Allocution de l’honorable Marcel Masse, ministre d’État à l’Éducation, à l’ouverture du 16e congrès de la Corporation des instituteurs catholiques tenue à l’Académie de Québec du 1er au 5 juillet 1966

Mes chers amis,

C’est avec grand plaisir que j’ai accepté de remplacer l’Honorable Jean-Jacques Bertrand à cette ouverture du 16e Congrès de la Corporation des instituteurs catholiques.

Il y a relativement peu de temps que j’ai quitté vos rangs pour entrer dans le monde de la politique et occuper le poste de ministre d’État à l’Éducation, mais déjà, il me tardait de vous rejoindre pour poursuivre le dialogue de l’Éducation. Autant vous dire que je me sens parfaitement à l’aise chez vous, car je m’y trouve un peu chez moi.

Le changement politique que vient de connaître le Québec revêt un caractère particulier. Il se situe à une époque où le Québec, à la recherche de son identité propre, connaît un profond bouleversement, où le peuple québécois, conscient d’un retard collectif, a décidé de s’équiper pour entrer dans le rang des sociétés modernes. Il m’apparaît tout à fait légitime que, face à une telle réalité, les citoyens du Québec s’interrogent sur les effets de ce changement politique. Il est tout aussi normal que l’on s’interroge sur le sort qui sera fait à la révolution que nous avons connue, depuis quelques années, dans le domaine de l’éducation. Je n’hésite donc aucunement à réaffirmer la nécessité pour le Québec de poursuivre les réformes qui ont été entreprises, voire même de les accentuer. Il serait tragique que, pour des intérêts exclusivement politiques, un gouvernement, quel qu’il soit, mette un frein à l’évolution multi-dimensionnelle du Québec, et en particulier au progrès de l’éducation.

L’éducation demeure une priorité pour le Québec, et le gouvernement dont je fais partie est résolu à en assurer le développement. En raison de ses incidences politiques, sociales et financières, ce développement doit être planifié.

Plus encore, cette planification doit être dirigée par l’État et, d’une façon particulière, par le ministère de l’Éducation. Elle ne peut être abandonnée à des initiatives dispersées, aussi éclairées seraient-elle s. Celles-ci risqueraient d’assujettir la dimension globale à des intérêts limités.

Néanmoins, pour accomplir sa tâche, le ministère de l’Éducation a besoin de la consultation et du consentement des citoyens, des groupes de citoyens, de ceux que l’on appelle communément les corps intermédiaires. Ceux-ci ont été et seront encore appelés à participer à l’élaboration du plan, à son adoption et à son exécution. Ils ont été appelés, et le seront encore, à déterminer les objectifs à poursuivre, les étapes à franchir, les moyens à prendre pour atteindre les fins visées. Ce style de travail sera indiscutablement maintenu car il traduit la volonté manifeste de réaliser une véritable démocratie.

En effet, le dialogue et la participation en éducation constituent des facteurs de progrès démocratique. Au niveau de l’individu, l’éducation est certes un facteur de progrès démocratique puisqu’elle offre à chacun la clé de son émancipation et de son autonomie personnelle. Elle ne l’est pas moins au niveau de la collectivité, dans la mesure où elle représente un lieu de rencontre susceptible de provoquer un dialogue véritable entre les éléments de la société et une participation active de tous les milieux à l’édification de l’ordre social.

En réalité, les individus, comme les groupes, même s’ils sont de plus en plus sensibles à tout ce qui affecte leur liberté, revendiquent en même temps une participation toujours de plus en plus considérable à tous les organismes de décision qui interfèrent sur le destin de toute la collectivité. Aussi, plus les exigences du bien particulier et du bien commun sont grandes, plus les individus et les groupes éprouvent le besoin de s’identifier, de se définir, et plus ils ressentent la nécessité de prendre part – comme individus ou comme groupes – à la définition des politiques de l’État et à l’organisation sociale de la collectivité.

La participation a cependant ses impératifs. Elle suppose, entre autres, que les hommes qui s’y adonnent soient parvenus à une maturité suffisante pour distinguer les exigences des vocations personnelles et celles du destin collectif, sans jamais les écarter ni les confondre. Or, on sait comment il est difficile de concilier les exigences d’une action collective cohérente avec les aspirations autonomistes des personnes ou des groupes impliqués dans cette action commune. Comme le soulignait M. Arthur Tremblay dans une allocution prononcée à l’ouverture du XIVe congrès de la C. I. C., « ce problème se pose à l’intérieur d’une classe, à l’intérieur des cadres de chaque institution scolaire, dans la perspective de l’individualisation nécessaire de l’enseignement et de la nécessité non moins réelle du travail collectif, en groupes parfois assez considérables ». Il se pose aussi
 » à l’échelle de la planification des politiques scolaires, dans la perspective d’une coordination de l’action des groupes particuliers avec celle des responsables de la totalité du système scolaire ». Dans la mesure où nous serons capables, au Québec, de participer à l’édification de notre avenir, avec les affrontements, les contestations et le développement que cela suppose, nous parviendrons à réaliser une véritable démocratie. « Être démocrate, disait Jean Lacroix, c’est admettre que la lutte est source de progrès et s’efforcer de l’orienter vers le concours et le dialogue, c’est-à-dire vers la confrontation des paroles au lieu de l’échange des coups. Le sens de l’homme, c’est le verbe; et la démocratie est le régime le plus humain parce que c’est la parole en définitive qui y décide et qui y règne. La démocratie est un langage et, dans tous les sens du terme, le démocrate est l’homme de la parole et du dialogue ».

Depuis sa création, le ministère de l’Éducation a fait l’expérience de la participation et a établi les diverses formules de dialogue, particulièrement dans le cadre de l’Opération 55. Le nouveau gouvernement n’entend aucunement y mettre un terme; au contraire, il est désireux de la poursuivre et même de la parfaire. Pour ma part, je pense que la mise en application du Règlement no I constitue une occasion de participation intense. Je ne voudrais pas rater l’occasion qui m’est offerte de m’adresser à des enseignants pour le souligner.

Si les lois, les décrets et les règlements peuvent transformer rapidement les structures administratives, voire même l’organisation matérielle des écoles, ils ne peuvent cependant pas transformer aussi facilement la pédagogie pratiquée quotidiennement par les maîtres, les attitudes et les mœurs des parents, des commissaires d’écoles et des administrateurs scolaires. Toute réforme profonde de l’enseignement proprement dit exige l’engagement personnel et collectif de tous ceux que la réforme doit affecter. Cet engagement suppose une solide connaissance des principes qui justifient les mesures nouvelles et l’esprit qui les inspire. Il suppose également de sérieuses motivations, car une action dynamique ne peut résulter que de convictions profondes.

Par ailleurs, cet engagement doit être collectif. Chacun doit être pleinement conscient que sa participation individuelle est indispensable à la réforme proposée et que le succès de celle-ci dépend, en partie, des efforts personnels qu’il fournira. Cependant, l’action de chaque individu, quelle que soit sa valeur originale et exclusive, ne peut être qu’une composante de l’action commune de toute une collectivité. Toutes les personnes intéressées à la réforme de notre système d’enseignement doivent évidemment travailler en commun à la réalisation des mêmes objectifs, au niveau d’une même école, ou d’une même commission scolaire, ou d’une même région. Leur action doit être concertée.

Le Règlement no 1 définit les conditions dans lesquelles, désormais, l’enseignement devrait être dispensé dans les écoles élémentaires et secondaires. Il s’inspire d’une conception essentiellement personnaliste et sociale de la pédagogie et il est conçu de façon à provoquer une réforme profonde des méthodes d’enseigner. Son application éventuelle est de nature à bouleverser aussi bien les traditions pédagogiques des maîtres et des administrateurs scolaires que les habitudes des parents et des élèves. L’impact de sa mise en vigueur sera tel que les personnes affectées devront elles-mêmes avoir évalué les implications du règlement et décidé elles-mêmes de son application.

Pour atteindre les objectifs visés, sans pour autant promulguer de directives formelles, le ministère de l’Éducation croit donc normal de remettre le sort du Règlement no 1 entre les mains de ceux-là mêmes qui auront à le vivre quotidiennement. Ainsi, les maîtres sont appelés à assumer une très grande responsabilité dans les réformes pédagogiques préconisées par le Règlement no 1.

Tout comme ceux qui l’ont pensé, j’estime que le fait de reconnaître aux enseignants cette liberté de participer activement à l’orientation de l’enseignement engage la responsabilité de ceux-ci de façon plus vitale et plus authentique que ne le pourraient faire de minutieuses directives élaborées par le ministère de l’Éducation, en circuit fermé.

Cette occasion ne représente pas moins qu’un défi: elle nous permettra de voir si les enseignants désirent vraiment bénéficier de l’autonomie, de l’initiative et de la liberté qu’ils sont désormais en mesure d’exercer afin d’adapter la pédagogie aux conditions concrètes et aux besoins particuliers de leur milieu respectif.

Pour ma part, j’ai toujours perçu la participation des enseignants à la mise en application du Règlement no I comme l’épreuve dominante de la démocratie scolaire chez nous, pour ne pas dire celle de la démocratie tout court. Je sais, pour m’y être frotté moi-même, que cette expérience n’est pas facile. Mais il est impérieux que chaque enseignant s’engage résolument dans le renouveau pédagogique, sans quoi il sera assurément impossible de bâtir l’école moderne, de revaloriser le statut de l’enseignement, de former de nouveaux citoyens.

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