Mes chers amis,
Ce n’est pas sans raison que j’ai accepté de répondre à l’invitation qui m’a été lancée par les organisateurs de ce stage régional sur la radio et la télévision scolaires: depuis longtemps déjà, je me suis intéressé aux techniques audio-visuelles en tant qu’instruments d’éducation.
Au cours de ma carrière dans l’enseignement, elles ont toujours provoqué chez-moi une certaine fascination, non seulement à cause des effets formidables de leur utilisation, mais aussi et surtout parce qu’elles sont devenues à mes yeux le signe d’une transformation importante du rôle de l’enseignant. Aujourd’hui, l’intérêt qu’y porte le ministre d’État à l’Éducation est d’autant plus compréhensible qu’il prend racines dans une expérience vécue et qu’il déborde sur une réalité aux dimensions plus vastes.
L’idée que les progrès technologiques, en élargissant le champ des connaissances, sont en voie de façonner une société nouvelle fait désormais l’unanimité. L’homme d’hier,
qui a évolué dans les formes d’un humanisme classique, fait place à un homme nouveau pour lequel les perspectives s’étendent jusqu’ à l’horizon sous la poussée de l’invention, de la vitesse et du progrès scientifique. Un scientifique disait: « L’espace nous offre un projet qui est, clairement, sans limites: il exige les meilleures prestations de l’art de l’ingénieur, il possède tous les attraits de l’exploration physique; il est lié à la protection de notre style d’existence; il peut améliorer les conditions terrestres de la vie. Un tel projet pourrait bien susciter une seconde renaissance dans l’esprit de l’homme et dans son activité considérée dans toutes ses phases ». Je pense aussi que nous sommes irrémédiable ment engagés sur la voie d’un monde riche et prometteur, parfois vertigineux et déshumanisant, mais dont la seule garantie est dans l’adaptation et l’engagement.
L’école et l’enseignement, pour leur part, doivent nécessairement recevoir l’empreinte de cet humanisme nouveau. En réalité, l’école d’aujourd’hui n’est plus, comme autrefois,
le seul lieu de la connaissance et de l’apprentissage; l’enseignement a à son service bien plus que le livre et le maître. Il faut reconnaître que l’invention des techniques de diffusion, en particulier de la radio et de la télévision, a grandement modifié les tâches de l’apprentissage, de l’instruction et de l’éducation.
Leur influence s’est sûrement exercée sur la psychologie de l’enfant, en élargissant le champ de ses connaissances, en décuplant son expérience visuelle, en exerçant très tôt son intelligence, en lui proposant de nouveaux ordres de valeurs, en diversifiant ses expériences affectives et en intensifiant sa vie intérieure. Nous sommes en mesure de vérifier cette affirmation auprès de nos propres enfants qui, sans aucun doute, sont nettement en avance par rapport à ce que nous étions au même âge.
La radio et la télévision n’en ont pas moins bouleversé le monde des adultes, en permettant à chacun de s’adapter aux réalités nouvelles et d’accroître ses connaissances de façon permanente, au-delà de l’enfance, de l’adolescence, ou de l’âge scolaire.
Pour toutes ces raisons, notre manière habituelle de penser et de faire doit être changée. La psychologie nouvelle de l’enfant invite l’école à se renouveler et le renouvellement
de l’école suggère une réadaptation des méthodes pédagogiques du maître. Plus encore, l’école doit ouvrir ses portes non seulement aux générations montantes mais aussi aux adultes, jeunes et moins jeunes, bref, à l’ensemble de la société. Voilà un défi énorme qui ne saurait être relevé que par un effort consenti de la part des enseignants et du responsable du bien commun, c’est-à-dire l’État.
De son côté, l’enseignant doit être conscient des perspectives nouvelles offertes par les techniques audio-visuelles, plus particulièrement par la radio et la télévision. À mon sens,
il doit en tirer le meilleur parti possible pour varier et enrichir son enseignement. Celui qui n’en tiendrait pas compte ou qui leur opposerait une résistance quelconque ne serait sûrement pas de son temps et risquerait, pour cause de mésadaptation, d’échouer dans son rôle d’éducateur. Car l’enfant d’aujourd’hui veut voir et entendre ce dont on lui parle, comme il s’y est habitué devant le poste de radio ou devant le poste de télévision.
Quant à l’État, il doit assurer que l’enseignement soit adapté aux exigences du jour et pour cela mettre à la disposition de l’école et de ses enseignants tous les instruments nécessaires qui permettront de réaliser une formation concrète, active et stimulante. Il doit aussi comprendre le désir légitime des masses à la culture et à l’éducation permanente, et utiliser au maximum tous les moyens qui leur seront accessibles pour répondre à leur soif de connaissances. En conséquence, il m’apparaît urgent pour le Québec de prévoir une utilisation systématique des techniques audio-visuelles que sont la radio et la télévision.
Depuis quelques années, le ministère de l’Éducation a conclu des ententes avec la Société Radio-Canada permettant la présentation, tant à la radio qu’ à la télévision, de plusieurs cours de niveaux élémentaire et secondaire. Cette année encore, des cours seront radiodiffusés et télédiffusés sur les ondes du réseau d’État: ces cours seront destinés aux élèves des commissions scolaires de la première à la onzième année, portant sur des s aussi variées que l’Éducation physique, l’Art plastique, la Géographie, l’Histoire des civilisations, le Dessin industriel et le Français parlé.
Par ailleurs, un collège et cinq universités totalement ou partiellement de langue française ont mis au point, en collaboration avec Radio-Canada, une série de cours universitaires
au niveau du baccalauréat es-arts qui seront officiellement reconnus et feront l’objet de crédits. Ce sont: le Collège Sainte-Marie, l’Université de Montréal, l’Université Laval, l’Université de Sherbrooke, l’Université d’Ottawa et l’Université Laurentienne de Sudbury.
Il faut, de toute évidence, reconnaître le bienfait de cette collaboration du ministère de l’Éducation et des universités avec la Société Radio-Canada. Mais ces accords donne un rendement bien minime comparé à celui que procurerait, par exemple, la mise sur pied d’un réseau de radio et de télévision sous la responsabilité du gouvernement du Québec. Il s’agirait là d’une mesure susceptible de permettre l’élaboration et la mise en application d’un programme systématique et cohérent d’utilisation de ces techniques pour fin d’éducation. Les initiatives actuelles ne sont certes pas négligeables: elles constituent un palliatif dont l’absence serait absolument regrettable. Mais il faudra songer à regrouper ces
initiatives dispersées sous une même autorité, celle qui est constitutionnellement responsable de l’éducation, et leur donner une plus grande envergure.
Le gouvernement dont je fais partie a inscrit à son programme électoral un article prévoyant la création d’un réseau québécois de radio et de télévision par la mise en vigueur de la Loi votée à cette fin en 1948 et par la constitution d’un bureau de direction, responsable devant l’État, mais dont les membres seraient soustraits à l’influence politique. Certains auront vite pensé qu’il s’agit là d’une flèche teintée de nationalisme et dirigée contre le gouvernement fédéral; je tiens à leur répondre que le gouvernement auquel j’appartiens a dépassé l’époque des taquineries nationalistes et qu’il est résolu à donner au Québec les instruments dont il a besoin pour démocratiser l’éducation, pour faire respirer et rayonner sa culture, bref, pour devenir une société moderne sûre
d’elle-même et bien munie contre les impérialismes de toutes sortes.
Cette intention du Gouvernement du Québec fait évidemment naître une multitude de questions qui ne sont pas étrangères au droit constitutionnel et qui, en tout cas, font la joie des constitutionnalistes. Le Québec peut-il et doit-il posséder son propre réseau de radio et de télévision, compte tenu des deux facteurs suivants: d’une part l’éducation est une de compétence provinciale exclusive, d’autre part la radiodiffusion est une de compétence fédérale. Précisons le sens à donner à ces deux facteurs. D’abord, de quoi parle-t-on effectivement lorsque l’on évoque la compétence fédérale en matière de radiodiffusion? Rappelons que c’est par référence aux communications que la radiodiffusion a été attribuée à la responsabilité fédérale. C’est par conséquent en tant qu’instrument spécifique de communication que le gouvernement fédéral peut régir la radio et la télévision.
Du fait qu’elle porte sur l’instrument de la communication, une telle compétence peut-elle s’étendre sur le contenu des échanges que l’instrument en cause rend possibles? La régie du moyen de transmission d’un message entra”ne-t-elle le contrôle du message lui-même, de son contenu? La réponse à cette question est évidemment négative, à moins de poser en principe que, par exemple, le droit de régir la téléphonie donne au gouvernement fédéral la possibilité de censurer les conversations téléphoniques elles-mêmes. Ceci dit, précisons la nature et la portée de la compétence provinciale en matière d’éducation.
Les débats qui ont porté sur le sujet ont toujours été, depuis le début de la Confédération, compromis par l’absence d’une définition claire et réellement fonctionnelle du concept même d’éducation dans la perspective de l’interprétation à donner de la constitution canadienne sur ce point.
La Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels s’est interrogée à cet égard. L’annexe 4 à son rapport l’aborde de façon spécifique et propose un essai de définition qui me paraît susceptible de permettre l’identification aussi certaine que possible, à un moment donné, d’une activité, d’un objet, d’une personne quelconque, comme appartenant de fait et directement à l’éducation.
Le principal mérite de cette définition vient de ce qu’elle dissipe l’équivoque que comporte le mot éducation lorsqu’on le voit dans la seule perspective de l’influence exercée sur autrui par un agent, que cet agent soit une émission radiophonique, un livre, ou une forme plus ou moins précise d’enseignement. Tout ce qui semble exercer une influence sur autrui est alors perçu comme éducatif et donc assimilable à l’éducation. On est ainsi amené à donner à l’éducation une extension qui rend impossible une définition pratique, une définition correspondant à des réalités observables de la compétence provinciale dans ce domaine. Une définition satisfaisante de l’éducation ne saurait se contenter d’indiquer en quoi elle consiste du côté de l’agent qui éduque, en quoi elle consiste du
côté du maître, que ce maître soit un professeur dans le sens courant du terme ou tout agent dont l’action vise à exercer une influence sur autrui. Pour qu’il y ait réellement éducation dans le sens intégral du terme, il faut introduire, à côté du maître qui enseigne, un partenaire essentiel, l’élève, auquel le maître s’adresse. A l’action délibérée du maître à l’égard de l’élèves doit correspondre de la part de celui-ci une réaction également déterminée pour qu’on puisse effectivement parler d’éducation.
Ainsi, l’éducation est assimilable à une sorte de dialogue, à des échanges, où le maître n’est pas seul à agir mais où l’élèves joue également un rôle qui est, pour ainsi dire, le réciproque de celui du maître.
C’est en s’appuyant sur de telles considérations que l’annexe 4 du rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels propose de définir l’éducation comme « le système des échanges réciproques qui s’établissent entre un maître et un élèves en vue de la formation et du développement de l’élèves ».
Selon cette définition, ce qui caractérise concrètement l’éducation et qui permet d’identifier avec le moins d’arbitraire possible une activité, un objet, une personne, une réalité quelconque comme appartenant à l’éducation, c’est sans doute et d’abord la confrontation de deux sujets dont l’un joue le rôle de maître et l’autre celui d’élèves. C’est aussi le fait essentiel que le maître poursuit délibérément la formation de l’élèves et la dirige.
Mais c’est surtout le fait qu’entre l’un et l’autre il y a des échanges réciproques. C’est enfin le fait que cette réciprocité est systématique, organisée selon un certain schéma qui en régit les modalités et qui définit à chacun un rôle et des gestes déterminés.
Appliquons cette définition au cas particulier qui nous préoccupe, celui de la radio et de la télévision: dans quelles circonstances la radio et la télévision deviennent-elles éducatives et de compétence provinciale exclusive?
La radio, de même que la télévision, est essentiellement un moyen de communication et peut être, sous ce rapport, comparée au journal, au livre ou au film. Tous ces media de diffusion exercent sur le public qu’ils atteignent une influence d’autant plus importante qu’ils cherchent systématiquement à la rendre profonde et durable.
Au point de vue qui nous préoccupe cependant, ils ont ceci de commun et d’essentiel que leur relation avec le public est une relation à sens unique. Elle ne prévoit aucune réaction
déterminée et réciproque de la part de celui qui la subit. Ce dernier demeure entièrement libre de réagir comme il l’entend.
Voilà pourquoi la radio, la télévision, le journal, le film ou le livre, considérés en eux-mêmes, ne sauraient en aucune façon être assimilés au système d’échanges réciproques qui constitue essentiellement l’éducation au sens où nous l’avons défini. Toutefois, ils se rattachent à l’éducation et en deviennent partie intégrante, si, par exemple ils s’insèrent, à titre instrumental, dans une relation maître-élèves. Ainsi en serait-il d’un livre dont on fait un manuel scolaire, d’une émission radiophonique qui est captée dans les écoles et s’intègre à l’enseignement qu’on y dispense. Us tombent, par conséquent, sous le coup de la compétence provinciale exclusive en cette matière, et l’autorité provinciale peut statuer sur l’usage qu’on en fait dans les cadres éducatifs, prohiber
cet usage ou en déterminer les modalités.
C’est à la lumière de ces principes que le Québec entend aborder l’étude des propositions contenues dans le Livre blanc sur la Radiodiffusion qui a été rendu public il y a quelques mois.
« La ligne de conduite des vingt dernières années, souligne le Livre blanc, consiste à ne pas accorder de permis de radiodiffusion à d’autres gouvernements, ou aux organismes qui leur sont directement comptables. Ont seuls fait exception certains permis de station de radio accordés à des institutions d’enseignement expressément pour des fins de radiodiffusion éducative (notamment le Ryerson’s Institute de Toronto, l’Université Queens, l’Université de l’Alberta et l’Université de la Saskatchewan). Le Bureau (des Gouverneurs de la radiodiffusion) reçoit déjà des provinces des demandes de permis de stations de télévision privées qui seraient exploitées en conformité du programme d’instruction publique de chaque province, et il faut s’attendre qu’il y en ait davantage dans le proche avenir.
« La conduite du gouvernement fédéral dans le domaine des communications doit avoir pour effet non pas de gêner, mais de faciliter le bon exercice des responsabilités provinciales en matière d’instruction publique ».
De ces quelques lignes, il nous est permis de dégager les conclusions suivantes: bien qu’il détienne une compétence constitutionnelle en matière de communications, par conséquent dans le domaine de la radiodiffusion, le gouvernement fédéral comprend que la radio et la télévision peuvent être utilisées pour des fins éducatives et, à cette fin, il est disposé à reconnaître aux États provinciaux le droit au plein exercice de leur compétence exclusive en matière d’éducation.
Je l’ai rappelé antérieurement, du moment que des émissions de radio ou de télévision deviennent éducatives au sens strict de la définition proposée, l’autorité provinciale a le droit exclusif de statuer sur l’usage qu’on peut faire de la radio et de la télévision, quels que soient les niveaux et les types d’enseignement affectés par cet usage, qu’il s’agisse de l’enseignement universitaire aussi bien que de l’enseignement élémentaire et secondaire, qu’il s’agisse de l’enseignement des adultes aussi bien que de l’enseignement des jeunes.
Reste maintenant à préciser comment les provinces et le fédéral peuvent collaborer à la mise en place de réseaux de radio et de télévision éducatives, compte tenu de leur compétence respective.
Le Livre blanc aborde ce sujet de la façon suivante: « A cette fin, il faudra travailler directement avec les provinces afin d’étudier les installations techniques nécessaires et de planifier et mettre sur pied des installations de radiodiffusion éducative dans tout le pays.
« Le gouvernement est disposé à s’occuper immédiatement de créer un nouvel organisme fédéral qui serait autorisé à exploiter des services de radiodiffusion d’utilité publique.
Cet organisme aurait le pouvoir de conclure avec toute province une entente en vue de l’emploi de ces services pour la diffusion, à l’intérieur de la province et à des heures appropriées de la journée, d’émissions ayant pour objet de répondre aux besoins
du programme provincial d’instruction publique selon que les autorités provinciales compétentes les détermineront ».
Ces passages du Livre blanc ouvrent la porte à une collaboration positive entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Ils comportent cependant des ambiguïtés qu’il y aura lieu de dissiper dans la perspective des principes que je viens de formuler.
Il faudra, entre autres, déterminer avec précision le partage des responsabilités dans l’aménagement des installations matérielles requises. Par exemple, il me paraît incontestable que toutes les installations nécessaires à la mise au point des émissions éducatives devraient être sous le contrôle exclusif du Québec. De même, il me paraît essentiel que le plan de répartition territoriale des installations s’élabore dans le cadre
du programme établi par le Québec, pour assurer les services d’enseignement radio-télévisé auprès des clientèles qui, au jugement du Québec, doivent en bénéficier.
Toutes ces questions, et bien d’autres du même genre, doivent être posées sans équivoque et étudiées en profondeur avant que nous nous engagions dans l’action d’envergure à laquelle il faut viser pour exploiter, comme il convient, toutes les ressources de la radio et de la télévision scolaires.
Les études requises sont déjà en cours au ministère de l’Éducation. Notre attitude devant des problèmes aussi complexes en est une de recherche ouverte aux solutions qui respecteront intégralement les droits du Québec dans le domaine de l’éducation, en même temps qu’elles assureront à notre population tous les services dont elle a besoin.