1837 : causes et conséquences

DIRECTEUR DE LA SSJB DE JOLIETTE DANS LE CADRE DE LA SEMAINE NATIONALE DE LA SAINT-JEAN-BAPTISTE, CLUB RICHELIEU JOLIETTE,17 MARS 1960

La période la plus importante, la plus significative de l’évolution du Canada français est sans contredit celle de 1837-1840.

Cette période marque la consécration de la Conquête du siècle précédent. Elle fait de la nation canadienne-française l’appendice du Canada anglais. Elle marque la fin du régime de l’État (1791) séparé.

Depuis ce temps, les Canadiens français ont continué intérieurement d’être fiers de leur nationalité mais ils ont souvent senti ce que Durham prévoyait, la douleur d’être une Nation à la remorque.

Ils l’avouent rarement mais comme groupe ils prennent souvent l’allure de chiens battus. Contrairement à ce qui devrait normalement se passer, plusieurs chez cette élite exècrent les nationalistes, ceux qui n’acceptent pas la subordination au Canada anglais. Nous pouvons dire que plusieurs sont assimilés étant donné qu’ils acceptent le fait de l’infériorité politico-économique de leur race.

La période de 1837-1840 a replacé dans la voie normale l’évolution du Canada. En effet les Canadiens anglais, vainqueurs de la colonisation en Amérique ne pouvaient accepter d’être dirigés par les vaincus.

Pour bien comprendre la crise 37-40, il est nécessaire de l’étudier d’abord pour ce qui est de l’ensemble des colonies et deuxièmement pour le Bas-Canada, soit le Québec d’aujourd’hui.

Pour l’ensemble des colonies britanniques en Amérique.

Analysons d’abord le conflit politique existant dans toutes les colonies britanniques en Amérique.

L’oligarchie naturelle de toutes les colonies, celle qui se sait capable de remporter des élections, qui se sait appuyée par le peuple, est en lutte contre l’oligarchie soutenue et nommée par une Gouvernement de l’extérieur, c’est-à-dire par Londres.

Nous pouvons qualifier cette lutte de provinciale, c’est-à-dire de lutte pour l’autonomie interne, coloniale, une autonomie plus grande que celle que nous avons aujourd’hui, étant donné que les taxes ne sortent pas de la colonie.

Fatalement, voulu ou non, cette autonomie place sur la voie de l’indépendance. Cette lutte, comment les chefs l’envisagent-ils?

Dans le Haut-Canada, l’Ontario d’aujourd’hui, Mackenzie insiste sur un Conseil législatif électif, parce que les mesures votées par l’Assemblée, celle élue par le peuple, sont bloquées à l’étage supérieur par les créatures du gouverneur.

D’autre part, Baldwin va droit au but, pour lui le Conseil législatif électif n’est pas important, il a un rôle secondaire. Il demande la responsabilité provinciale, les pouvoirs généraux demeurant quand même à Londres.

Le même conflit existe dans les Maritimes à un degré différent. Un peu au Nouveau-Brunswick, férocement dans l’Ile-du-Prince-Edouard, surtout en Nouvelle-Écosse.

Dans le Bas-Canada, le Québec d’aujourd’hui, Papineau se concentre sur le Conseil législatif à rendre électif. Pour lui, l’idéal, c’est le gouvernement par les Chambres, les ministres n’étant que des commis chargés de départements.

Les demandes des Canadiens français équivalent, comme les demandes des autres parties du territoire, au contrôle des affaires intérieures. Ils savent que celles-ci les mènent à l’indépendance. Ils veulent devenir indépendants mais rester alliés à la Grande-Bretagne.

Certains Britanniques réformistes collaborent avec Papineau, ils accepteraient une majorité canadienne française. À leur tête, Neilson de Québec.

Quelques marchands de Montréal qui n’aiment par le Family Compact ne peuvent accepter le gouvernement par les Canadiens français. Ils sont réformistes mais ne peuvent se soumettre à la majorité canadienne française. Pour sa part, l’oligarchie des hauts responsable. «Si vous n’êtes pas contents du gouverneur, mettez-le en accusation à Londres.»

Devant ce problème politique dans toutes ses colonies de l’Amérique, que répond Londres?

On admet généralement que pour plus tard, les colonies soient indépendantes. Pour le moment, il est nécessaire de corriger les abus apparents. Mais il n’est pas question d’un conseil législatif électif, ni d’un conseil exécutif responsable car alors le rôle du gouverneur deviendrait nul. Ce qui est exact.

B- Dans le Bas-Canada, s’ajoute un conflit national.

En plus de ce conflit politique, le Bas-Canada doit faire face à un conflit national.

Pour les Canadiens français, ce n’est qu’un conflit politique, il n’est pas question de
race.

Ils ont droit à être une Nation. Cela leur est reconnu par le désaveu de la Constitution de 1763, de nouveau consacré par la division de 1791. Pour eux la question de race a été réglée dans la mesure du possible par la division de 1791 qui sépare les Anglais des Français.

Si les Britanniques veulent être en majorité, avoir leurs lois, ils doivent s’établir dans le Haut-Canada. S’ils veulent rester dans le Bas-Canada, ils doivent se conduire comme une minorité.

S’il y a une crise de race, la faute en est à la minorité britannique qui veut se conduire comme si elle était la majorité.

Ainsi raisonnent les Canadiens français.

Pour les Britanniques du Bas-Canada, la question en est surtout une de race, bien qu’il y ait aussi la querelle de principes comme dans les autres colonies.

Pour eux le nationalisme canadien français doit disparaître. Les demandes de l’oligarchie naturelle des Canadiens français signifient une République canadienne française sous couronne britannique. Les vainqueurs seraient gouvernés par les vaincus.

Montréal tomberait sous domination canadienne française. Ainsi les Canadiens français commanderaient au reste du British North America, au Haut-Canada étant donné que les revenus du gouvernement proviennent des droits de douanes et que les ports sont situés dans le Bas-Canada.

Il est donc important pour le British North America de ne pas laisser se constituer une République française.

Tout cela dit, cet aspect du problème est bien compris des Britanniques du Bas-Canada mais incompris du Haut-Canada et des Maritimes. Les Britanniques du Bas-Canada sont donc seuls avec leur problème. La République française empêcherait les Britanniques de peupler le Bas-Canada qui est à peine peuplé, 1/6 des terres. Mais les Britanniques affaiblissent leur raisonnement en prétendant que les Britanniques du Bas-Canada et le reste du British North America seront mal gouvernés par les Canadiens français parce que ce sont des ignorants, des anti-commerce, des féodaux etc. Les Canadiens français démolissent facilement ces arguments. Les Canadiens anglais font de la surenchère.

La seule raison, c’est que les Canadiens français se gouvernant par eux-mêmes, deviendraient indépendants et paralyseraient le British North America. À ce problème, deux solutions. La première, l’Union des 2 Canada ou de tout le British North America. Les Canadiens anglais accepteraient une province, mais pas une République canadienne française. L’autre solution, la manière forte, l’assimilation.

Cette dernière méthode répugne à Londres. L’on préférerait que Montréal passe au Haut-
Canada et que Québec devienne port libre. Mais dans la mesure du possible, Londres va essayer de satisfaire les Canadiens français.

C- Crise et révolte

Voyons maintenant la crise elle-même. Dans le Haut-Canada, Mackenzie prend l’ascendant sur les réformistes. Il veut s’emparer de Toronto par la force. Sa conception est différente de celle de Papineau.

Dans le Bas-Canada, les Canadiens français jettent à bas la machine constitutionnelle.

Les Canadiens français veulent faire peur à Londres par de grandes assemblées. Mais il n’est pas question de l’emploi de la force.

La paralysie est générale dans le Bas et le Haut-Canada dans les domaines coloniaux et économiques. On aurait pu se quereller seulement dans le domaine politique, mais la crise est profondément inévitable.

dès 1760, les Canadiens français sont dotés d’une nationalité et ils veulent lutter, comme dans les autres colonies, contre l’oligarchie.

Voulant tuer cette oligarchie, ils en viennent à ne plus vouloir voter les crédits nécessaires pour ne pas favoriser leurs ennemis.

Montréal, pièce tournante de toute l’économie du British North America est en retard dans le domaine économique: canaux, chemins de fer, etc.

La crise réelle d’ordre politique et sociale détraque la machine économique. Ce sont les gens de la finance, les Britanniques qui sont directement atteints.

Les colons eux-mêmes se détournent de la vallée du Saint-Laurent, de sorte que ce nationalisme naturel des Canadiens français qui vise à s’emparer du Bas-Canada bloque la colonisation britannique. C’est le fait le plus important.

Il faut ajouter à cela une crise passagère dans le domaine de la finance aux États-Unis comme ici.

Tout cela devait aboutir. La crise avait trop souvent été remise. Londres change le gouverneur; Gosford remplace Aylmer.

Il reçoit l’ordre de traiter justement les réformistes mais il n’est pas question de céder au sujet du Conseil législatif.

Par sa politique, Gosford agave la Constitution de 1791. Les Canadiens français deviennent en majorité dans les deux conseils.

Londres est en train de céder aux Canadiens français.

Les Britanniques ne peuvent accepter cela. En la Chambre, la grève continue.

Papineau conseille de désobéir aux lois, il encourage la contrebande parce que les revenus seront nuls si le gouvernement ne perçoit pas de droits de douanes. Sans en être l’instigateur, il laisse s’organiser de petites républiques locales dans les régions du Richelieu et des Deux-Montagnes. Papineau est maintenant trop loin pour reculer. Il se laisse dépasser par l’aile militaire qu’il avait tolérée.

Un comité militaire se forme. De leur côté, les Anglais s’organisent. Le choc eut lieu à Montréal, le 6 novembre 1837 entre deux bandes armées.

Gosford n’a plus confiance, il émet un mandat d’arrestation contre le chef des Canadiens français et le président de la Chambre. C’est la rupture entre l’Assemblée et le gouverneur. Il suspend la Constitution et demande son rappel.

Les rencontres de Saint-Denis, Saint-Charles, Saint-Eustache, etc, n’ont pas d’importance.

D- Conséquences

Ce sera la fin du séparatisme de 1791.

Ce sera l’Union des 2 Canada.

En Amérique, nous sommes donc en face de deux régimes: United States of America et British.

North America. Deux systèmes bâtis par la colonisation anglaise, l’un des deux a comme appendice, le Canada français. Ce sera la belle époque, l’âge d’or du Canada anglais. Il pourra accueillir immigrants et capitaux, construire canaux et chemins de fer.

Le British North America recevra l’autonomie interne qui sera la base de son indépendance totale.

Pour le Canada français, c’est la consécration de la Conquête, la superposition à un peuple majoritaire. Être minorité dans un Canada indépendant équivaut à ne pas avoir de pouvoirs généraux, pas de source métropolitaine, pas de capitaux, une seule caisse publique.

Les Canadiens français, quelles que soient leurs idées n’y peuvent rien. Nous aurions pu nuire au Canada anglais, mais nous n’aurions pu rien empêcher. Mais ce n’est pas parce que c’était impossible de faire autrement que cela diminue le fait.

Nos pères n’ont pas fait fausse route, il n’y en avait qu’une seule possible. Ils ne pouvaient pas arrêter d’avoir des enfants, ils ne pouvaient pas disparaître comme groupe, ils ne pouvaient pas faire sauter le Canada anglais, ils n’avaient pas le choix de la situation. Ils devaient donc s’entendre avec le Canada anglais.

Pour résumer la situation des Canadiens français dans le Québec, et conclure, citons Marcel Pagnol dans une de ses pièces, la femme dit à son mari: « C’est toi le maître, mais c’est moi qui commande ». La femme c’est le Canada anglais et le maître, le Canada français.

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