Autres discours officiels

[CMulroney19841210USA]

Je suis honoré de votre invitation et c’est avec grand plaisir que je l’ai acceptée.
Je tiens à souligner dès le départ qu’en qualité de Premier ministre du Canada, j’accorde la plus haute priorité à l’établissement de bonnes relations entre mon pays et le vôtre.

Le président Kennedy a un jour décrit ainsi la relation entre le Canada et les États-Unis: « La géographie a fait de nous des voisins; l’histoire, des amis; l’économie, des partenaires; et la nécessité, des alliés ».

Mon gouvernement vient tout juste d’engager le pays dans une nouvelle direction qui, à mon avis, insufflera aux Canadiens un nouveau sentiment d’identité nationale, permettra de nouveau au Canada de jouer un rôle dynamique au sein de la collectivité internationale et remettra fermement son économie sur la voie de la relance.
Ce soir, j’aimerais vous entretenir de cette nouvelle orientation et vous faire part de nos buts et de nos espoirs au Canada.

J’ai la conviction que l’objectif fondamental auquel nous devons viser en tant qu’amis et partenaires est d’améliorer et de renforcer les avantages mutuels qui découlent de nos relations.

Pour y arriver, nous devons réduire au minimum les conflits, éliminer les sources de friction inutiles et entretenir des liens sains et vigoureux fondés sur la compréhension mutuelle, des échanges de vues constants et ouverts et le respect de nos besoins et intérêts respectifs.

En 1983, lors du congrès national où j’ai été élu chef de mon parti, et au cours de la campagne qui l’a précédé, je me suis engagé à rétablir cette relation spéciale de confiance avec les États-Unis et tous nos alliés.

J’ai aussi réaffirmé à maintes reprises, pendant la dernière campagne électorale, mon intention de restaurer l’harmonie et la coopération avec les États-Unis.

Le mois dernier, à la reprise des travaux du Parlement, le Gouverneur général soulignait dans le discours du trône l’importance de cette relation pour la sécurité et la prospérité du Canada et précisait qu’elle se fonde sur les valeurs que partagent nos deux peuples et sur cette grande confiance qui règne entre eux.
Aux yeux de certains Canadiens, pareilles déclarations sont des marques de servilité. De simples gestes d’amitié sont tournés en ridicule parce qu’ils sont automatiquement associés à une perte de souveraineté. Mais sachez que dans l’ensemble, les canadiens ne sont pas impressionnés par ce genre de réaction.

Les déclarations de mon gouvernement à cet égard ont reçu l’appui général de la population du Canada qui, avec force et maturité, a fait savoir qu’elle tenait à l’existence d’une relation privilégiée entre le Canada et les États-Unis, comme cela convient entre des amis véritables et des alliés sûrs.

Notre objectif est noble et la voie à suivre toute tracée: deux démocraties souveraines qui partagent le même continent ont beaucoup à retirer l’une de l’autre et plus encore, ont beaucoup en commun qui servira à favoriser la cause d’une paix durable dans le monde.

Étant donné l’immensité des États-Unis et leur influence considérable, il importe que le gouvernement du Canada se montre toujours vigilant afin de protéger son intégrité et ses intérêts.

Mon gouvernement veillera à enrichir la souveraineté et l’indépendance du Canada en tout temps et en toutes circonstances. Il le fera avec fermeté et résolution mais sans malveillance car il est convaincu qu’un Canada fort peut mieux contribuer à promouvoir l’équité dans le monde.

Au cours des deux excellents entretiens que j’ai eus avec lui, le Président Reagan s’est montré très chaleureux à l’endroit du Canada et a fait preuve d’une grande compréhension de nos problèmes.

I1 a souligné avec justesse les avantages énormes que nos deux pays peuvent tirer d’une solide association, et il a déclaré que son administration s’engageait à résoudre bon nombre des différends qui perturbent nos relations.

Beaucoup de citoyens américains connaissent les similitudes entre nos deux pays: un patrimoine commun fondé sur la liberté individuelle, les mêmes valeurs démocratiques de liberté et de justice; des multiples liens commerciaux; et le partage d’un immense continent, séparé par une frontière ouverte et non défendue.

Aujourd’hui, la meilleure mesure de notre relation est l’ampleur de nos échanges commerciaux en matière d’investissement, de commerce, d’échanges technologiques.
Après tout, le Canada représente presque le cinquième de votre marché d’exportation. Il est le principal partenaire commercial des États-Unis, et les États-Unis constituent le plus important marché pour les biens, services et investissements canadiens.

En 1983, la valeur totale des échanges entre le Canada et les États-Unis a dépassé 90 milliards de dollars américains. Cela représente au dessus de 27 milliards de dollars de plus que la valeur de votre commerce avec le Japon.

En 1984, les échanges commerciaux entre nos deux pays dépasseront probablement 110 milliards de dollars U.S.

En fait, vos échanges commerciaux avec le Canada en 1983 ont dépassé de presque 34 milliards de dollars américains ceux que vous avez eus avec l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.

Pour situer la question dans un contexte différent, précisons que le Canada est le principal partenaire commercial des États-Unis, et que le deuxième n’est ni le Japon ni l’Allemagne, mais bien l ‘Ontario, une province du Canada.

Le rétablissement de bonnes et solides relations entre nos deux pays constitue clairement une priorité de premier plan.

Cette relation, qui couvre 170 années de paix ininterrompue, un nombre incalculable de milliards de dollars consacrés aux échanges commerciaux et aux investissements bilatéraux, et des ententes réciproques touchant une multitude de sujets, constitue aux yeux du monde une preuve indéniable d’une relation dynamique et mutuellement productive.

À tous ceux qui cherchent la définition d’une association pacifique entre nations à ceux-là je dis ne cherchez pas plus loin il est peu probable que vous trouviez ailleurs un meilleur exemple que celui qu’offre le récit tout simple de l’amitié et de la prospérité qui a marqué l’évolution de nos deux pays.

Mais comment devons-nous administrer nos affaires bilatérales ?

J’ai proposé plusieurs initiatives, tant au Président Reagan qu’à ses collègues du cabinet. La plus importante de celles-ci consiste en des rencontres annuelles entre le Président des États-Unis et le Premier ministre du Canada un processus déjà bien engagé. Quant a moi, j’ai rendu visite au Président Reagan peu après avoir été élu Premier ministre. Je suis heureux d’annoncer ce soir que le Président Reagan a accepté mon invitation d’effectuer une visite de travail au Canada en mars 1985.
Deuxièmement, des réunions régulières entre ministres détenant des portefeuilles importants, qui se tiendraient alternativement aux États-Unis et au Canada.
Troisièmement, nous souhaitons la tenue plus fréquente de réunions bilatérales entre représentants du Congrès et au Parlement afin d’y aborder une plus grande gamme de sujets d’intérêt commun, allant des importations d’acier aux pluies acides.
Quatrièmement, de nos gouvernements provinciaux peuvent et devraient rencontrer plus fréquemment leurs homologues des États voisins.

En outre, diverses propositions ont été mises de l’avant en vue d’adopter des mécanismes institutionnels qui permettraient de faire enquête sur les différends bilatéraux, de les analyser et de les résoudre, dans un cadre qui pourrait s’inspirer de la Commission mixte internationale.

Ces initiatives méritent qu’on s’y arrête. Mais cela ne veut pas dire que notre participation aux affaires internationales se fera dans une perspective étroite ou exclusive.

Au contraire, que ce soit en matière de libéralisation du commerce, de défense, de désarmement ou de développement international, nous attachons une grande importance au rôle que nous pouvons jouer au sein d’institutions multilatérales solides. Nous croyons que c’est par l’entremise de ces institutions que nous pourrons le mieux exercer une influence constructive sur la scène internationale.

Le Canada a connu de profonds changements au cours de la dernière décennie et ses citoyens viennent de traverser une période difficile de leur histoire. Mais aujourd’hui, la population canadienne a repris confiance en elle-même en tant que collectivité.

Dans toutes les régions du pays les citoyens sont persuadés que leur avenir dépend de la mise en commun de leurs efforts. Ils se sont servis du pouvoir de leurs votes pour exprimer leur ferme désir que cesse le jeu des affrontements dans nos relations politiques internes. Ils ont voté en faveur d’une nouvelle ère de conciliation et de coopération.

Les Canadiens voulaient que soit résolue l’impasse avec Terre-Neuve au sujet du pétrole et du gaz au large de ses côtes. Celle-ci est en train de se résoudre. Les Canadiens voulaient que l’Ouest ait voix entière au chapitre, au sein de la Confédération. Cette voix , il l’a maintenant.

Jeudi dernier, j’ai eu une réunion importante avec le Premier ministre Levesque à Québec. Au cours de la dernière élection, la population du Québec a appuyé massivement notre programme de réconciliation nationale et de renouveau économique. Je puis vous dire qu’il y a une nouvelle attitude dans cette province. La population québécoise veut s’assurer qu’elle joue maintenant un rôle plein et entier et sans équivoque dans les affaires du Canada.

J’aimerais vous dire quelques mots sur l’état dans lequel nous avons trouvé les finances du Canada au lendemain du scrutin du 4 septembre.

Nous avons constaté que le déficit fédéral de l’année financière en cours devait atteindre les 34,5 milliards de dollars. Nous nous sommes rendu compte, de plus, que même en supposant un taux de croissance raisonnable, le déficit annuel continuerait d’osciller entre 34 et 38 milliards de dollars jusqu’à la fin de la décennie, ce qui rendrait plus accablant encore le fardeau de notre dette.

Permettez que je situe ces données dans une autre perspective. En 1967, année du centenaire du Canada, la répartition de l’endettement national représentait 4 000 dollars par famille. Dix-sept ans plus tard, ce montant est passé à 24 000 dollars par famille et, d’ici 1990-c’est-à-dire dans cinq ans a peine-si nous n’y prenons garde, la dette publique représentera 54 000 dollars en moyenne par famille.

Et nous avons hérité aussi d’une économie qui avait mis un million et demi de Canadiens en chômage. I1 n’y a pas de tragédie plus démoralisante que celle de gens incapables de se trouver du travail rémunérateur. Mon gouvernement considère la création d’emplois comme étant sa priorité absolue, un impératif moral.

Point n’est besoin de m’attarder sur les politiques qui ont abouti à une situation aussi déplorable. Qu’il suffise de souligner qu’à l’époque où les économies du monde devenaient interdépendantes, le Canada pratiquait l’isolationisme et l’interventionnisme. Le gouvernement s’est engagé sur cette voie onéreuse en 1974, en mettant sur pied l’Agence d’examen de l’investissement étranger et, en 1981, le Programme énergétique national. De telles initiatives allaient à l’encontre de notre histoire qui nous avait enseigné que l’accès libre et sans entraves aux marchés mondiaux était la clé d’une croissance économique forte et dynamique au Canada.
Ces initiatives traduisaient le principe douteux voulant que la réglementation imposée par les hommes politiques et les fonctionnaires soit préférable aux décisions des particuliers et des firmes qui se font concurrence sur le marché international.
À l’époque où le Canada pratiquait l’isolationisme économique, il prenait des mesures qui portaient nos amis et alliés à mettre en doute le sérieux de nos engagements internationaux. Notre appui à l’Alliance atlantique s’est rétréci comme peau de chagrin de sorte qu’aujourd’hui, seul le Luxembourg contribue un montant moindre, par habitant, que le Canada. Nous nous sommes trouvés dans la situation où nos Forces armées comptaient plus de cuisiniers que de combattants.

Ce sont là les raisons principales pour lesquelles mon gouvernement tient tellement à refaire l’image du pays à l’étranger en démontrant que le Canada est:

* un pays libre, tolérant et indépendant,
* un partenaire commercial fiable,
* un pays qui fait bon accueil aux investissements et où on peut faire de bonnes affaires,
* une nation qui croît fermement à la valeur de l’esprit d’entreprise,
* et qui respecte les engagements qui la lient à ses alliés.

Mon gouvernement a entrepris de donner une nouvelle orientation à l’économie canadienne. À cette fin, il s’est fixé quatre objectifs, qui engagent aussi la population canadienne.

Notre premier objectif, et celui que nous voulons atteindre dans les meilleurs délais, est le rétablissement de la responsabilité financière du gouvernement fédéral. Le déficit croît, d’année en année, depuis dix ans; ainsi la dette nationale progresse beaucoup plus rapidement que l’économie. La croissance ne corrigera pas d’elle-même le déséquilibre entre les recettes et les dépenses.

Le retour à la responsabilité financière supposera des choix difficiles. Nous nous sommes déjà attaqués à ce problème. Deux mois à peine après avoir pris les rênes du gouvernement, nous avons pu annoncer une réduction des dépenses et des mesures d’augmentation des recettes de l’ordre de 4 milliards de dollars, sur un budget annuel de 100 milliards de dollars. Le mécanisme est désormais enclenché.

Notre stratégie de relance économique vise en second lieu à redéfinir le rôle du gouvernement.

Traditionnellement, notre gouvernement a pris une part beaucoup plus active au développement du pays que ce ne fut le cas chez vous. Qu’il s’agisse de construction de chemins de fer, de radiotélévision ou du développement de ressources hydroélectriques, le gouvernement du Canada s’est toujours senti obligé de prêter mainforte. Dans l’ensemble, son intervention passée a été un élément positif de notre vie nationale.

Mais aujourd’hui, le gouvernement occupe une place beaucoup trop grande dans 1’économie. Ses interventions tentaculaires ont pour effet de fausser les mécanismes du marché et d’inhiber l’esprit d’entreprise. Certaines industries sont surréglementées, d’autres sont surprotégées. Un ensemble complexe de règlements, de subventions et d’autres formes d’intervention s’est tissé au fil des ans, au point de devenir un obstacle majeur au changement et à la croissance dans le secteur privé.
Pour remettre l’économie sur ses rails, il faut adopter une démarche propre à favoriser l’esprit d’entreprise, l’acceptation du risque, l ‘adaptation au changement rendue nécessaire par les exigences de nouveaux débouchés et de nouvelles techniques.
Le troisième volet de notre stratégie consiste à adopter des politiques qui encouragent l’investissement, l’innovation et une plus grande compétitivité sur les marchés étrangers. Les investissements contribuent directement à améliorer la production et la croissance de l’emploi. Ils sont essentiels si l’on veut que notre secteur des affaires s’adapte rapidement aux nouvelles techniques et aux exigences des nouveaux marchés. Si nous voulons réussir sur les marchés internationaux, il nous faut innover encore plus, intensifier notre production et devenir plus compétitifs.
Enfin, les changements que nous proposons ont un impact direct sur les structures économiques, sociales et politiques du pays. La relance économique doit être fondée sur un consensus national, et mon gouvernement a la ferme intention d’associer à son projet les provinces, les syndicats, les entreprises et tous ceux qui permettent à notre société de progresser; et il y parviendra.

Je voudrais parler maintenant des trois aspects de notre stratégie de relance économique qui influent directement sur nos relations avec les États-Unis, soit le commerce, l’investissement étranger et l’énergie.

Le commerce est vital pour le Canada. Et c’est notre intention de renforcer la réputation du Canada comme partenaire commercial de tout premier ordre.
Nous nous proposons d’examiner attentivement tous les programmes et politiques du gouvernement fédéral afin de cerner les meilleurs moyens de favoriser l’accès de notre industrie à des débouchés sûrs. Le protectionnisme est notre ennemi commun. À long terme, les tendances protectionnistes, aux États-Unis, au Canada et ailleurs, auraient pour effet de contrer la tendance à la libéralisation des échanges entre États.

À court terme, la restriction des échanges commerciaux réduit les perspectives de croissance réelle, tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. Les incidences sur ces derniers sont plus inquiétantes encore et elles pourraient gravement compromettre les marchés financiers internationaux.
Votre Président s’est engagé à respecter la liberté des échanges, et je m’associe à cet engagement. La politique commerciale du Canada est axée sur l’instauration d’un système économique ouvert, et mon gouvernement continuera d’oeuvrer au sein des organismes multilatéraux à l’abolition des barrières qui entravent le commerce international.

Le protectionnisme est un obstacle sérieux à la relance économique et à la stabilité internationale. Il faut qu’on s’y oppose tant au Congrès des États-Unis qu’au Parlement au Canada.

Mon gouvernement a signifié son intention de s’attaquer à ces problèmes, à leurs incidences pour le Canada, dans des documents qui seront publics au cours des prochains mois. Les Canadiens seront appelés sous peu à faire des choix politiques importants, même historiques: ces choix feront l’objet d’un débat public sous l’égide du gouvernement.

La maturité et l’assurance des Canadiens nous permettent maintenant d’aborder ces problèmes de façon réaliste et d’envisager des solutions, alors qu’il y a quelques années, un tel processus aurait provoqué des réactions émotionnelles rendant difficile toute discussion rationnelle. Cela est particulièrement vrai de nos relations avec les États-Unis.

Les États-Unis ont été et continuent d’être le principal importateur de produits canadiens. D’ici 1987, environ 80% des exportations canadiennes y entreront en franchise.

Cependant, il subsiste des barrières tarifaires importantes ainsi qu’un nombre croissant de mesures non tarifaires qui font obstacle au commerce bilatéral. Les dispositions incitant vos compatriotes à acheter les produits américains en sont un exemple.

Au nombre des propositions présentées en vue d’abolir ces barrières, il y a les arrangements commerciaux sectoriels, une série de recommandations du secteur privé en vue d’activer le commerce et l’accès assuré aux marchés. Celles-ci seront toutes prises en considération.

Notre souci d’examiner tous les moyens possibles de resserrer nos liens de coopération économique avec notre principal partenaire commercial découle d’une estimation prudente et pratique, qui nous a permis de conclure que cette voie était la meilleure pour atteindre les objectifs commerciaux essentiels au développement économique du Canada.

Nous voulons conclure des ententes commerciales qui nous donnent, de façon équitable, un accès assuré au marché américain, un accès qui puisse échapper aux initiatives prises pour régler des problèmes avec d’autres pays mais qui nuisent, par ricochet, aux entreprises canadiennes.

Notre situation de pays nord-américain est source de force. Nous sommes une nation assez mûre et assez sûre d’elle-même pour reconnaître cette réalité et être fière de la relation d’amitié qu’elle entretient avec un voisin aussi puissant que les États-Unis.

Nous adressons aux investisseurs étrangers le même message qu’à nos partenaires commerciaux : une économie mondiale plus ouverte et dont les éléments sont plus interdépendants ne peut que servir les intérêts du Canada et de tous les pays.
Nous désirons un environnement propice à la croissance dynamique du commerce, des investissements et du développement à l’échelle mondiale. Pour notre part, notre première démarche en vue de favoriser l’instauration d’un tel climat sera de remplacer l’Agence d’examen de l’investissement étranger. En fait, mon gouvernement vient tout juste de présenter un projet de loi visant à abolir l’AEIE et à créer un nouvel organisme, appelé Investissement Canada, dont le mandat sera d’encourager et de faciliter les investissements au Canada. Seuls seront examinés les projets d’investissement étrangers susceptibles d’avoir des répercussions majeures sur l’économie nationale. En vertu de la nouvelle loi, les investissements en vue d’établir de nouvelles entreprises au Canada ne seront pas assujettis à un examen, sauf dans quelques rares exceptions.

Investissement Canada poursuivra deux objectifs opérationnels fondamentaux: en premier lieu, faciliter les investissements au Canada, et en second lieu, limiter les interventions gouvernementales en matières d’investissements étrangers.
Notre message est clair: le Canada se relance en affaires. Le gouvernement est là pour aider le secteur privé à créer la prospérité et les nouveaux emplois dont le Canada a besoin, et non pour l’en empêcher, et je puis vous donner l’assurance du gouvernement qu’Investissement Canada sera administré de façon juste et objective.
J’aimerais vous parler brièvement de l’orientation que nous entendons donner au secteur énergétique canadien. De nombreux Américains méconnaissent l’importance que ce secteur de l’économie canadienne revêt pour votre économie.

Le Canada est le plus grand exportateur d’énergie vers les États-Unis. Nous vous fournissons virtuellement 100% de vos importations de gaz et d’électricité.
Nous sommes le plus grand exportateur d’uranium et votre deuxième plus grand fournisseur de pétrole. Au rythme de 580 000 barils par jour, nous vous fournissons plus de pétrole que n’importe lequel des pays de 1’OPEP.

Le renouveau économique dépend de la vigueur du secteur énergétique. Les investissements dans ce domaine comptent pour 30% de tous les investissements faits au Canada, et les retombées d’un secteur énergétique fort et en pleine expansion sont énormes pour le reste de l’économie.

Comme bon nombre d’entre vous le savent; le Programme énergétique national est né d’intentions louables; de toute évidence, les méthodes employées et les résultats obtenus ne le sont pas. Le PEN n’a tout simplement pas réussi à atteindre les trois objectifs fixés: équité, sécurité des approvisionnements et canadianisation.
Notre objectif immédiat est de faire de l’énergie un secteur dynamique en pleine croissance. Nous voulons réaffirmer aux investisseurs qu’il y a là des possibilités exceptionnelles.

Nous croyons à l’auto-discipline du marché. Nous entreprenons en ce moment des consultations en vue d’abolir les mécanismes de contrôle des prix du pétrole au Canada. Nous appliquons la même ligne de pensée à nos exportations. Depuis le 1er novembre, par exemple, nos excédents de gaz naturel vous parviennent à des prix établis en fonction du marché par les vendeurs et les acheteurs, et non par le gouvernement. Certains signes nous font déjà croire que, après plusieurs années de déclin, le volume de nos exportations commence à remonter aux niveaux traditionnels. En 1985, la valeur du gaz naturel vendu aux États-Unis pourrait s’élever à un milliard de dollars de plus qu’en vertu du système de fixation des prix de l’ancien gouvernement. Le jeu des forces du marché donne de bons résultats.

Nous entendons modifier la législation concernant la rétrocession des terres, selon laquelle le gouvernement se réserve une participation de 25% dans toutes les activités d’exploitation des Terres du Canada. Le Canada ne s’est pas bâti par l’expropriation rétroactive de la propriété des gens. I1 s’agit d’une pratique odieuse que le nouveau gouvernement du Canada n’entend pas suivre.

Enfin, dans la perspective des grands changements que connaîtront l’ensemble des prix de l’énergie, nous entreprendrons bientôt un vaste examen de la taxation fédérale dans le domaine. Nous ferons en sorte que notre régime fiscal laisse une bonne place aux stimulants nécessaires aux investissements. La canadianisation demeure un objectif.

Mais le système doit être juste, et il le sera, pour tous ceux qui investissent dans la croissance de notre économie. L’enjeu est le même pour tous bâtir le Canada et les règles pour y parvenir le seront aussi. Elles ne seront pas changées au détriment des joueurs en cours de route.

Le Canada fait face à de sérieux problèmes, mais il a devant lui un brillant avenir. Le Canada est l’un des pays du monde le plus doté en ressources naturelles. Ces richesses, nous n’avons pas le droit de les gaspiller et de mal les administrer. Dans un certain sens, elles constituent une responsabilité collective. L’administration de ces richesses impose une obligation toute particulière à ceux qui ont été choisis pour gouverner notre nation.

Nous devons nous efforcer d’atteindre un niveau de vie qui ne le cède à quiconque dans le monde, et nous devons partager cette prospérité avec ceux qui ont besoin de notre aide.

Nous avons, envers tous nos citoyens, la responsabilité de leur ouvrir des occasions d’avenir et de leur assurer justice et équité. Nous devons essayer de contribuer au respect de ces principes dans le monde.

Le Canada doit à ses amis et à ses alliés de faire sa juste part pour assurer notre sécurité collective.

Bref, les Canadiens ont l’obligation de contribuer à l’amélioration du sort de notre planète et de la sécurité de ses habitants.

Nous nous devons à nous-mêmes d’honorer l’excellence et de chercher sans relâche à l’atteindre. Le Canada doit se porter à la défense de tout ce qu’il y a de mieux dans tous les champs de l’activité humaine, et il ne fera aucun compromis dans la poursuite des valeurs qui constituent le fondement moral de toutes les grandes nations.

Voici le rêve que j’ai pour mon pays: un Canada juste et équitable, généreux et tolérant.

Je vous invite à vous joindre à moi pour faire de ce rêve une réalité.

[CMulroney19850402Otta]

Introduction

C’est pour moi un honneur et un devoir important que de me joindre à vous dans cette entreprise tout à fait particulière, cette Conférence des premiers ministres sur les questions constitutionnelles concernant les Inuit, les Indiens et les Métis du Canada. Étant donné qu’il s’agit de ma première participation à cette série de conférences, je tiens à vous dire comment j’entrevois cette démarche que j’estime indispensable pour le bien de notre fédération.

Ni moi, ni le nouveau gouvernement fédéral, n’avons l’intention de nous limiter à suivre les sentiers déjà battus. Il existe, j’en suis convaincu, de nouvelles possibilités à explorer ensemble et d’autres points sur lesquels nous entendre.
Au cours de nos délibérations, vous constaterez la détermination du gouvernement à mieux identifier et définir les droits des autochtones et à les protéger plus efficacement dans la Constitution. Je compte sur la bonne volonté de tous pour que nous puissions réaliser des progrès sensibles d’ici l’ajournement, demain. Je prendrai des engagements précis au nom du gouvernement fédéral, et je m’attends à ce que les provinces, les territoires et les représentants autochtones en fassent autant.
Les Canadiens veulent certainement que nos discussions soient empreintes des grandes valeurs qui ont jalonné l’histoire de notre pays, soit l’équité, la tolérance et la compréhension.

Lors de la Conférence sur l’économie à Régina, puis à la Conférence économique nationale, j’ai incité les principaux intervenants de l’économie à concevoir dorénavant comme des préoccupations communes ce qu’ils qualifiaient auparavant de conflits de juridiction. Aussi, je ne vous étonnerai pas en vous invitant tous à assumer votre juste part de responsabilité dans la recherche de nouveaux terrains d’entente.

Vous savez l’importance primordiale que j’accorde à la réconciliation nationale. Vous connaissez ma détermination à renouveler les relations fédérales-provinciales et à rétablir l’harmonie. Il y a des avantages à procéder par consensus; ils se manifestent déjà et suscitent un nouvel espoir.
Sachez donc que, fidèle à sa nouvelle approche, le gouvernement fédéral ne prendra pas d’initiative inattendue, pas plus qu’il n’aura recours à des mesures de pression pour vous faire adopter des positions contraires à vos principes. Nous allons jouer franc jeu, cartes sur table.
Quand j’étais négociateur dans les conflits de travail, j’ai bien connu le sentiment de ceux qui font face, de l’autre côté de la table, aux représentants d’intérêts puissants. Mais je tiens à préciser que tel n’est pas le cas aujourd’hui, car nous sommes réunis ici pour nous attaquer ensemble à des problèmes qui nous concernent tous.
Situation actuelle et notes historiques
Il importe que nous envisagions de la même façon le processus qui nous a amenés ici aujourd’hui. En 1982, après des années d’efforts futiles, les Indiens, les Inuit et les Métis ont finalement convaincu les gouvernements, dans le vif du débat constitutionnel, de régler certaines questions qui touchaient profondément leur avenir propre et celui du Canada tout entier.
Vous savez, je me trouve ici non pas seulement à titre de Premier ministre, mais aussi en tant que député de la circonscription de Manicouagan qui est une des plus vastes du Canada et où habitent des Cris, des Montagnais, des Naskapis, des Hurons et des Inuit. Je suis fier de dire que c’est un chef montagnais, Gaston McKenzie, qui a appuyé ma candidature à l’investiture du Parti progressiste-conservateur dans ma circonscription.
Je connais bien la situation des autochtones et les difficultés auxquelles ils font face, autant dans Manicouagan que partout ailleurs au pays. En tant que Premier ministre, il est de mon devoir de prendre les devants, de susciter des changements. C’est pourquoi j’entends ne ménager aucun effort pour mettre en place les mécanismes grâce auxquels les changements essentiels pourront s’opérer. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes engagés dans ce processus qui peut être lent tortueux et même frustrant. Pourtant, nous ne pouvons pas l ‘abandonner simplement parce que la tâche paraît insurmontable ou que des acquis pourraient être remis en question. Au contraire, nous devons redoubler d’ardeur.
En 1982, lorsque trois articles visant expressément les peuples autochtones ont été inclus dans la Loi constitutionnelle, le Canada se lançait dans une vaste entreprise, celle de procéder à des changements fondamentaux, substantiels et positifs en ce qui a trait à la situation des autochtones. En 1983, les gouvernements ont convenu d’un accord constitutionnel qui, notamment, accordait une protection constitution nelle aux accords portant règlement de revendications territoriales et engageait les gouvernements, avant que ne soit apportée à la Constitution quelque modification touchant les peuples autochtones, à tenir une conférence à laquelle ceux-ci participeraient.
Bien que la Conférence de 1984 n’ait pas donné de résultats tangibles, de nouvelles bases ont été établies depuis, lors des rencontres préparatoires entre les participants et MM. Crosbie et Crombie. J’ai suivi ces rencontres avec intérêt et j’ai noté le désir de tous les participants de mener à bien cette entreprise, de soumettre des idées nouvelles, de contester des idées reçues, de tirer profit d’expériences particulières et de progresser vers un consensus.
L’Ontario, le Manitoba et la Saskatchewan ont largement contribué à faire avancer les discussions sur tous les éléments du dossier. Il convient aussi de souligner l’apport considérable des gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick dans les discussions touchant l’autonomie gouvernementale et la clarification des dispositions concernant l’égalité entre les hommes et les femmes autochtones. L’Alberta a enrichi les discussions de l’expérience que lui procurent ses rapports uniques avec les Métis sous le régime de la loi qu’elle a adoptée pour améliorer leur situation, la Metis Betterment Act.
On me dit que la Colombie-Britannique, Terre-Neuve et l’Île-du-Prince-Édouard, entre autres, ont insisté sur l’importance de discussions ouvertes et exhaustives sur les questions intéressant les autochtones et je m’en réjouis. Je suis heureux aussi que l’Assemblée nationale du Québec ait adopté une résolution reconnaissant les droits particuliers des peuples autochtones. Nous avons en outre bénéficié des interventions fort pertinentes des deux territoires qui explorent actuellement les avenues que peut prendre l’évolution de leurs institutions politiques.
Les représentants des peuples autochtones, quant à eux, nous ont énoncé leurs préoccupations de façon franche et loyale et leur apport aux discussions préparatoires a été des plus constructifs.
Je ne suis donc pas étonné qu’un grand nombre de participants soient prêts à envisager l’adoption d’une disposition constitutionnelle relative à l’autonomie gouvernementale. La bonne volonté et les progrès qui se manifestent depuis les derniers mois nous inspireront tout au long de nos délibérations et nous mèneront à des résultats concrets.
Rapports entre les gouvernements et les peuples autochtones
Les leaders autochtones ici présents et ceux des divers conseils tribaux, bandes et associations représentent les descendants des premiers habitants du Canada qui, faut-il le rappeler, ont lutté pendant de très nombreuses années pour sauvegarder leur identité. Leur culture fait partie intégrante de notre patrimoine national, de ce qui nous permet de nous définir en tant que société. Cet apport culturel, il ne faut pas le négliger, mais bien plutôt le valoriser.
Leur ténacité et leur persévérance n’ont toutefois pas contribué à leur mieux-être. Je pourrais vous énumérer les nombreux indicateurs sociaux qui témoignent des disparités dont sont victimes les autochtones, notamment le chômage, le désespoir aboutissant à l’alcoolisme et au suicide et tout ce gaspillage de richesses humaines causé par un système d’enseignement inadéquat et des conditions de logement inacceptables. Mais je ne veux pas négocier le malheur. Nous connaissons assez bien les statistiques. Certains d’entre vous vivent chaque jour avec la cruelle réalité qu’elles représentent et en voient le reflet dans les yeux de leurs enfants.
Ces indicateurs sociaux ne sont que les symptômes d’un problème plus profond et c’est à celui-ci que nous devons nous attaquer. Cette situation, nous tous ici aujourd’hui pouvons la changer.
Certains préconisent l’accroissement de l’aide sociale, du nombre de travailleurs sociaux, du nombre de programmes. Mais cette voie mène tout droit à la dépendance et à la misère. Comme l’a dit le leader shuswap George Manuel, dont le dévouement à la cause des Indiens a largement contribué à la conscientisation des gouvernements, « ce que les Indiens veulent n’est certainement pas d’être soumis au meilleur régime d’aide sociale au monde ».
La solution n’est donc pas de donner plus d’aide sociale, mais d’après moi, de permettre aux autochtones d’assumer une plus grande responsabilité de leurs propres affaires, de fixer leurs propres priorités, d’établir leurs propres programmes. Comme Zebedee Nungak, du Comité inuit sur les affaires nationales, le faisait remarquer le mois passé à la rencontre ministérielle de Toronto, notre tâche consiste à « bouleverser de façon constructive le statu quo ». Nous sommes ici pour tracer une nouvelle voie et pour nous y engager.
Le livre de Hugh Brody sur les Indiens Beaver du nord de la Colombie-Britannique a un titre qui m’a frappé : Maps and Dreams. En effet, il résume parfaitement la démarche dans laquelle nous sommes engagés : guidés et soutenus par notre vision d’une société plus juste, nous cherchons le chemin du Canada du vingt et unième siècle.
La société que nous bâtissons pour le prochain siècle doit reconnaître aux autochtones le droit à l’autonomie gouvernementale. Nous devons leur accorder la place qui leur revient partout où nos institutions actuelles ne l’ont pas fait. Le pays est assez grand pour nous tous. Nous devons modifier notre conception du Canada pour laisser aux peuples autochtones la place qui est leur dans la société d’aujourd’hui.
Autonomie gouvernemenatle des autochtones
La plupart des Canadiens tiennent pour acquises les diverses formes d’autonomie gouvernementale qui existent au Canada. Non seulement les Canadiens élisent-ils leurs représentants au Parlement et à leur assemblée législative, mais ils gèrent leurs propres conseils municipaux et scolaires. Ils ont constitué des administrations régionales pour gérer des centres urbains devenus trop complexes pour un seul conseil municipal.
Alors que la majorité d’entre nous tient pour acquis que nous pouvons influer sur notre destinée en choisissant ceux qui nous représentent et en exigeant d’eux qu’ils rendent des comptes, les Indiens, les Inuit et les Métis, eux, n’ont pas le même sentiment de participation à notre société.
Nous tenons pour acquis que nos valeurs et nos traditions culturelles et linguistiques seront respectées, voire protégées et valorisées. Mais les Indiens, les Inuit et les Métis n’ont pas cette certitude, pas plus d’ailleurs que le pouvoir de déterminer leur propre développement culturel. En fait, il fut même un temps où certaines manifestations de leurs cultures étaient frappées de sanctions légales et d’interdictions.
La clé des changements qui s’imposent pour améliorer le sort des peuples autochtones est de leur accorder l’autonomie gouvernementale au sein de la fédération canadienne. Nous sommes un peuple prudent et la notion d’autonomie gouvernementale peut paraître quelque peu inquiétante pour certains d’entre nous. Mais pas pour moi. L’autonomie gouvernementale n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen d’atteindre des objectifs communs. C’est l’outil qui sert à bâtir et c’est dans le fait de bâtir que résident le défi et la satisfaction.
L’approche du gouvernement fédéral à l’égard de l’autonomie gouvernementale des autochtones tient compte de ces réalités aussi bien que de l’esprit inventif et créatif dont les Canadiens ont toujours fait preuve dans la définition de leurs institutions démocratiques. C’est dans l’exercice de son autonomie gouvernementale qu’un peuple peut conserver le sentiment de fierté et l’assurance indispensables à son épanouissement.
En tant que Canadien et en tant que Premier ministre, je comprends parfaitement l’importance que les peuples autochtones accordent à la reconnaissance de leurs droits particuliers dans la loi suprême du pays, où ils seraient à l’abri de toute mesure législative arbitraire. La reconnaissance dans la Constitution du principe de l’autonomie gouvernementale m’apparaît être un objectif primordial parce qu’elle constitue la manifestation la plus solennelle de l’établissement d’un lien, d’un contrat social indissoluble entre les autochtones et les gouvernements.
J’admets que le fait de modifier la Constitution en ce sens ne peut à lui seul régler les problèmes socio-économiques, ni réduire les disparités ni corriger les injustices. Il faut donc, en même temps que nous nous employons à modifier la Constitution pour y définir les droits des autochtones, travailler à améliorer leurs conditions économiques et sociales. Des mesures doivent être prises sur les deux fronts, et quoique distinctes, ces deux entreprises se renforcent mutuellement.
Le nouveau gouvernement fédéral a déjà pris des initiatives visant à accroître l’autonomie gouvernementale et le bien-être des peuples autochtones et pour ce faire, il a sollicité la collaboration, la participation et la contribution des provinces, des territoires et des autochtones eux-mêmes. Ce ne sont là que les premiers pas vers la réalisation de grands rêves. Mais ce sont aussi des signes révélateurs. Nous avons déjà affiché nos couleurs.
Depuis septembre, mon collègue John Crosbie s’est employé à préparer avec le plus grand soin la Conférence qui nous réunit aujourd’hui. C’est ainsi qu’au cours des derniers mois, il a soumis diverses propositions constitutionnelles aux participants et examiné avec eux certaines possibilités de compromis.
Mon collègue David Crombie a lui aussi pris un certain nombre d’initiatives importantes. Il a clairement indiqué l’intention du gouvernement de favoriser pour les Territoires du Nord-Ouest une évolution politique qui mènera à la création du Nunavut dans l’est de l’Arctique et à la mise sur pied dans l’ouest d’une administration qui assurera protection et participation aux peuples autochtones. Il a aussi entrepris d’examiner divers modèles d’autonomie gouvernementale ainsi que les changements à apporter à nos politiques et lois pour les appliquer ou les améliorer. Il envisage la formule du financement global qui donnerait aux gouvernements indiens plus de latitude pour fixer leurs priorités et élaborer leurs propres programmes.
Il a amorcé l’examen du Traité n§ 8 qui touche des bandes indiennes vivant pour la plupart dans le nord de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, afin de régler certains griefs et d’ouvrir la voie à de saines relations pour l’avenir. Cette démarche devrait nous servir de guide dans nos efforts pour établir des rapports positifs et constructifs avec d’autres collectivités autochtones. Le Ministre a également entrepris une étude de la politique de règlement des revendications territoriales afin de voir quelles autres voies pourraient être suivies. Enfin, il a engagé des discussions avec les provinces au sujet des problèmes que connaissent les autochtones vivant en milieu urbain.
Il s’agit là de démarches essentielles qui sous-tendent nos discussions constitutionnelles et les assoient sur une base concrète.
Ce que j’atteends de la conférence
Les Canadiens se sont élevés avec raison contre toute intrusion excessive de l’État dans leur vie. Chacun de nous accepte mal un contrôle gouvernemental, quel qu’il soit. Or, les plus touchés par des règlements, des contrôles et des intrusions de toutes sortes sont les autochtones. Il importe donc de supprimer ces interventions excessives. La solution, qui est d’ailleurs notre principal point à l’ordre du jour, c’est l’autonomie gouvernementale.
Les gouvernements se doivent de mieux comprendre les besoins et les aspirations des autochtones. Si les gouvernements manifestent suffisamment de créativité et de souplesse, le Canada tout entier bénéficiera de l’apport des autochtones création du Nunavut dans l’est de l’Arctique et à la mise sur pied dans l’ouest d’une administration qui assurera protection et participation aux peuples autochtones. Il a aussi entrepris d’examiner divers modèles d’autonomie gouvernementale ainsi que les changements à apporter à nos politiques et lois pour les appliquer ou les améliorer. Il envisage la formule du financement global qui donnerait aux gouvernements indiens plus de latitude pour fixer leurs priorités et élaborer leurs propres programmes.
Quant aux peuples autochtones, ils doivent mieux comprendre les contraintes auxquelles font face les gouvernements, dont l’action doit être dictée par la situation économique.
Les peuples autochtones du Canada sont appelés à faire des choix difficiles au cours des années à venir. Ils devront trouver eux-mêmes le juste dosage de tradition et de modernisme qui convient à leurs besoins. Ce sont là des compromis qu’ils devront faire pour définir la place qui leur revient au sein de la société canadienne. Mais cet équilibre critique entre l’ancien et le nouveau, eux seuls peuvent le trouver.
Voilà la passionnante perspective qui s’ouvre aux autochtones, ainsi qu’à nous tous. Pour en faire une réalité, tous seront appelés à faire preuve de conviction et d’imagination. Les autochtones devront pouvoir compter sur une compréhension et un appui de tous les instants de la part des gouvernements, au fur et à mesure qu’ils prendront en main leur vie et leur situation. Nous souhaitons tous un nouveau partage des responsabilités. Nous souhaitons tous que les peuples autochtones du Canada puissent pleinement mettre à profit leur créativité et leur esprit d’entreprise.
Pourtant, rien de tout cela ne saurait s’accomplir aux dépens de leur identité culturelle. C’est à titre d’Indiens, d’Inuit et de Métis que les autochtones contribueront au mieux-être de notre société. Nul ne devrait avoir à rompre avec son passé.
Ceux et celles qui choisiront de vivre au sein de leurs communautés ne devront pas sacrifier ainsi toute chance de mener une vie enrichissante. Pour ceux et celles qui décideront de vivre dans un milieu différent de celui qui les a vus naître, la réserve indienne, le village métis et la collectivité inuit devront rester un lieu de ressourcement, de renouveau spirituel. Il y a des Inuit qui travaillent sur des installations de forage dans l’Arctique, des Métis qui exploitent des fermes dans les Prairies et des Indiens qui pratiquent le droit dans nos centres urbains. Je pense à Billy Diamond, des Cris de la Baie James, qui dirige une commission scolaire et une compagnie aérienne; à Mary Simon, qui a défendu les intérêts des Inuit à la Conférence économique nationale.
Comme M. Richard Nerysoo le signalait à Régina, en février dernier, à propos de l’exploitation des ressources naturelles dans les Territoires du Nord-Ouest, il ne s’agit pas de détruire les traditions pour faire place aux techniques nouvelles, mais bien de voir comment l’ancien et le nouveau peuvent coexister.
Si nous voulons que les autochtones reprennent confiance en eux-mêmes, il importe que les gouvernements et les autochtones reconnaissent leurs responsabilités mutuelles et leur communauté d’objectifs. C’est là une condition essentielle de la lutte contre la pauvreté et la dépendance. Les Indiens, les Inuit et les Métis pourront ainsi participer pleinement au développement de l’économie nationale, tout en continuant d’occuper leur place particulière dans la société canadienne.
Les défis auxquels nous aurons à faire face au cours de la Conférence qui s’ouvre aujourd’hui mettront à l’épreuve le jugement et l’ouverture d’esprit des chefs politiques que nous sommes. Ces défis nous donneront aussi l’occasion de démontrer notre capacité de traduire notre volonté politique en gestes concrets.
Comme vous le savez, la Loi constitutionnelle de 1982 et l’Accord de 1983 prévoient que de 1982 à 1987, quatre conférences doivent avoir lieu sur les questions constitutionnelles intéressant les autochtones. À la fin de la présente Conférence, nous aurons donc parcouru la moitié du chemin tracé par la Constitution.
Les ministres et les leaders autochtones ont dressé un ordre du jour qui me semble fort prometteur. Au cours des deux prochains jours, nous nous pencherons sur l’autonomie gouvernementale des autochtones, sur l’égalité entre les hommes et les femmes autochtones et sur un mandat visant à intensifier les discussions au cours des deux années à venir. L’étendue du terrain d’entente à cette Conférence déterminera l’orientation et le rythme des travaux des deux années à venir.
Je crois que nous pouvons faire de cette Conférence le point tournant de cette opération constitutionnelle.
Il m’apparaît essentiel de reconnaître le droit des autochtones à l’autonomie gouvernementale. Convenons de nous engager à établir les modalités selon lesquelles nous pourrons répondre aux circonstances particulières des diverses collectivités autochtones.
Ce serait là une réalisation historique, un premier pas vers l’établissement de nouveaux rapports entre les collectivités autochtones et les gouvernements, des rapports qui permettront d’instaurer la création de ce climat de confiance mutuelle qui nous a échappé depuis si longtemps.
Les Iroquois nous enseignent qu’il est du devoir des chefs et des anciens, lors de réunions comme celle-ci, de penser aux générations qui vont naître, d’assurer leur bien-être jusqu’à la septième génération. Tant de sagesse devrait nous faire prendre conscience de l’importance de notre tâche, nous qui bâtissons le Canada du vingt et unième siècle, pour nos descendants à nous tous, jusqu’à la septième génération.

CMulroney19870501Otta]

Monsieur le Président, j’aimerais communiquer à la Chambre les résultats
de la rencontre des premiers ministres qui a eu lieu hier au lac Meech.
J’ai l’honneur d’informer la Chambre qu’à 10 heures hier soir, les
premiers ministres des provinces et moi-même en sommes venus à une entente
de principe unanime pour modifier la Constitution de façon à permettre au
Québec de réintégrer le giron constitutionnel canadien.
Cette entente vient resserrer les liens de notre pacte confédératif et
renforcer le caractère fédéral du Canada.
Même s’il reste à la formaliser, cette entente constitue déjà, de l’avis
des premiers ministres, une réalisation historique.
L’entente du lac Meech a été conclue sous le signe du compromis honorable
si typique du génie canadien, et elle atteste du leadership et des
qualités d’homme d’État dont tous les premiers ministres ont fait preuve
hier.
Nous avions pour tâche de régler un problème constitutionnel gui remonte à
1926 et auquel une réponse imparfaite avait été apportée en 1981.
Il nous incombait de concilier les besoins spécifiques du Québec avec les
intérêts des autres provinces et le bien commun du pays.
Monsieur le Président, j’ai le plaisir de déposer devant la Chambre le
texte de l’entente de principe intervenue hier au lac Meech.
Voici l’essentiel de cette entente:
Nous nous sommes mis d’accord pour reconnaître le caractère distinct du
Québec et l’originalité qu’il confère à la fédération canadienne, qui
rassemble sans les confondre deux communautés linguistiques principales.

Nous avons convenu d’inscrire dans l Constitution une entente élargie
avec le Québec en matière d’immigration et la possibilité de conclure
avec d’autres provinces des ententes semblables adaptes à leurs besoins.

Nous nous sommes entendus pour inscrire explicitement la Cour suprême
dans la Constitution ainsi que l’obligation qu’au moins trois des neuf
juges proviennent du Québec, et nous nous sommes mis d’accord sur un
mécanisme de participation des provinces aux nominations à la Cour
suprême du Canada.
Nous avons également convenu d’accorder une compensation raisonnable à
toute province qui ne participera pas à un futur programme national à
frais partages dans un domaine de compétence exclusivement provinciale,
si cette province met en oeuvre, de son propre chef, une initiative ou
un programme compatible avec les objectifs nationaux.
Nous avons convenu de la nécessité d’obtenir l’approbation unanime des
provinces pour toute modification à nos institutions nationales visées
par l’article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982, y compris le
Sénat, et de l’obligation pour le gouvernement du Canada d’accorder une
compensation raisonnable à toute province qui ne s’associerait pas à une
modification portant transfert de compétences provinciales au Parlement.

Nous nous sommes entendus sur la tenue d’une série de conférences
annuelles des premiers ministres sur la Constitution dont la première
sera convoquée avant la fin de 1988 pour discuter de la reforme du
Sénat, des pèches et de toute autre question dont on aura convenu.
Jusqu’à ce que la reforme du Sénat soit chose faite, le gouvernement
fédéral procédera à la nomination des sénateurs a partir d’une liste de
candidats proposes par les provinces.
Nous avons également convenu de consacrer dans la Constitution la tenue
annuelle d’une conférence des premiers ministres sur l’économie.
Monsieur le Président, l’accord du lac Meech est avantageux pour le Canada
et pour tous les Canadiens et Canadiennes.
Cet accord débloquera le processus de reforme de la Constitution et
permettra au pays de tourner son attention vers d’autres questions
importantes comme la réforme du Sénat et les pêches par voie d’exemple.
Monsieur le Président, l’accord du lac Meech fait, à mon sens ressortir la
capacité d’évolution d’un régime fédéral gui répond vraiment aux
aspirations des Canadiens et Canadiennes de toutes les régions du pays.
Il est ne d’une concertation qui contraste je pense avec des querelles du
passe entre Ottawa et les provinces.
C’est dans cet esprit qu’il nous faut continuer a bâtir le pays.
Nos légistes entreprendront bientôt la rédaction d’un texte
constitutionnel donnant chair à l’accord du lac Meech.
Je convoquerai dans les prochaines semaines une conférence des premiers
ministres dont l’objectif sera d’en arriver à un accord formel.
Si nous y parvenons, le processus de modification de la Constitution
pourra immédiatement être mis en branle.
Une proposition d’amendement sera déposée sous forme de résolution devant
le Parlement et l’assemblée législative de chaque province.
Une foie toutes ces résolutions approuvées, la modification
constitutionnelle sera promulguée.
Monsieur le Président, Sir Wilfrid Laurier a dit un jours « Le grand
dessein de mon existence a été d’harmoniser les éléments divers qui
composent notre pays. »
C’est un objectif que partagent, j’en suis sûr, tous les députes de cette
Chambre.
Bâtir un canada où tous les Canadiens et Canadiennes se sentent chez soi:
telle est notre politique, telle est notre dessein.

[CMULRONEY19930602]
Au moment de quitter la direction de mon parti après dix ans, et la charge de
premier ministre après bientôt neuf ans, j’aimerais passer en revue les
événements qui ont marqué le débat sur l’unité nationale et la Constitution
pendant cette période.
Toute controverse politique comporte son lot de révisionnistes et de
fabulateurs. En ce qui concerne notre histoire constitutionnelle récente, ils
ont presque réussi à effacer les faits dans leurs efforts pour faire admettre
une version déformée de l’histoire. Aujourd’hui, je me propose de rétablir
publiquement les faits… en laissant parler les faits eux-mêmes.
Lorsqu’on traite des événements qui ont entouré les accords du lac Meech et de
Charlottetown, il faut remonter vingt-cinq ans en arrière. L’année du
Centenaire, le premier ministre, de l’Ontario, John Robarts, convoque ses
homologues à une conférence intitulée «La Confédération de demain», où il sera
question d’unité nationale et de réforrne de la Constitution. Le gouvernement
fedéral refuse d’y participer, mais il est bien conscient qu’il doit tenir
compte de cette initiative venue d’une province et désire naturellement
reprendre la haute main sur les affaires constitutionnelles. C’est ainsi qu’au
début de 1968, le Premier ministre Pearson préside une Conférence
fédérale-provinciale sur la Constitution.
La même année, M. Trudeau est élu premier ministre. Quatre mois plus tard, on
assiste à la création du Parti Québécois, voué à séparer le Québec du reste du
Canada. En avril 1970, le PQ fait élire sept députés à l’Assemblée nationale. En
octobre, le FLQ intensifie ses activités criminelles, fait des enlèvements et
tue un ministre provincial. Ottawa invoque la Loi sur les mesures de guerre et
suspend ainsi les libertés civiles au Québec.
En 1973, le Parti Québécois récolte 30% du vote populaire et forme l’opposition
officielle. En 1975-1976, une controverse fait rage au sujet de l’usage du
français dans l’espace aérien québécois. L’affaire des «Gens de l’Air», ainsi
qu’on l’appelle, marque un point tournant, comme vont l’attester les événements
mémorables des mois suivants. Le gouvernement fédéral, qui depuis sept ans
s’emploie comme il se doit à implanter le bilinguisme dans sa sphère de
compétence, s’occupe si mal de cette affaire qu’il provoque la colère de
nombreux Canadiens français. Jean Marchand démissionne du Cabinet fédéral en
guise de protestation et, au bout du compte, aucun des partis fédéraux ne s’en
tire honorablement.
Le premier ministre, parfaitement inconscient semble-t-il des remous politiques
qui agitent le Québec, affirme le 10 mai 1976 devant un auditoire international
que «c’est la fin du séparatisme». On peut supposer que le premier ministre se
trouve aussi surpris que ces gens-là quand, six mois plus tard, les Québécois
élisent pour la première fois de leur histoire un gouvernement provincial
déterminé à séparer leur province du reste du Canada. Le 25 novembre 1976, René
Lévesque prête serment comme premier ministre du Québec. Le 20 mai 1980, les
Québécois rejettent par référendum la souveraineté-association, par un vote de
59,56% contre 40,44%.
Il n’y a pas de doute que la déclaration du premier ministre six jours
auparavant, le 14 mai, au cours d’une assemblée fédéraliste au stade Paul-Sauvé,
a influencé ce résultat: «Le gouvernement du Canada, le gouvernement de toutes
les provinces se sont déjà exprimés clairement. Si la réponse à la questlon
référendaire est NON, nous avons tous dit que ce NON sera interprété comme un
mandat pour changer la Constitution, pour renouveler le féderalisme. Et je sais
parce que je leur ai parlé ce matin à ces députés (du Québec), je sais que je
peux prendre l’engagement le plus solennel qu’à la suite d’un NON, nous allons
mettre en marche immédiatement le mécanisme de renouvellement de la Constitution
et nous n’arrêterons pas avant que ça soit fait.» Les fédéralistes du Québec ne
s’imaginent certainement pas nombreux ce soir-là que le changement et le
renouveau que promettent le gouvernement féderal et le Canada anglais prendront
la forme d’une modification constitutionnelle imposée au Québec contre la
volonté de son Assemblée nationale, exprimée par les deux partis provinciaux.
En fait, dans un article prémonitoire publié dès le lendemain, 21 mai 1980, le
correspondant du Globe and Mail à Ottawa, Geoffrey Stevens, avertit le premier
ministre de ne pas déformer le résultat du vote: «M. Trudeau sera en mesure,
s’il le désire, de proposer un tout nouveau visage à la Confédération… et il
pourrait bien réussir. Le danger, toutefois, … c’est qu’il voit dans le
résultat du référendum une justification de ses politiques passées. Cette
attitude ne peut que le mener à l’échec.
Ce même jour, le premier ministre fait une déclaration formelle à la Chambre. Il
disserte sur les résultats du référendum et annonce l’ouverture d’une nouvelle
ronde de pourparlers constitutionnels. En optant pour le Canada au référendum,
dit-il, «les Québécois ont reconnu que leurs concitoyens sont disposés à les
écouter, à Ies comprendre et à répondre à leurs aspirations légitimes.» Il
poursuit en disant que les Québécois «ont exprimé un appui massif aux
changements, dans le cadre fedéral» et que le gouvernement fédéral n’y voit que
deux conditions préalables: « D’abord que le Canada continue d’être une
véritable fédération… Ensuite, qu’une charte des droits et libertés
fondamentales soit insérée dans la nouvelle constitution et que cette charte
s’étende à l’aspect collectif de ces droits comme la langue».
(J’ouvre ici une parenthèse pour attirer votre attention sur le fait que, dans
ce discours de 1980, le premier ministre parle de «l’aspect collectif de ces
droits comme la langue». Si vous avez suivi le raisonnement qu’il a utilisé de
même que ses principaux disciples, lorsqu’ils se sont opposés à l’Accord du lac
Meech, en 1987, à celui de Charlottetown, en 1992, puis à la reconnaissance des
deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick, en 1993, vous aurez
remarqué que la même rengaine revient constamment: le rejet de toute idée que
les droits puissent comporter un aspect collectif qui nécessite une protection
constitutionnelle. Dans son essai publié par le magazine L’Actualité, un mois
avant le référendum de 1992, I’ancien premier ministre a écrit que les droits
collectifs étaient «la plus récente des vagues idéologiques au Québec». Mais
bien sûr que les droits comportent un aspect collectif! Et cet aspect est
manifeste dans la Constitution de 1982, notamment dans l’application des droits
linguistiques, dans l’affirmation des droits des autochtones, dans la clause
d’interprétation portant sur notre héritage multiculturel. Mais ce qui était
vérité d’Évangile en 1982 est maintenant dénoncé comme une hérésie. Peu
d’observateurs semblent se rendre compte que le rejet de l’idée d’un «aspect
collectif des droits» est un cheval de bataille bien commode que l’ancien
premier ministre a enfourché depuis peu afin de bloquer toute tentative de
changement constitutionnel. Il joue manifestement un petit jeu politique et doit
bien rire aux dépens des personnages publics et des journalistes qui s’y sont
laissé prendre!)
En fait, le discours post-référendaire du premier ministre déclenche donc une
intense activité, qui atteint son point culminant quelque dix-huit mois plus
tard, le 5 novembre 1981, avec le rapatriement de la Constitution assortie
désormais d’une formule de modification, d’une charte des droits et d’une clause
«nonobstant». Le gouvernement fédéral et neuf gouvernements provinciaux vont de
l’avant malgré le désaccord profond du gouvernement et de l’opposition
officielle du Québec. Cette décision marque un point tournant qui ne présage
rien de bon pour l’évolution de la fédération canadienne. Comme l’écrit Marcel
Adam, un éditolialiste québécois bien connu, qui admire pourtant M. Trudeau et
s’est porté à la défense de bon nombre de ses initiatives: «Il est incontestable
qu’il (M. Trudeau) a fait au Québec ce qu’Ottawa n’avait jamais fait à aucune
province depuis 1867: diminuer ses pouvoirs législatifs par le truchement d’une
réforme refusée par son gouvernement et la majorité de l’opposition.»
En guise de justification, les partisans de la stratégie de 1982 font valoir
aujourd’hui qu’ils n’auraient jamais pu s’entendre de toute façon avec un
gouvernement séparatiste; on peut leur rétorquer qu’ils auraient dû s’en rendre
compte avant de commencer ou avant l’engagement formel qui a été pris envers les
Québécois le soir du 14 mai 1980; on peut aussi leur demander pourquoi ils n’ont
pas attendu l’élection d’un gouvernement fédéraliste au Québec puisque, après
plus de 100 ans, le pays aurait certainement pu patienter encore quelques
années. Comme argument secondaire, ils prétendent aussi que le rapatriement
était acceptable pour le Québec parce que plus de 70 députés fédéraux de cette
province (dans le caucus libéral) l’avaient approuvé, ce qui est tout à fait
ridicule si l’on songe que les propositions contenaient une formule de
modification exigeant, pour la première fois, le consentement des assemblées
législatives provinciales!
Pour ma part, j’étais tout à fait d’accord pour reconnaître à un premier
ministre dûment élu, chef d’un gouvernement majoritaire, le droit de procéder à
une réforme constitutionnelle en profondeur. J’étais d’accord à la fois avec le
principe du rapatriement et avec l’idée d’une charte des droits. Et j’avais tout
lieu d’être rassuré par la déclaration que le premier ministre lui-méme avait
faite à ce sujet seulement trois ans auparavant: «Aucune modification de fond à
l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne sera envisagée, disait-il en 1977,
sans l’accord de principe des provinces.» Cette position était tout à fait
conforme aux opinions et aux réalisations de tous les premiers ministres
canadiens (jusqu’en 1981), comme le résume particulièrement bien cette phrase de
celui qui a occupé cette charge le plus longtemps, Mackenzie King: «Il ne
devrait jamais être question de modifications touchant les autres parties au
contrat sauf après consultation et avec le consentement de ces autres parties.»
Mais il est faux de laisser entendre, comme l’ont fait certains révisionnistes,
que mon accord de principe en 1980 équivalait à une approbation de tous les
aspects du produit final, souvent modifié en cours de route et auquel s’était
greffée à la dernière minute, dans la nuit du 4 au 5 novembre 1981, la clause
«nonobstant» si décriée aujourd’hui. En fait, j’avais expressément rejeté toute
solution qui réduirait les pouvoirs de l’Assemblée nationale du Québec, comme le
faisait cette modification finale.
Le pays a été averti bien des fois, dès 1981, de ce que l’avenir lui réservait.
Le sénateur Ernest Manning, un ancien premier ministre de l’Alberta, avait
prédit qu’il y aurait de lourdes conséquences si Ottawa et neuf provinces
imposaient au Québec la Constitution de 1982. Il demandait le 3 décembre 1981: «
…quelle est actuellement la position du Québec à cet égard? …il est… plus
isolé que jamais du reste du Canada, plus polarisé, plus en colère et plus
mécontent car il s’estime trahi. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir une nouvelle
constitution si le pays court à sa ruine par la même occasion. Si on l’adopte,
poursuivait-il en parlant de la Charte, elle présentera le risque dangereux,
inutile et inacceptable de précipiter la séparation du Québec du reste du
Canada. C’est une bombe constitutionnelle à retardement assez puissante pour
faire sauter la Confédération.»
Dès 1983, au moment où le pays se relevait d’une profonde et dure récession, des
gens pondérés avaient commencé à réfléchir aux récents événements et à
recommander des mesures pour l’avenir. En septembre 1983, Michael Pitfield, qui
venait d’être nommé au Sénat après avoir été greffier du Conseil privé, faisait
la réflexion suivante: «Nous avons gagné le référendum, nous avons dit que nous
allions offrir une nouvelle entente au Québec et nous n’avons pas donné suite à
cet engagement. Si nous n’agissons pas rapidement, ils (les Québécois) vont se
rallier solidement sous la bannière nationaliste.» La formule était non
seulement incisive, mais parfaitement exacte. Et elle vient détruire un autre
mythe, selon lequel j’ai vite cherché à m’entendre, pour des motifs partisans,
avec les «nationalistes» québécois, que les révisionnistes mettent dans le même
sac que les «séparatistes».
En fait, la plupart des Québécois de langue française sont franchement
«nationalistes», qu’ils soient fédéralistes ou séparatistes. La plupart des
grands leaders québécois qui ont siégé au Parlement et au gouvernement fédéral
au cours des 100 premières années de la Confédération, les Cartier, Laurier,
Lapointe, Balcer et Favreau, étaient à la fois des «nationalistes» québécois et
des fédéralistes canadiens. (…)
Ce que disait M. Pitfield, c’est que quelqu’un devait sans tarder prendre
l’initiative d’amener le Québec à ratifier une constitution modifiée, sans quoi
ces nationalistes québécois qui appuyaient le fédéralisme, mais qui s’étaient
sentis trahis après le référendurn, pourraient bien opter pour le séparatisme et
seraient alors perdus pour le Canada. Plus tôt dans l’année, Peter Blaikie avait
fait d’ailleurs une déclaration dans le même sens. M. Blaikie, qui allait
occuper plus tard le poste de président d’Alliance Québec, avait dit: «Je lui
fais grief (à M. Trudeau) de refuser de comprendre ce qui se passe au Québec,
d’avoir bâti sa carrière sur l’anti-nationalisme. I1 n’a fait qu’aggraver la
situation. Entre lui et René Levesque, il y a comme un mouvement réciproque, ils
ont besoin l’un de l’autre, en quelque sorte, pour se justifier au pouvoir.»
Pendant la campagne électorale de 1984, j’ai présenté une vision du fedéralisme
qui n’avait rien à voir avec celle du gouvernement précédent. J’ai sollicité,
auprès des Québécois et de tous les Canadiens, un mandat de réconciliation
nationale.
Mon arrivée au pouvoir a donné naissance à un double mythe inventé par les
révisionnistes: premièrement, que j’avais remporté les élections de 1984 au
Québec grâce à l’appui des séparatistes et que j’avais par conséquent une dette
envers eux.
Comme notre parti n’avait obtenu que 12,9% des voix et un seul siège au Québec
aux élections de 1980, je me suis attaché tout d’abord à bâtir à la fois un
consensus et une coalition en prenant l’initiative sur les grandes questions
nationales. Il se trouve que nous avons connu nos premiers succès, modestes il
est vrai, quand je me suis porté à la défense de la minorité francophone du
Manitoba.
Par la suite, notre opposition au projet de loi S-31, que beaucoup considéraient
comme une entrave injustifiée au fonctionnement de la Caisse de dépôt et de
placement du Québec, nous a mérité l’approbation des gens d’affaires du Québec.
Ces nouveaux appuis, principalement dans les milieux libéraux, se sont
multipliés quand j’ai décidé de renoncer à un siège pratiquement assuré dans
Central Nova et de me présenter dans la circonscription francophone de
Manicouagan, sur la lointaine Côte-Nord du Québec, qui n’avait élu qu’un seul
député conservateur au cours des 50 années précédentes.
Comme beaucoup d’entre vous s’en souviennent, le vent a véritablement tourné
quand j’ai affronté le Premier ministre Turner dans le débat télévisé du 24
juillet 1984. Tous les sondages qui ont suivi révélaient que le vote des groupes
clés du Québec, surtout ceux qui avaient voté libéral jusque-là, se déplaçaient
nettement en faveur des Conservateurs. À la fin de juillet, tous les sondages
d’opinion laissaient entrevoir une victoire massive des
Progressistes-conservateurs. Les faits démontrent que, loin d’être les artisans
de notre victoire de 1984, les gens qui appuyaient le Parti québécois semblent
avoir été parmi les derniers à se rallier, et seulement une fois que tous les
sondages d’opinion eurent prédit clairement notre victoire.
L’autre aspect de ce double mythe, c’est que nous avions reçu en héritage de M.
Trudeau un pays tranquille, libéré des séparatistes, et que seules des
tentatives téméraires du nouveau gouvernement fédéral pour «pactiser avec le
diable» séparatiste avaient échauffé les esprits et causé les difficultés que le
Canada a connues par la suite! Ce mythe en particulier a été soigneusement
entretenu par les admirateurs de M. Trudeau et ses biographes éventuels. En
fait, le gouvernement séparatiste élu pour la première fois en 1976 avait été
réélu en 1981 alors que M. Trudeau était encore en poste, et était toujours au
pouvoir huit ans plus tard quand nous avons formé le nouveau gouvernement, le 17
septembre 1984.

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