Allocution de Marcel Masse, Club renaissance de Montréal, le 12 novembre 1964

PROFESSEUR D’HISTOIRE À LA COMMISSION SCOLAIRE RÉGIONALE DE JOLIETTE CLUB RENAISSANCE MONTREAL (QUEBEC) LE 12 NOVEMBRE 1964

Il n’est pas dans notre intention de présenter un travail complet sur le problème, mais, au
contraire, nous préférons vous livrer quelques réflexions que nous inspire votre thème: « Les exigences sociales du nationalisme ».

Dès le départ, nous enregistrons une certaine difficulté, une certaine réticence à séparer
le social du national. Pour nous, le national est un terme global, c’est-à-dire un terme qui recouvre toutes les activités d’un groupe, surtout toutes les valeurs que donnent à ce mot une époque, un groupe, ou encore une collectivité particulière.

Il ne peut être question d’envisager une politique nationale sans se préoccuper de son
aspect social, du moins à notre époque.

Au fond, « national », « nationalisme » sont des mots employés depuis fort longtemps et qui servent à exprimer aujourd’hui des réalités qui ne sont que le prolongement de celles qui leur ont donné naissance.

Dans cette perspective, il devient nécessaire de se demander si parler d’exigences
sociales du nationalisme, c’est réellement innover. Il se pourrait très bien que ce nouveau langage ne soit que la reprise des préoccupations élargies de tous les chefs canadiens-français depuis la conquête.

De tout temps, les Canadiens français ont cherché à n’assurer qu’une chose, leur survivance. Il s’agissait d’une étape nécessaire qui nous apparaît maintenant comme heureusement dépassée. grâce à leurs efforts, nous sommes à présent en mesure de réaliser notre épanouissement. Sans refaire l’histoire de ces luttes, nous pouvons établir un principe: en défendant les valeurs religieuses, linguistiques, politiques ou économiques, les Canadiens français ont fait preuve de nationalisme. Selon les époques, selon les exigences de la lutte ou les dangers, ils ont pu établir des priorités, mais toujours leur action n’avait qu’un but: assurer à leur groupe ethnique les circonstances les plus favorables à son développement.

C’est dans ce sens qu’il faut voir les efforts d’un Monseigneur Briand. En défendant les
droits de la religion, il répondait à la grande préoccupation de son époque.

Pour les Canadiens français de la première génération après la Conquête, le maintien de leur religion en même temps que la conservation de leurs lois apparaissaient comme les meilleures garanties de la continuité de l’œuvre que leurs ancêtres avaient commencée en terre d’Amérique pour eux. La Conquête n’était plus alors qu’un simple changement d’allégeance. Notons, en passant, que sept générations plus tard, plusieurs de leurs descendants sont encore convaincus de cette idée. Bienheureux sont-ils, car il leur est loisible de crier, sans crainte d’être matraqués; « Vive la Reine »!

De même, le nationalisme d’un Bourassa et d’un Lavergne, peut-être trop axé à notre goût sur la défense de la langue, trouvait un écho favorable dans le cœur de tous les Canadiens français. C’était le produit d’une époque déterminée mais qui était tout de même convaincue d’avoir fait la preuve définitive du droit des Canadiens français à leur vie propre à l’intérieur de la Confédération.

Nous pourrions étudier cette question sous ses différents aspects. Les faits que nous avons cités illustrent cependant ce point: nos préoccupations, nos désirs ne sont pas les mêmes que ceux de nos prédécesseurs, non pas que nous n’attachons pas d’importance à ces choses mais parce que nous considérons qu’elles ont été réglées une fois pour toutes. Le monde a changé, les problèmes ne sont plus les mêmes : le bilinguisme, les chèques bilingues, les chefs de parti bilingues – ou si peu -, tout cela a pour nous un petit air suranné qui ne saurait nous satisfaire.

Si le monde a changé, si les problèmes ne sont plus les mêmes, si nos exigences sont
différentes de celles de nos ancêtres, il ne faudrait pas pour autant rejeter leurs luttes comme des choses qui ont été inutiles. Plutôt que de parler d’un rejet du nationalisme traditionnel, il serait plus juste d’insister sur l’évolution du nationalisme canadien-français. Les réclamations des anciens reflétaient donc les préoccupations sociales et autres d’un monde bien caractérisé, conscient de certaines valeurs qu’ il tenait à défendre.

Nous pouvons nous inscrire en faux devant ce que nous considérons comme le peu
d’exigences des anciens. Nous pouvons, à l’aide de nos connaissances et de nos préoccupations d’aujourd’hui, parler d’erreurs d’appréciation mais nous ne pouvons accuser les chefs d’autrefois d’avoir volontairement faussé la notion de nationalisme, de s’être servi du peuple à des fins particulières, etc. Ils étaient certainement décidés à travailler pour le peuple, pour la collectivité canadienne-française.

L’aboutissement de ce nationalisme, la phase qui nous permet d’exiger des solutions nouvelles, tout cela n’est pas le fruit d’une génération spontanée. C’est plutôt une évolution normale du nationalisme dit traditionnel, lequel avait été approuvé par l’ensemble de la population et ce, à chaque signe nouveau de transformation.

Pour toutes ces raisons, comme il n’y a pas eu de brisures dans le nationalisme, nous
pensons qu’il est préférable de parler des nouvelles exigences du nationalisme des Canadiens français.

Voyons maintenant quelques-uns de ces nouveaux points forts.

Le nationalisme actuel – celui prôné par notre génération – a pris une forme nouvelle en
vertu des besoins nouveaux que nous avons développés.

Ces besoins ne sont pas ressentis par tous; c’est pour d’accord sur la solution à prendre.

La nouvelle situation du Québec – ou du moins l’interprétation de cette nouvelle situation –
engendre de nouveaux modes de pensée et d’action. C’est que les transformations survenues, tant au Canada et au Québec que sur le plan international, (car les Canadiens français ne vivent pas et n’ont jamais vécu en vase clos – c’est un mythe à dénoncer) ces transformations ont obligé les Canadiens français à se fixer de nouveaux objectifs. Ils ont pris conscience de leurs nouvelles possibilités, ils ont découvert l’importance de certains mécanismes de décision.

La défense des biens traditionnels doit reposer sur la reconquête du domaine économique qui apparaît maintenant comme la garantie nécessaire du maintien des valeurs sociales.

Ici, il faut rappeler que ce désir légitime de main-mise sur le domaine économique – qui
apparaît dans la pensée politique d’hommes comme Chapleau et Mercier – n’est donc pas nouveau en soi. L’élément à souligner, c’est sa manifestation globale. Nous voulons contrôler, non pas un secteur mais l’ensemble de l’économie, pas tellement les produits de celle-ci, mais tous ses paliers, celui des décisions comme celui des réalisations. Pour ce faire, nous sommes prêts à utiliser une arme toute-puissante, l’État. Voici un point où, nous semble-t-il, le nationalisme a fait un progrès. L’intervention de l’État comme élément dynamique au service de la collectivité est certainement l’un des apports les plus importants de ce néo-nationalisme.

Ces moyens nouveaux que nous sommes décidés à mettre de l’avant, ont pour but, comme ceux employés par les anciens, d’assurer à notre collectivité de meilleures conditions de vie. Je refuse de croire à cette espèce de mafia du nationalisme qui se serait emparé des leviers du nationalisme pour se hausser personnellement. Des individus, de faux-nationalistes, il s’en est trouvé à toutes les époques. Mais de là à penser qu’il y en a eu plus dans le passé, il y a un pas que je me refuse à franchir.

Il est trop facile de dénoncer les autres. Les Canadiens français sont tous nationalistes, sauf de très rares exceptions. Tous ont désiré, ou désirent, l’avancement de la nation canadienne-française, mais selon des modes différents parce qu’ à des époques différentes.

Aujourd’hui, pour certains, la montée des pays nouveaux est une preuve suffisante de la
possibilité pour le Québec de réclamer l’indépendance. Pour d’autres, au contraire, le regroupement des pays vers des pôles d’attraction, vers des blocs plus grands, est une preuve que le Québec, s’il devenait indépendant, irait contre l’histoire. Nous pourrions continuer longtemps ainsi, mais cela suffit pour illustrer que des conclusions différentes n’indiquent pas nécessairement qu’un groupe veut la misère du peuple, l’autre, un paradis pour ce peuple. Les deux désirent l’avancement des Canadiens-français mais parce que l’échelle des valeurs est différente, les conclusions le sont nécessairement.

La grande idée, c’est que pour plusieurs il y a possibilité pour le Québec de vivre sa vie à part. Cette idée défendue par un grand nombre conditionne les prises de position des autres. Cela est nouveau et très important. On ne discute plus en fonction du Canada mais du Québec, et c’est au Québec qu’il appartient de prendre les initiatives. C’est un avantage à garder et nous croyons qu’il serait très important que, par exemple, le Comité parlementaire de la Constitution présente un rapport de son étude avant que ne le fasse la Commission d’enquête sur le biculturalisme établie par Ottawa. Celui-là servira ainsi de base pour apprécier celle-ci à sa juste valeur.

Ce que les Canadiens français demandent aujourd’hui et c’est là le fond, la cause des
exigences nouvelles du nationalisme – c’est le contrôle du devenir du Québec. Il nous faut les moyens nécessaires pour réaliser notre devenir politique, économique, culturel et social. C’est la demande de base. Tous ne sont pas d’accord sur la façon la plus efficace de parvenir à ces fins, mais unanimement, ils désirent l’épanouissement des Canadiens français.

Le contexte où se développe le nouveau nationalisme nous force à faire un choix entre les
différentes options qui se présentent. Toutes ont leurs mérites et leurs difficultés et s’ils veulent être honnêtes, les tenants des diverses solutions doivent présenter toutes les implications. Le peuple a droit qu’on lui présente un tableau complet.

L’étude de ces questions prend une très grande importance du fait que le nationalisme
d’aujourd’hui donnera naissance à la vie nationale de demain. Il nous faut connaître très bien les réalités que nous aurons à discipliner, à orienter.

Car le Québec de demain sera ce que nous le ferons, il sera notre responsabilité. Nous avons donc à écouter les autres sans préjuger de leurs sentiments et de leur bonne volonté, car dans le nationalisme, il est possible d’appliquer cette phrase de Bernard Shaw dans Maximes pour un révolutionnaire: « La règle d’or, c’est qu’il n’y a pas de règle d’or ».

Mais, et c’est mon dernier point, quelles que soient vos solutions, elles devront déboucher sur le plan politique.

C’est un autre des torts de certains Canadiens français que de croire à l’angélisme, de
croire qu’il est possible de réaliser une nation sans se servir des moyens connus pour le faire. Plutôt que de pleurer sur les partis politiques, qui, en un sens, reflètent la mentalité de ceux qui les composent et de ceux qui les encouragent, c’est à dire la population, il serait mieux de les bâtir.

Ainsi en est-il de l’Union nationale.

Pleurer sur l’Union nationale est une chose qui, à notre avis, ne mène nulle part.
Travailler au sein d’un parti, travailler et le réformer, parce que nous avons des idées, des
suggestions à faire, cela est beaucoup plus réaliste.

Les partis, tous les partis, sont à l’image de ceux qui les composent. L’Union nationale
reflétera vos idées. Si vous trouvez que l’union nationale ne répond pas à ce que vous en attendez, emparez-vous en. C’est le meilleur moyen de lui faire réaliser vos désirs.

L’Union nationale tiendra une réunion générale au début de mars 1965. Elle veut à cette
occasion élaborer un programme qui lui permettra de mieux servir la cause du Canada français. Elle est prête à vous fournir une tribune qui vous permettra de faire connaître vos solutions.

En aidant à réaliser les aspirations du Canada français, en faisant entendre la voix des
jeunes vous contribuerez par votre action à la réalisation de notre idéal commun, l’épanouissement de notre collectivité.

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