligentsia libérale a parlé l’autre jour, en Chambre, [« d’institutions plus ou moins bâtardes issues à la fois du suffrage universel et d’un corporatisme moyennâgeux paré d’une nouvelle robe, la robe des corps intermédiaires ».]

Mais les syndicats ouvriers, patronaux ou agricoles, les Chambres de Commerce, les associations professionnelles, tous ces organismes qui encadrent les citoyens pour les aider à se mieux réaliser sur tous les plans de la vie sociale, économique et politique, sont-ce là des institutions bâtardes? Sans ce réseau de corps intermédiaires responsables et libres, nous n’aurions qu’une poussière d’individus en face d’un État tout-puissant. Ce serait du socialisme totalitaire. Est-ce ce régime dépassé et discrédité partout où il a été mis à l’oeuvre que voudrait instaurer au Québec le député de Gouin?

Sans être engagés dans la politique partisane et tout en poursuivant leur mission particulière, il faut que ces groupements participent à la direction de notre vie collective. Le rôle de l’État s’est tellement accru et les exigences d’une planification véritable impliquent une telle mobilisation d’énergies et de ressources que tous les problèmes aujourd’hui débouchent sur le plan politique. Nous sommes tous des partenaires dans la construction d’un monde nouveau, que nous voulons plus humain, plus généreux, plus fraternel. Et les partis sont eux-mêmes des corps intermédiaires comme les autres, sauf qu’ils sont engagés plus directement dans l’action politique, qui est leur domaine propre. Il est donc normal qu’ils soient présents partout ou l’on veut échanger des vues sur la politique, que ce soit à l’échelle du comté, de la région ou de l’ensemble du Québec.

Je n’ai pas besoin de vous rappeler, du reste, comment nous avons sollicité et obtenu la coopération efficace d’un grand nombre de corps intermédiaires, d’abord au moment de nos assises de mars 1965, puis dans l’élaboration de notre programme.

Plusieurs de ceux qui ont ainsi répondu à notre appel étaient probablement des adversaires politiques. Nous avons respecté leur liberté. Nous ne leur demandions pas de nous prêter leur concours dans un but électoral, mais de participer avec nous à la recherche du bien commun, qui n’est pas seulement l’affaire des hommes politiques, mais l’affaire de tous.

Ils nous ont aidés de leurs critiques et de leurs suggestions. Ils nous ont dit parfois de rudes vérités que nous avons prises en bonne part et dont nous avons fait notre profit. Ce fut, je dois le dire, l’une des expériences les plus enrichissantes qu’il m’ait été donné de vivre.

Maintenant que le moment est venu d’appliquer ce programme, j’ose espérer que la même coopération se poursuivra, et qu’elle se poursuivra sur la même base, c’est-à-dire dans le respect intégral des libertés de chacun et dans l’unique ambition d’accélérer le progrès de la communauté québécoise.

Cette coopération est même plus nécessaire que jamais, car un programme qui fut communautaire dans sa conception ne peut être pleinement réalisé que par une action également communautaire.

On a écrit qu’avec le coup de barre du 5 juin dernier, les corps intermédiaires s’étaient en quelque sorte rapprochés du pouvoir. Je crois que c’est rigoureusement exact. Et il faut qu’il en soit ainsi. Il faut que, sans renoncer à leur indépendance, les corps intermédiaires participent à la gestion du patrimoine commun.

À moins de se contenter d’une démocratie de parade, il serait impensable, en 1967, de vouloir planifier et gouverner sans eux. Même à l’âge de la cybernétique, la politique reste la plus humaine de toutes les sciences. On ne remplacera jamais par des graphiques et des formules abstraites les rêves, les ambitions, les convictions qui font agir les hommes. On ne met pas un peuple en marche avec des ordinateurs électroniques.

Encore faut-il que les partis politiques se hâtent de repenser leur rôle et de s’adapter aux exigences de la vie contemporaine. À l’heure de la démocratie de participation, à l’heure ou l’opposition au sens le plus constructif du terme ne se fait pas surtout au Parlement, mais au sein même de la nation, il faut que les partis politiques soient structurés, organisés et outillés de façon à pouvoir engager le dialogue non seulement en Chambre, mais partout où s’élaborent les décisions qui engagent l’avenir de la collectivité.

Ce qui signifie qu’ils doivent disposer en permanence, et non pas uniquement en périodes électorales, de secrétariats bien équipés, de commissions d’étude, de services d’information et de recherches, enfin de tous les organes nécessaires pour maintenir des contacts fructueux et enrichissants avec tous les éléments de la nation.

Malheureusement, rien de cela ne peut se faire sans argent. C’est pourquoi nous avons organisé ces dîners -bénéfices, en vue surtout de financer nos secrétariats de Montréal et de Québec. Votre réponse a été vraiment splendide et je vous en remercie de tout coeur.

Même si les partis politiques doivent se transformer considérablement pour répondre à des nécessités nouvelles, il est clair qu’il subsistera toujours, entre ceux qui se disputent l’appui de l’électorat québécois, des différences profondes.

Ici même, l’an dernier, je vous avais parlé des différences de mentalité, d’orientation et d’idéologie qui distinguent l’Union Nationale, instrument politique entièrement conçu en fonction des intérêts et des aspirations du peuple québécois, du parti libéral, parti ambivalent, équivoque, qui a un . oeil sur Québec et l’autre sur Ottawa, qui ne regarde pas où il marche et qui ne marche pas où il regarde, et qui n’est d’ailleurs qu’une collection d’éléments disparates, n’ayant comme dénominateur commun qu’une vieille tradition aristocratique et autocratique.

Or, ce qui s’est produit depuis un an n’a fait que confirmer ces différences profondes entre les deux partis. Nous avons eu, comme vous savez, une campagne électorale. Dès le début, j’ai dit que l’Union Nationale ferait la lutte avec des idées, non pas avec des scandales et des injures. Et nous avons tenu parole. Nous avons fait une campagne propre et digne.

Vous n’avez pas vu le chef de l’Union Nationale, ni aucun de nos candidats, répandre le fiel et l’invective à l’endroit des adversaires, sermonner les présidents d’assemblées, faire des colères noires et inviter même les auditeurs à venir se battre sur l’estrade. Les incidents de ce genre se sont produits dans l’autre camp et non pas dans le nôtre. Étant issus du peuple, nous avons, nous, d’instinct, le respect du peuple. Ce n’est pas dans notre mentalité de nous gourmer, de plastronner, de jouer les empereurs.

La politique n’est pas une affaire de fanfaronnade, mais une affaire de réflexion et de jugement. C’est la recherche et la réalisation du bien général. Les gestes théâtraux, les enflures verbales, les gros mots, tout cela détonne dans notre siècle d’efficacité. Ce sont des spectacles qui ne règlent rien et qui n’amusent personne.

Après le dépouillement du scrutin, vous avez pu constater un autre contraste bien marqué dans les attitudes des deux partis. En 1962, nous avions accepté notre défaite de bonne grâce, avec bonne humeur, nous empressant même de féliciter les vainqueurs et de leur souhaiter un mandat fructueux pour le plus grand bien du Québec. C’était une réaction de vrais démocrates, heureux de se soumettre, quoi qu’il arrive, à la volonté populaire.

Vous avez vu et entendu monsieur Lesage, le soir du 5 juin? Vous savez ce qu’ils ont dit, lui et ses pareils, dans les jours et les semaines qui ont suivi? Ils n’ont pas encore digéré leur défaite. Ils n’ont pas encore pardonné au peuple le verdict qu’il a rendu. Après avoir cherché des boucs émissaires et blâmé à peu près tout le monde, même le clergé, ils se sont mis finalement à se chicaner, à se blâmer les uns les autres.

Voilà encore une différence bien tranchée entre les deux partis. Notre défaite de 1962 nous avait laissés unis comme toujours parce que l’Union Nationale est une équipe rassemblée par des idées communes, des convictions communes, des aspirations communes. Mais le parti libéral d’aujourd’hui n’est plus qu’un assemblage d’intérêts disparates. Seul le pouvoir pouvait leur donner une certaine apparence de cohésion. Ce lien étant disparu, il était fatal qu’ils se mettent à se disputer entre eux. Vous avez vu ce que cela a donné lors du récent congrès de la fédération libérale.

Autre contraste. Tous les fonctionnaires qui étaient en place à ce moment-là se souviennent du climat d’inquisition et de terreur qui a régné au Parlement dans les jours qui ont suivi l’accession des libéraux au pouvoir en juin 1960. Il y avait des policiers à toutes les portes pour fouiller les serviettes. Ce n’était d’ailleurs que le début d’une campagne de délation et de salissage qui devait montrer à la face du Québec et de tout le pays la conception que ces gens-là se faisaient d’une politique de grandeur. Des centaines et des milliers d’employés furent jetés sur le pavé. Des membres de commissions importantes apprenaient par les journaux qu’ils n’étaient plus en fonction.

Rien de tel ne s’est passé après le 5 juin. Pas de guillotine, pas de vengeances partisanes, pas d’enquêtes sur la place publique, pas de démolition. Nous avons été élus pour construire, pour mettre de l’ordre et du bon sens dans l’administration du Québec. Et c’est ce que nous faisons.

Au début, il nous a fallu réparer bien des pots cassés. Je n’ai pas besoin de vous rappeler tous les problèmes qui nous ont été laissés en héritage. Nous en avons déjà réglé plusieurs. Il en reste. Et même si nous avons quatre ans pour appliquer notre programme, vous verrez, dès les prochaines semaines, que nous n’avons pas perdu notre temps.

Sous l’Union Nationale, il y aura sûrement moins d’éclats de voix, moins de gestes théâtraux, moins de vantardises que sous l’administration précédente. Mais il y aura aussi plus d’action en profondeur, plus de maturité, plus de discipline et plus de véritable démocratie.

Nous voulons tous un Québec fort, libre et prospère. Nous y arriverons en travaillant non pas les uns contre les autres, mais les uns avec les autres, dans un véritable esprit communautaire.

Dimanche prochain, à Québec, j’aurai l’occasion de parler de l’orientation du parti, de ses structures, de son plan et de ses moyens d’action.

QJHNS19670305]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON DINER-BENEFICE DE L’UNION NATIONALE CHATEAU FRONTENAC Québec, 5 mars 1967 ]

L’Union Nationale est décidément un grand parti. Ce n’est pas étonnant puisqu’elle est, plus que jamais, le parti du peuple. Comme la semaine dernière à Montréal, vous avez voulu, à Québec, fracasser tous les records d’assistance. Vous avez fait de ce ralliement le plus gigantesque du genre qui se soit encore vu dans les annales politiques de notre capitale.

Votre mérite est d’autant plus grand que vous êtes venus ici non pas pour recevoir, mais pour donner, pour aider au financement de votre parti. Transposant dans notre contexte la si belle formule de John F. Kennedy, vous ne vous êtes pas demandé ce que le Québec pouvait faire pour vous, mais ce que vous pouviez faire pour le Québec.

Voilà bien la vraie grandeur. Je l’ai toujours dit: la grandeur ne saurait être nulle part si elle n’était d’abord dans le peuple, dans sa volonté de servir, dans son acharnement au travail, dans son ambition de construire un Québec toujours plus beau, plus uni et plus fort. Pendant que d’autres partis parlent de démocratiser leurs finances, vous de l’Union Nationale, vous agissez.

Pendant que d’autres font des thèses, vous faites des chèques. Et il n’y a dans cette opération rien de clandestin, rien de suspect, rien qui soit de nature à entraver la liberté du parti ou du gouvernement.

Ce n’est pas de l’argent qui vient de puissances occultes; c’est de l’argent qui vient du peuple, c’est-à-dire de milliers et de milliers de souscripteurs de toutes les régions du Québec et de tous les secteurs de la population; de l’argent qui permettra à l’Union Nationale de rester au service du peuple, de n’avoir pas d’autre maître que le peuple.

C’est une méthode de financement tellement ouverte, tellement démocratique, que même des libéraux nous apportent, en grand nombre, leur souscription. Je les remercie d’avoir si bien compris le sens de nos efforts et leur souhaite la plus cordiale bienvenue parmi nous. Je suis sur qu’ils s’y sentiront parfaitement à l’aise.

Car des libéraux, il y en a toujours eu dans l’Union Nationale. Notre parti qui est loin d’être un vieux parti puisqu’il n’a été fondé qu’en 1936, est issu d’une alliance entre des libéraux dissidents qui s’étaient d’abord groupés dans l’Action Libérale Nationale, des conservateurs québécois qui avaient rompu toute attache avec les partis fédéraux en ce qui concerne la politique provinciale et un fort groupe de nationalistes indépendants. Quelques années plus tard, une grande partie des effectifs qui avaient formé le Bloc Populaire après la deuxième guerre mondiale vinrent encore grossir nos rangs.

Qu’est-ce qui pouvait unir ainsi des gens venus d’horizons politiques si divers? Deux choses: une même pensée sociale, vouée à la promotion des masses ouvrières et agricoles; et une même pensée nationale, centrée sur la conquête d’une plus grande autonomie politique pour le Québec. Comme je le disais lors du débat sur l’Adresse, les unions solides et durables ne sont pas celles qui se font contre quelqu’un ou contre quelque chose, mais celles qui se constituent pour un idéal, pour une cause, pour une communauté québécoise.

Voilà pourquoi il y a place, dans l’Union Nationale, pour tous les vrais Québécois, sans distinction d’étiquette politique. Que vous soyez libéraux, conservateurs, créditistes ou néo-démocrates à Ottawa, cela ne changera rien à l’accueil qui vous sera fait dans un parti totalement et exclusivement consacré au service de la population du Québec.

C’est votre instrument politique et il importe que vous en restiez les seuls inspirateurs et les seuls maîtres. À vous par conséquent de lui fournir les directives, les appuis et aussi les fonds dont il a besoin pour bien remplir son rôle. La démocratisation véritable est à ce prix. Un parti qui veut faire la politique du peuple doit être financé par le peuple.

Je sais que vous comprenez tout cela, comme le démontre la réponse magnifique que vous avez faite à notre appel. Je vous en félicite et vous en remercie.

Les partis politiques sont des rouages essentiels de notre société. Je ne vois pas comment notre système parlementaire pourrait fonctionner sans eux. Par ailleurs, je ne vois pas non plus comment un parti qui se veut démocratique, qui se veut l’expression de la volonté populaire, pourrait se financer autrement que par des souscriptions populaires. En vertu d’une loi pour laquelle nous avons voté et que nous avons même contribué, par nos amendements, à rendre aussi équitable que possible à l’endroit de tous les partis politiques, une certaine proportion des dépenses électorales est maintenant payée à même les fonds publics. C’était une première façon d’assurer aux partis une plus grande mesure d’indépendance.

Mais il n’y a pas que les dépenses électorales. Comme je le disais la semaine dernière à Montréal, un parti qui veut maintenir ses contacts avec la population et participer, comme c’est son rôle, à l’analyse et à la solution des problèmes d’intérêt commun doit disposer en permanence de secrétariats bien équipés, avec tous les services de documentation et de recherche qui lui sont nécessaires pour animer le travail de ses commissions d’étude et de ses associations locales ou régionales. Ce qui ne peut se faire sans un certain budget annuel. Bien des légendes ont circulé et circulent encore au sujet du financement des partis politiques. On croit aisément que les partis sont riches, que l’argent leur vient comme par enchantement et qu’ils peuvent même se permettre de faire des largesses aux autres. La réalité, du moins en ce qui concerne l’Union Nationale, est beaucoup moins rose.

Un parti n’a pas de revenus, du moins au sens que l’on donne habituellement à ce terme. Il n’a que des dépenses. Et pour rencontrer ces dépenses, il ne peut compter que sur la générosité des amis de la cause. Ce n’est pas drôle de toujours demander. En période électorale, on peut au moins tabler sur un surcroît de ferveur de la part des militants. Mais une fois dissipées les fumées de la bataille, c’est beaucoup plus dur de revenir à la charge. La tentation est alors grande de mettre en veilleuse, faute de fonds suffisants, les mécanismes les plus propres à maintenir et à stimuler au sein du parti l’esprit de recherche qui lui est nécessaire pour trouver des solutions neuves et rester a l’avant-garde de la pensée politique.

Or, c’est justement en dehors des périodes électorales qu’un parti peut le plus efficacement, dans le calme et la réflexion, approfondir sa doctrine et l’adapter aux réalités nouvelles.

La conquête du pouvoir n’est pas une fin en soi. Ce n’est qu’un moyen de mettre en oeuvre les politiques ordonnées au bien général. La conception et la mise au point de ces politiques est une oeuvre de longue haleine, qu’un parti doit poursuivre en permanence, de concert avec toutes les forces vives de la nation. Si donc on tient à bon droit les dépenses électorales comme essentielles au bon fonctionnement de notre régime démocratique, au point d’accepter le principe d’en faire assumer une partie par l’État, a plus forte raison doit-on considérer comme des contributions au bien commun les sommes que vous mettez volontairement à la disposition de votre parti pour lui permettre de remplir son rôle avec un maximum de compétence et d’efficacité. Et je me demande pourquoi on ne pourrait pas permettre aux citoyens de déduire de leur revenu imposable, les sommes qu’ils versent ainsi au parti de leur choix. C’est une suggestion que j’ai maintes fois faite en chambre depuis cinq ans.

Il y aurait lieu, bien sûr, de limiter à un certain montant les dons qui pourraient être ainsi déduits du revenu imposable. Ce qui aurait pour résultat d’étayer encore davantage l’indépendance des partis politiques, en les faisant bénéficier de souscriptions plus nombreuses et plus diversifiées. On respecterait ainsi la liberté du citoyen.

En attendant, je vous engage à faire le nécessaire pour garder vos associations bien vivantes. Non pas parce que nous aurons des élections bientôt, comme monsieur Lesage s’obstine à le répéter, mais parce qu’il est nécessaire que nous gardions en tout temps des liens directs et suivis avec nos militants de tous les comtés, y compris bien entendu les dames et les jeunes.

Je ne sais pas pourquoi monsieur Lesage parle constamment d’élections. C’est peut-être parce qu’il m’en veut d’avoir annoncé avant lui celles du 5 juin dernier. Vous devez vous en souvenir, puisque c’est justement à vous, de la région de Québec, que j’avais offert ce « scoop », cette primeur, alors que nous étions réunis à La Bastogne dans une circonstance analogue à celle d’aujourd’hui, le 6 mars 1966.

« Monsieur Lesage, « avais-je dit textuellement, « cherche désespérément le prétexte qui, bien claironné par la fanfare de sa propagande, pourrait lui permettre de déclencher des élections hâtives avant même la fin de la présente session, vu que les choses se gâtent très rapidement pour son régime et que le moral de ses troupes baisse de semaine en semaine ».

À son retour de Floride, quelques semaines plus tard, monsieur Lesage confirmait cette prédiction et annonçait la dissolution des Chambres alors que le budget n’était même pas voté. Si bien que pour la seconde fois consécutive, il s’avouait incapable de remplir tout son mandat.

Le mandat normal d’un gouvernement est de quatre sessions annuelles. Il peut même à la rigueur en comprendre cinq. Élu pour la première fois en 1960, le gouvernement Lesage démissionnait en 1962, après seulement deux sessions régulières. Réélu en 1962 grâce à des stratagèmes dont vous vous souvenez, il a démissionné de nouveau bien avant d’avoir complété sa quatrième session. De sorte qu’il n’a complété que cinq sessions régulières en deux mandats. Monsieur Godbout en avait fait autant en un seul mandat.

Si monsieur Lesage tient à annoncer des élections tant que nous n’aurons pas décidé d’en faire, il en a encore pour plus de trois ans à répéter la même chose.

Pourquoi donc ferions-nous des élections? Chaque fois qu’il se prend un vote en Chambre, nous avons des majorités plus considérables que celles que récoltait le gouvernement de 1944 à 1948. On se souvient – de l’opposition numériquement très forte de cette période. Elle comptait six ou sept vedettes du gouvernement Godbout. Elle était verbeuse. Elle tempêtait, vociférait, accusait. Elle paraissait quelques fois menaçante. Des nationaux pessimistes se demandaient comment monsieur Duplessis – arrivé au pouvoir avec 38.6 % seulement du vote — pourrait survivre. Et pourtant, vous vous souvenez de 1948? 82 U. N., 8 libéraux, 2 indépendants.

Après avoir répété 1944, nous est-il défendu d’espérer répéter 1948? NON de NON. Avec notre équipe de 36 nouveaux députés, tous les espoirs sont permis.

Mais ce n’est pas une raison pour que nous négligions de maintenir et de parfaire les structures que nous avions si soigneusement édifiées depuis 1961 et en particulier lors de nos assises de mars 1965. Au contraire, je dirai que la faiblesse de l’opposition actuelle nous fait un devoir de renforcer davantage nos cadres; car les idées neuves, les suggestions constructives que nous ne pouvons pas attendre de ceux qui siègent en face de nous, il nous faudra aller les chercher dans le peuple, auprès de ceux qui travaillent, qui réfléchissent et qui ont vraiment la passion du bien commun.

Dès que nous aurons un peu de répit, nous convoquerons les membres du Conseil National en journée d’étude, afin de faire ensemble une revue de la situation et d’aviser aux retouches qui pourraient être apportées aux structures ou à la constitution du parti.

À vous d’entreprendre dès maintenant le travail de base qui vous permettra d’apporter à cette réunion une contribution positive.

[QJHSN19670320]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DEVANT LES MEMBRES DU CANADIAN CLUB DE TORONTO LUNDI, LE 20 MARS 1967.]

Il y a huit jours, j’avais l’honneur de présider l’inauguration de trois nouvelles autoroutes, dont deux reliant le Québec à l’Ontario, ainsi que d’un pont-tunnel qui franchit le Saint-Laurent entre l’île de Montréal et la rive sud et qui constitue l’un des chaînons les plus vitaux de la route Trans-canadienne.

Vous serez peut-être étonnés d’apprendre qu’à ce pont-tunnel, qui est l’ouvrage de béton précontraint le plus considérable au monde, nous avons donné le nom d’un ancien député de York. Il s’appelait Louis-Hippolyte Lafontaine.

Aux élections générales de 1841, les premières qui aient été tenues sous le régime constitutionnel de l’Acte d’Union, Lafontaine, qui était le chef des réformistes du Bas–Canada, avait été défait dans le comté de Terrebonne. Puis comme, son ami Robert Baldwin, chef des réformistes du Haut-Canada, avait été élu dans deux comtés, ceux de Hastings et de York. Baldwin demanda, à ses amis de York de choisir Lafontaine à sa place, ce qu’ils firent avec empressement.

Quelque temps après, Baldwin ayant été défait à son tour dans sa propre circonscription, Lafontaine lui rendit la politesse en le faisant élire par acclamation député de Rimouski. Comme vous le savez tous, c’est de l’alliance des réformistes du Haut et du Bas-Canada, scellée par cet échange de bons procédés, que devait sortir le gouvernement responsable.

Il m’est particulièrement agréable de rappeler ces faits devant les descendants des électeurs de Louis-Hippolyte Lafontaine. Comme je le disais lors de la cérémonie de samedi dernier, les nouvelles autoroutes québécoises, dont l’une nous rapproche d’Ottawa et l’autre de Toronto, ne peuvent que renforcer les liens historiques qui nous unissent déjà à nos principaux voisins. J’ajoutais textuellement ceci:

« Ce réseau démontre que si le Québec tient à rester fidèle à sa culture et à son destin propre, ce n’est pas pour se replier dans un isolement orgueilleux et stérile, mais au contraire, pour apporter une contribution originale et précieuse à l’édification d’un Canada plus harmonieux et d’un monde plus fraternel ».

Ces sentiments, ces attitudes, ces buts du Québec, je pense qu’ils ne sont nulle part mieux compris qu’ici même, en Ontario. Et je suis convaincu qu’aujourd’hui comme au temps de Lafontaine et de Baldwin, l’évolution constitutionnelle du Canada dépend largement de ce que sauront vouloir ensemble les éléments les plus progressistes de nos deux provinces.

C’est pourquoi je voudrais rappeler brièvement quelques faits très simples, qui aideront à mieux comprendre ce qui se passe au Québec.

Je lisais l’autre jour, dans une dépêche publiée à l’occasion du centenaire de la Confédération, que le Canada avait pris naissance il y a cent ans grâce à une loi du Parlement britannique. Cela pouvait sembler rigoureusement exact dans l’optique de l’auteur de la dépêche et je ne conteste pas sa bonne foi; mais vous pouvez facilement vous imaginer la réaction d’un descendant de Louis Hébert ou d’Abraham Martin qui lit pareille chose dans son journal.

Presque tous les ans, dans le Québec, on voit des familles canadiennes-françaises s’assembler des quatre coins du pays et parfois même du continent pour célébrer le 300e ou le 350e anniversaire de l’arrivée de leur premier ancêtre dans la vallée du St-Laurent. En 1667, donc deux cents ans avant la Confédération, on dénombrait déjà d’après le géographe Raoul Blanchard 656 habitants sur la Côte de Beaupré et 529 dans l’île d’Orléans. En 1700, entre 12000 et 13000 Français étaient enracinés dans la colonie, dont 8000 dans la seule région de Québec, En 1760, il y en avait plus de 60000 dans l’ensemble de la colonie.

Il est clair que pour les descendants de tous ces pionniers, la Confédération n’a été qu’une étape parmi bien d’autres dans la vie du Canada.

Dans la première moitié du dix-huitième siècle, les Canadiens formaient déjà une communauté bien homogène, et sous l’effet du climat, des conditions de vie et des grands espaces, ils avaient acquis des traits qui les distinguaient nettement des Français de France. Voici par exemple ce qu’écrivait vers 1737 l’intendant Gilles Hocquart:

[« Les Canadiens sont naturellement grands, bien faits, d’un tempérament vigoureux.. . La nécessité les a rendus industrieux de génération en génération. . . Ils aiment la chasse, la navigation, les voyages et n’ont point l’air grossier et rustique de nos paysans de France. Ils sont communément assez souples lorsqu’on les pique d’honneur, et qu’on les gouverne avec justice, mais ils sont naturellement indociles. »]

Vous me permettrez de ne pas insister sur les autres défauts signalés par Hocquart. La conclusion que je voulais tirer de ce premier fait, c’est qu’après trois siècles et demi de canadianisme, le groupe français de ce pays doit tout de même posséder plus de droits historiques que s’il était une minorité comme une autre. Le portrait tracé par Gilles Hocquart remonte, je le répète, à 1737; et déjà, à ce moment-là, les Canadiens français formaient une communauté culturelle bien caractérisée. Or, 240 ans se sont écoulés depuis, 240 ans pendant lesquels ces mêmes Canadiens français ont vécu ensemble, souffert ensemble, combattu ensemble, travaillé ensemble pour humaniser ce pays, le défricher, l’organiser, le défendre et en élargir constamment les frontières. Est-ce qu’ils n’ont pas acquis le droit de s’y sentir pleinement chez eux?

Voici maintenant un autre fait, que tout le monde connaît également, bien qu’on semble parfois hésiter à en tirer toutes les conséquences logiques: c’est qu’il y a dans le Québec cinq millions de Canadiens français, où ils forment 80 % de la population. Donc, ils y sont une majorité, non seulement par les droits, mais également par le nombre. Ils y détiennent la puissance politique.

Et c’est là un fait dont tous les gouvernements du Québec sont forcément obligés de tenir compte, quelle que soit leur couleur politique. N’est-il pas normal qu’un gouvernement soit le reflet des aspirations populaires? 80 % de la population du Québec sont des Canadiens français, qui n’en veulent pas à leurs compatriotes d’autre culture, qui ne demandent qu’à vivre dans l’harmonie et l’amitié avec tous les autres Canadiens, qui sont parfaitement conscients des impératifs de l’interdépendance économique, mais qui ont quand même assez de réalisme politique pour vouloir se gouverner eux-mêmes au moins dans les domaines qui touchent de plus près à l’organisation de leur vie culturelle et sociale.

Ce qui veut dire qu’en ces domaines, ils préféreront toujours être gouvernés par Québec, où ils sont en majorité, plutôt que par Ottawa, où ils sont en minorité. Est-ce que ce n’est pas l’ABC du sens politique? Comme dit un adage que vous connaissez bien: [« Good government is no substitute for self-government ». ] Pour un peuple sensé, il ne peut pas y avoir de meilleur gouvernement que celui qu’il est en mesure de se donner à lui-même.

Je crois que la façon la plus sûre de provoquer l’éclatement de ce pays, c’est de confondre insidieusement le sentiment national des Canadiens français avec le séparatisme. Partir en guerre de cette façon contre le nationalisme québécois, c’est faire affront non pas aux personnes que l’on croit atteindre, mais à tout un peuple qui, après trois siècles et demi de maturation et de vouloir-vivre commun a conscience de former une nation au sens sociologique du terme et qui voudrait bien vivre et progresser dans la ligne de sa culture particulière, au moins là où se trouve son principal foyer, c’est-à-dire le Québec. Mais pourquoi pas dans tout le Canada, leur dit-on? N’avez-vous pas vos ministres et vos députés à Ottawa? Est-ce que le gouvernement d’Ottawa n’est pas le gouvernement de tous les Canadiens?

Dans les matières de compétence fédérale, oui, bien sûr. Mais essayons, ici encore, de bien cerner les faits. Des chiffres publiés tout récemment à Ottawa révèlent que sur 1175 hauts fonctionnaires fédéraux ayant un traitement de $ 17000 ou plus par année, il n’y en avait que 135 dont la langue maternelle était le français. Ce qui veut dire que, malgré la bonne volonté avec laquelle on essaye de corriger cette situation, la participation des Canadiens français, aux niveaux où s’élaborent et s’exécutent les décisions, est encore bien mince.

N’empêche qu’il se trouve encore des gens pour les accuser de vouloir imposer leur langue et même leurs quatre volontés au reste du pays.

Pour ma part, je n’ai jamais rencontré un seul Canadien français qui veuille imposer le bilinguisme à tous les citoyens d’un bout à l’autre du Canada. Au contraire, c’est pour préserver le droit de chaque citoyen de servir son pays et d’être servi dans sa propre langue que le bilinguisme s’impose au niveau de l’administration fédérale. En d’autres termes, c’est parce que l’unilinguisme français ou anglais est un droit pour tous les citoyens que le bilinguisme est un devoir pour un gouvernement qui veut être celui de tous les Canadiens.

La dualité linguistique n’est d’ailleurs que la manifestation en surface de différences beaucoup plus profondes. Il y a des façons différentes de s’exprimer parce qu’il y a, au départ, des façons différentes de voir, de sentir, de penser, des façons différentes d’être. Et le respect de ces différences implique beaucoup plus que le bilinguisme officiel: il implique l’égalité des deux cultures.

Les descendants des découvreurs et des coureurs des bois, qui ont essaimé dans toutes les provinces du Canada et qui aiment profondément ce pays dans sa totalité ne consentiraient pas de gaieté de coeur à se voir pour ainsi dire refouler dans le Québec. Ils ne demandent pas mieux que de pouvoir considérer tout le Canada comme leur patrie. Encore faut-il qu’ils puissent s’y sentir pleinement chez eux et qu’ils n’aient pas à renoncer à leur culture pour y être accueillis partout comme des citoyens à part entière.

Voilà ce que nous entendons par l’égalité culturelle: non pas une égalité rigide, mathématique, qui ne serait qu’une autre façon de vouloir couler tout le monde dans un moule unique, car nous avons déjà trop souffert de ce concept qui voudrait par exemple, contre tout bon sens, appliquer exactement les mêmes mesures et les mêmes normes à des provinces aussi différentes que le Québec et l’Île-du-Prince-Edouard; mais une égalité dans la liberté, une égalité dans les chances de progrès et d’épanouissement, une égalité qui serait le principe dynamique d’un Canada résolument binational.

Or, je pense que l’expérience des cent dernières années a démontré que pour parvenir à une telle égalité, il faut plus que des bons sentiments et de la bonne volonté de part et d’autre. Il faut des changements de structure, des changements constitutionnels. Et je suis extrêmement heureux de constater que dans tout le pays, et spécialement ici même en Ontario, on est de plus en plus ouvert à de tels changements, comme le démontre le projet de conférence pré-constitutionnelle annoncé par M. Robarts.

Puisque ce sont les provinces qui ont pris l’initiative des pourparlers qui devaient conduire à la Confédération de 1867, il est bon que ce soient également les provinces qui amorcent les travaux nécessaires à l’instauration d’un nouvel ordre constitutionnel. Elles sont toutes également intéressées à le faire. Car, et c’est là un autre fait que je voudrais souligner en terminant, ce n’est pas le Québec seul, ni la seule communauté de culture française qui se sentent freinés dans leur développement normal par l’état de choses actuel. Parce qu’on s’obstine à ne pas vouloir reconnaître que le Québec se trouve dans une situation particulière, comme principal foyer du Canada français, on voudrait que même en matière de sécurité sociale, et même dans bien des cas en matières d’éducation et de culture, les mêmes lois puissent s’appliquer de la même façon à toutes et chacune des provinces. Avec le résultat que le Québec et le reste du pays se font mutuellement obstacle, dans un effort toujours frustré pour réaliser des ambitions parfaitement légitimes de part et d’autre.

Nous jouons en somme un drôle de jeu, qui consiste à faire semblant. Quand le gouvernement fédéral offre un droit d’option qui est de toute évidence destiné au Québec, il fait semblant de l’offrir à toutes les provinces; et une fois que le Québec a exercé son droit d’option, on voudrait, pour rétablir l’uniformité, que les autres provinces fassent semblant d’en vouloir aussi. À ce jeu-là, tout le monde est perdant.

Pour que chacun puisse enfin, en toute liberté, évoluer dans le sens de son dynamisme interne, il faudra percer le mur des apparences et reconnaître une fois pour toutes la situation particulière du Québec.

De quelle façon ce cas particulier pourrait s’articuler dans un tout qui sauvegarderait l’intégrité du Canada, c’est ce que nous devons chercher ensemble. Je conviens que ce ne sera pas facile, mais si nous travaillons dans le même esprit de compréhension et d’amitié qui animait Lafontaine et Baldwin, je suis sûr que nous y parviendrons.

Les Canadiens français tiendront toujours à s’appuyer sur un Québec fort et autonome pour se réaliser pleinement comme communauté de langue et de culture française; mais ils seront heureux de pouvoir compter aussi sur un gouvernement central fort, pourvu qu’il soit solidement ancré sur le principe de la dualité culturelle qui seul peut donner au Canada son harmonie, son originalité et sa véritable dimension.

[QJHSN19670425]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DINER À L’ OCCASION DE LA REUNION DU COMITE ET DE LA CONFERENCE NATIONALE DU CENTENAIRE CAFE DU PARLEMENT D E QUEBEC MARDI, LE VINGT-CINQ AVRIL 1967.]

Monsieur le Premier Ministre, etc

Je suis très heureux de pouvoir vous souhaiter à tous, au nom de la population du Québec, la plus cordiale bienvenue dans cette ville que l’on surnomme la Vieille Capitale et dont l’histoire est si intimement liée à celle de notre pays.

Le Québec a souhaité la célébration du Centenaire de la Confédération canadienne et c’est son délégué à la première conférence fédérale-provinciale convoquée pour cette fin, qui a obtenu que toutes les provinces sollicitent la tenue de l’Expo 67 à Montréal dans le cadre des manifestations. L’événement que nous commémorons cette année et qui nous réunit ce soir a été l’un des moments marquants de notre histoire. Il est si plein d’enseignements pour ceux qui ont à diriger notre pays et à forger sa destinée que vous me permettrez sans doute d’en évoquer brièvement le sens et la portée par rapport aux taches qui nous attendent, notamment en ce qui concerne la réforme de notre constitution.

Nous pouvons évidemment regarder la Confédération de bien des façons, En un sens, on peut dire qu’elle fut un contrat entre deux nations; dans un autre sens, qu’ elle fut un traité entre les provinces fondatrices. À certains points de vue, on peut même dire qu’ elle est née de l’imagination de capitalistes intéressés dans la construction de réseaux de communications ou de militaires effrayés par la puissance américaine. Je crois que, fondamentalement, la Confédération fut d’ abord et avant tout la mise au rancart, après une succession ininterrompue de crises politiques, d’une constitution vieille à peine d’un quart de siècle pour la remplacer par une constitution nouvelle mettant hardiment à l’essai des formes de gouvernement sans précédent dans l’empire britannique. Cette constitution nouvelle, faite pour la première fois par ceux-là mêmes qu’elle devait régir, avait pour objectif ultime non seulement de résoudre les problèmes immédiats de la province du Canada mais de jeter les bases d’une nation nouvelle devant s’étendre d’un océan à l’ autre. Voilà, je crois, la dimension qu’il importe de mettre en lumière, à l’heure où ce pays traverse l’une des crises les plus graves de son histoire. Il fait bon, en effet, de se rappeler que les hommes dont nous célébrons les oeuvres avaient compris qu’il faut, à certains tournants de l’histoire, avoir le courage et la vision nécessaires pour attaquer les problèmes à leur racine et, s’il le faut, repenser les structures politiques en fonction non seulement de l’immédiat mais de l’avenir. Les Pères de la Confédération n’ont pas eu peur de la réforme constitutionnelle. Au contraire, ils y ont travaillé de toutes leurs forces. Et ce n’est certes pas d’eux que peuvent prétendre s’inspirer ceux qui refusent d’envisager des solutions constitutionnelles aux problèmes profonds qui confrontent actuellement l’avenir de notre pays.

Dix ans, environ, se sont écoulés entre le moment où, au siècle dernier, les premières voix autorisées se sont fait entendre en faveur d’une fédération de toutes les provinces britanniques de l’ Amérique du Nord, et le moment où cette fédération a été créée. Pendant ces dix années, vous le pensez bien, les soit disant réalistes ou pragmatiques n’ont pas manqué pour prétendre qu’il s’agissait là d’un rêve irréalisable, que l’Acte d’Union pouvait très bien être replâtré, qu’un changement aussi radical n’était pas nécessaire, que la Confédération proposée violait toutes les lois des sciences politiques et était vouée à la catastrophe certaine. Il est facile de voir maintenant que, quels que soient ses défauts, la Confédération a fait mentir ces prophètes de malheur et que s’ il y a une leçon à tirer de cette expérience c’est bien que nous devons être prêts, à un moment donné, à repenser nos institutions politiques pour les mettre en accord avec les réalités du temps et les besoins de l’avenir. Dans cette tâche, nous devons, comme ceux qui nous ont précédés, ne pas avoir peur d’innover; nous devons, comme eux, résister à la tentation facile de croire que le temps, à lui seul, peut repoudre tous nos problèmes; nous devons, en nous attaquant à des problèmes immédiats, voir grand et loin; nous devons surtout nous inspirer dans nos efforts de la réalité canadienne d’aujourd’hui en acceptant les faits tels qu’ils sont et en mettant de côté nos préjugés et nos préférences personnelles.

Il n’y a aucun doute dans mon esprit sur le fait que nous sommes entrés, depuis quelques années, dans une période de revision constitutionnelle. S’il est encore trop tôt pour prédire quel sera l’aboutissement de cette évolution, il est d’ ores et déjà certain que le statu quo constitutionnel ne saura résister longtemps à la pression des événements. Il suffit pour s’en convaincre, d’examiner quelques-uns des événements significatifs des toutes dernières années: les travaux de notre comité québécois sur la constitution, l’organisation des États Généraux du Canada français, le premier rapport de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, la création, en Ontario, d’un comité sur la Confédération, la publication récente de la lettre de l’épiscopat canadien et la convocation prochaine par le premier ministre de l’Ontario d’une conférence intergouvernementale sur la Confédération de demain. Il est clair que, partout au Canada, les esprits ont déjà commencé à changer et que, par conséquent, les institutions ne sauraient rester longtemps les mêmes.

Bien sûr, il est trop tôt pour prédire quel sera le résultat final de toute cette évolution. Il nous faut, pour le moment, poursuivre nos études et laisser la conscience populaire réfléchir sur ces questions fort complexes. Toutefois, certaines lignes de force commencent à émerger et il est important, je crois, de bien en prendre conscience pour pouvoir orienter notre action en conséquence et hâter ainsi l’avènement d’un nouveau départ. Car il est de notre devoir non pas d’attendre l’avenir, mais de le préparer. Quant à moi, j’ai déjà dit qu’il fallait tenter tout ce qui peut encore être tenté pour que la nation canadienne-française puisse se sentir chez-elle, comme dans une véritable patrie, dans la totalité du Canada. J’espère que la très grande majorité de mes compatriotes canadiens, quelle que soit leur langue, seront prêts à faire le même effort.

On peut évidemment discuter longuement sur les conditions nécessaires de l’égalité et le rôle respectif des gouvernements de Québec et d’Ottawa dans la réalisation de cette égalité. Mais je crois qu’un nombre de plus en plus grand de Canadiens acceptent maintenant que cette égalité doit tout d’abord se manifester au niveau des institutions publiques fédérales et provinciales ainsi que dans le domaine de l’éducation. Certains progrès ont été accomplis jusqu’ à maintenant à ce point de vue, mais il reste encore beaucoup, beaucoup de chemin à faire avant d’arriver au but.

Je crois également qu’une deuxième condition essentielle à l’égalité commence à être mieux comprise. Il s’agit de la nécessité qu’il y a de donner à l’État du Québec tous les moyens dont il a besoin pour jouer pleinement son rôle de foyer principal du Canada français. Car si la nation canadienne-française veut prétendre à l’égalité, elle doit être en mesure d’atteindre son plein épanouissement. Or, l’épanouissement de la nation canadienne -française dépend dans une très large mesure de la capacité du gouvernement du Québec d’assurer à sa population de langue française les instruments dont elle a besoin pour se développer au maximum de ses possibilités. Aucun autre gouvernement, en effet, n’ est en mesure de jouer ce rôle par rapport à la nation canadienne-française. Il est vrai que le gouvernement fédéral représente, dans les domaines de sa compétence, les Canadiens français aussi bien que les Canadiens anglais, mais ce gouvernement n’ est aucunement chargé de ces domaines qui touchent la vie intime d’une nation: son éducation, son droit, son organisation familiale et sociale. À ce point de vue, le seul gouvernement sur lequel la nation canadienne-française puisse compter, c’ est le gouvernement du Québec.

C’est pourquoi je dis qu’il n’y a pas de contradiction entre le progrès du biculturalisme au Canada et le renforcement du gouvernement du Québec. Au contraire, à longue échéance, l’un ne va pas sans l’autre. Sans un Québec fort et vigoureux, il ne peut y avoir de nation canadienne-française capable de mériter l’égalité et de donner au Canada son caractère biculturel. Voilà un fait fondamental qu’il faut comprendre et accepter afin que cessent ces efforts vains, mais répétés, pour imposer au Québec une uniformité de traitement qui ne convient pas à son rôle et qui, finalement, ne peut que détruire le Canada.

Voilà, mesdames et messieurs, quelques pensées que m’inspire la naissance de notre fédération. Je ne suis pas de ceux qui croient que les constitutions et les structures politiques n’ont pas d’importance pour la solution des problèmes qui se posent à une nation. Je crois, au contraire que les structures politiques ont une influence profonde sur ces problèmes, même ceux qui sont de nature économique. On a dit récemment que ce n’était pas la Confédération qui empêchait les patates de pousser sur la côte-nord. C’est peut-être vrai. Mais il se peut également que la Confédération ait quelque chose à faire avec le fait que les gens de la côte-nord doivent cultiver des patates au lieu de travailler à la transformation de nos richesses naturelles; et il se peut également que la Confédération soit à blâmer si ceux qui cultivent des pommes de terre ne sont pas capables de les vendre à un prix raisonnable. À plus forte raison, par conséquent, les structures politiques ont-elles une influence directe sur la solution des problèmes de nature purement politique, comme celui de la place de la nation canadienne-française au sein du Canada.

N’ayons donc pas peur d’envisager une réforme de notre constitution maintenant centenaire. Voyons cette possibilité avec calme et sérénité. Examinons nos problèmes actuels à la lumière de l’histoire et dans une perspective à long terme. Et surtout, commençons immédiatement à préparer cette réforme en favorisant le plus possible l’évolution de notre fédéralisme dans le sens des lignes de force qui déjà se dégagent de notre expérience actuelle.

La meilleure façon de célébrer le centenaire, c’ est de rechercher la formule qui permettra à nos descendants de culture française comme de culture anglaise de célébrer comme Canadiens un deuxième centenaire.

[QJHSN19670426]

[ALLOCUTION DU PREMIER MINISTRE À LA 15e ASSEMBLEE ANNUELLE DE L’ASSCCIATION DES COMPAGNIES DE FIDUCIE DU- CANADA CHATEAU FRONTENAC, QUEBEC le 26 avril 1967]

Au cours des deux dernières années, le gouvernement fédéral et plusieurs gouvernements provinciaux ont soigneusement étudié leurs lois respectives sur les institutions financières de même que leurs pouvoirs législatifs et, d’une façon générale, les diverses modifications susceptibles d’améliorer la protection des épargnants, des déposants et des consommateurs. À quelques occasions, j’ai donné un aperçu de ce que le gouvernement du Québec entend faire; dans sa déclaration à la conférence fédérale-provinciale pour étudier les institutions financières et la réglementation sur les valeurs mobilières, conférence tenue à notre demande à Ottawa il y a deux semaines, mon collègue le ministre des Finances a lui aussi dévoilé certains aspects de la ligne de conduite que nous entendons suivre. Je crois que le temps est venu pour moi de donner plus de précisions sur la politique que nous adopterons au cours des prochains mois. Il importe de renseigner les milieux financiers, non seulement sur les grandes lignes de notre politique, mais aussi sur les mesures que nous prendrons; ils pourront ainsi faire les ajustements nécessaires sans trop de friction et avec pleine connaissance des objectifs visés.

Le gouvernement actuel a hérité d’une situation qui est loin d’être satisfaisante en ce qui a trait à la réglementation sur les transactions et les institutions financières. Alors que certaines sociétés canadiennes ont été fortement ébranlées au cours des deux années précédentes, alors que d’autres ont traversé une période d’ajustements plutôt difficiles, le gouvernement du Québec, tout comme d’autres gouvernements au pays, s’est rendu compte qu’il n’avait pas tous les outils nécessaires pour protéger la population aussi bien qu’elle a le droit de l’être et pour protéger certaines institutions financières contre elles-mêmes. En effet, quelques-uns de nos services d’inspection sont à la hauteur de la tâche; dans bien des cas, cependant, ils n’ont pas vraiment fonctionné, dans d’autres, le gouvernement n’ avait même pas le pouvoir de faire des inspections. Bon nombre de nos lois n’ont pas été modifiées depuis longtemps; souvent, elles sont trop générales pour. permettre à l’autorité d’appliquer des règlements satisfaisants, quelles que soient les ressources humaines et matérielles que le gouvernement pourrait affecter à cette fin.

C’est pourquoi le gouvernement du Québec, comme tous les autres gouvernements au Canada, se voit dans la nécessité d’entreprendre la réorganisation fondamentale de ses procédés de réglementation et d’inspection de façon à raffermir et nettoyer si nécessaire certains domaines où, vous le savez mieux que moi, le bon et le moins bon ont fleuri au cours des dernières années. À mon avis, il est très important pour le gouvernement de profiter des leçons que le passé a laissées et d’être prêt à rectifier la situation présente avec autant d’énergie qu’il en faut.

C’est pourquoi, au cours des prochains mois, nous suivrons trois politiques complémentaires: nous établirons d’abord un département central d’inspection, puis nous réviserons les lois qui touchent les institutions financières, la réglementation sur les valeurs mobilières et la protection du consommateur; enfin, nous mettrons sur pied un régime d’assurance-dépôts.

Le gouvernement a l’intention d’organiser une agence centrale d’inspection qui disposera des fonds nécessaires au recrutement de professionnels et d’experts pour assurer un contrôle effectif. Il va sans dire que cette agence aura besoin d’un personnel beaucoup plus nombreux que celui qui a jusqu’ici été affecté aux divers organismes gouvernementaux et qui a des tâches partielles ou restreintes dans le domaine de l’inspection et de la réglementation, En fait, il est déjà bien évident que nous devrons aller chercher dans l’industrie privée le personnel dont nous aurons besoin si nous voulons former notre agence sans trop attendre. Je ne suis pas sans savoir qu’en agissant ainsi nous ferons concurrence aux institutions financières afin de recruter des techniciens qui sont déjà rares. Cependant, je suis convaincu que le gouvernement obtiendra la coopération des sociétés, car elles ont tout à gagner de marchés financiers vrai ment solides et efficaces.

De plus, afin d’éviter le chevauchement dans la mesure du possible, le gouvernement devra passer des ententes bien définies avec les associations qui ont déjà mis en oeuvre des services d’inspection tout à fait satisfaisants pour leurs membres.

Nous avons aussi l’intention de simplifier considérable ment la présentation des rapports que les compagnies sont actuellement obligées de préparer à l’intention du gouvernement du Québec et aussi d’autres gouvernements. Depuis quelque temps on a eu une tendance à multiplier les formules, les questionnaires et les comptes rendus, ce qui ne fait que rendre plus pénible encore la tâche des sociétés, sans toutefois nous mettre beaucoup plus en mesure de mieux connaître leur fonctionnement. Il n’est pas indispensable, pour être vraiment efficace, que le système de surveillance soit établi sur des chinoiseries administratives et il ne fait aucun doute que nous pouvons trouver d’autres moyens d’être original que d’obliger les institutions financières à nous soumettre une paperasserie de plus en plus encombrante. Je suis sûr que nous pouvons compter sur la coopération nécessaire des autres gouvernements du Canada pour uniformiser, autant que possible, la présentation des comptes-rendus.

Quant à la législation, ce dont nous avons réellement besoin, c’est d’un effort concerté en vue d’établir, à l’intention de chaque groupe d’institutions financières, une série de règlements fondamentaux capables d’assurer une meilleure protection au public et d’empêcher quelques-unes des pires fermes de négligence dont nous avons été témoins tout dernièrement. De fait, je crois que la loi devrait interdire certains genres d’opérations. Les études effectuées par le comité que le Québec a formé pour examiner la question des institutions financières et par d’autres commissions analogues établies ailleurs au Canada ont révélé que certaines institutions financières faisaient preuve d’une indifférence révoltante à l’égard des règles de prudence les plus élémentaires. Il est quelque peu embarrassant pour moi de soulever de tels problèmes devant un groupe de personnes qui, dans l’ensemble, se sont toujours efforcées, de par la nature même de leurs affaires, de protéger les intérêts du public; néanmoins vous admettrez avec moi, j’en suis sûr, qu’en marge du monde financier, des entreprises ont surgi qui au raient besoin de certains redressements.

Enfin l’ordre du jour de l’Assemblée législative indiquait cet après-midi qu’on allait présenter un projet de loi en vue d’établir un régime d’assurance-dépôts. Nous en ferons la première lecture au début de la semaine prochaine. Notre but est d’établir une garantie universelle pour tous les dépôts recueillis au Québec et ne dépassant pas $ 20000. Après avoir étudié attentivement les lois qui ont été sanction nées en Ontario et à Ottawa, nous sommes d’avis que ces lois ne constituent qu’une réponse partielle au véritable problème que soulève la protection des déposants. Il est évident que nous ne pouvons pas prétendre que les dépôts seront protégés si on les dirige dans telle direction et qu’ils ne le seront nullement si on les dirige dans telle autre. En outre, vu que le plus souvent les petits déposants n’ont guère de préférences marquées quand il s’agit de finance et qu’un dépôt a pour eux la même signification, peu importe l’institution qui le reçoit, nous nous voyons dans l’obligation de garantir tous les dépôts si nous voulons offrir un système de protection qui soit valable. L’assurance-dépôt devient donc un service public.

Par conséquent, aucune institution financière, quelle que soit sa nature, n’aura la permission de recueillir de dépôts si elle n’a pas été acceptée en vertu du régime d’assurance-dépôts. Les institutions financières qui recueillent des dépôts en dehors du Québec auront la permission d’assurer les dépôts en vertu du régime d’assurance-dépôts du Québec dans la mesure où elles auront demandé cette protection et aussi pour autant que le gouvernement des provinces où ces dépôts sont recueillis donnent leur assentiment.

D’autre part, la corporation d’assurance-dépôts du gouvernement fédéral et celle de l’Ontario peuvent prêter des fonds aux institutions financières pour des périodes limitées. La loi du Québec comportera une disposition analogue.

Enfin, on n’a pas jugé pratique d’étendre l’assurance-dépôts à certains groupes de professionnels comme les notaires, les avocats et les courtiers en placements, qui reçoivent de l’argent de leurs clients dans le cours ordinaire de leurs affaires. D’un certain point de vue, une grande partie des sommes qu’ils reçoivent ne peut être considérée comme des dépôts, vu que ces sommes sont destinées à des fins bien déterminées. Personne n’ignore, cependant, que les membres de ces associations reçoivent parfois des dépôts dans le vrai sens du mot; il nous faudra donc faire la lumière sur la législation actuelle à ce sujet et nous comptons bien sur l’aide des associations en cause. De plus, le gouvernement a l’intention d’améliorer la protection collective que ces associations possèdent pour se protéger contre les détournements de fonds et la fraude.

Nous avons la conviction que cette façon très générale d’assurer une protection au déposant est la bonne et que c’est là l’unique manière de fournir au petit épargnant une véritable garantie universelle. Jointe à une meilleure législation sur les fonds garantis et une inspection périodique des institutions financières, l’assurance-dépôt devrait entraîner une forte amélioration du climat financier de la province.

Je me rends très bien compte que les principes qu’adoptera le gouvernement du Québec en ce qui concerne les institutions et les transactions financières ne sont pas toujours compatibles avec certaines mesures qu’Ottawa ou les autres provinces sont en train d’appliquer. Au moment où, l’expérience des deux dernières années les ayant amené à prendre conscience de leurs responsabilités, tous les gouvernements s’aventurent en même temps à établir des règlements dans un domaine où la compétence de chacun n’est pas définie, il parait inévitable qu’il se produise des chevauchements et des heurts.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement du Québec a demandé de tenir une conférence fédérale-provinciale pour étudier les règlements régissant les institutions financières et les valeurs mobilières. Cette conférence a eu lieu le 10 avril et on a recommandé d’établir un comité ministériel qui, avec l’aide d’un comité de hauts fonctionnaires, formulera une série de propositions ayant trait à la répartition des responsabilités entre les gouvernements. Le gouvernement du Québec a déjà indiqué que si des amendements à l’acte de l’Amérique du Nord britannique sont jugés nécessaires, il en fera un examen des plus sérieux, au lieu de se contenter de les rejeter a priori.

Nous espérons que cette conférence aidera à éclairer la situation et à déterminer qui doit agir et qu’est-ce qu’il faut faire. D’après ce que je vois, il ne fait aucun doute que le Québec va poursuivre ses politiques et que les autres gouvernements vont en faire autant. Cependant nous serons toujours prêts à adapter ces politiques à la lumière des résultats que le comité fédéral-provincial va produire.

[QJHSN19670427]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CEREMONIE D’OUVERTURE DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE MONTREAL JEUDI, LE 27AVRIL 1967.]

L’Exposition universelle que nous inaugurons aujourd’hui est un monument grandiose dédié à la cause de la paix et de la fraternité humaine. Toutes ces merveilles qui ont surgi avec une si exubérante profusion, sur des îles « inventées » ou agrandies pour la circonstance, témoignent d’un immense effort collectif.

Rien n’aurait été possible si, pendant des mois et des années, des hommes et des femmes de tous pays, de toutes races et de toutes cultures n’avaient conjugué leurs talents pour concevoir d’abord, puis pour réaliser cet ensemble unique, où se côtoient les créations les plus audacieuses de l’art, de la science et de la technique modernes.

Rien n’aurait été possible non plus sans une féconde coopération des divers gouvernements de notre pays, des entreprises de toute nature et des citoyens eux-mêmes. Travailler ensemble à la réalisation d’un grand dessein: voilà ce qui contribue le mieux à rapprocher les hommes. Et je suis convaincu que le capital de compréhension et d’harmonie, accumulé à l’occasion de cette fascinante réussite, restera parmi les biens les plus indestructibles que nous aura léguée l’Expo 6 7.

Le Québec tient pour un singulier honneur que son sol, ses eaux, ses « grands espaces » aient été choisis pour être le cadre d’un pareil événement. Il entend se montrer digne de cet honneur et l’on peut être assuré qu’il ne décevra pas ceux qui ont eu foi en lui.

Ici, sur les rives d’un fleuve qui est la voie royale de tout un continent, s’opère la vivante synthèse du passé et de l’avenir. Ici, les créations les plus hardies de l’Expo 67 s’inscrivent sans heurt dans le prolongement de quatre siècles d’histoire. Ici, apparaît dans toute sa richesse la diversité culturelle qui donne à l’héritage canadien son caractère et sa splendeur.

Merci aux bâtisseurs qui, de coin privilégié de la « terre des hommes », ont fait le carrefour de l’univers. Merci aux 62 pays qui sont venus planter parmi nous leur tente, non pas pour opposer leurs intérêts ou mesurer leurs forces, mais pour exprimer, de la façon la plus amicale et la plus saisissante, les traits particuliers qui les distinguent et le désir de fraternité qui les anime.

Je pense qu’ on ne peut pas aimer vraiment ce par quoi tous les hommes sont frères sans respecter et chérir du même coup cette infinie variété de dons, de coutumes, de techniques, de modes de vie et d’expression qui leur permettent de se compléter harmonieusement et de se mettre au service les uns des autres.

Pour les visiteurs de l’Expo, ce sera une merveilleuse aventure que de pouvoir, d’île en île et de pavillon en pavillon, découvrir l’univers entier. Et pour nous du Québec, qui nous faisons une si grande joie de les accueillir, ce sera aussi une merveilleuse aventure que de partir à la conquête de nouvelles amitiés.

À tous nos visiteurs, de toute notre âme, nous souhaitons la plus cordiale bienvenue en terre québécoise.

Le Québec, Berceau du Canada et foyer principal d’une nation de culture française, a apporté à la préparation de cet événement mondial une très large contribution en ressources de toute sorte.

C’ est au profit de la jeunesse sur tout que ces sacrifices ont été consentis de bonne grâce. Jeunes du Québec – c’est le souhait le plus ardent de vos aînés – que vous sortiez de cette expérience encore plus fiers d’être québécois, heureux d’être canadiens et mieux préparés à jouer votre rôle de citoyens du monde.

Jeunes de tous les pays, vous êtes conviés à organiser de la terre du Québec la ronde de la fraternité et de la paix.

[QJHSN19670427a]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DINER OFFERT AU PAVILLON DU QUEBEC À L’OCCASION DE L’ INAUGURATION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE MONTREAL JEUDI, LE VINGT-SEPT AVRIL 1967.]

C’est pour moi une très grande joie que de vous accueillir au pavillon du Québec. Comme vous avez pu le constater, ce pavillon n’évoque pas seulement les eaux, les forêts et les autres richesses dont le Créateur a si généreuse ment pourvu notre coin de terre; ce qu’il veut exprimer surtout, c’est, prenant appui sur le tremplin de cet héritage, l’élan de la communauté québécoise, sa volonté de progrès, son indéfectible foi en l’avenir.

Puisque l’Expo 67 est centrée sur l’homme et ses aspirations les plus hautes, nos artistes ont voulu montrer ici, par un jeu hardi d’impressions sonores et visuelles, ce qu’est et ce que veut être l’homme du Québec. Bien sûr, le Québécois ressemble comme un frère à tous les autres hommes dont il partage les rêves, les interrogations, les angoisses et les espoirs. « Rien de ce qui est humain ne lui est étranger ». Mais il serait quand même étonnant qu’après trois siècles et demi d’enracinement en terre canadienne, il n’ait pas acquis des traits bien caractéristiques.

Songez à tous ces défis qu’il a dû relever et qu’évoque, d’une manière si expressive, l’un des thèmes de ce pavillon: défi des grands espaces à explorer et à humaniser; défi du climat, dont les rigueurs exigeaient des corps robustes et des âmes fortement trempées; défi de la solitude et de ces longs hivers canadiens, qu’on apprenait à égayer de danses, de contes, de chansons; défi des eaux tumultueuses et de toutes ces forces de la nature qu’il fallait dompter pour les mettre au service de l’homme.

Dès 1737, soit 240 ans avant le centenaire de la Confédération, l’intendant Gilles Hocquart traçait des Canadiens un portrait dont bien des éléments restent aujourd’hui valables. Il les disait industrieux, débrouillards et fiers d’allure; un peu frondeurs aussi, épris de liberté et de justice. Il notait leur goût invétéré pour la navigation et les voyages. Et il écrivait que déjà, par bien des côtés, les Canadiens différaient sensiblement des Français de l’autre côté de l’Atlantique.

Ces traits distinctifs devaient forcément s’accentuer par la suite, sans compter que pendant près d’un siècle après 1760, les relations culturelles entre le Canada et la France furent pratiquement inexistantes.

Mais les descendants des explorateurs et des coureurs des bois ne pouvaient de gaieté de coeur se résoudre à l’isolement. Rien n’était plus contraire à leur tempérament et à leurs aspirations. De fait, ils ont essaimé partout, puisqu’on en retrouve des groupes importants dans chacune des provinces canadiennes et même au-delà des frontières de notre pays. Toute la géographie de l’Amérique du Nord est pour ainsi dire parsemée de noms et de souvenirs français.

Il reste que la communauté canadienne française a son principal foyer au Québec, où elle forme 81 % de la population. Et elle a trop de sens politique pour ne pas tirer parti de cette situation et se donner, là au moins où elle est en majorité, un milieu, des cadres et des institutions qui soient en accord avec sa culture particulière.

N’allons pas y voir une attitude de repli, mais une volonté d’affirmation et d’épanouissement. C’est en approfondissant au maximum ses valeurs propres que l’élément français pourra apporter sa pleine contribution à l’enrichissement de la vie québécoise et de la vie canadienne. Et sa fidélité à son héritage culturel ne le rend pas moins apte à percevoir les impératifs de l’interdépendance et de la coopération.

Le Québec a d’ailleurs une longue tradition de justice et de générosité envers tous les groupes ethniques; et cela aussi fait partie d’un patrimoine qu’il tient à conserver. Comme point d’appui du Canada français, il éprouve la nécessité de nouer avec l’ensemble du monde francophone des contacts culturels plus étroits; mais cela ne l’empêche aucunement de se sa voir et de se vouloir, sur d’autres plans, partie intégrante du Canada et de l’Amérique du Nord.

En serait-il plus canadien s’il était moins français’? Je crois au contraire que si le Québec abdiquait les responsabilités inhérentes à sa vocation culturelle, le Canada n’en aurait que plus de mal à se définir lui-même et à se distinguer de ses puissants voisins.

Au moment de la Confédération, l’élément français comptait déjà plus de deux siècles de canadianisme. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait contribué à promouvoir dans tout le pays la formation d’une conscience bien canadienne, incarnée dans des institutions et des symboles authentiquement canadiens.

Quel que puisse être son statut dans le nouvel ordre constitutionnel qui est déjà en gestation, je crois que le Québec sera toujours, pour l’ensemble du Canada, un préservatif contre les tentations de l’uniformité et du conformisme. Je crois que notre immense pays, parce qu’il s’ouvre sur deux mondes culturels, est en quelque sorte contraint de chercher son ultime accomplissement dans les voies de la diversité, de la coexistence et de l’harmonie. Je crois qu’il y aura toujours plusieurs types de Canadiens, dont l’un des principaux traits communs sera précisément le respect et l’acceptation fervente de ce qui les rend si différents les uns des autres.

L’homme du Québec est lui-même multiple et les valeurs qui soudent les liens de la fraternité et de la solidarité sont parmi celles qu’il chérit le plus. S’il reste attaché à l’héritage du passé, ce n’est pas pour s’y retrancher comme derrière une barricade, mais bien, comme le suggère le symbolisme de ce pavillon, pour y appuyer son élan vers l’avenir et aussi vers les autres membres de la grande fa mille humaine dont il recherche l’amitié.

Je vous invite donc à profiter de l’Expo 67 pour prolonger votre séjour parmi nous et faire plus ample connaissance avec les choses et les gens du Québec. Vous avez vu le sourire de nos charmantes hôtesses: il est l’image de l’hospitalité joyeuse qui vous attend dans toutes les régions de « la belle province ».

[QJHSN19670502]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC DEVANT LES DELEGUES DE L’AUPELF À QUEBEC, le 2 mai 1967]

Votre séjour à Québec, sous les auspices de la première université de langue française d’Amérique, nous réjouit et nous honore vivement. Après ces quelques jours dans la Capitale du Canada français, vous devez déjà vous sentir tellement chez vous dans nos murs qu’il me parait quasi inconvenant de vous souhaiter la bienvenue. Permettez au premier ministre de la plus vaste communauté francophone hors de la mère patrie de vous accueillir non comme des visiteurs mais comme des frères: la langue qui nous est commune nous rapproche en effet plus étroitement que ne nous séparent les frontières et les océans.

Si l’organisme que vous représentez suscite mon admiration, j’applaudis encore peut-être davantage à l’inspiration qui a présidé à sa fondation. Le ralliement de la diaspora française dans des cadres dynamiques constitue en effet un objectif qui ne peut que sensibiliser une nation qui compte près de 20 % de ses fils hors de son territoire.

La solidarité que nous exerçons en vue de la survivance des nôtres hors de nos frontières, vous la manifestez admirablement, à l’échelle internationale, en vue d’un plus intense rayonnement universitaire. À votre insu peut-être, ce regroupement des universités francophones de quelque quarante pays aura sans doute été l’un des moteurs de ce vaste mouvement de fraternisation qui, depuis quelques années, sollicite divers secteurs d’activité dans le monde d’expression française. Mouvement, à qui, semble-t-il, on peut d’ores et déjà, attribuer la paternité d’un néologisme qui n’a pas encore droit de cité dans nos dictionnaires mais qui ne manque pas pour autant de substance ni de beauté: la francophonie.

Il m’est particulièrement agréable de rappeler le rôle de premier plan qu’ont joué dans la création de votre Association quelques-uns de nos universitaires. Je vous invite à y voir un autre indice de l’intérêt que nourrit notre peuple à l’égard des autres nations de langue française.

L’importance de votre Association tient non seulement à son caractère international mais à la double mission de l’université dans l’évolution du monde contemporain: chercher le savoir et le transmettre. La transmission des connaissances qui incombe à tout établissement de haut enseignement relie l’université à son milieu et lui confère, pour ainsi dire, ses lettres de créance démocratiques.

Chez nous, comme en maints autres pays de toutes civilisations, le taux croissant de la persévérance scolaire à la fin des cours secondaire et collégial grossit d’année en année les rangs d’une certaine aristocratie de l’esprit. Au rythme actuel de la fréquentation universitaire, nos maisons de haut savoir doivent se préparer à accueillir 22, 000 nouveaux étudiants d’ici cinq ans, ce qui portera alors à 17 %, taux considéré comme idéal, la proportion de nos étudiants de 18 à 21 ans inscrits dans nos facultés.

D’autre part, le Québec tient à démocratiser d’une autre manière son regime éducatif en favorisant l’expansion de son réseau d’écoles spécialisées, de niveau supérieur ou pré-universitaire, de façon à ce que chacun de nos jeunes ait la chance d’aller jusqu’au bout de son itinéraire culturel ou professionnel, selon ses talents et son appétit intellectuel.

La gratuité scolaire n’atteint pas encore chez nous les marches de l’université mais une législation récente a institué un système de prêts qui, s’ajoutant aux nombreux types de bourses déjà octroyées, accélérera encore l’escalade étudiante jusqu’à ce que, d’étape en étape, la gratuité des cours couvre tout l’enseignement supérieur.

Vous me permettrez enfin de souligner que l’éducation permanente vient de prendre un nouveau départ au Québec et qu’un vaste mouvement de recyclage commence déjà à scolariser à peu près toutes les couches de notre population.

Notre statut minoritaire nous oblige à vivre dangereusement sur ce continent. Nous avons pleinement conscience des exigences d’une telle situation. Comme le rappelait un jour aux éducateurs de langue française du Canada l’un des nôtres, Son Excellence l’ambassadeur M. Jean Désy, notre seule immunité, c’est l’éducation.

Aussi sommes-nous farouchement résolus à relever le défi que constitue pour nous notre infériorité numérique en tentant de faire des générations qui lèvent sur notre sol le peuple le plus intensément et le plus diversement scolarisé de l’Amérique. C’est là un impératif auquel nos universités sont depuis longtemps sensibilisées. Et avant trop longtemps elles recevront l’appui d’une quatrième université française.

En formulant de si lourds espoirs dans la contribution de nos universités à la promotion intellectuelle du plus grand nombre, je n’entends pas pour autant qu’il faille domestiquer nos maisons d’enseignement supérieur, rabattre aveuglément leurs standards d’admission en vue d’un nivellement par le bas. Je n’ignore pas, au contraire, qu’en plus de se vouer à la transmission du savoir acquis, l’université digne de ce nom doit consacrer à la recherche une part importante de son budget et de son temps. Le thème de votre troisième colloque, qui aura lieu dans quelques jours, atteste bien l’importance que vous attachez à cette fonction de la recherche.

En consacrant ces deux journées d’étude au rôle de l’université dans la recherche scientifique, non seulement vous mettez en relief l’une des composantes majeures de l’authentique statut universitaire mais vous proclamez hautement votre dessein de maintenir vos institutions respectives dans l’orbite du vingtième siècle.

Ralentir la marche aux connaissances nouvelles équivaudrait à ralentir l’évolution de notre société, à freiner ses progrès. Si prosaïque que la constatation puisse nous paraître, c’est dans les laboratoires que, le plus souvent, se sont élaborées et que s’élaborent encore les grandes mutations qui, d’une découverte à l’autre, ont renouvelé et renouvelleront le mode et le rythme de vie des hommes.

Cette tension continue entre le connu et l’inconnu marque particulièrement notre époque. Oppenheimer n’hésitait pas à affirmer que le nombre de savants double tous les dix ans. Ce qui permettrait sans doute au professeur Purcell, de Harvard, d’affirmer que 90 % des savants de tous les temps sont encore vivants. Mais, ainsi que le notait l’un de vos grands inspirateurs, le père de la prospective, Gaston Berger, « ce savoir s’use et se démode plus vite que la machine ».

Certains prospecteurs de l’avenir économique ne prétendent-ils pas que d’ici peu de temps l’ingénieur devra changer trois fois au moins son tableau de connaissances au cours de sa vie professionnelle? On a beaucoup parlé de l’accélération de l’histoire; l’accélération du savoir ne mérite pas moins qu’on s’y arrête. Ces chercheurs américains ne nous y invitent-ils pas qui ont calculé que depuis deux mille ans les connaissances ont doublé une première fois en 1750, une deuxième fois en 1900, une troisième fois en 1950 et une quatrième fois en 1960.

Autant de thèses ou d’hypothèses qui nous laissent entrevoir le champ quasi sans limites de la recherche scientifique, qui nous dévoile aussi l’aire d’exploration ouverte à nos facultés universitaires.

Je souhaite à votre colloque le plus lumineux des succès. Je souhaite aussi que, parallèlement à cette quête de données scientifiques inlassablement poursuivie par vos établissements respectifs, une autre prospection suscite au moins autant d’ardeur que celle-là: celle qui concerne le grand oublié du monde moderne, l’homme, les exigences de son bonheur, les conditions de sa paix intérieure, les facteurs de son adaptation au milieu et au tempo de la vie actuelle, les ressorts secrets de son comportement, les arcanes de sa conscience, enfin tout ce qui touche au coeur, à l’âme et à l’esprit dans ce vingtième siècle déclinant.

C’est en effet au prix d’un équilibre au moins relatif entre les secrets arrachés à la matière et à l’espace et les révélations soustraites au mystère humain que l’ordre et le bonheur auront enfin leur pavillon sur la Terre des Hommes.

[QJHSN19670503]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER – MINISTRE-DU- QUEBEC DEVANT LES MEMBRES DE L’ADVERTISING AND SALES CLUB À MONTREAL HOTEL REINE-ELIZABETH le mercredi, 3 mai 1967 ]

Je suis très heureux que vous m’ayez invité à cette tribune, où se sont succédé avant moi les premiers ministres des neuf autres provinces. Je me suis demandé un moment pourquoi, vous qui êtes des spécialistes de la vente et de la publicité, vous aviez cru bon de vous mettre ainsi à l’écoute des hommes politiques. À la réflexion, j’ai réalisé que nous avions beaucoup de choses en commun. Vous vendez des produits et nous vendons des idées. Vous avez des concurrents agressifs et nous aussi.

Dans notre cas comme dans le vôtre, le succès dépend d’abord de la qualité de ce que nous avons à offrir. Mais en affaires comme en politique, le succès dépend aussi d’un autre élément, qui est la connaissance des besoins, des gents, des motivations particulières du public auquel on s’adresse. C’est peut-être sur ce point que nous trouverons le plus d’avantages à confronter nos expériences et nos réflexions.

Nous avons une clientèle commune, qui est la population québécoise. Et pour bien servir cette clientèle, il faut avant tout la comprendre. Car il va de soi que ses préférences iront toujours à ceux qui la connaissent assez pour pouvoir épouser ses réactions, vibrer à la même longueur d’onde, se solidariser avec elle.

C’est pourquoi j’ai pensé que ce serait peut-être rendre service à certains hommes d’affaires, et même à certains hommes politiques moins familiers avec notre milieu, que de les aider à mieux comprendre le Québec.

Héritier de la Nouvelle-France, qui a été le berceau du Canada tout entier et même d’une vaste partie du continent nord-américain, le Québec est, depuis plus de trois siècles et demi, un pays de langue et de culture françaises. Aujourd’hui encore, le français est la langue maternelle de 81 % de la population québécoise et de 67 % de la population de Montréal.

Pour tous ceux-là, le français n’est donc pas seulement une façon différente de s’exprimer; c’est d’abord et avant tout une façon différente de penser, de voir, de réagir; une façon différente d’être. Personne n’aspire à cesser d’être lui-même pour devenir quelqu’un d’autre; et il est tout à fait normal qu’une communauté humaine aussi profondément enracinée dans le sol québécois, et cimentée par des siècles de labeurs, de combats et d’espoirs collectifs, veuille vivre et grandir suivant son caractère propre. Mais indépendamment de ce sentiment naturel, je suis convaincu que nos compatriotes d’autre culture sont d’accord avec nous pour affirmer que le Québec doit conserver et développer son héritage français, dans l’intérêt même du Canada.

Vous conviendrez toutefois que cette double appartenance n’est pas sans lui poser certains problèmes. Ce n’est pas facile d’être à la fois un pays français et un pays nord-américain. Je voudrais demander à nos compatriotes d’autre langue de bien comprendre ces difficultés et de nous aider à les résoudre.

Il ne s’agit pas uniquement de préserver l’acquis. On ne préserve bien que ce que l’on continue de parfaire et d’enrichir. Le Québec n’est pas un musée. Il ne veut pas vivre dans le passé, ni s’entourer d’une muraille de Chine. Il entend participer, avec tout son élan et tout son dynamisme, au progrès du Canada et du continent. Mais il veut et doit le faire en valorisant au maximum les ressources qui lui sont propres.

Le Québec n’est pas à lui seul tout le Canada français. Il en est cependant le centre, le coeur, le principal foyer. Il faut donc qu’au moins dans le Québec, les Canadiens français puissent trouver un milieu accorde à leur culture, un milieu qui ne soit pas pour eux un facteur d’aliénation, mais qui les aide au contraire à être plus intensément eux-mêmes.

Pour le mieux ou pour le pire, le monde des affaires et de la publicité joue ici un très grand rôle. Il peut contribuer puissamment à corriger ou à accentuer le désaccord parfois flagrant qui existe entre la culture de la majorité des Québécois et le cadre physique de leur existence. Je vous engage instamment à user de l’influence et des moyens extrêmement efficaces dont vous disposez pour faire en sorte que la physionomie du Québec sont vraiment le reflet de son caractère et de son rôle comme point d’appui du Canada français.

L’uniformité ne sera jamais le dernier mot du progrès humain. Et ce ne doit pas être un mal que de renforcer par un trait original l’identité canadienne. Qu’est-ce qui rend si émouvante l’Exposition universelle de Montréal, sinon cette diversité de cultures, de traditions, d’aptitudes et de styles de vie qu’illustrent les divers pavillons nationaux? Pareille diversité ne fait pas obstacle à la fraternité des hommes. Je crois au contraire que mieux nous saurons comprendre et respecter le patrimoine propre de chaque communauté humaine, plus vite nous atteindrons cet idéal de paix et d’harmonie auquel aspire de toutes ses forces le monde contemporain. Notre pays a cette chance exceptionnelle d’avoir des fenêtres ouvertes sur deux mondes différents; et personne, bien sûr, ne voudrait obturer celle qui nous met en relation directe avec une francophonie qui est aujourd’hui le trait commun d’une trentaine de nations.

Mais si le Québec veut et doit rester fidèle à sa vocation française, il est aussi, géographiquement et économiquement, partie intégrante du Canada et d’un continent où vivent 200000000 d’Anglophones. Il ne s’en plaint pas, bien au contraire. Il est parfaitement conscient des avantages que cette situation lui procure. Et je suis sûr de bien interpréter les sentiments de l’immense majorité des Canadiens français en disant qu’ils tiennent tout autant à leur vocation nord-américaine qu’à leur vocation française.

Il ne s’agit pas, remarquez-le bien, de bannir du Québec une langue qui est celle non seulement de ses voisins, mais aussi d’une proportion importante de ses propres citoyens. Les Anglophones qui vivent avec nous, quelle que soit leur origine ethnique, sont aussi des Québécois à part entière. Et ce serait une grave erreur que de nous attribuer des intentions étroites ou mesquines.

Le programme de l’Union Nationale, qui a été conçu et adopté de la façon la plus démocratique qui soit, reconnaît expressément qu’il y a et qu’il doit y avoir au Québec deux langues officielles. Il ajoute que le français est un bien national, qu’il faut en conséquence préserver et mettre en valeur dans l’intérêt de tous, mais dans des conditions particulièrement difficiles.

Il se trouve en effet que, même au Québec, le français est de beaucoup la langue la plus menacée. C’est pourquoi nous devons consacrer une part importante de nos énergies et de nos ressources à la sauvegarde et à la valorisation de ce bien national.

Le gouvernement et les commissions scolaires dépenseront 1000000000 cette année pour l’éducation de notre jeunesse, dont 80 % est de langue française.

Ces efforts seraient en grande partie futiles si, pour une proportion toujours croissante de nos jeunes, le français devait être non plus la langue du travail et de la vie quotidienne, mais une langue du dimanche, que l’on garde comme un accessoire de luxe en attendant de la ranger parmi les souvenirs purement folkloriques.

Une langue est fatalement condamnée à s’appauvrir si elle cesse d’animer la vie concrète et d’être un instrument de progrès. Et je ne vois pas pourquoi, au Québec, la langue qui est celle de la grande majorité de la population ne pourrait pas occuper une place prépondérante même dans le monde des affaires et de la publicité. Je sais que des progrès considérables ont déjà été réalisés en ce domaine. Tout ce que vous ferez pour accélérer ces progrès ne peut que faciliter vos contacts avec votre personnel et vos clients du Québec.

Il est une autre cause de détérioration du français sur laquelle je voudrais attirer votre attention, car c’est peut-être là que vous pouvez nous aider le plus: je veux parler de l’abus que l’on fait encore trop souvent d’un français de traduction, d’un français qui apparaît bien dans les mots, mais qui n’est pas toujours le principe générateur et organisateur de la pensée.

Je vous le disais tout à l’heure: une langue n’est pas seulement un mode d’expression; elle modèle la personnalité d’un peuple dans ce qu’elle a de plus profond, de plus intime. C’est pourquoi il est si difficile d’être un parfait bilingue. Il faudrait avoir, pour ainsi dire, une double psychologie. Et je suis convaincu qu’en plus d’être une cause d’aliénation culturelle, une bonne partie de la publicité commerciale faite dans le Québec n’atteint pas sa pleine efficacité, justement parce qu’elle n’est pas conçue en fonction de la psychologie particulière de la population canadienne – française.

Si vous voulez atteindre et toucher vraiment cette clientèle, présentez-lui des messages pensés dans sa langue, avec une connaissance intime de ses réflexes et de sa sensibilité particulière.

Messieurs, après avoir entendu les messages des neuf autres provinces, vous avez voulu entendre celui du Québec. Ce message, j’ai essayé de le formuler dans un esprit positif, et j’espère que vous l’avez accueilli dans le même esprit.

Pour un pays aussi vaste et aussi diversifié que le nôtre, il y a mieux que l’uniformité: c’est l’harmonie. Il y a mieux que la centralisation: c’est la coopération. Il y a mieux que la tolérance: c’est l’amitié.

Et le Québec, qui est bien à l’heure de l’Expo 67, qui semble peut-être demander beaucoup mais qui a aussi beaucoup à donner, sera toujours largement ouvert aux valeurs susceptibles de favoriser au maximum l’union et la fraternité de tous les Canadiens.

[QJHSN19670604]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC BANQUET DU CINQUANTIEME ANNIVERSAIRE « ALLIED JEWISH COMMUNITY SERVICES OF MONTREAL » DIMANCHE, 4 juin 1967]

…de naissance, leur origine ethnique ou leurs particularismes culturels. Qu’importe qu’ils soient riches ou pauvres. Tous les Québécois le sont à part entière. Ils sont tous égaux devant la loi. Ils sont tous justiciables en nos cours de justice comme ils sont tous… contribuables, en puissance sinon en fait. Jean Jaurès a défini l’anti-sémitisme: l’internationale des imbéciles. Je crois du reste que cela existe de moins en moins, au Québec comme ailleurs. Être anti-sémite aujourd’hui, ce serait aller à l’encontre du courant oecuménique, à l’encontre de l’esprit de l’Expo 67, à l’encontre de toutes les conquêtes de l’humanisme moderne.

Selon moi, les Québécois d’origine juive et les Québécois d’origine française ont beaucoup en commun. Ils ont en commun de grandes qualités. Ils ont, les uns et les autres, le culte du souvenir, le culte des valeurs spirituelles et le culte de la liberté et de la dignité humaines.

Ainsi la devise du Québec: « Je me souviens », s’applique-t-elle magnifiquement aux uns comme aux autres. Ils respectent, les uns et les autres, la tradition dynamique. Ils sont surtout, les uns et les autres, fidèles à leurs origines. C’est qu’ils sont fiers de leur passé. Ils parlent avec orgueil de leurs illustres prédécesseurs, ce qui ne les empêche pas de vouloir être les pères de leurs enfants encore plus que les enfants de leurs pères. L’auteur de Maria Chapdelaine aurait …

La société québécoise n’est pas une, mais multiple. Elle comprend plusieurs familles culturelles et ethniques. Je crois qu’il en sera toujours ainsi et qu’il est bon, pour le Québec, qu’il en soit ainsi. Cette complexité est en effet une source de richesses. Elle exclut l’uniformité, qui risquerait d’être banale et ennuyeuse, mais elle rend possible quelque chose de beaucoup mieux: l’harmonie. Elle permet aux divers éléments de se compléter et de se féconder les uns les autres, chacun apportant à l’ensemble de la communauté le trésor de ses traditions et de ses qualités particulières.

Ce n’est donc pas s’opposer aux autres que de vouloir demeurer soi-même. Et cela s’applique à votre groupe comme .à tous les autres. Le Québécois d’origine juive n’a pas à se renier lui-même pour être bon Québécois. Je dirais plus: je dirais qu’il est bon Québécois parce qu’il ne renie pas ses origines.

Je déclarais, en apprenant la mort il y a quelques jours du grand historien Lionel Groulx, que son nationalisme était essentiellement positif. Que son nationalisme procédait de l’amour des siens et non de la haine des autres. Il était, en somme, fidèle à ses origines et c’est en ce sens que son nationalisme était essentiellement positif. Je ne veux pas entendre dire qu’il y a des Québécois de première classe et d’autres de deuxième classe. Il n’y a au Québec que des citoyens à part entière. Qu’importe leur lieu pu dire tout aussi bien des Québécois d’origine juive ce qu’il a dit des Québécois d’origine française: ils sont d’une race qui ne sait pas mourir:

Il faut, sans doute, que les civilisations qui ont produit le Québec évoluent, mais il ne faut toutefois pas qu’elles disparaissent. Les Québécois de toute origine ethnique doivent rester fidèles à leurs origines pour participer pleinement à cette synthèse originale qu’est le Québec moderne.

Il y a beaucoup en commun dans le destin des Québécois d’origine juive et dans celui des Québécois d’origine française. On les qualifie, les uns et les autres, de minoritaires dans l’ensemble du Canada. Ils constituent, les uns et les autres, des peuples missionnaires. Le grand écrivain suisse Ramuz a dit de ses compatriotes: « Ils habitent les flancs de la Montagne et la Montagne les sépare!  » En d’autres termes, ils sont Suisses parce que montagnards ou gens de la Montagne et il arrive que la Montagne les sépare. Or, je crois qu’il en a été de même, au cours des ans, entre Québécois d’origine juive et Québécois d’origine française.

Ils habitaient en quelque sorte les flancs d’une même Montagne et il est, par malheur, advenu que cette Montagne les ait séparés. Leur destin était parallèle. Il n’était sans doute pas tout à fait le même chez les uns et chez les autres, mais il était dans le même sens. Certains en ont conclu, bien à tort, qu’il était contradictoire. J’ai eu, depuis quelques semaines, l’occasion de dire et de redire assez souvent que le Québec n’était pas né d’hier. Que le Québec n’était pas le fait d’un gouvernement de quelques mois, ni même d’un gouvernement de quelques années, mais de tous les gouvernements qui se succèdent les uns aux autres depuis 1867. Que chacun de ces gouvernements a joué un rôle. Que chacun de ces gouvernements a fait sa part dans la réalisation de ce que le Québec est devenu. Bref, le Québec n’est certes pas le produit d’une génération spontanée. Mais ça ne veut cependant pas dire que tout ce qui a été fait, depuis 1867, l’a toujours été pour le mieux.

Il y a quarante ans et plus, ceux qui gouvernaient alors le Québec – de même que ceux qui l’ont gouverné depuis – n’ont pas toujours paru se rendre compte du fait que la culture française chez nous était à l’image et à la ressemblance de toute la communauté québécoise. On a ainsi parlé des droits et des devoirs des Canadiens français. Mais on a trop souvent paru considérer la culture française comme l’apanage d’un seul groupe. On n’a pas assez fait pour y faire participer également les autres groupes. Heureusement, vous avez fait beaucoup, de votre propre initiative, pour remédier à cette carence de nos gouvernements et de notre système d’éducation. Non seulement avez-vous tenu, pour la plupart, à apprendre le français, mais je constate avec bonheur la vitalité croissante au Québec de groupements comme celui du Cercle juif de Langue française. Je constate avec bonheur que les échanges culturels entre Québécois d’origine juive et d’origine française ne cessent de se multiplier.

Il y a d’ailleurs des malentendus qui remontent bien au-delà de la Confédération. Ainsi, un des plus illustres ancêtres de la communauté juive chez nous, monsieur Moses Hart, de Trois-Rivières, écrivait, en 1826, à Lord Bathurst pour lui demander son point de vue sur la situation du Bas-Canada et il commençait sa lettre par ces mots: [« I am the oldest English Canadian in Canada ».] En 1826, cet illustre et courageux Canadien d’origine juive se considérait comme un English Canadian. C’était tout à fait son droit. Mais je le constate avec un certain regret qui n’a rien de négatif, en songeant que cet ancêtre magnifique de la communauté juive du Québec était sans doute plus que tout autre capable de comprendre les problèmes auxquels devaient faire face ses compatriotes de culture française.

Je ne vous rappellerai pas qu’en 1807, le propre frère de Moses Hart, Ezekiel Hart, fut élu représentant de Trois-Rivières par une confortable majorité. Malheureusement, ça se passait à une époque d’intolérance où il fallait être chrétien pour avoir droit de siéger dans un parlement britannique: à Londres ou ailleurs. Ezekiel Hart ne put jamais devenir plus que député élu de Trois-Rivières. Mais en 1832, la législature de Québec fut le premier de tous les parlements britanniques à accorder aux Juifs des droits égaux à ceux de tous les citoyens du pays. Ainsi, depuis 135 ans, les Canadiens d’origine juive sont-ils, parmi leurs compatriotes d’autres origines, des Canadiens à part entière dans la province française du Canada. Ainsi, depuis cent ans que le Québec existe, les Québécois d’origine juive sont-ils des Québécois à part entière au Québec.

C’est dans cette perspective que votre Allied Jewish Community Services of Montreal est née, qu’elle a grandi, qu’elle est devenue ce qu’elle est, soit une des plus importantes en son genre et des mieux structurée dans tout le Québec. Or vous dites dans le mémoire de la Federation of Jewish Community Services of Montreal au gouvernement du Québec, concernant l’équité des octrois d’assistance accordés par le ministère de la Famille et du Bien-Être social – mémoire que vous me faisiez parvenir en date du 20 mars dernier – vous y dites que les gouvernements qui se sont succédés à la tête de notre province ont, par la promulgation d’une législation sociale fondamentale, reconnu que l’aide- aux déshérités est une responsabilité qui incombe d’abord au gouvernement.

Mes collègues du cabinet et moi-même sommes d’accord sur ce point avec les dirigeants de vos services d’entraide. Le gouvernement actuel est, peut-être plus que tout autre gouvernement du Québec dans le passé, conscient de ce fait. Nous avons accédé au pouvoir il y a quelques mois en disant que nous ne voulions pas que les frais de la sécurité sociale soient à charge des pauvres. En disant, tout au contraire, qu’il faudrait alléger le fardeau de ceux qui n’avaient pas les moyens de payer des taxes.

C’était, on ne peut plus, reconnaître la responsabilité que l’État, comme gardien du bien commun, et en étroite liaison avec tous les éléments de la communauté, doit assumer dans le domaine de l’aide aux déshérités. Ceci dit, reste que votre Fédération n’a pas autant besoin de l’État que l’État a besoin de votre Fédération. Votre Fédération est, en effet, au tout premier rang de ces corps intermédiaires dont mes collègues et moi-même reconnaissons l’importance et que nous voulons de plus en plus mettre à contribution.

Nous, les ministres du Québec, acceptons donc toutes nos responsabilités dans ce domaine essentiel de la sécurité sociale et je crois pouvoir dire que ce n’est qu’un début. Dans ce mémoire de la Federation of Jewish Community Services of Montreal auquel je viens de faire allusion, on dit encore ce qui suit: [« Bien que ces mesures législatives aient eu un certain succès et se soient indubitablement révélées un facteur important dans la création d’un climat social stable et progressif, les bénéfices assurés par ces mesures sont sapés par des forces économiques indépendantes, en grande partie, de la volonté de l’individu. Nul n’ignore, en effet, que l’inflation a été le principal facteur responsable de l’accroissement du coût de la vie et des difficultés que cette situation a entraînées pour les membres de plusieurs classes de la société ».] Un peu plus loin, toujours dans ce mémoire, je lis cette phrase: [« Il est évident que l’inflation est devenue une réalité permanente de notre économie, particulièrement si nous observons l’orientation qu’ont pris les accords sur les salaires, intervenus à la suite d’une succession de différends dans l’industrie, à travers le pays ».]

Je dis donc que le gouvernement actuel est conscient de ses responsabilités dans le domaine de la sécurité sociale, mais qu’il est aussi conscient du mal que cause l’inflation et des problèmes qui en résultent lorsque l’on veut réaménager la machine administrative. Je sais que les administrateurs de l’Allied Jewish Community Services of Montreal sont des hommes d’affaires avertis. Je ne vous ferai donc pas l’injure de vous dire que nous avons trouvé des remèdes-miracles afin de résoudre tous les problèmes qui se posent et notamment celui de l’inflation. Mais je tiens à vous répéter ce que le ministre de la Famille et du Bien-Être social, mon collègue, monsieur Cloutier, disait, le 4 décembre dernier, devant les membres de la Federation of Jewish Community Services of Montreal:

[« Not so long ago, governmental participation was very meagre indeed in the field of health and welfare. A new philosophy, now taken for granted, enables us to cooperate widely in the efforts of the citizens to better the lot of these in need. I do not wish you to think that, if you knock at my door tomorrow morning, all your problems will be solved and that, from now on, there will be no more shortcomings in the Jewish Community Services. You and I would like to dream of such a Garden of Eden, but you and I know that it is wishful thinking. You and I have to deal within bounds, we have to set priorities; as businessmen, we are well aware of planning requirements and of budget allotments ».]

Messieurs, je tiens pour un grand honneur d’avoir été invité à célébrer avec vous le 50e anniversaire d’un organisme qui a déjà rendu de si grands services et qui est sans doute appelé à en rendre de plus grands encore. Je vous félicite de tout le bien que vous avez accompli et que vous continuez d’accomplir pour la communauté juive, de même que pour le Québec dont cette communauté est partie intégrante. J’espère que se multiplieront des occasions comme celle-ci où nous pouvons en toute sérénité rechercher ensemble la solution de nos problèmes communs.

Dans les matières qui sont de sa compétence, le gouvernement du Québec est votre gouvernement comme il est le gouvernement de tous les autres groupes. Son appui ne vous fera pas défaut, surtout si vous savez l’aider de vos suggestions et de votre concours.

On dirait que plus le Québec s’ouvre au monde, plus il prend conscience des forces vives qui sont en lui. Avec vos traditions millénaires, votre ténacité, votre amour du travail, votre énergie créatrice, vous êtes, vous de la communauté juive du Québec, une partie importante de ces forces vives.

Il fut un temps ou, devant la diversité ethnique et culturelle de notre société, on parlait de la tolérance comme de la première des vertus. Mais cette notion trop passive est heureusement dépassée. Il ne suffit plus d’admettre que les autres puissent être différents; il faut s’en réjouir. Il faut apprendre à mieux connaître et à mieux utiliser les richesses que recèle le patrimoine de chaque groupe. Il faut y trouver un complément nécessaire, de nouvelles raisons de vivre, d’aimer, de progresser.

C’est dans cet esprit que j’ai préconisé l’adoption d’une charte des droits de l’homme, non pas sous la forme d’une loi ordinaire qu’une majorité, même éphémère, pourrait modifier au gré de sa fantaisie, mais comme partie intégrante de la constitution du Canada et de la constitution interne du Québec. Voilà l’un des projets auxquels je tiens le plus. Tout ce qui touche aux libertés fondamentales et à la dignité de la personne humaine doit être clairement défini et protégé par la constitution. Tout cela doit reposer sur des droits et non pas sur une simple tolérance. Je vous invite à participer activement aux travaux de notre comité de la constitution et des autres organismes chargés de l’étude de ces problèmes.

Mon souhait le plus ardent est que se développe, entre tous les éléments de la population québécoise, beaucoup plus que de la tolérance: je veux dire une amitié profonde, grâce à laquelle tous pourront participer d’un même élan et d’un même coeur à l’avancement de notre cher Québec.

[QJHSN19670624]

[MESSAGE DU PREMIER MINISTRE DU QUEBEC À L’OCCASION DE LA SAINT-JEAN-BAPTISTE ]

Le 24 juin étant par excellence la fête de la nation canadienne-française, il convient que le gouvernement du Québec, à qui cette nation a confié la direction de son destin, s’y associe pleinement, il convient que tous les Canadiens français, où qu’ils vivent en ce pays, sachent que leur fête nationale est l’objet d’une reconnaissance officielle là au moins où se trouve leur principal foyer, c’est-à-dire au Québec.

Trois siècles et demi après l’arrivée de Louis Hébert, voici que l’Exposition Universelle de Montréal vient manifester, à la vue de tous les pays même les plus lointains, l’émergence au Canada, et principalement au Québec, de cette nation de culture française qui, avec un dynamisme nouveau et une confiance totale en son avenir, entend participer avec toutes les autres à la construction d’un monde plus humain et plus fraternel.

Je demande à tous les Québécois, quelle que soit leur origine ethnique, d’entrer avec nous dans la ronde, de participer avec nous aux célébrations de leur fête nationale, puis de vivre avec nous la grande aventure du Québec moderne. Cet héritage culturel dont les Canadiens français sont si justement fiers n’est pas un bien réservé â leur usage exclusif. Il fait partie du bien commun du Québec et tous les citoyens du Québec sont, au même titre, responsables de sa préservation et de son devenir.

Au nom du gouvernement et en mon nom personnel, j’offre donc mes voeux les plus fervents à toute la communauté québécoise à l’occasion de cette fête nationale.

[QJHSN19670902]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER. MINISTRE DU QUEBEC CONGRES INTERNATIONAL DES CLUBS RICHELIEU GRAND SA LON, HOTEL REINE ELIZABETH Samedi le 2 Septembre 1967]

Ceux qui ont étudié l’histoire de notre population savent qu’au cours des deux cents dernières années, la nation canadienne-française a toujours poursuivi un objectif constant: la maîtrise de sa destinée. Bien sur, selon les périodes, les méthodes d’action ont varié, les moyens à notre disposition ont été différents.

Pendant quelques générations, on a par exemple cru que notre survivance ne serait garantie que dans un cadre rural et agricole. À d’autres moments, on a pensé à ce qu’on a appelé « l’achat chez nous », dont on espérait voir naître une industrie et un commerce canadiens-français florissants et puissants. On a également, à d’autres périodes, lutté pour l’usage du français sur les documents officiels du gouvernement fédéral. On a aussi réclamé un drapeau canadien distinctif.

Je pourrais citer bien d’autres exemples des préoccupations que nous avons manifestées au cours des deux derniers siècles. Par comparaison, plusieurs de celles-ci semblent aujourd’hui beaucoup moins ambitieuses que les buts que nous poursuivons à l’heure présente. En fait, notre nation, par une sorte de réalisme inné, s’est toujours choisie des objectifs qu’elle croyait pouvoir atteindre. Elle n’a jamais eu tendance à rechercher la réalisation de rêves, même si elle a toujours nourri un idéal collectif.

Cet idéal collectif, nous l’avons encore aujourd’hui. Notre façon actuelle de l’exprimer ne ressemble pas à celle des générations antérieures. Mais, dans l’essence, nous recherchons toujours la même chose: être nous-mêmes. Cu, plus précisément, donner à la nation canadienne-française les moyens de s’épanouir et de s’affirmer.

L’évolution et le brassement d’idées qui se produisent présentement au Québec ne sont donc pas des phénomènes temporaires. Ils ont été préparés par les générations qui nous ont précédé, et c’est à la génération présente, à la nôtre, qu’incombe le devoir de poursuivre la tâche entreprise.

Cette tâche, toujours aussi enthousiasmante et toujours aussi difficile, est maintenant devenue globale. De plus, à cause des circonstances nouvelles, à cause de la prise de conscience de notre population, nous serons bientôt en mesure de franchir une étape capitale de notre évolution comme nation. Cette étape sera plus lourde de conséquences que toutes celles qui ont pu la précéder et la préparer. Elle demandera du courage, de l’esprit d’invention, du réalisme et de la persévérance.

Du courage, parce que certains obstacles, de l’intérieur et de l’extérieur, se dresseront devant nous comme cela a toujours été le cas dans le passé.

De l’esprit d’invention, car nous ne pourrons nous contenter de copier ce qui a pu se faire ailleurs. Du réalisme, car nous devrons tenir compte à la fois du milieu dans lequel nous vivons et de l’interdépendance nécessaire à toutes les nations modernes. De la persévérance, car il s’agit d’une tâche dont la conduite à bonne fin, une fois entreprise, pourra prendre des années avant d’être terminée.

En quoi consiste cette tâche ? Les principaux éléments en ont été énoncés, à Ottawa, en septembre 1966, lors d’une conférence fédérale-provinciale.

Je cite le document officiel déposé à cette occasion par le gouvernement du Québec : « Comme point d’appui d’une nation, le Québec veut être maître de ses décisions en ce qui a trait à la croissance humaine de ses citoyens, c’est-à-dire à l’éducation, à la sécurité sociale et à la santé sous toutes leurs formes, à leur affirmation économique, c’est-à-dire au pouvoir de mettre sur pied les instruments économiques et financiers qu’ils croient nécessaires, à leur épanouissement culturel, c’est-à-dire non seulement aux arts et aux lettres, mais aussi a la langue française et au rayonnement de la communauté québécoise, c’est-à-dire aux relations avec certains pays et organismes internationaux.  »

Je n’aime pas utiliser des expressions grandiloquentes. Je ne crois pas cependant, qu’il soit exagéré de dire que ces objectifs de la nation canadienne-française supposent que le Canada de demain sera construit sur de nouvelles bases. Car c’est bien ce dont il s’agit. Naturellement, un tel programme a ceci de particulier qu’il demande aux canadiens de langue anglaise de faire un effort qui ne leur a jamais été demandé auparavant. Dans les années antérieures, on espérait de leur part de la tolérance et de la patience.

Aujourd’hui, pour que le Canada lui-même survive, nous exigeons d’eux qu’ils fassent, comme nous, preuve de courage, d’esprit d’invention, de réalisme et de persévérance.

C’est là où nous en sommes. Et maintenant où allons-nous ?

Par l’Histoire, par les circonstances nouvelles dans lesquelles nous vivons, par la nécessité qu’il y a de trouver à nos millions de jeunes des emplois dans leur langue, par la profonde conviction d’un nombre de plus en plus grand des nôtres qu’un peuple a le droit fondamental de disposer de lui-même, nous sommes, comme gouvernement, obligés de fournir des réponses aux questions qui surgissent de tous les milieux. Nous sommes, du même coup, forcés de proposer des solutions qui soient à la mesure de notre dignité nationale.

Cette responsabilité redoutable et inéluctable, nous l’avons assumée, et nous sommes fermement résolus à nous en acquitter. Ceux qui cherchent dans tout cela des motifs partisans, ceux qui croient déceler dans nos positions constitutionnelles des astuces électorales comprennent, hélas! bien peu de choses au Québec moderne. Malheureusement pour eux et pour ce qu’ils représentent, ils se placent de la sorte en marge du mouvement dynamique qui anime notre société. Ils préfèrent jouer le rôle passif de monuments politiques élevés en l’honneur d’un statu quo dont non seulement notre peuple ne veut plus, mais dans lequel celui-ci perçoit, en cette seconde moitié du vingtième siècle, une des menaces les plus subtiles à son existence même. Il n’y a pas de lendemain pour ceux qui ne savent pas voir de quoi aujourd’hui est fait.!

Et de quoi aujourd’hui est-il fait ? Il est fait, en ce qui nous concerne, d’une nation qui recherche pacifiquement une égalité faute de laquelle cette nation n’a d’autre alternative que l’indépendance. Et comme le Québec est au Canada le principal foyer de cette nation, il en découle que le statut constitutionnel du Québec de l’avenir devra profondément être modifié.

En quoi le sera-t-il ? C’est justement ce que les prochains mois nous permettront d’expliciter. Nous croyons en effet que la nécessité et l’urgence d’une nouvelle constitution sont maintenant démontrées. Il y a déjà plusieurs années qu’il en est question au Québec, et le reste du pays sait maintenant à quoi s’en tenir sur nos objectifs généraux.

Bien sûr, dans la liste de ces objectifs généraux que j’ai cités il y a un instant, il n’y a aucune proposition précise en ce qui concerne les modifications qu’il conviendrait, selon nous, d’apporter à tel ou tel article de la constitution actuelle. Le temps viendra bientôt où nous ferons les propositions constitutionnelles voulues. Nous ne l’avons pas encore fait jusqu’à maintenant, et cela pour une raison bien simple. Nous ne recherchons pas une retouche superficielle de la constitution présente du pays; nous en voulons une nouvelle, dont les principes soient différents, notamment pour ce qui est de reconnaissance de la nation canadienne-française et de son statut d’égalité avec le Canada anglais. C’est pourquoi il nous semblait tout d’abord logique de montrer dans quelle voie générale nous entendions nous diriger, quitte ensuite, sur le plan constitutionnel, à élaborer les textes juridiques nécessaires.

Cette première étape, que je qualifie d’étape explicative, est maintenant assez avancée pour que nous en entreprenions simultanément une seconde. Non pas que tout le monde au Canada soit convaincu du bien fondé de nos positions ou soit d’accord avec nous. Cela est peut-être un objectif sinon inaccessible, du moins à long terme. C’est pourquoi, même si nous entrons désormais dans une nouvelle étape, que j’appelle « étape active », nous continuerons inlassablement à exposer nos vues et à montrer clairement sur quels motifs s’appuieront nos diverses politiques. Nous croyons que notre population a le droit évident d’être informée. Nous sommes également d’avis que le reste du Canada, et les autres pays doivent nous comprendre.

Cette étape « active » donnera lieu à deux types principaux de gestes. Les uns, comme notre récente démarche auprès du gouvernement fédéral sur les pensions de vieillesse, conduiront à des actes législatifs et aux décisions administratives pertinentes. Ils seront tous, nous le souhaitons, précédés de négociations. Cependant, comme les domaines auxquels ces négociations s’appliqueront, seront tous des domaines ou les positions du Québec sont connues depuis longtemps et appuyées sur la constitution actuelle du pays, il ne nous semble pas nécessaire d’attendre que la nouvelle constitution soit entièrement élaborée avant d’agir.

Les autres gestes auxquels nous songeons concernent une négociation bien précise: celle qui nous permettra de définir le statut futur du Québec sur le plan constitutionnel et de le faire accepter. La première véritable discussion officielle de la question au Canada aura lieu cet automne à Toronto. Cette première rencontre sera, j’imagine, suivie d’autres échanges de vues dont le Québec attend beaucoup. C’est avec confiance et avec espoir que nous nous engagerons dans ces discussions. Elles se produisent justement au moment ou l’on sent que les vues de la population québécoise sur les principaux éléments de son futur statut constitutionnel ont maintenant eu le temps de mûrir.

Naturellement, personne n’a jamais cru que toutes ces discussions se feraient automatiquement dans l’unanimité la plus parfaite. Il y aura des divergences d’opinion entre canadiens d’expression anglaise et canadien: d’expression française. D’ailleurs, les Québécois eux-mêmes ne sont pas nécessairement unanimes. Cependant, si la tâche à accomplir est difficile il n’en demeure pas moins que ce n’est pas la une raison suffisante pour ne pas s’y engager carrément et aborder avec sérénité cette étape déterminante non pas seulement de l’histoire du Québec, mais aussi de l’histoire du Canada.

[QJHSN19671127]

[Allocution d’ouverture du premier ministre_ du_ Québec, M. Daniel Johnson, à la conférence sur la »Confédération de demain ». Toronto, lundi le 27 novembre-1967]

Je tiens pour un grand honneur et une très grande responsabilité de pouvoir participer, avec les premiers ministres des autres provinces, à cette conférence sur le Canada de demain. Je suis sûr de bien exprimer les sentiments de mes collègues et de mes compatriotes du Québec en disant combien nous sommes reconnaissants au premier ministre de l’Ontario, M. Robarts, d’avoir conçu et préparé cette réunion; et combien nous sommes reconnaissants aussi aux premiers ministres des autres provinces de s’être rendus à son invitation.

Sans doute cette rencontre sera-t-elle suivie de plusieurs autres. C’est d’abord un travail de réflexion et d’exploration que nous entreprenons ensemble. Mais si l’on en juge par l’immense intérêt qu’elle soulève dans tout le pays, tel qu’en témoignent le nombre et la qualité des journalistes qu’elle a attirés à Toronto, je crois que cette conférence, toute préliminaire qu’elle soit, est déjà perçue comme une étape majeure dans l’évolution du Canada moderne.

En 1867, ce sont les provinces qui ont décidé d’un commun accord de donner naissance à la Confédération canadienne. Elles n’étaient que quatre au départ. Avec les autres qui s’y sont ajoutées par la suite avec essentiellement les mêmes droits et les mêmes devoirs, ce sont donc les créateurs et les constituants du fédéralisme canadien qui se retrouvent aujourd’hui à Toronto, pour se pencher sur leur oeuvre et voir comment il y aurait lieu de la parfaire et de l’adapter aux besoins d’aujourd’hui.

On sait combien les changements ont été rapides et profonds, en ces dernières années, pas seulement chez nous, mais dans l’univers entier. Nous pouvons par conséquent nous inspirer de ce qui se fait ailleurs, tout en nous rappelant qu’il n’existe pas deux pays identiques et que c’est à nous seuls qu’il appartient de bâtir le Canada dans lequel nous voulons vivre.

Je crois que pour procéder avec un maximum de clarté et d’efficacité, il est très important que nous sachions distinguer, dès le départ, entre deux catégories de problèmes. Il y a d’abord tous les problèmes qui n’ont aucun rapport direct avec la langue ou la culture; autrement dit, ceux où les intérêts du Québec coincident avec ceux des autres provinces. Le fédéralisme demeure une formule valable pour résoudre ce genre de problèmes. Le Canada est un pays géographiquement si vaste et si diversifié que même si sa population était culturellement homogène, il ne saurait être convenablement administré par un gouvernement unique.

C’est dire qu’il y a certains domaines dont toutes les provinces voudront conserver la maîtrise. Et il y a également certains domaines que le Québec, aussi bien que les autres provinces, peut trouver intérêt à confier à une direction commune. II ne s’ensuit pas que le partage des compétences, tel qu’établi en 1867 pour un pays largement rural dont la population dépassait à peine les 3000000 d’âmes, soit encore celui qui convienne le mieux au Canada d’aujourd’hui. La constitution actuelle contient bien des anachronismes de forme et bien des dispositions périmées.

Chose encore plus grave: à cause de ses obscurités, souvent même de ses silences sur les vrais problèmes d’aujourd’hui, elle n’est plus un instrument dynamique de coordination et de progrès.

Les Pères de la Confédération ne pouvaient pas prévoir les formidables changements technologiques qui devaient transformer les structures de la société et le rôle des gouvernements. Ils ont agi à partir des réalités de leur temps pour élaborer ce qui était déjà notre cinquième constitution depuis 1760. À nous d’agir en fonction des réalités d’aujourd’hui, comme l’ont d’ailleurs fait une cinquantaine d’autres pays depuis la fin du dernier conflit mondial en se donnant de nouvelles constitutions.

Je n’entends pas par là qu’il faille détruire tout ce qui a été patiemment édifié pendant un siècle et recommencer à zéro. Il reste cependant que, même en ce qui concerne les problèmes qui ne mettent pas directement en cause nos particularismes culturels, les changements à faire demeurent assez nombreux et assez profonds pour nécessiter l’élaboration d’une constitution nouvelle.

Je songe en particulier au besoin de mieux institutionnaliser les relations entre nos divers gouvernements, spécialement en matières économiques et fiscales. Il faut, par des mécanismes bien établis de consultation et de coordination, faire en sorte que les provinces ne soient plus exposées, à la suite par exemple d’un rapport Carter ou d’une entente tarifaire, à se trouver soudainement en face de décisions fédérales qui auraient pour effet de bouleverser leur économie ou leurs structures industrielles, affectant du même coup le bien-être de leur population.

Relativement à cette première série de problèmes, qui implique déjà le besoin de concilier les impératifs de l’autonomie avec ceux de l’interdépendance, le Québec se sent tout à fait solidaire des autres provinces; et la voie qu’il propose est celle d’une planification en commun et d’une action coordonnée.

Mais le Canada n’est pas seulement une fédération de dix territoires. Il est aussi la demeure de deux communautés linguistiques et culturelle, de deux nations au sens sociologique du terme. Je sais qu’autrefois on parlait plus volontiers de deux races. Si nous préférons employer aujourd’hui le mot « nation », c’est qu’il a une signification beaucoup plus large, qui ne se limite pas aux deux peuples fondateurs, mais s’étend également à tous nos compatriotes d’origines diverses qui participent à l’une ou à l’autre de nos deux cultures nationales.

Ce qui est à la base de ce concept, c’est donc beaucoup moins l’origine ethnique que l’appartenance culturelle. Quel que soit le terme employé, on ne peut pas ignorer ce fait fondamental qu’il y a au Canada non seulement deux langues, mais deux façons d’être et de réagir, deux sociétés dont l’une est enracinée depuis trois siècles et demi, en terre d’Amérique.

D’où une seconde série de problèmes, soit les problèmes socio-culturels, qui tiennent à la nécessité d’harmoniser les rapports de ces deux communautés, tout en permettant à chacune de s’épanouir librement suivant son génie propre. Et c’est là surtout qu’éclate le besoin d’une nouvelle constitution.

Car si la constitution actuelle comporte encore des éléments valables en ce qui concerne l’organisation d’un Canada à dix, il faut bien admettre que cet autre Canada, le Canada à deux, reste largement à inventer. Voilà sans doute pourquoi notre pays est resté jusqu’à maintenant le Canada des deux solitudes. Il ma semble pourtant que cette dualité culturelle devrait être accueillie non pas comme un facteur de division ou d’isolement, non pas comme un mal nécessaire qu’il faudrait s’efforcer de circonscrire dans toute la mesure du possible, mais bien comme une faveur exceptionnelle de l’histoire, qui confère au Canada une double dimension et le met en rapport direct et intime non seulement avec le monde anglophone, mais encore avec plus de vingt nations qui ont part à la langue et à la culture françaises. Il se trouve que des deux cultures canadiennes, c’est évidemment la française qui est la plus menacée dans le contexte nord-américain.

Dans un pays comme le nôtre, il est fondamental que la constitution reconnaisse les droits collectifs des deux communautés culturelles. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique comportait un certain nombre de garanties pour la minorité anglophone du Québec, mais elle n’en comportait guère pour les minorités françaises des autres provinces. Cette constitution n’a donc pas été un instrument d’égalité. Elle a plutôt tendu à refouler le fait français à l’intérieur du territoire québécois.

Quitter le Québec, pour un Canadien français, c’était et c’est encore s’exposer à renoncer tôt ou tard, pour lui-même ou pour ses descendants, à son identité culturelle. Songez qu’au recensement de 1961, sur 1300000 Canadiens d’origine française vivant hors du Québec, il n’y en avait plus que 850000 de langue française.

Voilà pourquoi notre gouvernement a reçu le mandat de militer de toutes ses forces en faveur d’une constitution nouvelle consacrant l’égalité juridique et pratique de nos deux communautés nationales. Nous ne voulons pas imposer notre langue indistinctement à tous les Canadiens; mais nous voulons que partout où ils sont suffisamment groupés, les Canadiens français puissent servir leur pays et en être servis dans leur langue, comme citoyens à part entière.

La responsabilité d’établir cette égalité n’incombe pas seulement au gouvernement du Québec. C’est une responsabilité que partagent avec nous les autres provinces et le gouvernement fédéral.

L’Ontario et d’autres provinces ont récemment annoncé des gestes concrets qui pourraient s’avérer d’une grande portée en ce qui concerne l’enseignement dans la langue française. C’est un excellent point de départ et je m’en réjouis. On me permettra tout de même de signaler que le Québec reste bien en avant des autres en ce qui concerne le respect de l’autre culture.

Pour la langue, pour les écoles, pour les institutions culturelles et sociales de sa population anglophone, le Québec s’est toujours fait un point d’honneur d’aller bien au-delà de ce que prescrit la constitution de 1867. Il ne le regrette pas. Cela fait partie de ses traditions les plus chères.

J’ajouterai cependant qu’il n’en a que plus souffert des difficultés éprouvées par les groupes français des autres provinces. Tout ce qui est de nature à restreindre les libertés légitimes de ces groupes éveille dans le Québec un écho douloureux. Tout cela favorise singulièrement ceux qui ont cessé de croire possible l’établissement de rapport; d’égalité entre nos deux communautés nationales.

Le gouvernement fédéral n’étant pas officiellement partie à cette conférence, c’est en d’autres occasions que nous lui dirons ce que nous attendons de lui. Il y a toutefois un point sur lequel j’aimerais amorcer dès maintenant les réflexions de tous.

Je prends pour acquis que la prochaine constitution du Canada proclamera l’association de nos deux communautés culturelles et établira clairement les droits collectifs de ces deux communautés. Pourquoi n’établirait-on pas alors un organisme permanent, composé à part égale de Canadiens des deux cultures, pour surveiller l’application de ces droits collectifs?

Il n’y a présentement aucun organe permanent qui soit constitué sur une base binationale. Il n’y en a aucun qui soit le principe organisateur du Canada à deux, seule forme possible, d’après nous, au Canada de demain.

On parle avec raison et depuis bien longtemps, d’une réforme du Sénat et de l’établissement d’un véritable tribunal constitutionnel. Tout cela est plus nécessaire que jamais.

Enfin, il est bien évident que devant ces problèmes socio-culturels, le Québec n’est pas une province comme les autres. Il se trouve dans une situation tout à fait particulière, comme principal foyer et point d’appui du Canada français. On peut même dire que moins le gouvernement d’Ottawa sera binational dans ses structures et son comportement, plus deviendra exigeante cette vocation particulière du Québec.

Bien sûr, le Québec n’est pas à lui seul tout le Canada français. Il n’a pas juridiquement la charge des groupes français établis en dehors de son territoire. Pourtant, son gouvernement est seul à pouvoir parler au nom d’une majorité française.

Car c’est seulement au Québec que les Canadiens français ont la force politique que confère la prépondérance numérique. C’est là seulement qu’ils peuvent se donner des institutions, un cadre de vie, un milieu qui soient à la dimension exacte de leurs besoins et de leur personnalité.

Il y a donc un rôle que seul le Québec peut jouer pour assurer l’égalité de la nation canadienne-française. C’est pourquoi il a besoin de pouvoirs accrus.

En 1867, il pouvait peut-être lui suffire d’être maître de l’enseignement, du droit civil, des institutions de bien-être et des autres secteurs mentionnés à l’article 92 de la constitution actuelle; aujourd’hui, il lui faut beaucoup plus, comme je l’ai déclaré en septembre de l’an dernier, lors de la quatrième réunion du Comité du régime fiscal, dans les termes suivants. Plus précisément, que veut le Québec? Comme point d’appui d’une nation, il veut être maître de ses décisions en ce qui a trait à la croissance humaine de ses citoyens , c’est-à-dire à l’éducation, à la sécurité sociale et à la santé sous toutes leurs formes, à leur affirmation économique, c’est-à-dire au pouvoir de mettre sur pied les instruments économiques et financiers qu’ils croient nécessaires, à leur épanouissement culturel, c’est-à-dire non seulement aux arts et aux lettres, mais aussi à la langue française et au rayonnement de la communauté québécoise, c’est-à-dire aux relations avec certains pays et organismes internationaux .

À cette étape-ci de nos pourparlers, je tenais à esquisser au moins dans ses grandes lignes, et avec le plus de clarté possible, la conception que se fait le Québec du Canada de demain. Si je n’ai pas réussi à être plus bref, c’est sans doute parce qu’il n’y a guère de solutions simples à un problème complexe. Du moins les solutions en apparence les plus simples ne sont-elles pas toujours celles qui cadrent le mieux avec la réalité.

Nous entreprenons donc ensemble un travail difficile, mais exaltant. Je vous remercie de l’intérêt que vous manifestez à l’endroit du Québec d’aujourd’hui. De nôtre côté nous essayerons de bien comprendre les points de vue de nos partenaires. Nous sommes venus ici avec un esprit et un coeur largement ouverts.

Quelqu’un a dit qu’une constitution était une oeuvre de raison; je crois que c’est aussi une oeuvre de foi. Pour ma part, je demeure optimiste. Je suis convaincu que cette conférence sera le point de départ d’un Canada nouveau, où la dualité linguistique et culturelle sera non plus une cause d’incompréhension et de conflits, mais un facteur de coopération, d’enrichissement mutuel et d’affirmation de l’identité canadienne.

[QJHSN19671205]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC INAUGURATION DU NOUVEL IMMEUBLE DU SIEGE SOCIAL DE L’ASSURANCE-VIE DESJARDINS Mardi, le 5 décembre 1967]

Je suis toujours extrêmement heureux et extrêmement fier de prendre contact avec les responsables d’une grande réussite québécoise. C’est un plaisir de choix qu’il m’est donné de savourer bien souvent puisque les grandes réussites québécoises vont se multipliant dans tous les domaines.

Quand on analyse, si sommairement que ce soit, le bilan de l’Assurance-Vie Desjardins, on y trouve, noir sur blanc, la preuve que dans le secteur des affaires comme dans les autres, nous sommes capables de nous forger des instruments parfaitement accordés à nos besoins collectifs.

Voici une institution qui n’a pas encore vingt ans. Et déjà, son volume d’assurance souscrite atteint près de 2000000000 $.

Au moment de sa fondation, en 1948, il y avait en Amérique du Nord 700 entreprises d’assurance-vie. La vôtre était naturellement au pied de la liste puisqu’elle était la dernière venue. Mais comme elle a été vive à gravir les échelons ! Aujourd’hui, on la voit déjà en 90e place, sur une liste qui en comprend maintenant 822. C’est dire qu’il y a en Amérique du Nord plus de 700 entreprises d’assurance-vie qui n’ont pas la taille de la vôtre bien qu’elles soient, pour la plupart, plus anciennes que la vôtre. Et bien sûr, vous n’avez pas fini de monter.

Qu’on ne vienne donc pas me dire que les Canadiens français n’ont pas le goût et le sens des affaires. Car ces progrès, ce n’est tout de même pas aux autres que vous les devez. Sans doute avez-vous bénéficié de l’expérience et du dynamisme de ce vaste mouvement des Caisses Populaires Desjardins dont vous êtes l’une des ramifications les plus prometteuses. Vos racines plongent dans une terre qui était déjà défrichée, labourée, fertilisée par le travail patient et méthodique de plus d’une génération de Québécois. Dans les sociétaires de ces caisses, vous trouviez une clientèle en puissance, admirablement rompue aux pratiques de l’épargne et de la solidarité économique.

Mais ce tremplin dont vous avez si bien profité pour prendre votre élan est lui-même une réalisation que les coopérateurs ne doivent à personne d’autre qu’à eux-mêmes. Il y a 2000000 de coopérateurs dans le Québec d’aujourd’hui. Voilà 2000000 de Québécois dont on ne peut sûrement pas dire qu’ils sont des « entretenus ». 2000000 de Québécois qui savent marcher sur leurs propres jambes et grouper leurs épargnes pour avancer ensemble et faire avancer avec eux toute la communauté dont ils sont issus.

Je veux bien qu’on nous serve de temps à autre une bonne caricature de nos défauts ou de nos déboires; cela peut être utile à certains moments; à condition toutefois qu’à force d’ensemencer les nuages, les faiseurs de pluie ne finissent pas par noyer le grain qui pousse. Le plus grand danger qui nous guette n’est pas celui de nous illusionner sur nos talents et nos ressources; c’est bien plutôt celui d’attribuer à des faiblesses congénitales des retards qui résultent de causes historiques ou géographiques et qui n’ont aucun rapport avec notre mentalité ou notre culture; retards que nous aurons vite rattrapés si, au lieu de cultiver un pessimisme qui conduit à la passivité, nous savons prendre conscience de toutes les possibilités qui sont en nous et autour de nous.

Que peut-il sortir de bon du Québec et du Canada français? Certains se sont posés la question avant l’Expo 67. Eh bien! vous connaissez maintenant la réponse: ce fut le plus grand succès dans toute l’histoire des expositions universelles. Nous n’avons pas fait cela tous seuls, mais c’est chez nous que cela s’est fait et personne n’ignore la part que nous y avons prise. On peut dire, je pense, qu’aux yeux du monde entier, l’Expo 67 aura été la véritable accoucheuse du Québec moderne.

Quand l’Hydro-Québec, alors que j’étais ministre des Ressources hydrauliques, s’est mise à confier des taches d’une très grande importance à des ingénieurs de chez nous, à des entrepreneurs de chez nous, à des techniciens et à des fournisseurs de chez nous, vous auriez dû voir les froncements de sourcils, les doutes et les inquiétudes qui se lisaient sur certains visages. Mais la preuve est maintenant faite que, même dans les secteurs qui se situent à l’extrême pointe du progrès technologique, nous sommes capables non seulement de suivre les autres, mais de les devancer dans bien des cas.

Ce savoir-faire, cet esprit d’invention, ces dons créateurs que nous savons manifester en d’autres sphères, je me demande bien ce qui pourrait nous empêcher de les appliquer aussi au domaine du commerce, de l’industrie, de la finance, des grandes affaires. Nous étions bien partis avant 1760. Il y a eu, bien sûr, un certain hiatus dans notre développement, ce qui nous a obligés à recommencer aux portes et chassis, comme on s’est plu à le dire récemment. Il fallait bien bâtir des capitaux avant de bâtir des usines. Il fallait bien commencer par la petite entreprise avant d’accéder à la grande. D’ailleurs, même aux États-Unis, pays par excellence du gigantisme, les petites et moyennes entreprises continuent de se multiplier et de jouer un rôle extrêmement important dans la vie économique.

Mais nous n’en sommes pas restés là. Je pourrais citer de nombreux exemples d’industriels ou de financiers canadiens-français qui, partis de rien il y a dix, vingt ou trente ans, ont édifié des entreprises dont le rayonnement s’étend aujourd’hui bien au-delà des frontières du Québec et du Canada.

Souvent, c’est à l’étranger que nous recueillons les plus beaux témoignages de, confiance à l’endroit du Québec et de ses institutions. Malheureusement, nous sommes ainsi faits que nous publions plus volontiers nos retards que nos succès. Nous ne sommes pas sans défauts et, dans ce monde ou l’interdépendance est l’un des premiers impératifs du progrès économique, nous aurons toujours beaucoup à apprendre des autres; mais nous avons aussi certaines choses à leur enseigner. Et dans le domaine de la coopération, pour ne mentionner que celui-là parce qu’il vous concerne de plus près, ce n’est sûrement pas le Québec qui a du rattrapage à faire, puisque nous sommes bien en avance sur toutes les autres provinces.

Il nous reste quand même beaucoup à faire pour occuper, dans l’économie du Québec et du Canada, la place qui devrait normalement être la nôtre. Et si j’ai voulu montrer que nous sommes capables de réussir aussi bien que les autres, c’est précisément pour que nous ne perdions pas le goût et la volonté de faire beaucoup plus.

Puisque nous voulons participer plus étroitement à la direction de notre économie et à la mise en valeur de nos ressources matérielles et humaines, il nous faudra prendre les moyens d’y parvenir. Or la recette est exactement la même pour toutes les nations du monde. Il s’agit de travailler fort; de dépenser moins et d’épargner davantage; d’apprendre a grouper nos capitaux et à les investir la où ils profiteront le plus à l’ensemble de la communauté; de ne pas être les derniers à prendre confiance en nous-mêmes; d’épauler en toute occasion les entreprises et les institutions qui travaillent pour nous. Songez à tous les emplois qu’il faudra créer, au cours des prochaines années, pour les jeunes qui sortiront de plus en plus nombreux de nos écoles et de nos universités. Si les progrès de l’économie québécoise ne leur permettaient pas de trouver chez nous les carrières pour lesquelles ils seront si bien préparés, bon nombre de nos diplômés devraient forcément chercher du travail ailleurs et les milliards dépensés pour l’éducation auraient servi dans une large mesure à tirer pour d’autres les marrons du feu.

Je sais que l’État a aussi un grand rôle à jouer dans l’économie moderne et, pour ma part, j’ai bien hâte qu’une fois réglé le problème constitutionnel, nous puissions enfin consacrer toutes nos énergies à des tâches d’expansion industrielle, commerciale et financière dans un Québec où il reste tellement à faire. Mais pour être pleinement valable, l’action de l’État doit elle-même s’appuyer sur les forces vives de la nation. Rien ne saurait remplacer les valeurs d’initiative, de discipline et de solidarité qu’incarne si bien le mouvement coopératif. Messieurs, je vous félicite d’avoir créé cette entreprise et de lui avoir imprimé un si vigoureux essor. L’Assurance-Vie Desjardins est à l’image d’un Québec en pleine croissance. Elle contribue à l’avancement du Canada tout entier puisque son action s’étend bien au-delà des frontières québécoises.

Puisse-t-elle continuer de grandir et de nous inspirer, par la dimension même de ses succès, une indéfectible foi en nous-mêmes, en nos institutions et en notre avenir.

[QJHSN19670225]

[NOTES UTILISEES PAR M. DANIEL JOHNSON CHEF DE L’ UNION NATIONALE CONFERENCIER D’HONNEUR — « DINER-BENEFICE » HOTEL REINE-ELIZABETH Montréal, 25 février 1967]

Les conférences de Toronto et d’Ottawa n’ont évidemment pas réglé le problème constitutionnel, mais elles ont ouvert la voie à un règlement possible. Et c’est déjà beaucoup.

Comme le rappelait avec humour M. Pearson, c’est souvent le premier pas qui coûte le plus. Quand nous avons commencé à parler d’une constitution nouvelle, au début de 1963, beaucoup se demandaient avec scepticisme comment nous arriverions à nouer le dialogue avec nos partenaires. Les amener à remettre en question le vieil ordre constitutionnel et à s’asseoir autour d’une table pour en élaborer un nouveau, telle paraissait être la première étape à franchir, et l’une des plus difficiles. Cette étape est maintenant franchie et le dialogue est bel et bien engagé.

Autre motif d’espoir: la mentalité évolue rapidement, et pour le mieux, dans l’ensemble de la population canadienne, et spécialement chez les éléments les plus jeunes et les plus éclairés. Les aspirations des Canadiens français sont beaucoup mieux comprises aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a seulement cinq ou dix ans. Par exemple, la these des deux nations, ou des deux sociétés, ou des deux peuples fondateurs, est aujourd’hui admise sous une forme ou sous une autre par tous les partis fédéraux, même s’il se trouve, au sein de ces partis, des individus qui essayent encore de freiner le mouvement ou de faire marche arrière.

Sauf erreur, c’est le N.P.D. qui a été le premier à inscrire formellement cette thèse à son programme. Le parti conservateur en a fait autant, à son dernier congrès, tournant ainsi la page sur une époque révolue. Quant au parti libéral fédéral, il avait endossé substantiellement la même idée en proposant le texte bien connu du mandat de la Commission Laurendeau-Dunton. Cette Commission était en effet chargée de « recommander les mesures à prendre pour qui la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée », compte tenu de l’apport des autres groupes ethniques.

Aujourd’hui, tous les partis québécois s’entendent au moins sur un minimum, ce qui est encore un grand progrès. Car il n’en fut pas toujours ainsi. Elle n’est pas tellement éloignée, cette époque où certains croyaient encore rentable de se moquer de la « totauraie ». Et dans un passé pas plus lointain que 1954, n’a-t-on pas vu un parti soi-disant québécois faire bloc avec ses amis d’Ottawa contre l’affirmation des droits du Québec en matière d’impôt sur le revenu?

Aujourd’hui, nous avons des partis ou des mouvements qui se remontrent plus radicaux que d’autres; mais nous n’en avons aucun qui ne réclame au moins une constitution nouvelle, avec, pour le Québec, des pouvoirs proportionnés à ses responsabilités comme principal foyer de la nation canadienne-française ou, pour parler comme le discours du Trône, comme seule expression politique d’une majorité francophone.

Donc, il y a eu des progrès immenses en ces dernières années, progrès qui nous font espérer un règlement prochain de cet irritant problème constitutionnel, de façon que nous puissions enfin consacrer toutes nos énergies à d’autres taches. Malheureusement, il se trouve encore, dans tous les partis fédéraux, des gens qui refusent d’évoluer avec l’ensemble de la population canadienne; des gens qui ne veulent pas entendre parler d’une nation canadienne-française, comme s’il suffisait de la nier pour qu’elle n’existe pas; des gens qui s’ingénient à caricaturer, voire à représenter faussement et malhonnêtement les aspirations du Québec; des gens qui ne craignent pas, pour arriver à leurs fins, de ressusciter tous les vieux mythes qui empoisonnent les relations entre nos deux communautés culturelles depuis le rapport Durham.

Ces gens ne forment qu’une minorité, mais une minorité remuante. On comprend que de vieux politiciens, sur la fin de leur carrière, puissent encore incarner ces idées d’un autre temps; ce qu’on comprend moins, c’est que des candidats à des fonctions importantes veuillent, en 1968, se bâtir une carrière sur des attitudes aussi rétrogrades.

Le rapport Durham parlait avec hauteur des Canadiens français comme d’un peuple non-éduqué, retardataire, voué à une infériorité irrémédiable. Il disait notamment ceci: [« On ne peut guère concevoir nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que les descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu’ils ont gardé leur langue et leurs coutumes particulières. C’est un peuple sans histoire et sans littérature ».]

D’où il concluait qu’il fallait enlever au Bas-Canada ses droits politiques, son autonomie, pour n’en confier le gouvernement qu’à une Assemblée décidément anglaise.

Tout cela a été si souvent réfuté qu’on ne croirait pas nécessaire d’y revenir. Pourtant, c’est exactement dans la même ligne de pensée que se placent ceux qui combattent les revendications du Québec sous prétexte que nous parlerions un mauvais français, comme ce quelqu’un qui disait récemment à la télévision de langue anglaise: [« Je ne crois pas qu’Ottawa devrait accorder le moindre pouvoir à la province de Québec tant qu’elle n’aura pas prouvé au reste du Canada qu’elle peut enseigner une meilleure langue dans ses écoles « . (Pierre-Elliott Trudeau, d’après Le Devoir du 15 février) « I don’t think Ottawa should give one single of power to the province of Quebec until it has shown the rest of Canada it can teach better language in its schools », Justice Minister Trudeau said on a TV program, Under Attack ». (Toronto Daily Star, 14 février 1968)]

Les quelques attardés qui osent encore parler ainsi font preuve d’une dangereuse ignorance non seulement de la vitalité culturelle et du dynamisme du Québec d’aujourd’hui, mais encore, ce qui est peut-être plus grave, de la nature même du fédéralisme.

Ce n’est pas Ottawa qui « donne » leurs droits aux provinces. Dans une véritable fédération, les pouvoirs de l’État sont répartis par la constitution entre deux ordres de gouvernement, dont chacun est autonome dans la sphere de sa compétence. Dire qu’Ottawa pourrait se comporter comme la source et le dispensateur des droits, en faire paternellement la distribution aux provinces, leur en accorder plus ou moins, suivant la qualité de leur français ou de leur anglais, c’est raisonner comme si nous vivions en régime unitaire.

Or, ce système a été essayé sous l’Union, précisément à la suite du rapport Durham. Il a été une faillite complète. Va-t-il falloir recommencer l’expérience pour quelques fossiles qui vivent encore au 19e siècle?

Et puis, en quoi la qualité de notre langue s’en trouverait-elle améliorée si nous étions gouvernés davantage par Ottawa? ‘Y parle-t-on un plus beau français que chez nous? La culture canadienne-française serait-elle plus rayonnante si elle était privée de ses bases politiques et économiques dans le Québec? Le gouvernement fédéral s’est-il tellement préoccupé, depuis un siècle, de montrer le visage français de notre pays, de multiplier les contacts avec la francophonie, d’encourager ses fonctionnaires francophones à travailler et à créer dans leur propre langue?

On se fait dangereusement illusion si l’on croit qu’une fois assurés les droits linguistiques des minorités françaises, le Québec deviendra automatiquement une province comme les autres. Je me réjouis grandement du déblocage linguistique qui est en voie de s’opérer en Ontario et ailleurs. En faisant disparaître une cause permanente de frustrations, ce déblocage va contribuer puissamment à assainir le climat des relations entre nos deux communautés. Mais on ne saurait réaliser pleinement l’égalité culturelle sans en évoquer ce que la Commission Laurendeau-Dunton appelle « la dimension politique ».

C’est qu’il ne suffit pas de pouvoir parler sa langue. L’important est d’en vivre. Si les Canadiens français étaient en minorité partout, il ne pourrait même pas être question d’égalité culturelle. On a opté en 1867 pour le régime fédératif pour qu’au moins dans le Québec, où ils sont en majorité, les Canadiens français puissent organiser leur vie collective en fonction de leur culture, tout comme font naturellement les Anglo-canadiens qui sont en majorité dans les neuf autres provinces. Sans cette base, ce foyer, ce point d’appui, il n’y aurait pas de nation canadienne française. Et ceux qui ne veulent pas entendre parler d’une nation canadienne-française se montrent tout à fait logiques quand ils s’acharnent à limiter le plus possible les droits du Québec.

Mais il se trouve que ces droits sont bien antérieurs à la Confédération elle-même. La constitution de 1867, comme du reste celle de 1791 créant le Haut et le Bas-Canada, ne faisaient que confirmer, en les aménageant à l’intérieur de nouveaux cadres politiques, les dispositions essentielles déjà édictées par l’Acte de Québec en 1774.

À ce moment-là, les colonies américaines étaient en pleine agitation. Pour que les Canadiens français ne soient pas trop fortement tentés de se joindre à la rébellion, on décida de révoquer la Proclamation de 1763, qui visait à les assimiler, et de leur permettre de vivre en français, avec leur droit civil, leurs usages, leurs traditions et leurs institutions. L’Acte de Québec fut la Grande Charte de la nation canadienne-française.

Mais ceux qui, avec le rapport Durham, nous prennent encore pour un peuple de pouilleux se moquent bien de la nation canadienne-française. Ils appellent cela une « tribu ». Nous ne devons pas, disent-ils, repenser la constitution canadienne en fonction de la tribu. Ils posent en farouches adversaires du nationalisme, comme si le nationalisme était nécessairement une chose mauvaise.

C’est un fait qu’un nationalisme étroit, outrancier, xénophobe, est une aberration qui peut conduire aux pires catastrophes. Mais pourquoi n’en voir que les déformations et les abus possibles? En soi, le nationalisme est une valeur positive, nécessaire. Il est l’expression d’un sentiment d’appartenance, d’une solidarité, d’un vouloir vivre commun.

Et je ne sache pas que les Canadiens français aient jamais péché par excès de solidarité. C’est plutôt l’excès contraire qu’ils ont à redouter. Sans un minimum de cohésion nationale, ils ne pourraient absolument pas survivre comme peuple.

Bien sûr qu’il entre dans le nationalisme une part de sentiment; mais les rêves, les aspirations, les sentiments d’un peuple ne sont-ils pas aussi des forces créatrices? Et serions-nous encore des hommes si, par impossible, nous pouvions devenir des êtres désincarnés, apatrides, uniquement nourris d’idées froides et abstraites? Le nationalisme est un phénomène naturel, tout comme la nation est une société naturelle.

Et comme il y a deux nations au Canada, il est tout à fait normal qu’il s’y trouve aussi deux nationalismes. Ce qui n’est pas normal, c’est que les structures politiques de notre pays soient ainsi faites que ces deux nationalismes, ces deux forces, aient presque fatalement tendance à se faire échec au lieu de se conjuguer.

Nous avons cette chance moule d’avoir deux locomotives au lieu d’une seule, mais au lieu de les faire travailler ensemble, nous les plaçons à chaque bout du train pour qu’elles tirent dans des directions opposées. Voilà ce qui menace l’existence du Canada. Nous voulons une constitution nouvelle pour que nos deux nationalismes puissent enfin hâler ensemble au lieu de jouer au souque à la corde.

Il ne faut pas accéder aux demandes du Québec, dit-on en certains milieux, parce que ce serait détruire ou émasculer le gouvernement fédéral. Rien n’est plus faux. Qu’on relise attentivement et sans préjugés nos mémoires de Toronto et d’Ottawa: on n’y trouvera rien qui ne soit compatible avec un véritable fédéralisme. Tout ce que nous voulons enlever à Ottawa, c’est la faculté d’intervenir constamment dans les affaires des provinces en vertu de ce qu’on a appelé très justement des pouvoirs indéfiniment extensibles. Ces pouvoirs sont tellement exorbitants que dans son ouvrage intitulé « Modern Constitutions », le professeur K. C. Wheare, qui est l’une des grandes autorités en la matière, dit qu’on peut très bien regarder la constitution canadienne [« as not strictly federal »], comme une constitution qui n’est pas strictement fédérale. [« It may be called quasi-federal », écrit-il. ] Ce n’est que du quasi-fédéralisme.

On dit encore qu’il ne faut pas accéder aux demandes du Québec parce qu’on ne sait pas où ces demandes pourront s’arrêter. Voilà encore une proposition qu’il faut inverser si l’on veut rester dans le vrai: nous voulons une constitution nouvelle précisément parce que nous ne savons pas ou pourront s’arrêter les empiètements d’Ottawa sous le régime actuel.

Voici un exemple. Tout le monde sait que les hôpitaux, la santé, c’est du domaine des provinces. Quand le gouvernement St-Laurent a proposé d’établir un système d’assurance-hospitalisation, il a eu au moins le souci élémentaire de dire que ce système n’entrerait en vigueur que s’il était accepté par une majorité de provinces représentant une majorité de la population canadienne. Mais le rouleau compresseur de la centralisation a fait du chemin depuis ce temps-là. Voici qu’en pleins pourparlers constitutionnels, le gouvernement fédéral décide unilatéralement de mettre en vigueur un régime d’assurance-santé même si seulement une ou deux provinces, et pas les plus populeuses, sont actuellement prêtes à y concourir. Sur ce point-là, Ottawa n’a pas la moindre hésitation à donner un statut particulier à une ou deux provinces, aux dépens des contribuables de tout le pays.

Autre exemple: nous étions à peine revenus de la conférence d’Ottawa qu’un avant-projet était déposé devant un comité de la Chambre des Communes sur la radio éducative. C’est justement l’un des problèmes que, par notre mémoire, nous avions soumis à la conférence constitutionnelle. Nous avons toutes les raisons du monde de vouloir rester maîtres chez nous, au moins dans le domaine de l’éducation. Mais au lieu d’en discuter comme il convient, entre partenaires de bonne foi, on pose sans avertissement des gestes qui tendent à nous placer devant le fait accompli. Toujours ce jeu de souque à la corde.

Je vous le demande: est-ce là une situation saine pour le Québec et pour le Canada? Est-ce ainsi que l’on peut assurer au maximum le progrès économique, social et culturel de tous les Canadiens? Est-ce qu’on s’y prend de la bonne manière pour favoriser la paix, l’union, l’harmonie entre nos deux communautés culturelles?

Il ne se passe pas de mois sans que nous ne soyons obligés d’écrire à Ottawa pour protester contre une nouvelle intrusion fédérale. M. Lesage faisait la même chose. Le rouleau compresseur n’en continue pas moins sa marche inéluctable. À la faveur d’une constitution désuète, anachronique, incomplète, obscure, entachée de colonialisme, sans inspiration et sans envolée, nous glissons comme sur la pente fatale vers l’unitarisme et la désunion nationale.

Le gouvernement fédéral est faible? À qui la faute? Il s’attire des difficultés inextricables en se mêlant de ce qui ne le regarde pas. C’est parce que nous voulons un gouvernement fédéral fort que nous voulons qu’il se mêle de ses affaires et qu’il s’en mêle bien. Le Québec sera toujours prêt à coopérer avec un tel gouvernement, de quelque couleur politique qu’il soit.

Dans la préface de son histoire des Canadiens français, Mason Wade nous décrit comme « un peuple généralement placide et d’humeur facile qui semble avoir voué un véritable culte à la modération ». On l’a du reste unanimement reconnu à la récente conférence d’Ottawa: c’est le Québec qui a le mieux respecté les droits de ses minorités linguistiques, scolaires et culturelles. C’est le Québec qui sert de barème au reste du pays.

J’espère qu’il en sera toujours ainsi. J’espère qu’à la faveur d’une constitution nouvelle, nos problèmes de coexistence pourront être résolus d’un bout à l’autre du pays comme ils le sont présentement dans le Québec.

Ne nous laissons donc pas abattre par les difficultés, les incompréhensions, les mythes que l’on invente ou que l’on essaye de faire revivre pour nous décrier aux yeux des autres Canadiens. Nous en avons vu bien d’autres au cours de notre longue histoire. Depuis trois siècles et demi, les Canadiens français ont affronté, avec des moyens beaucoup plus faibles qu’aujourd’hui, des défis autrement redoutables. Ils n’ont jamais cessé de grandir. Voici, comme je le disais au début de cet exposé, que nos motifs d’espoir sont plus forts et plus nombreux qu’ils ne l’ont jamais été. Nous vivons une période historique, où tout remue, où tout change, où tout est en devenir. Profitons en pour bâtir un Québec à la mesure de nos aspirations et de nos besoins. Que notre confiance et notre détermination soient, pour tous ceux qui vivent avec nous, quelles que soient leur langue ou leur origine, une invitation pressante à participer de plein pied à la grande aventure du Québec moderne.

[QJHSN19680316]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC BANQUET ANNUEL DES GOUVERNEURS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DES JEUNES DU DISTRICT DE MONTREAL HOTEL BONAVENTURE,-MONTREAL SAMEDI, LE 16 MARS 1968]

L’approche du printemps n’est pas, pour l’homme moderne, une période de joie sans mélange. C’est qu’avec le retour de l’hirondelle coïncide le retour des échéances fiscales. Pendant que les contribuables s’affairent à préparer leurs rapports d’impôts, les gouvernements s’affairent à préparer leurs budgets. Et je vous prie de croire que ce ne sont pas les gouvernements qui ont la tâche la plus facile.

Les dépenses publiques ont cette pernicieuse tendance à grossir toujours plus vite que les revenus. C’est apparemment un phénomène universel. Vous voyez par exemple comment le gouvernement d’Ottawa doit remettre trois fois sur le métier ses mesures fiscales pour essayer de les faire accepter par sa députation, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle manque d’enthousiasme. Vous connaissez aussi les mésaventures que connaissent aux États-Unis les projets d’augmentations de taxes du président Johnson. La situation n’est pas plus brillante en Grande-Bretagne où elle se complique de difficultés économiques et monétaires.

Les problèmes que rencontrent les provinces canadiennes ne sont pas du même ordre, mais ils n’en sont pas moins réels.

Après l’étude la plus fouillée et la plus objective qui ait jamais été faite sur l’évolution des besoins financiers des divers gouvernements du Canada, le comité du régime fiscal en est arrivé à la conclusion, en 1966, que même en s’acquittant des seules responsabilités qu’elles assumaient déjà à cette époque, les provinces devraient inévitablement faire face, au cours de la période 1967-72, à des dépenses considérablement supérieures à leurs ressources. Le comité prévoyait que la situation financière des provinces s’aggraverait sans cesse, tandis que celle du gouvernement fédéral aurait plutôt tendance à s’améliorer.

C’est pour empêcher que l’écart entre les deux ne se creusât davantage que les provinces ont demandé avec insistance et à l’unanimité un transfert net de ressources fiscales. Cette demande n’ayant pas été agréée, il ne faut pas s’étonner de voir l’Ontario et les autres provinces annoncer à tour de rôle de nouvelles augmentations de taxes.

La situation serait bien plus grave encore si, comme l’aurait voulu le gouvernement fédéral dans un domaine qui n’est pourtant pas de son ressort, un régime universel d’assurance-maladie avait été mis en vigueur dès cette année dans tout le pays.

Que comportera le budget du Québec qui sera déposé dans quelques jours ? Il va de soi que je ne puis anticiper sur le beau discours que prépare à ce sujet le ministre des Finances. Mais rien ne m’empêche de vous dire un mot de la philosophie qui nous inspire.

Disons d’abord que ce ne sont pas les beaux projets ni les bonnes suggestions qui manquent. Avec toutes les délégations qui nous visitent, avec tout ce que nous recevons de mémoires, de requêtes et de rapports, avec en outre tout ce qui s’écrit dans les journaux, nous ne risquons pas d’être à court d’idées sur la façon de disposer de nos revenus.

C’est une très bonne chose qu’on nous tienne au courant des besoins et des aspirations légitimes des divers éléments de la population et nous aurions mauvaise grâce à nous en plaindre. Nous avions promis de gouverner avec le peuple, de le faire participer à l’élaboration des politiques qui le concernent; et comme dirait un personnage que je n’ai pas besoin de vous nommer: « Le peuple nous a compris ».

Seulement, il se trouve qu’à peu près toutes les suggestions qui nous sont faites impliquent de nouvelles dépenses. Beaucoup se portent volontaires pour nous dire comment dépenser; mais il y en a bien peu qui prennent la peine de venir nous voir ou de nous écrire pour nous dire où trouver l’argent.

Or, vous comprendrez facilement que notre problème, quand nous préparons un budget, ce n’est pas de trouver des façons de dépenser. C’est plutôt de contenir la dépense dans des limites raisonnables, compte tenu d’une situation financière qui n’est plus du tout ce qu’elle était en 1960, de l’état des marchés des capitaux et, par-dessus tout, des moyens des contribuables. Voilà ce qui est difficile. Voilà ce qui demande de la fermeté, de la discipline.

Rien ne serait plus agréable que de pouvoir donner suite à tous les beaux projets qui nous sont soumis. Il faut malheureusement choisir, en donnant la priorité à ce qui est le plus urgent, à ce qui est le plus productif, à ce qui favorisera davantage la croissance de l’économie québécoise.

Car ce serait une grave erreur de croire que le meilleur gouvernement serait celui qui dépenserait le plus. Toute dépense publique retombe en définitive sur les payeurs de taxes; et à trop alourdir le fardeau fiscal, on risquerait de décourager le travail et l’épargne, de tuer l’esprit d’initiative et de chasser les industries dont nous avons tant besoin.

Il y a en somme une ligne à tirer, qui est la ligne de la mesure et du bon sens, entre deux excès possibles. Personne, bien sûr, ne songerait à revenir aux minces budgets d’antan. Quand j’ai été élu pour la première fois, en 1946, le budget total du Québec n’atteignait même pas $ 150000000. C’est seulement en 1957-58 qu’il a franchi la marque du demi-milliard. Rien que pour le ministère de l’Éducation, aujourd’hui, nous n’en aurions pas assez de tout le budget de 1960, qui dépassait à peine les $ 600000000.

C’est facile, en 1968, d’ironiser sur la maigreur de ces budgets de jadis. Je crois personnellement que nous aurions dû, à l’époque, y aller plus largement. Mais il faut tenir compte du contexte et de la mentalité du temps.

Jamais, de 1946 à 1960, je n’ai entendu l’opposition soutenir que nous ne dépensions pas assez. Au contraire, elle répétait avec emphase que nous dépensions trop. Elle s’ingéniait à changer les surplus en déficits, pour mieux fulminer contre ce qu’elle appelait l’hémorragie des dépenses. Elle s’indignait de la prodigalité du gouvernement et ne manquait jamais de prédire la banqueroute à brève échéance.

Je me souviens que vers 1958, un économiste, M. Roland Parenteau, osa pour la première fois faire entendre un autre son de cloche en écrivant que la situation n’était pas aussi noire qu’on le disait et qu’il y aurait même lieu, pour le gouvernement, de desserrer davantage les cordons de la bourse. Mais c’était la voix qui criait dans le désert.

Bien sûr, depuis dix ans, la mentalité a bien évolué, au Québec comme partout ailleurs. L’État doit forcément assumer aujourd’hui, notamment dans les domaines de l’éducation, du bien-être social et du développement économique, des responsabilités infiniment plus lourdes qu’autrefois. Il ne faudrait pas cependant verser dans un autre excès. L’hypertrophie de l’État comporte aussi de sérieux dangers. Dans son Histoire des Institutions, Jacques Ellul y voit même l’une des causes principales de la décadence de l’Empire romain.

[« D’une part, écrit-il, l’État souffre de gigantisme. Il devient autoritaire, centralisé, totalitaire. Autoritaire: tout doit être réglé par voie d’autorité, pour chaque question une loi, un décret, un mandat impérial décide de façon souveraine. Centralisé: les administrations locales et provinciales perdent de leur importance, tout doit être décidé dans la capitale, par l’Empereur et ses bureaux. Totalitaire: l’État cherche à s’occuper de toute la vie de l’Empire, à réglementer la vie économique, sociale, spirituelle; il assume la totalité des activités. Il essaie à la fois d’ordonner et de promouvoir toute la vie collective… « ]

L’auteur dégage plus loin les conséquences financières et économiques de cet état de choses: [« Cette croissance du pouvoir et des attributions de l’État, dit-il, entraîne d’abord un gigantisme administratif. Il faut toujours davantage d’administrations et de fonctionnaires au fur et à mesure que les domaines d’intervention s’accroissent. Or, d’une part, le recrutement de ces fonctionnaires enlève à la vie économique une part toujours grandissante de main-d’oeuvre productive, d’autre part, cette administration coûte de plus en plus cher. L’accroissement administratif s’effectue par une double voie: tantôt ce sont de vrais services administratifs qui se développent, tantôt ce sont des secteurs d’activité privée qui deviennent des administrations. Or, le coût excessif de ces administrations devient une charge écrasante pour l’État. Les impôts ne cessent de croître alors que l’activité économique est en difficulté. La lourdeur de la fiscalité est une des causes les plus importantes de la désagrégation de l’Empire. D’une part, pour arriver à faire rentrer les impôts, il faut augmenter indéfiniment les administrations financières. D’autre part, pour éviter de payer, beaucoup préfèrent abandonner leur terre ou leur métier. Et malgré le poids des impôts, l’État n’arrive pas a couvrir ses dépenses et se trouve sans cesse au bord de la faillite. Enfin la croissance administrative entraîne une extrême lourdeur de l’appareil et un grand désordre. Il y a tant d’administrations qu’il devient impossible d’agir rapidement au point de vue politique et qu’il est également difficile d’ordonner, de répartir, d’équilibrer les pouvoirs. « ]

Cela se passait il y a plus de quinze siècles. Vous voyez qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et que ceux qui seraient prêts, aujourd’hui, à tout remettre aux mains de l’État, dût-il crouler sous le poids de ses usurpations et de ses engagements financiers, n’ont absolument rien inventé.

Je ne voudrais pas comparer le Québec à l’Empire romain, bien qu’on m’ait récemment accusé de vouloir me tailler un petit empire. Si cette accusation était semeuse, je ne chercherais pas à mettre la population en garde contre les dangers de l’hypertrophie de l’État. C’est ma ferme conviction que le bien commun se situe dans un juste milieu entre un développement excessif du pouvoir politique et une conception étroitement conservatrice du rôle de l’État.

Conformément au programme qui l’a fait élire, le gouvernement actuel voit dans l’entreprise privée, « tant qu’elle reste compétence et dynamique », le moteur par excellence du progrès économique. C’est particulièrement vrai en Amérique du Nord, où la liberté d’initiative a produit le plus haut niveau de vie au monde. Nous faisons partie d’un ensemble économique dont nous devons respecter les règles du jeu si nous voulons profiter de ses incontestables avantages.

Mais les règles du jeu, en Amérique comme ailleurs, laissent à l’État des fonctions extrêmement importantes, qu’il est d’ailleurs seul à pouvoir remplir dans l’intérêt général. Il lui appartient d’éclairer la voie, de coordonner les efforts, de fournir au besoin l’étincelle créatrice, de stimuler les secteurs les plus faibles, de suppléer aux défaillances de l’entreprise privée, d’assurer l’harmonie de l’ensemble. Ce qu’il faut éviter, c’est que la prolifération des services administratifs se propage d’une façon désordonnée, à la manière d’un cancer qui finirait par digérer et détruire les cellules vivantes de la société.

Au Québec, on est en droit d’attendre encore davantage de l’État, puisqu’il faut organiser les cadres de la vie sociale et de la vie économique en fonction d’une culture qui n’est pas celle du reste du continent. Il est bien évident que dans ce contexte particulier, on ne saurait, par exemple, abandonner aux seuls intérêts privés la responsabilité de la radio-télévision éducative.

Par contre, nos ressources étant forcément limitées, nous avons plus qu’ailleurs le devoir d’accorder la préséance aux investissements vraiment productifs. Si vous donnez un poisson à un homme, dit un proverbe arabe, vous lui permettez de vivre pendant une journée; mais si vous lui montrez à pêcher, vous lui donnez de quoi vivre pendant toute sa vie.

Traduire cette philosophie en termes budgétaires, c’est réserver les plus hautes priorités à l’éducation, à la recherche, à la promotion industrielle et au développement économique.

Voilà précisément ce que nous essayons de faire. J’aimerais vous en dire davantage, mais je dois laisser durer le « suspense » jusqu’au discours sur le budget.

Tout ce que je tiens à ajouter en terminant, c’est que le gouvernement n’entend pas éluder les responsabilités qui sont les siennes. Il restera dans son rôle, mais il le jouera à fond, dans le meilleur intérêt de la communauté québécoise.

Ne vous laissez donc pas impressionner par les alarmistes, les broyeurs de noir. Si nous avons des problèmes, en particulier des problèmes de croissance, nous ne sommes pas seuls à en avoir et nous avons par contre des possibilités immenses, qui n’existent nulle part ailleurs. Il nous est donné cette chance unique de pouvoir communiquer avec deux mondes différents; de pouvoir élaborer, sur les rives du Saint-Laurent, une synthèse de ce qu’il y a de plus valable dans les civilisations américaine et européenne; de pouvoir concilier un haut standard de vie avec un mode de vie original; de pouvoir allier un solide esprit pratique à l’exubérance latine et à la joie de vivre.

Pour peu que nous sachions agir avec détermination, avec solidarité, avec optimisme, je puis vous assurer qu’il se passera des choses encore plus intéressantes au pays de Québec.

[QJHSN19680331]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC

RECEPTION OFFERTE PAR LA. COLONIE DU MOYEN-ORIENT, SOUS Les AUSPICES DE LA. PAROISSE SAINT-SAUVEU.R DE MON T REA L HOTEL REINE ELIZABETH, MONTREAL DIMANCHE, LE 31 MARS 1968]

Monseigneur, Monsieur le Président, Monsieur l’Ambassadeur, Monsieur le Chargé d’Affaires, Mesdames, Messieurs,

Je connaissais déjà, pour en avoir entendu célébrer la magnificence, l’hospitalité propre aux peuples du Moyen-Orient. Je constate ce soir que, transplantés dans un continent auquel on reproche parfois une certaine indifférence dans les rapports entre individus, vous n’avez pas perdu cette chaleur et cette générosité qui vous caractérisent et vous rendent si attachants. Il est vrai que vous êtes au Québec et que le peuple du Québec est reste, à maints égards, assez près de ses sources pour ne point gêner la culture et les traditions de ceux de ses fils d’adoption qui sont venus des rives de la Méditerranée.

En décidant de vous établir au Québec et d’y oeuvrer, vous nous avez rendu un grand service. Je sais ce que le Québec vous doit. Je sais que plusieurs parmi vous enseignent dans nos écoles, travaillent dans nos hôpitaux, besognent dans nos établissements commerciaux où ils apportent les fruits de leur expérience, de leur dévouement et aussi de leur esprit d’invention. La culture que le temps a déposée en vous donne à votre activité sociale, quelle qu’elle soit, une qualité qui nous incite nous-mêmes à atteindre un degré de perfection toujours plus poussé. C’est pourquoi je n’hésite pas à dire que vous êtes parmi nos meilleurs citoyens et que vous devez vous convaincre que cette terre québécoise est autant la vôtre que celle de ses habitants dont les ancêtres vinrent au Canada il y a plus de trois siècles.

À l’exception des Indiens et des Esquimaux qui étaient ici bien avant la venue de Jacques Cartier et de Champlain, nous sommes tous, en ce pays, des immigrants ou des descendants d’immigrants. Chaque famille canadienne est issue de l’un de ces pionniers qui sont partis d’au delà des mers, à une époque plus ou moins lointaine, pour venir participer sur ce continent à l’édification d’un monde nouveau.

Et même s’il est la plus ancienne province du Canada, le Québec n’en demeure pas moins un pays neuf: un pays aux vastes espaces et aux richesses à peine entamées; un pays qui ouvre un champ immense à la liberté, à l’initiative et aux dons créateurs de l’homme; un pays qui reste largement à inventer et à construire.

Je vous invite à contribuer pleinement, avec les dons admirables qui vous sont propres, à ce travail d’invention et de création continues, afin que le Québec de demain, tout en étant bien de l’Amérique du Nord au plan de l’économie et de la technique, puisse incarner aussi, par ses affinités culturelles et par la qualité de son humanisme, beaucoup de la douceur et de la richesse des grandes civilisations méditerranéennes.

Je vous engage en outre à ne pas vous laisser troubler ou inquiéter par ceux qui cherchent à répandre une fausse image du nationalisme canadien-français, en le présentant soit comme une réaction d’isolement ou de repli, soit encore comme un sentiment étroitement raciste ou tribal. Cette méchante caricature est l’antipode même de la vérité.

Les efforts que nous multiplions pour resserrer toujours davantage les liens culturels qui nous unissent à la France et à bien d’autres pays ne procèdent sûrement pas d’une volonté d’isolement. De plus, j’ai très souvent expliqué, notamment à la conférence constitutionnelle de Toronto, pourquoi nous disons qu’il y a au Canada deux nations au sens sociologique du terme. Autrefois, on parlait assez couramment de deux races. Si nous préférons utiliser aujourd’hui le mot « nation », c’est précisément parce qu’il évoque une dimension infiniment plus vaste que celle de l’origine ethnique: la dimension culturelle.

Ce concept des deux nations est même, vous en conviendrez, autrement plus large que celui des « deux peuples fondateurs » dont s’est servi le gouvernement fédéral en formulant le mandat de la Commission Laurendeau-Dunton. Car loin de se limiter aux Canadiens d’ascendance française ou britannique, il englobe tous les citoyens, quels que soient leur nom ou leur origine, qui participent à l’une ou à l’autre de nos deux grandes communautés culturelles.

Il faut donc voir dans le nationalisme canadien-français une force, un élan, une volonté d’affirmation et de progrès, un attachement dynamique à un patrimoine particulier, bref: une valeur éminemment positive, sans laquelle jamais il n’aurait été possible de préserver ce pluralisme culturel qui est aujourd’hui la note dominante de l’identité canadienne et qui fait que, vous aussi, vous pouvez vous sentir pleinement chez vous au Québec et dans les autres parties du pays. Les luttes incessantes que nous avons dû soutenir pour l’égalité culturelle, pour le respect des libertés personnelles et collectives, pour la primauté des valeurs humaines, profitent en définitive à tous les groupes minoritaires.

Nous savons, nous, ce que c’est que d’être une minorité. Aussi le Québec n’a-t-il pas attendu d’y être obligé, ou de s’y être obligé par une charte des droits de l’homme, pour respecter les particularismes culturels de ses propres minorités. Il n’a jamais cherché, en cette matière, à interpréter la constitution d’une façon restrictive ou mesquine. Il, est toujours allé bien au-delà de ce à quoi il était juridiquement astreint.

Et quels que soient les termes de la prochaine constitution canadienne, ou encore de la charte des droits de l’homme que nous allons très bientôt nous donner, au Québec, je suis sûr que l’immense majorité de la population québécoise se fera toujours un point d’honneur de préférer, à « la lettre qui tue, l’esprit qui vivifie ». Cela fait partie du patrimoine qu’elle tient à conserver.

Par ailleurs, vous conviendrez que cette population, qui est en très grande majorité de langue et de culture françaises, peut à bon droit s’attendre à ce que ceux qu’elle est heureuse d’accueillir en territoire québécois veuillent bien partager non seulement son niveau de vie, non seulement le bénéfice de ses richesses matérielles, mais aussi ses préoccupations, ses espoirs, ses inquiétudes et ses aspirations légitimes .

En particulier, elle peut à bon droit s’attendre à ce que les Néo-Québécois fassent les efforts nécessaires pour apprendre notre belle langue française, langue universelle, langue officielle d’une trentaine de nations réparties sur tous les continents du globe, langue de 170000000 d’hommes de toute race et de toute couleur, langue dont le prestige ne cesse de croître dans les organismes internationaux, dans les sociétés savantes, dans les pays du marché commun, et même en Grande-Bretagne et aux États-Unis et, devrais-je ajouter, dans les autres provinces.

On entend dire parfois que la connaissance de cette langue serait loin d’être indispensable chez nous, vu que dans 25 ou 50 ans, il n’y aura peut-être plus de Canada français. Sachez qu’on dit cela depuis 200 ans. Pourtant, le Canada français est plus vivant et plus rayonnant que jamais. Au moment de la Confédération, la population de Montréal était en majorité anglophone. La population de la ville de Québec était anglophone dans une proportion de 40 pour cent. En 1867, il y avait à peine un million de Canadiens français dans tout le pays. Vous savez qu’il y en a 6000000 aujourd’hui.

A. tous les défaitistes et à tous les broyeurs de noir, on ne saurait apporter de meilleure réponse que celle d’Arnold Toynbee qui, dans son fameux ouvrage « Civilisation on Trial », a écrit que les Canadiens français et les Chinois étaient les deux peuples qui avaient le plus de chances de durer jusqu’à la fin de l’Histoire.

Soyez-en bien convaincus: il y aura toujours un Canada français. Un Canada français respectueux de toutes les cultures aussi bien que de toutes les réalités nord-américaines. Un Canada français largement ouvert à toutes les amitiés et à toutes les collaborations. Et si, un jour, pas impossible, il ne devait plus y avoir de Canada français, je me demande en quoi notre pays pourrait encore se différencier de son puissant voisin du sud.

J’ai l’honneur d’être le chef d’un parti qui est, bien sur, un parti nationaliste. Il ne faudrait pas cependant confondre notre nationalisme avec diverses formes d’extrémisme. Nous prétendons incarner les aspirations profondes de la communauté québécoise. C’est le peuple lui-même qui, dans nos assises, dans nos diverses commissions d’étude, dans les innombrables consultations que nous avons nues avec les principaux corps intermédiaires, a inspiré la rédaction de notre programme.

Or, il est écrit dans ce programme que l’anglais doit rester au Québec l’une des deux langues officielles. Il est bien évident que nous avons besoin de l’anglais pour communiquer avec nos compatriotes d’autre culture comme avec les peuples qui nous entourent.

Par ailleurs, il est également écrit dans ce programme que le français doit bénéficier au Québec d’un rang et d’un prestige particuliers, d’abord parce qu’il est la langue de la majorité de la population, et aussi parce que sa situation en Amérique du Nord est de toute évidence plus difficile, plus vulnérable que celle de l’anglais. Je suis sûr que vous verrez dans ce programme, comme dans les propos que je tiens devant vous, l’expression d’une attitude non pas étroite, non pas extrême, mais tout simplement réaliste.

L’arrivée – je dirais presque massive – d’immigrants au Québec a suscité, comme vous le savez, un certain nombre de problèmes au cours des deux dernières décennies. Je dois admettre que le Québec n’était pas tout à fait prêt pour accueillir convenablement tant de nouveaux citoyens. Je ne m’étendrai point sur les raisons d’ordre psychologique; vous les connaissez déjà. Mais je vous avouerai que, sur le plan administratif, de sérieuses lacunes sont à l’origine de situations dont nous avons tous souffert: vous, en traversant des périodes d’insécurité qui ont dû, par moments, être assez pénibles; nous, en risquant de perdre à jamais la confiance que vous aviez mise en nous en venant vous établir ici. Ces heures difficiles, je vous invite à les oublier. Je vous invite à vous tourner vers l’avenir, car il se dessine meilleur de jour en jour.

Votre gouvernement est sur le point de créer un ministère de l’Immigration. Ce ministère aura pour but principal de faciliter l’adaptation des immigrants à leur nouvelle patrie en leur fournissant l’assistance essentielle dont ils ont besoin à leur arrivée. Évidemment, il ne faudra pas s’attendre à des miracles dès le début. Mais, quand le ministère aura atteint ses objectifs, les Néo-Québécois n’auront guère plus de problèmes insurmontables en matière d’orientation ou d’embauche. Ce ministère, comme vous le devinez, ne peut fonctionner qu’à partir d’une politique précise. Aussi, le gouvernement tentera-t-il désormais de suivre, dans le domaine de l’immigration, une ligne de conduite conforme aux intérêts réels du Québec.

Ainsi, à l’avenir il favorisera la venue au Québec d’immigrants dont la formation ou l’expérience est de nature à combler ses besoins. Dans certains secteurs, il y a pénurie d’hommes compétents; dans d’autres, le marché du travail est sursaturé. Nous procéderons à une enquête auprès des employeurs, afin de connaître leurs besoins et de les aider à les satisfaire. Récemment, l’Ontario et la Colombie britannique ont effectué un tel inventaire. Les résultats obtenus ont été étonnants. On a dénombré dans les deux provinces plus de 90000 postes à remplir par des gens qu’on ne pouvait trouver sur place. Alors, on est allé les chercher à l’étranger. C’est là une politique que le gouvernement compte adopter et qui a le net avantage de correspondre à des besoins réels qui ne peuvent être satisfaits que par l’immigration.

D’ autre part, le gouvernement encouragera les ministères et les sociétés d’État à embaucher un nombre plus élevé de Néo-Québécois, particulièrement dans les secteurs ou leur expérience leur permet de rendre de plus grands services à la communauté québécoise. Il faut que l’État s’assure la collaboration des gens compétents qui sont venus s’installer ici et dont la formation contribuera à améliorer son fonctionnement. C’est là à mon avis un moyen auquel le Québec n’a pas suffisamment recouru et qui a pourtant puissamment contribué à l’avancement de certaines autres provinces.

Enfin, le gouvernement fera l’impossible pour réduire au minimum les désavantages auxquels sont encore soumis les immigrants en matière de législation sociale. Ainsi, je sais que souvent l’immigrant ne peut exercer sa profession avant d’avoir rempli un certain nombre de conditions imposées par la loi. Je ne veux pas dire que tout immigrant doit être automatiquement habilité, dès son arrivée, à exercer ici la profession qu’il pratiquait chez lui. Mais je suis persuadé que certaines lois pourraient être modifiées de façon à permettre aux Néo-Québécois de se livrer beaucoup plus tôt, après une période de réadaptation, à l’exercice de leur profession.

De toute façon, nous ne voulons pas que se prolonge au Québec, en ce qui a trait à l’immigration, une situation qui a trop longtemps duré et qui a été nettement préjudiciable au milieu québécois tout entier. Les Québécois de naissance et les Québécois d’adoption doivent collaborer étroitement au progrès de leur commune patrie et le gouvernement entend bien qu’il en soit ainsi dorénavant.

Je ne veux terminer cette allocution sans vous remercier vous, Monseigneur, et vous, M. Youakim, ainsi que les membres de votre comité paroissial d’avoir organisé cette magnifique réception pour mon épouse et pour moi. Veuillez croire que nous conserverons longtemps le souvenir de votre accueil et de vos délicates attentions.

Je tiens également à remercier M. l’Ambassadeur du Liban et Mme Gebara, ainsi que le Chargé d’affaires de la République Arabe Unie et Mme Abdellatif d’être venus d’Ottawa pour assister à ce dîner. Je suis heureux de constater que les Néo-Québécois d’origine libanaise, syrienne et égyptienne maintiennent de bonnes relations avec les représentants au Canada des pays qui furent jadis leur patrie. Vous qui connaissez notre fidélité au pays qui, le premier, a développé le Canada, vous ne vous étonnerez pas de m’entendre vous encourager à conserver des liens avec ces terres antiques et lumineuses qui vous ont vu naître. Ne gardons nous pas nous-mêmes, par la culture, le souvenir ému et admiratif de ce Moyen-Orient, berceau des premières civilisations dont la diffusion vers l’ouest devait aboutir à la naissance de l’Europe ?

Un mot enfin pour exprimer ma gratitude aux curés des paroisses orthodoxes de Montréal qui ont accepté de se joindre à la communauté de St-Sauveur dans un geste de solidarité et de fraternité à l’égard du chef du gouvernement québécois. C’est ainsi que nous envisageons le Québec, dont nous voulons qu’il soit toujours une terre d’hospitalité et de progrès, un témoignage des valeurs de l’esprit dans ce continent ou se crée sous nos yeux la civilisation de demain, dont les fruits vous sont promis à vous et à vos descendants.

[QJHSN19680422]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC CANADIAN CLUB HOTEL WINDSOR, MONTREAL LUNDI LE 22 AVRIL 1968 ]

Il suffit d’observer ce qui se passe un peu partout dans le monde pour constater que, au milieu des bouleversements de toute nature qui caractérisent l’époque actuelle, le Canada dans son ensemble reste un refuge de stabilité, d’évolution rationnelle et de pondération.

Bien sûr, nous avons notre part de problèmes, de conflits, de difficultés et même d’augmentations de taxes. Un monde nouveau est en train de naître et l’expérience démontre que des mutations aussi profondes se produisent rarement sans douleur. Comme tous les peuples soucieux de progrès, nous devons adapter à un contexte mouvant nos institutions et même nos personnalités, nos façons de penser et d’agir. Il ne suffit pas d’accepter le changement et d’en subir passivement les contrecoups; il faut le prendre en charge, le dominer, l’orienter. Et l’on sait que la démarcation n’est pas toujours facile à faire entre les valeurs fondamentales et les modes transitoires, entre ce qui doit rester et ce qui doit changer.

Mais, si nous avons nos problèmes comme tout le monde, je ne crois pas qu’ils soient plus graves ou plus difficiles à résoudre que ceux qui se posent ailleurs. Bien au contraire. Ainsi, par exemple, notre problème constitutionnel. Il tient surtout à un dualisme linguistique et culturel qui est une donnée fondamentale de l’histoire canadienne et qui plaide en faveur d’un fédéralisme plus souple et. plus décentralisé que si nous vivions dans un pays plus homogène. Mais ce dualisme est-il vraiment un si grand mal? J’y vois plutôt une source d’émulation et d’enrichissement mutuel. Quoi que nous fassions, n’allons surtout pas nous imaginer qu’il y a nécessairement moins de problèmes là où il y a plus d’uniformité. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que nous sommes voisins d’un puissant pays où l’unité linguistique et culturelle a presque été érigée en dogme national; pourtant, ce pays est aux prises avec des difficultés internes infiniment plus graves que les nôtres.

À mon sens, notre, problème constitutionnel n’a rien qui dépasse la puissance d’invention et de bonne volonté des Canadiens de l’une et l’autre culture. Après avoir été l’objet d’efforts si constants de réflexion et d’étude, depuis l’enquête de la Commission Tremblay jusqu’à celle de la Commission Laurendeau-Dunton, ce problème, j’en suis convaincu, peut maintenant être résolu avec toute la maturité qui convient à un pays adulte et le sera effectivement par les voies normales du dialogue et de la négociation.

Mais je voudrais surtout vous parler d’un autre problème que nous avons voulu mettre en lumière lors de la préparation de notre dernier budget: le problème économique. Partons, si vous le voulez, d’un phénomène qui recèle en lui-même une promesse d’avenir, celui de l’explosion scolaire. Depuis l’école maternelle jusqu’à l’université, nous avons présentement plus d’un million et demi de jeunes Québécois aux études. Aux niveaux élémentaire et secondaire, il semble bien que nous ayons atteint à peu près la crête de la vague et que les dépenses pour l’équipement auront bientôt tendance à se stabiliser. Mais, il n’en est pas ainsi aux degrés supérieurs. On estime que 80 000 étudiants, soit deux fois plus qu’en 1966, fréquenteront l’université en 1972 et que les inscriptions dans les institutions d’enseignement pré-universitaire et technique se chiffreront par 125000 comparativement à 77000 en 1966. D’où la question qui se pose: tous ces jeunes diplômés qui arriveront sur le marché du travail au cours des prochaines années trouveront-ils, au Québec même, des emplois à la hauteur de leur compétence et de leurs ambitions légitimes? L’économie québécoise sera-t-elle suffisamment dynamique pour permettre l’intégration normale de ces finissants de nos collèges et universités dont 80 % auront fait leurs études dans leur propre langue, le français? Ou, pour poser la question de façon encore plus brutale, est-ce que l’immense effort consenti par l’ensemble de la communauté québécoise pour le développement de l’éducation sous toutes ses formes aura servi à former des chômeurs de luxe ou à préparer l’avènement d’une meilleure société? La réponse dépend beaucoup des décisions que vous et moi nous sommes appelés à ‘prendre dés maintenant, car ce sont les investissements d’aujourd’hui qui, dans une très large mesure, détermineront la croissance économique de demain.

Au cours des derniers mois, j’ai eu souvent l’occasion de réaffirmer mon optimisme quant à l’avenir du Québec. Nombre d’indices me portaient à croire que notre territoire était toujours considéré avec beaucoup d’intérêt par ceux qui prennent les décisions en matière d’investissement. Tout en tenant compte des difficultés qui se présentaient, je m’efforçais de voir les choses d’un oeil réaliste et je suis heureux de constater que les faits justifient mon attitude.

En décembre dernier, lorsque le ministère fédéral du Commerce a rendu publiques les prévisions révisées sur les investissements au Canada, plusieurs commentateurs ont minutieusement examiné les chiffres pour tenter de démontrer que le Québec perdait du terrain au reste du pays. Parlant comme si le Québec avait été seul à connaître une baisse des investissements, ils oubliaient qu’une comparaison des estimations révisées pour 1967 avec des données préliminaires pour 1966 ajouterait sensiblement aux possibilités d’erreur.

Selon leur interprétation des calculs préliminaires, le Québec allait subir une baisse d’environ 5.8 % des dépenses d’immobilisations en 1967, alors que le Canada tout entier pouvait compter sur un gain de 4.7 % Pour une grande part, on attribuait cet écart au fait qu’une diminution des dépenses au Québec par les ministères gouvernementaux et les institutions serait accompagnée d’une hausse des dépenses par ce secteur dans le reste du Canada. On a aussi beaucoup insisté sur la probabilité d’un fléchissement dans l’industrie manufacturière en disant que, mane si la baisse serait à peu près identique au Québec et dans l’ensemble du Canada, il importait de noter que l’Ontario, notre province-soeur, s’attendait à un recul beaucoup moindre dans ce domaine, soit 2 %.

Au début du présent mois, le Bureau fédéral de la Statistique a publié des prévisions pour 1968, des données révisées pour 1967 et des chiffres définitifs pour 1966. Comme vous le savez tous, la situation avait changé considérablement. Cependant, je regrette d’avoir à dire que cette amélioration sensible n’a pas soulevé autant de commentaires. Bien qu’il faille utiliser ces données aussi avec prudence, je suis certain que vous ne me reprocherez pas d’attirer votre attention sur la façon dont le Québec a évolué dans le passé et sur les indications de ce que l’avenir lui réserve tous comptes faits, l’année 1967 au Québec s’est avérée meilleure qu’on s’y attendait, comparativement au Canada tout entier. Ce qui est encore plus important, c’est que les prévisions pour 1968 indiquent que nous devrions surpasser l’ensemble du Canada.

Quoique les chiffres publiés au début du présent mois démontrent que le total des immobilisations au Québec a baissé de 7.2 % en 1967 – ce qui s’explique facilement après la vague de prospérité soulevée par Expo – la hausse pour l’ensemble du Canada n’a été que de 0.6 %, non pas de 4.7 % comme on l’avait d’abord prévu. Et l’examen détaillé des chiffres réserve d’autres surprises. Ainsi, d’après les calculs révisés, les dépenses d’immobilisations faites au Québec l’an dernier par les ministères gouvernementaux et les institutions n’ont pas diminué de 7.8 % comme on le prévoyait; au contraire, elles ont augmenté de 2.3 %. Dans le secteur manufacturier, les chiffres révisés indiquent un fléchissement de 13.3 % au Québec, mais la situation n’a pas été plus rose pour le Canada ou l’Ontario, avec 13.7 % et 13.8 % respectivement.

Il est donc bien évident que le ralentissement qui a affecté tout le continent en 1967 n’a pas frappé le Québec plus durement que le Canada ou notre province-soeur, l’Ontario. En termes de croissance économique générale, le Québec, avec un taux de 7.5 % s’en est même mieux tiré que le Canada qui n’a atteint que 6.8 %. D’après les experts fédéraux auxquels je viens de faire allusion, les immobilisations au Québec en 1968 devraient dépasser de 5.3 % celles de l’an dernier, alors que la hausse pour le Canada n’atteindrait que 4.1 %. On prévoit que le taux d’augmentation des dépenses par les ministères gouvernementaux et les institutions sera de 31.4 % pour le Québec, de 14.9 % pour le Canada.

C’est quand on examine les prévisions pour le secteur manufacturier que l’on voit combien les investisseurs particuliers ont été peu influencés par les analyses pessimistes faites ces derniers mois. Dans ce secteur, on prédit pour l’ensemble du Canada cette année une baisse de 6.8 %, une de 7 % en Ontario et une augmentation de 3.9 % au Québec. Ce qui est encore plus significatif, c’est que ce sont les industries à haute technicité et à forte intensité de capital, donc celles qui fournissent les emplois les plus spécialisés et les mieux rémunérés, qui connaîtront les plus fortes hausses d’immobilisations. Qu’il suffise de mentionner l’industrie chimique; l’industrie des sous-produits du pétrole et l’industrie matériel de transport.

Même si la situation au Québec l’an dernier a été meilleure qu’on avait d’abord prévu et que, cette année, elle s’y annonce plus prometteuse que dans l’ensemble du Canada, il n’en demeure pas moins que nous en sommes encore à une période de pause dans le mouvement de progrès économique. Afin de stimuler l’investissement et de raffermir la croissance, le gouvernement du Québec a décidé d’indiquer clairement, par des mesures concrètes, l’importance qu’il attache à l’expansion du secteur manufacturier.

Le discours du budget a donné un aperçu de ces mesures, et des projets de loi seront bientôt déposés en Chambre. Je ne veux ici que vous préciser la portée des initiatives que nous entendons prendre. Nous avons l’intention de favoriser les investissements dans l’industrie manufacturière au Québec en accordant un crédit qui aura pour effet de réduire le montant de l’impôt que nous prélèveront sur les profits des sociétés qui investiront dans notre territoire entre 1968 et 1971. Cette mesure s’appliquera aux dépenses pour les immobilisations aussi bien que pour l’expansion. Il n’y aura aucune restriction en ce qui concerne la source des fonds ou les propriétaires des sociétés, et il ne sera pas nécessaire d’obtenir l’approbation du gouvernement afin de bénéficier de cette mesure. Sur la formule d’impôt de 1968, il y aura un espace pour inscrire les renseignements et les calculs requis. C’est tout ce qu’il y aura à faire; canne auparavant, le ministère du Revenu continuera à vérifier les rapports d’impôts, mais en tenant compte de ces nouvelles dispositions. Bref, les sociétés qui investiront plus de $ 50 000 au Québec auront droit d’amortir 30 % de leurs dépenses en sus du montant précité. Ce crédit s’appliquera aux bénéfices imposables, mais ne pourra dépasser 50 % des profits réalisés au cours d’une année donnée. Toute société pourra se prévaloir de cette mesure jusqu’au ter avril 1971 et se servir ensuite des crédits ainsi accumulés, jusqu’à leur épuisement. En d’autres termes, plus les investissements seront élevés et les bénéfices imposables réduits, plus la période de réduction de taxe sera longue.

Par cette mesure, le gouvernement du Québec veut faire savoir clairement à tous les industriels que l’industrie secondaire est la bienvenue dans notre province. Conscients également qu’une telle mesure, même si elle est en vigueur dans tout le territoire, sera intéressante surtout pour notre principal pôle industriel, Montréal et les environs, nous avons voulu aussi inciter les investisseurs à examiner toutes les possibilités offertes par les autres régions industrielles du Québec. C’est à cette fin que, peu après la reprise de la session, nous présenterons un autre projet de loi en vue de payer des primes l’investissement dans les régions autres que celle de Montréal.

Il y aura deux grandes zones en dehors de la région de Montréal. Dans la première, soit les régions de l’Outaouais, de Trois-Rivières, des Cantons de l’Est et de Québec, sauf la sous-région de Rivière-du-Loup, la prime s’élèvera à 25 % des immobilisations. Dans la seconde, la prime variera de 25 % à 40 %, suivant les sommes investies. Cette zone comprend les régions suivantes: Nord-Ouest, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Côte-Nord, Bas-Saint-Laurent-Gaspésie et la sous-région de Rivière-du-Loup.

Cette mesure s’appliquera à des projets approuvés d’ici le premier avril 1971, et la prime maximale sera de $ 500 000 par projet. La loi et les règlements définiront les formalités et les conditions à remplir. Les entreprises admissibles en vertu du programme fédéral des régions désignées recevront une prime additionnelle en vertu de notre législation, lorsque celle-ci donnera droit à une prime plus élevée que celle prévue par les statuts fédéraux. Dans ce dernier cas, nous verserons la différence nette entre les deux.

Le programme vaudra pour la partie des immobilisations qui dépasse $ 50 000. L’entreprise devra démontrer que son projet est rentable et y investir, à même ses propres ressources, un montant proportionnel à la prime escomptée. Les commentaires qui nous sont parvenus des milieux d’affaires depuis que cette mesure a été annoncée augurent bien pour l’avenir.

Même si nous savons fort bien qu’elles ne régleront pas tous les problèmes de croissance économique ou de déconcentration industrielle, nous voulons, par ces mesures d’une durée limitée, montrer que nous ne craignons pas d’innover. Et nous savons que c’est par de telles initiatives que se bâtit une politique d’expansion industrielle.

Le discours du budget vous a également appris que nous commencerons, dès cette année, l’érection d’un complexe de recherches industrielles dont le coût total dépassera $ 60000000. De plus, si on ajoute aux immobilisations directes du gouvernement celles de l’Hydro-Québec, de l’Office des autoroutes et de toutes les institutions subventionnées par l’État, notre budget d’investissements directs et indirects pour l’exercice 1968/69 excèdera les $ 900000000. Il est clair que ces investissements exerceront un effet d’entraînement considérable sur l’économie québécoise.

Toutes ces mesures reflètent la philosophie du gouvernement actuel. Comme je l’ai dit bien des fois, nous croyons que l’entreprise privée reste le principal moteur du progrès économique. Nous croyons que ce système est le plus propre à stimuler l’esprit d’initiative et à développer au maximum les forces vives de la société, soit l’ambition, l’ingéniosité et l’élan créateur. C’est particulièrement vrai en Amérique du Nord où il a produit le plus haut niveau de vie au monde. Nous ne pouvons pas nous isoler du contexte où nous sommes placés. Si nous voulons en recueillir les avantages, nous devons respecter les règles du jeu.

Le rôle de l’État n’est donc pas de se substituer a l’entreprise privée, mais de l’aider, de l’orienter, de la soutenir, de l’entourer d’un climat de confiance et de stabilité, de la stimuler au besoin par des mesures constructives comme celles dont je viens de vous parler.

Vous voyez que, tout en restant dans son rôle, le gouvernement du Québec entend faire sa large part pour encourager les investissements dans le secteur manufacturier et favoriser la croissance de notre économie. À vous de faire également la vôtre.

Certaines personnes qui ne partagent pas notre philosophie semblent croire, que, pour procurer des emplois à nos diplômés, l’État devrait intervenir d’une façon beaucoup plus directe et beaucoup plus coercitive dans les divers secteurs de notre vie économique. À vous de relever le défi et d’illustrer par vos initiatives, par vos investissements, par votre foi en l’avenir du Québec, la fécondité et le dynamisme de la libre entreprise.

Aux prédications de l’idéologie socialiste, vous ne pourrez jamais apporter de meilleure réponse que votre propre succès et votre aptitude rencontrer, en coopération avec l’État, les besoins et les aspirations légitimes de la communauté québécoise.

[QJHSN19680506]

[ALLOCUTION DE-M.-DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC LA CHAMBRE DE COMMERCE DU DISTRICT DE MONTREAL HOTEL MONT-ROYAL Montréal, lundi le 6 mai 1968]

Nous aurons bientôt de nouvelles élections fédérales. Je ne suis pas venu ici pour vous en parler. L’Union Nationale entend rester ce qu’elle a toujours été depuis sa fondation: un parti totalement et uniquement centré sur les intérêts du Québec, en fonction de sa place au Canada et dans le contexte Nord-Américain.

Il ne s’ensuit pas toutefois que cette élection nous laisse indifférents. Nous ne sommes pas intéressés au sort des partis fédéraux comme tels, mais nous sommes vitalement intéressés à l’avenir du Québec, à son rayonnement culturel, à son essor économique, à la place qui doit être la sienne au Canada et dans le monde.

Or, tout cela ne dépend pas uniquement de nous, même si nous en sommes les premiers responsables. Cela dépend aussi, dans une large mesure, de la façon dont le gouvernement fédéral s’acquittera des responsabilités qui sont les siennes. Cela dépend également des décisions qui seront prises à la conférence permanente qui a été créée à Ottawa au début de février, sur une proposition du Québec unanimement acceptée par tous les premiers ministres du pays, pour refaire la constitution canadienne dans ses divers aspects, y compris celui du partage des compétences entre les deux ordres de gouvernement.

On nous a souvent demandé: « What does Quebec want? » C’était une question fort pertinente et on a eu raison de nous la poser avec insistance. Au début, les réponses variaient beaucoup suivant les allégeances politiques, suivant les écoles de pensée et même suivant les individus à l’intérieur de chaque groupement. Mais depuis l’enquête de la Commission Tremblay, c’est-à-dire depuis quinze ans puisque cette enquête a débuté en 1953, les Québécois ont beaucoup réfléchi à ce problème. Songez à tout ce qui s’est écrit sur le sujet en ces quinze années, sous forme de mémoires, d’études, de résolutions, de rapports, d’articles de journaux ou de revues, et même de livres.

Je ne dirai pas que nous en sommes arrivés à une complète unanimité. Le Québec est encore en état de réflexion et de recherche et il est normal qu’il en soit ainsi tant que le problème n’aura pas été résolu par l’adoption d’une constitution entièrement nouvelle, faite au Canada, par les Canadiens et pour tous les Canadiens.

Il est toutefois significatif que les positions prises en ces derniers temps par les deux principaux partis représentés à l’Assemblée législative, ainsi que par plusieurs journaux et revues, se rapprochent sensiblement les unes des autres. C’est dire qu’un consensus assez large a fini par se créer au sein de la communauté québécoise: consensus autour d’un certain nombre d’idées qui sont essentiellement des idées modérées, des idées de bon sens.

Ce sont ces idées modérées, ces idées de bon sens issues des profondeurs de la conscience québécoise, que le gouvernement a voulu exprimer aux récentes conférences constitutionnelles de Toronto et d’Ottawa.

Si l’on veut bien relire ces propositions en toute objectivité, on verra qu’elles ne contiennent rien, ni dans le fond, ni dans la forme, qui ressemble à un ultimatum; rien non plus qui soit de nature à priver le gouvernement fédéral des pouvoirs qui lui sont nécessaires pour bien remplir sa tâche au bénéfice du Canada dans son ensemble.

Nous préconisons un fédéralisme souple et flexible parce que c’est le seul, à notre sens, qui puisse tenir compte de toute la réalité canadienne, dans ses multiples dimensions géographiques, économiques et culturelles; le seul qui puisse assurer un maximum d’épanouissement et de liberté, non seulement à la communauté canadienne-française, mais également et dans la même mesure à la communauté anglo-canadienne.

Parce que cette réalité canadienne est extrêmement complexe, les solutions en apparence les plus simples ne sont pas nécessairement les meilleures. Il faut se méfier de la raison pure, surtout dans un pays comme le nôtre, qui n’est pas une construction de l’esprit, mais un produit des vicissitudes de l’Histoire et du dynamisme propre à chacune de nos deux cultures.

Il paraîtrait intellectuellement plus simple de supprimer nos différences que de les conjuguer harmonieusement; mais en pratique, ni la justice, ni l’efficacité n’y trouveraient leur compte. Ainsi en serait-il de la séparation absolue, fort séduisante pour l’esprit, mais tout aussi irréaliste que l’unité absolue, puisqu’au lieu de parfaire ce qui existe, elle nous obligerait à rebâtir de zéro les multiples réseaux de nos relations avec ceux qui nous entourent.

Chercher entre ces deux extrêmes une solution modérée, comme nous essayons de le faire, c’est opter pour une certaine complexité, bien sûr, mais aussi pour la richesse qui découle de cette complexité et de la vie elle-même. C’est situer les valeurs culturelles et humaines à leur vraie place, c’est-à-dire la première. C’est projeter le Canada en avant de l’Histoire, en en faisant le prototype des pays ou doivent coexister plusieurs sociétés culturelles.

Nous avons donc proposé un fédéralisme suffisamment flexible pour tenir compte à la fois de la situation particulière du Québec et des aspirations non moins légitimes des autres provinces. Nous avons dit clairement sur quels principes et suivant quelles lignes maîtresses il faudrait, selon nous, édifier le Canada de demain. Et nous sommes en droit, je pense, d’espérer que le prochain gouvernement soit disposé à dialoguer en vue d’une constitution canadienne renouvelée.

Entre le 17 janvier 1963, date à laquelle j’ai préconisé pour la première fois l’élaboration d’une nouvelle constitution, et la conférence de février 1968 qui a mis sur pied les mécanismes nécessaires à l’accomplissement de cette tâche, il s’est écoulé cinq ans. C’est relativement peu dans la vie d’un peuple et je n’ai jamais cessé d’être optimiste sur les résultats éventuels des pourparlers. Mais on peut raisonnablement prévoir que les négociations seront assez longues. En attendant qu’elles aboutissent, il est de notre devoir d’exercer en plénitude les droits qui nous appartiennent déjà.

On a fait beaucoup de bruit, en ces derniers temps, sur ce que nous appelons « la vocation internationale du Québec ». Certains semblent croire que nous sommes en train de nous arroger des compétences qui appartiendraient au gouvernement fédéral en vertu de la constitution actuelle. Rien n’est moins exact.

La constitution de 1867 est muette sur ce point, pour l’excellente raison qu’elle a été faite à une époque où le Canada était encore une colonie, dont les compétences externes étaient exercées par le Foreign Office de Londres. Tel n’est pas cependant le cas pour la fédération australienne. On dit que le Canada a maintenant acquis sa pleine souveraineté; mais le Canada, ce n’est pas un pays unitaire et ce n’est donc pas uniquement le gouvernement d’Ottawa; c’est un pays fédéral, dont la souveraineté est en conséquence partagée entre deux ordres de gouvernement.

Et en matière d’éducation, par exemple, le Québec a toujours possédé depuis 1967 des pouvoirs exclusifs, donc souverains. Il fut un temps ou cette compétence exclusive en matière d’éducation ne s’exerçait que sur le plan interne; mais ce n’est plus possible aujourd’hui. Les conditions et les besoins ont radicalement changé. On ne peut plus agir en vase clos. Les mêmes problèmes se posant partout, il faut nécessairement, si l’on veut rester à la pointe du progrès, s’enquérir de ce qui se fait ailleurs, procéder à des échanges, établir des liens de coopération avec les autres provinces et les autres pays. Et ce qui est vrai de l’éducation l’est également de bien d’autres domaines, de sorte que le Québec ne peut plus remplir intégralement ses tâches constitutionnelles sans assumer le prolongement international de ses compétences internes.

Il va de soi qu’à cause de son héritage culturel et de la situation particulièrement difficile qui est faite au français en Amérique du Nord, le Québec doit entretenir des rapports directs et constants avec les autres nations francophones du monde. C’est pour lui une nécessité vitale. Mais je m’empresse d’ajouter que si le Québec était invité à une conférence des ministres de l’éducation des pays anglophones, il aurait aussi le devoir d’y participer, à cause des responsabilités qu’il a envers sa population de langue anglaise. Car, nous ne perdons jamais de vue que le gouvernement du Québec est le gouvernement de tous les Québécois, quelles que soient leur origine ethnique ou leur culture, et tant que nous aurons un mot à dire dans la politique, il n’y aura au Québec que des citoyens à part entière. Le fait français au Canada n’appartient pas aux seuls Québécois de langue française; par ailleurs, le Québec étant à 80 % francophone, il doit non seulement présenter un visage français, mais également servir de réservoir d’épanouissement à tous les parlants français du Canada.

Je concède qu’en dépit des silences de la constitution, c’est au gouvernement fédéral qu’il appartient de diriger la politique extérieure du Canada au sens traditionnel du terme, quand il s’agit par exemple de paix ou de guerre, de monnaie, de tarifs, de traités commerciaux ou autres matières semblables. Mais quand il s’agit de problèmes pédagogiques, qu’est-ce que le gouvernement fédéral pourrait bien en dire ou en faire, lui qui n’a absolument aucun pouvoir en matière d’éducation ?

On nous dit encore que la constitution ne se trouve pas uniquement dans des textes écrits, mais encore dans un certain nombre d’usages ou de coutumes. Mais comment ces usages ou coutumes ont-ils pu être établis, sinon par des précédents ? Et peut-on raisonnablement prétendre que seul le gouvernement fédéral pourrait faire évoluer la constitution de cette manière, que seul il pourrait poser des précédents constitutionnellement valables ? Certes non, ce sera dit que nous n’aurons pas une nouvelle constitution, dans laquelle nous devrons prévoir un mécanisme qui respecte à la fois nos droits exclusifs et les intérêts généraux du Canada.

Tout cela, bien sûr, pourra être discuté longuement dans l’optique d’une constitution nouvelle. Tout cela devra être étudié à la lumière des responsabilités et des besoins de chaque ordre de gouvernement, suivant des critères de bon sens, de justice et d’efficacité. Mais si l’on veut que les négociations s’engagent dans un climat propice de solidarité et d’harmonie, il me semble que l’on devrait se garder de soulever des tempêtes inutiles et de condamner comme révolutionnaires des gestes que les membres de notre Parlement québécois, sans distinction d’allégeance politique, et, j’en suis sûr, l’immense majorité des citoyens du Québec s’accordent à trouver nécessaires, légitimes et raisonnables.

Songeant aux intérêts supérieurs du Québec, je souhaite ardemment que dans chacun des partis fédéraux, au pouvoir comme dans l’opposition, à l’échelon le plus élevé possible il y ait des porte-parole, connaissant les aspirations fondamentales du Québec et déterminés à les faire comprendre et accepter dans les conseils de leur parti respectif afin que, par le dialogue et la négociation, nous en arrivions le plus vite possible à adopter cette nouvelle constitution canadienne garantissant non seulement les droits individuels mais aussi les droits collectifs.

C’est la seule façon, dans la présente conjoncture, de mettre fin à l’état d’incertitude et de conflit, qui, s’il devait durer trop longtemps, serait dommageable non seulement au Québec, mais au Canada tout entier.

[QJHSN19680608]

[ALLOCUTION DE M. DANIEL JOHNSON PREMIER MINISTRE DU QUEBEC COLLATION-DE GRADES -DI HONNEIJR UNIVERSITE DE SHERBROOKE le samedi, 8-juin- 1968]

C’est un double honneur qui m’échoit aujourd’hui. À l’insigne privilège d’être fait docteur de l’Université de Sherbrooke s’ajoute pour moi celui de recevoir cette distinction en très prestigieuse compagnie.

Avec une énergie contagieuse et une foi indéfectible en l’avenir du Québec et spécialement de la belle région de l’Estrie, Son Excellence Mgr Georges Cabana a su grouper les éléments et susciter les concours nécessaires pour faire naître et grandir cette institution, digne couronnement de l’oeuvre immense qu’il a accomplie comme pasteur vénéré de l’archidiocèse de Sherbrooke.

Membre éminent du Barreau, Me Maurice Delorme illustre par ses talents, sa dignité et sa vaste culture juridique une profession que je n’ai jamais cessé de chérir, même si les vicissitudes de la vie politique m’en tiennent quelque peu éloigné. Je suis convaincu qu’à ses élèves de la Faculté de Droit, ses exemples seront aussi profitables que ses enseignements.

Quant à M. André Maréchal, directeur du Centre National de Recherches Scientifiques, sa présence parmi nous est un autre gage de la coopération extrêmement précieuse que veut bien accorder au Québec la France d’aujourd’hui, pas seulement celle des arts et des lettres, mais également celle de la science et de la technique. En leur nom et au mien, je prie Monseigneur le Recteur et les membres de son Conseil d’accepter l’expression de notre gratitude et aussi de notre admiration pour l’essor vraiment prodigieux qu’ils ont su imprimer à cette jeune et déjà très grande université.

Je me souviens de la surprise qu’avait provoquée, à la session de 1954, l’inscription au feuilleton de l’Assemblée législative d’un projet de loi portant création de l’Université de Sherbrooke. Le chef du gouvernement d’alors, M. Duplessis, savait pratiquer à l’occasion la technique du fait accompli, par exemple quand il voulait prévenir une rivalité qui eut pu être paralysante entre diverses régions du Québec, ou encore quand il croyait le moment propice, pour notre collectivité, de franchir une étape nécessaire dans la reconquête de ses droits et la prise en charge de son destin.

Rappelez-vous que 1954 fut aussi l’année de l’impôt provincial sur le revenu. Et à y bien songer, il y avait sans doute entre cette mesure de récupération fiscale et la création d’une nouvelle université plus de liens qu’il n’y paraissait à première vue. L’enquête de la Commission Tremblay battait alors son plein. Partout s’exprimait le besoin de doter la communauté québécoise de nouveaux instruments de progrès et de culture, en particulier dans les domaines de l’enseignement et de la recherche. D’où la nécessité correspondante de procurer à l’État de nouvelles sources de revenus.

Chose certaine, c’est que pour l’hon. J -S. Bourque et les autres députés de l’Estrie, y compris celui de Bagot, la naissance de l’Université de Sherbrooke n’avait rien d’insolite et encore moins d’illégitime. Elle nous paraissait au contraire dans la logique des événements de l’époque. Avec Son Excellence Mgr Cabana et les autres initiateurs du projet, nous y voyions l’aboutissement naturel du dynamisme propre à cette belle région et la promesse d’un nouvel essor non seulement pour les Cantons de l’Est, mais pour tout le Québec.

Mais octroyer une charte, conférer à une université son existence juridique, ce n’est pas ce qu’il y a de plus difficile, ni surtout de plus important. La grande tâche, c’est vous tous qui l’avez accomplie, en posant jour après jour et pierre après pierre les assises de cette institution, en faisant surgir de terre ces édifices splendides et fonctionnels, en les équipant matériellement et intellectuellement des meilleurs instruments de travail, en y insufflant un esprit, un élan, un rayonnement qui déjà se propagent bien au-delà des frontières du Québec et du Canada.

Travaillant dans du neuf et en fonction de l’avenir, vous n’avez pas craint d’explorer des voies nouvelles, d’inventer des méthodes inédites, de créer de toutes pièces, souvent avec une grande économie de moyens, des procédés révolutionnaires. Si bien qu’au scepticisme d’un grand nombre ont succédé d’abord l’étonnement, puis le respect et l’admiration fervente de tous. On ne se demande plus aujourd’hui s’il est opportun qu’il y ait une université à Sherbrooke: on vient de partout, même des États-Unis, même de la vieille Europe, pour y donner et y prendre des leçons.

On dit qu’il n’y a rien de plus contagieux que le succès; aussi votre réussite est-elle tonifiante pour l’ensemble de la nation canadienne-française. Elle est une nouvelle preuve de la capacité d’innovation du Québec contemporain. Elle montre que loin de nous reléguer en marge des réalités nord-américaines, notre héritage culturel nous permet de réaliser des synthèses originales et extrêmement fécondes dans tous les domaines, y compris ceux de la technologie, des sciences appliquées, de l’industrie et du commerce.

Vous n’ignorez pas que des transformations radicales se préparent actuellement dans le monde des télécommunications. En Europe comme en Amérique, on est à mettre au point de nouveaux instruments et de nouveaux procédés qui vont révolutionner non seulement les techniques de l’information, mais tout aussi bien la diffusion du savoir et de la culture.

Certains s’en inquiètent, y voyant une nouvelle menace pour la survivance même de notre héritage particulier. Ils craignent que dans ce monde qui se rétrécit sans cesse, que dans cette ère des satellites et des ordinateurs électroniques, 6000000 de Canadiens français puissent difficilement conserver leur langue et leur culture au milieu de 220000000 d’anglophones.

Cette menace n’est pas illusoire. Si optimiste que je sois de nature, je dois convenir que nous serions vite submergés si nous nous contentions de subir avec une résignation passive les changements qui fondent sur nous à un rythme hallucinant. Dans cinq ans peut-être, les communications par satellites seront d’usage aussi quotidien et aussi universel que l’est aujourd’hui le téléphone.

D’autre part, il faut bien réaliser aussi que dans ce monde nouveau qui est en train de prendre forme sous nos yeux, nous aurons l’immense avantage de pouvoir entretenir des contacts beaucoup plus directs et beaucoup plus intimes non seulement avec la France, mais avec une trentaine d’autres nations qui ont part avec nous à la langue et à la culture françaises. Si bien que ces changements qui nous inquiètent s’avéreront en dernière analyse notre meilleure chance de survie et d’épanouissement.

À deux conditions toutefois. La première, c’est que le Québec, comme foyer principal de la nation canadienne-française, puisse établir librement avec le monde extérieur les communications nécessaires à l’exercice intégral de ses compétences internes. L’égalité de nos deux communautés culturelles, ou de nos deux peuples fondateurs selon l’expression dont s’est servi le gouvernement fédéral dans la définition du mandat de la Commission Laurendeau-Dunton, est à ce prix.

Il n’y aurait pas d’égalité possible, en effet, si l’une de ces deux communautés pouvait mesurer à l’autre l’oxygène nécessaire à sa subsistance, si l’une pouvait ouvrir ou fermer à sa guise les canaux d’alimentation culturelle de l’autre. Il n’y aurait pas. d’égalité possible si les lignes de communication qui nous sont devenues vitales, en matière d’éducation et de culture, dépendaient de décisions prises à Ottawa, où nous sommes en minorité, plutôt qu’à Québec, où nous sommes en majorité.

Pourquoi y a-t-il telle chose que le fédéralisme canadien, sinon pour que certains problèmes qui touchent à notre vie intime puissent être réglés par une majorité québécoise plutôt que par une majorité canadienne? Je conviens que le Québec n’est pas tout le Canada français; mais si un jour il ne devait plus y avoir en ce pays, même au Québec, que des minorités françaises, il n’y aurait déjà plus de Canada français.

Vouloir faire du Québec une province comme les autres, c’est travailler, consciemment ou non, à généraliser dans tout le pays, et à l’égard de tous les problèmes, même ceux qui touchent à leurs particularismes culturels, la situation minoritaire des Canadiens français. C’est ruiner les chances du Canada à deux dans un Canada à dix. Le fait que 83 % des Canadiens français résident au Québec, qu’ils y forment plus des quatre cinquièmes de la population, qu’ils y détiennent par conséquent le pouvoir politique, voilà où résident les chances de l’égalité, comme le dit si bien la Commission Laurendeau-Dunton dans l’exposé préliminaire de son rapport.

Reconnaître, à l’instar de la Commission, la dimension politique de l’égalité culturelle, ce n’est pas détruire le Canada, mais rejeter ce qui menace de le détruire, c’est-à-dire une conception étriquée, anachronique et totalitaire du Canada. Dieu merci, le Québec n’a jamais interprété la constitution d’une façon restrictive et mesquine en ce qui concerne le traitement de ses propres minorités. Il a toujours fait pour elles beaucoup plus que ce à quoi il était juridiquement obligé. Il entend faire de même à l’avenir. J’ajoute que même pour le bénéfice de notre population anglophone, nous devons, en 1968, intensifier et multiplier nos communications avec le reste du monde. Le gouvernement de Québec est le gouvernement de tous les Québécois et c’est toute notre jeunesse qui doit avoir accès aux sources universelles du savoir et de la culture.

À cette première condition, d’ordre politique, s’en ajoute une autre, d’ordre technologique. Il ne suffit pas que, dans l’exercice de ses compétences exclusives, le Québec ait toute liberté de communiquer avec les autres communautés francophones ou anglophones du monde; il faut encore qu’il dispose des outils nécessaires à cette fin.

C’est pourquoi nous faisons procéder actuellement à une étude globale de nos besoins, des moyens dont nous disposons déjà et de ceux qu’il nous faudra mettre en oeuvre pour doter le Québec d’un système complet et intégré de télécommunications; ce qui, de la transmission par satellites jusqu’au dernier des magnétophones, en passant par la télévision éducative, couvre comme vous le savez un très vaste champ. Deux équipes y travaillent actuellement, sous les auspices de Radio-Québec: l’une chez nous et l’autre en France. Elles doivent nous soumettre un rapport préliminaire en juin et un rapport final en août.

Notre but n’est pas d’entrer en concurrence avec le gouvernement canadien. Le projet québécois, qui suscite déjà beaucoup d’intérêt dans les milieux spécialisés, pourrait être complémentaire du projet fédéral. Il y a sûrement place en ce domaine pour une collaboration mutuellement profitable. Mais nous ne pouvons pas courir le risque de nous voir en quelque sorte déposséder des pouvoirs qui nous appartiennent, en matières d’éducation et de culture, faute d’être en mesure de les exercer par les moyens les plus modernes et les plus efficaces.

Je suis heureux de dire ici devant M. André Maréchal combien nous apprécions la collaboration généreuse que la France et les milieux scientifiques français nous accordent en ce domaine comme en tant d’autres. Depuis qu’un accord de principe est intervenu, lors de mon voyage à Paris en mai 1967, pour permettre au Québec d’utiliser dans les deux sens le futur satellite franco-allemand, plusieurs rencontres ont eu lieu entre représentants de la France et du Québec pour en préciser les modalités. Le Conseil national d’études spatiales a accepté que plusieurs ingénieurs québécois participent à la réalisation des différentes phases du projet, ce qui facilitera singulièrement les choses quand le moment sera venu d’utiliser le satellite, vers 1971 ou 1972. Une étroite coopération s’est établie également entre Radio-Québec et l’ 0RTF.

Sans préjuger des décisions qui pourront être prises par le gouvernement à la suite des rapports qui lui seront soumis au cours des prochains mois, on peut être assuré que le Québec disposera dans quelques années d’un système de télécommunications aux possibilités presque illimitées. Avec son équipement, son personnel hautement qualifié, ses services de production, son intégration à des ensembles canadiens, américains et européens, ce système sera au service de la population québécoise, de ses institutions publiques et privées, de ses organismes de recherche, de ses hôpitaux, de ses maisons d’enseignement et spécialement de ses universités. Celles-ci auront accès à des banques de savoir, à des centrales d’archives, à des réseaux de transmission des données; elles pourront dialoguer entre elles et avec d’autres universités situées des deux côtés de l’Atlantique. Déjà certaines de nos institutions, comme l’École des Hautes Etudes commerciales, utilisent la télévision en circuit fermé pour rendre leur enseignement accessible à un plus grand nombre d’étudiants malgré l’exiguïté de leurs locaux. Grâce à l’équipement dont nous disposerons dans un proche avenir, des cours donnés à Sherbrooke, à Québec ou à Montréal pourront être suivis dans d’autres centres universitaires, avec possibilité pour les étudiants de poser des questions et d’obtenir des explications supplémentaires. Un plan est à l’étude en vue d’étendre à l’ensemble de notre territoire, comme rouage important de notre système de télécommunications, le réseau de micro-ondes qui relie à l’heure actuelle les principaux établissements de l’Hydro-Québec.

Sans dépersonnaliser l’enseignement supérieur, nous croyons qu’il est possible et nécessaire d’en faire profiter une plus grande partie de notre population, compte tenu des possibilités de l’économie québécoise. C’est à parfaire avec un maximum d’ efficacité cette oeuvre de décentralisation et de diffusion du savoir que s’emploiera, en étroite coopération avec les institutions existantes, la future Université du Québec.

Excellence, Monseigneur le Recteur, Mesdames et Messieurs de l’Université de Sherbrooke, vous pensez bien qu’il n’entre pas dans mes intentions, ni dans celles de mes collègues du gouvernement, d’amoindrir de quelque façon la valeur de ce doctorat que vous m’avez si gracieusement décerné. Les nouveaux outils que nous voulons mettre à la disposition de nos étudiants, de nos enseignants, de nos chercheurs, n’ont pas pour objet de limiter votre rayonnement et votre champ d’action, mais au contraire de l’étendre à la pleine dimension de nos besoins collectifs en cette ère spatiale.

Comme je ne me fais aucune illusion sur mes prouesses académiques, je suis bien obligé d’attribuer, non pas à des mérites personnels comme dans le cas des autres récipiendaires, mais aux fonctions que j’assume comme mandataire de la population, l’insigne honneur que vous me faites aujourd’hui. Je l’accepte donc comme un symbole de la solidarité qui vous unit à l’ensemble de la communauté québécoise. Et c’est de cette solidarité surtout que je tiens à vous remercier.

Vous êtes, dans notre vie culturelle, sociale, économique et même politique, comme le levain dans la pâte. Votre force et aussi notre force. Vos progrès sont aussi nos progrès. Et il va de soi que vos besoins, vos problèmes, vos ambitions sont également les nôtres. Puissent nos universités continuer de grandir, afin que tout le Québec grandisse, avec elle et par elles.

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