Discours du trône, Québec, 29 novembre 1994

Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le premier ministre,
Monsieur le chef de l’opposition officielle,
Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs de l’Assemblée nationale,
Distingués invités,
Mesdames, messieurs,

Il m’est très agréable d’accueillir aujourd’hui les femmes et les hommes que les Québécois ont choisis pour relever les défis qui s’offrent à la société québécoise.

Cette Assemblée, la trente-cinquième de notre histoire, est nouvelle à plus d’un titre. Presque la moitié des élus, 55 sur 125, y siègent pour la première fois. Leur arrivée dans l’opposition, sur les banquettes ministérielles et au sein de l’équipe gouvernementale est le symbole vivant de l’éternel renouvellement de la démocratie, un signe de sa Santé et de son dynamisme. Je leur souhaite tous la plus cordiale bienvenue.

L’Assemblée compte un nouveau premier ministre, Monsieur Jacques Parizeau, ainsi qu’un nouveau chef de l’opposition, Monsieur Daniel Johnson. Ce n’est pas la première fois qu’ils se feront face, mais ils sont chacun investis de nouvelles fonctions. Il leur incombe, à tous les deux, d’imprimer aux débats de cette Chambre un climat de civilité et de respect mutuel. Les citoyens veulent un gouvernement actif, une opposition vigilante, mais ils tolèrent de moins en moins les remarques acerbes, la mauvaise foi et les faux-fuyants.

Il est donc heureux que cette Assemblée puisse compter, des deux côtés de la Chambre, sur deux hommes d’honneur, deux hommes d’expérience qui sauront donner aux débats démocratiques le caractère constructif et noble auquel les Québécois ont droit.

Ils le feront sous l’œil rigoureux du nouveau président de l’Assemblée, Monsieur Roger Bertrand, député de Portneuf, de ses vice-présidents, Monsieur Pierre Bélanger, député d’Anjou, Monsieur Raymond Brouillet, député de Chauveau. Le leader parlementaire du gouvernement, Monsieur Guy Chevrette, et celui de l’opposition, Monsieur Pierre Paradis, sont déjà rompus aux règles et usages de cette Assemblée, et je m’attends à ce qu’ils collaborent pour en assurer le bon fonctionnement.

Je profite de l’occasion pour saluer tous ceux qui nous ont quittés depuis la dernière session; certains nous ont quittés par choix personnel, d’autres ont dû se plier à la volonté des électeurs. Je leur souhaite tous bonne chance dans leur nouvelle carrière et je les remercie pour les années consacrées à l’exercice démocratique. Mais je voudrais souligner, particulièrement, le décès de votre collègue Gérald Godin. Il était également un de mes amis. Il a su faire profiter cette Chambre, pendant près de 20 ans, de son ouverture, de sa bonhomie et de sa poésie. Il nous manquera énormément.

Il y a, dans cette nouvelle Assemblée, de l’enthousiasme et de l’expérience. Le cadet, Monsieur Mario Dumont, député de Rivière-du-Loup, n’est pas le moins vigoureux d’entre vous. L’aîné, Monsieur Camille Laurin, député de Bourget, a pris sur lui l’exigeante fonction de coordonner l’action gouvernementale à Montréal.

Je voudrais signaler en particulier la place des Québécoises. Elles ne sont pas plus nombreuses que dans l’Assemblée précédente. Cependant elles sont plus puissantes que jamais. Le premier ministre a choisi de leur donner le tiers des places de son équipe gouvernementale. Surtout, au sein de l’important Comité des priorités, il a nommé trois femmes et trois hommes, instaurant ainsi, pour la première fois, le principe de l’égalité au sommet de l’État québécois. Voilà une réalisation que tout le Québec a raison d’applaudir.

Le premier ministre a également choisi de restreindre le nombre de ses ministres à moins de 20, par mesure d’économie et de saine gestion. Il a aussi limité le personnel ministériel à cinq conseillers par ministre, une économie substantielle qui est aussi une marque de confiance et de respect pour la fonction publique québécoise.

De même, il a aboli les comités interministériels, sauf celui des priorités, pour alléger et donc accélérer le processus de prise de décision. Il a aussi choisi de ne pas combler tous les postes d’adjoints parlementaires de ministres, mais de créer, à la place, le nouveau poste de délégué régional, qui fait en sorte que les dossiers des régions sont maintenant relayés directement au sommet. Cette façon novatrice de concevoir le lien entre les régions et la capitale est le premier signe d’un rapprochement entre le gouvernement québécois et les citoyens. C’est le premier pas aussi vers une plus grande prise de responsabilité en ce qui a trait aux leviers de décision dans les régions.

Dans l’année qui s’ouvre, le Québec est confronté à de grands défis. Celui de l’emploi, d’abord, et de la pauvreté, celui de la jeunesse et celui de la condition des femmes aussi. Le gouvernement a l’intention d’agir sur ces fronts de manière déterminée, comme vous l’expliquera le premier ministre tout à l’heure.

La majorité des députés de cette Assemblée ont aussi été élus pour proposer aux Québécois de franchir une autre étape, une grande étape, celle de la souveraineté. Le gouvernement entend bien la préparer et bien l’expliquer. Il veut aussi faire participer les Québécois au processus de préparation du projet souverainiste, pour que cette décision collective et démocratique, si elle était acceptée, soit celle de tous les Québécois.

Le gouvernement vous proposera, au cours de cette session, plusieurs législations dans les domaines social, économique et culturel. Vous aurez alors l’occasion de faire valoir vos opinions sur chacune d’elles. Je suis convaincu que vous rechercherez à faire triompher, dans ces échanges, la règle du droit dans le meilleur intérêt de notre population.

Mesdames et messieurs. les députés, dans l’année qui vient, vous allez faire l’histoire. Votre responsabilité n’en est que plus grande. Votre dévouement, votre lucidité, votre sérénité n’en sont que plus nécessaires, et je vous remercie d’avance, au nom de tous les Québécois. Je prie la divine providence de vous éclairer, de vous aider et de vous bénir. Je vous remercie.

Le Président : Alors, mesdames, messieurs, Si vous voulez bien rester à vos places quelques instants! A l’ordre, s’il vous plaît ! Mesdames, messieurs les députés, vous êtes priés de vous asseoir. Affaires du jour Affaires prioritaires Discours d’ouverture Et j’invite maintenant Monsieur le premier ministre à prononcer le discours d’ouverture de cette première session de la Trente-cinquième Législature. Monsieur le premier ministre.

Des voix: Bravo!

Monsieur Parizeau:

Monsieur le Président,
Monsieur le chef de l’opposition,
Mesdames et messieurs les députés,
Mesdames et messieurs,

Il s’est produit, le 12 septembre dernier, un événement important: les Québécois ont voté. Ils ont jugé bon de remplacer l’équipe qui formait le gouvernement. C’est l’expression d’un désir de changement, c’est le signal d’un nouveau départ, et nous ne sommes pas peu fiers de la confiance que les Québécois ont investi en nous. C’est aussi l’expression d’une saine alternance entre les partis qui, après deux mandats de gouvernement, doivent se ressourcer dans l’opposition.

Mon parti revient au pouvoir avec un programme transformé, des idées adaptées au Québec d’aujourd’hui et de demain, une équipe renouvelée. Je souhaite au député de Vaudreuil, que je salue dans ses nouvelles fonctions de chef de l’opposition, de savoir lui aussi se réinventer dans les années qui viennent.

L’année qui s’ouvre va être une des plus emballantes de l’histoire du Québec. Nous voulons, d’une part, accompagner la société québécoise dans sa sortie de crise économique. Les Québécois ont des prédispositions pour le travail bien fait et pour la bonne humeur. Ils n’attendent que le signal de la fin de la morosité. Nous sommes en train de le donner. Nous voulons aussi, dans le prolongement de cette action, permettre aux Québécois de s’inventer un pays qui leur ressemble et qui les rassemble.

Cet automne, les Québécois ont donc choisi l’autre façon de gouverner. Qu’est-ce que ça signifie? Pour l’essentiel, ça signifie la volonté, la clarté, la solidarité et la responsabilité.

La volonté, d’abord, parce que l’équipe gouvernementale aborde son travail avec une énergie et une détermination peu communes.

Jusqu’à récemment, un climat d’immobilisme s’est installé sur le Québec. Pendant neuf ans, on a entendu le refrain du: On ne peut pas; c’est compliqué; on n’a pas les moyens; on verra; ça dépend; c’est fatigant. Il fallait des années pour décider de la couleur de la margarine. Plusieurs, chez les libéraux, se sont battus en vain contre ce rapetissement des horizons, mais l’exemple venait de haut.

Les Québécois méritent mieux. Lorsque, dans les années soixante, le gouvernement du Québec disait : “Québec sait faire”, c’était un acte de foi. Lorsqu’au même moment Pierre Bourgault scandait : “On est capables”, c’était presque un vœu. Aujourd’hui, ce sont des évidences. 70 % de notre économie est contrôlée par des intérêts québécois. Nos petites caisses populaires sont devenues notre premier employeur privé. Le Québec est maintenant le berceau de très grandes entreprises qui ont pour nom Bombardier, Quebecor, Cascades, SNC-Lavalin et dont la réputation internationale n’est plus à faire. Nos films, nos danseurs, notre théâtre, notre cirque, nos logiciels promènent aujourd’hui aux quatre coins du globe le message que le Québec moderne, dynamique est présent au monde.

Il a donc fallu une dose gigantesque de soporifique pour faire oublier aux Québécois combien ils étaient capables. C’est pourquoi je suis heureux de vous annoncer que la volonté politique a repris le pouvoir à Québec. Et, pour paraphraser le slogan d’une de nos entreprises, je dis à tous nos citoyens. L’ambition, c’est permis.

Le gouvernement n’a pas réponse à tout et, j’aime autant vous le dire tout de suite, nous allons probablement faire des erreurs. Mais, s’il faut illustrer comment nous allons gouverner autrement, quoi de mieux que de résumer ce que nous venons de faire.

Nous avons gardé ouvertes des écoles de quartier ou de village, à Batiscan et à Jonquière, par exemple. Nous avons lancé un programme de démarrage d’entreprises. Nous avons enlevé la bride qui avait été imposée au Fonds de solidarité des travailleuses et des travailleurs du Québec. Nous avons commencé à rétablir une présence policière dans les communautés d’Oka et de Kanesatake, dans le respect des différences. Nous avons assuré aux femmes et aux hommes travaillant dans les garderies à but non lucratif l’augmentation de salaire qui leur revenait. Nous avons relancé sur des bases nouvelles le dialogue avec les employés de l’État. Nous avons assuré la survie du Plan de l’Est, sur lequel comptent 5 000 producteurs forestiers. Nous avons fait honorer en quelques jours, par Ottawa, le compte en souffrance de 34 000 000 de dollars du référendum de Charlottetown. Nous avons remis les relations entre la France et le Québec sur un socle nouveau et prometteur. Nous avons pris la décision d’implanter un casino en Outaouais et débloqué le projet de l’institut national de l’image et du son, à Montréal. Nous avons retrouvé la directive de nos prédécesseurs qui évoquaient une hypothèse affolante, celle de taxer les traitements de chimiothérapie, et nous l’avons mise à la déchiqueteuse, au grand soulagement de milliers de patients et de familles. Nous avons réactivé le programme de subvention à la relève agricole. Nous avons resserré les mesures de sécurité dans l’industrie du camionnage. Nous avons sauvé des coupures fédérales un des programmes d’insertion au marché du travail les plus efficaces au Québec: le Carrefour jeunesse-emploi de Gatineau. Nous avons relancé, dans un climat d’ouverture, les relations avec nos concitoyens autochtones, notamment avec les Montagnais et les Attikameks.

Et j’ai pris une décision majeure: j’ai annoncé que mon gouvernement n’allait pas s’engager dans le projet Grande-Baleine pour la simple raison qu’il n’a jamais été prouvé que nous avions besoin de cette énergie. Depuis des années, Grande-Baleine était un mirage au milieu d’un marais, et je veux être clair – ni avant ni après le référendum mon gouvernement n’a l’intention de s’y embourber.

Cette liste n’est pas exhaustive, mais voilà les principales mesures que nous avons réalisées en deux mois et trois jours.

Nous voulons incarner, donc, le retour de la volonté; nous voulons aussi incarner le retour de la clarté.

Ces dernières années, nous avons eu droit à un gouvernement qui avait fait du louvoiement et du double langage une pratique quotidienne. On a même vu un premier ministre – pourtant gardien de la légitimité des institutions – signer un document portant sur l’avenir de tout le Québec, en sachant qu’il avait l’intention de renier sa signature. Nous l’avons vu ensuite faire voter par cette Assemblée une loi qu’il était pourtant déterminé à ne jamais respecter. On a peine à mesurer le dommage causé au lien de confiance.

Dans son propre discours inaugural, après son élection du 15 novembre 1976, René Lévesque disait, et je le cite: Dans le fonctionnement d’une société démocratique, il n’est probablement rien de plus indispensable que la crédibilité des institutions politiques et celle des partis qui se forment en vue d’en assumer la direction.

Monsieur Lévesque s’apprêtait à assainir le financement des partis politiques et à porter au patronage un coup fatal. Lorsqu’il avait entrepris ces combats, on le disait idéaliste, irréaliste. Il a pourtant donné aux Québécois une politique propre, un système d’adjudication des contrats intègre. Il nous a donné une grande leçon que je résumerais ainsi: L’idéalisme, c’est permis.

Il a aussi instauré, dans la vie politique, une attitude nouvelle: un gouvernement qui tient ses promesses. Et il les a tenues, avec plusieurs des députés et ministres que j’ai l’honneur d’avoir maintenant dans mon équipe: zonage agricole, protection du consommateur, loi antibriseurs de grève, Charte de la langue française, et combien d’autres encore.

Au nom de tous les membres de mon parti, de mon caucus et de mon gouvernement, je prends aujourd’hui l’engagement d’être fidèle à la tradition de René Lévesque. Mon gouvernement va dire ce qu’il pense; mon gouvernement va faire ce qu’il dit.

Le premier geste législatif de ce nouveau gouvernement prolongera l’action de démocratisation engagée par René Lévesque. Le ministre responsable de la Réforme électorale présentera, avant Noël, un projet de loi visant à créer une liste électorale permanente. Elle permettra d’établir, hors de tout doute, que seuls les électeurs qui ont le droit de vote votent. Vous savez quel prix personnel ce gouvernement vient de payer pour défendre ce principe. La liste permanente assurera ainsi aussi que les électeurs votent dans la circonscription où ils ont leur résidence principale, et pas ailleurs.

La probité des membres du gouvernement doit aussi être irréprochable. Monsieur Lévesque avait imposé des règles strictes aux ministres. C’est une pratique que le gouvernement précédent a respectée, et nous poursuivons dans cette voie. La probité de la haute fonction publique non plus ne doit pas faire de doute. Mais il faut pousser plus loin, car c’est particulièrement dans la zone grise des sociétés d’État, des organismes qui gravitent autour de l’État, dans les filiales d’entreprises publiques, dans les compagnies où elles détiennent des intérêts importants que se retrouvent maintenant des pratiques parfois intolérables: des allocations de départ princières, de contrats mirobolants. Dans un cas récent, un ancien organisateur politique avait un poste de direction où on lui versait même 10 000 dollars pour qu’il fasse produire sa déclaration d’impôt personnelle. Quand ça en est rendu là, il faut intervenir. Le ministre de la Justice proposera, sous peu, un projet de loi sur les règles de conduite qu’il faudra respecter à l’avenir pour éviter les abus dans ces secteurs.

Beaucoup de citoyens doutent de l’équité avec laquelle les impôts sont perçus et les subventions sont versées. Ce doute mine, aussi, la confiance. Je ne dirai pas, aujourd’hui, qu’ils ont tort de douter. Depuis quelques semaines, j’épluche, avec le ministre des Finances, les comptes de l’État et j’ai fait quelques troublantes découvertes. D’une part, les vérificateurs chargés d’enquêter, souvent de pinailler, sur les revenus des plus démunis, les prestataires d’aide sociale, sont plus nombreux que jamais, mais les vérificateurs chargés de réviser les rapports d’impôt des sociétés et des Québécois les plus fortunés sont moins nombreux que jamais. Environ 900 avaient été remerciés. Je vous rassure, nous en avons déjà réembauché plus de la moitié. C’est le monde à l’envers.

Par ailleurs, de grandes entreprises très profitables réduisent leurs impôts grâce à de généreux crédits d’impôt pour des activités qu’elles auraient, bien souvent, accomplies de toute façon.

Imaginez! Le gouvernement canadien vient de modifier les règles pour la réclamation des crédits d’impôt en matière de recherche et de développement. Manque à gagner pour Ottawa ? 500 000 000 de dollars. Qui en a profité le plus? Pour plus de la moitié de ce cadeau, les banques, qui se dirigent cette année vers des profits de 4 000 000 000 de dollars. Les pauvres!

Qu’a fait l’ancien gouvernement québécois? Puisqu’il avait bêtement adopté les mêmes normes qu’Ottawa, il s’est obligé à donner un crédit supplémentaire de 100 000 000 de dollars, particulièrement aux banques. Et, pendant ce temps-là, Québec coupait des centaines de millions dans les hôpitaux, les écoles, les municipalités. De toutes les choses que j’ai vues depuis deux mois, aucune ne m’a autant scandalisé que celle-là.

Le lien de confiance, il faut le rétablir, entre les citoyens et la justice. Aujourd’hui, au Québec, hormis le système des petites créances, on ne va au tribunal que si on est très pauvre ou alors très riche. L’instrument qu’est l’aide juridique ne joue plus efficacement son rôle. Le ministre de la Justice proposera, au printemps, une réforme de cet instrument.

Il faut réduire aussi les délais. Dès la semaine prochaine, le ministre déposera, à cette fin, un projet de loi qui remaniera les juridictions des tribunaux québécois et l’automatisme de la suspension des jugements portés en appel. Il nous proposera aussi, sous peu, une loi de réforme des tribunaux administratifs pour mettre fin à cet interminable débat.

Rétablir le lien de confiance, c’est aussi démontrer que l’État ne veut pas être un fardeau pour les contribuables et les entrepreneurs. Les heures passées à remplir des formulaires plus compliqués les uns que les autres sont autant de temps volé au travail et à la recherche. Le labyrinthe des 500 programmes gouvernementaux est d’une telle complexité que beaucoup de citoyens et d’entreprises hésitent à y mettre le pied de peur de ne jamais revoir leur famille. Je les comprends.

Avant la souveraineté, nous ne pourrons rien faire pour mettre de l’ordre dans les programmes canadiens. Ce n’est pas faute de vouloir. Mais nous allons commencer à faire un bon ménage dans les programmes québécois. Le ministre de l’Industrie et du Commerce annoncera notre stratégie de réduction de la paperasserie et d’harmonisation des 220 programmes d’aide à l’entreprise. La ministre de l’Emploi fera le même exercice dans les 72 programmes de formation et d’employabilité en créant un guichet québécois unique. Bref, vous le voyez, nous voulons qu’entre les Québécois et leur gouvernement les choses soient claires, franches, directes.

J’ai parlé de notre volonté d’agir – c’est dans notre nature. J’ai parlé de la clarté dont nous voulons faire preuve – c’est notre façon d’être. Je n’ai pas parlé du moyen que nous voulons employer pour faire bouger les choses.

Je vous disais, au début, que le Parti québécois s’est renouvelé dans l’opposition. Il a connu, en fait, au moins deux révolutions culturelles, Si l’on peut dire. La première concerne le rôle de l’État dans la gestion des affaires communes, la seconde concerne le rôle des Régions.

Lors de notre dernier passage au pouvoir, il nous semblait que l’État devait être l’outil privilégié, qu’il fallait, en certains cas, en étendre la présence, et nous l’avons fait, souvent avec succès. Mais nous pensons aujourd’hui que là où l’État agit seul, il agit mal.

Deux de nos actions récentes illustrent cette nouvelle façon d’agir. Le Programme de démarrage d’entreprises est une initiative du gouvernement, bien sûr. C’est l’État qui garantit 90% du prêt de 50 000 dollars auquel tout nouvel entrepreneur peut avoir droit, mais chaque dossier est administré par les banques et les caisses populaires, donc localement, donc par des personnes et des institutions qui ont intérêt à ce que chaque entreprise nouvelle devienne un client rentable.

Notre action en faveur du Fonds de solidarité s’inscrit dans cette même logique. Il n’est pas question que l’État se substitue à ce fonds de capital de risque. Deux autres initiatives de ce type sont en gestation. L’État insiste pour que les régions profitent de ce capital, mais, pour le reste, il garde ses distances.

L’État a agi seul et a agi mal dans le dossier de la construction. On n’a pas le droit d’enlever d’un trait de plume le droit à la pension à 20 000 travailleurs. La ministre de la Concertation déposera très bientôt on projet de loi qui corrigera cette iniquité.

La loi 142 sera remplacée, car, en plus, c’est une véritable loi de promotion du travail au noir. Depuis son adoption, environ 40 000 000 d’heures de travail de construction ont disparu des registres. Bravo!

L’État a agi seul et a agi mal en imposant des compressions aveugles à la fonction publique avec ses lois 198 et 102. C’est vrai, les coffres de l’État sont fort dégarnis, trop à notre goût, mais c’est une raison de plus pour écouter les propositions d’économie et de réorganisation du travail qui proviennent des employés de l’État. La ministre déléguée à l’Administration et à la Fonction publique déposera des mesures législatives qui viendront consacrer la nouvelle concertation entre l’État et ses employés.

Cette collaboration nous permettra de faire beaucoup plus. La présidente du Conseil du trésor va instaurer une véritable révolution dans la façon dont l’État est géré. Chaque ministère aura droit à une enveloppe fermée et disposera de sa liberté de gestion. Ce sera le mariage de la flexibilité et de la responsabilité. Surtout, les efforts d’augmentation de la productivité ne seront pas constamment confisqués par le Conseil du trésor comme c’était le cas jusqu’à maintenant, ce qui était démotivant.

Par ailleurs, nous allons aussi, avec le dépôt de deux projets de loi, revenir à la structure de direction d’origine de la Caisse de Dépôt et placement et de la société Hydro-Québec. Elle avait fait ses preuves.

Nous pensons que l’État a atteint sa masse critique et, si les Québécois décident l’an prochain d’éliminer tout un niveau de gouvernement – le fédéral – nous aurons collectivement l’occasion de simplifier, d’amincir et de coordonner l’action gouvernementale dans un État moderne. En ouvrant ce grand sentier, la souveraineté nous permettrait de faire ici ce dont rêvent tant d’États occidentaux. Ailleurs, ils sont aux prises avec la formidable force d’inertie des administrations. Ici, cette inertie serait ébranlée par le grand vent de la souveraineté. L’occasion serait unique.

L’État québécois des années quatre-vingt-dix doit savoir écouter, proposer, mobiliser, diriger, oui, et accompagner, et le moyen qu’il doit utiliser pour faire bouger les choses, c’est la solidarité: solidarité des individus, solidarité des entreprises, des écoles, des organisations syndicales et patronales, solidarité des élus de tous les niveaux. Et j’arrive ici au cœur de mon propos. Quatre grands défis s’offrent à tous les Québécois et à leurs représentants: celui de l’emploi, celui de la jeunesse, celui des femmes, celui des régions.

Nous héritons aujourd’hui de deux Québec dans un : un Québec où une partie de la population profite de l’enrichissement de l’économie et où une autre partie est poussée à l’inactivité. La cassure entre les deux mine la confiance de beaucoup de nos concitoyens en notre capacité de construire une société équitable. Il faut renverser la vapeur.

La reprise économique semble vouloir s’installer. Vous vous souvenez comment, à la sortie de la crise de 1981-1982, nous avions réussi, avec les partenaires sociaux, à faire profiter les Québécois du moindre souffle de reprise. Ensemble, nous avons redonné aux Québécois, en deux ans et demi, les 227 000 emplois que la crise leur avait enlevés. Maintenant, plus de quatre ans après le début de la dernière récession, 63 000 emplois manquent toujours à l’appel.

La situation actuelle me fait penser à ce film Jean de Florette. Vous vous souvenez, ce personnage joué par Depardieu attendait depuis des semaines une bonne averse pour son champ assoiffé. Un magnifique nuage est passé au-dessus de sa terre, mais a poursuivi son chemin sans laisser tomber une seule goutte.

Mes amis, la reprise économique va passer sur le Québec. Voulez-vous, on va la faire pleuvoir? Comment? D’abord, en semant l’espoir, comme le fait le Programme de démarrage qui pourrait créer, à lui seul, 30 000 emplois. C’est d’ailleurs un défi que nous lançons à l’ingéniosité des Québécois de mettre sur pied leurs propres entreprises. Ensuite, en donnant de l’engrais aux entreprises en croissance, comme le fait le Fonds de solidarité, en étant attentifs à chaque projet créateur d’emplois.

Nous remettons sur pied la salle des opérations que nous avions constituée en 1982. Nous l’avons retrouvée, près de mon bureau, vide, abandonnée depuis 10 ans. Avec la participation des délégués régionaux, nous allons y faire un suivi de tout ce qui promet.

Parfois, il est essentiel pour l’État de ne pas s’en mêler, Souvent il est utile de mettre un peu d’huile dans l’engrenage, d’accélérer l’émission d’un permis, de mettre en contact un entrepreneur et un financier.

Il faut relancer la construction résidentielle parce que, si le bâtiment va… Enfin, vous connaissez la suite. Pour l’instant, le bâtiment ne va pas. Le ministre responsable de l’Habitation, en collaboration avec celui des Finances, annoncera, d’ici quelques jours, une mesure nouvelle. Les Québécois qui achèteront une première résidence neuve pourront déduire, pendant quelques années, les intérêts découlant d’un prêt hypothécaire. Cette mesure, d’une durée limitée, va permettre de donner un élan à l’industrie de la construction.

Le ministre va aussi rétablir l’aide au logement social, un secteur que le gouvernement canadien a complètement délaissé. Il déposera sous peu un programme d’achat-rénovation ayant pour objectif 1 500 logements sociaux ou coopératifs par année.

En matière d’innovation et de technologie, le précédent gouvernement avait eu une excellente idée le chef de l’opposition me permettra de le souligner: je veux parler des sociétés Innovatech. Nous allons favoriser l’extension de cette formule prometteuse.

Et, quoi qu’en disent la Cour suprême et le ministre fédéral du Patrimoine, le Québec ne ratera pas son entrée sur l’autoroute de l’information. Nous avons ici les ressources et le talent. Le Québec doit se doter d’une politique, plusieurs ministères y travaillent.

Créer des emplois, donc. Former les Québécois aussi. Et, à ce sujet, nous ne sommes pas confrontés à un problème, mais à un drame. De 1985 à 1992, les effectifs en formation professionnelle chez les jeunes du secondaire Ont chuté de 85 %. Il faut reconstruire le pont entre les Québécois inactifs et le marché du travail. Ce pont, c’est la formation professionnelle.

Mon gouvernement entend réaliser son engagement d’élever la formation au rang d’un droit aussi fondamental que l’accès à l’éducation. Comme nous l’avons promis, les entreprises seront invitées à consacrer progressivement, selon leur taille et leur activité, l’équivalent de 1% de leur masse salariale à la formation. Le fonds ainsi créé sera distinct du budget général de l’État et géré de façon autonome et décentralisée par les partenaires patronaux, syndicaux et du secteur de l’éducation.

Je n’annonce cependant pas aujourd’hui une ponction fiscale supplémentaire de 1% pour les entreprises. 1%, c’est l’effort demandé à chaque entreprise, mais il peut prendre plusieurs formes, et, au premier chef, la formation de sa propre main-d’œuvre. Notamment, un programme d’apprentissage en entreprise sera intégré au système d’enseignement. Les entreprises seront invitées à mettre leur personnel et leur équipement au service de la formation scolaire.

En plus des étudiants, ceux qui sont sans emploi, qui doivent compléter leur formation académique de base et qui veulent recevoir une formation technique doivent avoir accès à la formation, quel que soit le programme de Sécurité du revenu dont ils bénéficient. La discrimination et les tracasseries administratives n’ont pas leur place lorsqu’il s’agit d’apprendre.

Aujourd’hui, mes amis, je vous annonce la fin de l’immobilisme en formation professionnelle. Je voudrais que, pour beaucoup de jeunes et beaucoup de chômeurs, ce soit le retour de l’espoir.

Voilà comment nous pouvons agir avec les outils dont nous disposons déjà. Mais, vous le savez, nous ne les avons pas tous. Et, à ce sujet, nous sommes parvenus à une grande unité de vues: c’est au Québec. que doivent se gérer les programmes de formation.

Les Québécois forment 25% de la population canadienne. Ils forgent des consensus importants et lancent à répétition des messages à Ottawa, et, pourtant, rien ne se passe. C’est comme si, les organisations patronales et syndicales québécoises, ça ne comptait pas.

Moi, j’aimerais avoir un pays où elles comptent, ces organisations. Moi, j’aimerais avoir un pays où les consensus des Québécois deviennent rapidement des décisions, des réalisations et des succès. J’aimerais avoir un pays où la solidarité est le maître mot.

Je veux m’arrêter un instant pour vous dire que la situation de la jeunesse québécoise me préoccupe au plus haut point. Certains d’entre vous le savent, au moment de la constitution du gouvernement, j’ai failli me réserver le portefeuille de l’Éducation. Mais le temps m’aurait manqué pour bien m’acquitter de cette seconde tâche. C’est pourquoi je l’ai confiée à son titulaire actuel, un homme qui sait faire bouger les choses. Il doit réunir, l’an prochain, les États généraux de l’éducation. Il soumettra sa proposition à l’Assemblée, dès le début de la session du printemps.

Sur le plan de la formation, notre objectif est que l’adaptation des programmes scolaires puisse commencer à entrer en vigueur dès septembre 1995. Les délais sont courts. Ils reflètent l’urgence d’agir.

Je l’ai dit tout à l’heure, les Québécois sont capables de grandes choses. Ils l’ont déjà prouvé. Mais la génération montante n’en est pas si certaine, et je ne la blâme pas. La majorité d’entre nous, dans cette Assemblée, sommes assez vieux pour pouvoir dire que le Québec nous a beaucoup donné. Mais 40 % des Québécois ont moins de 30 ans. C’est seulement avec eux et c’est beaucoup grâce à eux que le Québec pourra encore faire de grandes choses.

Et c’est pourquoi je suis particulièrement heureux de souligner que le Forum pour l’emploi, en collaboration avec le Secrétariat à la concertation, lance ces jours-ci une grande initiative. Elle s’appelle Action emploi jeunesse. Parce que nous sommes tous “ fous de nos enfants”, pour emprunter la belle expression de Camil Bouchard, le Forum veut harnacher en faveur des jeunes travailleurs les ressources locales et nationales, privées, publiques et communautaires.

Concrètement, ces actions pourront prendre la forme d’ouverture de postes pour l’insertion des jeunes dans des entreprises existantes; la mise sur pied d’entreprises communautaires dédiées à l’insertion; la création de nouveaux outils de soutien à l’entrepreneurship; de nouveaux partenariats école-entreprise.

En tout début d’année, nous allons, ensemble, nous fixer des objectifs et une obligation de résultats. Car nous sommes tous d’accord: les jeunes Québécois ont entendu suffisamment de promesses. Ils veulent de l’action, et nous aussi.

Nous abolissons tout de suite, comme nous l’avons promis, la taxe à l’échec imposée par le précédent gouvernement et nous gelons les droits de scolarité. Et je demande à l’Assemblée une solidarité exemplaire pour repousser la réforme que le gouvernement du Canada veut imposer à l’enseignement supérieur. Elle provoquerait une augmentation de 100 % des droits de scolarité. Elle provoquerait un endettement supplémentaire de 60 % pour nos étudiants.

Je n’appelle pas ça être fous de nos enfants. J’appelle ça, si vous me passez l’expression, être fou braque. Vous et moi, avec les associations étudiantes du Québec, avec les universités du Québec, nous allons servir de garde-fou.

Une autre des grandes préoccupations de mon gouvernement est celle de la pauvreté, et en particulier de la pauvreté de beaucoup de familles monoparentales. Un des facteurs de cette pauvreté, c’est le fait, inacceptable, qu’un certain nombre de pères refusent de prendre leurs responsabilités, refusent de verser la pension alimentaire à laquelle leurs enfants ont droit.

Ça fait mal de constater que cette mesquinerie existe. Ça fait encore plus mal de constater que, depuis des années, rien n’a été fait pour remédier à ce scandale. Je m’adresse aux femmes et aux enfants du Québec qui attendent depuis trop longtemps. Je leur dis: Nous ne tolérerons pas cette abdication de responsabilité. Les ministres de la Condition féminine, de la Justice, du Revenu travailleront de concert pour déposer, avant Noël si possible, un projet de loi sur la perception automatique des pensions alimentaires. Tous les hommes du Québec doivent être solidaires dans cette action qui engage notre dignité à tous.

Dans l’État québécois, nous venons de poser les derniers jalons de l’accession de nos travailleuses à la véritable équité. C’est important, mais il faut le faire aussi dans le reste de la société. Trop de femmes sont encore victimes de discrimination dans des catégories d’emplois sous-évaluées. Mon gouvernement proposera d’ici peu un projet de loi sur l’équité salariale pour remédier à ce décalage hérité, il faut le dire, d’un long patriarcat.

Je parle depuis tout à l’heure de la société solidaire que nous voulons bâtir ici, au Québec. Il y a des dizaines de milliers de Québécois qui ont fait de cet objectif un labeur quotidien. Je parle des organisations communautaires et charitables. Ce sont surtout des femmes qui font vivre ces organisations. Elles côtoient quotidiennement la détresse, la pauvreté, le désespoir. C’est l’héroïsme ordinaire. Ces organismes vivotent, doivent constamment quêter des petites sommes. Ils méritent pourtant notre respect et notre reconnaissance. Il faut donc rendre plus facile l’accès aux ressources gouvernementales en créant un secrétariat à l’action communautaire, une structure légère mais qui déchargera les bénévoles du travail fastidieux de s’y retrouver dans les programmes. Il faut assurer à beaucoup de ces organismes un financement sur une base de trois ans.

Comment le faire? L’ancienne présidente de la Fédération des femmes du Québec, qui est maintenant notre députée de Blainville, disait l’autre jour que nos discussions au caucus sur l’ouverture de nouveaux casinos et sur les vidéopokers la rendaient mal à l’aise. Est-ce vraiment pour gérer le jeu que nous nous sommes lancés en politique? Bonne question. Le fait est que le jeu est incontournable et qu’il est préférable que l’État en assure l’honnêteté. Quel rapport avec l’activité communautaire? J’y viens. Pourquoi ne pas utiliser une partie de ces revenus nouveaux du jeu et les diriger vers l’aide communautaire? Le ministre des Finances y travaille.

Des voix : Bravo !

Monsieur Parizeau:

Par ailleurs, nous avons aussi l’intention d’accroître, dès cette semaine, d’au moins 1 000 000 de dollars pour commencer, notre aide aux médias communautaires qui constituent parfois la seule source d’information régionale qui reste.

Malheureusement, dans cette lutte à la pauvreté que nous engageons, il faut encore se cramponner. L’impact de la réforme que le gouvernement canadien concocte à son régime d’assurance-chômage pourrait être dévastateur. Dans une de ses hypothèses, l’équivalent de 40 000 ménages supplémentaires pourraient être poussés dans les rangs de l’aide sociale. Les femmes, encore, pourraient être particulièrement touchées. Déjà, la réforme canadienne de 1990 a interdit l’accès des programmes fédéraux de formation aux femmes qui n’avaient ni assurance-chômage ni aide sociale. Cette fois-ci, Ottawa voudrait écarter de l’assurance-chômage les femmes dont les maris ont un bon revenu. Ce serait un gigantesque pas en arrière dans la marche des femmes pour l’indépendance économique. Si Monsieur Chrétien et Monsieur Axworthy veulent faire ce pas, ils nous trouveront sur leur chemin.

La solidarité, c’est aussi les efforts constants que nous devons déployer envers nos concitoyens d’arrivée récente et ceux de nos citoyens qui forment les communautés culturelles. Nous avons été frappés de constater qu’il y a maintenant au sein de la fonction publique moins de citoyens d’origines diverses que lorsque le Parti québécois a quitté le pouvoir il y a neuf ans, et ce, en dépit des engagements à répétition qu’avait pris le gouvernement libéral. Nous reprenons notre travail et notre objectif que ces Québécois représentent leur juste proportion de toutes les catégories d’emplois. Nous aborderons aussi toute la dimension des relations inter-culturelles lors des États généraux de l’éducation.

Il y a un mot que j’ai utilisé depuis le début de ce discours, le mot “régions”. C’est l’axe sans lequel aucun de nos défis ne peut être vraiment relevé.

L’action des délégués régionaux attire comme jamais auparavant l’attention du gouvernement dans les régions. Mais il faut aller plus loin.

Depuis quelques semaines, le ministre d’État au Développement des régions fait le tour du Québec pour préparer un premier projet de régionalisation des pouvoirs et des ressources. Il n’est pas question de donner des responsabilités aux régions, aux MRC, aux municipalités sans leur donner les leviers aussi pour mener à bien leurs nouvelles tâches.

Nous allons procéder à une révision de la fiscalité municipale, négociée à la table Québec-municipalités. Comme la plupart des Québécois, nous aimons bien la neige, mais nous pensons que le pelletage n’a pas sa place dans la fiscalité.

C’est un des grands chantiers que nous ouvrons avec les Québécois: Comment redonner le pouvoir aux régions? Ce n’est pas nous qui allons dicter la formule de décentralisation. Nous allons l’élaborer ensemble. Mais il faut bien s’entendre: chacun chez soi, ça ne veut pas dire chacun pour soi.

Mais déjà, vous le voyez, ce souci des régions marque toutes nos actions. Le ministre responsable du Commerce extérieur vient d’annoncer la régionalisation du programme APEX d’aide à l’exportation. Des bureaux sont ouverts en Estrie, en Beauce et dans Lanaudière. Il y en aura d’autres.

Le ministre de la Santé va présenter bientôt une véritable régionalisation d’une partie des responsabilités, des ressources et des effectifs de la Santé vers les régies régionales de la santé et des services sociaux. Il annoncera aussi ses décisions en matière de services médicaux en région. Une partie de la solution se trouve dans les demandes des médecins diplômés hors Québec. Le ministre expliquera aussi comment les efforts Seront partout déployés pour réduire de 50 % le délai moyen actuel de 90 jours pour la chirurgie d’un jour.

Le président du Comité spécial d’initiative et d’action pour le Grand Montréal proposera sous peu un nouveau mécanisme de concertation entre Québec et le Grand Montréal et il travaille, avec les acteurs locaux, sur une vingtaine de projets mobilisateurs pour la région.

En environnement, dès le prochain exercice financier, le ministre proposera de reconnaître et de financer les conseils régionaux de l’environnement. Il lancera, l’an prochain, un débat attendu sur la gestion des déchets solides, en insistant sur les responsabilités locales. Il mènera à bon port aussi la révision du processus d’évaluation des impacts environnementaux. Dans le prolongement des accords de Rio, il déposera, au cours du printemps, sa stratégie de conservation de la diversité biologique et celle concernant les changements climatiques.

Il faut faire un bon ménage aussi dans le Programme d’assainissement des eaux que Marcel Léger avait lancé en 1978. Après avoir dépensé plus de 5 000 000 000 de dollars, on retrouve souvent, sur un même cours d’eau, des villes qui traitent leurs eaux et d’autres qui déversent sans rien faire. C’est inacceptable. Et j’appelle les maires de municipalités et de villages, les chefs d’entreprise et les agriculteurs qui utilisent les mêmes cours d’eau à faire preuve de solidarité.

Cette solidarité dont je vous parle, elle n’est pas possible sans la responsabilité que chaque Québécois doit assumer: responsabilité individuelle, bien sûr – je le dis aux plus jeunes comme aux plus vieux : personne ne va étudier, travailler, réussir à votre place – responsabilité collective, ensuite.

Le gouvernement, l’État doit donner l’exemple, d’abord dans la gestion de notre portefeuille commun. Rien ne nous empêchera d’agir, mais je dois vous dire que nous avons trouvé les finances publiques dans un bien piètre état. Nous nous attendions à ce que le gouvernement précédent dépasse ses prévisions de déficit d’environ 900 000 000 dollars, comme c’était sa mauvaise habitude au cours des quatre dernières années. Il ne nous a pas surpris, à la différence près que, cette fois-ci, il a brisé son record de dépassement.

D’ici quelques jours, le ministère des Finances publiera un document qui dressera un état complet de la situation. Je vais vous en donner quelques faits saillants.

Nous avons compris quelle panique s’était emparée de l’ancien gouvernement pendant sa dernière année. Après avoir été incapable de freiner les dépenses, qui ont augmenté en termes réels de 3% pendant trois ans, il s’est lancé dans un programme de coupures précipité et assez maladroit.

Mais ce qui me frappe surtout est l’extraordinaire incurie au niveau des revenus. il y a des comptes en souffrance et plusieurs pour lesquels aucune démarche n’a été entreprise. Plusieurs concernent le gouvernement fédéral. Des sommes considérables. On aurait cru que les tenants du fédéralisme rentable auraient réclamé le dû du Québec. Ils ne l’ont pas fait.

On sait tous que le gouvernement a baissé les bras face à la contrebande du tabac, face au travail au noir, face à la non-perception de la taxe sur les produits et services, face à la contrebande de l’alcool. Elle est là aussi, la crise des finances publiques, dans le refus de l’État de prendre ses responsabilités. Ce ne sera pas notre cas.

Sur l’évasion fiscale, nous allons être très durs. Les travaux des vérificateurs généraux du Québec et du Canada vont nous servir de guide à cet égard dans plusieurs secteurs. Sur la contrebande d’alcool aussi, nous serons durs. À l’approche de la période des fêtes, je m’adresse en particulier à certains propriétaires de débits de boissons sans lesquels la contrebande de l’alcool ne pourrait être aussi florissante. Il serait prudent, pour la prospérité de vos établissements et la poursuite de vos activités commerciales, que votre approvisionnement en alcool se fasse auprès des distributeurs autorisés. C’est un conseil amical.

Des voix : Ha, ha, ha !
M. Parizeau:

Pour le reste, il s’est créé au Québec, ces dernières années, un climat malsain. C’est comme un concours où celui qui paie le moins de taxes gagne. Dans cette course à l’irresponsabilité, nous sommes tous perdants. Au fil d’arrivée, nous avons moins d’argent pour l’éducation, pour la formation, pour la santé, et c’est profondément injuste à l’endroit de tous les citoyens qui paient par principe, par devoir et par honnêteté l’ensemble de leurs taxes.

Les Québécois attendent beaucoup de nous, au gouvernement – ils ont raison – mais nous attendons beaucoup d’eux. Avec tous les Québécois, je voudrais faire aujourd’hui un pacte, un pacte de coresponsabilité et de solidarité. Au gouvernement, nous nous engageons à percevoir de chacun ce qui est dû à la bourse collective, des multinationales comme des dépanneurs, des riches héritiers comme des salariés. Nous nous engageons aussi à dépenser avec parcimonie et jugement, à ne pas favoriser les groupes d’intérêts plutôt que les groupes de démunis. Nous nous engageons à rétablir le lien de confiance. Mais, en retour, nous demandons à chaque Québécoise et à chaque Québécois de nous aider à mettre un terme à la course folle vers l’illégalité. Je demande notamment aux commerçants et aux entrepreneurs de refuser dorénavant d’escamoter les taxes qu’ils doivent percevoir. Je demande aux consommateurs de refuser dorénavant le travail au noir, la contrebande de l’alcool, l’évasion fiscale.

Que le Québec soit encarcané dans le Canada ou qu’il puisse respirer comme État souverain, nous ne pourrons rien faire de durable si les membres de la société québécoise ne se sentent pas personnellement responsables du bien commun. Voilà le pacte que je vous offre aujourd’hui.

Des voix: Bravo!
M. Parizeau:

Je ne veux pas vous retenir trop longtemps Je n’ai pas parlé du débat sur l’énergie, des schémas d’aménagement, d’autres mesures prévues en santé, notamment les 1 000 places de plus par an pour nos aînés en centre d’accueil. Des initiatives importantes seront annoncées bientôt dans le secteur minier, par exemple, et celui des transports, entre autres. Nous allons aussi discuter de réforme parlementaire, car il faut redonner à cette Assemblée et à chacun de ses membres le pouvoir réel du législateur

Je me suis étendu longuement aujourd’hui sur le programme de gouvernement que nous offrons aux Québécois. Au cours des jours qui viennent, je m’étendrai aussi longuement sur la plus grande décision politique qu’un peuple puisse prendre: l’accession à la souveraineté.

Depuis quelques mois, nous réfléchissons sur le meilleur moyen d’ouvrir le débat le plus largement possible. Je donnerai aujourd’hui une idée de l’esprit et des principes qui vont nous guider dans cette démarche vers le référendum de 1995.

Je dirai d’abord qu’elle se fera dans la clarté. Les Québécois veulent savoir de quoi il s’agit au juste lorsque nous parlons de souveraineté. Nous avons retenu le consensus dégagé par la commission Bélanger-Campeau. La souveraineté, c’est la capacité de voter toutes ses lois, de percevoir tous ses impôts, de signer tous ses traités. C’est aussi la volonté d’agir dans le maintien de l’association économique canadienne et dans la zone de libre-échange nord-américaine. C’est pourquoi, comme je le disais au premier ministre ontarien Monsieur Bob Rae la semaine dernière, le Québec n’a nullement l’intention de réduire la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes entre l’Ontario et le Québec. Il a, au contraire, l’intention de rendre la frontière encore plus ouverte qu’elle ne l’est maintenant. Ce sera vrai aussi dans un Québec souverain.

Le ministre des Affaires internationales proposera d’ailleurs bientôt à cette Assemblée les dispositions par lesquelles le Québec, dans ses champs actuels de compétence, va adhérer aux accords du commerce international du GATT et de l’Accord de libre-échange nord-américain. Le Québec sera la première province à le faire, et nous marquerons ainsi notre volonté de poursuivre, lorsque nous serons souverains, le libre-échange avec nos voisins. Quant à notre monnaie, c’est le dollar canadien. Nous en sommes les cofondateurs et les copropriétaires. Nous le gardons. C’est tout.

Bref, sur ces points et sur bien d’autres encore, nous allons faire en sorte que tous les Québécois sachent de quoi on parle lorsqu’on utilise le terme “souveraineté”. C’est le cadre de notre proposition, mais ce n’en est pas le contenu. Nous voulons ouvrir un dialogue avec tous les Québécois sur ce contenu. Un Québec souverain, pour en faire quoi, au juste? Pour qu’il soit porteur de quelles valeurs, de quels principes, de quels objectifs? Le pays du Québec, il n’appartient pas à un premier ministre, à un gouvernement ou à un parti. Si nous choisissons collectivement de nous le donner, nous allons tous y vivre, et il faut que tous participent à sa définition.

L’été dernier, l’actuel chef de l’opposition a dit une chose très vraie, que tous les Québécois ressentent profondément. Il a déclaré en entrevue que, la fibre souverainiste, chaque Québécois la portait en lui; chacun, y compris lui, le chef du Parti libéral. Son père, le regretté premier ministre de l’Union Nationale, avait une autre façon d’exprimer cette idée. Il disait que chaque Québécois était indépendantiste au moins une heure par jour.

Monsieur le Président, mes amis, il y a quatre ans, en cette enceinte, j’ai tendu la main à celui qui était premier ministre du Québec. Cette main, je la tends encore aujourd’hui à son successeur, Monsieur Daniel Johnson. J’ai bien peu d’espoir de le convaincre lui, personnellement, de venir faire la souveraineté avec moi. Mais, à travers lui, je tends la main à chaque Québécois fédéraliste ou indécis, à chaque Québécois qui se dit: Ce serait quand même beau, avoir son pays; ce serait quand même digne, être maître chez soi; ce serait quand même noble, parler de sa propre voix à la table des nations. Je la tends à chaque Québécois qui se dit : Et si c’était vrai ? Et si ça marchait? Et si on osait, puisqu’on est capables? Qu’est-ce qui les retient…

Des voix: Bravo !

M. Parizeau:

Qu’est-ce qui les retient, ces Québécois? Ce ne sont pas les Rocheuses. Ce n’est pas parce qu’ils aiment la nouvelle réalité pancanadienne, celle de 10 provinces égales. Ce n’est pas parce qu’ils partagent le projet de Monsieur Jean Chrétien ou de Monsieur Clyde Wells, d’un Canada qui lime chaque jour un peu plus ce qui distingue le Québec. Ce n’est pas la notion de société distincte: elle a complètement disparu du vocabulaire canadien, comme celle des deux nations. Il n’y a plus de promesse d’autonomie québécoise. Ce n’est pas parce qu’ils sont contents de la gestion de leurs taxes par Ottawa: la dette fédérale est monstrueuse. Le gaspillage, dénoncé chaque année par le Vérificateur général, est phénoménal.

Non, ce qui les retient d’être souverainistes 24 heures par jour, c’est le doute, la peur de l’inconnu. Ces craintes sont normales, elles sont légitimes, elles sont même nécessaires. La vie d’un peuple, c’est comme celle d’un individu: avant chaque grande décision – un mariage, un changement d’emploi, l’achat d’une maison – nous avons comme un pincement au cœur. Devenir propriétaire de tout un pays, ce n’est pas une décision qui se prend à la légère.

Ces doutes et ces craintes des Québécois, Monsieur le Président, nous les connaissons, nous les comprenons. Nous avons l’intention de proposer aux Québécois une façon inédite de leur donner la parole. Nous irons les trouver chez eux pour qu’ils puissent exprimer à la fois leurs espoirs et leurs craintes, leurs ambitions et leurs hésitations. Ce sera un processus où ils pourront poser leurs questions et offrir leurs réponses. Qu’on mette tout sur la table! C’est dans le noir que l’inconnu nous apeure; à la lumière du jour, on y voit mieux. C’est dans le silence qu’on se sent petit et seul; lorsqu’on prend la parole, on s’entend et on se comprend. Au Québec, on est maintenant 7 000 000, et on va se parler!

Des voix: Bravo!

M. Parizeau:

Il y a, aujourd’hui, au Québec, un grand consensus: que le référendum se tienne l’an prochain, en 1995. Le chef de l’opposition le demande, le premier ministre canadien le demande. Ça tombe bien, car c’est dans nos intentions.

Il y a un autre consensus: que la question soit claire. Elle le sera.

Pendant la campagne, on a dit aux Québécois que, si mon équipe était élue, elle enclencherait le processus référendaire. C’était vrai. Comme prévu, nous enclenchons. Nous enclenchons aujourd’hui notre action pour l’emploi, pour la jeunesse, pour les femmes, pour les régions, pour le lien de confiance. Nous l’enclenchons aussi pour la souveraineté.

Mardi prochain, je préciserai la forme exacte que prendra cette démarche et je déposerai à l’Assemblée nationale un document qui servira de base à la participation populaire dont je viens de parler.

Mais, par-dessus tout, comment proposons-nous de réaliser la souveraineté? En étant fidèles aux quatre principes qui guident toute notre action: la volonté, la clarté, la solidarité et la responsabilité. Merci, Monsieur le Président.

[Texte électronique établi par Denis Monière (Université de Montréal) 1999]

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