Allocution de l’honorable Marcel Masse, ministre d’État à l’Éducation, au congrès de l’Association diocésaine des commissions scolaires de la région de Joliette, le 19 novembre 1966

Mes chers amis,

Traiter du rôle du commissaire d’écoles, après tout le brassage d’idées dont cette question a fait l’objet dernièrement, n’est pas sans provoquer chez-moi une certaine crainte de tomber cérémonieusement dans la répétition.

Comme vous le savez, le ministre de l’Éducation, l’honorable Jean-Jacques Bertrand, a eu l’occasion, la semaine dernière, lors du XIXe congrès de la Fédération des commissions scolaires catholiques, de définir avec assez de précision le rôle dévolu au commissaire d’écoles dans les structures actuelles de notre régime scolaire, compte tenu des exigences de l’école nouvelle. Il disait du commissaire d’écoles qu’il est un responsable politique et un animateur de la réorganisation pédagogique de l’école et de la réforme générale de l’Éducation. Il précisait que le commissaire devait être un agent interne et dynamique de l’implantation de l’école nouvelle dans notre milieu.

C’est ce point particulier que j’aimerais préciser davantage aujourd’hui, en répondant à l’aimable invitation que m’a faite l’Association diocésaine des commissions scolaires de la région de Joliette.

Je pense que le meilleur moyen d’y parvenir, sans prendre de détours fastidieux, est encore d’examiner brièvement le partage des tâches et les relations qui devraient normalement exister entre la commission scolaire et l’atelier pédagogique défini comme la structure de participation démocratique à la réorganisation des cours élémentaire et secondaire.

Ce dont un grand nombre de personnes ne semblent pas trop se rendre compte présentement, c’est que l’atelier pédagogique possède des caractéristiques l’identifiant, sous plusieurs aspects, au comité scolaire que propose le rapport Parent comme première cellule démocratique de notre système d’enseignement.

De l’une et de l’autre formule, comparons donc le but, les agents et le style de travail, afin de dégager le partage des tâches auquel, en fin de compte, nous en sommes arrivés dans la recherche d’une définition de l’école nouvelle.

Le comité scolaire, tel que décrit dans le rapport Parent, tout comme l’atelier pédagogique proposé par le ministère de l’Éducation, a pour but ultime de rapprocher l’école de la famille.

Toutefois, le comité scolaire serait la première cellule démocratique d’une refonte assez radicale des structures politiques de notre régime scolaire. Je souligne donc que l’atelier pédagogique, tel que le définit présentement le ministère, se distingue du comité scolaire en ce qu’il n’a pas son caractère juridique et institutionnel.

Cette différence prend entièrement racine dans le problème de l’existence des commissions scolaires locales et de leur regroupement, problème que vous avez étudié à Montréal, au cours du congrès de votre Fédération. Puisque le gouvernement s’interdit d’y imposer une solution de façon autoritaire, – préférant qu’une maturation des idées se fasse dans le milieu en vue de trouver la solution la plus appropriée – nous avons cru bon, au ministère, de conférer à l’atelier pédagogique les mêmes fins que le comité scolaire, tout en conservant à la commission scolaire le pouvoir juridique de représentation et le caractère institutionnel qui lui revient de droit tant qu’elle existe.

Vidé de tout contenu juridique, l’atelier pédagogique sera un corps n’ayant aucun pouvoir administratif ou financier.

Il ne se substitue donc pas aux commissaires d’écoles. Comme organisme mettant directement en présence les parents et les maîtres, ce sont des tâches plus proprement pédagogiques qu’il y a lieu de lui confier.

Pour sa part, la Commission Parent recommande que le comité scolaire soit composé de cinq membres élus annuellement par les parents des élèves et, s’il y a lieu, par les élèves inscrits au cours pour adultes, assistés du directeur de l’école et d’un représentant du personnel enseignant. En somme, il s’agit de mettre en contact le milieu scolaire et le milieu familial pour féconder l’école nouvelle. C’est précisément le moyen qui est recherché par la formule de l’atelier pédagogique. Dans cette dernière structure de participation, cependant, puisque la commission scolaire demeure dépositaire de la représentation politique aussi bien au niveau local que régional, le ministère de l’Éducation a fait en sorte que les parents s’y représentent eux-mêmes, sans intermédiaire, ce qui n’empêchera évidemment pas chaque atelier de se donner les structures ad hoc qu’il jugera utiles.

Enfin, quant au style de travail, le rapport Parent nous indique clairement que cela en est un de consultation qui devrait régner au sein du comité scolaire, d’abord intérieurement entre les parents et les maîtres, et ensuite, entre le comité lui-même et la commission scolaire régionale. Sauf dans un domaine bien précis dont je vous parlerai un peu plus loin, la Commission Parent laisse au législateur le soin de consigner dans la loi jusqu’ à quel point les recommandations du comité scolaire devraient lier la commission scolaire régionale. A ce chapitre, vous le savez déjà, l’atelier pédagogique sera un organisme purement consultatif pour les commissaires d’écoles locaux ou régionaux, selon le cas, et c’est à vous, élus du peuple, qu’il reviendra de préparer un plan d’ensemble pour votre niveau de juridiction et de le soumettre au ministre de l’Éducation.

Donc, globalement, et abstraction faite de la fibre juridique et institutionnelle qui lui manque actuellement, on peut dire que l’atelier pédagogique poursuit les mêmes fins, met en présence les mêmes agents et préconise un style de travail à peu près identique à celui du comité scolaire proposé par la Commission Parent.

Résumons en disant que ce qui différencie essentiellement le comité scolaire de l’atelier pédagogique est que le premier constitue une structure de représentation reposant d’abord sur une aire de juridiction (l’école), alors que le second est une structure de participation créant une zone d’influence (la famille). Je crois que ce que nous perdons en institution politique en mettant à l’écart la formule du comité scolaire, nous le regagnons amplement en vitalité grâce à une structure de participation permettant à tous les intéressés de faire valoir leur point de vue.

C’est à dessein que j’ai fait une réserve majeure jusqu’ici, ayant passé sous silence le problème de la diversité religieuse. Vous n’ignorez pas que le comité scolaire, dans l’esprit de ceux qui l’ont conçu, représentait une formule efficace pour donner un cadre démocratique à l’aspect religieux de l’enseignement.

Jusqu’ici du moins, et malgré ce parallèle que je viens d’établir, le ministère de l’Éducation n’a jamais exprimé formellement l’intention de faire de l’atelier pédagogique le dépositaire d’une certaine compétence en matière de confessionnalité. S’il est vrai que la fonction crée l’organe, et, si la formule s’avère aussi efficace que nous avons tout lieu de croire, on peut se demander si nous n’avons pas dans l’atelier pédagogique, contenue en germe, une solution au problème que pose l’enseignement religieux dans la perspective de l’école nouvelle.

Personnellement, je crois que les contacts fréquents et suivis qu’occasionnera entre les citoyens d’un même milieu local ou régional la participation à l’atelier pédagogique, contribueront pour une bonne part à éliminer les divergences de vue qui ont cours présentement chez nous en ce qui concerne le caractère confessionnel de l’enseignement. Mais, je tiens à vous faire remarquer qu’il s’agit plus ici de l’énoncé d’un espoir optimiste que de l’expression d’une certitude. De toute manière, tant que subsistera un certain rigorisme en ce qui concerne l’enseignement religieux, je pense qu’il sera extrêmement difficile de trouver une solution satisfaisante pour tous en ce domaine.

Ce que je veux dire par ces dernières remarques est que l’école nouvelle, grâce à la réforme élaborée dans l’atelier pédagogique, prendra une âme qui sera propre à son milieu ambiant et à laquelle s’ajoutera inévitablement un désir démocratique d’adopter pour l’enseignement de la religion la formule convenant le mieux à la mentalité particulière de ce même milieu.

Une telle fécondation de la volonté populaire au moyen du contact de la famille et du milieu enseignant ne pourra parvenir à maturité, cependant, que si l’intimité de l’atelier pédagogique est respectée. Il faut absolument que les solutions aux problèmes posés viennent des premiers intéressés, c’est-à-dire les parents et leurs mandataires et conseillers immédiats, les maîtres.

C’est pourquoi j’ai fait ce parallèle entre le comité scolaire et l’atelier pédagogique. Je crois avoir illustré par ces deux exemples, puisés à la même source d’inspiration démocratique, que le partage des tâches doit être parfaitement établi si on veut que chaque groupe agisse en toute liberté et selon la compétence et les droits qui lui sont propres. L’atelier pédagogique n’est pas conçu pour remplacer les commissaires d’écoles et ceux-ci devraient normalement s’abstenir d’entrer dans l’atelier pédagogique. C’est aux commissaires d’écoles, toutefois, en tant que responsables politiques et animateurs, que reviendra le rôle de montrer le chemin du laboratoire aux participants; de fournir, avec la collaboration du ministère, les instruments essentiels à la recherche d’une solution; et enfin, de se prononcer sur le produit fini, soit en l’adoptant comme conforme aux particularismes du milieu qui les a élus, soit en le retournant au laboratoire pour affinage, s’il y a lieu. Le tout, évidemment, en tenant compte des données financières et administratives qui relèvent de leur compétence.

Pour répondre à une question du début, à savoir si on devrait exclure le commissaire d’écoles comme agent interne et dynamique de l’implantation de l’école nouvelle dans notre milieu, il m’apparaît que son rôle en sera un d’agent externe, en ce sens qu’il ne se mettra pas nécessairement les mains dans la pâte pédagogique. Mais en revanche, son rôle se devra d’être dynamique, en ce qu’il imprimera, comme animateur, un mouvement de participation massive à l’édification de l’école nouvelle.

Ceci revient à dire que chaque groupe aura un rôle précis à jouer et qu’il faut absolument éviter que le grand ménage qui va bientôt s’amorcer dans nos écoles ne tourne en tour de Babel.

J’en conviens, ces remarques sont bien théoriques. Mais, j’estime que si nous voulons éviter la confusion des tâches une fois la réforme commencée, il faut à tout prix éviter la confusion des termes avant qu’elle ne commence.

Donc, les parents seront personnellement sur place pour veiller au droit naturel des enfants; la pédagogie relèvera de ceux qui font carrière en ce domaine, les enseignants; enfin, l’administration et l’animation appartiendront de droit à ceux que la volonté du peuple a bien voulu, pour la durée d’un mandat précis, affecter à cette tâche.

Je vous confie, en terminant, que mes remarques s’inspirent d’abord d’un souci profond chez-moi: celui de voir chacun à sa place au cours de la réforme pédagogique. Car il serait vain de concevoir et de réaliser l’école nouvelle en attribuant à chacun des rôles qui ne lui reviennent pas et qui ne lui conviennent pas.

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