William Lyon Mackenzie King, 1921-1926, 1926-1930 et 1935-1948
Honorables membres du Sénat,
membres de la Chambre des communes,
Vous vous réjouissez avec moi de ce que l’ouverture de la vingtième Législature du Canada coïncide avec la fin victorieuse de la guerre.
Il y a exactement 6 ans, le Parlement se réunissait en session spéciale en prévision d’une déclaration de guerre. Depuis, la guerre s’est poursuivie sans trêve, contre l’Allemagne d’abord, et aussi, plus tard, contre l’Italie et le Japon. Dès le début, le Canada a affecté ses ressources et l’effort suprême de sa population à la lutte pour la liberté et la victoire.
L’un après l’autre, les peuples agresseurs et leurs satellites, ont subi la défaite totale aux mains des forces armées des Nations Unies. Chacun d’eux a été contraint de se rendre sans condition. Le 8 septembre 1943, l’Italie signait les termes de sa reddition; le 8 mai cette année, c’était l’Allemagne et, à la veille de cette semaine, le Japon. Le mois d’août a vu les effets dévastateurs de la bombe atomique sur les villes japonaises et l’entrée de l’URSS en guerre contre le Japon. Ainsi s’est terminé le conflit mondial, la guerre la plus terrible de l’histoire de l’humanité. La victoire n’est pas seulement complète, mais elle a été remportée sur des forces sinistres solidement organisées, et conjuguées dans une tentative de conquête et de domination mondiales.
De concert avec vous, à l’ouverture du nouveau Parlement, j’adresse à la divine Providence mes humbles et reconnaissantes actions de grâces pour la délivrance que la population du Canada et celles d’autres pays doivent à sa miséricorde. Notre génération est témoin d’une manifestation frappante des opérations de la loi morale qui punit inexorablement les torts. Elle s’applique aux nations comme aux individus.
Dans ce conflit titanesque entre les forces du bien et les forces du mal, il nous a été donné d’assister au triomphe du droit et de la justice. Cette victoire nous apporte l’assurance du triomphe définitif du bien, dans nos tentatives pour instaurer un nouvel ordre fondé sur la sécurité mondiale et la justice sociale.
La victoire sur la tyrannie nazie et fasciste, en Europe, et sur le militarisme japonais, en Asie, a coûté très cher. Devant la révélation de la puissance effarante des forces d’agression et de tyrannie, tous les peuples libres se sont peu à peu rendu compte de ce qu’ils doivent aux Nations Alliées qui, les premières, se sont dressées devant les agresseurs. A leur héroïque résistance et à la puissance armée de toutes les Nations Unies, l’humanité doit non seulement sa liberté mais encore tout ce que les hommes libres estiment et chérissent au plus haut point.
Notre pensée se tourne spécialement, à l’heure qu’il est, vers les membres des forces canadiennes qui ont donné leur vie pour que la victoire soit nôtre, et non celle de l’ennemi. La nation tout entière s’incline pieusement devant leur sacrifice. De plus, nos cœurs partagent d’une manière spéciale les espoirs et les désirs de ceux qui attendent avec inquiétude le retour d’êtres chers, qui sont maintenant libres après une captivité de trois ans et demi dans des camps d’emprisonnement japonais. Le Canada sympathise profondément avec tous les affligés et avec les malades du corps ou de l’esprit, avec les victimes des misères de l’emprisonnement, de la faim ou des privations.
Il appartiendra à l’histoire de consigner dans ses annales l’ampleur de la contribution canadienne dans ce conflit mondial. Nous nous réjouissons de ce que nos forces armées ont contribué dans une telle mesure à défendre et à libérer les nations dont le passé et le présent sont si intimement liés aux nôtres. Notre pays ne cessera de se rappeler avec fierté les exploits héroïques des combattants et des matelots de la marine marchande du Canada.
Nous rendons aussi hommage aux hommes et aux femmes dont la fidélité et l’assiduité au travail, sur les fermes, dans les forêts, les mines et les pêcheries, dans les usines, les ateliers et les bureaux, dans les hôpitaux et au foyer, ainsi que dans les transports et autres services, ont été indispensables à la victoire. Ce qui a permis au Canada de contribuer tellement à cette victoire, c’est l’association indéfectible de ses guerriers et de ses travailleurs.
A tous ceux dont les services et les sacrifices ont contribué à la victoire, je tiens, au nom du Parlement, à exprimer la gratitude de la nation.
Dans la mesure où il est possible de prévoir l’avenir, mes ministres ont pris les dispositions voulues pour préparer le Canada à faire face aux conditions très difficiles qui devaient nécessairement surgir après la victoire. En vertu de l’autorisation accordée par le Parlement, on a procédé à la distribution de secours, afin d’aider à nourrir, vêtir et abriter les populations sans ressources et à opérer le rétablissement des régions que l’ennemi a dévastées en Europe. D’autres mesures visant les mêmes objets et de nature à répondre à d’autres besoins impérieux seront soumises à votre considération.
Les préparatifs de démobilisation, de réadaptation et de rétablissement dans la vie civile des hommes et des femmes des forces armées étaient déjà en marche lors de la reddition de l’Allemagne: il en est de même des mesures prises pour la reconversion économique du pays, du pied de guerre au pied de paix, et pour le maintien d’un niveau élevé de l’embauchage et du revenu national. Les programmes ainsi élaborés pour répondre aux exigences de la période de transition sont actuellement en pleine opération.
Dans l’édification du nouvel ordre mondial, mes ministres sont déterminés à favoriser en tout premier lieu les initiatives de paix, d’embauchage et de santé dans toutes les relations domestiques et internationales. Pour la poursuite de ces importants objets, le gouvernement a reçu un mandat bien précis du peuple canadien.
La charte des Nations Unies, signée par les représentants des cinquante nations qui ont pris part à la conférence de San-Francisco, sera soumise à votre approbation. Cette charte exprime la résolution des signataires de maintenir une paix fondée sur les principes, de la justice et le respect des droits de l’homme, et d’encourager, par la coopération internationale, le bien-être de tous les peuples.
Dans la poursuite du bien-être national, la coopération et la bonne volonté entre le gouvernement du Dominion et les gouvernements des provinces sont aussi nécessaires qu’elles le sont entre nations quand il s’agit de maintenir la paix mondiale et la prospérité internationale. Vous serez heureux d’apprendre qu’à la conférence fédérale-provinciale tenue à Ottawa au mois d’août, les délégués ont abordé avec succès l’examen de propositions visant à favoriser le maintien à un niveau élevé de l’embauchage et du revenu national, et l’établissement d’un programme national de sécurité sociale. Mes ministres espèrent ardemment qu’à la reprise des délibérations de la conférence, l’on arrivera rapidement à un accord qui placera le Dominion et toutes les provinces dans les conditions financières voulues pour qu’elles puissent s’acquitter efficacement de leurs diverses obligations. Un tel accord permettrait de réorganiser la structure fiscale du Dominion sur une base plus simple et plus équitable, propre à favoriser l’expansion des entreprises et de l’embauchage.
Rien n’est négligé pour assurer, aussi rapidement que le permettront nos engagements militaires et les moyens de transport, le rapatriement de ceux qui servent outre-mer et pour accélérer la libération ordonnée des hommes et des femmes des forces armées.
Grâce aux efforts conjugués du gouvernement, de l’industrie et du travail, la conversion de l’industrie de guerre à la production civile s’effectue avec le minimum de retard et d’inconvénients.
Le gouvernement se propose d’abolir les restrictions de guerre par étapes successives, aussi rapidement qu’il pourra le faire sans causer d’inflation ou d’autres bouleversements économiques. Il maintiendra, aussi longtemps qu’elle sera nécessaire, la réglementation indispensable au bien-être de la population.
Vous serez invités à approuver une mesure ayant pour objet de prolonger certains pouvoirs d’exception afin de permettre au gouvernement de faire face aux circonstances critiques de la période de reconstruction.
L’on s’occupe activement d’assurer des marchés durables à nos industries de base. Le besoin continu de denrées alimentaires au pays et à l’étranger assurera, pendant assez longtemps, l’écoulement rapide des produits de nos fermes et de nos pêcheries.
Le gouvernement poursuit ses efforts en vue de stimuler la restauration et l’expansion du commerce extérieur. Il soumettra à votre approbation des mesures à cette fin.
Afin de favoriser la stabilité des échanges internationaux et le maintien d’un crédit international suffisant, vous serez appelés à approuver une mesure permettant au Canada de participer au Fonds monétaire international et à la Banque de la reconstruction et du développement.
La construction des maisons est poussée rapidement, dans la mesure où les matériaux et la main-d’oeuvre le permettent. Les dispositions déjà arrêtées assurent à l’industrie du bâtiment une expansion qui marchera de pair avec l’augmentation de la production des matériaux de construction. Les logements destinés aux anciens combattants et aux personnes à leur charge ont la priorité.
On active autant que possible les plans tendant à établir un minimum national de sécurité sociale et de bien-être humain. L’assurance-chômage, les prix minimums des produits de la ferme et de la pêche et les allocations familiales sont maintenant en vigueur. Les propositions présentées par le gouvernement à la conférence fédérale-provinciale en vue d’améliorer la santé et le bien-être comprennent des plans comportant un régime national d’assurance-santé et de médecine préventive ainsi que des pensions de vieillesse plus généreuses.
Les autres mesures que vous aurez à étudier comprendront la consolidation en une charte des vétérans des divers décrets du conseil relatifs au soin, à la réhabilitation et au rétablissement des anciens combattants, un projet de loi destiné à abroger la loi établissant le ministère des services nationaux de guerre et un projet de loi visant à fondre le ministère des munitions et approvisionnements et celui de la reconstruction en un seul ministère de la reconstruction et des approvisionnements. L’armée et la marine ont déjà été placées sous la direction unique du ministre de la Défense nationale. On confiera, en temps et lieu, à un seul ministre de la Couronne tous les services de la défense.
Membres de la Chambre des communes,
il vous sera demandé de voter les crédits nécessaires aux services essentiels, aux dépenses découlant de la guerre et à la reconstruction. L’exposé budgétaire révélera les propositions de mes ministres concernant les mesures fiscales.
Honorables membres du Sénat,
membres de la Chambre des communes,
mes ministres sont d’avis qu’en raison de la situation que notre pays s’est acquise parmi les nations du monde, il y a lieu pour le Canada, à l’instar des autres nations du Commonwealth britannique, d’avoir un drapeau national distinctif. Vous serez invités à désigner un comité spécial de membres des deux chambres du Parlement pour étudier un projet approprié de drapeau canadien.
Le gouvernement a décidé qu’en attendant l’adoption par le Parlement d’un motif donné, le pavillon marchand du Canada, arboré au combat par l’Armée canadienne, hissé au sommet de la tour de la paix le jour de la victoire en Europe et le jour de la victoire sur le Japon, en hommage à la valeur de nos forces armées et aux succès du Canada dans la guerre, pourra être déployé chaque fois que le lieu ou l’occasion motiveront l’emploi d’un drapeau national distinctif.
Le gouvernement juge aussi qu’il est opportun de réviser et d’élucider la définition de la citoyenneté canadienne ainsi que de rendre conforme à cette définition les lois concernant le statut national, la naturalisation et l’immigration. Vous serez invités à approuver les mesures requises.
Le gouvernement a également examiné comment on pourrait le mieux commémorer, dans la capitale du Canada, les services et les sacrifices des Canadiens au cours de la guerre qui vient de finir. Par le passé, on a le plus souvent commémoré par des monuments de bronze et de pierre les sacrifices en vies humaines. Notre capitale a déjà un monument de ce genre. Mes ministres sont d’avis qu’il serait éminemment approprié de rendre aujourd’hui de façon plus expressive la vision d’un nouvel ordre mondial. Ils pensent que cette vision trouverait sa meilleure expression dans l’aménagement et l’embellissement ordonnés de la capitale fédérale et de la région environnante pour en faire un monument national. Il a déjà été pris certaines dispositions pour dresser un plan d’aménagement de la ville et de la région d’Ottawa des deux côtés de la rivière. A mesure que les plans se préciseront, on soumettra à l’examen du Parlement des propositions définies.
A la recommandation du gouvernement canadien, il a plu à Sa Majesté le Roi de choisir le maréchal sir Harold Alexander pour me succéder comme son représentant au Canada. Ses fonctions ne permettront pas au maréchal Alexander de prendre son poste d’ici le commencement de la nouvelle année. Dans l’intervalle, nous ferons, Son Altesse Royale la princesse Alice et moi-même, une courte visite au Royaume-Uni, et nous reviendrons au Canada, pour un bref séjour, avant notre départ officiel.
Au moment où vous assumez les lourdes responsabilités de l’époque difficile de la reconstruction, je prie le Tout-Puissant de guider et de bénir vos délibérations. Puissiez-vous être inspirés par la vision de l’avenir meilleur que les Nations Unies sont désormais à même d’assurer à l’humanité.
[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]