Brian Mulroney, 1984-1993
Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les députés,
C’est avec grand plaisir que je vous accueille à l’ouverture de
la troisième session de la trente-quatrième législature.
Au cours des quinze derniers mois, mon épouse et moi avons eu le
merveilleux privilège de rencontrer des milliers de Canadiens et de
Canadiennes à Rideau Hall, à la Citadelle et lors de nos visites dans
toutes les provinces et territoires.
Quelles que soient nos origines, en quelque lieu que nous vivions,
nous les Canadiens partageons essentiellement les mêmes espoirs et
les mêmes aspirations. Nous sommes fiers du pays dont nous avons
hérité. Et surtout, nous sommes résolus à le léguer plus fort et plus
prospère à nos enfants.
Mon épouse Gerda et moi sommes toujours touchés par la déférence
des Canadiens à l’égard de la Reine et du rôle qu’elle a joué dans
notre histoire. Depuis qu’elle a accédé au Trône il y a près de
quarante ans, elle a été servie successivement par les sept gouverneurs
généraux canadiens et demeure un symbole vivant de la continuité et
de la stabilité essentielles à notre régime de gouvernement.
Ce fut donc pour nous un réel plaisir cette année que de féliciter
Sa Majesté en votre nom et de lui offrir nos meilleurs voeux à
l’occasion de son soixante-cinquième anniversaire.
La session qui s’ouvre aujourd’hui marquera un point tournant dans
l’histoire du Canada. Que personne ne se fasse d’illusions sur
l’ampleur de la tâche à accomplir. Vous aurez en effet le devoir et
l’occasion de forger une entente historique qui ralliera tous les
Canadiens, qui mettra fin aux dissensions et à la discorde et qui
garantira un avenir prospère aux générations de demain.
Le premier juillet dernier, lorsque Sa Majesté est venue célébrer
avec nous la Fête du Canada, elle a déclaré que l’unité doit être
au premier rang de nos préoccupations, comme c’était le cas à
l’époque de la Confédération. Elle a poursuivi en disant: « C’est
par la seule force de leur volonté que les Canadiens parviendront
à rester unis. » Je crois que nous avons cette volonté.
Je suis convaincu que si nous sommes fidèles aux valeurs qui ont
servi à édifier ce pays, la croyance en la dignité humaine, le
respect des différences, et la courtoisie dans nos rapports les
uns avec les autres, nous réussirons.
L’histoire du Canada est une épopée de courageux efforts et de
brillantes réussites. Les Canadiens et les Canadiennes ont édifié ensemble une société libre et juste; leur démocratie, l’une des
plus vieilles de l’histoire contemporaine, brille comme un phare
de liberté dans le monde entier. Notre pays est respecté aux quatre
coins du globe pour le rôle constructif qu’il joue dans les affaires
mondiales, la protection qu’il accorde aux droits de la personne,
son ouverture à la diversité, sa conscience environnementale et
ses réalisations culturelles.
Le Canada fait aussi envie par sa prospérité économique. Bien que
trente et unième par la taille de sa population, il est parvenu à
bâtir une économie qui se classe au huitième rang dans le monde. Et
grâce à cette vigueur économique, il a pu maintenir des programmes
sociaux des plus progressistes.
Des millions de personnes de par le monde abandonneraient volontiers
tout ce qu’elles possèdent pour avoir le privilège de vivre au Canada.
C’est une réalité que nous avons intérêt à rappeler à quiconque met
en doute la valeur de notre citoyenneté.
Au cours de la présente session, le Canada célébrera son cent vingt-cinquième anniversaire. Faisons en sorte que cette célébration devienne
un jalon dans notre marche vers un avenir fait d’unité et de
prospérité. Puissions-nous manifester alors la même confiance et le
même sentiment d’accomplissement qui nous habitaient tous lorsque
nous avons fêté le Centenaire du pays et l’Expo 67.
Nous croyions alors au potentiel inégalé du Canada. Ce potentiel
est toujours intact, mais si nous voulons réaliser notre grande
destinée, nous devons venir à bout de l’acrimonie, de l’indifférence
et de l’incompréhension qui sapent l’unité nationale. Dans le contexte
de la révolution économique mondiale du dernier quart de siècle, nous
devons effectuer les réformes nécessaires pour assurer la prospérité
que, jusqu’à récemment, nous tenions pour acquise. Et nous devons
de toute urgence réagir à l’incertitude qui se manifeste quant à la
capacité de nos institutions et de nos mécanismes d’atteindre ces
fins.
Vous serez donc appelés à vous pencher sur des propositions visant
à répondre aux trois préoccupations majeures de la population
canadienne et de mon gouvernement: unité, prospérité et efficacité
gouvernementale. Je suis persuadé que, devant l’importance de ces
enjeux, tous les parlementaires penseront d’abord et avant tout au
Canada, qu’ils feront abstraction des considérations et des manoeuvres
partisanes, et qu’ils mettront leurs efforts en commun pour faire
du Canada un pays plus fort.
L’unité nationale
Nous avons la responsabilité de cette magnifique nation, façonnée
à la grandeur d’un continent par des générations d’hommes et de femmes
résolus à se tailler une place pour eux-mêmes et à offrir un avenir
à leurs enfants. Ils étaient inspirés dans leurs sacrifices par la
conviction que la tolérance et la justice, le courage et la compassion,
l’entreprise individuelle et le bon voisinage pouvaient dissiper tous
les doutes et venir à bout de tous les obstacles.
C’est à notre tour maintenant de vaincre les obstacles, de dissiper
les doutes et de préparer le Canada à affronter avec assurance le
XXIe siècle. Nous devons le faire en préservant les droits de tous
les Canadiens et les normes de citoyenneté qui confèrent son caractère
unique à notre mode de vie.
Certaines réformes peuvent se faire par l’adoption de lois ou de
politiques; d’autres exigent des changements d’attitude de notre part;
d’autres encore exigent des modifications de notre Constitution.
Une constitution doit être un instrument d’unité. Pour la grandeur
du pays, les Canadiens et les Canadiennes devraient pouvoir se
reconnaître dans leur Constitution, y retrouver leurs espoirs et leurs
aspirations. S’il est un document auquel ils doivent s’identifier
avec fierté, c’est bien celui-là. Mais ce n’est pas le cas
actuellement. Il importe donc au plus haut point de rendre la
Constitution plus conforme à ce que nous sommes, à ce que nous
représentons en tant que pays et à ce que nous aspirons à devenir
en tant que peuple.
Le Forum des citoyens sur l’avenir du Canada a été créé pour
permettre à tous d’exprimer leurs espoirs et de donner leur avis sur
le genre de pays que nous voulons, afin de continuer à prospérer
ensemble à l’aube d’un nouveau siècle. Le Comité mixte spécial sur
le processus de modification de la Constitution a été mis sur pied
pour associer la population à la recherche d’une meilleure formule
de modification de la loi suprême du pays. Tous deux ont permis aux
Canadiens de mieux comprendre ce qu’ils ont en commun et de se rendre
compte de ce qu’ils ont à perdre. Au lieu de simplement s’arrêter
aux problèmes, les gens proposent maintenant des solutions.
Mon gouvernement s’attend à recevoir les recommandations de ces
deux comités d’ici la Fête du Canada, le 1er juillet. Ces deux
rapports, ainsi que ceux d’organismes semblables mis sur pied dans
plusieurs provinces et les sondages que vous avez tous effectués auprès
de vos propres commettants, vous permettront de savoir ce que vos
concitoyens attendent de vous.
Mon gouvernement énoncera de nouvelles propositions destinées à
centrer le débat sur l’objectif d’un Canada plus uni et plus prospère.
Il sera question notamment de changements dans les institutions nationales et dans les responsabilités et les pouvoirs fédéraux et provinciaux. Mon gouvernement se guidera sur certains principes de base,
à savoir :
– que le Canada a déjà fait la preuve de sa valeur; qu’on souhaite
y apporter des changements afin de l’améliorer, non pas pour rejeter
ce que nous avons déjà accompli ensemble ;
– que le Gouvernement du Canada représente tous les Canadiens; et
que tout changement passe nécessairement par le compromis raisonnable
et la conciliation, en pleine connaissance de cause, des intérêts
de tous ;
– que le caractère unique du Québec doit être affirmé, comme doivent
être reconnus les intérêts particuliers de l’Ouest, des provinces
de l’Atlantique, de l’Ontario, du Nord et des Canadiens autochtones ;
– que la réforme constitutionnelle sera jugée d’après les critères
de la justice, de l’efficacité, de l’efficience et de la protection qu’elle accorde aux droits de tous les citoyens.
En septembre, mon gouvernement soumettra ses propositions à un
comité mixte du Parlement qui sera mis sur pied afin de recueillir
partout au pays les opinions des Canadiens et des Canadiennes. Ses
membres seront appelés à tenir des rencontres publiques avec les
comités législatifs correspondants de chaque province et territoire
ou, en l’absence de tels comités, avec leurs homologues des assemblées
législatives. Ils seront aussi appelés à rencontrer des groupes d’autochtones. On demandera au comité de faire rapport au gouvernement
dans un délai de cinq mois.
Après étude du rapport, mon gouvernement soumettra à l’examen de
la population son plan d’action pour le renouvellement du Canada.
Vous serez appelés à légiférer pour permettre aux Canadiens et aux
Canadiennes de participer davantage à la réforme constitutionnelle.
Mon gouvernement s’emploiera à créer des conditions propres à aider
la population à mieux comprendre son histoire et ses traditions et
à attacher plus de prix à la diversité qui fait sa richesse. C’est
dans cet esprit que seront organisées les célébrations qui marqueront
l’an prochain le cent vingt-cinquième anniversaire de la Confédération.
L’harmonie intérieure de notre nation et l’importance de notre
contribution aux affaires mondiales dépendent de la connaissance que
nous avons de nous-mêmes en tant que peuple. A notre époque ou tout
change si vite qu’il s’ensuit inévitablement des perturbations. A
notre époque d’interdépendance croissante, il importe plus que jamais
que nous parlions au reste du monde d’une seule et même voix, afin
que le Canada soit moins vulnérable. Mon gouvernement entend poursuivre
une politique étrangère active afin de défendre intégralement les
intérêts du Canada dans le monde entier, qu’ils soient économiques
ou sociaux, ou qu’ils se rapportent à la sécurité ou à l’environnement.
Il continuera aussi de promouvoir les valeurs démocratiques et de
défendre les droits de la personne dans la mise en oeuvre de sa
politique étrangère et de ses politiques d’aide au développement,
car c’est ainsi qu’il peut le mieux contribuer au progrès et à la
stabilité d’un monde en pleine évolution, tout en assurant la sécurité
et la prospérité du Canada.
La prospérité pour tous
Mon gouvernement invitera les Canadiens et les Canadiennes à
participer à l’élaboration d’une nouvelle stratégie destinée à engager
le pays sur la voie d’une plus grande prospérité. L’objectif est
d’édifier une société prospère qui sera en mesure de faire une place
égale à tous, hommes et femmes, d’offrir un juste partage des bienfaits
et des responsabilités et d’assurer protection aux plus démunis de
ses membres.
Il ne suffit pas de modifier la Constitution pour réaliser l’unité
nationale. Une économie vigoureuse est un facteur d’unité. Et
inversement, l’unité est un facteur de prospérité. Faute d’unité,
on s’expose au déclin dans la rude conjoncture de l’économie mondiale.
La relance de l’économie dépend de la réduction des taux d’intérêt.
C’est pourquoi mon gouvernement s’est employé à assainir les finances
de l’Etat. Il limite ses dépenses et s’est fixé, en matière
d’inflation, des objectifs ambitieux mais réalistes. C’est de cette
façon que les Canadiens retrouveront confiance en leur avenir.
La confiance suscite de nouveaux investissements, qui sont à leur
tour source de mieux-être et d’emplois de qualité. Grâce à cette
gestion rigoureuse, notre économie se rétablira au cours du second
semestre de l’année et connaîtra une croissance marquée en 1992.
Toutefois, les Canadiens et les Canadiennes s’interrogent sur ce que
l’avenir leur réserve à plus long terme, à eux et à leur famille,
dans un monde en pleine mutation. La réduction du déficit, la réforme
de la fiscalité, le libre-échange et l’accroissement de la productivité
sont autant de volets du plan global par lequel mon gouvernement entend
leur garantir un meilleur avenir.
Or, notre économie est inextricablement liée à l’économie mondiale.
Comme nous devons, pour prospérer, exporter près de trente pour cent
de ce que nous produisons, nous ne saurions trop insister sur
l’importance d’être compétitifs sur les marchés internationaux Nous
assurons notre avenir non pas en reculant devant la concurrence
mondiale, mais en y faisant face résolument, en nous donnant les moyens
d’affronter les meilleurs, en créant des conditions propices à notre
compétitivité et en ouvrant à nos produits les portes des marchés
mondiaux.
L’Accord de libre-échange entre le Canada et les Etats-Unis a
contribué à protéger notre économie en ces temps difficiles. Les
investissements privés dans le secteur non résidentiel ont atteint,
par rapport à notre produit intérieur brut, des niveaux sans précédent.
Pour la première fois depuis seize ans, le Canada a vu entrer chez
lui plus d’investissements directs qui sont la clef de la création
d’emplois qu’il en a vu sortir.
Mon gouvernement croit que le libre-échange à l’échelle de l’Amérique
du Nord constitue la prochaine étape logique qui accroîtrait la
prospérité de tous les Canadiens s’il est possible de négocier un
accord acceptable avec le Mexique et les Etats-Unis.
En outre, mon gouvernement collaborera avec les entreprises
canadiennes afin de tirer parti des nouvelles perspectives de vente
et d’investissement qu’offrent l’intégration européenne et l’extraordinaire essor économique de l’Asie. La réussite des négociations commerciales multilatérales de Genève constituerait la meilleure
garantie d’accès de nos produits aux marchés du monde entier. Mon
gouvernement s’y attachera donc en priorité. Au pays, il s’emploiera,
de concert avec les gouvernements des provinces, à faire du Canada
un marché unique et intégré, du nord au sud et de l’Est à l’ouest.
Nous devons faire en sorte de supprimer:
les politiques par lesquelles une province favorise ses propres
producteurs aux dépens de ceux d’autres provinces qui offrent les
mêmes produits à moindre coût;
les règlements qui font que les producteurs trouvent plus simple
d’exporter leurs produits que de les vendre dans les provinces
voisines;
les politiques d’embauche qui donnent la préséance aux habitants
de la province;
les normes professionnelles qui limitent les possibilités d’emploi
pour les résidents d’autres provinces.
D’après une étude récente, il y aurait au Canada pas moins de cinq
cents obstacles au commerce interprovincial. Mon gouvernement vise
la suppression, d’ici 1995, des obstacles au commerce, aux échanges
de services et aux investissements interprovinciaux, afin de transformer notre pays en un marché unique et intégré. Le contribuable et
le consommateur réaliseraient ainsi des économies pouvant atteindre
six milliards de dollars, soit mille dollars par année pour un foyer
de
quatre personnes. Et ainsi, grâce à un marché intérieur plus important,
un plus grand nombre de sociétés canadiennes pourront prendre de
l’expansion et acquérir la compétitivité nécessaire pour se lancer
avec succès sur les marchés mondiaux
De nos jours, les investissements et la technologie franchissent
aisément les frontières internationales, les marchés des produits
et des services se spécialisent, et les choix en matière de production
se font dans une perspective mondiale. L’ère de l’interdépendance,
la prospérité est de plus en plus une affaire de connaissances, de
compétences et d’innovation. Les pays et les entreprises qui
réussissent dans ce contexte sont ceux chez qui l’on trouve des gens
instruits, productifs et capables d’adaptation rapide. Le danger que
court le Canada n’est pas tant d’être pris à revers par des pays en
développement où la main-d’oeuvre est bon marché, mais plutôt d’être
pris de vitesse par des pays technologiquement avancés où la main-d’oeuvre est hautement spécialisée et bien rémunérée.
Le seul moyen d’assurer et d’accroître notre prospérité à long terme
consiste à améliorer notre productivité dans tous les secteurs de
l’industrie canadienne, celui des ressources, celui de la fabrication
et celui des services. La productivité, c’est la différence entre
la prospérité et l’appauvrissement. Elle est la condition essentielle
à notre prospérité et au maintien de nos programmes sociaux. Pour
accroître la productivité, il faut un effort concerté de la part des
gouvernements, des entreprises, des syndicats et des particuliers,
dans toutes les régions du pays. Des objectifs précis seront fixés
à cette fin.
Les entreprises, les travailleurs et les gouvernements seront invités
à conjuguer leurs efforts pour créer au moins deux millions et demi
de nouveaux emplois et augmenter d’au moins 25% le revenu réel
des Canadiens, tout cela d’ici l’an deux mille. Ce sont là des
objectifs réalistes et réalisables dans un Canada uni, qui comptera
près de trente millions d’habitants au tournant du siècle et dont
le produit intérieur brut approchera le milliard de dollars.
Mon gouvernement estime qu’il est tout à fait possible d’étendre
la prospérité du Canada tout en préservant notre environnement naturel.
L’expérience internationale démontre sans l’ombre d’un doute que les
nations les plus prospères sont également les plus sensibles aux
questions d’environnement. Pour garantir la survie de ce patrimoine
national, mon gouvernement a présenté lors de la dernière session
son premier plan complet en matière d’environnement, le Plan vert.
Au cours des prochains mois, mon ministre de l’Environnement mettra
en oeuvre diverses initiatives rattachées au Plan vert. Conjuguées
à celles des provinces et du secteur privé, ces initiatives assureront
aux Canadiens, pour aujourd’hui et pour demain, la pureté de l’air,
de l’eau et des sols nécessaire à leur santé et à l’amélioration de
leur qualité de vie. On favorisera également la mise au point de
produits inoffensifs pour l’environnement, qui sont de plus en plus
en demande à l’étranger.
Nous devons tous reconnaître les grands enjeux liés à l’intégration
des considérations écologiques et économiques dans nos processus
décisionnels. Au cours des mois à venir, mon gouvernement consultera
les gouvernements provinciaux et les leaders du secteur industriel
et des milieux écologistes pour explorer, parallèlement à notre
actuelle démarche réglementaire, des façons novatrices d’atteindre
les résultats souhaités en matière d’environnement sans nuire à la
prospérité économique.
La prospérité économique est d’abord et avant tout une question
de ressources humaines. Notre degré de réussite dans l’économie
planétaire sera fonction de notre performance en éducation, du
perfectionnement de nos compétences de gestion et de notre attitude
à l’égard du travail et du changement. A l’aube de l’ère du savoir,
notre qualité de vie dépendra de la qualité de nos connaissances.
Les Canadiens et les Canadiennes doivent avoir accès à la fois aux
compétences et aux possibilités d’éducation et de formation continues
dont ils auront besoin pour améliorer leurs perspectives d’emploi
et garantir leur propre prospérité. Cependant, ils se demandent si,
malgré le grand dévouement et le talent de nos enseignants et
administrateurs, notre pays n’a pas une conception dépassée de
l’éducation et de la formation.
Ce n’est pas exclusivement, ni même principalement, une question
d’argent. Le Canada dépense déjà plus par habitant, à ce chapitre,
que la plupart des autres pays industrialisés; à lui seul, le gouvernement fédéral y consacre, directement et indirectement, quelque onze
milliards de dollars chaque année. C’est plutôt une question de
résultats:
– trois élèves sur dix quittent l’école avant d’avoir terminé leurs
études secondaires;
– quatre adultes sur dix ne savent pas assez lire ou compter pour
fonctionner efficacement dans leur vie de tous les jours ;
– les entreprises canadiennes dépensent la moitié moins que leurs
concurrents américains pour former leurs employés, cinq fois moins
que les Japonais, et huit fois moins que les Allemands.
Ce n’est pas ainsi que nous pourrons laisser à nos enfants un pays
plus prospère ; en fait, on peut même se demander si les Canadiens
et les Canadiennes de la prochaine génération ne seront pas les
premiers à avoir un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents.
Le temps est venu d’établir un consensus national sur les objectifs
de rendement, les impératifs de coopération, les buts et les priorités
en matière d’éducation et de formation. La publication d’un document
de travail à ce sujet, qui fait partie de la nouvelle stratégie de
prospérité de mon gouvernement, permettra d’alimenter le débat et
d’en cerner les principaux éléments.
Mon gouvernement est conscient que l’éducation est un domaine de
compétence provinciale en vertu de la Constitution, et il respecte
ce fait. Mais il se rend compte aussi qu’elle préoccupe l’ensemble
de la population et aimerait donc voir établir, avec l’appui et la
coopération des provinces, des objectifs pancanadiens pour l’an deux
mille. Ces objectifs pourraient être les suivants:
– réduire de moitié le taux d’analphabétisme ;
– veiller à ce que 90% des gens obtiennent un diplôme d’études
secondaires ou un diplôme équivalent avant l’âge de vingt-cinq ans;
– doubler le nombre des diplômés de niveau postsecondaire en mathématiques, en sciences et en génie;
– quadrupler la formation offerte par les employeurs à leurs employés.
Etudiants et parents, employeurs et employés, enseignants et gouvernements seront invités à réfléchir ensemble sur la nécessité d’intégrer à notre mentalité la valorisation du savoir, tout comme nous
l’avons fait pour l’environnement. Mon gouvernement demandera aussi
à la nouvelle Commission canadienne de mise en valeur de la main-d’oeuvre de présenter des propositions à ce sujet. Nous visons par-là à donner aux Canadiens et aux Canadiennes les moyens de contribuer à la prospérité et d’en profiter pleinement.
La participation pleine et entière des peuples autochtones à la
prospérité économique et à la vie politique du Canada est aussi un
objectif reconnu à la grandeur du pays. Pour être en mesure de répondre
plus efficacement à leurs besoins, mon gouvernement nommera comme
représentant spécial du premier ministre le très honorable Brian
Dickson, ancien juge en chef de la Cour suprême, qui tiendra
d’importantes consultations sur le mandat et la composition de la
commission royale, dont la création a été annoncée récemment, et fera
rapport de ses constatations à mon gouvernement.
On veillera tout particulièrement à ce que cette commission ne
retarde pas l’adoption ni ne fasse abstraction des réformes constitutionnelles, législatives ou autres qui sont déjà en bonne voie. Ces
réformes portent notamment sur le règlement des revendications
territoriales, sur diverses initiatives en matière de développement
communautaire, sur l’éducation et sur d’autres activités mises en
marche au cours de la deuxième session de la trente-quatrième
législature. De concert avec les Indiens eux-mêmes, mon gouvernement
cherchera des solutions de rechange possibles à la Loi sur les Indiens,
particulièrement en ce qui concerne les terres, l’autonomie
gouvernementale et l’argent des Indiens. Enfin, mon gouvernement compte
consulter les autochtones au sujet des changements qu’il conviendrait
d’apporter au système d’administration de la justice. Nous voulons
collaborer avec eux pour qu’ils puissent prendre leur destinée en
main, contribuer à la prospérité du pays et en profiter pleinement
eux aussi.
Nos enfants sont les membres les plus importants de notre société,
mais aussi les plus vulnérables. Lors du Sommet qui leur était
consacré, à New York en septembre dernier, l’attention mondiale était
braquée sur les menaces qui les guettent. Soixante et onze chefs d’Etat
et de gouvernement s’y sont engagés à maintenir cet intérêt pour les
dix prochaines années. Mon gouvernement annoncera pour sa part diverses
initiatives destinées à concrétiser les engagements qu’il a pris alors ;
c’est ainsi que nos jeunes seront mieux instruits, mieux protégés
et mieux entourés et qu’ils pourront apporter leur contribution
personnelle à la vie nationale. Mon gouvernement reverra en outre
ses politiques à l’égard de la famille, qui est le noyau fondamental
de la société canadienne. Enfin, il mettra sur pied un comité d’hommes
et de femmes d’élite chargé d’enquêter sur le grave problème de la
violence faite aux femmes.
Il vous soumettra par ailleurs des propositions portant sur la
politique et les programmes visant à supprimer les obstacles qui
empêchent encore aujourd’hui les personnes handicapées de participer
pleinement à la vie politique du pays et de profiter de sa prospérité
économique. Mon gouvernement compte mettre en oeuvre une stratégie
quinquennale qui devrait permettre de résoudre divers problèmes comme
l’accès à l’emploi, à la formation, au logement et aux transports,
la sensibilisation du grand public et l’intégration à la collectivité.
Vous serez appelés à approuver d’autres mesures législatives importantes destinées à promouvoir les intérêts sociaux, économiques et internationaux de la nation canadienne. Vous aurez également à voter les crédits nécessaires pour financer les services et les dépenses autorisés par le Parlement.
L’efficacité de l’appareil d’Etat
Notre époque est marquée par le changement ; en Europe, en Asie,
en Amérique latine, on jette les vieux principes par-dessus bord et
on en adopte de nouveaux. Au Canada aussi, il surgit de nouveaux
problèmes, auxquels il faut trouver des solutions innovatrices. Il
faut notamment changer la façon dont le Parlement fonctionne et dont
les gouvernements mènent leurs affaires. L’idée est de faire en sorte
que le Parlement soit plus efficacement saisi des préoccupations de
la population.
Au cours de la trente-troisième législature, un comité de la Chambre
des communes a proposé des changements en profondeur au Règlement
dans le but de valoriser le rôle des députés. Vous avez d’ailleurs
mis en oeuvre plus de 85 % de ses recommandations. Et, à la fin
de la dernière session de la présente législature, d’autres changements
ont été adoptés qui permettent aux députés de passer plus de temps
auprès de leurs commettants, et d’ainsi mieux représenter leurs
intérêts et mener plus efficacement les affaires de la Chambre.
C’est en élisant leurs représentants par vote secret que les Canadiens et les Canadiennes exercent leur liberté démocratique. Au cours
de la session, vous recevrez le rapport de la Commission royale
d’enquête instituée par mon gouvernement pour étudier la réforme
électorale. Les Canadiens souhaitent que ceux et celles qu’ils ont
élus aient le pouvoir et l’autorité de les représenter efficacement.
Mon gouvernement proposera donc d’autres réformes visant à permettre
à tous les députés de remplir encore mieux leurs obligations envers
leurs commettants.
Il est essentiel, dans une saine démocratie, que la population
respecte le Parlement et ses membres. Malheureusement, ce respect
a été miné chez nous par une partisanerie et une discipline de parti
parfois excessives et par des manifestations d’emportement et d’indignation souvent simulés. On demandera donc aux députés d’envisager
l’adoption de nouvelles règles de procédure relatives à l’analyse
des mesures législatives, à la présentation des doléances des
commettants et à la remise en question de l’action du gouvernement.
Chacun des députés trouvera ainsi son rôle valorisé et son indépendance
accrue.
Il est nécessaire également que les gouvernements modifient la façon
dont ils mènent leurs affaires. Ils se doivent d’être à la fois
efficaces et efficients, c’est-à-dire d’appliquer les programmes
nécessaires au moindre coût pour les contribuables. La population
comprend que ses gouvernements ne peuvent absolument pas se permettre
de faire tout ce qu’on attend d’eux. Grâce à une gestion prudente,
mon gouvernement est parvenu au cours des six dernières années et
demie à réduire la croissance des opérations gouvernementales. Il
a réduit de vingt-quatre le nombre de sociétés de la Couronne et
rationalisé les activités de presque tous ses ministères et organismes.
Depuis 1984, quatre-vingt-dix mille employés ont été rayés de la liste
de paye du gouvernement fédéral et de ses organismes. Au cours de
la présente session, mon gouvernement étendra la portée de ce
processus. Il soumettra en effet à un comité parlementaire, qui
consultera les Canadiens, un avant-projet de loi de plafonnement des
dépenses au titre des programmes fédéraux. Il déposera aussi un projet
de loi créant un fonds de service et de réduction de la dette afin que toutes les recettes provenant de la TPS, de la privatisation
d’autres sociétés de la Couronne et de contributions volontaires soient
appliquées à la réduction de la dette nationale. Mon gouvernement
continuera de s’employer en priorité à rationaliser les structures
et les opérations gouvernementales de façon à mieux servir les citoyens
et à épargner l’argent des contribuables. On étudie actuellement de
meilleures façons de mener les affaires de l’Etat. On continuera
d’améliorer la gestion de la fonction publique, suivant le processus
engagé lors de la mise en oeuvre de Fonction publique 2000. Un projet
de loi en ce sens sera d’ailleurs déposé au Parlement. De nouveaux
organismes de services spéciaux, plus autonomes et aux objectifs mieux
ciblés, seront créés afin de mieux servir la population. Mon
gouvernement continuera aussi de privatiser les opérations
gouvernementales qui conviennent mieux au secteur privé, et
de liquider ou refondre d’autres organismes afin de faire un meilleur
usage de l’argent des contribuables.
Conclusion
La présente session s’ouvre à un moment critique de notre histoire.
Elle sera pour vous l’occasion d’insuffler une nouvelle vigueur au
pays et de rallier les Canadiens et les Canadiennes autour d’une
entente renouvelée. Avec leur collaboration, mon gouvernement
poursuivra ses objectifs d’unité, de prospérité et d’efficacité
gouvernementale afin que tous les citoyens se sentent membres à part
entière de ce pays, qu’ils profitent tous également de ses bienfaits,
qu’ils se reconnaissent tous dans sa Constitution et qu’ils puissent
tous y réaliser leurs aspirations.
Honorables sénateurs et sénatrices, Mesdames et Messieurs les
députés, vous allez jouer un rôle décisif dans l’édification d’un
Canada plus fort. L’histoire sera juge des décisions que vous prendrez
sur ces questions cruciales.
Puisse la divine Providence vous venir en aide.
[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]