Discours du trône, Ottawa, XX XXXX 1946

William Lyon Mackenzie King, 1921-1926, 1926-1930 et 1935-1948

Honorables membres du Sénat,
membres de la Chambre des communes,

Il y a à peine plus de six mois que le Canada est sorti de six longues années de guerre. L’agitation qui a suivi la guerre a créé de nouveaux problèmes pour les gouvernements de toutes les parties du globe. Un malaise général règne dans le monde. La faim, les privations et la souffrance sont devenues le partage de millions de personnes. Des millions d’autres, dont un grand nombre en exil, sont sans foyer. Les problèmes qui se posent aux hommes d’État de chaque nation sont vraiment formidables.

Ce n’est qu’en fonction de la situation mondiale que tous nos problèmes peuvent être envisagés sous leur vrai jour. L’avenir de notre pays, comme des autres, repose sur le succès qui couronnera l’œuvre de la reconstruction mondiale, et sur l’établissement d’une paix durable. Plusieurs des mesures que vous serez appelés à étudier au cours de la présente session porteront sur cet aspect plus général des affaires humaines.

Parmi les problèmes mondiaux qui exigent une attention immédiate, il n’en est pas de plus pressant que le ravitaillement des populations menacées de disette aiguë et, en certaines régions, de famine générale. L’espoir d’une reconstruction pacifique du monde est subordonné au problème de l’alimentation. La pénurie est actuellement très grande. En outre, le problème ne se pose pas seulement pour les prochains mois, mais pour quelques années. A moins qu’il ne satisfasse à ce pressant besoin, le monde peut s’attendre à de graves désordres, qui mettront en danger la paix elle-même.

Le gouvernement ne néglige aucun moyen susceptible de fournir à l’exportation le maximum de denrées alimentaires. Il encourage le plus possible le relèvement de la production. La gravité de la situation exige, de la part de toute la population canadienne, un effort conjugué et enthousiaste.

Le maintien à un niveau élevé de l’embauchage et du revenu national est au premier plan du programme ministériel. L’embauchage, aussi bien que le revenu, est étroitement lié à la restauration et à l’expansion du commerce mondial. Les marchés d’exportation sont essentiels à l’emploi productif d’un très grand nombre de Canadiens.

Le gouvernement s’est constamment efforcé de rétablir les anciens marchés, d’en trouver de nouveaux et, en général, de développer le commerce extérieur du temps de paix. Afin de favoriser ce programme, il a mis à la disposition de plusieurs alliés de guerre les crédits additionnels à l’exportation votés à la dernière session.

Au cours de cette session, vous serez invités à approuver un accord, récemment conclu et accordant au Royaume-Uni un prêt qui contribuera à conserver le marché britannique aux denrées alimentaires et aux autres produits d’exportation du Canada. L’accord contribuera également à l’expansion soutenue des échanges entre les deux pays, à la suppression des barrières commerciales et au libre emploi des devises pour les fins du commerce international.

Bien que le Canada, comme tous les autres pays, continue de subir les effets de bouleversements inévitables pendant la période de transition de la guerre à la paix, il n’est pas de nation où cette transition se soit opérée plus rapidement ou avec moins de heurts.

La conversion des industries de guerre à la production civile progresse régulièrement tandis que sont réduits au minimum les différends industriels et que s’accroît la coopération entre patrons et ouvriers.

Les restrictions et régies du temps de guerre sont abolies à mesure que le permettent les circonstances. On a suspendu l’application du plafond des prix à l’égard de nombreux articles. Les régies relatives aux salaires et aux traitements ont été mitigées. Certaines subventions ont été supprimées. Seules ont été maintenues les réglementations jugées nécessaires pour prévenir l’inflation et favoriser le bien-être de la population.

A l’exception des forces maintenues en service pour l’occupation de l’Allemagne, presque tous nos militaires sont maintenant rapatriés. La démobilisation des hommes et des femmes s’effectue rapidement. On ne néglige rien pour assurer la réintégration ordonnée des anciens combattants dans la vie civile.

Afin que soit complété l’examen de la charte des anciens combattants, vous serez invités à reconstituer le comité spécial des affaires des anciens combattants.

On vous invitera aussi à pourvoir au maintien de forces armées permanentes dont la composition a fait l’objet d’une longue étude.

Au Canada comme dans les autres pays, la demande de logements continue de l’emporter sensiblement sur l’offre. En dépit de la pénurie de matériaux et de main-d’œuvre, on a construit, depuis le jour de la victoire en Europe, un très grand nombre d’habitations. L’on déploie des efforts spéciaux en vue d’accélérer la fourniture de matériaux de construction, de satisfaire à la demande de logements permanents et, entre-temps, de procurer des logements d’urgence. La Société centrale de logement et d’hypothèque a été établie, et son activité est en voie de se coordonner étroitement avec celles de la Wartime Housing Limited et de l’administration de la loi sur les terres destinées aux anciens combattants, afin que toutes les affaires se rattachant à la construction de logements puissent, dans la plus large mesure possible, être soumises à l’administration d’un seul ministre de la couronne.

Il vous sera demandé d’adopter des dispositions en vue de rajuster la représentation à la Chambre des communes.

Au nombre des autres projets législatifs sur lesquels l’on appellera votre attention, figureront des mesures ayant pour objet de réviser et d’élucider la définition de la citoyenneté canadienne ainsi que de rendre conformes à cette définition les lois sur le statut national, la naturalisation et l’immigration, des mesures qui tendront à insérer dans les statuts un certain nombre de décrets du conseil auxquels il importe de donner un caractère législatif
permanent, et aussi certaines modifications aux lois actuelles.

Depuis la clôture de la dernière session, la première réunion de l’Assemblée générale des Nations Unies s’est tenue à Londres. L’Assemblée terminera sa première session à New-York, en septembre. Le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social, la Commission de l’énergie atomique et la Cour internationale de justice ont été établis. Notre pays était représenté à l’assemblée générale par une délégation qui comprenait des ministres de la Couronne, certains membres du Parlement et des hauts fonctionnaires du service public. Le Canada a été élu au Conseil économique et social ainsi qu’à la Commission de l’énergie atomique. On a choisi un Canadien distingué comme l’un des juges de la Cour internationale.

Mes ministres ont pour politique de voir à ce que le Canada appuie sans réserve l’organisation des Nations Unies.

Les problèmes qu’entraîne l’établissement de la paix sont astreignants et ardus.

L’Allemagne et le Japon continuent d’être assujettis à l’administration militaire alliée. Dès le début de l’année, on créait une mission canadienne à Berlin, chargée de sauvegarder les intérêts canadiens en Allemagne. Les intérêts du Canada au Japon sont surveillés par nos représentants au sein de la Commission d’Extrême-Orient, qui a visité Tokyo récemment. Le siège de la commission est à Washington.

La rédaction des traités de paix demandera du temps. On doit tenir à Paris, au cours de l’année une conférence en vue d’étudier les traités projetés avec l’Italie, la Finlande, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie. Le Canada sera représenté à cette conférence.

Une assemblée du comité de coordination de la conférence fédérale-provinciale a eu lieu en janvier. L’examen des propositions soumises par les gouvernements du Dominion et des provinces a progressé. Le comité se réunira de nouveau le 25 avril.

La conférence donnera peut-être lieu à la présentation d’autres projets législatifs.

Membres de la Chambre des communes,

il vous sera demandé de pourvoir aux dispositions financières pour tous les services essentiels et aux crédits requis pour maintenir le commerce d’exportation ainsi qu’un haut niveau d’embauchage et de revenu national.

Honorables membres du Sénat,
membres de la Chambre des communes,

l’exercice de mes fonctions arrive à son terme. On vous a déjà annoncé la nomination de mon successeur, le maréchal vicomte Alexander de Tunis. Lord Alexander arrivera au Canada au début d’avril. Puisque c’est la dernière fois que j’ai l’honneur de vous adresser la parole, on me permettra peut-être d’ajouter une note personnelle.

En 1914, je n’ai pu succéder à Son Altesse Royale le duc de Connaught, au poste de gouverneur général, pour la simple raison que j’étais alors sous les armes. La déception que j’avais éprouvée se trouva cependant plus que compensée par ma nouvelle nomination de 1940, qui, chose singulière, avait lieu pendant une autre guerre mondiale. Ce fut pour moi un grand honneur d’être choisi. Les étroites relations que nous avons eues avec le premier ministre, les ministres, le Parlement et le peuple de ce grand pays vous ont acquis à tous une place de choix dans le cœur de la princesse Alice et de moi-même.

Les années que nous avons passées au Canada sont les plus marquantes de l’histoire du monde. C’est avec une profonde admiration que nous avons été témoins du grand rôle que le Canada a joué dans la préservation de la liberté, le soulagement des peuples souffrants et l’établissement des bases d’un ordre nouveau dans le monde.

La princesse Alice et moi-même, nous nous souviendrons toujours de l’insigne honneur que nous avons eu, pendant ces années mémorables, de partager vos anxiétés et vos réjouissances. Nous garderons toute notre vie une affection impérissable pour le Canada et son peuple.

Puisse la divine Providence continuer de bénir cette nation et de guider le Parlement du Canada dans toutes ses délibérations.

[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]

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