Discours du trône, Ottawa, XX XXXX 1969

Pierre Elliott Trudeau, 1968-1979 et 1980-1984

Honorables Membres du Sénat,
Membres de la Chambre des communes,

J’ai l’honneur de vous souhaiter la bienvenue à la deuxième session
de la
vingt-huitième Législature et de vous présenter, au nom du
Gouvernement,
diverses questions qui seront soumises à votre examen.
Permettez-moi d’abord d’évoquer les récentes tournées que nous
avons faites, ma
femme et moi, dans chacune des dix Provinces et dans l’Arctique.
J’ai eu alors
la satisfaction de constater que, malgré les problèmes qui
troublent encore
notre société et malgré les craintes de certaines gens de peu de
foi, nos
concitoyens ont un sentiment très vif de leur identité et se font
une
excellente idée des possibilités que le Canada leur offre, à eux et
à leurs
enfants.

J’ai d’autre part eu le plaisir de faire une tournée d’amitié dans
les quatre
pays du Commonwealth situés dans la mer des Caraïbes, à savoir la
Jamaïque, la
Guyane, la Barbade et Trinité et Tobago. Si je me suis rendu dans
ces pays,
c’est à la demande du Gouvernement et avec l’encouragement de Sa
Majesté.

J’ajoute enfin que Sa Majesté, s’intéressant au Canada, aux
Canadiens et à tout
ce qui les touche, doit, avec le duc d’Edimbourg, se rendre en
juillet prochain
au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest, qui célébreront
leur
centenaire.

Bien que le Canada demeure toujours un pays privilégié, épargné par
les guerres
et favorisé par la nature, il n’est pas sans subir les contrecoups
des diverses
perturbations qui agitent le monde. L’univers est devenu à ce point
compact et
solidaire que, si en quelque endroit de la terre s’entremêlent le
feu et le
sang, c’est toute l’humanité qui est meurtrie; que ce soit au
Vietnam, au
Nigeria ou au Moyen-Orient, les blessures de quelque région du
globe affectent,
d’un façon ou d’une autre, l’équilibre international, et le Canada
n’échappe
pas à la vaste interdépendance de tous les pays du monde.

Si nous nous devons d’être attentifs aux répercussions que ne
peuvent manquer
de provoquer chez nous les bouleversements qu’éprouvent encore tant
de pays,
nous nous inquiétons surtout que la paix mondiale ne soit davantage
assurée et
que les querelles des hommes continuent d’engendrer misère et
privations. Les
moyens dont nous disposons pour mettre fin à tous ces conflits sont
forcément
limités; le Gouvernement n’en néglige cependant aucun et fait tout
en son
pouvoir pour contribuer à la détente internationale.

Nous entendons rester membres actifs des Nations Profondément
modifiée dans ses
fonctions et

sa composition après un quart de siècle d’existence, il est normal
que
l’organisation des Nations Unies manifeste le besoin d’être
rajeunie et
raffermie. Le Canada a donc décidé de soumettre un projet de
réforme à la
présente session de l’Assemblée générale.

A mesure que les armes deviennent plus destructives et que leurs
essais se font
plus dangereux, le Gouvernement multiplie ses efforts an faveur de
la
limitation des armements. La difficulté même d’en vérifier
l’observation
constitue toujours un obstacle à l’interdiction des essais
nucléaires
souterrains. Comme moyen de réduire cet empêchement, le Canada a
proposé
l’échange international des sismogrammes.
Mais tant que la paix n’aura pas été partout instaurée, nous ne
pourrons rester
insensibles aux appels des victimes de la guerre. Lors de la
dernière réunion
mondiale de la Croix-Rouge, le Gouvernement canadien est parvenu à
faire
accepter une proposition à laquelle il tenait beaucoup et qui
permettra à la
Croix-Rouge de secourir les civils des deux camps dans les cas de
guerre
intestine.
En plus d’agir au sein des organismes internationaux, nous nous
employons à
resserrer nos liens avec plusieurs pays d’Amérique latine,
d’Afrique et d’Asie.
C’est dans cet esprit de coopération que vous sera présenté un
projet de loi
créant un Centre de recherche canadien sur le développement
international, dont
la mission sera d’étudier les problèmes des économies en expansion.
Plusieurs pays du monde sont aux prises avec un malaise croissant
que la
jeunesse éprouve d’une façon particulièrement aiguë. Ce malaise
prend tantôt
l’allure de la polémique, tantôt celle de la contestation, et même
parfois
celle de la violence. Notre foncière désapprobation des excès
auxquels pareil
phénomène a donné lieu ne doit pas cependant nous fermer à de
profondes et
légitimes aspirations. En effet, nombreux sont les gens, ici même
au Canada,
qui se sentent en droit d’assumer davantage leur destin collectif.
Pour autant
qu’ils n’entrent pas en conflit avec le bien-être général, de tels
désirs
correspondent à un idéal vraiment démocratique, et la paix et la
justice vers
lesquelles tend notre société exigent qu’ils soient satisfaits.
Le Gouvernement est d’avis que le temps est venu d’étendre le droit
de vote
lors des élections fédérales et recommandera en conséquence au
Comité permanent
de la Chambre des communes sur les privilèges et élections que le
droit
d’électeur soit désormais acquis à dix-huit ans.

Des changements seront proposés aux lois qui régissent le Yukon et
les
Territoires du Nord-Ouest. Ils auront pour effet d’accentuer le
caractère
représentatif des Conseils de ces régions.
Pour être sauvegardés, les droits et les intérêts des individus et
des groupes
doivent se retrouver exactement dans la structure politique du
pays, tout comme
dans sa règle fondamentale, la Constitution.

Le Gouvernement attache donc la plus grande importance à la
révision de la
Constitution et aux progrès que la Conférence constitutionnelle a
accomplis. La
dernière réunion, notamment, a donné lieu à des échanges fructueux
et le
Gouvernement est résolu à n’épargner aucun effort pour assurer la
réussite de
cette entreprise vitale.
Des circonstances d’ordre historique, économique et géographique
ont placé
certains de nos concitoyens dans une situation désavantageuse par
rapport à
l’ensemble de la population. En vertu des lois adoptées durant la
dernière
session, le Gouvernement met sur pied des programmes destinés à
réduire de
telles disparités.
La loi sur les langues officielles, qui prévoit l’usage du français
et de
l’anglais dans les agences et organismes du gouvernement fédéral,
partout où la
répartition démographique le justifie, assurera l’exercice de
droits
linguistiques essentiels, au sein d’une société qui reconnaît et
accueille si
volontiers une riche diversité de races, de religions et de
traditions
culturelles.

Mais cette détermination à l’égalité linguistique doit avoir sa
contrepartie
dans la vie sociale et économique. Au cours de la dernière session,
le
Parlement a accordé au Gouvernement les instruments législatifs
grâce auxquels
il peut instituer, d’accord avec les provinces, des programmes destinés à remédier aux sérieuses déficiences de certaines régions,
quant au
volume de l’emploi et au revenu moyen. En effet, nonobstant la
compression
générale de ses dépenses, le Gouvernement reconnaît en ces
programmes une
impérieuse priorité et a décidé, par conséquent, de leur affecter
une part
croissante de ses revenus.
En outre, le Gouvernement accordera une attention spéciale à la
nécessité de
relever l’emploi chez les Canadiens d’origine indienne, ainsi que
parmi
d’autres couches défavorisées de la population.
Les modalités changeantes du besoin dans notre société appellent
une politique
sociale plus équitable et efficace, qui procurera assistance et
sécurité aux
citoyens incapables de travailler ou d’assurer leur subsistance et
celle de
leur famille. On vous présentera donc un livre blanc sur la
sécurité sociale et
une proposition concernant la réforme du régime
d’assurance-chômage.
L’existence de bonnes relations entre travailleurs et employeurs
est un facteur
critique de progrès économique et social. S’intéressant de plus en
plus aux
problèmes et aux possibilités des relations industrielles, le
Gouvernement vous
invitera à étudier des amendements aux lois concernant les
négociations
collectives dans les industries soumises à la juridiction fédérale.

Pour atteindre nos objectifs économiques, nous avons à surmonter de
nombreux
obstacles; le plus grave et le plus rebelle d’entre eux demeure
sans conteste
l’inflation. Si l’inflation n’était pas maîtrisée à temps, ses
conséquences
pourraient rapidement s’avérer désastreuses, surtout, mais pas
seulement pour le citoyen dont les revenus sont déjà trop modestes.
Ces derniers temps, le Gouvernement a invité de pressante façon les
secteurs public et privé à prendre des mesures appropriées pour
lutter contre l’inflation. Ces mesures que le Gouvernement a
lui-même appliquées, il faut que
tous les adoptent, sans quoi le recours à des contraintes plus
sévères s’imposera.

Vous serez aussi appelés à examiner une réforme des impôts qui vise
à distribuer plus équitablement le fardeau des taxes tout en
favorisant la
croissance économique du pays. Il faut conformer plus étroitement
notre système
d’imposition aux conditions qui régissent l’existence des simples
citoyens, de
même que la marche des affaires dans une société moderne comme la
nôtre.

L’une des plus précieuses richesses du Canada réside
incontestablement dans la
diversité et l’affluence de ses ressources matérielles. Dans
certains cas, la
production a même excédé la demande; entre autres, les réserves de
grain se
sont accumulées, rendant précaire la situation budgétaire de bon
nombre de
fermiers.

De la tendance de plusieurs pays traditionnellement importateurs de
céréales à
se suffire à eux-mêmes, il est résulté un rétrécissement de nos
débouchés et un
affaissement des prix du grain sur le marché mondial. Cette
question préoccupe
sérieusement le Gouvernement. Aussi entend-il intensifier ses
efforts pour
trouver de nouveaux débouchés à la production agricole canadienne et
conclure,
entre les pays exportateurs et importateurs, des ententes
permettant de
rétablir une mise en marché ordonnée. De plus, vous aurez à réviser
la loi sur
les grains du Canada et à prendre en considération des amendements
qui auront
pour conséquence d’améliorer, sur les marchés du monde, la
situation
concurrentielle de notre production.

La capacité de concurrence des pêcheries canadiennes a besoin
d’être stimulée,
non seulement par de nouvelles dispositions concernant l’émission
des permis et
la mise en marché, mais aussi par l’extension des zones de pêche
réservées.
Certes, nos ressources sont immenses, mais elles ne sont pas
inépuisables, et
s’il est impérieux d’en stimuler l’exploitation, il est tout aussi
urgent d’en
assurer la conservation et d’en réglementer l’utilisation. Parmi
ces
ressources, l’eau est au nombre des plus précieuses. Lacs,
ruisseaux, rivières
et fleuves empoisonnés, plages gâtées, végétation aquatique en
décomposition,
pêche diminuée, les conséquences de nos imprévoyances sont partout
évidentes.
Le Gouvernement a fait connaître ses vues sur le grave problème de
la pollution
de l’eau et a entrepris des consultations avec les provinces. Une
fois
complétées ces consultations, il vous proposera des mesures qui lui
permettront, de concert avec les gouvernements provinciaux,
d’enrayer la
graduelle détérioration de cette inestimable richesse, essentielle
à
l’expansion de l’industrie, à la consommation domestique et aux
loisirs du
citoyen.

Si l’Atlantique et le Pacifique conservent pour le Canada leur
importance
traditionnelle, l’océan Arctique et ses régions côtières pourraient
bien
connaître bientôt un rapide essor économique. Les îles de
l’archipel canadien,
ou le plateau continental avoisinant, au sujet duquel la loi
internationale
reconnaît clairement nos droits exclusifs d’exploitation et
d’exploration, en
seront probablement le cadre principal. Cependant, cette mise en
valeur, quels
qu’en soient les avantages, peut être de nature à compromettre
gravement, sur
la terre et dans la mer, un équilibre biologique déjà délicat en
raison des
rigueurs de l’environnement polaire. Tout en encourageant pareil
aménagement,
nous devons, puisque la responsabilité nous en incombe, protéger
l’écologie de
ces régions en grande partie encore intactes. Le Gouvernement
étudie également
d’autres moyens de protéger les côtes maritimes du Canada.
Par l’entremise des Nations Unies et de ses agences, le Canada
cherche à
obtenir l’établissement d’un système de protection des eaux
internationales
contre la pollution qui, sur la planète entière, menace tant de
formes de vie.

Nous voulons construire un pays fort et productif, solidement
équipé pour
faire face à l’avenir; mais nous entendons, avec la même
détermination, nous
préoccuper du sort de chaque Canadien, et de ses droits et de ses
intérêts. Le
Gouvernement considère le progrès du pays et l’épanouissement de
l’individu
comme deux aspects indissociables de son mandat.
L’ampleur, la complexité et l’imperfection des structures que la
technologie
impose aux sociétés modernes entrent souvent en conflit avec les
valeurs
individuelles. Les rouages des institutions, tant privées que
publiques,
peuvent compromettre la liberté du citoyen dans l’expression de sa
personnalité
profonde et singulière, Il doit donc être efficacement protégé
contre tout ce
qui menace de violer ses droits ou de paralyser son
accomplissement.

A cette fin, on vous soumettra des amendements au Code criminel,
les uns
restreignant l’usage des tables d’écoute et des différents procédés
clandestins
susceptibles de porter atteinte à l’intimité de l’individu, les
autres
réformant la loi actuelle sur les détentions antérieures au procès.
On vous
proposera aussi des mesures législatives propres à rendre plus
accessibles et
plus ouverts les tribunaux fédéraux et à garantir de justes
compensations dans

les cas d’expropriation. Il vous sera enfin proposé un projet de
loi instituant
une commission nationale de réforme législative. Cette commission
serait
chargée d’améliorer et de moderniser la loi et son application sur
le plan de
la juridiction fédérale.

Vous aurez en outre à réviser le vaste ensemble des lois relatives
aux
compagnies et aux institutions financières. Pour améliorer la
position du consommateur sur la place du
marché, le Gouvernement vous priera d’ajouter à la législation
touchant les
biens de consommation. On vous soumettra des propositions
concernant le crédit
au consommateur, l’emballage et l’étiquetage, l’identification des
produits
textiles et la sécurité des véhicules automobiles.

Dans le domaine de l’habitation, en dépit des difficultés que
soulève
l’inflation, l’objectif fixé est la construction d’un million de
maisons et de
logements en cinq ans. Le Gouvernement fera sa part, tout en
mettant l’accent
sur les mesures propres à satisfaire les besoins des familles à
revenu modeste.
Joint à d’autres initiatives semblables, ce programme stimulera
l’emploi et la
croissance économique et favorisera le progrès social, aussi bien
que
l’amélioration du milieu urbain. Il répond au désir que chacun
éprouve de vivre
sous un toit salubre et agréable.

J’ai passé en revue quelques-unes des plus importantes mesures
législatives que
vous serez invités à examiner durant la session. Mais vous serez
également
priés d’étudier différentes questions de politique nationale à long
terme.

Car, en plus de résoudre ses problèmes immédiats, le Canada doit se
préparer à
affronter les défis que lui réserve l’ère postindustrielle qui
s’annonce. Une
réévaluation systématique de la société canadienne et de ses
principes
directeurs s’impose donc. Au cours des douze derniers mois, le
Gouvernement
s’est attaqué à cette oeuvre d’envergure. Durant la présente
session, plusieurs
rapports et livres blancs seront déposés, dont l’ensemble s’intègre
à la
révision globale des politiques gouvernementales. On vous invitera
de la sorte
à examiner les vues du Gouvernement sur les affaires extérieures,
la défense,
la réforme des impôts, la citoyenneté, la sécurité sociale,
l’information et
les postes.

Dans ces documents, le Gouvernement définira ses objectifs et
formulera les
moyens de les atteindre; il ne souhaite pas moins profiter de la
lumière que
peuvent jeter sur sa politique une critique bien informée et des
discussions
sérieuses, avant précisément que les projets de loi ne prennent
forme ou que ne
soient entreprises, le cas échéant, des actions de vaste portée.

Que le Parlement accorde à la politique nationale une attention
plus poussée,
voilà qui est conforme à l’esprit des changements apportés
dernièrement à la
réglementation des débats à la Chambre des communes. Le nouveau
Règlement
montrera que les traditions parlementaires peuvent s’adapter aux
nouvelles
conditions de la vie contemporaine, tout en restant fidèles aux
principes
fondamentaux de la représentation populaire.

On reconnaît là notre volonté commune de moderniser nos
institutions pour
qu’elles répondent aux aspirations et aux besoins des citoyens et
pour que,
tous ensemble, avec une énergie renouvelée, nous soyons en mesure
de travailler
dans l’harmonie au progrès et à la grandeur du Canada.

Membres de la Chambre des communes,

Durant la session, vous serez priés de voter les fonds requis pour
les services
et les paiements autorisés par le Parlement.

Honorables Membres du Sénat,

Membres de la Chambre des communes,

Le Premier ministre déposera aujourd’hui une liste de projets de
loi qui vous
seront présentés au cours de la session.

Puisse la Divine Providence vous éclairer dans vos délibérations.

[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]

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