Mes chers amis,
Jamais depuis trois mois le ministre d’État à l’Éducation ne se sera senti plus près des étudiants qu’au cours des deux derniers jours. Hier, j’ai eu l’occasion de rencontrer quelque deux cents journalistes étudiants réunis en session d’étude de la Presse étudiante Nationale. Aujourd’hui, j’ai le grand plaisir de m’adresser aux dirigeants des associations générales des étudiants des collèges classiques, à ceux que l’on a pris l’habitude d’appeler leaders syndicaux étudiants.
Ces deux rencontres constituent pour moi des événements importants, car elles me permettent d’établir un véritable contact avec le monde étudiant d’aujourd’hui. Certes, j’ai déjà pu m’entretenir avec des membres de l’exécutif de l’UGEQ, avec vos représentants syndicaux, mais ces entretiens ne peuvent évidemment pas avoir le caractère spontané d’une rencontre publique comme celle de ce soir.
J’ai toujours eu l’habitude de parler franchement, sans ambages, et j’espère que les propos simples et ouverts que je tiendrai avec vous vous inviteront à garder avec moi le style de langage qui vous est familier.
En préparant mon allocution, de multiples idées me sont venues à l’esprit. J’aurais aimé vous faire part de mes réflexions personnelles sur le syndicalisme étudiant et le syndicalisme ouvrier, sur la démocratisation des cadres syndicaux, sur la réforme de l’éducation au Québec et sur plusieurs autres questions qui, je le sais, vous préoccupent au plus haut point. J’ai préféré m’en tenir à trois points pour lesquels je connais votre intérêt: le rôle de l’étudiant dans notre société, l’organisation de l’enseignement pré-universitaire et professionnel et l’aide aux étudiants.
Je pense que notre société s’est trop peu préoccupée jusqu’à ces toutes dernières années de situer l’étudiant dans l’ensemble des cadres productifs qui concourent à son évolution et à son progrès. Pendant longtemps, elle en a fait un être marginal, un nécessiteux qui absorbe des énergies et des taxes. En vertu de cette mentalité un peu vieillotte, l’étudiant serait un novice que l’on habituerait à la dure loi de la concurrence, qui n’aurait aucune conscience de la portée sociale et économique de son travail et qui se préparerait à exploiter, à son seul profit personnel, le prestige que lui procure son diplôme.
Contre cette conception erronée, les étudiants eux-mêmes ont réagi et ont résolu une fois pour toutes de se donner un statut précis, comportant des exigences et des responsabilités qui font d’eux des éléments actifs de la nation et des citoyens à part entière.
En conséquence, l’étudiant d’aujourd’hui est bien différent de ce qu’il était alors que j’avais votre âge. Par exemple, le milieu de travail dans lequel vous vivez ressemble très peu à celui dans lequel j’ai vécu. Il y a dix ans à peine, le syndicalisme étudiant était une réalité pratiquement inexistante tant les étudiants que nous étions avaient peu d’intérêts communs. L’organisation des activités culturelles et sportives exigeait bien la présence d’une association étudiante, mais les préoccupations de celle-ci n’allaient souvent guère plus loin.
Au contraire, vous travaillez en tant que jeunes travailleurs intellectuels dans un monde organisé, à l’intérieur de cadres syndicaux où il vous est possible de rassembler vos espoirs et votre dynamisme, vos énergies et votre courage pour réaliser avec plus de motivation votre double rôle d’étudiant et de jeune citoyen.
Aujourd’hui aussi, il vous est permis de dialoguer avec les hommes politiques, de leur adresser vos commentaires, de leur soumettre vos projets, de leur proposer des solutions aux problèmes qui les envahissent. Autrefois, ces hommes étaient peu accessibles aux étudiants.
C’est qu’alors l’ensemble de notre société avait tendance à traduire la période d’éducation par un âge de stérilité et de silence. Rien d’étonnant aussi à ce que beaucoup de jeunes aient quitté l’école, pressés qu’ils étaient de produire, de « servir à quelque chose », de ne plus être dans l’attente de l’âge adulte.
La mise en branle des forces étudiantes est, en partie, une réaction contre cette conception de l’éducation. Les revendications et les manifestations étudiantes ont longtemps manqué et manquent parfois encore de clarté et de cohésion. Mais il est quand même possible d’y reconnaître un phénomène majeur: les étudiants d’aujourd’hui n’acceptent plus d’être considérés comme improductifs.
Si l’on ne peut expliquer votre productivité dans les mêmes termes que celle du travailleur qui est engagé dans un processus de production, on peut tout au moins la justifier par votre préoccupation pour les réalités sociales, politiques et économiques du Québec. De toutes ces réalités, les questions d’ordre scolaire ne manquent pas de retenir les opinions publiques du Québec. Je pense particulièrement à l’organisation de l’enseignement pré-universitaire et professionnel et l’aide aux étudiants qui s’inscrivent dans le cadre de la démocratisation de l’enseignement et dont l’importance n’est pas insoupçonnée de votre milieu. J’aimerais qu’au tout début de l’année scolaire les leaders étudiants soient bien renseignés sur ces questions et connaissent la véritable position de ministère de l’Éducation, de sorte qu’ils puissent apporter dans leur milieu respectif les informations auxquelles chaque étudiant est en droit de s’attendre.
Depuis que la Commission Parent a publié le deuxième tome de son rapport, l’enseignement pré-universitaire et professionnel est devenu un point de mire pour le Québec tout entier. La situation actuelle des institutions qui dispensent l’enseignement de ce niveau est telle que la Commission Parent estime nécessaire une vaste réorganisation par la création d’un nouveau type d’institution dans laquelle on dispensera tout l’enseignement qui suit immédiatement le secondaire et précède immédiatement l’université.
La nécessité d’organiser ce type d’institution dans notre milieu n’a plus besoin de justification: dans l’hypothèse où la scolarisation des jeunes de 17 à 19 ans atteindrait un niveau considéré comme normal, c’est-à-dire 50% à 55% de ce groupe d’âge, en 1971-1972, environ 125,000 étudiants seraient alors inscrits à des études pré-universitaires et professionnelles; actuellement, on dénombre 77,000 inscriptions à ce niveau, dans les collèges classiques, les écoles normales, les instituts familiaux, les instituts de technologie et les universités. C’est donc dire qu’en cinq ans, l’enseignement de niveau pré-universitaire et professionnel devrait recevoir presque deux fois plus d’étudiants qu’il n’en reçoit actuellement.
Or l’impact d’une telle croissance n’a pas nécessairement à être rencontré au niveau des investissements. Au contraire, on estime qu’une partie importante de la croissance des inscriptions pourrait être absorbée par une organisation rationnelle du réseau des institutions actuelles d’enseignement post-secondaire. Il ne s’agit donc pas de créer de toute pièce ou de détruire ce qui existe déjà, mais bien d’opérer, à partir des ressources existantes, une réorganisation et un regroupement considérable afin « d’assurer au plus grand nombre possible d’étudiants qui en ont les aptitudes la possibilité de poursuivre des études plus longues et de meilleure qualité; (de) cultiver l’intérêt et la motivation chez les étudiants, pour diminuer le nombre des échecs et des abandons prématurés; (de) favoriser une meilleure orientation des étudiants selon leurs goûts et leurs aptitudes; (de) hausser le niveau des études pré-universitaires et de l’enseignement professionnel, (d’)uniformiser le passage des études secondaires aux études supérieures… » A quoi nous pourrions ajouter les objectifs suivants: répondre aux besoins de la croissance des inscriptions; assurer des services scolaires équivalents dans toutes les régions de la province; permettre aux institutions actuelles de mieux définir leur vocation et de situer leur action en toute connaissance de cause; permettre le recyclage, dans chaque région, de la main-d’œuvre active actuelle, de façon à la préparer à des emplois techniques spécialisés.
Je n’ai pas à appuyer davantage sur des choses que vous savez déjà. Je voudrais toutefois vous dire que la prochaine année sera celle de l’enseignement pré-universitaire et professionnel. Les études ayant été complétées, tant par les organismes de planification que par le ministère de l’Éducation, le projet d’organisation de ce niveau d’enseignement devrait maintenant faire l’objet d’une décision du conseil des ministres. Ensuite, au cours des mois qui viennent, il faudra soumettre au parlement un projet de loi permettant aux institutions actuelles qui voudront le faire:
a) de se regrouper dans un cadre juridique et administratif commun;
b) de mettre en commun leurs ressources matérielles et humaines pour dispenser un programme d’enseignement offrant un large éventail d’options, allant de la technologie aux humanités.
Il est évident que l’adoption d’une telle loi par le parlement favorisera nettement les regroupements désirés et augmentera la qualité de l’enseignement actuel. Mais je voudrais indiquer ici que les objectifs visés peuvent être atteints même en l’absence de cette loi. Déjà, à travers le Québec, nous connaissons des regroupements institutionnels dont les résultats sont assurément identifiables. Qu’il me suffise de signaler le consortium de sept institutions de la région de Hull qui, l’an dernier, ont décidé d’un commun accord de regrouper leurs ressources matérielles et humaines afin de dispenser à leurs étudiants un enseignement plus varié et de meilleure qualité. Ce sont: le Collège St-Alexandre, le Collèges Marie-Médiatrice, le Collège Marguerite d’Youville, l’École normale St-Joseph, l’École normale de Hull, l’Institut de Technologie de Hull ainsi que la Commission scolaire régionale Outaouais. En vertu de cette entente, les étudiants de ces diverses institutions sont regroupés physiquement dans les mêmes locaux pour suivre des cours communs. Cet exemple fournit donc la preuve qu’on a pu, par des initiatives privées et indépendamment de toute loi, parvenir à des fins identiques destinées à améliorer l’enseignement de niveau pré-universitaire et professionnel.
Dans cette perspective, il m’apparaît extrêmement important que des expériences-pilotes soient tentées au cours de la prochaine année scolaire, expériences qui seraient fondées sur le principe du regroupement et de la coordination des activités de différents types d’institutions. Ces expériences permettront de vérifier la validité des hypothèses que nous avons déjà formulées et assureront une mise de fonds appréciable dans la poursuite desobjectifs visés.
Pour sa part, la loi créant légalement l’enseignement de niveau pré-universitaire et professionnel permettra, après son adoption, de donner un cadre juridique aux accords conclus entre les différents types d’institution en donnant naissance à des corporations distinctes de caractère public.
Par ailleurs, le parlement devrait être saisi, dès l’automne prochain, d’un projet de loi visant à modifier le système actuel d’aide aux étudiants.
Il est admis de toutes parts que le présent système d’aide aux étudiants de niveaux pré-universitaire, professionnel et universitaire est tout à fait inadéquat. Depuis 1961, aucun changement d’importance n’a été apporté au régime, même si les sommes mises à la disposition des étudiants sous forme de prêts-bourses sont passées de $7.5 à environ $17 millions. Il est donc évident aujourd’hui que le présent système ne permet pas de répondre aux véritables besoins des étudiants, et ne favorise pas suffisamment l’accessibilité aux études supérieures.
Pour répondre aux besoins réels des étudiants dans le cadre du régime actuellement en vigueur, il faudrait augmenter de façon très substantielle le budget consacré par le gouvernement à cette fin. Or vous comprendrez que ce budget ne peut pas être augmenté dans une proportion illimitée. C’est pourquoi le ministère de l’Éducation croit opportun de réaménager le système de l’aide aux étudiants sur la base de principes permettant un juste équilibre entre la part de l’État et la part de l’étudiant lui-même au financement de ses études.
Afin d’atteindre les objectifs visés – l’accessibilité de l’enseignement dans le cadre d’un budget relativement limité -, le réaménagement du système de l’aide aux étudiants devrait impliquer une participation plus systématique de l’étudiant à l’investissement – rentable pour lui – que constitue l’éducation supérieure qu’il Selon cette orientation nouvelle, l’étudiant devrait avoir recours à des prêts pour assurer le financement de la première tranche de ses besoins; l’aide gouvernementale, sous forme de bourses, n’interviendrait que pour combler l’écart entre cette première tranche et ses besoins essentiels totaux, c’est-à-dire les frais de subsistance et de scolarité, déduction faite des revenus propres de l’étudiant et de la contribution de sa famille. Par exemple, l’étudiant pour lequel le coût d’une année scolaire serait
de $1,500 et qui ne disposerait d’aucun revenu propre ou provenant de sa famille, devrait emprunter $500 avant de devenir éligible à une bourse qui pourrait atteindre un montant maximum de $1,000.
Des fonctionnaires du ministère de l’Éducation et du ministère des Finances effectuent présentement des pourparlers auprès des banques et des caisses populaires afin de prévoir un système d’emprunt dont les modalités seraient analogues a celles que prévoient la Loi et les règlements du régime canadien de prêts aux étudiants. Le gouvernement du Québec paierait les intérêts sur les prêts consentis aux étudiants durant la période où ceux-ci demeureraient aux études.
Cette réorientation de la politique de l’aide aux étudiants a fait l’objet de consultation auprès de l’Union générale des étudiants du Québec; celle-ci a officiellement fait connaître son accord au ministre de l’Éducation sur les principes que je viens d’exposer.
Reste maintenant à savoir si nous serons techniquement en mesure de mettre ce nouveau système en application pour la prochaine année scolaire. Depuis environ un mois, le ministre de l’Éducation a constitué une équipe spéciale de travail qui devra mettre au point tous les détails matériels que suppose une application rapide d’un tel programme.
Entre-temps, l’Honorable Jean-Jacques Bertrand, quelques hauts fonctionnaires du ministère et moi-même avons rencontré quelques membres de l’exécutif de l’UGEQ afin de les informer sur l’état actuel des opérations. Du même coup, nous avons indiqué aux représentants de l’UGEQ les modalités du système.
Vous avez pu apprendre par la voix des journaux qu’il y a accrochage sur ce point entre l’UGEQ et le ministère de l’Éducation.
Le système projeté prévoit trois catégories d’étudiants auxquels s’appliqueraient des normes différentes. Quant au montant du prêt dont l’étudiant devrait d’abord assumer la responsabilité, le ministère a établi le barème suivant: pour les étudiants de niveau pré-universitaire et professionnel, le montant maximum de prêt serait de $500; pour les étudiants universitaires du niveau de la licence, il serait de $700; et pour les étudiants universitaires du niveau de 4e et 5e années, il serait de $800. Pour sa part, l’UGEQ insiste pour que ces montants soient réduits à $400 pour le niveau pré-universitaire et professionnel, $500 pour le premier cycle universitaire et $600 pour le second cycle.
Or les chiffres proposés par le ministère de l’Éducation ont été établis après une étude détaillée d’un ensemble de solutions possibles. La solution retenue tient compte, d’une part, de la capacité d’emprunt des étudiants et, d’autre part, – ce qui n’est pas négligeable – des implications du système par rapport au budget du gouvernement.
Je comprends l’intérêt de l’UGEQ pour une réduction du montant maximum des prêts. Mais je comprends aussi que le gouvernement du Québec ne possède pas les disponibilités financières qui lui permettraient de répondre à une telle demande.
Le système sera-t-il mis en application dès cette année? Pour ma part, j’entretiens de vifs espoirs dans le sens d’une application possible. J’espère toutefois que les petits désaccords actuels ne compromettront pas une politique qui n’a pour but que d’assister d’une façon plus convenable les étudiants du Québec.
Voilà le message que je tenais à vous livrer à l’occasion de notre première rencontre. J’espère que vous pourrez lui donner une diffusion large afin qu’il puisse devenir l’amorce d’un dialogue précieux entre le ministre d’État à l’Éducation et tous les étudiants du Québec.